N° 2443 - Proposition de résolution de M. Dino Cinieri tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'apiculture française



N° 2443

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 décembre 2014.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
sur la situation de l’apiculture française,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Dino CINIERI, Damien ABAD, Élie ABOUD, Julien AUBERT, Sylvain BERRIOS, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Xavier BRETON, Jérôme CHARTIER, Guillaume CHEVROLLIER, Philippe COCHET, François CORNUT-GENTILLE, Jean-Michel COUVE, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Nicolas DHUICQ, Dominique DORD, David DOUILLET, Marianne DUBOIS, Georges FENECH, Yves FOULON, Laurent FURST, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Hervé GAYMARD, Annie GENEVARD, Guy GEOFFROY, Charles-Ange GINESY, Philippe GOSSELIN, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Michel HEINRICH, Denis JACQUAT, Christian KERT, Valérie LACROUTE, Guillaume LARRIVÉ, Isabelle LE CALLENNEC, Marc LE FUR, Céleste LETT, Véronique LOUWAGIE, Lionnel LUCA, Jean-François MANCEL, Thierry MARIANI, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MATHIS, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Dominique NACHURY, Patrick OLLIER, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Josette PONS, Christophe PRIOU, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, François SCELLIER, André SCHNEIDER, Michel SORDI, Claude STURNI, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Michel TERROT, Jean-Marie TÉTART, Catherine VAUTRIN, Patrice VERCHÈRE, Jean-Pierre VIGIER, Philippe VITEL, Michel VOISIN, Laurent WAUQUIEZ, Éric WOERTH,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Toutes les observations sont concordantes : la surmortalité des abeilles se poursuit et les apiculteurs s’enfoncent dans la crise. La filière apicole est au plus mal et l’année qui s’achève est peut-être l’une des pires dans l’histoire de la profession.

« Des pertes de production de 50 à 80 % dans de nombreuses régions, une mortalité des ruches qui s’accélère… La saison apicole 2014 vient confirmer le désastre annoncé depuis des années », a alerté la Confédération paysanne le 26 août 2014 en décrétant « l’état d’urgence pour les apiculteurs » (1). « On a connu trois années difficiles, mais cette fois c’est la pire, confirme Christian Thomas-Javid, apiculteur à Sainte-Croix-Vallée-Française depuis 8 ans. Les colonies déclinent au fur et à mesure. Et nous n’avons aucun espoir que la situation s’améliore. Une année normale, un apiculteur amateur peut espérer récolter entre 20 et 30 kilos de miel. Mais cette année, la moyenne se situe autour des 10 kilos. Nous n’avons jamais connu ça », calcule l’apiculteur (2).

Cependant, analyser l’évolution de la filière et de la crise que traverse l’apiculture depuis des années se révèle être un défi très difficile à relever. Il est par exemple quasiment impossible de connaître le nombre de ruches en France. Selon l’audit de la filière réalisé en 2012 pour la DGAL (Direction générale de l’alimentation au ministère de l’agriculture), la France comptait 637 855 ruches en 2012. Mais selon l’UNAF (Union nationale de l’apiculture française), il y en aurait le double, soit entre 1 250 000 et 1 300 000 ruches !

Une grande confusion règne également concernant l’état de la production faute d’indicateurs. Seules des estimations sont disponibles et elles illustrent à nouveau le désarroi de la profession puisque la production 2014 serait d’environ 10 000 tonnes, soit 3 à 4 fois moins qu’il y a 20 ans.

Chercher à comprendre les causes de la surmortalité des abeilles s’avère un exercice périlleux tant celui-ci devient émotionnel. Maladies, parasites, pesticides, climat, carences alimentaires… la liste des accusés est longue. Et il est, là encore, très difficile d’y voir clair. Bien évidemment, les conditions climatiques 2014 expliquent cette année noire. Mais pas seulement. « La plupart des floraisons précoces ont été littéralement grillées par le vent et les fortes chaleurs de juin (…). Les conditions météo y sont évidemment pour quelque chose, mais la très longue rémanence des pesticides néonicotinoïdes dans le sol, accumulés depuis des années, peut aussi être incriminée » (3), a mis en cause Olivier Belval, Président de l’UNAF (Union nationale de l’apiculture française). Les déclarations des responsables professionnels apicoles (FRSEA et ADAPRO) du Languedoc Roussillon mettent, elles, en avant d’autres raisons en s’interrogeant sur les conséquences du parasite Cynips sur la châtaigneraie des Cévennes et la production de miel (4).

De leur côté, d’autres apiculteurs notent une situation sanitaire dégradée et une forte diminution de la ressource en pollens et nectar. Les experts apicoles pointent du doigt le parasite Varroa, qualifié d’ennemi numéro un des abeilles.

Comme le montre l’étude européenne EPILOBEE (5) publiée en avril 2014, la situation française est atypique par rapport aux pays européens : une forte mortalité hivernale couplée avec une forte mortalité en saison. En France, plus de 300 ruchers (soit environ 2 000 ruches) répartis dans six départements durant l’année 2012/13 ont été suivies dans le cadre du programme EPILOBEE. Dans ses conclusions, l’Anses note une forte disparité des résultats d’un département à l’autre et souligne qu’un tiers des ruchers est impacté par le parasite Varroa en début d’hiver.

Sur ce sujet des surmortalités d’abeilles, il est intéressant d’écouter la préfecture des Pyrénées-Orientales qui a rendu publique le 17 novembre 2014 les conclusions d’une enquête menée chez 52 apiculteurs pyrénéens et dans des élevages touchés par des surmortalités. Les apiculteurs soulevaient l’hypothèse d’une éventuelle exposition des colonies aux substances chimiques utilisées en élevage (vermifuges...). Mais « les résultats d’analyses ne permettent pas, en l’état, de conclure à une origine commune et unifactorielle pour l’ensemble des départements touchés », a fait savoir la préfecture, citant des experts scientifiques apicoles.

Alors que la mortalité hivernale des abeilles est évaluée annuellement au niveau européen (programme réseau COLOSS) (6), pourquoi la France ne communique-t-elle pas ses résultats 2013/2014 dans cette évaluation européenne ? Les pouvoirs publics ont-il un dispositif d’évaluation statistique des différentes mortalités de colonies ?

Il est également intéressant d’observer la situation aux Etats-Unis. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a annoncé par décret le 20 juin 2014, la création d’une « task forc » gouvernementale consacrée au mal affectant les populations d’insectes pollinisateurs (abeilles, papillons, diptères, coléoptères) (7). L’objectif de cette initiative était de définir un plan d’actions. Outre 8 millions de dollars d’ores et déjà dégagés, 50 autres millions devraient être affectés à cette mission dans le budget fédéral 2014-2015. Les premiers résultats publiés par ce réseau d’experts scientifiques rappellent que le parasite Varroa est le principal problème des abeilles et constitue la première cause de surmortalité des colonies.

En France et en Europe, se pose la question de l’impact des néonicotinoïdes mais aussi plus largement de leur impact conjugué à l’action du Varroa elle-même associée à des virus. La recherche publique de Nouvelle Zélande (8) vient d’en faire la démonstration. Ce pays indemne de Varroa jusqu’à présent doit faire face à ce fléau qui s’accompagne par l’émergence de virus impactant la vie des colonies.

La France a suspendu, depuis 2012, les usages agricoles des insecticides de la famille des néonicotinoides après avoir interdit en 1999 l’insecticide Gaucho sur tournesol puis en 2004 sur maïs et en 2005, l’insecticide Regent sur maïs et tournesol. Un bilan de l’impact de ces mesures mériterait, aujourd’hui, d’être établi. Ce bilan doit être contextualisé dans le processus engagé depuis 2012 en Europe et en lien avec les réflexions scientifiques sur la surmortalité des abeilles sur l’ensemble de la planète.

Enfin, d’autres phénomènes sont inquiétants comme le développement du frelon asiatique (9) ans toutes les régions françaises, ainsi que la présence annoncée d’un nouveau prédateur des colonies déjà identifié dans le sud de l’Italie : l’insecte coléoptère Aethina tumida. Bien que ce parasite ne soit pas, pour l’instant, présent en France, les autorités sanitaires ont mis la filière en alerte. Ici aussi, des interrogations se font jour : quelles dispositions les pouvoirs publics comptent-ils prendre contre le risque de dissémination de ce parasite ? Une évaluation des échanges de colonies (commerce) entre l’Italie et la France a-t-elle été faite et l’impact sur la production en France a-t-il été évalué ?

L’audit de la filière (FAM 2011) a servi de base pour l’élaboration du PDDA (Plan de Développement Durable de l’Apiculture). Cette étude marque une forte décroissance du nombre de producteurs en comparaison avec les audits antérieurs. Ce plan proposait de nombreux objectifs. Il serait opportun de dresser un bilan d’étape à mi-parcours alors qu’un nouveau programme à la filière (2014-2016) cofinancé par l’Union européenne se met en place.

Il est par conséquent urgent :

– d’évaluer la réalité de la production française de miel et de la situation économique des acteurs de la filière (excédent brut d’exploitation pour les exploitations professionnelles, revenu des actifs, emploi, commerce extérieur), et ce d’autant que la filière a bénéficié en 2006 et 2007 de crédits du CASDAR pour créer un observatoire technico-économique.

– d’évaluer le potentiel de production pour les années à venir et des conditions d’une relance de la production à partir du cheptel actuel. Le chiffre du nombre de colonies en France retenu de plus 1 000 000 de colonies est issu d’une étude réalisée par France AGRI MER en 2011 publiée en septembre 2012. Les producteurs doivent désormais déclarer leurs cheptels ainsi que les emplacements des ruches (10). Moins de 650 000 ruches seraient enregistrées en France d’après les informations disponibles. Dès lors, il serait intéressant d’avoir communication des justifications de cet écart et communication par l’administration des évaluations.

– d’évaluer la réalité de l’état sanitaire du cheptel apicole et ses perspectives de production.

Telles sont les principales questions auxquelles devra répondre la commission d’enquête. Au demeurant, pourquoi une commission d’enquête ? Pour y voir clair. Pour établir le degré de responsabilité des différents facteurs intervenant dans la surmortalité des abeilles. Pour évaluer la situation de l’apiculture française et pour définir les éléments indispensables (techniques, scientifiques, budgétaires et matériels) d’une ambitieuse politique nationale de l’apiculture.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’évaluer les décisions prises depuis quinze ans par les pouvoirs publics pour enrayer la surmortalité constatée dans les ruchers français et d’établir le degré de responsabilité des différents facteurs intervenant dans cette surmortalité ;

– d’évaluer la situation de la production apicole française ;

– et de définir les outils indispensables d’une politique nationale de l’apiculture ambitieuse.

1 () http://www.actu-environnement.com/ae/news/confederation-paysanne-unaf-apiculture-2014-miel-baisse-neonicotinoides-22511.php4.

2 () Source : La Nouvelle République d’Indre-et-Loire, 24/09/2014.

3 () http://www.actu-environnement.com/ae/news/confederation-paysanne-unaf-apiculture-2014-miel-baisse-neonicotinoides-22511.php4.

4 () http://www.lamarseillaise.fr/herault-du-jour/developpement-durable/30724-xavier-roux-je-pense-que-la-filiere-apicole-est-en-danger.

5 () https://pro.anses.fr/bulletin-epidemiologique/Documents/BEP-mg-BE62.pdf https://www.anses.fr/fr/content/mortalit%C3%A9-des-colonies-d%E2%80%99abeilles-pr%C3%A9sentation-des-premiers-r%C3%A9sultats-du-programme-de.

6 () http://www.coloss.org/announcements/losses-of-honey-bee-colonies-over-the-2013-14-winter (Attachment 2 COLOSS Press Release colony losses July 14 Map.pdf).

7 () http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/06/24/barack-obama-lance-une-strategie-nationale-pour-sauver-les-abeilles_4444261_3244.html.

8 () http://www.asianscientist.com/2014/08/in-the-lab/bees-mites-viruses-2014.

9 () Frelon asiatique : http://www.ouest-france.fr/rey-apiculteur-pique-un-coup-de-gueule-2861941.

10 () Cette déclaration a été rendue obligatoire par la loi 2009-967 du 3 août 2009 : article L.221-1 du code rural et de la pêche maritime. Cette déclaration est à renouveler chaque année, entre le 1er novembre de l'année n-1 et le 1er mars de l'année n, une seule fois par an.


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