N° 4580 - Proposition de loi de M. Pierre Morel-A-L'Huissier visant à intégrer au code de l’environnement un schéma départemental de protection contre les prédateurs



N° 4580

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2017.

PROPOSITION DE LOI

visant à intégrer au code de l’environnement
un
schéma départemental de protection contre les prédateurs,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Marie-Christine DALLOZ, Véronique LOUWAGIE, Julien AUBERT, Josette PONS, Daniel FASQUELLE, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Élie ABOUD, Marine BRENIER, Jacques PÉLISSARD, Jean-Pierre BARBIER, Jean-Claude BOUCHET, Jean-Marie SERMIER, Nicolas DHUICQ, François VANNSON et Bernard ACCOYER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’activité pastorale est nécessaire au maintien de la vie dans nos campagnes. Or les prédateurs viennent contrarier, voire menacer, cette activité à la fois par les prélèvements qu’ils opèrent mais également par le stress généré au sein des troupeaux et ses conséquences.

Les attaques de loup, mais cela est également vrai pour le lynx, semblent en recrudescence, par exemple, dans les Hautes-Alpes, treize attaques et trente victimes de loup ont été comptabilisées entre janvier et avril 2015, contre trois attaques et sept victimes sur la même période en 2014 (source DDT).

Par ailleurs, les cartes publiées par l’Office national de la forêt montrent la diffusion du loup sur une partie de plus en plus grande du territoire. C’est ainsi que des loups ont été repérés dans la Meuse et les organismes publics estiment que sa population croît d’environ 20 % par an, rendant nécessaire la mise en place d’un dispositif de régulation au plus près du terrain, que son statut d’animal protégé par la convention de Berne autorise.

Des problèmes analogues existent avec le lynx et l’ours. Ces grands prédateurs ne constituent pas un danger parmi les plus graves pour l’homme, néanmoins l’extension de leur aire implique des précautions, par exemple la littérature fait état de trois attaques de loups en Galice (en 1959, 1974 et 1975), à l’encontre de huit personnes ayant entraîné la mort de quatre enfants, de même pour le Canada l’ours brun a causé entre 1900 et 2006 la mort de 63 personnes, mais il faut noter qu’en France la dernière attaque d’un homme par un ours brun remonte à 1850.

Les prédateurs sont multiples, le plus important est sans doute le chien sauvage ou en divagation, mais s’agissant d’animaux domestiques, la législation existe et le maire dispose des plus larges prérogatives pour gérer cette question. Au titre du pouvoir de police générale qu’il détient en vertu de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui l’habilite à intervenir pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, et au titre des pouvoirs de police spéciale que lui attribue le code rural, il lui appartient de mettre fin aux nuisances causées par les animaux errants ou en état de divagation.

La situation est plus complexe pour les animaux sauvages, selon s’ils appartiennent ou non à une espèce protégée.

Si l’espèce n’est pas protégée le schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) comprend notamment (art. L. 425-2 du code de l’environnement) : les plans de chasse et les plans de gestion, qui comportent des dispositions permettant d’atteindre l’équilibre agro-sylvo-cynégétique (5°).

Ces dispositions permettent de réguler des espèces nuisibles telles que les sangliers dans un cadre départemental adapté aux situations locales, qui repose sur les maires, sur le fondement, en particulier, des articles L. 427-4 du code de l’environnement « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de mettre en œuvre les mesures prévues à l’article L. 2122-21 (9°) du code général des collectivités territoriales » et L. 427-5 qui précise que « Les battues décidées par les maires en application de l’article L. 2122-21 (9°) du code général des collectivités territoriales sont organisées sous le contrôle et la responsabilité technique des lieutenants de louveterie. »

Par contre, dès que nous sommes en présence d’animaux protégés, il n’existe pas de dispositif applicable analogue à celui de l’article L. 427-7 du code de l’environnement qui permet aux préfets de déléguer aux maires ses pouvoirs « dans les communes situées à proximité des massifs forestiers où les cultures sont menacées périodiquement de destruction par les sangliers ou dans celles où existent des formes d’élevage professionnel menacées périodiquement de destruction par les renards… ».

En effet, s’agissant d’espèces protégées, les décisions relèvent du niveau national et le maire, principal responsable de la sécurité de sa commune, est privé de ses prérogatives, s’agissant par exemple du loup, qui est une espèce strictement protégée au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. Seules des dérogations prises par les préfets au titre de l’article L. 411-2 ou L. 427-6  du code de l’environnement sont légales car, l’article L. 2122-1 du code général des collectivités territoriales qui peut servir de base légale à un maire pour les destructions d’animaux d’espèces non domestiques, lorsque les circonstances le justifient, n’est pas applicable aux espèces dont la capture ou la destruction est interdite en application de l’article L. 411-1du code de l’environnement.

Pour être valable, la prise d’un arrêté municipal de « battue au loup » doit respecter la procédure établie en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Il faut donc qu’au préalable le préfet ait accordé au maire une dérogation conformément aux dispositions prévu par cet article, à savoir :« (…) à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

L’article L. 427-6 du code de l’environnement précise que, dans les cas prévus, c’est le préfet qui délivre une autorisation de tir de prélèvement du loup.

La procédure pour la destruction des loups est en outre encadrée par l’arrêté du 5 juillet 2016 fixant les conditions et limites (destruction de trente-deux individus) dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup.

En vertu de l’article R. 411-6 du code de l’environnement, ces dérogations sont en accordées par le préfet. Toutefois, l’article R. 411-8 du code de l’environnement prévoit que « lorsqu’elles concernent des animaux appartenant à une espèce de vertébrés protégée au titre de l’article L. 411-1, menacée d’extinction en France en raison de la faiblesse, observée ou prévisible, de ses effectifs et dont l’aire de répartition excède le territoire d’un département, les dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 sont délivrées par le ministre chargé de la protection de la nature, pour les opérations suivantes : enlèvement, capture, destruction, transport en vue d’une réintroduction dans le milieu naturel, destruction, altération ou dégradation du milieu particulier de l’espèce. »

Par son arrêté en date du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus)  - (NOR : DEVL1512754A), la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt ont fixé les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups (Canis lupus) peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques.

Cet arrêté a été récemment complété par l’arrêté du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017 (NOR : DEVL1614781A) sous réserve des dispositions du I de l’article 2 de l’arrêté du 27 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection qui inclut le loup (Canis lupus) dans la liste des animaux dont « la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel » sont interdits sur tout le territoire métropolitain et en tout temps.

En l’espèce, s’agissant du loup, il revient donc au ministre chargé de la protection de la nature de délivrer les dérogations définies au 4° du I de l’article L. 411-2 précité.

De ce fait les pouvoirs du maire reposent sur le fondement des pouvoirs de police administrative générale qu’il tire du 7° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales relatif à la divagation des animaux malfaisants ou féroces, dans des conditions toutefois très strictes.

Mais, cette intervention est limitée à « des situations exceptionnelles exigeant des réponses immédiates à des menaces imminentes et graves » dans lesquelles « il revient au maire de prendre des dispositions ponctuelles, localisées et proportionnées visant à écarter le danger pour la sécurité des biens ou des personnes » (CE, avis, 29 juillet 2008, n° 381725 : EDCE 2009 page 320).   

La responsabilité du maire peut toutefois être recherchée pour faute simple résultant soit de l’illégalité de décisions ou d’agissements contraires aux objectifs de protection de l’animal soit, à l’inverse, d’une carence à prendre les mesures nécessaires ou à faire appliquer les mesures prises, qu’il s’agisse de la protection de l’animal ou de la prévention des risques qu’il cause.

Aussi, nous semble-t-il qu’il est nécessaire de rassurer les populations, et de préciser les conditions d’exercice des pouvoirs des maires, en organisant au niveau départemental la gestion des grands carnassiers afin que leur développement ne remette pas en cause la sécurité des personnes et des biens.

En effet la réglementation actuelle nous parait trop centralisée alors que la gestion doit s’effectuer au plus près du terrain et le maire recevoir une plus large délégation de pouvoirs.

Tels sont les motifs de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le chapitre VII du titre II du livre IV du code de l’environnement est complété par les articles L. 427-12 à L. 427-20 ainsi rédigés :

« Art. L. 427-12. – En complément des plans nationaux de lutte contre les espèces mentionnées aux articles L. 411-5 ou L. 411-6, il est créé un schéma de protection départemental contre les prédateurs. »

« Art. L. 427-13. – Le schéma de protection départemental contre les prédateurs est élaboré par le représentant de l’État dans le département dans un délai maximal d’un an suivant une demande formulée par le conseil départemental, ou à défaut par un tiers des communes composant le département.

« Si, au terme du délai précité, le schéma départemental n’est pas promulgué par le préfet, les maires peuvent décider des mesures nécessaires à la protection des populations, cheptels et biens. »

« Art. L. 427-14. – Les schémas départementaux de protection contre les prédateurs précisent les mesures pouvant être prises à l’encontre des espèces protégées au titre de l’article L. 411-1. »

« Art. L. 427-15. – Le schéma de protection départemental de protection contre les prédateurs est arrêté par le préfet après consultation des maires et des associations agréées en matière d’environnement. »

« Art. L. 427-16. – Le schéma de protection départemental de protection contre les prédateurs est élaboré pour une période maximale de cinq ans sur la base des données des instituts scientifiques compétents.

« Il comporte en annexe un bilan scientifique rétrospectif et prospectif des dégâts et dangers causés par les prédateurs, ainsi que l’avis de la chambre d’agriculture et de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs. »

« Art. L. 427-17. – En cas de danger avéré pour la sécurité des personnes, nonobstant toute autre disposition législative contraire, le maire prend immédiatement par arrêté toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le danger, y compris l’abattage d’animaux protégés. »

« Art. L. 427-18. – Les informations relatives aux actions prévues par les plans sont diffusées aux publics intéressés ; les informations prescrites leur sont également accessibles pendant toute la durée des plans, dans les secteurs géographiques concernés. »

« Art. L. 427-19. – En l’absence de schéma de protection départemental contre les prédateurs, le maire exerce les pouvoirs dévolus au représentant de l’État dans le département par l’article L. 427-6. »

« Art. L. 427-20. – Par dérogation à l’article L. 411-2, la délivrance de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 peut être accordée par le maire, en l’absence de schéma de protection départemental contre les prédateurs, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Elle est limitée aux trois cas suivants :

a) Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement. »

Article 2

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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