N° 524
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2012.
PROPOSITION DE LOI
visant à intégrer au sein du code du travail
des nouvelles dispositions relatives à la
prise d’acte de rupture du contrat de travail,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Bérengère POLETTI,
députée.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Par une série d’arrêts en date du 25 juin 2003, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a initié la mise en place d’un nouveau mode de rupture du contrat de travail : la prise d’acte de rupture.
Pour la jurisprudence, « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ». (Cassation, Sociale, 25 juin 2003, n° de pourvoi : 01-43578).
La prise d’acte de rupture du contrat de travail est donc un mécanisme créé par la jurisprudence qui vise à donner le moyen au salarié de considérer que son contrat de travail est rompu, aux torts de l’employeur. Mais ce sera au Conseil des Prud’hommes de décider si la rupture doit être regardée comme une démission ou comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mais, encore faut-il que la (ou les) faute(s) que le salarié impute à son employeur soient suffisamment graves, c’est-à-dire, ceux qui rendent impossible la poursuite du contrat de travail (Cassation, Sociale, 19 janvier 2005, n° de pourvoi : 03-45018 ; Cassation, Sociale, 30 mars 2010, n° de pourvoi : 08-44236).
Contrairement au principe de droit du travail qui veut que le doute profite au salarié lors d’un litige, dans le cas de la prise d’acte, la charge de la preuve lui incombe et le doute ne lui profite pas non plus (Cassation, Sociale, 19 décembre 2007, n° de pourvoi : 06-44754).
Il appartiendra donc aux juges du fonds d’apprécier souverainement les fautes que le salarié impute à son employeur. Ce sont eux qui devront juger de la gravité de la (des) faute(s) soumise(s) lors de la rédaction de la prise d’acte (Cassation, Sociale, 16 novembre 2004, n° de pourvoi : 02-46048).
A ainsi été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le non-respect du droit au repos hebdomadaire, le fait pour l’employeur d’avoir harcelé sexuellement un salarié, de ne pas payer les heures supplémentaires à un salarié alors qu’elles lui sont dues, ou encore le fait pour l’employeur d’avoir modifié unilatéralement la rémunération d’un salarié, même si c’est dans un sens plus favorable au salarié. Plus curieux encore, le fait pour un employeur de ne pas donner de travail à un salarié justifie la prise d’acte.
A été au contraire, requalifié en démission, la prise d’acte de rupture dans laquelle le salarié reprochait à son employeur des retards dans le paiement de salaires qui s’expliquait par des jours fériés, l’employeur qui aurait modifié le contrat de travail du salarié, alors que les faits qu’il invoquait n’étaient pas établis, non prouvés, le salarié qui reproche à son employeur de ne pas avoir répondu à sa candidature à un plan de départ volontaire dans le cadre d’une procédure de licenciements économiques.
Lorsque la prise d’acte est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est alors ouvert au salarié le droit aux indemnités de préavis, de licenciement, et de congés payés, ainsi qu’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cassation, Sociale, 3 février 2010, n° de pourvoi : 07-42144). Dans le cas contraire, si la prise d’acte est requalifiée en démission, le salarié pourra se voir assujetti à payer à son ancien employeur une indemnité pour non-exécution du préavis (Cassation, Sociale, 2 juillet 2008, n° de pourvoi : 07-42299).
De son côté, l’employeur peut également déclarer qu’un salarié a rompu son contrat de travail de son propre fait. Dans ce cas, l’employeur devra entamer une procédure de licenciement, sans quoi, les juges du fonds déclareront le licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans même avoir à vérifier si les griefs reprochés sont exacts ou non.
À en voir la riche jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation en 2010, on comprend qu’aujourd’hui, la prise d’acte de rupture est devenu un mode de rupture du contrat de travail « banal » mis à la disposition du salarié (même s’il est conseillé à ce dernier de bien peser les pour et les contre avant de se lancer), comme l’est également, de plus en plus, la convention de rupture homologuée.
Depuis 2003 donc, les différentes juridictions sociales, ont donc eu à traiter de différents cas attenants à la prise d’acte de rupture, sans qu’à aucun moment le législateur n’intervienne pour définir strictement cette création prétorienne.
Aujourd’hui, face aux nombreux cas, les juridictions commencent à rendre des arrêts quelque peu surprenants. Le plus surprenant est un récent arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation en date du 12 janvier 2011 (n° de pourvoi : 09-70838).
En effet, dans le cas où un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail suite à un accident du travail, pour lequel il impute à son employeur le grief de ne pas avoir respecté son obligation de sécurité de résultat, la Chambre Sociale a inversé la charge de la preuve : elle n’incombe plus au salarié (comme c’est le cas pour la prise d’acte habituellement) mais à l’employeur.
Cette position de la Cour de Cassation est assez contestable. En effet, elle laisse supposer que lorsque survient un accident du travail, le salarié peut prendre acte de la rupture aux torts de l’employeur, prise d’acte qui ne sera justifiée, seulement si l’employeur n’a pas pu prouver que « l’accident procède d’une cause étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat, ce qui est pratiquement impossible ». (Actualités Sociales – Editions Francis Lefebvre – 2 février 2011).
Ainsi, alors que l’employeur n’est pas à l’initiative de la rupture, c’est à lui qu’il revient de prouver l’existence des griefs invoqués ! C’est tout de même un peu contradictoire. Que l’on impose à l’employeur de prouver les motifs d’un licenciement, c’est logique, puisqu’il est à l’initiative de la rupture, mais lorsqu’il s’agit d’une prise d’acte, c’est tout de même contradictoire. D’ailleurs, si cette jurisprudence évolue et devient un principe pour la prise d’acte, allons-nous aussi bientôt demander à l’employeur de prouver que la démission d’un salarié est bien « claire et non équivoque » ??
La Chambre Sociale de Cour d’Appel de Lyon, dans un arrêt récent du 15 décembre 2010 (n° 10-2044) a également eu, une position quelque peu surprenante. Comme nous l’avons vu précédemment, lorsque la prise d’acte est requalifiée en démission, l’employeur peut demander à son ex-salarié le paiement d’une indemnité pour non-exécution du préavis.
Or, dans le cas présent, la Cour d’Appel de Lyon a confirmé le jugement du Conseil des Prud’hommes qui déclarait la prise d’acte de rupture comme une démission, mais, dans le même temps, a infirmé le jugement pour ce qui est de l’octroi de dommages et intérêts pour la non-exécution du préavis, du fait qu’il « ne ressort d’aucun de ces courriers que l’employeur ait demandé à son salarié d’exécuter son préavis ni que cette absence désorganisait l’entreprise ». Pourtant comme nous l’avons vu, le contrat est rompu immédiatement lorsque le salarié livre sa prise d’acte.
Il est donc assez curieux de demander à l’employeur de prouver qu’il a demandé à son salarié d’exécuter le préavis, alors que l’on vient de confirmer la prise d’acte comme une démission et alors que celle-ci impose la rupture brutale et nette du contrat de travail.
On a donc une position d’une Cour d’Appel (qui sera peut-être réexaminée par la Cour de Cassation) assez contradictoire. Alors que l’on affirme que le salarié a mis en place une procédure quelque peu abusive et non fondée, on refuse l’octroi de dommages et intérêts pour la non-exécution du préavis.
Il serait donc peut-être judicieux pour le législateur d’intervenir sur ce sujet pour qu’il puisse enfin cadrer légalement la prise d’acte de rupture du contrat de travail. C’est ainsi que je vous propose de bien vouloir adopter cette proposition de loi qui vise à insérer de nouveaux articles au sein d’une section 4, au chapitre VII du titre III du livre II de la première partie législative du code du travail.
PROPOSITION DE LOI
Le chapitre VII du titre III du livre II de la première partie du code du travail est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« La prise d’acte de rupture du contrat de travail
« Art. L. 1237-17. – Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d’une démission.
« En prenant acte de la rupture de son contrat de travail, le salarié rompt immédiatement et définitivement son contrat de travail. Aucune rétractation de la prise d’acte n’est possible.
« Il est également possible pour un employeur de prendre acte de la rupture du contrat de travail de l’un de ses salariés en cas de manquements à ses obligations personnelles de ce dernier. Dans ce cas, l’employeur met en place la procédure de licenciement prévue aux articles L. 1232-1 et suivants. »
« Art. L. 1237-18. – Pour que la prise d’acte de rupture du contrat de travail puisse être valable, celle-ci doit reposer sur des motifs et faits suffisamment graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail et qui devront être exposés dans la lettre de rupture.
« La lettre de rupture peut se faire par tous moyens écrits. Elle ne peut être verbale. »
« Art. L. 1237-19. – Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, l’employeur met immédiatement à la disposition du salarié ses documents de fin de contrat : certificat de travail, attestation Pôle Emploi et solde de tout compte.
« Sur l’attestation Pôle Emploi, l’employeur précise le mode de rupture, en apposant la mention "prise d’acte du contrat de travail". »
« Art. L. 1237-20. – La requalification de la prise d’acte de rupture du contrat de travail en démission ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse est appréciée souverainement par les juges du fond siégeant au conseil des prud’hommes en fonction des éléments produits par les parties. »
« Art. L. 1237-21. – En matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail, le doute ne profite pas au salarié, sur qui pèse la charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
« Il en est de même, réciproquement, lorsque c’est l’employeur qui prend acte de la rupture du contrat de travail. »
« Art. L. 1237-22. – En cas de requalification par le conseil des prud’hommes de la prise d’acte de rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à :
« – Une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement, telles que prévues par les articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-2 du présent code ;
« – Une indemnité compensatrice de congés payés ;
« – Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
« En cas de requalification par le conseil des prud’hommes de la prise d’acte de rupture du contrat de travail en démission, l’employeur peut prétendre à une indemnité pour non-exécution du préavis par le salarié. »
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