N° 3117 tome V - Avis de M. Éric Ciotti sur le projet de loi de finances pour 2016 (n°3096)



N
° 3117

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 3096)
de
finances pour 2016

TOME V

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

ASILE

PAR M. Éric CIOTTI

Député

——

Voir les numéros : 3110-III-30.

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2015 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, l’intégralité des réponses attendues était parvenue à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur de leur collaboration.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. UNE CROISSANCE DES CRÉDITS SANS RAPPORT AVEC LES ENJEUX 7

A. L’ACTION « GARANTIE DE L’EXERCICE DU DROIT D’ASILE » 8

1. La subvention de fonctionnement de l’OFPRA 9

2. Le financement de l’accueil et de l’hébergement des demandeurs d’asile 10

3. L’allocation pour demandeurs d’asile 12

B. L’ACTION « ACCOMPAGNEMENT DES RÉFUGIÉS » 13

II. UNE CRISE MAJEURE GÉRÉE SANS PERSPECTIVE STRATÉGIQUE 14

A. UN AFFLUX MASSIF DE MIGRANTS 15

1. Une croissance exponentielle des différents flux 15

2. Des réfugiés venus de zones de guerre 16

3. Un effet d’aubaine pour les migrations économiques 16

B. LES HÉSITATIONS DE L’EUROPE 18

1. La saturation du système de Dublin 19

2. Une absence d’harmonisation patente entre les États européens 20

3. La politique erratique de l’Allemagne et son impact 22

4. Des décisions qui ne règlent rien 23

C. UN ENGAGEMENT FRANÇAIS OBSCUR ET DÉSORDONNÉ 24

1. Des coûts déjà incertains 24

2. Une stratégie fondée sur des hypothèses irréalistes 26

3. Un surplus de dépenses non chiffré 27

4. Un report de la charge de l’accueil vers les communes 29

5. Les risques inhérents à un accueil massif 30

D. L’EXEMPLE AUSTRALIEN, ENTRE RÉALISME ET DÉTERMINATION 31

EXAMEN EN COMMISSION 35

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 75

Mesdames, Messieurs,

Nous savons ce que disait Edgar Faure des discussions budgétaires : « litanies, liturgie, léthargie ». Le contexte dramatique d’aujourd’hui impose pourtant une prise de conscience et un débat de fond sur les crédits relatifs à l’asile. Depuis le début de l’année, 615 000 personnes ont tenté de rejoindre le continent européen. Depuis le début de l’année, plus de 3 100 d’entre elles y ont perdu la vie, transformant la Méditerranée en un véritable cimetière marin.

Cette crise internationale, qui ne semble malheureusement pas devoir se résorber prochainement, se double d’une crise durable de la politique d’asile. Cette dernière n’est ni nouvelle, ni inédite, ni inconnue. Les alertes ont été nombreuses : la Cour des comptes au printemps et à l’automne 2015, le Comité d’évaluation et de contrôle de notre assemblée en 2014 et, chaque automne depuis 2012, les multiples rapports déposés par votre rapporteur pour avis.

Le système français est au bord de l’embolie. Il a connu une hausse exponentielle des demandes qui n’ont été que stabilisées au cours du dernier exercice. Il périclite du fait de la durée d’examen des demandes – près de deux ans –, du stock des dossiers en attente – plus de 27 000 au 30 juin 2015 – et de son coût galopant, chiffré à 2 milliards d’euros par la Cour des comptes et pour moitié imputable au maintien sur le territoire au mépris de nos lois d’étrangers définitivement déboutés (1). Au final, la politique d’asile est devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France.

Dans ce double contexte, national et international, d’échec et de crise, il serait bon de faire l’union des bonnes volontés pour une réforme profonde de notre politique d’asile. Hélas, le Gouvernement a montré à trois reprises en quelques mois que telle n’était pas son intention.

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile a d’abord témoigné d’une réticence à se confronter à la réalité pour faire évoluer les procédures dans un sens pragmatique. L’opportunité de raccourcir les délais de traitement a été manquée : quand le projet de loi initial donnait quatre-vingt-dix jours au demandeur d’asile pour déposer sa demande, la loi lui en octroie finalement cent vingt. Il était possible d’imaginer des procédures facilitant le retour des déboutés dans leur foyer, mais le choix a été fait de reporter ce débat au projet de loi relatif aux droits des étrangers en France, dont nul ne sait quand il reviendra devant l’Assemblée nationale et où, à nouveau, la majorité a obtenu du Gouvernement une extension des délais de jugement.

Par ailleurs, tout au long du printemps, tant le Président de la République que le Premier ministre s’étaient fermement opposés à l’instauration de quotas européens pour la répartition des migrants entre les différents États membres. Ces déclarations de fermeté, seules à même de sauvegarder et de stabiliser le système d’asile français, avaient obtenu un large soutien. Mais l’été a emporté toutes ces promesses : le Gouvernement a consenti, en juin puis en septembre, à l’installation en France de plus de trente mille personnes pour l’heure en Grèce et en Italie. C’est un véritable appel à l’immigration illégale qui a été lancé de la sorte.

Enfin, ce projet de loi de finances est marqué du sceau de l’insincérité. Les coûts des engagements auprès de l’Union européenne n’y apparaissent pas. Les informations qui sont données quant aux amendements qui ne manqueront pas de venir alourdir la facture de la politique d’asile sont volontairement lacunaires, parcellaires, imprécises. Quand le Gouvernement affirme au Parlement que les coûts se cantonneront à la procédure d’asile et à l’hébergement, il donne consigne à ses agents sur les territoires de prendre des dispositions en matière de santé, d’emploi et d’éducation. Il évoque une enveloppe supplémentaire de 276 millions d’euros quand les comparaisons internationales comme les calculs fondés sur les chiffres retenus en avril dernier par la Cour des comptes approchent plus volontiers les 330 à 450 millions d’euros.

Le Gouvernement est en train de bâtir une politique à la fois irresponsable et dangereuse, qui mettra en péril le système de l’asile en n’apportant aucune réponse à une situation qui ne peut plus durer et dont la jungle de Calais n’est qu’un triste exemple chaque jour subi par certains de nos compatriotes.

En conséquence, votre rapporteur pour avis émet un avis défavorable sur les crédits relatifs à la politique de l’asile.

La mission « Immigration, asile et intégration » regroupe deux programmes : le programme « Immigration et asile » (n° 303) et le programme « Intégration et accès à la nationalité française » (n° 104). Les crédits de la mission, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016, atteignent 703,63 millions d’euros en autorisations d’engagement et 702,9 millions d’euros en crédits de paiement. Ceci représente une hausse par rapport à la loi de finances initiale de l’année précédente de 10 % en autorisations d’engagement et de 8 % en crédits de paiement.

RÉCAPITULATION DES AUTORISATIONS D’ENGAGEMENT DE LA MISSION

(en euros)

Numéro et intitulé du programme et de l’action

Loi de finances initiale 2015

Projet de loi de finances 2016

Variation

303 – Immigration et asile

583 842 208

633 262 812

+ 8 %

01 – Circulation des étrangers et politique des visas

1 432 000

560 000

- 61 %

02 – Garantie de l’exercice du droit d’asile

496 567 568

533 300 000

+ 7 %

03 – Lutte contre l’immigration irrégulière

63 632 000

76 624 082

+ 20 %

04 – Soutien

22 210 640

22 778 730

+ 3 %

104 – Intégration et accès à la nationalité

58 014 519

70 369 458

+ 21 %

11 – Accueil des étrangers primo-arrivants

10 424 156

14 644 043

+ 40 %

12 – Actions d’accompagnement des étrangers en situation régulière

30 954 876

24 708 000

- 20 %

14 – Accès à la nationalité française

1 153 737

1 204 515

+ 4 %

15 – Accompagnement des réfugiés

15 481 750

20 575 900

+ 33 %

16 – Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (création)

(néant)

9 237 000

(sans objet)

Total de la mission

641 856 727

703 632 270

+ 10 %

Source : projet annuel de performances pour 2016.

Comme lors des exercices précédents, le projet de loi de finances consacre l’essentiel des crédits de la mission au programme « Immigration et asile ». Il représente 89,9 % des autorisations d’engagement, soit 633,3 millions d’euros, et 90 % des crédits de paiement, soit 632,7 millions d’euros. Ces montants correspondent à des hausses respectives de 8 % et 7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. Au sein de ce programme, les crédits concernés par le présent avis sont ceux de l’action 02 « Garantie de l’exercice du droit d’asile ».

RÉCAPITULATION DES CRÉDITS DE PAIEMENT DE LA MISSION

(en euros)

Numéro et intitulé du programme et de l’action

Loi de finances initiale 2015

Projet de loi de finances 2016

Variation

303 – Immigration et asile

593 416 208

632 678 730

+ 7%

01 – Circulation des étrangers et politique des visas

1 432 000

560 000

- 61 %

02 – Garantie de l’exercice du droit d’asile

496 567 568

533 300 000

+ 7 %

03 – Lutte contre l’immigration irrégulière

73 807 000

76 700 000

+ 4 %

04 – Soutien

21 609 640

22 118 730

+ 2 %

104 – Intégration et accès à la nationalité

58 577 519

70 223 543

+ 20 %

11 – Accueil des étrangers primo-arrivants

10 424 156

14 644 043

+ 40 %

12 – Actions d’accompagnement des étrangers en situation régulière

30 954 876

24 708 000

- 20 %

14 – Accès à la nationalité française

1 716 737

1 058 600

- 39 %

15 – Accompagnement des réfugiés

15 481 750

20 575 900

+ 33 %

16 – Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (création)

(néant)

9 237 000

(sans objet)

Total de la mission

651 993 727

702 902 273

+ 8 %

Source : projet annuel de performances pour 2016.

Au sein du second programme de la mission, « Intégration et accès à la nationalité », seuls les crédits de l’action « Accompagnement des réfugiés » relèvent du présent avis.

Deux des neuf actions de la mission « Immigration, asile et intégration » sont donc relatives à la politique d’asile de la France. Toutefois, elles représentent la plus grande part (79 %) de ses autorisations d’engagement et de ses crédits de paiement.

La « Garantie de l’exercice du droit d’asile » constitue l’action la plus importante de la mission en volume. Avec 533,3 millions d’euros tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement, elle représente plus de 84 % des dotations sollicitées dans le programme n° 303 « Immigration et asile ».

Ces crédits connaissent une augmentation sensible par rapport à la loi de finances pour 2015 (+ 7 %), mais qui doit être considérée très insuffisante au regard des enjeux auxquels la France se trouve confrontée en raison de la dégradation de la situation internationale, notamment au Proche-Orient.

Les principaux postes des dépenses d’asile sont la subvention versée à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le financement de l’accueil et de l’hébergement des demandeurs d’asile, et enfin la nouvelle allocation pour demandeurs d’asile (ADA).

Créé en 1952, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) remplit trois missions principales :

—  l’instruction des demandes d’admission au statut de réfugié et au bénéfice de la protection subsidiaire ;

—  la protection des réfugiés et des protégés subsidiaires (délivrance d’actes et de documents d’état-civil que les personnes sous protection ne peuvent obtenir auprès de leur pays d’origine) ;

—  le traitement de l’asile à la frontière (avis au ministre de l’Intérieur concernant les demandes d’entrée sur le territoire français).

La subvention versée par l’État, qui assure son financement quasi intégral, augmente de 1,4 million d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015, pour atteindre 47,4 millions d’euros (+ 3 %).

Cette augmentation devrait aider l’opérateur à réduire le délai de traitement des demandes d’asile pour approcher l’objectif de 90 jours fixé par le Gouvernement à l’horizon 2016. Elle permet le financement de 20 emplois temps-plein (ETP) supplémentaires pour l’instruction des demandes d’asile. Pour 463 personnels en 2014, l’Office emploie désormais 525 personnes en 2015 ; chiffre porté à 545 ETP par le projet de loi de finances pour 2016. Ce renfort ne sera pas inutile pour résorber la masse de dossiers en attente, soit 15 000 demandes en septembre 2015, même si votre rapporteur pour avis a constaté avec satisfaction une réduction de ce stock de l’ordre de 15 % depuis le début de l’année.

La hausse de la subvention de fonctionnement de l’OFPRA correspond à la stratégie gouvernementale dévoilée au printemps 2015, « Répondre au défi des migrations – Respecter les droits, faire respecter le droit ». Les crédits alloués devaient permettre d’accueillir correctement les réfugiés affluant des rivages oriental et méridional de la Méditerranée. Toutefois, votre rapporteur pour avis souligne que ce « Plan Migrants » répondait aux estimations de l’époque, selon lesquelles les flux seraient d’une ampleur comparable à ceux de l’année 2014. Les événements ont donné tort à ces prévisions, sur lesquelles reposent néanmoins toujours les documents budgétaires présentés au Parlement. Les réponses apportées par le Gouvernement apparaissent, par conséquent, en complet décalage avec les nécessités de la situation.

Les documents budgétaires prévoient de consacrer 348,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement à l’accueil et à l’hébergement des demandeurs d’asile.

Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) constituent des établissements sociaux dont la gestion et la tarification sont régies par le code de l’action sociale et des familles. Ils sont gérés par des associations ou par la société d’économie mixte Adoma. Ce dispositif pérenne d’hébergement compte 267 centres, de taille humaine puisque limités à une centaine de lits chacun, qui fournissent tant le gîte que des prestations d’accompagnement social et administratif.

Les crédits consacrés au financement des places de CADA s’élevaient pour 2015 à 220,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Le projet de loi de finances pour 2016 porte cette dotation à 236,4 millions d’euros soit une hausse de l’ordre de 7 %. Cette croissance s’inscrit dans la continuité de la trajectoire poursuivie au cours des précédentes années. En quinze ans, le nombre de places offertes en CADA aura plus que sextuplé, passant de 5 282 places en 2011 à 25 637 places fin 2014. L’année 2015 devrait voir la création de 5 000 places supplémentaires – dont 1 000 seulement étaient opérationnelles à la fin de l’été, 4 000 restant au stade de l’appel d’offres d’après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis. Le projet de loi de finances prévoit l’ouverture de 3 500 nouvelles places en 2016.

Le coût moyen d’un hébergement en CADA apparaissait stable depuis plusieurs années, aux alentours de 24 euros par jour. Néanmoins, la fusion des allocations versées aux demandeurs d’asile prévue par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, qui retire aux centres la charge de verser l’allocation mensuelle de subsistance, et la diminution du taux d’encadrement des demandeurs hébergés – passant de un pour quinze à un pour vingt – auront pour effet mécanique une diminution du prix de la nuitée. Celle-ci devrait s’établir, à partir de 2016, à 19,45 euros.

La question de la répartition des places d’hébergement sur le territoire reste posée, les flux de demandeurs ne s’y répartissant pas de façon uniforme. Les régions Île-de-France et Rhône-Alpes sont particulièrement sollicitées, accueillant plus de la moitié des demandeurs d’asile du pays. Cette situation n’est pas nouvelle puisque, en 1995, 62 % des demandeurs d’asile se présentaient en région parisienne. 16 050 demandeurs d’asile résidant en Ile-de-France étaient en attente d’une place de CADA en février 2013, soit 52,6 % du total des demandeurs en attente d’une place. L’adaptation de la demande et de l’offre de places en CADA n’est donc pas seulement un défi en termes de politique d’asile, c’est aussi un enjeu en matière d’aménagement du territoire.

Les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile se montent à 111,5 millions d’euros en autorisation d’engagement et en crédits de paiement. Ce dispositif est voué à compléter le parc de places de CADA en accueillant, à titre transitoire, les personnes en attente d’une place ainsi que les demandeurs dont l’examen de la situation relève d’un autre État membre de l’Union européenne, qui bénéficient du droit de se maintenir en France jusqu’à la fin de la procédure d’instruction et, le cas échéant, jusqu’à leur réadmission sur le territoire de cet État. Un peu moins de vingt mille places sont ainsi disponibles :

– un tiers des places (6 600 lits) fait l’objet d’un conventionnement central entre le ministère de l’Intérieur et les opérateurs de l’asile, notamment la société d’économie mixte Adoma. Ces places seront principalement destinées, d’une part, à l’hébergement de demandeurs d’asile arrivant en Île-de-France afin d’éviter la constitution de campements et de bidonvilles, et, d’autre part, à l’accueil des migrants déposant une demande d’asile en France et se trouvant alors dans le Calaisis ;

– les 12 760 places restantes seront gérées au niveau déconcentré par les préfets qui financent l’hébergement d’urgence en hôtel ou en structures collectives.

Le montant total des crédits prévus pour ces deux dispositifs accuse une diminution sensible et continue, passant de 125 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement en 2013 à 111,5 millions d’euros pour l’année 2016. Le coût journalier estimé de ces dispositifs s’établit à entre 15,65 et 16 euros la place. Le Gouvernement justifie la baisse de ces crédits, d’une part, par l’augmentation des moyens alloués à l’OFPRA, qui devrait entraîner une diminution des délais d’instruction et, d’autre part, par la création déjà évoquée de places supplémentaires en CADA.

Par le passé déjà, votre rapporteur pour avis avait estimé ces prévisions peu réalistes, voire insincères. Il se trouve dans l’obligation de réitérer les critiques adressées à l’occasion des exercices budgétaires précédents.

En premier lieu, les crédits alloués d’année en année se sont systématiquement avérés insuffisants pour répondre à la demande d’hébergement des demandeurs d’asile. En 2014, alors même que plus de 19 000 places étaient à la disposition des services déconcentrés (soit 50 % de plus que ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2016), les fortes tensions qu’avaient connues certains départements avaient nécessité des crédits complémentaires de 39,6 millions d’euros au titre de l’hébergement d’urgence – en particulier en Basse-Normandie, Lorraine, Rhône-Alpes, Ile-de-France et Nord-Pas-de-Calais.

Ensuite, la création de 5 000 places en CADA prévue en 2015 n’est effectivement réalisée que pour un cinquième d’entre elles. Si du retard devait avoir lieu, ce qui est probable, les bénéficiaires en attente se reporteraient vers le dispositif d’hébergement d’urgence. En outre, il est tout aussi probable que les 3 500 places escomptées en 2016 ne seront pas, non plus, ouvertes dès le début de l’année, suscitant également un transfert de charge.

Enfin, il n’est pas certain que les gains de productivité réalisés par l’OFPRA se poursuivent alors même qu’un grand nombre de demandeurs d’asile se dirige vers l’Union européenne et que la France s’est engagée à accueillir 33 000 d’entre eux. Il conviendra que ces personnes bénéficient d’un hébergement décent et il n’est pas certain que toutes acceptent de demeurer dans les centres d’accueil installés en Italie et en Grèce le temps de l’instruction de leur dossier. Les coûts relatifs à l’hébergement d’urgence semblent donc promis, une nouvelle fois, à dépasser le plafond fixé par le projet de loi de finances.

c. L’accompagnement social des demandeurs d’asile

Un montant de 250 000 euros est destiné à financer plusieurs actions de prise en charge médico-psychologique de demandeurs d’asile victimes de torture ainsi que la prise en charge sociale des demandeurs d’asile.

Par ailleurs, des crédits à hauteur de 250 000 euros sont prévus pour le financement des protocoles transactionnels relatifs à des projets portés par certaines associations. Le Fonds européen pour les réfugiés concourt à la réalisation de ces initiatives.

Au total, un montant de 500 000 euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement est donc prévu au titre de l’accompagnement social pour 2016. Cette dotation est stable par rapport à l’exercice précédent.

Le principe d’un soutien financier aux demandeurs d’asile est issu de la directive européenne 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative aux normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres. L’article 13.2 de celle-ci prévoit que « les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs ». L’article 13.5 précise par ailleurs que « les conditions d’accueil matérielles peuvent être fournies en nature ou sous la forme d’allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules ».

L’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), créée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, répond désormais à cette obligation européenne. Elle est versée aux demandeurs d’asile pendant toute la durée de la procédure d’instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), dès lors qu’ils ont accepté l’offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour. Elle est gérée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

D’un montant moyen de 8,49 euros par jour et par personne, l’ADA se substitue à deux dispositifs :

– l’allocation temporaire d’attente (ATA), qui était versée, à défaut de place en CADA, aux demandeurs d’asile pendant toute la durée d’instruction de leur demande. Le montant de l’ATA s’élevait, en 2014, à 11,35 euros par jour, soit 340,50 euros pour un mois de trente jours. Sa gestion, y compris les décisions d’attribution et de rejet, était confiée à Pôle emploi ;

– l’allocation mensuelle de subsistance (AMS), versée par le CADA, qui succédait à l’ATA une fois le demandeur d’asile accueilli dans le centre. Son montant, compris entre 91 et 718 euros par mois, variait selon les prestations fournies par le CADA et la composition familiale du demandeur.

Votre rapporteur pour avis se félicite de la disparition de l’ATA dont il avait à de multiples reprises dénoncé la dérive. La dépense afférente à ce dispositif avait très fortement progressé, triplant entre 2007 (47 millions d’euros) et 2013 (156 millions en exécution). Bénéficiant à 42 115 personnes au 31 décembre 2013, et de surcroît indûment versée une fois sur cinq d’après un rapport conjoint d’inspections générales ministérielles (2), elle ne pouvait être efficacement distribuée par Pôle emploi dont elle n’entrait pas dans le cœur de métier. L’attribution à l’OFII, spécialiste des problématiques migratoires, de la gestion de la nouvelle ADA, devrait limiter les dérapages budgétaires.

Pour autant, votre rapporteur pour avis demeure circonspect devant certaines des hypothèses retenues par le Gouvernement. À nouveau, il est fait référence à une accélération des délais de traitement des demandes d’asile pour limiter le volume global de crédits requis par l’ADA. C’est, une nouvelle fois, se montrer fort optimiste sur l’évolution prochaine du flux des demandeurs d’asile quand la situation internationale laisse supposer une déstabilisation durable des équilibres politiques du Moyen-Orient. Le projet annuel de performances prévoit de servir 44 800 bénéficiaires en 2016, soit un chiffre de demandeurs d’asile constant par rapport à 2014 et 2015 (3).

Cette action rassemble 20,58 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit 29 % des autorisations d’engagements et des crédits de paiement du programme « Intégration et accès à la nationalité française ». Elle connaît une forte hausse par rapport à l’exercice précédent (+ 33 %).

L’action comporte, en premier lieu, des crédits destinés à financer les centres provisoires d’hébergement des réfugiés (CPH), à hauteur de 16,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Les CPH, au nombre de 28 pour une capacité de 1 136 places, ont pour mission de préparer l’intégration dans la société française de bénéficiaires de la protection internationale présentant des difficultés d’insertion et nécessitant pour un temps une prise en charge complète. Dans le cadre du plan « Répondre au défi des migrations – Respecter les droits, faire respecter le droit », cinq cents places supplémentaires ont été créées pour les réfugiés les plus vulnérables – ce qui a notamment pour effet positif de désengorger les CADA. Leur fonctionnement en 2016 mobilisera 5 millions d’euros, soit un coût moyen journalier à la place de l’ordre de 27,23 euros.

L’action couvre, en second lieu, des dépenses relatives aux actions d’accompagnement des réfugiés, pour un montant de 4,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ces aides sont gérées par des associations. Il s’agit d’aides et secours à des réfugiés statutaires (par exemple, l’octroi de bourses pour la poursuite d’études universitaires) ou d’autres interventions en faveur de la promotion sociale et professionnelle des réfugiés (projets d’aide à l’accès au logement et à l’emploi, par exemple). Il s’agit aussi des actions d’accueil de bénéficiaires de programmes de réinstallation en France, conformément à l’accord passé en 2008 entre l’État et le Haut-Commissariat pour les réfugiés.

Enfin, ces crédits comprennent 131 000 euros d’allocations forfaitaires régulières versées par l’État à des réfugiés d’Afrique du Nord, marocains ou tunisiens, anciens chefs ou fonctionnaires des anciens protectorats français qui ont dû se réfugier en France au moment de l’indépendance de leur pays.

Les dix-huit derniers mois ont vu une croissance exponentielle des migrations illégales aux frontières de l’Union européenne. Alors que les 625 000 demandes d’asile enregistrées en 2014 apparaissaient déjà comme un chiffre important, elles seront très largement dépassées au cours de l’année 2015 – l’Allemagne seule s’attendant à recevoir plus d’un million de personnes. Face à cette situation critique, tant l’Union européenne que la France ont fait montre d’une incapacité chronique à définir une stratégie à la hauteur des enjeux alors même que les dispositifs de droit commun se révélaient sous-dimensionnés.

Preuve de l’impréparation gouvernementale et de l’absence d’une vision de long terme, les documents budgétaires mis à la disposition des parlementaires ne font aucune mention de l’engagement de la France auprès de ses partenaires européens d’accueillir 33 000 réfugiés originaires des zones de conflit. Les dispositions budgétaires correspondantes devraient faire l’objet d’un amendement gouvernemental en séance publique. Votre rapporteur pour avis en sera donc réduit à commenter de simples perspectives, ce qui ne peut en aucun cas constituer une information optimale de l’Assemblée nationale.

L’agence européenne Frontex n’a publié pour l’heure ses statistiques officielles que pour le premier semestre 2015, mais celles-ci traduisent déjà une forte croissance par rapport à l’année précédente. Au deuxième trimestre 2015 et par rapport au deuxième trimestre 2014, les franchissements de frontière irréguliers détectés ont été multipliés par huit en Méditerranée orientale (de 8 767 à 68 178 passages) et par onze dans les Balkans (de 3 011 à 34 559 passages) tandis que la route de Méditerranée centrale progressait sensiblement (de 53 054 à 60 179 passages) (4). Au final, alors que Frontex recensait 280 000 migrants en 2014, plus de 500 000 hommes, femmes et enfants ont été dénombrés par l’agence aux frontières de l’Union européenne au cours des huit premiers mois de l’année 2015.

Les mois d’été, durant lesquels les flux sont traditionnellement les plus importants en raison du climat tempéré facilitant les traversées, ont confirmé la croissance du flux de réfugiés en une année. En Grèce, les 88 000 migrants d’août 2015 sont onze fois plus nombreux qu’en août 2014. La Hongrie fait face à un flux vingt fois plus important qu’en août 2014 (52 000 arrivées). Au contraire, en Italie, les arrivées sont en recul avec 13 000 personnes – soit moitié moins qu’en août 2014 (5). Les 156 000 migrants entrés sur le sol européen font cependant des chiffres d’août 2015 un record.

Source : Haut-Commissariat aux réfugiés, http://data.unhcr.org/mediterranean/regional.php, consulté le 21 octobre 2015.

Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, ce sont plus de 644 000 personnes qui ont franchi la Méditerranée depuis le 1er janvier 2015. Ces migrations avaient pour principales destinations les côtes grecques (78 %) et les rivages italiens (21 %).

Si les « Printemps arabes » de l’année 2011 avaient entraîné une hausse du nombre de demandeurs d’asile en direction du continent européen, l’immixtion de l’État islamique dans l’interminable guerre civile syrienne a fortement dégradé la situation internationale depuis 2014. Déjà plus de quatre millions de Syriens ont fui leur pays et, si l’essentiel de ces réfugiés s’est établi dans les pays voisins – deux millions en Turquie, plus d’un million au Liban, plus de 600 000 en Jordanie (6) –, ceux qui tentent de quitter les camps du Proche-Orient et de rallier l’Europe sont désormais de plus en plus nombreux.

À l’exode syrien s’ajoutent la fuite des populations venues de territoires livrés aux déprédations de l’État islamique, notamment en Irak, le flux de départ continu des habitants de l’Érythrée et les conséquences de l’enlisement du théâtre afghan.

Les statistiques du Haut-Commissariat pour les réfugiés sur les arrivées en Grèce au cours de l’année 2015 donnent un aperçu de cette situation internationale. Les deux tiers des personnes recueillies sont de nationalité syrienne ; 20 % sont d’origine afghane ; 6 % viennent d’Irak. En outre, les profils sont relativement familiaux : 62 % sont des hommes ; 14 % des femmes ; 23 % des enfants. Frontex indique que cette route d’accès à l’Europe a désormais supplanté en importance la voie de migration empruntant la Méditerranée centrale : les victimes de l’État islamique qui fuient la Syrie ne souhaitent effectivement pas retrouver leurs bourreaux dans une Libye où le groupe terroriste gagne en importance.

Votre rapporteur pour avis comprend et partage l’émotion ressentie dans l’Europe entière devant les images et les récits déchirants de réfugiés chassés de leurs foyers et prêts à risquer leur vie pour fuir les persécutions. Il est du devoir de la France et de l’Union européenne de mettre en œuvre tous les moyens pour mettre un terme à l’expansion de la barbarie au Levant. Les pays européens accordent l’asile aux victimes comme les conventions internationales le leur ordonnent et comme leur responsabilité le leur impose. Toutefois, il convient de demeurer vigilant devant les emballements médiatiques des dernières semaines, qui tendent à assimiler la totalité des migrants ayant l’Europe pour destination pour des victimes de l’État islamique.

Les migrations économiques à destination de l’Europe n’ont rien d’un phénomène nouveau. Il n’existe aucune raison de penser que les malheurs qui s’abattent sur une partie du monde incitent les individus issus d’autres régions à ne pas tenter leur chance.

D’après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, sur les huit premiers mois de l’année 2015, les demandes d’asile déposées auprès des services de l’OFPRA montrent certes une augmentation du nombre de dossiers syriens (1 400) et irakiens (1 300), mais aussi une persistance des demandes émanant de personnes issues de pays connaissant une paix relative comme le Kosovo (2 000), le Congo (1 700) et le Soudan (1 500). Chacun de ces dossiers peut évidemment comporter de solides raisons de solliciter l’asile en France, mais il s’agit alors de situations individuelles qu’il convient d’instruire et non des conséquences d’un bouleversement systémique frappant une région dans son ensemble.

Alors que se réclamer de nationalité syrienne ou irakienne confère aujourd’hui les meilleures chances d’obtenir l’asile, les tentatives d’abus ne peuvent manquer. Le ministère de l’Intérieur allemand a indiqué tenir 30 % des migrants se déclarant syriens pour des fraudeurs (7). En septembre 2015, le directeur de Frontex Fabrice Leggeri a fait état d’un trafic de passeports syriens : « Il y a des personnes qui aujourd’hui sont en Turquie, achètent des faux passeports syriens parce qu’elles ont évidemment compris qu’il y a un effet d’aubaine puisque les Syriens obtiennent le droit d’asile dans tous les États membres de l’Union européenne (…). Les personnes qui utilisent les faux passeports syriens souvent s’expriment en langue arabe. Elles peuvent être originaires d’Afrique du Nord, du Proche-Orient mais elles ont plutôt un profil de migrant économique. (8) »

L’analyse de la composition des flux de migrants confirme le sentiment d’une persistance des migrations économiques sous couvert de persécutions politiques. Si la route de Méditerranée orientale est principalement empruntée par des réfugiés, la Méditerranée centrale est de longue date le chemin privilégié d’une immigration plus classique – qu’il revient à la France de comprendre et de contribuer à apaiser, mais certainement pas de prendre en charge. Depuis l’effondrement du régime du colonel Kadhafi, la Libye a cessé de jouer un rôle d’État-tampon pour des flux migratoires dirigés vers l’Italie que le Haut-Commissariat aux réfugiés détaille ainsi (9) : 27 % d’Érythréens, 14 % de Nigérians, 8 % de Somaliens, 6 % de Soudanais. Plus des trois quarts des 137 500 migrants arrivés en Italie sont de sexe masculin (76 %) pour seulement 14 % de femmes et 10 % d’enfants. Cette composition statistique, relativement différente de celle relevée en Grèce, semble davantage correspondre à une main-d’œuvre en recherche de travail qu’à une population menacée pour des raisons politiques même si, là encore, seul un examen attentif des demandes présentées peut déterminer leur bien-fondé au regard des conditions d’octroi de l’asile sur le territoire.

FRANCHISSEMENTS ILLÉGAUX DES FRONTIÈRES EUROPÉENNES PAR NATIONALITÉ

Deuxième trimestre 2015

Source : Frontex Risk Analysis Network Quarterly Report 2015 Q2, p. 9.

Malgré une arrivée croissante de migrants sur leur territoire, les autorités de l’Union européenne ne sont pas parvenues à définir une politique commune et cohérente en mesure de répondre aux deux enjeux que soulevait la situation : d’une part prendre en compte les conséquences de la crise syrienne et des déprédations des groupes terroristes, d’autre part parler un langage de fermeté qui seul aurait évité que les candidats à l’émigration économique se mêlent au flux des réfugiés.

Les vingt-six États membres de l’espace Schengen (10) ont proclamé la liberté de circulation des personnes sur leur territoire. L’abolition des frontières intérieures est supposée donner lieu à un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de la responsabilité des États où se trouvent ces frontières. En matière d’asile, l’Union européenne s’est dotée d’un régime juridique commun avec le « Système Dublin ». Signée le 15 juin 1990, la Convention dite « de Dublin » du Conseil n° 97/C/254/01 relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile a été depuis remaniée à deux reprises :

– une première fois par le règlement n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers, dit « Dublin II » ;

– une seconde fois par le règlement UE n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « Dublin III ».

L’objectif du « système Dublin » est de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile afin d’éviter que les demandeurs d’asile ne puissent choisir de déposer leur dossier auprès des autorités considérées comme les plus permissives et pour s’assurer que la demande formulée fera bien l’objet d’un traitement. Sauf cas spécifiques, le premier État membre où pénètre un demandeur d’asile est responsable de l’instruction de la demande. Si le demandeur se déplace sur le territoire d’un autre État membre, il peut être transféré vers l’État membre d’origine.

Ce choix a conduit à faire peser sur les États contrôlant les frontières extérieures les plus exposées une charge excessive par rapport à la capacité de traitement de leurs administrations. Ainsi, à population comparable (environ 11 millions d’habitants), le Portugal ne traitait que 150 à 300 demandes d’asile par an, la Hongrie instruisait 2 000 à 4 000 dossiers, et la Grèce entre 10 000 et 20 000 (11). Les dysfonctionnements rencontrés dans le système d’examen des demandes d’asile de ce dernier pays – sanctionnés par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt MSS c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 – ont d’ailleurs conduit à la suspension de l’application des transferts « Dublin » de demandeurs d’asile vers ce pays, les juges de Strasbourg estimant que leurs droits n’y étaient pas suffisamment respectés. En disqualifiant la Grèce, cette remise en cause a eu un impact direct sur la Hongrie, devenu premier pays du « Système Dublin » sur la route des migrants passés par la Méditerranée orientale.

L’afflux provoqué par les événements de Syrie a porté un coup plus dur encore à l’architecture européenne en concentrant la charge du traitement et de l’accueil d’un nombre inhabituellement élevé de demandeurs d’asile sur deux pays seulement : l’Italie à l’ouest du continent, la Hongrie à l’est. Ces deux États-membres ont tenté, chacun à sa manière et suivant les ressources à sa disposition, de sécuriser leurs frontières extérieures comme les accords de Schengen leur en font obligation : en organisant une surveillance maritime à travers l’opération Mare Nostrum (octobre 2013 – novembre 2014) pour l’Italie, en délimitant par un mur l’espace frontalier avec les pays tiers pour la Hongrie. Toutefois, face à la pression migratoire et à l’épuisement des capacités d’accueil et de protection, tant Rome que Budapest ont manifesté leur mécontentement à l’égard d’un système de régulation qui apparaît désormais bien peu adapté au caractère exceptionnel des circonstances.

L’architecture imaginée par la Convention de Dublin présente l’incohérence majeure d’associer une procédure commune à des politiques sociales et migratoires divergentes. Le partage de la responsabilité que porte l’Europe envers les demandeurs d’asile ne peut équitablement fonctionner qu’à la condition d’une relative égalité de traitement des réfugiés dans les différents États membres. Or tel n’est pas le cas, même si une harmonisation des législations nationales par l’adoption d’un ensemble de règles définissant des normes minimales s’agissant des statuts, des procédures et des conditions d’accueil a été ébauchée (12).

Dans la pratique, si les demandeurs d’asile préfèrent s’enregistrer en Allemagne ou en Suède plutôt qu’en Hongrie, c’est que les décisions sur l’octroi de l’asile et les conditions de vie des réfugiés sur place ne sont aucunement comparables.

Ainsi, la Suède accorde le statut de réfugié à 77 % des personnes qui le sollicite quand ce taux d’admission se limite à 9 % en Hongrie. L’Allemagne, destination également prisée des demandeurs d’asile, se situe entre ces deux extrêmes, mais elle délivre une indemnité de subsistance de 374 euros par mois et par personne, soit près de quatre fois plus que l’allocation prévue par le droit hongrois. Par ailleurs, quand le droit hongrois impose un délai de carence de neuf mois avant l’autorisation de travailler, trois mois suffisent aux termes de la réglementation allemande ; la loi suédoise ne prévoit même aucune disposition sur ce point.

Il n’est guère étonnant que, tout au long de l’été 2015, les médias européens aient montré des cohortes de migrants parvenus en territoire hongrois et peu désireux de s’y enregistrer, préférant poursuivre leur route vers l’Allemagne ou la Suède pour bénéficier d’un examen plus souple et de conditions de vie moins strictes. Votre rapporteur pour avis doit constater que ces choix d’établissement entrent en contradiction avec le principe même du droit d’asile et avec les règles de fonctionnement établies en commun pour la gestion des flux migratoires, traduisant une nouvelle fragilisation du « Système Dublin ». Ils expliquent toutefois le fait que les réfugiés moyen-orientaux sollicitent peu la protection de la France, celle-ci accueillant plutôt traditionnellement des réfugiés issus d’autres régions du monde.

SITUATION COMPARÉE DES DEMANDEURS D’ASILE EN ALLEMAGNE, EN SUÈDE, EN HONGRIE, AU ROYAUME-UNI, AUX ÉTATS-UNIS ET EN AUSTRALIE

Nombre, origine et sort des demandes, délai de carence avant autorisation de travail et montant de l’allocation de subsistance versée par l’État d’accueil

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Le principal coup porté à la cohérence du système mis en place par le règlement « Dublin » a été le fait de l’Allemagne. Devant l’afflux de migrants sur le territoire européen, les difficultés des États côtiers à remplir leurs obligations et le durcissement de la politique hongroise de protection des frontières extérieures, le Gouvernement allemand a publiquement fait part de sa décision de ne pas renvoyer les demandeurs d’asile présents sur son territoire vers l’État européen dans lequel ils avaient pénétré en premier lieu. Cette déclaration a semblé découler de deux motivations distinctes :

– une analyse démographique et économique, car l’Allemagne devrait perdre cinq millions d’habitants à l’horizon 2050, ce qui influerait négativement sur le dynamisme de la société et induirait un déficit de main-d’œuvre pour l’économie ;

– une dimension éthique, en lien avec l’histoire douloureuse du pays pendant et après le second conflit mondial.

Quelles que soient les raisons qui motivèrent sa décision d’ouvrir ses frontières aux migrations, elle plaça le système « Dublin » déjà affaibli dans de graves difficultés. Comment devaient réagir la Hongrie, l’Autriche et l’Italie, principaux pays de transit des migrants en route vers Berlin, devant cette affirmation claire d’une volonté de s’abstraire de la règle commune ? Pouvaient-ils se considérer comme déliés de leurs engagements dès lors que l’Allemagne, non contente de s’abstenir de renvoyer les demandeurs d’asile parvenus en fraude sur son territoire, communiquait ouvertement ses bonnes dispositions à les accueillir tous – renforçant d’autant le nombre des candidats au départ ?

Ces questions ne se sont pas posées longtemps car, dès la mi-septembre 2015 et après quelques journées durant lesquelles plus de dix mille migrants se présentaient quotidiennement en Bavière, le Gouvernement fédéral a réorienté sa politique vers une plus grande fermeté. En signifiant que le territoire allemand ne pouvait accueillir tous les migrants désireux de s’y rendre, en fermant provisoirement sa frontière avec l’Autriche pour tarir leur arrivée, Berlin sollicitait un partage de la charge de l’asile entre les différents États de l’Union européenne.

Il n’appartient pas à votre rapporteur pour avis de juger de la pertinence de la politique allemande. Toutefois, dès lors que cette politique a une influence directe sur la situation de la France et sur le devenir des procédures européennes, les députés de l’Assemblée nationale sont fondés à émettre une opinion. En l’occurrence, les hésitations allemandes ont sans doute renforcé les flux de migrants – politiques et économiques – à destination de l’Europe. Cette situation aura des conséquences pour les pays des frontières extérieures d’abord, pour l’ensemble des Européens ensuite. Le sens de l’Union européenne est de décider dans la concertation, non d’assumer collectivement les conséquences de décisions unilatérales. C’est pourtant ce qui s’est produit sur la question des migrants, et il faut déplorer que la France n’ait pu rappeler à son partenaire privilégié les nécessités de la discussion préalable à l’action.

En 2014 et au début de l’année 2015, l’action de l’Union européenne s’est bornée à soulager les pays les plus sollicités d’une partie de la charge qui leur était imposée par les accords de Schengen et le système de Dublin. L’opération italienne Mare Nostrum a ainsi été relayée par l’opération européenne Triton en novembre 2014. Elle s’est doublée, à compter de juin 2015, de l’opération EUNAVFOR Med destinée à traquer et à détruire les activités des passeurs depuis la côte méridionale de la Méditerranée.

Toutefois, l’Union européenne s’est trouvée contrainte à l’action à la suite de la forte hausse des flux constatés à l’été 2015 et des signaux contradictoires adressés par l’Allemagne aux candidats à la migration. Une succession de Conseils européens ont été tenus :

– le Conseil des ministres de l’Intérieur du 14 septembre 2015 a décidé de relocaliser dans les autres États membres 40 000 migrants massés en Italie et en Grèce. Pour Paris et Berlin, ce dispositif doit être accompagné de la « mise en place rapide de centres d’accueil et de recensement (hotspots) dans ces deux pays » ;

– le Conseil des ministres de l’Intérieur du 22 septembre 2015 a donné lieu à un vote à la majorité qualifiée (contre la Slovaquie, la République tchèque, la Roumanie et la Hongrie) pour un arrêt de l’immigration et pour la répartition de 120 000 réfugiés syriens, irakiens et érythréens arrivés en Grèce et en Italie. Cette répartition est prévue en deux étapes : le premier mouvement concernera 66 000 demandeurs – 50 400 de Grèce et 15 600 d’Italie – tandis que 54 600 places sont en attente à la suite du refus de la Hongrie de participer au mécanisme ;

– le Sommet des chefs d’État et de gouvernement consacré à la crise migratoire du 15 octobre 2015 a pris acte du rôle nodal joué par la Turquie dans le parcours des demandeurs d’asile vers le continent européen et de la nécessité d’un accord diplomatique pour l’encadrer au mieux. Ankara a fixé le prix de sa coopération à trois milliards d’euros pour loger et nourrir les réfugiés, à un octroi facilité de visas à ses ressortissants et à une relance du processus d’adhésion à l’Union européenne.

Votre rapporteur pour avis prend acte des décisions européennes qu’il reviendra à la France d’exécuter. Il déplore cependant l’incapacité de l’Union européenne, et des autorités françaises en son sein, à établir une stratégie durable pour l’avenir. Non seulement la répartition à laquelle il a été procédé a été arrêtée au mépris du consensus qui prévaut habituellement entre les États, mais de surcroît elle se borne à gérer un symptôme de la crise syrienne sans énoncer le moindre principe d’action pour en traiter les causes. La poursuite des hostilités sur les rives orientale et méridionale de la Méditerranée jettera sur la route de l’exil d’autres réfugiés à l’avenir, et l’annonce d’une prise en charge dans les centres de Grèce et d’Italie ne peut qu’inciter les candidats à l’immigration à se joindre à ces flux pour rallier le continent européen. Le Gouvernement de Budapest a refusé de soutenir l’initiative franco-allemande au motif qu’elle créerait un « appel d’air » ; il est bien difficile de lui donner tort sur ce point, même si des considérations d’ordre humanitaire ont aussi voix au chapitre.

Si la politique de l’Union européenne dans la gestion de la crise migratoire apparaît désordonnée, il en va malheureusement de même de la position de la France. Votre rapporteur pour avis doit souligner que la diplomatie française, en faisant volte-face sur la question des quotas de répartition au cours de l’été, a perdu de sa crédibilité. Le Président de la République considérait au printemps qu’il n’était « pas question qu’il y ait des quotas d’immigrés (…). Ce n’est pas la bonne méthode. (13) » Pourtant, mi-septembre, la France proposait conjointement avec l’Allemagne le mécanisme de répartition qui allait être adopté à la majorité qualifiée.

La France s’est donc engagée à accueillir quelque trente mille réfugiés en provenance du Proche et du Moyen-Orient. Leur venue s’ajoute à l’activité déployée par la France en matière d’asile. Soixante-quatre mille demandes ont été examinées en 2014 – chiffre incluant les mineurs accompagnants et les réexamens – tandis que la population placée sous la protection de l’OFPRA atteignait 193 552 personnes (hors mineurs accompagnants).

Il est cependant difficile pour votre rapporteur pour avis de livrer à l’Assemblée nationale une estimation fiable du coût que cet engagement européen va engendrer, étant entendu que les dépenses liées à la politique de l’asile sont d’ores et déjà fréquemment contestées.

Depuis plusieurs mois, les coûts engendrés par la politique de l’asile font l’objet de divergences d’interprétation.

Si votre rapporteur pour avis se borne à l’examen des documents dont il a la charge, les chiffres sont clairs : les crédits prévisionnels ouverts pour la mise en œuvre du droit d’asile se montaient à 532 millions d’euros répartis entre les programmes n° 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et n° 303 « Immigration et asile » pour 2014 – dernier budget exécuté en année pleine.

Cependant, il convient de prendre en compte quelques actions rattachées à d’autres programmes. La loi de finances pour 2014 prévoyait 6 millions d’euros pour le pilotage des politiques de l’asile (programme n° 216 « conduite et pilotage des politiques de l’intérieur »), 34 millions d’euros pour le fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (programme n° 165 « Conseil d’État et autres juridictions administratives ») et 4 millions d’euros pour l’aide juridictionnelle devant cette même Cour nationale du droit d’asile (programme n° 101 « Accès au droit et à la justice »). Les sommes en jeu atteignaient alors 576 millions d’euros.

Toutefois, ce total ne prend pas en compte l’hébergement d’urgence généraliste auquel les demandeurs d’asile, comme les déboutés, ont massivement recours, faute de place dans l’hébergement d’urgence qui leur est consacré. Dans le rapport qu’ils ont consacré à l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile, les députés Arnaud Robinet et Jeanine Dubié en ont estimé le coût à 90 millions d’euros, soit un budget global de la politique de l’asile de 666 millions d’euros (14). Encore faut-il préciser que ce chiffre n’intègre pas les crédits complémentaires plus tard devenus nécessaires pour financer les dépenses liées à l’allocation temporaire d’attente et à l’hébergement d’urgence !

Ces ordres de grandeur ont été fortement revus à la hausse par la Cour des comptes. Dans un relevé d’observations provisoires publié dans la presse en avril 2015 (15), les magistrats de la rue Cambon évaluent plus volontiers le coût de la politique de l’asile à 2 milliards d’euros. D’après leurs calculs, qui intègrent les charges de droit commun comme par exemple la scolarisation des enfants, les demandeurs d’asile coûtent à eux seuls 990 millions d’euros, auxquels il faut rajouter 1 milliard d’euros pour les déboutés qui sortent de la grille budgétaire traditionnelle. Ces déboutés seraient particulièrement nombreux puisque le relevé d’observations provisoires de la Cour des comptes indique que seuls 1 % d’entre eux quittent effectivement le territoire national. Au final, il faudrait consacrer 13 724 euros par demandeur d’asile et 5 528 euros par débouté maintenu sans titre dans les frontières. Dans leur référé du 20 octobre 2015 (16), les magistrats réévaluent le taux d’éloignement à 4 %, ce qui ne semble pas bouleverser l’équilibre des calculs précédents.

Au-delà des imprécisions inhérentes à tout calcul budgétaire, votre rapporteur pour avis ne peut que déplorer la divergence d’estimation considérable – du simple au triple – qui sépare le Gouvernement de la Cour des comptes. Certes, la définition du périmètre a été contestée par le Gouvernement qui ne se considère pas comptable, au titre de la politique de l’asile, de l’usage par les demandeurs des services publics de droit commun. Certes encore, le taux de reconduite de 1 % a fait l’objet de contestation et la Cour l’a finalement porté à 4 %. Néanmoins, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence d’un débat parlementaire sur la base de chiffres excessivement flous dont les engagements européens du Gouvernement n’amélioreront guère la précision.

Conséquence de la fragilité du dispositif adopté par l’Union européenne, sa déclinaison par les autorités françaises doit être regardée avec les plus grands doutes.

En juin 2015, la France s’est engagée à accueillir sur son territoire 6 700 personnes issues des centres d’accueil situés en Grèce et en Italie. La répartition adoptée en septembre 2015 a donné lieu à un second engagement, à hauteur de 24 000 places. Ce sont donc 30 700 réfugiés qui seront « relocalisés » sur le territoire français en l’espace de deux ans.

En outre, d’autres « réinstallations » ont déjà eu lieu dans les mois précédents. Les autorités françaises ont diligenté, en coopération avec le Haut-Commissariat aux réfugiés, une opération spécifique d’accueil concernant 500 Syriens devant être admis en France. À la différence de la réinstallation proprement dite, les personnes dont les dossiers sont soumis à la France par le HCR au titre de l’admission humanitaire sont simplement enregistrées par le HCR mais n’ont pas été reconnues en tant que réfugiés. En 2014, 488 personnes ont été autorisées à s’installer en France à ce titre. L’opération a été reconduite pour l’année 2015 : au 31 août, 557 ressortissants syriens et palestiniens ont été accueillis dans notre pays.

Enfin, des ressortissants syriens sont « réinstallés » vers la France par la délivrance de visas pour l’asile. Les postes consulaires du Liban, de Jordanie, de Turquie et d’Irak sont fortement mobilisés pour faciliter leurs démarches. Depuis le début de l’année 2014, plus de 2 200 Syriens ont bénéficié de cette procédure.

Au final, et bien que les chiffres doivent là encore être utilisés avec précaution, l’engagement de la France dans l’accueil de demandeurs d’asile venus des zones de conflit du Moyen-Orient devrait se porter à hauteur de 33 000 personnes sur deux ans. Votre rapporteur pour avis voit dans ce chiffre une estimation basse qui sera probablement dépassée dans la mesure où elle repose sur un apaisement rapide de la situation internationale peu probable dans la réalité.

Pour l’absorption de ce flux relativement important, le Gouvernement a défini une stratégie fondée sur un « lissage » des arrivées. En considérant que les délais de traitement des demandes par l’OFPRA connaissent une réduction croissante et que l’octroi de la qualité de réfugié ne pose guère de difficulté une fois la nationalité syrienne ou irakienne du demandeur confirmée, l’hypothèse d’une instruction de quatre mois a été retenue. Les 31 000 personnes accueillies sur deux ans dans le cadre des engagements de « relocalisation » ne représenteraient, à cette aune, qu’un flux constant de quelque 5 000 dossiers. À la remarque de votre rapporteur pour avis soulignant que les traversées de la Méditerranée sont soumises à des variations saisonnières marquées, il a été indiqué que les centres d’Italie et de Grèce joueraient un rôle régulateur pour éviter les goulets d’étranglement.

LES FRANCHISSEMENTS ILLÉGAUX DES FRONTIÈRES DE SCHENGEN

Par route et par trimestre

Source : Frontex.

Votre rapporteur pour avis doute fortement que les centres italiens et grecs puissent durablement assurer une fonction de « gare de triage » pour les 120 000 personnes qui bénéficieront de l’accord de répartition européen et pour tous les autres dont la demande sera rejetée, surtout dans l’hypothèse pour le moins probable d’une reprise des flux dès le printemps 2016. Tant le nombre de personnes accueillies que leur rythme d’arrivée restent donc sujets à caution ; or ces deux questions sont cruciales pour la détermination des crédits nécessaires au bon fonctionnement de la politique de l’asile.

Le projet de loi de finances et ses documents annexes ne prennent pas en compte en totalité les engagements de la France en matière de « relocalisation » des demandeurs d’asile. Seule une partie des crédits nécessaires y figure – correspondant à la stratégie arrêtée en juin et portant sur 6 700 personnes – quand la répartition arrêtée en septembre par l’Union européenne devrait voir ses financements précisés par voie d’amendement gouvernemental au cours de la procédure législative.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, ces crédits supplémentaires se monteraient à 276 millions d’euros dont 84 millions d’euros pour les programmes n° 303 et n° 104 auxquels est consacré le présent avis. Selon toute probabilité, 36 millions d’euros seraient alloués au financement de 5 000 places de CADA, 11 millions d’euros au fonctionnement de l’OFPRA, 25 millions d’euros aux missions de l’OFII et 11 millions d’euros aux versements supplémentaires d’ADA. Par ailleurs, le programme n° 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables » serait abondé à hauteur de 115 millions d’euros. Le reliquat serait notamment dirigé vers l’Éducation nationale pour la scolarisation des mineurs accompagnant les demandeurs d’asile. 15 millions d’euros, enfin, seraient transférés aux communes pour contribuer à leur effort d’accueil sur le terrain.

Votre rapporteur pour avis porte un regard attentif sur ce qui reste, pour l’heure, des informations à confirmer. Il s’étonne notamment du périmètre qui lui a été présenté et de certains manques préjudiciables à la sincérité des prévisions budgétaires. Sans même rappeler que les quotas déterminés par l’Union européenne ont probablement vocation à être dépassés, il est curieux de constater que le coût de la participation de la France au dispositif des hotspots en Italie et en Grèce n’a été évoqué à aucun moment.

En outre, votre rapporteur pour avis a constaté l’existence d’un hiatus dans la politique gouvernementale. L’amendement envisagé par le Gouvernement limiterait les financements requis par les réfugiés aux crédits de la politique de l’asile stricto sensu, de leur hébergement et à l’organisation de leur scolarité. Or la lettre de mission adressée le 12 septembre 2015 par le ministre de l’Intérieur au préfet Kléber Arhoul, nommé coordinateur national pour l’accueil des réfugiés, lui confie explicitement une mission bien plus large : « au-delà de la question de l’hébergement, condition essentielle de l’accueil, vous vous attacherez, dans une approche globale, à ce que soient bien prises en compte par l’ensemble de vos interlocuteurs les questions relatives à l’intégration, l’éducation, la santé, l’emploi et l’accès aux droits (…). » Comment admettre que les objectifs assignés aux agents publics sur le terrain comprennent des secteurs de l’action publique dont le Gouvernement considère opportunément, au plan budgétaire, qu’ils n’entrent pas dans le périmètre de la discussion ? À combien les coûts sanitaires liés à la présence des 33 000 réfugiés moyen-orientaux sur le sol français se monteront-ils, étant entendu qu’il s’agit d’une population ayant fréquemment subi des sévices physiques et psychologiques auxquels il faudra bien apporter une réponse ?

En l’absence de tout chiffrage réaliste émanant du Gouvernement, votre rapporteur pour avis fait le choix de s’en remettre à celui de la Cour des comptes dans son relevé d’observations provisoires publié en avril 2015. Cette option apparaît réaliste car, si l’estimation des magistrats relative au coût du maintien des déboutés sur le territoire a donné lieu à contestation, ceci ne semble pas le cas des calculs portant sur l’accueil des réfugiés proprement dits (17). L’accueil de 33 000 personnes pour un coût individuel de 13 724 euros reviendrait ainsi à 452 millions d’euros. Votre rapporteur pour avis tient à souligner le caractère forcément imprécis de ce résultat, qui ne peut être mentionné qu’à titre purement indicatif pour deux raisons principales :

– d’une part, les demandes venant du Moyen-Orient sont supposées plus faciles à traiter par l’OFPRA et plus à même de donner lieu à des décisions positives et rapides, ce qui tendrait à sensiblement diminuer les sommes en jeu ;

– d’autre part et à l’inverse, l’octroi du statut de réfugié fait sortir les bénéficiaires de la politique de l’asile pour les remettre dans une situation de droit commun. Mais cette évolution de la situation administrative n’a pas pour effet de diminuer les charges induites par ces réfugiés sur le territoire. Il s’agit toujours de personnes qu’il reviendra à la France d’éduquer, de soigner, de loger et d’intégrer en attendant qu’elles se trouvent en capacité de trouver un travail et de contribuer aux budgets publics – ou de retourner dans leur pays une fois dissipées les menaces dont elles font l’objet. Les montants budgétaires qui devront leur être consacrés seront donc très probablement supérieurs aux chiffrages avancés, du moins à court et moyen termes.

À titre de comparaison, en septembre 2015, l’Allemagne a alloué une enveloppe de crédits supplémentaires de 6 milliards d’euros afin d’accueillir 800 000 migrants contre 200 000 l’année précédente, soit 10 000 euros par demandeur d’asile. Là encore, toute comparaison a ses limites, mais l’application à la France de cette base individuelle correspondrait, pour l’accueil de 33 000 personnes, à un montant de 330 millions d’euros – soit 20 % de plus que ce qui envisagé par le projet d’amendement gouvernemental.

Pris de court par la décision de répartition européenne qu’il a pourtant soutenue à Bruxelles, l’État s’est trouvé dans l’obligation de solliciter les communes pour l’aider à assurer la tâche, pourtant par essence régalienne, de l’accueil des demandeurs d’asile. Par humanité et devant les tristes nouvelles provenant du Moyen-Orient, certains maires ont manifesté leur volonté de contribuer et sont appelés à le faire par le ministère de l’Intérieur (18) :

– en mettant à disposition des bâtiments pour créer des lieux d’hébergement de demandeurs d’asile, pendant l’instruction de leur demande ;

– en mettant à disposition des logements pérennes pour les demandeurs d’asile ayant acquis le statut de réfugié après instruction de leur dossier ;

– le cas échéant, par une offre d’accompagnement social complémentaire de celui organisé par l’État.

Votre rapporteur pour avis constate une nouvelle fois que, publiquement de surcroît, le Gouvernement inclut dans le périmètre de la politique d’asile sur le terrain l’hébergement des demandeurs d’asile ayant acquis le statut de réfugiés, ce qui n’est pas le cas dans la présentation du projet de loi de finances – sinon pour les 1 136 places en centres provisoires d’hébergement des réfugiés prévus par le programme n° 104, qui représentent 0,6 % de la population de réfugiés sur le territoire national.

L’amendement envisagé par le Gouvernement prévoit l’octroi aux communes concernées de 1 000 € par place supplémentaire créée d’ici à 2017, pour un montant de 15 millions d’euros en 2016. Il va sans dire que cette somme apparaît parfaitement insuffisante. Le Gouvernement fédéral allemand a annoncé mettre à la disposition des États régionaux et des communes, qui assurent notamment l’hébergement des demandeurs d’asile, quelque 3 milliards d’euros supplémentaires – soit 3 000 euros par demandeur d’asile en retenant l’estimation maximale d’un million d’arrivées tout au long de l’année 2015. Comment la France estime-t-elle pouvoir faire remplir à ses collectivités territoriales des missions identiques pour un coût trois fois inférieur ?

L’accueil massif et désordonné de réfugiés sur le territoire national n’est pas exempt de risque pour le pays. Si la France s’enorgueillit à bon droit de sa longue tradition en matière d’asile, il n’en reste pas moins que l’impréparation du Gouvernement et le flou entretenu tant sur les montants que sur les sources des financements nécessaires n’incitent guère à la confiance.

Un contrôle judicieux de la politique d’asile pourrait éviter d’entretenir la concurrence des publics en limitant le nombre d’étrangers à soutenir, particulièrement au moment où la crise économique frappe cruellement bon nombre de Français. Le Gouvernement n’en a manifestement pas conscience : la presse a rapporté fin septembre 2015 que les sommes économisées par la baisse des aides personnalisées au logement (APL), soit 225 millions d’euros, allaient pour partie être affectées, aux dires même de la ministre du Logement, au renforcement des capacités d’accueil des réfugiés (19). Si votre rapporteur pour avis souhaite que la politique de l’asile permette d’accueillir dignement les étrangers qui en bénéficient sur le sol français, il n’entend pas que cet accueil se fasse au prix d’une diminution de la qualité de vie des citoyens dans un marché du logement lui-même extrêmement difficile.

Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur a indiqué ne pas pouvoir exclure que des terroristes profitent des flux de migrants pour rallier l’Europe (20). Bien que les bénéficiaires du statut de réfugié fassent systématiquement l’objet d’un examen approfondi visant à détecter d’éventuelles menées criminelles – on parle de « criblage » –, il est à craindre que certains parviennent à échapper à la vigilance des services et à frapper sur le territoire national.

Enfin, en annonçant publiquement son intention d’accueillir plus largement que par le passé des demandeurs d’asile, l’Union européenne a encouragé les candidats à l’immigration économique à tenter leur chance. Cette posture, généreuse de prime abord, aura de lourdes conséquences : d’abord parce que certains de ceux qui traversent la Méditerranée dans des conditions de sécurité sommaire y laisseront encore leur vie, ensuite parce que la capacité d’accueil de l’Europe n’est pas extensible. Il faudra, alors, arrêter les successions de débarquements sur les îles grecques et sur les côtes italiennes. Votre rapporteur pour avis craint que la stratégie européenne, coûteuse et impensée, ne permette jamais que d’attendre jusqu’au printemps prochain.

Au moment de définir une politique cohérente et réaliste pour répondre aux sollicitations des centaines de milliers de demandeurs d’asile qui dirigent vers le continent européen au cours de l’année 2015, il est instructif d’observer les expériences menées par d’autres démocraties pour déterminer comment améliorer les approches nationales et collectives de la question des réfugiés. C’est dans cette perspective que votre rapporteur pour avis a souhaité échanger avec les représentants diplomatiques de l’État australien.

À la fin de la décennie 2000, l’Australie a été confrontée à une croissance des flux migratoires irréguliers à la source de tragédies comparables à celles vécues en Méditerranée pendant l’été 2015. Alors que moins de 200 personnes accostaient illégalement chaque année sur le territoire australien jusqu’en 2008, ce chiffre a connu par la suite une augmentation significative : 2 700 arrivées en 2009, 6 500 en 2010, 17 200 en 2012 et plus de 20 000 en 2013. Ce phénomène était également coûteux en vies humaines, puisque mille personnes ont trouvé la mort dans les eaux australiennes depuis 2001, soit environ deux décès par mois (21).

À la suite de sa victoire aux élections fédérales de 2013, la coalition des partis libéral et national a lancé l’opération Frontières souveraines – « Sovereign Borders » – pour mettre un terme à cette immigration illégale et au commerce florissant qu’elle engendrait pour les passeurs et autres trafiquants (22). Confiée à la direction de l’armée, la nouvelle politique australienne associe différents départements ministériels dans l’objectif de détourner les demandeurs d’asile des voies d’accès illégales pour les orienter vers des procédures légales par ailleurs généreuses.

L’État australien prévoit d’accueillir 13 750 réfugiés au cours de l’exercice budgétaire 2014-2015, nombre qui sera porté à 18 750 en 2018-2019. En septembre 2015, le Gouvernement fédéral a accepté de recevoir en sus 12 000 personnes affectées par les événements de Syrie et d’Irak (23). Il s’agit d’un effort remarquable pour un pays de 23 millions d’habitants.

ARRIVÉES IRRÉGULIÈRES PAR BATEAU SUR LE TERRITOIRE AUSTRALIEN

Années civiles (en bleu plein) et exercices budgétaires (en rouge brisé)

ttp://www.aph.gov.au/~/media/05%20About%20Parliament/54%20Parliamentary%20Depts/544%20Parliamentary%20Library/Research%20Papers/2015-16/BoatTurnbacks.gif?la=en

Source : Parlement australien (24)

Frontières souveraines consiste en l’interception en mer des embarcations de migrants. Ceux-ci ont alors le choix entre retourner dans leur pays d’origine s’ils sont motivés par des raisons économiques et se voir transférer vers des îles voisines (Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée et Nauru, avec les autorités desquelles existent des accords en ce sens) s’ils formulent une demande d’asile. Dans ce dernier cas, ils demeureront dans ces centres tout au long de l’instruction et n’entreront pas sur le territoire australien. Mille cinq cents personnes seraient actuellement dans cette situation d’attente. Si le statut de réfugié leur est accordé, ils auront la possibilité d’être transférés vers le Cambodge qui, en septembre 2014, a signé un mémorandum d’accord en ce sens contre dédommagement financier.

La politique australienne a l’avantage de la cohérence : elle cherche par tous les moyens à décourager l’accès illégal sur le territoire et à saper l’activité des passeurs. Un demandeur d’asile qui emprunte la voie légale, en partenariat avec le Haut-Commissariat aux réfugiés, sera autorisé à s’installer sur le territoire national. Au contraire, que sa demande d’asile soit acceptée ou non, un clandestin arrivé par voie maritime n’y sera pas admis : il sera, en tant que réfugié, éventuellement transféré au Cambodge – dans le respect du principe international de non-refoulement puisqu’il sera alors soustrait aux menaces dont il faisait l’objet dans son pays (25). Une campagne de communication à grande échelle a été diligentée pour faire connaître ces dispositions, de façon à décourager les tentatives de traversée.

Deux ans après son lancement, le Gouvernement australien estime que Frontières souveraines est un succès. Pour 20 000 personnes irrégulièrement débarquées sur le territoire en 2013, seules 160 sont arrivées en 2014. Les statistiques officielles ne font état d’aucun décès en mer depuis près de deux années, ce qui doit être porté au crédit des autorités australiennes. En outre, la forte participation à la réinstallation internationale de réfugiés venus de Syrie et d’Irak est liée à la préservation de la capacité d’accueil du pays par le strict contrôle des arrivées illégales.

Des critiques ont néanmoins été formulées à l’encontre des options australiennes. La marine australienne, en interceptant des embarcations de migrants, a pénétré dans les eaux territoriales indonésiennes ; les autorités locales ont protesté contre cette intrusion. En outre et surtout, la politique de Canberra a été condamnée par différentes associations de défense des droits de l’homme (26) pour la détention arbitrairement imposée aux demandeurs d’asile dans les centres insulaires ; elle constituerait aussi un transfert de la charge des demandeurs d’asile vers les pays voisins. Enfin, du fait de l’implication des forces armées dans le dispositif opérationnel, toutes les informations le concernant ne sont pas rendues publiques.

Votre rapporteur pour avis n’a pas à exprimer de jugement sur la politique menée par un État partenaire de la France. De surcroît, si l’expérience australienne n’est pas dénuée d’intérêt, elle n’apparaît pas transposable à la France : la géographie de l’Europe n’est pas celle du Pacifique ; la liberté de circulation et la politique commune en matière d’asile qui prévalent dans l’Union européenne n’y ont pas d’équivalent ; la proximité des foyers de conflit influe sur le volume des tentatives d’immigration. Toutefois, il convient de relever que la stratégie de long terme définie par les pouvoirs publics australiens a permis de sauver des vies et de mettre un frein aux activités des passeurs : décourager les tentatives d’immigration illégale et poursuivre une politique généreuse à l’endroit des demandeurs d’asile dans le cadre des procédures légales n’est donc pas inaccessible dans un État de droit.

Enfin, votre rapporteur pour avis a été surpris de constater que le budget consacré par l’Australie pour l’accueil de douze mille réfugiés venus d’Irak et de Syrie a été chiffré à 700 millions de dollars australiens sur quatre ans, soit 450 millions d’euros sur la période et 112 millions d’euros annuels. Il serait bon que le Gouvernement français puisse fournir à l’Assemblée nationale un chiffrage des sommes qu’il entend consacrer, pour sa part, à l’accueil des 33 000 personnes attendues en France sur deux ans. Les 276 millions d’euros qui devraient être sollicités par voie d’amendement à l’occasion du projet de loi de finances pour 2016 semblent, au regard de l’exemple australien, singulièrement sous-évalués.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du jeudi 22 octobre 2015, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2016.

M. le président Gilles Carrez. Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, et moi-même sommes heureux de vous accueillir pour cette commission élargie consacrée à l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2016, sixième mission examinée en commission élargie depuis lundi soir.

L’exercice auquel nous nous livrons en commission élargie ne nous dispense pas d’un examen en séance plénière. Chaque automne, ce sont ainsi trente missions qui sont examinées deux fois, en commission élargie, puis en séance plénière.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. D’ici à la fin de l’année 2016, la France doit accueillir 30 700 migrants fuyant la Syrie, l’Irak et l’Érythrée. Nous ne pouvons qu’être fiers de cette action républicaine, soutenue par les 700 maires des villes bénévoles et par des millions de nos concitoyens.

Je peux témoigner de la dignité de l’accueil offert à la première vague de 521 demandeurs d’asile arrivés le 11 septembre dernier et du travail remarquable effectué tant par les services de l’État et les collectivités locales que par les associations et les bénévoles. Je me suis rendu au centre Kellermann, dans le XIIIe arrondissement de Paris, qui appartient à la Ligue de l’enseignement. Soixante-deux places d’hébergement y sont gérées par l’association Emmaüs Solidarité. Je tiens à saluer les efforts déployés par les huit salariés de l’association, par les bénévoles et par les services de l’État, pour offrir le meilleur accompagnement possible. Ainsi a-t-il été possible de répondre en quelques jours aux demandes d’asile enregistrées dès l’arrivée des migrants.

Puissent cette réactivité et cette mobilisation, loin de se tarir au cours des prochains mois, agir comme un levier au bénéfice des autres migrants, notamment ceux dont les conditions de vie, à Calais, sont particulièrement déplorables. Je ne peux qu’apporter mon soutien à l’appel des 800 artistes et intellectuels qui dénoncent les conditions de vie insoutenables des 5 000 à 6 000 migrants survivant dans cette jungle inhumaine. Quelles dispositions comptez-vous prendre dans les prochains jours, monsieur le ministre de l’intérieur, afin de résoudre définitivement cette situation inqualifiable qui porte atteinte à nos valeurs républicaines ? Je sais quels efforts vous fournissez en la matière, mais il est important de rappeler ici ce qui va être fait.

Rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration », je salue l’augmentation de près de 10 % en autorisations d’engagement et de 8 % en crédits de paiement des moyens qui lui sont dévolus. Cette évolution accompagne les progrès qui résultent de la loi relative à la réforme du droit d’asile du 29 juillet dernier et le projet de loi portant réforme du droit des étrangers adopté en première lecture. Saluons donc ces avancées notables : la création de 9 700 places supplémentaires en centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) d’ici à 2017 ; la réduction des délais de traitement des demandes d’asile, tant attendue, grâce au renforcement des moyens humains de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ; le soutien effectif à la lutte contre l’immigration irrégulière.

Toutefois, je souhaite faire part aussi des doutes que m’inspirent certains points. Si les crédits consacrés à la nouvelle allocation pour demandeur d’asile (ADA), qui entre en vigueur le 1er novembre prochain, augmentent de 25 %, il semblerait que ce soit insuffisant compte tenu de l’afflux des nouveaux demandeurs d’asile, quand bien même l’examen de leurs demandes se révélerait particulièrement rapide. Plus précisément, je m’inquiète de la phase de transition de quinze jours précédant la mise en place effective de l’ADA, pendant laquelle les demandeurs d’asile ne percevront, semble-t-il, pas d’allocation, quand bien même leurs droits ne sont pas interrompus. Comment comptez-vous, monsieur le ministre, prendre en compte ce décalage budgétaire susceptible de porter préjudice tant aux associations qui gèrent les CADA qu’aux demandeurs d’asile ne disposant plus de moyens de subsistance ? Par ailleurs, s’il est à craindre que manquent 50 millions d’euros, comment comptez-vous y remédier ?

De même, les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence accusent une baisse de près de 12 % par rapport à 2015, qui serait justifiée par la création de places en CADA. Je ne puis évidemment qu’être favorable à une telle augmentation du nombre des places en CADA, mais elles ne permettront pas de répondre à tous les besoins d’hébergement. Il sera donc nécessaire d’orienter les demandeurs d’asile vers l’hébergement d’urgence, qui se révélera insuffisamment doté, et le problème risque ainsi de se répercuter sur l’hébergement d’urgence de droit commun, financé par le programme 177, déjà saturé, comme l’a d’ailleurs souligné la Cour des comptes dans son référé du 30 juillet dernier. Nous pouvons donc craindre sur ce point aussi une dérive budgétaire en cours d’exécution. Or, derrière ces chiffres qui paraissent parfois abstraits, il y a, ne l’oublions pas, des êtres humains dans des situations extrêmement difficiles, qui risquent d’en pâtir. Comme le Gouvernement vient de déposer un amendement à ce sujet, j’espère quelques précisions.

Je souhaite aussi relayer les craintes dont diverses d’associations – France terre d’asile, Forum réfugiés, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale et la Coordination française pour le droit d’asile – m’ont fait part. La lettre qu’elles vous ont adressée le 15 octobre dernier, monsieur le ministre, figure donc en annexe de mon rapport. Elles m’ont notamment signalé certaines incohérences et difficultés, qui leur sont gravement préjudiciables, dans la gestion des fonds européens. Les services de l’État comptent-ils donc accompagner véritablement les associations dans leurs démarches auprès des autorités européennes, et simplifier lesdites démarches ? Elles rencontrent par exemple d’importants problèmes de décalages de trésorerie, alors qu’elles qu’ont vocation à bénéficier pleinement de ces fonds européens, dont les montants ont d’ailleurs été largement augmentés pour l’année 2016. Ce sont là des compléments indispensables pour qu’elles mènent à bien leur action.

À cet égard, je m’inquiète également de la baisse du prix par personne et par jour d’une place d’hébergement en CADA, qui passe de 24 euros à 19,45 euros en raison de la disparition de l’allocation mensuelle de subsistance (AMS) et de l’allégement des missions des CADA. Dans ce contexte, comment les associations pourront-elles mener à bien les actions d’accompagnement socioculturel qui semblent avoir disparu des missions qui leur sont assignées ? Elles sont pourtant indispensables dans le parcours d’intégration d’un migrant.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Ce projet de budget permettra de renforcer nos politiques d’asile et d’immigration d’une manière significative. Nous allons amplifier des efforts engagés depuis le début de la législature. Les créations massives de places dans les CADA en sont un exemple très emblématique, mais je pourrais en citer d’autres, notamment le renforcement des moyens de l’OFPRA pour réduire les délais de traitement des demandes d’asile. Ces efforts sont évidemment nécessaires au regard des difficultés que nous sommes en train de régler, en particulier dans notre système d’asile. Ils le sont aussi en raison de la pression qui s’exerce aux frontières extérieures de l’Union européenne.

Parallèlement aux efforts consentis au niveau national, nous devons continuer à renforcer les politiques d’asile et d’immigration au plan européen. C’est sur ce point que je voudrais insister. Depuis que je suis le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur cette mission, je déplore une faiblesse persistante au plan européen dans ces domaines.

Si les normes applicables en matière d’asile ont été rapprochées progressivement, manque encore une véritable solidarité, en particulier à l’égard des pays situés en première ligne. La crise migratoire actuelle n’a fait que révéler cette carence – nous n’étions tout simplement pas prêts. Les conséquences de ce qui se passe aux frontières extérieures de l’Union, dont sont responsables les États concernés, touchent tout le monde. Nous avons donc besoin d’une gestion plus commune – j’allais dire : « communautaire ».

Je veux donc saluer les initiatives prises par le Gouvernement, dès 2014, au plan européen. Lorsque nous vous avons auditionné en commission des affaires étrangères, monsieur le ministre, vous nous avez rappelé que vous avez effectué une première tournée des capitales européennes dès le mois d’août 2014, pour proposer de travailler davantage avec les pays d’origine et de provenance des flux, de renforcer le contrôle de la frontière extérieure en Méditerranée, avec une opération conduite sous l’égide de Frontex, et de mettre en place un dispositif de solidarité.

Des progrès ont eu lieu. La création de mécanismes provisoires de relocalisation, pour 160 000 réfugiés, constitue une avancée. Nous nous sommes engagés à en accueillir 30 000 en France, et je tiens à le saluer. Pouvez-vous évaluer précisément la charge supplémentaire que cela représente pour notre système d’asile et nous indiquer les moyens prévus pour y faire face ? Mais peut-être l’amendement déposé par le Gouvernement répond-il déjà à cette question.

Cette solidarité s’accompagne de plusieurs corollaires indispensables : tout d’abord, la création des fameux hotspots, qui doivent permettre d’enregistrer et d’identifier les arrivants pour faire la différence entre ceux qui ont besoin d’une protection internationale et ceux qui n’en relèvent pas ; ensuite, la mise en œuvre de politiques de retour qui doivent être efficaces. Les hotspots devraient être opérationnels au mois de novembre. Lorsque je me suis rendu en Italie au début du mois, le processus semblait avancer, mais je ne suis pas certain que la Grèce en soit tout à fait au même stade. Pouvez-vous nous dire comment la situation évolue dans ces deux pays ?

Nous devons éviter l’illusion et le danger d’un repli sur les frontières intérieures de l’espace Schengen, de même que nous devons conjurer la tentation de laisser passer les flux dans l’espoir coupable de reporter les difficultés sur d’autres. Pour cela, nous devons nous donner collectivement les moyens d’assurer une gestion commune des frontières extérieures. La création d’un corps de gardes-frontières et de garde-côtes européens ne réglerait certainement pas tout, et cette proposition peut aussi se heurter à certaines conceptions de ce que devraient être les compétences nationales, mais un corps de gardes-frontières européens, ou une réserve mobilisable, peut être un outil pour aider plus efficacement les États membres et pour faire face à un dysfonctionnement majeur à la frontière extérieure. Où en sommes-nous dans les discussions que nous avons avec nos partenaires sur cette question ?

À défaut d’un tel système, il semble qu’il y ait aujourd’hui des difficultés pour répondre aux besoins exprimés par Frontex et par le Bureau européen d’appui en matière d’asile. Ces agences demandent la mise à disposition d’experts, mais les contributions nationales seraient trop limitées ou trop lentes. Qu’en est-il précisément ?

Autre impératif, nous devons essayer de renforcer la coopération avec les États tiers. Je ne pense pas seulement à la Turquie, bien qu’elle concentre aujourd’hui tous les débats, mais aussi à certains pays d’origine ou de transit des migrations en Afrique. Dans cette perspective, qu’attendez-vous du sommet qui se tiendra à La Valette, les 11 et 12 novembre prochains ? Un fonds fiduciaire de 1,8 milliard d’euros devrait être créé au service d’objectifs ambitieux : favoriser la stabilité des pays africains et lutter contre les causes profondes des migrations illégales. À plus court terme, comment avancer concrètement avec les pays africains sur la question du retour des migrants qui n’ont pas vocation à rester sur notre territoire ?

En France, compte tenu des difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires auprès de certains pays, un premier plan d’action a été mis en place en 2013, mais la question reste entière dans certains cas. Parmi les nouvelles orientations définies par le Conseil européen du 15 octobre dernier figure celle-ci : « promouvoir l’acceptation par les pays tiers d’un laissez-passer européen amélioré en matière de retour en tant que document de référence aux fins du retour ». Quelles précisions pouvez-vous nous donner sur l’usage actuel des laissez-passer européens et sur les perspectives d’amélioration en ce domaine ?

Je vous remercie des réponses que vous pourrez nous donner, monsieur le ministre. Nous vous faisons confiance pour continuer à défendre des propositions au niveau européen en vue de renforcer nos politiques d’asile et d’immigration. Nous en avons besoin, pour compléter la consolidation de nos dispositifs nationaux dans le cadre de cette mission budgétaire, sur l’adoption de laquelle j’émettrai bien sûr un avis favorable, avec le sentiment que les choses évoluent dans le bon sens.

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur l’immigration, l’intégration et l’accès à la nationalité française. C’est peu de dire que nous vivons un moment particulier de l’histoire des migrations humaines. À la fin de cette année, plusieurs centaines de milliers de personnes, peut-être 1 million, auront franchi la Méditerranée pour gagner le continent européen –700 000 l’ont déjà fait.

Elles ne partagent pas une motivation unique. Certaines sont chassées par la guerre, d’autres attirées par des conditions économiques et sociales meilleures que celles qu’elles connaissent dans leur pays, entre misère et drames. Ne tombons pas dans les caricatures et ayons un peu de mémoire. Nous connaissons nos devoirs aussi bien que nos responsabilités. Comme le Gouvernement l’a indiqué à de nombreuses reprises, nous devons respecter les droits, c’est un principe absolu de la République.

Il y a d’abord la situation des réfugiés, qui viennent de Syrie, d’Irak et d’Érythrée, persécutés par les terroristes de l’État islamique, par des dictateurs sanguinaires et les mafias à l’œuvre dans ces pays déstructurés. La France met tout en œuvre, y compris des moyens militaires, pour en finir avec ces entreprises de désolation, notamment à celle, terrifiante, de Daech, mais, en attendant que nos actions extérieures portent leurs fruits, la morale et le droit international nous imposent d’offrir l’asile à ces malheureux.

La France a décidé d’accueillir 30 700 réfugiés, qui seront ainsi relocalisés depuis l’Italie et de la Grèce. Elle accueillera aussi plus de 2 000 personnes qui se trouvent actuellement dans les camps de réfugiés au Liban, en Turquie et en Jordanie. Ce n’est pas un effort négligeable, mais, si nous nous y prenons bien et si nous réussissons à mettre en œuvre la réforme de l’asile dont notre collègue Sandrine Mazetier est la rapporteure, nous parviendrons à lisser le flux et à l’absorber sans trop de difficultés. Notre grand pays en a la possibilité, et je me félicite que notre gouvernement ait pris ces décisions de bon sens, conformes à ce qu’est la République et à nos convictions. Je crois aussi que les Français y sont prêts. Après quelques hésitations et des polémiques, les choses se mettent en place dans les villes, y compris là où s’exprimaient des protestations – sans doute est-ce le fruit des efforts de conviction à la fois de la société civile et du Gouvernement.

À côté de ces réfugiés, il y a aussi des migrants économiques, dont nous pouvons évidemment comprendre qu’ils soient attirés par l’Europe et notre mode de vie, mais nous devons aussi garder le sens des réalités. Non seulement nous ne pouvons pas tous les accueillir, mais, de surcroît, ils sont souvent la force qui devrait permettre aux nations qu’ils quittent de se développer. La question de la coopération internationale et du développement est donc tout à fait centrale, et la politique d’immigration que nous menons doit évidemment s’y articuler. Nous avons des procédures qu’il faut respecter et faire respecter, nous sommes ouverts et nous examinons les dossiers des candidats à l’immigration avec intérêt et attention, nous consacrons des sommes importantes à leur intégration et nous sommes prêts à les accepter, à terme, mais nous n’accordons pas un blanc-seing à tous. Nous devons aussi tenir compte d’équilibres économiques, de contraintes politiques, de contraintes de politiques publiques, de réalités sociales. Tous ne peuvent pas venir, et tous ne peuvent pas rester.

Cependant, face à ces centaines de milliers de personnes qui ont gagné l’Europe, il ne faut pas agiter les peurs. Tous ne sont pas des réfugiés auxquels nous ouvririons grand les portes et qui viendraient chez nous pour tout dévaster, comme on l’entend dans une certaine… Voulez-vous parler de la Syrie, monsieur Myard ?

M. Jacques Myard. Non, je pense aux Manouches !

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Que viennent-ils faire ici, monsieur Myard ?

M. Jacques Myard. Ils ont tout dévasté !

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il y a donc des Manouches en Syrie, monsieur Myard ?

M. le président Gilles Carrez. Je vous en prie, poursuivez, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il faudra donc de la rigueur, souvent de la fermeté et toujours des moyens. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2016 peut nous réjouir. Les moyens alloués à la mission que nous examinons et aux modernisations nécessaires connaissent effectivement une hausse significative.

J’en viens à quatre questions.

Je connais, certes, la réponse de la première, puisque je me suis occupé, ces derniers jours, d’essayer de rétablir la vérité, mais j’aimerais que M. le ministre le fasse aussi. Il s’agit de l’affaire du Beechcraft. Ce matin encore, j’ai vu, sur une chaîne d’information en continu, des images assorties d’un commentaire selon lequel l’aéronef en cause serait un « jet privé ». Sans doute n’ont-ils pas vu les deux hélices ! Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous repréciser les faits ? Il me paraîtrait bon que chacun puisse vous entendre.

Le projet de loi de finances n’intègre pas les décisions du Conseil de l’Union européenne du mois dernier, ce qui est bien normal. Pouvez-vous vous exprimer à ce propos, peut-être en lien avec l’amendement déposé par le Gouvernement ?

Pour refuser l’accueil des réfugiés en France, certains ont agité le risque de faire entrer des terroristes. Comment les services du ministère de l’intérieur travaillent-ils sur cette question ? Je pense que ces peurs sont largement irrationnelles, mais il est important que vous puissiez répondre.

Enfin, en ce qui concerne la gestion politique de l’asile, la Chancelière allemande a parfois semblé remettre en cause le système de Dublin. Depuis lors, sa position a évolué, et l’Allemagne voudrait désormais travailler à une éventuelle modernisation. Comment y travaillez-vous donc ensemble ?

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur l’asile. Nous examinons la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour l’année 2016 dans un contexte inédit et dramatique : 700 000 migrants sont arrivés en Europe depuis le début de l’année ; 3 100, au moins, ont trouvé la mort, dans des conditions tragiques. Or nous examinons ce budget, monsieur le ministre, quasiment comme si nous étions dans une situation normale. Si tel était le cas, l’augmentation de 8 % des crédits du programme 303 pourrait répondre aux défis nouveaux de l’asile et permettre la mise en œuvre du projet de loi en question, mais nous ne sommes, hélas, pas dans une situation normale. Selon le HCR, entre lundi soir et hier mercredi soir, ce sont 27 000 migrants qui sont arrivés en Grèce ! Le projet de loi de finances et la politique qu’il incarne sont-ils de nature à relever ce défi inédit et, je le répète, dramatique ?

Nous examinons aussi ce budget quelques jours après la publication par la Cour des comptes d’un référé extrêmement critique sur l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile, de 2010 à 2013. Le constat dressé par les magistrats de la rue Cambon est particulièrement sévère et extrêmement critique. Un chiffre le résume, qui traduit la faillite de notre système d’asile qui place désormais sur le même plan demandeurs et réfugiés : à peine 4 % des déboutés du droit d’asile ont été éloignés ! Vous avez contesté ce chiffre à la suite du rapport provisoire : la Cour évoquait 1 %, vous évoquez vous-même 8 %, ce qui serait, à vous en croire, un résultat extraordinaire, mais, que ce chiffre soit de 1 %, 4 % ou 8 %, il est tragiquement mauvais et traduit une politique totalement déséquilibrée. En effet, elle aboutit, je le répète, à une erreur tragique : placer sur le même plan ceux qui bénéficient du statut noble de réfugié ou de la protection internationale, opprimés ou persécutés en raison de leurs convictions, de leurs idées, ou dans le cadre de conflits qui secouent leurs pays, que la France s’honore d’accueillir, et les autres. Le droit d’asile devient donc le vecteur légal de l’immigration illégale, puisque tout demandeur d’asile est aujourd’hui certain de pouvoir se maintenir dans notre pays. Finalement, le triste épisode de ce Beechcraft qui a suscité la polémique est peut-être l’illustration, quoiqu’un peu réductrice, d’une politique à la fois coûteuse et, comme le soulignent les associations, inefficace.

Aujourd’hui, plusieurs questions se posent. Ce budget ne tient donc aucun compte d’un contexte tout à fait exceptionnel, même si nous venons de constater que le Gouvernement a déposé un amendement. Certes, vous ajoutez des moyens, mais je tiens à souligner, en tant que rapporteur pour avis, que nous n’avons pu obtenir de réponse sur le coût global de l’accueil de ces 30 700 réfugiés, qui ne sont pas des demandeurs d’asile et que le Président de la République a accepté d’accueillir dans une forme de suivisme que je veux dénoncer, derrière l’Allemagne. Nous pourrions même parler de 33 000 personnes, en comptant aussi les réinstallations, que je salue, de migrants qui ont obtenu le statut de réfugié depuis la Syrie et l’Irak et qu’il est normal d’accueillir.

Nous nous interrogeons donc vivement sur le coût de ce dispositif. Nous voyons que vous abondez les crédits de 98 millions d’euros, mais j’estime à plus de 450 millions d’euros le coût de ces 33 000 migrants pour le budget de la nation. Pouvez-vous nous répondre précisément sur ce point spécifique ? Et comment ce programme sera-t-il financé ? Nous avons entendu la ministre du logement indiquer que ces crédits seraient redéployés à la faveur d’une baisse des aides personnalisées au logement. Qu’en est-il ? Je veux dénoncer là une forme d’insincérité, d’opacité, volontairement entretenue dans le cadre de ce budget. Qu’allons-nous faire, monsieur le ministre, quand les centaines de milliers de migrants qui se trouvent, pour l’heure, à l’extérieur de l’Europe, en franchiront les frontières ? Qu’allez-vous faire pour améliorer les procédures d’éloignement, dont le degré d’application frise aujourd’hui le ridicule ? Enfin, comment résoudre la question de la jungle de Calais, qui fait honte à notre pays ? Cette situation indigne traduit, elle aussi, l’impuissance d’une politique ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je voudrais, si vous en êtes d’accord, essayer d’aller à l’essentiel et d’apporter les réponses les plus précises possible aux différents rapporteurs, notamment à celui qui s’est exprimé en dernier et a tenu un discours très politique, fondé sur de nombreuses approximations. Puisqu’il m’y invite, j’y reviendrai de façon détaillée, et d’autant plus volontiers qu’il a « mis le paquet ».

La question de l’allocation pour demandeur d’asile, évoquée à plusieurs reprises, appelle une réponse extrêmement précise. Le rapport de la Cour des comptes est un véritable réquisitoire contre les manquements d’une politique, conduite par la précédente majorité, qui a laissé le système d’asile s’enliser. Avec les moyens que nous allouons, la loi relative à la réforme du droit d’asile, promulguée le 29 juillet dernier, permet d’y remédier. Ainsi, d’ici à la fin du quinquennat, nous aurons créé 18 500 places de CADA, car, si nous voulons que notre pays soit à la hauteur de sa réputation, il faut qu’il puisse accueillir dignement ceux qui relèvent de l’asile. Nous aurons également créé 250 postes équivalents temps plein (ETP) au sein de l’OFPRA, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et des guichets uniques des préfectures pour ramener de vingt-quatre à neuf mois la durée de traitement des dossiers des demandeurs d’asile. Et nous aurons créé les conditions de la simplification de diverses procédures juridiques pour faire en sorte que ces délais soient tenus. Alors qu’elle avait été incapable de prendre les textes de loi nationaux qui lui permettaient de se mettre en conformité avec les directives européennes, la France se sera ainsi mise aux meilleurs standards européens.

J’ai entendu les propos de M. Ciotti, et je lui poserai à mon tour des questions, puisque je réponds aux siennes. Combien de places le gouvernement qu’il a soutenu a-t-il créées en CADA ? Combien de postes au sein de l’OFPRA ? Et quel était le délai de traitement des dossiers des demandeurs d’asile ? Vingt-quatre mois ! Nous avons, à cet égard, été lourdement condamnés par l’Union européenne. Pour ma part, je suis extrêmement fier d’avoir contribué, par la loi que j’ai défendue devant le Parlement, à mettre notre système d’asile à niveau.

Bien entendu, comme l’a dit Laurent Grandguillaume, il faut être attentif à tous les éléments de la politique de l’asile, notamment au passage de l’AMS et de l’allocation temporaire d’attente (ATA) à l’ADA. Celle-ci, qui entrera en vigueur le 1er novembre, sera plus juste : c’est une allocation unique, dont le barème sera le même pour tous, indépendamment des conditions d’hébergement des demandeurs, elle prendra en compte la composition de la famille et sera majorée dans le cas où l’État ne sera pas en mesure de faire une offre d’hébergement au demandeur. L’ADA sera également beaucoup plus efficace, car ses règles de gestion lui permettront de mieux lutter contre la fraude.

En ce qui concerne la question de la transition entre l’allocation actuelle et la nouvelle allocation, posée par M. Grandguillaume, les bénéficiaires ne subiront pas de « mois blanc ». Les établissements sont autorisés à verser une avance au titre du mois de novembre et le besoin supplémentaire pour 2016, qui s’élève à 11 millions d’euros, est financé par l’amendement gouvernemental dont vous avez parlé.

Je veux également rappeler un certain nombre d’éléments précis à propos de la réforme du dispositif d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile. Depuis 2011, une régionalisation du pilotage de ce dispositif vise à assurer une répartition équitable de la prise en charge des demandeurs d’asile et une rationalisation des coûts associés. Dans la continuité du processus de régionalisation, des schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile sont prévus par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, à la suite de l’expérimentation menée depuis 2012 dans trois régions et un département. Un montant de 111,5 millions d’euros est inscrit au projet de loi de finances pour 2016, montant qui s’explique par l’augmentation de la ligne permettant de financer les places en CADA.

Un collectif d’associations chargées de l’accueil des demandeurs d’asile m’a effectivement interpellé à propos de la gestion des fonds européens. La lettre évoque les sujets que vous avez évoqués : les retards de paiement des associations par le fonds européen pour les réfugiés (FER), l’inadéquation des fonds européens pour le financement des projets relatifs aux mineurs isolés, les règles rétroactives sur les indicateurs du fonds asile, migration, intégration (FAMI), etc.

Effectivement, certains paiements ont été effectués avec retard en raison de la longueur des mécanismes de remboursement des dépenses des bénéficiaires par la Commission européenne, dépenses que les crédits nationaux ne peuvent pas toujours prendre à leur charge par anticipation. En ce qui concerne les projets visés dans le courrier, mes services ont entrepris des démarches pour anticiper le versement des soldes sur crédits nationaux dans les prochaines semaines. Les versements du FAMI 2014-2020 seront beaucoup plus rapides et en partie refinancés sur crédits nationaux. La France est d’ailleurs l’un des quatre pays à avoir versé du FAMI dès 2014 et sera le seul pays à adresser à la Commission européenne une demande de remboursement en 2015.

Il est également vrai que le FER n’est pas l’instrument le plus adapté au financement de projets d’accueil des mineurs isolés, car il ne doit s’adresser qu’aux demandeurs d’asile ou aux bénéficiaires d’une protection internationale. L’interprétation parfois dure de ce critère par la Commission européenne a conduit à exclure certaines dépenses, mais non pas l’intégralité des financements.

Je souhaite faire un point précis sur la création des places en CADA, parce qu’une grande partie de la réussite de ce que nous voulons faire pour assurer la dignité de l’accueil des demandeurs d’asile – y compris à Calais – repose sur notre capacité à leur réserver le meilleur accueil, compte tenu du programme de relocalisation et de réinstallation, et suppose donc de créer des places en nombre suffisant en CADA.

Le développement du nombre de places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile constitue donc un objectif prioritaire pour nous, qui se traduit par des décisions budgétaires très précises. La transformation du parc d’hébergement vise à ce que les CADA représentent près de 70 % des places d’hébergement pour demandeurs d’asile. C’est pourquoi, en plus de la création de 5 000 places d’ores et déjà décidée et budgétée en 2015, 3 500 places supplémentaires seront également créées d’ici à la fin de l’année 2016, et 2 000 en 2017. En outre, aux créations de places que je viens d’évoquer s’ajouteront celles qui permettront la mise en place du programme européen de relocalisation, c’est-à-dire 5 130 places. Ces places seront intégrées au schéma national d’accueil et réservées à la mise en œuvre du programme de relocalisation. Au total, ce seront donc 17 500 places supplémentaires qui auront été créées depuis 2012, 22 500 en intégrant les places réservées aux demandeurs d’asile relocalisés.

Il s’agit d’un effort sans précédent, de nature à mettre en adéquation l’offre d’hébergement avec la demande, et qui permet à notre pays, suite aux recommandations de la Cour des comptes, de corriger les effets des manquements successifs des gouvernements précédents face à la réalité de la situation de l’asile en termes de places d’hébergement. Ce rattrapage extraordinaire répond à l’incapacité dans laquelle nous avons été, au cours des dix dernières années, de faire face à cette réalité, au prix de l’embolie de notre politique d’asile et de l’abaissement de la réputation européenne de notre pays.

La baisse du prix à la journée par place, à mission et dans des conditions d’accompagnement des demandeurs d’asile équivalentes, est un objectif central. La finalité, là aussi par souci d’efficacité et d’équilibre budgétaire, est de privilégier une convergence tarifaire des établissements, de rationaliser la gestion du programme 303, et de rendre possible la progression du nombre de places par cet effort de gestion. C’est dans ce double contexte que doivent être appréhendés le rôle et les missions des CADA.

En ce qui concerne le plan de relocalisation européen, je voudrais aussi faire un point extrêmement précis, et répondre aux questions qui ont été posées et à certaines allégations très approximatives. Depuis le début de l’année, l’Europe est confrontée à 710 000 arrivées, ce qui, pour certains États de l’Union – l’Allemagne, l’Autriche et plusieurs pays d’Europe centrale –, peut se traduire par 10 000 arrivées par jour.

La France est-elle confrontée à une augmentation massive de la demande d’asile ? Les chiffres montrent que celle-ci a diminué de 2,4 % l’an dernier. Si nos projections sont exactes, elle augmentera de 8 % en 2015, dans un contexte migratoire exceptionnel. Par conséquent, les discours réitérés expliquant que la France est confrontée à une vague migratoire qui met notre système d’asile en péril sont complètement faux, et très hasardeux sur le plan politique, au moment où des organisations politiques instrumentalisent la question migratoire en espérant déchaîner les instincts et les haines. Ces sujets appellent au contraire une réaction républicaine, la plus grande rigueur et la plus grande vérité.

La France a-t-elle pris la mesure de la situation ? A-t-elle été à l’initiative au sein de l’Europe ? Certains prétendent que la Chancelière allemande donne le la et que la France suit la cadence. Ils appartiennent pourtant au même parti européen que la Chancelière ! Tantôt ils disent que la politique de la Chancelière est la meilleure qui soit, tantôt qu’elle est critiquable, et ils oublient leur communauté d’appartenance pour mettre en cause le Président de la République, qui la suivrait de trop près. Tout cela, c’est du gloubi-boulga, de la bouillie pour les chats !

En réalité, la France a été, dès le 30 août 2014, la première à formuler des propositions claires concernant les orientations à faire prévaloir au sein de l’Union européenne. Elle préconisait tout d’abord de remplacer l’opération « Mare Nostrum », qui ne permettait plus de sauver autant de vies que par le passé, par un contrôle effectif des frontières extérieures de l’Union européenne conduit par Frontex, car il n’y a pas d’incompatibilité entre la volonté d’assurer la sécurité de nos frontières et celle d’assurer des sauvetages et d’agir humainement en Méditerranée centrale. Sur ce point, notre pays a obtenu satisfaction.

Nous avons également proposé un mécanisme de répartition des demandeurs d’asile à l’échelle de l’Union européenne. C’est d’ailleurs une proposition que nous avons formulée au début du processus de réflexion européenne, mais que nous n’étions pas seuls à défendre, puisque l’ancien Président de la République, à la fin de son quinquennat, avait proposé à plusieurs reprises la mise en place d’une politique européenne de l’asile permettant la répartition des demandeurs d’asile entre les différents pays de l’Union européenne. Nous l’avons fait.

Par ailleurs, nous avons proposé que des conventions de retour soient signées par les pays européens avec les pays de provenance, notamment le Niger. Un mandat a été donné pour ce faire à la Haute Représentante de l’Union européenne, Mme Mogherini. Et c’est nous, encore, qui avons proposé de mettre en place une liste européenne de pays d’origine sûrs, car le Conseil d’État ayant invalidé la décision de l’OFPRA d’inscrire le Kosovo sur sa liste, nous voulions en finir avec une certaine fragilité juridique.

Ces propositions ont quasiment toutes été reprises par l’Union européenne, après que la France eut offert de les mutualiser avec l’Allemagne pour en faire des propositions franco-allemandes. On ne peut donc dire que notre pays ait fait preuve de suivisme à l’égard de l’Allemagne, bien au contraire. De nombreux articles de presse en attestent, et ces faits sont vérifiables par tous ceux qui, au-delà des outrances et des amalgames, s’intéressent à la vérité.

C’est donc dans un contexte migratoire et de détresse humanitaire, exceptionnel que nous avons accepté, avec les grandes nations européennes, de mettre en place un processus de relocalisation et de réinstallation. Je constate que, si M. Ciotti avait été à ma place, la France aurait été aux côtés de la Hongrie pour refuser la mise en place de ce dispositif de solidarité. Telle n’est pas la politique du Gouvernement, qui entend agir avec responsabilité et humanité, et qui refuse que notre pays rompe avec la tradition d’accueil qui a toujours été la sienne, quelle que soit la sensibilité de ses dirigeants, lesquels, face aux situations de crise humanitaire, ont su exercer leurs prérogatives et leurs responsabilités.

Par ailleurs, pour faire face à cette situation, nous mettons en place un dispositif qui se compose de la loi asile, du projet de loi sur le séjour en cours de discussion, de l’augmentation du nombre de places en CADA, de la hausse du nombre d’officiers de l’OFPRA et de l’OFII, et du personnel dans les préfectures, et du budget que nous vous présentons aujourd’hui.

D’autre part – pour répondre à M. Dufau –, les moyens que nous mobilisons et la loi que nous avons adoptée doivent permettre d’atteindre l’objectif de réduction des délais de traitement des dossiers par l’OFPRA.

La liste des pays d’origine sûrs est actuellement en discussion au sein de l’Union européenne : j’espère que nous aboutirons rapidement à un accord, car nous avons besoin de sécurité juridique.

Quant au mécanisme permanent de relocalisation, il n’est pas envisageable tant qu’il n’y a pas de maîtrise des flux – c’est-à-dire de contrôle effectif des frontières – ni de mise en œuvre, par l’Union européenne, de l’accord du 22 septembre du Conseil « Justice et affaires intérieures », confirmé par le Conseil européen du 23. Cela requiert préalablement la mise en place des conventions de retour correspondant au mandat de Mme Mogherini, des hotspots sous maîtrise d’ouvrage de la Commission européenne, et le déploiement des moyens de Frontex dans ces hotspots pour assurer la reconduite de ceux qui, migrants économiques irréguliers, n’ont pas vocation à être accueillis au sein de l’Union européenne.

Il ne peut y avoir de mécanisme permanent avant la mise en place de ces dispositifs, car, sans rigueur dans le contrôle des frontières, nous créerions les conditions d’un véritable appel d’air. Si nous voulons bien accueillir en France et en Europe les réfugiés qui ont vocation à l’être, il faut parler clairement et dire que l’accueil des réfugiés dépend de la capacité à reconduire ceux qui ne relèvent pas de ce statut, ce qui requiert la mise en place des hotspots et des conventions de retour. Cela suppose aussi que nous soyons clairs à l’égard de ceux auxquels nous nous adressons en leur disant, comme l’ont fait le Président de la République et le Premier ministre, que nous ne pourrons pas accueillir tous les réfugiés qui sont actuellement dans les camps. Cela suppose aussi que la conférence des donateurs du Haut Commissariat aux réfugiés, qui doit permettre d’augmenter le niveau de l’aide humanitaire dans les camps de réfugiés actuels, se mette en œuvre de façon rapide.

J’en profite pour faire un point sur la mise en place des hotspots. Des missions de monitoring sont actuellement conduites par la Commission européenne et des représentants du Conseil européen. C’est ainsi que le président du Conseil « Justice et affaires intérieures », Jean Asselborn, et le commissaire Avramopoulos se sont rendus en Grèce et en Italie pour examiner les conditions dans lesquelles ces hotspots sont mis en place. Il faut, pour l’instant, que les choses s’approfondissent. Les dispositifs d’enregistrement sont prévus, mais le dispositif de retour n’est pas en œuvre pour des raisons qui tiennent au fait que le mandat de la Haute Représentante n’est pas allé à son terme et que les conventions ne sont pas signées. La France pense que, s’il n’y a pas un dispositif de rétention de ceux, dans ces hotspots, dont les empreintes ont été prises et qui ont été inscrits sur la liste Eurodac, il n’y aura pas de possibilité de procéder à la relocalisation à partir des hotspots. C’est tout le mécanisme européen qui s’en trouvera obéré. Il est donc indispensable que conventions de retour, rétention et relocalisation fonctionnent ensemble si l’on veut avoir un dispositif à la hauteur de nos objectifs.

La conférence de La Valette doit permettre que cinq priorités de la France et de certains États de l’Union européenne aboutissent : renforcer l’accueil des réfugiés, la protection internationale, l’asile – par le renforcement des capacités des pays d’accueil des réfugiés ; répondre aux causes des migrations économiques, notamment par la mise en œuvre de projets concrets ayant un impact sur le développement local ; lutter contre les réseaux de passeurs, c’est fondamental et la France y est très engagée, obtenant des résultats très significatifs ; mettre en œuvre une politique de retour et de réadmission ; et dialoguer sur les modalités des migrations légales, en soulignant qu’il s’agit là d’un sujet central si nous voulons maîtriser la politique migratoire.

Le laissez-passer européen permet la reconduite d’un ressortissant étranger en situation irrégulière vers un pays d’origine. Contrairement au laissez-passer consulaire délivré par les autorités diplomatiques étrangères en France, il est établi par le pays qui procède au renvoi du ressortissant étranger. C’est le Conseil de l’Union européenne, suivant une recommandation de novembre 1994, qui, sur la base du constat des difficultés rencontrées par une majorité d’États membres pour l’éloignement de ressortissants de pays tiers sans documents de voyage, en a préconisé l’utilisation. En France, les laissez-passer européens ont été utilisés à plusieurs reprises avec succès à destination d’un certain nombre de pays : l’Albanie, l’Azerbaïdjan, le Cap-Vert, les Comores, la Côte d’Ivoire. Nous souhaitons, au niveau européen, favoriser l’utilisation et l’acceptation de ce document par les principaux pays d’origine et de transit des migrants irréguliers.

En réponse aux questions de M. Mennucci, j’ai indiqué que nous n’étions pas favorables à l’abandon des principes du règlement Dublin III – ce qui aboutirait à la mise en place d’un mécanisme européen permanent de relocalisation –, tant que nous ne serons pas capables de maîtriser parfaitement les flux. Et j’ai indiqué quelles étaient les conditions de maîtrise de ces flux. Ce n’est pas que l’objectif ne puisse être atteint à terme, ni qu’il ne soit pas pertinent au regard de ce que seraient une politique européenne de l’asile et une politique migratoire intégrée, qui reposeraient à la fois sur l’accueil et la maîtrise. Mais il faut avoir la garantie que la maîtrise soit là pour créer les conditions de l’accueil par la mobilisation du mécanisme permanent. Ce n’est pas le cas pour l’instant, et nous sommes donc extrêmement prudents sur cette perspective, même si elle peut constituer un objectif politique à atteindre.

Je voudrais également faire un point sur les retours, sur notre politique d’éloignement contraint et sur les moyens que nous mobilisons pour la mettre en œuvre.

Permettez-moi d’abord de revenir sur le rapport de la Cour des comptes, utilisé avec une malhonnêteté intellectuelle flagrante par ceux qui l’exploitent pour qualifier la politique de l’actuel gouvernement, alors qu’il est un réquisitoire sans appel contre la politique du gouvernement précédent. Tout ce qu’il dit sur les conditions d’accueil, sur les délais de traitement et sur le coût de l’asile correspond à la situation antérieure aux décisions budgétaires et législatives que nous avons prises pour remettre à flot la politique de l’asile et de l’accueil.

La Cour des comptes donne un chiffre qui correspond au nombre de personnes reconduites à la frontière après que la procédure a échoué, nonobstant les possibilités d’accès à d’autres titres de séjour pour ceux qui se sont vus refuser l’asile. Si nous ajoutons au chiffre de ces retours bruts – retenu par la Cour des comptes – ceux qui accèdent au séjour en France par d’autres voies, et si nous tenons compte des retours volontaires de ceux qui partent d’eux-mêmes après avoir été déboutés, nous obtenons une proportion de 20 à 25 % des déboutés du droit d’asile. Ce n’est pas le Gouvernement qui le dit, mais M. Karoutchi, qui s’est exprimé sur ce point au Sénat – je vous renvoie au compte rendu.

Allons plus loin dans le raisonnement : ce chiffre est-il suffisant au regard de la volonté du Gouvernement de rehausser le niveau de la politique de l’asile ? La réponse est non. J’ai toujours eu, à cet égard, une position très claire, qui contraste avec la politique du gouvernement précédent : ceux qui sont déboutés du droit d’asile doivent pouvoir être reconduits de façon plus volontariste dans leur pays d’origine. En disant cela, je sais que je peux susciter des interrogations dans un certain nombre d’associations, d’organisations ou de partis politiques, mais c’est la position que nous défendons, parce que la soutenabilité de la politique de l’asile en dépend.

Le niveau le plus bas de reconduites forcées à la frontière de déboutés du droit d’asile ou de migrants en situation économique irrégulière a été atteint en 2011 : 12 000. Nous sommes, en 2015, à 17 000. Ainsi, nous reconduisons beaucoup plus ceux qui sont déboutés du droit d’asile ou en situation irrégulière que ne le faisaient ceux qui nous donnent aujourd’hui des leçons en oubliant les statistiques. Celles-ci, qui sont incontestables, figurent dans les documents du ministère de l’intérieur, et, au terme de l’examen du texte sur l’asile, M. Larrivé a reconnu leur exactitude – le compte rendu en témoigne.

Une polémique est née, par ailleurs, à propos de l’utilisation d’un avion pour la reconduite à la frontière de migrants en situation irrégulière. Ceux qui nous reprochent d’utiliser des moyens d’éloignement sont ceux-là mêmes qui, trois semaines plus tôt, nous reprochaient de ne pas éloigner. Nous utilisons en effet des moyens d’éloignement, parce que nous éloignons. Mais, cet argument ayant des limites, on nous a ensuite reproché de recourir à des moyens d’éloignement coûteux ; et, dans une opération de manipulation assez malhonnête, on a laissé penser que le Gouvernement avait loué des jets privés pour procéder à la reconduite des migrants. Rien n’est plus faux. Les avions ont été loués par le ministère de l’intérieur dans le cadre d’un marché passé en 2006. À l’époque, je n’ai entendu ni M. Ciotti ni aucun organe de presse s’en émouvoir. Le marché, constamment renouvelé depuis, ne nous fait pas utiliser des jets privés, mais un avion Beechcraft.

Monsieur Ciotti, vous indiquez que les migrants ne sont pas reconduits à la frontière, mais vont de centre de rétention administrative en centre de rétention administrative. Examinons des chiffres précis, pour dissiper toute ambiguïté. En 2012, lorsque vous étiez aux responsabilités, il y a eu 108 vols ; en 2013, 121 ; et en 2014, 131. Sur ces 131 vols, 9 se sont déroulés de CRA en CRA. En 2015, il y en a davantage, pour une raison très simple que vous avez vous-même pointée : à Calais coexistent des migrants irréguliers et des personnes qui relèvent du statut de réfugié ; il nous faut éloigner ceux qui sont en situation irrégulière. Lorsqu’ils sont interpellés et qu’ils doivent être éloignés, nous les plaçons au CRA de Coquelles : vous conviendrez avec moi qu’il n’est pas besoin d’un avion pour aller de Calais à Coquelles… Quand le CRA de Coquelles est saturé, nous dirigeons ces migrants en situation irrégulière vers d’autres CRA, dans l’attente de l’éloignement vers leur pays d’origine après épuisement des voies de recours prévues par le droit, car la rétention permet aux défenseurs des personnes placées en rétention de mobiliser toutes les possibilités de recours existantes.

Ainsi, après des chiffres faux et une interprétation frelatée du rapport de la Cour des comptes, cette polémique sur les avions est un pur montage. L’avion existe depuis longtemps et reconduit un nombre de migrants assez comparable année après année. Le coût de l’avion était de 1,7 million en 2012 quand vous étiez au pouvoir, de 1,6 million en 2013 et de 2,3 millions en 2014, le nombre de migrants ayant augmenté. Cela correspond à un coût par étranger en situation irrégulière de 4 498 euros en 2012 ; de 3 195 en 2013 et de 4 100 euros en 2014, ce qui est donc moins cher qu’à l’époque où vous étiez aux responsabilités.

Je vous communiquerai tous ces éléments, mais cela ne vous empêchera pas de continuer à alimenter des polémiques, car la vérité n’a jamais empêché quiconque de faire des polémiques si son goût pour la polémique est plus fort que son exigence de vérité.

Je poursuis sur le coût des 30 700 réfugiés. Vous avez donné un chiffre, monsieur Ciotti, dont j’aimerai que vous retraciez la genèse. D’où vient-il ? Sur quels éléments est-il fondé ? Pourriez-vous m’indiquer quels sont les éléments objectifs, rationnels, précis, à partir desquels vous l’établissez ?

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur l’asile. La Cour des comptes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Mais dans quel document ? La Cour des comptes n’a jamais évalué le coût des quelque 30 000 réfugiés que nous avons vocation à accueillir dans le cadre du processus de relocalisation.

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur l’asile. C’était dans un rapport précédent.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Non, je ne pense pas que la Cour des comptes ait donné ce chiffre. Vous êtes vraiment pris la main dans le sac ! Vous évoquez le coût de l’accueil de 30 000 réfugiés au titre du processus de relocalisation en utilisant un chiffre tiré d’un rapport de la Cour des comptes portant sur la période 2010-2014, alors que le processus de relocalisation n’a pas existé avant 2015 ! Mais quel est ce raisonnement ? Comment peut-on aborder de cette manière des sujets aussi sérieux et aussi précis ?

Je vais vous donner le détail du coût, parce que je pense que nous vous le devons. Il se monte à 276 millions d’euros et se décompose comme suit : 85 millions pour renforcer les moyens de l’OFPRA, de l’OFII, des préfectures et de la direction des étrangers en France – c’est d’ailleurs une somme qui apparaît dans un amendement gouvernemental au budget 2016 – ; 117 millions pour l’hébergement de ces personnes sous la responsabilité de l’État ; 8,5 millions d’euros pour la mise en place, par le ministère de l’éducation nationale, de dispositifs d’apprentissage de la langue ; 15 millions d’euros d’aides aux communes pour l’hébergement et le logement des personnes réfugiées prises en charge sur leur territoire et 50 millions pour un fonds d’aide à l’investissement des communes engagées dans cet effort d’accueil.

Notre pays est confronté à la montée d’un certain nombre de forces politiques qui instrumentalisent la question en nous éloignant de notre tradition et en convoquant toutes les peurs, tous les instincts, et parfois même toutes les haines. Ce débat appelle donc de la rigueur et de la précision. Invoquer de faux chiffres, de faux rapports, faire des polémiques inutiles, ce n’est pas responsable dans le contexte migratoire que traverse l’Europe, ni compte tenu de la situation à laquelle notre pays est confronté.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, vous avez répondu avec exhaustivité et apporté des précisions bien utiles pour désamorcer les polémiques politiciennes. Je voudrais cependant vous demander d’approfondir la question de la coopération entre l’Union européenne et les pays tiers. Vous avez en effet été à l’initiative : ce sont les propositions françaises formulées en août 2014 qui sont maintenant celles de l’Union européenne, et qui font la politique de l’Union, qu’il s’agisse du contrôle des frontières, de la création de centres d’accueil – les fameux hotspots – ou de la coopération avec les pays d’immigration et de transit.

Pourriez-vous nous dire où en sont la mise en œuvre et l’application du Passenger Name Record – PNR – pour lequel vous avez beaucoup bataillé et qui s’est longtemps heurté à l’opposition du Parlement européen ? Qu’attendez-vous du sommet de La Valette ? Vous avez parlé de la réadmission : plutôt que de négocier des accords de réadmission, ce qui est long et laborieux, ne pourrions-nous pas adopter des procédures administratives plus rapides ? En sera-t-il question au sommet de La Valette, qui réunira les pays de l’Union et de nombreux pays en développement, ou cela restera-t-il interne à l’Union ?

Enfin, comment organisez-vous la coopération avec le ministère des affaires étrangères, mais aussi avec vos collègues du Conseil « Justice et affaires intérieures » et les ministères des affaires étrangères, pour travailler avec les pays d’émigration ? On voit par exemple que l’Espagne a réussi, avec le Maroc et le Sénégal, à limiter fortement le courant d’immigration qui vient à travers la Méditerranée occidentale, et qui passe désormais par la Méditerranée orientale. Quels sont vos projets en la matière, et comment organisez-vous la nécessaire coopération interministérielle ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le ministre, les questions d’asile, d’immigration et d’intégration ont retrouvé, sous votre ministère, le sens républicain qu’elles n’auraient jamais dû perdre. Vous avez mis fin à la caricature, à la démagogie et aux fantasmes que trop de responsables politiques voulaient leur associer. Notre nation a une histoire faite de rigueur, de droits et d’obligations. Nous tenons à saluer votre ténacité à tenir une ligne politique claire et sans ambiguïté. Une fois de plus, vous en faites la preuve dans ce projet de loi de finances.

L’esprit de vos politiques est très clair : par une approche globale équilibrée, vous adaptez l’immigration régulière à la réalité économique et sociale du pays, vous renforcez notre attractivité tout en veillant au respect de la législation – bref, vous luttez contre l’immigration irrégulière.

Alors que plusieurs réformes récentes ou en cours structurent nos politiques – je pense à la réforme du droit d’asile et au projet de loi sur le droit des étrangers –, le budget présenté est la parfaite traduction de ce que doit être une politique : des objectifs clairement affichés, des moyens mobilisés.

Vous affichez, sur la question des finances, une détermination infaillible, puisque nous constatons avec satisfaction une nette augmentation des moyens de la mission. Un chiffre suffit à s’en convaincre : les crédits de paiement demandés pour 2016 sont en augmentation de plus de 7 % par rapport à ceux ouverts pour 2015. Le contexte économique et financier est complexe : pourtant, vous maintenez le cap – nous tenions à le saluer.

Le fait migratoire n’est pas nouveau, et il importe que nous relativisions le traitement médiatique et les fantasmes politiques qui en découlent. Au sujet de ces fantasmes, nous ne le répéterons jamais assez : certains jouent avec le feu et devraient prendre conscience de leurs responsabilités au regard de l’histoire passée et à venir de notre pays. Nombre d’entre eux appartiennent à des sensibilités politiques qui ont contribué par le passé à renforcer l’impératif de cohésion républicaine ; ils foulent aujourd’hui aux pieds ce même héritage. Ils se perdront, ils nous perdront si nous les laissons faire.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, nous souhaitons vous interroger sur les capacités à répondre aux besoins d’hébergement, et que vous nous expliquiez comment vous comptez résorber l’accueil d’urgence des demandeurs d’asile au profit des CADA. Comment assurer l’articulation entre la mise en application de la nouvelle loi sur le droit d’asile et les anciens dispositifs ? Ce sont des sujets sensibles qui méritent sérieux et détermination. Vous avez emprunté cette voie, je vous remercie de nous faire part de votre position sur ce point.

M. Guillaume Larrivé. C’est la quatrième fois sous ce quinquennat que nous examinons la mission « Immigration, asile et intégration » – deux fois avec vous, monsieur le ministre, deux fois avec votre prédécesseur, Manuel Valls. Lorsqu’on regarde le document budgétaire, il semble que rien n’ait changé : c’est toujours la même structure, les mêmes thèmes, mais, en vérité – Éric Ciotti l’a indiqué avec précision et rigueur –, la situation s’est considérablement dégradée. Les 710 000 arrivées irrégulières dans l’espace Schengen depuis le début de l’année affectent partiellement notre pays, même si c’est moins que l’Allemagne, car nous sommes moins attractifs au niveau économique, compte tenu de la situation financière extrêmement préoccupante dans laquelle nous sommes plongés depuis bientôt quatre ans.

La demande d’asile vers la France augmente de 8 %, dites-vous, entre 2014 et 2015. Contrairement à ce que l’on entend, ce chiffre très préoccupant ne s’explique pas principalement par des arrivées de Syrie et d’Irak, les trois premiers pays d’origine des demandeurs d’asile étant le Soudan, le Kosovo et la République démocratique du Congo. La vérité, c’est que rien n’est maîtrisé.

Sur un plan technique, vous nous avez habitués à sous-budgéter cette mission dans le projet de loi de finances. En 2013, le budget initial prévoyait 670 millions d’euros de crédits alors que l’exécution s’établissait à 705 millions d’euros ; en 2014, les 665 millions d’euros de la loi de finances initiale sont devenus 711 millions en exécution. Je crains que ce projet de loi de finances ne fasse pas exception à la règle. Le rapporteur spécial a lui-même fait part de ses doutes sur la sincérité des crédits qui nous sont présentés en s’inquiétant d’un rebasage insuffisant et d’une diminution apparente des crédits dédiés à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile.

L’amendement présenté par le Gouvernement ne me semble apporter qu’une correction partielle à cette sous-dotation qui entretient le soupçon d’insincérité de ce budget.

Sur le fond, le groupe Les Républicains a la conviction que vous n’avez pas fixé l’objectif d’intérêt général qui devrait être assumé devant les Français, à savoir une diminution de l’immigration : une diminution organisée et différenciée selon la nature des flux, mais une diminution de l’immigration légale comme illégale. C’est là une différence majeure entre le Gouvernement et l’opposition républicaine.

Enfin, je tiens à souligner l’extrême lenteur du processus de décision européen. Je ne nie pas vos bonnes intentions à l’été 2014 lorsque vous avez porté sur la scène européenne un certain nombre d’orientations. Mais, nous sommes en octobre 2015 et aucun des dossiers n’a avancé.

Vous évoquez la liste des pays d’origine sûrs. Est-elle aujourd’hui dans le droit positif européen ? La réponse est non. J’ai noté que la Commission européenne entend proposer sept pays : le Kosovo, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et peut-être la Turquie, mais le processus n’est toujours pas achevé. Cette liste, objet de discussions sempiternelles, reste un vœu pieux.

Certes, le prochain sommet de La Valette peut y contribuer, mais les négociations avec les pays d’origine ont-elles concrètement progressé ? L’opposition républicaine considère qu’il faut en la matière appliquer un principe assez simple : pas d’augmentation du nombre de visas délivrés ni d’aide publique au développement sans effort de maîtrise de l’immigration, dans une logique de donnant-donnant, une logique contractuelle avec les pays d’origine. Nous nous y étions essayés, le ministre de l’intérieur chargé de l’immigration sous le quinquennat précédent avait effectué vingt-deux déplacements dans les pays d’origine, des accords avaient été signés. Ont-ils été appliqués ? D’autres accords ont-ils été signés ? En vérité, ce dossier a été laissé complètement en jachère depuis quatre ans.

S’agissant de l’éloignement, il faut sortir, monsieur le ministre, des fausses polémiques. La réalité est la suivante : vous continuez à éloigner, en partie, mais vous ne vous fixez aucun objectif. J’en veux pour preuve la page 24 du document budgétaire dans laquelle, en guise de prévisions pour 2015 et 2016 du nombre de mesures de reconduite à la frontière, figure un astérisque. L’objectif n’est pas renseigné, il n’est pas assumé. Il manque également une vraie politique opérationnelle de retour groupé à l’échelle européenne. À l’exception d’une ou deux expériences ici ou là, on n’observe pas d’effort européen conjoint, utilisant éventuellement l’agence Frontex, pour organiser des retours groupés vers les pays d’origine, ni pour obtenir les laissez-passer consulaires et ainsi se donner les moyens de diminuer vraiment l’immigration illégale.

M. Sergio Coronado. Le droit d’asile ne saurait être traité comme une simple question migratoire. Je tiens à cet égard, après avoir entendu les interventions de l’opposition, à saluer le choix du Gouvernement de déposer deux textes distincts. Éviter l’amalgame est une nécessité au regard du contexte politique, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

Il faut aussi marteler les chiffres qui traduisent la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Malgré une forte augmentation du nombre de demandeurs d’asile en Europe, la France ne fait pas face à un afflux massif de demandes. Le nombre de demandeurs d’asile a baissé de 4 % en 2014. En revanche, avant la réforme qui vient d’être adoptée, la France peinait à mettre en œuvre le droit d’asile, en raison de délais de procédure trop longs. Tel est l’héritage politique que le Gouvernement a reçu.

La France a longtemps été le premier pays d’arrivée des demandeurs d’asile en Europe. Elle se classe désormais au quatrième rang, derrière l’Allemagne, l’Italie et la Suède.

Il faut rappeler les efforts qui ont été faits, la volonté affichée de réduire la durée de la procédure à neuf mois et l’augmentation notable de 52 millions d’euros des crédits de paiement de la mission. Je souligne toutefois que la hausse des crédits de l’OFPRA de 1,4 million d’euros sera principalement absorbée par la création de vingt ETP supplémentaires.

La France se distingue par un taux très élevé – 74 % – de rejet des demandes d’asile et par un faible taux d’exécution des mesures d’expulsion, selon la Cour des comptes dans son rapport un peu controversé.

Le Premier ministre a raison de souligner qu’il ne faut pas oublier les cas des demandeurs d’asile obtenant, dans le respect du droit, un autre titre de séjour ainsi que les départs volontaires. Le ministère de l’intérieur fait ainsi valoir que 6 500 titres sont délivrés chaque année au titre des étrangers malades et 9 000 au titre de parents d’enfants français, cette délivrance intervenant pour beaucoup d’entre eux après le rejet d’une demande d’asile.

L’engorgement des hébergements est une autre question importante. L’augmentation des dépenses liées à la politique de l’asile est plus importante que la progression des demandes d’asile. Dans ce contexte, il faut donner la priorité à l’hébergement durable. Il est donc heureux que le projet de loi de finances prévoie 16 millions d’euros supplémentaires pour les CADA. Il faudrait néanmoins faire preuve de constance, monsieur le ministre. Alors que ce projet de loi opère un transfert de crédits entre l’hébergement d’urgence et l’asile, le projet de loi de finances 2015 prévoyait l’inverse. La Cour des comptes appelle à mieux piloter les dépenses en la matière. Je pense qu’on peut être d’accord sur ce point. Il faudrait s’interroger – le rapporteur spécial l’a fait par le passé – sur la fermeture de certains CRA puisque le taux d’occupation pour les vingt-sept CRA est d’environ 50 %. On note, en outre, une hausse importante des frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière qui passent de 21 à 30 millions d’euros.

Nous avons suivi avec une moindre attention les questions d’intégration et d’accès à la nationalité française. Je constate une hausse importante des crédits de l’OFII. Le délai de traitement des dossiers de naturalisation a connu une nouvelle hausse en 2015 et devrait être de 275 jours. Après le rapport de notre collègue Mennucci et les circulaires successives, l’objectif était de diminuer ce délai et de faciliter la procédure d’acquisition de la nationalité. Pouvez-vous préciser, monsieur le ministre, l’évolution du nombre de demandes de naturalisation et les raisons pour lesquelles le délai d’instruction ne cesse d’augmenter ? Que comptez-vous faire pour le réduire ?

M. Marc Dolez. Ma première question porte sur la situation à Calais et sur les différentes recommandations formulées par le Défenseur des droits dans son rapport du 6 octobre. Celui-ci préconise notamment d’allouer des moyens financiers et matériels supplémentaires à la gestion du centre d’accueil Jules Ferry, d’installer au moins dix points d’eau supplémentaires sur la zone concernée et de mettre en place un ramassage régulier des ordures ; il demande des mesures particulières ainsi que des moyens financiers, matériels et humains pour les mineurs, isolés ou non ; il attire l’attention sur l’extrême vulnérabilité des femmes et recommande la mise à l’abri immédiate de toutes les femmes isolées présentes sur le campement ; il préconise enfin de tripler le nombre de places d’hébergement allouées aux femmes et à leurs enfants. Quelles suites envisagez-vous de donner à ces différentes préconisations, monsieur le ministre, en nous précisant les mesures qui seront prises à l’approche de l’hiver ?

Ma deuxième question, que j’avais déjà posée l’an dernier, concerne les enfants en centre de rétention et la circulaire du 6 juillet 2012 visant à restreindre le recours à la rétention administrative des familles en situation irrégulière, circulaire qui est muette sur la rétention administrative des mineurs étrangers isolés. Pouvez-vous faire un point sur l’application de cette circulaire, alors que, depuis la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en janvier 2012, toute rétention d’étrangers mineurs aurait dû cesser ?

Ma troisième question porte sur le régime d’asile européen commun. Quelles conclusions tirez-vous des quarante et une procédures d’infraction contre dix-neuf pays de l’Union européenne lancées par la Commission en septembre dernier ? Comment, dans ces conditions, vous paraît-il possible de trouver une solution au niveau européen face à l’afflux de réfugiés ?

Dernière question, le 24 juin 2015, dans cinq arrêts, la cour d’appel de Paris a condamné l’État pour faute lourde en raison du caractère discriminatoire de contrôles d’identité opérés sur la base de l’apparence physique des personnes contrôlées, de leur couleur de peau ou de leur origine étrangère supposée. La Cour a rappelé que l’État est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir de telles discriminations. Cette position est également celle du Défenseur des droits qui a réaffirmé dans un avis de février 2015 la nécessité d’encadrer davantage les pratiques de contrôle. Or, la presse vient de le révéler, le Gouvernement a décidé de se pourvoir en cassation, alors même que la position de la cour d’appel est conforme à l’engagement numéro trente du président Hollande qui prévoyait de lutter contre les contrôles au faciès. Le Gouvernement entend-il tirer les conséquences de cette décision de justice en mettant en place un récépissé et en proposant une modification du cadre législatif ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, le PNR a été adopté par le Parlement européen alors que cette issue favorable paraissait impossible. J’ai souhaité, il y a quelques mois, face aux difficultés qui pesaient sur l’adoption du dispositif, recevoir les parlementaires de la délégation française et me rendre devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures afin d’expliquer les raisons pour lesquelles le PNR est indispensable compte tenu du risque terroriste auquel nous sommes confrontés.

L’intérêt du PNR réside dans la possibilité qu’il offre d’être informé de l’arrivée de certaines personnes avant qu’elles n’entrent sur le territoire européen. Il permet de connaître l’identité de ceux qui rejoignent l’Union européenne au moment, non pas du passage dans les aubettes, mais de la réservation du billet, soit plusieurs jours avant. Nos services peuvent ainsi repérer les individus qui font l’objet d’une vigilance particulière.

Dans le cadre du trilogue en cours, nous sommes attachés à obtenir un certain nombre de garanties pour faire du PNR un outil susceptible de remplir les objectifs, notamment de lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, que nous souhaitons lui assigner. Ces garanties tiennent à la prise en compte des vols intra-européens, à une durée de masquage et de détention des données compatible avec le travail des services de renseignement, ainsi qu’à une protection des données personnelles assurant aux citoyens européens que l’action en matière de sécurité et lutte contre le terrorisme ne sera à aucun moment menée au détriment des libertés individuelles. Voilà l’équation. J’espère que nous parviendrons à trouver un bon équilibre à l’issue du trilogue.

Le sommet de La Valette est très important puisqu’il rassemblera les pays de provenance et les pays d’accueil. Il doit permettre, à travers la mobilisation du fonds fiduciaire – 1,8 milliard d’euros –, et la relance des discussions, de mettre en place les conventions de retour et tout ce qui en découle, en particulier l’obtention des laissez-passer consulaires.

J’en profite pour répondre à M. Larrivé sur les conventions : de nombreuses conventions ont en effet été signées par Brice Hortefeux quand il était ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, mais les retours constatés ont été le fait de ressortissants européens qui bénéficiaient d’une incitation au retour. Les retours à destination des pays hors l’Union européenne étaient relativement faibles pour des raisons que vous avez vous-même soulignées : il est très difficile d’organiser ces retours ; cela suppose une volonté de l’Union, aux côtés des différents pays demandeurs, de négocier des conventions de retour, de définir des politiques de codéveloppement, de mettre en place des centres de maintien et de retour des migrants dans des pays comme le Niger, et, en aval de ces conventions, l’armement de Frontex, qui est la condition de l’efficacité. C’est tout le sens du mandat qui a été confié à la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères. Pour améliorer la réadmission, les accords internationaux peuvent être utiles, car ils sécurisent le cadre juridique de la réadmission.

En réponse à Mme Chapdelaine, je rappelle le nombre de places créées en CADA dans le cadre de la nouvelle politique de l’asile : 3 000 places entre 2012 et 2014, 5 000 en 2015, 3 500 en 2016, 2 000 en 2017, qui viennent s’ajouter aux 5 000 places supplémentaires pour permettre l’accueil au titre de programmes de réinstallation et de relocalisation, portant ainsi le nombre de places à 20 000, ce qui est considérable au regard de ce qui a été fait jusqu’à présent.

Quant à la suppression de places en hébergement d’urgence, au nombre de 1 500, elle est précisément la conséquence de la création de places en CADA. Le défaut de places en CADA conduisait jusqu’à présent à recourir à l’hébergement d’urgence pour des personnes qui relevaient de l’asile. Nous réglons cette difficulté.

Monsieur Larrivé, je vais vous livrer quelques chiffres pour vous tranquilliser et lever vos soupçons de sous-budgétisation et d’insincérité budgétaire. Entre 2009 et 2012, l’écart entre le budget initial et la dépense réelle était important, puisque celle-ci n’était couverte qu’à 72 %. Entre 2012 et 2016, le taux de couverture de la dépense réelle est passé à 94 %. Les crédits du programme « Immigration et asile » s’élèvent pour 2016 à 632 millions d’euros, soit une hausse de 7 % par rapport à 2015, contre 409 millions d’euros au cours de l’année précédente. Le décalage entre les sommes budgétées et les sommes dépensées se réduit considérablement. Nous ne sommes absolument pas dans l’insincérité budgétaire, nous en sortons. Si nous maintenons cet effort, nous aurons bientôt une couverture parfaite de la dépense. Ces chiffres sont de nature à vous tranquilliser : votre inquiétude devait être inspirée par une autre période que vous avez sans doute bien connue. Mais nous y avons remédié.

Il existe deux manières de traiter la question de l’éloignement. On peut choisir d’afficher des objectifs et de mener une politique chiffrée, en faisant parfois en sorte que les chiffres soient conformes aux objectifs, au moyen des « OQTF flash » – obligation de quitter le territoire français – délivrés à l’aéroport ou de primes de 1 000 euros distribuées à ceux qui partent à Noël, reviennent après Noël, puis repartent à Pâques – les ressortissants roumains et bulgares. Ce n’est pas la politique que je conduis. Je ne mène pas une politique de chiffres, mais une politique de principes : ceux qui sont réfugiés et ont vocation à être accueillis en Europe le seront ; ceux qui sont déboutés du droit d’asile ont vocation à être reconduits. Vous conviendrez avec moi que le nombre de déboutés du droit d’asile n’est connu qu’une fois que le droit d’asile a été refusé. Le chiffre correspondant au nombre de mesures d’éloignement est constaté a posteriori, une fois que les procédures ont été à leur terme ; il ne peut pas être établi avant, s’il n’obéit pas à une politique de chiffres. Dans le cadre d’une politique de principes, indiquer des chiffres dans des cases n’a absolument aucun sens. C’est la raison pour laquelle il n’y en a pas.

Vous m’interrogez ensuite sur l’insuffisance de vols groupés. En 2011, les vols groupés étaient au nombre de 29, en 2012, de 69, en 2013, de 81, en 2014, de 107 et en 2015, nous devrions être à 140. Le nombre de vols groupés en 2016 sera sept fois plus important que celui de 2011.

Monsieur Dolez, la situation à Calais fait l’objet d’une mobilisation très forte du Gouvernement dans un contexte difficile. Vous avez évoqué le rapport du Défenseur des droits. Je respecte la mission du Défenseur des droits ; je pense que ses positions sont un excellent aiguillon pour l’action d’un gouvernement quel qu’il soit. Mais j’aimerais – je n’ai aucune exigence en la matière, je n’ai pas à en avoir – que le Gouvernement puisse être interrogé sur son action avant d’être mis en cause. Ce serait convenable. Un rapport a été publié, mais nous n’avons été interrogés à aucun moment. Si nous l’avions été, nous aurions présenté notre action. Puisque nous ne l’avons pas été, j’ai adressé au Défenseur des droits une lettre extrêmement précise et assez longue pour apporter les éléments de réponse nécessaires. Je tiens cette lettre à votre disposition.

Je tiens à vous dire ce que nous faisons à Calais, où je me trouvais hier encore.

Notre politique, qui est constante, consiste à ne pas laisser les passeurs faire leur travail. J’ai mis énormément de moyens à Calais pour démanteler les filières. Je continuerai à le faire, parce que ces passeurs prélèvent des sommes considérables sur des hommes et des femmes vulnérables pour les conduire dans des impasses, avec une abjection, un cynisme et des méthodes qui font d’eux des acteurs de la traite des êtres humains : ils méritent d’être identifiés, interpellés en raison des crimes qu’ils ont commis et condamnés lourdement.

Depuis le début de l’année, nous avons démantelé près de 200 filières de passeurs représentant 3 300 personnes, soit une augmentation de 25 % du nombre de filières démantelées par rapport à l’année dernière, chiffre qui était déjà en hausse de 25 % par rapport à l’année précédente. Nous continuerons à intensifier cette lutte qui doit être structurelle pour maîtriser la situation à Calais. La coopération avec les Britanniques est exemplaire. Toutefois, nous devons améliorer la coopération judiciaire : j’ai rencontré hier le procureur général et le procureur de Boulogne pour aborder ces sujets. Je me rendrai à Londres le 2 novembre pour rencontrer mon homologue britannique avec lequel j’évoquerai la coopération franco-britannique pour lutter contre les filières.

Deuxième axe de la politique à Calais, il faut rendre la frontière totalement étanche. Ce choix suscite un débat avec les organisations non gouvernementales (ONG) et certains représentants politiques. Je défends cette politique pour deux raisons : si j’ouvre la frontière, ce ne sont pas deux, six ou dix mille personnes qui arriveront à Calais demain, mais nous assisterons à une convergence massive de migrants orientés vers Calais par les filières de traite des êtres humains. J’en ai la conviction. Cette conviction n’est pas un point de divergence avec la précédente majorité, puisque les accords du Touquet reposaient précisément sur ce principe : pour éviter le trafic des passeurs, il faut envoyer très clairement le message que, à Calais, on ne passe pas. Plus nous serons crédibles sur l’étanchéité de la frontière à Calais, moins ceux qui orientent les migrants vers Calais seront tentés de le faire. Deuxième raison, si j’ouvrais la frontière à Calais, la réaction des Britanniques serait, dans les quinze jours qui suivent, de fermer leur propre frontière – on ne peut pas les en empêcher, ils ne font pas partie de l’espace Schengen. J’aurais créé en quelques semaines les conditions de l’augmentation d’un flux et de l’explosion d’un stock, et par conséquent d’un désastre humanitaire.

Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne discutons pas avec les Britanniques pour qu’ils prennent leur part du traitement de la demande d’asile de personnes présentes à Calais ayant de la famille en Grande-Bretagne. Mais cela concerne des cas particuliers sur lesquels il est toujours possible de discuter.

Troisième axe, nous entendons favoriser la demande d’asile à Calais. On ne peut pas dire aux personnes qui sont là qu’elles ne passeront pas et ne leur offrir aucune solution. L’une des possibilités, efficace sur le plan humanitaire, consiste à proposer l’asile à celles qui relèvent du statut de réfugié en Europe. Cette politique marche-t-elle ? En 2013, 300 demandes d’asile ont été déposées à Calais, 1 200 en 2014 et 2 000 en 2015. Depuis le début de l’année 2015, nous y avons placé 1 200 personnes en CADA. J’aimerais que ces chiffres apparaissent dans le bilan humanitaire. Je ne les ai pas lus dans le rapport du Défenseur ni dans les articles qui sont parus. J’aimerais que l’on rende compte de ce que nous faisons pour encourager ceux qui peuvent y prétendre à faire valoir leur droit à l’asile et pour les accueillir dans des conditions dignes en CADA.

Nous sommes engagés dans une démarche humanitaire au service de laquelle la mobilisation des services de l’État est considérable ; j’ai renforcé les moyens de l’OFII et de l’OFPRA à Calais pour faire face à la situation ; je vais amplifier cette action puisque 2 000 places seront créées en CADA avant la fin de l’année et seront entièrement dédiées à ceux qui demandent l’asile à partir de Calais. Sachant que le travail de l’OFII et de l’OFPRA ne suffira pas, j’ai sollicité la présence dans la lande de travailleurs sociaux de l’État, mobilisés par la direction de la cohésion sociale de la région, pour inciter les candidats à l’asile à déposer une demande afin d’éviter qu’ils ne continuent à franchir les clôtures ou à s’aventurer dans le tunnel au risque de leur vie – seize personnes sont mortes à Calais depuis le mois de juin.

Qu’avons-nous fait sur le plan humanitaire ? Je ne dis pas que ce que nous avons fait est un solde de tout compte, je dis que nous l’avons vraiment fait. Quand je suis allé pour la première fois à Calais, il n’existait aucun dispositif pour assurer l’alimentation des migrants. Nous consacrons 13 millions d’euros par an au centre Jules Ferry géré par l’association La vie active pour offrir 2 000 repas et 600 douches par jour. Nous sommes en train d’augmenter les capacités d’accès aux sanitaires et aux repas.

Les femmes et les enfants en situation vulnérable ont été mis à l’abri. Mais cela ne suffit pas et 300 places supplémentaires vont venir s’ajouter aux 100 places déjà créées. Des tentes de la sécurité civile chauffées vont être installées dimanche, les commissions de sécurité passeront lundi. Toutes les femmes et tous les enfants seront abrités sur la lande de Calais. Aussi longtemps qu’il y aura des femmes et des enfants en situation de vulnérabilité, nous augmenterons les capacités d’accueil. Je n’ai rien lu de tout cela dans les rapports auxquels vous faisiez référence ni dans les articles et les appels récemment diffusés.

Nous créons 1 500 places sur la lande, pour un coût de 18 millions d’euros – ce n’est pas non plus un solde de tout compte, mais une première tranche –, pour procéder à la mise à l’abri des personnes sur la lande. Au sortir de cette réunion, je reçois les ONG qui ont exprimé le souhait de nous accompagner dans nos efforts de protection.

Si je récapitule ce que nous avons fait – 11 millions en CADA, 18 millions sur la lande et 13 millions pour les repas –, ce sont au total 44 millions que l’État aura investis sur les seuls sujets humanitaires à Calais en 2015.

Le rapport du Défenseur des droits et Médecins du monde ont pointé des problèmes sanitaires. Même si je regrette de ne pas avoir été interrogé avant la parution de ces rapports, je tiens compte de ce qu’ils disent. Mme Touraine et moi-même avons confié une mission à des médecins de nos deux ministères : celle-ci doit rendre ses conclusions aujourd’hui, nous communiquerons dans la soirée sur le contenu de cette mission ainsi que sur les dispositions que nous allons prendre au vu du rapport dont toutes les préconisations seront mises en œuvre.

Mais un problème de fond se pose à Calais. Notre politique doit-elle consister à maintenir tout le monde à Calais, en mettant à l’abri tous ceux qui arrivent ? Est-ce une solution humanitaire que d’organiser ainsi la concentration des arrivants ? La véritable politique humanitaire, n’est-ce pas ce que nous essayons de faire – et qui est plus difficile, j’en conviens –, c’est-à-dire offrir un minimum d’abri à Calais, ne laisser aucune femme ni aucun enfant sans protection, lancer un plan grand froid, tout en menant une politique d’asile forte qui permettra d’éloigner de Calais ceux qui relèvent de l’asile et de les héberger dans le cadre du dispositif déployé au niveau national, afin d’éviter une concentration qui, quels que soient nos efforts, posera des problèmes humanitaires ? C’est une question à laquelle je demande à M. Grandguillaume, à M. Dolez et à tous les parlementaires présents de réfléchir. Le choix humanitaire consiste-t-il à organiser à Calais un grand campement dont on ignore les dimensions qu’il va prendre ? Ou au contraire, sur le fondement d’une politique équilibrée et volontariste, d’offrir à ceux qui relèvent de l’asile à Calais des solutions d’hébergement en France, dans le cadre des CADA ouverts et des dispositifs préconisés ?

La politique que nous menons dans ce domaine repose sur l’équilibre que je viens d’indiquer et il serait hautement souhaitable, dans le contexte actuel, que, s’agissant de Calais, nous essayions de travailler collectivement, de manière objective, sincère, rigoureuse, pour déterminer exactement qui fait quoi, quelles sont les intentions de chacun, et éviter un procès permanent. La suspicion incessante, sans que l’on vérifie la moindre hypothèse, sans que l’on s’assure de ce que nous faisons, sans que l’on consulte jamais le Gouvernement à propos des budgets alloués ou des actions conduites, a un résultat, et un seul : celui que l’on connaît dans le Nord-Pas-de-Calais.

Je n’alimenterai donc pas cette chronique-là. Je veux montrer qu’il existe des solutions humanitaires, que l’on peut trouver en responsabilité ; que le Gouvernement veut bien faire et qu’il est à la disposition de ceux qui s’interrogent et qui ont des idées. Je suis prêt, je le leur ai dit, à recevoir les artistes qui se sont mobilisés en lançant un appel dans Libération. Ma porte leur est ouverte. J’ai des choses à leur dire. J’ai à leur exprimer les intentions du Gouvernement, sa sincérité, sa volonté. Pour résoudre les problèmes, mieux vaut parler et agir ensemble. Encore faut-il vouloir adopter cette démarche. Quoi qu’il en soit, je sais, moi, que nous sommes sincères et j’irai jusqu’au bout, car le drame humanitaire que vivent ceux qui ont quitté leur pays après avoir été persécutés appelle de notre part une forte mobilisation.

J’ai pris du temps pour répondre au sujet de Calais, car c’est une question sur laquelle il existe beaucoup d’approximations et qui mérite des réponses précises.

Voici le bilan de la circulaire du 28 novembre 2012 : 32 236 cas de régularisation, dont 84 au titre de la vie privée et familiale. Le résultat est incontestable.

J’en viens aux procédures d’infraction engagée par la Commission européenne contre les États qui n’auraient pas correctement transposé ou mis en œuvre le paquet asile et la directive retour. S’agissant de la France, une procédure pour non-transposition du paquet asile a été lancée le 20 juillet dernier, date limite de transposition ; elle sera bien entendu clôturée, puisque nous avons transposé. Il reste une procédure ancienne, lancée il y a plusieurs années, pour méconnaissance du précédent paquet asile ; nous allons évidemment y répondre. Quant à la directive retour, il n’existe aucune infraction à proprement parler, mais nous faisons l’objet de demandes d’information, auxquelles nous nous préparons à répondre, sur les mesures prises pour améliorer l’efficacité de notre politique d’éloignement.

En ce qui concerne la rétention des enfants, la circulaire du 6 juillet 2012 est scrupuleusement appliquée par les préfets. Elle ne prohibe pas la rétention des enfants, mais la limite à certains cas, très précisément énumérés – obstruction à l’éloignement, fuite d’une assignation –, et à la durée la plus brève possible. En métropole, elle s’est traduite par une division par quatre du nombre d’enfants placés en rétention accompagnant leur famille. Le placement en rétention des mineurs étrangers isolés est proscrit par la loi.

S’agissant des contrôles au faciès, nous partageons l’objectif de lutte contre tous les contrôles discriminatoires. Mon ministère et moi-même sommes particulièrement mobilisés dans cette affaire. Mais l’arrêt de la cour d’appel de Paris est rédigé d’une manière qui appelle une réflexion de notre part. Je souhaite que, dans un premier temps – je réunirai les associations pour évoquer cette question avec elles au cours des prochains mois –, nous utilisions les dispositifs déjà mis en œuvre, notamment celui des « caméras piéton » qui a été un succès et que le Conseil d’État a validé dans son principe, demandant simplement un support législatif, afin de contrôler l’action des forces de sécurité.

Monsieur Coronado, l’augmentation du nombre de naturalisations est de 11 % en 2014, année où 77 335 personnes ont été naturalisées. C’est l’effet de la professionnalisation du traitement du déstockage, liée à la création des plateformes interdépartementales. Le délai, de 300 jours actuellement, est appelé à se réduire grâce à cette professionnalisation.

Faut-il fermer des CRA ? Je ne crois pas que ce serait adapté en pleine crise migratoire. Le plan Migrants de juin dernier vise au contraire une hausse de l’occupation des centres de rétention par une politique d’interpellation plus active. En effet, je le répète, nous voulons accueillir dignement ceux qui doivent l’être, ce qui implique que nous soyons en mesure d’éloigner ceux qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire national.

Mme Cécile Untermaier. La loi relative aux droits des étrangers et celle relative à la réforme du droit d’asile promulguée en juillet 2015 sont de grandes lois, des lois de simplification. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, du bon travail accompli à cette occasion avec l’Assemblée nationale. Très utile, il anticipait les difficultés que nous rencontrons actuellement ; je ne voudrais pas qu’il soit oublié au profit de propos politiciens et d’amalgames.

Parmi les mesures de simplification adoptées figure – enfin ! – la carte de séjour pluriannuelle. Cette disposition essentielle permettra aux préfectures d’en finir avec les files d’attente, et aux étrangers de ne plus subir un accueil pénible et dévalorisant. Cette carte pluriannuelle, encadrée, va de pair avec une grande exigence concernant l’acquisition de la langue française. Cette mission incombe à l’OFII.

Quelles sont les conséquences attendues sur la qualité de l’accueil des étrangers, le mieux-être des personnels des préfectures et les possibilités de redéploiement des missions préfectorales puisque les effectifs sont, on le sait, au régime sec ?

L’OFII a-t-il la capacité d’accomplir la mission qui lui est confiée, notamment eu égard à ses moyens humains et financiers ?

M. Philippe Goujon. On a beaucoup parlé de Calais, ce qui est tout à fait normal et légitime ; mais de nombreuses autres régions sont touchées. J’aimerais évoquer brièvement le cas de Paris, qui est elle aussi l’une des destinations principales des migrants.

La mairie de Paris a publié le 12 octobre dernier son plan de mobilisation pour l’accueil des réfugiés, qui concerne l’ensemble des migrants pris indistinctement, et non simplement les réfugiés persécutés dans les zones de guerre, à rebours des déclarations du Premier ministre et des vôtres, monsieur le ministre. Or la préfecture de région recense environ 9 000 personnes chaque nuit dans les centres d’urgence et 16 000 dans les hôtels sociaux. Les capacités d’accueil sont donc totalement saturées : tous ceux qui en ont besoin risquent de ne pas pouvoir être hébergés, notamment les SDF pour lesquels on sait déjà que l’on manquera de places cet hiver. En outre, les campements se reforment régulièrement et s’étendent. J’aimerais connaître votre analyse de cette situation.

On a le sentiment que la ville de Paris conduit sa propre politique migratoire, qui consiste – c’est son droit, mais c’est un choix – à accueillir tous les migrants sans distinction, d’où qu’ils viennent. Quelle est à cet égard votre position, monsieur le ministre ? Préconisez-vous ce que la mairie de Paris prône et met en œuvre, à savoir l’hébergement et le logement de tous les migrants de toute provenance, ou seulement, comme j’avais cru le comprendre, des persécutés qui demandent l’asile ?

Mme Sandrine Mazetier. Le rapport de la Cour des comptes ayant été abondamment évoqué, vous avez répondu par avance, monsieur le ministre, à nombre des questions que je souhaitais poser à ce sujet. Je rappellerai donc simplement ceci : lorsque ce texte a opportunément « fuité » juste avant que nos collègues sénateurs n’examinent le projet de loi réformant le droit d’asile, la Cour des comptes elle-même a qualifié le prérapport de « partiel et partial ». Je m’étonne donc que l’on continue de débattre des chiffres partiels et partiaux qui en sont issus. Rappelons également que le référé porte sur la politique d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile, et non, contrairement à ce que peuvent laisser penser certains articles de presse, sur le taux d’exécution des OQTF.

J’aimerais vous interroger sur les économies liées aux moyens alloués à la réforme de l’asile et au respect des délais d’instruction, de neuf mois pour la procédure normale et de onze semaines en procédure accélérée – une procédure dont nous venons de constater l’utilité lorsqu’il s’agit de répondre à l’urgence et que les personnes concernées relèvent manifestement de la protection internationale.

Je m’interroge également sur la place réservée à l’OFII dans le bleu budgétaire, sans commune mesure avec le rôle majeur qui lui est désormais dévolu dans l’accueil des demandeurs d’asile.

Je me permets aussi de relayer la question qui vous a été posée sur les objectifs de diminution des délais d’accès à la nationalité, qui ont malheureusement un peu dérapé.

Comme l’a souligné mon collègue, on peut s’interroger sur l’intérêt qu’il peut y avoir, du point de vue budgétaire, à laisser ouverts tous les CRA alors que leurs taux de remplissage sont très disparates.

S’agissant de Calais, en 2002, l’un de vos prédécesseurs avait annoncé la fermeture de Sangatte, censée dissuader les gens de venir du bout du monde échouer à Calais. Ce n’est malheureusement pas exactement ce qui s’est passé. En 2009, le ministre Besson annonçait le démantèlement de la jungle de Calais. Voilà qui devrait nous inciter à faire preuve de responsabilité, de modestie, et surtout de beaucoup d’humanité et de solidarité. À ces problèmes difficiles qui évoluent au gré des conflits, il n’existe pas de solution simple. En la matière, c’est le respect des droits et du droit, orientation suivie par le Gouvernement et par vos services, qui doit nous guider, monsieur le ministre.

M. Jacques Myard. Le problème est grave, en effet, et je crois d’autant moins opportun de polémiquer qu’il est destiné à perdurer lorsque vous ne serez plus en exercice, monsieur le ministre. Dans le discours – presque une conférence – que vous nous avez tenu, je n’ai pas eu l’impression que vous en preniez la mesure. Je le répète, je regrette les propos quelque peu polémiques que j’ai entendus.

La guerre et l’explosion démographique sont telles que nous n’en sommes qu’au début de l’afflux de migrants : celui-ci va durer des dizaines d’années. Mais gouverner, c’est prévoir.

Je m’étonne d’ailleurs que vous ayez été quelque peu pris de court par l’afflux massif auquel nous avons été récemment confrontés. On voyait pourtant bien que certains États poussaient les émigrés hors de chez eux. En outre, une annonce très maladroite a aggravé le problème. Mais tout s’est passé comme si nous avions découvert la réalité d’un seul coup, comme si tout était allé trop vite pour nous. Je ne parle pas seulement de la France, mais aussi d’autres États.

Dans ce contexte, le Conseil européen a pris des décisions que j’approuve, en particulier la création des fameux « points chauds » que je réclamais depuis la fin juillet et qui permettent de fixer les populations avant qu’elles n’arrivent chez nous. Mais, visiblement, ce sont des mesures de court terme. Il est donc urgent qu’ensemble nous allions plus loin face à ce problème majeur de civilisation.

D’abord, il n’est pas admissible que nos partenaires européens fassent des déclarations unilatérales. Ce n’est pas la première fois que cela arrive : au temps de M. Chevènement, l’Espagne avait décidé de régulariser tous les sans-papiers ; on a vu ce que cela a donné, avec l’assaut vers le nord depuis Ceuta et Melilla. Ce n’est pas un problème de règlement ou de directive, mais d’attitude politique. On n’a pas à faire pareilles déclarations à l’emporte-pièce qui déstabilisent tout le système ! Il faut une coordination politique entre États européens.

Ensuite, il faut évidemment agir sur les causes. De ce point de vue, je ne comprends pas la politique française au Proche-Orient. Je profite de l’occasion pour le dire à un membre du Gouvernement. De plus, les crédits de l’aide au développement sont en baisse : ce n’est pas cohérent.

S’agissant du retour, vous parlez de quatre-vingt-dix jours de délai de traitement par l’OFPRA, mais cela ne tient pas compte des appels. On est donc encore très loin de l’objectif.

J’aimerais enfin vous poser une question incidente sur les certificats d’hébergement. J’en délivre moi-même comme maire et j’ai le sentiment qu’ils sont l’une des sources de l’immigration illégale. Est-il possible d’améliorer la situation en les informatisant ou en les contrôlant d’une manière ou d’une autre ?

Bref, au-delà des polémiques, il est nécessaire d’adopter une approche globale du phénomène des migrations, dont nous allons subir les assauts pendant de très nombreuses années.

Mme Elisabeth Pochon. Ma question porte sur l’optimisation des pratiques d’accueil des mineurs étrangers. La présence de mineurs étrangers isolés sur le territoire français se pérennise depuis la fin des années 2000. Un protocole signé par les ministères de la justice, de l’intérieur, des affaires sociales et de la santé, d’une part, et par l’Association des départements de France, d’autre part, instaure un dispositif de répartition des jeunes primo-arrivants entre tous les départements et tend à harmoniser les modalités d’accueil des mineurs isolés étrangers. Je profite de l’occasion pour saluer mon département qui en prend toute sa part, comme dans d’autres domaines ayant trait à la solidarité. Le protocole prévoit une procédure préalable de mise à l’abri et d’évaluation de la situation des intéressés, et organise leur répartition territoriale.

Toutefois, contrairement à ce qui était prévu, il semble que le pilotage local du dispositif ait été très peu assuré par les services de l’État. Des initiatives sont prises ici ou là sous forme de protocoles locaux qui facilitent les relations entre acteurs, sécurisent les procédures et contribuent à la cohérence des politiques locales. Ils peuvent aborder différents volets : l’organisation de la mise à l’abri et de l’évaluation, la politique locale de lutte contre la fraude et les réseaux, la coordination des services de l’État et du conseil général lors de la prise en charge et de l’accès à la majorité des jeunes, auxquels nous devons scolarisation, insertion professionnelle, prise en charge sanitaire et intégration.

Il paraît donc indispensable de systématiser la signature de protocoles locaux organisant l’intervention des acteurs et leurs échanges dans les différents domaines de la politique d’accueil des mineurs étrangers isolés. Il convient d’en confier la responsabilité aux préfets, comme le préconise le rapport d’évaluation du dispositif national relatif aux mineurs étrangers publié en juillet 2014.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, les conséquences budgétaires qui pourraient en résulter ?

M. Jean-Michel Clément. L’examen de la mission « Immigration, asile et intégration » nous permet tous les ans depuis 2012 de constater l’engagement constant de la majorité dans ce domaine. Au-delà des chiffres, ce budget traduit une longue tradition d’accueil dans notre pays. Il traite aussi, particulièrement aujourd’hui, de questions politiquement sensibles et exigeantes du point de vue humain. Nous sommes en effet confrontés depuis plusieurs mois à une crise migratoire sans précédent dont les conséquences humanitaires sont bien connues.

Monsieur le ministre, dans ce dossier, vous concevez votre action avec raison, simplicité et cohérence politique, fidèle depuis le début à une parole politique forte, rigoureuse et responsable. Mais nous sommes entrés dans une ère politique où l’engagement rigoureux au service de notre pays, sans gesticulations, paraît moins appréciable que toutes les polémiques du monde aux yeux des donneurs de leçons.

Je ne me suis pas joint à l’appel des 800, lancé par des personnalités pour lesquelles j’ai beaucoup d’estime, mais dont je ne comprends pas l’intention. Je ne fais pas non plus partie de ceux qui, comme certains de nos collègues de l’opposition, pratiquent l’humanisme médiatique, selon lequel on est d’autant plus solidaire et responsable que l’on est proche d’un micro ou d’une caméra.

Nous reconnaissons tous que la situation à Calais est très difficile pour les migrants, qui, souvent, veulent rejoindre l’Angleterre. Nous devrions donc tous, ONG, associations, collectivités, nous unir pour construire un présent et un avenir protecteur à ces hommes, ces femmes et ces enfants qui fuient la violence et la guerre.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer dans quelle mesure ce budget permet de tenir encore davantage compte de cette exigence humanitaire, à Calais comme ailleurs ? Quel message souhaitez-vous transmettre aux ONG et aux acteurs associatifs pour qu’ils servent mieux notre idéal commun ?

M. Michel Vauzelle. Avec d’autres présidents de régions méditerranéennes, j’ai poussé en avril dernier un cri de honte devant l’attitude de l’Europe, devant certains propos qui revenaient à demander leurs papiers à des personnes qui, par centaines, par milliers, se noyaient en Méditerranée. Quand quelqu’un se noie, on ne lui demande rien, on le sauve ; quand il tend la main, on la saisit sans se demander s’il est arabe ou noir. Notre mot d’ordre était : « Nous sommes tous méditerranéens », pour exprimer notre communauté de destin dans cette situation qui est appelée à durer.

Je vous l’ai dit lors de vos différentes visites en Provence-Alpes-Côte d’Azur, monsieur le ministre : nous sommes heureux que vous teniez un discours précis, rigoureux et républicain.

Mais cela n’empêchera pas des propos comme ceux de M. Ciotti, qui, lorsque la région a accueilli des mineurs immigrés au lycée de Menton, a demandé que l’on pratique sur eux un examen osseux pour vérifier qu’ils étaient bien mineurs. Il n’est pas le seul à dire ce genre de choses parmi les représentants de la nation qui se disent républicains. Ce faisant, au lieu de retenir une population qui a peur, ils nourrissent ses peurs et renforcent le racisme et la xénophobie.

Pour lutter contre cette attitude immorale et profondément antirépublicaine qui ne fait honneur ni à la France ni à l’Europe, il ne suffit pas de tenir un discours équilibré, comme le fait l’État en ce moment. Pour être mieux entendue en Europe, une Europe qui n’est pas ce qu’elle devrait être faute de concert, la France devrait parler d’une voix plus forte en matière morale, comme vous l’avez déjà fait avec le chef de l’État et le Premier ministre. Cela mettrait en évidence l’image désastreuse que l’Europe donne d’elle-même en ce moment. La France est dans son rôle lorsqu’elle adopte une politique équilibrée, mais elle devrait avoir un discours plus ferme sur l’accueil et le respect dus à ceux dont nous voyons tous les jours l’immense misère.

Contrairement à ce que l’on pense, notre population dans son ensemble n’est pas raciste, elle n’est pas insensible à la détresse de tous ces gens qui fuient la guerre ou la misère ; elle n’est pas nécessairement partisane d’un tri sélectif qui convient aux ordures, mais qui n’a pas lieu d’être pour distinguer des autres ceux dont il apparaîtra un jour qu’ils relèvent de l’asile politique. C’est leur situation humanitaire à tous que nous devrions relayer de manière plus audible.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. J’étais samedi dernier à Boulogne-sur-Mer où des bénévoles, militants associatifs, m’ont fait part de leur indignation. Cette indignation est un effet de l’injustice. Elle appelle des réponses que vous avez apportées, monsieur le ministre, comme vous avez apporté des compléments d’information, concernant la situation à Calais. Mais il y a urgence ; vous en êtes bien évidemment conscient.

Tous ceux qui en appellent à l’État pour qu’il remédie à cette situation en appellent au fond à l’humanité : il s’agit de venir en aide à ces femmes et à ces hommes qui sont confrontés à la violence sur place. Tel est le sens de la mobilisation des uns et des autres. Il ne s’agit pas d’une confrontation, mais de la recherche des bonnes solutions, qui est loin d’être simple.

Notre volonté de lutter contre les injustices est aussi ancienne que notre conscience, que notre engagement. Nous devons donc tous nous mobiliser – les parlementaires, le Gouvernement, tous les acteurs concernés – pour sortir de cette situation à Calais. J’espère que ce que vous avez proposé nous permettra d’y parvenir rapidement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Ma démarche, plus difficile que d’autres, correspond à ce que je pense profondément que doit être l’action publique. En voici le principe : en présence d’une urgence humanitaire et d’enjeux compliqués, c’est la vérité que l’on doit convoquer. L’indignation est d’autant plus forte qu’elle est juste, qu’elle repose sur des éléments objectifs. Je veux bien que l’on s’indigne de la situation à Calais, cela ne me choque pas ; cela me choque d’autant moins que je suis confronté tous les jours à sa difficulté. Vous imaginez bien que j’en suis moi-même indigné. Il est un peu court de considérer que, sous prétexte qu’un individu exerce une responsabilité ministérielle, il ne pourrait s’indigner, s’émouvoir, se mobiliser, défendre des valeurs. Mais je ne veux pas résoudre ce problème par des approximations. L’indignation doit être articulée à une analyse très précise de la situation si l’on veut réagir de manière pertinente.

Dire que l’État ne fait absolument rien à Calais, qu’il laisse toute la responsabilité aux autres, alors que j’ai expliqué ce que nous faisons, les moyens que nous y consacrons, est-ce juste ? S’indigner de la situation à Calais sans jamais rendre compte de ce qu’elle était il y a dix mois et des efforts que nous avons engagés, est-ce juste ?

On dit qu’il y a urgence, on demande à l’État d’intervenir, mais sans tenir le moindre compte des contraintes qui s’imposent à lui lorsqu’il intervient. Je l’ai dit hier très franchement aux représentants d’associations que j’ai rencontrés sur place : lorsque je veux installer un dispositif à Calais, il faut que j’aie les budgets pour cela ; cela suppose des discussions et des procédures de droit dont le non-respect conduit le ministre devant des instances désagréables. Ce sont des réalités, même si on peut le regretter. Peut-on dire pour autant que nous perdons du temps, que nous n’agissons pas ? Non ! Nous agissons tous les jours, et lorsque les délais sont trop longs, nous nous efforçons de les réduire. Ainsi, pour créer 1 500 places à Calais, nous avons recours à une procédure d’urgence.

Je ne demande absolument pas que, sur les questions dont nous traitons, personne ne s’exprime, que ceux qui sont indignés ne fassent pas part de leur indignation. Celle des artistes est sincère, et je me rends disponible pour les recevoir. Lorsque le Défenseur des droits émet des préconisations, il rejoint mes préoccupations. J’aurais simplement aimé qu’il rende aussi compte de notre action dans son rapport.

Dans un pays où, sur ces sujets, certains en appellent, comme le disait le président Vauzelle, à la xénophobie, à la haine, au repli sur soi, ceux qui veulent créer les conditions d’un accueil digne devraient unir leurs forces en disant la vérité, en faisant preuve de précision, pour montrer qu’il existe de véritables solutions. S’ils ne le font pas, ce ne sont pas eux, ceux qui ont envie de se mobiliser, qui gagneront la bataille.

Ma seule exigence est que nous fassions dignement face à la crise migratoire, que nos réponses soient à la hauteur des valeurs de notre pays, et que nous nous montrions rigoureux et précis. C’est une exigence éthique qui s’impose en politique, a fortiori lorsque l’on exerce une responsabilité ministérielle. Un gouvernement qui se mobilise dans cet état d’esprit peut s’attendre à ce qu’on lui exprime son soutien, et non seulement son indignation.

En ce qui concerne la position de la France en Europe, elle a consisté dès août 2014, bien avant que la crise migratoire n’atteigne son niveau présent d’acuité, à proposer à l’Union européenne les moyens de la maîtrise, mais aussi de l’humanité. Car l’humanité sans la maîtrise conduit à un désastre humanitaire. Voilà pourquoi nous devons maîtriser nos frontières, y installer des dispositifs de contrôle, mais aussi faire savoir, de manière responsable, que nous pouvons certes accueillir les réfugiés, mais pas tous si nous voulons accueillir correctement ceux qui doivent l’être, parce que notre capacité d’accueil n’est pas illimitée.

Il faut donc aussi, dans les camps installés à proximité des pays d’origine, revoir à la hausse le niveau d’intervention du HCR : si la situation humanitaire n’y est pas optimale, les gens les quitteront, ce qui est bien normal, et l’Europe sera soumise à une pression croissante à laquelle elle aura de plus en plus de mal à faire face. Il en résultera un désastre humanitaire et, partout, des populismes. Je ne veux pas que cela arrive.

Si je parle ainsi, c’est parce que je suis réaliste et comptable de ce que nous faisons. Je veux tenir un discours de vérité, parce que c’est ce qui permettra d’éviter ce désastre humanitaire. Mais je suis convaincu, monsieur le président Vauzelle, que ce discours peut être tenu de manière généreuse et de telle sorte que la France fasse entendre une voix puissante au sein de l’Union. C’est ce que nous essayons de faire dans les enceintes où nous intervenons.

M. Goujon est parti – peut-être pour prendre part à un débat au sein d’une instance parisienne, où les questions qu’il m’a posées trouveront mieux leur place. Mais je lui répondrai tout de même.

M. Jacques Myard. Vous valez mieux que ça, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je constate simplement que la question ne m’était pas adressée : elle visait une autre personne, qui n’est pas dans cette salle puisqu’elle n’est ni ministre ni parlementaire. M. Goujon m’a demandé si j’étais d’accord avec la maire de Paris lorsqu’elle rédige des documents sous sa propre responsabilité. Par construction, je suis d’accord avec la maire de Paris, car j’estime qu’il vaut mieux traiter les problèmes avec ceux qui sont aux responsabilités, quelle que soit leur sensibilité politique, plutôt que de créer des polémiques.

À Calais, hier, j’étais au côté d’une maire qui n’est pas de mon bord politique. Je pourrais très bien la laisser seule, comme on m’a laissé seul à Cherbourg il y a quelques années, lorsque la fermeture de Sangatte a provoqué l’arrivée de migrants. J’avais dans ma ville 300 personnes qui dormaient dans des cartons ; personne ne m’a aidé. Leur nombre a augmenté ; je me suis débrouillé tout seul. Mais ce n’est pas grave : j’ai fait mon travail de maire et je ne reproche rien à personne. J’estime pour ma part que le Gouvernement doit aider la maire de Calais dans l’épreuve que traverse sa ville. Je me rends sur place toutes les huit semaines et j’y mettrai des moyens nonobstant la couleur politique de la mairie. C’est cela, la solidarité républicaine dans les épreuves humanitaires : la solidarité entre les territoires et l’État, quelles que soient les opinions politiques de ceux qui dirigent les collectivités.

Ce qui vaut de la maire de Calais vaut également de la maire de Paris. C’est ainsi que je conçois ma fonction : je suis à la disposition des maires qui sont confrontés à ce type de problèmes – à condition, bien entendu, qu’ils ne fassent pas preuve de la pire inhumanité en tenant des propos racistes ou xénophobes : dans ce cas, je ne serai pas leur interlocuteur, car ce ne sont pas mes principes ni mes valeurs.

Les campements parisiens, nous nous en occupons. Ainsi, nous avons mis à l’abri les occupants de ceux situés porte de la Chapelle et quai d’Austerlitz et réglé leur situation. Ce sont ainsi près de 2 000 personnes que nous avons protégées, à Paris, depuis le mois de juin, en leur offrant des hébergements et un accès à l’asile. Nous l’avons fait avec la volonté de résorber les campements sans que demeurent des squats – nous réglerons la question des squats actuels en offrant des conditions d’hébergement dignes de ce nom. Nous avons procédé en évitant autant que possible de faire intervenir des forces de l’ordre. Lorsqu’elles sont intervenues, c’est parce que, pour des raisons politiques sur lesquelles je ne veux pas m’attarder, certaines personnes empêchaient les migrants d’accéder aux logements que nous leur proposions.

Mme Untermaier m’a interrogé sur les moyens de l’OFII – comme Mme Mazetier, d’ailleurs, que je veux remercier pour tout le travail qu’elle a fait, avec M. Binet, Mme Chapdelaine et tant d’autres, lors de l’examen des textes relatifs à l’asile et à l’immigration. Les crédits de l’OFII sont sécurisés et renforcés : le projet de loi de finances prévoit une hausse de 40 % de sa subvention pour charges de service public. Par ailleurs, les effectifs de l’OFII augmenteront significativement, comme ceux de l’OFPRA : ils seront portés à 126 équivalents temps plein grâce aux amendements proposés par le Gouvernement. En outre, l’OFII redéploiera ses moyens grâce à l’allégement de certaines missions, notamment en matière de visites médicales.

Il y avait beaucoup de choses, dans les interpellations de M. Myard. M. Myard dit : « Pas de polémiques ! » Je n’en lance jamais, je réponds à celles que lancent vos amis, sur les avions, sur Calais, sur les éloignements, sur Moirans et d’autres sujets. J’en profite pour envoyer ce message, dans un contexte où les forces de l’ordre sont extrêmement mobilisées et font un travail remarquable, avec des policiers et des gendarmes parfois atteints dans leur intégrité physique : les forces de l’ordre sont intervenues à Moirans dès que nous avons été informés des troubles pour rétablir l’ordre public, ce qui fut fait en quelques heures, et la justice fait son travail. La police et la gendarmerie ont communiqué au procureur l’ensemble des éléments dont elles disposaient pour que la justice passe.

Il y a une dizaine d’années, les quartiers ont connu trois semaines d’émeutes. Alors député de l’opposition, je n’ai jamais tenu de discours tels qu’un certain nombre de ceux que j’entends aujourd’hui. Lorsque des sujets de ce type sont sur le métier, notre obligation est de témoigner notre reconnaissance aux forces de l’ordre pour leur travail – et je veux leur rendre hommage, comme je l’ai fait hier à Moirans. Et nous avons ensuite l’obligation de faire preuve de dignité face aux épreuves que la République peut traverser lorsque certains s’emploient à porter atteinte à l’ordre républicain.

Les polémiques, je ne les déclenche pas, mais, quand ceux qui sont placés sous ma responsabilité s’exposent autant pour faire leur travail et sont mis en cause, mon devoir de ministre de l’intérieur est de rappeler ce qu’est la réalité de leur action. J’étais très fier, hier soir, d’être à Moirans avec les forces de police et de gendarmerie, aux côtés des élus de l’Isère de toutes sensibilités. Le maire de Moirans était là, qui n’appartient pas à la majorité, et il a rendu hommage aux forces de l’ordre. On le voit, plus on est près de l’intervention de ceux qui rétablissent l’ordre, plus on est respectueux des missions qu’ils remplissent, et moins on est dans des polémiques qui n’ont pas lieu d’être sur des sujets qui appellent, au contraire, du sérieux.

Je perçois parfaitement et ne minimise pas la gravité de la situation migratoire, pour la simple et bonne raison que j’ai, jour après jour, la charge d’assumer ses conséquences – mais notre pays est soumis à une bien moindre pression que d’autres, comme l’Autriche ou l’Allemagne. Vous reprochez d’ailleurs à notre gouvernement des propos tenus par les dirigeants d’autres pays qui appartiennent au même parti européen que vous. Pour ma part, je n’ai pas de commentaire à faire sur les propos tenus par Mme Merkel ou par d’autres. Quand l’Europe traverse des épreuves, le rôle de la France n’est pas de polémiquer avec des dirigeants européens, mais de trouver des solutions avec eux. Ce n’est pas parce que nous ne créons pas des fractures au sein de l’Union européenne avec des dirigeants européens qui ont adopté telle ou telle position que nous n’avons pas pris conscience de la gravité d’une situation ; c’est au contraire parce que nous en avons pris la mesure que nous nous fixons pour objectif d’être responsables et de ne pas accroître les difficultés rencontrées par l’Union.

En ce qui concerne l’aide au développement, le Président de la République a annoncé, le 25 août dernier, une relance de notre politique. Elle passe par une réforme de notre agence bilatérale de développement, l’Agence française de développement (AFD), qui va être rapprochée de la Caisse des dépôts et consignations. Dans la continuité de ce projet, il a également annoncé, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, une augmentation de notre aide au développement de 4 milliards d’euros au cours des prochaines années, et le montant des financements consacrés au climat passera de 3 milliards à 5 milliards d’euros.

Mme Pochon m’interrogeait sur la question des mineurs étrangers isolés, sujet extrêmement important, sur lequel nous sommes aussi très mobilisés. Dans certains départements, il n’existe pas de représentant du réseau des analyses en fraude documentaire et à l’identité. Il appartient au préfet de conclure un protocole avec le président du conseil départemental – un protocole type sera diffusé, avec les modalités de saisine de la police aux frontières. En cas de délit manifeste de fraude à la minorité, une instruction rappelle les conditions dans lesquelles les préfets peuvent saisir le parquet aux fins de poursuite. Elle précise également les conditions d’admission au séjour des jeunes majeurs, mineurs isolés confiés à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans, mineurs isolés pris en charge entre seize et dix-huit ans et les conditions d’accès à la formation professionnelle du mineur isolé pendant sa minorité.

Il est à noter qu’à aucun moment la procédure de demande d’asile pour les mineurs étrangers isolés n’est évoquée dans cette instruction. C’est pourtant une donnée à ne pas négliger dans le contexte actuel, marqué par l’arrivée de mineurs en provenance de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan. Comme vous le savez, les préfectures sont par ailleurs invitées à désigner un correspondant dans les départements où le nombre de prises en charge de mineurs isolés et de demandes de titres de séjour le justifie. Il est, en particulier, demandé aux préfectures d’accepter que les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance puissent déposer leur demande de titre de séjour deux mois avant leur dix-huitième anniversaire.

Nous entretenons un dialogue constant avec les ONG, monsieur Clément, même s’il est parfois vif ou tendu – ce qui est souvent consubstantiel de la franchise. Les ONG jouent un rôle fondamental dans la fourniture des prestations humanitaires. À Calais, j’ai demandé à deux personnalités, Jean Aribaud et Jérôme Vignon, de conduire un dialogue avec les associations, avec la mise en place d’un comité de pilotage, et j’ai indiqué quels montants – qui ne sont pas soldes de tout compte – nous consacrons à l’ensemble des actions humanitaires à Calais : avec ce que nous faisons en CADA, ce que nous faisons en matière d’aide alimentaire et d’hébergement sur place des personnes en situation de vulnérabilité, nous aurons mobilisé 44 millions d’euros pour ce seul campement.

M. le président Gilles Carrez. Merci, monsieur le ministre.

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À l’issue de l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, la Commission examine pour avis les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française » ; M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis « Asile »).

La Commission donne un avis favorable à l’amendement n° II-74 du Gouvernement.

Suivant les conclusions de M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française », et contrairement à celles de M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis « Asile », la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2016 modifiés.

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

l Ministère de l’Intérieur

—  M. Pierre-Antoine MOLINA, directeur général des étrangers en France

—  Mme Muriel NGUYEN, directrice de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité

—  M. Kléber ARHOUL, coordinateur national pour l’accueil des réfugiés

l Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)

—  M. Yannick IMBERT, directeur général

l Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

—  M. Pascal BRICE, directeur général

l Adoma

—  M. Jean-Paul CLÉMENT, directeur général

—  M. Philippe POURCEL, directeur général délégué

—  Mme Nathalie CHAUMETTE, directrice des exploitations

l Ambassade d’Australie en France

—  M. George MINA, chargé d’affaires

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