N° 2275 - Proposition de loi de M. Élie Aboud portant reconnaissance officielle de la responsabilité de l'Etat français dans le drame du 26 mars 1962, rue d'Isly, au cours de la guerre d'Algérie



N° 2275

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014.

PROPOSITION DE LOI

portant reconnaissance officielle de la responsabilité de
l’État français dans le drame du 26 mars 1962, rue d’Isly,
au cours de la guerre d’Algérie,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Élie ABOUD, Michèle TABAROT, Jean-Louis COSTES, Jean-Michel COUVE, Georges FENECH, Julien AUBERT, Guy TEISSIER, Christian KERT, Lucien DEGAUCHY, Jean-Claude GUIBAL et Jacques Alain BÉNISTI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a 52 ans, le 26 mars 1962, une semaine seulement après le cessez-le-feu en Algérie en date du 19 mars 1962, des Français d’Algérie tombaient sous les balles d’une unité de l’armée française.

Le 23 mars, le quartier de Bab-el-Oued était bouclé et soumis à une fouille inhumaine. Les maisons étaient mitraillées, c’est ainsi qu’une petite fille fut assassinée alors qu’elle jouait à l’intérieur de l’appartement de ses parents. Femmes, enfants, vieillards manquaient de vivres, de médicaments…

Le 26 mars, trois jours après le début de ce bouclage, les Français d’Algérie manifestaient pacifiquement à Alger, drapeaux tricolores à la main, pour marquer leur attachement à cette terre française qui les avait vu naître, pour soutenir moralement les habitants du quartier de Bab-El-Oued et afin d’apporter des vivres, des médicaments. Rien ne fut fait pour empêcher les Algérois de manifester. Le Préfet Vitalis-Cros n’avait pas cru devoir instaurer de couvre-feu.

Sans sommation, à 14 h 50, la troupe du 4ème régiment de tirailleurs ouvrit le feu, s’acharnant sur ceux qui s’étaient jetés à terre afin de se protéger. La version officielle dira que des coups de feu avaient été tirés d’un toit vers les militaires. Mais ceux-ci, au lieu de riposter vers le toit où devrait se trouver le prétendu tireur, tiraient à l’arme automatique dans la foule, frappant dans le dos des manifestants qui tentaient vainement de s’enfuir.

Cette fusillade unilatérale durera environ 12 minutes. La France n’avait pas respecté le cessez-le-feu.

Le bilan officiel fut de 49 morts et plus de 200 blessés. Toutes les victimes furent du côté des civils. Pas un mort du côté militaire.

Les familles ne purent enterrer leur mort dignement, les obsèques religieuses furent interdites. Les corps furent amenés directement aux cimetières par camion militaire au jour et à l’heure choisis par les autorités.

Loin de la « bavure » imputable à quelques militaires, une telle action, requérant des moyens matériels et humains conséquents, organisée et coordonnée, a été sciemment confiée par certains responsables français à une unité inapte au maintien de l’ordre.

Il s’agit d’un événement d’une gravité exceptionnelle, de la répression d’État la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue depuis la Commune.

Durant de nombreuses années, les autorités françaises ont imposé le silence sur cette page dramatique de notre histoire.

Grâce aux travaux de chercheurs et historiens français (J.J. Jordi), les circonstances du massacre perpétré le 26 mars 1962 sont aujourd’hui connues. À cet égard, afin que toute la lumière soit faite sur cet événement, le libre accès à l’ensemble des archives doit être pleinement garanti.

Cinquante-deux ans après ce massacre, il est grand temps que l’État français rompe définitivement avec le silence et reconnaisse officiellement les crimes commis le 26 mars 1962 lors de la manifestation pacifique.

C’est le vœu de l’association des familles des victimes de cette terrible fusillade.

En reconnaissant officiellement sa responsabilité, l’État français œuvrerait ainsi en faveur de la réconciliation des mémoires et permettrait aux familles de commencer, 52 ans après ce crime, leur travail de deuil.

Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent donc que la France, par la voix de son Parlement, reconnaisse officiellement la responsabilité de l’État dans le massacre commis pour réprimer la manifestation pacifique du 26 mars 1962.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La France reconnaît officiellement le massacre des Français d’Algérie, en exécution des consignes données par la République Française de réprimer par tous moyens la manifestation pacifique du 26 mars 1962 à Alger, chef-lieu de département alors français.

Article 2

Un lieu national d’hommage et du souvenir, déjà créé, quai Branly à Paris, est dédié à la mémoire des victimes de la manifestation pacifique du 26 mars 1962.

Article 3

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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