N° 3117 tome VI - Avis de M. Guillaume Larrivé sur le projet de loi de finances pour 2016 (n°3096)



N
° 3117

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 3096)
de
finances pour 2016

TOME VI

JUSTICE

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

PAR M. Guillaume LARRIVÉ

Député

——

Voir les numéros : 3110-III-31.

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2015 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice de leur collaboration.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2016 RESTE MARQUÉ PAR UNE IDÉOLOGIE PERNICIEUSE QUI EST TRÈS HOSTILE, PAR PRINCIPE, À LA DÉTENTION 11

I. LES MARGES DE MANœUVRE DÉGAGÉES PAR LE BUDGET POUR 2016 NE SONT QU’APPARENTES 11

A. UNE STABILISATION, EN VOLUME, DES CRÉDITS DE PAIEMENT 11

B. UNE HAUSSE DU PLAFOND DES AUTORISATIONS D’EMPLOIS 13

II. LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE CONTINUE À PRIVILÉGIER UNE LOGIQUE DE TRAITEMENT SOCIAL DES DÉTENUS 14

A. DES MISSIONS ACCRUES DÉPOURVUES DES MOYENS NÉCESSAIRES 14

B. UNE POLITIQUE DE DIMINUTION DU NOMBRE DE DÉTENUS PLUTÔT QUE DE CRÉATION DE PLACES D’INCARCÉRATION 15

C. LA PRÉFÉRENCE DONNÉE À L’INSERTION ET À LA PROBATION SELON UNE LOGIQUE DE TRAITEMENT SOCIAL DE LA DÉLINQUANCE 16

SECONDE PARTIE : LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME ISLAMISTE IMPOSE DE DÉFINIR, EN URGENCE, UN VRAI PLAN DE MOBILISATION PÉNITENTIAIRE 19

I. LA RAPIDE AUGMENTATION DU NOMBRE DES DÉTENUS TERRORISTES DOIT CONDUIRE À ACCROÎTRE LA CAPACITÉ PÉNITENTIAIRE, À MIEUX SÉCURISER LES PRISONS ET À ISOLER LES DÉTENUS LES PLUS DANGEREUX 20

A. POUR ANTICIPER LES MENACES, IL FAUT ROMPRE, EN URGENCE, AVEC LA SOUS-CAPACITÉ ET L’INSUFFISANTE SÉCURISATION DU PARC PÉNITENTIAIRE 21

1. Une sous-capacité persistante 21

a. Un nombre de places de prisons qui reste très insuffisant au regard du nombre de détenus 21

b. L’augmentation très forte et très rapide de la population carcérale liée au terrorisme 23

2. Des établissements encore trop peu sécurisés 25

B. LES MODALITÉS DE REGROUPEMENT DES DÉTENUS RADICALISÉS, TELLES QU’ELLES SONT ENVISAGÉES PAR LE GOUVERNEMENT, SONT LOURDES DE NOUVELLES MENACES. 27

1. De la dispersion des détenus radicalisés à leur regroupement ? Les termes du débat. 27

2. Les unités dédiées envisagées par le Gouvernement : un concept à revoir de toute urgence 29

3. Créer un régime de détention spécifique pour les mineurs prévenus ou condamnés pour terrorisme 32

C. LA PRISON RESTE TROP PERMÉABLE À DES INFLUENCES EXTÉRIEURES. 33

II. IL EST IMPÉRATIF QUE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE PUISSE MIEUX TROUVER SA PLACE AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ DU RENSEIGNEMENT 35

A. LE RENSEIGNEMENT PÉNITENTIAIRE DEMEURE INSUFFISAMMENT PROFESSIONNALISÉ 36

1. Une vocation tournée à l’origine vers la seule sécurité des établissements 36

2. Des avancées récentes qui restent insuffisantes 36

B. LA CRÉATION D’UN VÉRITABLE SERVICE DU RENSEIGNEMENT PÉNITENTIAIRE PASSERA PAR L’INTÉGRATION AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ DU RENSEIGNEMENT 38

1. Vers une intégration au « second cercle du renseignement » ? 38

2. Des moyens à augmenter 40

III. UN RELÈVEMENT DU QUANTUM DES PEINES ET UNE RESTRICTION DE LEURS POSSIBILITÉS D’AMÉNAGEMENT SONT NÉCESSAIRES POUR NEUTRALISER DURABLEMENT LES DÉTENUS TERRORISTES 41

A. PRÉVOIR UNE PEINE DE QUINZE ANS POUR LE DÉLIT D’ASSOCIATION DE MALFAITEURS EN RELATION AVEC UNE ENTREPRISE TERRORISTE 42

B. ALLONGER À SIX MOIS LA DURÉE DU MANDAT DE DÉPÔT POUR LES DÉLITS EN MATIÈRE DE TERRORISME 44

C. SUPPRIMER LE RÉGIME DE DROIT COMMUN ACTUELLEMENT APPLICABLE AUX TERRORISTES EN MATIERE D’AMÉNAGEMENTS ET DE RÉDUCTIONS DE PEINES 45

1. Aucune mesure de réduction ou d’aménagement de peine, en matière terroriste, ne doit intervenir sans décision précédée d’un avis explicite favorable d’un centre national d’évaluation anti-terroriste (CNEAT) 46

2. Vers la perpétuité réelle ? Créer une période de sûreté de trente ans, voire illimitée, en matière de crimes terroristes. 47

D. VERS UN ÉLARGISSEMENT DE LA RÉTENTION DE SÛRETÉ ? 48

1. Un champ aujourd’hui doublement limité 49

2. Une portée qui pourrait être étendue à certains actes terroristes, pour mieux protéger la société 50

CONCLUSION 50

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS FORMULÉES 53

EXAMEN EN COMMISSION 57

PERSONNES ENTENDUES 95

DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS 97

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La France est en guerre.

Votre rapporteur pour avis s’exprimait en ces termes, le 15 septembre 2014, à la tribune de l’Assemblée nationale (1), alors que s’engageait le débat sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme :

« Un ennemi nous a déclaré la guerre. Cet ennemi, il faut le nommer, il faut le regarder pour ce qu’il est, il faut le combattre : c’est l’islamisme radical armé, le djihadisme, qui veut détruire, par la terreur la plus barbare, nos sociétés démocratiques.

L’Europe est une cible, et la France plus encore, parce que nous incarnons tout ce que l’ennemi veut abattre : les droits de l’homme et du citoyen, la liberté de pensée et d’expression des personnes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité et, au fond, un art de vivre, une certaine idée de la civilisation.

La République française est une cible, parce qu’elle est totalement et définitivement incompatible avec le projet pan-islamiste qui prétend édifier un califat mondial. Tout ce qui a été construit ici même au fil du temps, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, est aujourd’hui menacé par les islamistes radicaux armés. Ils refusent nos lois, ils méprisent nos lois, car ils veulent imposer à tous, par la violence terroriste, une application obscurantiste de la charia.

Ouvrons les yeux ! Regardons notre ennemi en face, combattons-le pour ce qu’il est et ce qu’il fait. »

Le 13 janvier 2015, à la même tribune, le Premier ministre, M. Manuel Valls, affirmait (2) :

« Oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme, et l’islamisme radical. »

Et il ajoutait : « À une situation exceptionnelle doivent répondre des mesures exceptionnelles. »

Cette guerre doit être gagnée, par tous les moyens de l’action de l’État, en mobilisant les instruments de la sécurité extérieure comme de la sécurité intérieure. L’État de droit doit être fort. S’il est faible, il n’est plus l’État et il n’y a plus de droit.

Alors que l’Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur le projet de loi de finances pour 2016, nous devons prévoir les crédits nécessaires à l’effort de guerre, en concentrant le budget de l’État sur l’action régalienne, où se décide l’essentiel du destin national.

*

C’est dans cet esprit que votre rapporteur pour avis a étudié les crédits de l’administration pénitentiaire, tels qu’ils sont proposés, au nom du Gouvernement, par Madame la garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Pour votre rapporteur pour avis, l’administration pénitentiaire doit être considérée comme l’une des forces de la sécurité intérieure, en première ligne face au terrorisme islamiste, pour au moins trois raisons :

• c’est elle qui a pour mission de détenir, dans les meilleures conditions de sécurité possibles, les individus prévenus ou condamnés pour faits de terrorisme, tout au long de l’instruction de leur affaire ou de l’exécution de leur peine ;

• elle a la charge d’individus susceptibles de commettre de nouveaux délits ou de nouveaux crimes, à l’issue de leur peine ou, à droit constant, à la faveur d’un aménagement de cette peine ;

• il lui appartient de tout faire pour éviter le recrutement, par des détenus radicalisés, d’autres détenus basculant, en prison, vers la radicalisation islamiste.

Ceci est d’autant plus crucial que, avec le retour en France de nombreux djihadistes partis combattre dans la zone irako-syrienne, le contentieux en matière terroriste s’est très fortement accru. Le nombre d’affaires de terrorisme dont ont été saisis les parquets entre janvier et juillet 2015 (668) est plus de sept fois supérieur à celui observé sur la même période en 2014. Le Tribunal de grande instance de Paris a dû faire face, au premier semestre 2015, à une augmentation de 37 % des informations judiciaires confiées aux juges d’instruction du pôle antiterroriste, avec des dossiers autrement plus lourds que l’année précédente puisqu’il s’agit désormais d’enquêter sur des attentats commis ou des projets d’attentats déjoués. Depuis mars 2015, une ou deux informations sont ouvertes chaque semaine (3).

On assiste, dès lors, à une très forte augmentation et à une accélération des incarcérations pour motif terroriste. En flux, le nombre annuel d’écrous de personnes condamnées pour des faits de terrorisme est ainsi passé de 18 en 2012 à 31 en 2013, 67 en 2014 et 76 pour l’instant en 2015. 213 individus, prévenus et condamnés confondus, sont actuellement détenus pour des faits de terrorisme en lien avec l’islamisme. On peut ajouter que 16 personnes poursuivies pour des faits de terrorisme font actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire et sont suivies en milieu ouvert par un service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).

Par ailleurs, l’administration pénitentiaire indique que 350 personnes détenues pour différents chefs d’infractions sont suivies au motif de leur radicalisation islamiste.

Face à cette situation d’une exceptionnelle gravité, votre rapporteur pour avis est convaincu qu’une triple urgence s’impose à l’administration pénitentiaire :

• elle doit disposer d’un parc sécurisé, à la capacité adaptée, surveillé par des professionnels reconnus par la Nation, en nombre suffisant ;

• elle doit pouvoir mobiliser des techniques de renseignement performantes, prévues par le code de la sécurité intérieure, afin de recueillir et d’analyser les renseignements pertinents ;

• elle doit prendre en charge, dans la durée, des individus que la société a le devoir de mettre hors d’état de nuire, ce qui nécessite une adaptation, par le législateur, du quantum des peines prononcées comme des modalités de leur exécution, à l’exceptionnelle gravité de la menace terroriste.

Ce n’est, hélas, pas le cas aujourd’hui : le Gouvernement ne s’est pas, jusqu’à présent, montré à la hauteur de cette triple exigence.

Le budget de l’administration pénitentiaire préparé par la garde des Sceaux pour 2016 reste marqué par une idéologie pernicieuse qui est très hostile, par principe, à la détention (I).

Votre rapporteur pour avis propose un plan d’urgence pour mobiliser l’administration pénitentiaire contre le terrorisme islamiste (II), ce qui nécessite à la fois des efforts matériels et humains, de nouvelles capacités de renseignement et une profonde modification des règles applicables au prononcé et à l’exécution des peines.

PREMIÈRE PARTIE : LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2016 RESTE MARQUÉ PAR UNE IDÉOLOGIE PERNICIEUSE QUI EST TRÈS HOSTILE, PAR PRINCIPE, À LA DÉTENTION

Le budget de l’administration pénitentiaire pour 2016 obéit à la feuille de route fixée par la garde des Sceaux, ministre de la justice, pour mettre en œuvre la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, dont le principe même est hostile à la détention.

L’augmentation de 1 % des crédits de paiement (A) et la hausse de 2,9 % du plafond des autorisations d’emplois (B) dégagent une marge de manœuvre budgétaire que la garde des Sceaux a choisi de concentrer sur la mise en œuvre de sa réforme pénale, privilégiant le traitement social des détenus.

Les crédits ouverts pour le programme « Administration pénitentiaire » (n° 107) dans le projet de loi de finances pour 2016 sont stables en volume, en ce qui concerne les crédits de paiement (+ 1 %). Atteignant 3 409 millions d’euros, ils se répartissent de la façon suivante entre les trois actions du programme :

—  action « n° 1 » (garde et contrôle des personnes placées sous main de justice), qui regroupe les fonctions relevant de la garde des personnes détenues et du contrôle des personnes placées sous main de justice : 2 043 millions d’euros ;

—  action « n° 2 » (accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice), qui recouvre les moyens nécessaires à l’accueil et à l’accompagnement des personnes détenues dans des conditions dignes et satisfaisantes (maintenance et entretien des établissements, réinsertion) : 1 088 millions d’euros ;

—  action « n° 4 » (soutien et formation), qui finance la fourniture de moyens pour l’administration générale, le développement du réseau informatique et la formation du personnel : 278 millions d’euros.

Cette stabilisation des crédits de paiement est la conséquence d’un double mouvement :

—  d’une part, une hausse de 3,2 % pour le titre II (créations d’emplois), par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2015 ;

—  d’autre part, une baisse de 2,6 % pour le « hors titre II » (essentiellement sur l’immobilier en raison des livraisons de projets intervenues en 2015).

Les autorisations d’engagement, d’un montant global de 3 597 millions d’euros, sont, quant à elles, en diminution de 23,5 %. Ceci s’explique techniquement par le fait que de nombreux marchés en gestion déléguée sont arrivés à échéance en 2015 et ne nécessitent plus par conséquent les autorisations d’engagement correspondantes.

En autorisations d’engagement

 

Crédits votés en LFI pour 2014

Crédits ouverts en LFI pour 2015

Crédits demandés pour 2016

Évolution 2015-2016

Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01)

1 760

2 112

2 325

+ 10,09 %

Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02)

820

2 318

991

- 57,26 %

Soutien et formation (Action 04)

262

273

284

+ 3,85 %

Total

2 842

4 703

3 600

- 23,47 %

En millions d’euros

Source : ministère de la Justice

En crédits de paiement

 

Crédits votés en LFI pour 2014

Crédits ouverts en LFI pour 2015

Crédits demandés pour 2016

Évolution 2015-2016

Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01)

1 951

2 047

2 043

- 0,17 %

Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02)

1 023

1 061

1 088

+ 2,53 %

Soutien et formation (Action 04)

255

267

278

+ 3,98 %

Total

3 230

3 375

3 409

+ 1 %

En millions d’euros

Source : ministère de la Justice

En matière d’emplois, le budget de l’administration pénitentiaire pour 2016 prévoit une hausse de 2,9 % du plafond des autorisations et la création de 725 emplois.

Comme le montre le tableau ci-dessous, le plafond des autorisations d’emplois est en hausse de 2,9 %, avec notamment des augmentations de 249 équivalents temps plein (ETP) pour les personnels d’insertion et de 673 ETP pour les personnels de surveillance.

ÉVOLUTION DU PLAFOND DES AUTORISATIONS D’EMPLOIS PAR CATÉGORIE D’EMPLOI

 

Plafond autorisé pour 2015

Plafond demandé pour 2016

Variation 2015/2016 en nombre d’ETPT

Variation 2015/2016 en pourcentage

Magistrats de l’ordre judiciaire

17

17

0

0,0 %

Personnels d’encadrement

1 483

1 580

+ 97

+ 6,5 %

Métiers du greffe, de l’insertion et de l’éducatif

(cat. B)

4 592

4 841

+ 249

+ 5,4 %

Personnels administratifs et techniques

(cat. B)

1 056

1 083

+ 27

+ 2,6 %

Personnels de surveillance

(cat. C)

26 647

27 320

+ 673

+ 2,5 %

Personnels administratifs et techniques

(cat. C)

2 963

2 982

+ 19

+ 0,6 %

Total

36 758

37 823

+ 1 065

+ 2,9 %

Source : ministère de la Justice

Les crédits du titre 2 du programme (dépenses de personnel) qui s’élèvent à 2 184,8 millions d’euros, vont notamment permettre à la direction de l’administration pénitentiaire de procéder en 2016 à la création nette de 725 emplois (tous corps confondus). Ce chiffre correspond à la différence entre les 1928 sorties prévues (par exemple pour départ à la retraite, démission, détachement, disponibilité, fin de contrat, etc.) et les 2653 entrées prévues. Ils se décomposent comme suit (étant précisé que 16 ETP redéployés grâce à des efforts d’optimisation et d’informatisation viennent en diminution du chiffre global) :

—  200 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) ;

—  269 ETP dans le cadre de l’ouverture de nouveaux établissements ;

—  100 ETP pour combler des postes vacants, à titre de rattrapage exceptionnel ;

—  172 ETP au titre du plan de lutte antiterrorisme (auxquels s’ajouteront 30 aumôniers).

Refusant à l’administration pénitentiaire les moyens suffisants pour assumer des missions accrues (A), et se refusant tout autant à augmenter le nombre de places de prison en fonction des besoins réels (B), le présent projet de loi de finances accorde, une fois de plus, la priorité au « traitement social » des délinquants (C).

De nouvelles attributions ont été confiées à l’administration pénitentiaire sans que celle-ci ne reçoive les moyens adéquats pour les remplir.

Depuis septembre 2011, elle hérite ainsi progressivement des missions d’extractions judiciaires, c’est-à-dire de transfèrement des détenus. Au 1er juillet 2015, 25 % de ces extractions lui avaient ainsi déjà été transférées. Le processus devrait être achevé en 2019. Sur le plan budgétaire, hors masse salariale, il a été transféré du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice 2,5 millions d’euros en 2012, 1 million d’euros en 2013 et 1,24 million d’euros en 2015. Dans le cadre du présent projet de loi de finances, il est prévu un transfert de 743 050 euros (toujours hors masse salariale).

Des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), sur lesquels sont affectés des agents et des moyens, ont été créés, en tenant compte du maillage territorial des établissements pénitentiaires et de celui des juridictions à desservir. Ce sont les autorités de régulation des extractions judiciaires (ARPEJ) qui organisent et planifient les extractions.

Comme l’a indiqué, lors de son audition, le Syndicat national pénitentiaire FO-personnels de direction, le nombre d’emplois supplémentaires nécessaires pour assurer cette nouvelle mission avait été évalué initialement à 3 000 ETP. À l’issue d’une réunion interministérielle du 12 novembre 2013, c’est au final le transfert global de seulement 1 200 équivalents temps plein (ETP) qui a été acté.

En cas d’impossibilité pour l’administration pénitentiaire de réunir les moyens humains et matériels nécessaires pour assurer une mission requise par l’autorité judiciaire, les services de l’ARPEJ en informent le magistrat (ou l’autorité requérante). Celui-ci a alors la possibilité soit de déplacer la date de la mission, soit de mettre en œuvre la mission par voie de visioconférence, soit enfin de saisir les forces de police ou de gendarmerie aux fins d’exécution de la mission. Compte tenu de la faiblesse du nombre d’emplois transférés vers le ministère de la Justice, le taux d’impossibilités de faire opposées à l’autorité judiciaire s’est fortement accru au long de l’année 2015. De 4,18 % des missions requises en 2014, il est passé à 9 % au 1er septembre 2015, soit une augmentation de près de cinq points.

Les difficultés opérationnelles très importantes liées à cette mission d’escorte rendent encore plus irréalistes et irresponsables les récentes annonces de la garde des Sceaux qui, le 6 octobre dernier, a envisagé d’« imposer systématiquement une escorte pour certains détenus » (4) faisant l’objet d’une mesure de permission, alors que le bon sens imposerait plutôt de réduire drastiquement les cas dans lesquels ces sorties peuvent être envisagées.

Le cas des extractions judiciaires est symptomatique du problème plus général de l’insuffisance des effectifs de l’administration pénitentiaire. Cette insuffisance est estimée, par certains syndicats, à un huitième du corps, soit 3 000 postes. Faute d’effectifs suffisants, les surveillants pénitentiaires en place sont contraints d’effectuer un nombre très élevé d’heures supplémentaires alors même que celles-ci, depuis l’été 2012, ne sont plus défiscalisées.

Entre le 1er janvier 2014 et le 1er janvier 2015, le nombre d’écroués « non détenus » a augmenté de 10 808 à 11 021.

En revanche, le nombre d’écroués « détenus » a diminué de 67 075 à 66 270, pour remonter très légèrement à 66 864 au 1er juillet 2015.

Pendant la même période, la capacité opérationnelle du parc pénitentiaire est passée de 57 516 places à 57 841, pour redescendre à 57 759 places au 1er juillet 2015.

Ainsi, au 1er juillet 2015, les 187 prisons françaises comptaient 66 864 individus détenus pour 57 759 places. Le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt s’élève en moyenne à 134 %.

Eu égard, d’une part, à l’écart entre le nombre de détenus et le nombre de places de prison et, d’autre part, au stock de peines de prison ferme en attente d’exécution (approximativement 100 000 (5)), le nombre de places de prison manquantes peut être estimé à au moins 20 000 (6).

Contrairement à une idée reçue, la France est loin de recourir autant que ses voisins européens à l’incarcération. D’après les derniers chiffres disponibles du Conseil de l’Europe (7), la France, au 1er septembre 2013, comptait 57 435 places de prison, contre 77 243 en Allemagne, 77 895 en Espagne et 97 260 au Royaume-Uni.

Le Gouvernement persiste pourtant dans son refus de définir un objectif d’accroissement du parc pénitentiaire correspondant aux besoins réels. De son propre aveu, un objectif de 63 500 places sous-tend les budgets triennaux 2013-2015 et 2015-2017. Rappelons que, sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy, le Gouvernement avait, dans la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, fixé un objectif de 80 000 places d’incarcération disponibles en 2017, dont le financement devait être inscrit dans les lois de finances ultérieures.

La logique du Gouvernement de M. Manuel Valls consiste toujours, contre tout bon sens, à faire diminuer le nombre de détenus (- 2,8 % entre le 1er juillet 2014 et le 1er juillet 2015), tout en maintenant la capacité d’accueil du parc pénitentiaire très en deçà des besoins.

La diminution du nombre de détenus, recherchée comme un objectif en soi, est le corollaire de la mise en œuvre de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.

Le recrutement de 200 nouveaux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) pour l’application de cette loi en est le signe. Ce recrutement intervient après la création déjà de 400 emplois en 2014 et de 300 en 2015, destinés eux aussi au renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). 350 CPIP stagiaires (dont 300 dédiés à la réforme pénale), recrutés en septembre 2014, ont d’ores et déjà pris leurs fonctions au sein des SPIP le 1er septembre 2015.

C’est au détriment du cœur de ses missions que l’administration pénitentiaire est mobilisée par la mise en œuvre de la « contrainte pénale » (nouvelle peine de milieu ouvert applicable depuis le 1er octobre 2014) et de la « libération sous contrainte ». Ainsi, au 31 juillet 2015, les SPIP prenaient en charge 888 peines de contraintes pénales, dont un tiers relevaient de violences (atteintes aux personnes), un tiers de vols (atteintes aux biens) et d’infractions à la législation sur les stupéfiants et un dernier tiers seulement de contentieux routiers. De la même façon, au 31 juillet 2015, 2 536 mesures de libération sous contrainte avaient été prononcées.

Au demeurant, comme l’écrivait déjà votre rapporteur pour avis l’année dernière (8), « en prévoyant le recrutement de 1 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) en quatre ans, entre 2014 et 2017, le Gouvernement procède à une augmentation des effectifs dont il n’est pas certain qu’elle parvienne à assurer effectivement l’« accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu » (9) et le contrôle qui sont censés être menés dans le cadre de la peine de contrainte pénale instaurée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 ».

En choisissant de développer le suivi en milieu ouvert alors que de nombreux établissements se trouvent en situation chronique de sous--effectif de personnels de surveillance, le Gouvernement fragilise, en réalité, l’administration pénitentiaire.

Les moyens consacrés au milieu ouvert seraient mieux employés au comblement des postes vacants et à la sécurisation des établissements.

SECONDE PARTIE : LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME ISLAMISTE IMPOSE DE DÉFINIR, EN URGENCE, UN VRAI PLAN DE MOBILISATION PÉNITENTIAIRE

Au-delà des mots, la mobilisation doit passer par des actes.

Le Premier ministre a déclaré avec force (10) que « la lutte contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical est une guerre de civilisation que nous ne pouvons perdre ». Nous avons face à nous des individus qui ambitionnent de mettre à bas notre modèle de société et qui, comme le dit encore M. Manuel Valls, veulent « s’attaquer à nos valeurs universelles », sans égard pour la vie humaine.

C’est une guerre que la France doit gagner en mobilisant tous les instruments de l’État de droit.

Qui est contraint de mener une guerre doit se doter des moyens de la remporter. Certes, nombreux sont les besoins de nos concitoyens dans les champs de la santé, de l’éducation et dans bien d’autres domaines encore. Toutefois, la priorité des priorités consiste bien à assurer la sécurité des Français et la préservation de notre modèle politique, qui conditionne tout le reste. C’est pourquoi, aux yeux de votre rapporteur pour avis, les fonctions régaliennes de l’État doivent aujourd’hui, plus que jamais, occuper la première place dans les choix budgétaires.

C’est tout le sens de l’effort de guerre qui doit être assumé dans le projet de loi de finances pour 2016.

Parmi ces missions régaliennes figure de manière éminente – aux côtés de celles assurées par la justice, la police, la gendarmerie et les armées – la surveillance des individus détenus pour la commission de crimes ou de délits. L’administration pénitentiaire doit donc faire l’objet de soins particuliers de la part des institutions politiques

Elle est en effet appelée à jouer un rôle essentiel, à trois titres, dans la lutte contre le terrorisme islamiste :

• elle doit d’abord surveiller, malgré une sous-capacité chronique et des conditions de travail et de sécurité difficiles, une population carcérale qui compte une part croissante de détenus radicalisés ;

• il lui appartient, ensuite, de développer une aptitude au renseignement qui demeure aujourd’hui, malgré certains progrès, insuffisamment professionnalisée ;

• elle constitue, enfin, le lieu d’enfermement durable des individus terroristes que la société a le droit et le devoir de neutraliser, c’est-à-dire de mettre hors d’état de nuire.

Votre rapporteur pour avis formulera vingt propositions pour mieux mobiliser l’administration pénitentiaire dans la guerre contre le terrorisme islamiste. Pour élaborer ces propositions, il a non seulement réalisé de nombreuses auditions mais aussi visité les maisons d’arrêt de Fresnes et de Fleury-Mérogis et les centres pénitentiaires de Marseille, Lille-Annœullin et Vendin-le-Vieil. Dans chacun de ces établissements, il a été frappé par la qualité tant des équipes de direction que des personnels de terrain, comme par la haute idée que ceux-ci se font de leur mission au service de l’État. C’est en songeant à eux, à la difficulté de leur tâche et aux risques qu’ils prennent, que votre rapporteur pour avis a conçu ses recommandations.

Trois priorités doivent guider cette mobilisation.

D’abord, la rapide augmentation du nombre des détenus terroristes doit conduire à accroître la capacité pénitentiaire, à mieux sécuriser les prisons et à isoler les détenus les plus dangereux (I).

Dans le même temps, l’administration pénitentiaire doit mieux trouver sa place au sein de la communauté du renseignement (II).

Enfin, un relèvement du quantum des peines et une restriction de leurs possibilités d’aménagement sont nécessaires pour neutraliser durablement les détenus terroristes (III).

Le parc pénitentiaire actuel n’est pas adapté au volume et à la nature de la population carcérale, qui compte une proportion croissante de détenus radicalisés (A). Les modalités de regroupement de ces derniers, telles qu’elles sont envisagées par le Gouvernement, doivent être repensées de toute urgence (B). La sécurisation générale des prisons nécessite tout particulièrement de limiter les communications avec l’extérieur (C).

En nombre insuffisant (1), les équipements immobiliers de l’administration pénitentiaire souffrent, en outre, d’une trop faible sécurisation (2).

Le tableau ci-dessous présente l’évolution depuis 2005 du nombre de personnes détenues dans les 187 établissements pénitentiaires que compte notre pays, en distinguant selon qu’elles sont prévenues ou condamnées.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PERSONNES DÉTENUES SELON LA CATÉGORIE PÉNALE DEPUIS 2005 (AU 1ER JUILLET DE CHAQUE ANNÉE)

Année

Prévenus

Condamnés (y compris les contraintes par corps)

Ensemble

Taux de prévenus (%)

2005

20 999

39 926

60 925

34,5 %

2006

18 546

40 942

59 488

31,2 %

2007

18 223

43 557

61 780

29,5 %

2008

17 495

46 755

64 250

27,2 %

2009

16 174

47 015

63 189

25,6 %

2010

15 963

46 150

62 113

25,7 %

2011

16 789

47 937

64 726

25,9 %

2012

17 138

50 235

67 373

25,4 %

2013

17 318

51 251

68 569

25,3 %

2014

17 773

50 522

68 295

26,0 %

2015

17 605

49 262

66 864

26,3 %

Source : Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue (DAP/PMJ5)

Face à cette population de près de 67 000 détenus, la capacité opérationnelle du parc pénitentiaire est passée de 57 841 places au 1er janvier 2015 à 57 759 places au 1er juillet 2015.

Le tableau ci-dessous retrace l’évolution du parc pénitentiaire depuis 2005.

NOMBRE, CAPACITÉS ET TAUX D’OCCUPATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES DEPUIS 2005

Au 1er janvier

Capacité théorique
(1)

Capacité opération-nelle (2)

Taux occupation

(3)

Nombre d’établissements pénitentiaires

MA

CD

CP

CSL

EPM

MC

Total

2005

50 717

50 094

116,2%

117

24

29

13

0

5

188

2006

51 854

51 252

113,8%

117

24

30

13

0

5

189

2007

51 076

50 588

115,4%

116

24

31

13

0

4

189

2008

51 489

50 693

120,5%

116

24

31

13

4

4

193

2009

52 843

51 997

119,7%

111

23

35

13

6

4

193

2010

55 760

54 988

110,9%

106

24

38

12

6

5

191

2011

57 383

56 358

107,4%

101

25

40

11

6

6

189

2012

58 353

57 236

113,2%

99

25

43

11

6

6

190

2013

58 225

56 992

116 ,8%

98

25

44

11

6

8

190

2014

58 583

57 516

116,6%

98

25

44

11

6

6

190

2015

58 603

57 841

114,6%

93

25

46

11

6

6

187

(1) La capacité d’hébergement théorique d’un établissement pénitentiaire est définie par la somme des cellules et dortoirs utilisés pour héberger des personnes détenues placées en détention normale, des cellules destinées à l’accueil des entrants, des cellules utilisées pour l’accueil des enfants laissés en détention auprès de leur mère incarcérée, des cellules normalement destinées à la semi-liberté, et des cellules des services médico-psychologiques régionaux.

(2) La capacité opérationnelle correspond à la capacité dont dispose effectivement un établissement. Elle s’analyse comme la capacité d’hébergement dont on déduit les places des quartiers des entrants, les places réservées aux services médico-psychologiques régionaux et les places inutilisables en raison de travaux dans les cellules.

(3) La densité carcérale (ou taux d’occupation) est calculée en rapportant le nombre de personnes écrouées à la capacité opérationnelle.

Source : Statistique mensuelle (PMJ5)

Au 1er mai 2015, les prisons françaises comptaient 66 967 personnes détenues, dont 44 910 en maison d’arrêt, pour 57 826 places. Le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt s’élève en moyenne à 134 %. À titre d’illustration, on compte 4 200 personnes détenues pour 2 600 places à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, et 928 personnes détenues pour 580 places à celle d’Osny.

Selon votre rapporteur pour avis, il est impropre de parler à ce sujet de « surpopulation carcérale ». La population carcérale ne saurait en effet constituer une variable d’ajustement dont on serait libre d’user pour des motifs budgétaires ou idéologiques. Son évolution devrait être objective et fonction de l’évolution de la délinquance elle-même. Il est donc bien plus pertinent, pour décrire la situation actuelle, de parler de « sous-capacité carcérale ».

Compte tenu, d’une part, de l’écart entre le nombre de détenus et le nombre de places de prison et, d’autre part, du stock de peines de prison ferme en attente d’exécution (approximativement 100 000 (11)), le nombre de places de prison manquantes peut être évalué à au moins 20 000 (12). Contrairement à une idée reçue, la France est loin de recourir autant que ses voisins à l’incarcération. Selon les derniers chiffres disponibles du Conseil de l’Europe (13), la France, au 1er septembre 2013, comptait 57 435 places de prison, contre 77 243 en Allemagne, 77 895 en Espagne et 97 260 au Royaume-Uni.

Le tableau ci-dessous présente le nombre d’affaires de terrorisme transmises aux parquets de 2012 à juillet 2015.

NOMBRE D’AFFAIRES DE TERRORISME TRANSMISES AUX PARQUETS

 

Date de référence de l’affaire

Affaires dont ont été saisis les parquets

2012

2013

2014

2015

(de janvier à juillet)

 

C11-Terrorisme

218

162

197

668

Source : Secrétariat Général/SDSE – Système d’information décisionnel pénal (SID)

On peut observer que le nombre d’affaires de terrorisme dont ont été saisis les parquets entre janvier et juillet 2015 est plus de sept fois supérieur à celui observé entre janvier et juillet 2014.

L’évolution du nombre total des infractions terroristes ayant donné lieu au prononcé de condamnations définitives est le suivant :

   

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Total terrorisme (délits)

88

165

226

197

269

247

183

189

223

272

Total terrorisme (crimes)

16

40

49

82

73

69

59

47

83

101

TOTAL

104

205

275

279

342

316

242

236

306

373

Source : Direction des affaires criminelles et des grâces

Cette augmentation du contentieux en matière terroriste entraîne à son tour une augmentation du nombre d’incarcérations visant les auteurs de ces faits. Les données recueillies par l’administration pénitentiaire permettent de recenser le nombre d’incarcérations de personnes condamnées, en distinguant les différentes « mouvances » terroristes (14).

PERSONNES CONDAMNÉES ET ÉCROUÉES POUR DES FAITS DE TERRORISME

Année

2010

2011

2012

2013

2014

2015

ETA

22

23

14

12

0

5

Corses

8

6

3

9

3

3

PKK

/

1

15

4

1

2

Terroristes Islamistes

5

3

18

31

67

76

Source : Direction de l’administration pénitentiaire

D’après les chiffres fournis à votre rapporteur pour avis par le directeur de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), 213 individus sont actuellement détenus pour des faits de terrorisme en lien avec l’islam radical, dont 158 sont des prévenus. 164 sont détenus à Paris. Par ailleurs, 350 personnes détenues pour différents chefs d’infractions sont suivies au motif de leur radicalisation. On peut ajouter que 16 personnes poursuivies pour des faits de terrorisme font actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire et sont suivies en milieu ouvert par un service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). À la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, que votre rapporteur pour avis a visitée, on compte 63 détenus incarcérés pour faits de terrorisme.

D’après les informations qui sont parvenues à votre rapporteur pour avis, il est à craindre que les événements les plus graves en matière de terrorisme soient non pas derrière nous, mais devant nous.

C’est pourquoi on peut, et on doit, anticiper l’augmentation dans les mois et années à venir du nombre d’incarcérations d’islamistes radicaux, non seulement à la suite d’éventuels attentats, mais aussi du retour de Français ou d’étrangers résidant en France partis faire le « djihad » dans la zone irako-syrienne. Nombre de ces individus présenteront une dangerosité particulièrement élevée tant il est vrai que, pour des personnes ayant assisté ou participé à des exactions, le degré d’acceptation de la violence n’est plus le même (15). On peut déjà, de source policière, observer les effets de cette banalisation de la violence sur la délinquance de droit commun, avec l’emploi de plus en plus fréquent d’armes de guerre et le recours au meurtre de sang-froid, y compris sur des fonctionnaires de police ou des convoyeurs de fonds.

Eu égard à ces éléments, l’insuffisante prise en compte du problème de la sous-capacité carcérale constitue plus qu’une erreur. Il y a là une faute, si l’on songe que la suroccupation des prisons facilite le prosélytisme et multiplie les risques de contagion islamiste. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) reconnaît elle-même ce dernier point, dans son avis du 11 juin 2015 (16), lorsqu’elle met expressément en cause, comme facteur de « radicalisation », la disproportion entre le nombre de places de prison et le nombre de personnes détenues.

Proposition n° 1 :

Programmer un effort de construction de plus de 20 000 places de prison permettant d’atteindre, au plus tôt, 80 000 places d’incarcération.

Certaines avancées ont été accomplies en termes de sécurisation des établissements, à la suite du plan de sécurisation présenté par la garde des Sceaux le 3 juin 2013 et du plan antiterroriste intergouvernemental de janvier 2015. Dans le prolongement de ce dernier, vingt-six sites « sensibles » ont été identifiés. Dix d’entre eux sont déjà équipés de systèmes de brouillage des téléphones portables, et les marchés sont en cours pour les seize autres. Les effectifs ont par ailleurs été renforcés avec la création de 56 postes pour les fouilles sectorielles dans les établissements et de 15 postes de surveillants affectés dans les équipes cynotechniques (deux nouvelles équipes ayant été créées).

D’importants problèmes de sécurité n’en demeurent pas moins. Votre rapporteur pour avis a ainsi pu constater, lors de ses visites d’établissements, la persistance des projections de téléphones portables, de couteaux, de lames de scie ou encore de stupéfiants dans les cours de promenades.

À ces faits ainsi qu’aux évasions (notamment lors des extractions judiciaires ou médicales), dont l’actualité nous donne malheureusement des exemples (17), s’ajoutent les problèmes récurrents d’agressions contre les surveillants pénitentiaires. Ceux-ci sont victimes de violences physiques ou verbales de la part des détenus, mais subissent également des agressions à l’extérieur des établissements par d’anciens détenus ou des proches de détenus. En 2014, 19 681 faits d’agression ont été recensés, contre 20 072 en 2013. Au 30 juin 2015, ce chiffre était de 9 896, dont 589 incidents commis par des détenus mineurs et 121 par des femmes détenues. Si ce niveau paraît relativement stable depuis deux ans et demi, il est en soi beaucoup trop élevé et inacceptable.

NOMBRE D’AGRESSIONS RECENSÉES

 

Nombre d’agressions

(au 31 décembre)

Dont violences verbales

2009

15 028

12 203

2010

17 579

14 349

2011

19 912

15 829

2012

21 281

16 878

2013

20 072

15 880

2014

19 681

15 559

Juin 2015

9 896

7 871

Source : ministère de la Justice

Le tableau ci-dessous retrace le nombre et la répartition des jours d’interruption temporaire de travail (ITT) qu’ont entraînés ces agressions en 2013 et 2014.

NOMBRE DE JOURS D’INTERRUPTION TEMPORAIRE DE TRAVAIL

Jour ITT

2013

2014

Non communiqué

253

277

0

636

642

de 1 à 8

136

143

de 9 à 14

6

4

de 15 à 30

3

2

TOTAL

1034

1068

Source : ministère de la Justice

En 2014, au total, 149 agents victimes d’une agression ont subi au moins une ITT d’au moins un jour, contre 145 en 2013. La proportion d’agents agressés qui déposent plainte continue d’augmenter (76 % en 2014, contre 73 % en 2013).

Il est urgent de mieux prendre en compte le malaise des personnels de surveillance, durement éprouvés, en assumant une affectation prioritaire des agents vers les établissements les moins bien dotés et les plus exposés.

Proposition n° 2 :

Renforcer les effectifs de surveillants dans les établissements les moins bien dotés et les plus exposés aux atteintes à la sécurité des personnels.

Proposition n° 3 :

Adapter le volume des heures supplémentaires, sur la base du volontariat, selon un régime de rémunération incitatif.

Si le fait d’isoler certains détenus radicalisés du reste de la population carcérale afin de couper court à tout risque de contagion est nécessaire (1), la façon dont le Gouvernement entend mettre en œuvre ce principe dans des unités « dédiées » suscite de graves préoccupations (2). La question de la prise en charge des mineurs terroristes doit également être anticipée (3).

Trois conceptions s’opposent, s’agissant du traitement pénitentiaire à appliquer aux détenus radicalisés, qui présentent un degré plus ou moins élevé de dangerosité.

La première option préconise de regrouper tous les détenus radicalisés dans un seul et même établissement pénitentiaire, qui incarnerait une sorte de « Guantanamo » à la française. Cette option est, à juste titre, écartée en France, compte tenu des risques très élevés pour la sécurité des établissements que comporterait la gestion de nombreux détenus dangereux, ayant parfois bénéficié d’un entraînement militaire. La désastreuse expérience libanaise du « bloc » B de la prison de Roumieh (près de Beyrouth) le prouve bien, ce bloc étant devenu un quartier général de djihadistes, dans lequel les gardiens n’osaient plus pénétrer : il a fallu, en janvier 2015, une intervention des forces de sécurité pour transférer plus de 900 de ses occupants vers une autre aile, contrôlée par l’administration pénitentiaire (18).

La deuxième option est celle de la « dilution » ou de la « dissémination » des détenus radicalisés non seulement entre plusieurs établissements, mais au sein même de ces établissements, au motif que leur concentration risquerait de les enfoncer davantage dans leur extrémisme. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté semble se rapprocher de ce point de vue lorsqu’elle relève, dans son avis du 11 juin 2015 (19), que les personnes regroupées qu’elle a rencontrées à Fresnes « ont pour la plupart confié leur crainte d’être étiquetées durablement comme islamistes radicaux, et de ne pouvoir se défaire de l’emprise de leurs codétenus, n’ayant désormais plus aucun lien avec la population générale de la détention ». Telle était, jusqu’à la décision récente du Gouvernement de créer des unités « dédiées », l’option retenue en France depuis le retour des premiers djihadistes de la zone irako-syrienne. Ceux-ci étaient simplement placés sous observation. S’ils créaient des difficultés et commençaient à constituer autour d’eux un réseau de radicaux, ils étaient déplacés, dans le cadre de ce que les surveillants appellent parfois le « tour de France » pénitentiaire. L’approche française est en effet traditionnellement prudente en matière de regroupement des détenus partageant une même affiliation « idéologique » (20).

La dispersion des détenus radicalisés est également, sur le long terme, la position du Royaume-Uni. Les Britanniques ne semblent pas avoir été satisfaits de l’expérience de concentration des militants de l’IRA tentée au cours de la décennie 1970. S’ils ont pratiqué le regroupement des islamistes radicaux au cours des cinq dernières années, ils sont toutefois en train de revenir à une pratique de dispersion.

La troisième option est celle du regroupement des détenus radicalisés au sein d’ « unités » spécifiques. Pour cette école, la dispersion indifférenciée dans différents établissements et au contact du reste de la population pénale n’est pas satisfaisante à moyen et long terme. Laissés en situation de chercher à rallier d’autres détenus à leur cause (21) et sans traitement destiné à les faire sortir de la radicalisation, ces détenus constituent une véritable menace.

Le regroupement de détenus ayant un tel profil est pratiqué, par exemple, aux Pays-Bas, où deux établissements pénitentiaires comprennent une section spécifique pour la détention des personnes condamnées ou mises en examen pour des infractions terroristes, mais aussi des personnes ayant fait l’éloge d’un message radical.

Contrairement à ce que laisse entendre la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son avis du 11 juin dernier (22), le regroupement de certains détenus selon des critères tenant à leur « personnalité » n’est pas sans précédent. On sait, par exemple, qu’à Fleury-Mérogis, il existe des regroupements de détenus selon leur département d’origine : « Seine-Saint-Denis », « Val-de-Marne » ou encore « Val-d’Oise ».

S’agissant des islamistes radicalisés, M. Stéphane Scotto, directeur du centre pénitentiaire de Fresnes, a ouvert la voie avec l’expérience qu’il a mise en œuvre dans son établissement en octobre 2014 (« Unité de prévention du prosélytisme » ou « U2P »). Cette expérience visait à isoler collectivement les détenus condamnés pour leur participation à une entreprise terroriste.

Dans son avis consacré aux crédits de l’administration pénitentiaire pour 2015 (23) votre rapporteur pour avis préconisait un système très différent : la création, pour les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne, d’ « unités spécialisées anti-radicalisation » (USAR), dotées de moyens adaptés et organisées selon un régime ad hoc, où les détenus seraient isolés les uns des autres et auraient l’obligation de suivre un programme anti-radicalisation personnalisé. Ce n’est pas la voie suivie, aujourd’hui, par le Gouvernement.

À la suite des attentats de janvier 2015, dont deux des auteurs étaient issus de la délinquance de droit commun et avaient purgé des peines d’emprisonnement, le Premier ministre a annoncé, dans le prolongement de l’expérience de Fresnes et dans le cadre d’un plan de lutte contre le terrorisme, la création, avant la fin de l’année 2015, de cinq unités dédiées au regroupement, sur la base d’un encellulement individuel, des personnes détenues radicalisées. Les établissements de Fresnes et de Fleury-Mérogis accueilleront chacun une unité dite « d’évaluation ». Trois autres unités seront mises en place : l’une à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour les détenus les moins radicalisés, une deuxième à celle d’Osny (Val-d’Oise) pour les détenus moyennement radicalisés et une dernière, destinée aux plus extrémistes, au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin (24).

Pour juger de l’opportunité de cette orientation, il convient d’en examiner très attentivement les modalités juridiques et pratiques. Les auditions et les visites effectuées par votre rapporteur pour avis le conduisent à douter de l’efficacité de l’option retenue par le Gouvernement.

Votre rapporteur pour avis a ainsi visité, à Lille-Annœullin, le bâtiment qui constitue aujourd’hui un « quartier maison centrale » (QMC) (25) et qui a vocation à accueillir à compter de janvier 2016 l’unité réservée aux détenus les plus radicalisés.

Après avoir fait l’objet d’un mandat de dépôt antiterroriste ou d’un repérage pour radicalisation, 28 détenus (prévenus ou condamnés) y seront rassemblés dans deux ailes de 14 cellules chacune. Si le lien avec le reste de la population carcérale sera effectivement rompu et si les deux ailes sont étanches entre elles, en revanche les détenus au sein de chaque aile pourront communiquer entre eux, soit d’une fenêtre à l’autre, soit à l’occasion des activités, des promenades ou encore des séances de sport, lesquelles se déroulent sans surveillant).

Le bâtiment aura le statut de « maison d’arrêt ». Le régime juridique de la détention ne sera pas celui de l’« isolement », qui a été jugé trop contraignant, mais celui de la « détention ordinaire ». Ceci a été confirmé par la garde des Sceaux dans les observations, publiées au Journal Officiel (26), qu’elle a apportées en réponse à l’avis de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Le fait, pour le bâtiment concerné de Lille-Annœullin, de passer du statut juridique de « quartier maison centrale » (QMC) à celui de « maison d’arrêt » aura en outre pour effet d’entraîner un moindre armement des miradors, ce qui est pour le moins paradoxal pour des lieux destinés à abriter les détenus les plus radicalisés. Ceci est d’autant plus regrettable que cela s’ajoute au brouillage insuffisant des communications par téléphones portables, le contrat conclu avec la société privée gestionnaire de l’établissement ne mentionnant que la « 3 G », et pas la « 4 G ».

Rien n’interdira, certes, dans la gestion de la détention par la direction de l’établissement, d’éviter de placer deux individus dans deux cellules contiguës ou d’empêcher qu’ils ne se rendent en même temps à la salle de sport. Rien n’interdira non plus de placer les détenus concernés, si les conditions en sont réunies, à l’isolement ou en quartier disciplinaire (les deux quartiers concernés se trouvant à Annœullin dans un bâtiment distinct de celui destiné aux radicalisés). Il ne pourra toutefois s’agir, dans tous ces cas, que de mesures ponctuelles (27) et non du régime habituel.

Le régime de l’isolement, en particulier, est très encadré par la partie réglementaire du code de procédure pénale. Il s’agit d’une mesure administrative consistant à séparer une personne détenue majeure du reste de la population pénale, à sa demande ou à la demande de l’administration pénitentiaire, pour des raisons de protection ou de sécurité (des personnes codétenues ou des membres du personnel). Les articles R. 57-7-66, R. 57-7-67 et R. 57-7-68 prévoient que la durée maximale de l’isolement est de trois mois, renouvelable jusqu’à une durée cumulée de deux ans. La première décision et le premier renouvellement relèvent de la compétence du chef d’établissement, le renouvellement à partir de six mois et jusqu’à un an du directeur interrégional des services pénitentiaires, et le renouvellement à partir d’un an et jusqu’à deux ans du ministre de la Justice (28). De nombreuses décisions administratives distinctes, relevant de trois autorités différentes, sont donc nécessaires pour placer une personne à l’isolement pendant une durée de deux ans. Une prolongation de l’isolement au-delà de deux ans ne peut être décidée qu’« à titre exceptionnel, si le placement à l’isolement constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement ». Enfin, l’article R. 57-7-74 prévoit que lorsqu’une personne a déjà été placée à l’isolement depuis moins d’un an, la durée de l’isolement antérieur s’impute sur la durée de la nouvelle mesure.

L’isolement est aujourd’hui peu pratiqué envers les détenus radicalisés. Au 17 août 2015, sur les 213 personnes détenues écrouées pour des faits de terrorisme liés à l’islam radical, 20 seulement étaient placées en quartier d’isolement (29) (en raison du caractère médiatique des faits commis, des risques avérés de prosélytisme ou de la dangerosité de l’individu).

Il est à craindre que, dans le cadre des unités « dédiées » actuellement mises en place, les larges possibilités laissées aux détenus de communiquer entre eux n’aient pour effet de conforter ceux-ci et de faire naître une dynamique de groupe, aboutissant à la création quasiment d’une sorte de « katiba », de cellule de combat. Il est évident que ceci ne correspond que trop aux souhaits des radicaux eux-mêmes. On voit mal comment il pourra être possible de travailler individuellement de manière efficace avec ces détenus en vue de les ramener à la raison dès lors qu’ils seront à même de se surveiller les uns les autres (30), selon le principe de ce que Daech, le pseudo « État islamique », appelle la « police islamique ». Il y a motif à être très inquiet quant à l’état d’esprit dans lequel les intéressés sortiront de prison, leur peine une fois purgée.

Votre rapporteur pour avis, compte tenu des auditions auxquelles il a procédé, est en mesure d’affirmer que la mise en place des unités dédiées, telle qu’elle est actuellement prévue par le Gouvernement, suscite de très vives réticences tant auprès du Conseil français du culte musulman (CFCM) que de certains professionnels du renseignement et de la lutte anti-terroriste.

Ceci ne correspond nullement à ce que préconisait votre rapporteur pour avis l’année dernière lorsqu’il suggérait de créer, dans certains établissements pénitentiaires, des unités de petite taille « au sein desquelles les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako syrienne seraient isolés les uns des autres (31) ».

Votre rapporteur pour avis suggère donc de définir, puis de mettre en œuvre effectivement, un régime juridique ad hoc pour la détention des détenus radicalisés dans de petites unités dédiées, empêchant la communication des uns avec les autres et permettant une sécurisation renforcée des bâtiments où ils sont détenus.

Proposition n° 4 :

Suspendre immédiatement le projet de regroupement des détenus radicalisés les plus dangereux tel qu'il est aujourd'hui envisagé par le Gouvernement.

Proposition n° 5 :

Définir et mettre en œuvre un régime juridique adapté pour la détention des individus radicalisés, dans de petites unités spécialisées, où les détenus seront isolés les uns des autres.

Des mineurs sont désormais impliqués dans des faits de terrorisme. Tel a été le cas lors de l’attentat déjoué en juillet 2015 dans le sud de la France, visant à décapiter plusieurs militaires : quatre individus, dont un mineur, étaient impliqués dans la préparation de cet attentat.

On sait, par ailleurs, que des mineurs ont rejoint la zone irako-syrienne.

Il faut donc anticiper leur retour et leur prise en charge par l’administration pénitentiaire.

Cette évolution invite à réfléchir à la mise en place d’un régime de détention spécifique pour les mineurs terroristes afin d’éviter les risques de contamination des autres jeunes détenus, étant précisé que les « unités dédiées » actuellement envisagées par le Gouvernement n’accueilleront pour leur part que des majeurs. On sait en effet que les mineurs incarcérés, fragilisés par la détention, sont particulièrement influençables. Le fait de les laisser en contact avec d’autres mineurs, terroristes ou apprentis terroristes, peut donc se révéler très dommageable.

Proposition n° 6 :

Créer un régime de détention spécifique pour les mineurs prévenus ou condamnés pour faits de terrorisme.

Avant la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, seuls les condamnés exécutant leur peine dans un établissement pour peines avaient accès à des téléphones fixes installés dans les établissements. L’article 39 de cette loi a autorisé l’usage du téléphone fixe pour l’ensemble des détenus, condamnés ou prévenus, dans tous les établissements, dans un souci de préservation des liens familiaux. Pour des raisons de sécurité, les appels téléphoniques des détenus sont limités aux personnes autorisées par le juge d’instruction pour les prévenus et par l’administration pénitentiaire pour les condamnés, et sont susceptibles d’être écoutés, enregistrés et interrompus (32).

Pourtant, l’usage légal du téléphone filaire n’a cessé de reculer depuis 2009, en raison de l’introduction massive de téléphones portables, en toute illégalité, dans les lieux de détention. Or, ceux-ci constituent éminemment un facteur de radicalisation pour certains détenus.

En effet, compte tenu de la possibilité de naviguer sur Internet avec un téléphone portable, les détenus radicalisés ou en voie de radicalisation ont aussi la faculté d’accéder à des sites Internet de propagande djihadiste, dont l’importance dans le recrutement des terroristes est désormais parfaitement avérée et reconnue tant par l’opposition que par l’actuelle majorité (33). C’est pourquoi l’on a d’autant plus de mal à comprendre que cette même majorité se soit récemment opposée à l’adoption de la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Goujon visant à garantir l'isolement électronique des détenus et à renforcer les moyens du renseignement pénitentiaire (34).

En dehors même de l’accès aux réseaux internet, il est évident qu’une partie de ces communications téléphoniques poursuit des buts nocifs tels que l’endoctrinement, l’introduction d’objets interdits en détention (lors de visites au parloir ou par le biais de projections de l’extérieur vers les cours de promenade), voire la préparation d’une évasion.

L’absence en pratique de fouilles sur les individus accédant aux zones de détention, qui s’ajoute à l’interdiction, depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, des fouilles systématiques sur les détenus à l’issue des parloirs, ne permet pas de lutter efficacement contre l’introduction des téléphones lors des parloirs.

En vue de lutter plus efficacement contre l’introduction et l’utilisation des téléphones portables en prison, votre rapporteur pour avis renvoie ici à un certain nombre de préconisations qu’il avait déjà formulées l’année dernière (35), tendant notamment à :

—  augmenter la fréquence des opérations de fouilles judiciaires ciblées, menées par les services de police ou de gendarmerie (avec l’appui de moyens cynotechniques), des personnes accédant aux établissements pénitentiaires (étant entendu, naturellement, que votre rapporteur pour avis ne remet pas en cause les missions caritatives effectuées par les associations honorablement connues de visiteurs de prisons) ;

—  mettre en œuvre une politique de fouilles par palpation beaucoup plus fréquentes sur les personnes étrangères au service, entrant dans les établissements pénitentiaires. Cette possibilité de réaliser des palpations de sécurité existe déjà pour les visiteurs. Le premier alinéa de l’article D. 278 du code de procédure pénale dispose en effet que « les personnes étrangères au service d'un établissement pénitentiaire ne peuvent pénétrer à l'intérieur de celui-ci qu'après avoir justifié de leur identité et de leur qualité et après s'être soumises aux mesures de contrôle réglementaires ». Une note de la Direction de l’administration pénitentiaire du 14 avril 2009 relative aux mesures de sécurité applicables aux personnes accédant à un établissement pénitentiaire précise que, dans ce cadre, une palpation de sécurité peut notamment être effectuée. Cependant, en pratique, ces fouilles par palpation sont très peu pratiquées alors qu’il s’agit d’un geste quotidien dans les aéroports ou à l’entrée de certaines enceintes sportives et qu’il y aurait là un moyen efficace de lutter contre l’introduction des téléphones en prison.

Proposition n° 7 :

Adapter le cadre juridique des fouilles :

—  mettre en œuvre une politique de fouilles par palpation plus fréquentes sur les individus entrant dans les établissements pénitentiaires ;

—  renforcer les opérations de fouilles judiciaires ciblées des personnes accédant aux établissements pénitentiaires.

—  permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées (36;

Proposition n° 8 :

Permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.

—  demander aux opérateurs de réseaux téléphoniques de limiter l’accès au réseau téléphonique, dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire figurant sur une liste adressée aux opérateurs.

Proposition n° 9 :

Dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, limiter l’accès au réseau téléphonique aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire, figurant sur une liste adressée aux opérateurs.

L’isolement d’un certain nombre de détenus radicalisés ne règle pas entièrement la question de la lutte contre la radicalisation car certains individus, obéissant à la tactique de la « taqiyya », continueront à se fondre dans la population carcérale.

Rappelons en effet qu’il existe dans les milieux islamistes radicaux de véritables manuels de dissimulation. La coexistence en un même lieu d’individus dangereux projetant d’affaiblir notre société, d’une part, et d’individus fragiles et influençables, d’autre part, fait de la prison un espace de propagation pour la radicalisation islamiste.

C’est la raison pour laquelle il est impératif que notre pays se dote enfin d’un dispositif efficace de renseignement en milieu carcéral, apte en particulier à détecter le plus précocement possible les détenus qui tendent à prendre l’ascendant sur les autres, selon le modèle du « caïdat ». Les écoutes éventuelles auxquelles peuvent procéder les services de renseignement stricto sensu ne sont en effet pas suffisantes.

Le renseignement pénitentiaire dans notre pays, même si ses missions ont été étendues récemment au-delà de la seule sécurité des établissements, n’est pas encore à la hauteur des enjeux actuels (A). En faire un véritable acteur du renseignement réclame de l’inclure dans le second cercle du renseignement et de lui donner des moyens adéquats (B).

Longtemps orienté vers la seule prévention des mutineries et évasions (1), le renseignement pénitentiaire a été récemment renforcé d’une façon qui demeure toutefois insuffisante (2).

C’est à M. Dominique Perben, alors garde des Sceaux, que l’on doit la création d’un service spécialisé : il existe depuis 2003, au sein de la sous-direction de l’état-major de sécurité, un bureau de renseignement pénitentiaire, dénommé « EMS 3 ».

Celui-ci a d’abord reçu pour tâche d’assurer une surveillance des détenus dits difficiles, avant de voir sa mission élargie, après les attentats de Londres et Madrid en 2005. Sa mission n’excédait pas toutefois la sécurisation des établissements et la prévention des évasions et des mutineries. L’article 4 de l’arrêté du 9 juillet 2008 fixant l’organisation en bureaux de la direction de l’administration pénitentiaire disposait ainsi (jusqu’à son abrogation au 15 septembre 2015) : « Le bureau du renseignement pénitentiaire est chargé de recueillir et d’analyser l’ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires. Il organise la collecte de ces renseignements auprès des services déconcentrés et procède à leur exploitation à des fins opérationnelles. Il assure la liaison avec les services centraux de la police et de la gendarmerie. »

Les missions de ce bureau ont été étendues à certaines formes de « radicalisation violente », sans toutefois que le terrorisme ne soit explicitement mentionné. L’arrêté du 30 juin 2015 fixant l’organisation en bureaux de la direction de l’administration pénitentiaire dispose en effet désormais : « Le bureau du renseignement pénitentiaire :

—  est chargé de recueillir et d’analyser l’ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires ;

—  assure le suivi régulier et individualisé des personnes détenues le justifiant ;

—  surveille, en liaison avec les autres services compétents de l’État, notamment du ministère de l’intérieur, l’évolution de certaines formes de criminalité et de radicalisation violente ;

—  anime et coordonne le réseau du renseignement pénitentiaire et exploite à des fins opérationnelles les informations collectées. »

Les effectifs du renseignement pénitentiaire ont été accrus, à l’échelon tant de l’administration centrale que des directions interrégionales, mais aussi au sein d’une cinquantaine d’établissements sensibles. D’après la garde des Sceaux, le renseignement pénitentiaire comptait, à la date du 19 mai 2015, 159 personnes, contre 72 en 2012. Ce chiffre atteindra 185 personnes en 2016 (37). Le recrutement actuel porte notamment sur 44 officiers qualifiés en renseignement pour les établissements sensibles, 22 informaticiens, 14 analystes veilleurs et 40 interprètes.

Une cellule de veille permanente sur les réseaux sociaux rassemblant, en plus des personnels pénitentiaires, des chercheurs et des spécialistes des questions internationales, a été mise en place. Une cellule de réflexion pluridisciplinaire intégrant des membres du personnel pénitentiaire ainsi que des chercheurs et des experts en matière de politique internationale a également été créée.

Aux termes d’un protocole signé entre M. Jean-Marc Falcone, préfet, directeur général de la police nationale, et Mme Isabelle Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire, un directeur des services pénitentiaires a rejoint l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Depuis janvier 2015, ce directeur participe aux réunions hebdomadaires de l’UCLAT. De même, certains membres du personnel pénitentiaire bénéficient de la formation dispensée par l’Académie du renseignement.

Votre rapporteur pour avis a pu observer, lors de ses déplacements, un début d’application de ces mesures sur le terrain. À titre d’exemple, la cellule « renseignement » de la direction interrégionale de Lille est ainsi passée, depuis le 1er septembre 2015, de deux à 14 personnes, dont quatre sont arabophones. Cette cellule comprend des psychologues, des informaticiens, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), etc. Sur environ 8 000 détenus, le directeur interrégional estime à environ 1 % la part des détenus radicalisés, soit 80 détenus.

Ces mesures restent toutefois en deçà de ce qu’exige la gravité de la situation pour faire face à la menace terroriste.

Si des efforts de formation ont été faits, ils restent perfectibles.

D’après les chiffres fournis à votre rapporteur pour avis par le directeur de l’UCLAT, le bureau EMS3 suit actuellement 561 détenus, soit 0,8 % seulement de la population carcérale.

La professionnalisation du renseignement pénitentiaire passe par l’entrée de celui-ci dans la communauté du renseignement (1) et par l’augmentation de ses moyens non seulement humains et matériels, mais aussi juridiques (2).

Malgré ses progrès, le renseignement pénitentiaire est encore considéré davantage comme une « source » de renseignement que comme un « acteur » à part entière de celui-ci.

Il est indispensable aujourd’hui de créer un véritable « service de renseignement pénitentiaire » (SRP). Ceci suppose pour celui-ci, sinon d’être intégré à la communauté du renseignement proprement dite (38), du moins de figurer dans le « second cercle » du renseignement, c’est-à-dire parmi les services pouvant être autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure (accès administratifs aux données de connexion, interceptions de sécurité, sonorisation de certains lieux, captation d’images et de données informatiques, etc.) (39).

Ceci implique de compléter l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, issu de l’article 2 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, aux termes duquel : « Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, désigne les services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la défense et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre dans les conditions prévues au même livre. Il précise, pour chaque service, les finalités mentionnées à l’article L. 811-3 et les techniques qui peuvent donner lieu à autorisation. » Rappelons que parmi les finalités énumérées par l’article L. 811-3 figure la « prévention du terrorisme ». Le ministère de la Justice devrait donc être mentionné aux côtés des ministères en charge de la défense, de l’intérieur et de l’économie.

Lors des débats concernant le projet de loi relatif au renseignement, votre rapporteur pour avis avait déposé un amendement tendant à permettre à un service idoine relevant du ministère de la Justice de recourir aux techniques de renseignement prévues par la loi. Cette disposition, qui avait reçu le soutien du président de la commission des Lois et rapporteur du projet de loi, M. Jean-Jacques Urvoas, avait été adoptée en commission (40) et maintenue en séance publique à l’Assemblée nationale, mais supprimée par la commission des Lois du Sénat.

Le Gouvernement s’y était constamment montré défavorable. Il suggérait à la place de permettre à l’administration pénitentiaire d’utiliser certaines techniques de renseignement, mais uniquement « sous le contrôle du procureur de la République » et aux seules « fins de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité et le bon ordre des établissements », comme le prévoyait l’article 12 du projet de loi. Refusant de s’engager dans cette confusion des champs administratif et judiciaire, la commission des Lois de l’Assemblée nationale, à l’initiative de votre rapporteur pour avis, a toutefois voté la suppression de cet article.

La garde des Sceaux, en particulier, s’était opposée à l’intégration de l’administration pénitentiaire dans le second cercle du renseignement au motif que le changement proposé contreviendrait à la mission constitutionnelle du ministère de la Justice, posée par l’article 66 de la Constitution, de garantir la préservation des libertés. Cela modifierait la nature du métier de surveillant et risquerait de créer des tensions dans les établissements pénitentiaires.

Ces arguments ne sont pas recevables. Il ne s’agit en aucune manière de faire de tous les surveillants des agents de renseignement, mais de créer un service spécialisé en la matière. Quant à l’article 66 de la Constitution, s’il fait de « l’autorité judiciaire » la « gardienne de la liberté individuelle », il n’interdit nullement à l’administration pénitentiaire, administration de l’État, d’exercer une activité de renseignement tournée vers la population pénale. Rappelons que, aux termes de l’article 2 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (dite « loi pénitentiaire »), « le service public pénitentiaire (…) contribue (…) à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société (…) ».

Proposition n° 10 :

Permettre au Gouvernement d’intégrer par décret en Conseil d’État le renseignement pénitentiaire parmi les services appartenant au second cercle du renseignement.

Le renforcement du renseignement pénitentiaire suppose également une augmentation plus nette de ses moyens qui, selon certains interlocuteurs de terrain rencontrés par votre rapporteur pour avis, doivent être professionnalisés.

Dans les établissements que votre rapporteur pour avis a visités, l’activité de renseignement pratiquée consiste surtout en du renseignement « humain », fondé sur la simple observation des détenus, même si elle est parfois complétée, par exemple, par une écoute des téléphones filaires. Il est indispensable d’aller plus loin dans l’augmentation de ses moyens non seulement humains et matériels, mais aussi juridiques.

Votre rapporteur pour avis renvoie ici à un certain nombre de préconisations qu’il avait déjà formulées l’année dernière (41), tendant notamment à :

—  faire de la fonction de délégué local au renseignement, dans tous les établissements pénitentiaires, une fonction spécialisée, à plein temps, susceptible d’être exercée éventuellement sous couverture ;

Proposition n° 11 :

Faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée, à plein temps, intégrée à l’organigramme de chaque établissement, mais susceptible d’être exercée sous couverture.

—  permettre le recours à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical (salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.) ;

Proposition n° 12 :

Permettre le recours, par des agents pénitentiaires spécialisés, à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.

—  améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire.

Proposition n° 13 :

Améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire :

—  en permettant l’accès par l’administration pénitentiaire à certaines données issues des fichiers des services de renseignement ;

—  en améliorant l’information de l’administration pénitentiaire en cas d’incarcération d’une personne surveillée par les services de renseignement ;

—  en organisant le retour d’information vers l’administration pénitentiaire lorsque des éléments qu’elle a transmis aux services de renseignement ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste.

Votre rapporteur pour avis suggère en outre, dans le même ordre d’idées, de permettre à l’administration pénitentiaire d’exploiter elle-même le contenu des téléphones portables qu’elle saisit et qu’elle a aujourd’hui l’obligation de remettre, sans pouvoir prendre connaissance de leur contenu, au procureur de la République (42).

Proposition n° 14 :

Permettre à l’administration pénitentiaire d’exploiter elle-même le contenu des téléphones portables qu’elle saisit.

La neutralisation des terroristes, sur les théâtres d’opérations extérieures, peut aller jusqu’à l’élimination physique, comme la France en a le droit en vertu de la légitime défense reconnue par la Charte des Nations Unies.

Sur le territoire national, cette neutralisation n’est pas de même nature, mais elle poursuit la même finalité : protéger notre société, en mettant hors d’état de nuire les individus qui veulent la détruire. Dans ce cadre, c’est à l’administration pénitentiaire que revient la responsabilité de surveiller les terroristes ayant fait l’objet, par l’autorité judiciaire, d’un placement sous écrou.

Votre rapporteur pour avis estime nécessaire de débattre de la durée de cette mise à l’écart de la société, c’est-à-dire du quantum des peines et de leurs possibilités d’aménagement.

Si l’on veut donner à l’administration pénitentiaire les moyens de participer efficacement à la lutte contre le terrorisme, il est indispensable de rénover les réponses pénales de notre pays, s’agissant tant du quantum des peines que des modalités de leur exécution. En effet, la question de la prise en charge des détenus ne saurait être dissociée des conditions dans lesquelles ceux-ci sont poursuivis et condamnés, puis purgent leur peine.

Comme votre rapporteur pour avis l’a déjà souligné, le contentieux en matière terroriste a très fortement augmenté. L’organisation judiciaire s’est en partie adaptée à cette augmentation, avec la spécialisation à partir de janvier 2015 de la 16ème chambre correctionnelle et la création d’un neuvième cabinet d’instruction à compter du 1er septembre (43).

Compte tenu des auditions auxquelles il a procédé, votre rapporteur pour avis estime que l’on n’a pas encore suffisamment pris la mesure, dans les textes de droit pénal et de procédure pénale, de la gravité de la menace terroriste. Face à ceux qui se sont donné pour objectif de détruire notre démocratie, il importe de renforcer la réponse pénale.

Votre rapporteur pour avis formule quatre propositions à cet égard : l’instauration d’une peine d’emprisonnement de quinze ans pour le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (A), l’allongement à six mois de la durée du mandat de dépôt pour les délits en matière de terrorisme (B), la suppression du régime de droit commun actuellement applicable aux terroristes en matière d’aménagements et de réductions de peines (C), voire un élargissement de la rétention de sûreté (D).

La question de l’échelle des peines pour les infractions correctionnelles en matière de terrorisme doit aujourd’hui être posée.

En matière de terrorisme, le motif de condamnation le plus fréquemment retenu est la participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme (44). Aux termes de l’article 421-2-1 du code pénal, « constitue (…) un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles [421-1 et 421-2] ». Ces deux derniers articles visent notamment les atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration, le détournement d’aéronef ou encore les vols et extorsions, lorsqu’ils « sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

L’incrimination de l’association de malfaiteurs à but terroriste constitue un élément central de l’arsenal juridique de lutte contre le terrorisme car elle réprime le simple projet criminel, matérialisé par des actes préparatoires, et permet ainsi de prévenir la commission d’actes terroristes.

Ce délit est puni, aux termes de l’article 421-5, d’un maximum de « dix ans d’emprisonnement et de 225 000 euros d’amende (45) ».

Ce plafond de dix ans apparaît aujourd’hui insuffisamment sévère au vu d’un certain nombre de dossiers présentant des caractéristiques jusqu’à présent inédites (projets de décapitation, hommes embrigadant leurs épouses ou leurs enfants, etc.). Il importe de rendre plus ferme la répression de ce délit sans pour autant aller jusqu’à la qualification criminelle, qui entraîne une procédure lourde (46) et chronophage.

Selon une première piste, évoquée par exemple par M. Jean-Michel Hayat, président du Tribunal de grande instance de Paris, « l’infraction d’association de malfaiteurs pour fait de terrorisme pourrait donner lieu à la définition de nouvelles circonstances aggravantes (47) ».

Une autre solution, qui a la préférence de votre rapporteur pour avis, consisterait, même si le seuil de dix ans constitue normalement un maximum en matière de répression des délits, à élever la peine d’emprisonnement à quinze ans pour celui prévu à l’article 421-2-1 du code pénal (48).

Proposition n° 15 :

Punir de quinze ans d’emprisonnement le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste prévu à l’article 421-2-1 du code pénal.

En matière correctionnelle, les mandats de dépôt se renouvellent en principe tous les quatre mois (49). En matière criminelle, ce délai est de douze mois, puis de six mois renouvelables (50). Votre rapporteur pour avis a eu connaissance d’une affaire dans laquelle six personnes prévenues de terrorisme, ayant fait l’objet d’un mandat de dépôt correctionnel, ont vu leur mandat de dépôt renouvelé pas moins de huit fois. Le contentieux de la prolongation de la détention, pour lequel les juges des libertés et de la détention (JLD) sont compétents, a augmenté de manière exponentielle avec les faits de terrorisme, à tel point que les prolongations de détention en la matière représentent 20 % du total des prolongations prononcées (51).

Ceci est cause de lourdeur, de perte de temps et d’insécurité juridique pour les neuf juges d’instruction du pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris, soumis à de multiples contraintes (risques d’omission de délais, difficultés techniques de la visioconférence, etc.).

À une heure où les moyens budgétaires sont contraints par la situation de nos finances publiques, votre rapporteur pour avis préconise une mesure simple consistant à augmenter la durée de la détention provisoire de quatre mois renouvelables à six mois renouvelables, s’agissant des délits en matière de terrorisme. Avec ce rythme semestriel, on aurait économisé, dans l’affaire citée ci-dessus, deux prolongations de détention par prévenu, soit douze débats contradictoires au total.

Pour prévenir une objection, votre rapporteur pour avis souligne que le législateur a accepté des régimes différents de garde à vue selon que la personne gardée est mineure ou non, que l’on se situe en matière de crimes et délits commis en bande organisée ou encore que l’enquête est relative au terrorisme. On ne voit pas pourquoi, en matière de détention provisoire, on aurait nécessairement un régime uniforme.

Proposition n° 16 :

Prévoir, pour les délits en matière de terrorisme, une durée de la détention provisoire de six mois renouvelables.

La question se pose de savoir comment écarter de notre société le plus longuement possible, voire définitivement, les individus dont on a des raisons objectives de penser qu’ils commettront à nouveau des actes terroristes à leur sortie de prison.

L’état du droit est très préoccupant.

En effet, les auteurs d’actes terroristes se voient aujourd’hui appliquer le régime de droit commun, tant en ce qui concerne les crédits de réduction de peine (pour bon comportement en détention) et les réductions supplémentaires (efforts d’insertion, de soins, d’indemnisation des victimes) que pour les aménagements de peine (libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique, semi-liberté, suspension médicale de peine, relèvement de la période de sûreté, etc.).

Au demeurant, le ministère de justice, spécialement interrogé à cet effet, ne dispose d’aucun élément statistique permettant de savoir combien de personnes condamnées pour des faits de terrorisme ont bénéficié de réduction automatique de peine dans les années récentes. Il a toutefois été précisé à votre rapporteur pour avis que 56 individus condamnés en matière de terrorisme ont bénéficié d’une décision de libération conditionnelle dans les trois années écoulées (24 terroristes libérés en 2012, 16 terroristes en 2013 et 16 autres en 2014).

S’agissant des aménagements de peine, les juridictions compétentes en matière de terrorisme (juge de l’application des peines près le Tribunal de grande instance de Paris, Tribunal de l’application des peines de Paris, chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Paris) ont principalement recours à la libération conditionnelle, assortie d’une période probatoire sous forme de placement sous surveillance électronique ou, plus rarement, de semi-liberté. Pour les peines les plus courtes (moins de deux ans sans mandat de dépôt), le placement sous surveillance électronique est privilégié.

Il est choquant que les mécanismes habituels de réduction de peine, de libération conditionnelle ou de semi-liberté puissent s’appliquer de manière indifférenciée aux affaires de terrorisme et aux affaires de droit commun, alors que la loi opère déjà d’importantes distinctions, notamment en matière de garde à vue.

Votre rapporteur pour avis propose deux ruptures, en matière terroriste : d’une part, supprimer toute automaticité de réduction de peines ; d’autre part, conditionner toute décision de réduction ou d’aménagement de peine à un avis favorable explicite d’un centre national d’évaluation anti-terroriste (CNEAT) qui reste à créer.

Aux termes de l’article 730-2 du code de procédure pénale, les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité ou celles condamnées soit à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, soit à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans pour une infraction mentionnée à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale (52), ne peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle « qu’après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, rendu à la suite d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues et assortie d’une expertise médicale ».

En application de l’article D. 527-1 du code de procédure pénale, « le président de la commission saisie par le juge ou le tribunal de l'application des peines ordonne le placement de la personne dans le centre national d'évaluation prévu aux articles D. 81-1 et D. 81-2, aux fins d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité assortie d'une expertise médicale ».

Le centre national d’évaluation (CNE) remplit également une mission d’évaluation de certaines personnes ayant fait l’objet d’une condamnation définitive en vue de leur orientation vers l'établissement pour peine le plus adapté. Organisée par une équipe pluridisciplinaire (surveillance, service pénitentiaire d’insertion et de probation, psychologues, etc.), chaque session d’évaluation, d’une durée de six semaines, permet de dresser un bilan pluridisciplinaire de la personnalité du condamné et d’identifier les facteurs de risque dans le cadre d’une observation quotidienne, d’entretiens individuels et de tests.

Votre rapporteur pour avis propose de s’inspirer de cette procédure en l’adaptant à la matière de l’antiterrorisme.

Ainsi, un centre national d’évaluation antiterroriste (CNEAT), spécialement composé, serait systématiquement saisi préalablement à toute décision de réduction ou d’aménagement de peines d’individus condamnés pour faits de terrorisme (et notamment pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme) qui n’entrent pas actuellement dans les prévisions de l’article 730-2 du code de procédure pénale. Cette intervention aurait pour but d’apprécier leur dangerosité pénale et leur degré de dissimulation éventuelle.

Proposition n° 17 :

Supprimer, en matière de terrorisme, tout mécanisme de réduction automatique de peine.

Proposition n° 18 :

Conditionner, en matière de terrorisme, toute mesure de réduction ou d’aménagement de peine à une décision du juge d’application des peines prise après avis explicite favorable du centre national d’évaluation antiterroriste (CNEAT).

La période de sûreté constitue, en droit pénal, une durée assortie à une peine de réclusion ou d’emprisonnement durant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine (suspension ou fractionnement de la peine, placement à l’extérieur, permissions de sortir, semi-liberté et libération conditionnelle). La période de sûreté est souvent prononcée en matière correctionnelle et criminelle.

L’article 132-23 du code pénal prévoit notamment que, en cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, la juridiction peut, par décision spéciale, porter la durée de la période de sûreté jusqu’aux deux tiers de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu’à vingt-deux ans. Tel est le régime qui s’applique aujourd’hui, de manière générale, aux infractions terroristes (53).

L’article 221-3 du même code dispose qu’en cas d’assassinat sur « mineur de quinze ans (…) précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie », ou en cas d’assassinat « commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions », la cour d’assises peut, par décision spéciale, soit porter la période de sûreté jusqu’à trente ans, soit, si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité, « décider qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 [mesures d’aménagement de peine] ne pourra être accordée au condamné (54) ». L’article 221-4 prévoit des dispositions similaires en cas de meurtre sur mineur de quinze ans, précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, ou lorsque le meurtre a été commis en bande organisée sur une personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions.

Votre rapporteur pour avis suggère d’élargir ces possibilités de période de sûreté de trente ans ou de période de sûreté illimitée aux cas d’assassinats et de meurtres qui seraient « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Proposition n° 19 :

Permettre le prononcé d’une période de sûreté de trente ans ou d’une période de sûreté illimitée en cas d’assassinat ou de meurtre commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

Lorsqu’une personne condamnée par une cour d’assises présente une telle dangerosité que les mesures de surveillance judiciaire (55) ou de suivi socio-judiciaire apparaissent insuffisantes pour protéger la société d’un risque de récidive, le code de procédure pénale prévoit la possibilité de prononcer une rétention de sûreté, sous réserve que soient remplies des conditions tenant à la personnalité de l’individu et à la nature de sa condamnation (1). Votre rapporteur pour avis invite à réfléchir à la possible extension du domaine d’application de cette mesure pour y inclure la commission de certains actes terroristes (2).

Prévue aux articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale, la rétention de sûreté a été créée par la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Elle consiste à placer un criminel, considéré comme particulièrement dangereux, dans un centre de sûreté à l'issue de sa peine de prison, tout en lui proposant une prise en charge médicale, sociale et psychologique.

Comme le Conseil constitutionnel l’a relevé dans sa décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, la rétention de sûreté n’est pas ordonnée par la cour d’assises lors du prononcé de la condamnation mais à la fin de la peine par la juridiction régionale de rétention de sûreté. Par ailleurs, cette mesure repose, non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour d’assises, mais sur sa particulière dangerosité appréciée à la date de sa décision par la juridiction régionale. La rétention de sûreté n’étant pas prononcée par la juridiction de jugement et n’ayant pas une finalité répressive, elle ne réunit aucun des critères de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la définition de la peine. Toutefois, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, la rétention de sûreté ne saurait, selon le Conseil constitutionnel, être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement.

La rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13 fait aujourd’hui l’objet d’une double limitation puisqu’elle s’applique aux personnes :

—  « dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine, qu’elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité » ;

—  « à la condition qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d’assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration (…) [ou] pour les crimes, commis sur une victime majeure, d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravé (…) (56) ou, lorsqu’ils sont commis en récidive, de meurtre, de torture ou d’actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration ».

Tel qu’il est actuellement rédigé, l’article 706-53-13 laisse en dehors de son champ d’application les incriminations spécifiques prévues au titre II (« Du terrorisme ») du livre IV (« Des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique ») du code pénal.

Votre rapporteur pour avis suggère de réfléchir à une modification de cet article 706-53-13 qui tendrait à permettre le prononcé d’une rétention de sûreté contre les auteurs de certains actes terroristes. Il s’agit là d’une option que l’on ne saurait écarter a priori, compte tenu de l’acuité de la menace terroriste, amplifiée par les désordres de la situation internationale.

Proposition n° 20 :

Réfléchir à une modification de l’article 706-53-13 du code de procédure pénale tendant à permettre le prononcé d’une rétention de sûreté contre les personnes condamnées pour la commission de certaines infractions terroristes.

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CONCLUSION

Les 20 propositions formulées par votre rapporteur pour avis lui paraissent indispensables pour mobiliser pleinement l’administration pénitentiaire dans la guerre contre le terrorisme islamiste.

Ce faisant, l’administration pénitentiaire deviendra, plus encore qu’aujourd’hui, un acteur essentiel de la sécurité intérieure.

Cette évolution pourrait être accélérée s’il était décidé de rattacher désormais cette administration au ministère principalement chargé de la sécurité intérieure, c’est-à-dire non pas au ministère de la Justice mais au ministère de l’Intérieur.

L’article 2 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (dite « loi pénitentiaire ») dispose d’ores et déjà que « le service public pénitentiaire (…) contribue (…) à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société (…) ».

L’intégration de l’administration pénitentiaire au sein du ministère de l’intérieur, aux côtés du corps préfectoral, de la police nationale et de la gendarmerie nationale, serait un acte majeur, d’une grande portée opérationnelle et d’une puissante force symbolique. Tel était d’ailleurs le cas jusqu’en 1911, le changement intervenu à cette époque n’ayant eu, comme les historiens l’ont montré (57), qu’un caractère purement circonstanciel.

Gagner la guerre contre le terrorisme islamiste et les batailles pour la sécurité quotidienne de nos compatriotes nécessite, en tout état de cause, une organisation nouvelle et une détermination sans faille.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS FORMULÉES

Axe n° 1 – Accroître la capacité pénitentiaire, mieux sécuriser les prisons et isoler les détenus les plus dangereux

Proposition n° 1 :

Programmer un effort de construction de plus de 20 000 places de prison permettant d'atteindre, au plus tôt, 80 000 places d'incarcération.

Proposition n° 2 :

Renforcer les effectifs de surveillants dans les établissements les moins bien dotés et les plus exposés aux atteintes à la sécurité des personnels.

Proposition n° 3 :

Adapter le volume des heures supplémentaires, sur la base du volontariat, selon un régime de rémunération incitatif.

Proposition n° 4 :

Suspendre immédiatement le projet de regroupement des détenus radicalisés les plus dangereux tel qu'il est aujourd'hui envisagé par le Gouvernement.

Proposition n° 5 :

Définir et mettre en œuvre un régime juridique adapté pour la détention des individus radicalisés, dans de petites unités spécialisées, où les détenus seront isolés les uns des autres.

Proposition n° 6 :

Créer un régime de détention spécifique pour les mineurs prévenus ou condamnés pour faits de terrorisme.

Proposition n° 7 :

Adapter le cadre juridique des fouilles :

- mettre en œuvre une politique de fouilles par palpation plus fréquentes sur les individus entrant dans les établissements pénitentiaires ;

- renforcer les opérations de fouilles judiciaires ciblées des personnes accédant aux établissements pénitentiaires.

Proposition n° 8 :

Permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.

Proposition n° 9 :

Dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, limiter l’accès au réseau téléphonique aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire, figurant sur une liste adressée aux opérateurs.

Axe n° 2 – L’administration pénitentiaire doit mieux trouver sa place au sein de la communauté du renseignement

Proposition n° 10 :

Permettre au Gouvernement d’intégrer par décret en Conseil d’État le renseignement pénitentiaire parmi les services appartenant au second cercle du renseignement.

Proposition n° 11 :

Faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée, à plein temps, intégrée à l’organigramme de chaque établissement, mais susceptible d’être exercée sous couverture.

Proposition n° 12 :

Permettre le recours, par des agents pénitentiaires spécialisés, à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.

Proposition n° 13 :

Améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire :

—  en permettant l’accès par l’administration pénitentiaire à certaines données issues des fichiers des services de renseignement ;

—  en améliorant l’information de l’administration pénitentiaire en cas d’incarcération d’une personne surveillée par les services de renseignement ;

—  en organisant le retour d’information vers l’administration pénitentiaire lorsque des éléments qu’elle a transmis aux services de renseignement ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste.

Proposition n° 14 :

Permettre à l’administration pénitentiaire d’exploiter elle-même le contenu des téléphones portables qu’elle saisit.

Axe n° 3 – Relever le quantum des peines et restreindre leurs possibilités d’aménagement

Proposition n° 15 :

Punir de quinze ans d’emprisonnement le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste prévu à l’article 421-2-1 du code pénal.

Proposition n° 16 :

Prévoir, pour les délits en matière de terrorisme, une durée de la détention provisoire de six mois renouvelables.

Proposition n° 17 :

Supprimer, en matière de terrorisme, tout mécanisme de réduction automatique de peine.

Proposition n° 18 :

Conditionner, en matière de terrorisme, toute mesure de réduction ou d’aménagement de peine à une décision du juge d’application des peines prise après avis explicite favorable du centre national d’évaluation antiterroriste (CNEAT).

Proposition n° 19 :

Permettre le prononcé d’une période de sûreté de trente ans ou d’une période de sûreté illimitée en cas d’assassinat ou de meurtre commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

Proposition n° 20 :

Réfléchir à une modification de l’article 706-53-13 du code de procédure pénale tendant à permettre le prononcé d’une rétention de sûreté contre les personnes condamnées pour la commission de certaines infractions terroristes.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 21 octobre 2015, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2016.

M. Pierre-Alain Muet, président. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, je suis heureux de vous accueillir, avec M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Nous sommes réunis en commission élargie afin de vous entendre sur les crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés à la mission « Justice ».

Je vous rappelle les règles de nos commissions élargies.

Lors de sa réunion du 7 juillet dernier, la Conférence des présidents a reconduit à l’identique les modalités d’organisation de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances.

Nous donnerons d’abord la parole aux rapporteurs des commissions, qui interviendront pour une durée de cinq minutes. Après la réponse de Mme la ministre, s’exprimeront ensuite, pour deux minutes chacun, les porte-parole des groupes, ainsi que tous les députés qui le souhaitent.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je remercie les rapporteurs pour avis de la Commission des lois, qui ont beaucoup travaillé.

Nous avons souhaité changer les responsabilités par rapport à l’année précédente. Ainsi, Elisabeth Pochon interviendra sur l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes, sujet dont on sait qu’il tient à cœur à la garde des sceaux. Guillaume Larrivé, quant à lui, nous éclairera sur l’administration pénitentiaire. Ce sera vrai en tout cas pour ceux qui n’ont pas lu Le Figaro, car ceux qui l’ont lu connaissent déjà la teneur du rapport de notre collègue – il y a là une sorte de jurisprudence si l’on se réfère à ce qui s’est déjà produit l’an dernier. Enfin, Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis pour la justice administrative et judiciaire, et Colette Capdevielle, rapporteure pour avis pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous feront part de leurs observations.

Tous les quatre interviendront sur les thématiques qu’ils ont choisies. Depuis quelques années, nous avons souhaité, en effet, que les rapporteurs pour avis ne fassent pas le travail, remarquable, déjà mené par le rapporteur de la Commission des finances, Étienne Blanc. Nous nous intéressons donc à l’usage des sommes dont il va vérifier l’honnêteté, la sincérité et la limpidité, comme il le fait tous les ans, de façon à avoir un regard à la fois sur le contenu et le contenant. C’est un travail complémentaire entre les commissions des finances et des lois.

M. Marc Dolez. Je souhaite faire un rappel au règlement, fondé sur l’article 41, qui définit les modalités d’organisation de nos travaux en commission – et je prie Mme la garde des sceaux de m’excuser car ce débat ne la concerne pas.

Monsieur le président, vous venez d’indiquer que les orateurs des groupes ne disposeraient cette année que de deux minutes de temps de parole et que cette décision résultait de la Conférence des présidents.

J’ai précisément interrogé le président Bartolone lors de la dernière Conférence des présidents, qui m’a indiqué qu’en réalité, la responsabilité de l’organisation des débats était du ressort des présidents de commission, lesquels avaient toute latitude pour organiser ces débats dans les meilleures conditions possible. Ainsi, l’an dernier, les orateurs des groupes ont disposé de cinq minutes.

Nous allons examiner ce soir un budget de 8 milliards d’euros, ce qui fait, si je compte bien, 15 secondes par milliard ! Cela prête à sourire, mais c’est toute la question de l’utilité du Parlement et de ses commissions qui est ainsi posée. La ministre pourra s’exprimer le temps qu’elle voudra, mais les parlementaires sont bâillonnés. Par conséquent, je me demande s’il convient encore de réunir des commissions élargies. Autant nous demander d’envoyer la position de nos groupes respectifs par carte postale ou par tweet !

Sauf si vous reveniez sur votre décision, monsieur le président, je serai amené, ainsi que mon groupe, pour cette commission élargie et pour toutes celles qui vont suivre, à en tirer les conséquences. En accordant deux minutes au lieu de cinq à chacun des six groupes, monsieur le président, vous escomptiez faire une économie de dix-huit minutes. J’ai une bonne nouvelle pour vous : ce soir, vous allez faire une économie de vingt minutes, car, dans de telles conditions, je renonce à mon temps de parole. Les choses intéressantes que j’avais à dire à Mme la garde des sceaux et aux différents membres du Gouvernement, je les dirai mercredi prochain dans l’hémicycle.

M. Pierre-Alain Muet, président. Monsieur le député, je comprends parfaitement votre remarque. Cela étant, nous avions déjà le même dispositif l’an dernier. On peut effectivement penser que le temps de parole de cinq minutes attribué autrefois aux orateurs des groupes était meilleur, mais nous sommes obligés d’appliquer des décisions qui s’imposent à toutes les commissions élargies. Ce sujet méritera d’être évoqué à nouveau pour le prochain budget, dans le cadre de la Conférence des présidents.

M. Marc Dolez. Je me permets de rappeler que le président Bartolone a indiqué que les présidents de commission avaient toute latitude pour organiser au mieux les travaux de leur commission. Je comprends, monsieur le président, que vous vous référiez à ce qui a été décidé par la Commission des finances : il n’en reste pas moins que le problème de fond est posé et que la situation est pour nous tout à fait inacceptable.

M. François Rochebloine. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je fais totalement miens les propos de notre collègue Dolez. Je ne doute pas, monsieur le président, que vous puissiez porter au moins à quatre minutes ce temps de parole. Faute de quoi, mieux vaudrait supprimer les commissions élargies. Nous irions ainsi directement en séance publique où, je le rappelle, nous n’avons déjà plus que cinq minutes par groupe. On réduit sans cesse notre temps de parole. Cela fait bientôt vingt-huit ans que je suis dans cette maison, mais je n’avais encore jamais vu cela !

M. Guy Geoffroy. J’adhère aux propos qui viennent d’être tenus. Monsieur le président, vous dites que vous porterez cette parole là où ce sera tranché. L’an passé, j’avais déjà soulevé le problème et l’on m’avait répondu la même chose. Je souhaite que la parole portée cette année soit plus efficace que l’an passé…

M. Pierre-Alain Muet, président. Compte tenu des interventions qui viennent d’avoir lieu et du temps que représente le passage de deux à cinq minutes, nous pouvons, avec le président Urvoas, considérer que les orateurs des groupes prendront le temps qui leur permettra de s’exprimer, en restant le plus possible dans les normes.

M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour les crédits relatifs à la justiceLa réalité de la situation de la justice en France, c’est qu’elle ne peut continuer à fonctionner avec le budget qui lui est dédié. C’est une observation qui relève du rapporteur spécial, mais aussi de la Cour des comptes. Ensemble, nous mettons en évidence, depuis 2012, l’absence de soutenabilité du budget de la justice. La soutenabilité des finances publiques, c’est la capacité d’un État à rester solvable, c’est-à-dire à conserver des marges de manœuvre budgétaires suffisantes pour honorer ses engagements.

Or le manque de moyens est flagrant, pratiquement dans tous les secteurs, et en particulier dans quatre domaines : la masse salariale, les frais de justice et les moyens de fonctionnement, les dépenses d’investissement et les dépenses d’aide juridictionnelle.

C’est peut-être ce qui explique la dégradation des indicateurs : les délais de jugement des procédures civiles augmentent – ceux des procédures pénales ne sont malheureusement pas connus –, la sécurité dans les établissements pénitentiaires diminue, les délais de prise en charge des mineurs délinquants ne sont pas satisfaisants et le taux de mesures en attente d’exécution augmente.

Au regard de ces observations générales, madame la garde des sceaux, je voudrais vous poser quatre questions.

La première porte sur la masse salariale, qui est insuffisamment calibrée.

Le plafond d’emplois n’est pas saturé, et pourtant, la dépense constatée de rémunérations d’activité a toujours consommé pratiquement tous les crédits ouverts. Le coût unitaire de chaque emploi a toujours été supérieur aux prévisions de la loi de finances initiale, en 2013 et 2014. On ne vous reproche pas de ne pas saturer les plafonds d’emplois, mais de ne pas inscrire des crédits de personnel en rapport avec les créations d’emplois affichées. La masse salariale prévue par le projet de loi de finances est manifestement sous-calibrée au regard des emplois annoncés, ce qui ne l’empêche pas de croître sous l’effet mécanique du glissement vieillesse technicité (GVT). Aujourd’hui, que valent les annonces de créations d’emplois au regard de ces constatations ?

Ma deuxième question porte sur le sacrifice des investissements.

Contrairement aux affirmations du Gouvernement, la réalité de la situation des investissements au ministère de la justice, particulièrement des investissements immobiliers, n’est pas qu’ils sont poursuivis, mais qu’ils sont sacrifiés au fonctionnement courant.

Sur les trois années 2012, 2013 et 2014, les montants des dotations de titre 5 – dépenses d’investissement – ouvertes en loi de finances initiale et qui n’ont pas été consommées, ont atteint la somme très importante de 892 millions d’euros pour les autorisations d’engagement et de 358 millions pour les crédits de paiement.

La Cour des comptes le dit clairement : « Les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d’investissement sans compromettre à terme la mise en œuvre de ses missions. »

Comment pouvez-vous expliquer cette situation ? Comment entendez-vous donner les moyens de préserver les investissements du ministère de la justice à hauteur des engagements que vous avez pris ?

Ma troisième question concerne l’aide juridictionnelle, dont je constate qu’elle est financée par des expédients.

Au 1er janvier 2014, vous avez supprimé la contribution pour l’aide juridique, estimant qu’il s’agissait d’une taxe qui allait restreindre les droits des justiciables à saisir une juridiction. Or depuis, vous n’avez cessé d’augmenter les taxes : revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique, augmentation des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, augmentation du droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel, qui passe de 150 à 225 euros.

Comment pouvez-vous, aujourd’hui, expliquer cette situation ? Ne considérez-vous pas que ces taxes spéciales affectées à l’aide juridictionnelle constituent un obstacle à la possibilité de saisir une juridiction, en tout cas un frein ?

Ma quatrième question porte sur les crédits dédiés aux dépenses de santé des détenus.

Lors d’une précédente législature, j’avais commis un rapport sur ce sujet. Pour avoir visité quelques établissements pénitentiaires, je puis vous dire que c’est un véritable sujet d’inquiétude chez les agents de la pénitentiaire et au niveau de la direction des établissements.

Les crédits proposés ne sont pas à la hauteur des engagements et des attentes. En 2016, vous avez prévu 126,6 millions pour les dépenses de santé des détenus, dont 33,4 millions à la charge des services déconcentrés et 93,2 millions versés à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) pour le paiement des cotisations sociales des détenus.

Cependant, selon la réponse au questionnaire budgétaire, la prévision de dépenses pour 2015 s’établit à 37 millions, pour 31,8 millions d’euros ouverts en loi de finances initiale pour 2015. Il en sera évidemment de même pour 2016.

Comment pourrez-vous remédier à cette nouvelle dégradation budgétaire des dépenses de santé des détenus, à l’heure où les problèmes de psychiatrie, de psychologie et d’addiction méritent une intervention très lourde dans ce domaine au sein des établissements pénitentiaires ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire. Je voudrais en quelque sorte être un porte-parole ce soir, après ce que j’ai vu au cours de ces dernières semaines sur le terrain, dans les prisons, s’agissant de la situation des personnels de l’administration pénitentiaire. J’ai rencontré des personnels de grande valeur, très solides, des équipes de direction courageuses et très motivées, mais aussi des agents exprimant un vrai malaise quant aux missions qui leur sont assignées et aux difficultés de leur exercice. Il est important qu’au-delà des chiffres, le Gouvernement entende ce malaise et dirige l’administration pénitentiaire pour mobiliser pleinement les personnels qui y travaillent.

Sur le fond, j’ai souhaité concentrer cet avis budgétaire sur la question de l’adaptation de l’administration pénitentiaire à la menace terroriste, voire, pour reprendre les termes employés par le chef du Gouvernement, à la guerre contre le terrorisme islamiste radical dans laquelle notre pays est engagé.

Dans ce rapport, je fais une vingtaine de propositions aussi opérationnelles que possible. Je souhaite, ce soir, concentrer mon propos sur deux d’entre elles, pour que nous ayons, madame la garde des sceaux, un véritable échange.

Mon premier sujet de préoccupation porte sur le regroupement ou non, et selon quelles modalités, des détenus terroristes identifiés par l’administration pénitentiaire comme étant les plus dangereux.

Le Gouvernement a engagé un programme qui consiste à identifier, puis à répartir ces détenus dans cinq lieux de détention. Le cinquième, celui de Lille-Annœullin, a vocation, à compter de janvier prochain, à accueillir vingt-huit détenus identifiés comme étant les plus dangereux, au terme d’un processus d’évaluation pensé en amont.

Alors que je me suis rendu sur place, j’ai compris que ce qui était engagé était lourd de nouvelles menaces. Je voudrais que vous en preniez, les uns et les autres, pleinement conscience.

Ces vingt-huit détenus seront regroupés dans deux unités de quatorze détenus, unités étanches l’une par rapport à l’autre et par rapport au reste de la prison, ce qui est une bonne chose. Mais au sein de chacune de ces unités, les communications seront possibles, notamment au moment des promenades ou des activités sportives.

La conviction que j’ai acquise au fil des auditions, et notamment lors d’échanges avec des patrons de services de police impliqués dans ce domaine, c’est que vous êtes en train, si vous ne changez pas l’architecture de ce projet, de créer les conditions de la renaissance de cellules de combat dans cette unité de Lille-Annœullin. L’intérêt général commanderait d’envisager une autre solution consistant à isoler du reste du monde pénitentiaire, mais aussi les uns par rapport aux autres, ces détenus identifiés par vous comme étant les plus dangereux.

En ce qui concerne ma seconde proposition, il me semble nécessaire, madame la garde des sceaux, que vous engagiez avec nous une réflexion sur la durée des peines, c’est-à-dire le quantum prononcé, mais aussi les modalités de réduction ou d’aménagement, s’agissant de détenus condamnés pour des actes de terrorisme. La société a le droit de se protéger contre ces individus qui veulent la détruire, ce qui suppose de trouver les moyens juridiques d’une mise à l’écart durable, voire perpétuelle, de certains d’entre eux au sein de l’administration pénitentiaire. Certains magistrats, et notamment le président du tribunal de grande instance de Paris lui-même, ont engagé publiquement une réflexion à ce sujet. L’Assemblée nationale doit, elle aussi, se saisir de cette question. Si nous voulons mieux protéger les Français dans la durée, nous devons, j’en suis convaincu, modifier, ajuster le quantum et les modalités d’aménagement des peines en matière de terrorisme.

Mme Élisabeth Pochon, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes. Je me félicite de cette nouvelle augmentation du budget de la justice, qui traduit la place essentielle accordée à celle-ci par le Président de la République et le Gouvernement. J’ai décidé de consacrer mon avis à la réforme de l’aide juridictionnelle, qui fait l’objet de l’article 15 du projet de loi de finances adopté jeudi dernier. C’est un sujet d’une actualité certaine.

Nous sommes tous attachés à l’aide juridictionnelle (AJ) parce qu’elle est le vecteur d’une politique de solidarité qui permet l’accès des plus démunis au service public de la justice. Aujourd’hui, sa réforme est indispensable, car elle est dans une situation critique, malgré les efforts budgétaires importants réalisés par le Gouvernement depuis trois ans – 318 millions d’euros en 2013, 373 millions d’euros en 2014, 379 millions d’euros en 2015, ressources extrabudgétaires incluses.

Le système d’AJ est confronté à plusieurs difficultés majeures. Beaucoup de justiciables aux revenus modestes en sont exclus, le plafond d’admission pour l’AJ totale étant inférieur au seuil de pauvreté. Les besoins de financement sont croissants, avec l’augmentation du nombre de demandes – même si elles semblent se stabiliser ces dernières années – et l’extension progressive des champs d’intervention de l’avocat – lors de la garde à vue, des auditions libres etc. La rétribution des avocats est insuffisante, avec une unité de valeur qui n’a pas été revalorisée depuis 2007. La réforme proposée n’est pas au rabais : 50 millions d’euros supplémentaires y seront dédiés en année pleine, sur un budget total qui sera cette année de 405 millions d’euros.

Cette réforme fait suite à de nombreux rapports, dont le dernier, celui de notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, a inspiré certaines mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2015.

Enfin, cette réforme a fait l’objet de temps de concertation avec les professions concernées. Elle repose sur plusieurs axes : le relèvement du plafond de ressources de 941 à 1 000 euros ; la revalorisation de l’UV de référence à 24,20 euros hors taxes ; la refonte du barème utilisé pour calculer la rétribution des avocats ; la suppression de la modulation géographique de l’UV ; la compensation intégrale des effets négatifs que pourrait produire cette suppression pour certains barreaux par le biais d’une contractualisation locale, qui permettra de mieux prendre en compte les spécificités locales de chaque barreau ; l’introduction d’une rétribution des avocats et des médiateurs en matière de médiation ; la poursuite de la diversification des sources de financement de l’AJ.

Le relèvement du plafond d’admission, le développement de la contractualisation et l’extension de l’AJ à la médiation sont des avancées indéniables.

Sur d’autres points, après avoir auditionné les principaux acteurs concernés – l’Union nationale des CARPA (UNCA), le Conseil national de l’aide juridique (CNAJ), le Conseil national des barreaux (CNB), le Syndicat des avocats de France (SAF), les rapporteurs des quatre groupes de travail que vous aviez mis en place en décembre –, j’ai cinq interrogations ou suggestions sur lesquelles j’aimerais connaître votre position, madame la garde des sceaux.

Est-il envisageable, si le budget le permet, de relever le plafond de ressources afin de permettre un accès au droit encore plus adapté aux revenus modestes des justiciables ?

Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la refonte du barème de rémunération des avocats et nous dire si vous avez prévu de revoir à la hausse ce barème qui avait chuté ? Pensez-vous pouvoir augmenter à nouveau des missions liées au droit de la famille et au droit social ?

L’UV de référence, qui n’a pas été augmentée depuis 2007, ne pourrait-elle pas être alignée sur la plus haute, c’est-à-dire 25,90 euros, plutôt que sur la moyenne, afin de n’engendrer aucun effet de baisse ?

Afin de développer la mise en œuvre du principe de subsidiarité de l’AJ par rapport à la protection juridique, ne faudrait-il pas une concertation avec les assurances afin que l’information des assurés sur leurs garanties soit renforcée ? Il faudrait, par exemple, qu’une attestation soit délivrée de façon systématique ou qu’il existe un socle de garanties minimales, incluant la prise en charge d’un avocat librement choisi.

S’agissant du prélèvement sur les fonds des Caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), qui est au cœur de l’actualité, je m’interroge sur la légitimité d’un financement pesant uniquement sur la profession d’avocat, alors que le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice créé dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques permet de faire contribuer d’autres professions juridiques. L’alimentation dudit fonds est-elle prévue dans le projet de loi de finances ?

Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez reprendre le long chemin sur lequel vous vous êtes engagée pour moderniser la justice en apportant un nouveau souffle à l’aide juridictionnelle.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la justice administrative et judiciaire. Je voudrais tout d’abord souligner à mon tour que le budget de la justice franchit pour la première fois cette année un seuil symbolique, celui des 8 milliards d’euros, avec une augmentation de 1,3 % par rapport à 2015.

Dans le contexte de redressement de nos finances publiques, cette nouvelle hausse démontre la volonté du Gouvernement et de notre majorité de combler le retard de notre pays en matière de budget de la justice. La France reste en effet, chacun le sait, mal classée – trente-septième sur quarante-cinq États – par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) au regard du critère du budget de la justice rapporté à la population du pays – 61,20 euros par habitant et par an – et du PIB par habitant. Il y a encore beaucoup à faire, comme j’ai pu m’en rendre compte lors de mes auditions. C’est pour cela que je salue aujourd’hui, une fois de plus, l’augmentation de notre budget.

J’ai consacré mon avis, cette année, à la répartition territoriale des moyens de la justice. La justice doit être forte et proche des citoyens. L’égal accès de tous à la justice est un impératif démocratique, et ce, sur tout le territoire national.

Cette égalité d’accès et cette proximité ont été mises à mal par la réforme de la carte judiciaire engagée en 2007 par Mme Dati et achevée en janvier 2011. Menée dans la précipitation et sans concertation, elle a abouti à la suppression de 341 juridictions et réduit de près de 30 % le nombre de juridictions en France. Elle a créé de véritables déserts judiciaires, des zones dans lesquelles, sur plus de 100 kilomètres, un territoire est privé de toute implantation judiciaire, comme en Bretagne intérieure ou en Auvergne, et dans bien d’autres endroits.

Cette réforme a également entraîné un effet d’éviction en matière de demande de justice, l’éloignement de la juridiction conduisant certains justiciables à renoncer à saisir le juge pour de petits litiges, qui sont de grands dols pour eux.

Sur le plan financier, la réforme de la carte judiciaire a souvent entraîné des surcoûts immobiliers, avec l’abandon de sites antérieurement mis gracieusement à disposition par les collectivités territoriales au profit de sites loués, dont les loyers sont croissants. C’est en outre une réforme inaboutie, qui n’a pas concerné les cours d’appel, dont les ressorts rappellent pour certains ceux des parlements de l’Ancien Régime… Bref, une réforme qui a mis à mal la justice et la confiance que l’on pouvait avoir en elle.

Les correctifs que vous avez apportés, madame la garde des sceaux, à partir des conclusions de la mission que vous aviez confiée à M. Serge Daël, en réimplantant des TGI dans les villes de Saint-Gaudens, Saumur et Tulle, et en créant des chambres détachées à Dôle, Guingamp, Marmande et Millau, étaient indispensables.

Il faut aller au-delà et poursuivre le rapprochement de la justice des citoyens, dans le cadre de la justice du XXIsiècle.

Le renforcement de la politique d’accès au droit, avec la réforme de la composition et de la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD), prévue par l’article 1er du projet de loi J21, est une excellente mesure. Il faudra qu’elle s’accompagne de moyens suffisants pour que chaque Maison de la justice et du droit (MJD) se voie, notamment, affecter un greffier. Pouvez-vous nous confirmer que telle est bien votre intention ?

La création du Service d’accueil unique du justiciable (SAUJ), prévue par l’article 2 du projet de loi J21, sera aussi une avancée remarquable, qui simplifiera considérablement l’accès des Français à la justice. Cependant, elle ne sera effective que si les systèmes informatiques sur lesquels elle se fonde, Cassiopée en matière pénale et Portalis en matière civile, sont déployés et opérationnels sur tout le territoire. Pourriez-vous nous donner des éléments sur le calendrier de déploiement de Portalis et son articulation avec celui de la mise en place des SAUJ ?

Je regrette que la piste constituée par les audiences foraines, prévues par l’article R. 124-2 du code de l’organisation judiciaire, ne soit pas davantage explorée. Je sais que ces audiences représentent une contrainte importante pour les magistrats et les greffiers, déjà surchargés, mais elles sont très utiles pour maintenir une présence judiciaire dans les villes où une juridiction a été supprimée. Ce n’est plus le justiciable qui se déplace, mais la justice qui vient à lui. Ne pourrait-on envisager de pérenniser et conforter ces audiences foraines, en leur conférant un statut législatif ?

Au-delà de l’implantation territoriale des juridictions, je me suis également penché sur la répartition des effectifs de magistrats et de personnels des greffes, entre les juridictions. Votre administration m’a récemment transmis les chiffres, qui sont évidemment à manier avec précaution, car les données quantitatives ne sont pas toujours suffisantes pour effectuer des comparaisons rigoureuses entre les juridictions. Ces limites étant posées, j’ai cependant relevé des disparités territoriales, sur lesquelles je m’interroge.

Pour ne prendre que quelques exemples, j’ai du mal à comprendre que le ratio, dit « d’efficience », rapportant le nombre d’affaires traitées par juge d’instruction puisse varier de 8 à Mende, à 128 à Soissons, soit un rapport de 1 à 16 ! Ou encore que le nombre d’affaires traitées par un juge des enfants varie de 226 au TGI de Créteil à 3 600 au TGI d’Auch, soit un rapport de 1 à 16. Ou encore que celui des affaires traitées par un juge de l’application des peines soit de 358 à Paris et de 7 767 au TGI de Rodez, soit un rapport de 1 à 21. Il nous faut donc comprendre ces disparités.

Il reste encore beaucoup à faire pour restaurer l’égalité de tous devant le service public de la justice et rapprocher la justice des Français. Je me réjouis, madame la garde des sceaux, que vous ayez décidé, avec l’énergie qui vous caractérise, de vous atteler à cette tâche indispensable dans le cadre du projet de loi pour la justice du XXIsiècle, que notre assemblée examinera dans quelques mois.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » bénéficie d’un accroissement de ses crédits de paiement de 2,3 % et s’élève à près de 796 millions d’euros. Quant au plafond des autorisations d’emplois, il augmente de 196 emplois. Sur les trois dernières années, 293 emplois auront ainsi été créés.

Je tiens à souligner ces chiffres, car la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est un service public qui revient de très loin. En effet, entre 2007 et 2012, ses crédits avaient baissé de 4 % et la PJJ avait perdu, en ce qui concerne son plafond d’autorisations d’emplois, pas moins de 632 emplois, ce qui représentait une diminution de 7 % du plafond. On avait pu craindre, à l’époque, une remise en cause de la pérennité même de cette institution.

Le défi de la protection et de l’éducation des mineurs délinquants n’a pourtant jamais été aussi urgent. Ces jeunes, qui cumulent des ruptures familiales, des addictions, parfois de très graves problèmes psychiatriques, doivent être pris en charge le plus en amont possible. Plus cette prise en charge intervient tôt, plus nous avons de chances de remettre ces jeunes sur des parcours d’insertion, de respect de la loi et des autres, et de respect d’eux-mêmes.

Lorsqu’au contraire, la prise en charge intervient tard, il est beaucoup plus difficile d’aider et d’accompagner ces mineurs à s’en sortir, et les coûts à moyen et long terme, sont très lourds, bien plus élevés pour la société, que ce soit en termes d’atteintes aux biens ou aux personnes, d’incarcération ou d’aides sociales.

Il faut donc se féliciter que le Gouvernement n’ait pas choisi, comme sous la précédente législature, de sacrifier la protection judiciaire de la jeunesse à une application aveugle et à très courte vue, de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP), si abrupte en ce domaine.

Les efforts consentis, malgré les contraintes imposées par le contexte budgétaire, en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse traduisent de manière concrète et ferme la volonté du Gouvernement de redonner du sens au contrat social qui nous unit, et dont tant de mineurs sont exclus ou s’excluent eux-mêmes en commettant des infractions. Ils confirment la priorité que le Président de la République, le Gouvernement et notre majorité ont choisi de donner, dès le début de ce quinquennat, à la justice et à la jeunesse. Je donnerai donc un avis favorable aux crédits de ce programme.

J’en viens à la présentation du thème que j’ai choisi de traiter prioritairement cette année, celui de la prise en charge des mineurs en milieu ouvert.

La majorité des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse fait l’objet non pas d’une mesure d’incarcération ou de placement, mais d’un suivi en milieu ouvert, exécutée à partir du lieu de vie du jeune, sur prescription de l’autorité judiciaire. Le suivi en milieu ouvert représente ainsi 53 % de l’activité de la protection judiciaire de la jeunesse et 56 % de ses éducateurs travaillent dans ce secteur.

La réussite de la prise en charge d’un mineur qui n’est pas encore ancré durablement dans la délinquance dépend notamment de la rapidité, de la cohérence globale du parcours de protection du jeune, de l’adaptation et de la souplesse des moyens mis en œuvre.

Or j’ai pu mesurer, lors des diverses auditions que j’ai menées, comme lors de mon déplacement à l’unité éducative de milieu ouvert de l’Est parisien, à quel point les moyens dont dispose la protection judiciaire de la jeunesse sont encore tendus. En milieu ouvert, un éducateur s’occupe en moyenne de vingt-cinq jeunes ; les psychologues, accaparés par les mesures d’investigation, ont trop peu de temps pour suivre les mineurs qui en ont besoin ; les psychiatres sont en nombre très insuffisant, alors que de nombreux jeunes souffrent de troubles du comportement et de la personnalité ; enfin, les moyens matériels, tels que les véhicules ou les ordinateurs, ne sont pas encore à la hauteur des besoins réels.

Cela m’amène, madame la garde des sceaux, à ma première question : pouvez-vous confirmer l’intention du Gouvernement de poursuivre, l’année prochaine, le redressement du budget et des moyens humains et matériels de la protection judiciaire de la jeunesse, que vous avez entamé depuis trois ans ?

J’ai également visité, en compagnie du président de l’association « Sauvegarde de l’enfance à l’adulte du Pays basque », le centre éducatif fermé (CEF) d’Hendaye. J’ai pu échanger là-bas avec des éducateurs et certains jeunes. Il me semble que certains de ces centres ont montré leurs limites, lorsqu’on songe notamment à leur prix de journée élevé et au grand nombre d’éducateurs qui sont mobilisés pour un nombre restreint de jeunes. Ces éducateurs font un travail rude, souvent mal connu. Nous devons leur rendre hommage, eu égard à la difficulté de leur tâche.

Ne pourrait-on pas, madame la ministre, réorienter vers le milieu ouvert une partie des moyens aujourd’hui dévolus aux centres éducatifs fermés ?

Par ailleurs, des efforts ont été faits pour garantir plus de cohérence dans le parcours des mineurs pris en charge. Dans cet esprit, une note d’orientation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 30 septembre 2014, saluée par l’ensemble des professionnels, a défini le milieu ouvert comme étant le socle de l’intervention éducative. C’est au milieu ouvert qu’il appartient de coordonner les autres modalités d’intervention lorsque les circonstances exigent qu’elles soient mises en œuvre.

Toutefois, il reste incontestablement des marges de progrès dans ce domaine. Trop souvent, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse méconnaissent les autres dispositifs de protection ou négligent de rencontrer les enseignants et les chefs d’établissement, ou encore ne viennent pas consulter les dossiers d’assistance éducative au greffe du juge des enfants. J’ai également pu constater qu’ils cessaient parfois de suivre les jeunes qui faisaient l’objet d’un placement en centre éducatif fermé.

Au-delà du manque d’effectifs, que comptez-vous mettre en œuvre, madame la ministre, pour que l’on puisse progresser dans le sens d’une plus grande culture partenariale et d’un décloisonnement entre les différents dispositifs ? Quel jugement portez-vous sur l’idée de confier un mandat global aux services de la protection judiciaire de la jeunesse ? Sans aller jusqu’au mandat global, comment pourrait-on accroître le rôle de pilotage des services de milieu ouvert de la protection judiciaire de la jeunesse ?

Comme je l’ai indiqué, le facteur temps est fondamental pour la réussite du suivi d’un mineur. Le délai total de prise en charge par un service éducatif était de trente et un jours en 2014. Il est parfois, pour certaines mesures et dans certains endroits, beaucoup plus long. On observe alors des phénomènes de files d’attente.

Quelles mesures pourrait-on prendre, madame la garde des sceaux, pour faire diminuer le délai moyen de prise en charge en milieu ouvert, notamment pour la mise en œuvre des libertés surveillées préjudicielles, des réparations, des sanctions éducatives et des stages ?

J’en viens à un phénomène que l’on commence à observer chez certains jeunes pris en charge, celui d’une forme de radicalisation. Cette problématique n’est pas ignorée du Gouvernement puisque le plan de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015 comporte un volet relatif à la PJJ. Il prévoit notamment la création de 169 emplois : dix coordonnateurs, cinquante-neuf référents laïcité et citoyenneté affectés en direction territoriale, quatre-vingt-deux psychologues et dix-huit éducateurs.

S’agissant de la soixantaine de référents laïcité et citoyenneté, je m’interroge sur la pertinence de leur affectation en direction territoriale. De mon point de vue, l’urgence porte sur la prise en charge directe sur le terrain des jeunes en voie de radicalisation. Madame la ministre, quelles actions pourraient être envisagées ?

Je conclurai mon propos en vous demandant dans quelle mesure le présent budget de la protection judiciaire de la jeunesse préfigure une prochaine réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, réforme très attendue et à laquelle je vous sais très attachée.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les rapporteurs, vos propos éclairent le budget pour 2016 de la mission « Justice » qui laisse apparaître, en filigrane, des dispositions qui s’appliqueront sur le triennal. La diversité et la profusion de vos questions expliquent peut-être qu’un temps de parole illimité soit accordé au Gouvernement pour y répondre, cher Marc Dolez…

M. Marc Dolez. Je ne conteste pas ce point !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne fais cette remarque qu’afin de vous demander de me pardonner d’avance si je ne réponds pas sur tous les points abordés.

Le budget de la justice pour 2016 est en augmentation. Malgré les contraintes qui s’exercent sur les finances publiques, il franchit la barre symbolique des 8 milliards d’euros. Il s’agit donc toujours d’un budget prioritaire comme cela est réaffirmé par le Président de la République et par le Premier ministre.

Depuis le début de la législature, le ministère de la justice crée en moyenne cinq cents emplois par an. En 2014, l’administration pénitentiaire a même bénéficié de 534 emplois supplémentaires et, depuis le début de l’année 2015, de nouvelles capacités de créations ont été prévues dans le cadre du plan antiterroriste – nous disposons ainsi de 950 emplois supplémentaires. Nous créons cette année 1 024 emplois, et nous en créerons 2 947 sur le triennal alors que nous en avions prévu 1 834.

Ce budget trouve sa cohérence autour de l’efficacité des politiques publiques que nous mettons en place.

Une réforme de la justice civile est en cours. C’est le premier axe fort de ce budget. Mme la rapporteure pour avis pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire a évoqué le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIsiècle. Avec le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société, il vous sera soumis après que le Sénat l’aura examiné au début du mois de novembre prochain. Cette réforme de la justice civile a été pensée dans un cadre global, comme un écosystème : une série de dispositions réglementaires et opérationnelles rendent efficaces les mesures législatives. La réforme doit permettre de rapprocher cette justice des citoyens – je rappelle que la justice civile représente 70 % de l’activité de l’institution judiciaire. Le service d’accueil unique du justiciable permettra à tout justiciable d’accéder à la justice à partir de n’importe quel site judiciaire proche de son domicile. Nous avons souhaité corriger les principaux défauts de la carte judiciaire en réimplantant des tribunaux de grande instance (TGI), en créant des chambres détachées, et en ouvrant des maisons de la justice et du droit où nous affectons des greffiers. Plus d’une vingtaine y ont déjà été affectés, et vingt et un postes y seront encore créés. Une nouvelle organisation du travail a également été expérimentée grâce notamment au rôle joué par le greffier assistant de magistrat ; elle sera généralisée.

Les décisions prises dans cet écosystème ont des traductions budgétaires. La plus grande accessibilité de la justice passe par exemple par sa modernisation : les nouvelles technologies doivent permettre la dématérialisation. Madame la rapporteure pour avis, vous m’interrogiez sur le calendrier de déploiement du système informatique Portalis. Il sera développé sur cinq ans, et sa première version sera disponible dès la fin de cette année. Nous avons aussi expérimenté l’équipement du ministère public en téléphones portables, en tablettes et en ordinateurs portables, instruments fort utiles pour satisfaire les obligations de permanence et de mobilité des magistrats. Cette évolution a des conséquences budgétaires d’autant plus lourdes qu’il faut s’assurer du niveau de sécurité très élevé de ces outils. Nous mettons également en place des standards téléphoniques « autocom » qui permettent d’optimiser le traitement des appels téléphoniques et de gérer en temps réel la relation entre enquêteurs et magistrats.

La deuxième grande orientation de ce budget concerne l’aide juridictionnelle dont il faut évoquer les crédits mais aussi la nécessaire réforme. Le budget de l’aide juridictionnelle n’a cessé d’augmenter passant de 275 millions d’euros en 2010, à 405 millions. Ce budget comprend la compensation de la suppression de la contribution pour l’aide juridique (CPAJ), taxe anciennement perçue sous la forme d’un droit de timbre de 35 euros, à hauteur de 60 millions d’euros par an. Monsieur le rapporteur spécial, cette taxe constituait bien une entrave pour l’accès à la justice : nous avons constaté, dans certains ressorts, que sa mise en place, en 2011, avait provoqué un recul de 10 % du recours à la justice. Vous vous demandiez si les taxes que nous avons créées n’étaient pas, elles aussi, de nature à entraver le recours au juge. Ce n’est pas le cas : la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique ne conditionne pas directement l’accès à la justice. À terme, nous devrons d’ailleurs être capables de mobiliser ces contrats. Vous évoquez aussi le droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel ; il est effectivement passé de 150 à 225 euros l’année dernière. Cette taxe a été créée lors de la précédente législature afin d’abonder le fonds d’indemnisation de la profession d’avoué (FIDA), profession qui a été supprimée. Elle contribue également à l’aide juridictionnelle. Son augmentation était nécessaire car son rapport avait probablement été surestimé : nous avons besoin tous les ans d’environ 20 millions d’euros pour combler l’insuffisance de ses recettes. Cette augmentation aura cependant une durée limitée puisque l’indemnisation en cours sera achevée en 2023. Ces évolutions permettent de diversifier les ressources de l’aide juridictionnelle. Au-delà de l’augmentation des crédits, cette diversification constitue un impératif de la réforme à entreprendre.

La lutte contre le terrorisme constitue la troisième grande orientation de ce budget. Dès novembre 2012, j’ai signé une circulaire concernant les détenus particulièrement surveillés. Elle a été actualisée en novembre 2013 grâce à de nouvelles informations. Nous avons en effet renforcé le renseignement pénitentiaire qui ne comptait que soixante-dix agents lorsque nous sommes arrivés aux affaires. Il compte aujourd’hui 159 personnels, pour la plupart des officiers qualifiés, et, demain, ils seront 185.

Monsieur Guillaume Larrivé, les personnes très radicalisées ne sont pas détenues dans l’aile dédiée de Fresnes, et nous n’avons pas opéré un rassemblement de celles qui se situent à un niveau intermédiaire de radicalisation. Concernant ces dernières, nous avons plutôt expérimenté une « double séparation » qui correspond à ce que vous souhaitez – dans l’univers pénitentiaire, l’isolement a un autre sens. Les personnes très radicalisées sont en revanche à l’isolement, et elles font l’objet de contrôles fréquents et de transferts. Pour leur part, les condamnés ou les prévenus pour des faits liés à des actes de terrorisme, c’est-à-dire ceux qui se situent à un niveau intermédiaire de radicalisation, sont doublement séparés. Ils sont séparés du reste la population carcérale dans une aile dédiée – ce qui a permis de faire immédiatement baisser la tension dans l’établissement pénitentiaire –, et séparés entre eux. Les personnels concernés suivent des programmes de formation spécifiques. Cette expérimentation est particulièrement suivie : nous envisageons de la dupliquer pour les jeunes, le milieu ouvert, les courtes peines et les longues peines.

L’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) a remporté l’appel d’offres que nous avions lancé en juin 2014 pour intervenir dans deux établissements. Le renseignement pénitentiaire nous a permis de constater que les personnes radicalisées développent désormais des stratégies de dissimulation alors que les signes ostentatoires de radicalisation permettaient jusqu’à ce jour de les identifier. Les méthodes évoluent également : nous sommes passés de manifestations bruyantes s’adressant aux foules à des interventions discrètes auprès de petits groupes de deux ou trois détenus. Nous devons aussi veiller à repérer les personnes exposées à cet endoctrinement. L’AFVT effectue pour nous un travail de détection des « signaux faibles ». Nous procédons à la modernisation du guide méthodologique conçu à l’échelle européenne en 2008 et enrichi en 2010. Il ne recensait que trois critères afin d’identifier la radicalisation : la vie quotidienne et le comportement social, la pratique religieuse, et le rapport à l’autorité. La recherche de détection des signaux faibles montre que ces critères ne sont plus pertinents. Nous produisons actuellement des indicateurs et des matériaux de connaissance et de prise en charge qui seront aussi utiles à tous nos partenaires européens. Nous avons aussi lancé un programme de « désendoctrinement » qui concerne aujourd’hui trente détenus. Il fait intervenir des repentis et il est conduit par l’AFVT. Nous l’évaluons en même temps qu’il se met en place.

Nous envisageons de dupliquer dans trois autres établissements la double séparation dans une aile dédiée qui est expérimentée à Fresnes.

Nous travaillons aussi à la prévention de la radicalisation pour assécher le terreau dans lequel le phénomène se nourrit : nous imposons une formation dans tous les quartiers arrivant, nous avons mis au point avec l’éducation nationale un programme spécifique destiné aux mineurs incarcérés, et nous formons surtout les personnels de surveillance, de probation et d’insertion, ainsi que les aumôniers. Nous avons recruté trente aumôniers en 2013, le même nombre en 2014, soixante cette année, et nous en recruterons encore trente l’année prochaine. Le budget consacré à l’aumônerie musulmane a doublé, et nous finalisons actuellement le décret relatif à la formation universitaire des aumôniers. Un accord avec l’Algérie prévoit que tous les imams algériens arrivant en France doivent suivre une formation universitaire laïque. Nous discutons afin de signer un accord équivalent avec la Turquie et Maroc.

Le plan de lutte antiterroriste se traduit par 300 millions d’euros supplémentaires sur trois ans, dont 102 millions dès cette année, et par 950 emplois supplémentaires pour le renseignement pénitentiaire, pour la surveillance ou encore pour des métiers nouveaux. Dans le domaine du renseignement pénitentiaire, nous créons une cellule pluridisciplinaire afin de mieux connaître le phénomène de radicalisation ainsi qu’une cellule de veille permanente sur les réseaux sociaux. Des informaticiens-analystes et des interprètes-traducteurs ont été recrutés. Nous installons aussi dans les établissements des brouilleurs de haute technologie et des détecteurs de téléphones portables.

Mme la rapporteure pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse a dit l’essentiel sur le sujet. La mise en place d’une mission nationale de veille et d’information nous a permis de détecter deux cents jeunes en cours de radicalisation ou qui y sont exposés en raison de leur entourage.

Dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, nous avons structuré nos rapports avec l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) au sein de laquelle siège un directeur des services pénitentiaires. J’ai signé avec M. le ministre de l’intérieur des circulaires conjointes organisant nos services déconcentrés afin d’harmoniser leur travail. Un protocole a été signé avec l’UCLAT.

La mise en œuvre de la réforme pénale constitue le quatrième grand axe de ce budget. Cette réforme permet d’accroître et de mieux garantir les droits des victimes. Elle s’accompagne des moyens et des ressources humaines nécessaires à l’application de dispositifs comme la contrainte pénale ou la libération sous contrainte. Cela nous amène à créer un millier d’emplois au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), ce qui induit une augmentation de 25 % des personnels de ce corps – 700 postes sont déjà créés, et 510 agents sont en place. Le budget de ce service augmente de 9 % cette année ; il aura augmenté de 21 % depuis 2013. Nous avons créé vingt-sept postes de juge de l’application des peines, et nous avons mis en place une étude qui a permis d’élaborer des outils de prise en charge dont disposent les agents d’insertion et de probation.

Monsieur Étienne Blanc, les délais de prise en charge des mineurs sont trop longs ; c’est insupportable. Ils sont actuellement de vingt mois en moyenne, ce qui est interminable pour les victimes. Nous travaillons à une réforme de l’ordonnance de 1945 qui permettrait d’appliquer, à environ 30 % des affaires, le principe de la césure afin qu’une première audience tenue assez rapidement – dix jours à trois mois de délai – permette à la victime de faire valoir son préjudice. Dans un délai maximal de six mois, le juge prononcera ensuite des mesures éducatives ou coercitives qu’il pourra ajuster. L’attente ne sera donc plus que de neuf mois au maximum alors qu’elle est aujourd’hui de vingt mois en moyenne. Il est en tout cas nécessaire de mettre de la cohérence dans la prise en charge des mineurs : les trente-sept réformes déjà adoptées ont introduit des modifications dans les procédures et dans la nature des sanctions qui ne sont pas toutes connues par les juges.

Madame Le Dain, vous souhaitez conférer un statut législatif aux audiences foraines. Je crois que nous avons besoin d’un peu de souplesse. Nous n’avons pas prévu de figer leur organisation dans la loi, mais elles sont inscrites dans le code de l’organisation judiciaire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.

M. Sébastien Pietrasanta. Madame la ministre, cette année, vous nous présentez à nouveau un budget en hausse. Cette augmentation de 1,3 % de vos crédits leur permet de dépasser le seuil des 8 milliards d’euros, chiffre qui à lui seul symbolise la promesse tenue par le Gouvernement de considérer les missions de la justice comme prioritaires.

En 2012, vous avez reçu en héritage des services obsolètes et un budget sinistré ; depuis, et nous devons vous en remercier, vous consacrez toute votre énergie et votre pugnacité à accomplir votre mission.

Madame la garde des sceaux, les procès en sorcellerie qui vous sont faits sont injustes et intellectuellement médiocres.

Sur la question du terrorisme et de la radicalisation, vous prenez toute votre part dans l’effort gouvernemental. L’administration pénitentiaire bénéficie de moyens supplémentaires. Qui peut voir du laxisme là ou vous augmentez considérablement les moyens de la justice dans la lutte contre le terrorisme ? De même, contrairement à ce qu’affirment certains à droite, vous ouvrez plus de places de prison que vous n’en fermez, en général pour vétusté. Deux plans triennaux financés permettent de créer près de 10 000 places supplémentaires, le total passant de 57 300 à 67 000 places. Où donc est le laxisme ?

On vous doit également une rénovation immobilière de qualité sans précédent, qui a su éviter autant que possible les constructions en partenariat public-privé (PPP) si onéreuses. Rien que pour l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, vous consacrez plus de 53 millions d’euros à la construction et à la livraison de palais de justice. J’observe que la plupart de ces constructions se situent dans des villes moyennes. C’est une manière de rétablir un maillage territorial mis à mal par le fameux « plan Dati ».

L’accès au droit et à la justice finance la possibilité pour toute personne de connaître ses droits et de les faire valoir. Ces deux libertés fondamentales complémentaires sont particulièrement sensibles aujourd’hui. L’aide juridictionnelle absorbe l’essentiel des crédits de cette mission comme l’a souligné Mme Élisabeth Pochon. Permettez-moi simplement de dire mon étonnement sur ce sujet. L’État reste le premier contributeur de la politique de solidarité nationale qu’est l’aide juridictionnelle. Pour autant la participation très minoritaire des professions est attendue. Ce sujet mérite un dialogue urgent.

Dans une période difficile, chacun doit raison garder. Soyons précis et factuels ! J’invite mes collègues à refuser cette démagogie, cette logique de bouc émissaire. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen y sera particulièrement vigilant. Il approuve avec raison le budget de la mission « Justice » tel qu’il nous est proposé

M. Guy Geoffroy. M. Pietrasanta vient de nous inviter à raison garder ; cela vaut également pour ceux qui évoquent une augmentation de ce budget. Restons modestes ! Hors pensions, l’augmentation en question n’est que de 0,2 % et, l’an prochain, d’après les prévisions, le budget, sera en diminution. Il n’y a tout de même pas de quoi être euphorique.

Je me contenterai ce soir d’évoquer la contrainte pénale, dispositif applicable depuis le 1er octobre 2014. Jusqu’en 2017, cette peine concerne seulement les auteurs d’infractions et de délits passibles de moins de cinq ans de prison. Au-delà de cette date, elle s’appliquera à tous les délits.

Avec quelque malice et gourmandise, permettez-moi de rappeler que l’étude d’impact annexé au projet de loi créant le dispositif, étude produite par votre ministère, madame la garde des sceaux, tablait sur 8 000 à 20 000 contraintes pénales prononcées par an. Force est de constater que nous en sommes très loin : un an après l’entrée en vigueur du dispositif, 950 mesures de contraintes pénales ont été prises. Je note que 37 tribunaux, parmi lesquels ceux de Perpignan ou Lyon, qui ne sont pas des petites villes, n’en ont prononcé aucune. Quant au TGI de Paris, il en a prononcé six en tout et pour tout. La contrainte pénale peine à s’imposer. Quelle est votre sentiment à ce sujet, madame la ministre ?

Avant cette réunion, j’ai relu le compte rendu de nos débats dans l’hémicycle sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines qui a créé la contrainte pénale et qui a supprimé les peines planchers. Au sujet de ces dernières, vous disiez à l’époque que si les juges ne les appliquaient pas, c’est qu’il s’agissait de mauvaises dispositions. Tenez-vous le même raisonnement s’agissant de la contrainte pénale ? (Sourires.)

Vous ne pouvez pas prétendre que nous ne vous avions pas prévenue. Les juges vous disent qu’ils ont du mal à identifier les mesures de contraintes à prescrire. Tout est à inventer : les obligations, le suivi personnalisé… Quant aux conseillers d’insertion, ils sont censés faire du « sur-mesure », mais ils n’y arrivent pas. Les juges qui le savent parfaitement se désintéressent de ce dispositif qui, selon vous, devait révolutionner le champ pénal en matière délictuel.

La personnalisation des mesures ou l’évaluation, tout cela prend du temps, et la charge de travail est énorme. Je crois que nous n’avons pas les moyens d’un tel suivi. Les magistrats craignent d’ailleurs que ce dispositif ne soit pas à la hauteur, et ils préfèrent ne pas prononcer de contrainte pénale. Que comptez-vous faire pour que la contrainte pénale, ce joyau que vous avez offert à la République, soit à la hauteur des ambitions que vous aviez pour elle ?

M. François Rochebloine. Avec 6,4 milliards d’euros de crédits demandés, vous nous présentez un budget, certes stable, mais loin de nous satisfaire, sachant qu’il faut poursuivre la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014, dite réforme pénale. Je ne m’attarderai pas, par manque de temps, sur la gestion du dossier de l’aide juridictionnelle. En revanche, je m’interroge : pensez-vous que l’effort indéniable de la création de deux cents emplois supplémentaires pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation soit suffisant ?

Alors que l’exécution des peines doit demeurer une priorité, nous nous posons des questions sur les moyens accordés à l’administration pénitentiaire, alors que l’on ouvre 2 298 places sur la période 2015-2017, dont 216 en 2016

À titre d’exemple, je peux citer la maison d’arrêt de Saint-Étienne, pour laquelle on relève actuellement quatorze vacances de postes, soit un peu plus de 12 % de l’effectif théorique total de l’organigramme de référence. Des renforts en personnels de surveillance sont-ils prévus ? Les sorties de promotions d’école en novembre 2015 et début 2016 le permettront. Cette situation s’explique principalement par des mutations en direction d’établissements neufs. Nul n’ignore le contexte budgétaire mais, madame la ministre, il est indispensable de ne pas laisser dériver une situation aussi préoccupante qui renforce la démobilisation des personnels déjà confrontés à la surpopulation carcérale chronique, à l’accroissement des violences, et à des contraintes découlant du plan Vigipirate. Le recours aux heures supplémentaires s’accroît aussi dans des organigrammes structurellement sous-dotés depuis plus de dix ans, qui en sont restés aux trente-neuf heures.

Un mot sur la réhabilitation des établissements. J’observe avec satisfaction que la programmation triennale a prévu plusieurs opérations indispensables tant nos maisons d’arrêts et nos centres pénitentiaires sont vétustes et dégradés. Vous me permettrez de revenir une nouvelle fois sur la maison d’arrêt de Saint-Étienne. Ouverte en 1968, elle doit être reconstruite. Je me réjouis de cette bonne décision, madame la ministre, et je ne peux faire moins que vous en remercier. Serait-il possible de connaître le calendrier détaillé de cette opération. Peut-on espérer qu’elle soit réalisée à horizon 2019-2020 ? Pourriez-vous également nous préciser si le lieu d’implantation est définitivement arrêté parmi ceux déjà proposés localement ?

Enfin, je tiens à vous rappeler mes démarches insistantes en faveur de l’association d’enseignement à distance Auxilia. Faute de moyens suffisants, ses dirigeants vont devoir procéder très prochainement à des licenciements, comme je vous l’ai indiqué par courrier. Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que cette association répond à un réel besoin. Il y a urgence. L’an dernier, je vous ai déjà posé une question à ce sujet, et vous deviez recevoir les représentants de l’association. J’ai saisi le conseil régional pour qu’il puisse apporter un éventuel concours à cette association.

M. Sergio Coronado. Il faut toujours se réjouir des bonnes nouvelles, surtout en période de disette budgétaire. À l’instar de mes collègues, je ferai donc preuve d’un très grand optimisme, un optimisme en grande partie justifié. Depuis 2012, la majorité a accompagné de manière presqu’unanime les efforts consentis par le Gouvernement en faveur du budget de la justice. Il a augmenté les moyens du ministère de la justice et engagé des réformes structurelles comme la réforme pénale et le projet de réforme de la justice du XXIe siècle.

Pour 2016, avec 8,04 milliards d’euros, la hausse du budget de la justice sera d’1,3 % par rapport à 2015. Il s’agit plus que d’un budget sanctuarisé : nous atteignons 80 280 emplois, près de 3 000 créations jusqu’en 2017, dont 1 024 en 2016. Il faut se réjouir aussi de l’apport de fonds destinés à la lutte contre le terrorisme. Plus de la moitié du budget est absorbée par l’administration pénitentiaire. En douze ans, son poids n’a fait que s’accroître : sa part dans le budget du ministère de la justice est passée de 29 % à 44 %. Pourtant, on ne peut pas dire que tout aille bien : vétusté des locaux, situations en marge de la loi faute de crédits – rappelons la présence illégale de murets dans les parloirs à Fresnes, à propos desquels j’avais saisi la garde des sceaux et le président de la commission des lois –, report contestable de l’encellulement individuel, taux d’occupation des maisons d’arrêt atteignant 135 %. À cet égard, madame la ministre, il serait intéressant que vous nous indiquiez le nombre de cellules et leur ventilation en fonction de leurs tailles et du nombre de places.

Vous avez décidé de mettre un accent particulier sur l’aide juridictionnelle. Il est vrai que réformer le système pour qu’il puisse continuer à jouer son rôle est devenu une nécessité.

L’accès à la justice des plus démunis demeure fondamental et je sais combien vous êtes sensible à cette question. En 2014, après deux ans de gel, les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ont été revalorisés de 0,8 %. Depuis le 1er janvier dernier, les personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 937 euros peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle totale. Toutefois, ce plafond ne permet toujours pas à une partie de la population d’être correctement défendue, malgré l’existence de l’aide juridictionnelle partielle.

Votre réforme de l’aide juridictionnelle permettra à près de 100 000 justiciables supplémentaires de bénéficier de l’aide juridictionnelle, grâce à la hausse du plafond de ressources établi désormais à 1 000 euros pour être couverts à 100 %. C’est louable mais il reste à trouver le mode de financement nécessaire à la réforme, question qui suscite, comme nous avons pu le constater ces derniers jours, de fortes oppositions dans l’avocature.

À la suite de la rencontre que vous avez organisée aujourd’hui, nous avons appris par voie de presse que le prélèvement sur les intérêts de fonds placés dans des caisses gérées par les avocats serait abandonné. Il est même question qu’un amendement supprimant ce dispositif soit déposé au Sénat. Qu’en est-il réellement ? Où trouvera-t-on les 15 millions qui devaient être prélevés sur les CARPA ?

Il pouvait apparaître discutable de faire peser le poids du financement de l’aide juridictionnelle sur les épaules des avocats, déjà peu nombreux à s’y consacrer, 7 % d’entre eux réalisant 57 % des missions qui lui sont liées. Les barèmes fixés ne permettent nullement de prendre en considération le temps passé sur une affaire. Une intervention d’avocat en correctionnel est indemnisée 180 euros, quelle que soit la complexité du dossier. Il faut être très motivé, voire militant pour accepter de fournir cette aide.

De plus, comme l’a relevé la mission de modernisation de l’action publique (MAP) dans son rapport de novembre 2013 sur l’évaluation de la gestion de l’aide juridictionnelle, plus de la moitié des dossiers de demande d’aide juridictionnelle déposés par les justiciables sont incomplets. Selon le syndicat des greffiers de France, cette proportion atteint 80 % au bureau d’aide juridictionnelle de Versailles. Les informations complémentaires que vous voudrez bien nous fournir à ce sujet, madame la ministre, nous serons d’une très grande utilité.

Enfin, un rapport d’inspection a révélé que près de 50 000 personnes travaillaient au noir pour l’État, dont 40 500 pour le ministère de la justice : interprètes, experts judiciaires, médiateurs, médecins experts, qui travaillent exclusivement sur réquisition des autorités de police ou des autorités judiciaires. Considérées comme des prestataires, elles n’ont ni bulletin de salaire ni protection sociale et ne sont pas assujetties à la TVA. La Chancellerie a annoncé que la situation, qui dure depuis plus de quinze ans, sera régularisée lors de l’examen du PLF 2017. Savez-vous quelles seront les mesures prévues et les coûts qui en découleront pour l’État ?

M. Marc Dolez. Ma première question porte sur l’aide juridictionnelle. On ne peut qu’accueillir avec satisfaction, madame la ministre, votre décision de renoncer à une participation financière des avocats car l’État ne doit pas se défausser sur les principaux acteurs de l’aide juridictionnelle. Pour autant, le problème de fond n’est pas réglé dans la mesure où les modalités de rétribution restent à préciser. Elles feront l’objet d’un décret en Conseil d’État. Une note de la Chancellerie publiée en septembre laisse craindre une révision à la baisse de la rétribution de certaines missions : ce serait le cas pour la garde à vue, les procédures de divorce et certaines procédures prud’homales. Selon le barème annexé à la note, le montant de la rétribution d’un avocat assistant un gardé à vue pendant les premières vingt-quatre heures serait réduit de 300 euros à 180 euros et un référé serait payé 145 euros au lieu de 345 euros actuellement. Pourriez-vous nous donner des précisions sur les nouveaux barèmes en cours d’élaboration et vous engager à ce qu’il n’y ait aucune diminution de rétribution ? Cet enjeu est essentiel car, si pour certaines missions, l’avocat devait travailler à perte, il est clair que l’augmentation du seuil d’admission à l’aide juridictionnelle – mesure que nous ne pouvons qu’approuver – ne serait que théorique.

Ma deuxième question concerne le décret d’application des réformes de la justice prud’homale induites par la loi Macron. Le Conseil supérieur de la prud’homie s’est réuni la semaine dernière et a formulé plusieurs remarques sur le projet de décret. Pensez-vous les prendre en compte pour apporter des modifications éventuelles ? En particulier, allez-vous restreindre les contraintes concernant la saisine du Conseil des prud’hommes par requête, ce qui pourrait signifier la fin de la saisine simplifiée avec les conséquences que cela implique pour l’accès à la justice des publics les plus fragilisés ? Pouvez-vous, en outre, confirmer que ces nouvelles formalités de saisine n’auront plus à être accomplies sous peine de nullité ? Concernant la procédure d’appel, pouvez-vous préciser les obligations qui pèseront sur les défenseurs syndicaux ? Seront-ils soumis au même formalisme que les avocats ?

Ma troisième question sera consacrée la réforme de l’ordonnance de 1945. Comme l’an passé, vous vous engagez à la présenter devant Parlement en 2016, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Pouvez-vous nous préciser selon quel calendrier ? La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs figurera-t-elle bien dans la réforme ? Je dois dire que les déclarations du Premier ministre la semaine dernière m’ont laissé perplexe à ce sujet.

Le travail au noir au ministère de la justice a été évoqué par Sergio Coronado. Je fais miennes les questions qu’il a posées.

Pour finir, je souhaiterais vous interroger, madame la ministre, sur les agents non titulaires de la protection judiciaire de la jeunesse. Beaucoup d’entre eux sont encore dans une situation de précarité : on évalue à 1 300 équivalents temps pleins travaillés le nombre de personnes dans cette situation, soit 16 % des personnels en activité. Au regard de la mission spécifique de ces agents, il me paraît impératif de trouver des solutions. Que pensez-vous notamment de la proposition de requalifier les contrats ?

J’aurais encore des questions, mais je ne voudrais pas abuser de la générosité des présidents qui ont bien voulu accorder cinq minutes de temps de parole aux orateurs de chaque groupe.

M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, sous l’effet de votre politique, le nombre de détenus dans les prisons ne cesse de diminuer : entre avril 2014 et avril 2015, il y a ainsi eu 2 000 détenus de moins. La baisse concerne aussi les condamnés à des peines en milieu ouvert et les aménagements de peine – 5,2 % de moins en un an. À l’inverse, les chiffres de la délinquance sont en hausse, en dehors des vols avec violence. Quelle analyse portez-vous sur ces chiffres ?

Pour ce qui concerne les mineurs délinquants, nous souhaitons, contrairement à Mme la rapporteure pour avis, une multiplication des centres éducatifs fermés, dans le droit fil des engagements de campagne du Président de la République. Où en est le projet d’implantation de centres éducatifs fermés en Île-de-France dont la presse s’était fait l’écho ? Que pensez-vous de la recommandation des professionnels qui souhaitent porter à douze mois minimum au lieu de six mois renouvelables la durée de placement dans de tels établissements ?

Par ailleurs, j’aimerais savoir si vous allez procéder à l’abrogation de la rétention de sûreté.

S’agissant du transfèrement de détenus, il importe de rappeler que l’administration pénitentiaire ne dispose pas de suffisamment d’agents habilités pour assurer cette mission, d’autant que, depuis février 2015, ils doivent convoyer les détenus à l’extérieur de leur ressort territorial. Au surmenage des personnels s’ajoute un allongement des délais de transfert de détenus qui fait peser un risque d’annulation des procédures, comme l’a souligné la Conférence nationale des procureurs généraux. Quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre cette pénurie de personnel ?

En ce qui concerne les permissions de sortir, quelles propositions envisagez-vous pour améliorer le dispositif qui a connu de nombreuses défaillances ces derniers temps ?

M. Pascal Popelin. Madame la ministre, vous me permettrez de m’éloigner quelque peu du cœur des crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2016 pour évoquer une question qui pourrait avoir des conséquences intéressantes sur les crédits ultérieurs de la mission « Sécurités » dont je suis le rapporteur pour avis au titre de la commission des lois.

L’empilement des textes de procédure pénale, conjugué à la montée en puissance du droit européen, a complexifié la tâche de ceux qui sont chargés d’appliquer chaque jour le code de procédure pénale, au premier rang desquels les forces de police et de gendarmerie. Ces lourdeurs sont pointées de longue date et je sais que vous travaillez à des pistes de réflexion depuis plusieurs mois sur ces questions, en lien avec M. le ministre de l’intérieur.

La semaine dernière, le Premier ministre a fait en votre présence des annonces importantes en matière de simplification de ces procédures, par voie législative et réglementaire. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce qui est envisagé par le Gouvernement afin de simplifier la gestion de la garde à vue par les officiers de police judiciaire ainsi que le formalisme procédural – je pense à la question des réquisitions –, de faciliter l’accès à certaines données utiles à l’enquête, de fluidifier les relations entre les parquets et les services enquêteurs, d’alléger la tâche des enquêteurs – je pense aux procédures de notification ? Pouvez-vous également nous éclairer sur le calendrier envisagé par le Gouvernement pour la mise en œuvre de ces évolutions très attendues ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Madame la ministre, je souhaiterais appeler votre attention sur le financement des conseils départementaux d’accès au droit (CDAD). Depuis la loi du 10 juillet 1991, leur mise en place progressive sur l’ensemble du territoire s’est accompagnée d’une amélioration croissante du service rendu aux justiciables en matière d’accès au droit. J’en veux pour preuve la création d’antennes de médiation dans certains quartiers, la diffusion de brochures d’information, la mise en place de numéros verts et d’actions de sensibilisation au droit et à la citoyenneté en direction des jeunes.

L’État, à travers le ministère de la justice, assure l’hébergement des CDAD au sein des TGI du chef-lieu du département et contribue à leur financement aux côtés des collectivités territoriales, notamment par le biais de subventions de votre ministère. Toutefois sa part reste souvent en deçà des besoins liés à la création de tels groupements d’intérêt public – formule juridique retenue par la loi de 1991.

En 2015, la Lozère est le dernier département français à avoir entrepris de se doter d’un CDAD. L’ensemble du territoire sera donc intégralement couvert en 2016.

Pouvez-vous me préciser, madame la ministre, quelles orientations budgétaires sont prévues pour financer ce type de structure ?

M. Dominique Raimbourg. Ma question est simple : où en est-on de la construction de places de prison ? En 2012, madame la ministre, vous avez hérité d’une situation très difficile : entre 2002 et 2012, le nombre de détenus est passé de 48 000 à 68 000, soit un taux d’incarcération qui a évolué de 75 pour cent mille habitants à 100 pour cent mille habitants. Pour gérer la surpopulation, on avait recours à un mécanisme mauvais mais efficace : les décrets de grâce. Il a été supprimé sans être remplacé et nous nous retrouvons aujourd’hui confrontés à une difficile situation de surpopulation.

Combien de places de prison allez-vous créer ? Comment régler la question de la surpopulation carcérale sans céder à ce fantasme, cette chimère des 80 000 places, tout à la fois infaisable, infondée et inutile ?

M. Olivier Audibert Troin. Ma question porte, madame la ministre, sur le programme 107, particulièrement sur les opérations menées par l’Agence pour l’immobilier de la justice (APIJ) pour la déconstruction du centre pénitentiaire de Draguignan.

Je voudrais tout d’abord saluer l’écoute dont vous et les membres de votre cabinet avez su faire preuve en 2013 dans le dossier de reconstruction du centre pénitentiaire. Rappelons que le 15 juin 2010, alors que des inondations touchaient le département du Var, le personnel pénitentiaire a évité une épouvantable catastrophe humaine au centre de Draguignan, situé en zone inondable, en sauvant de la noyade des dizaines de détenus. Je veux ici encore rendre hommage à son courage.

Le problème de la déconstruction de cette ancienne maison d’arrêt demeure. Toutes les études hydrologiques ont montré l’effet aggravant de cette emprise bâtie pour l’écoulement des eaux et leur retour dans le lit de la rivière en cas de crue. L’examen des crédits de la mission « Justice » consacrés aux investissements immobiliers m’inquiète : aucune ligne budgétaire n’est prévue pour ces travaux de démolition, les crédits étant, fort légitimement, concentrés sur l’indispensable construction de nouveaux établissements. Pour des raisons de salubrité et de sécurité publiques, il est urgent de voir réalisé en lieu et place de l’ancien bâtiment un bassin de rétention afin de lutter efficacement contre les inondations qui frappent régulièrement nos régions.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur le calendrier des travaux de déconstruction de l’ancien centre pénitentiaire de Draguignan ?

Mme Cécile Untermaier. L’aide juridictionnelle repose sur une politique de solidarité nationale qui garantit l’accès à la justice pour les plus pauvres. Je tiens à rappeler ici que des avocats se donnent sans compter pour la faire vivre.

L’État est le principal contributeur de l’aide juridictionnelle, comme aime à la souligner Jean-Yves Le Bouillonnec qui lui a consacré un rapport qui nous a beaucoup éclairés. Nous nous réjouissons de l’augmentation sensible de ses crédits intervenue depuis 2012.

Conscients de la nécessité de les augmenter encore, nous avons créé par amendement à la loi pour la croissance et l’activité un fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice destiné entre autres à contribuer au financement de l’aide juridictionnelle. Le Conseil constitutionnel a considéré que la possibilité offerte au Gouvernement de modifier par arrêté ministériel le niveau d’assiette ou de taux de la taxe visant à l’alimenter était contraire à la Constitution au titre de l’incompétence négative. Il a été convenu de travailler aux modifications nécessaires dans le cadre du projet de loi de finances. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions au sujet de l’échéancier que vous envisagez pour la création de ce fonds interprofessionnel, initialement prévue pour le 1er janvier 2016 ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Alors que l’ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs fête ses soixante-dix ans cette année, je souhaite vous interroger sur le programme budgétaire « Protection judiciaire de la jeunesse ». Il devrait être le dernier à être placé sous le régime législatif et réglementaire actuel puisque vous préparez un projet de loi réformant la justice des mineurs. Avant de rentrer dans le vif de ma question, je tiens à saluer l’action de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et de ses agents. Madame la ministre, vous le rappeliez lors d’un séminaire des cadres de la PJJ à la fin du mois de septembre : en 2014, sur les 136 091 jeunes qu’elle a pris en charge, plus de 50 % n’auront affaire qu’une fois à la justice pénale ; un tiers reviendra devant la justice pénale au moins une fois ; 10 % s’installeront dans un parcours chaotique de délinquance. C’est ce dernier public qui nous pose le plus grand défi.

Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons tous, vous réaffirmez notre engagement pour la justice des mineurs avec la création de 60 emplois supplémentaires et une augmentation de 18 millions d’euros des crédits de paiement par rapport à la LFI 2015. Ces moyens supplémentaires doivent permettre d’améliorer les résultats obtenus, notamment en matière de prévention de la récidive ou de la réitération ou bien encore en matière de réinsertion. Sur ce dernier point, je veux saluer l’objectif que fixe l’indicateur n° 1 : un taux de 80 % d’inscription dans un dispositif d’insertion sociale et professionnelle ou de formation pour les jeunes pris en charge.

Alors que les partenaires associatifs de votre ministère prennent en charge une part substantielle de l’action publique en matière de protection de la jeunesse avec 1 079 établissements, vous avez également renforcé les liens avec ces acteurs depuis le début de l’année grâce à la mise en place, le 30 janvier, d’une charte d’engagements réciproques signée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et les fédérations associatives.

Madame la ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale ce que vous attendez de cette nouvelle contractualisation ? Quels en sont les objectifs ? Comment les partenaires associatifs peuvent-ils contribuer à l’amélioration des résultats ? Quelle est la répartition entre le secteur public et le secteur associatif des jeunes pris en charge ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je prends note, madame la ministre, de l’augmentation du budget de la médiation, notamment des crédits dédiés à la médiation familiale et aux lieux de rencontre. Puis-je vous demander de nous donner des précisions sur la mise en œuvre de cette politique ?

L’ordonnance de 1945 avait pour objectif de prendre en charge les jeunes en danger. Le recentrage de la protection judiciaire de la jeunesse sur la seule prise en charge des mineurs au pénal a eu d’importantes conséquences : les jeunes délinquants perdent à leur majorité la protection qui leur était assurée en tant que mineurs. Que comptez-vous faire pour leur permettre d’en conserver le bénéfice ?

Enfin, tout en n’ignorant pas la dangerosité d’une utilisation malveillante d’internet, il faut convenir qu’il est parfois indispensable de maîtriser cet outil moderne dans un processus de réinsertion. Pouvez-vous nous dire si des expérimentations en ce domaine peuvent être envisagées ?

M. Sébastien Pietrasanta. Je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la question des transfèrements et des extractions judiciaires.

La réunion interministérielle du 30 septembre 2010 a acté la prise en charge par l’administration pénitentiaire de l’intégralité des missions de transfèrement et d’extraction judiciaire jusqu’alors dévolues aux forces de l’ordre. Ce transfert devait s’effectuer progressivement, région par région, entre 2011 et 2013. Pour cela, le gouvernement de l’époque – et je crois savoir que M. Larrivé avait joué un rôle important en tant que conseiller – a décidé de transférer au ministère de la justice 800 ETP, en provenance de la gendarmerie, pour 65 %, et de la police, pour 35 %.

Or les besoins ont été largement sous-évalués. Un gel du transfert a été opéré en 2013 et une nouvelle réunion interministérielle a acté le transfert de 1 200 ETP. Aujourd’hui, le processus est relancé et huit régions ainsi que trois départements d’Île-de-France sont pris en charge par le ministère de la justice. Au 1er novembre, le Nord-Pas-de-Calais et l’Aquitaine passeront également sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire.

En 2014, ce sont près de 25 000 extractions judiciaires qui ont été réalisées par l’administration pénitentiaire.

Je souhaite, madame la garde des sceaux, appeler votre attention sur les nombreuses difficultés qui m’ont été signalées.

On constate une augmentation de ce que l’on appelle « l’impossibilité de faire », c’est-à-dire l’impossibilité d’assurer les extractions judiciaires pour l’administration pénitentiaire, qui les reporte alors sur les forces de l’ordre. Les impossibilités de faire représentent 9 % au 1er septembre 2015 et atteignent 30 % dans une région sous tension comme la Champagne Ardenne. Cela crée évidemment des tensions avec les forces de l’ordre, police et gendarmerie.

Ce système doit sans conteste être amélioré. On ne saurait récupérer des ETP tout en faisant assurer une partie de la mission par les forces de l’ordre.

Il apparaît urgent de mieux organiser le système de l’administration pénitentiaire. Dans cette perspective, la question de la polyvalence du personnel apparaît primordiale. De même, il serait salutaire d’augmenter les entretiens avec les magistrats par visio-conférence pour faire baisser le nombre d’extractions judiciaires. Chacun doit, ici, faire un effort indispensable.

Madame la ministre, le système des transfèrements n’est pas satisfaisant. Comment mieux adapter l’organisation de l’administration pénitentiaire pour qu’elle assure pleinement sa mission ? Comment inciter les magistrats à utiliser la visio-conférence ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Merci pour vos propos sur l’institution judiciaire. Nous sommes en situation de la moderniser pour la faire entrer de plain-pied dans le XXIe siècle. Les demandes d’introduction de tablettes et de téléphones portables révèlent son état. Grâce à une modification introduite par le Parlement l’année dernière, le code de procédure pénale rend désormais possible la communication par voie électronique entre les tribunaux et les justiciables alors qu’auparavant obligation était faite de procéder par courrier, en particulier par l’envoi de lettres recommandées, ce qui coûtait d’autant plus cher que 80 % d’entre elles n’étaient pas réclamées.

Plusieurs questions ont porté sur la création de nouvelles places de prison. Rappelons que nous disposons de deux programmes immobiliers entièrement financés : un programme visant 6 500 nouvelles places, exécuté à hauteur de 3 600 places ; un autre visant 3 200 places.

Vos remarques sur la rénovation immobilière renvoient à la mise en œuvre de la politique de présence sur le territoire et d’efficacité que nous avons instaurée.

J’en viens à l’aide juridictionnelle, objet de plusieurs questions. Cela fait une quinzaine années que tous les rapports s’accordent à dire que le système est à bout de souffle. Le dernier rapport en date est celui de Jean-Yves Le Bouillonnec que je remercie pour le temps qu’il y a consacré, l’énergie qu’il a déployée et le courage qu’il a eu de formuler des préconisations opérationnelles, ce qui le distingue de rapports précédents, qui se limitaient à des constats et des recommandations générales.

Nous aurions pu, à l’instar des gardes des sceaux précédents, ne rien toucher au dispositif de l’aide juridictionnelle : ne pas augmenter ses crédits, ne pas nous soucier de la taxe de 35 euros qui entravait l’accès à la justice, nous contentant de quelques gestes. Nous avons choisi d’augmenter les crédits qui lui sont consacrés, de supprimer l’entrave à la justice que constituait le timbre de 35 euros, et nous souhaitons réformer le dispositif afin d’éviter son effondrement, qui est une perspective vraisemblable.

La meilleure façon de mesurer ce risque est de considérer la concentration des avocats qui s’y consacrent : 7 % d’entre eux assurent 57 % de l’activité rémunérée au titre de l’aide juridictionnelle ; 16 % en assurent 84 %. Cette concentration comporte un risque de précarisation de la profession. Nous ne pouvons être indifférents à la paupérisation croissante d’une profession libérale qui intervient au pénal et au civil auprès de citoyens vulnérables et à faibles revenus. En outre, cette concentration n’est pas conforme de la loi de 1991 qui a énoncé des principes en matière de répartition de l’aide juridictionnelle au sein de la profession d’avocat.

Nous ne voulons pas adopter l’attitude qui consisterait à dire : « Après moi, le déluge ». Nous ne voulons pas laisser au gouvernement de gauche qui nous succédera un système qui se serait effondré.

Nous voulons réformer le dispositif de l’aide juridictionnelle. Comment procéder ? La loi de 1991 pose le principe de la participation de la profession et de la répartition de la mission de l’aide juridictionnelle. La profession intervient par le traitement des dossiers et le transfert que nous opérons d’une partie du budget de l’aide juridictionnelle au Conseil national des barreaux. Vous avez permis l’année dernière l’inscription dans la loi d’un cadre juridique permettant la conventionnalisation ou la contractualisation avec des barreaux. Le barreau de Lyon, demandeur en la matière, fait des expérimentations en la matière.

Si 16 % des avocats assurent l’essentiel des missions de l’aide juridictionnelle, qu’en est-il des 84 % restants ? C’est tout l’enjeu de la loi de 1991.

S’agissant du financement, nous avons proposé pour cette année un budget de 405 millions d’euros. Les groupes de travail sont en discussion depuis trois ans et leurs travaux ont connu une accélération cette année. Mais il y a un moment où il faudra tirer un trait : ou bien l’on constatera que les choses sont assez avancées pour enclencher la réforme ; ou bien l’on prendra acte du fait que la réforme est impossible à mettre en place et chacun assumera ses responsabilités.

Quoi qu’en disent certains, ceux qui considèrent que c’est un casus belli d’envisager une contribution de la profession, une telle option avait été proposée, comme en témoignent les comptes rendus de réunions. Il s’agissait d’opérer un prélèvement pendant une période transitoire – de 5 millions d’euros en 2016 et de 10 millions d’euros en 2017 – sur les produits financiers perçus sur les fonds des clients qui transitent par les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA.

Il y a quelques semaines, dans le cadre des discussions avec mon cabinet et l’administration, la profession a fait une autre proposition : les représentants des avocats ont indiqué qu’ils préféraient contribuer à la modernisation de la justice, en participant à la dématérialisation prévue dans le cadre du projet de loi de réforme de la justice civile, dite « J21 - justice du XXIe siècle ». Sauf qu’à quarante-huit heures du débat budgétaire, la profession a choisi de rompre la discussion. Si elle l’avait fait il y a un mois, nous aurions pu renouer le dialogue dans l’intervalle. À ce stade, soumis à une contrainte de calendrier, nous n’avions d’autre choix que de reprendre sa proposition antérieure et de l’inscrire dans le PLF.

S’il ne s’agit pas de stigmatiser les avocats qui ne font pas d’aide juridictionnelle, nous pouvons néanmoins nous interroger sur la forme que peut prendre leur contribution au système. Certains gros cabinets sont spécialisés dans la fiducie, les montages internationaux, les transactions immobilières ou le conseil fiscal. Il serait assez absurde de leur imposer de faire de l’aide juridictionnelle puisque cela ne fait pas partie de leurs métiers. En revanche, ils appartiennent à la profession. Depuis deux ans, quelques gros cabinets nous ont d’ailleurs fait savoir qu’ils trouvaient normal de contribuer au système, alors que d’autres nous ont opposé un refus de principe.

Monsieur le député Dolez, vous m’interrogez sur cette note concernant le barème de rémunération des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle. En fait, il s’agit d’un document interne au groupe de travail, que d’aucuns ont instrumentalisé, et non pas d’une note de la chancellerie que j’aurais validée. Le ministère a apporté son soutien logistique au groupe de travail : salle de réunion, assistance des conseillers de l’administration, etc. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une note de la chancellerie.

Nous avons commencé à travailler à partir des observations des représentants des avocats qui soulignent les aberrations du barème : certains actes, qui ne réclament pas une technicité particulière, bénéficient d’une rétribution correcte sinon confortable ; d’autres sont moins bien payés alors qu’ils demandent beaucoup de travail. Les barreaux sont les mieux placés pour apprécier ce qu’une intervention dans le cadre de l’aide juridictionnelle représente comme travail et comme contraintes, car les situations sont très disparates sur le territoire. Nous avons décidé de revaloriser l’unité de valeur socle, et proposé d’y ajouter un complément contractualisé pour tenir compte de certaines technicités juridiques et particularités territoriales : en zone rurale, un avocat peut ainsi être amené à parcourir un grand nombre de kilomètres.

Ce midi, j’ai rencontré les représentants du CNB, du barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers. Ils ont proposé d’en revenir à la dernière proposition qu’ils avaient formulée pendant le groupe de travail, à savoir leur participation à la dématérialisation dans le cadre de la future réforme judiciaire. En contrepartie, ils ont demandé que l’on renonce à ce prélèvement sur les produits financiers des CARPA. Nous sommes donc tombés d’accord. On me dit que la profession a confirmé cet accord dans une première déclaration, puis a nuancé sa position dans un communiqué ultérieur. Pour l’instant, je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance moi-même de ces réactions.

Nous verrons bien ce qu’il advient, mais je le répète : il s’agit de savoir si nous voulons respecter ou abroger la loi de 1991 qui prévoit la participation de la profession d’avocat à l’aide juridictionnelle. Nous sommes dans la maison où l’on fabrique la loi et où on la respecte. Si nous n’abrogeons pas la loi, nous devons créer les conditions pour que l’aide juridictionnelle soit prise en charge par l’État mais gérée avec le discernement de la profession. Sinon, il faut fonctionnariser des avocats qui seraient exclusivement chargés de l’aide juridictionnelle. Pour ma part, en tant que garde des sceaux, je ne prendrai pas une telle option qui bouleverserait l’identité de la profession, même si les avocats eux-mêmes me le demandaient. Quoi qu’il en soit, si nous ne parvenons pas à faire cette réforme absolument indispensable, le dispositif de l’aide juridictionnelle s’effondrera avant que nos cheveux aient tous blanchi.

Pardonnez-moi d’avoir été longue et peut-être inutilement précise, mais je connais votre attachement à ces questions, vos relations avec les barreaux de vos circonscriptions. Je sais que vous vous préoccupez de la solidité d’un système créé pour que les justiciables modestes aient accès au droit et à la justice, ce qui est tout de même l’alpha et l’oméga, le début et la fin de l’histoire. L’État met les moyens nécessaires pour couvrir l’effet du relèvement du plafond de ressources pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et de la revalorisation de l’unité de valeur payée aux avocats. Mais nous restons dans le cadre de la loi de 1991.

Venons-en au fonds de péréquation interprofessionnel, créé dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sur initiative parlementaire, même si le Gouvernement a repris à son compte l’amendement, du fait de l’application de l’article 40 de la Constitution. Il était prévu que ce fonds soit opérationnel en 2018, une incertitude étant liée à la censure introduite par le Conseil constitutionnel. Il semble que l’on puisse travailler plus vite et que ce fonds puisse être disponible dès 2017, voire au deuxième semestre de 2016. Cela relativise tout ce tollé actuel au sujet de ce prélèvement de 5 millions d’euros pour l’année 2016 – qui pourrait d’ailleurs se réduire à 2,5 millions d’euros – alors que l’État consacre 400 millions d’euros à l’aide juridictionnelle. Je n’en tire pas d’enseignement ni de conclusion.

Monsieur le député Guy Geoffroy, vous m’avez interrogée sur la contrainte pénale, disant qu’elle n’était quasiment pas prononcée par les tribunaux. Je ne peux que vous inciter à la patience. Pour ma part, j’ai parlé de redonner du sens à la peine, pas de révolutionner le champ pénal. Nous en reparlerons dans dix ans – vous serez encore très frais, moi beaucoup moins – mais souvenez-vous que le travail d’intérêt général (TIG) avait suscité le même scepticisme. Trente ans plus tard, personne ne pense que le TIG n’a pas sa place dans le paysage des sanctions pénales. Nous voulons que les peines soient efficaces, et la contrainte pénale a fait ses preuves dans les pays – démocratiques, sérieux, raisonnables – qui la pratiquent parfois depuis une vingtaine d’années.

Cette réforme pénale a été pensée comme un écosystème et dotée de moyens. Elle a été élaborée à partir d’une conférence de consensus, de consultations sérieuses et des débats parlementaires. En tant que garde des sceaux et ancienne parlementaire, j’ai la faiblesse de croire que ces travaux ont été de très grande qualité : le texte avait été beaucoup travaillé en amont et il a été encore amélioré lors de nos débats. La contrainte pénale vise à prévenir la récidive qui, rappelons-le en essayant de prendre un peu de hauteur, a triplé entre 2001 et 2011. Nous voulons empêcher que de nouveaux actes de délinquance ne créent de nouvelles victimes.

Au passage, je signale que nous avons doublé le budget de l’aide aux victimes, qui avait baissé au cours des trois dernières années de l’ancien quinquennat, en le portant de 10 à 20 millions d’euros. Nous avons aussi instauré un suivi individualisé et une prise en charge pluridisciplinaire des victimes, tout en conduisant des politiques ciblées à l’égard de certaines catégories d’entre elles : nous avons ainsi généralisé le téléphone grand danger pour les femmes victimes de violences au sein du couple ou de viols, et créé un réseau de référents afin d’améliorer la prise en charge des victimes du terrorisme. Notre politique à l’égard des victimes est très volontariste. Dans la réforme pénale, nous avons accru leurs droits et leurs garanties. Notre souci est de mieux les protéger et de les accompagner vers la résilience, le service qualitatif le plus important que l’État puisse leur assurer. Au-delà de la prise en charge matérielle et pécuniaire, nous devons créer les conditions pour que les victimes avancent vers la résilience.

Revenons à la contrainte pénale, une peine qui a été prononcée un millier de fois depuis son entrée en vigueur, il y a un an. L’étude d’impact avait surestimé son utilisation, mais cela signifie aussi que nous avons redonné au magistrat une liberté d’appréciation qu’il avait perdue avec l’instauration des peines planchers. Nous affichons notre confiance vis-à-vis des magistrats, tout en convenant avec vous que nous devons nous interroger quand aucune contrainte pénale n’est prononcée dans un ressort. D’ailleurs, cette question s’adresse d’abord à vous, les législateurs. Dans une démocratie, lorsque le Parlement a adopté une loi après en avoir débattu…

M. Philippe Goujon. La majorité l’a adopté !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Sans doute, mais l’opposition a fait mieux encore : en déférant le texte devant le Conseil constitutionnel, elle a permis qu’il soit validé par cette institution. Par voie de conséquence, personne n’a à craindre une question prioritaire de constitutionnalité. Par un acte que je me dispense de qualifier, vous avez renforcé la solidité de ce texte de loi.

M. François Rochebloine. C’est bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Absolument ! Je vous en remercie, monsieur Rochebloine ! Aucun magistrat n’a à craindre une fragilité de ce texte de loi. Quand je dis que vous avez raison de poser la question en voyant qu’aucune contrainte pénale n’est prononcée…

M. Guy Geoffroy. Et vous avez tort de ne pas me répondre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vais vous apporter une réponse.

M. Guy Geoffroy. Vous m’avez dit que je devais attendre dix ans !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Non, je n’ai pas dit cela ! Je vous ai dit que, dans une dizaine d’années – le débat se sera apaisé bien avant d’ailleurs –, tout le monde conviendra que nous avons donné du sens à la peine et que, par conséquent, nous avons lutté de manière efficace contre la récidive. Voilà le pari que je prends et que je peux faire enregistrer chez le notaire, si vous le voulez.

Dans un ressort, il est statistiquement impossible que personne ne présente un profil adapté à la contrainte pénale, pour lequel cette peine serait la plus efficace. Avec les outils que nous avons mis en place, les recrutements de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) que nous avons effectués, la contrainte pénale est la peine la plus adaptée à certains profils qui ont besoin d’un suivi serré. Auparavant, les magistrats n’avaient d’autre choix que de prononcer une courte peine de prison pour des personnes présentant une addiction à l’alcool avec les comportements associés, par exemple, ou pour certains délits qui provoquent une rupture de la socialisation. Or, dans ces cas, la contrainte pénale est une réponse plus adaptée que la courte peine de prison. Il faudra qu’on m’explique pourquoi, dans un ressort entier, personne ne présente un tel profil.

Monsieur le député Rochebloine, je sais que la reconstruction de la maison d’arrêt de Saint-Étienne vous préoccupe profondément. Le préfet est chargé de trouver un terrain, et je pense qu’il vous tient régulièrement informé de ses démarches.

M. François Rochebloine. Le préfet m’informe de cette recherche et des autorisations d’engagements.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Les autorisations d’engagements seront données en 2017.

M. François Rochebloine. Nous pourrons inaugurer le bâtiment en 2020 ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Il sera terminé depuis longtemps !

M. Guy Geoffroy. Vous aurez votre réponse avant moi, cher collègue…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Les vacances de postes dans les prisons vous préoccupent. Comme je l’ai indiqué, 534 postes vont s’ajouter à ceux qu’il était prévu de créer en 2014. Compte tenu de vos interpellations régulières sur les vacances de postes, je ne résiste pas à l’envie de vous fournir quelques détails, quitte à faire des réponses déraisonnablement longues.

Si j’ai obtenu ces postes supplémentaires en juin 2014, c’est parce que j’ai été en mesure de démontrer que, durant trois ans, vous n’avez pas créé les postes inscrits en lois de finances. La formation des nouveaux surveillants a commencé en septembre 2014, et ils vont arriver au fur et à mesure dans les établissements.

Le passage aux 35 heures a engendré trop d’heures supplémentaires, ce qui se répercute sur l’absentéisme. Le taux de vacance de postes se situe en moyenne entre 3 % et 5 % mais il peut monter jusqu’à 8 % dans certains établissements. C’est beaucoup parce que la charge de travail se reporte sur les effectifs en place dont le métier n’est déjà pas simple.

Monsieur Dolez, vous m’avez interrogée sur la réforme de la justice des mineurs…

M. François Rochebloine. Qu’en est-il de l’association Auxilia, madame la garde des sceaux ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avions reçu ses représentants et il était question qu’ils voient le conseil régional et l’Association des régions de France (ARF).

M. François Rochebloine. Deux postes ont été supprimés sur les cinq alors que cette association joue un rôle indispensable !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Ils sont en contact avec la direction de l’administration pénitentiaire, monsieur le député.

Pour en revenir à votre question, monsieur Dolez, l’abrogation des tribunaux correctionnels pour mineurs est prévue dans le projet de réforme de l’ordonnance de 1945. Cette suppression répond à la fois à un engagement du Président de la République et à une demande de tous les chefs de juridiction. Ces tribunaux correctionnels, créés pour juger les récidivistes âgés de seize à dix-huit ans, visaient à rapprocher la justice de mineurs de celle des majeurs. En fait, ils n’ont jugé que 1 % des affaires et dans des délais plus longs que ceux des tribunaux pour enfants. En outre, leurs décisions sont en moyenne d’une sévérité égale ou inférieure à celles des tribunaux pour enfants. Tout le monde peut deviner le type d’adjectif que je serais tentée d’accoler à cette opération.

S’agissant des collaborateurs occasionnels du service public, 40 000 d’entre eux relèvent, en effet, du ministère de la justice. Cette situation, qui dure depuis 1999, n’a jamais été traitée. Nous l’avons prise en charge depuis deux ans. Marisol Touraine et moi-même avons confié une mission à l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui nous a déjà permis de savoir combien de personnes étaient concernées. Jusqu’à présent, nul ne le savait. D’une part, il n’y avait pas de centralisation des statistiques. D’autre part, le statut de ces personnes n’avait pas été clairement défini : certaines ont un lien de subordination avec le ministère, d’autres effectuent des prestations de service assujetties à la TVA. Même les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) n’avaient pas les chiffres. Nous avons déjà provisionné 23 millions d’euros de façon à payer les cotisations sociales qui sont dues, ce qui correspond à environ 40 % du total. Nous sommes donc en train de régler ce dossier.

Monsieur Popelin, vous m’avez interrogé sur la réforme de la procédure pénale, un travail que nous avons engagé depuis plusieurs mois avec le ministère de l’intérieur. La transposition de directives européennes a rendu notre procédure pénale compliquée. Il y a deux ans, j’ai décidé que nous allions reprendre la main afin de redonner de la cohérence à la procédure pénale. En mars 2014, j’ai installé une mission d’une douzaine de personnes, présidée par Bruno Cotte, qui va réfléchir au droit des peines et à la procédure pénale. J’ai aussi confié à une mission à Jacques Beaume, ancien procureur général près la cour d’appel de Lyon, et à Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation. Le groupe de travail dispose d’une partie de ces matériaux puisque la mission Cotte est en train de nous remettre son rapport définitif. À partir de là, nous avons déterminé les mesures nécessaires.

Nous allons faciliter le travail des enquêteurs qui ont été soumis à un empilement de contraintes. Au terme de la réforme, ils ne seront plus obligés d’établir un procès-verbal pour chaque acte procédural, mais ils pourront regrouper tous ces actes dans un procès-verbal unique. Nous allons simplifier d’autres formalités administratives et chronophages telles que l’obligation de demander à chaque fois au procureur l’autorisation d’accéder à des informations. Les procureurs pourront établir des listes de formalités permanentes, et les enquêteurs pourront accéder très rapidement à des fichiers afin d’obtenir des compléments d’information sans avoir à solliciter l’autorisation du parquet. Nous allons créer une plateforme qui permettra aux enquêteurs de disposer immédiatement de l’information disponible sur les avocats, les médecins et les interprètes de permanence. Nous allons permettre à la police scientifique et technique d’effectuer les scellés immédiatement puisqu’elle est sur le terrain et qu’elle effectue les relevés.

Les dispositions réglementaires vont être effectives très vite, dans les semaines à venir. Quant aux dispositions législatives, plus lourdes, elles devraient être finalisées et transmises au Conseil d’État dans le courant du premier trimestre 2016.

Dans le cadre du projet de loi sur la justice au XXIe siècle, nous allons réformer les Conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) dont nous allons mailler le territoire. Nous réformons leur composition mais aussi leur gestion : le procureur sera impliqué davantage, sans pour autant devenir commissaire du Gouvernement. Puisque vous allez examiner ce texte très prochainement, je vous propose de vous donner tous les détails à cette occasion.

Monsieur Dominique Raimbourg, vous connaissez encore mieux que moi le problème de la population carcérale.

Dans les projets de loi J21, nous reviendrons aussi sur la médiation : c’est le titre II du projet de loi organique. Nous harmonisons cette profession libérale qui est exercée de manière très disparate sur le territoire. Nous allons harmoniser à la fois la qualification, la formation, les règles déontologiques, le code disciplinaire, etc. Nous introduisons aussi la conciliation obligatoire. Nous avons prévu d’améliorer l’indemnisation – assez misérable – des conciliateurs qui travaillent gracieusement mais bénéficient de remboursements de frais divers, notamment de transports. Nous remercions les collectivités qui mettent leurs locaux et leur logistique à la disposition de ces conciliateurs.

Le sujet des jeunes majeurs est très important. Nous pouvons prendre en charge les jeunes majeurs, notamment lorsqu’ils ont fait l’objet d’une mesure judiciaire, afin d’éviter que ne s’abatte sur eux le couperet des dix-huit ans. Cependant, depuis la réforme de 2007, les conseils généraux développent des programmes à destination de ces jeunes. Dans un souci de gestion efficace des deniers publics, nous devons travailler davantage en coopération avec les conseils généraux.

Mille excuses à tous d’avoir été trop longue et à certains d’avoir oublié une partie de leurs questions. Je vais passer en revue les questions auxquelles je n’ai pas répondu et je vous ferai parvenir une réponse avant les débats en séance publique.

M. Olivier Audibert Troin. Qu’en est-il du centre pénitentiaire de Draguignan ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. J’ai bien entendu votre question et pris note du problème. Je vous propose une séance de travail, monsieur le député, ce sera plus raisonnable et plus constructif.

M. Pierre-Alain Muet, président. Merci, madame la ministre, pour la précision et l’exhaustivité de vos réponses.

La discussion et le vote en séance publique auront lieu le mercredi 28 octobre.

*

* *

À l’issue de l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission Justice (Mme Élisabeth Pochon, rapporteure pour avis « Accès au droit et à la justice et aide aux victimes » ; M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire » ; Mme Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis « Justice administrative et judiciaire » ; Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis « Protection judiciaire de la jeunesse »).

Conformément aux conclusions de Mme Élisabeth Pochon, Mme Anne-Yvonne Le Dain et Mme Colette Capdevielle, rapporteures pour avis, mais contrairement à l’avis de M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2016.

PERSONNES ENTENDUES

• Ministère de la justice – Direction de l’administration pénitentiaire

—  M. Charles GIUSTI, directeur adjoint

––  M. Bruno CLÉMENT, sous-directeur de l’état-major de sécurité

• Ministère de l’Intérieur – Direction générale de la sécurité intérieure

—  M. Patrick CALVAR, directeur général

—  Mme Lucile ROLAND, directrice de la lutte contre le terrorisme

• Ministère de l’Intérieur - Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)

—  M. Loïc GARNIER, contrôleur général de la police nationale, directeur

—  Mme Agathe LE-HUYNH, chargée de mission auprès du directeur

• Ministère de la Justice – Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

—   M. Olivier CHRISTEN, sous-directeur en charge de la justice pénale spécialisée

—  M. Thomas FIQUET, adjoint au chef du bureau de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et le blanchiment

—  Mme Lise JAULIN, adjointe à la chef du bureau de l’exécution des peines et des grâces

• Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

—  M. Frédéric VEAU, chef du service justice – affaires intérieures

• Conseil français du culte musulman

—  M. Anouar KBIBECH, président

• Tribunal de grande instance de Paris

—  M. Jean-Michel HAYAT, président du Tribunal de grande instance de Paris

—  M. Lionel BARFETY, chargé de mission à la présidence du Tribunal de grande instance de Paris

• Association française des victimes du terrorisme

—  M. Guillaume DENOIX DE SAINT MARC, directeur général, président de la Fédération internationale des associations de victimes du terrorisme (FIAVT)

—  M. Stéphane LACOMBE, responsable communication et projets

Table ronde des syndicats de magistrats

• FO magistrats

—  Mme Béatrice PENAUD, secrétaire générale adjointe

• Syndicat de la magistrature

—  Mme Laurence BLISSON, secrétaire générale

• Union syndicale des magistrats (USM)

—  Mme Véronique LÉGER, secrétaire nationale

—  Mme Céline PARISOT, secrétaire générale

Table ronde des syndicats de l’administration pénitentiaire

• Syndicat des personnels de surveillance non gradés (SPS)

—  M. Philippe KUHN, délégué régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Paris

—  M. Joseph PAOLI, délégué régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Bordeaux

—  M. Pascal GOULARD

• Syndicat libre justice CFTC

—  M. Marcel AJOLET, conseiller technique national chargé des questions politiques et de la justice

—  M. Jean-Marcellin BABIN, conseiller technique national chargé des questions politiques et de la justice

• Syndicat national pénitentiaire FO-personnels de direction

—  M. Jimmy DELLISTE, secrétaire général

—  Mme Lucie COMMEUREUC, trésorière générale adjointe

—  M. Xavier VILLEROY, secrétaire national

• Syndicat national des directeurs pénitentiaires

—  Mme Géraldine BLIN, secrétaire nationale

Contributions ou réponses écrites :

––   M. Vincent LE GAUDU, vice-président, chargé de l’application des peines au Tribunal de grande instance de Paris

—  Ambassade de Belgique

DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS

Maison d’arrêt de Fresnes (Val de Marne) (10 février 2015)

—  M. Stéphane SCOTTO, chef d’établissement

Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) (24 juillet 2015)

—  Mme Nadine PICQUET, chef d’établissement

Centre pénitentiaire de Marseille (Bouches-du-Rhône) (22 septembre 2015)

—  Mme Christelle ROTACH, chef d’établissement

Centre pénitentiaire de Lille-Annœullin (Nord) (5 octobre 2015)

—  Mme Aurélie LECLERCQ, chef d’établissement

Centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) (5 octobre 2015)

—  M. Richard BAUER, chef d’établissement

© Assemblée nationale