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CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2013
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
en application de l’article 29 du Règlement
au nom des délégués de l’Assemblée nationale à l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe (1) sur l’activité de cette Assemblée
au cours de la deuxième partie de sa session ordinaire de 2013
par M. René ROUQUET
ET PRÉSENTÉ À LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.
La Délégation de l’Assemblée nationale à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe était composée, en avril 2013, de : Mme Danielle Auroi, M. Gérard Bapt, Mme Arlette Grosskost, M. Denis Jacquat, Mme Marietta Karamanli, MM. Christophe Léonard, Jean-Yves Le Déaut, François Loncle, Thierry Mariani, Jean-Claude Mignon, François Rochebloine et René Rouquet en tant que membres titulaires, et Mme Brigitte Allain, MM. Christian Bataille, Philippe Bies, Mme Pascale Crozon, M. Hervé Féron, Mme Marie-Louise Fort, MM. Frédéric Reiss, Rudy Salles, André Schneider, Gérard Terrier et Mme Marie-Jo Zimmermann, en tant que membres suppléants.
SOMMAIRE
Pages
INTRODUCTION 5
I. ACTUALITÉS DE LA DÉLÉGATION 7
A. LA DÉLÉGATION ET SON BUREAU 7
B. INITIATIVES DE SES MEMBRES ET NOMINATIONS 9
C. RENCONTRES DE LA DÉLÉGATION 10
II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DÉROULEMENT DE LA PARTIE DE SESSION 11
III. LES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE ET DANS LE MONDE 17
A. INTERVENTION DE M. JOACHIM GAUCK, PRÉSIDENT DE L’ALLEMAGNE 17
B. OBSERVATION DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE EN ARMÉNIE 19
C. DIALOGUE POSTSUIVI AVEC LA TURQUIE 21
D. INTERVENTION DE M. BIDZINA IVANISHVILI, PREMIER MINISTRE DE LA GÉORGIE 28
E. INTERVENTION DE M. DIDIER BURKHALTER, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL FÉDÉRAL, CHEF DU DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA SUISSE 30
F. INTERVENTION DE M. VICTOR PONTA, PREMIER MINISTRE DE LA ROUMANIE 31
G. DÉBAT D’ACTUALITÉ : LES RÉFUGIÉS SYRIENS EN JORDANIE, EN TURQUIE, AU LIBAN ET EN IRAK : COMMENT ORGANISER ET SOUTENIR L’AIDE INTERNATIONALE ? 33
IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME 35
A. VIOLENCES SEXUELLES À L’ÉGARD DES ENFANTS 35
1. La lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants 35
2. Les parlements unis pour combattre la violence sexuelle à l’égard des enfants : bilan à mi-parcours de la Campagne UN sur CINQ 37
B. METTRE FIN À LA DISCRIMINATION CONTRE LES ENFANTS ROMS 39
C. VIOLENCE À L’ENCONTRE DES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES 42
D. LA CULTURE ET L’ÉDUCATION PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX : LES POLITIQUES EUROPÉENNES 47
E. LES DROITS DES JEUNES EN EUROPE 47
1. Les jeunes Européens : un défi éducatif à relever d’urgence 47
2. L’accès des jeunes aux droits fondamentaux 48
F. L’EUROPE FACE AUX DÉFIS DES MIGRATIONS 49
1. Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme 49
2. La gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne 52
G. SCIENCE ET TECHNOLOGIE : DE LA GESTION DES RISQUES À L’EXIGENCE ÉTHIQUE 53
1. Nanotechnologies : la mise en balance des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement 53
2. L’éthique dans la science et la technologie 54
V. L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE EN DÉBAT 59
A. LA PRÉSIDENCE ANDORRANE DU CONSEIL DE L’EUROPE 59
1. Intervention de M. Antoni MARTÍ, chef du Gouvernement de l’Andorre 59
2. Communication du Comité des Ministres 62
B. RAPPORT ANNUEL D’ACTIVITÉ 2012 DU COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME DU CONSEIL DE L’EUROPE 64
C. PROJET DE PROTOCOLE N° 15 PORTANT AMENDEMENT À LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME 65
ANNEXES 69
Annexe 1 Résolution 1925 (2013) – Dialogue postsuivi avec la Turquie 71
Annexe 2 Résolution 1932 (2013) – Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme 83
Annexe 2 bis Recommandation 2016 (2013) – Frontex : responsabilités en matière de droits de l'homme 89
Annexe 3 Résolution 1927 (2013) – Mettre fin à la discrimination contre les enfants roms 91
Annexe 4 Recommandation 2013 (2013) – Les parlements unis pour combattre la violence sexuelle à l'égard des enfants : bilan à mi-parcours de la Campagne UN sur CINQ 97
La deuxième partie de la session 2013 a confirmé l’Assemblée parlementaire dans son rôle de vigie des droits de l’homme, tant au sein des États membres qu’à leur périphérie. La présentation du Rapport d’activité 2012 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, a d’ailleurs permis de brosser un large panorama des problématiques les plus actuelles, qui ont été approfondies dans le cadre de débats portant plus spécifiquement sur les violences sexuelles à l’égard des enfants, sur le tourisme sexuel ou encore sur la lutte contre les discriminations dont souffrent les enfants roms. Un débat sur l’agence européenne Frontex a permis de mettre l’accent sur les difficultés rencontrées dans la gestion des migrations et les menaces qui pèsent sur le droit d’asile.
De nombreuses personnalités invitées – comme M. Joachim Gauck, président de l’Allemagne, ou M. Victor Ponta, Premier ministre de Roumanie – ont rappelé l’importance du Conseil de l’Europe et de son assemblée parlementaire dans la consolidation de la démocratie et le renforcement des droits de l’homme. La contribution du Conseil de l’Europe à la résolution des « conflits gelés » a été soulignée à cette occasion, alors que le débat sur la Turquie a donné lieu à des échanges animés, résultant autant des progrès manifestes observés ces dernières années que des interrogations nouvelles qui émergent depuis peu. Un débat d’actualité a été consacré à la situation des réfugiés syriens dans les États limitrophes de la Syrie.
Mais l’Assemblée n’a pas omis de se tourner vers l’avenir et a porté ses regards sur les façons de renforcer le désir de « vivre-ensemble » européen. Elle en a, en particulier, souligné la dimension éducative et culturelle, et a affirmé le rôle éminent que doivent jouer les parlements nationaux à cet égard. Le débat joint sur les droits des jeunes Européens et le défi éducatif a rappelé que le futur de l’Europe devra se construire avec les jeunes.
I. ACTUALITÉS DE LA DÉLÉGATION
A. LA DÉLÉGATION ET SON BUREAU
La délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe comprend vingt-quatre députés (douze titulaires et douze suppléants) et douze sénateurs (six titulaires et six suppléants).
Composition de la délégation en avril 2013
Membres titulaires | |||
Chambre Parlement national |
Groupe Parlement national |
Groupe Conseil de l’Europe | |
Mme Danielle AUROI |
Députée |
ECOLO |
SOC |
M. Gérard BAPT |
Député |
SRC |
SOC |
M. Jean-Marie BOCKEL |
Sénateur |
UCR |
PPE/DC |
M. Éric BOCQUET |
Sénateur |
CRC |
GUE |
Mme Josette DURRIEU |
Sénatrice |
SOC |
SOC |
M. Jean-Claude FRÉCON |
Sénateur |
SOC |
SOC |
Mme Arlette GROSSKOST |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
M. Denis JACQUAT |
Député |
UMP |
PPE/DC |
Mme Marietta KARAMANLI |
Députée |
SRC |
SOC |
M. Christophe LÉONARD |
Député |
SRC |
SOC |
M. Jean-Yves LE DÉAUT |
Député |
SRC |
SOC |
M. François LONCLE |
Député |
SRC |
SOC |
M. Jean-Louis LORRAIN |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. Thierry MARIANI |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Jean-Claude MIGNON |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Philippe NACHBAR |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. François ROCHEBLOINE |
Député |
UDI |
PPE/DC |
M. René ROUQUET |
Député |
SRC |
SOC |
Membres suppléants | |||
Chambre Parlement national |
Groupe Parlement national |
Groupe Conseil de l’Europe | |
Mme Brigitte ALLAIN |
Députée |
ECOLO |
SOC |
M. Christian BATAILLE |
Député |
SRC |
SOC |
M. Philippe BIES |
Député |
SRC |
SOC |
Mme Maryvonne BLONDIN |
Sénatrice |
SOC |
SOC |
Mme Bernadette BOURZAI |
Sénatrice |
SOC |
SOC |
Mme Pascale CROZON |
Députée |
SRC |
SOC |
M. Hervé FÉRON |
Député |
SRC |
– |
Mme Marie-Louise FORT |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
M. Bernard FOURNIER |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. Jacques LEGENDRE |
Sénateur |
UMP |
PPE/DC |
M. Jean-Pierre MICHEL |
Sénateur |
SOC |
SOC |
M. Yves POZZO DI BORGO |
Sénateur |
UCR |
PPE/DC |
M. Frédéric REISS |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Rudy SALLES |
Député |
UDI |
PPE/DC |
M. André SCHNEIDER |
Député |
UMP |
PPE/DC |
M. Gérard TERRIER |
Député |
SRC |
SOC |
Mme Marie-Jo ZIMMERMANN |
Députée |
UMP |
PPE/DC |
– |
Député(e) |
SRC |
– |
Le Bureau de la délégation est composé de la façon suivante :
Président |
M. René ROUQUET |
Député |
SRC |
Président délégué |
M. Jean-Claude MIGNON |
Député |
UMP |
Première vice-présidente |
Mme Josette DURRIEU |
Sénatrice |
SOC |
Vice-présidents |
Mme Brigitte ALLAIN |
Députée |
ECOLO |
M. Jean-Marie BOCKEL |
Sénateur |
UCR | |
M. Jean-Claude FRÉCON |
Sénateur |
SOC | |
Mme Arlette GROSSKOST |
Députée |
UMP | |
Mme Marietta KARAMANLI |
Députée |
SRC | |
M. Jacques LEGENDRE |
Sénateur |
UMP | |
M. François LONCLE |
Député |
SRC | |
M. François ROCHEBLOINE |
Député |
UDI | |
M. André SCHNEIDER |
Député |
UMP |
B. INITIATIVES DE SES MEMBRES ET NOMINATIONS
Les informations retracées ci-dessous concernent les initiatives prises par les membres de la délégation et les nominations intervenues depuis la fin de la précédente partie de session.
M. André Schneider (Bas-Rhin – UMP) a été nommé membre de la sous-commission ad hoc sur la réforme du football international, rattachée à la commission de la Culture, de la science, de l’éducation et des médias.
M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes – UDI), rapporteur général sur le budget et le programme intergouvernemental, a été nommé rapporteur de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles sur « Les budgets et priorités du Conseil de l’Europe pour les exercices 2014-2015 » et sur « Les dépenses de l’Assemblée parlementaire pour les exercices 2014-2015 ».
Mme Maryvonne Blondin (Finistère – SOC) a été nommée par le Bureau membre du conseil exécutif du Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord / Sud) pour l’année 2013.
M. André Schneider (Bas-Rhin – UMP) a été nommé par le Bureau représentant de l’Assemblée parlementaire à la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) pour l’année 2013, au titre de la commission de la Culture, de la science, de l’éducation et des médias.
M. Denis Jacquat (Moselle – UMP) a été nommé représentant de la commission des Questions sociales, de la santé et du développement durable à la troisième réunion du Groupe de rédaction sur les droits de l’homme des personnes âgées (CDDH-AGE) (Strasbourg, 15-17 mai 2013).
M. Thierry Mariani (Français établis hors de France – UMP) a été nommé par la commission des Questions politiques et de la démocratie membre de la commission ad hoc du Bureau pour participer à la Conférence parlementaire internationale sur « Le rôle des institutions parlementaires dans la construction d’une Europe sans clivages » (Saint-Pétersbourg, 12 avril 2013).
M. André Schneider (Bas-Rhin – UMP) a été nommé par le Bureau représentant de l’Assemblée parlementaire au colloque international « La démocratie : une valeur spirituelle ? » (Paris, 20 avril 2013)
M. René Rouquet (Val-de-Marne – SOC), président de la délégation, a participé à un séminaire sur l’initiative législative populaire, organisé par l’Assemblée parlementaire sur l’invitation du Parlement du Maroc (Rabat, 15 mai 2013).
En sa qualité de vice-président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, M. René Rouquet, président de la délégation française, a présidé la séance publique du mercredi 24 avril après-midi.
C. RENCONTRES DE LA DÉLÉGATION
Le représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe, S.E. M. Laurent Dominati, a reçu la délégation française, le 21 avril, pour un dîner de travail au cours duquel il a abordé les principaux points inscrits à l’ordre du jour.
M. René Rouquet, président de la délégation française, a reçu en entretiens :
– M. Eugène Czolij, président du Congrès mondial ukrainien, et Mme Ivanna Pinyak, présidente du Cercle économique France-Ukraine (23 avril) ;
– une délégation kurde composée de M. Hassan Mohamed Ali, membre du Conseil suprême kurde de Syrie, Mme Rhodi Mellek, représentante du PYD (1) à Bruxelles, Mme Fayik Yagizay, représentante du BDP auprès du Conseil de l’Europe, et Mme Hélène Erin (24 avril) ;
– M. Mohamed Yatim, président, Mme Nezha El Ouafi et M. Mohammed Mehdi Bensaid, membres de la délégation marocaine (25 avril).
II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DÉROULEMENT DE LA PARTIE DE SESSION
Lundi 22 avril 2013
– Intervention de M. Joachim Gauck, président de l’Allemagne ;
– Communication du Comité des Ministres à l’Assemblée parlementaire, présentée par M. Gilbert Saboya Sunyé, ministre des affaires étrangères de l’Andorre, président du Comité des Ministre ;
– Observation de l’élection présidentielle en Arménie ;
Mardi 23 avril 2013
– Dialogue postsuivi avec la Turquie ;
– Intervention de M. Bidzina Ivanishvili, Premier ministre de la Géorgie ;
– Intervention de M. Didier Burkhalter, vice-président du Conseil fédéral, Chef du département fédéral des Affaires étrangères de la Suisse
– Débat joint sur la lutte contre le « tourisme sexuel impliquant des enfants » et sur le bilan à mi-parcours de la campagne « UN sur CINQ » ;
– Mettre fin à la discrimination contre les enfants roms ;
Mercredi 24 avril 2013
– Violence à l’encontre des communautés religieuses ;
– Intervention de M. Victor Ponta, Premier ministre de la Roumanie ;
– La culture et l’éducation par les parlements nationaux : les politiques européennes ;
– Débat joint sur les jeunes Européens : un défi éducatif à relever d’urgence, et sur l’accès des jeunes aux droits fondamentaux ;
Jeudi 25 avril 2013
– Débat d’actualité : Les réfugiés syriens en Jordanie, en Turquie, au Liban et en Irak : comment organiser et soutenir l’aide internationale ? ;
– Intervention de M. Antoni Martí, chef du Gouvernement de l’Andorre ;
– Rapport annuel d’activité 2012 du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe ;
– Débat joint sur Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme, et sur la gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne ;
– Débat libre ;
Vendredi 26 avril 2013
– Projet de Protocole n° 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– Débat joint sur les nanotechnologies : la mise en balance des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement, et sur l’éthique dans la science et la technologie.
Le Règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe distingue trois types de textes : les avis, les recommandations et les résolutions :
– aux termes de l’article 24.1.a, une recommandation consiste en une proposition de l’Assemblée adressée au Comité des Ministres, dont la mise en œuvre échappe à la compétence de l’Assemblée mais relève des gouvernements ;
– définie à l’article 24.1.b, une résolution exprime une décision de l’Assemblée sur une question de fond, dont la mise en œuvre relève de sa compétence, ou un point de vue qui n’engage que sa responsabilité ;
– les avis répondent aux demandes qui sont soumises à l’Assemblée par le Comité des Ministres concernant l’adhésion de nouveaux États membres au Conseil de l’Europe, mais aussi les projets de conventions, le budget ou la mise en œuvre de la Charte sociale.
Le texte intégral des rapports, avis, comptes rendus des débats de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que les textes adoptés, sont consultables sur le site : http://assembly.coe.int.
Texte et rapporteur(e) |
Document(s) |
Commission des questions politiques et de la démocratie | |
Sauvegarder les droits de l’homme en relation avec la religion et la conviction et protéger les communautés religieuses de la violence M. Luca VOLONTÈ (Italie – PPE/DC) |
• Résolution 1928 |
Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme | |
Projet de Protocole n° 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales M. Christopher CHOPE (Royaume-uni – GDE) |
• Avis 283 |
Commission des questions sociales, de la santé et de la famille | |
Nanotechnologie : la mise en balance des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement M. Valeriy SUDARENKOV (Fédération de Russie – SOC) |
• Recommandation 2017 |
Les parlements unis pour combattre la violence sexuelle à l’égard des enfants : bilan à mi-parcours de la Campagne UN sur CINQ Mme Silvia BONET PEROT (Andorre – SOC) |
• Recommandation 2013 |
Lutter contre le « tourisme sexuel impliquant des enfants » M. Valeriu GHILETCHI (République de Moldova – PPE/DC) |
• Résolution 1926 |
Commission de la culture, de la science et de l’éducation et des médias | |
Les jeunes Européens : un défi éducatif à relever d’urgence Mme Polonca KOMAR (Slovénie – ALDE) |
• Résolution 1930 • Recommandation 2014 |
L’accès des jeunes aux droits fondamentaux M. Michael CONNARTY (Royaume-uni – SOC) |
• Recommandation 2015 |
La culture et l’éducation par les parlements nationaux : les politiques européennes Mme Anne BRASSEUR (Luxembourg – ALDE) |
• Résolution 1929 |
L’éthique dans la science et la technologie M. Jan KAŹMIERCZAK (Pologne – PPE/DC) |
• Résolution 1934 |
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées | |
Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme M. Mikael CEDERBRATT (Suède – PPE/DC) |
• Résolution 1932 • Recommandation 2016 |
La gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne M. Andrea RIGONI (Italie – ALDE) |
• Résolution 1933 |
Commission sur l’égalité et la non-discrimination | |
Mettre fin à la discrimination contre les enfants roms Mme Nursuna MEMECAN (Turquie – ALDE) |
• Résolution 1927 |
Commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles | |
Contestation pour des raisons formelles des pouvoirs non encore ratifiés de M. Andriy Shevchenko (Ukraine, PPE/DC) Mme Nataša VUČKOVIĆ (Serbie – SOC) |
• Résolution 1931 |
Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (Commission de suivi) | |
Dialogue postsuivi avec la Turquie Mme Josette DURRIEU (France – SOC) |
• Résolution 1925 |
C. INTERVENTIONS DES PARLEMENTAIRES FRANÇAIS
Lundi 22 avril 2013
– Intervention de M. Joachim Gauck, président de l’Allemagne : Mme Marie-Jo Zimmermann ;
– Communication du Comité des Ministres à l’Assemblée parlementaire, présentée par M. Gilbert Saboya Sunyé, ministre des affaires étrangères de l’Andorre, président du Comité des Ministre : Mme Marie-Jo Zimmermann ;
– Observation de l’élection présidentielle en Arménie : MM. René Rouquet et Jean-Marie Bockel ;
Mardi 23 avril 2013
– Dialogue postsuivi avec la Turquie : Mme Josette Durrieu, MM. René Rouquet et Jean-Marie Bockel ;
– Intervention de M. Bidzina Ivanishvili, Premier ministre de la Géorgie : M. Jean-Marie Bockel ;
– Débat joint sur la lutte contre le « tourisme sexuel impliquant des enfants » et sur le bilan à mi-parcours de la campagne « UN sur CINQ » : Mme Maryvonne Blondin, M. René Rouquet ;
– Mettre fin à la discrimination contre les enfants roms : Mmes Bernadette Bourzai et Brigitte Allain ;
Mercredi 24 avril 2013
– Violence à l’encontre des communautés religieuses : MM. Bernard Fournier et Jean-Marie Bockel, Mme Marie-Jo Zimmermann ;
– Intervention de M. Victor Ponta, Premier ministre de la Roumanie : M. Jean-Pierre Michel ;
Jeudi 25 avril 2013
– Débat d’actualité : Les réfugiés syriens en Jordanie, en Turquie, au Liban et en Irak : comment organiser et soutenir l’aide internationale ? : Mme Josette Durrieu ;
– Intervention de M. Antoni Martí, chef du Gouvernement de l’Andorre : MM. René Rouquet, Christian Bataille, Frédéric Reiss ;
– Débat joint sur Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme, et sur la gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne : M. Yves Pozzo Di Borgo ;
Vendredi 26 avril 2013
– Projet de Protocole n° 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : M. Jean-Pierre Michel ;
– Débat joint sur les nanotechnologies : la mise en balance des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement, et sur l’éthique dans la science et la technologie : MM. Frédéric Reiss, André Schneider.
III. LES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE ET DANS LE MONDE
A. INTERVENTION DE M. JOACHIM GAUCK, PRÉSIDENT DE L’ALLEMAGNE
Figure du mouvement d’opposition qui précipita la fin du régime communiste en République démocratique allemande à la fin des années 1980, M. Joachim Gauck, président de l’Allemagne depuis le 18 mars 2012, était attendu par l’Assemblée parlementaire comme symbole d’un engagement sans faille en faveur des droits de l’homme et de la lutte contre le totalitarisme, et d’une réconciliation franco-allemande qui, en ce cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, apparaît comme un chapitre essentiel de l’histoire européenne.
M. Gauck a, dans un premier temps, souligné le caractère indispensable du Conseil de l’Europe et de son assemblée parlementaire, qui doivent être mis davantage en lumière et sortir de l’ombre de l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe est l’institution qui incarne le mieux le rapprochement des peuples, l’envie de paix, la coopération et l’union politique. C’est d’ailleurs dans son enceinte qu’en 1989, M. Michaël Gorbatchev, alors secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, a exposé son idée de « maison commune européenne », ouvrant la voie à une espérance qui est devenue réalité quelques mois après à peine. C’est aussi grâce au Conseil de l’Europe que les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit sont devenus des valeurs de référence pour les États d’Europe centrale et orientale et au-delà.
M. Gauck a ensuite fait part à l’Assemblée parlementaire de ses attentes vis-à-vis du Conseil de l’Europe. Il a d’abord dit sa conviction que les droits et libertés doivent être garantis par la pratique et pas seulement par les textes. C’est tout particulièrement vrai pour la Convention européenne des droits de l’homme, qui doit être « considérée comme un patrimoine commun et traitée comme telle ». Les États membres doivent donc tirer toutes les conséquences qui découlent des condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme. L’existence d’un espace juridique paneuropéen permet d’éloigner le risque qu’un jour ces droits soient violés et que leurs violations restent ignorées.
M. Gauck a également affirmé à l’Assemblée qu’à ses yeux, toute politique est aussi une politique des droits de l’homme. Il est faux de dire que la protection des droits de l’homme entre en contradiction avec la défense des intérêts politiques et économiques : à l’heure de la mondialisation, les États sont de plus en plus interdépendants et une parole critique en matière de droits de l’homme ne s’oppose pas aux échanges commerciaux. Les droits de l’homme ne sont pas négociables, ils sont universels et indivisibles. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe a une obligation d’ingérence.
Pour autant, est convenu M. Gauck, leur concrétisation est un travail de longue haleine. Bien que la démocratisation de l’Europe centrale et orientale soit intervenue beaucoup plus rapidement que ce que beaucoup espéraient, après la chute du communisme, de nombreuses tâches restent à accomplir sur le continent européen – M. Gauck a rappelé, à cet égard, qu’on ne saurait accepter en Europe deux poids et deux mesures en matière de droits de l’homme. La lutte contre le racisme, l’intolérance et la discrimination est un combat de chaque jour ; des campagnes de sensibilisation sont menées ça et là, qui constituent l’une des réponses les plus appropriées. Le lien avec la société civile est également primordial pour le Conseil de l’Europe, d’autant que les jeunes générations, en Europe centrale et orientale, ont confiance en elles-mêmes et se posent comme un interlocuteur capable de formuler des exigences politiques fortes. Il appartient aussi au Conseil de l’Europe d’œuvrer pour que tous les citoyens européens – y compris ceux du Kosovo et du Belarus - puissent bénéficier des garanties du système européen de protection des droits de l’homme et s’inscrire dans les valeurs de l’organisation. C’est pourquoi M. Gauck a formulé l’espoir que tous les États membres soient bientôt disposés à reconnaître le Kosovo comme État. Il a également appelé à prendre les mesures pour que la Cour européenne des droits de l’homme soit réformée afin qu’elle ne meure pas de son succès.
En concluant son intervention, M. Gauck a invité à transformer le Conseil de l’Europe en une communauté interne très soudée qui, en dépit des différences, favorise la cohésion et qui soit, vers l’extérieur, un exemple convaincant pour une démocratie vécue.
Mme Marie-Jo Zimmermann (Moselle – UMP) a interrogé M. Gauck sur la position de l’Allemagne quant au développement de la diversité linguistique :
« Le 22 février dernier, lors de votre discours sur l’Europe au Schloss Bellevue, vous avez plaidé pour que notre continent se dote d’une langue véhiculaire commune, l’anglais, afin de créer une agora européenne. Or, en tant que députée mosellane et membre de cette Assemblée, je considère que cette proposition va à l’encontre des efforts menés au sein de l’Europe pour préserver l’enseignement d’autres langues et favoriser la diversité linguistique mais aussi culturelle. Pouvez-vous préciser la position de l’Allemagne sur ce sujet important ? »
Dans sa réponse, M. Gauck a précisé que la diffusion d’une langue véhiculaire commune ne pouvait pas signifier que les Européens doivent renoncer à leur histoire et leur culture propre :
« Je tiens évidemment à ma chère langue allemande et je serais ravi que chacun puisse l’utiliser ! Néanmoins, je suis assez réaliste pour savoir que tel ne sera pas le cas dans les 250 prochaines années au moins ! Nous restons donc bien évidemment attachés à nos racines et à notre culture mais nous voulons aussi faciliter les échanges entre les hommes.
Même les habitants de l’ancien bloc de l’Est – Pologne, ex-Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, etc. – qui ont été forcés à apprendre la langue russe ont finalement choisi d’user de l’anglais tant cette langue est commune dans bien des domaines. Je n’y ai pas fait référence pour demander aux Britanniques d’être plus proches de l’Europe mais pour des raisons pragmatiques. »
B. OBSERVATION DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE EN ARMÉNIE
La mission d’observation de l’élection présidentielle organisée en Arménie le 18 février 2013 a présenté ses conclusions devant l’Assemblée. La commission ad hoc a estimé que l’élection a été globalement bien administrée et a respecté les libertés fondamentales, notamment la liberté de réunion et d’expression. Elle a noté que le processus électoral a enregistré des améliorations notables depuis la dernière élection présidentielle, par exemple en matière d’environnement médiatique, puisque les médias ont rempli leur obligation légale d’assurer une couverture équilibrée de la campagne.
La commission ad hoc a également indiqué que l’enregistrement des candidatures était largement ouvert, que les concurrents en lice ont pu faire campagne librement et que les électeurs ont eu la possibilité d’exprimer un véritable choix. La commission a néanmoins relevé qu’un grand nombre de fonctionnaires et agents publics ont participé à la campagne du candidat sortant, sur leur temps de congé. Elle a également fait part d’interventions « déplacées » dans le processus électoral, principalement de la part de représentants du président sortant, et de quelques violations graves.
La commission a invité les autorités arméniennes à s’attaquer aux déficiences qui ont été constatées, à continuer d’améliorer la précision des listes électorales et à clarifier la façon dont la Commission électorale centrale interprète le Code électoral en vue de mieux assurer l’intégrité du financement des campagnes.
M. René ROUQUET (Val-de-Marne – SRC), intervenant au nom du groupe socialiste après avoir participé à la mission d’observation des élections, a relevé les progrès manifestes dans la régularité et la sincérité des élections :
« Monsieur le président Marcenaro, Monsieur le rapporteur Schennach, je vous remercie de vos interventions.
J’assiste régulièrement aux réunions du Bureau et de la Commission permanente. J’ai pu constater la volonté de la présidence de mener des actions concrètes et de faire avancer certains dossiers sensibles – je pense notamment au Belarus ou au Kosovo.
Je me réjouis de l’accord historique conclu entre Belgrade et Pristina pour normaliser leurs relations. Sans que l’Assemblée parlementaire ait été directement associée aux négociations, je pense que son implication dans l’apaisement des tensions en Europe depuis ces derniers mois n’est pas étrangère à ce succès.
Je voudrais revenir plus longuement sur la mission d’observation électorale en Arménie à laquelle j’ai participé avec vous, Monsieur le rapporteur. Quelques points me semblent essentiels.
Peu avant le scrutin, le Président Sarkissian déclarait : « Nous avons besoin d’élections libres et justes comme de l’oxygène. Et nous avons aujourd'hui tous les moyens d’organiser les meilleures élections possibles. »
Et en effet, ces élections étaient un vrai test démocratique pour l’Arménie : un test démocratique au regard des évènements tragiques de 2008, à la suite des dernières élections ; un test démocratique pour améliorer les perspectives d’accès à cet accord d’association avec l’Union européenne si essentiel au développement économique du pays ; enfin, un test démocratique pour démontrer que la collaboration avec la commission de Venise pour réformer le code électoral pouvait se concrétiser en des élections libres.
Je crois – et c’est l’opinion de la grande majorité des observateurs – que le défi a été relevé. Nous ne pouvons que nous en réjouir !
Les améliorations notables des conditions de vote et de l’utilisation des médias ont été soulignées par l’ensemble des missions d’observation. Nous n’avons noté aucun incident grave lors de nos observations.
Ces progrès sont d’autant plus remarquables qu’ils se font dans un contexte économique particulièrement difficile pour ce pays enclavé, où, selon la Banque mondiale, plus de 36 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté. Les questions économiques ont d’ailleurs été le thème principal de la campagne électorale.
Il n’en reste pas moins que des efforts doivent encore être faits, en particulier pour mettre fin au problème récurrent de l’utilisation des ressources administratives.
Cela demande de la volonté politique – mais je sais que nos collègues arméniens n’en manquent pas ! Cela demande aussi un soutien de notre part, par la coopération et l’échange d’expérience entre administrations. Une administration impartiale, au service de tous, sera le symbole, j’en suis persuadé, d’une Arménie encore plus démocratique, encore plus libre. »
M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin – UDI), qui avait également participé à la mission d’observation, a souhaité que l’élection achevée permette à l’Arménie de relever les défis politiques auxquelles elle est confrontée, notamment l’enracinement d’une culture démocratique et la résolution du conflit du Haut-Karabakh :
« J’ai moi aussi été observateur lors de cette élection. Je ne reviendrai pas sur les modalités du scrutin. À l’instar de mes collègues, j’ai trouvé qu’il avait été plutôt bien organisé, même si le manque d’impartialité de l’administration publique n’a pas été sans jeter une forme de trouble, que certains collègues ont également relevée. Mon propos portera davantage sur les enseignements politiques de ce scrutin.
L’Arménie présente en effet, à l’issue de cette élection, une nouvelle image, avec une opposition marquée entre villes et campagnes. Le pouvoir en place, même s’il a été reconduit, ne peut plus mésestimer la nécessité de mener à bien un certain nombre de réformes économiques, fiscales et judiciaires qui ont été au cœur de la campagne. Il faut rompre avec les logiques passées et encourager, notamment, l’action de la commission d’État pour la concurrence. La lutte contre la corruption doit aussi devenir une véritable priorité.
La démocratie repose également sur la crédibilité de l’opposition. À cet égard, le score de M. Raffi Hovhannisyan a constitué une vraie surprise pour les observateurs. Il est indispensable que ce succès relatif débouche sur la structuration d’un mouvement politique jouant le jeu des institutions. Sans vouloir interférer dans le débat interne du pays, je fais allusion, évidemment, aux élections de 2008 et au chaos qui s’en était suivi.
Nous souhaitons tous que l’opposition, au lieu de s’enfermer dans le rejet systématique de l’élection, cherche à s’inscrire dans le processus démocratique, lequel suppose la coexistence d’une majorité et d’une opposition. Cela est d’autant plus important que le pays doit relever des défis majeurs. Je pense bien sûr, en particulier, au conflit larvé du Haut-Karabakh. Certes, le problème est d’ordre politique. Il faut d’ailleurs que les différentes parties continuent à s’impliquer ; à cet égard, ce conflit concerne le Conseil de l’Europe et je sais que notre Président s’engage pour trouver des solutions. Mais cette situation a aussi pour conséquence un grand nombre de réfugiés en Azerbaïdjan, qui sont les premières victimes du conflit. Ces personnes ne peuvent plus retourner dans leur maison et mener une vie normale. Il y a aussi, d’ailleurs, des réfugiés arméniens.
C’est là un vrai défi auquel les autorités de ce pays, en dialogue plutôt qu’en conflit avec celles du pays voisin, devraient trouver une réponse. Il faut trouver une solution au problème politique et au problème lancinant des réfugiés, qui perdure depuis maintenant plus de vingt ans.
C’est dans cet esprit que j’ai rédigé une proposition de résolution dans le cadre de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Je souhaite bien sûr qu’un certain nombre d’entre vous la signent pour que, à travers ce travail, nous puissions avancer vers la résolution de cette question lancinante et insupportable, ainsi que, plus généralement, celle du conflit du Haut-Karabakh. »
C. DIALOGUE POSTSUIVI AVEC LA TURQUIE
Lorsque l’Assemblée parlementaire a décidé de clore sa procédure de suivi de la Turquie en 2004, elle a identifié douze sujets nécessitant des progrès supplémentaires et motivant la décision d’engager un dialogue postsuivi.
Le rapport établi par Mme Josette DURRIEU (Hautes-Pyrénées – SOC), au nom de la commission de suivi, part du constat qu’un processus de réformes de grande envergure est engagé en Turquie, dans une situation complexe de transition politique en ce qui concerne le pouvoir judiciaire et l’armée, la question kurde et l’instabilité régionale, surtout dans la Syrie voisine. Sur le plan économique, la Turquie est restée très dynamique dans un contexte de crise mondiale et a confirmé sa place de puissance régionale. Elle est également devenue un « pays de référence » pour les pays musulmans de la rive Sud de la Méditerranée à la suite des bouleversements du « printemps arabe ».
La commission convient que les nombreuses réformes intervenues entre 2004 et 2013 contribuent à rapprocher la législation turque des exigences et des valeurs du Conseil de l’Europe, mais estime qu’elles ne répondent que de façon partielle aux problèmes qui subsistent et que l’Assemblée a mis en évidence. Le rapport de la commission détaille ainsi les mesures que la Turquie devrait prendre pour achever avec succès son programme de réformes, notamment la poursuite de la révision de la Constitution et du Code pénal, l’approfondissement de la liberté d’expression, la limitation des détentions provisoires, la décentralisation locale et régionale ou la résolution de la question kurde.
Mme Josette DURRIEU (Hautes-Pyrénées – SOC), rapporteure du texte, a centré son intervention sur les tensions qui résultent de la période de transition politique majeure que connaît la Turquie depuis une décennie, où, en matière de respect des droits de l’homme, des progrès évidents vont de pair avec des préoccupations persistantes :
« Monsieur le Président, chers collègues, engagée en 2004, la procédure de post-suivi de la Turquie continue de se poursuivre. On pourrait considérer, en 2013, qu’elle a beaucoup duré.
La Résolution 1380 de 2004 qui fixait 12 points à vérifier nous amène à constater que beaucoup a été fait, beaucoup de réformes, beaucoup d’amendements à la Constitution et, tout récemment, un « 4ème paquet » de réformes concernant la justice.
Nous attendons et espérons beaucoup de ces réformes tout en sachant que le travail n’est pas fini.
Par un concours de circonstances, le présent rapport sort en même temps que celui du Parlement européen, qui est soumis à la Commission européenne. Il est intéressant de voir que leurs analyses se corroborent, ce qui est d’ailleurs normal puisque des analyses objectives ne peuvent conduire qu’à des conclusions objectives. L’état des lieux qui a été réalisé témoigne que si bien des choses ont été engagées, d’autres restent encore à accomplir dans un domaine essentiel comme l’est, par exemple, celui des droits de l’homme.
L’article 24 du rapport du Parlement européen rejoint l’article 4 de celui que je vous présente. Le Parlement européen encourage ainsi la Commission à rouvrir les chapitres 22, 23 et 24 relatifs à la réforme judiciaire et aux droits de l’homme et, ce, dès le début des négociations, et de ne les clore qu’à la fin.
La Turquie est un grand, un très grand pays, un pays clé dans et pour cette région du monde, pour la Méditerranée, pour l’Union européenne. Tout concourt à ce qu’il en soit ainsi : son histoire, son économie, sa situation, sa stabilité politique dans une zone tourmentée suite aux mouvements arabes. Force est de constater, cependant, que nous sommes encore grandement préoccupés.
Politiquement, la Turquie connaît en effet une phase de transition entre le régime kémaliste, laïque, démocratique et militaire et, depuis dix ans, celui de l’AKP, M. Erdogan étant aujourd’hui Premier ministre. Ce sont deux périodes qui se succèdent et s’affrontent. Si les complots, bien réels, sont en voie de disparition, les procès demeurent quant à eux très nombreux, dont celui du réseau Ergenekon, qui concerne beaucoup de monde et contribue à remplir les prisons. Nous ne pouvons qu’être émus et interpellés par une telle situation. Certains, comme Amnesty International, le font d’ailleurs savoir en des termes plus vigoureux que les nôtres.
Nous partageons des valeurs communes et nous voulons les approfondir ensemble. Tout ce qui relève de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme est au cœur de ce creuset qu’est le Conseil de l’Europe, lieu où se forge la conscience européenne. Il faut donc que la situation continue d’évoluer dans le bon sens en Turquie, en particulier en matière de liberté d’expression, de droit à manifester et de droit à l’information. Le bilan n’est pas clos même si, je le répète, bien des réformes ont été accomplies.
Nous avons donc vérifié la mise en œuvre des douze points contenus dans la Résolution 1380. En l’occurrence, la refonte de la Constitution est en cours et elle n’est pas facile ; l’abaissement du seuil électoral de 10 % est maintenu ; nous n’avons pas eu de réponse satisfaisante quant à la question de l’objection de conscience ; les problèmes demeurent s’agissant de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, de la Charte européenne des langues régionales, de l’achèvement de la réforme du Code pénal, de l’application de la réforme de l’administration locale et, donc, de la décentralisation et, enfin, de la politique visant à reconnaître l’existence des minorités.
Plus globalement, la réforme de la Constitution achoppe surtout sur la définition de la citoyenneté et de la nationalité.
Le peuple turc, toutefois, tranchera puisque l’élection présidentielle aura lieu en 2014, suivie en 2015 d’élections législatives. Je suis convaincue que la Turquie accomplira l’ensemble des réformes nécessaires afin que ces élections soient l’aboutissement d’un processus qui, ensuite, favorisera une nouvelle appréciation de la situation.
Cette coopération, ce dialogue, cette compréhension mutuelle sont d’autant plus nécessaires que nous accompagnerons la démarche que la Turquie a engagée auprès de l’Union européenne dans un contexte que je souhaite politiquement apaisé.
Enfin, les Turcs doivent résoudre ce problème fondamental que pose la situation des Kurdes. Nous formons le vœu que des négociations soient engagées et qu’elles réussissent. Alors, nous pourrons considérer que la situation sera pleinement positive. »
Pour M. René Rouquet (Val-de-Marne – SRC), président de la délégation, la Turquie est au milieu du gué : des réformes nombreuses ont été entreprises mais les droits de l’homme sont encore menacés par l’ancrage insuffisant de la culture démocratique et par la persistance de problèmes politiques majeurs :
« Pour le dixième anniversaire de la victoire électorale du Parti de la Justice et du développement, de nombreux journaux turcs ont fait leurs titres sur « l’AKP et la révolution anatolienne ». C’est peu dire que, dans la décennie écoulée, la Turquie a effectivement connu des bouleversements majeurs. Depuis la clôture de la procédure de suivi, en 2004, ce pays a engagé des efforts substantiels pour mieux satisfaire aux valeurs du Conseil de l’Europe. Le rapport établi par notre collègue Josette Durrieu en dresse un tableau remarquable. Qu’elle soit ici remerciée pour la précision de ses analyses et la sûreté de son jugement.
De ce rapport, je retiens trois éléments marquants : la redéfinition du rôle de l’armée et la démilitarisation de la vie politique – car il n’est pas de réelle démocratie lorsque les militaires se prennent à dicter la loi civile ; l’approfondissement des droits de l’homme, qu’ils soient individuels, comme l’instauration d’un droit de recours devant la Cour constitutionnelle dans les matières relevant de la CEDH, ou qu’ils soient collectifs, comme l’élargissement des droits syndicaux ; et l’adoption de plusieurs « paquets » de réformes judiciaires qui visent à renforcer la prééminence du droit dans le fonctionnement des institutions turques.
Mais les vieux réflexes ont la vie dure : en janvier dernier, quinze avocats ont été arrêtés à Istanbul, Izmir et Ankara et leurs bureaux perquisitionnés en l’absence de membres du conseil de l’ordre des avocats. Il y a quelques jours, le pianiste Fazil Say a été condamné à dix mois de prison avec sursis pour des propos qui ont été considérés par le juge comme une « insulte aux valeurs religieuses d’une partie de la population ». Ces décisions sont inquiétantes : lorsqu’un pouvoir – qu’il soit exécutif ou judiciaire – s’attaque à ceux qui incarnent les droits de la défense ou qui portent la voix de la culture, ce sont les droits de l’homme qui sont en danger.
Le chemin à parcourir est encore long pour la Turquie. Mais est-ce si étonnant ? Comme le souligne fort justement notre rapporteure, le pays est engagé dans une profonde transition politique, qui n’est pas seulement affaire de droit et d’institutions, mais surtout de culture et de mentalités. Ce genre de transition prend du temps. N’oublions pas non plus que, bien souvent, les atteintes aux droits de l’homme en Turquie tirent prétexte de la lutte contre le terrorisme, au nom de laquelle sont maintenues la plupart des dispositions juridiques contestables évoquées dans le rapport. Pour asseoir définitivement la primauté des droits de l’homme, la Turquie devra donc, à l’évidence, résoudre la question kurde. Et je me réjouis des ouvertures qui ont été enregistrées de part et d’autre ces derniers mois. Elles sont indispensables. Elles doivent être soutenues.
Pour aller plus loin, la Turquie devra aussi en passer par une confrontation avec son passé, même le plus sombre. Croyez-en un citoyen français : je sais combien il est difficile pour un pays de se pencher sur les heures difficiles de son histoire. La France a mis cinquante ans à reconnaître officiellement le rôle actif de l’État dans la déportation des Juifs ; une mémoire sereine de la colonisation peine toujours à s’ébaucher ; et je ne parle même pas de la mémoire spécifique de la guerre d’Algérie…
Je forme le vœu que, bientôt, la Turquie saura trouver la force nécessaire pour prononcer le mot que chacun connaît et que beaucoup attendent. Par-delà l’horizon de l’Arménie, c’est l’Europe tout entière qui y trouverait un élan nouveau pour la réconciliation et la paix. »
M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin – UDI) a fait part d’une certaine perplexité face à l’attitude du gouvernement turc et a rappelé le caractère universel et intangible des valeurs du Conseil de l’Europe, qui doivent primer les traditions religieuses :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, permettez-moi de saluer à mon tour l’excellent rapport de notre collègue Josette Durrieu, précis et mesuré, qui souligne avec justesse les progrès accomplis par la Turquie pour respecter ses engagements, mais aussi l’ampleur des réformes qui restent à accomplir. C’est d’ailleurs un sentiment ambivalent qui prédomine à l’issue de la lecture de ce rapport. Il demeure, dans la plupart des domaines étudiés par la commission de suivi, une marche à franchir pour les autorités turques, un point de détail ici ou là – voire plus – qui conduit aujourd’hui notre Assemblée à envisager de poursuivre le dialogue.
Les félicitations que nous voudrions adresser, les exemples que nous souhaiterions mettre en avant pour bien montrer que la Turquie a tourné la page d’une conception autoritaire de la démocratie sont tempérés par des failles ou des manques dans les dispositifs législatifs adoptés par Ankara.
Il en va ainsi du nouveau code pénal turc, qui promeut une conception plus libérale de la liberté d’expression. Cette orientation est néanmoins relativisée par la non-abrogation de l’article 301 qui punit les atteintes à l’identité et à la nation turque, crime relativement imprécis et qui prête à toutes les interprétations. Il y aussi le contre-exemple, cité par beaucoup d’entre nous, du talentueux pianiste Fazil Say, qui a eu le tort citer des vers d’un poète persan du XIe siècle, ce qui a été considéré comme des insultes aux valeurs religieuses. Cela nous intrigue d’autant plus que ce cas n’est pas isolé. Je ne peux donc qu’exprimer une certaine perplexité face à de telles décisions, d’autant plus que, comme le souligne Josette Durrieu, le gouvernement fait montre, dans certains dossiers, d’une réelle volonté de mettre en conformité sa législation avec les canons du Conseil de l’Europe, dont la Turquie est d’ailleurs, par l’intermédiaire de ses parlementaires, un membre extrêmement actif. Je ne veux pas croire à une attitude ambivalente de la part des personnalités qui sont à la tête de ce pays, qui nous ont montré par le passé leur stature d’hommes d’État.
La démarche du gouvernement turc actuel est singulière. Qu’elle tente de concilier respect des valeurs démocratiques et religieuses, dans un pays dont la tradition laïque n’est plus à démontrer, je le comprends. Je ne pense pas que l’islam soit incompatible avec le respect des libertés individuelles et de l’État de droit. Il n’en demeure pas moins que c’est aux religions, quelles qu’elles soient, de s’adapter, tant les valeurs que nous défendons sont intangibles et ne peuvent être relativisées à l’aune d’une interprétation des préceptes religieux. Cela dit, la Turquie moderne est une success story et son rôle géopolitique est majeur. C’est un grand pays que nous admirons et que nous aimons. Je souhaite que sa marche vers l’Union européenne se poursuive.
S’agissant du Conseil de l’Europe, il doit accompagner les autorités turques sur le chemin exigeant qu’elles ont choisi d’emprunter. C’est pour cette raison que je souhaite, comme la rapporteure, que le dialogue post-suivi continue. Comme l’ont dit plusieurs collègues, un certain nombre de sujets, au-delà du code et des textes, sont des enjeux majeurs pour la poursuite de la modernisation de la Turquie dans la démocratie. Cela n’est pas facile ; nous le savons. Le Conseil de l’Europe est là pour vous encourager et vous aider. »
Répondant aux différents intervenants, Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées – SOC), rapporteure du texte, a exprimé sa confiance dans la capacité de la Turquie à remplir les engagements pris dans le cadre du Conseil de l’Europe et à assumer son rôle de pays de référence au Proche-Orient :
« Je remercie l’ensemble de la délégation turque pour son accompagnement tout au long de la mission. Je voudrais remercier aussi les autorités turques qui, dans leur pays, ont été à notre disposition, en particulier le ministre de la justice qui a fait un énorme travail et avec qui nous avons coopéré parfaitement.
Je remercierai également le secrétariat et tout spécialement Sylvie Affholder pour sa collaboration.
Effectivement, nous avons souhaité qu’il y ait un post-suivi. Il a été rappelé que j’étais alors présidente de la commission. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne formule. Il est essentiel de réaliser un bon suivi et de le clore à un certain moment. Les procédures qui n’en finissent pas ne sont pas réellement souhaitables.
Je voudrais répondre à ceux qui disent : il y avait douze points à vérifier et rien d’autre. Ces douze points, précisément, nous les avons vérifiés. Nous faisons de la politique et nous ne pouvons pas extraire le constat du contexte du moment.
Prenons le premier point : la refonte de la Constitution de 1982. Eh bien ! Cela n’a été pas fait. Nous ne pouvions nous en tenir à ce point essentiel qui va déterminer la vie politique de la Turquie. J’ai donc rappelé quels étaient les douze points et nous avons établi un bilan que nous ne pouvons pas considérer comme achevé.
La Turquie est un pays de référence et doit le demeurer. Elle l’est de plus en plus chaque jour avec les mouvements qui se déploient dans toute cette partie sud de la rive de la Méditerranée.
Pays de référence, démocratie, État de droit, droits de l’homme, pays qui joue un rôle essentiel, pays sur qui on fonde beaucoup d’espoir. Par conséquent, vous avez raison de dire qu’il doit s’affirmer comme un modèle.
L’annonce du 4ème paquet a été faite le 13 avril, soit après la clôture du rapport. Mais vous avez dit l’essentiel en exprimant votre émotion sur l’absence de liberté, quand sont touchés les élus, les militaires, les journalistes, les étudiants. C’est à cela qu’il faudra mettre un terme. La Turquie est capable d’atteindre cet objectif qui n’est pas trop ambitieux mais que nous avons fixé avec elle.
Je voudrais saluer l’effort énorme réalisé par la Turquie en faveur des réfugiés Syriens. C’est une action admirable qui nous autorise à considérer que ce pays peut être exemplaire.
Je formule le vœu que le processus de paix avec les Kurdes aboutisse enfin. Coopérons avec confiance. L’une d’entre vous a dit : le Conseil de l'Europe est notre maison. Oui, c’est votre maison, vous êtes un pays fondateur du Conseil de l'Europe. C’est la raison pour laquelle vous devez aussi être un pays de référence. Si le Conseil de l'Europe est votre maison, je souhaite à titre personnel, à titre politique, que l’Europe soit votre avenir. »
L’Assemblée a adopté 3 amendements, présentés par la commission de suivi, ayant pour objet de « mettre en conformité le texte avec l’évolution de la situation en Turquie », a indiqué Mme DURRIEU lors des débats. Ces amendements tendaient à tirer les conséquences de l’adoption récente du « quatrième paquet » de réformes judiciaires et d’une loi sur les étrangers et la protection internationale.
L’Assemblée a également examiné un amendement présenté par la commission de suivi tendant à remplacer le paragraphe 15.8 de la proposition de résolution par un paragraphe ainsi rédigé :
L’Assemblée salue la reprise officielle des pourparlers initiés en décembre 2012 par les autorités turques avec le leader du PKK. Elle se félicite aussi du processus de recherche d’une solution, qu’elle considère à l’évidence comme la voie vers l’arrêt des violences et l’instauration d’un cadre pacifié pour le règlement de la question kurde. L’Assemblée sait que ce processus est fragile et devrait s’accompagner du retrait des activistes du PKK de Turquie. Un « comité des sages » de 63 personnes a été créé. L’Assemblée souhaite qu’il soit représentatif de tous les acteurs de la société et des différentes forces politiques pour soutenir l’aboutissement de cette initiative.
Mme Josette DURRIEU (Hautes-Pyrénées – SOC), rapporteure, a expliqué :
« La formulation n’est pas neutre : « activistes du PKK en Turquie ». Je ne souhaite pas employer le mot « terroriste » tant qu’il n’est pas défini de façon universelle, ainsi que le mot « résistance ». C’est pourquoi je préfère parler d’« activistes du PKK ». »
Sur l’avis favorable de la commission du suivi, l’Assemblée a adopté cet amendement.
La résolution adoptée par l’Assemblée rappelle que des réformes importantes ont été engagées dans un contexte particulièrement complexe tant sur le plan intérieur qu’extérieur, notamment depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir, il y a 10 ans. La Turquie est entrée dans une période de transition politique, marquée par la redéfinition du rôle de l’armée, le repositionnement des différents pouvoirs (comme la justice), l’ouverture de grands procès, la question kurde en Turquie ou encore le conflit syrien. La résolution précise que dans la phase initiale du dialogue postsuivi (2004-2010), de nombreuses réformes ont été engagées, mais qu’elles ne répondaient que partiellement à quelques-uns des 12 points d’intérêt qui justifiaient l’engagement d’un dialogue postsuivi. Elle détaille ensuite les réformes intervenues dans les douze domaines identifiés, en les replaçant dans leur contexte politique.
L’Assemblée conclut à l’opportunité de poursuivre le dialogue postsuivi, notamment à la lumière des élections locales de 2014, de la première élection du Président de la République au suffrage direct en 2014 et des élections législatives de 2015 ; elle décide de présenter, à l’issue de ces échéances, un rapport complet sur le dialogue postsuivi.
D. INTERVENTION DE M. BIDZINA IVANISHVILI, PREMIER MINISTRE DE LA GÉORGIE
Après avoir accueilli M. Mikhail Saakachvili, président de la Géorgie, lors de la première partie de la session de 2013, l’Assemblée parlementaire a ouvert son hémicycle à M. Bidzina Ivanishvili, Premier ministre de la Géorgie. Ce pays connaît actuellement une situation de cohabitation inédite à la tête de l’État, le Premier ministre étant issu de la coalition « Rêve géorgien » née de l’opposition au président Saakachvili et victorieuse aux élections législatives d’octobre 2012.
M. Ivanishvili est tout d’abord revenu sur le processus de transition politique qui a commencé avec l’indépendance de la Géorgie, qui a trouvé un élan spécifique avec l’adhésion du pays au Conseil de l’Europe en 1999 et qui se poursuit après les élections législatives d’octobre 2012, le changement de majorité et la cohabitation au sommet de l’État. Peu à peu, la Géorgie intègre les valeurs démocratiques incarnées par le Conseil de l’Europe, malgré une histoire compliquée et un contexte régional difficile. Elle veut transformer ses structures autoritaires en un système civique moderne, tout en engageant un processus de « guérison » qui conduit à mettre en accusation les responsables – politiques et administratifs – des abus passés. Cette démarche doit être transparente et la Géorgie s’appuiera tant sur l’expertise des organes du Conseil de l’Europe que sur la contribution personnelle de diverses personnalités étrangères et l’ouverture aux médias et délégations parlementaires étrangers.
M. Ivanishvili a ensuite fait part de la volonté de la Géorgie de tourner la page dans le dialogue avec la Russie et de ne pas recourir à la force pendant le processus de règlement du conflit. Pour autant, la Géorgie ne compte pas abandonner ses intérêts, notamment son intégrité territoriale, et compte sur le soutien de la communauté internationale. La normalisation des relations avec la Russie sera bénéfique à tout le Caucase, alors que le fait que la Géorgie a demandé son adhésion à l’OTAN montre son attachement profond aux valeurs occidentales.
M. Ivanishvili a également présenté les initiatives prises par le gouvernement géorgien dans le domaine du développement économique, de la politique de l’emploi, de la protection des travailleurs et, plus largement, de la protection sociale des citoyens. Il a évoqué l’engagement du gouvernement de respecter la liberté des médias, ainsi que la contribution de la réforme judiciaire au processus de construction démocratique du pays.
M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin – UDI) a évoqué les inquiétudes apparues à la suite des élections quant au recours du nouveau gouvernement à des formes de « justice sélective » et a souhaité obtenir des informations sur la politique énergétique du pays :
« Comment allez-vous surmonter, dans le contexte d’une cohabitation difficile, la contradiction entre les efforts que vous faites pour établir l’État de droit – le Président Mignon les évoquait encore tout à l’heure – et des jugements aussi sévères que celui de M. Barroso, lequel parle d’une justice sélective à la suite de la mise en cause massive d’opposants ?
Ce qui compte finalement, c’est le développement de votre pays. J’aimerais, à cet égard, que vous nous disiez un mot sur votre politique énergétique, car c’est un sujet important pour l’indépendance et le développement de votre pays. »
Le Premier ministre a affirmé l’engagement des autorités géorgiennes en faveur de l’État de droit et a souligné la volonté d’indépendance et d’ouverture de la Géorgie en matière énergétique :
« Monsieur Bockel, concernant votre première question, notre objectif est d’avoir un système judiciaire qui soit indépendant pour que nos citoyens vivent dans un État de droit. Nous allons faire de notre mieux pour garantir l’indépendance du judiciaire.
Pour ce qui est de l’énergie, c’est le secteur le plus attrayant pour les investisseurs. L’indépendance énergétique est l’un des éléments essentiels de la sécurité de tous les pays ; nous souhaitons donc continuer à construire des centrales hydroélectriques. Nous sommes tout fait favorables à la construction de pipelines, tel que celui qui traverse le territoire géorgien et souhaitons développer de bonnes relations avec nos voisins afin que notre territoire soit une zone de transit. Cela sera bon également pour le reste du monde. »
E. INTERVENTION DE M. DIDIER BURKHALTER, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL FÉDÉRAL, CHEF DU DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA SUISSE
La troisième intervention de M. Didier Burkhalter, vice-président du Conseil fédéral, Chef du département fédéral des Affaires étrangères de la Suisse, devant l’Assemblée parlementaire revêtait une dimension symbolique forte, le Conseil de l’Europe célébrant au même moment le cinquantième anniversaire de l’adhésion de cet État.
M. Burkhalter a tout d’abord souligné qu’en Suisse, la relation à l’Europe est pleinement intégrée à l’ensemble du débat démocratique : les citoyens sont appelés à se prononcer sur la politique internationale du pays, ce qui explique, par exemple, que l’adhésion à l’ONU ait été décidée par une votation populaire. Or le contexte politique et institutionnel suisse est très particulier : le pouvoir y est limité – car l’initiative et la responsabilité individuelles jouent un rôle fondamental dans l’engagement politique et parce que de vastes pans de la politique dépendent des partenaires sociaux ; le pouvoir est également décentralisé – notamment au vu des modalités d’organisation du système fédéral ; le pouvoir est enfin fragmenté – la collégialité des institutions exécutives étant de règle. C’est peut-être en raison de ces caractéristiques singulières que la Suisse a « pris son temps » pour adhérer à l’ONU et au Conseil de l’Europe. En tous domaines, la Suisse veut évaluer de façon approfondie les enjeux d’une politique avant de s’engager ; c’est d’ailleurs toujours le cas lorsqu’il s’agit de signer les différentes conventions et instruments internationaux élaborés par le Conseil de l’Europe.
Pour M. Burkhalter, on ne soulignera jamais assez l’importance de cette dernière organisation, sa contribution centrale à l’extension et la généralisation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. C’est pourquoi il est essentiel que ses valeurs puissent bientôt bénéficier aux populations européennes qui en sont encore privées aujourd’hui : d’une part, le dialogue devrait reprendre avec le Belarus et, d’autre part, les populations du Kosovo devraient pouvoir jouir des garanties instituées dans le cadre du Conseil de l’Europe. Il en est de même des territoires en proie à des conflits prolongés et « gelés », les efforts européens devant alors porter en priorité sur la résolution de ces différends.
Toute l’histoire de l’Europe montre que l’approfondissement des droits de l’homme et des libertés fondamentales favorise la coopération des États et fait reculer les conflits violents. Dans un contexte budgétaire difficile, il faut donc continuer à renforcer l’efficacité du Conseil de l’Europe. Cela passe notamment par la poursuite de la réforme de la Cour européenne des droits de l’homme, engagée lors de la conférence d’Interlaken, et un nouvel élan pour la réforme du Conseil de l’Europe engagée par l’actuel Secrétaire général.
M. Burkhalter a conclu son intervention en donnant des éclairages précis sur les lignes de force de la politique européenne de la Suisse. Ce pays assumera la présidence de l’OSCE en 2014, à l’occasion de laquelle il engagera les actions nécessaires à une plus grande stabilité et à la prospérité du continent et œuvrera à une coopération plus approfondie entre l’OSCE et le Conseil de l’Europe. Par ailleurs, la Suisse poursuivra son combat engagé de longue date pour l’abolition de la peine de mort, y compris dans les États non européens.
F. INTERVENTION DE M. VICTOR PONTA, PREMIER MINISTRE DE LA ROUMANIE
Président du Parti social-démocrate depuis 2010, M. Victor Ponta est devenu Premier ministre en mai 2012, à la suite du renversement par une motion de censure du gouvernement de centre-droit dirigé par M. Ungureanu. Son premier gouvernement a été marqué par un affrontement politique très vif avec le président, M. Traian Băsescu, pendant l’été 2012. Depuis les élections législatives du 9 décembre 2012, il dirige un gouvernement de coalition autour de l’Union sociale-libérale, qui réunit le Parti social-démocrate, l’Union nationale pour le progrès de la Roumanie, le Parti national libéral et le Parti conservateur ; la coalition dispose de 273 députés sur 412 à la Chambre des députés et 122 sénateurs sur 176 au Sénat.
M. Ponta a tout d’abord souligné que, vingt ans après son adhésion au Conseil de l’Europe, la Roumanie pouvait se féliciter du rôle actif et déterminant de l’organisation et de M. Jean-Claude Mignon, président de l’Assemblée parlementaire, dans la recherche d’une solution à la crise politique qu’a connue le pays pendant l’année 2012. Il a évoqué quatre domaines où la Roumanie sollicite le soutien du Conseil de l’Europe et cherche à bénéficier de son expérience :
– les ajustements qu’il convient d’apporter à la Constitution et pour lesquels l’expertise de la Commission de Venise sera précieuse ;
– la résolution des affaires roumaines portées devant la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier les 3500 affaires relatives à la restitution des biens confisqués par le régime communiste ;
– un meilleur respect des droits des minorités, pour la protection desquelles la Roumanie dispose déjà des normes les plus élevées mais qui souhaite renforcer encore son arsenal législatif ;
– les efforts en vue de mieux intégrer la communauté rom, car la Roumanie souhaite s’attaquer aux racines du problème et tient à exprimer sa reconnaissance aux gouvernements de la France, de l’Allemagne et des Pays-bas.
M. Ponta a mis en avant l’importance de la Roumanie comme pôle de stabilité régionale. Le pays pourrait devenir un relais efficace du Conseil de l’Europe pour asseoir dans la région la prééminence du droit, le respect des droits de l’homme et la diffusion des institutions et de la culture démocratiques, tout comme il pourrait apporter un concours utile à la République de Moldova dans la recherche d’une solution au conflit de la Transnistrie. Par ailleurs, la Roumanie soutient pleinement l’approche tournée vers l’Europe de la République de Moldova.
M. Jean-Pierre Michel (Haute-Saône – SOC) a interrogé le Premier ministre sur la façon dont la Roumanie entend améliorer l’exécution des très nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme rendus à son encontre :
« Monsieur le Premier ministre, votre pays est l’un de ceux qui sont le plus souvent condamnés par la Cour européenne de droits de l’homme et plusieurs milliers d’affaires le concernant sont actuellement pendantes.
Vous savez que la viabilité de la Cour suppose que les arrêts qu’elle rend soient exécutés dans les pays. Vous l’avez dit tout à l’heure dans votre excellente intervention, mais pouvez-vous nous dire plus explicitement comment votre gouvernement entend remédier à cette situation qui date déjà de plus de vingt ans ? »
Dans sa réponse, M. Ponta a évoqué les trois priorités des autorités roumaines au regard des contentieux portés devant la Cour :
« Je parlais dans mon intervention du problème de la restitution des biens. Un grand nombre de propriétaires spoliés sous le régime communiste ont porté leur affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Je suis très confiant. Nous avons discuté avec les représentants de la Cour de notre nouvelle législation et nous pensons résoudre ces affaires.
Deuxième point, nous avons coopéré avec la Commission européenne et adopté un nouveau code civil ainsi qu’un nouveau code pénal que nous continuons d’enrichir.
Troisièmement, je me préoccupe particulièrement des conditions de détention des prisonniers dans mon pays. Ce problème n’existe pas uniquement en Roumanie, bien sûr, mais nous devons faire des efforts pour offrir aux personnes condamnées des conditions plus conformes aux standards européens. »
G. DÉBAT D’ACTUALITÉ : LES RÉFUGIÉS SYRIENS EN JORDANIE, EN TURQUIE, AU LIBAN ET EN IRAK : COMMENT ORGANISER ET SOUTENIR L’AIDE INTERNATIONALE ?
L’Assemblée parlementaire a accueilli favorablement la demande, déposée par les groupes ALDE et GUE, de tenir un débat d’actualité sur la situation des réfugiés syriens accueillis dans les États limitrophes de la Syrie. L’aggravation du conflit pousse un nombre croissant de ressortissants syriens à fuir leur pays, comme a pu le constater la sous-commission sur le Proche-Orient lors d’une visite qui l’a conduite en Jordanie et dans les territoires palestiniens, notamment au camp de Zaatari. Depuis sa création, à la fin du mois d’août 2012, celui-ci accueille 1500 à 2000 personnes supplémentaires chaque jour.
En avril 2012, le nombre total de réfugiés syriens dans les pays limitrophes était évalué à 30.000 ; il est aujourd’hui d’environ 1,3 million, dont 450 000 en Jordanie, 430 000 au Liban, 292 000 en Turquie, 132 000 en Irak et 50 000 en Égypte. S’y ajoutent d’ailleurs les centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur des frontières syriennes.
Les voisins de la Syrie s’efforcent de porter assistance aux réfugiés parvenus sur leur sol, mais ils doivent pour cela consentir de lourds sacrifices : fournir de l’eau – alors que l’approvisionnement domestique est déjà bien souvent insuffisant pour les nationaux – et de la nourriture, prodiguer des soins de santé, assurer la scolarisation des enfants, garantir la sécurité, le tout dans un contexte politique régional mouvant.
En organisant ce débat, l’Assemblée parlementaire a voulu reconnaître les efforts considérables accomplis par les États limitrophes de la Syrie et rappeler la communauté internationale à ses devoirs de solidarité, tant à l’égard des réfugiés qu’à celui des États qui les accueillent. Il n’est de l’intérêt de personne que ceux-ci, dont l’équilibre politique parfois fragile pourrait être mis à mal du fait de l’afflux de réfugiés, soient peu à peu aspirés dans la spirale des violences qui déchirent la Syrie.
Intervenant au nom du groupe socialiste, Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées – SOC) a insisté sur l’ampleur de la tragédie subie par les réfugiés syriens, qui a pu être constatée par la sous-commission lors de sa récente visite sur place, et a appelé la communauté internationale à soutenir la Jordanie, la Turquie, le Liban pour éviter une déstabilisation complète de la région :
« La sous-commission pour le Moyen-Orient s’est rendue sur place en commençant sa visite par la Jordanie, car il était essentiel que nous prenions toute la mesure de cette situation dramatique qui frappe l’ensemble de la région – la Syrie, la Jordanie, le Liban, la Turquie, l’Irak.
C’est un drame. Hier, nous avons déclaré que ce qui se déroule en Syrie est une tragédie. Une tragédie qui vient s’ajouter au conflit israélo-palestinien, au cœur de toutes les crises. On compte les morts et les réfugiés…
J’ai eu l’occasion de visiter les camps syriens en Turquie dans la région de Yattia. La Turquie maîtrise encore la situation dans ces camps, consentant des efforts remarquables. Je l’ai souligné aux responsables turcs chaque fois que l’occasion m’en a été offerte.
Je veux maintenant concentrer mon propos sur le camp jordanien de Zaatari. Le choc et l’émotion ont été considérables. Cent quarante mille personnes sont concentrées sur un espace de moins de dix kilomètres carrés, des camps de tentes qui ont vu passer plus de 500 000 Syriens et qui en accueillent de 2 000 à 5 000 toutes les nuits. Soixante-quinze pour cent des réfugiés sont des femmes, des enfants, des vieillards. Soixante pour cent sont âgés de moins de 18 ans. Les besoins quotidiens sont immenses : 1 million de dollars par jour, 3,5 millions de litres d’eau. Et ces besoins vont doubler !
Les soins médicaux sont assurés par trois hôpitaux : un petit hôpital français, un grand hôpital dressé par les Marocains et un troisième par les Italiens. Bravo au HCR ! Merci à la Jordanie !
Les risques d’insécurité sont immenses, la situation explosive : la colère monte chez les Jordaniens qui ne peuvent plus supporter seuls, au quotidien, ce fardeau, quelle que soit leur générosité. On risque donc de voir se fermer les frontières de la Jordanie. Nous risquons aussi d’assister à l’affaiblissement et à la déstabilisation de cet État, dont nous avons besoin qu’il demeure un élément de stabilité. Chacun imagine la fin qui serait dramatique : bataille de Damas, bataille pour la maîtrise des sites chimiques… Comment seraient utilisés ces sites dont on ne sait qui s’en serait emparé ? Se dessine l’éventualité de voir les armes se retourner contre les camps et les réfugiés, notamment contre le camp de Zaatari.
Nous avons eu un long entretien avec le roi de Jordanie, qui nous a expliqué que Bachar-el-Assad tomberait faute d’énergie et de nourriture, non en raison du conflit, et qu’il fallait soutenir les rebelles, ajoutant aussitôt « Pas les extrémistes ». Oui, qui donc ? L’opposition laïque constituée des minorités. Terrible situation, terrible impuissance de la communauté internationale, qui marquera l’histoire du sceau de la honte !
Il faut agir rapidement en aidant la Jordanie, la Turquie, le Liban, ces pays d’accueil des réfugiés que nous n’aurons pas su sauver. »
IV. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
A. VIOLENCES SEXUELLES À L’ÉGARD DES ENFANTS
L’ordre du jour appelait la tenue d’un débat joint sur deux rapports présentés par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable ayant trait à la violence exercée à l’égard des enfants : le premier visant la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, le second visant à dresser un bilan à mi-parcours de la campagne UN sur CINQ du Conseil de l’Europe, lancée en 2010.
1. La lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants
L’exploitation sexuelle des enfants dans le tourisme et l’industrie des voyages, ou « tourisme sexuel impliquant des enfants », touche des dizaines de milliers d’enfants dans le monde, en violation de leurs droits fondamentaux et de leur dignité. L’Europe est concernée à double titre, en tant que région d’origine et de destination des « touristes sexuels ». Bien que le problème soit aujourd’hui mieux reconnu, le tourisme sexuel impliquant des enfants s’est considérablement amplifié ces dernières années en raison du développement rapide de l’industrie du voyage et du tourisme, facilité par une baisse des prix et la possibilité de voyager sans visa, et de l’utilisation des nouvelles technologies. Le tourisme sexuel impliquant des enfants est aujourd’hui un phénomène mondial qui se déplace rapidement et, selon l’UNICEF, n’épargne aucun pays et aucune destination touristique. Le rapport élaboré par la commission présente les séquelles multiples – affectives, psychiques et physiques – qui affectent les enfants victimes du tourisme sexuel et les difficultés d’intégration sociale qu’ils rencontrent.
La commission appelle les États membres du Conseil de l’Europe à adhérer aux accords et conventions à caractère régional et international dans le domaine de la protection de l’enfant contre l’exploitation sexuelle, notamment la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote). Les États devraient renforcer leur coopération pour la poursuite des touristes délinquants sexuels afin de lutter contre l’impunité. Les efforts de sensibilisation devraient être poursuivis et le tourisme durable et éthique encouragé. Enfin, davantage de soutien devrait être apporté aux acteurs impliqués dans la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants dans les pays de destination.
Dans son intervention, M. René Rouquet (Val-de-Marne – SRC), président de la délégation, a présenté certains des dispositifs de protection prévus par la législation française et a appelé à renforcer les efforts dirigés vers l’amélioration des signalements et la prise en compte de la parole de l’enfant :
« Madame et Monsieur les rapporteurs, je vous remercie pour ces deux rapports qui concernent des actes particulièrement odieux : les violences sexuelles exercées sur les enfants, y compris dans le cadre du tourisme sexuel.
La France dispose d’un arsenal législatif lui permettant de répondre efficacement à la fois aux actes de violences sexuelles contre les enfants en France mais également au tourisme sexuel impliquant des enfants et pratiqué par des Français à l’étranger.
La transposition récente dans le droit français de la directive 2011/93/UE qui vise à harmoniser le droit européen sur les violences sexuelles contre les enfants, afin de tenir compte des avancées introduites par la Convention de Lanzarote est encore un pas en avant.
Je retiendrai notamment la création, sur la proposition de notre collègue Mme Karamanli, d’une incrimination de l’assistance à un spectacle pornographique impliquant la participation d’un enfant, ou celle des tentatives d’atteintes ou d’abus sexuels qui n’existaient pas en droit français.
De son côté, la lutte contre le tourisme sexuel est un problème complexe qui nécessite des interventions à plusieurs niveaux. De la police locale aux tour-opérateurs, de la justice du pays du coupable aux ONG présentes dans le pays d’origine des enfants, de nombreux acteurs sont impliqués. La coopération internationale est donc indispensable !
En France, les professionnels du tourisme ont pris conscience de la nécessité de favoriser un tourisme éthique. Un manuel de signalement de cas d’exploitation sexuelle d’enfants dans des hôtels a été mis en place, grâce à une coopération entre Accor et l’ECPAT-France. De même, Air France diffuse largement un spot de prévention sur le thème « un enfant n’est pas un souvenir de vacances ».
Pourtant, il reste encore trop d’enfants en Europe qui subissent des violences sexuelles. Pourquoi ? Souvent parce que le signalement n’est pas fait assez tôt et que la parole de l’enfant n’est pas assez entendue. Nous avons un vrai effort à faire sur ces deux points !
En France, par exemple, nous avons mis en service une permanence téléphonique gratuite, le 119, qui facilite les signalements. Mais cela ne suffit pas sans une prévention, une sensibilisation efficace.
Pour toutes ces raisons nous devons promouvoir la campagne UN sur CINQ qui pourrait être un outil précieux pour expliquer et prévenir les abus sexuels. Cette prévention permettrait aussi de libérer la parole de l’enfant et de sensibiliser les gens qui sont témoins ou qui suspectent des actes de violence contre les enfants. La participation des enfants reste trop souvent limitée dans les actions de prévention.
Il faut prendre en compte la parole et l’opinion de l’enfant. Il est partie intégrante des solutions à apporter dans la prévention et la protection des enfants contre toutes les formes de violence. »
La résolution adoptée par l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe à veiller à ce que leur législation nationale soit conforme aux normes internationales et régionales dans le domaine de la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle, en particulier en établissant une compétence judiciaire extraterritoriale et en abolissant la règle de la double incrimination dans le cas de l’exploitation sexuelle des enfants ; elle les invite également à mettre en œuvre des mécanismes empêchant de voyager à l’étranger les délinquants sexuels présentant un risque élevé.
Elle appelle à lancer des campagnes d’information expliquant au public les conséquences juridiques et sociales du tourisme sexuel impliquant des enfants et en l’encourageant à signaler les touristes délinquants sexuels et à choisir des professionnels du tourisme qui sont engagés à lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants. Elle appelle également à adopter une démarche globale et à lutter en parallèle contre toutes les formes d’exploitation sexuelle des enfants, notamment en empêchant la diffusion sur l’Internet d’images d’abus commis sur des enfants, qui favorise notablement le tourisme sexuel impliquant des enfants.
2. Les parlements unis pour combattre la violence sexuelle à l’égard des enfants : bilan à mi-parcours de la Campagne UN sur CINQ
Selon les estimations, un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle en Europe. Après l’ouverture à la signature, en 2007, de la Convention de Lanzarote du Conseil de l’Europe – par laquelle les États parties s’engagent à adopter et mettre en œuvre des lois et des politiques définies visant à protéger les enfants et à poursuivre les agresseurs en justice – la campagne du Conseil de l’Europe « UN sur CINQ » pour mettre fin à la violence sexuelle à l’égard des enfants a été lancée en 2010 afin de promouvoir la convention et de sensibiliser l’opinion à la nécessité d’agir dans ce domaine. Rassemblant les divers organes du Conseil de l’Europe, la campagne « UN sur CINQ » est menée aux niveaux intergouvernemental, parlementaire, régional et local. La campagne a été un facteur majeur de l’augmentation notable du nombre d’États membres ayant ratifié la Convention de Lanzarote : ce nombre s’élevait à 25 en mars 2013.
La commission des questions sociales estime que le Conseil de l’Europe peut être fier des résultats obtenus au cours des deux premières années de la campagne mais qu’il est néanmoins possible d’accroître encore la portée et l’efficacité de celle-ci dans les deux années restantes. La commission propose d’augmenter les ressources financières dévolues à la campagne, d’accroître la pression sur les États pour qu’ils ratifient la convention, et d’améliorer la coordination entre les différents acteurs afin que la violence sexuelle sur les enfants soit l’objet d’une tolérance zéro.
Pour Mme Maryvonne Blondin (Finistère – SOC), qui a été désignée « parlementaire de référence » de la campagne UN sur CINQ au titre du Parlement français, avec M. Denis Jacquat, les succès indéniables de la campagne – qui se traduisent par le nombre croissant d’États ratifiant la convention de Lanzarote – ne doivent pas masquer les domaines où des progrès doivent encore être accomplis ; c’est notamment le cas du sport, où beaucoup reste à faire :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour féliciter notre collègue pour le rapport très complet qu’elle présente aujourd’hui. Il dresse un premier bilan de la campagne UN sur CINQ, pour laquelle j’ai l’honneur d’avoir été nommée parlementaire de référence au sein de mon pays.
Comme la rapporteure l’indique, nous avons enregistré depuis novembre 2010 un certain nombre de succès comme l’attestent l’augmentation du nombre de ratifications de la Convention de Lanzarote ou, au niveau régional, la mise en place d’un pacte des villes et des régions pour mettre fin à la violence sexuelle contre les enfants.
Mais il nous faut aller bien plus loin. Il est indispensable que les collectivités locales se dotent de structures dédiées, leur permettant de prévenir et combattre ce phénomène avec l’appui des services publics : écoles, centres de santé, police, magistrats.
Au-delà de ce constat, il est primordial de mettre l’accent sur ce que je serais tentée d’appeler les multiples déclinaisons de la violence sexuelle faite aux enfants. Si l’inceste fait l’objet, ces dernières années, d’une véritable libération de la parole, d’autres sujets demeurent tabous comme le relève judicieusement la rapporteure : il en va ainsi de la violence sexuelle observable entre adolescents ou des abus du même ordre dans le sport.
Notre assemblée s’est beaucoup mobilisée ces dernières années sur la question des dérives du sport : financiarisation excessive, dopage à tous les niveaux, trucage des matchs. Elle n’a abordé les problèmes sociaux que le sport pouvait générer qu’au travers du racisme et de la violence dans les stades, sans s’intéresser suffisamment à ce qui pouvait se passer dans l’intimité des vestiaires : brimades et humiliations, dans certains cas, violences sexuelles, dans d’autres.
En ce qui concerne ces dernières, il convient de souligner que le sport demeure un milieu à part. Le rapport au corps y est, bien évidemment, particulier. Il existe des disciplines comme la gymnastique ou certains sports collectifs où l’entraînement conduit au contact. Et les parents sont, me semble-t-il, parfois moins vigilants sous prétexte que, comme on a coutume de le dire : « le sport, c’est bon pour la santé ». Dénoncer des violences sexuelles dans le sport est, par ailleurs, un processus complexe. Les victimes craignent en effet pour la suite de leur carrière et ne portent plainte que beaucoup plus tard. Nous l’avons constaté en France ces derniers mois au travers de procès retentissants.
Un échange de bonnes pratiques sur ce thème entre États membres me semble indispensable. En France, le ministère des sports a ainsi mis en place sur ce sujet une charte qui reprend notamment un grand nombre de recommandations du Conseil de l’Europe. Il est nécessaire d’aller plus loin et de faire porter cette campagne de médiatisation, pourquoi pas, par des sportifs de haut niveau. »
La recommandation adoptée par l’Assemblée demande au Comité des Ministres d’allouer, sur le budget ordinaire du Conseil de l’Europe, des fonds suffisants aux trois dimensions de la campagne UN sur CINQ jusqu’au terme de la campagne (en novembre 2014), et par la suite, au Comité des Parties à la Convention de Lanzarote et à son secrétariat ; d’intégrer le thème de la lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des enfants dans les programmes d’assistance et de coopération du Conseil de l’Europe ; d’inciter les États membres à reprendre à leur compte les éléments de la résolution précédemment adoptée visant à protéger les enfants contre l’exploitation et les abus sexuels.
B. METTRE FIN À LA DISCRIMINATION CONTRE LES ENFANTS ROMS
La commission sur l’Égalité et la non-discrimination a présenté un rapport qui constate que la discrimination contre les Roms en Europe commence avant même la naissance, par l’absence de soins de santé prénatals et maternels adéquats. Or les traitements discriminatoires renforcent l’isolement des enfants et des adultes roms en devenir, accroissent la stigmatisation de la communauté rom et réduisent leurs chances d'être pleinement intégrés à la société au sens large. A cet égard, le rapport de la commission met en lumière les formes les plus manifestes de discrimination rencontrées par les enfants roms, ainsi que les défis et vecteurs d’exclusion et de discrimination auxquels elle souhaite que les États s’attaquent. Il évoque ainsi l’absence de soins prénatals et infantiles appropriés, la fréquence des situations d’apatridie, la pauvreté générale des familles roms et leurs conditions précaires de logement, l’accès limité à l’éducation, voire la ségrégation scolaire ou encore les violences subies par la communauté rom qui peut se transformer en traumatisme profond pour les enfants.
Au demeurant, le rapport fait aussi état des politiques et programmes d’action fructueux qui ont été lancés ces dernières années par le Conseil de l’Europe (programme ROMED) et par divers pays.
La commission appelle à généraliser l’accès des populations roms aux services destinés à la protection de la petite enfance, notamment en donnant mères roms, directement au sein de leurs communautés, une formation concernant la puériculture, les soins de santé et l’éducation, ou en leur assurant le transport pour se rendre gratuitement dans des centres où cette formation peut être organisée ; elle appelle aussi à rendre l’école plus accessible, à mettre fin à la ségrégation scolaire et à lever les obstacles socio-économiques à l’éducation. La commission souligne enfin le rôle essentiel des personnalités politiques et des leaders d’opinion pour inverser les stéréotypes et faire reculer les attitudes discriminatoires envers les Roms.
Mme Bernadette Bourzai (Corrèze – SOC) a dénoncé les discriminations dont sont victimes les enfants roms à l’école ; elle a soutenu l’appel de la rapporteure à établir un véritable « droit opposable » à l’inclusion des Roms et a insisté sur le rôle éminent de l’échelon local dans la lutte contre les discriminations :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent rapport de Mme Memecan, qui présente de façon précise toutes les facettes de la discrimination à l’égard des enfants roms, afin de bien saisir l’ampleur du phénomène. La question de l’enfance n’est pas un point de détail dans le débat sur la situation des Roms puisque, la rapporteure l’a rappelé, la moitié de la population rom en Europe est âgée de moins de 18 ans. Je suis frappée à la lecture de ce document de constater combien des pratiques d’un autre temps, discriminatoires et cruelles, sont aujourd’hui banalisées au sein d’États membres du Conseil de l’Europe qui se prévalent pourtant d’adhérer aux valeurs de notre Organisation.
Comment peut-on, au début du XXIe siècle, tolérer, pour ne pas dire organiser, la ségrégation au sein des écoles ? Une telle pratique contribue à enraciner une culture de l’exclusion, du rejet de l’autre, tout cela pour des motifs qui dépassent l’entendement et que je pensais sincèrement battus en brèche par les leçons de l’Histoire. Pourtant, la réalité est bien là, l’école est dans certains pays un laboratoire du racisme et de la xénophobie, un lieu où l’on apprend à se méfier du Rom, que l’on cache, que l’on isole, que l’on met en quarantaine. Rien ne peut justifier de telles pratiques qui attentent en premier lieu à des enfants, à qui finalement on ne reproche qu’une chose : leur origine, leur naissance.
La rapporteure milite pour l’instauration d’un véritable droit à l’inclusion pour les populations roms, garanti par l’instauration d’un mécanisme de recours, leur permettant de saisir la justice en cas de manquement de la part des autorités. J’appuie totalement cette démarche et je souhaite que très rapidement un texte soit élaboré et qu’il s’applique dans la totalité des États membres du Conseil de l’Europe. Il nous appartient de faire appliquer le droit commun à tous et à chacun.
Je souhaite aussi que le programme ROMED du Conseil de l’Europe, qui encourage la coopération entre Roms et institutions locales, puisse bénéficier de crédits suffisants pour être mené à bien. L’absence de dialogue est une des clés pour tenter de comprendre comment la situation a pu se détériorer de la sorte.
Nous devons enfin encourager l’Alliance des villes européennes pour l’inclusion des Roms, lancée dans le cadre du Conseil de l’Europe le 20 mars dernier. L’intégration des Roms est en effet le plus souvent un défi de taille pour les collectivités locales, qui gèrent la plupart des équipements publics auxquels doivent avoir accès les familles roms.
Je suis convaincue qu’un échange de bonnes pratiques entre les municipalités européennes doit permettre de mieux faire avancer la cause de l’inclusion de cette population. A l’heure actuelle, seuls 26 pays sur les 47 États membres ont participé à la création de cette alliance. Je souhaite qu’une plus grande publicité soit faite autour de ses travaux et qu’elle ait accès, elle aussi, aux crédits suffisants pour mener à bien le projet d’échange d’information ROMACT dont elle a tracé les contours. »
Pour Mme Brigitte Allain (Dordogne – ECOLO), une réelle volonté politique permet de faire bouger les lignes, comme le montrent plusieurs initiatives intéressantes prises par les collectivités locales en France, ces dernières années, ainsi que le dispositif inclusif pour l’école maternelle, l’école primaire et le collège mis en place au mois d’octobre 2012 :
« Merci, Madame la rapporteure, pour cet excellent rapport si riche en enseignements.
Début avril, j’ai participé à une rencontre sur le thème des frontières dans ma ville, Bergerac. Un film-documentaire primé par le Haut-Commissariat pour les réfugiés, Tiers-paysage, a permis d’y évoquer la question rom : ce film raconte la vie de plusieurs générations roms installées dans un bidonville et montre leur désir d’une vie digne.
Lieux en marge, ces bidonvilles, ces squats insalubres privés d’eau, d’électricité, sont souvent des lieux de vie « par défaut ». La précarité a des conséquences sérieuses sur l’état de santé des enfants, leur scolarisation et l’accès aux prestations familiales.
Madame la rapporteure, vous évoquez les expériences mises en place dans plusieurs pays pour donner aux Roms un logement digne. Dans les années 2000, en France, des villages d’insertion ont été expérimentés en Seine-et-Marne. Grâce à eux, en dix ans, plus de 50 familles ont été intégrées et 150 enfants scolarisés. C’est trop peu, mais cela confirme que, quand une réelle volonté politique existe, les choses peuvent changer dans le bon sens.
Malheureusement, malgré leur intérêt, ces expériences créées à l’initiative de collectivités locales en lien avec des associations ne sont trop souvent qu’une réponse ponctuelle à une situation d’urgence et non la marque d’une politique ambitieuse d’intégration des Roms. Dans le cas précis de ces villages d’insertion français, les conditions sévères d’accès et les règles de vie strictes posent également la question de la ghettoïsation de ces populations, qui ne peut que créer un climat propice aux discriminations.
Pourquoi ? Parce que « nos préjugés sont les barreaux de nos prisons ».
Anina Ciuciu, jeune Rom française devenue major de sa promotion à l’université de la Sorbonne, parle de son parcours exemplaire dans son livre Je suis tsigane et je le reste. Elle nous dit que, si cette ascension sociale par l’école de la République a été possible, c’est grâce à l’aide de personnes formidables qui ont tendu la main à sa famille, faisant fi des préjugés. Mais malgré une intégration apparemment parfaite, elle se sent encore aujourd’hui agressée par la discrimination qui poursuit les Roms. L’histoire d’Anina nous montre combien l’école est un enjeu fondamental de l’insertion non seulement des enfants roms mais de leur famille.
Sur ce point, la France a fait des efforts depuis octobre 2012 pour mettre en place un dispositif plus adapté, afin de garantir la scolarisation efficace et réelle des filles, en école maternelle et au collège. Ce dispositif se veut inclusif, ce qui est essentiel. Il est en effet inadmissible que les enfants roms, lorsqu’ils sont scolarisés, ne puissent pas, dans certains pays, aller dans la même école que les autres enfants.
Bien sûr, il est encore trop tôt pour savoir si ce nouveau dispositif français permettra dans l’avenir que l’histoire d’Anina ne soit plus l’exception mais la norme. Pour que, forts d’un parcours scolaire réussi, les Roms ne vivent plus dans un « tiers-paysage » mais occupent toute leur place au sein de nos sociétés. »
La résolution adoptée par l’Assemblée affirme que pour éradiquer la discrimination dont pâtissent les Roms, notamment les enfants roms, il faudrait ouvrir des perspectives aux personnes qui sont victimes de discrimination et leur permettre d’avoir davantage confiance en eux, au moyen de discours d’encouragement et de politiques ciblées. Dans le même temps, des mesures de sensibilisation et l’organisation de rencontres avec « les autres » devraient être mises en place pour cultiver la compréhension mutuelle et la tolérance.
La résolution estime qu’un accent particulier doit être mis sur l’inclusion scolaire, par exemple en proposant à tous les enseignants et professionnels des formations, des informations et des supports anti-préjugés ; en adaptant les programmes afin qu’ils fassent de l’inclusion un objectif majeur de l’éducation, exempts de tout stéréotype lié au sexe ; en prévoyant, le cas échéant, l’enseignement de la culture et de l’histoire roms et, au besoin, en soutenant l’enseignement du romani comme seconde langue ; en mettant en place dans les salles de classe des assistants et des médiateurs roms correctement formés et rémunérés et en encourageant un plus grand nombre de Roms à devenir enseignants.
C. VIOLENCE À L’ENCONTRE DES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES
A la suite du débat d’urgence qui avait été tenu en janvier 2011 sur les violences exercées contre les chrétiens au Proche et au Moyen-Orient, la commission des questions politiques et de la démocratie a décidé de prolonger sa réflexion en établissant un rapport sur la violence à l’encontre des communautés religieuses. Elle souhaitait tout particulièrement mettre l’accent sur la mise en œuvre des mesures proposées dans certains paragraphes de la Recommandation 1957 (2011), dans lesquels l’Assemblée appelait les États membres :
– à réaffirmer que le développement des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés civiques est la base commune sur laquelle ils construisent leurs relations avec des pays tiers, et à veiller à ce que les accords entre eux et des pays tiers comportent une clause sur la démocratie ;
– à prendre en compte la situation des communautés religieuses chrétiennes et autres dans leur dialogue politique bilatéral avec les pays concernés ;
– à soutenir des initiatives visant à promouvoir le dialogue entre communautés religieuses au Moyen-Orient.
Le rapport établi par M. Luca Volontè au nom de la commission rappelle tout d’abord que la liberté de religion et la liberté d’expression sont des droits fondamentaux protégés notamment par la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En conséquence, l’autonomie des communautés religieuses et leur protection contre les ingérences de l’État dans leur fonctionnement intérieur sont un élément de la liberté de religion.
Le rapport détaille la condition difficile qui est faite aux chrétiens du Moyen-Orient et regrette que le comité des Ministres n’ait pas jugé bon de mettre en place une capacité permanente de suivre les restrictions gouvernementales et sociétales à la liberté de religion et aux droits connexes dans les États membres du Conseil de l’Europe et les États du Moyen-Orient. Il souligne que les communautés religieuses, notamment musulmanes, sont mieux protégées en Europe que les chrétiens en Afrique, Asie ou Moyen-Orient.
S’appuyant sur la situation de l’Égypte, M. Bernard Fournier (Loire – UMP) a jugé que la démocratie ne pourrait progresser au Moyen-Orient que si l’action politique parvenait à échapper à l’emprise de la religion :
« Je remercie le Président Jean-Claude Mignon d’avoir placé, en 2011, la question des violences à l’encontre des minorités chrétiennes au Moyen-Orient au centre de nos préoccupations.
Il est regrettable que le Comité des Ministres n’ait pas donné plus d’écho au texte que nous avions adopté à l’époque, en refusant notamment de mettre en place une capacité permanente destinée à suivre les restrictions gouvernementales et sociétales à la liberté de religion au sein des États membres du Conseil de l’Europe, mais aussi dans les pays du Moyen-Orient. Ce dispositif aurait pourtant judicieusement complété l’action de notre Organisation en faveur de la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit dans cette région.
N’en doutons pas, la situation des minorités religieuses est peut-être, là-bas plus qu’ailleurs, un excellent indicateur de l’avancée des valeurs fondamentales que nous défendons. Sur cette terre des trois religions du Livre, il serait illusoire de penser que la transformation d’un régime autoritaire en démocratie puisse aboutir si la religion conditionne une partie de l’action politique publique.
Deux ans après notre première intervention sur ce sujet, force est de constater que la situation des minorités religieuses en Moyen-Orient ne s’est pas améliorée. L’Égypte est toujours le théâtre de violences menées contre la minorité copte. Comment peut-on tolérer que les funérailles de quatre coptes assassinés aient pu conduire à la mort de deux nouvelles personnes, le 7 avril dernier ?
La neutralité de l’État, érigée en dogme, vire à l’indifférence coupable et conduit à la banalisation de la haine. Le chef de l’État égyptien souhaitait être le président de tous les Égyptiens et entendait desserrer de la sorte ses liens avec les Frères musulmans. La permanence des violences contre les coptes invalide cette ambition, elle affecte la crédibilité de son action et sa volonté de tourner la page de l’ancien régime.
Deux ans après la révolution, il est frappant de constater que pour lutter contre ce mal endémique, les pouvoirs publics se réfèrent toujours à un décret de 2005, manifestement inadapté. Comment peut-on vouloir incarner une révolution démocratique dès lors que la sécurité de l’ensemble de la population n’est pas garantie par les pouvoirs publics et que l’on tue encore pour des raisons religieuses ? Le cas de l’Égypte n’est pas isolé, tant s’en faut.
Nous devons réfléchir aux modalités du soutien que nous apportons aux révolutionnaires et aux nouvelles autorités dans ces pays. Nous ne pouvons financer des régimes qui excluent ou laissent exclure une partie de la population. Nous ne pouvons appuyer des groupes qui entendent imposer une vision religieuse de l’avenir, combattant une barbarie pour y substituer une autre forme de dictature. »
Tout en convenant que l’arrivée au pouvoir de mouvements islamistes n’était pas illogique dans le cadre des tensions qui avaient conduit aux bouleversements du « printemps arabe », M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin – UDI) a estimé que l’Europe avait manqué de vigilance pour veiller à la sauvegarde des valeurs qu’elle défend :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, notre assemblée suit depuis maintenant deux ans, la situation dramatique des minorités religieuses en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Force est de constater que le « printemps arabe » a pu constituer un hiver glacial, voire sanglant, pour les minorités religieuses dans certains pays. Aux tyrannies n’a pas succédé le triomphe de la liberté mais souvent des républiques autoritaires auréolées du prestige d’une révolution à laquelle ils se sont joints tardivement et à laquelle ils veulent leur donner des contours conservateurs.
À trop vouloir célébrer la chute des satrapes nous avons négligé, nous Européens, les conséquences de ces bouleversements. Ne voyez pas dans mon propos une remise en cause de tous les espoirs suscités par ces printemps, l’histoire n’est pas terminée. Je veux simplement aujourd’hui, avec d’autres, m’interroger sur le fait que nous avons occulté la dimension religieuse contenue dans ses révoltes. L’islam sous la dictature a constitué un refuge, voire un partage implicite du pouvoir. Je pense aux Frères musulmans en Égypte dans le domaine social.
La radicalisation du discours religieux répondait à la déliquescence de pouvoirs toujours plus corrompus, dictatoriaux et sanguinaires. À l’époque, les opposants plus modérés, laïques, étaient eux, par la force des choses, éloignés des réalités locales, car en exil. Les tyrannies pouvaient interdire un parti, embastiller leurs dirigeants ou les mettre à l’écart, mais elles ne pouvaient pas détruire une mosquée.
Il n’est donc pas illogique que ces mouvements islamistes, voire salafistes, aient remporté les premiers scrutins.
Certains me diront que nous ne pouvons pas faire grand-chose face à cette évolution, dans un monde ouvert comme le nôtre, à l’heure où des partenariats se nouent entre les pays de cette région et notre continent, via le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne. Je ne peux partager cette analyse. Je ne dis pas que ces partis sont tous illégitimes. J’estime que nous aurions dû conditionner notre soutien à la mise en œuvre, sur place, de mécanismes de garantie de la libre expression des minorités religieuses. C’est possible au Maroc, on l’a dit. Ça doit être possible également ailleurs. Nous ne l’avons pas fait, au détriment de ces communautés.
C’est en cela, comme le souligne le rapporteur, que la réaction du Comité des Ministres à la recommandation que nous avons adoptée en 2011 est critiquable. Notre Organisation doit être à l’avant-garde de la défense de toutes les libertés. C’est cela, le Conseil de l’Europe. En refusant de mettre en place la capacité permanente destinée à suivre les restrictions gouvernementales et sociétales à la liberté de religion, le Comité des Ministres a contribué à mettre sous le boisseau les violences, à les occulter, pour des raisons qui m’échappent d’ailleurs. Il faudra que nous tirions les enseignements de ce manque de courage, d’anticipation, face à la crise syrienne. Tôt ou tard nous serons confrontés à l’après Bachar el-Assad.
J’ai évoqué un point qui me tenait très à cœur en quelques instants. Je n’oublie que nous, Européens, devons balayer devant notre propre porte et rester exemplaires. Ce qu’ont dit des collègues est juste. Il faut soutenir ce rapport équilibré. Les amendements lui permettront de l’être encore plus. C’est très bien que nous ayons ce débat aujourd’hui. »
Mme Marie-Jo Zimmermann (Moselle – UMP) a dénoncé les discriminations dont sont trop souvent victimes les minorités religieuses au Proche et Moyen-Orient, tout en inscrivant son intervention dans la perspective plus vaste des méfaits de l’intolérance :
« La tolérance est une vertu cardinale dans un État démocratique. La montée de l’intolérance est pourtant une réalité et représente un danger pour nos démocraties anciennes et encore plus pour des États en transition, comme au Proche et Moyen-Orient.
L’appartenance religieuse qui devrait relever du domaine privé investit de plus en plus la sphère publique, tendant, même dans un pays laïque comme la France, à créer des tensions. On observe un glissement progressif de la manifestation publique de convictions religieuses à l’affirmation de comportements religieux ostentatoires.
Ces identités religieuses deviennent meurtrières, comme l’a si bien analysé Amin Maalouf, dès lors que certaines communautés sont désignées comme bouc émissaire par des extrémistes au nom d’un prétendu « choc des civilisations ».
Dans les pays du Printemps arabe, l’État ne confère pas de fait les mêmes droits aux minorités religieuses. Des tracasseries administratives pour exercer leur droit de culte au statut personnel, notamment en cas de mariage mixte, les hommes et les femmes sont traités comme des citoyens de deuxième catégorie.
Je le dis à nos collègues partenaires pour la démocratie ou candidats à ce statut : où qu’il réside, tout individu doit bénéficier du même statut juridique, des mêmes droits et surtout de la même protection, quelle que soit sa religion. C’est cela, respecter les valeurs du Conseil de l’Europe !
Le cardinal Béchara Boutros Raï, patriarche de l’Église maronite, a rappelé récemment que « dans les pays du Printemps arabe, il ne peut y avoir qu’une identité nationale partagée, inclusive de tous les apports culturels et qui puisse assurer la base d’un vrai vivre-ensemble ».
Mais, Monsieur le rapporteur, même s’il est vrai que la violence que vivent les chrétiens chaque jour en Orient est terrible, nous ne devons pas oublier que l’ennemi de la démocratie n’est pas l’autre mais l’intolérance.
Alors que nous célébrons cette année les 70 ans du soulèvement du ghetto de Varsovie, symbole de la lutte pour la liberté et la dignité, comment ne pas s’interroger face à la recrudescence des actes antisémites et racistes en Europe ?
Je citerai l’exemple des profanations de cimetières juifs, chrétiens ou musulmans qui se sont multipliées ces dernières années, y compris ici, en Alsace. Ces actes odieux sont de profondes atteintes au vivre-ensemble. Non seulement ces profanations salissent la mémoire des morts, mais elles envoient aussi un message de haine aux vivants !
L’instrumentalisation de ces tensions par des partis ou des mouvements extrémistes doit nous alerter : en stigmatisant telle ou telle communauté religieuse, en faisant des amalgames, ils créent un terrain favorable aux violences physiques, aux agressions racistes ou antisémites.
Si disposer de la liberté de croire n’est pas contraire à la démocratie, refuser à l’autre la liberté de penser différemment l’est en revanche. »
La résolution adoptée par l’Assemblée affirme que les États membres devraient veiller à ce que les croyances religieuses aient une place dans la sphère publique, en garantissant la liberté de conscience dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la fonction publique. Elle appelle les mêmes États à garantir le droit à une objection de conscience bien définie en rapport avec des questions sensibles du point de vue éthique. Les États membres devraient également protéger la liberté des parents d’assurer à leurs enfants une éducation religieuse et morale et un enseignement conformes à leurs propres convictions religieuses et philosophiques, dans le respect des valeurs qui sont l’essence même du Conseil de l’Europe. Certains États membres devraient envisager de réviser leurs textes juridiques chaque fois qu’ils vont à l’encontre de la liberté d’association pour les groupes religieux et les Églises.
D. LA CULTURE ET L’ÉDUCATION PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX : LES POLITIQUES EUROPÉENNES
Les parlements nationaux ont un rôle clé à jouer et une responsabilité importante pour renforcer les politiques d’éducation et de la culture. Ces politiques devraient non seulement encourager le développement des compétences axées sur l’emploi, mais également promouvoir les valeurs éthiques et politiques liées aux principaux objectifs du Conseil de l’Europe. C’est pourquoi la commission de la Culture, de la science, de l’éducation et des médias a présenté un rapport sur le renforcement des politiques de la culture et de l’éducation en Europe et la contribution que les parlements nationaux devraient apporter à cette démarche.
La résolution adoptée par l’Assemblée invite à promouvoir des politiques de la culture et de l’éducation qui favorisent la citoyenneté démocratique et le dialogue interculturel, en vue de faire émerger des attitudes positives vis-à-vis de la diversité. Elle appelle à soutenir la proposition du Secrétaire général du Conseil de l’Europe visant à engager des travaux sur un cadre européen des compétences pour l’éducation à la citoyenneté démocratique, aux droits de l’homme et à la compréhension interculturelle. Elle appelle les parlements nationaux à proposer une vision et une stratégie cohérente pour promouvoir une culture d’inclusion et pour encourager les citoyens à participer à l’indispensable débat sur les politiques de la culture et de l’éducation.
E. LES DROITS DES JEUNES EN EUROPE
L’Assemblée parlementaire a organisé un débat joint sur deux rapports relatifs aux droits des jeunes en Europe, présentés par la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias.
1. Les jeunes Européens : un défi éducatif à relever d’urgence
Le rapport établi par la commission de la culture rappelle que l’Assemblée parlementaire a maintes fois reconnu que les perspectives d’avenir des jeunes Européens sont aujourd’hui de plus en plus incertaines, notamment parce que l’austérité croissante appliquée aux dépenses publiques compromet leurs perspectives éducatives et professionnelles. Le passage de « l’éducation formelle » à l’emploi s’avère plus difficile et les taux élevés du chômage des jeunes en Europe jettent le doute sur la qualité de l’enseignement formel et sa capacité à répondre aux nouveaux besoins.
Le rapport met en évidence le fait que de nouveaux cadres d’enseignement et d’apprentissage sont en train d’émerger. Par exemple, l’apprentissage tout au long de la vie est un pilier du passage d’une économie industrielle à une économie mondialisée fondée sur les connaissances, bien qu’il ne dispose pas d’un modèle de financement cohérent et durable. De même, l’apport de l’éducation dite « informelle » – qui permet d’acquérir des aptitudes et compétences telles que la résolution des problèmes, la gestion des conflits, la planification, l’organisation et l’encadrement, le travail d’équipe et les compétences interpersonnelles et interculturelles, mal gérées dans le cadre de l’éducation « formelle » – est réel mais encore mal reconnu. La notion d’apprentissage par les pairs, qui vise à ce que les étudiants s’entraident de manière constructive, mettent en commun leurs connaissances et décident ensemble comment organiser leur processus commun d’échange et d’apprentissage, comme l’éducation à l’entreprenariat reçoivent de plus en plus d’attention de la part des pouvoirs publics.
La résolution adoptée par l’Assemblée demande aux États membres d’adopter une approche globale à l’égard de l’éducation et de prendre des mesures pour créer de nouvelles possibilités d’apprentissage et renforcer celles qui existent, tout en assurant l’intégration des jeunes les plus vulnérables, en développant les politiques de prévention du décrochage scolaire prématuré et en obtenant la participation d’un plus grand nombre de jeunes à leur propre apprentissage et à leur développement personnel.
La recommandation adoptée par l’Assemblée appelle le Comité des ministres à élaborer un instrument politique définissant les principes de la reconnaissance et de la validation de l’éducation non formelle, en tenant dûment compte des propositions présentées par le « Processus de Strasbourg » sur la reconnaissance et la validation de l’apprentissage non formel et informel. Elle l’appelle également à collecter et analyser les bonnes pratiques et à développer sur cette base des principes d’action politique sur la manière de favoriser l’esprit d’entreprenariat dans l’enseignement, de corriger les inégalités d’accès à l’éducation, de prévenir le décrochage scolaire prématuré et de combattre les brimades et toutes les formes de violence à l’école.
2. L’accès des jeunes aux droits fondamentaux
Le rapport que la commission de la culture a présenté devant l’Assemblée parlementaire souligne que les efforts menés au niveau européen se sont traduits par une avancée des politiques de jeunesse des États membres du Conseil de l’Europe. Il note en particulier que l’accent a souvent été mis sur la nécessité d’une meilleure intégration sociale et professionnelle des jeunes, y compris et surtout les jeunes défavorisés et marginalisés ; de même, tous les États membres du Conseil de l’Europe ont créé des centres nationaux de la jeunesse et la participation des jeunes à la prise de décisions au niveau national s’est notablement accrue.
Mais la commission estime que de nombreuses actions restent à entreprendre pour une meilleure reconnaissance et une mise en œuvre plus effective des droits fondamentaux des jeunes. Les États membres devraient renforcer la capacité des jeunes à forger leur propre identité et à devenir des acteurs plus influents du développement social et économique ; ils devraient aussi promouvoir l’accès aux droits sociaux comme le logement, l’emploi et la formation et permettre aux jeunes de s’engager plus activement dans la conception et la mise en œuvre des politiques les concernant.
Par ailleurs, malgré l’existence de plusieurs mécanismes internationaux en matière de droits de l’homme qui s’appliquent aussi aux jeunes, un instrument juridique expressément consacré à leurs droits sociaux, économiques et politiques semble aujourd’hui indispensable à la commission de la culture pour les protéger pleinement. C’est pourquoi le rapport plaide pour l’élaboration d’une convention-cadre au niveau européen, bien que la commission se dise consciente des difficultés liées à la préparation d’un instrument contraignant dans ce domaine.
La recommandation adoptée par l’Assemblée reprend ces différents éléments et appelle également le Comité des ministres à envisager la nomination au niveau du Conseil de l’Europe d’un médiateur chargé de veiller au respect et à la protection des droits des jeunes.
F. L’EUROPE FACE AUX DÉFIS DES MIGRATIONS
L’Assemblée parlementaire a tenu un débat joint relatif aux enjeux des migrations pour l’Europe, éclairé par deux rapports élaborés par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
1. Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme
Frontex, agence de l’Union européenne, a pour mission de coordonner les actions des États membres en matière de gestion et de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. Bien que les questions de sécurité prévalent, l’Agence offre aussi l’occasion d’œuvrer au renforcement et à la promotion des droits de l’homme.
Néanmoins, Frontex et les États membres de l’Union européenne ont essuyé des critiques pour ne pas avoir pleinement respecté les normes des droits de l’homme lors de leurs opérations conjointes de retour et de surveillance des frontières. Les inquiétudes exprimées quant au respect des droits de l’homme portent aussi sur la structure de Frontex : responsabilités et obligations de rendre compte non clairement précisées ; manque de transparence ; manque de contrôle démocratique, en particulier sur les accords avec des pays tiers. C’est pourquoi la commission des migrations a présenté un rapport relatif aux responsabilités de Frontex en matière de droits de l’homme.
Comme le souligne ce rapport, Frontex a adopté un Code de conduite et une Stratégie en matière de droits fondamentaux en réponse aux inquiétudes et critiques qui se sont manifestées à l’encontre de l’agence. De plus, le Règlement Frontex a été modifié pour prévoir l’obligation de protéger les droits fondamentaux ainsi que la création d’un poste de responsable des droits fondamentaux et d’un Forum consultatif sur les droits fondamentaux.
Pour autant, la commission des migrations estime que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour améliorer le contrôle démocratique exercé par le Parlement européen. En particulier, les formations aux droits de l’homme pour les personnes participant aux opérations de Frontex devraient être une priorité et il faudrait garantir la transparence à l’égard du public en assurant un contrôle indépendant et en instaurant une procédure de recours effective. Enfin, il faudrait encore remédier à certaines lacunes de Frontex sur les plans structurel et opérationnel.
M. Yves Pozzo Di Borgo (Paris – UMP) a critiqué le flou dans lequel l’agence Frontex opère au regard de sa nécessaire responsabilité devant les organes institutionnels de l’Union européenne, tout en convenant de l’utilité d’une telle agence au regard des défis auxquels l’Europe est confrontée en matière de migrations :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, le mandat de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures, dite Frontex, est vaste. Ses agents étudient en premier lieu les routes migratoires mais aussi les facteurs de migration. Ils proposent, en conséquence, des « analyses de risques » qui servent à déterminer la politique européenne d’asile et de migration.
L’Agence forme dans le même temps des gardes-frontières. Son rôle opérationnel ne s’arrête pas là, puisqu’à la demande d’un État de l’Union européenne, elle peut coordonner des opérations d’interception de migrants en mer ou aux frontières terrestres. Elle mobilise alors un corps de « gardes-frontières européens », composé de douaniers issus des États membres.
Comme le souligne l’excellent rapport de notre collègue Mikael Cederbratt, passée cette présentation, le fonctionnement même de l’Agence pose quelques difficultés, à l’instar d’ailleurs de nombreuses officines de l’Union européenne. La question du contrôle démocratique est notamment posée alors même que la chaîne de responsabilités n’est pas clairement établie.
La direction générale des affaires intérieures de la Commission européenne estimait ainsi récemment qu’il n’y avait pas de lien formel de dépendance de Frontex avec le Conseil des ministres de l’Union européenne ou avec la Commission. Cette agence se situe en quelque sorte dans une « zone grise ». Frontex se défausse pourtant sur les États dès lors que des dérapages sont observés à l’image de ce qui s’est passé en Méditerranée en octobre 2012 avec la mort de 14 immigrants marocains. Elle estime, en effet, que le contrôle des frontières demeure une responsabilité des États membres et non la sienne. Elle apporte une aide en cas de demande aux fins d’organisation et de coordination, mais sans avoir une quelconque responsabilité en cas de tournure anormale des événements, ce qui laisse un tant soit peu sceptique. Il est indispensable que l’Union européenne clarifie rapidement cette position ambiguë de Frontex, tant elle remet en cause sa légitimité.
Les critiques de notre commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées viennent s’ajouter à un certain nombre d’observations d’associations protégeant les droits de l’Homme. Frontex a tenté de répondre à ces remarques en nommant un agent chargé des droits fondamentaux, qui vérifiera la compatibilité des actions de l’agence avec les valeurs fondamentales que nous défendons. C’est un premier pas. Je regrette simplement que cet agent ne puisse présenter toutes les garanties d’indépendance puisqu’il travaille directement pour Frontex.
Mes observations sur l’opacité ou le flou entourant Frontex et la nécessité impérieuse de clarifier son mode de fonctionnement ne font pas pour autant de moi un adversaire acharné de cette structure. L’Union européenne a indubitablement besoin de cette structure opérationnelle si elle entend mettre en place une véritable politique migratoire. Je note par ailleurs avec une certaine ironie qu’auparavant, quand seuls les États se chargeaient du contrôle aux frontières, personne ne savait véritablement ce qu’il se passait. En déclenchant des opérations conjointes, Frontex attire davantage l’attention et renforce une exigence de transparence. »
La résolution adoptée par l’Assemblée invite l’Union européenne à revoir le Code frontières Schengen pour tenir compte du fait que les États membres de l’Union et Frontex ont des responsabilités qui dépassent la surveillance des frontières, en particulier concernant le non-refoulement, les activités de recherche et de sauvetage et d’autres interceptions en mer. Elle estime que le Parlement européen devrait être consulté avant la conclusion d’accords entre Frontex et des pays tiers, afin de veiller à ce que les droits de l’homme et les droits des réfugiés soient pleinement respectés dans les pays tiers avec lesquels des activités sont menées à bien. Elle souhaite que l’étendue de la responsabilité de Frontex soit définie clairement. La résolution appelle en outre les États membres de l’Union européenne à soutenir Frontex et à pleinement respecter leurs propres obligations en matière de droits de l’homme lorsqu’ils participent à des activités avec l’Agence.
L’Assemblée a également adopté une recommandation, par laquelle elle souhaite que le Comité des ministres renforce sa coopération avec Frontex en vue de diffuser au sein de l’agence les standards de protection des droits de l’homme promus par le Conseil de l’Europe. A cette fin, le Comité des ministres devrait tirer parti des liens privilégiés tissés entre le Conseil de l’Europe et les divers mécanismes de prévention nationaux établis dans le cadre de l’OPCAT (« Réseau européen des mécanismes nationaux de prévention (MNP) ») et avec les Médiateurs et institutions nationales de droits de l’homme de ses États membres.
2. La gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne
Les pays situés au-delà des frontières orientales de l’Union européenne sont soumis à une pression croissante du fait de l’arrivée de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants en situation irrégulière dont l’objectif à terme est d’entrer dans l’Union européenne. La Turquie y est particulièrement exposée, mais des pays d’Europe orientale, parmi lesquels des pays des Balkans, l’Ukraine et la Russie, sont eux aussi de plus en plus confrontés à des flux migratoires.
Le rapport s’interroge sur la capacité des pays concernés à faire face à ces flux et étudie leurs conséquences du point de vue de la protection internationale et du droit d’asile, du recours à la rétention, des accords de réadmission et du soutien qu’apporte l’Union européenne aux pays en question. Il conclut que ces pays ne sont pas suffisamment préparés pour jouer le rôle d’un rempart contre les migrations irrégulières à l’est de l’Union européenne. Leurs systèmes d’asile, pour la plupart, ne garantissent pas encore convenablement l’octroi du droit d’asile à toutes les personnes qui en ont besoin. En outre, dans de nombreux cas, leurs politiques d’accueil et de rétention ainsi que les conditions de rétention ne sont pas conformes aux normes reconnues en matière de droits de l’homme.
La résolution adoptée par l’Assemblée appelle l’Union européenne à renforcer son assistance aux pays situés le long de sa frontière orientale et à cesser d’« externaliser » hors de l’Union les problèmes liés aux migrations irrégulières et au droit d’asile. Elle appelle également les pays disposant d’une frontière avec l’Union européenne à ne pas se reposer sur les progrès attendus de l’assistance, mais à redoubler d’efforts dans les domaines qui relèvent de leur responsabilité propre, comme la mise en place d’alternatives à la rétention et l’amélioration des conditions de vie en rétention.
G. SCIENCE ET TECHNOLOGIE : DE LA GESTION DES RISQUES À L’EXIGENCE ÉTHIQUE
Les développements incessants de la science et de la technologie semblent repousser toujours plus loin les limites de ce qui accessible à l’homme, de ce qui est ouvert à sa connaissance, susceptible d’être maîtrisé et utilisé au profit de l’humanité. Parallèlement, des questions posées depuis déjà longtemps, comme celles touchant à la notion de risque socialement acceptable, prennent un relief particulier à la lumière des plus récentes avancées scientifiques et techniques.
C’est pourquoi l’Assemblée parlementaire a décidé d’examiner, au cours d’un débat joint, deux rapports élaborés, l’un par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable et relatif aux problèmes posés par les nanotechnologies, et l’autre par la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias et touchant à l’éthique dans la science et la technologie.
1. Nanotechnologies : la mise en balance des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement
Le rapport présenté par la commission des questions sociales rappelle que la nanotechnologie – la manipulation de la matière à l’échelle atomique et moléculaire – a déjà donné lieu à de nombreuses applications et est encore pleine de promesses. Des nanomatériaux ont déjà été intégrés à des produits de consommation courante et la « nanomédecine » est un domaine très dynamique pour le dépistage et le traitement de certaines maladies. Pour autant, comme pour la plupart des nouvelles technologies émergentes, les nanotechnologies sont également porteuses de risques de dommages graves, à la fois pour la santé humaine et pour les écosystèmes au sein de l’environnement. Bon nombre de ces risques ne sont pas encore bien connus aujourd’hui.
Par ailleurs, les deux aspects principaux du consentement éclairé tel qu’il a été défini par la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, dite « Convention d’Oviedo » – à savoir l’information du consommateur sur les risques et l’acceptation des risques, ou son consentement en dépit des risques connus déclarés – ne peuvent être garantis dans le domaine des nanotechnologies en l’état actuel des connaissances : il existe encore trop de risques inconnus ou non quantifiés ou mal quantifiés, en particulier ceux qui pourraient être dus à des expositions cumulatives.
La recommandation adoptée par l’Assemblée invite le Comité des Ministres à élaborer des lignes directrices sur la mise en balance des avantages et des risques de la nanotechnologie pour la santé publique et l’environnement, qui pourraient servir de modèle pour établir des normes réglementaires dans le monde entier, à commencer par une étude de faisabilité confiée au Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l’Europe. Ces lignes directrices devraient respecter le principe de précaution en tenant compte de la liberté de recherche et en encourageant l’innovation ; elles devraient également permettre de promouvoir le développement d’un système d’évaluation des règles éthiques, des matériels publicitaires et des attentes des consommateurs, concernant les projets de recherche et les produits de consommation dans le domaine de la nanotechnologie ayant des répercussions sur les êtres humains et l’environnement.
2. L’éthique dans la science et la technologie
La mise au point et l’utilisation de la bombe atomique au cours de la Seconde guerre mondiale ont introduit une rupture majeure dans la réflexion sur la responsabilité des scientifiques et la dimension éthique de la science et de la technologie. Depuis, les changements techniques se sont diversifiés et accélérés et l’éthique est devenue une exigence centrale dans nombre de domaines, comme le génie génétique, le génie biomédical, les neurosciences ou les travaux sur l’embryon. L’éthique pose la question des limites que l’homme peut ou doit imposer à ses activités.
Le rapport de la commission de la culture examine la situation actuelle de l’éthique dans la science et la technologie, son institutionnalisation, ainsi que les évolutions récentes et les enjeux actuels, en particulier en Europe. Il présente les facteurs de risque et les obstacles susceptibles de nuire au respect des cadres éthiques relatifs à la science et à la technologie, en notant l’importance d’éléments tels que la concurrence scientifique exacerbée entre les chercheurs ou les institutions de recherche, le développement de la mobilité internationale des chercheurs ou encore les pressions économiques qui s’exercent sur l’activité scientifique. Le rapport évoque également les efforts tendant à élaborer un socle commun pour un cadre éthique en matière de développement scientifique et technologique ainsi que les difficultés qui entravent un tel effort, au nombre desquelles on trouve par exemple les interprétations multiples de notions telles que « vie humaine », « personne » ou « dignité ».
La résolution adoptée par l’Assemblée propose que cette réflexion éthique sur la science et la technologie ne soit pas limitée aux cercles universitaires mais qu’au contraire, elle ait lieu dans de nouvelles tribunes. En particulier, les parlements et les citoyens devraient participer davantage au débat. Sur le modèle de ce qui a été fait par l’UNESCO pour la rédaction de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, un comité pourrait être créé au sein des Nations Unies pour engager une réflexion éthique permanente et examiner les possibilités de rédiger et de réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux basés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme.
M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – UMP) a centré son intervention sur la nécessité de trouver un équilibre entre la liberté de recherche et la nécessité de définir des principes éthiques et leurs modalités d’application, notamment pour ce qui concerne le principe de précaution :
« Messieurs les rapporteurs, bravo pour ces rapports très détaillés et très documentés ainsi que pour vos propositions de résolution et de recommandation.
Développer les comités d’éthique dans les universités et les hôpitaux me semble essentiel. En effet, les chercheurs, les étudiants et les médecins doivent avoir présentes à l’esprit au quotidien les questions éthiques posées par les sciences et leurs applications.
Trop souvent, des lobbies exercent une pression intolérable sur les chercheurs et vont au-delà des limites acceptables. Certains sujets ne peuvent être abordés exclusivement sous l’angle scientifique ; ils doivent l’être aussi dans la perspective des bouleversements sociétaux qui pourraient en résulter.
Il en est ainsi de la question des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Ce débat divise dans plusieurs pays, dont la France, parce qu’il touche aux origines de la vie et que des enjeux économiques brouillent le débat. Pourtant, l’attribution du Prix Nobel de médecine 2012 à des chercheurs travaillant sur la reprogrammation de cellules adultes en cellules souches a démontré que d’autres voies sont possibles.
Ainsi, la nanotechnologie, par l’enjeu industriel qu’elle représente, soulève la question des limites de plus en plus floues entre la science et l’économie, mais aussi entre le progrès scientifique et le développement durable, voire la préservation de la vie. M. Sudarenkov a évoqué la dangerosité que peuvent présenter des nanoproduits. Je voudrais aussi évoquer la question du respect de la vie privée que peut entraîner la nanorobotique.
Sur tous ces sujets, nous devons, comme cela a été fait dans la Convention d’Oviedo et ses Protocoles, trouver un équilibre entre la liberté de recherche, qui est un droit fondamental inclus dans la liberté de penser, et la nécessité de définir des principes éthiques.
Vous évoquez à juste titre la nécessité d’appliquer le principe de précaution. Cela suppose une analyse des risques et la recherche d’un mode de gestion du risque, pour rendre celui-ci acceptable sur le plan social, environnemental et économique.
Comme cela a été rappelé lors du sommet mondial du développement durable de Johannesburg, le principe de précaution « concourt à la prise de conscience de la dimension éthique du travail du chercheur et de sa responsabilité sociale. » Si la culture et la religion influent sur l’acceptabilité du risque, les pays européens partagent les mêmes valeurs sur beaucoup de sujets – en particulier sur les recherches touchant à l’humain.
J’aimerais, en conclusion, évoquer un débat récurrent dans beaucoup de pays européens : celui sur la fin de vie. L’Assemblée nationale française s’est d’ailleurs penchée hier matin sur le sujet. Là encore, la prise de décision politique et scientifique doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur le modèle de société que nous souhaitons, sans que le coût financier des soins palliatifs soit le principal paramètre. C’est la dignité humaine qui doit prévaloir. C’est à cette seule condition que nous ne basculerons pas dans une société déshumanisée que les pires scénarios de science-fiction imaginent.
Mais je ne veux pas terminer sur une note trop inquiétante. Dans les pays membres du Conseil de l’Europe et ailleurs dans le monde, le respect de la dignité humaine doit guider les choix et les décisions des scientifiques, mais aussi des scientifiques. C’est ce que les conventions de notre institution ont toujours rappelé. »
M. André Schneider (Bas-Rhin – UMP) a insisté sur le rôle central du législateur, dûment éclairé par les organes d’évaluation parlementaire et par la conscience personnelle de chaque parlementaire, pour tracer les limites éthiques de la connaissance scientifique et du progrès technique :
« Monsieur le Président, chers collègues, la réflexion éthique est devenue une composante essentielle du développement des sciences et de la technologie. Elle pose également la question des valeurs qui doivent être encore renforcées du fait du développement technologique.
Ce sont les avancées des sciences de la vie qui ont suscité le plus d’interrogations. Les connaissances sur le génome humain permettent aujourd’hui de dépister de nombreuses maladies – héréditaires ou pas – et même d’envisager des thérapies géniques. Doit-on pour autant proposer un dépistage systématique de toutes les maladies identifiées ? Ne risque-t-on pas d’entraîner des discriminations liées à la maladie ? Les personnes ayant déclaré des maladies d’origine génétique ou porteuses de gênes les prédisposant à certaines maladies connaissent déjà des difficultés, par exemple pour s’assurer.
De même, l’accès aux séquences du génome doit-il être sans limites ? Ne court-on pas le risque de voir s’installer, dans certains cas, la tentation de l’eugénisme ?
Aujourd’hui, il faudrait aussi s'interroger sur les risques que peut faire peser sur nos valeurs démocratiques un usage mal encadré des nanotechnologies.
D’une part, les disparités entre les pays pauvres et les pays riches sont flagrantes en matière d’accès aux connaissances dans ces domaines très pointus sur le plan technologique, ce qui en soi est déjà un problème.
D’autre part, certaines utilisations techniques de ces nanosciences représentent un danger potentiel pour la vie privée et la sécurité, ainsi que pour l’environnement. Ne sommes-nous pas en train, une nouvelle fois, de jouer avec le feu ?
Federico Mayor, ancien directeur de l’UNESCO, affirmait : « il incombe à l’éthique de tracer la frontière entre le possible et l’acceptable. Cela, ni la science ni la technologie ne peuvent le faire ».
Chers collègues, c’est à nous législateurs qu’incombe ce rôle essentiel. Les propositions de nos rapporteurs sur la nécessité d’élargir le débat et de renforcer le rôle du Parlement et des citoyens sont fondamentales.
Certes, comme vous le proposez, le rôle que les organes d’évaluation parlementaire ont à jouer dans la définition des conditions éthiques du développement de la science doit être réaffirmé avec force. Mais au-delà, chaque parlementaire doit s’interroger sur les implications de ses décisions, sur le modèle de société, sur le sens de l’innovation scientifique et technologique qu’il convient d’autoriser par la loi.
En France, l’article 46 de la loi de bioéthique de 2004 dispose que « tout projet de réforme sur les questions éthiques (…) doit être précédé d’un débat public, sous forme d’États généraux ». C’est un principe essentiel. C’est aussi le meilleur moyen de répondre aux peurs légitimes de nos citoyens et de rétablir une information juste sur les nouvelles technologies et sur les dernières découvertes scientifiques. C’est une condition sine qua non de la prise de décision et de la construction d’une « conscience éthique » de la science.
Nous inspirant de l’humanisme kantien, et sans nier la liberté des chercheurs, il est temps aujourd’hui de réaffirmer que « l’homme doit être traité comme une fin et non comme un moyen ».
J’apporte évidemment tout mon soutien aux corapporteurs qui nous proposent un texte tout à fait conforme à ce nous souhaitons. »
V. L’AVENIR DU CONSEIL DE L’EUROPE EN DÉBAT
A. LA PRÉSIDENCE ANDORRANE DU CONSEIL DE L’EUROPE
1. Intervention de M. Antoni MARTÍ, chef du Gouvernement de l’Andorre
A l’issue des élections législatives anticipées du 3 avril 2011 qui ont permis d’élire les vingt-huit membres de la sixième législature du Conseil général, celui-ci a nommé M. Antoni Martí chef du gouvernement en mai 2011. Celui-ci était en effet le leader de la coalition de centre-droit « Démocrates pour Andorre » qui avait remporté 20 sièges lors des élections et qui, en septembre 2011, s’est transformée en parti politique à part entière.
M. Martí a rappelé que la principauté d’Andorre, bien que formant une entité politique parmi les plus anciennes et les plus stables d’Europe, n’a été intégrée que très tardivement dans la communauté politique internationale, ayant dû pour cela adopter une Constitution en 1993. Dix-huit ans après, son accession à la présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe marquait en quelque sorte sa « majorité sur le plan international ». L’enjeu s’est donc déplacé : dès lors que l’identité politique d’Andorre est désormais reconnue, les autorités s’attachent à garantir la reconnaissance du système économique de la principauté. Depuis quelques décennies, celle-ci s’est transformée, passant d’une économie rurale de montagne à une économie moderne de services fondée sur le commerce, le tourisme et les services financiers. Pour autant, l’économie de l’Andorre souffre de trois lacunes : elle est excessivement fermée, pas « homologable » au plan international et très peu diversifiée.
S’agissant de l’« homologation » internationale, Andorre procède depuis quelques années à une profonde refonte de son système fiscal, marquée par l’introduction progressive d’impôts directs et la simplification des impôts indirects ; l’achèvement du nouveau système fiscal devrait aboutir en 2015. Par ailleurs, depuis la signature de la Déclaration de Paris, en 2009, par laquelle la principauté d’Andorre s’est engagée à progresser sur le plan administratif dans l’échange d'informations fiscales, le pays a signé une vingtaine d’accords en la matière, ce qui a permis de commencer à négocier et de signer des accords bilatéraux afin d’éliminer la double imposition qui pénalisait les exportations de services depuis l’Andorre.
S’agissant de l’ouverture, le régime des investissements étrangers a été libéralisé, tout comme celui des droits économiques des non résidents. Enfin, la diversification – indissociable de la recherche de la compétitivité – repose sur une valorisation des avantages comparatifs de l’Andorre. M. Martí a insisté, à cet égard, sur le fait que la principauté entend conserver sa fiscalité modérée, comme en ont, d’ailleurs, de nombreux autres pays, en Europe et dans le monde.
M. Martí a conclu son intervention en indiquant que la relation avec l’Union européenne, de plus en plus étroite, est indispensable mais que la voie de l’adhésion reste écartée. L’Andorre a besoin de la compréhension de ses partenaires membres de l’Union européenne ; ceux-ci doivent comprendre qu’il convient de rechercher une voie bien adaptée aux petits États.
Intervenant au nom du groupe socialiste, M. René Rouquet (Val-de-Marne – SRC) a interrogé le chef du gouvernement sur les perspectives d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme :
« La présidence andorrane du Conseil de l’Europe s’achève bientôt. De l’avis général, elle a été extrêmement fructueuse. Nous ne pouvons que vous en remercier.
Monsieur le chef du gouvernement de l’Andorre, c’est sous votre présidence qu’un accord final a été trouvé pour l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Quelles sont les étapes, et éventuellement les obstacles, qu’il reste à franchir pour que le processus d’adhésion arrive à son terme ? »
M. Martí a relevé que l’accord final ne dépendait pas uniquement des autorités du Conseil de l’Europe :
« Je vous remercie de vos aimables paroles pour la présidence de l’Andorre. En effet, des avancées significatives ont eu lieu sous notre présidence, mais les efforts étaient engagés depuis longtemps.
L’accord soutenu par le Conseil de l’Europe est très positif mais nous devons attendre la décision de l’Union européenne pour qu’il soit formalisé. »
M. Christian Bataille (Nord – SRC) a souhaité savoir si l’Andorre envisageait d’accepter prochainement le système de réclamation collective prévu par la Charte sociale européenne :
« Monsieur le chef du gouvernement, l’Andorre a ratifié la Charte sociale européenne révisée le 12 novembre 2004. En revanche, elle n’a pas acceptée le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamation collective. Or c’est grâce à ce système que les partenaires sociaux et les ONG peuvent s’adresser directement au Comité européen des droits sociaux pour lui demander de statuer sur une éventuelle violation de la Charte.
Pouvez-vous nous dire si Andorre envisage d’accepter prochainement le système de réclamation collective ? »
M. Martí a fait part des projets du gouvernement andorran en matière de protection des droits collectifs des travailleurs :
« Monsieur le député, votre question est très intéressante. Ce que vous venez de dire est exact, il n’est pas moins vrai que l’Andorre doit faire des efforts en la matière.
Je le dis devant votre Assemblée, mais j’ai eu l’occasion de le dire également au parlement andorran, l’Andorre légifèrera cette année sur le droit de grève et pour que plus de garanties soient accordées aux syndicats.
Mon intervention était très axée sur l’économique. Je vous suis donc très reconnaissant de votre question parce que tout ne se joue pas au niveau économique. Il y a des aussi des questions sociales et des revendications légitimes des travailleurs, qu’il faut bien garantir dans la constitution andorrane. Ils ont le droit de faire grève s’ils veulent. Je pense qu’il faut légiférer pour organiser cela au plus tôt. C’est une autre des priorités du gouvernement dont j’ai l’honneur d’être le chef.
On parle très souvent d’économie et de paradis fiscaux, alors que l’Andorre n’en est pas un. Je pense avoir donné à votre question, qui était très directe, une réponse très claire. »
M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin – UMP) a sollicité le chef du gouvernement sur les perspectives de ratification par l’Andorre de deux conventions importantes du Conseil de l’Europe :
« Monsieur le chef du gouvernement, depuis l’adhésion de l’Andorre au Conseil de l’Europe, vos gouvernements successifs n’ont pas ménagé leurs efforts pour intégrer pleinement la Principauté dans le système conventionnel de protection des droits de l’homme.
Andorre a signé le 29 juin 2012, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels ; puis, le 22 février 2013, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Pensez-vous qu’Andorre sera en mesure de ratifier rapidement ces conventions sachant que, pour la seconde, le nombre de ratifications requises pour son entrée en vigueur n’a pas encore été atteint ? »
M. Martí a confirmé l’engagement annoncé au premier jour de la session par M. Saboya Sunyé, ministre des Affaires étrangères :
« Je crois que le ministre des affaires extérieures d’Andorre s’est exprimé clairement, mais c’est aussi un plaisir de me prononcer sur le sujet en tant que chef du gouvernement. Il est dans notre intention de faire passer ces lois devant le parlement au cours de cette année. »
2. Communication du Comité des Ministres
M. Gilbert Saboya Sunyé, ministre des Affaires étrangères de l’Andorre, président du Comité des ministres, était invité à faire le point devant l’Assemblée parlementaire sur les actions de la présidence andorrane du Conseil de l’Europe.
Dans son allocution, le ministre a tout d’abord passé en revue les questions politiques qui sont régulièrement à l’ordre du jour du Comité des ministres. Il a, en premier lieu, souligné que l’exécution de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine reste un sujet de préoccupation auquel le Comité des Ministres porte une attention particulière. Le Comité des Ministres a rappelé à plusieurs reprises que la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle est dans l’intérêt même de la consolidation des institutions démocratiques en Bosnie-Herzégovine et que l’application de l’arrêt de la Cour est un élément clé dans le processus d’intégration européenne du pays. M. Saboya Sunyé a également fait part à l’Assemblée des initiatives du Comité des ministres à l’égard des prochaines élections parlementaires prévues en juin 2013 en Albanie, du processus de stabilisation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et du programme d’assistance qui a été élaboré et adopté à destination du Belarus.
Le ministre a ensuite esquissé un panorama des activités menées à l’initiative de la présidence andorrane et susceptibles de définir des lignes d’action pour le Comité des Ministres dans ses activités futures. Il a évoqué, à ce titre, les rencontres des Jeunes ambassadeurs de la Paix tenues la semaine précédente en Andorre, les réflexions conduites sur le sport dans les prisons, dans la perspective d’une conférence politique à organiser sur ce thème, ou encore la conférence tenue en février 2013, à Dublin, sur les cités interculturelles. Deux conférences ministérielles du Conseil de l’Europe (Culture et Éducation) devraient permettre de dégager également des pistes d’action concrètes pour le Conseil de l’Europe dans un avenir proche, relatives, l’une, à la gouvernance de la culture comme moyen de favoriser l’accès de tous à la culture, et l’autre aux moyens de promouvoir une éducation de qualité. M. Saboya Sunyé s’est aussi référé à la campagne « Faites grandir les droits de l’homme » qui vise à promouvoir la lecture de la Convention européenne des droits de l’homme, campagne lancée quelques semaines auparavant et largement accessible sur le portail Internet du Conseil de l’Europe.
M. Saboya Sunyé a souligné que, si la Convention européenne des droits de l’homme est le fondement même du travail du Conseil de l’Europe, un grand nombre de conventions ont suivi ce premier instrument. Ces différentes conventions sont des éléments fondamentaux dans la promotion de l’Organisation et elles se doivent d’être efficaces, porteuses de valeurs et à l’avant-garde des instruments internationaux. C’est parce que le Comité des Ministres attache une très grande importance à la sensibilisation et à la promotion de ces conventions qu’il a entrepris, à l’initiative du Secrétaire Général, un passage en revue des conventions du Conseil de l’Europe. Dans ce même mouvement, la présidence andorrane s’est spécialement attachée à promouvoir la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique – plus connue sous le nom de Convention d’Istanbul –, qui n’est pas encore entrée en vigueur faute d’avoir recueilli les 10 instruments de ratification nécessaires, ainsi que la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, aussi connue comme la Convention de Lanzarote.
Le ministre a également présenté certains des sujets inscrits à l’ordre du jour de la 123ème session ministérielle du Comité des ministres, notamment l’aboutissement des négociations préparant l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, qui permettra de mettre en place un espace cohérent de protection des droits de l’homme en Europe. De même, les ministres se pencheront sur le suivi de la Déclaration de Brighton, alors que, dans le cadre de la réforme de la Cour européenne des droits de l’homme, la procédure d’adoption des projets de protocole n° 15 et n° 16 est en cours.
M. Saboya Sunyé a conclu son intervention en rappelant l’importance, pour le Comité des ministres et l’Assemblée parlementaire, d’entretenir des relations étroites et le bénéfice que le Conseil de l’Europe tout entier peut en tirer.
Mme Marie-Jo Zimmermann (Moselle – UMP) a interrogé le ministre sur les efforts entrepris par la présidence pour faciliter et accélérer le processus de ratification de la Convention d’Istanbul par les États signataires :
« Le 5 mars dernier, vous avez rappelé devant “ONU Femmes” le message de la Convention d’Istanbul selon lequel la violence à l’égard des femmes constitue une violation des droits humains, non une question d’ordre privé mais un problème d’ordre public impliquant d’évidentes responsabilités de la part des États.
Quelles actions le Comité des Ministres entend-il mener afin d’inciter les nombreux pays qui ne l’ont pas ratifiée à le faire ? De quels pouvoirs dispose-t-il pour contrôler ceux qui l’ont signée ? »
M. Saboya Sunyé a fait part des nombreux efforts entrepris par la présidence pour inciter les États à ratifier cette convention :
« Il est évident que le premier des devoirs est l’exemplarité. Nous avons donc signé la Convention d’Istanbul, conformément à l’un des objectifs de notre présidence, et nous travaillons maintenant au processus de ratification, lequel nécessite certaines réformes du code pénal qui – nous sommes confiants – devraient être menées à bien dans les prochains mois.
Nous avons également essayé de promouvoir la Convention sur le plan international car elle est universelle, puisque c’est de la condition féminine dont il est question. M. le Président de l’Assemblée parlementaire, Mme la Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe, Mme Battaini-Dragoni, et votre serviteur avons eu l’occasion, parallèlement à la 57e session de la Commission de la condition de la femme, à New York, de souligner son caractère novateur puisque les violences faites aux femmes relèvent désormais de la sphère pénale et de la responsabilité des États. Nous avons trouvé un soutien en la Mission permanente de la France et nous avons défendu la Convention au niveau de l’État andorran ainsi que par le biais de la francophonie, laquelle ne renvoie pas qu’à une langue mais à des valeurs et à une culture.
Le Comité des Ministres a ainsi témoigné de son implication afin que la Convention devienne effective, puis fasse l’objet d’un suivi. »
B. RAPPORT ANNUEL D’ACTIVITÉ 2012 DU COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME DU CONSEIL DE L’EUROPE
Intervenant pour la première fois devant l’Assemblée parlementaire après que celle-ci l’a élu Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, en janvier 2012, M. Nils Muižnieks lui a présenté son Rapport annuel d’activité 2012. M. Muižnieks a tout d’abord précisé qu’ayant pris ses fonctions le 1er avril 2012, il limiterait son intervention à ses actions propres, le rapport écrit présentant également le bilan des trois premiers mois de l’année 2012, pendant lesquels M. Thomas Hammarberg assumait ces mêmes fonctions.
M. Muižnieks a ensuite présenté les initiatives prises dans le cadre des priorités définies lors de sa prise de fonction :
– aider la Cour européenne des droits de l’homme en s’attaquant à des problèmes systémiques existant dans des États membres, comme la non-exécution des décisions de justice internes ou la durée des procédures ;
– atténuer les conséquences de la crise et des mesures d’austérité prises dans les États membres sur les droits économique et sociaux, mais aussi sur les droits civils et politiques, par exemple en termes d’accès à la justice ;
– améliorer la reconnaissance des droits des Roms, « exclus parmi les exclus dans de nombreux pays », et favoriser leur exercice, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, l’accès à l’emploi et la lutte contre l’apatridie, de nombreux Roms n’ayant pas de papiers d’identité ; la lutte contre la montée de l’anti-tziganisme dans les discours et les médias, et comme motivation d’actes criminels, constitue aussi une tâche importante ;
– promouvoir des stratégies et des politiques pour les migrants qui respectent les droits de l’homme ; cela peut passer par la recherche d’alternatives à la rétention administrative des migrants et à la criminalisation des migrants irréguliers ; M. Muižnieks a indiqué, à cet égard, avoir engagé une réflexion sur la protection du droit d’asile ;
– garantir le respect des droits fondamentaux en matière de médias et de journalisme, à la lumière – par exemple – des premières affaires soumises à la Cour européenne des droits de l’homme et relatives au blocage d’Internet ; la protection de la vie privée dans le cadre des activités de surveillance et de contrôle des autorités est également un sujet d’intérêt.
M. Muižnieks a estimé qu’il pouvait d’ores et déjà tirer de nombreux enseignements de ces premiers mois de mandat. Le premier concerne l’indispensable et naturelle complémentarité du Commissariat aux droits de l’homme avec les autres organes du Conseil de l’Europe, notamment la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) ainsi que la Commission de la Venise. La publication des rapports du CPT – Comité européen pour la prévention de la torture – est également importante tout comme la mise en œuvre des recommandations qui sont formulées par les organes de suivi. Il en est de même de la coopération avec des organes politiques, comme les commissions de l’Assemblée parlementaire, mais aussi le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
M. Muižnieks a également constaté la valeur ajoutée du Conseil de l’Europe dans l’architecture européenne des droits de l’homme et sa complémentarité avec beaucoup de ses partenaires extérieurs. Il s’est dit convaincu de la force des normes juridiques élaborées au sein du Conseil de l’Europe et a loué la qualité des liens tissés avec l’Agence fondamentale des droits de l’homme de l’Union européenne, avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, notamment dans le cadre de visites sur le terrain, ainsi qu’avec l’OSCE et les rapporteurs des Nations Unies, notamment en matière de liberté d’expression.
M. Muižnieks a conclu son intervention en se réjouissant de la bonne coopération des États membres, non seulement parmi les défenseurs des droits de l’homme et les médiateurs, mais également au niveau des parlements et des ministères.
C. PROJET DE PROTOCOLE N° 15 PORTANT AMENDEMENT À LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Lors de leur 1159e réunion (16 janvier 2013), les Délégués des Ministres ont décidé de transmettre à l’Assemblée parlementaire, pour avis, le projet de Protocole n° 15 à la Convention européenne des droits de l’homme préparé par le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) dans le cadre du suivi de la Déclaration de Brighton, adoptée à l’issue de la conférence qui s’est tenue du 18 au 20 avril 2012.
Le projet de protocole prévoit l’insertion, dans le préambule de la Convention, d’une mention du principe de subsidiarité et de la doctrine de la marge d’appréciation. Il modifie par ailleurs la Convention, en autorisant les juges à exercer leurs fonctions à la Cour européenne des droits de l’homme jusqu’à 74 ans (la limite d’âge étant actuellement fixée à 70 ans). De plus, ce protocole d’amendement à la Convention simplifie la procédure de dessaisissement d’une affaire par une chambre en faveur de la Grande Chambre, et il réduit, de six mois à quatre mois, le délai pendant lequel une requête peut être introduite devant la Cour après épuisement de toutes les voies de recours internes. Il supprime aussi une des limites au pouvoir de la Cour de rejeter une affaire considérée comme étant insignifiante, la Cour ne pouvant pas actuellement rejeter une affaire sur cette base si la requête n’a pas été dûment examinée par une juridiction interne.
Dans le rapport qu’elle a établi à l’appui de l’avis demandé par le Comité des ministres, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a recommandé à l’Assemblée de considérer que le projet de Protocole n° 15 devait être ouvert à la signature et à la ratification de l’ensemble des États parties dans sa version actuelle, sans amendement.
Le projet de Protocole n° 15 est un protocole d’amendement et doit donc être ratifié par l’ensemble des Hautes Parties Contractantes à la Convention pour pouvoir entrer en vigueur. L’avis adopté par l’Assemblée souligne qu’étant donné que les propositions de modification du texte sont principalement d’ordre technique et ne font l’objet d’aucune controverse, il convient que toutes les Parties à la Convention, et notamment leurs organes législatifs, veillent à la signature et à la ratification rapides de cet instrument.
Tout en convenant du caractère opportun du projet de protocole, sur un plan juridique, M. Jean-Pierre Michel (Haute-Saône – SOC) n’a pas caché que celui-ci ne répondait pas aux vraies questions posées sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme :
« Bien sûr, je voterai l’avis très clair de M. Chope [rapporteur du texte], même si mes propos seront plutôt critiques. En effet la Conférence de Brighton n’a pas été celle de la grande réforme annoncée. C’est peu dire.
Le Protocole n° 15 reflète assez justement l’absence d’ambition que nous avions pu relever à l’examen des conclusions de cette Conférence. N’en doutons pas, il s’agit d’un texte en demi-teinte, qui se contente de faire allusion aux deux principes essentiels que sont la marge d’appréciation et la subsidiarité sans leur donner véritablement corps. On est loin de mettre en œuvre des solutions permettant à la Cour de voir sa viabilité garantie.
Sans céder aux arguments britanniques et légitimer de la sorte les attaques virulentes exprimées par David Cameron à l’endroit de la Cour, il y avait, me semble-t-il, mieux à faire que le texte technique qui nous est présenté aujourd’hui. Je n’en conteste pas l’intérêt juridique. J’exprime simplement mon scepticisme quant à sa portée politique.
La première des réformes à mener n’est pas contenue dans le Protocole n° 15. Il s’agit du processus de sélection des juges. J’insiste bien sur la notion de sélection, et non de désignation. Les instruments dont nous nous sommes dotés ces dernières années au sein de notre Assemblée se heurtent à un écueil : les listes qui nous sont présentées reflètent avant tout le choix des gouvernements. Ceux-ci ne me semblent pas toujours motivés par la recherche de la compétence mais par des raisons politiques, sans grand rapport avec le travail de la Cour.
Au-delà de ce constat, je regrette que nous n’ayons pu aboutir et trouver une solution mesurée quant aux problèmes posés par le principe du droit au recours individuel au regard du nombre d’habitants aujourd’hui concernés – plus de 800 millions de personnes – et de la disparité entre États membres du Conseil de l’Europe en matière de respect et de garantie des droits de l’Homme. On peut en effet légitimement s’interroger sur la véritable portée d’un recours individuel qui aboutit dans 90 % des cas, lorsque l’affaire est traitée par un juge unique, à un simple courrier du greffe de la Cour indiquant au requérant, suivant une motivation stéréotypée et préparée à l’avance, que sa requête ne peut être admise. C’est un véritable déni de justice. La même question se pose tout aussi légitimement lorsque le jugement d’une affaire intervient plusieurs années après l’introduction de la requête. C’est, là aussi, un déni de justice.
Enfin, il convient de s’interroger sur la crédibilité de toute réforme de la Cour si celle-ci n’est pas dotée d’un véritable pouvoir de sanction en cas de non-exécution des arrêts. Je pense notamment à la possibilité pour elle de prononcer des astreintes financières. N’en doutons pas, la mise en place de telles sanctions pourrait avoir un effet particulièrement stimulant sur certains États parties qui tardent à mettre en œuvre au niveau national les mécanismes propres à garantir les droits et libertés reconnus par la Convention. Il existe un précédent avec la Cour de justice de l’Union européenne qui a adopté un tel arsenal. Rien ne s’oppose à ce que nous mettions en place un tel dispositif. Mais en aurons-nous le courage et la volonté politique ?
Le projet de Protocole n° 16 devrait dans les prochains mois compléter le présent texte. Il est lui aussi l’expression d’une très grande mesure. Il devrait améliorer un peu plus le fonctionnement de la Cour sans pour autant la moderniser, ce dont elle a véritablement besoin. J’ose espérer qu’une fois passées ces réformes techniques, nous prendrons le temps de poser clairement les termes politiques du débat autour de la Cour et que nous aboutirons à des solutions ambitieuses à la hauteur de ce noble édifice qu’est la Convention européenne des droits de l’homme. »
L’Assemblée a adopté l’avis présenté par sa commission des questions juridiques.
Annexe 1
Résolution 1925 (2013) – Dialogue postsuivi avec la Turquie 2
1. En 2004, l’Assemblée parlementaire avait décidé de clore la procédure de suivi avec la Turquie et d’ouvrir un dialogue postsuivi. Elle avait exprimé sa confiance aux autorités turques pour poursuivre le processus des réformes et mettre en œuvre celles qui avaient été adoptées. La Résolution 1710 (2010) sur le mandat des corapporteurs de la commission de suivi requiert désormais que l’Assemblée débatte en plénière de la mise en œuvre de la Résolution 1380 (2004) sur le respect des obligations et engagements de la Turquie.
2. Une coopération s’est donc établie avec la Turquie dans le cadre du dialogue postsuivi pour vérifier la mise en œuvre des 12 points contenus dans le paragraphe 23 de la Résolution 1380 (2004), à savoir : la refonte de la Constitution de 1982 ; l’abaissement du seuil électoral de 10 % ; la reconnaissance du droit à l’objection de conscience ; la création de l’institution de médiateur ; la ratification de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE n° 141), de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157), de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148), la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163), et l’acceptation des dispositions de la Charte sociale qui ne le sont pas encore ; l’achèvement de la révision du Code pénal (en particulier le respect des impératifs de proportionnalité posés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») en matière de liberté d’expression et d’association) ; l’examen des lois datant de l’époque de l’état d’urgence ; la mise en œuvre de la réforme de l’administration locale et régionale et la décentralisation, la gestion du retour des personnes déplacées à la suite du conflit des années 1990 ; la formation des juges et des procureurs, de la police et de la gendarmerie ; la levée de la réserve géographique à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ; la poursuite d’une politique visant à reconnaître l’existence des minorités nationales vivant en Turquie et l’octroi du droit de maintenir, de développer et d’exprimer leur identité, et de la mettre en œuvre concrètement ; et la poursuite de la lutte contre l’analphabétisme des femmes et contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes.
3. L’Assemblée tient à préciser que le processus de réformes importantes a été engagé dans un contexte particulièrement complexe tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Depuis dix ans et l’arrivée d’AKP au pouvoir, la Turquie est entrée dans une période de transition politique, marquée par la redéfinition du rôle de l’armée, le repositionnement des différents pouvoirs (comme la justice), l’ouverture de grands procès (Ergenekon, Balyoz, KCK) qui touchent profondément la société et les acteurs essentiels de la vie politique, militaire et civile, la question kurde en Turquie et le conflit entre l’État turc et le PKK qui a fait plus de 40 000 victimes. L’Assemblée note également que, dans un Moyen-Orient instable, le conflit syrien a des répercussions profondes en Turquie. Le pays a accueilli, avec une solidarité remarquable, plus de 220 000 réfugiés depuis 2011.
4. L’Assemblée rappelle que les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ont commencé en 2005. Elle salue la relance des discussions et l’ouverture possible de nouveaux chapitres des négociations, en 2013, en particulier le chapitre 22 sur la politique régionale et la coordination des instruments structurels. Elle considère que l’ouverture de chapitres additionnels, en particulier les chapitres 23 (appareil judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté et sécurité), permettrait de consolider le processus de réforme et de conforter l’action du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée insiste sur les résultats économiques remarquables enregistrés dans un contexte de crise mondiale. Ainsi s’affirme le positionnement de la Turquie comme puissance régionale, avec un ancrage multilatéral et un rôle stratégique et énergétique essentiel. Autant de considérations qui rendent la stabilité de la Turquie indispensable à l’ensemble de la partie orientale de la Méditerranée.
6. L’Assemblée note aussi, avec intérêt, que les révolutions dites « des printemps arabes » ont touché pratiquement tous les pays musulmans de la rive Sud de la Méditerranée. Mais, aujourd’hui, pour ces États en pleine instabilité, la Turquie est « le pays de référence ». D’où l’importance particulière de la poursuite des réformes attendues et de leur aboutissement effectif.
7. L’Assemblée précise que dans la phase initiale du dialogue postsuivi (2004-2010), de nombreuses réformes ont été engagées, mais elles ne répondaient que partiellement à quelques-uns des 12 points de la Résolution 1380 (2004). L’Assemblée retient à cet égard :
7.1. la réforme ad hoc de certains articles du Code pénal en 2005, et notamment l’amendement de l’article 301 punissant les atteintes à « l’identité et la nation turques » dont il est demandé la suppression totale ;
7.2. le lancement de programmes de formation des juges et des procureurs portant notamment sur le Code pénal de 2005 ;
7.3. la réforme constitutionnelle de 2007, ouvrant la voie de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct à partir de 2014 ;
7.4. l’adoption, depuis 2007, de mesures visant à lutter contre la torture et les traitements dégradants et à former les forces de sécurité ;
7.5. le renforcement des dispositions du Code pénal relatives à la lutte contre la violence à l’égard des femmes, et le développement de programmes de formation depuis 2006 ainsi que l’adoption de la loi sur la protection de la famille en 2007 ;
7.6. l’adoption d’une loi relative aux fondations, entrée en vigueur en février 2008 ;
7.7. l’adoption de la « loi sur l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme et de mesures de lutte contre le terrorisme », entrée en vigueur en mars 2008, et le lancement de programmes de retour des personnes déplacées et de plusieurs programmes de développement socio-économique de la région du sud-est de la Turquie ;
7.8. le lancement de l’initiative « ouverture démocratique » envers la communauté kurde en 2009, qui a notamment ouvert les débats sur la question kurde, élargi l’usage de la langue kurde dans les médias et les campagnes électorales et permis l’enseignement du kurde à l’université ;
7.9. l’organisation d’un référendum constitutionnel en septembre 2010, qui a abouti à l’ouverture des procès des responsables du coup d’État du 12 septembre 1980 ; la réforme de la comparution des militaires, y compris les officiers, et des personnes accusées de crimes contre la sécurité de l’État ou l’ordre constitutionnel, devant les tribunaux civils ; l’élargissement de la composition de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur des juges et des procureurs ; l’adoption du principe de la création de l’institution du médiateur ; l’institution du droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle dans les matières relevant de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) ; et l’élargissement de la portée et du contenu des droits syndicaux et du droit d’association ;
7.10. la ratification de la Charte sociale européenne révisée en 2007.
8. L’Assemblée tient à souligner que toutes les mesures prises doivent trouver maintenant une mise en œuvre complète et rapide.
9. L’Assemblée entend donc faire le point précis sur la mise en œuvre de la Résolution 1380 (2004) en analysant toutes les réformes effectuées dans la période suivante (2010-2013) et les réformes annoncées.
10. S’agissant de la refonte de la Constitution, le seuil électoral et le vote des citoyens turcs vivant à l’étranger :
10.1. L’Assemblée prend acte de la mise en place, le 19 octobre 2011, par le parlement d’une commission dite « de conciliation » de 12 membres issus en nombre égal des quatre partis représentés au parlement. Cette commission est présidée par le Président de la Grande Assemblée nationale, M. Cemil Çiçek. L’objectif est de réviser la constitution inspirée par les militaires après le coup d’État de 1980. L’Assemblée souligne tout particulièrement l’exemplarité de la composition de cette commission et la règle du consensus adoptée pour la prise de décision. Elle salue aussi la procédure de consultation des forces vives de la société turque initiée par la commission de conciliation ; elle note cependant la difficulté à concilier des positions différentes sur certains principes fondamentaux, comme la citoyenneté, ou certaines questions politiques essentielles, comme la décentralisation. L’intention et la volonté initiale étaient louables, l’exercice est cependant difficile. L’Assemblée s’attend à ce que la réforme de la Constitution soit conforme aux normes établies par le Conseil de l’Europe.
10.2. Il appartiendra aux institutions et aux citoyens de la Turquie de définir le futur système démocratique et le type de gouvernance du pays. L’Assemblée invite cependant les autorités turques à s’appuyer sur l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) avant la finalisation du projet de constitution. Il est essentiel de garantir l’équilibre institutionnel des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire, de préciser la nature des contre-pouvoirs, d’affirmer le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, et de veiller à leur conformité avec les normes du Conseil de l’Europe.
10.3. L’Assemblée réitère sa demande aux autorités turques afin que soient prises en compte des recommandations de la Commission de Venise concernant l’abaissement du seuil électoral de 10 % – de loin le plus élevé de ceux pratiqués dans les 47 États membres du Conseil de l’Europe – afin d’élargir, au sein du parlement, la participation des partis politiques, acteurs essentiels de la démocratie.
10.4. L’Assemblée salue le fait que les autorités turques ont pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la décision du parlement de juin 2012 et permettre aux électeurs turcs vivant à l’étranger de voter lors des prochaines élections présidentielle de 2014 et législatives de 2015, et lors des élections futures.
11. S’agissant de l’achèvement de la révision du Code pénal (en particulier le respect des impératifs de proportionnalité posés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression et d’association), de l’examen des lois datant de l’époque de l’état d’urgence et de la formation des juges et des procureurs ainsi que de la police et de la gendarmerie :
11.1. L’Assemblée souligne que des réformes judiciaires ont été entreprises par la Turquie pour mettre sa législation en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier avec l’adoption des 3e et 4e paquets de réformes judiciaires en juillet 2012. Ces réformes devaient notamment renforcer la présomption d’innocence et limiter la détention provisoire. Force est de constater que malgré des mises en liberté conditionnelle et les mesures de contrôle juridictionnel, les résultats immédiats ne sont pas à la hauteur des attentes. Le taux de personnes en détention provisoire, y compris des membres élus du parlement, représente aujourd’hui toujours 23 % des détentions.
11.2. L’Assemblée se réjouit par ailleurs de la ratification, en septembre 2011, du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture (OPCAT) et invite la Turquie à mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture.
11.3. Si l’Assemblée note l’engagement de réformes en matière de justice des mineurs, elle est cependant dans l’attente des conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatives au traitement et aux conditions de détention de ces mineurs. L’Assemblée exhorte aussi les autorités à améliorer les conditions dans toutes les prisons, conformément aux normes et pratiques du Conseil de l’Europe.
11.4. En matière de liberté d’expression, un sujet très crucial, tout en soulignant les réformes entreprises dans le cadre du « 3e paquet » pour assouplir les restrictions, l’Assemblée se réfère à la Résolution 1920 (2013) sur l’état de la liberté des médias en Europe. Elle réitère la demande expresse faite à la Turquie de procéder à un examen approfondi des dispositions juridiques et des mesures administratives relatives notamment aux dispositions du Code pénal et de la loi anti-terroriste. De même, il faut préciser la législation relative à internet et en vérifier la compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
11.5. L’Assemblée salue l’adoption du « 4e paquet de réformes judiciaires » le 11 avril 2013. Les amendements notamment du Code pénal et de la loi anti-terrorisme devraient contribuer à mettre en conformité la législation turque avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme comme il était demandé. Ils devraient aussi contribuer à clarifier la distinction entre liberté d’expression et propagande terroriste, comme attendu. L’Assemblée renouvelle sa demande de suppression de l’article 301 du Code pénal, ainsi que de l’article 125 du Code pénal, qui érige la diffamation en crime. L’Assemblée appelle également à réexaminer les définitions juridiques des infractions relatives au terrorisme et à l’appartenance à une organisation criminelle conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
11.6. L’Assemblée note que l’adoption du « 4e paquet de réformes judiciaires » devrait permettre d’abolir la prescription concernant les affaires de torture et la réouverture des procès pour les affaires dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a constaté l’absence d’enquêtes effectives, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme.
11.7. L’Assemblée invite également la Turquie à poursuivre les réformes engagées pour protéger toutes les libertés fondamentales et individuelles afin que la protection de l’individu soit remise au cœur du dispositif des droits de l’homme.
11.8. L’Assemblée note que la réforme de l’éducation, dite « 4+4+4 », allonge la durée de la scolarité obligatoire, ce qui est positif. Une certaine inquiétude s’exprime cependant quant à l’introduction de cours de religion dès le collège, puisque des sections dites « écoles Imam Hatip » y sont recréés. Cette démarche semble s’éloigner du principe de laïcité fondée sur le respect de toutes les religions, comme soutenu par le Premier ministre. L’Assemblée suivra la mise en œuvre de ce nouveau système.
11.9. Pour ce qui concerne le respect des droits des personnes gays, lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), l’Assemblée demande à la Turquie de prendre toutes les mesures, y compris les mesures éducatives, pour lutter contre toutes les formes de discrimination et d’adopter les dispositions législatives et constitutionnelles adaptées. L’Assemblée souhaite que soit assurée la mise en œuvre effective de ces réformes tenant à l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, suivant la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
11.10. L’Assemblée est forcée de constater que plusieurs questions relatives aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales posent encore problème :
11.10.1. l’Assemblée déplore le fait que la détention provisoire de nombreux parlementaires, maires et élus locaux n’ait toujours pas trouvé d’issue légale. Cette situation entrave à l’évidence l’exercice des mandats confiés à ces élus par les citoyens et appelle une solution législative urgente ;
11.10.2. l’Assemblée invite la Turquie à respecter pleinement les droits de la défense au cours des grands procès (Ergenekon, Balyoz, KCK) conduits par des juridictions à compétences spéciales. Ces procès touchent à la fois des élus, des militaires, des universitaires, des étudiants, des journalistes et des Kurdes. L’Assemblée est préoccupée par le grand nombre de ces procès ;
11.10.3. par ailleurs, l’Assemblée note que les arrestations et les détentions provisoires, notamment de journalistes, de jeunes et d’étudiants, suscitent des inquiétudes graves. Elle exhorte la Turquie à adopter, sans délai, la législation nécessaire à garantir la liberté d’expression et de manifestation, et à veiller à ce que le recours à l’action de la police, s’il est nécessaire, reste proportionné.
11.11. Pour ce qui concerne la dissolution des partis politiques, l’Assemblée invite la Turquie, suivant les recommandations de la Commission de Venise de 2009, à relancer, dans le cadre des travaux constitutionnels, l’instauration d’une procédure élaborée sur la base de critères stricts, tels que l’apologie ou l’incitation à la violence ou des menaces claires contre les valeurs fondamentales de la démocratie.
11.12. En matière de droits syndicaux, l’Assemblée prend note de la loi sur les syndicats adoptée le 19 octobre 2012. Elle constate le faible nombre de salariés syndiqués (moins de 10 %), soit 1 million pour 10 millions de salariés. Elle attire l’attention sur le seuil élevé fixé à plus de 3 % de salariés syndiqués pour les entreprises de plus de 30 salariés, afin qu’un syndicat puisse engager des négociations collectives. Ce seuil aujourd’hui autoriserait à peine la moitié des syndicats à y participer. Cette mesure cependant semble progressive et ne devrait s’appliquer pleinement qu’en 2018. L’Assemblée invite par conséquence la Turquie à s’assurer que cette nouvelle législation syndicale garantisse réellement l’exercice du droit de négocier collectivement. Elle encourage la Turquie à poursuivre ses discussions avec les partenaires socio-économiques et syndicaux pour lever les réserves faites aux articles 2.3, 4.1, 5 et 6 de la Charte sociale européenne révisée.
11.13. L’Assemblée souligne la nécessité évidente de former les juges et les procureurs. Elle encourage les autorités à poursuivre et à intensifier les programmes de formation obligatoire et continue des agents des forces de l’ordre. C’est une condition essentielle pour assurer la mise en œuvre effective et efficace des nouvelles mesures législatives et la prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La formation des professionnels de la justice et de la sécurité doit s’accompagner de l’évolution absolument nécessaire des mentalités. L’Assemblée encourage vivement la Turquie à poursuivre la collaboration établie avec le Conseil de l’Europe dans ces domaines.
12. S’agissant de l’institution du médiateur, de la reconnaissance du droit à l’objection de conscience et de la création d’un service civil alternatif :
12.1. L’Assemblée se félicite de la mise en place du médiateur, suite au référendum constitutionnel du 12 septembre 2010 et à l’adoption de la loi du 14 juin 2012, honorant ainsi une demande précise de l’Assemblée figurant dans les 12 points. Elle invite toutefois le Parlement turc à réévaluer les critères de sélection et d’élection du médiateur et de ses adjoints pour garantir la crédibilité et l’efficacité de cette institution nouvellement mise en place et son financement.
12.2. L’Assemblée se réjouit par ailleurs que le ministère de la Justice veille, avec détermination, à assurer une meilleure prise en compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à améliorer le contrôle de la mise en œuvre des arrêts de la Cour et à prévenir les violations répétitives des articles de la Convention. Elle salue en particulier la création d’un mécanisme de compensation de la durée excessive des détentions et des procès, ainsi que la prise en compte du respect de la jurisprudence de la Cour dans la promotion des juges.
12.3. L’Assemblée salue la possibilité de recours individuel devant la Cour constitutionnelle pour la violation des droits couverts par la Convention européenne des droits de l’homme, ouverte par la révision constitutionnelle de 2010 et mise en œuvre depuis septembre 2012.
12.4. L’Assemblée regrette, par contre, puisqu’il s’agissait de l’un des 12 points, qu’aucune mesure n’ait été prise pour donner un cadre législatif à l’objection de conscience et au service civil alternatif afin de se conformer ainsi à la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière.
13. S’agissant de la mise en œuvre de la réforme de l’administration locale et régionale ainsi que la décentralisation et le retour des personnes déplacées :
13.1. L’Assemblée est convaincue que la poursuite et le renforcement de la décentralisation seront un élément essentiel de la stratégie de développement de la Turquie, ainsi qu’une réponse possible à la résolution de la question kurde. A cet égard, elle invite instamment la Turquie à mettre en œuvre la Recommandation 301 (2011) adoptée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux le 24 mars 2011 et à poursuivre ses réformes dans le domaine de la décentralisation, conformément à la Charte européenne de l’autonomie locale (STE n° 122) ratifiée par la Turquie en 1992.
13.2. L’Assemblée note avec satisfaction l’entrée en vigueur en mars 2008 de la loi n° 5233 sur l’indemnisation des dommages résultant du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme. Elle encourage la Turquie à poursuivre ses programmes sociaux et économiques de retour durable des personnes déplacées, comme prévu dans les 12 points.
14. S’agissant des instruments juridiques internationaux cités dans la Résolution 1380 (2004) :
14.1. L’Assemblée salue la ratification par la Turquie de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE n° 141) le 6 octobre 2004 et de la Charte sociale européenne révisée le 27 juin 2007, conformément à la Résolution 1380 (2004).
14.2. L’Assemblée note que la Turquie n’a ni signé, ni ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte des langues régionales ou minoritaires, comme demandé par l’Assemblée en 2004. Elle encourage la Turquie à envisager dès à présent la signature de ces instruments juridiques.
14.3. L’Assemblée salue l’adoption des circulaires de mars 2010 visant à améliorer l’accès aux procédures d’asile, à assurer une meilleure protection des groupes vulnérables et un meilleur accès des demandeurs d’asile au marché du travail. Par ailleurs, l’Assemblée salue l’adoption, le 4 avril 2013, de la loi sur les étrangers et la protection internationale, qui constitue une avancée importante dans la protection des droits des étrangers, quel que soit leur statut. Elle invite la Turquie à poursuivre sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et réitère son appel à lever la limitation géographique à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Elle invite par ailleurs la communauté internationale à soutenir les efforts de la Turquie pour améliorer l’accueil et l’intégration des réfugiés.
14.4. L’Assemblée note avec satisfaction la ratification, le 23 mars 2012, de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196). Elle réitère aussi à cette occasion sa condamnation totale de tous les actes de violence et de terrorisme. Pour ce qui concerne les actes de terrorisme liés au PKK, l’Assemblée réaffirme que la question kurde doit trouver une solution politique, et elle appelle à l’arrêt de toutes les violences – condition préalable à toute négociation.
15. S’agissant de la politique visant à reconnaître l’existence des minorités nationales vivant en Turquie et l’octroi du droit de maintenir, de développer et d’exprimer leur identité, et de la mettre en œuvre concrètement :
15.1. L’Assemblée rappelle qu’en matière de minorités, la Turquie se réfère à la définition figurant dans le Traité de Lausanne du 24 juillet 1923, qui considère comme minorités « les ressortissants turcs appartenant aux minorités non musulmanes ». Au demeurant, l’Assemblée note que la Turquie reconnaît dans les faits, pour seules minorités, les communautés religieuses juives, arméniennes et grecques orthodoxes.
15.2. L’Assemblée se félicite du dialogue renforcé instauré avec les communautés religieuses et salue les mesures récentes visant à éliminer les problèmes rencontrés par les minorités non musulmanes. L’Assemblée note également la contribution des minorités aux travaux de révision de la Constitution, qui devra assurer, en droit et en fait, l’égalité de tous les citoyens turcs, quelle que soit leur religion.
15.3. L’Assemblée salue la modification de la loi sur les fondations en date du 27 août 2011 visant à faciliter l’enregistrement des biens immobiliers. Elle invite les autorités turques à finaliser la procédure de restitution des biens aux communautés religieuses.
15.4. Rappelant l’avis de la Commission de Venise de mars 2010 portant sur le statut juridique des communautés religieuses en Turquie et le droit du Patriarcat orthodoxe d’Istanbul d’utiliser l’adjectif « œcuménique », l’Assemblée prend note, avec satisfaction, des discussions en cours pour la réouverture du séminaire orthodoxe Halki sur l’île d’Heybeliada.
15.5. Tout en reconnaissant que les récentes réformes de la législation turque ont amélioré les relations avec les communautés religieuses non musulmanes, l’Assemblée demande néanmoins instamment à la Turquie de mettre en œuvre les exigences du paragraphe 19.2 de la Résolution 1704 (2010) de l’Assemblée sur la liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane en Thrace (Grèce orientale) et les recommandations de la Commission de Venise figurant dans l’avis n° 535/2009, adopté en mars 2010, afin de garantir le droit fondamental de la liberté de religion, notamment à travers la reconnaissance de la personnalité juridique des communautés religieuses non musulmanes, ce qui leur assurerait l’accès à la justice et la protection des droits de propriété.
15.6. A cet égard, l’Assemblée appelle instamment à l’ouverture d’un dialogue concluant avec la communauté alévie, en particulier pour ce qui concerne la reconnaissance du statut légal des lieux de culte alévis (Cemevleri), l’enseignement du fait religieux alévi à l’école et les enquêtes sur les déclarations au sujet de biens confisqués.
15.7. L’Assemblée se réjouit par ailleurs des progrès importants réalisés depuis 2004 en matière de promotion des droits culturels et linguistiques des Kurdes, entre autres l’usage d’autres langues que le turc dans l’enseignement, les médias et pendant les campagnes électorales depuis 2011 et la possibilité de choisir sa langue pour assurer sa défense devant les tribunaux depuis 2012. Rappelant sa dénonciation sans ambiguïté des faits de terrorisme, l’Assemblée note cependant que l’incarcération de milliers de Kurdes – y compris des élus locaux et des journalistes – pour des faits supposés de terrorisme pèsent sur le règlement de la question kurde. L’Assemblée forme le vœu que les réformes judiciaires et constitutionnelles en cours permettront de trouver une issue politique à cette question.
15.8. L’Assemblée salue la reprise officielle des pourparlers initiés en décembre 2012 par les autorités turques avec le leader du PKK. Elle se félicite aussi du processus de recherche d’une solution, qu’elle considère à l’évidence comme la voie vers l’arrêt des violences et l’instauration d’un cadre pacifié pour le règlement de la question kurde. L’Assemblée sait que ce processus est fragile et devrait s’accompagner du retrait des activistes du PKK de Turquie. Un « comité des sages » de 63 personnes a été créé. L’Assemblée souhaite qu’il soit représentatif de tous les acteurs de la société et des différentes forces politiques pour soutenir l’aboutissement de cette initiative.
15.9. Tout en reconnaissant l’importance des écoles des minorités pour la préservation de l’identité des minorités nationales, l’Assemblée regrette néanmoins que la loi de 2007 relative aux établissements d’enseignement privés ne réponde pas aux exigences énoncées au paragraphe 19.14 de la Résolution 1704 (2010) de l’Assemblée. En conséquence, l’Assemblée demande instamment à la Turquie de faire évoluer la législation afin de permettre aux enfants issus de minorités non musulmanes, mais n’ayant pas la nationalité turque, d’accéder aux écoles des minorités. A cet égard, l’Assemblée, tout en tenant compte de la pratique de réciprocité appliquée dans certains cas, note que les solutions ad hoc ne suffisent pas à résoudre le problème.
15.10. L’Assemblée note que la Turquie n’a pas envoyé de réponse à la Résolution 1704 (2010). Elle invite la Turquie à envoyer une réponse aux questions en suspens dans les deux mois.
16. S’agissant de la poursuite des efforts visant à lutter contre l’analphabétisme des femmes et contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes :
16.1. L’Assemblée se réjouit des avancées législatives réalisées depuis 2005 et de la réforme du Code pénal concernant la lutte contre la violence à l’égard des femmes, à savoir le dispositif législatif et les actions de sensibilisation. Elle salue l’action de la Turquie dans l’élaboration de la Convention du Conseil de l’Europe pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul, STCE n° 210). L’Assemblée note que la Turquie a été le premier pays à la ratifier en mars 2012 sans aucune réserve et à adopter une loi. Force est de constater cependant que la violence faite aux femmes reste une réalité.
16.2. L’Assemblée souligne donc la nécessité d’assurer la mise en œuvre effective de ces législations, en particulier par la formation des professionnels de santé, des policiers, des procureurs et des magistrats, et de sanctionner les manquements ou le manque de diligence des institutions.
16.3. L’Assemblée encourage la Turquie à poursuivre ses efforts pour lutter contre l’analphabétisme des femmes, qui constitue un obstacle majeur à leur participation à la vie publique et économique, et un risque accru d’exposition des filles aux violences physiques, psychologiques et sexuelles. A cet égard, l’Assemblée invite la Turquie à lutter contre les mariages précoces et les mariages d’enfants, suivant la Résolution 1468 (2005) de l’Assemblée sur les mariages forcés et les mariages d’enfants. Elle incite aussi à beaucoup de vigilance pour maintenir les droits acquis par les femmes concernant le droit à l’avortement.
16.4. L’Assemblée forme le vœu que la Turquie réaffirme son attachement au renforcement de l’égalité de fait entre les femmes et les hommes. Elle salue l’inscription de la discrimination positive en faveur des femmes dans les amendements constitutionnels de 2010. L’Assemblée forme le vœu que la Turquie consacre pleinement, dans sa future constitution, l’égalité entre les femmes et les hommes et continue à être un pays de référence dans la région.
17. En conclusion, l’Assemblée rappelle que la Turquie est actuellement dans une phase d’évolution politique et que le contexte géopolitique est particulièrement délicat. L’Assemblée constate cependant que ce processus de réformes législatives et d’évolution institutionnelle est en cours mais reste inachevé concernant des points essentiels de la Résolution 1380 (2004). Ce processus pourrait également conduire à la rédaction d’une nouvelle constitution et à la définition d’un nouveau régime politique, que l’Assemblée appréciera le moment venu. Au demeurant, elle assure à la Turquie tout son soutien dans l’approfondissement de ces réformes démocratiques.
18. Prenant en compte les élections locales de 2014 et la première élection du Président de la République au suffrage direct en 2014 ainsi que les élections législatives de 2015, l’Assemblée décide de suivre les évolutions en Turquie et de présenter, à l’issue de ces échéances, un rapport complet sur le dialogue postsuivi. Elle réitère la disponibilité du Conseil de l’Europe, en particulier la Commission de Venise, pour soutenir les efforts des autorités turques.
Annexe 2
Résolution 1932 (2013) – Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme 3
1. L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, plus connue sous le nom de Frontex, a été créée en octobre 2004 pour aider les États membres de l’Union européenne à gérer et à contrôler leurs frontières extérieures. Dotée en 2012 d’un budget de quelque 85 millions d’euros, Frontex a joué un rôle crucial dans la sécurisation des frontières.
2. Au moment de sa mise en place, l’Agence était considérée comme avant tout chargée du contrôle des frontières et de la gestion des migrations. Une fois qu’elle a commencé à fonctionner, il est clairement apparu que ses activités avaient de nombreuses implications en matière de droits de l’homme et qu’elle était mal préparée à y faire face. C’était particulièrement le cas pour l’interception de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés aux frontières ou en mer, ainsi que pour les opérations de retour de migrants en situation irrégulière et de personnes déboutées du droit d’asile.
3. Ces problèmes de droits de l’homme ont mis en lumière plusieurs lacunes structurelles dans le fonctionnement et la gestion de l’Agence. On note à cet égard un manque de clarté quant au rôle de Frontex dans la coordination et la mise en œuvre des opérations terrestres, aériennes, maritimes et de retour menées en commun avec les États membres et quant aux responsabilités en cas de violations des droits de l’homme ou d’autres atteintes au droit international résultant des actions de l’Agence. Il existe aussi un manque de transparence concernant les opérations et activités et leurs implications pour les droits de l’homme. Enfin, le contrôle démocratique n’est pas suffisant, par exemple sur les accords négociés par Frontex avec des pays tiers en matière de contrôle des frontières, d’interception et de retour.
4. L’Assemblée parlementaire se félicite que l’Union européenne et Frontex aient récemment pris des mesures visant à répondre à certains de ces problèmes. L’Agence a en effet adopté une Stratégie en matière de droits fondamentaux et un Code de conduite. En outre, les institutions de l’Union européenne ont décidé de modifier le Règlement Frontex pour y inclure l’obligation de protéger les droits fondamentaux et pour prévoir la création d’un poste de responsable des droits fondamentaux et d’un Forum consultatif sur les droits fondamentaux. Les nouvelles règles prévoient l’obligation de dispenser une formation aux droits fondamentaux, de respecter le principe de non-refoulement et de suspendre ou d’interrompre les opérations conjointes ou les projets pilotes en cas de violations graves ou persistantes des droits fondamentaux ou des obligations en matière de protection internationale.
5. Toutefois, l’Assemblée n’est pas certaine que ces modifications suffiront à résoudre tous les problèmes de droits de l’homme en jeu et se demande si certaines d’entre elles sont bien applicables et effectives, même si les États membres et Frontex font tout leur possible pour les mettre en œuvre.
6. Il règne un état d’esprit dangereux, consistant à juger que les activités de Frontex ne vont pas au-delà de celles des États membres et que les responsabilités sont à imputer à chaque État membre, et non à l’Agence. Bien que des progrès aient été faits pour reconnaître que ce n’est pas toujours le cas, cet argument est encore trop souvent utilisé lorsque les responsabilités en matière de droits de l’homme sont abordées.
7. L’Assemblée appelle donc Frontex, l’Union européenne et les États membres de l’Union européenne à se pencher sur plusieurs aspects structurels et opérationnels de Frontex et de ses activités, et notamment :
7.1. à veiller à ce que les personnes nécessitant une protection internationale, dont les victimes potentielles de la traite, les mineurs non accompagnés et les autres personnes vulnérables, soient identifiées au cours des opérations d’interception et de contrôle aux frontières et à ce qu’elles reçoivent une aide appropriée, dont l’accès à l’asile et aux autres formes de protection. De plus, les autorités nationales compétentes doivent recevoir sans retard les informations relatives aux demandes d’asile et de protection internationale et aux navires en détresse. Afin d’y veiller, les migrants interceptés doivent être systématiquement interrogés, dans une langue qu’ils comprennent et selon une procédure normalisée, et des directives pertinentes ou des instructions claires doivent être fournies au personnel et agents déployés, en plus d’une formation leur apportant les compétences nécessaires pour remplir cette tâche ; ce qui doit être intégré dans chaque plan opérationnel.
7.2. à garantir les droits de toutes les personnes reconduites au cours de vols de retour conjoints ou d’autres opérations de retour. Cela devrait englober la garantie d’un traitement humain égalitaire et non discriminatoire et la protection des données personnelles. Un système de contrôle effectif et indépendant doit être mis en place à toutes les étapes des opérations de retour conjointes, qui ne doivent être organisées et financées que pour les États membres de l’Union européenne disposant au niveau national d’un système effectif de contrôle des retours forcés. Il devrait être obligatoire de rendre compte des résultats de ce contrôle à Frontex.
7.3. à garantir la mise en œuvre du Code de conduite de Frontex et du futur code de conduite pour les opérations de retour conjointes et énoncer expressément les conséquences en cas de non-respect ; le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) et les autres instances pertinentes du Conseil de l’Europe devraient être consultés en temps utile sur le projet de code de conduite pour les opérations de retour conjointes, qui devrait tenir pleinement compte des Vingt principes directeurs du Conseil de l’Europe sur le retour forcé ;
7.4. à appliquer le pouvoir de suspendre ou d’interrompre les opérations conjointes et les projets pilotes en cas de violations graves ou persistantes des droits fondamentaux ou des obligations en matière de protection internationale. Des indicateurs de risque clairs et des critères d’alerte précoce objectifs pour la suspension des opérations devraient être conçus en coopération avec le Conseil de l’Europe, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, les organisations de droits de l’homme et le Forum consultatif de Frontex. L’interruption potentielle d’une opération ne devrait pas être laissée à la seule discrétion des personnels déployés, sans aucune forme de conseil ;
7.5. à appliquer des normes de base pour le contrôle des retours, afin de garantir son efficacité. Ces normes devront inclure l’indépendance des instances de contrôle, le contrôle de toutes les phases du retour et la présentation des résultats.
8. L’Assemblée appelle également Frontex à remédier à plusieurs lacunes structurelles ayant des répercussions sur les droits de l’homme, à travers les mesures suivantes :
8.1. améliorer la transparence et la communication publique concernant la nature des opérations menées sur le terrain et leur impact sur les droits de l’homme ;
8.2. reconnaître qu’elle est responsable, ou co-responsable, des projets qu’elle coordonne et met en œuvre ;
8.3. organiser des formations aux droits de l’homme pour l’ensemble du personnel de Frontex et les gardes-frontières déployés, en coopération avec des partenaires extérieurs comme l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et le HCR, et investir davantage dans la généralisation et l’intégration des normes de droits de l’homme, des obligations en matière de protection internationale et de la protection et de l’identification des victimes dans les activités opérationnelles de formation au niveau national ;
8.4. mettre en place un système effectif de contrôle des droits de l’homme concernant les activités opérationnelles de Frontex, en s’appuyant concrètement sur les deux nouveaux mécanismes de protection des droits fondamentaux que sont le poste de responsable des droits fondamentaux et le Forum consultatif sur les droits fondamentaux nouvellement créés. Il conviendra cependant de prendre des mesures supplémentaires pour veiller à ce que le contrôle soit systématique, transparent et indépendant et à ce qu’un système de signalement effectif soit mis en place. Ce système devra reposer sur des indicateurs du respect des droits de l’homme et faire en sorte que pour toutes les opérations conjointes de Frontex, les entorses aux droits de l’homme soient signalées, les conséquences en cas de non-signalement étant dûment précisées et appliquées. Enfin, un mécanisme doit être mis en place pour évaluer de manière indépendante l’impact et les suites données aux recommandations du Forum consultatif et des activités menées à bien par des partenaires extérieurs, notamment des formations ;
8.5. intégrer dans l’analyse des risques la probabilité des actions de recherche et de sauvetage en mer en tant que facteur pour la conduite d’opérations maritimes conjointes ; intégrer les critères de droits de l’homme dans la collecte et l’analyse de données et prendre en compte, dans la présentation des risques, la situation des droits de l’homme dans les pays tiers ;
8.6. vérifier préalablement si les navires fournis disposent d’équipements permettant les opérations de recherche et de sauvetage en mer ; introduire la recherche et le sauvetage dans la formation sur les patrouilles et rendre cette formation obligatoire pour les agents déployés.
9. L’Assemblée appelle aussi l’Union européenne à veiller à ce que Frontex et les États membres respectent leurs obligations en matière de droits de l’homme, en menant les actions suivantes :
9.1. revoir le Code frontières Schengen pour tenir compte du fait que les États membres de l’Union européenne et Frontex ont des responsabilités qui dépassent la surveillance des frontières, en particulier concernant le non-refoulement, les activités de recherche et de sauvetage et d’autres interceptions en mer ;
9.2. renforcer le contrôle démocratique exercé par le Parlement européen sur Frontex :
9.2.1. en veillant à ce que le/la Responsable des droits fondamentaux et le Forum consultatif sur les droits fondamentaux signalent directement au Parlement européen les problèmes de droits de l’homme dans le contexte de toutes les activités de Frontex, ainsi que les mesures prises pour y remédier ;
9.2.2. en demandant à ce que le Parlement européen soit consulté avant la conclusion d’accords entre Frontex et des pays tiers, afin de veiller à ce que les droits de l’homme et les droits des réfugiés soient pleinement respectés dans les pays tiers avec lesquels des activités sont menées à bien, notamment lors des opérations de retour, de patrouille conjointe, de recherche et de sauvetage ou d’interception ;
9.3. définir clairement l’étendue de la responsabilité de Frontex et veiller à ce que Frontex prenne ses responsabilités en matière de droits de l’homme lors des opérations conjointes ;
9.4. renforcer le rôle du/de la Responsable des droits fondamentaux :
9.4.1. en garantissant son indépendance,
9.4.2. en lui donnant les moyens et les ressources nécessaires pour surveiller effectivement toutes les activités de Frontex ;
9.5. instaurer une procédure de recours pour les individus qui jugent que leurs droits ont été violés par Frontex ;
9.6. renforcer le statut du Forum consultatif en lui garantissant l’accès à l’information pour toutes les activités de Frontex, en l’associant à la planification, la mise en œuvre et l’évaluation des projets / opérations et en lui donnant la possibilité d’observer régulièrement les opérations conjointes ;
9.7. renforcer la coopération entre Frontex et des organisations spécialistes des droits de l’homme telles que le Conseil de l’Europe, le HCR, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et l’Agence des droits fondamentaux, par exemple en ouvrant les opérations conjointes à la participation de ces organisations et en invitant celles-ci à rendre compte de leurs observations à l’Agence et aux États membres qui accueillent les opérations ou y participent, afin d’améliorer en permanence la protection des droits de l’homme ;
9.8. veiller à donner un caractère contraignant aux points énumérés ci-dessus aux paragraphes 9.2 à 9.7, au moyen d’une modification du Règlement Frontex.
10. L’Assemblée appelle en outre les États membres de l’Union européenne à soutenir Frontex et à pleinement respecter leurs propres obligations en matière de droits de l’homme lorsqu’ils participent à des activités avec l’Agence. Pour ce faire, ils peuvent notamment :
10.1. veiller à ce que les agents déployés aient les connaissances requises concernant leurs obligations en matière de droits de l’homme, à ce qu’ils aient reçu une formation à ce sujet afin de développer les différentes compétences nécessaires lors des opérations conjointes et à ce qu’ils signalent à Frontex et aux autorités nationales compétentes les questions de protection et les éventuelles violations des droits de l’homme ;
10.2. respecter les obligations nées de l’arrêt HirsiJamaa et autres c. Italie de la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’ils interceptent des embarcations de migrants, que ce soit ou non dans les eaux territoriales de l’Union européenne. Ce faisant, ils doivent s’assurer entre autres que les personnes interceptées ne s’exposent pas à une expulsion collective ou à des mauvais traitements, qu’elles aient droit à un recours effectif et à la possibilité de demander l’asile et qu’elles soient débarquées dans un port sûr ;
10.3. veiller à ce que les navires et autres équipements fournis soient conformes aux droits de l’homme (par exemple qu’ils permettent de mener des opérations de recherche et de sauvetage en mer ou d’autres tâches humanitaires ou ayant trait aux droits de l’homme).
11. Enfin, l’Assemblée invite le Parlement européen à faire usage de son rôle de supervision et de contrôle démocratique pour exercer une surveillance sur Frontex et ses activités ayant des répercussions sur les droits de l’homme.
Annexe 2 bis
Recommandation 2016 (2013) – Frontex : responsabilités en matière de droits de l'homme 4
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 1932 (2013), « Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme ».
2. Elle se félicite que l’Union européenne et l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, plus connue sous le nom de Frontex, aient récemment pris plusieurs mesures pour répondre aux inquiétudes soulevées par les activités de l’Agence quant au respect des droits de l’homme. A cet égard, elle note que Frontex a approuvé une Stratégie en matière de droits fondamentaux et un Code de conduite et que le Règlement Frontex a été modifié pour comprendre l’obligation de protéger les droits fondamentaux, notamment par la création d’un poste de responsable des droits fondamentaux et la mise en place d’un Forum consultatif sur les droits fondamentaux, au sein duquel le Conseil de l’Europe est représenté. Tous deux sont maintenant entrés en activité.
3. Bien que ces changements soient à saluer, il n’est pas certain qu’ils suffisent et qu’ils s’avèrent applicables et effectifs.
4. Dans ce contexte, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres à soutenir et à encourager Frontex sur les questions de droits de l’homme, et plus précisément :
4.1. à veiller, par le biais de son représentant auprès du Forum consultatif sur les droits fondamentaux, à ce que le Conseil de l’Europe participe activement aux activités de Frontex en matière de droits de l’homme et à ce que la participation et l’apport du Conseil de l’Europe à ce Forum fassent l’objet d’un retour d’informations et d’échanges de vues réguliers au sein de l’Organisation ;
4.2. à promouvoir les normes pertinentes du Conseil de l’Europe, notamment celles développées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) et celles du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), et recommander qu’elles soient dûment prises en compte dans les programmes de formation et les procédures opérationnelles de Frontex ;
4.3. à aider Frontex à renforcer ses mécanismes de contrôle, notamment concernant les opérations de retour conjointes, par une coopération plus étroite avec le CPT, le GRETA et divers autres secteurs pertinents du Conseil de l’Europe ;
4.4. à appuyer les efforts de Frontex pour protéger et promouvoir les droits de l’homme, en veillant à ce que le Conseil de l’Europe tire parti de ses liens privilégiés avec les divers mécanismes de prévention nationaux établis dans le cadre de l’OPCAT (« Réseau européen des mécanismes nationaux de prévention (MNP) ») et avec les Médiateurs et institutions nationales de droits de l’homme de ses États membres (« Réseau pair à pair »).
Annexe 3
Résolution 1927 (2013) – Mettre fin à la discrimination contre les enfants roms 5
1. La discrimination contre les Roms en Europe est très répandue et touche les membres de cette communauté dès leur plus jeune âge. Elle prend des formes variées, dont l’absence de soins prénatals et infantiles appropriés, l’apatridie, la pauvreté des enfants, des conditions de logement inadéquates, l’inégalité d’accès à l’éducation et le risque accru d’être victime de brimades, de violence et de la traite des êtres humains.
2. Il est absolument urgent de redoubler d’efforts pour remédier à cette situation, sachant que près de 50 % de la population rom en Europe – soit environ 5 à 6 millions de personnes – est âgée de moins de 18 ans. Ces efforts devraient porter sur l’amélioration des conditions de vie matérielles des familles roms grâce à des investissements dans le logement, l’assainissement, la création d’emplois et le changement des attitudes stéréotypées et discriminatoires à l’égard des Roms. L’objectif ultime devrait être de donner aux enfants roms les mêmes possibilités qu’aux autres enfants et de les encourager à décider librement de leur avenir.
3. Si les Roms bénéficient des mêmes chances lors de leur enfance, ils seront, en tant qu’adultes, en mesure de contribuer au marché du travail et à l’activité économique de l’Europe, en exerçant des métiers qualifiés dans différents secteurs. Mieux intégrés dans la société, ils serviront d’intermédiaires pour promouvoir la tolérance et la diversité sur le continent. Ils s’engageront dans la vie politique et sociale et joueront un rôle moteur dans l’amélioration de la situation des Roms et d’autres communautés défavorisées vivant en Europe.
4. L’Assemblée parlementaire souligne que la discrimination est un processus allant dans les deux sens. Pour l’éradiquer, il est nécessaire de prendre en considération les deux termes de l’équation. Il faudrait ouvrir des perspectives aux personnes qui sont victimes de discrimination et leur permettre d’avoir davantage confiance en eux, au moyen de discours d’encouragement et de politiques ciblées. Dans le même temps, des mesures de sensibilisation et l’organisation de rencontres avec « les autres » devraient être mises en place pour cultiver la compréhension mutuelle et la tolérance.
5. Le renforcement de l’autonomie des enfants roms et de leurs familles suppose non seulement d’œuvrer en faveur des Roms et de les soutenir, mais aussi de travailler avec eux et de réunir les conditions nécessaires à l’organisation de la communauté et à une participation active à l’élaboration de politiques, et notamment au processus de prise de décisions. Au niveau national comme au niveau international, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) travaillent efficacement sur les questions roms et il est indispensable que les gouvernements nationaux collaborent avec elles pour concevoir des politiques adaptées.
6. L’Assemblée, rappelant sa Recommandation 2003 (2012) sur les migrants roms en Europe et la Résolution 1740 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, réitère son appel à tous les États membres du Conseil de l’Europe pour qu’ils assument leurs responsabilités et se saisissent avec sérieux et persévérance du problème de la situation des Roms.
7. L’Assemblée exhorte ses États membres à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la discrimination contre les enfants roms, et notamment :
7.1. à généraliser l’accès aux services intégrés destinés à la petite enfance :
7.1.1. en facilitant l’enregistrement des naissances et la production des actes de naissance ;
7.1.2. en renforçant les services de proximité pour les jeunes enfants et les familles issus de communautés isolées, en se concentrant sur la santé maternelle, la sécurité alimentaire, l’éducation des enfants et l’environnement familial, la protection de la santé, la prise en charge et les soins aux nourrissons, en envoyant des unités de soins mobiles dans les quartiers et auprès des communautés roms, pour des contrôles dentaires, des consultations de puériculture et des conseils en matière de santé génésique ; en envoyant des fonctionnaires, pour informer les femmes roms sur leurs droits, les services de santé et les possibilités offertes à leurs enfants en matière éducative ;
7.1.3. en aidant les familles roms pauvres à favoriser la croissance et le développement de leurs jeunes enfants à la maison dans un environnement sûr et stimulant du point de vue physique et psycho-social ;
7.1.4. en informant régulièrement les communautés roms sur les services publics, tels que les soins de santé et l’accès à l’éducation, par l’intermédiaire des médias, et notamment de la télévision, utilisés comme outils de sensibilisation ;
7.1.5. en donnant aux mères roms, directement au sein de leurs communautés, une formation concernant la puériculture, les soins de santé et l’éducation, ou en leur assurant le transport pour se rendre gratuitement dans des centres où cette formation peut être organisée ;
7.2. à rendre l’école plus accessible :
7.2.1. en assurant au moins deux années d’enseignement préscolaire inclusif, obligatoire, peu coûteux et de haute qualité ;
7.2.2. en proposant à tous les enseignants et professionnels des formations, des informations et des supports anti-préjugés ;
7.2.3. en préparant les établissements scolaires à tous les niveaux à accueillir des enfants roms et à favoriser leur développement sur un pied d’égalité avec les autres enfants ; en intégrant les valeurs interculturelles et la diversité dans le programme, en formant les enseignants pour qu’ils sachent s’occuper d’un groupe d’enfants caractérisé par la diversité, en dispensant un enseignement personnalisé, adapté au niveau de développement des enfants, en créant un environnement d’apprentissage démocratique où chaque enfant se sente habilité à participer, et en établissant un cadre sans violence, où la sécurité physique et émotionnelle soit garantie ;
7.2.4. en accordant une attention particulière à l’établissement de la confiance dès le plus jeune âge, en veillant à ce que les enfants roms participent aux travaux en classe et aux activités extrascolaires, et reçoivent des fournitures scolaires s’ils n’ont pas les moyens de les acheter, en les récompensant pour leur bonne conduite et pour leurs réussites, et en les encourageant, avec leurs parents, à développer leurs talents ;
7.2.5. en adaptant les programmes afin qu’ils fassent de l’inclusion un objectif majeur de l’éducation, exempts de tout stéréotype lié au sexe ;
7.2.6. en prévoyant, le cas échéant, l’enseignement de la culture et de l’histoire roms et, au besoin, en soutenant l’enseignement du romani comme seconde langue ;
7.2.7. en mettant en place dans les salles de classe des assistants et des médiateurs roms correctement formés et rémunérés et en encourageant un plus grand nombre de Roms à devenir enseignants ;
7.2.8. en veillant à ce que le programme de base soit dispensé à tous les enfants roms sur un pied d’égalité avec les autres enfants ;
7.2.9. en œuvrant en faveur de l’alphabétisation des parents, notamment des mères, pour qu’ils puissent soutenir davantage l’éducation de leurs enfants, et en organisant des programmes de formation professionnelle ou linguistique, par exemple, à l’intention des mères, pour qu’elles soient mieux préparées à devenir des membres actifs de la société ;
7.2.10. en mettant en place des mesures pour que les jeunes filles roms aient les mêmes chances que les garçons roms de bénéficier d’une éducation formelle ;
7.2.11. si nécessaire, en assurant le transport et en fournissant les vêtements, la nourriture et les autres éléments de base, pour que les enfants roms soient mieux intégrés et acceptés dans les classes ;
7.2.12. en proposant après l’école des activités intéressantes pour les enfants roms, en encourageant les élèves et leurs familles à profiter de ces activités pour développer leurs talents, et en fournissant aux enfants les outils et la formation nécessaires pour participer à ces activités.
7.3. à mettre fin à la ségrégation scolaire et à promouvoir l’inclusion :
7.3.1. en veillant à ce que tous les élèves commencent à apprendre l’égalité, le respect et le travail en équipe dès leur première scolarité, en concevant des programmes scolaires et des activités extra-scolaires qui renforcent ces valeurs, et en encourageant ce faisant les élèves à apprendre les uns des autres et à s’apprécier, pour éviter d’avoir des préjugés plus tard ;
7.3.2. en exécutant, le cas échéant, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme relatifs à la discrimination dans l’exercice par les requérants de leur droit à l’éducation en raison de leur placement dans des écoles spéciales ;
7.3.3. en élaborant des politiques globales pour réaliser l’objectif à long terme d’éducation inclusive comprenant l’élaboration de plans d’action nationaux et locaux en faveur de l’inclusion, étayés par des mesures financières, juridiques et administratives, et en imposant aux communes d’élaborer des plans de déségrégation ;
7.3.4. en proposant des campagnes de sensibilisation pour informer les Roms sur leurs droits et leurs devoirs et en mettant en place des mécanismes de recours pour les familles roms en cas de violation de leur droit à l’inclusion ;
7.3.5. en associant les familles roms aux activités parentales à l’école, comme par exemple encadrer des enfants ou rejoindre une association de parents d’élèves ;
7.3.6. en formant les enseignants à la culture et l’identité des enfants Roms, parallèlement aux méthodes d’enseignement visant à prévenir la discrimination et promouvoir la diversité ; en garantissant que les enseignants sont formés à dépasser leurs a priori et préjugés personnels ;
7.4. à lever les obstacles socio-économiques à l’éducation :
7.4.1. en mettant en place des programmes préparatoires et un soutien scolaire supplémentaire pour les enfants roms, afin de mieux les préparer pour l’école, de faciliter le passage d’un niveau à l’autre et de réintégrer ceux qui ont abandonné l’école ;
7.4.2. en accordant des bourses ou des allocations aux élèves roms pour qu’ils puissent fréquenter les établissements scolaires ; en créant des incitations et en encourageant le secteur privé à proposer des bourses aux enfants roms ;
7.4.3. en encourageant la promotion de modèles pour les communautés roms, notamment d’étudiants, d’hommes d’affaires et d’artistes roms qui ont réussi ; en créant des occasions et en organisant des manifestations qui permettent à ces personnes de rencontrer les communautés roms, pour partager leurs expériences et devenir des sources d’inspiration ;
7.4.4. en soutenant des programmes qui permettent à des Roms de faire des stages d’été dans la fonction publique ou dans le secteur privé, ce qui facilitera leur entrée sur le marché du travail et leur intégration dans le monde de l’entreprise ;
7.4.5. en encourageant les élèves roms à participer aux voyages scolaires, pour s’exposer au monde extérieur, et en prenant en charge leurs dépenses, si nécessaire ;
7.5. à protéger le droit des enfants roms au respect de leur intégrité personnelle et physique :
7.5.1. en garantissant l’application effective de l’interdiction légale de toute forme de violence et des manifestations de racisme et d’anti-tsiganisme à l’école ;
7.5.2. en sensibilisant les communautés roms aux valeurs et aux normes relatives à l’égalité des genres, à la non-discrimination et aux droits de l’homme.
7.6. à fournir un financement public suffisant pour garantir l’efficacité et l’efficience des activités mentionnées aux paragraphes 7.1 à 7.5.
8. L’Assemblée estime par ailleurs que les mesures prises à l’échelle du gouvernement pour promouvoir la bonne gouvernance constituent le fondement minimal sur lequel ces mesures spécifiques doivent s’appuyer pour obtenir le plus de résultats. Les États membres devraient par conséquent encourager les initiatives visant à accroître la responsabilité et la transparence des différents niveaux de gouvernement et intervenants, à renforcer l’accès à la justice et l’état de droit, à donner les moyens aux institutions des droits de l’homme, tels que les médiateurs, et à améliorer le suivi et le traitement des plaintes émanant d’enfants roms.
9. Pour s’attaquer à la cause profonde de la discrimination, les personnalités politiques et les leaders d’opinion doivent agir de manière responsable. Ils ont un rôle important à jouer pour inverser les stéréotypes et les attitudes discriminatoires envers les Roms et pour promouvoir la culture de la diversité et du respect entre les différents groupes.
Annexe 4
Recommandation 2013 (2013) – Les parlements unis pour combattre la violence sexuelle à l'égard des enfants : bilan à mi-parcours de la Campagne UN sur CINQ 6
1. L’exploitation et les abus sexuels infligés aux enfants ne sont malheureusement pas un phénomène nouveau mais l’augmentation considérable du nombre de cas constatés dans les États membres du Conseil de l’Europe au début du XXIe siècle a abouti à une sensibilisation accrue à la nécessité de protéger les enfants de ce fléau mondial qui est une grave violation des droits humains. De nombreux pays ont instauré une législation stricte, des politiques rigoureuses et des actions pour éradiquer la violence à l’encontre des enfants. Toutefois, les statistiques montrent qu’il y a encore beaucoup trop d’abus commis sur des enfants dans différents cadres, dont le milieu familial au sens large et les structures d’accueil ou d’éducation pour les enfants, ou en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Selon les estimations, un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle.
2. Depuis des décennies, l’Assemblée parlementaire s’emploie activement à lutter efficacement contre tous les types de violence à l’égard des enfants, y compris la violence sexuelle. Elle s’est, par conséquent, félicitée de l’ouverture à la signature, en 2007, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote, STCE n° 201) et de la décision de lancer une campagne pour promouvoir cette importante convention en 2010. L’Assemblée développe la dimension parlementaire de la Campagne du Conseil de l’Europe UN sur CINQ pour mettre fin à la violence sexuelle à l’égard des enfants depuis son lancement en novembre 2010 à Rome.
3. A cette fin, elle s’est assurée le concours des parlements nationaux des États membres du Conseil de l’Europe, des parlements jouissant du statut d’observateur et de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée et d’autres assemblées parlementaires régionales et internationales, instituant un Réseau de parlementaires de référence qui compte, à ce jour, 53 membres.
4. Rassemblant les divers organes et instances du Conseil de l’Europe, la Campagne UN sur CINQ est menée aux niveaux intergouvernemental, parlementaire, régional et local. Jusqu’ici, le plus grand succès de la campagne est sans doute l’augmentation notable du nombre de ratifications de la Convention de Lanzarote, qui s’élevait à 25 en mars 2013, c’est-à-dire à plus de la moitié des États membres du Conseil de l’Europe. Cependant, il ne faut pas non plus sous-estimer l’incidence des activités de sensibilisation dans les 25 pays engagés au cours des deux premières années de la campagne.
5. Le Conseil de l’Europe peut être fier, à juste titre, des résultats obtenus au cours des deux premières années de campagne, mais l’Assemblée estime, néanmoins, qu’il est possible d’accroître encore la portée et l’efficacité de la campagne pour atteindre son but ultime, à savoir que l’ensemble des États membres (et d’autres États ailleurs qu’en Europe où les abus sexuels sur les enfants sont importants) soient non seulement Parties à la Convention de Lanzarote, mais aussi qu’ils appliquent ses dispositions, afin que la violence sexuelle sur les enfants soit l’objet d’une tolérance zéro.
6. L’Assemblée recommande, par conséquent, au Comité des Ministres :
6.1. d’allouer, sur le budget ordinaire du Conseil de l’Europe, des fonds suffisants aux trois dimensions de la campagne jusqu’au terme de la campagne en novembre 2014, et par la suite, au Comité des Parties à la Convention de Lanzarote et à son secrétariat ;
6.2. d’intégrer le thème de la lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des enfants dans les programmes d’assistance et de coopération du Conseil de l’Europe ;
6.3. de demander instamment aux États membres :
6.3.1. de finaliser la signature et la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote) d’ici fin novembre 2014, s’ils ne l’ont pas encore fait ;
6.3.2. de veiller à ce que leur législation nationale soit conforme à la Convention de Lanzarote et à ce que ses dispositions soient mises en œuvre systématiquement, en couvrant toutes les questions liées à l’exploitation et aux abus sexuels sur les enfants ;
6.3.3. de renforcer l’approche multipartite dans la lutte contre la violence sexuelle faite aux enfants à tous les niveaux, en encourageant une coopération accrue entre les différents échelons et niveaux administratifs au niveau national ainsi que la pleine participation des parlements, des organisations non gouvernementales (ONG), le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l’Europe, des institutions de commissaires/ médiateurs pour les enfants, des milieux universitaires ainsi que des enfants, des jeunes et des parents eux-mêmes, avec l’accent mis sur des mesures concrètes au-delà d’un dialogue ;
6.3.4. d’allouer à toutes les parties prenantes les moyens financiers suffisants pour lutter contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, en accordant une attention particulière aux collectivités territoriales, aux ONG et aux organisations de jeunesse actives dans ce domaine ;
6.3.5. d’accorder une attention spéciale à la réparation (y compris au moins une compensation financière symbolique) pour les victimes ;
6.3.6. de diffuser le plus largement possible toutes les informations liées á la Convention de Lanzarote et la Campagne UN sur CINQ.
7. L’Assemblée invite les parlements nationaux à continuer de soutenir la Campagne UN sur CINQ, à effectuer des réformes législatives et à superviser leur mise en œuvre ainsi qu’à organiser des activités de sensibilisation en conformité avec la campagne et les dispositions de la Convention de Lanzarote.
1 () Principal parti politique kurde en Syrie.
2 () Discussion par l’Assemblée le 23 avril 2013 (12e séance) (voir Doc. 13160, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), rapporteure : Mme Durrieu). Texte adopté par l’Assemblée le 23 avril 2013 (12e séance).
3 () Discussion par l’Assemblée le 25 avril 2013 (17e séance) (voir Doc. 13161, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur : M. Cederbratt ; et Doc. 13187, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur : M. Clappison). Texte adopté par l’Assemblée le 25 avril 2013 (17e séance).
Voir également la Recommandation 2016 (2013).
4 () Discussion par l’Assemblée le 25 avril 2013 (17e séance) (voir Doc. 13161, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur : M. Cederbratt ; et Doc. 13187, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur : M. Clappison). Texte adopté par l’Assemblée le 25 avril 2013 (17e séance).
Voir également la Résolution 1932 (2013).
5 () Discussion par l’Assemblée le 23 avril 2013 (13e séance) (voir Doc. 13158, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure : Mme Memecan). Texte adopté par l’Assemblée le 23 avril 2013 (13e séance).
6 () Discussion par l’Assemblée le 23 avril 2013 (13e séance) (voir Doc. 13151, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure : Mme Bonet Perot). Texte adopté par l’Assemblée le 23 avril 2013 (13e séance).
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