N° 1981 - Proposition de loi de M. Armand Jung visant à lutter contre la tenue de réunions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe



N° 1981

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la tenue de réunions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Armand JUNG,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La liberté de réunion, permet à tout citoyen de participer à la vie, tant politique qu’économique, de la Cité.

Ce droit fondamental de la personne, consacré par la loi du 30 juin 1881, a été érigé en principe à valeur constitutionnelle.

Composante essentielle de la vie sociale, cette liberté publique est également consacrée par l’ordre juridique international et européen.

L’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association (...). L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions, que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (...) ».

La liberté de réunion est un élément essentiel de la vie publique, nécessaire à la santé de toute démocratie (CEDH, 26 avril 1991, Ezelin contre France, Série A, numéro 202).

La Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que, pour être pleinement protégée, la liberté de réunion doit néanmoins être « pacifique ». La Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg met ainsi à la charge des États parties une obligation positive de protection et de sécurité. Dès lors qu’existe un risque sérieux et objectif d’atteinte aux droits et libertés d’autrui, une ingérence dans la liberté de réunion peut être justifiée (Comm. EDH, Req. n° 8440/78, 16 juillet 1980, Christians against Racism and Facism contre Royaume-Uni). Lesdites restrictions à la liberté de réunion doivent constituer des mesures légitimes et strictement nécessaires au but poursuivi, eu égard aux principes gouvernant tout État de droit.

– Dans un esprit plus général, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 21 décembre 1965, oblige les États parties à « lutter activement contre le racisme et notamment à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la haine raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes ».

– Le droit comparé est également une source précieuse d’enseignement et d’inspiration : la liberté de réunion peut être encadrée, en cas d’impérieuse nécessité, afin qu’elle se concilie pleinement avec le respect de la dignité humaine mais aussi avec le principe d’égalité, en particulier.

La loi allemande sur les associations (Vereinsgesetz), dispose expressément que les associations dont les buts sont contraires à l’idée d’entente entre les peuples sont interdites. Les partis politiques allemands, qui dans leurs buts ou dans l’attitude de leurs adhérents, cherchent à porter atteinte à l’ordre fondamental libre et démocratique, sont déclarés anticonstitutionnels et doivent être dissous. En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a interdit un rassemblement le 27 janvier 2001, journée de commémoration de l’Holocauste (BVerfG, 26 janvier 2001, DVBI.2001, 558).

En Autriche, la loi d’interdiction (Verbotsgesetz), est un texte législatif dont la philosophie est conforme au Traité de Vienne de 1955, qui enjoint à l’Autriche de dissoudre toutes les organisations nationales-socialistes et de sanctionner toutes les activités de ces entités. Il convient de noter que ces dispositions ont fait l’objet d’une adhésion unanime, dès le 8 mai 1945, date de la promulgation de la première version de ce texte. La Loi autrichienne sur les réunions (Versammlungsgesetz) prévoit ainsi que les réunions peuvent être interdites par les autorités si elles poursuivent un objectif mettant en danger la sécurité ou l’intérêt public. Si une telle réunion devait néanmoins se tenir, cette dernière doit être dispersée. La Haute juridiction autrichienne a considéré que l’interdiction d’une réunion pouvait être justifiée, s’il était supposé que des idées nationales-socialistes allaient être exprimées lors de cette réunion, par le biais de la diffusion de chansons ou encore le port de certains emblèmes (VfGH, 28 juin 1979, VfSlg.8610).

En droit interne, l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, punit « la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La profération de cris et chants séditieux dans des lieux ou des réunions publics est punie d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. S’agissant de la diffamation et de l’injure non publiques, présentant un caractère raciste ou discriminatoire, les articles R. 624-3 et R. 624-4 du code pénal prévoient une peine d’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe.

Nonobstant l’existence de cet arsenal juridique, notre pays est en proie à de sérieuses difficultés, au regard de la mise en œuvre de la liberté de réunion consacrée par la loi du 30 juin 1881.

Afin de contourner les législations européennes évoquées plus haut, des néonazis originaires de toute l’Europe, organisent malheureusement des réunions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe sur notre territoire, en particulier dans des régions frontalières, comme l’Alsace.

En effet, lors de mises à disposition de salles communales par les maires, les organisateurs de ces groupements ont argué de la mise en œuvre d’événements culturels ou sportifs, alors que dans les faits, il s’est avéré que l’objet et la finalité même de ces réunions ont été de faire l’apologie des crimes contre l’humanité perpétrés sous le IIIe Reich, au sens du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg.

Force est de constater que certains individus, animés par des intentions résolument racistes, organisent en toute impunité des rassemblements néonazis qui représentent, en tant que tels, des atteintes intolérables aux valeurs républicaines.

L’état actuel de notre législation montre ainsi ses limites au regard de la répression des actes racistes, antisémites et xénophobes. Si les maires sont investis d’un pouvoir général de police en cas de trouble à l’ordre public, ils se trouvent néanmoins désemparés face à l’organisation de telles réunions ayant pour objet de provoquer la discrimination, la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

La présente proposition de loi vise à renforcer les moyens d’action des pouvoirs publics en apportant des aménagements, nécessaires et légitimes, à la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion et à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Il est ainsi proposé de « lutter contre la tenue de réunions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe », afin de conférer notamment plein effet utile aux engagements internationaux et européens pris par notre pays.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article 2 de la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 2. – Est contraire à l’ordre public l’organisation de toute réunion à l’occasion de laquelle est faite l’apologie des crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, et qui ont été commis par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »

Article 2

Dans le dernier alinéa de l’article 8 de la même loi, après le mot : « articles », est insérée la référence : « 2, ».

Article 3

Le dernier alinéa de l’article 9 de la même loi est complété par les mots : « ou si est tenue une réunion contraire à l’ordre public, notamment au sens de l’article 2 de la présente loi. »

Article 4

Le cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Sous réserve des dispositions de l’alinéa suivant, seront punis de la même peine ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront fait l’apologie de crimes mentionnés aux alinéas 1 à 3.

« Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront fait l’apologie des crimes contre la paix, crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes de collaboration avec l’ennemi. »

Article 5

L’article 25 de la même loi est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 25. – L’interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-30 du code pénal, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable de l’une des infractions définies au troisième alinéa de l’article 24 et à l’article 24 bis. »

Article 6

Les conditions d’application de la présente loi seront précisées par décret en Conseil d’État.


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