N° 1649
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2013.
PROPOSITION DE LOI
visant à rétablir la manifestation de volonté et à instituer
un serment républicain afin d’obtenir la nationalité française pour les individus nés en France de parents étrangers
et par mariage,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Messieurs
Thierry MARIANI, Gérald DARMANIN, Jean-Pierre DECOOL, Nicolas DHUICQ, Lionnel LUCA, Alain MARSAUD, Philippe MEUNIER, Dominique TIAN, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL et Michel VOISIN,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plus d’un siècle, la France est une terre d’immigration, elle a intégré plusieurs vagues de migrants qui se sont fondus dans la population française et sont venus enrichir et diversifier la société. Il existe une réelle tradition d’accueil dans notre pays. La France a d’ailleurs joué un rôle de pionnière en la matière pour toute l’Europe, elle a été la première à faire de la nationalité un droit de la personne, la première à devenir un pays d’immigration. Chaque année, quelque 200 000 étrangers entrent sur le territoire national. Et près de 50 000 personnes ont obtenus la nationalité française au terme de la procédure de naturalisation en 2012. Aujourd’hui, l’objectif du Gouvernement est d’augmenter les naturalisations.
L’article 21-7 du code civil sur le droit du sol témoigne de l’ouverture de notre pays. La nationalité française est conférée de plein droit à l’enfant né en France de parents étrangers, lorsqu’il réside en France à sa majorité et s’il y a eu sa résidence habituelle pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans.
L’acquisition de la nationalité française peut toutefois être anticipée dès l’âge de 13 ans (article 21-11), par déclaration souscrite devant le juge d’instance, conformément aux articles 26 et suivants du code civil. L’acquisition de plein droit de la nationalité française peut être également refusée dans le délai de 6 mois précédant la majorité et dans l’année suivante (article 21-8).
Aujourd’hui, la nationalité n’est pas une garantie suffisante d’intégration pour l’étranger, l’intégration ne saurait se résoudre dans l’acquisition de la nationalité. Le développement de nouvelles formes d’exclusion sociale et économique, l’érosion de la souveraineté nationale, placent le problème de l’intégration au cœur de l’actualité.
Force est de constater que le sentiment d’appartenance à la Nation s’affaiblit et l’idée de construire ensemble une communauté de destin ne fait plus rêver.
Or, la diversité qui fait notre richesse ne doit pas affaiblir notre unité. Nos valeurs républicaines doivent être le ciment d’une identité partagée et reconnue par tous.
Certains facteurs peuvent jouer aujourd’hui, dans le sens d’une intégration plus facile et plus rapide. La politique de nationalité peut et doit jouer un rôle positif dans le processus d’intégration. Celle-ci sera d’autant plus aisée que la conscience d’une identité française sera plus forte.
C’est pourquoi il semble opportun de se montrer favorable aux solutions qui favorisent un passage conscient et organisé vers la Nation.
En ce sens, l’idée de cette proposition de loi est d’instituer un serment républicain, que les jeunes appelés à recevoir de plein droit la nationalité française à leur majorité, doivent exprimer, par écrit mais aussi de vive voix. Cette démarche s’inscrit parfaitement dans la conception
élective – propre à la France – et non raciale de la Nation.
Cette volonté de réforme s’inscrit parfaitement dans le débat qui a eu lieu sur l’identité nationale.
En 2006, le rapport « immigration et intégration », dont Thierry Mariani fut le rapporteur, a marqué un premier pas. En effet, une cérémonie d’accueil fut instituée pour les personnes acquérant la nationalité française par mariage, par adoption et naturalisées par décret. Dans cette continuité, ladite proposition de loi vise à solenniser davantage l’acquisition de la nationalité française.
L’institution du droit du sol en France : une réponse aux exigences du moment
À l’origine, le droit du sol n’avait pas été introduit dans notre droit pour les visées humanistes qui sont aujourd’hui les nôtres.
Notre droit du sol n’est pas un héritage de la révolution. À travers le terme de Nation, c’est la notion politique de citoyenneté qui était consacrée par la Constitution de 1791.
Le droit du sang s’imposait sous Napoléon ; il traduisait une volonté de rompre avec le droit féodal et de faire de la nationalité une prérogative de l’individu. « La nationalité est désormais un attribut de la personne, elle se transmet comme le nom de famille, par la filiation. Elle est attribuée une fois pour toutes à la naissance, et ne dépend plus de la résidence sur le territoire de la France, signe sous l’ancien régime de l’allégeance au souverain... ».
En dépit de quelques tensions, le droit du sang sera maintenu sans changement notable jusqu’en 1889, date charnière à laquelle une loi crée le droit du sol, inaugurant une spécificité française. Plusieurs facteurs ont contribué à cette modification considérable du droit. D’abord, la démographie ; la France étant devenue un pays d’immigration, la République veut imposer l’égalité des droits et des devoirs à tous les citoyens nés et socialisés en France. La faiblesse de la natalité française par rapport au dynamisme de l’Allemagne inquiétait particulièrement les autorités, dans un « climat de revanche ». Ensuite, la géopolitique. La colonisation algérienne amène un fort contingent de population étrangère, notamment des Espagnols et des Italiens. Inquiètes du nombre d’étrangers, les autorités politiques font pression pour que les enfants soient français à leur naissance, ce qui constituait une manière déguisée d’élargir la présence française dans la colonie. Enfin, dernière raison, les tensions sociales entre ressortissants français et étrangers sur le territoire, liées au service militaire. En effet, les jeunes citoyens français sont tenus de faire leur service militaire (1872) et voient leurs camarades étrangers exemptés de toute obligation de ce type; situation vécue comme une injustice par les premiers. C’est donc par souci d’égalité et pour désamorcer toute velléité de xénophobie que le droit du sol est établi.
Notre législation est restée celle de 1889 jusqu’aux années 1980. À la suite de la publication du rapport de la commission des sages, en 1986, sous la direction de Marceau Long, le débat sur une « citoyenneté non automatique » s’est ouvert.
La loi du 22 juillet 1993 a alors institué la procédure par laquelle il fallait que les enfants nés en France de parents étrangers, demandent l’acquisition de la nationalité et fassent « expression de leur volonté individuelle ». Cette demande est, pour beaucoup, une promotion de la notion de citoyenneté et une prise de conscience de son appartenance nationale, en étant la « première forme d’expression d’un engagement civique ». Le débat sur l’exclusion des empêchements généraux à l’acquisition de la nationalité française visés à l’article 21-27 du code civil avait été très vif en 1993. Il fut relancé en 1998, où une série d’amendements fut proposée pour tenir compte des condamnations pénales prononcées contre les mineurs ainsi que de la régularité de la résidence de l’enfant ou de ses parents.
En 1998, la loi Guigou a fini par supprimer cette manifestation de volonté. Le retour à l’acquisition automatique de la nationalité pour les jeunes bénéficiant du droit du sol a mis un terme à cette évolution. En réalité, les motivations de ce texte étaient largement politiques. En parlant de « restauration du droit du sol », le programme socialiste aux élections de 1998 proposait l’impossible, puisque ce droit n’avait jamais été supprimé. Précipité par les circonstances politiques du moment, cette mesure n’a pas reflété le bilan pourtant positif de la manifestation de volonté. Elle a vidé de son sens la nationalité en refaisant des Français « sur papier » sans entendre leurs volontés.
Une intégration à parfaire
Parallèlement, l’immigration a changé. Jusqu’au début des années 1960, la majorité de la population immigrée était originaire de pays européens (Belges, Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais). On parle alors d’une « migration de voisinage ». Avec le développement des transports, et la restructuration du secteur industriel, l’immigration s’est mondialisée et tertiarisée.
Depuis 1974 et les effets de la politique de regroupement familial, les logements sociaux et particulièrement les HLM permettent de reloger les populations immigrées dans des cités où elles sont désormais majoritaires. Cela est alors perçu comme une concentration en ghettos dans les périphéries urbaines et dans certains quartiers où se conjuguent chômage, désagrégation sociale, insécurité et pauvreté extrême. La ségrégation socio-spatiale dont les populations immigrées ont été victimes a sans conteste empêché le brassage avec les autochtones et développé un esprit de communautarisme. Cette exclusion a freiné et ébranlé le prestige de la société française. Les caractéristiques géographiques et culturelles de ces populations ont donc changé.
Par ailleurs, les facteurs traditionnels d’intégration sociale – le creuset constitué par l’école, l’Église, le service militaire, le militantisme, la famille – ont perdu de leur efficacité.
Ces institutions œuvraient pour l’intégration en transmettant aux étrangers les valeurs sur lesquelles s’accordaient les Français.
Force est de constater qu’il existe aujourd’hui une véritable érosion du sentiment d’appartenance nationale. Plusieurs facteurs en sont à l’origine comme l’altération de certains éléments de souveraineté et du sentiment patriotique ou la promotion des groupes minoritaires,
Certains événements ont remis en cause le contenu des trois valeurs républicaines qui fondent la Nation : citoyenneté, nationalité et laïcité.
Des groupes sociaux se sont affirmés, estimant former une communauté et revendiquant une culture propre et un « droit à la différence » qui ne leur serait pas reconnu. Certaines de ces minorités s’organisent en véritables sociétés parallèles et se sont exclues de la communauté nationale. Leurs membres estiment appartenir à leur groupe avant d’appartenir à la communauté nationale.
À titre d’exemple, l’offense faite à la marseillaise lors de rencontres sportives a révélé à la fois un malaise et une attente ; l’opinion publique en fut d’ailleurs profondément choquée.
Rétablissement de la manifestation de volonté et institution d’un serment républicain
Tirant les conséquences de ce constat de l’affaiblissement des automatismes sociaux et culturels et considérant que l’expression de la volonté ne peut que favoriser l’intégration, il est opportun de proposer que les enfants nés en France de parents étrangers ayant résidé en France pendant une période significative expriment leur volonté d’appartenir à la nation française par le biais d’un serment républicain. Il s’agirait donc de compléter ce creuset français par cet autre mécanisme.
L’acquisition de la nationalité française constitue une étape essentielle dans le processus d’intégration d’un étranger à la communauté nationale. Dès lors, il est important que ce moment soit mis en valeur par une manifestation solennelle et symbolique d’accueil dans la citoyenneté française. Une procédure de naturalisation ne doit pas se résumer à de simples formalités administratives. Elle doit être un acte volontaire et un rituel civique.
Ce serment imposerait formellement aux individus une plus forte conscience de certaines obligations en même temps qu’elle leur confère un statut, matérialisé par des droits. L’adhésion aux valeurs républicaines doit se faire en toute conscience.
Une nation est avant tout une association d’individus, unis par des liens contractuels, manifestant leur volonté de vivre ensemble sous les mêmes lois. Chaque volonté manifestée – qui sera un acte libre, éclairé et responsable – forgera l’attachement moral et civique à la Nation.
En outre, la question de la double appartenance, la référence à l’origine et l’appartenance à l’espace local (l’environnement) des pratiques quotidiennes se posent pour ces jeunes gens et ces jeunes filles, pour qui la nationalité des parents est soit une référence refuge, soit l’objet d’un rejet temporaire. Il convient de souligner qu’une appartenance pleine et entière à la France n’est pas incompatible avec une référence extérieure, avec une fidélité à la culture d’origine. Il ne s’agit pas d’ignorer la nostalgie qu’éprouvent ces jeunes par rapport à leurs racines. Prêter serment n’est en aucun cas oublier les identités et histoires familiales mais respecter les mémoires et les cultures en les intégrant au sein de notre République.
Être français signifie avoir des droits et des devoirs induits par cette appartenance.
Le corpus des lois et règlements impose en effet des obligations, des droits, des règles de vie en société ainsi que certains comportements et, surtout, en interdit d’autres (interdiction de la polygamie, de l’autodéfense, respect de l’enfant, les procédures de divorce...). Chaque citoyen est un héritier de sa communauté nationale, un individu libre de ses opinions mais qui se voit imposer des valeurs et des modes de vie que doivent partager les personnes vivant en France.
La majorité est une étape importante dans la vie d’un citoyen, âge propice à la réflexion sur son identité.
Le serment serait le dernier acte d’une procédure de naturalisation engagée. Il paraît naturel d’exprimer clairement cette volonté, après avoir développé de solides racines, de s’être attaché à notre histoire, à notre patrimoine et à nos valeurs : la liberté (conçue comme l’affirmation de l’autonomie individuelle contre le groupe), la laïcité (fondée sur la neutralité de l’État et la privatisation des identités), l’égalité (comprise comme uniformité de traitement), la fraternité (impliquant la transcendance des particularismes au nom de l’intérêt commun) ; mais aussi l’universalité.
De plus, ce serment républicain doit également être institué dans la procédure de naturalisation par mariage. Il ne serait pas équitable que les personnes accédant à la nationalité française par ce mode puissent s’acquitter de cette dernière phase d’intégration.
Cela permettra de se doter d’un véritable sentiment d’appartenance à un pays commun, il s’agit donc d’un puissant moyen d’unification. Les gens s’accordent plus de valeur dans la mesure où ils se sentent attachés par des liens communs.
Il y a une part d’affect, d’émotion, de passion, bien au-delà de l’attachement simplement raisonnable aux lois d’un pays. C’est cette intimité du sentiment national qui le rend exaltant. La nation française est bien plus qu’un fait, c’est une idée.
Puis, c’est également un honneur pour les nationaux d’accueillir des étrangers qui se reconnaissent en eux et qui leurs témoignent leur amour, en les enrichissant de leurs origines et leurs héritages culturels.
PROPOSITION DE LOI
L’article 21-7 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 21-7. – Tout individu né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de dix-huit ans et jusqu’à l’âge de vingt et un ans, acquérir la nationalité française, à condition qu’il manifeste sa volonté par le biais d’un serment républicain, selon les modalités prévues au dernier alinéa de l’article 21-2, qu’il réside en France à la date de la manifestation de volonté et qu’il justifie d’une résidence habituelle en France pendant une période d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans.
« Les tribunaux d’instance, les préfectures, les collectivités territoriales et les établissements d’enseignement sont tenus d’informer le public en matière de droit de la nationalité.
« Les établissements scolaires du second degré devront notamment dispenser à tous les individus en classe de troisième les principes fondamentaux qui régissent la nationalité française et les conditions d’acquisition en vertu des dispositions prévues par le présent paragraphe.
« Les préfectures devront informer les individus nés en France qui déposent une demande de titre de séjour en application des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de la possibilité de demander la nationalité française. »
L’article 21-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 21-11. – L’enfant mineur né en France de parents étrangers peut réclamer la nationalité française par déclaration dans les conditions prévues par les articles 26 et suivants du présent code si, au moment de la déclaration, il prête le serment républicain, il a sa résidence habituelle en France depuis au moins cinq années. »
L’article 21-2 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après la première occurrence du mot : « déclaration », sont insérés les mots : « et prestation de serment républicain ».
2° À la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : « déclaration », sont insérés les mots : « et du serment républicain ».
3° Cet article est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La déclaration est faite dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants. Par dérogation aux dispositions de l’article 26-1, elle est enregistrée par le ministre chargé des naturalisations.
« Le contenu et les modalités du serment républicain sont définis par décret en Conseil d’État. »
L’article 21-3 est complété par les mots : « et le serment républicain prononcé ».
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