N° 1922
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mai 2014.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Éric CIOTTI,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’indépendance et l’impartialité de la Justice sont consubstantielles à l’État de droit.
René Capitant définissait l’indépendance comme la « situation d’un organe ou d’une collectivité qui n’est pas soumis à l’autorité d’un autre organe ou d’une autre collectivité ». L’indépendance des juges et des tribunaux relève par essence de leur statut : elle renvoie à l’absence de lien de soumission envers le législateur et le gouvernement dans l’exercice de la fonction judiciaire. Ainsi, les magistrats doivent être libres de statuer à l’abri de toute pression, en conscience.
L’impartialité, quant à elle, renvoie à un état d’esprit ou une attitude du juge faisant abstraction de toute autre considération que celle d’appliquer aux faits la règle de droit pertinente. L’impartialité s’impose donc au juge comme l’exigence de travailler à l’abri de tous préjugés et dans la plus grande neutralité. Elle doit être bien entendu subjective mais aussi objective. Subjective, car un tribunal ne peut pas prendre le parti d’une thèse parce qu’elle se rapproche de ses propres opinions personnelles, ou favoriser une partie par sympathie. L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme exige aussi du juge une impartialité que l’on qualifie d’objective c’est-à-dire que le juge ne doit pas seulement être impartial mais il doit également donner l’image de l’impartialité. C’est ce que l’on appelle la « théorie des apparences » caractérisée par l’adage anglo-saxon tiré d’une formule de Lord Hewart « Justice must not only be done, it must also be seen to be done » (la justice doit être rendue mais elle doit également paraître comme étant rendue).
Ces derniers mois, dans l’actualité judiciaire, il a beaucoup été question de l’impartialité des magistrats, non seulement avec la récente affaire des écoutes de l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, et de son avocat – qui a suscité une vive émotion dans la population – mais surtout avec l’affaire dite « du mur des cons », qui avait révélé à travers une vidéo la politisation de certains magistrats. Ainsi, on a pu découvrir que le local syndical du Syndicat de la magistrature abritait un panneau intitulé « le mur des cons » sur lequel étaient affichées les photos d’hommes politiques, intellectuels et journalistes majoritairement de droite.
Avec toutes ces affaires où l’impartialité des magistrats est affaiblie, c’est toute l’institution judiciaire et l’État de droit qui vacillent. D’ailleurs, de récentes études ont révélé que les Français sont de plus en plus sévères avec la justice et perdent progressivement confiance dans cette institution. Ils n’étaient plus que 50 % en octobre 2013 selon l’IFOP contre 63 % en mai 2008 à lui accorder leur confiance. Ils sont 75 % à trouver que la justice fonctionne mal (+ 10 points par rapport à juin 2013) et 57 % ne croient pas les juges d’instruction indépendants du pouvoir politique (stable par rapport à l’an dernier) selon le baromètre BVA de février 2014. Une des raisons pour lesquelles nos concitoyens font de moins en moins confiance à la Justice réside sans aucun doute dans ces nombreuses affaires médiatiques où l’ensemble de l’institution judiciaire a été mise à mal par le comportement d’une minorité de magistrats. Ces derniers, alors qu’ils sont censés rendre la justice au nom du peuple français, expriment, sous couvert de liberté syndicale, des positions politiques.
Notre démocratie exige des magistrats qu’ils soient rigoureusement indépendants et impartiaux. Lorsque tel n’est plus le cas, on peut donc en déduire que les règles qui leurs sont applicables en matière de devoir de réserve et d’impartialité ne sont plus adaptées.
Chacun sait que la responsabilité est la contrepartie légitime et désirable de la liberté. Mais garantir l’indépendance et l’impartialité, c’est aussi assurer à ses titulaires les moyens d’exercer leurs fonctions. C’est pourquoi il est légitime de s’interroger sur l’opportunité d’interdire le syndicalisme au sein de la magistrature comme c’est déjà le cas dans d’autres pays européens.
En France, le droit syndical est un principe constitutionnel et garanti pour les fonctionnaires par l’article 8 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ainsi libellé : « Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer, y exercer des mandats. »
Toutefois, le statut des magistrats déroge au statut général des fonctionnaires. En effet, afin « [d’] opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte » (CE 7 juillet 1950, arrêt Dehaene) certaines catégories de fonctionnaires se sont vu retirer le droit de grève et ont été placées en catégorie spéciale. Certains juristes parlent alors de « statut spécial » tandis que d’autres y voient plutôt un « statut particulier dérogatoire ». Il en est ainsi des :
– Personnels de police, classés en « catégorie spéciale » par la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 (loi n° 47-2384 du 27 décembre 1947, pour les CRS). Mais, si la loi leur a retiré le droit de grève, elle ne les a pas pour autant privés du droit syndical (CE 25 mai 1966, sieur Rouve) ;
– Personnels de l’administration pénitentiaire, classés en « catégorie spéciale » par l’ordonnance du 6 août 1958 : leur statut ne porte pas atteinte « au libre exercice du droit syndical » ;
– Personnels de la navigation aérienne, la loi n° 64-650 du 2 juillet 1964 leur avait retiré le droit de grève ; mais la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 le leur a redonné, tout en leur imposant un certain nombre d’obligations. Leur classement en « statut spécial » a été maintenu (par les lois n° 89-1007 et 90-557) mais leurs statuts particuliers peuvent déroger au titre II et aux articles 12 et 16 du titre I du statut général des fonctionnaires ;
– Personnels des transmissions du ministère de l’intérieur, qui sont soumis à un statut comparable depuis la loi de finances rectificative pour 1968 (loi n° 68-695 du 31 juillet, art. 14).
À ces différentes catégories viennent s’ajouter les militaires qui sont privés du droit syndical. Ainsi, la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 dispose en son article 6 que « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical … [est] incompatible avec les règles de la discipline militaire ».
En ce qui concerne les magistrats qui, comme les autres catégories d’agents publics qui viennent d’être citées, ne relèvent pas du statut général des fonctionnaires, ils jouissent dans la pratique du droit syndical, même si leur statut n’y fait pas référence (CE 1er décembre 1972, Demoiselle Obrego). Toutefois, le recours à la grève leur est interdit (ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958).
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule en son article 11 que « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. » Toutefois, l’alinéa 2 dudit article rappelle que « le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
C’est ainsi que la Constitution espagnole, dans son article 127 du titre VI portant sur le pouvoir judicaire, a prévu l’interdiction pour tous les magistrats en activité d’appartenir à des syndicats ou à des partis politiques afin de garantir leur totale impartialité : « Les juges et les magistrats ainsi que les procureurs, tant qu’ils sont en activité, ne peuvent exercer d’autres charges publiques, ni appartenir à un parti politique ou à un syndicat. » (article 127 al. 1 de la Constitution espagnole).
L’objectif de la présente proposition de loi organique consiste donc à mieux encadrer l’exercice du devoir de réserve des magistrats en interdisant toute appartenance à un syndicat ou à un parti politique afin de garantir l’indépendance et l’impartialité en tant que valeurs essentielles de l’autorité judiciaire face à d’éventuelles options partisanes.
Tel est le sens de la présente proposition de loi organique qu’il vous est demandé d’adopter.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
L’article 10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est remplacé par les dispositions suivantes :
« Toute délibération politique est interdite au corps judiciaire.
« Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration ou adhésion à une organisation de nature politique ou syndicale incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.
« Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions. »
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