N° 3115 tome VI - Avis de M. Christophe Guilloteau sur le projet de loi de finances pour 2016 (n°3096)



N
° 3115

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI
de finances pour 2016 (n° 3096)

TOME VI

DÉFENSE

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

AIR

par M. Christophe GUILLOTEAU

Député

——

Voir le numéro : 3110 (annexe 12)

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : UN BUDGET CONFORME À L’ACTUALISATION DE LA LPM, MAIS RISQUANT DE NE PAS COMPENSER L’IMPACT D’UNE ACTIVITÉ OPÉRATIONNELLE INTENSE 9

I. UN ENGAGEMENT DES FORCES AÉRIENNES AU-DELÀ DU CONTRAT OPÉRATIONNEL ET PESANT SUR LES CAPACITÉS DE L’ARMÉE DE L’AIR 9

A. LE DÉPASSEMENT TRÈS NET DU CONTRAT OPÉRATIONNEL DU FAIT DE L’ACTIVITÉ 9

1. Les objectifs prévus par le Livre blanc et la LPM 2014-2019 9

2. Un rythme opérationnel intense en 2015 10

B. DES CONSÉQUENCES POTENTIELLES SUR LA CAPACITÉ À RESPECTER LE FORMAT PRÉVU PAR LA PROGRAMMATION 13

1. Les conséquences financières directes 13

2. La disponibilité des matériels et la formation des pilotes : un risque pour la cohérence du modèle 14

II. UN PROJET DE BUDGET S’INSCRIVANT DANS L’ACTUALISATION DE LA LPM, AVEC DES ACQUISITIONS NE PERMETTANT DONC PAS D’ÉCARTER TOUT RISQUE CAPACITAIRE 16

A. UNE ÉVOLUTION GÉNÉRALE DES CRÉDITS EN LIGNE AVEC L’ACTUALISATION 16

1. Les crédits consacrés à l’armée de l’air 16

2. Un effort particulier en faveur de l’entretien des matériels 20

B. LA POURSUITE DES ACQUISITIONS INDISPENSABLES À NOS FORCES AÉRIENNES 23

1. Garantir le format de l’aviation de combat 23

2. Les risques de rupture capacitaire en matière de transport tactique et de ravitaillement en vol 24

3. Les indispensables drones 26

SECONDE PARTIE : L’ARMÉE DE L’AIR ET LA PROTECTION DU TERRITOIRE NATIONAL 29

I. LE TERRITOIRE NATIONAL EST LE PREMIER THÉÂTRE D’ENGAGEMENT OPÉRATIONNEL DE L’ARMÉE DE L’AIR 29

A. LA FONCTION « PROTECTION » EST AU CœUR DES MISSIONS DE L’ARMÉE DE L’AIR 29

1. La fonction stratégique de protection tient une place importante dans les missions de l’armée de l’air 30

a. La posture permanente de sûreté aérienne 30

b. D’autres missions de défense aérienne 30

2. La fonction stratégique de dissuasion concourt également à la protection du territoire national 32

a. Le lien étroit entre fonction de dissuasion et fonction de protection 32

b. La dualité des capacités affectées à la fonction dissuasion 32

B. LA PROTECTION DU TERRITOIRE NATIONAL OCCUPE UNE PART TRÈS IMPORTANTE DES MOYENS DE L’ARMÉE DE L’AIR 32

1. Les moyens de l’armée de l’air consacrés à la posture permanente de sûreté aérienne 33

a. Des moyens importants et une activité soutenue 33

b. Une contribution importante au regard de la tension qui pèse actuellement sur les capacités de l’armée de l’air 34

2. Les moyens de l’armée de l’air consacrés à la dissuasion 36

II. EN SUS DE SES MISSIONS PERMANENTES, L’ARMÉE DE L’AIR OFFRE UN PANEL DE CAPACITÉS INDISPENSABLES AU RENFORCEMENT PONCTUEL DE LA SÉCURITÉ DU TERRITOIRE 36

A. L’ARMÉE DE L’AIR EFFECTUE UN ENSEMBLE CONSISTANT DE MISSIONS DE SERVICE PUBLIC 36

1. Le dispositif de renforcement ponctuel de la posture permanente de sûreté aérienne 37

2. Le réseau national d’alerte (RNA) 37

3. La campagne Héphaïstos 37

4. Les missions de Search and Rescue 38

5. La neutralisation, l’enlèvement et la destruction des explosifs (NEDEX) 38

6. La protection nucléaire, radiologique, biologique et chimique 38

B. L’ARMÉE DE L’AIR A PRIS UNE PLACE IMPORTANTE, MÊME SI ELLE RESTE RELATIVEMENT PEU VISIBLE, DANS LE RENFORCEMENT DU PLAN VIGIPIRATE 38

1. L’armée de l’air participe au renforcement de la sécurité du territoire national entrepris depuis les attentats de janvier 2015 39

a. L’armée de l’air a contribué à la neutralisation des frères Kouachi 39

b. L’armée de l’air contribue à la mise en œuvre des plans Vigipirate et Cuirasse 39

2. L’armée de l’air dispose de capacités utiles à l’effort de protection du territoire national contre la menace actuelle 40

a. Des capacités utilisables pour le renforcement de la protection du territoire national 40

b. Un cadre réglementaire restant à définir pour utiliser les capacités de l’armée de l’air contre une autre menace potentielle : les drones 40

TRAVAUX DE LA COMMISSION 43

I. AUDITION DU GÉNÉRAL ANDRÉ LANATA, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE L’AIR 43

II. EXAMEN DES CRÉDITS 63

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis 67

INTRODUCTION

« L’armée de l’air est l’arme du temps court », comme l’a rappelé le général André Lanata, chef d’état-major de celle-ci, lors de son audition par la commission de la Défense le 7 octobre dernier. Les performances de nos aviateurs le confirment sur des théâtres d’opérations difficiles, avec une réactivité et une précision qui forcent l’admiration.

Mais cette capacité de réaction ne peut exister et demeurer qu’au prix d’une constance dans les choix et les efforts budgétaires qui, elle, s’inscrit par définition dans le temps long. Le potentiel de l’armée de l’air résulte de choix techniques souvent très anciens, comme par exemple pour l’avion de combat polyvalent Rafale, et de la patiente accumulation de décisions en matière d’investissement, de recrutement ou de formation des personnels. L’exercice annuel d’examen du budget prend donc tout son intérêt si on le replace dans ce temps long, et il permet ainsi d’exercer très concrètement le travail de contrôle du Parlement.

C’est d’autant plus vrai pour l’exercice 2015 et le projet de loi de finances pour 2016, tant l’armée de l’air est sollicitée par des opérations de combat particulièrement exigeantes et réparties sur de très vastes théâtres d’opérations. De fait, les contrats opérationnels, définis dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 ainsi que dans la loi de programmation militaire 2014-2019, sont déjà dépassés et risquent de l’être durablement. Le rapporteur a donc souhaité organiser l’analyse traditionnelle des crédits sous l’angle particulier de l’impact des opérations. Dans le même esprit, il a choisi de traiter de manière thématique la contribution de l’armée de l’air à la défense du territoire national. En effet, s’il s’agit bien d’une de ses missions premières, elle est parfois insuffisamment connue de nos concitoyens et méritait donc d’être bien mise en exergue à l’heure où la France fait face sur une grave menace directe.

Le rapporteur avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2015, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 45 réponses sur 45 lui étaient parvenues, soit un taux de 100 %.

PREMIÈRE PARTIE : UN BUDGET CONFORME À L’ACTUALISATION DE LA LPM, MAIS RISQUANT DE NE PAS COMPENSER L’IMPACT D’UNE ACTIVITÉ OPÉRATIONNELLE INTENSE

L’armée de l’air fait la guerre, et elle la fait sur davantage de théâtres que prévus dans le cadre de la LPM. À l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne s’est ajoutée l’opération Chammal de lutte contre Daech, d’abord en Irak, puis en septembre 2015 en Syrie. Ce surcroît d’activité considérable s’inscrit en plus d’une activité déjà chargée dans le cadre, d’une part, de la posture permanente de sûreté aérienne, dont l’intérêt est manifeste pour faire face au risque terroriste, et, d’autre part, de la participation aux mesures de réassurance de nos alliés dans l’est de l’Europe. Un tel niveau d’activité, alors même que se poursuivent de profondes transformations des structures et du format de l’armée de l’air en vue de réaliser des économies, n’est bien entendu pas sans conséquence sur l’usure des hommes et des matériels.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a défini une évolution du format des armées, traduite concrètement dans la loi de programmation militaire 2014-2019.

À titre de rappel, le modèle d’ensemble ainsi défini prévoit tout d’abord que les forces aériennes doivent pouvoir assurer les trois fonctions fondamentales suivantes :

– la protection aérienne du territoire national et des populations, grâce à la diversité de ses moyens (moyens de détections, d’identification et vecteurs aériens) en surveillant en permanence son espace aérien et ses approches. Le rapporteur consacre la seconde partie du présent avis à cet aspect trop insuffisamment connu de l’activité de l’armée de l’air ;

– la dissuasion nucléaire au travers de la composante aéroportée ;

– l’intervention à l’extérieur du territoire national visant à protéger nos ressortissants, à défendre les intérêts de la France dans le monde, à honorer nos alliances et à respecter nos engagements internationaux.

Pour assurer l’ensemble de ces missions, le format défini conjointement par le Livre blanc et la LPM prévoit notamment 225 avions de chasse (air et marine), une cinquantaine d’avions de transport tactique, sept avions de détections et de surveillance aérienne (air et marine), 12 avions ravitailleurs multi rôles, 12 drones de surveillance de théâtre, des avions légers de surveillance et de reconnaissance et huit systèmes sol-air de moyenne portée. L’actualisation de la programmation opérée en 2015 n’a pas substantiellement changé ces objectifs, les adaptations votées ayant pour objet de fournir quelques capacités supplémentaires pour faire précisément face aux exigences opérationnelles constatées, qui seront détaillées plus loin dans le cadre de la description des matériels dont l’acquisition est prévue pour 2016.

Les contrats opérationnels issus du Livre blanc de 2013 prévoient, en complément soulignons-le des missions et alertes permanentes sur le territoire national, une capacité de projection dans la durée pour la gestion de crise en opérations extérieures s’établissant de la manière suivante : 12 avions de chasse, deux avions ravitailleurs, six avions de transport tactique, trois hélicoptères de manœuvre (pour assurer la capacité de recherche et sauvetage au combat - RESCO) et un système de drone MALE, soit deux à trois vecteurs.

Par ailleurs, dans le cadre de l’échelon national d’urgence (ENU), le dispositif d’alerte dit Rapace prévoit des moyens pour une intervention intense et ponctuelle (de trois à six mois) ou comme premier élément de la montée en puissance d’une intervention majeure qui mobiliserait l’ensemble des forces sur douze mois. La mise en œuvre de cette dernière hypothèse supposerait d’ailleurs l’arrêt de l’entraînement et l’allégement de la présence sur les autres théâtres.

Force est de constater que ces contrats ont été largement dépassés.

Depuis septembre 2014, le niveau d’engagement est en effet très supérieur aux hypothèses de référence pour la gestion de crise dans la durée. Ce phénomène se constate tout d’abord au vu du volume des appareils concernés, avec jusqu’à 40 aéronefs de tous types déployés actuellement, soit près du double de la situation de référence. Il est ensuite une affaire d’intensité, tant du point de vue de l’activité mesurée en heures de vol qu’en termes de munitions délivrées, cette intensité étant plutôt comparable à un engagement permanent du dispositif d’alerte. Le nombre important des sites de déploiement, la rudesse des opérations et les distances à couvrir sur les théâtres engendrent également des contraintes importantes (usures du matériel et du personnel, approvisionnement logistique, maintenance, etc.).

Jusqu’à 21 avions de chasse (dont six appareils prépositionnés des forces françaises aux Émirats arabes unis - FFEAU), sept hélicoptères, huit avions de transport, deux ravitailleurs et cinq drones MALE (soit deux systèmes) ont ainsi été engagés en opérations extérieures au cours des 12 derniers mois, soit environ le double de l’année précédente.

ÉVOLUTION DU NOMBRE D’APPAREILS DÉPLOYÉS EN OPÉRATION

Source : ministère de la Défense.

À l’été 2015, les moyens engagés par l’armée de l’air en opérations extérieures se répartissaient précisément de la manière suivante :

– Centrafrique (opération Sangaris) : un hélicoptère Fennec et 38 personnels ;

– Mali (opération Barkhane fuseau Ouest) : un CASA 235-200 et 33 personnels ;

– Niamey (opération Barkhane fuseau Ouest) : deux Mirage 2000D et deux Mirage 2000C, deux C160, un C135, deux drones Harfang, trois drones Reaper et 320 personnels ;

– N’Djamena (opération Barkhane fuseau Est et Sangaris) : quatre Rafale, un C130, un CASA 235-200, un CASA 235-300, deux Caracal, deux Puma et 455 personnels ;

– Irak (opération Chammal) : six Rafale (opérant depuis les Émirats arabes unis), six Mirage 2000D (opérant depuis la Jordanie) et 242 personnels.

Cette énumération permet de mieux mesurer la multiplicité des théâtres ainsi que les difficultés liées aux distances et à la logistique.

En termes d’activité l’évolution est également spectaculaire, puisque le volume d’activité en opérations extérieures de l’aviation de chasse, qui était de 6 550 heures en 2014, est estimé à 12 000 heures pour l’année 2015 (dont jusqu’à 4 000 heures de suractivité à financer).

Cette suractivité n’est bien entendu pas sans conséquences sur la tenue des contrats opérationnels.

Ainsi, selon les informations fournies par le ministère de la Défense en réponse aux questions du rapporteur, le dispositif d’alerte Rapace, contribution de l’armée de l’air à l’ENU pour faire face à une nouvelle crise éventuelle, est tenu avec des limitations importantes en termes de moyens (avions de transport tactique, modules de base aérienne projetable, commandement et contrôle, équipements de mission pour les avions de chasse tels que les pods de désignation laser, les pods Reco NG et les systèmes d’autoprotection), comme de délai d’intervention (redéploiement nécessaire des drones MALE et hélicoptères déjà engagés sur d’autres théâtres).

Le général Jean-Jacques Borel, commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes, a indiqué au rapporteur que compte tenu de ces contraintes, l’armée de l’air ne serait pas en mesure d’intervenir sur un troisième théâtre majeur sans un réexamen des capacités engagées sur les deux premiers.

Enfin, même s’il ne s’agit pas d’un phénomène de proportion comparable à ce qui vient d’être décrit, il ne faut pas négliger le poids du soutien aux exportations assuré par l’armée de l’air, alors même qu’elle se trouve dans une situation particulièrement tendue. Ce soutien peut avoir un impact non négligeable pour une armée de l’air au format « juste suffisant », en mobilisant des personnels pour assurer la formation des pilotes et mécaniciens des États clients, comme dans le cas du contrat Rafale avec l’Égypte. Surtout, ce dernier contrat s’est traduit en 2015 par le prélèvement sur les chaînes de production de six appareils destinés initialement à l’armée de l’air, pour satisfaire le besoin urgent du client. La livraison des six appareils en remplacement pour l’armée de l’air interviendra entre 2016 et 2017 pour les trois premiers et en 2018 pour les trois autres. Le respect de ce calendrier est impératif pour ne pas remettre en question la mise en service opérationnel, dans les délais prévus, du second escadron des forces aériennes stratégiques doté de Rafale.

La réactivité et l’efficacité des hommes, ainsi que celle des matériels en dotation, témoignent d’une armée de l’air modernisée en profondeur grâce à une action menée dans la durée, sur plusieurs lois de programmation. La qualité de la formation et de l’entraînement, tout comme celle des choix des matériels doivent être mises à l’honneur. Pour autant, ces résultats sont issus d’efforts patients et durables, et leur préservation impose de veiller aux conséquences à terme d’un emploi opérationnel intense.

La conséquence la plus évidente du rythme d’activité intense des forces aériennes est budgétaire, avec les surcoûts liés aux opérations extérieures.

On rappellera que, conformément aux directives de l’état-major des armées, le surcoût OPEX est calculé selon deux axes : la suractivité et la surintensité. La suractivité représente l’utilisation des matériels au-delà des prévisions d’activité envisagées. Les heures de vol effectuées en remplacement d’activités prévues en métropole ne sont donc pas comptabilisées en surcoût OPEX. La surintensité permet, quant à elle, de valoriser les conséquences sur la maintenance des conditions de vol et de l’environnement spécifiques aux opérations, notamment les conditions climatiques. Les aéronefs évoluant en OPEX peuvent ainsi être soumis à des conditions d’utilisation qui accroissent les besoins de réparations diverses. En outre, certains équipements sont presque exclusivement utilisés sur les théâtres extérieurs (notamment les moyens d’autoprotection à forte valeur unitaire et en quantités limitées).

Les opérations au Mali et en République centrafricaine ont principalement entraîné une suractivité sur les aéronefs d’appui opérationnel (ravitailleur C135 et drones Harfang). Des hélicoptères de l’armée de l’air (Caracal, Puma et Fennec) ont également été déployés dans le cadre des opérations Barkhane et Sangaris. L’aviation de chasse, également sollicitée, a engendré des surcoûts liés à la surintensité de l’engagement des Rafale et des Mirage 2000. Des matériels spécifiques font partie du périmètre de la surintensité et l’opération Chammal a notamment accentué celle des nacelles de désignation laser et des nacelles RECO-NG.

Alors qu’en 2014 les dépenses ex post hors titre 2 liées aux OPEX s’étaient élevées à 65,15 millions d’euros, selon les informations fournies par le ministère de la Défense elles devraient atteindre 150,59 millions d’euros en 2015, soit une hausse de 131 %. Cette forte progression s’explique par un double phénomène :

– une très forte augmentation des dépenses liées aux munitions (passant de 1,53 million d’euros en 2014 à 45,13 millions d’euros en 2015), ce qui s’explique notamment par le rythme des frappes effectuées contre Daech ;

– des dépenses d’entretien programmé des matériels (EPM) passant de 40,31 millions d’euros en 2014 à 87,25 millions d’euros en 2015 (+ 116 %).

 

Unité

2012
Réalisation

2013
Réalisation

2014
Prévision
PAP 2014

2014
Prévision actualisée
PAP 2015

2014
Réalisation

Armée de l’air Avions de
combat

%

66,8

61,8

75,9

88

88,5

Armée de l’air Avions de transport tactique

%

54,3

49,7

58,6

70

69

Armée de l’air Avions
d’appui opérationnel

%

62

87

86

Armée de l’air Avions à
usage gouvernemental

%

102,8

90,8

90

100

100

Armée de l’air
Hélicoptères de man
œuvre et de combat

%

71

88

81

Source : ministère de la Défense.

Pourtant, en dépit d’une diminution globale du parc d’aéronefs et d’une relative stabilité du budget consacré au MCO aéronautique, les bénéfices des plans d’actions visant à améliorer la disponibilité des appareils ont été minorés par la multiplication des engagements opérationnels depuis 2014, ainsi que par une élévation du coût d’acquisition et de maintien en condition opérationnelle des matériels. Ces coûts conduisent à une tension sur la logistique et réduisent les marges de manœuvre.

L’accélération des opérations menées par les différentes flottes sur les théâtres a donc un impact direct, sur le territoire national, sur la disponibilité des aéronefs et des équipages. En conséquence, l’ensemble des compétences des pilotes de combat de l’armée de l’air n’est pas entretenu de manière uniforme.

Cette situation se traduit par :

– une tension sur l’activité des équipages de transport, du fait de la disponibilité technique des C130 et du rythme de montée en puissance de l’A400M. Leur niveau d’activité restait encore en 2014 de 25 heures inférieur aux prévisions actualisées ;

– un impact sur l’activité moyenne des pilotes d’hélicoptère, grevée par la disponibilité de la flotte Fennec et celle de la flotte des Caracal des forces spéciales et du groupe aéromobile.

On relèvera par ailleurs que, selon les informations fournies par le ministère de la Défense, depuis 2012 l’activité des pilotes de chasse français se situe environ 15 % en dessous de celle de leurs homologues britanniques et américains.

Toutefois, il convient de relever que le projet de loi de finances pour 2016 prévoit l’augmentation de l’effort engagé en 2015. Ce dernier s’inscrit sur une courbe de rattrapage du niveau d’activité pour 2019. Le respect de cet objectif est indispensable, car seule la remontée vers les normes d’entraînement individuel de la LPM, prévue à compter de 2016, permettra d’atteindre le niveau de préparation opérationnelle optimale.

INDICATEUR 51 : NIVEAU DE RÉALISATION DES ACTIVITÉS ET DE L’ENTRAÎNEMENT

 

Unité

2013
Réalisation

2014
Réalisation

2015
Prévision
PAP 2015

2015
Prévision actualisée

2016
Prévision

2017
Cible

Heures de vol par pilote de chasse Air

h

157

153

150

150

159

163

Heures de vol par pilote de transport Air

h

276

235

230

260

268

278

Heures de vol par pilote d’hélicoptère Air

h

191

174

170

170

177

191

Source : projet annuel de performance 2016.

Aujourd’hui, ce déficit d’activités, partiellement compensé pour les équipages les plus anciens par l’expérience acquise en particulier en opérations, érode le niveau opérationnel des unités et allonge les délais nécessaires à l’acquisition des compétences, notamment par les plus jeunes équipages.

Dans ce contexte, l’armée de l’air a mis en place le principe de préparation différenciée, au travers d’une politique de labellisation qui attribue à chaque unité la responsabilité d’une compétence particulière ainsi que sa mise en œuvre experte et la formation d’opportunité des équipages. Au sein des unités navigantes, ce processus permet des gains significatifs de potentiel : chaque équipage est formé selon un socle commun afin de maîtriser l’ensemble des missions à un niveau de base, et ne développe d’expertise plus poussée que pour une seule des missions.

Par ailleurs, le respect du format de l’aviation de chasse (225 avions en parc) et des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc nécessite pour l’armée de l’air la mise en œuvre du projet FOMEDEC (« Formation modernisée et entraînement différencié des équipages de chasse »). Ce programme d’armement s’inscrit dans le cadre de la refonte du cursus de formation des équipages chasse de l’armée de l’air. On rappellera brièvement qu’avec ce projet, l’armée de l’air mettra en œuvre un entraînement différencié du personnel en deux cercles : un premier cercle entraîné pour tout le spectre des opérations, et un second qui disposerait d’un entraînement moins intensif mais propre à répondre aux exigences des phases de stabilisation d’un conflit. Les missions d’entretien des pilotes du deuxième cercle seront mutualisées avec les missions d’instruction (140 heures de vol) au profit des jeunes élèves pilotes tandis que 40 heures de vol seront réalisées sur avions d’armes (Rafale ou Mirage 2000).

La mise en place de cet entraînement différencié a malheureusement subi un retard consécutif au report de la livraison des premiers appareils de formations de nouvelle génération. Comme l’a indiqué le général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, lors de son audition par la commission le 7 octobre 2015 : « L’appel d’offres est en cours : aujourd’hui, la balle est dans le camp de la DGA. Bien entendu, le plus tôt sera le mieux. L’armée de l’air envisageait initialement une mise en service en 2016, mais les discussions ont un peu traîné et la contractualisation est longue, en raison du montage que nous voulons réaliser. En effet, cette contractualisation ne concerne pas que l’acquisition des équipements : nous achetons également la prestation permettant de produire les heures de vol sur la base de Cognac. Je pense aujourd’hui que la mise en service opérationnelle aura lieu au plus tard en 2018. […] J’espère que les premiers appareils seront livrés en 2017. »

● En préalable, on rappellera que les crédits de l’armée de l’air, hors prospective des systèmes de forces et études amont, qui relèvent du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », hors soutien, qui relève du programme 212 « Soutien de la politique de défense », et hors équipements, relevant du programme 146 « Équipement des forces », sont regroupés pour l’essentiel au sein du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la mission « Défense » dans l’action 4 « Préparation des forces aériennes ». En outre, depuis 2015 les dépenses de personnels de l’armée de l’air figurent au sein du programme 212 « Soutien de la politique de défense » dans l’action 57 « Préparation des forces aériennes – personnel travaillant pour le programme « Préparation et emploi des forces » ».

Les crédits de ces deux actions ont pour objectif de maintenir l’aptitude de l’armée de l’air à assurer les missions qui lui sont confiées et doivent donc être additionnées pour effectuer des comparaisons à périmètre égal avec les années précédentes.

Le tableau ci-après détaille l’évolution des crédits votés au profit de l’armée de l’air depuis 2014, répartis par programme, action et titre.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE L’AIR

(en millions d’euros courants)

 

LFI 2014

LFI 2015

PLF 2016

Programme

Action

Titre

AE

CP

AE

CP

AE

CP

178

4

3

1 873,7

1 780,5

2 111

1 810,6

2 483,6

1 889,1

178

4

5

58,2

39,3

59,8

56

62,7

61,2

178

4

2

2 508

2 508

N/A

N/A

N/A

N/A

212 (a)

57

2

N/A

N/A

2 462

2 462

2 234

2 234

TOTAL hors titre 2

1 931,90

1 819,80

2 170,80

1 866,60

2 546,30

1 950,30

TOTAL (T2 + HT2)

4 439,90

4 327,80

4 632,80

4 328,60

4 780,30

4 184,30

(a) L’évolution du titre 2 de l’action 57 (Préparation des forces aériennes) tient compte des évolutions des effectifs concernés (les effectifs du BOP 212-Personnel militaires de l’armée de l’air passant de 5.336 à 5.301) et de périmètre RH, comme des corrections de périmètre de la répartition par sous-action.

Source : ministère de la Défense.

En tout, si l’on raisonne hors titre 2, les crédits consacrés à l’armée de l’air progressent significativement, avec des progressions respectivement de 17,3 % en autorisations d’engagement et 4,5 % en crédits de paiement. Toutefois, si l’on prend en considération l’ensemble des crédits, y compris ceux destinés aux dépenses de personnel, l’évolution des crédits de paiement se traduit par une diminution de 3,3 % (s’expliquant par le repli important de ces crédits de personnel, avec – 9,3 % par rapport au PLF pour 2015).

● L’évolution du titre 2 est naturellement la résultante d’une politique affirmée d’économies sur les effectifs. On rappellera à cet égard que l’armée de l’air a opéré une déflation de 16 % de ses effectifs militaires (en ETPT) entre 2009 et 2013, à raison d’une réduction annuelle moyenne de l’ordre de 2 200 aviateurs. Les emplois concernés ont principalement été supprimés dans les fonctions de soutien général et dans les domaines du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, de la protection et de l’infrastructure. Par ailleurs, les commissaires de l’air ont été transférés au service du commissariat des armées (SCA) en 2011.

Pour les années 2013 et 2014 les déflations pour le BOP Air ont été respectivement de - 2 042 et - 3 188 ETPT. Enfin, suite aux décisions des conseils de défense du premier trimestre 2015, l’évolution des effectifs du gestionnaire Air a été fixée à - 1 337 ETPT au titre de 2015.

L’année 2015 marque une rupture, avec l’actualisation de la LPM et les allégements des déflations d’effectifs décidés par les conseils de défense en début d’année. Ainsi, dès la fin de l’année 2015, l’armée de l’air aura réalisé plus des trois quarts de ses objectifs de diminution d’effectifs (2 800 ETPT, pour un nouveau format du plan air actualisé à 3 200 postes). Au reste à faire de ce plan « Air », il convient d’ajouter les suppressions de postes d’aviateurs employés à l’extérieur de l’armée de l’air, conformément aux plans de réorganisations des autres employeurs.

Après les fortes déflations déjà opérées par l’armée de l’air depuis 2008, la stabilisation du format RH devient un enjeu important pour répondre aux besoins capacitaires. L’actualisation de la LPM renforce la nécessité de prendre dès maintenant les mesures adéquates.

À cet égard, la reprise du recrutement, associée aux processus d’intégration et de formation, représente un enjeu primordial. Ainsi, l’armée de l’air entend maintenir sur la durée de la LPM un recrutement annuel moyen de 1 200 sous-officiers et 800 militaires du rang engagés. L’augmentation du recrutement des officiers s’appuiera principalement sur le recrutement d’officiers sous contrat (OSC), dont la nouvelle dynamique est entamée dès 2015. Une part accrue de ces OSC sera constituée de personnels navigants qui doivent permettre à l’armée de l’air d’anticiper le renouvellement des compétences au sein de ses unités. Cette dynamique sera poursuivie pour les années à venir.

● Si l’on prend en considération les crédits hors titre 2, le projet de loi de finances pour 2016 confirme la priorité accordée à l’activité et à l’entretien programmé du matériel par la loi de programmation militaire 2015-2019 actualisée, dont il respecte les objectifs.

Cette constatation appelle les observations complémentaires suivantes :

– les crédits de fonctionnement courant (hors fonctionnement opérationnel) restent contraints, conformément aux orientations gouvernementales, et tiennent compte de l’évolution favorable des indices économiques dont une partie a été redéployée au bénéfice des opérations d’armement, conformément à la loi du 28 juillet 2015 portant actualisation de la LPM ;

– les crédits affectés à l’alimentation ont été transférés au service du commissariat des armées (à hauteur de 31 millions d’euros) ;

– l’activité prévue en 2016 doit permettre d’amorcer le début de la remontée des indicateurs d’activité, conformément aux ambitions figurant dans la LPM.

La dotation en autorisations d’engagement du titre 3 inclut 410 millions d’euros, hors soutien aux exportations, destinés à couvrir des engagements pluriannuels dont la notification est envisagée au cours de l’année 2016. Cette ressource se compose également de 30 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour la remontée des indicateurs d’activité, et de 105 millions d’euros d’autorisations d’engagement accordées dans le cadre de l’actualisation de la LPM au profit du soutien des matériels anciens et particulièrement sollicités en opération extérieures, ce qui impose un effort complémentaire pour rétablir une situation opérationnelle et logistique critique. Le rapporteur reviendra plus en détail plus loin sur cet effort particulier consenti au profit de l’entretien des matériels.

S’agissant encore des dépenses de fonctionnement, l’évaluation des ressources nécessaires à l’activité opérationnelle tient compte de la déflation du volume de personnel de l’armée de l’air (dont l’impact est direct sur les coûts induits et sur les activités d’entraînement) et de l’évolution des heures de vol pour 2016.

En ce qui concerne les carburants opérationnels, les besoins sont estimés à partir de la prévision d’activité. En cohérence avec l’évolution du format de l’armée de l’air et de l’activité aérienne, le volume de carburéacteur prévisionnel est de 418 246 m³. On rappellera que ce volume avait été fixé à 370 100 m3 en 2014 et à 378 300 m3 en 2015 ; la progression est donc significative et en ligne tant avec l’activité opérationnelle qu’avec l’objectif de remontée du niveau d’entraînement. La ressource consacrée à l’ensemble des besoins en carburants opérationnels est fixée pour le projet de loi de finances pour 2016 à 311,41 millions d’euros.

Si l’on s’intéresse aux dépenses d’investissement retracées par le titre 5 de l’action 4 du programme 178, leurs crédits prévus pour 2016 représentent 62,7 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 61,2 millions d’euros de crédits de paiement, soit une augmentation respectivement de 4,8 % et de 9,3 % par rapport à 2015, la progression des crédits de paiement étant cohérente avec les hausses d’autorisations d’engagement enregistrées les années précédentes.

Pour l’essentiel, les montants ainsi prévus au titre 5 sont consacrés aux équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC), dont les crédits s’élèvent à 58,16 millions d’euros en autorisations de programme et à 57,60 millions d’euros en crédits de paiement.

Ces ressources concernent principalement :

– les acquisitions de matériels terrestres non spécifiques (25,07 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 21,27 millions d’euros de crédits de paiement). Il s’agit des véhicules, de matériels de servitude, de groupes électrogènes non aéronautiques, d’armement de petit calibre, de matériels optroniques et électroniques ;

– les matériels aéronautiques d’environnement (10,94 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 14,88 millions d’euros de crédits de paiement). Il s’agit des matériels terrestres concourant directement à l’activité aérienne telle que les moyens de mise en œuvre (groupes électrogènes, véhicules spécifiques, tracteurs d’aéronefs), moyens de maintenance (groupes hydrauliques, passerelles) et matériels dotés (remorques, outillages spécifiques) ;

– les matériels sol (8,54 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 8,42 millions d’euros de crédits de paiement). Ces crédits sont destinés à l’acquisition de matériels ne relevant pas du périmètre de services de soutien interarmées ou dont le volume d’acquisition reste limité (citernes carburant hors service des essences des armées, canots pneumatiques, etc.) ;

– les matériels sol des systèmes d’information et de communication (5,13 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 3,86 millions d’euros de crédits de paiement), c’est-à-dire l’acquisition et le renouvellement de matériels de télécommunications (filaires et hertziens) tels que réseaux spécifiques, liaisons radars, communications tactiques sol ;

– les matériels informatiques air (4,24 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 4,70 millions d’euros de crédits de paiement).

● Pour 2016, les crédits des opérations stratégiques « EPM » et « dissuasion » s’élèvent au total à 2 045,88 millions d’euros d’autorisations d’engagement (+ 24,3 % par rapport au budget voté en 2015) et 1 452,67 millions d’euros de crédits de paiement (+ 7,8 % par rapport à 2015).

La dotation en autorisations d’engagement inclut 410 millions d’euros d’autorisations d’engagement destinés à couvrir des engagements pluriannuels dont la notification est envisagée au cours de l’année 2016, notamment pour le système Reaper et l’externalisation du maintien en condition opérationnelle (1) des aéronefs Xingu. Cette ressource comporte également 30 millions d’euros d’autorisations d’engagement de montée en puissance et 105 millions d’euros d’autorisations d’engagement liés à l’actualisation de la LPM.

Cette masse de crédits d’EPM se subdivise en trois agrégats d’inégale importance.

Il s’agit en premier lieu de l’EPM des flottes aériennes, y compris dissuasion, pour un montant de 1 885,57 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 1 352,34 millions d’euros de crédits de paiement.

Vient ensuite l’EPM des munitions, pour 133,83 millions d’euros en autorisations d’engagement et 75,20 millions d’euros de crédits de paiement. Cette opération budgétaire concerne l’entretien des missiles air-air et sol-air. La dotation prévue tient compte du remboursement d’autorisations d’engagement relatif à des engagements pluriannuels pour le système Crotale.

Enfin, une partie nettement plus modeste des crédits d’EPM est consacrée aux matériels terrestres (21,99 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 21,57 millions d’euros de crédits de paiement), afin d’assurer l’entretien des matériels terrestres communs et des matériels terrestres spécifiques non liés à un usage aéronautique.

On aura enfin garde d’oublier que le rythme des opérations entraîne un surcoût d’EPM significatif au titre des OPEX. Pour l’année 2014, ce surcoût, couvert par le décret d’avance OPEX, s’est élevé à 40,31 millions d’euros.

Pour l’année 2015, le surcoût de l’EPM en OPEX est, pour l’instant, prévu à hauteur de 87,25 millions d’euros, soit plus qu’un doublement par rapport à l’année précédente. Il est principalement imputable à 85 % à l’opération Barkhane, à hauteur de 85 %, et à pour environ 10 % à l’opération Chammal. Le surcoût lié à l’opération Sangaris n’est quant à lui à ce stade pas significatif.

● Par-delà les grandes masses, il n’est pas interdit de s’intéresser à la distribution des crédits par flotte, sachant que les besoins sont très inégaux. De ce point de vue, les appareils les plus anciens sont naturellement particulièrement consommateurs de ressources, certains atteignant leurs limites.

S’agissant des ravitailleurs, si le montant des autorisations d’engagements a été de 53,5 millions d’euros en 2014, la prévision d’engagements pour 2015 est de 69,4 millions d’euros, soit une progression de près de 30 %.

L’évolution de ces crédits s’explique par l’augmentation des heures de vol programmées (5 100 heures en 2014, 5 400 heures en 2015 et 6 600 heures prévues en 2016), nécessitant d’anticiper les commandes en pièces de rechange. Selon les informations fournies au rapporteur par le ministère de la Défense, après une hausse en 2015, les coûts d’EPM pour les C 135 et KC 135 devraient se stabiliser dans les années à venir malgré le vieillissement critique de la flotte, les difficultés croissantes à obtenir certaines pièces détachées, ainsi que l’apparition probable d’obsolescences, étant contrebalancées par des mesures techniques prises pour baisser le devis de réparation des moteurs.

Pour les drones, les drones Harfang ont bénéficié en 2014 d’un montant d’autorisations d’engagements de 28,6 millions d’euros, justifiées notamment par les opérations extérieures. La prévision d’engagements pour 2015 est de 42,1 millions d’euros (dont une partie au titre des OPEX), soit une forte augmentation de 47 %. Le coût de soutien de cette flotte vieillissante devrait toutefois progressivement baisser en raison du retrait de service, prévu à ce jour en début d’année 2018.

Pour les drones Reaper, le soutien initial a été jusqu’alors supporté par le programme 146 « Équipement des forces ». Néanmoins, un contrat pluriannuel de 150 millions d’euros devrait être notifié au titre du programme 178 « Préparation et emploi des forces » fin 2015, pour couvrir les dépenses d’EPM des années suivantes. Ce programme a de plus financé dès 2014 la partie des prestations de décollage et atterrissage, assurées par un prestataire industriel, par un engagement à hauteur de 10,42 millions d’euros couvrant les années 2014 à 2016. Des engagements complémentaires ont été passés en 2014 à hauteur de 14,6 millions d’euros.

Enfin, pour l’ensemble de la flotte de transport tactique (soit quatre types d’appareil : C160, C130, CN235 CASA et A400M), le montant des autorisations d’engagements a été de 156,5 millions d’euros en 2014 (dont une partie financée à partir du décret d’avance OPEX). La prévision d’allocation pour cette flotte hors OPEX est d’environ 203 millions d’euros pour 2015, soit une augmentation de 13 %.

Cette flotte de transport, très employée et essentielle pour la conduite des opérations, a beaucoup vieilli du fait des différentes révisions du calendrier de livraison des A400M. Ces décalages successifs ont imposé d’acquérir en 2010 des CASA CN235 supplémentaires et, surtout, de modifier à plusieurs reprises la trajectoire initiale de retrait de service d’une partie de la flotte des C160 (hors Gabriel). Fixé initialement à 2015, puis 2018, il a été décalé à 2023 à ce jour, afin de maintenir un niveau de capacités de transport tactique et logistique cohérent avec les scénarii d’engagement et de projection des forces.

De ce fait, il a été nécessaire :

– de financer le soutien supplémentaire induit par l’acquisition des nouveaux CASA CN235 ;

– de revoir à la hausse le nombre de visites d’entretien pour les C160, en particulier des grandes visites, avec une augmentation des obsolescences à traiter ;

– d’augmenter les engagements sur l’ensemble des marchés couvrant les prestations au profit des C160 (acquisition d’éléments fortement utilisés en OPEX, pérennisation de moyens de production, ré-industrialisations majeures, commandes à court terme de certains éléments critiques, etc.). À titre d’illustration et comme le précise le ministère de la Défense, SNECMA, titulaire du marché de soutien des moteurs, a d’ores et déjà annoncé une augmentation du coût à l’heure de vol de 15 à 25 % à compter de janvier 2016, notamment en raison du besoin de relancer en production des rechanges, commandées à des conditions économiques supérieures à celles du marché actuel.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a fixé pour objectif un format de l’aviation de chasse à 225 appareils, dont 185 pour l’armée de l’air et 40 pour l’aéronautique navale. Il s’agit là bien entendu d’un niveau dont on peut penser qu’il constitue véritablement un plancher, en deçà duquel la capacité de nos forces à agir de manière décisive serait sérieusement affectée ; nos ambitions stratégiques devraient alors être significativement revues à la baisse.

Pour autant, l’année 2015 est avant tout marquée par la concrétisation de contrats d’exportation du Rafale, attendus et nécessaires pour garantir l’équilibre général de la construction de la LPM. On rappellera en effet que la LPM 2014-2019 prévoyait la réception de 26 Rafale supplémentaires sur l’ensemble de la période. En plus des 11 livrés en 2014, 11 devaient ainsi l’être en 2015, quatre en 2016 et aucun entre 2017 et 2019. La LPM retenait le principe du maintien de flottes anciennes pour pallier l’étalement de ces livraisons et préserver une cohérence d’ensemble de la flotte d’avions de combat.

En février 2015, un contrat portant sur l’acquisition de 24 Rafale par l’Égypte a été signé et est entré en vigueur début mars de la même année. Les trois premiers appareils, biplaces, ont été livrés en juillet 2015. De plus, un contrat relatif à l’achat de 24 Rafale par le Qatar a été signé en mai 2015. Enfin en avril 2015, le Premier ministre indien a annoncé l’acquisition de 36 avions produits en France, dans le cadre d’un accord intergouvernemental. Les négociations concernant ce dernier contrat se poursuivent.

Comme cela a déjà été indiqué précédemment, le contrat Égyptien a affecté le rythme des livraisons au profit de l’armée de l’air, six Rafale biplaces ayant été prélevés sur la production destinée à la France, au lieu d’être réceptionnés puis livrés à l’armée de l’air. Une compensation de ces prélèvements est prévue à hauteur de six appareils biplaces entre 2016 et 2018, dont on répétera qu’elle est un préalable indispensable à la tenue du format et à la mise en service du second escadron des forces aériennes stratégiques doté de Rafale à l’horizon 2018.

Compte tenu de l’intensité de l’engagement opérationnel de l’armée de l’air, du nouveau calendrier du projet FOMEDEC et des conséquences de l’exportation des Rafale en Égypte, l’actualisation de la LPM a entériné le maintien en service des flottes anciennes de Mirage 2000 au-delà de ce qui avait été prévu initialement. Ce mouvement se traduit par le décalage de la dissolution d’un escadron de Mirage 2000D au-delà de 2020 et par celui de la fin de vie des Mirage 2000C.

Le chef d’état-major de l’armée de l’air a aussi appelé l’attention du rapporteur sur les risques de rupture capacitaire liés aux faibles stocks d’équipements dits optionnels. Il s’agit des instruments installés sur les chasseurs pour des missions spécifiques, tels les pods de désignation laser, les matériels de contre-mesure, etc. Selon le général Lanata, les stocks actuels sont trop réduits pour assurer conjointement les opérations extérieures et l’entraînement des équipages, et ces difficultés ne font que s’accroître avec le soutien aux exportations, pour lequel l’armée de l’air prélève certains de ces équipements pour la formation des aviateurs des pays clients.

Le programme de rénovation des Mirage 2000D n’en prend que davantage d’importance et il est urgent de l’engager véritablement pour s’assurer de la cible fixée pour le nombre d’avions de chasse en parc.

On rappellera à cet égard que le marché d’études concernant cette rénovation a été notifié aux industriels concernés dès 2011, les résultats ayant été utilisés en 2012 et 2013 pour l’étude des différents scénarii dans le cadre de la préparation du Livre blanc et de la LPM. Cette dernière a retenu le principe d’une rénovation couvrant le traitement des obsolescences majeures et des évolutions indispensables pour maintenir les capacités de cet avion à réaliser des missions air-sol. Les derniers travaux du stade d’élaboration ont été lancés début 2014. Le lancement de la réalisation, au cours duquel seront précisés le calendrier et la cible de la rénovation, est prévu pour la fin de 2015. Parallèlement à ce programme, certaines opérations urgentes d’un point de vue opérationnel sont en cours de réalisation. Il s’agit notamment de l’intégration de la nacelle ASTAC (analyseur de signaux tactiques) et du nouveau répondeur IFF, commandés en 2011 pour des mises en service opérationnel respectivement en 2015 et 2016.

● La capacité de ravitaillement en vol, indispensable à toute projection de force et à la composante aéroportée de la dissuasion, repose sur un parc de 14 appareils particulièrement éprouvés par les ans et les bons services rendus.

On rappellera que ce parc est constitué de 11 C135 FR (acquis neufs en 1964) et de trois KC135 R (construits en 1962 et achetés d’occasion en 1997-1998).

Afin de tenir jusqu’à l’arrivée de leurs successeurs et de garantir leur conformité à la réglementation de la circulation aérienne générale, un programme de modernisation a été engagé dès 2007 pour les C135 FR. Tous les avions ont donc été modifiés et leur mise en service opérationnel a été prononcée en juin 2011. Une deuxième tranche de rénovation a été notifiée en 2009, avec une première mise en service opérationnel en juillet 2013. Les chantiers de rénovation se poursuivent et le dernier avion modifié sera livré avant la fin de 2015.

S’agissant des KC135 R, une rénovation a été commandée par le biais d’un contrat Foreign Military Sales en juin 2012. Elle permettra de mettre les trois appareils concernés à hauteur d’un standard certifié et qualifié des avions de l’US Air Force (Block 40.5, dit Global Air Traffic Management). La livraison du dernier avion rénové et des moyens associés a été réalisée le 23 juillet dernier.

L’actualisation de loi de programmation militaire a prévu dans son rapport annexé que l’intégralité des commandes de la flotte de 12 appareils A330 MRTT (Multi Role Tanker Transport) destinés au renouvellement des ravitailleurs actuels, et non plus seulement neuf comme initialement prévu, soit passée avant 2019, deux étant livrés sur la période de la programmation, dont le premier en 2018.

Pour autant, compte tenu de l’âge et de l’état du parc de ravitailleurs en service, un risque constant pèse sur nos capacités, sans même mentionner le fait bien connu que les opérations en cours en Afrique et au Levant ne pourraient avoir lieu au même rythme sans l’apport et le concours de nos alliés en matière de ravitaillement en vol.

● En matière de transport aérien, le programme A400M a accumulé des retards bien connus au sujet desquels le rapporteur ne reviendra pas. La LPM 2014-2019 en avait notamment tiré les conséquences en étalant le calendrier de livraisons, tandis que la cible d’acquisition était réduite. Suite à cette loi, un avenant au contrat A400M a été signé, prévoyant que 15 appareils seront livrés d’ici à 2019.

Si le premier appareil a été remis à l’armée de l’air en août 2013, force est de constater que le rythme reste effectivement lent puisqu’au 30 juin 2015 seulement sept appareils ont été livrés. Deux appareils sont attendus en 2015, toujours au standard logistique. Cette baisse de livraison au regard des prévisions résulte des retards actuellement constatés, notamment sur la mise au point de capacités contractuellement dues pour le 3e avion. Le premier appareil doté de capacités tactiques (autoprotection, largage de charges et de personnels), devrait être livré au début de 2016.

Compte tenu de ces retards, du vieillissement des C160 et de la disponibilité trop limitée des C130 dont dispose aujourd’hui l’armée de l’air, l’actualisation de la LPM a prévu l’acquisition rapide de quatre avions C130 supplémentaires. Très utiles pour les forces spéciales, ils pourraient en outre être dotés de capacités précieuses de ravitaillement en vol pour les hélicoptères, dont l’A400M est pour l’instant, et sans doute pour encore trop longtemps, dépourvu. Comme l’a indiqué le délégué général pour l’armement, M. Laurent Collet-Billon, lors de son audition par la commission le mercredi 7 octobre dernier, la commande de ces quatre appareils pourrait intervenir en 2016, même si le périmètre de l’opération et le type exact des appareils achetés restent encore en discussion. On rappellera que 330 millions d’euros ont été inscrits dans l’actualisation de la LPM au titre de cette acquisition.

Le général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, a souligné devant le rapporteur l’urgence qu’il y a à ce que ces quatre C130 soient acquis rapidement. Pour lui, le fait que l’A400M ne puisse pas atteindre à bon délai les standards tactiques prévus ‒ notamment en matière de ravitaillement en vol d’hélicoptères ‒ a pour conséquence que le recours aux C130 sera durable. Pour lui, mieux vaut donc investir dans quatre C130 neufs au standard le plus récent (le standard J) plutôt que dans des avions d’occasion d’un standard plus ancien.

● Dans le cadre de la LPM 2014-2019, il a été décidé d’acquérir au total 12 drones MALE pour succéder au SIDM Harfang. Pour faire face aux besoins urgents, tout particulièrement en ce qui concerne la bande sahélo-saharienne, le choix s’est porté en août 2013 sur le système américain MQ9 Reaper, avec un achat de quatre systèmes en deux phases.

Dans un premier temps, il a été procédé à l’acquisition accélérée d’un système de deux vecteurs aériens (et de leur segment sol associé) au standard Block 1. Commandés sur étagère le 9 août 2013, ils ont été livrés à Niamey en décembre de la même année. Cette livraison a été complétée par l’achat d’un 3vecteur au même standard, en décembre 2014, la livraison ayant été effectuée début mai 2015.

Cette commande initiale doit être complétée par l’acquisition de trois systèmes de trois vecteurs. Le deuxième système, toujours au standard Block 1, a été commandé en juillet 2015, avec une livraison prévue fin 2016. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit quant à lui la commande d’un système supplémentaire. À terme, il est prévu que l’ensemble du parc soit au standard Block 5, avec un rétrofit des deux premiers systèmes livrés.

Selon les informations fournies par le ministère de la Défense, à la fin du mois de juillet 2015 le système Reaper avait réalisé de l’ordre de 5 700 heures en opération, en présentant par ailleurs une excellente disponibilité. La réponse précise en outre que « les opérations menées confirment de meilleures performances opérationnelles de ce système par rapport à celles du SIDM, notamment sur le plan de la durée de mission utile sur zone (du fait d’une vitesse de vol plus élevée et d’une plus grande autonomie) et de la précision des capteurs. »

L’actualisation de la loi de programmation militaire a prévu, au titre des adaptations opérationnelles urgentes, l’acquisition d’une charge de renseignement électromagnétique (ROEM) adaptable sur Reaper. Les modalités de satisfaction de cet indéniable besoin sont encore à l’étude.

● Si l’urgence opérationnelle a conduit à se doter d’une capacité reposant sur des engins américains, il n’en reste pas moins indispensable de préparer activement la prochaine génération de drones MALE à l’échelle européenne, de manière à préserver notre autonomie stratégique dans ce domaine essentiel qui concerne autant le renseignement que la conduite des opérations.

Lors du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 19 février 2014, la France et l’Allemagne ont déclaré soutenir la mise en place d’une solution européenne pour la prochaine génération de drones de surveillance. En marge du salon aéronautique ILA à Berlin, les industriels ont envoyé le 15 mai 2014 une proposition actualisée pour la conduite d’une phase de définition de deux ans en vue de préparer un programme de drone dénommé MALE 2020. Depuis l’automne 2014, la France et l’Allemagne, rejointes par l’Italie en décembre, travaillent à l’élaboration d’un besoin opérationnel commun et à la mise en place d’un cadre de coopération.

Ces travaux ont permis qu’en marge du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, les ministres de la Défense des trois pays concernés, actent le 18 mai 2015 leur intention commune de conduire une étude de définition à coût objectif d’une durée de deux ans, afin de préparer la phase de développement d’un drone MALE européen. L’arrangement de coopération pour cette étude doit être établi en cours d’année, et l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) est sollicitée pour en assurer la conduite. Une coordination avec l’Agence européenne de défense doit également être mise en place afin de faciliter l’intégration dans le trafic aérien et de promouvoir des standards de navigabilité harmonisés. En fonction des décisions ultérieurement prises sur la poursuite de ce projet, une livraison d’un premier système est envisageable à l’horizon 2025.

SECONDE PARTIE : L’ARMÉE DE L’AIR
ET LA PROTECTION DU TERRITOIRE NATIONAL

Le rapporteur a tenu à mettre en lumière un aspect moins connu, car peut-être moins visible, de l’engagement opérationnel de l’armée de l’air : son concours à la protection du territoire national. En effet, si cette armée peut parfois être vue comme le fer de lance de nos OPEX, il n’en faut pas méconnaître que la protection de notre territoire et de sa population est au cœur de son activité.

Tant par la place qu’il occupe dans les missions de cette armée que par la proportion des moyens qu’il occupe, le territoire national est aujourd’hui le premier théâtre d’engagements opérationnels de l’armée de l’air.

À l’heure où les armées ont été mobilisées dans des proportions sans précédent pour la protection du territoire à la suite des attentats de janvier 2015, il faut donc souligner l’importance de l’apport de l’armée de l’air aux missions de service public et à la sécurisation du territoire national en plus de ses missions permanentes.

C’est à ce titre que l’armée de l’air assure la posture permanente de sûreté (PPS) aérienne. Cette mission se définit comme l’ensemble des dispositions prises dans le milieu aérien pour mettre le pays, en toutes circonstances, à l’abri d’une agression même limitée contre son territoire ou ses intérêts.

La posture permanente de sûreté aérienne permet ainsi, par le maillage de radars civils et militaires et grâce à des centres opérationnels activés 24 heures sur 24 et sept jours sur sept ‒ les centres de détection et de contrôle et le centre national des opérations aériennes à Lyon ‒, de détecter, d’identifier et de « classifier » l’ensemble des vols dans l’espace aérien national. Afin de pouvoir intervenir sur un mobile aérien au comportement douteux, des moyens en alerte (avions de chasse, hélicoptères) peuvent exécuter des mesures actives de sûreté aérienne (MASA), dont l’encadré ci-après présente les différentes modalités envisageables. Cette mission est qualifiée en temps de paix de « police du ciel ». Elle nécessite assermentation et commissionnement des acteurs PPS et peut donner lieu à des suites pénales à l’encontre de contrevenants.

Les mesures actives de sûreté aérienne

La sûreté aérienne regroupe principalement les mesures générales (identification et classification, établies après détection), les mesures applicables aux aéronefs au sol et les mesures applicables aux aéronefs en vol. Ces dernières sont soit passives (notification d’interdiction par le service du contrôle, etc.), soit actives (il s’agit alors des MASA).

Les MASA impliquent le concours d’intercepteurs (avions de chasse ou hélicoptères) et éventuellement de moyens de défense surface-air (les missiles Crotale et Mamba). Elles se déroulent habituellement successivement, mais lorsque l’imminence de la menace et le risque encouru l’imposent, le recours direct aux MASA ultimes est possible.

Les MASA sont réparties en trois types :

‒ les mesures de renseignement, visant à obtenir des éléments permettant d’identifier et de caractériser le degré de menace du vecteur aérien concerné ;

‒ les mesures de contrainte, visant à réduire le risque en imposant à un vecteur aérien menaçant une route particulière ;

‒ les mesures de destruction, consistant à neutraliser le vecteur aérien menaçant, par le biais d’un vecteur aérien ou d’un moyen de défense surface-air. Un tir de semonce peut être effectué en cas de besoin, indiquant sans équivoque que l’intercepté doit obtempérer (dans une logique d’ultime avertissement).

Source : état-major de l’armée de l’air.

La sûreté aérienne est une activité par nature interministérielle, la PPS étant la déclinaison militaire de la mission générale de sûreté aérienne. La PPS a ainsi pour but le maintien de la souveraineté nationale dans l’espace aérien français, la défense du territoire contre toute menace aérienne même limitée, la permanence de la posture ‒ qui se traduit par sa mise en œuvre dès le temps de paix et en toutes circonstances ‒, et une continuité entre cette posture et la défense aérienne du territoire national en temps de crise. L’encadré ci-après présente les évolutions de notre posture permanente de sûreté aérienne.

Les évolutions de notre posture permanente de sûreté aérienne

La posture permanente de sûreté aérienne a consisté, pendant la guerre froide, à faire face à un affrontement militaire bipolaire Est-Ouest matérialisé, le cas échéant, par des raids massifs d’avions d’armes soviétiques.

Après le 11 septembre 2001, la menace n’est plus seulement militaire et peut émerger au sein du trafic civil, sur le territoire national, sous forme d’actes terroristes. Le dispositif de sûreté aérienne français s’est par conséquent renforcé : la menace ne franchit plus de longues distances pour nous atteindre, elle peut prendre naissance au-dessus même de l’espace aérien national. Depuis ce tournant, le nombre d’intercepteurs en alerte a quadruplé, les moyens se sont diversifiés (mise en place de plots hélicoptères, emploi récurrent de systèmes de détection et commandement aéroporté - SDCA) et les délais de réaction ont été divisés par trois. Les évolutions réglementaires ont notamment pris en compte la menace que peuvent constituer des avions de ligne, ainsi que celle des aéronefs à vitesse lente. Cette dernière menace est notamment traitée par les hélicoptères capables depuis de mettre en œuvre les mesures actives de sûreté aérienne. Le cadre OTAN a également évolué notamment avec les missions opérationnelles de type « Air Baltic », et des accords bilatéraux se sont multipliés (Suisse, Espagne, Italie).

Plus récemment, la résurgence d’activités de drones présumés malveillants a imposé à l’État d’apporter à cette question des réponses capacitaires, judiciaires, réglementaires et opérationnelles, étudiées au sein de groupes de travail constitués sous l’égide du SGDSN, pour certains encore en cours. La sûreté aérienne doit par conséquent constamment s’adapter avec une menace qui ne cesse de revêtir des formes différentes et changeantes, insidieuses pour certaines.

Source : état-major de l’armée de l’air.

Le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 souligne que « la protection (…) ne saurait être assurée sans la capacité de dissuasion et d’intervention. La dissuasion nucléaire protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ».

Le rôle majeur de la dissuasion dans la protection du territoire national et des populations a d’ailleurs été rappelé par le président de la République lors de son discours du 19 février 2015 sur la base d’Istres, dans les termes suivants : « l’intégrité de notre territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux. Quels que soient les moyens employés par l’adversaire étatique nous devons préserver la capacité de notre nation à vivre. Tel est le sens de la dissuasion nucléaire ».

De plus, tout en respectant le contrat de posture nucléaire fixé par le président de la République, les aéronefs des Forces aériennes stratégiques (avions de chasse et de ravitaillement en vol) disposent de capacités duales qui permettent de les engager dans des opérations extérieures ou intérieures conventionnelles, contribuant ainsi directement à la fonction stratégique « protection ». Les avions de ravitaillement en vol peuvent notamment assurer le transport de personnel et de matériel sous faible préavis pour faire face à toute situation d’urgence, et réaliser des évacuations sanitaires. Enfin, le personnel des FAS contribue aux moyens demandés à l’armée de l’air pour les opérations Vigipirate et Sentinelle.

Ainsi, dans le cadre de la posture permanente de sûreté, les équipages et les avions Rafale du commandement des FAS participent à la mission de « police du ciel » en contribuant à tenir l’alerte de défense aérienne ; les avions ravitailleurs sont soumis quant à eux à un régime d’alerte à 24 heures.

Selon l’état-major de l’armée de l’air, la PPS mobilise :

‒ huit avions de chasse (Rafale, Mirage 2000-5 ou Mirage 2000 C), qui arment quatre permanences opérationnelles, le plus souvent à Saint-Dizier, à Mont-de-Marsan, à Orange et à Lorient ;

‒ cinq hélicoptères de type Fennec armés avec tireurs embarqués, qui sont en astreinte sur les bases de Villacoublay, à Orange et le plus souvent à Saint-Dizier et à Bordeaux ;

‒ un avion radar AWACS (2), qui est en alerte à six heures à Avord ;

‒ un avion de ravitaillement en vol C135 en alerte à 24 heures à Istres ;

‒ 80 radars (25 civils et 55 militaires) interconnectés et répartis sur le territoire français pour assurer la fonction de détection ;

‒ trois centres de détection et de contrôle (CDC) à Lyon Mont-Verdun, Mont-de-Marsan et Cinq-Mars-la-Pile, en charge du contrôle des intercepteurs et de l’élaboration des situations d’intérêt pour l’armée de l’air ;

‒ le centre national des opérations aériennes (CNOA) qui assure la fusion et la synthèse des situations d’intérêt nationales et de celles en provenance des pays voisins à la France, les analyse et conduit les opérations de sûreté aérienne.

L’emploi de ces capacités mobilise également les services opérant les systèmes d’information et de communication (SIC) et les centres de commandement et de contrôle (C2) qui sont consacrés à cet engagement, ainsi que le personnel opérationnel et de soutien des bases aériennes d’alerte.

En tenant compte non seulement des effectifs affectés à la posture permanente de sûreté aérienne (414 personnels selon l’état-major de l’armée de l’air), mais aussi de l’ensemble des effectifs qui concourent aux missions de protection et de sécurité (2 421 personnels), aux missions intérieures ‒ comme la mission Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane ou la mission Titan de sécurisation renforcée du centre spatial guyanais ‒ (613 personnels), les missions de Search and Recue (23 personnels) et d’autres missions diverses de protection, l’effectif moyen annuel de l’armée de l’air placé en permanence en position de protection du territoire national atteint 3 515 aviateurs, tandis que 25 aéronefs y participent.

Or, dans le même temps, les moyens engagés hors de métropole représentent certes davantage d’aéronefs (71 selon l’état-major de l’armée de l’air), mais moins de personnels : 1 060 en OPEX, 639 dans les forces de présence à l’étranger et 575 dans les forces de souveraineté. C’est en ce sens que le territoire national peut à juste titre être présenté comme le premier théâtre d’engagement opérationnel de l’armée de l’air.

Une activité soutenue en 2014 et en 2015

En 2014, les avions de chasse d’alerte ont décollé 108 fois et les hélicoptères 109 fois. En 2015, à la date du 30 septembre, les avions de chasse d’alerte ont décollé 54 fois et les hélicoptères 91 fois.

Si ces derniers ont volé la plupart du temps pour assurer des alertes en vol ou des surveillances d’itinéraire (84 fois en 2014 et 88 fois en 2015), ce type de vol est plus rare pour les chasseurs (30 occurrences en 2014 et huit en 2015), l’occasion la plus fréquente de décollage étant la perte de contact radio avec un avion en vol (38 fois en 2014 et 28 fois en 2015).

Il est également à noter que les survols de sites sensibles par des aéronefs ont donné lieu à 17 interceptions par des chasseurs en 2014 et deux en 2015, ainsi qu’à 17 interceptions par des hélicoptères en 2014 et trois en 2015.

La contribution globale de l’armée de l’air aux missions de protection du territoire national doit être analysée à l’aune du contexte de fortes réductions des effectifs d’aviateurs des dernières années.

Ainsi, les fusiliers commandos de l’air, spécialistes de la protection, sont en sous-effectif. C’est pourquoi 16 des 20 escadrons de protection des bases aériennes travaillent aujourd’hui sous régime dérogatoire avec des renforts de personnels non spécialistes. Ce palliatif a ses limites : les personnels de renfort sont limités aux missions de surveillance, la mission d’intervention nécessitant un savoir-faire spécifique aux spécialistes de la protection.

L’opération Sentinelle a accru cette tension : eu égard au niveau actuel de la menace terroriste, l’état-major de l’armée de l’air considère que la mission « doit être assurée par du personnel formé pour faire face à toutes les menaces sur le territoire national ». Dans ces conditions, l’éventuel renfort en personnel de l’armée de l’air « ne pourrait être constitué de manière réaliste qu’à partir des effectifs de fusiliers commandos », alors même que ceux-ci sont en nombre insuffisant pour assurer leur cœur de métier, notamment la protection des installations de l’armée de l’air. Leur effectif total est en effet en déficit de 7 % par rapport au référentiel des effectifs en organisation (REO) de leurs escadrons. Par ailleurs, ces effectifs, en nombre déjà insuffisant, sont très sollicités pour les OPEX : ils constituent 12 % des personnels de l’armée de l’air « projetés ».

Pour tenter de remédier à ce sous-effectif, l’armée de l’air a cherché à améliorer la gestion de ces ressources humaines, avec un plan de recrutement ambitieux et un meilleur accompagnement des recrues, ainsi que des efforts de valorisation des parcours professionnels dans les métiers de la protection. En outre, dans le cadre des réductions de cibles de déflation opérées par l’actualisation de la LPM 2014-2019, des postes supplémentaires ont été obtenus.

L’armée de l’air poursuit depuis 1993, par étapes, la mise en place d’un système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales (SCCOA) dont la poursuite pourra contribuer à une meilleure protection du territoire national. Ce système est destiné à servir au « cœur de mission » de l’armée de l’air : protéger (par la posture permanente de sûreté aérienne), intervenir immédiatement, dissuader. Ce système sert en effet à la surveillance de l’espace aérien et exo-atmosphérique, au contrôle des vols militaires et gouvernementaux et au commandement des opérations aériennes pour tout type de mouvements, qu’ils soient menés sur le territoire national, à partir de celui-ci ou en dehors. Il permet également d’assurer le commandement de la défense « surface-air », la coordination des intervenants dans la « troisième dimension » ‒ aussi bien sur le territoire national qu’à l’extérieur ‒, ainsi que le soutien des missions de service public effectuées par l’armée de l’air (cf. infra).

Le programme SCCOA connaît des avancées. Ainsi, le lancement de la seconde phase de sa quatrième étape a été approuvé en 2014, et a fait l’objet d’une première commande en décembre 2014. Cette quatrième phase prévoit, d’ici 2022, le renouvellement des radars datant des années 1980 et l’amélioration de la surveillance de moyenne et de basse altitude, ainsi que les travaux permettant la mise en service opérationnel dans l’armée de l’air du système de commandement et de contrôle aériens (dit Air Command and Control System, ACCS) de l’OTAN.

La réalisation progressive du programme SCCOA constitue un enjeu de souveraineté nationale. En effet, selon l’état-major de l’armée de l’air, certaines missions ne sont pas compatibles avec le partage d’information sur lequel repose le réseau ACCS. Même en dehors de la dissuasion, l’armée de l’air doit être en mesure de mener des OPEX dans un cadre purement national, ainsi que des missions ponctuelles de sûreté aérienne ou de renseignement devant être menées de façon autonome pour en assurer la discrétion. C’est pourquoi il importe de disposer d’une chaîne de capacités de commandement et de contrôle (dites C2) strictement nationale.

Les moyens consacrés par l’armée de l’air à la protection de l’intégrité du territoire national via la posture de dissuasion sont eux aussi importants. Selon l’état-major de l’armée de l’air, assurer la posture de dissuasion mobilise 1 369 personnels au sein des forces aériennes stratégiques (FAS).

De plus, le renouvellement en cours de la composante nucléaire aéroportée nécessite d’importantes ressources, que l’on peut voir comme contribuant elles aussi à la protection du territoire national. L’encadré ci-après les présente.

Le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée

Le renouvellement de la composante aérienne est mené en optimisant les moyens qui participent aux opérations conventionnelles en cours. La composante aérienne de la dissuasion a d’ailleurs un coût très maîtrisé : les besoins financiers de la FAS représentent 8 % des crédits de paiement de l’agrégat dissuasion dans le présent projet de loi de finances.

La mise en service opérationnel du second escadron nucléaire de l’armée de l’air équipé de Rafale, en remplacement des Mirage 2000N, est prévue en 2018 conformément à la décision du président de la République.

Les avions ravitailleurs C135, dont la moyenne d’âge est supérieure à 50 ans, ont été modernisés afin d’être prolongés jusqu’en 2025. Ils seront remplacés par les MRTT (Multi Role Tanker Transport) Phénix. La livraison du premier Phénix est prévue en 2018. Pour l’état-major de l’armée de l’air, l’état de notre flotte de C135 a justifié que l’actualisation de la LPM anticipe la commande et la livraison des trois derniers MRTT Phénix prévus.

Source : état-major de l’armée de l’air.

Le réseau national d’alerte (RNA) est un des services opérationnels de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion interministérielle des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur. Il transmet l’alerte, notamment aérienne ou « NRBC » (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique) aux entités chargées de prendre les mesures nécessaires pour la protection des populations et des infrastructures.

À la tête de ce réseau se trouve le bureau central de l’alerte (BCA) implanté au sein du centre de détection et de contrôle (CDC) de Lyon. Le réseau est constitué de bureaux généraux de l’alerte (BGA) dans les CDC militaires et des bureaux de diffusions de l’alerte (BDA) dans certaines préfectures. Le BCA et les BGA sont armés par des réservistes de l’armée de l’air placés pour emploi auprès du ministère de l’Intérieur.

Dans le cadre du plan Vigipirate, 110 hommes de l’armée de l’air contribuent en permanence à la protection des aéroports d’Orly, de Bordeaux et de Toulouse. Le rapporteur relève d’ailleurs que certains des personnels de l’armée de l’air participant à l’opération Sentinelle ont été mis à l’honneur lors du défilé militaire du 14 juillet.

Dans le cadre du plan Cuirasse, qui organise le renforcement de la protection des emprises de la défense, l’armée de l’air a déployé 27 aviateurs d’avril à juillet au sein de l’état-major interarmées de zone de défense « Sud », ainsi qu’une trentaine de personnels affectés en permanence au renforcement de la garde du site de Balard depuis le mois d’avril 2015. Elle a également élaboré un plan d’action visant à renforcer la protection de ses emprises. Ce plan d’action s’est traduit par :

‒ des mesures organisationnelles, comme la création du « comité Air de sécurité et de protection » et l’identification d’une chaîne de commandement ;

‒ des mesures de gestion des ressources humaines : sensibilisation des aviateurs, formation du personnel et recrutement d’effectifs supplémentaires.

Le chef d’état-major de l’armée de l’air a souligné l’importance de la protection des bases aériennes, qui doit selon lui « gagner en profondeur : on ne peut pas défendre nos bases le dos à la clôture ». Pour lui, une meilleure protection des emprises de l’armée de l’air doit passer par des échanges plus complets et plus systématiques de renseignement avec la gendarmerie et la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

Certaines capacités de l’armée de l’air peuvent utilement contribuer à l’effort actuel de protection du territoire national. L’état-major de l’armée de l’air recense notamment :

‒ ses capacités de commandement et de contrôle (C2) « indispensables pour organiser l’espace aérien, détecter, gérer et coordonner la circulation » dans la troisième dimension ;

‒ les moyens aériens de la posture permanente de sûreté, qui constituent une « capacité de réaction immédiate » ;

‒ ses capacités de défense sol-air : ses radars tactiques, ses batteries sol-air moyenne portée, ses dispositifs de guet à vue, etc. ;

‒ des capacités d’accueil utiles pour assurer la résilience de l’État en cas de crise, notamment ses infrastructures aéroportuaires, ses postes de commandement et ses réseaux de communication ;

‒ ses capacités de transport stratégique mobilisables, notamment pour la protection de l’outre-mer ;

‒ ses capteurs aériens spécialisés : drones, moyens de renseignement d’origine électronique (dits ELINT, pour Electronic Intelligence), etc. ;

‒ ses hélicoptères spécialisés en matière de Search and Rescue ;

‒ ses bases aériennes, qui constituent des « outils de gestion de crise comportant des moyens de commandement, une capacité autonome de soutien, et une plateforme aéronautique ».

Le survol de sites sensibles sur le territoire national par des drones a suscité des inquiétudes tout au long de l’année 2015.

Comme l’a indiqué au rapporteur le général Jean-Jacques Borel, commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes, l’armée de l’air a immédiatement mis en place des moyens de surveillance, et elle met en place un dispositif durable de détection et d’intervention pour cette menace nouvelle.

Pour le général Borel, l’armée de l’air dispose des capacités nécessaires, mais il lui manque un cadre juridique adapté. Il a comparé cette situation avec le vide juridique qu’avait créé le développement des ULM dans les années 1980. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) travaille actuellement à la mise en place d’un cadre réglementaire adapté aux drones. Ce cadre doit concilier les exigences de la sécurisation de la troisième dimension et des normes suffisamment souples pour ne pas entraver le développement d’une industrie nouvelle, dans laquelle les entreprises françaises paraissent bien placées.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, sur le projet de loi de finances pour 2016 (n° 3096), au cours de sa réunion du mercredi 7 octobre 2015.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir le général André Lanata, qui intervient pour la première fois devant notre commission en tant que chef d’état-major de l’armée de l’air. Outre la situation de cette dernière, que nous avons déjà pour partie abordée ce matin lors de l’audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, nous évoquerons la fin de gestion de l’année 2015, comme il se doit à cette période de l’année. Je précise qu’après votre exposé, général, je donnerai la parole à Marie Récalde et Alain Marty, afin qu’ils nous rendent compte de leur récent déplacement en Jordanie.

Général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. En préambule, et puisqu’il s’agit de ma première audition en tant que chef d’état-major de l’armée de l’air devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, je tiens à dire combien je suis fier de pouvoir évoquer devant vous l’extraordinaire niveau d’engagement des aviateurs au service de la protection des Français. Je veux également remercier la représentation nationale pour le soutien sans faille qu’elle apporte à nos militaires. J’attache une importance particulière à ce rendez-vous et à nos échanges.

Après deux semaines passées à la tête de l’armée de l’air, je dresserai deux constats : tout d’abord, les aviateurs sont au rendez-vous, quels que soient les sollicitations et le contexte sécuritaire ou opérationnel ; ensuite, rien ne permet de penser que la pression des opérations, qui s’est encore accrue, notamment ces deux dernières semaines en Syrie, diminuera en 2016.

Partant de ces constats, je commencerai par témoigner de l’engagement opérationnel de l’armée de l’air, en opérations extérieures comme sur le territoire national, avant de montrer que le seul moyen d’honorer ces missions au niveau actuel et dans la durée est de poursuivre la modernisation engagée par mon prédécesseur, le général Mercier. Nous continuerons donc à transformer l’armée de l’air en un système de combat complet, cohérent, dynamique et réactif, à la disposition de la Nation, du président de la République et du chef d’état-major des armées. Enfin, je vous indiquerai quelles sont mes priorités dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.

Quelle est ma vision de l’armée de l’air au moment où j’en prends le commandement ?

Premièrement, je veux souligner sa réactivité, qui est une qualité essentielle pour figurer dans l’élite mondiale. En vingt-quatre heures, une crise peut changer de visage. Ainsi, moins de vingt-quatre heures se sont écoulées entre la décision du Président de la République de réaliser des missions de reconnaissance en Syrie et le survol effectif de ce pays par nos Rafale, le 7 septembre dernier. Nous nous tenions prêts à y effectuer des frappes pour continuer à réduire le potentiel militaire de Daech et, dans la nuit du 26 septembre, cinq Rafale ont frappé un camp d’entraînement de terroristes dans le nord de la Syrie. En janvier 2013, Bamako serait tombée si la chasse française n’était pas intervenue en l’espace d’une nuit. Les actions aériennes combinées à une manœuvre interarmées ont alors porté un coup d’arrêt puis réduit considérablement les capacités des groupes armés djihadistes et leur ont interdit les sanctuaires dans le nord du Mali. L’armée de l’air est donc capable, et elle le montre, d’intervenir de façon rapide, où que ce soit dans le monde, en moins de vingt-quatre heures. Il s’agit d’une qualité essentielle : l’armée de l’air est l’armée du temps court.

Le deuxième trait essentiel de l’armée de l’air est son caractère global et cohérent. Aux ordres du chef d’état-major des armées et dans le cadre d’une manœuvre globale interarmées, l’ensemble du spectre des missions aériennes est mobilisé. Reconnaissance et surveillance de vastes étendues, frappes de précision de nos chasseurs Rafale ou Mirage 2000, ravitaillements en vol, transports stratégiques avec l’A400M et largages tactiques avec nos vénérables Transall et C-130, forces spéciales avec les commandos parachutistes de l’air : tout cela est commandé, organisé et contrôlé par un système de commandement performant. Il s’agit là, non pas d’un inventaire, mais des capacités réellement utilisées tous les jours sur les théâtres d’opérations. Parce que nous ne savons pas aujourd’hui de quoi demain sera fait, nous aurons toujours besoin d’un outil complet pour mettre en œuvre un large éventail de capacités cohérentes entre elles. C’est une question d’efficacité opérationnelle et de souveraineté nationale.

Troisièmement, il convient de souligner l’importance de la permanence des actions aériennes. Pour couvrir des étendues de plus en plus vastes avec des moyens en constante réduction, pour traquer un ennemi fugace et le frapper au moment opportun, pour imposer à la bataille un rythme toujours plus proche du temps réel, il est nécessaire de disposer de toujours plus de permanence. Il s’agit, me semble-t-il, d’une tendance lourde de notre développement, qui se traduit en particulier par le recours aux moyens de surveillance de longue endurance ou l’importance du ravitaillement en vol.

Quatrièmement, cette permanence s’accompagne de la nécessité de renforcer la connexion des forces dans un cadre interarmées et interallié. Les forces aériennes ont en effet besoin de combiner leurs actions entre elles et avec celles des autres armées dans des délais très brefs. Moyens de surveillance, forces spéciales, avions de combat, forces terrestres, avions de transport, hélicoptères de combat ou de manœuvre : cette mise en réseau élargie facilite le quadrillage de vastes étendues et accroît la réactivité des forces. C’est pourquoi j’estime indispensable de penser le développement de nos capacités d’abord en système de combat global interconnecté et donc, si possible, nativement connectable.

Cinquièmement, existe aujourd’hui le risque de croire que la maîtrise de l’air est définitivement acquise. Nous, aviateurs, avons le devoir de répéter inlassablement qu’il y aura toujours une condition préalable essentielle au bon déroulement de toutes les opérations : la maîtrise de l’air et de l’espace. La présence d’avions russes dans le ciel syrien aujourd’hui en apporte la démonstration. Cette maîtrise garantit non seulement la protection du territoire national, mais aussi la capacité d’entrer sur un théâtre d’opérations. Elle est donc un gage de liberté pour l’action politique et de souveraineté. Il faut le rappeler et préparer les capacités qui nous permettront demain de toujours pouvoir tirer parti de l’exploitation, à des fins militaires, de l’air et de l’espace, comme nous le faisons actuellement.

Notre aptitude à réaliser ces opérations, à garantir l’efficacité et la cohérence et à durer repose sur quatre piliers.

Le premier est la capacité de commander et de conduire des opérations aériennes, qui est une des clés de l’efficacité des opérations aériennes, dans le Sahel, au Levant ou sur le territoire national. La situation tactique est suivie en temps réel, les ordres sont adaptés, transmis et exécutés au même rythme. Il s’agit d’une aptitude centrale, héritée de nos missions permanentes : la défense aérienne et la dissuasion, qui constituent le cœur de nos obligations et répondent à des ordres directs de l’exécutif. En cinquante ans, ces deux missions ont structuré notre système de commandement. Les moyens de commandement et de contrôle associés à des moyens de communication longue distance constituent l’intelligence et le système nerveux de ces opérations.

Deuxième pilier : nos bases aériennes. L’armée de l’air opère à partir de ses bases, que ce soit dans le cadre de ses missions permanentes, d’alertes ou pour intervenir dans des délais très brefs où que ce soit dans le monde. Les premières missions au-dessus de la Libye, du Mali, de l’Irak ou de la Syrie ont toutes décollé de nos bases aériennes métropolitaines ou pré-positionnées. Ainsi, la base aérienne, système complet, réactif et cohérent, participe à part entière du système de combat global de l’armée de l’air. En outre, elle matérialise la présence de l’armée de l’air sur le territoire national et sert de point d’appui à des actions interministérielles ou de service public. Compte tenu de leur importance et de menaces croissantes à l’intérieur de nos frontières, le renforcement de la protection des bases aériennes est l’une de mes priorités – j’y reviendrai en détail ultérieurement, si vous le souhaitez.

Troisième pilier : la préparation opérationnelle, qui se situe au cœur de mes responsabilités, donc de celles de l’armée de l’air. Elle regroupe l’ensemble des actions qui vont permettre aux capacités de l’armée de l’air d’être prêtes le jour où le président de la République décidera de les engager – je pense notamment à l’entraînement de nos équipages ou à l’entretien de nos systèmes d’armes. Elle est essentielle car elle est le gage de notre efficacité, donc de notre crédibilité opérationnelle à l’égard tant de nos autorités politiques, qui doivent avoir confiance dans les possibilités d’emploi de l’arme aérienne, que de nos adversaires, sur lesquels elle procure un ascendant, de nos alliés, qui savent pouvoir se reposer sur un partenaire robuste, et de nos propres forces, qui ont confiance dans les chances de réussite de leurs missions car elles se savent bien entraînées. La préparation opérationnelle fonde notre réactivité ; elle est donc la clé.

La raison d’être et l’enjeu de cette préparation sont les hommes et les femmes de l’armée de l’air, qui forment le dernier pilier, et non le moindre ; il est au centre de mon attention. Actuellement, 5 800 aviateurs sont mobilisés en opération, de jour comme de nuit, dont plus de 4 000 sur le territoire national, forces de souveraineté comprises. Il ne s’agit pas ici uniquement de chiffres et de bilans comptables, même si ceux-ci sont éloquents. Si l’armée de l’air est reconnue comme l’une des meilleures du monde sur l’ensemble du spectre des opérations, depuis les missions humanitaires jusqu’aux opérations de combat de haute intensité, c’est bien grâce à la valeur des aviateurs qui accomplissent ces missions, à leur professionnalisme, à leur expérience opérationnelle et, avant tout, à leur esprit de service. On ne salue jamais assez ce que j’appelle l’« épaisseur opérationnelle », cette qualité humaine, cette abnégation doublée d’une exceptionnelle maturité opérationnelle qui fait la véritable valeur d’une armée.

Aujourd’hui, pour faire face à un contexte sécuritaire exceptionnel, l’armée de l’air est fortement engagée, depuis plus d’un an, à une hauteur qui dépasse les contrats opérationnels issus du Livre blanc. En l’espace d’un an, elle a ouvert deux théâtres supplémentaires, notamment en Syrie ces derniers jours. Nos avions opèrent aujourd’hui simultanément à partir de quatorze territoires. Nos chasseurs ont largué cent tonnes de bombes depuis le début de l’année. Nous sommes engagés sur tout le spectre des missions pour traquer un ennemi qui dispose de ramifications sur notre propre territoire, et ces perspectives me semblent durables.

Face à cette situation, l’armée de l’air est au rendez-vous. Elle l’a encore prouvé il y a un peu plus d’une semaine, lorsque le président de la République a ordonné des frappes sur la Syrie. Nos opérations constituent un exercice de vérité pour nos armées, en particulier pour l’armée de l’air. Vérité sur nos capacités réelles, sur l’efficacité de nos systèmes d’armes, sur le niveau de préparation opérationnelle et sur la valeur de nos soldats. Peu d’armées sont aujourd’hui mises à nu d’une façon aussi exigeante que la nôtre, qui opère au Sahel, en Centrafrique et au Levant, souvent dans des conditions très difficiles qui requièrent prouesses techniques, prouesses opérationnelles et courage. Bien plus, l’armée de l’air assure simultanément en permanence, sur le théâtre national, les missions de protection de l’espace aérien, de sauvegarde et de dissuasion.

Pour faire face à une telle tension opérationnelle, l’armée de l’air doit tout d’abord poursuivre sa transformation. Alors que l’armée de l’air vient de changer de tête, vous vous interrogez probablement sur l’avenir de l’ambitieux plan de transformation lancé par mon prédécesseur. Cette question bien légitime, les aviateurs se la posent également. Je les ai rassurés sur ce point lorsque je les ai réunis sur la base de Villacoublay le premier jour de mon commandement, le 21 septembre. Qu’il n’y ait aucune ambiguïté : je m’inscris pleinement dans la continuité du plan stratégique « Unis pour faire face » lancé par le général Mercier. Je tiens du reste à dire ici publiquement toute mon admiration pour cet officier général hors pair et pour son action volontariste à la tête de l’armée de l’air. Son rôle a été déterminant à un moment où se sont ajoutées à un niveau d’engagement opérationnel hors-norme de fortes contraintes structurelles.

Nous ne nous transformons pas parce que c’est à la mode, mais parce que nous sommes convaincus que le seul moyen d’assurer dans la durée un tel niveau d’engagement est de continuer inlassablement à nous adapter. Le monde évolue en permanence, les technologies également, nos ennemis s’adaptent, la contrainte budgétaire demeure. Dès lors, l’immobilisme n’est pas de mise. Si nous voulons avoir, demain, une armée de l’air aussi performante qu’aujourd’hui, une armée de l’air opérationnelle, modernisée, ouverte aux partenariats, portée par ses aviateurs, nous devons continuer à nous transformer.

Depuis deux ans, les projets-phares du plan « Unis pour faire face » articulent, dans une dynamique d’ensemble et de façon cohérente, la modernisation des capacités de combat, la simplification de nos structures, l’ouverture et le développement de partenariats ainsi que la valorisation du personnel. Mais cette transformation n’est pas un empilement désordonné de dossiers techniques ; c’est une manœuvre globale, caractérisée par un état d’esprit. Elle passe surtout par les hommes : les aviateurs sont au centre du projet. Ce plan donne un sens à nos évolutions. Les hommes en sont à la fois le moteur et la raison d’être. Je continuerai donc à promouvoir la dynamique d’une armée de l’air qui avance avec les aviateurs aux commandes.

J’illustrerai cette dynamique par trois réalisations concrètes intervenues cet été.

Outre le regroupement du commandement des forces aériennes à Bordeaux cet été, un autre projet emblématique a pris corps le 1er septembre dernier avec la création du centre d’expertise aérienne à Mont-de-Marsan. Cet « Air warfare center » est construit sur un modèle nouveau qui a pour vocation principale de rapprocher sur un même plateau les expérimentations, c’est-à-dire le volet équipements, la réflexion conceptuelle, c’est-à-dire le volet doctrine, et les savoir-faire opérationnels, c’est-à-dire le volet tactique. Ce triptyque sera alimenté en permanence par les retours d’expérience à chaud des unités opérationnelles du commandement des forces aériennes et du commandement des forces aériennes stratégiques. Résolument tourné vers l’innovation, le centre apportera son expertise des programmes aux autorités en charge des opérations aériennes, en coordination étroite avec tous les commandements, y compris pour l’orientation de l’entraînement des forces. Ouverts à des partenariats industriels, nous comptons beaucoup sur les synergies dégagées par un tel travail en plateau.

Le deuxième exemple concerne la formation et de l’entraînement. Grâce à la création, cet été, sur la base d’Orange du CEPOCAA, le Centre de préparation opérationnelle du combattant de l’armée de l’air, nous rationalisons nos emprises et nos structures tout en renforçant la capacité socle de formation et d’entraînement. Ce centre, qui formera à terme 4 000 stagiaires par an, a été créé à partir des effectifs transférés depuis les bases aériennes de Dijon et de Saintes. Cette centralisation des structures de formation du combattant à Orange comporte d’importants effets d’échelle : valorisation des infrastructures, uniformisation des méthodes, renforcement de l’identité de l’aviateur par la transmission de valeurs communes et densification de la base aérienne 115 d’Orange. La préparation opérationnelle du combattant a désormais son pôle d’excellence.

Troisième exemple : le projet « Smart base », qui a été inauguré, cet été également, sur la base d’Évreux. Ce projet innovant consiste à développer, dans le cadre de partenariats, les applications tirées des nouvelles technologies du numérique. Il s’agit, comme pour les smart cities, d’améliorer concrètement la vie du personnel sur les bases aériennes. La vie d’une base aérienne est en effet comparable à celle d’une petite ville qui interagit avec son environnement. L’approche étant résolument expérimentale, il faut accepter un certain foisonnement au départ ; nous accompagnerons, le moment venu, les applications les plus prometteuses. Ce type d’approches est particulièrement adapté à la difficulté que nous avons à appréhender a priori toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Parmi les projets qui se concrétisent chaque jour, nous développons des applications destinées à partager entre aviateurs les informations relatives à différents domaines : protection et sécurité de la base aérienne, administration du personnel ou infrastructure.

Mais la Smart base se caractérise également par son ouverture et sa collaboration avec son environnement. Une première start-up numérique va ainsi s’installer, le 16 octobre, sur la base aérienne d’Évreux, au sein de la pépinière favorisant la synergie entre les entreprises locales et l’escadre de commandement et de conduite projetable, composée de spécialistes des systèmes d’information et de commandement projetables de l’armée de l’air.

Comme le montrent ces trois exemples, le plan stratégique « Unis pour faire face » va continuer à vivre. Si l’armée de l’air est au rendez-vous des opérations, elle démontre également sa capacité à se transformer en conduisant une modernisation d’ampleur. De la réussite de ces projets et de la mise en œuvre du nouveau plan de stationnement dépend la capacité de l’armée de l’air de réaliser les rationalisations nécessaires et les gains que nous en attendons.

Le second facteur qui nous aidera à obtenir des succès en opération, ce sont incontestablement les décisions prises au titre de l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM).

Compte tenu du niveau d’engagement de nos forces, il est certain que nous aurions eu des difficultés à garantir la même performance dans la durée sans l’ajustement que vous avez voté en juillet dernier et qui concerne aussi bien les hommes, que les équipements, et leur régénération. L’actualisation de la LPM marque en effet une inflexion significative en ajustant la trajectoire de la programmation au durcissement du contexte sécuritaire. Ce résultat a été rendu possible par l’action volontariste du ministre de la Défense et par des décisions courageuses, compte tenu du contexte budgétaire. Je veux donc saisir l’occasion qui m’est donnée ici afin de remercier votre commission pour son appui et la diligence dont elle a fait preuve dans l’examen, mené tambour battant, de ce texte essentiel pour les capacités des armées, en particulier de l’armée de l’air.

Je souhaiterais également dire un mot de la fin de gestion 2015, qui est importante en ce qu’elle conditionne le lancement sur de bonnes bases des quatre années de la LPM actualisée. Sur le plan financier, la fin de gestion nécessite que toutes les ressources encore attendues se concrétisent. Pour l’armée de l’air, une incertitude existe, comme chaque année, sur la levée totale ou partielle de la réserve de précaution et sur le montant du remboursement des opérations. La couverture du décret d’avance OPEX permettra, par exemple, d’assurer le recomplètement au plus vite des munitions que nous consommons à un rythme élevé en opération. Il est important – et vous me pardonnerez ce tropisme probablement hérité de mes fonctions précédentes – que le ministère aborde l’année 2016 avec un report de charges raisonnable si nous voulons garantir la bonne exécution de la LPM.

Sur le plan capacitaire, je suis attentif à la notification de plusieurs contrats essentiels pour l’armée de l’air, qui doit intervenir d’ici à la fin de l’année. Rénovation des C-130 et des Mirage 2000D, lancement du programme « Avion léger de surveillance et de reconnaissance », dit « ISR léger », commande du troisième système de drones MALE et affermissement de la tranche de huit avions de ravitaillement en vol : autant d’affaires centrales pour la feuille de route capacitaire de l’armée de l’air, tant elles touchent à des domaines clés de ses capacités.

Ces précisions concernant la fin de gestion 2015 étant faites, j’en viens au projet de budget pour 2016. Celui-ci est fondamental pour notre préparation opérationnelle, pour la poursuite de la modernisation de nos capacités, pour la manœuvre des ressources humaines et pour la poursuite de notre transformation.

Le projet de loi de finances pour 2016 représente la première annuité de la LPM actualisée ; il intègre donc les ajustements apportés par cette actualisation. Pour l’armée de l’air, ceux-ci concernent principalement les crédits consacrés au maintien en condition de nos équipements, qui constitue le premier axe.

En la matière, nous poursuivons les objectifs de remontée de l’activité. L’entretien des équipements est un déterminant de l’activité, laquelle est la clé de notre préparation opérationnelle. L’investissement dans cette préparation est le prix de nos performances en opération ; les heures de vol sont irremplaçables. L’entretien des équipements est donc central. Si je devais résumer l’équation, je dirais que l’objectif consiste à équilibrer la pression des opérations – qui conduit à une surexploitation de certains parcs et au vieillissement accéléré des cellules dans des conditions sévères d’exploitation – à l’aide des mesures décidées en actualisation de la LPM et en LPM, de la poursuite des chantiers de modernisation et de différents chantiers de transformation, dont celui de la formation des pilotes de chasse. Ainsi, la remontée progressive du niveau d’activité à partir de 2016 dépend non seulement de la mise à disposition des ressources prévues par la loi de programmation militaire mais aussi de la baisse des dépenses permise par les réformes engagées dans le domaine du maintien en condition des équipements ou de la « supply chain ».

En 2015, nous observons, comme cela était prévu et malgré la pression des opérations, une stabilisation de l’activité. De fait, les effets des investissements ne sont pas immédiats et ne se font sentir que deux ans plus tard. Ainsi la stabilisation observée cette année est-elle consécutive à la progression des crédits décidée par le ministre de la Défense en 2013. Ce rebond, bien qu’inégal selon les flottes, s’observe déjà, en particulier pour l’aviation de chasse, avec une progression de 3 % attendue cette année. Pour être complet, je dois néanmoins ajouter que cette situation masque des difficultés que nous gérons sur le plan organique : le sous-entraînement des jeunes équipages qui ne sont pas encore engagés en opération et un moindre effort sur certains savoir-faire, que nous surveillons. Pour 2016, toutes choses étant égales par ailleurs, je suis confiant dans le maintien de cette dynamique : nous prévoyons une augmentation de l’activité de l’ordre de 5 % dans tous les domaines : chasse, transport, hélicoptères.

Je rappelle enfin l’importance que revêt la poursuite du projet de formation des pilotes de chasse, dit FOMEDEC. Ce projet est structurant non seulement pour la formation des pilotes mais aussi pour la cohérence du modèle de l’aviation de chasse, la rationalisation de nos emprises et la manœuvre des ressources humaines. Il importe donc que l’entrée en service de cette capacité se fasse dans les meilleurs délais. Outre une meilleure performance dans la formation de nos pilotes, elle permettrait la réalisation de nombreuses économies indispensables pour tenir les différentes trajectoires de notre transformation.

Deuxième axe : la manœuvre des ressources humaines. Je crois avoir déjà insisté sur l’importance que j’attache à nos ressources humaines. Les moindres déflations obtenues dans le cadre de l’actualisation de la LPM (1 300 postes) bénéficient principalement au soutien à l’export fourni par l’armée de l’air et aux efforts consentis en faveur du commandement et de la conduite des opérations, du renseignement et de la protection. Elles compensent enfin des contraintes structurelles comme la non-fermeture de certaines emprises. Pour le domaine fonctionnel « air », les déflations sur la durée de la loi de programmation militaire sont ramenées de 4 500 à 3 200. Si l’on tient compte de celles qui ont été réalisées en 2014 et 2015, il reste un peu plus de 500 postes nets à supprimer.

Cette logique arithmétique ne saurait toutefois rendre compte de la complexité d’une manœuvre RH plus lourde qu’il n’y paraît. Je ferai plusieurs remarques à ce sujet. Tout d’abord, il s’agit bien d’une moindre déflation, et non d’effectifs supplémentaires. Derrière les déflations, il existe un mécanisme complexe de gestion des flux, d’organisation et de gestion des filières. Ainsi l’armée de l’air a besoin de faire des efforts dans certains secteurs. Ces efforts conduisent à des créations de postes supplémentaires dans les métiers de l’aéronautique, de la protection, des structures de commandement et de conduite des opérations ou des unités de drones, qui montent en puissance. Environ 700 postes supplémentaires seront ainsi créés sur la période 2015-2019. Il est donc nécessaire d’ajouter aux déflations nettes les gages à mobiliser pour permettre ces créations. Aussi les déflations totales à réaliser s’élèvent-elles en réalité à environ 1 200 postes entre 2015 et 2019. Du point de vue des flux, le freinage des déflations conduit à doubler le taux de recrutement en 2015 et 2016. Nous ne sommes pas inquiets sur ce point, mais la vigilance reste de mise.

Tout cela montre combien les restructurations restant à effectuer sont indispensables pour atteindre nos objectifs. Nous continuons donc à densifier nos emprises, à optimiser nos transferts de personnels et à réorganiser nos métiers comme nos structures.

Il me faut, pour être complet sur ce sujet, signaler la diminution du taux d’encadrement, c’est-à-dire de la proportion des officiers dans l’ensemble de la population des aviateurs. Le modèle des ressources humaines de l’armée de l’air est, me semble-t-il, spécifique : le volume de ces officiers ne peut être évalué en fonction du seul taux d’encadrement. En effet, nos pilotes et navigateurs sont tous officiers. C’est un mécanisme différent mais comparable à celui des médecins ou des ingénieurs. Le volume de déflation et le dépyramidage ne peuvent pas être abordés sans tenir compte de cette particularité. En termes de cible, nous avons atteint, en 2015, le maximum de ce que nous pouvons réaliser compte tenu de l’augmentation de nombreux besoins, notamment dans les structures de commandement et de contrôle ou dans les structures internationales – ce raisonnement vous avait déjà été présenté par mon prédécesseur.

Enfin, la condition du personnel contribue à l’efficacité opérationnelle de nos forces. Nous demandons beaucoup à notre personnel, dans un environnement qui est incertain à de nombreux égards et suscite de l’anxiété. J’estime donc important de prendre en considération ses attentes et de lui donner le sentiment qu’il bénéficie d’un traitement équitable ; je prendrai le temps d’analyser la situation et de faire remonter les éléments qui me paraîtront les plus significatifs dans ce domaine.

En ce qui concerne la trajectoire capacitaire, le budget pour 2016 permet à l’armée de l’air de poursuivre la modernisation de ses capacités de combat dans le domaine des équipements. Compte tenu du contexte opérationnel, la tenue des feuilles de route capacitaires est indispensable dans une LPM qui ne dispose d’aucune marge.

S’agissant de l’aviation de combat, les perspectives s’organisent autour des éléments clés suivants. Premièrement, la modernisation du Mirage 2000D. En 2020, la plupart des flottes anciennes seront retirées du service ou sur le point de l’être, et l’armée de l’air possédera une centaine de Rafale. La rénovation programmée du Mirage 2000D joue donc un rôle essentiel dans la préservation non seulement de la cohérence opérationnelle mais aussi de l’équilibre du format de l’aviation de chasse.

Deuxièmement, l’export du Rafale est indispensable à l’exécution de la LPM. Nous avons en effet construit notre feuille de route capacitaire sur cette hypothèse, qui suppose une reprise impérative des livraisons en 2021 ; à défaut, il faudrait revoir à la baisse les ambitions de l’aviation de combat.

Troisièmement, la montée en puissance du deuxième escadron nucléaire sur Rafale est un point d’attention majeure. Cet escadron doit être opérationnel à l’été 2018. Sa montée en puissance a débuté cet été à Saint-Dizier, où les ressources humaines et les compétences commencent à être transférées. Vous comprenez bien que, pour une mission de cette importance, ces mouvements sont en partie irréversibles. Dans ce cadre, nous attendons dès 2016 le début de la restitution des six Rafale biplace prélevés sur nos livraisons dans le cadre de l’export Égypte. Puisque j’évoque la dissuasion, il me paraît utile de vous signaler également le lancement en 2016 des importants travaux d’infrastructure nécessaires à l’accueil des avions ravitailleurs MRTT « Phénix » sur la base aérienne d’Istres.

Dans le domaine du commandement et de la conduite des opérations aériennes, l’année 2016 sera marquée par la mise en service, à Lyon, du système de commandement et de conduite des opérations aériennes de l’OTAN, ACCS (Air command and control system), qui permet la rationalisation du dispositif autour de trois centres de détection et de contrôle au standard OTAN, tout en garantissant la robustesse du système pour les missions de souveraineté nationale. Cette intégration se fait en effet au sein du programme « Système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales » (SCCOA).

S’agissant du renseignement, outre le programme d’ISR léger que j’ai évoqué, les priorités pour 2016 concernent principalement le système Reaper. Il s’agit en effet d’une des capacités clés dans la bande sahélo-saharienne, de sorte que la demande en heures de vol augmente : celles-ci ont doublé en l’espace d’un an. Je serai attentif à la livraison, courant 2016, du deuxième système, à la commande du troisième avant la fin de l’année 2015 et à la commande du quatrième en 2016, afin que nous soyons en mesure d’atteindre le format décrit dans la loi de programmation militaire. Je veillerai également à ce que soit étudiée l’acquisition d’une capacité de pilotage des missions depuis la France, avec une station sol sur la base aérienne de Cognac, qui permettrait de soulager temporairement la pression que subit un nombre d’équipages limité à ce stade.

Quant à l’aviation de transport, il s’agit d’une capacité sensible, car extrêmement sollicitée en opération, et qui mérite en conséquence une attention particulière. L’enjeu se situe dans la poursuite de la modernisation de la flotte, avec les livraisons de l’A400M. Nous en attendons trois en 2016, qui s’ajouteront aux huit, dont nous devrions disposer fin 2015. Je suis également très attentif au dialogue engagé actuellement avec l’industrie sur la question des standards tactiques de cet appareil. Par ailleurs, la flotte de C-130, constitue un complément indispensable à l’A400M, en particulier pour les missions effectuées au profit des forces spéciales. Outre le lancement de leur rénovation en 2015, l’acquisition de quatre C-130 supplémentaires, qui vise à soutenir nos efforts en opération, est à l’étude.

Au vu de ce bilan, vous mesurez combien la fin de l’année 2015 et l’année 2016 sont déterminantes pour les capacités de l’armée de l’air.

En conclusion, qu’est-ce que l’armée de l’air aujourd’hui ?

C’est bien entendu, cette patrouille de Rafale qui délivre de l’armement de précision sur les positions de Daech en Syrie. C’est ce pilote qui a décidé récemment de ne pas ouvrir le feu en Irak parce qu’il jugeait que les conditions n’étaient pas réunies. Il n’est pas évident de prendre une telle décision aux commandes d’un avion de combat au-dessus d’une zone hostile – et je sais de quoi je parle. Ce choix démontre la maturité opérationnelle de nos forces, qui suppose une véritable intelligence des situations.

L’armée de l’air aujourd’hui, c’est aussi l’abnégation de ce caporal-chef du 25e régiment du génie de l’air qui construit une plateforme aéronautique aux confins du Niger, à Madama, dans des conditions extrêmes de température et de rusticité. C’est également le sens du service de ce sous-officier spécialiste des systèmes d’information et de communication qui, avec son équipe, a câblé tous les réseaux opérationnels de la base déployée de nos Mirage 2000D en Jordanie en moins de trois jours ; cette performance remarquable a permis l’activité opérationnelle de cette base en un temps record. C’est encore ce commando parachutiste de nos forces spéciales qui combat au corps-à-corps les groupes armés djihadistes dans le nord du Mali.

Enfin, je ne saurais oublier les victimes du terrible accident d’Albacete, qui a marqué l’armée de l’air et la communauté de défense tout entière.

Je viens de prendre la tête d’une armée de l’air opérationnelle car ses aviateurs sont engagés, entraînés, enthousiastes. Ils le sont parce que les missions, la trajectoire de la transformation et la feuille de route de la LPM actualisée sont claires. Les défis restent nombreux, qu’il s’agisse du niveau d’engagement, de la durée, des tensions sur le personnel, du maintien en condition de nos équipements ou de la poursuite de notre transformation. Vous pouvez compter sur ma franchise pour vous alerter sur les besoins de l’armée de l’air et sur le moral de ses aviateurs, qui conditionnent la poursuite de ses opérations et de sa transformation. Nous sommes au rendez-vous des opérations et de notre modernisation. J’ai confiance en mes hommes, en leur engagement, en leurs compétences et en leur équipement. J’ai confiance dans les capacités de l’armée de l’air et, surtout, dans la foi en la mission, qui constitue par-dessus tout le moteur de l’armée de l’air.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général. Nous partageons la confiance que vous avez en vos hommes.

Mme Marie Récalde. Alain Marty et moi-même nous sommes rendus, du 18 au 21 septembre, sur notre Base aérienne projetée (BAP) de Jordanie dans le cadre d’une mission sur les conséquences du rythme des opérations extérieures sur le maintien en condition opérationnelle (MCO). Ce déplacement coïncidait, d’une part, avec le premier anniversaire du lancement de l’opération Chammal et, d’autre part, avec la décision du président de la République d’étendre à la Syrie les vols de reconnaissance. Les premières frappes en territoire syrien ont, du reste, été menées une semaine après notre départ, à partir de la base d’Al-Dhafra.

Proche des frontières irakienne et syrienne, la BAP de Jordanie est idéalement située. Cette situation privilégiée permet d’économiser à la fois le potentiel opérationnel d’appareils extrêmement sollicités – nous y reviendrons – et le carburant nécessaire aux vols. L’activité de la BAP est permanente et soutenue, et la mission particulièrement exigeante : deux patrouilles de deux avions sont effectuées six jours sur sept, le no fly day étant consacré au MCO. Les équipages réalisent ainsi vingt-quatre sorties par semaine. La base doit, en outre, être en mesure d’offrir pendant une semaine une capacité surge, qui suppose la mobilisation de deux avions supplémentaires, soit l’intégralité de la flotte présente.

À ce jour, 1 100 opérations ont été réalisées par les forces françaises dans le cadre de Chammal, dont environ 500 à partir de la BAP. Parmi les 350 objectifs détruits par les forces françaises, 300 l’ont été par les appareils de la base. Je précise que 95 % des missions menées sont dites de Close air support (CAS), c’est-à-dire d’appui des forces au sol – il s’agit de frappes d’opportunité effectuées en fonction du contexte tactique ; les 5 % restants correspondent à des missions dites deliberate : il s’agit de frappes en profondeur, sur des objectifs clairement identifiés au préalable.

Outre cette « suractivité », les conditions opérationnelles, particulièrement sévères, pèsent sur les hommes et les matériels. Les conditions climatiques ainsi que la qualité de certaines infrastructures – la base a été édifiée par les Américains en 1969 – sont des défis quotidiens. Les températures sous abri ont en effet pu atteindre près de 58 degrés au mois d’août. Pénible pour les hommes, la chaleur pose également des problèmes de gestion des matériels et des équipements, qu’il s’agisse du stockage ou du fonctionnement d’appareils sensibles aux températures extrêmes tels que les systèmes d’information et de communication. Le sable, qui infiltre les matériels, peut également compliquer leur maintenance. Quant aux tempêtes de sable, aussi violentes qu’imprévisibles, elles sont susceptibles de paralyser provisoirement l’activité de la base.

M. Alain Marty. Je compléterai l’intervention de Marie Récalde en citant quelques chiffres, qui permettent de comprendre l’activité de la base. Le taux de disponibilité des six appareils est supérieur à 90 %. Chaque avion réalise en moyenne 72 heures de vol par semaine – contre 21 heures sur le territoire national –, soit 4 300 heures de vol en dix mois. Dans le même temps, l’escadrille La Fayette, par exemple, qui compte 23 appareils, en réalisent 5 000. Nous avons pu constater également des tensions sur les matériels, notamment les pods de désignation laser et les jumelles de vision nocturne.

Les hommes souffrent de la fatigue. Le contrat opérationnel exigeant couplé à des vols longs – cinq heures en moyenne – mobilise durablement les personnels navigants ainsi que les équipes au sol chargées de la maintenance et de la préparation des opérations. Grâce aux efforts considérables qui ont été réalisés cette année, les infrastructures de vie sont désormais de bonne qualité et permettent de vivre sur la base de façon assez satisfaisante en dépit du contexte difficile.

J’insiste sur le stress lié à la situation tactique. Compte tenu des théâtres d’engagement, il n’existe en effet aucune zone sûre en cas d’éjection des équipages. Or, les Mirage 2000 étant mono-réacteurs, la crainte d’une panne compromettant le vol est en permanence présente à l’esprit. Nous avons abordé ces sujets avec l’ensemble des personnels, dont le courage force l’admiration. J’ajoute que les ressources humaines sont dimensionnées au plus juste, puisque 230 personnes, dont dix équipages et 68 mécaniciens, font voler les six appareils. Certaines spécialités transverses sont ainsi assurées par une seule personne.

En conclusion, je veux dire combien nous avons été impressionnés par le professionnalisme de nos militaires, leur sens de l’engagement et leur détermination. Leur participation à des missions très dangereuses dans le cadre de cette OPEX complète les efforts fournis sur le territoire national pour assurer la sécurité de notre pays. Cette mission parlementaire est la première à s’être rendue sur cette base, il est vrai récente puisqu’elle n’a qu’un an, et je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir permis de faire ce déplacement. Je crois pouvoir dire que les personnels, que nous avons assurés du soutien de notre commission et de l’Assemblée nationale, ont été sensibles à notre démarche. Nous tenons d’ailleurs à adresser tous nos remerciements au colonel commandant la base pour sa remarquable disponibilité ; il nous a permis de rencontrer l’ensemble des personnels présents, auxquels nous voulons exprimer une fois de plus notre admiration et notre reconnaissance.

Général André Lanata. Je vous remercie de vous être rendus en Jordanie et je transmettrai aux personnels les compliments que vous leur avez adressés. Je salue également leur engagement remarquable dans des conditions éprouvantes. C’est paradoxalement dans de telles situations que nos hommes sont heureux, car leur mission a un véritable sens. Ils parviennent toujours, du reste, à résoudre les difficultés qu’ils rencontrent, du moins celles qui ne relèvent pas des états-majors centraux. C’est sur ce point que je souhaite revenir.

Le taux de disponibilité est en effet de 90 %, car nos dispositifs en opération sont prioritaires, ce qui induit des difficultés de gestion en métropole. Il convient, du reste, de distinguer la suractivité, qui touche à la mise en condition des personnels, et la surintensité, qui affecte les équipements. S’agissant des personnels, la suractivité produit un déséquilibre entre les équipages qui sont en opération et ceux qui restent en métropole et qui volent moins. C’est notamment le cas des plus jeunes, qui ne sont pas encore suffisamment qualifiés pour partir sur des théâtres d’opérations exigeants comme celui de la Jordanie. Nous cherchons donc des solutions pour qu’ils puissent continuer à s’entraîner et à progresser régulièrement afin de pouvoir partir à leur tour sur des théâtres où ils pourront acquérir l’indispensable expérience opérationnelle. Quant à la surintensité, nous cherchons à la compenser en nous efforçant de régénérer nos équipements – je pense en particulier aux avions. Tel est l’objet de certaines dispositions de la loi d’actualisation de la LPM, dans le cadre de laquelle nous avons également réclamé l’acquisition de pods de désignation laser et de jumelles de vision nocturne (JVN) supplémentaires. L’actualisation de la LPM vise en effet à ajuster la trajectoire à l’effort que nous réalisons en opération.

Par ailleurs, j’ai bien conscience de la situation tactique et des dangers inhérents au survol d’une zone hostile. C’est la raison pour laquelle nous accordons une attention particulière à la capacité de sauvetage en zone hostile, qui est aujourd’hui principalement assurée par les Américains sur les théâtres syrien et irakien. Nous sommes en effet parfaitement conscients des conséquences humaines et politiques de l’éventuelle capture d’un équipage.

Nous disposons de deux bases aériennes à partir desquelles opérer sur ce théâtre : l’une est en Jordanie, la base aérienne projetée que vous avez évoquée. L’autre, aux Émirats arabes unis, souligne la pertinence de notre dispositif pré-positionné. Bien entendu, la base des EAU est plus éloignée, mais, pour éviter la dispersion de nos stocks, qui constitue une contrainte importante dans la tenue de nos dispositifs, nous avons préféré maintenir la cohérence des flottes. Ainsi, la base des EAU accueille exclusivement des Rafale et celle de Jordanie des Mirage 2000.

M. Alain Marty. Nous avons assisté au départ d’une patrouille et nous avons été touchés par la cohésion qui règne au sein de l’équipe.

J’en viens maintenant à mes questions, général. Comment l’armée de l’air va-t-elle gérer dans la durée l’extension de l’opération Chammal au territoire syrien, compte tenu des conditions opérationnelles difficiles pour les hommes et les matériels que nous venons de décrire ? En ce qui concerne la base, cette extension pourra-t-elle s’effectuer à moyens constants ou la BAP est-elle appelée à « monter en puissance » ?

Mme Marie Récalde. La BAP accueille actuellement des Mirage 2000D et 2000N. Les exigences opérationnelles relatives aux OPEX permettront-elles de maintenir le calendrier de passage au « tout Rafale » ou certains appareils devront-ils être maintenus en service plus longtemps – je pense en particulier aux Mirage 2000N ?

Par ailleurs, le programme « Cognac 2016 », devenu FOMEDEC, nous avait été présenté par votre prédécesseur. Le maintien d’une préparation opérationnelle différenciée, qui permet de disposer d’un premier cercle de forces employables avec un très haut niveau de réactivité, est important et salué, mais le rythme actuel des OPEX, qui créé un besoin accru de MCO, permet-il de maintenir ces objectifs ?

M. Christophe Guilloteau. Je m’associe, mon général, à l’hommage que vous avez rendu à votre prédécesseur, qui est parti pour Norfolk – et c’est une chance pour la France –, car il a beaucoup fait pour l’armée de l’air. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes du projet FOMEDEC, qui est important et structurant pour l’armée de l’air française ?

M. Jean-Jacques Candelier. Airbus aurait pris du retard dans la livraison des A400M, prévue en 2015. En outre, ces avions ne seraient pas dotés des capacités de largage de parachutistes par les portes latérales et de ravitaillement des hélicoptères en vol. Qu’en est-il exactement et qu’est-il prévu pour 2016 ? Par ailleurs, la France multipliant les opérations extérieures, notre aviation est très sollicitée. Avons-nous réellement les capacités aériennes nécessaires et les moyens de nos ambitions à moyen et long terme ? Le conflit qui nous oppose à l’EI ne se terminera pas en quinze jours. Enfin, partisan de la parité à tous les niveaux, je souhaiterais connaître le pourcentage d’aviatrices parmi les pilotes de chasse.

M. Yves Fromion. Est-il arrivé, au cours des dernières opérations, que nos équipages soient visés par des missiles antiaériens ou la réaction ennemie s’est-elle limitée à l’emploi d’armes légères ? Deuxièmement, en quoi l’actualisation de la LPM, qui semble avoir surtout bénéficié à l’armée de terre, améliore-t-elle la situation de l’armée de l’air ?

M. Joaquim Pueyo. En tant que président du groupe d’amitié France-Émirats arabes unis, j’ai visité, il y a un an et demi, lors du voyage officiel du président de la République, la base interarmées d’Abou Dhabi. Lorsque je l’ai rencontré, le ministre des Affaires étrangères des EAU m’a beaucoup parlé de cette base. Les Émirats sont en effet très actifs dans la lutte contre Daech, et le ministre m’a semblé attentif aux relations que pourraient avoir, dans ce cadre, l’aviation française et celle des Émirats, qui est composée de bons éléments et qui intervient actuellement au Yémen. Quelle est votre position sur ce point ? Par ailleurs, je souhaiterais savoir si les effectifs présents sur la base de Jordanie vous paraissent suffisants. Permettent-ils d’assurer la formation et le roulement des personnels ? Des renforcements sont-ils envisagés du fait des perspectives offertes par l’actualisation de la LPM ? Enfin, l’entretien du matériel et le budget prévu vous paraissent-ils également suffisants ? J’ai eu le sentiment, en vous écoutant, que nous étions sur la bonne voie en ce domaine…

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Ma première question porte sur l’éventuel report de la réalisation du projet FOMEDEC. Le général Mercier nous avait indiqué que ce projet permettrait d’économiser environ 100 millions par an. Ce retard signifie-t-il que le montant de ces économies devra être revu à la baisse ?

Ma seconde question concerne le dépyramidage. Vous avez indiqué qu’en 2015, vous aviez atteint le maximum de ce qu’il était possible de faire. Estimez-vous, compte tenu des opérations extérieures dans lesquelles vous êtes engagés, que les objectifs qui vous ont été fixés dans la LPM sont difficiles à atteindre ?

Général André Lanata. De nombreuses questions ont trait à notre capacité à durer. Aujourd’hui, j’estime, madame Récalde, qu’avec les six mirages 2000D et les six Rafale dont nous disposons, notre dispositif est adapté aux opérations menées au Levant. Mais il est bien évident que si celles-ci devaient s’intensifier, il nous faudrait l’ajuster. Dans les domaines où nous avons traditionnellement besoin de nos alliés, c’est-à-dire le ravitaillement en vol et la surveillance, il nous faudrait également adapter nos capacités. Pourquoi avons-nous engagé des Mirage 2000N en Jordanie – ainsi, d’ailleurs, que des Mirage 2000C au Sahel ? Nous nous sommes aperçus que les unités de Mirage 2000D étaient trop sollicitées – le taux d’engagement était de l’ordre de 50 % – pour que nous puissions poursuivre cet engagement dans la durée : nous aurions « rincé » les unités, non pas tant au plan technique qu’au plan humain. Nous avons donc allégé la pression sur les unités de Mirage 2000D en proposant la mise à disposition de Mirage 2000N de manière à organiser des patrouilles mixtes.

Pour remédier aux tensions que connaît la flotte des Mirage 2000, qui sont très sollicités, nous avons pris la décision, dans le cadre de l’actualisation de la LPM, de prolonger des Mirage 2000C, autant pour répondre aux besoins de nos opérations que pour compenser le potentiel consommé par l’accompagnement du soutien export de la flotte Rafale, puisqu’une partie des heures de vol de cette dernière est consacrée à la formation des équipages des pays clients de cet équipement.

Pour durer, la rénovation du Mirage 2000D est donc absolument nécessaire, car c’est cette flotte pivot qui nous permet de garantir le format de l’armée de l’air et notre capacité à tenir nos opérations dans la durée. Aujourd’hui, la cible de ce programme d’armement est de 45 avions rénovés, sachant que nous disposons de 71 avions en parc. Si les opérations devaient s’intensifier ou durer très longtemps, nous aurions donc toujours la possibilité de rénover davantage de Mirage 2000D. La rénovation de 10 Mirage 2000D supplémentaires permettrait en outre de prendre en compte l’attrition sur la période 2020-2032 pour maintenir 185 avions de chasse en parc au sein de l’armée de l’air.

J’en viens au projet FOMEDEC, qui a fait aussi l’objet de plusieurs questions. Ce projet participe également de notre capacité à durer et de la modernisation de nos capacités. De fait, les objectifs que nous poursuivons sont multiples en la matière. Il s’agit, en premier lieu, de moderniser la formation des pilotes de chasse. Cette modernisation est rendue nécessaire par le fossé important qui existe actuellement entre les Alpha Jet employés au début de la formation et la génération du Rafale. L’Alpha Jet est en effet un avion des années 1980 ; il ne dispose donc pas d’un système d’armes nous permettant de former correctement nos pilotes de chasse. Mais la modernisation de la formation participe d’une transformation beaucoup plus complète qui combine, outre le remplacement des Alpha Jet par une flotte plus économique, une adaptation de notre modèle RH – qui devrait permettre de réaliser des gains sur la plateforme de Tours et le soutien des Alpha Jet –, une restructuration – grâce au basculement de l’activité de Tours sur Cognac – et une évolution vers le nouveau format de l’aviation de chasse tel qu’il est prévu dans la LPM, en permettant la création d’un deuxième cercle d’équipages qui renforcera le premier si celui-ci est trop sollicité en opération.

Pour ce faire, nous prévoyons un dispositif qui inclut la formation des pilotes de chasse et la préparation opérationnelle du deuxième cercle d’équipages. Il s’agit, non pas de les former ab initio sur ce nouveau type d’appareils, mais, une fois qu’ils auront une expérience opérationnelle en unité de combat, de les maintenir à niveau grâce à une activité équilibrée comprenant 40 heures de vol par an sur avion de combat et le reste sur ces appareils modernisés qui leur permettront de se remettre à niveau pour être engagés sur les théâtres d’opérations. Ce deuxième cercle devrait être composé d’une cinquantaine d’équipages.

J’ajoute, pour être complet sur ce chapitre, que ce dispositif exige que nous nous appuyions sur des appareils plus modernes, qui embarqueront de la simulation représentative d’un système d’armes moderne, et plus économiques. Tels sont les deux paramètres que l’armée de l’air a fait figurer dans son expression de besoins. L’appel d’offres est en cours : aujourd’hui, la balle est dans le camp de la DGA. Bien entendu, le plus tôt sera le mieux. L’armée de l’air envisageait initialement une mise en service en 2016, mais les discussions ont un peu traîné et la contractualisation est longue, en raison du montage que nous voulons réaliser. En effet, cette contractualisation ne concerne pas que l’acquisition des équipements : nous achetons également la prestation permettant de produire les heures de vol sur la base de Cognac. Je pense aujourd’hui que la mise en service opérationnelle aura lieu au plus tard en 2018. Je précise que nous avons compensé au mieux, dans le cadre des travaux de VAR, le delta financier afin d’intégrer le retard du programme. J’espère que les premiers appareils seront livrés en 2017. Enfin, le chiffre de 100 millions d’économies annuelles réalisées sur l’ensemble des périmètres – RH, heures de vol et carburant – est exact.

M. Candelier m’a interrogé sur le programme A400M. Celui-ci a en effet rencontré des difficultés dont la presse s’est fait l’écho. La DGA a engagé un dialogue direct avec Airbus, car nous avons un impérieux besoin de renforcer notre capacité dans ce domaine. Initialement, nous devions recevoir quatre avions en 2015 ; en raison des capacités de production d’Airbus, seuls deux avions seront livrés à l’armée de l’air en 2015, portant notre flotte à huit avions. En tout état de cause, il nous a été garanti que ces livraisons seraient rattrapées d’ici à 2018. Par ailleurs, les premiers A400M n’ayant pas été livrés aux standards tactiques définitifs de l’appareil, il a été convenu avec Airbus que ceux-ci seraient rattrapés à partir de 2016, date à laquelle serait livré le premier avion disposant de toutes les capacités, y compris l’aéro-largage de parachutistes et le largage de charges – l’autoprotection et l’atterrissage sur terrain sommaire constituent également deux capacités essentielles pour faire de cet avion un véritable avion tactique. Aujourd’hui, l’industriel nous dit pouvoir être au rendez-vous en 2016 pour ce qui est des standards tactiques et être capable de « rétrofiter » des appareils qui nous auront déjà été livrés, de manière à ce que l’armée de l’air dispose de six avions avec leurs capacités tactiques avant la fin 2016. Nous attendons une confirmation : une discussion sur ce point est en cours entre la DGA et Airbus.

Pour être complet sur cette capacité de transport tactique, qui est essentielle en particulier au Sahel, où il faut ravitailler des forces stationnées aux confins du désert, je précise que nous nous appuyons sur des A400M en phase de maturation opérationnelle, d’une flotte vieillissante de C-160, dont les coûts d’exploitation augmentent, et d’un noyau de C-130, qui constitue en quelque sorte notre flotte pivot. Mais certains de ces avions sont également âgés. C’est pourquoi nous avons demandé, dans le cadre de l’actualisation de la LPM, l’acquisition de quatre C-130 supplémentaires. Aujourd’hui, deux options sont à l’étude : la première consisterait à acquérir des avions d’occasion, mais ces derniers sont bien souvent relativement vieux, la seconde à acquérir des avions neufs aux États-Unis. Nous pourrions ainsi moderniser cette capacité, que j’estime par ailleurs pérenne car, du point de vue de l’armée de l’air, une bonne structure de force pour les capacités de projection doit comprendre des cargos stratégiques de type A400M et des cargos médians de type C-130, qui porteraient par ailleurs la mission des forces spéciales, les deux flottes étant, il est important de le souligner, complémentaires.

Quant à notre capacité à durer sur le long terme, c’est une question que je me pose. J’estime que l’actualisation de la LPM nous permet de nous adapter à l’intensité des opérations. Nous estimons pouvoir durer au rythme d’engagement actuel–, mais si les opérations devaient encore s’intensifier, il faudrait procéder à de nouveaux ajustements.

En ce qui concerne la féminisation de l’armée de l’air, je peux vous indiquer que les femmes représentent 6 % du personnel navigant, 11 % des mécaniciens et 34 % des soutiens, pour un total supérieur à 20 %.

Par ailleurs, les avions en opération ont essuyé surtout des tirs de petit calibre en République Centrafricaine, dans le cadre de l’opération Sangaris. En revanche, au Levant, sur le théâtre Chammal uniquement, ainsi qu’en Libye en 2011 et en Afghanistan, des tirs de missile ont été détectés par les systèmes d’armes des avions.

Quant à l’actualisation de la LPM, elle visait à assurer notre capacité à durer, d’une part, sur le territoire national, d’où un effort portant principalement sur les effectifs de l’armée de terre, et, d’autre part, sur les théâtres d’opérations extérieures, d’où une série d’ajustements qui ont apporté, pour les trois armées, une réponse que nous avons estimée équilibrée, dans la limite de l’effort budgétaire possible, entre les effectifs, les équipements et le maintien en condition de ces derniers pour garantir leur régénération dans la durée. Il s’agit d’une réponse ciblée nous permettant de durer en opération.

En ce qui concerne les effectifs de l’armée de l’air, l’actualisation de la LPM a prévu une moindre déflation de 1 300 postes, qui permet principalement d’améliorer la situation de nos effectifs dans certains domaines : drones, protection, commandement et contrôle et soutien à l’export. Quant aux équipements, il s’agit de pods de désignation laser, d’équipements destinés aux forces spéciales, de C-130 et de leurs missiles. Surtout, un peu moins que la moitié de l’enveloppe de 500 millions dédiée au MCO est directement consacrée à l’entretien des matériels aéronautiques et nous permettra d’accélérer la régénération de certains équipements, en particulier pour les flottes de transport et de chasse, et, dans une moindre mesure, pour le ravitaillement en vol.

L’actualisation de la LPM est donc une réponse à la capacité à durer de l’armée de l’air, compte tenu contexte sécuritaire et opérationnel actuel.

En ce qui concerne la base d’Abou Dhabi, je partage, monsieur Pueyo, l’appréciation que vous portez sur le partenariat privilégié que nous avons avec les EAU et leurs autorités militaires, qui font preuve d’un niveau opérationnel remarquable. Je sais que mon prédécesseur entretenait d’excellentes relations avec ses homologues émiratis – que je rencontrerai en novembre – et je compte bien maintenir ces contacts pour bâtir un partenariat avec les autorités de ce pays.

M. Joaquim Pueyo. Je précise que l’ambassadeur de France aux Émirats est, depuis quelques mois, un général, très proche du gouvernement de la fédération.

Général André Lanata. S’agissant du dépyramidage, je considère en effet que nous avons atteint une limite. En conséquence, les marges de manœuvre ne peuvent être trouvées que dans le cadre d’une redéfinition du partage de la charge au sein du ministère ou en prenant de nouvelles mesures concernant la restructuration de notre dispositif. Une très grande partie de ces officiers se trouve en effet actuellement en dehors de l’armée de l’air. Il faudrait donc, le cas échéant, que nous entamions des discussions avec les organismes qui les emploient.

M. Philippe Meunier. Lorsque nous sommes intervenus en Serbie, deux pilotes de Mirage 2000 se sont éjectés en zone de combat. Si tel devait être le cas en Syrie, quel serait le statut de nos pilotes dans la zone tenue par le gouvernement légal ?

Général André Lanata. En Syrie – je compléterai ma réponse, si besoin est, en interrogeant les personnes en charge des opérations –, nous intervenons principalement pour cibler des objectifs liés à Daech, donc situés en dehors des zones contrôlées par le gouvernement légal. Aussi l’éventualité d’une éjection est-elle une véritable préoccupation. À cet égard, les capacités de recherche et de sauvetage en zone de combat sont centrales, pour des raisons humaines et politiques. C’est pourquoi nous attachons de l’importance au développement de cette capacité. Je précise cependant que le Rafale est un biréacteur, ce qui réduit les possibilités d’une éjection en zone hostile.

Mme la présidente Patricia Adam. Général, je vous remercie.

Après l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lors de la commission élargie (voir le compte rendu de la réunion du 21 octobre 2015 à 16 heures 15 (3)), la commission de la Défense examine, pour avis, les crédits de la mission « Défense » pour 2016.

Article 24 : État B – Mission « Défense »

La commission examine l’amendement DN3 de M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Cet amendement propose de diminuer les crédits affectés à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire pour abonder la dotation annuelle consacrée aux opérations extérieures (OPEX). Je rappelle que la composante aéroportée ne représente que 15 % des missions de la dissuasion, qu’elle coûte environ 300 millions d’euros par an, et que cette somme est appelée à augmenter du fait du renouvellement des missiles ASMP-A. En effet, comme vous le savez, nous concevons des missiles dont la durée de vie est de 25 ans mais nous finançons leur remplacement dès leur mise en service.

J’attire également l’attention sur le fait que des voix de plus en plus nombreuses contestent le caractère indispensable de cette composante. Nous en avons eu la démonstration au cours du cycle d’auditions organisé en 2014, y compris de la part d’anciens responsables militaires. Par ailleurs l’actualité est venue nous rappeler que nos soldats déployés en opérations disposent de matériels souvent usés voire dégradés. Cela a été évoqué dans la discussion générale.

Cet amendement propose donc, dans un esprit pragmatique, de supprimer les crédits uniquement affectés à la composante aéroportée de la dissuasion – les crédits transversaux étant maintenus – pour abonder les crédits relatifs aux OPEX.

M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis. En 2014, notre commission a organisé un cycle d’auditions sur la dissuasion nucléaire au cours duquel nous avons entendu l’ensemble des acteurs. Le général Mercier, alors chef d’état-major de l’armée de l’air, avait assuré qu’un tel effet d’éviction n’existait pas. Il soutenait au contraire, et nous le rejoignons sur ce point, que les forces aériennes stratégiques « tirent vers le haut » les forces conventionnelles aussi bien pour le ravitaillement en vol, la planification des missions ou encore l’entraînement. Par ailleurs cette mission ne représente que 7 % de l’ensemble des crédits de la dissuasion. Je pense que cela fragiliserait nos armées de réduire les crédits affectés à la dissuasion et j’émets donc un avis défavorable à l’amendement.

M. François de Rugy. Je me souviens parfaitement de l’audition du général Mercier. Je l’avais interpellé suite à ses propos et je ne me souviens pas qu’il ait avancé d’argument concret à l’appui de ceux-ci. Nous sommes en réalité dans l’ordre de la proclamation, mais cela est courant sur ce sujet.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN3. Elle examine ensuite l’amendement DN2 de M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Cet amendement propose de rompre avec le principe souvent évoqué de « sanctuarisation » des dépenses dans le domaine de la dissuasion nucléaire. Il y a souvent débat autour de la crédibilité de cette dissuasion et des crédits qui y sont affectés. Mais la dissuasion doit être fondée sur un éventail de forces, et la crédibilité de la défense française doit aussi être fondée sur la crédibilité des forces conventionnelles.

Or ces forces conventionnelles souffrent d’un effet d’éviction et, parfois, d’un déclassement capacitaire. Elles nécessitent d’être entretenues, modernisées ou remplacées. Je rappelle que nos missiles M 51 transportent chacun une charge nucléaire équivalente à 35 fois la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima.

Autant dire qu’avec trois jeux de 16 missiles M 51 et 45 missiles ASMP-A, nous avons atteint le paroxysme de notre force de dissuasion nucléaire. Aussi le présent amendement propose-t-il de diviser par deux les crédits alloués aux études amont qui auraient vocation à permettre une énième modernisation de nos capacités de dissuasion. Ils seraient redéployés afin de satisfaire les besoins plus urgents de nos forces conventionnelles : financement de la politique immobilière afin de réaliser les travaux nécessaires aux troupes déployées notamment dans le cadre de l’opération Sentinelle, et pour accompagner les effectifs supplémentaires déployés dans les unités de la FOT.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure pour avis. Cet amendement propose de diviser par deux le budget des études amont nucléaires. Bien que je pense comme vous qu’il est nécessaire de donner à nos forces conventionnelles les moyens de remplir leurs missions, je ne peux souscrire à la réduction que vous proposez.

En effet, le niveau des crédits accordés aux études amont « nucléaire » dans le cadre du programme 144 suit les recommandations formulées dans le Livre blanc ainsi que les dispositions de la loi de programmation militaire, qui font de la dissuasion nucléaire un élément essentiel de la stratégie de défense nationale.

Or, une dissuasion forte est une dissuasion qui évolue et élève son niveau technologique afin de maintenir sa crédibilité. Il ne peut donc être question de réduire les crédits permettant cette évolution. J’émets donc un avis défavorable.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement DN2. Elle examine ensuite l’amendement DN1 de M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion. Je n’en voudrais à personne de voter contre mon amendement ! Il n’avait d’autre intérêt que de permettre d’avoir le débat sur la question du financement de l’opération Sentinelle. Les propositions de réaffectation de crédits ne sont évidemment pas opérantes ; je fais de « l’économie circulaire », ce qui n’apporte rien, mais on a les arguments qu’on peut avec les moyens que l’on a ! (Rires). Je souhaite que l’on évoque ce débat dans l’Hémicycle pour montrer que les parlementaires aident le ministre de la Défense dans sa lutte pour obtenir un financement interministériel des missions intérieures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous allons donc remercier M. Fromion d’avoir déposé cet amendement visant à aider le ministre !

M. Charles de la Verpillière, rapporteur pour avis. Tout le monde a compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel. Plusieurs intervenants ont souligné au cours de cette réunion les incertitudes qui pèsent sur le financement des surcoûts des missions intérieures en 2015 et à l’avenir. Pour ma part, je n’ai pas été rassuré par la réponse du ministre, qui utilise toujours un langage et un vocabulaire extrêmement précis. Or, vous aurez remarqué qu’il a parlé de « discussion interministérielle » et absolument pas de « financement interministériel ». L’amendement de notre collègue est donc particulièrement bienvenu et j’y émets un avis favorable.

Contre l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN1. Elle examine ensuite l’amendement DN7 de Mme Isabelle Bruneau.

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure pour avis. La subvention pour charges de service public prévue dans le PLF 2016 pour l’Office national d’études et de recherche aérospatiale (ONERA) est insuffisante. En effet, les 105 millions d’euros proposés ne permettront pas à l’ONERA de présenter un budget équilibré pour l’année à venir.

Cet amendement se propose d’augmenter de 15 millions d’euros la subvention allouée à l’ONERA afin d’assurer l’avenir de cet office, indispensable à la recherche aérospatiale militaire et civile. Il propose ainsi d’augmenter, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, de 15 millions d’euros la sous-action 07-04 « Gestion des moyens et subventions » de l’action « Prospective de défense » du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

En conséquence, il propose de retirer en autorisations d’engagement et en crédits de paiement cette somme modeste des actions suivantes dont la conduite ne sera pas remise en question pour autant :

– 10 millions d’euros sur la sous-action 07-36 « Communiquer-CONTACT » de l’action « Commandement et maîtrise de l’information » du programme 146 « Équipement des forces » ;

– cinq millions d’euros sur la sous-action 11-90 « Investissements pour les opérations d’armement » de l’action « Préparation et conduite des opérations d’armement » du même programme.

Mme la présidente Patricia Adam. Je souhaite expliquer pourquoi j’ai cosigné cet amendement. J’ai bien entendu la réponse donnée par le ministre de la Défense précisant qu’il attendait le plan stratégique de l’ONERA pour conclure une convention avec lui, ce qui permettrait d’abonder son budget. Je comprends tout à fait la nécessité d’une telle convention dès lors que le ministère de la Défense assure 50 % du budget de l’ONERA. L’amendement proposé permet justement à la convention de s’appliquer puisque le budget pour 2016 est en déficit. Or si les ressources ne sont pas au rendez-vous il y aura des choix à faire, y compris peut-être au niveau des personnels de l’ONERA – entre autres. Je soutiens donc cet amendement et le voterai.

M. Yves Fromion. Ayant longtemps été rapporteur du programme 144, je ne peux souscrire à cet amendement. Sur le fond, vous avez raison : l’ONERA ne dispose pas de ressources suffisantes. Mais enlever des crédits au programme « Équipement des forces » qui est déjà sous-doté n’est pas envisageable. La démarche au titre d’un amendement d’appel est intéressante, mais nous ne pouvons retirer une somme aussi considérable à nos forces armées qui ont besoin de tous les crédits possibles pour être équipées convenablement. Je saisis l’intérêt de l’amendement mais, aujourd’hui, l’équipement des forces est sacré.

La commission rejette l’amendement DN7.

Après avoir entendu les conclusions du rapporteur pour avis s’en remettant à la sagesse de la commission, celle-ci émet un avis favorable à l’adoption des crédits « Préparation et emploi des forces : Air » de la mission « Défense ».

ANNEXE

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis

(par ordre chronologique)

—  M. le général Bernard Schuler, commandant les forces aériennes stratégiques et M. le lieutenant-colonel Nicolas André, assistant militaire ;

—  M. le général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, M. le colonel Marc Surville et M. le lieutenant-colonel Olivier Kaladjian ;

—  M. Christophe Fournier, directeur des plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’armement et M. Jean-Baptiste Paing ;

—  M. le général Jean-Jacques Borel, commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes et M. le lieutenant-colonel Julien Moreau, assistant militaire ;

—  M. le général Guy Girier, directeur central de la structure intégrée de maintenance des matériels aéronautiques, M. l’ingénieur général de l’armement Patrick Armando, directeur adjoint « industrie », M. le capitaine de vaisseau Éric Plaire, chef de la division « stratégie méthode et réglementation » et M. le colonel Jean-Denis Berthon, sous-directeur de la comptabilité et du budget ;

—  M. Patrick Dufour, directeur central du service industriel de l’aéronautique.

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