N° 2686 - Proposition de loi de M. Philippe Goujon visant à déchoir de leur bail les locataires sociaux auteurs de violences conjugales



N° 2686

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 mars 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à déchoir de leur bail les locataires sociaux
auteurs de violences conjugales,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Philipe GOUJON, Éric CIOTTI, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Jean-François LAMOUR, Claude GOASGUEN, Bruno LE MAIRE, Nicole AMELINE, Guy GEOFFROY, Jean-Frédéric POISSON, Patrice MARTIN-LALANDDE, Anne GROMMERCH, Jérôme CHARTIER, Marie-Louise FORT, Jacques MYARD, Philippe VITEL, Jacques KOSSOWSKI, Édouard COURTIAL, Franck MARLIN, Bernard PERRUT, Nicolas DHUICQ, Julien AUBERT, Patrick HETZEL, Didier QUENTIN, Jean-Pierre DOOR, Philippe BRIAND, Josette PONS, Lionnel LUCA, Marcel BONNOT, Guy TEISSIER, Arlette GROSSKOST, Jean-Luc REITZER, Dominique DORD, Laurent FURST, Jacques Alain BENISTI, Olivier MARLEIX, Alain GEST, Camille de ROCCA SERRA, Annie GENEVARD, Philippe MEUNIER, Franck GILARD, Bérengère POLETTI, Jean-Pierre DECOOL, Valérie PÉCRESSE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La question des violences faites aux femmes est un fléau silencieux qui nécessite toute notre mobilisation en tant qu’élus. Il y a quinze ans, une enquête nationale avait estimé que 10 % des femmes étaient victimes de violences au sein de leur couple. Ce tragique constat ne s’est pas inversé depuis, et encore aujourd’hui une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. À Paris, 10 femmes ont ainsi été assassinées en 2013. Une étude du conseil économique et social estime à plus de 200 000 les femmes victimes chaque année de violences conjugales, dont seulement 16 % portent plainte.

Sous les précédentes législatures, la précédente majorité, après avoir introduit dans le code pénal le délit de viol conjugal et l’aggravation des peines pour violences commises au sein du couple, avait fait compléter en 2009 par voie d’amendement l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, pour faire des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage victimes de violences, des publics prioritaires pour l’attribution d’un logement social. La loi du 9 juillet 2010 a également prescrit la passation de conventions avec les bailleurs pour réserver des logements d’urgence aux femmes victimes de violence dans chaque département.

Des progrès ont également été effectués au cours des dernières années dans le traitement immédiat des plaintes et mains courantes ainsi que la prise en charge des victimes dans les commissariats par des policiers formés à cette problématique, des psychologues et des travailleurs sociaux. Il est cependant impératif d’améliorer les conditions d’une procédure judiciaire accélérée et systématique en matière d’éloignement du conjoint violent- y compris si celui-ci est locataire du parc social.

L’article L. 1751 du code civil prévoit déjà qu’en cas de divorce ou de séparation de corps, le droit au bail du domicile conjugal peut être attribué par la juridiction saisie à l’un des époux, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, si les conjoints avaient fait auparavant la demande conjointe de voir le bail du domicile conjugal réputé appartenir à l’un ou l’autre des deux époux. Cependant, cette reconnaissance des conjoints comme co-titulaires du bail suppose une demande conjointe des deux époux, et s’oppose à l’interdiction de transmission du bail dans le parc social, liée à la procédure d’attribution qui est nominative.

Dans le parc social, les baux répondent au principe du droit au maintien dans les lieux, régi par les articles 4 à 17 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 et les articles L. 442-4-1 et L. 442-6 du code de la construction et de l’habitation, modifiés par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. Il n’en demeure pas moins que le locataire a obligation de jouir paisiblement de la chose louée, en bon père de famille, selon les préconisations des articles L. 1728 du code civil, et 7 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

Cette proposition de loi vise à renforcer la protection des femmes victimes de violences conjugales en permettant de déchoir le conjoint violent, lorsque celui-ci est titulaire du bail du logement social qu’occupe le couple, de son droit au maintien dans les lieux, pour transférer ce droit à sa conjointe victime de violences, et permettre ainsi d’engager contre lui une procédure d’expulsion. Elle vise à compléter le cadre juridique existant pour que la loi protège ces victimes particulièrement vulnérables, en leur garantissant la possibilité de se maintenir, avec leurs enfants, au sein du domicile conjugal.

Il est en effet injuste que les femmes soient victimes d’une « double peine » en se trouvant contraintes de quitter le domicile familial lorsque celui-ci avait été attribué par le bailleur social au conjoint violent et en devant recommencer à zéro leurs démarches de demande de logement, dans un contexte marqué par la pénurie d’hébergements dédiés.

L’article 1er propose de compléter les clauses limitatives au droit au maintien dans les lieux dans le parc social régies par le code de la construction et de l’habitation, en y incluant le motif de violences conjugales, attesté par une décision de justice, et de prévoir le transfert du bail au nom du conjoint victime. Cette mesure, signifiée au locataire déchu par lettre recommandée avec accusé de réception permettra, dès lors que le conjoint violent n’est plus titulaire du bail, d’engager la procédure d’expulsion à son encontre en demandant si besoin le recours de la force publique, et de permettre le changement des serrures.

L’article 2 prévoit de renforcer la protection et l’aide apportées aux locataires victimes, notamment en cas de menaces du conjoint violent sur la victime, le voisinage ou le gardien d’immeuble, en autorisant le bailleur à se porter partie civile par subrogation ou aux côtés de ceux-ci.

Tel est, Mesdames et Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi qu’il vous est proposé d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 442-3-3 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 442-3-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 442-3-4. – Le droit au maintien dans les lieux du locataire s’éteint lorsque le titulaire du bail est auteur de violences conjugales, attestées par décision judiciaire, à l’encontre de son conjoint ou concubin cooccupant des lieux et également domicilié dans ce logement; l’extinction du droit au maintien dans les lieux du conjoint violent est notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception ; elle prend effet immédiatement et le bail est transféré au conjoint victime. »

Article 2

Après l’article 2-20 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-20-1 ainsi rédigé :

« Art. 2-20-1. – En cas d’infraction pénale commise par un locataire au préjudice d’un autre locataire, d’un préposé ou d’un prestataire de service du bailleur, dans le périmètre d’application du règlement intérieur de l’immeuble où ils résident, le bailleur peut exercer les droits reconnus à la partie civile au lieu et place de la victime, ou se constituer partie civile à ses côtés. Toutefois, le bailleur ne sera recevable dans son action que si il justifie avoir reçu l’accord de la victime ou, si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, celui de son représentant légal. »


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