N° 214 - Proposition de loi de M. Jean-François Mancel visant à favoriser l'insertion des jeunes sur le marché du travail



N° 214

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 septembre 2012.

PROPOSITION DE LOI

visant à favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-François MANCEL,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si la lutte contre le chômage est l’une des priorités pour notre pays, la lutte contre le chômage des jeunes doit faire l’objet d’une mobilisation particulière. Alors que nous connaissons un vieillissement de notre population, si les jeunes Français peinent à s’insérer sur le marché du travail, c’est la nation toute entière qui peut craindre pour son avenir et qui n’a pas le droit de laisser s’installer la jeunesse dans la désespérance de l’inutilité.

La situation est alarmante. Selon l’INSEE, le taux de chômage des 15-24 ans dans notre pays s’élève à 24 %. Si l’on tient compte de la population étudiante, c’est un sixième de cette classe d’âge qui ne parvient pas à trouver un emploi. Certes ce chiffre doit être considéré au regard du taux de chômage global de notre pays, au-dessus de la barre des 10 %. Pourtant, nos voisins européens nous prouvent que le chômage des jeunes n’est pas une fatalité, à l’image de l’Allemagne ou du Danemark où il est inférieur de moitié à ce qu’il est en France.

Au cours de la précédente législature des progrès importants ont été accomplis qu’il s’agisse du développement de l’alternance et de l’apprentissage comme des incitations à l’embauche des jeunes par les entreprises. Il faut désormais aller plus loin.

Or, le Gouvernement n’en prend pas le chemin. Si l’on en croit son projet de loi la solution réside dans les emplois dits d’avenir qui, hélas, n’assureront aux jeunes qui en bénéficieront une activité ni véritable, ni pérenne. On se contente donc de réinventer, 15 ans après, les défunts emplois jeunes qui coutèrent si cher à la collectivité sans assurer à leurs bénéficiaires une formation utile à une carrière professionnelle. Il en sera de même pour les emplois d’avenir.

C’est pourquoi il faut proposer autre chose.

Il n’est plus à démontrer que l’employabilité se construit bien en amont de l’arrivée sur le marché du travail, à travers un processus d’orientation efficace et une formation favorisant l’accumulation d’expériences professionnelles. Pourtant, force est de constater que de nombreux jeunes souffrent d’une désorientation qui les livre aux méandres de l’enseignement supérieur sans être suffisamment préparés à faire face aux exigences croissantes des recruteurs pour lesquels l’expérience professionnelle compte presque autant que les diplômes. Parallèlement, les premiers emplois sont parfois synonymes d’instabilité ou de précarité au point que certains jeunes se retrouvent condamnés à aller de CDD en CDD, sans réelles perspectives.

Aussi, il faut modifier en profondeur la préparation de leur arrivée sur le marché du travail afin que celle-ci ne soit plus synonyme de traumatisme et faire en sorte que les embauches gagnent en stabilité. Cela suppose trois axes de réformes :

Tout d’abord, il faut lutter contre la désorientation. Notre système d’éducation doit accorder une plus grande importance au processus d’orientation pour que les choix effectués par le collégien, le lycéen et l’étudiant ne soient plus des choix par défaut mais des choix éclairés et volontaristes. Cela passe par une meilleure exploration des différents milieux professionnels au travers d’une augmentation du nombre de stages effectués en cours de scolarité mais aussi par un accompagnement personnalisé, passant à la fois par un renforcement du rôle des conseillers d’orientation et par la mise en place de réseaux d’anciens, à l’image de ce qui est déjà pratiqué dans les grandes écoles.

Ensuite, l’apprentissage et l’alternance, en tant que méthodes de formation permettant d’acquérir une forte professionnalisation, doivent être développés aussi bien dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement supérieur, quelle que soit la filière concernée. À l’image de l’Allemagne où 17 % des étudiants sont formés en alternance, la France doit renforcer ce dispositif qui ne concerne aujourd’hui que 7 % des étudiants.

Enfin, il apparaît nécessaire de réduire les différences entre le CDD et le CDI par la création d’un contrat de travail plus sécurisé pour l’employé et moins contraignant pour l’employeur. Un tel contrat permettrait aux jeunes de disposer d’une situation stable dès l’embauche, situation essentielle dans la mesure où elle conditionne beaucoup d’aspects de la vie courante et, en particulier, l’accès au logement ou au crédit.

Aussi, la présente proposition de loi vise à favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail à travers une meilleure prévention de la désorientation, une plus grande place accordée à l’alternance et à l’apprentissage ainsi que la création d’un contrat de travail unique.

En premier lieu, dans son titre Ier, elle propose des mesures visant à prévenir la désorientation au cours de l’enseignement secondaire.

Dans son article 1er, elle crée deux stages d’observation obligatoires, d’une durée comprise entre deux et quatre semaines, pour les élèves en classe de seconde et de première des séries générales et technologiques.

Dans son article 2, elle établit la création d’un réseau d’anciens élèves au sein de chaque lycée.

Dans son article 3, elle établit la création d’un bureau d’assistance à l’orientation des lycéens, à l’image du bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants, en charge de l’accompagnement des élèves dans leur recherche de stage et leurs questions d’orientation.

Dans son article 4, elle instaure l’obligation pour chaque élève quittant l’enseignement secondaire de s’entretenir au préalable avec un conseiller d’orientation psychologue.

En deuxième lieu, dans son titre II, elle propose des mesures visant à développer l’alternance dans l’enseignement secondaire et supérieur.

Dans son article 5, elle généralise l’apprentissage pour l’obtention des diplômes professionnels.

Dans son article 6, elle instaure l’organisation en alternance de la dernière année du premier cycle de l’enseignement supérieur.

Dans son article 7, elle instaure l’organisation en alternance de la dernière année du deuxième cycle de l’enseignement supérieur.

En troisième lieu, dans son titre III, elle propose de créer un contrat de travail unique.

Dans son article 8, elle abroge les dispositions relatives au contrat de travail à durée déterminée et fait en sorte que les salariés qui dépendent de ces dispositions soient désormais régis par celles qui valent pour le contrat de travail unique.

Dans son article 9, elle remplace le contrat de travail à durée indéterminée par le contrat de travail unique qui en conserve les dispositions à l’exception de celles modifiées par l’article 10 de la présente proposition de loi.

Dans son article 10, elle instaure le contrat de travail unique. Ce contrat engage le salarié et l’employeur pour une durée indéterminée, créé une indemnité de licenciement proportionnelle à la rémunération totale perçue par le salarié depuis la signature du contrat et majorée au cours des dix-huit premiers mois, libère l’employeur de l’obligation de reclassement en cas de licenciement économique en contrepartie d’une contribution de solidarité pour le retour à l’emploi versée aux pouvoirs publics à la suite du licenciement.

PROPOSITION DE LOI

TITRE IER

PRÉVENIR LA DÉSORIENTATION AU COURS DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Article 1er

Deux stages d’observation obligatoires, destinés à sensibiliser les élèves au monde du travail dans le cadre de l’éducation à l’orientation, sont effectués respectivement en classe de seconde et de première des séries générales et technologiques.

La durée de chacun de ces stages doit être supérieure à deux semaines et ne doit pas excéder quatre semaines.

Leur organisation ainsi que leur évaluation sont laissées à l’initiative des établissements.

Article 2

Chaque lycée crée un réseau d’anciens élèves.

Ce réseau doit permettre à chaque lycéen de prendre contact avec d’anciens élèves de l’établissement, devenus étudiants ou actifs, afin de s’informer sur leurs parcours et ainsi mieux préparer son orientation.

Article 3

Un bureau d’assistance à l’orientation des lycéens est créé dans chaque lycée après délibération du conseil d’administration.

Ce bureau est notamment chargé d’accompagner les élèves dans leur recherche de stages d’observation et de les mettre en relation avec les membres du réseau d’anciens élèves.

Article 4

L’article L. 313-1 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les conseillers d’orientation psychologues assistent les élèves des établissements d’enseignement du second degré dans l’élaboration de leur projet d’orientation scolaire et professionnelle en leur proposant notamment des informations et conseils personnalisés. Chaque élève quittant l’enseignement secondaire doit, avant la saisie de ses vœux de poursuite d’étude, s’être entretenu au moins une fois individuellement avec un conseiller d’orientation psychologue. »

TITRE II

DÉVELOPPER L’APPRENTISSAGE ET L’ALTERNANCE
DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ET SUPÉRIEUR

Article 5

Au premier alinéa du I de l’article L. 335-5 du code de l’éducation, les mots : « par les voies scolaire et universitaire, » sont supprimés.

Article 6

L’article L. 612-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 4° D’ouvrir au futur diplômé une porte sur l’emploi à travers l’organisation par alternance de la dernière année du cycle. »

Article 7

L’article L. 612-5 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La dernière année du cycle est organisée par alternance afin de permettre aux étudiants une meilleure insertion sur le marché du travail. »

TITRE III

CRÉATION D’UN CONTRAT DE TRAVAIL UNIQUE

Article 8

I. – Le titre IV du livre II de la première partie du code du travail est abrogé.

II. – Les salariés dont le contrat de travail était régi par ces dispositions dépendent désormais de celles relatives au contrat de travail unique définies par les articles 9 et 10 de la présente loi.

Article 9

I. – Dans le code du travail, les mots : « contrat de travail à durée indéterminée » sont remplacés par les mots : « contrat de travail unique ».

II. – L’ensemble des dispositions relatives au contrat de travail à durée indéterminée est applicable au contrat de travail unique dans la mesure où ces dispositions ne dérogent pas à celles énoncées à l’article 10 de la présente loi.

Article 10

I. – Les employeurs qui entrent dans le champ de l’article L. 1211-1 du code du travail peuvent conclure un contrat de travail dénommé « contrat de travail unique ».

II. – Le contrat de travail défini au I est conclu sans détermination de durée. Il est établi par écrit.

Il est cependant possible de conclure un contrat de travail unique pour une durée minimale dans les cas suivants :

1° Remplacement d’un salarié en cas d’absence, de passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur, de suspension de son contrat de travail, de départ définitif précédant la suppression de son poste de travail ayant fait l’objet d’une saisine du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe, ou en cas d’attente de l’entrée en service effective du salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;

2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu ;

4° Remplacement d’un chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d’une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l’activité de l’entreprise à titre professionnel et habituel ou d’un associé non salarié d’une société civile professionnelle, d’une société civile de moyens ou d’une société d’exercice libéral ;

5° Remplacement d’un chef d’exploitation agricole ou d’entreprise, d’un aide familial, d’un associé d’exploitation, ou de leur conjoint dès lors qu’il participe effectivement à l’activité de l’entreprise ou de l’exploitation agricole.

Sauf accord des parties, le contrat de travail unique conclu pour une durée minimale ne peut être rompu avant l’expiration de cette durée qu’en cas de faute grave ou de force majeure.

III. – Lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié titulaire d’un contrat de travail unique a droit à un préavis dont la durée est déterminée par l’article L. 1234-1 du code du travail.

En cas de licenciement, le salarié titulaire d’un contrat de travail unique a droit à une indemnité de licenciement suivant les conditions déterminées par l’article L. 1234-9 du code du travail. Cette indemnité de licenciement est proportionnelle à la rémunération totale perçue par le salarié depuis la date de signature du contrat et est majorée sur la période des dix-huit premiers mois de contrat selon un mode de calcul fixé par décret.

En cas de licenciement d’un salarié titulaire d’un contrat de travail unique, l’employeur verse aux pouvoirs publics une contribution dénommée contribution de solidarité pour le retour à l’emploi. Cette contribution est proportionnelle à la rémunération totale perçue par le salarié depuis la date de signature du contrat selon un mode de calcul fixé par décret. Elle sert à financer la prise en charge des reclassements effectués par le service public de l’emploi.

En cas de licenciement économique tel que défini par l’article L. 1233-3 du code du travail, l’employeur n’est plus tenu par l’obligation de reclassement définie aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 de ce même code.

Article 11

Les charges qui pourraient résulter pour Pôle emploi de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Les charges qui pourraient résulter pour les régions et pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par le relèvement de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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