N° 4165
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2016.
PROPOSITION DE LOI
visant à proposer un nouveau contrat d’avenir plus favorable aux 26 000 buralistes et moins coûteux pour le budget de l’État,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Philippe FOLLIOT, Maurice LEROY, Thierry LAZARO, Éric STRAUMANN, Philippe Armand MARTIN, Jean-Marie SERMIER, Patrick HETZEL, André SANTINI, Véronique LOUWAGIE, Paul SALEN, Jean-Pierre VIGIER, Virginie DUBY-MULLER, Jean-Claude GUIBAL, Édouard COURTIAL, Jacques KOSSOWSKI, Philippe GOSSELIN, Thierry BENOIT, Frédéric REISS, Patrick LABAUNE, Jean-Luc REITZER, Bernard GÉRARD, Michel VOISIN, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Céleste LETT, Dominique DORD, Pierre MORANGE et François ROCHEBLOINE,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les buralistes sont au nombre de 26 000. Ils accueillent chaque jour 10 millions de clients. Dans la France entière, tant dans la France rurale que dans les quartiers, le bar-tabac-journaux est un lieu essentiel de convivialité, d’échange et de dialogue. Il y est souvent le dernier « service public ».
Pourtant, les buralistes sont inquiets. La généralisation du paquet neutre à compter du 1er janvier 2017 et les nouvelles hausses de taxes qui risquent encore d’accroître le différentiel de prix entre la France et ses pays limitrophes vont fragiliser plus encore un réseau qui voit déjà 1 000 buralistes mettre chaque année la clé sous la porte. Ce qui tend à montrer que l’actuel contrat d’avenir n’est plus adapté, plus assez efficace au regard des nouvelles contraintes auxquelles sont confrontés les buralistes. Certes les anciens contrats d’avenir ont pu aider de nombreux buralistes, notamment les frontaliers, mais il est possible aujourd’hui de faire plus et mieux.
Le nouveau contrat d’avenir doit être l’occasion de bâtir un plan pérenne en faveur des buralistes, qui réponde totalement à leurs demandes, tout en coûtant moins cher au budget de l’État car il sera financé par les cigarettiers. Contrairement aux buralistes, les cigarettiers pratiquent à outrance l’optimisation fiscale. On estime que le vrai bénéfice des quatre majors du tabac en France est de 700 millions à un milliard d’euros par an, alors qu’ils ne déclarent que quelques dizaines de millions d’euros. Ce profit jugé indécent comparé au coût social du tabac ne fait donc l’objet d’aucune taxation, d’aucune imposition, et va nourrir les paradis fiscaux. La somme annuelle qui échappe à l’impôt sur les sociétés est donc de 250 à 350 millions. C’est encore supérieur au coût des mesures proposées, qui seront donc financées par les fabricants de tabac. Aucun risque d’une répercussion sur le prix de vente du tabac et sur les taxes qu’il rapporte à l’État en rappelant les garanties exprimées par notre collègue Frédéric Barbier dans son rapport « Sur l’avenir des buralistes » publié en octobre 2015.
Pour l’essentiel, les solutions proposées sont contenues dans le rapport de notre collègue Frédéric Barbier « sur l’avenir des buralistes » publié en octobre 2015 et salué à sa sortie par les buralistes. Encore convient-il de les mettre en œuvre, ce qui n’a pas été fait jusqu’alors.
Les buralistes ont un souhait profond, et six exigences. Le souhait profond, c’est que le buraliste ne soit pas considéré comme un assisté. Le buraliste veut être fier de son travail, et en vivre décemment, sans être « subventionné ». N’oublions pas que dans beaucoup de territoires, quand le dernier buraliste ferme ses portes, l’État et les collectivités locales doivent investir pour combler ce manque créé. C’est pourquoi les mesures du nouveau contrat d’avenir doivent être la traduction d’une philosophie totalement différente. Les six exigences sont les suivantes :
– Le refus de toute hausse nouvelle des prix du tabac ;
– La vente exclusive du tabac ;
– La hausse de la rémunération :
En effet, aujourd’hui, en matière de tabac, c’est le buraliste qui assume toutes les obligations et tous les risques. Il doit donc être rémunéré à la hauteur de ses responsabilités. Sur le prix d’un paquet de cigarettes, l’État perçoit 80 %, le fabricant 11 % et le buraliste 9 %. Nous proposons donc que cette rémunération tabac passe à 11 % sur les cinq ans du prochain contrat d’avenir, soit une hausse de 0,4 point/an (contre 0,1 aujourd’hui).
Le système de rémunération des buralistes est aujourd’hui particulièrement complexe et résulte du solde entre un droit de licence à la charge des buralistes et une ou plusieurs remises qui leurs sont obligatoirement consenties par le fournisseur. L’article 570 du code général des impôts dispose en effet que « I- Selon les modalités fixées par voie réglementaire, tout fournisseur est soumis aux obligations suivantes : …3° consentir à chaque débitant une remise dont les taux sont fixés par arrêté pour la France continentale, d’une part, et pour les départements de Corse, d’autre part. Cette remise comprend l’ensemble des avantages directs ou indirects qui lui sont alloués ». La remise de base est définie à l’article 281 de l’annexe II du code général des impôts. Elle est complétée de deux remises supplémentaires : la remise compensatoire (décret n° 2011-2080 du 30 décembre 2011) destinée compenser les pertes de rémunération des buralistes situés dans des zones sensibles aux achats réalisés hors du territoire national, et la remise additionnelle prévue par le décret n° 2011-2081 du 30 décembre 2011 qui la limite à la période 2012-2016 avec un taux décroissant chaque année (1,6 % en 2012, 1,2 % en 2013, 0,8 % en 2014, 0,4 % en 2015 et 0,2 % en 2016). Le taux de la remise est fixé par un arrêté du 26 décembre 2007. À compter du 1er janvier 2015 il est de 8,79 % pour tous les produits sauf les cigares et les cigarillos pour lesquels il est de 9 %. Le versement de la remise est amputé par l’État de deux prélèvements : le premier pour financer le régime spécial de retraite, le second au titre du droit de licence. Le droit de licence est dû pour les ventes réalisées au-delà du seuil de 157 650 € et représente un pourcentage de la remise de base. Ce taux est de 20,44 % pour les cigares et les cigarillos et à 20,25 % pour les autres produits. L’article 568 du code général des impôts (CGI) organise une décroissance de ce second taux qui était de 20,36 % en 2014 et devrait être de 20,14 % en 2016.
Pour augmenter la rémunération des buralistes de 9 à 11 % sur cinq ans, il convient donc de modifier ce taux chaque année dans le cadre du projet de loi de finances. La première étape de cette hausse de 0,4 point doit être effective au 1er janvier 2017.
– Une meilleure sécurité des bureaux de tabac ;
– Un plan de lutte contre le commerce parallèle de tabac :
Les hausses continuelles de taxes depuis 2003 ont créé un différentiel de prix croissant, avec les pays limitrophes. Avant 2003, le trafic n’existait quasiment pas en France. Aujourd’hui, 26,3 % du tabac consommé en France est acheté hors réseau des buralistes, engendrant un manque à gagner fiscal pour l’État de 3 milliards d’euros par an, et une perte de 250 millions d’euros pour les buralistes que les contribuables, fumeurs et non-fumeurs, doivent assumer. C’est économiquement ubuesque, et pénalisant pour leur image. Ces trafics expliquent aussi pourquoi au moins un buraliste se fait agresser chaque jour.
Le tabac fait partout l’objet de trafics, à tous les stades de sa production, de son transport, et de sa consommation. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet de commerce parallèle.
Il convient de mettre fin à ce fléau. C’est dans cette perspective que l’OMS a élaboré le protocole « pour lutter contre le commerce illicite de tabac ».
Le protocole de l’OMS a été adopté le 12 novembre 2012 par la Conférence des parties à sa cinquième session à Séoul. Il vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des États qu’ils prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique des produits du tabac et qu’ils coopèrent au niveau international dans plusieurs domaines. Le protocole impose des obligations ambitieuses aux États en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les mesures de sécurité et les mesures préventives, les ventes sur Internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit international ainsi que les ventes en franchise de droits. L’article 8-12 du protocole exige que la traçabilité des produits du tabac soit totalement indépendante des fabricants de tabac. Le protocole impose de plus de prévoir des sanctions lourdes pour les contrevenants et invite à une coopération internationale renforcée.
Jusqu’à présent, 24 pays ont ratifié le protocole de l’OMS. Si chaque État qui ratifie le protocole peut le mettre immédiatement en œuvre, il en faut 40 pour qu’il soit applicable, au niveau mondial, en tant que droit international.
La France doit donc mettre en œuvre sans délai le protocole de l’Organisation mondiale de la santé « pour lutter contre le commerce illicite », dans le cadre du nouveau contrat d’avenir. Rien ne s’y oppose juridiquement, et surtout, aucune autre idée n’est formulée pour lutter contre le commerce parallèle. Cette mise en œuvre ne coûtera là encore rien à l’État, l’article 8-14 du protocole de l’OMS prévoyant qu’elle soit à la charge des fabricants de tabac.
Sur la base de l’autorisation qui lui a été donnée par la loi n° 2015-1350 du 26 octobre 2015 le Président de la République a décidé la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Les instruments de ratification ont été déposés en décembre 2015. Ce protocole impose aux États parties de mettre en place la traçabilité des produits du tabac de façon indépendante des producteurs de tabac.
À la date de la ratification l’article 569 du CGI prévoyait une telle traçabilité mais en laissait la mise en œuvre à l’industrie du tabac, seule le stockage des données devant être confie à un tiers indépendant. Logiquement la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 a abrogé l’article 569 du CGI. Cet article a pourtant été réintroduit dans le droit positif par l’ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 sous la forme des articles L. 3512-23, L. 3512-24, L. 3512-25 et L. 3512-26 du code de la santé. Même si le protocole n’est pas encore entré en vigueur, faute d’avoir été publié en France et de n’avoir pas encore fait l’objet des 40 ratifications qu’il prévoit, sa ratification fait que la France est tenue par une obligation minimale de bonne foi consistant à « s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but » comme le prévoit l’article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’ordonnance du 19 mai 2016 constitue clairement un acte de cette nature. Il convient donc d’abroger les articles L. 3512-23, L. 3512-24, L. 3512-25 et L. 3512-26 du code de la santé.
– Un plan pour une plus grande diversification.
Ainsi, l’article 1er vise à assurer la hausse de la rémunération des buralistes. L’article 2, lui, a pour objectif de permettre la mise en œuvre immédiate du Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac ».
Même si un jour, et nous l’espérons très prochain, l’harmonisation des prix du tabac et des taxes au sein de l’Union européenne (UE) devra être mise en œuvre pour lutter contre le fléau qu’est le trafic transfrontalier, il convient d’ores et déjà, alors que l’UE vient de ratifier le protocole de l’OMS le 24 juin 2016, de permettre à la France de se doter d’outils nouveaux dans le but de protéger le métier des buralistes par un contrat plus favorable pour la profession et moins coûteux pour l’État. C’est pourquoi, il vous est demandé, Mesdames et Messieurs, d’adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Le 3° du I de l’article 570 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« 3° Consentir à chaque débitant une remise dont les taux sont fixés par arrêté pour la France continentale, d’une part, et pour les départements de Corse, d’autre part. Ce taux ne saurait être inférieur à ceux définis ci-après.
« – À compter du 1er janvier 2017, il est alloué aux gérants des débits de tabac exerçant leurs fonctions en France continentale une remise de 9,6 % pour la vente au détail des cigares et cigarillos répondant à la définition de l’article 275 B de l’annexe II du code général des impôts. Ce taux est porté à 10,2 % au 1er janvier 2018, à 10,8 % au 1er janvier 2019, à 11,4 % au 1er janvier 2020 et à 12 % au 1er janvier 2021.
« – À compter du 1er janvier 2017, il est alloué aux gérants des débits de tabac exerçant leurs fonctions en Corse une remise de 11,188 % pour la vente au détail des cigares et cigarillos répondant à la définition de l’article 275 B de l’annexe II au code général des impôts. Ce taux est porté à 11,788 % au 1er janvier 2018, à 12,388 % au 1er janvier 2019, à 12,938 % au 1er janvier 2020 et à 13,538 % au 1er janvier 2021.
« – À compter du 1er janvier 2017, il est alloué aux gérants des débits de tabac exerçant leurs fonctions en France continentale une remise de 9,44 % pour la vente au détail de toutes les catégories de tabac autres que les cigares et cigarillos. Ce taux est porté à 10,64 % au 1er janvier 2018, à 11,24 % au 1er janvier 2019, à 11,84 % au 1er janvier 2020 et à 12,44 % au 1er janvier 2021.
« – À compter du 1er janvier 2017, il est alloué aux gérants des débits de tabac exerçant leurs fonctions en Corse une remise de 12,39 % pour la vente au détail de toutes les catégories de tabac autres que les cigares et cigarillos. Ce taux est porté à 12,99 % au 1er janvier 2018, à 13,59 % au 1er janvier 2019, à 14,19 % au 1er janvier 2020 et à 14,79 % au 1er janvier 2021.
Les articles L. 3512-23, L. 3512-24, L. 3512-25 et L. 3512-26 du code de la santé publique sont abrogés.
Les charges pour l’État résultant de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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