N
° 1936
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mai 2014
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur le développement de l’économie numérique française
ET PRÉSENTÉ PAR
MMES Corinne ERHEL et Laure de LA RAUDIÈRE
Députées
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 7
PREMIÈRE PARTIE – PRENDRE CONSCIENCE : LES DÉFIS DU NUMÉRIQUE 13
I. COMMENT FONCTIONNE L’ « ÉCONOMIE NUMÉRIQUE » ? 13
A. LES MOTS DU NUMÉRIQUE 13
1. L’Internet 13
2. Le World-Wide Web – le Web 14
3. Les applications 16
4. Les plates-formes 16
B. « CHANGER LE MONDE » 18
1. Les clés de compréhension de l’économie numérique 19
a. La disruption 19
b. Le capital-risque 19
c. Un écosystème performant 20
2. De nouveaux modèles économiques 21
a. « Innover comme des fous » 22
b. Capter la « multitude » 23
c. Assurer des rendements d’échelle jamais atteints 24
II. « LE NUMÉRIQUE DÉVORE LE MONDE » 25
A. LA TRANSFORMATION DES SECTEURS ÉCONOMIQUES 26
1. Les secteurs déjà bouleversés 27
a. L’audiovisuel 27
b. Le tourisme 28
c. La distribution 30
2. Les secteurs en cours de bouleversement 34
a. Les transports 34
b. Le paiement 39
c. L’action publique 42
3. Les secteurs qui seront bientôt bouleversés 42
a. L’éducation 42
b. La santé 44
B. L’IMPACT SUR LE FONCTIONNEMENT DES ENTREPRISES 45
1. Travailler autrement 45
2. Les enjeux de conversion numérique pour les entreprises 48
a. Les grands groupes 48
b. Les PME 49
III. LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE REPOSERA SUR LE NUMÉRIQUE 51
A. ANTICIPER LES EFFETS DESTRUCTEURS DU NUMÉRIQUE 51
1. Petite leçon d’économie : la « destruction créatrice » 51
2. « Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connait mais ne connaît pas l’ennemi sera victorieux une fois sur deux. Qui ne connaît ni son ennemi, ni lui-même, est toujours en danger. » – l’Art de la Guerre – Sun Tzu 53
B. LE NUMÉRIQUE EST UN FORMIDABLE LEVIER DE CROISSANCE 54
DEUXIÈME PARTIE – AGIR POUR UNE FRANCE NUMÉRIQUE : « DE L’AUDACE, ENCORE DE L’AUDACE, TOUJOURS DE L’AUDACE… » 58
I. FORMER LES ACTEURS DE DEMAIN 59
A. FORMER AU NUMÉRIQUE 59
1. Une pédagogie renouvelée 59
2. « Soit ils programmeront, soit ils seront programmés » - Fleur Pellerin 61
B. FORMER AUX MÉTIERS DU NUMÉRIQUE 63
1. La formation initiale 63
2. La formation professionnelle continue 68
II. DIFFUSER UNE CULTURE DU NUMÉRIQUE 69
III. CRÉER UN ENVIRONNEMENT PROPICE À L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 72
1. Les acteurs de l’écosystème français 75
2. La French Tech 80
C. DÉPLOYER LE TRÈS HAUT DÉBIT 81
IV. ASSURER LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 85
1. Des lacunes en capital-risque 87
2. Une faiblesse à la « sortie » 91
3. Un soutien public perfectible 93
V. MODERNISER LE CADRE JURIDIQUE 101
1. La protection des idées 104
2. La protection des données 104
3. La neutralité de l’Internet et des réseaux 108
4. La régulation des plates-formes 108
VI. CONSOLIDER LES FILIÈRES D’AVENIR ET CRÉER LES CHAMPIONS DE DEMAIN 110
A. LES OBJETS CONNECTÉS ET LES PLATES-FORMES WEB DU FUTUR 111
B. LE CLOUD ET LE FOG COMPUTING 112
C. LE BIG DATA 115
VII. METTRE L’ACTION PUBLIQUE À L’HEURE DU 2.0 118
VIII. RENFORCER L’ACTION INTERNATIONALE 126
A. ASSURER LA VISIBILITÉ DE LA FRANCE 126
1. Depuis la France 126
2. Depuis l’étranger 127
B. METTRE EN PLACE UNE ACTION EUROPÉENNE 128
EXAMEN EN COMMISSION 135
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES EN FRANCE 151
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES À L’ÉTRANGER 157
« Une personne qui n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais tenté d’innover. »
Albert Einstein - Conscience.
« Dans le domaine de la philosophie économique et politique, rares sont les hommes de plus de vingt-cinq ou trente ans qui restent accessibles aux théories nouvelles. Les idées que les fonctionnaires, les hommes politiques et même les agitateurs appliquent à la vie courante ont donc peu de chance d’être les plus neuves. »
J. M. Keynes - Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie
Aujourd’hui, on ne se connecte plus, on est connecté. Ce constat, naturel pour les jeunes générations et les acteurs du numérique, n’a pas encore été pleinement assimilé par les dirigeants d’entreprises, quelle que soit leur taille, les responsables politiques et la majorité des citoyens. Il est pourtant essentiel de prendre acte de cette évolution majeure, qui bat en brèche la notion même d’économie numérique. Comme l’ont rappelé à vos rapporteures un grand nombre des personnes qu’elles ont auditionnées, le numérique est porteur de changements aussi importants que le fut l’électricité au XIXème siècle ; or personne ne parle « d’économie électrique »…
Le numérique constitue l’une des composantes fondamentales de la troisième révolution industrielle (1), qui a débuté il y a déjà plusieurs années. Depuis le début du XXIème siècle, le numérique, plus présent, a pleinement bouleversé les modèles économiques traditionnels des entreprises, le fonctionnement de nos sociétés, et nos modes de vie. Cette accélération fut fulgurante. Le numérique a pénétré notre intimité au point que nous n’imaginons pas nous passer d’outils pourtant tout à fait récents.
Si chacun loue les bénéfices qu’il tire du numérique pour son usage personnel, l’analyse se complexifie dès lors que son influence sur le monde économique est évoquée. Le premier réflexe est en effet celui de la protection, de la résistance face à un bouleversement sans précédent depuis l’invention de l’électricité et, avant elle, celles de l’agriculture, de l’écriture et de l’imprimerie. Le numérique n’est donc pas toujours « populaire ». Il symbolise parfois la destruction de l’emploi et la déshumanisation. Ainsi, les récentes manifestations des habitants de San Francisco à l’encontre des bus Google véhiculant les salariés jusqu’à Mountain View ont montré, avec une éclatante singularité que même le berceau du numérique, la Silicon Valley, pouvait être réticent aux évolutions qu’elle a elle-même engendrées (2).
Pourtant, comme le rappellent Nicolas Colin et Henri Verdier en introduction de leur ouvrage (3), « tout le monde a bien compris combien [le numérique] est important : c’est là que se jouent la croissance et l’emploi, c’est là aussi que se joue la transformation de la plupart des activités humaines. Les États, les organisations, les grandes entreprises essaient de s’y mettre. Mais comme l’enfant qui apprend à faire du vélo, ils aimeraient bien commencer par apprendre à tenir en équilibre. Or, c’est exactement le contraire qu’il faut faire, car la révolution numérique est déjà passée ».
La révolution numérique est-elle déjà passée ? Vos rapporteures n’iront pas jusque-là, mais il est certain que nous sommes entourés de « révolutionnaires » qui veulent changer le monde, et que nous ne nous en rendons pas forcément compte. Le numérique, effectivement, est porteur d’immenses changements qui doivent être mis au service des citoyens et des entreprises.
Pour l’heure, l’Europe est en retard. Pensons simplement que 83 % de la capitalisation boursière des entreprises internet concerne des firmes américaines et seulement un peu plus de 2 % des entreprises européennes.
Derrière ces chiffres, il y a évidemment un enjeu de souveraineté (4), mais plus prosaïquement un enjeu de croissance. Le rôle des responsables politiques est avant tout de prévoir. Comment faire en sorte que la France tire parti des transformations numériques à venir ? Tel est l’enjeu du présent rapport, établi par vos rapporteures, dans le cadre d’une mission d’information sur le développement de l’économie numérique française, créée en mars 2013 par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Vos rapporteures ont mené une centaine d’auditions, et se sont rendues à San Francisco, à Londres, à Shenzhen, à Hong-Kong et en Australie. Elles n’entendent pas répondre à l’ensemble des questions posées par le numérique mais poursuivent deux objectifs principaux.
Le premier est de nature pédagogique. Alors que l’on a parfois l’impression de vouloir gagner la bataille de la mondialisation avec les outils et les méthodes du siècle dernier, il est temps que les élus, les dirigeants d’entreprises et l’ensemble des citoyens entrent dans ce XXIème siècle, où Internet rebat les règles du jeu au niveau mondial. Pour ce faire, il faut d’abord prendre conscience des bouleversements induits par le numérique. Il ne s’agit pas d’alarmer mais de poser clairement les enjeux, et d’expliquer l’impact du numérique sur notre économie, en s’intéressant aux changements qui affectent les différents secteurs économiques, mais également aux modifications qui touchent le fonctionnement même de nos entreprises et de nos organisations. Trop souvent, le numérique est réduit à la création d’une page internet, de la même manière que l’électricité n’était au départ vue que comme un moyen d’éclairer les usines (5).
Le second est d’ordre prospectif. La révolution numérique n’en est qu’à ses débuts. Il faut s’attendre à de grandes batailles industrielles pour le partage de la valeur, le contrôle des industries, la captation des publics, le développement de nouvelles applications, l’accès à la position dominante sur des marchés qui ne sont encore même pas envisagés. Si la puissance industrielle des acteurs américains est indéniable, l’Europe n’est pas complètement hors-jeu. L’internet des objets, la réalité augmentée, les villes intelligentes, le développement de l’e-santé, de l’e-éducation, de la robotique ou la constitution de nouvelles plates-formes et l’émergence de nouveaux services sont à même de ramener les industries européennes sur le devant de la scène. Mais il est grand temps d’agir !
La France dispose également de précieux atouts. C’est important de le rappeler, afin de tempérer les discours catastrophistes souvent entendus. Même si aucune entreprise française ne figure parmi les grands leaders mondiaux, nous avons la chance d’accueillir un vivier de jeunes entrepreneurs talentueux, et nous pouvons nous réjouir d’avoir vu naître parmi les plus belles startups européennes des quinze dernières années : Meetic, Dailymotion, Deezer, Exalead, Parrot, Priceminister, Vente-privee.com, Doctissimo, Criteo, et bien d’autres. La qualité de la formation « à la française » est louée dans le monde entier, et explique probablement la présence de près de 60 000 Français dans la baie de San Francisco. Notre pays dispose, enfin, d’infrastructures de qualité, d’un modèle social envié par les autres pays, et continue d’attirer des entrepreneurs.
Mais ne nous voilons pas la face, la France pâtit également d’importantes lacunes. D’abord, elle a tendance à considérer le numérique comme une filière autonome, oubliant ainsi que le numérique irrigue tous les secteurs de l’économie, bouleversant tous les codes et toutes nos habitudes. Ensuite, c’est le lot des pays de taille moyenne, nos entreprises éprouvent des difficultés à se projeter à l’international dès leur naissance, bâtissant des modèles destinés à conquérir le marché national, mais difficilement exportables ou reproductibles à l’étranger. De plus, les élites souffrent d’une méconnaissance globale des enjeux du numérique et des nouvelles stratégies de création de valeur, et peinent à identifier les réponses adaptées, alors que nos politiques publiques soutiennent parfois encore des industries en déclin. Enfin, des facteurs plus conjoncturels ont également handicapé notre pays, comme la diminution des investissements en capital-risque au cours des dernières années, tandis que des mesures attendues, et annoncées, pendant des années ont mis du temps à être traduites dans les faits.
Pour remédier à ces difficultés, il est donc temps de réinventer la politique économique et d’élever le débat autour du numérique au niveau national, afin de fédérer l’ensemble de la population autour de la conversion numérique de la société. Les citoyens doivent sentir que le numérique est à leur service, et constitue une chance d’améliorer leur quotidien. Il ne s’agit pas de faire de la France un pays de geeks et d’ingénieurs informaticiens mais bien de bâtir un nouveau projet de société, fondé sur le désir de progrès et d’innovation. Le seul dépassement de la frontière technologique ne pourra jamais constituer un tel projet car comme le souligne Marc Giget, « les technologies sont des moyens, pas des objectifs. Personne ne tombe amoureux d’un Wireless Access Protocol ». La création de l’usine de demain, le développement de nouveaux modèles éducatifs et l’explosion de l’accès à la connaissance, l’amélioration substantielle de la santé humaine, l’apparition d’exosquelettes accroissant fortement les capacités des individus, l’essor de la robotique, à même de faciliter le quotidien et d’apporter de nouveaux services à la personne, les imprimantes 3D, démultipliant la capacité créatrice de chacun, l’apparition des villes intelligentes… l’avenir est exaltant si l’on accepte aujourd’hui de pleinement basculer dans l’âge du numérique.
Agir pour une France numérique nécessite de l’audace. Vos rapporteures en sont convaincues, l’une des principales lacunes dont souffre notre pays est une certaine frilosité à l’égard de la disruption, de la prise de risque et de l’innovation radicale. Il s’agit donc avant tout d’un frein culturel, plutôt récent si l’on pense que la langue française a forgé le mot « entrepreneur » avant de l’exporter au monde entier, et que onze ans après la construction de la Tour Eiffel, la devise de l’Exposition universelle organisée à Paris en 1900 était encore « le progrès est la lumière des Nations ». Afin de remédier à cette difficulté, vos rapporteures incitent à une meilleure diffusion de la culture numérique et de l’entrepreneuriat, dans l’enseignement bien sûr, mais également dans les médias et le discours politique. Il faut lutter contre la stigmatisation de l’échec, à l’école mais aussi lors de la phase de recherche de financement, afin d’encourager l’innovation, et promouvoir davantage les réussites françaises.
Par ailleurs, il faut former au numérique, d’une part pour apprendre à chacun à se mouvoir dans un monde nouveau, d’autre part afin de préparer aux métiers de demain, alors même que nombre d’entreprises peinent aujourd’hui à recruter des développeurs pour poursuivre leur croissance. À ce titre, vos rapporteures préconisent de mettre en place des sessions d’éveil au codage dès l’école primaire, et de rendre obligatoire l’enseignement de l’informatique dans le cycle secondaire. Au stade de l’enseignement supérieur, vos rapporteures préconisent notamment de faciliter la création de nouveaux diplômes afin de rendre plus agiles les Universités. À titre d’exemple, il est indispensable de former des cohortes d’analystes de données (data scientists) pour satisfaire les besoins à venir de la filière Big Data.
Il est également nécessaire de bâtir les champions de demain, tout en accompagnant l’ensemble de l’écosystème numérique. Plusieurs leviers d’action peuvent être enclenchés. D’une manière générale, il faut poursuivre le mouvement de simplification du droit afin de faciliter la vie des entreprises, de la création à la croissance internationale. Plus précisément, il est indispensable d’assurer le financement des entreprises du numérique, en renouvelant les outils d’intervention publique, en renforçant l’industrie du capital-risque par exemple par la création de fonds de fonds paneuropéens, et en construisant une Bourse européenne spécialisée sur les nouvelles technologies – un Nasdaq européen. Enfin, les filières les plus prometteuses – objets connectés, cloud computing, big data – doivent être accompagnées.
Si la conversion numérique de notre pays appelle une mobilisation de tous, l’État et les collectivités territoriales sont tenus d’être exemplaires, afin de servir d’aiguillon à l’ensemble de la société. À ce titre, les efforts des administrations pour passer à l’heure du « 2.0 » doivent être accélérés, afin de moderniser l’action publique, au service de l’intérêt général. Le secteur public pourrait ainsi s’emparer de quelques dossiers symboliques pour montrer la voie, en consacrant le principe d’ouverture par défaut des données publiques, ou la mise en place d’une politique ambitieuse d’achats innovants.
Enfin, les bouleversements induits par le numérique adresse de profonds défis aux États, s’agissant d’une part de leur relation avec les citoyens, et d’autre part de la modernisation du cadre juridique. Premièrement, afin de répondre aux défis portés par le numérique, la mise en place d’une fiscalité équitable est essentielle tant pour assurer l’égalité des armes entre entreprises que pour assurer aux États les ressources nécessaires à leur action. La France doit confirmer sa place de leader au sein des négociations menées par l’OCDE. Ensuite, alors que le numérique interpelle parfois s’agissant de la protection des libertés, quatre grands chantiers doivent être menés : la protection des idées, la protection des données, la neutralité de l’Internet et des réseaux, la neutralité des plates-formes. S’agissant des données, vos rapporteures préconisent une double action : d’abord une sensibilisation des citoyens, des entreprises et des institutions publiques à l’égard des enjeux liées à l’exploitation des données, ensuite une refonte du droit des données, en instaurant un droit à la portabilité et en mettant en place un droit à l’expérimentation, conformément au principe d’innovation, pendant du principe de précaution. Ces enjeux doivent être traités au niveau européen, la France devant être moteur du processus de construction d’une Europe du numérique. Deuxièmement, le numérique a pour corollaire la demande de transparence et de collaboration, la remise en cause de la « parole établie », la fin de la suprématie d’un modèle purement vertical au profit du développement de relations horizontales. L’État peut résister, renâcler, ou au contraire s’engager pleinement dans cette nouvelle ère, apprendre à s’y mouvoir et montrer la voie. Gageons que cette seconde option constitue le seul moyen pour lui de retrouver la confiance des citoyens, et d’assurer l’avenir, au service de l’intérêt général.
Le présent rapport entend démontrer combien ces défis sont importants, et vos rapporteures espèrent que les pistes d’action qu’elles ont identifiées permettront de bâtir cette France numérique que nous appelons tous de nos vœux.
1PREMIÈRE PARTIE
PRENDRE CONSCIENCE : LES DÉFIS DU NUMÉRIQUE
I. COMMENT FONCTIONNE L’ « ÉCONOMIE NUMÉRIQUE » ?
Avant de s’interroger sur les défis que le numérique adresse aux entreprises, aux responsables politiques et aux citoyens, et de tenter de comprendre le fonctionnement de « l’économie numérique », un minimum de précision technique et lexicale est nécessaire. Trop souvent en effet, les mots « internet » et « web » sont confondus et interchangés, et les notions d’« applications » ou de « plates-formes » mal maîtrisées. Il est pourtant indispensable, pour comprendre les mécanismes de création de valeur dans le numérique et les stratégies de croissance à mettre en œuvre, de clarifier ces notions. Les pages qui suivent ne se veulent pas exhaustives mais poursuivent un objectif essentiellement pédagogique.
Vos rapporteures ont déjà eu l’occasion, dans un précédent rapport d’information (6), d’expliquer le fonctionnement technique du réseau internet. Comme elles le rappelaient à cette occasion, « le réseau internet a été conçu pour fonctionner différemment des réseaux de téléphone classiques : il repose sur le principe du « routage de paquets » plutôt que de la « commutation de circuit », ce qui le rend à la fois plus souple (lorsqu’un circuit est inutilisable, les paquets peuvent emprunter un autre chemin) et a priori moins fiable (les paquets sont acheminés avec une qualité variable car ils ne passent pas par un circuit réservé) (7). De ce fait, le réseau internet est, historiquement, un réseau dont l’intelligence est située aux extrémités, dans les machines qui y sont connectées ».
À l’origine, l’Internet naît d’un programme militaire dans les laboratoires des universités américaines. Le premier réseau reposant sur le routage de paquets, et ainsi considéré comme l’ancêtre de l’Internet, apparaît en 1969. L’ArpaNet (8) est alors constitué de quatre « nœuds », situés à l’université de Californie (UCLA), à l’Institut de recherche de Stanford, à l’Université de Santa Barbara et à l’Université d’Utah, à Salt Lake City. La prédominance de la Californie est déjà manifeste. Le développement de l’Internet intéresse donc avant tout la communauté scientifique, qui découvre peu à peu les nouvelles possibilités de communication et d’échanges d’informations offertes par la mise en réseaux des ordinateurs. En 1983, le réseau ArpaNet ne permet toutefois de relier que 583 « nœuds » à travers le monde. Le réseau militaire poursuit alors son évolution, de manière séparée de l’Internet, prêt à prendre son essor. L’ambition initiale s’est peu à peu muée en une volonté bien plus globale : relier tous les ordinateurs du monde. Aujourd’hui, Internet connecte plus de 2,5 milliards d’individus, alors qu’il n’y avait que quelques centaines de milliers d’internautes il y a moins de vingt ans.(9)
Comme le souligne une étude du Commissariat général à la stratégie et à la prospective consacrée à l’Internet de demain (10), « le démarrage effectif d’internet sous la forme où nous le connaissons aujourd’hui, marqué par la création du premier navigateur Netscape, se situe en 1992-1993 » (11).
Le Web a initialement été développé au sein de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) par les équipes de Tim Berners-Lee et Robert Cailliau. Le Web est l’interface graphique de l’Internet, un hypermédia permettant de diffuser des informations sous forme de texte, d’image, de son sur le réseau Internet.
L’accès au Web se fait par l’intermédiaire d’un logiciel client – un navigateur – comme Microsoft Internet Explorer, Netscape Navigateur (disparu aujourd’hui), Firefox, Google Chrome, Safari ou Opera. L’identification d’une page web ou d’un site web, c’est-à-dire un ensemble de pages web hypereliées, nécessite de connaître son URL (uniform resource locator), qui détermine sa localisation sur le réseau. L’URL est communément désignée en français sous les termes d’adresse web. Chaque page web est établie dans un langage informatique spécifique, appelé HTML (hypertexte mark-up language), qui permet de décrire le contenu d’un document et d’y intégrer des hyperliens. Enfin, le dialogue entre le client, par exemple un navigateur, et le serveur web est assuré par le protocole de communication HTTP (hypertext transfer protocole).
À la fin des années 1990, l’apparition des moteurs de recherche, comme Yahoo ! ou Google, indexant des milliards de pages, a grandement facilité l’appropriation du Web. Le développement de l’ADSL au début des années 2000, puis l’essor des haut et très haut débits conjugués à la multiplication des supports personnels ont permis le déploiement du Web 2.0 qui « repose sur un ensemble de modèles de conception : des systèmes architecturaux plus intelligents qui permettent aux gens de les utiliser, des modèles d’affaires légers qui rendent possibles la syndication et la coopération des données et des services. Le web 2.0 c’est le moment où les gens réalisent que ce n’est pas le logiciel qui fait le web, mais les services » selon la définition proposée par Tim O’Reilly (12).
Le Web 2.0 a profondément transformé l’attitude des internautes, dont le rôle initial de simples consommateurs de contenus a évolué vers celui de contributeurs, via les blogs ou les wikis (13), ces pages pouvant être modifiées par les utilisateurs successifs, dont l’exemple le plus célèbre est Wikipédia, créé en 2001. Ce désir de contribution et de partage s’est par la suite étendu à d’autres activités, comme la photo, via Flickr, créé en 2002, ou la vidéo, via Youtube ou Dailymotion, créés en 2005. Parallèlement se sont développés des sites de socialisation, comme Facebook, qui incarne à lui seul The Social Network selon le titre du film réalisé par David Fincher en 2010 (14). L’une des conséquences essentielles de l’essor du Web 2.0 est la décision, par ces entreprises, d’abandonner une partie de la production de contenu aux utilisateurs, ceux-ci devenant ainsi co-développeurs des sites.
Une application est un logiciel ou un service conçu pour une utilisation déterminée. On distingue les applications informatiques, les applications web et les applications mobiles.
Les applications informatiques les plus courantes et les plus populaires sont le traitement de texte (Word), le tableur (Excel), les outils graphiques (Photoshop, Publisher), les jeux vidéo, etc.
Les applications web sont utilisées par le biais d’un navigateur web. Elles se différencient des sites web, qui ne regroupent que des pages pré-enregistrées, par leur caractère évolutif, selon la demande de l’utilisateur. Ainsi des applications de messageries électroniques (Gmail, Hotmail), des moteurs de recherche (Google, Bing, Yahoo !), des applications de commerce électronique (l’application Amazon, l’application PriceMinister), les jeux en ligne ou les réseaux sociaux (Facebook, Instagram).
Enfin, les applications mobiles constituent un troisième type d’application, s’apparentant à un logiciel installé sur un terminal mobile connecté, tels que smartphones ou tablettes. Il peut s’agir d’applications basiques (calendrier) installées automatiquement sur l’appareil, ou, depuis 2008, d’applications téléchargées par chaque utilisateur depuis une plate-forme de distribution gérée directement par l’entreprise assurant le système d’exploitation du terminal concerné (App store, Google Play, Windows Phone store, Blackberry App world, etc.). Contrairement aux applications web, les applications mobiles fonctionnent en circuit fermé : concrètement, une application conçue pour le système d’exploitation iOS d’Apple ne pourra pas forcément fonctionner sous Android. Ce cloisonnement a été dénoncé en avril 2012 par Tim Berners-Lee, au motif qu’il allait à l’encontre même de l’esprit d’ouverture, de partage et de connectivité au fondement du Web. Afin de remédier à cette situation, plusieurs voix s’élèvent pour promouvoir l’élaboration d’applications en langage HTML 5, c’est-à-dire ouvertes.
Selon les auteurs de l’étude du CGSP précitée, « les plates-formes sont les infrastructures de l’économie numérique. La notion de plate-forme est centrale dans la constitution de l’économie numérique. On connaît le fameux couple Wintel (Windows-Intel) qui a cadencé l’innovation de la micro-informatique dans les années 1980-1990. Le PC a formé la plate-forme d’applicatifs permettant à ses utilisateurs d’assurer un nombre croissant de tâches. Puis le navigateur-moteur de recherche/plug-in lui a succédé dans un environnement de plus en plus connecté à cette première plate-forme. Aujourd’hui, c’est le couple smartphone/ système d’exploitation mobile qui fait plate-forme depuis le développement par Apple de ce nouvel écosystème ».
Les plates-formes logicielles constituent donc un élément essentiel du numérique, en ce qu’elles sont la condition du développement d’une application. Une plate-forme fournit aux développeurs les ressources leur permettant de concevoir leur application. Le développeur accède à ces ressources (données, algorithmes, outils logiciels, système d’exploitation, etc.), par le biais d’une interface de programmation, l’API (15). Une plate-forme se distingue également d’une application par le fait que ses concepteurs n’ont aucune idée de l’usage qui sera fait de leur produit. Comme le soulignent Henri Verdier et Nicolas Colin (16), « opérer une plate-forme et opérer une application sont deux métiers très différents. Une plate-forme exige une parfaite maîtrise des enjeux d’architecture logicielle, une API documentée, l’effort d’animation d’une communauté de développeurs, la capacité à tenir la charge et à garantir la disponibilité, l’intégrité et la sécurité des ressources. Une application exige des efforts considérables de compréhension d’un marché cible ». L’exploitant d’une plate- d’utilisation valables pour tous, en lieu et place des contrats de gré à gré dont les clauses varient selon les cocontractants. Dans le même temps, il bénéficie de l’accroissement du nombre de développeurs et d’applications présents sur son infrastructure, tant en termes d’images, d’attractivité que de revenus, la plupart des plates-formes prélevant autour de 30 % des recettes générées par une application, ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser problème du point de vue de l’équilibre des relations commerciales entre les exploitants de plates-formes et les développeurs((17). Rappelons à ce stade que Google a annoncé en juillet dernier recenser un million d’applications sur Google Play, tandis que l’App store en compte 900 000, et que le Windows Phone store dépasse à peine les 100 000 (18). Dans le même temps, la société Gartner a annoncé que le nombre de téléchargements d’applications dépasserait 100 milliards d’applications en 2013, et atteindrait 268 milliards en 2017, générant un revenu de 77 milliards de dollars (19).
La plate-forme est donc au cœur des stratégies de croissance, en se situant au fondement de nouveaux services et de nouveaux produits. C’est pourquoi l’un des enjeux du numérique est, pour les entrepreneurs, de parvenir à constituer les plates-formes du futur et, pour les entreprises traditionnelles, de se muer en plates-formes. Nombre de géants de l’Internet tentent d’ailleurs de faire évoluer leur application d’origine vers une plate-forme : ainsi convient-il de distinguer l’application Facebook de la plate-forme Facebook, qui permet à des développeurs de concevoir des applications accessibles depuis les profils des utilisateurs. L’entreprise américaine Amazon symbolise aussi cette évolution. Initialement, Amazon est une application web spécialisé dans la vente en ligne. Aujourd’hui, elle s’est muée en plate-forme, permettant ainsi à des tiers – des particuliers aux grands groupes – de commercialiser leurs produits en bénéficiant des ressources d’Amazon : la réputation, la logistique, etc. Le vendeur a le choix de recourir aux différents services proposés par l’entreprise américaine : le simple référencement, national ou international, le paiement par les moyens d’Amazon, le marketing, la livraison. Aujourd’hui, la plate-forme Amazon propose également des services d’autoédition, de cloud computing…il serait encore bien naïf de croire que l’entreprise se contente de sa position dominante sur le secteur du commerce en ligne.
L’un des enjeux principaux pour nos économies est d’identifier et de construire les plates-formes de demain.
« On ne crée une start-up que pour renverser la table en attaquant une ligne de fracture ». Ce constat, implacable, et retranscrit par Nicolas Colin et Henri Verdier, pourrait être formulé par toute personne s’étant rendue dans la Silicon Valley. A l’occasion d’une mission à San Francisco, vos rapporteures ont eu l’occasion de rencontrer les géants de l’Internet, des fondateurs de start-up à peine lancées, des investisseurs, des institutionnels et des membres de l’Université Stanford, au cœur de l’écosystème numérique de la Vallée. La Silicon Valley est l’incarnation de la course à la performance et à l’innovation, au cours de laquelle chacun souhaite changer le monde. Cette ambition pourrait paraitre naïve, si elle n’animait pas l’ensemble des acteurs impliqués dans le numérique dans la baie de San Francisco.
1. Les clés de compréhension de l’économie numérique
Comprendre les clés de l’économie numérique, c’est avant tout se pencher sur le fonctionnement de la Silicon Valley.
« Change the world from here », le slogan de l’Université de San Francisco (20), apposé sur toutes les bannières universitaires flottant dans les rues de la ville, donne immédiatement le ton. Il fait étrangement écho à l’inscription qui figure sur le dos des cartes de visite des enseignants et personnels administratifs de l’Université de Stanford que vos rapporteures ont rencontrés (21) : « Change lives. Change organisations. Change the world ».
Le désir de changer le monde innerve l’écosystème de la Silicon Valley de manière permanente. Il trouve sa première traduction dans la disruption, c’est-à-dire la rupture. Les acteurs du numérique sont par essence disruptifs, en ce qu’ils s’attachent à corriger un bug, à identifier un dysfonctionnement de l’économie ou d’une politique publique pour s’y engouffrer et proposer une solution innovante. Celle-ci est souvent déroutante pour les acteurs traditionnels, à tel point qu’elle est parfois raillée, avant de tout bouleverser. La trajectoire de l’entreprise Paypal est intéressante de ce point de vue : née en 2000 de la fusion de Confinity et de X.com, Paypal offre un service de paiement sur Internet qui ne requiert pas la fourniture du numéro de carte bancaire. Au début des années 2000, le commerce électronique en est à ses balbutiements, et les internautes sont réticents à fournir une information aussi sensible. Face à l’absence de solution alternative proposée par les banques traditionnelles, Paypal se propose d’agir comme un tiers de confiance : l’utilisateur fournit ses coordonnées bancaires une seule fois à l’entreprise, auprès de laquelle il ouvre une sorte de compte, et n’a plus à saisir ces informations par la suite ; il lui faudra simplement s’identifier par le biais de son adresse électronique et d’un mot de passe. Paypal s’est ainsi développé dans le silence des acteurs traditionnels, qui n’ont pas cru au développement d’un tel service. Pourtant, deux ans après sa création, l’entreprise était achetée 1,5 milliard de dollars par eBay, leader de la vente aux enchères sur Internet.
Le financement de l’innovation est une activité risquée, que la Silicon Valley a placée dans les mains des venture capitalists (VC), les investisseurs en capital-risque (22). Pour grandir, une start-up recourt, après avoir sollicité l’aide de proches, aux business angels afin de lever une première tranche d’argent, pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros. Mais pour franchir un palier permettant d’asseoir son développement, les start-up se tournent ensuite vers les investisseurs en capital-risque, qui apportent du capital (23), évidemment, mais également leurs réseaux et leur expérience pour accompagner les fondateurs dans leur stratégie de croissance. Les VC contribuent donc directement à la création d’entreprises et au financement de l’innovation, mais également à la croissance de ces entreprises, recherchant avant tout le meilleur retour sur investissement. L’immense majorité des start-up ne parviendra toutefois pas à se développer, et de l’aveu même de certaines personnes rencontrées à San Francisco « les quelques succès mondiaux cachent de nombreux morts dans la Valley ». C’est le revers de la médaille. La Valley fascine en raison des quelques succès mondiaux qu’elle a engendrés et su magnifier, par ces histoires d’entrepreneurs devenues légendes, mais combien de désillusions et de rêves brisés ? Cette culture de la prise de risque est un élément essentiel pour comprendre le fonctionnement de l’économie numérique : l’échec fait partie de l’apprentissage, et un entrepreneur ayant créé plusieurs start-up, sans succès, sera mieux armé face aux investisseurs qu’une personne montant sa première entreprise. Le financement de l’économie par le capital-risque n’est pas une spécificité de la Silicon Valley, mais force est de constater qu’il y trouve un écho particulier : elle attirait, en 2012, 40 % des 22 milliards investis chaque année aux États-Unis en capital-risque (24).
Ce qui fait la force de la Silicon Valley, c’est l’écosystème qui s’est développé à partir de l’Université de Stanford. Comme toute légende, la Valley a son mythe fondateur : à la fin des années 1930, William Hewlett et David Packard, tous deux diplômés de Stanford, créent leur entreprise à proximité de l’Université dans laquelle ils ont étudié. Peu à peu, les entreprises du secteur informatique, puis numérique, investissent pleinement les terrains entourant Stanford, et aujourd’hui, Palo Alto et Mountain View sont des localités connues à travers le monde pour accueillir les sièges de Facebook et Google. Au-delà, la Valley abrite les sièges et campus d’Adobe System, Apple, Business Objects, Cisco Systems, eBay, Electronics Arts, Intel, Oracle, Qualcomm, Twitter, Yahoo ! et tant d’autres…
La Valley dispose donc de l’une des meilleures universités au monde (25) des sièges des plus grandes entreprises du numérique, mais également des plus grands fonds de capital-risque au monde, dont les bureaux sont tous situés à Menlo Park, dans Sand Hill Road, à deux pas de l’Université Stanford, de Palo Alto et de Mountain View, sièges de la plupart des géants du numérique. Autrement dit, lorsqu’un entrepreneur cherche des financements, il parcourt à pied une seule rue, frappant à chaque porte…
Ce regroupement des compétences, du financement et des innovateurs explique le succès sans égal de la Silicon Valley dans le domaine du numérique. Au-delà des facilités qu’il procure aux acteurs du numérique pour recruter, se financer, innover, se former, il explique également une tendance à la collaboration entre entreprises. Ainsi, à l’occasion d’un entretien avec l’un des entrepreneurs les plus innovants qu’elles ont rencontrés, vos rapporteures ont pu constater que le développement d’une nouvelle plate-forme dans le domaine de l’éducation avait en partie été permis par la contribution d’anciens collègues des fondateurs, employés par d’autres géants du numérique. Cette collaboration entre entreprises, parfois concurrentes sur certains segments de leurs activités, est une nouveauté propre au numérique. Elle est à rapprocher de l’ouverture de leur modèle économique. Alors que les entreprises traditionnelles ont tenté d’étouffer leurs concurrents par le dépôt de centaines de brevets et une protection exacerbée de leur activité – Microsoft et Apple ont longtemps suivi cette logique – l’ouverture est devenue plus habituelle : Facebook, pourtant attaqué par Google sur le segment des réseaux sociaux, n’entend pas limiter la possibilité de partager des vidéos Youtube, propriété de son concurrent.
Cet esprit de collaboration, qui a bien évidemment ses limites (26), notamment dès lors qu’un acteur tente de concurrencer trop directement l’activité de l’un de ses « partenaires », se retrouve dans la relation qu’entretiennent les entreprises du numérique avec leurs « usagers ». Le développement du crowdsourcing est à ce titre symbolique de l’esprit collaboratif qui anime le numérique. Il s’agit en pratique d’externaliser la production de contenu, en la confiant aux internautes, et de se doter ainsi d’un modèle économique nouveau.
2. De nouveaux modèles économiques
Quelle est la source de la valeur dans le monde numérique ? Comment juger de la valeur marchande d’une entreprise numérique ? Ces questions sont au cœur de l’analyse des modèles économiques des entreprises du numérique et reflètent l’incompréhension suscitée parfois par la valorisation d’entreprises ne disposant pas d’actifs au sens traditionnel du terme : des terrains, des immeubles, des brevets. Certes, Facebook dispose de locaux, de serveurs, emploie dorénavant 6 330 personnes, mais comment expliquer que la capitalisation boursière de l’entreprise atteigne 152 milliards au début de l’année 2014 ? Les acteurs du numérique ont déployé de nouveaux modèles économiques, qui déroutent les commentateurs – le simple fait que Facebook n’emploie que 6 330 personnes pour gérer plus d’un milliard de comptes interpelle…
Le 17 octobre 2007, Rick Dalzell, alors vice-président d’Amazon, déclare : « ce que nous avons réussi à faire, et ce que j’espère nous continuerons à faire à l’avenir, c’est innover comme des fous ». À cette époque, l’entreprise est surtout réputée pour son offre de vente en ligne de livres. Un mois plus tard, le 19 novembre 2007, Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, lance le Kindle, la première liseuse électronique. Ce faisant, il n’hésite pas à prendre le risque de détruire ce qui constitue alors le cœur de l’activité et des revenus de son entreprise, pariant sur le fait que cette liseuse séduirait les consommateurs. Jeff Bezos est, comme Steve Jobs ou Mark Zuckerberg, un entrepreneur radical. La lecture de sa lettre aux actionnaires de 1997 (27) témoigne de ses ambitions mais également de son caractère visionnaire. Les premières lignes sont, à ce titre, tout à fait éclairantes : « Amazon.com a franchi de nombreuses étapes en 1997 : en fin d’année, nous avons servi plus de 1,5 million de clients, ce qui revient à une croissance du chiffre d’affaires de 838 % à 147,8 millions de dollars, et nous avons étendu notre leadership sur le marché malgré une concurrence agressive face à notre entrée. Mais c’est le Jour Un pour l’Internet et, si nous nous y prenons bien, pour Amazon.com. Aujourd’hui, le commerce en ligne permet aux clients d’économiser de l’argent et un temps précieux. Demain, grâce à la personnalisation, le commerce en ligne va accélérer le processus de découverte ». Cette prise de risque, cette absence d’hésitation face à l’innovation permanente au sein de son entreprise est partagée par la plupart des fondateurs des leaders mondiaux du numérique. Ainsi Steve Jobs agit-il de la même manière que Jeff Bezos lorsqu’il lance l’Iphone, fossoyeur de l’Ipod, ou l’Ipad, qui concurrence directement certains ordinateurs portables commercialisés par Apple.
Les entrepreneurs du numérique se caractérisent ainsi par la recherche permanente de la modernité, tant en matière de service que de design de l’objet ou de discours. Le numérique pénètre ainsi le quotidien et l’intimité des individus, en même temps qu’il est associé à une évolution des standards de la société : les relations « s’horizontalisent », les consommateurs ont le sentiment d’être compris, écoutés, que leurs besoins et attentes sont devancés par des entrepreneurs attentifs.
L’ampleur de la méfiance qui a succédé à l’affaire PRISM (28) n’est que le pendant de l’immense confiance que les consommateurs ont placé dans les acteurs du numérique. Celle-ci s’explique par deux raisons principales : l’association des utilisateurs à la construction de la valeur et l’énergie investie sur l’expérience utilisateur, via les mises à jour permanentes. Ce dernier point est essentiel. Alors qu’auparavant, une entreprise basait son développement sur des cycles de production d’une durée bien souvent définie, afin de proposer à la vente un « produit fini », les entreprises du numérique ont adopté le concept d’innovation inachevée, offrant ainsi au consommateur une expérience sans cesse renouvelée, l’accompagnant, le fidélisant, et lui donnant le sentiment de le choyer. Si l’innovation permanente, jamais achevée et poussée à son extrême, constitue l’ADN des entreprises numériques, elle est de plus en plus externalisée.
Le terme de « multitude » est emprunté à Nicolas Colin et Henri Verdier, qui la définissent comme « l’ensemble des individus pouvant créer de la valeur dans une organisation sans pour autant être employés ou mandatés par cette organisation » (29). Les internautes semblent naturellement prêts à contribuer à la production de manière volontaire, sans attendre de contrepartie si ce n’est la satisfaction d’avoir participé à une grande œuvre collective et permis l’utilisation d’un service sans cesse amélioré. Le meilleur exemple de cette évolution est Wikipédia, qui compte aujourd’hui plus de vingt millions d’articles, rédigés par des centaines de milliers de contributeurs, en plus de deux-cent-quatre-vingt langues. De même, OpenStreetMap, initié en 2004, entend permettre aux internautes de réaliser une carte mondiale librement accessible et utilisable. Cette participation de personnes ne se connaissant pas à un processus de production pour une organisation à laquelle ils n’appartiennent pas – appelé le crowdsourcing – devrait franchir une étape supplémentaire prochainement : limité à la production de connaissance, il concernera sans nul doute la production de biens matériels.
Cette participation de la « multitude » au processus de production remet en cause le modèle économique traditionnel, basé sur deux facteurs, le capital et le travail, éventuellement complété par le progrès technique et la productivité globale des facteurs, c’est-à-dire l’apport du capital humain interne à une organisation. En effet, le capital humain se trouve dorénavant également à l’extérieur d’une organisation : la valeur d’un réseau social se mesure au nombre de ses membres et à leur activité, la valeur d’une entreprise dont le modèle économique repose sur la publicité réside dans sa capacité à suivre les traces de ses utilisateurs, c’est-à-dire à récupérer leurs données, la valeur d’une enseigne de commerce en ligne dépend de sa capacité à suggérer de nouveaux achats à ses clients (30), sur la base de l’analyse de ses achats passés, la valeur d’une plate-forme s’évalue au nombre d’applications qu’elle permet de créer, et à leur succès. Le processus d’innovation est laissé ouvert, afin de permettre un enrichissement continu du contenu (connaissances, impressions, vidéos, photos, annotations, évaluations, etc.), et de tirer les bénéfices financiers d’un travail réalisé par d’autres, de manière volontaire. La valeur se situe donc aujourd’hui davantage en dehors de l’entreprise, dans les données, cet actif immatériel que les investisseurs ont identifié comme étant au cœur de la création de richesse, et dans les contributions de la « multitude », que les acteurs économiques cherchent à capter.
Les entreprises du numérique fondent donc leur développement sur la captation de la « multitude », soit par son association au processus d’innovation, soit par l’enregistrement et le traitement des données des utilisateurs. Or « il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art » (31), que seules quelques grandes entreprises maîtrisent pour l’instant parfaitement. De plus en plus d’entreprises adoptent ainsi une structure hybride, proposant une vitrine gratuite d’une part et exploitant les données personnelles d’autre part. La donnée est au cœur de la création de valeur, comme l’a montré le rapport de Nicolas Colin et de Pierre Collin consacré à la fiscalité du numérique (32).
Par ailleurs, la captation nécessite aussi fidélisation, ce qui explique l’importance accordée à l’expérience utilisateur et au design. Des entreprises comme Vente-privée.com ou Blablacar ont ainsi su attirer l’utilisateur par un design séduisant et un service nouveau plus que par une innovation technologique. De même, la consultation devient un cérémonial – on vérifie « son » Facebook à intervalles réguliers, on échange avec « ses » followers sur Twitter, on « googelise » ou on regarde le profil LinkedIn de ses amis, professeurs, employeurs, collègues. Or, pour mener de telles activités, il n’est pas nécessaire de disposer de ressources humaines abondantes : un niveau de rendement d’échelle impressionnant est le troisième élément central de ces nouveaux modèles économiques.
c. Assurer des rendements d’échelle jamais atteints
A la date de rédaction du présent rapport, et selon les informations disponibles, LinkedIn revendique 277 millions de membres dans le monde et compte à peine plus de 5 000 salariés, Facebook 1,23 milliard de comptes actifs pour 6 330 salariés, Twitter 200 millions de comptes pour 2 700 salariés, tandis qu’en décembre 2011, Instagram déclarait 15 millions d’abonnés et 150 millions de photos partagées, rien que sur iPhone, pour 7 salariés... C’est tout le sens du constat de Thomas Friedman, éditorialiste au New York Times : « la capitalisation boursière de Facebook atteint 100 milliards, celle de Twitter 8 milliards, celle de Groupon 30 milliards, de Zynga 20 milliards et celle de LinkedIn 8 milliards. Il s’agit des entreprises numériques ou réseaux sociaux connaissant la croissance la plus importante au monde et pourtant, le constat est effrayant : vous pourriez facilement installer l’intégralité de leurs employés dans le Madison Square Garden, qui compte 20 000 places, et il y aurait encore de la place » (33). Pensons seulement que les opérateurs de télécommunications français comptent, à eux seuls, en France, autour de 130 000 salariés, pour un pays de 66 millions d’habitants. Ces chiffres effrayants, parfaitement cohérents avec une économie fondée sur le capital-risque, c’est-à-dire à la recherche du retour sur investissement maximal, illustrent la capacité, et la volonté, des acteurs du numérique de réduire au maximum leurs coûts fixes, et confirment en creux l’analyse initiale : la création de valeur est pour l’essentiel située en dehors des entreprises.
II. « LE NUMÉRIQUE DÉVORE LE MONDE »
Chacun le sent, « le numérique dévore le monde », selon l’expression forgée par Nicolas Colin et Henri Verdier à partir de la citation de Marc Andreessen, concepteur du navigateur Mosaic, selon lequel « le logiciel dévore le monde ». La dévoration est ici vue comme un phénomène implacable, mais aussi comme une chance de basculer pleinement dans une nouvelle ère.
Il y a évidemment un enjeu de souveraineté nationale et, plus largement, européenne, qui se pose du fait de la domination sans partage des entreprises américaines en matière de numérique, et de l’impression que les industries européennes ont refusé le combat ces dernières années. À ce titre, nombre d’acteurs considèrent anormal l’absence d’un moteur de recherche européen, permettant ainsi à Google d’être en situation quasi monopolistique sur le marché européen. À titre d’exemple, le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie au sujet de la Crimée illustre parfaitement le risque de voir les États dépossédés de leurs prérogatives régaliennes. Google propose en effet plusieurs scénarios de rattachement de la Crimée : pour ceux qui utilisent l’application Google Maps depuis la Russie, la Crimée est indiquée comme faisant partie intégrante de la Russie (34). De même aucune plate-forme internationale n’est issue d’un pays membre de l’Union européenne. M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique s’inquiétait ainsi devant la commission des affaires économiques, le 9 avril 2014, de voir l’Europe « devenir une colonie numérique des États-Unis » (35). À ce titre, la signature au Palais de l’Élysée, le 1er février 2013, d’un accord entre M. Éric Schmidt, Président de Google, et Nathalie Collin, Présidente de l’Association de la presse d’information politique et générale, prévoyant la constitution d’un fonds de 60 millions d’euros alimenté par l’entreprise américaine afin d’accompagner la transition numérique de la presse française témoigne d’un manque d’anticipation comme d’une difficulté d’adaptation de la part des acteurs français face au défi du numérique… (36)
Plus prosaïquement, le numérique pose un défi aux entreprises traditionnelles, en transformant radicalement tous les secteurs de l’économie, et en imposant de profondes mutations sur leur fonctionnement même.
A. LA TRANSFORMATION DES SECTEURS ÉCONOMIQUES
Dans une interview récente (37), Gilles Babinet, indiquait, s’agissant du numérique, que « c’est une révolution systémique et, à ce titre, elle va impacter tous les secteurs, comme l’électricité l’a fait en son temps. De mon point de vue, les impacts vont être considérables et nous ne sommes qu’au tout début de cette révolution. C’est un peu comme si nous étions en 1880 à l’égard de la révolution électrique ». En 1880, certains secteurs de l’économie avaient déjà été bouleversés par l’électricité et nous en sommes au même point s’agissant du numérique. Les industries culturelles ont été les premières affectées par le numérique. La musique, les médias, le livre, ont été totalement révolutionnés, et vos rapporteures ne reviendront pas sur ces évolutions, tant elles ont été commentées (38). Pourtant, malgré de nombreux rapports, rares sont ceux qui semblent avoir pris conscience des défis à relever. Rappelons simplement que Sony, qui disposait d’une position prépondérante sur le marché de la musique tant par la maîtrise des technologies que par son offre musicale, s’est fait complètement déborder par Apple en l’espace de quelques années : iTunes et le premier iPod ne datent que de 2001… Les acteurs économiques, à force de voir les chiffres d’affaires baisser année après année, ont commencé à développer des stratégies numériques, mais la plupart des interlocuteurs de vos rapporteures ont reconnu n’avoir pas mesuré à temps l’impact de ces évolutions. Aujourd’hui, tous les secteurs sont concernés par ces évolutions, à plus ou moins long terme. Vos rapporteures n’entendent pas mener une analyse exhaustive de la situation de chaque secteur économique, mais simplement exposer, au travers d’exemples, les enjeux qui se posent pour chacun d’entre eux du fait de l’irruption d’un modèle disruptif, et alerter sur les risques qui pèsent pour notre économie.
Les acteurs traditionnels se trouvent souvent démunis pour concurrencer les nouveaux acteurs, et le premier réflexe est celui de la résistance, de la protection, et de la dénonciation d’une concurrence déloyale de la part d’entreprises ne devant pas répondre aux mêmes obligations fiscales et juridiques. Face à cette préoccupation légitime, l’État doit évidemment agir : la question de la fiscalité des groupes internationaux appliquée aux géants du numérique constitue d’ailleurs l’un des enjeux les plus essentiels pour les États. Mais la plupart des innovations portées par les entreprises du numérique répondent à une demande de la part des consommateurs, ou s’engouffrent dans l’espace laissé par les acteurs traditionnels. Ces innovations constituent donc un défi pour nos entreprises, qui doit les amener à se remettre en question, à concevoir des stratégies ambitieuses, et à apprendre à se mouvoir dans cette nouvelle économie. Vos rapporteures ont le sentiment que, parfois, plutôt que de répondre à ces nouveaux défis par l’innovation, les acteurs traditionnels chercher à freiner l’essor de leurs nouveaux concurrents, pourtant inéluctables, en se réfugiant derrière des digues de sables…
1. Les secteurs déjà bouleversés
Le secteur audiovisuel, qui regroupe essentiellement la télévision et le cinéma, est en plein bouleversement depuis quelques années déjà, sans même qu’il soit besoin d’évoquer la problématique des téléchargements illégaux. Le modèle même de la télévision classique, qui propose, tout au long de la journée, des programmes imposés à l’auditeur, n’est qu’un aspect d’une offre beaucoup plus diversifiée à l’heure de la télévision à la demande. De même, les chaînes d’information en continu, dont l’objectif est d’être « à la pointe de l’actualité », voient leur modèle économique mis à mal, alors que chacun est à même de recevoir une alerte sur son téléphone en cas de nouvelles de dernière minute. Par ailleurs, une entreprise comme Watchup, dont vos rapporteures ont rencontré le fondateur à San Francisco, propose aux utilisateurs de concevoir leur propre journal télévisé, à partir des informations qui les intéressent réellement : il suffit pour ce faire de renseigner ses centres d’intérêt ainsi que ses sources d’information favorites (tel ou tel média) et l’application conçoit un journal agrégé disponible à une heure préalablement choisie. La télévision connectée, qui commence à apparaître dans les foyers, est un véritable défi posé aux annonceurs et aux diffuseurs. Il s’agira de capter l’attention des auditeurs alors même qu’ils sont susceptibles de faire autre chose que regarder la télévision lorsqu’ils sont devant leur écran.
Regarder la télévision
Avant Aujourd’hui et demain
L’industrie cinématographique est intimement liée à la télévision, celle-ci constituant le premier client, financeur et diffuseur, des œuvres cinématographiques. Alors que la diffusion des services de l’entreprise Netflix en France apparaît de plus en plus probable, et fait l’objet de négociations entre les dirigeants de cette entreprise et le Gouvernement, la question du modèle du cinéma français acquiert une acuité particulière. Actuellement, le droit national encadre strictement le cinéma français et la diffusion des œuvres de plus d’une heure par les chaînes de télévision (39). Les règles varient selon qu’il s’agit d’une chaîne dont l’objet principal est la diffusion de films, d’une chaîne généraliste, d’un service de vidéo à la demande (VoD) ou d’un service à programmation multiple. Cette réglementation, mise en œuvre par le Centre national du cinéma (CNC) (40) a pour but essentiel d’assurer le financement de la production cinématographique française par les acteurs de la télévision, mais limite le nombre d’œuvres pouvant être diffusées annuellement, fixe une durée minimale entre la date de projection d’une œuvre au cinéma et sa diffusion à la télévision (trente-six mois par exemple pour une diffusion en VoD) et détermine les horaires auxquels les films peuvent être diffusés selon les jours de la semaine. L’entreprise Netflix, quant à elle, propose aux États-Unis un accès illimité en streaming à un catalogue de 100 000 titres pour un forfait de 7,99 dollars par mois, soit moins de 6 euros. L’entrée d’un tel acteur sur le marché n’est pas sans poser question, du point de vue de la réglementation nationale, de l’impact des connexions sur la bande passante – jusqu’à 30 % de la bande passante aux États-Unis en période de pointe – et de la capacité d’acteurs comme Canal Plus ou Orange VoD à proposer une offre concurrente. Empêcher l’arrivée de tels acteurs serait de toute façon vain, face à la demande du consommateur français, alors que ce service est disponible au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves.
Mais plus largement, ces changements interrogent sur la politique culturelle de notre pays : Comment mettre en œuvre une politique publique culturelle à l’heure du tout à la demande, lorsque le spectateur sélectionne lui-même ses programmes et n’est plus captif des programmes imposés ? Comment assurer le financement des industries culturelles, aujourd’hui fortement assis sur la télévision, d’autant plus que les revenus issus de la publicité diminueront avec la baisse de l’audimat ? Quel est le sens de la redevance télévisuelle alors qu’une grande partie de nos concitoyens consultent des programmes télévisuels sur des supports n’entrant pas dans le champ de la taxe ? Comment renouveler les missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel à l’ère du numérique ?
Dans son avis budgétaire consacré au tourisme, notre collègue Éric Straumman indiquait à l’automne 2013 : « le tourisme figure indiscutablement au premier rang des activités concernées par cette mutation profonde [le numérique]. Au-delà de la simple évolution des comportements touristiques, c’est tout un secteur qui doit aujourd’hui s’adapter à une nouvelle donne économique et tenir compte des nouveaux rapports de force qui s’affirment en son sein » (41). La commission des affaires économiques de l’Assemblée a d’ailleurs décidé, le 9 avril 2014, de la création d’une mission d’information sur le tourisme, confiée à Pascale Got et Daniel Fasquelle. Nos collègues auront donc l’occasion d’étudier en détail l’impact du numérique sur le secteur touristique, et d’identifier les pistes permettant à ces acteurs de s’adapter aux tendances qui le bousculent depuis quelques années.
Traditionnellement, le secteur du tourisme était dominé par les voyagistes, spécialisés dans l’organisation de séjours touristiques associant plusieurs prestations (transport, hébergement, visite). Un prix « tout compris » était donc proposé, les voyagistes assurant un rôle d’intermédiaire entre les fournisseurs et les clients, qui consultaient et choisissaient leurs voyages dans des agences de voyages physiques. Internet a fait voler en éclats ce modèle traditionnel.
Aujourd’hui, les intermédiaires ont été désintermédiés par de nouveaux acteurs. Selon le rapport précité d’Éric Straumann, « Internet a favorisé la segmentation des prestations touristiques en permettant aux internautes de monter des séjours personnalisés, du fait d’un meilleur accès à l’information (comparateurs). La concurrence tarifaire livrée entre les compagnies de transport (notamment les compagnies « low-cost »), le développement des sites de réservations hôtelières, ainsi que des plates-formes interactives où les touristes peuvent directement échanger leurs impressions sur telle destination ou tel prestataire ont également contribué à une certaine dissémination de l’offre ».
Les consommateurs sont ainsi pleinement capables d’optimiser les coûts de leurs voyages, et sont devenus des « hyperspécialistes du tourisme en ligne » selon les propos d’une personne auditionnée par vos rapporteures. Cette évolution témoigne aussi d’une évolution comportementale : l’on se réfère davantage à l’avis de ses pairs, en consultant leurs commentaires sur des sites comme TripAdvisor, qu’à des offices du tourisme ou des acteurs institutionnels participant à la mise en œuvre de la politique touristique (42). D’après la FEVAD (43), 59 % des achats effectués en ligne ont correspondu à des produits ou des services touristiques, pour un chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros. L’importance de ces chiffres s’explique par la facilité de la dématérialisation du produit vendu – un billet ou une confirmation de réservation – en comparaison d’autres secteurs. Le marché français est aujourd’hui dominé par quatre acteurs : Voyages-sncf, leader pour les ventes de billets de train (44), le groupe Opodo - Go Voyages - eDreams, Booking.com, leader de la réservation de chambre d’hôtels, et Expedia.
À côté de ces grands acteurs, les opérateurs de niche, comme Voyageurs du monde, parviennent à résister en conservant une clientèle spécifique, alors que les voyagistes connaissent des difficultés importantes : la FRAM a frôlé la faillite en 2012, notamment en raison des répercussions du « Printemps arabe » sur l’offre touristique au Maghreb, tandis que Thomas Cook a lancé au printemps 2013 un plan social prévoyant 168 départs, comme Pierre & Vacances, qui a ouvert en 2012 le premier plan social de son histoire, avec 195 départs à la clé, et que des acteurs comme Le Club Med ou Nouvelles frontières sont toujours confrontés à de sérieuses difficultés.
Les acteurs traditionnels du tourisme sont ainsi de plus en plus confrontés à une problématique similaire à celle qui a touché les industries culturelles : la désintermédiation. Alors même que le tourisme constitue un secteur important de l’économie française, représentant 7,3 % du PIB, 275 000 entreprises employant directement 1,1 million de personnes, un grand nombre de ces entreprises n’ont plus la maîtrise de leur clientèle, et perdent ainsi la maîtrise de la création de valeur. Ce constat est particulièrement criant dans le secteur de l’hôtellerie, ou de plus en plus d’hôteliers dépendent complètement d’acteurs tels que Booking.com, Hotels.com ou Expedia, à qui ils reversent des commissions de l’ordre de 20 % à 30 % (45) sur le prix des réservations hôtelières. En octobre dernier, Mme Sylvia Pinel, alors ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme, avait noté que les taux de commissionnement étaient élevés et dénoncé des pratiques commerciales douteuses juridiquement, ou non souhaitables. Les services du ministère notent, par ailleurs, que certains sites indiquent, par exemple, qu’un hôtel n’offre plus de chambres disponibles et renvoient l’internaute vers un autre établissement, avec lequel ils ont un accord tarifaire, et ce alors même que l’hôtel en question a toujours des disponibilités, mais a fait le choix de ne pas passer par une agence en ligne pour commercialiser directement ses chambres (46). La Commission d’examen des pratiques commerciales a d’ailleurs rendu, le 16 septembre 2013, un avis soulignant l’existence d’un « déséquilibre significatif » dans les relations contractuelles avec les entreprises numériques (47). Dans le même temps, les géants de l’Internet se lancent dans l’activité touristique, afin de contrôler l’ensemble de la chaîne de la valeur. Google a ainsi procédé à l’acquisition de Zagat (comparateur de restaurants), d’ITA Software (éditeur du principal logiciel de comparaison de billets aériens), ou encore de Frommer’s (guide de voyages) et développé un comparateur de billets d’avion – Google flights. Les hôteliers doivent, par ailleurs, faire face à un nouveau type de concurrence, incarné par Airbnb, dont la plate-forme a infiniment simplifié les modalités de location temporaire d’un logement par ses occupants.
Le secteur de la distribution a été chamboulé par l’une des entreprises les plus emblématiques de l’ère numérique : Amazon. Initialement, ce sont d’abord les entreprises de la distribution de produits culturels qui ont été concurrencées. Cela s’explique tout d’abord par la facile dématérialisation des produits – la musique et la vidéo d’abord, le livre plus récemment – qui a conduit à un effondrement des marchés physiques, puis par l’arrivée massive de pure-players de l’Internet, comme Amazon évidemment, mais aussi CDiscount, PixMania ou PriceMinister, et enfin par le fait que le commerce électronique n’a originellement visé que les produits culturels – les livres, les Cds, les Dvds – avant de s’élargir à tout type de marchandises. Face à cette déferlante, les distributeurs traditionnels n’ont pas su réagir à temps et les entreprises du numérique ont profité de leur attentisme – personne n’imaginait ainsi que la vente en ligne de vêtements, de chaussures ou de produits de luxe aurait un grand avenir... La quasi-disparition de Virgin Megastore illustre le désarroi de ces entreprises aux reins pourtant solides face à l’émergence de ces nouveaux acteurs. La FNAC, leader de la distribution de produits culturels, avait en effet eu le réflexe de créer un site de commerce en ligne, Fnac.com dès 1999. Aujourd’hui, le site reçoit la visite de 13,5 millions de visiteurs par mois, et dispose d’un catalogue de 10 millions de références. Mais, malgré ces atouts, de l’aveu même de ses responsables, la concurrence avec Amazon est trop difficile car, au-delà des distorsions de fiscalité, la FNAC ne s’est pas transformée en une entreprise technologique, demeure freinée par le cycle de décision et a manqué une étape dans le processus de conversion numérique.
L’arrivée du numérique sur les autres segments de la distribution s’est faite de manière plus tardive, et n’a pas été anticipée par les acteurs en place. Ainsi, l’offre des pure-players s’est peu à peu étendue à l’électroménager et aux produits de loisirs – téléviseurs, produits informatiques – avant de toucher, aujourd’hui, tous les rayons traditionnels d’une grande surface, y compris l’alimentaire. Aux yeux des dirigeants d’Amazon, l’e-commerce est ainsi un vieux métier, et aujourd’hui l’enjeu est de permettre au consommateur de tout trouver directement sur le site. À ce titre, le lancement d’Amazon Fresh aux États-Unis vise clairement à concurrencer les super et hypermarchés classiques, en proposant près de 20 000 références, dont 1 500 produits frais (fruits et légumes, viandes, poissons), avec une possibilité d’être livré le jour même (48). Si les distributeurs classiques proposent pour la plupart ce type de services, ce qui inquiète est la capacité d’Amazon à profiter de son avantage comparatif indéniable en matière de logistique pour rattraper son retard et prendre une avance définitive sur ce segment d’activité, avec un rapport qualité/prix avantageux pour le consommateur. Les entrepôts d’Amazon, dans lesquels les conditions de travail sont parfois décriées, constituent le cœur de la valeur d’Amazon s’agissant de son activité de distributeur : les produits sont indexés, classés, répertoriés informatiquement, mais l’essentiel de son avantage comparatif se situe au niveau des cadences imposées aux ouvriers travaillant dans les entrepôts, où leur parcours est adapté en fonction du nombre maximal de produits qu’ils peuvent récupérer en un minimum de temps, leurs performances scrutées, analysées, commentées, à l’aide de GPS et de capteurs informatiques (49) .
Le plus grand défi des acteurs classiques de la distribution est de parvenir à concilier l’activité de leurs magasins physiques et leurs activités numériques. En effet, alors que les entreprises de distribution figurent davantage aujourd’hui dans les classements des sites des e-commerçants les plus consultés, l’enjeu est de parvenir à conserver une clientèle dans les magasins physiques, alors que la FEVAD estime que le nombre de cyberacheteurs atteint 32,7 millions en France. Cela est d’autant plus criant dans un contexte de développement du m-commerce, c’est-à-dire le commerce à partir d’un terminal mobile. Ainsi, un client pourrait tout à fait se rendre dans un magasin, regarder le produit, le tester, puis procéder à son achat sur internet, depuis son téléphone, à un coût inférieur que celui proposé par le magasin dans laquelle il se trouve. La pire crainte des exploitants de magasins physiques est de voir ces derniers se transformer en simples showrooms : la fréquentation ne baisse pas, mais le volume d’achat chute drastiquement.
LE TOP 15 DES SITES « E-COMMERCE » LES PLUS VISITÉS EN FRANCE
3ÈME TRIMESTRE 2013
LE TOP 5 DES SITES ET APPLICATIONS DE « M-COMMERCE »
LES PLUS VISITÉS EN FRANCE
Source : Médiamétrie//NetRatings – Catégorie créée spécialement pour la Fevad - Tous lieux de connexion –
Applications Internet exclues – France – Moyenne mensuelle des mois de juillet, août, septembre 2013
Afin de répondre à ces enjeux, les distributeurs traditionnels misent sur la complémentarité entre l’e-commerce et les magasins physiques, afin d’offrir plusieurs canaux aux consommateurs, qui se connectent avant, pendant et après l’acte d’achat. La frontière entre les boutiques et l’internet semble aujourd’hui dépassée au profit d’une logique store-to-web, web-to-store ou web-in-store. L’essor des drive correspond à cette tendance : on fait ses courses en ligne, mais on les récupère dans un magasin physique. Si le commerce de proximité parviendra toujours à conserver un avantage en misant sur le conseil, la discussion et l’établissement d’une relation personnelle, les super et les hypermarchés se trouvent aujourd’hui confrontés à des challengers proposant moins de services et des produits moins chers. Autrement dit, ils ont face à eux des acteurs aussi déroutants qu’ils l’étaient eux-mêmes pour le petit commerce dans les années soixante.
Pour la France, la conversion numérique des entreprises de la distribution est essentielle, alors même qu’il s’agit d’un secteur d’excellence qui contribue à une part essentielle de notre économie. Depuis l’ouverture du premier magasin libre-service par Edouard Leclerc en 1957 (50), la France s’est dotée d’entreprises devenues des leaders mondiaux dans tous les secteurs : alimentaire, produits culturels, bricolage, etc. À ce titre, les seuls membres de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) (51), représentent 750 000 emplois, 30 000 points de vente et un volume d’affaires de 194,5 milliards d’euros. De son côté, la Fédération française des associations de commerçants (52) considère que le commerce de proximité représente 465 000 commerces de détail et 1,2 million d’emplois.
L’essor des « Drive »
Le service de « drive » repose sur un concept relativement simple : le consommateur achète ses produits en ligne, et les récupère ultérieurement en voiture sur le site d’une grande surface ou dans un entrepôt dédié à cet effet. On distingue en fait trois formes de « drive » :
- les « drive » accolés à un bâtiment commercial préexistant ;
- les « drive » installés de manière isolée, généralement loin du bâtiment commercial de référence ;
- les « drive » dédiés au « picking ».
Les premiers « drive » sont apparus avec le lancement de Chronodrive dans le Nord-Pas-de-Calais en 2004. Par la suite, le groupe Auchan a été le premier grand acteur à lancer ses propres services de « drive ». Selon les chiffres disponibles fin mars 2014, Leclerc détient 462 sites, Intermarché 379, Carrefour 353, Système U 293, Casino 131 et Auchan 93. En ajoutant les sites indépendants, l’Institut Nielsen estime que le nombre de « drive » a dépassé le nombre d’hypermarchés en France, représentant un total de 2 031 implantations contre 2 022 hypermarchés (53).
L’essor des « drive » est vu comme une réponse des acteurs traditionnels de la grande distribution aux entreprises du numérique qui les concurrencent de plus en plus sur leur cœur d’activité (Amazon Fresh aux États-Unis).
La récente loi ALUR (54) a néanmoins encadré davantage l’implantation de ces sites, afin d’éviter un pullulement désordonné. Ainsi, l’article L. 752-3 du code de commerce comporte désormais un nouvel alinéa qui définit les « drive » comme des « points de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique ». Ce nouvel alinéa soumet à autorisation d’exploitation commerciale la création ou l’extension d’un « drive », alors qu’un simple permis de construire était auparavant nécessaire. Une exception a été introduite pour les sites de moins de 20 mètres carrés adossés à un commerce traditionnel et pour les sites temporaires.
2. Les secteurs en cours de bouleversement
Le débat sur le transport multimodal a pris un nouveau sens grâce au numérique. Plutôt que de concevoir les politiques de transport et de les appréhender en silos, les collectivités chargées de l’élaboration d’une politique de mobilité ont pris acte de l’existence d’un continuum entre la voiture personnelle, les transports en commun, le taxi, ou encore la voiture locative. Le numérique permet, sous réserve de la mise à disposition des données détenues par les différents opérateurs, de construire un parcours de mobilité alliant un train, un bus, une bicyclette et ou un taxi, par exemple par le biais d’une cartographie multimodale des transports à l’échelle d’une ville ou d’un territoire. L’enjeu premier pour les collectivités est d’ailleurs d’accéder à ces données afin de conserver la maîtrise de la définition d’une politique de mobilité au service des citoyens et non d’un intérêt particulier.
De manière plus concrète, vos rapporteures ont pris le parti de centrer leurs réflexions sur trois exemples mettant en jeu la voiture individuelle : l’essor des voitures avec chauffeur, le développement de systèmes de type Autolib, symbole de l’économie du partage, et l’apparition de nouveaux acteurs qui ont révolutionné la construction automobile.
Au cours des derniers mois, l’apparition massive dans les rues de Paris et aux portes des aéroports franciliens de voitures avec chauffeurs, communément dénommés VTC, a généré de fortes critiques de la part des taxis traditionnels, et animé les débats dans la société comme au Parlement. À la suite d’un important mouvement de grève au mois de février, qui a donné à lieu à des débordements condamnables en droit, le Gouvernement a chargé, le 11 février dernier, notre collègue M. Thomas Thévenoud d’une mission de concertation en vue de moderniser le cadre juridique relatif à l’activité de VTC et de taxi. Celui-ci a remis ses conclusions au Premier ministre le 24 avril 2014.
L’activité des VTC a été rendue plus facile par l’article 4 de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, qui a simplifié le régime de transport de tourisme avec chauffeur, par la suppression du régime dit de la « grande remise » et du régime d’« exploitation des autocars de tourisme » au profit d’un régime unique d’« exploitation de voitures de tourisme avec chauffeur ». Des dispositions réglementaires ont par la suite précisé les conditions d’exercice de l’activité de VTC, en fixant les conditions d’aptitude requises pour les chauffeurs (stage de formation professionnelle ou diplôme), ainsi que les caractéristiques techniques auxquelles devaient répondre les véhicules exploités (taille, puissance, etc.). Au final, il est devenu facile de se lancer dans cette activité.
Dans le même temps, une innovation technologique – fondée essentiellement sur la géolocalisation – a créé une rupture en permettant aux sociétés d’organiser et d’optimiser les déplacements des flottes de voitures. Dans le sillage de la société américaine Uber, que les fondateurs auraient imaginé à Paris un soir où ils n’auraient pas trouvé de taxi pour rejoindre leur hôtel…- un grand nombre d’entreprises françaises sont apparues sur ce segment d’activité : Snapcar, Le Cab, Voitures jaunes, Chauffeurs privés, Allocab, etc. Ces entreprises ont apporté un service innovant aux usagers : en pratique, les clients téléchargent l’application d’une société de VTC et peuvent, sur leur téléphone ou leur tablette, s’assurer de la disponibilité d’une voiture, la réserver et même, grâce à la géolocalisation en temps réel, la suivre sur leur écran en l’attendant. Par ailleurs, la course peut se révéler moins chère que le recours à un taxi sur certains trajets (notamment les liaisons vers les aéroports), et le surcoût constaté sur les autres courses se justifie auprès des consommateurs par le fait que l’accent a été mis sur la qualité de service (accueil, mise à disposition de nourriture et boissons, choix de musique, etc.). Enfin, ces entreprises ont apporté une réponse à des demandes formulées de longue date par les usagers : la facilité de paiement (prélèvement automatique) (55), et la mise en place de « forfaits » pour rejoindre les aéroports.
Malgré un positionnement plus haut de gamme, les VTC ont fortement prospéré, témoignant ainsi d’une réelle demande de la part des consommateurs. Ainsi, selon l’Autorité de la concurrence, en décembre 2013, 6 515 entreprises de VTC étaient immatriculées, avec une forte concentration en Île-de-France (près de 50 %) et en région PACA (près de 18 %). Elles exploitaient 12 404 véhicules et employaient 13 962 chauffeurs, alors que l’on compte près de 20 000 taxis à Paris. Ce développement rapide a déstabilisé une profession qui n’a pas su anticiper les évolutions juridiques, technologiques et sociales. Vos rapporteures sont bien évidemment conscientes des contraintes qui pèsent sur les chauffeurs de taxi, et notamment de l’évolution inconsidérée du prix de la licence – dont le prix s’élevait encore récemment à près de 240 000 euros à Paris (56) – comme des limites susceptibles de créer des distorsions de concurrence (formation, fixation réglementaire des prix des courses, notamment). Néanmoins, une nouvelle fois, elles ont le sentiment que l’on cherche davantage à bâtir une ligne Maginot au lieu d’embrasser la révolution numérique et de chercher à se battre avec les outils et méthodes de notre temps. L’essor des VTC est inéluctable et ces entreprises doivent aussi être saluées pour avoir innové et su répondre à une demande non satisfaite jusqu’à présent plutôt que d’être vilipendées et seulement considérées comme de « nouveaux barbares ».
Vos rapporteures considèrent que résister en tentant d’empêcher des acteurs innovants de recourir à leur propre innovation ne constitue pas une réponse appropriée. En revanche, seule l’innovation permanente permet de répondre à de nouvelles offres concurrentes et de conserver une position commerciale. À ce titre, Nicolas Colin, après avoir pointé les faiblesses de l’innovation de l’entreprise G7 (57), a souligné récemment combien cette même entreprise disposait de précieux atouts pour résister aux offensives des entreprises de VTC : « sa marque forte est bien connue de la clientèle et les taxis avec lesquels elle travaille sont nombreux et lui font confiance ». Selon Nicolas Colin, le réel avantage des entreprises de VTC est de pouvoir proposer aux clients une expérience comparable à celle proposée par G7 dans le cadre de son offre « club affaires », mais à un tarif beaucoup plus compétitif. L’enjeu pour les compagnies traditionnelles de taxis est de proposer un nouveau service innovant aux utilisateurs, correspondant à ses attentes. Mais comme vos rapporteures le souligneront à plusieurs reprises dans le présent rapport, les entreprises traditionnelles sont parfois réticentes face à l’innovation. Plusieurs pistes s’offrent alors à elles : l’achat de petites start-up, permettant d’une part de proposer et tester un nouveau service, mais d’autre part d’insuffler la culture de la rupture au sein d’une entreprise bien établie (58). Si une entreprise comme G7 est actuellement fortement concurrencer et se doit de trouver des réponses, elle dispose néanmoins des ressources humaines et matérielles pour concevoir le service de demain, ce qui n’est pas le cas des artisans, souvent désarmés face à une innovation de rupture. Une nouvelle fois, il est nécessaire de mieux anticiper les évolutions conduites par la numérique, afin de s’adapter et non pas d’abaisser des barrières susceptibles d’être levées par l’innovation, la demande des consommateurs, une décision de justice...
Sur un autre segment de l’activité de transport urbain, le succès de la Bluecar du groupe Bolloré et du service associé, Autolib, témoigne d’un attrait pour l’économie du partage. Le principe est simple : moyennant un abonnement journalier, hebdomadaire, mensuel ou annuel, un particulier peut procéder à la réservation d’une voiture électrique disposant d’une batterie d’une autonomie de 250 kilomètres, prendre cette voiture dans une station et la laisser à une autre, l’utilisation d’un véhicule donnant lieu à une rémunération de l’entreprise en sus de l’abonnement. Grâce au numérique, il est possible de localiser les voitures et les places disponibles, de les réserver en amont, de connaître quelle voiture dispose de la plus grande autonomie au sein d’une station et de sélectionner la plus chargée. Plus largement, le succès d’Autolib marque l’intérêt pour l’utilisation, même en commun, plutôt que pour la possession. Bien évidemment, le développement de système de partage ne peut se faire qu’au détriment d’autres industries fondées sur la possession. C’est l’avenir des industriels de l’automobile qui est en question.
Ce dernier point est d’autant plus d’actualité compte tenu des récentes modifications du paysage de l’industrie automobile. Lors de leur déplacement à San Francisco, vos rapporteures ont été étonnées de s’entendre dire que, selon leurs interlocuteurs, l’industriel le plus en avance sur le sujet de l’automobile du futur était… Google, via la Google car, conçue au sein du laboratoire de recherche de l’entreprise, Google X. Cette voiture autonome est équipée d’un système de pilotage automatique qui rend donc concret le mythe de la voiture sans chauffeur. Les différents prototypes ont déjà parcouru des centaines de milliers de kilomètres sans accidents, et effectuent pour certains quotidiennement le trajet entre San Francisco et le siège de l’entreprise, à Mountain View. Rappelons que Google a massivement investi dans l’entreprise Uber, à hauteur de 250 millions de dollars, sans nul doute en vue de proposer à terme un service de taxi sans chauffeur… Aux côtés de Google, une autre entreprise du numérique a fait une entrée remarquée sur le marché de l’industrie automobile. Tesla, fondée en 2003 par l’un des fondateurs de Paypal, qui venait d’être revendue à eBay, commercialise depuis 2008 des voitures électriques de luxe. Ainsi, un acteur inconnu il y a dix ans s’est positionné sur un marché de niche pour l’automobile, acquérant une position de leader. La rapidité du succès de Tesla, dont la production n’a évidemment aucun rapport avec celle des constructeurs mondiaux puisqu’elle se limite à quelques milliers de véhicules, amène toutefois à s’interroger sur la capacité de nos industriels à résister en cas d’apparition soudaine d’un concurrent issu du numérique.
L’économie du partage au cœur du numérique
Le numérique bouleverse les secteurs économiques et les modes de fonctionnement des entreprises. Mais il génère également de nouveaux modes de production et de consommation fondés sur le partage et la collaboration. L’économie du partage, qui touche le logement, l’hôtellerie, les transports, le financement ou la production, est au cœur de la transformation numérique de nos sociétés.
Du 1er au 7 mai 2014, la France a accueilli la première semaine de l’économie collaborative, organisée par l’entreprise Ouishare. Vos rapporteures se réjouissent de voir le succès des initiatives françaises. L’économie du partage a toujours existé – que l’on pense à des acteurs comme Kiloutou, les agences de location de voitures ou les acteurs spécialisés dans la location de maison de vacances. Internet a toutefois contribué à une croissance exponentielle de ce modèle économique, en facilitant les mises en relation tout en donnant accès à des évaluations du service fourni par des pairs.
L’entreprise américaine Airbnb incarne l’essor de cette nouvelle économie. Une nouvelle fois, le mythe fondateur est prégnant : trois étudiants colocataires décident de louer leur canapé pour accueillir de parfaits inconnus ne parvenant pas à trouver chambres d’hôtel. Le service plaît, permettant à des particuliers de bénéficier d’un complément de rémunération et à des voyageurs de rencontrer des locaux : on passe du canapé à une chambre, puis à un logement entier. Aujourd’hui Airbnb concurrence les agences classiques de location de logements de vacances, et a amené nombre de personnes à sous-louer leur logement. L’entreprise propose des annonces dans 192 pays et 34 000 villes et plus de 4 millions de personnes auraient utilisé ses services. Face aux craintes exprimées par les acteurs traditionnels de l’hôtellerie, comme par les élus et habitants, désirant éviter que leurs villes se transforment en musées, le cadre juridique a évolué afin de réguler cette nouvelle activité (59). Néanmoins, ces nouveaux modes de consommation sont très prisés, notamment en période de crise économique, et génèrent sans nul doute une activité économique importante : Airbnb revendique ainsi avoir contribué à l’économie parisienne à hauteur de 185 millions d’euros sur les douze derniers mois.
Sur le secteur de l’immobilier, la start-up française Bureaux à partager met en relation les entreprises qui recherchent des bureaux et celles qui proposent de l’espace, permettant ainsi à de jeunes entrepreneurs de trouver des espaces de travail, contre une rémunération modique. Ce mode de « location de bureaux » permet ainsi de s’adapter sans cesse, selon qu’il faille croître rapidement ou au contraire réduire les dépenses logistiques lors de la phase lancement d’une start-up. Cette pratique peut aussi permettre aux grands groupes d’accueillir des acteurs innovants dans leurs locaux, et ainsi se confronter à leurs projets, voire repérer des pépites puis les accompagner.
Vos rapporteures ont par ailleurs déjà eu l’occasion de souligner les changements induits dans le secteur des transports par des entreprises comme Blablacar, Autolib ou les acteurs de VTC. Tous reposent sur le partage : covoiturage, partage de voiture, mise en relation de chauffeurs et de personnes en quête d’un moyen de transport.
Mais au-delà des secteurs du logement et des transports, souvent mis en avant, tous les secteurs de l’économie sont concernés : le financement de l’économie, via le crowdfunding, la gastronomie – on accueille des personnes chez soi, on vend des plats depuis son appartement – mais aussi le prêt-à-porter, le bricolage…
Si le crowdfunding concernait au départ surtout des projets associatifs ou artistiques, les différentes plates-formes – comme KissKissBankBank en France – interviennent de plus en plus dans le financement de l’économie. Les mesures prises par le Gouvernement pour « libérer » le crowdfunding vont d’ailleurs dans ce sens (60).
Au final, cette démocratisation du partage – qui repose sur le prêt, le don, l’échange, la location ou la vente d’objets d’occasion – procède à un changement majeur de comportement des agents économiques : l’usage d’un bien prime sur le désir de propriété. Nul n’est encore capable de prédire aujourd’hui les conséquences de ces changements de pratiques.
D’une certaine manière, les modalités de paiement ont déjà été pleinement bouleversées il y a plus de dix ans, avec la création de Paypal. Pourtant, aujourd’hui, c’est une nouvelle évolution qui se produit, avec l’essor du paiement mobile. Le paiement mobile recouvre deux réalités : le M-paiement, c’est-à-dire la vente à distance depuis un mobile, et le recours à la technologie NFC (near field communication), c’est-à-dire le paiement sans contact avec mobile.
L’enjeu principal est celui de la sécurité et de la prévention de la fraude. Alors que la carte à puce avait pratiquement permis d’endiguer la fraude, on constate un assouplissement de la vigilance des individus vis-à-vis de la sécurité des données bancaires, malgré des pratiques très diverses selon les pays : d’après les interlocuteurs de vos rapporteures, les Allemands comme les Hollandais ne semblent pas éprouver de difficultés à communiquer leur numéro de carte bancaire, tandis que les Italiens ont tendance à privilégier les cartes prépayées. S’agissant du M-paiement, Paypal semble à nouveau se positionner en tête du marché, se reposant notamment sur les 137 millions de comptes dont il dispose, dont 5 millions en France. Le paiement sans contact, quant à lui, correspond plutôt à des paiements de petits montants, mais en très grand nombre. La technologie mérite toutefois d’être mieux maîtrisée, plusieurs alertes ayant été lancées à l’automne dernier quant aux failles de sécurité de certains moyens de paiement utilisant la technologie NFC, qui émettraient à une distance trop importante et seraient ainsi à même de communiquer des informations personnelles à d’autres terminaux situés à proximité.
Les banques traditionnelles semblent hésiter pour l’heure à pleinement engager la conversion numérique. Bien évidemment, le développement des banques en ligne a déjà fortement modifié le mode de fonctionnement des banques traditionnelles comme leur organisation : essor des services en ligne et, en parallèle, adaptation des services proposés en agence. Le paiement constitue néanmoins un défi important pour elles alors que, selon la Fédération bancaire française, 46,9 % des paiements s’effectuent en carte bancaire, et que l’on compterait 82,3 millions de cartes bancaires en France, tandis que 56 % des internautes utilisent leur carte bancaire pour payer en ligne (61).
La Banque postale, la Société générale et BNP Paribas, se sont néanmoins associées pour concevoir le service Paylib, qui se veut un concurrent de Paypal sur le marché du paiement mobile. Il s’agit d’offrir un service sûr et simple, puisqu’au lieu de renseigner l’ensemble des informations figurant sur sa carte bancaire, une simple identification par une adresse électronique et un mot de passe suffira. Cette initiative est à saluer, même si on regrettera qu’elle n’arrive que douze ans après la solution, similaire, proposée par Paypal. Auparavant, l’entreprise Buyster a été lancée en 2011 à l’initiative des opérateurs Orange, Bouygues Telecom et SFR, ainsi que du groupe Atos, afin de proposer une nouvelle source de paiement sur internet. Les initiatives menées par les banques traditionnelles vont donc dans le bon sens, mais devraient être poursuivies car elles disposent des ressources leur permettant de demeurer en position de leader à l’ère du numérique. En parallèle, elles doivent accompagner l’essor de start-up numériques impliquées dans le développement de solutions innovantes, par l’acquisition, et se muer en plates-formes, afin de faciliter des solutions innovantes de paiement. L’enjeu est essentiel, alors que le secteur bancaire joue un rôle essentiel dans l’économie de notre pays, employant 370 000 salariés.
Le bitcoin, « splendeur et misère de la monnaie numérique »
Selon la définition de la Banque de France, la « monnaie » bitcoin, créée en 2009, est une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et des services sans avoir à recourir à la monnaie légale. Le bitcoin a été créé pour remplir les trois fonctions traditionnelles de la monnaie : (i) il représente une unité de compte, c’est-à-dire une unité standardisée qui permet de mesurer la valeur des flux et des stocks de biens, de services ou d’actifs ; (ii) il facilite les transactions commerciales et (iii) il permet de stocker une valeur pouvant être utilisée dans le futur. Le Bitcoin, écrit avec une majuscule, désigne quant à lui le système de paiement dans son ensemble.
Cette « e-monnaie » est émise par les membres du réseau Bitcoin, appelés « mineurs », à partir de codes informatiques complexes. Elle peut être stockée dans des portefeuilles électroniques, échangée de gré à gré, et en ligne, via des plates-formes internet contre des devises officielles (euro, dollar, yen etc.), ou utilisée pour des achats.
- les avantages du bitcoin : le bitcoin permet d’effectuer des transactions de gré à gré dans le monde entier sans intermédiaire, les transactions sont anonymes, traçables.
- les inconvénients du bitcoin : il s’agit d’un produit hautement spéculatif, notamment en raison de la limitation du nombre total de bitcoins pouvant être émis (21 millions). Son caractère spéculatif le rend très volatile – son cours est ainsi passé de moins de 1 dollar en 2011 à plus de 1 250 dollars en novembre 2013, avant de rechuter autour de 320 euros au moment de la rédaction du présent rapport. Par ailleurs le bitcoin n’est pas convertible, ce qui rend dépendants les détenteurs de bitcoins d’autres acheteurs de bitcoins pour les monétiser. Enfin, le bitcoin n’est pas régulé ni contrôlé et a souvent été accusé d’être la monnaie du dark internet, utilisée pour des activités illégales (trafics d’armes, de drogue, etc.)
- Le bitcoin est fortement critiqué par les institutions financières et bancaires.
Selon Christophe Beaux, président-directeur général de la Monnaie de Paris, le bitcoin est simplement du troc, une forme extraordinairement archaïque d’échanges, qui n’a aucun des avantages acquis par le progrès monétaire au cours des derniers siècles. Nombre d’institutions ont mis en garde contre les risques d’attaques informatiques contre les plates-formes d’échanges. Ainsi, la Banque de France (62), l’Autorité bancaire européenne (63), la Banque populaire de Chine et la Banque centrale indienne (64) ont alerté sur les risques de recourir au bitcoin à la fin de l’année 2013. Depuis, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a indiqué, le 29 janvier 2014, que les achats ou ventes de bitcoins contre des devises ayant cours doivent être effectués, lorsqu’ils sont réalisés en France, par l’intermédiaire d’un prestataire en services de paiements, c’est-à-dire un établissement de crédit, un établissement de paiement ou un établissement de monnaie électronique (65).
- le bitcoin en pleine crise
Le bitcoin a traversé plusieurs crises au cours des derniers mois. En avril 2013, son cours est passé de 210 à 39 dollars en une journée, avant de rebondir. En décembre 2013, la monnaie a perdu 65 % de sa valeur suite aux annonces de la Banque populaire de Chine.
Mais la plus grave crise du bitcoin est due à l’effondrement de l’une des plus grandes plates-formes MtGox, dont le siège était situé à Tokyo. Le 25 février dernier, le site Internet de la plate-forme - qui contrôlait encore fin janvier près de 15 % des échanges mondiaux de bitcoin – est subitement devenu inaccessible alors que les possibilités de retrait étaient devenues inaccessibles depuis le 7 février. Le cours du bitcoin a chuté de 85 % sur cette plate-forme suite à des rumeurs de piratage informatique qui aurait coûté à MtGox 6 % des 12,44 millions de bitcoins en circulation. Dans la foulée, le cours a chuté de près de 10 % sur les autres plates-formes principales. Finalement, la plate-forme MtGox a confirmé avoir perdu 750 000 bitcoins appartenant à des particuliers et 100 000 bitcoins enregistrés à son nom. Depuis 200 000 bitcoins ont été retrouvés. La plate-forme a déposé le bilan dans la foulée, et été placée sous administration judiciaire le 16 avril. Le 24 avril, le tribunal de Tokyo a ordonné le début des procédures de liquidation de MtGox et la nomination d’un syndic de faillite,
Cette crise a renforcé la méfiance à l’égard d’une monnaie non contrôlée, et en partie jeté le discrédit sur le bitcoin. Pourtant, elle ne semble pas annoncer la fin de cette monnaie.
- Quel est l’avenir du bitcoin ?
Malgré ces événements, le bitcoin ne semble pas prêt de disparaître. En août 2013, le ministère des finances allemand a reconnu le bitcoin comme une « monnaie privée », afin notamment de pouvoir soumettre à l’impôt les transactions. En mars 2014, la Banque centrale thaïlandaise a autorisé la plus grande plate-forme du pays à reprendre ses activités, après avoir interdit le recours aux bitcoins en août dernier (66). Plusieurs distributeurs automatiques de bitcoins – les robocoins – ont même ouvert (Vancouver, Hong Kong notamment). Aujourd’hui, le Canada et l’Australie semblent prêts à reconnaître cette monnaie, tandis que de plus en plus de produits peuvent être acquis grâce aux bitcoins.
Deux récentes tribunes publiées dans le journal Les Échos (67) annoncent une révolution profonde du système monétaire et financier et un bouleversement des institutions financières en raison des monnaies virtuelles, bitcoin ou autres, les comparant à Internet dont l’impact sur l’économie et les sociétés n’avait pas été imaginé au début des années 1990.
La France ne doit pas rester à l’écart de cette évolution. La Banque de France a clairement manifesté son rejet de cette monnaie. Il faudrait, selon vos rapporteures, mener une analyse approfondie du sujet, sur le modèle de l’enquête menée par le superintendant des services financiers de l’État de New York, Benjamin Lawsky (68). Il serait intéressant que la commission des finances de l’Assemblée nationale se saisisse du sujet afin d’anticiper l’impact de ces monnaies virtuelles sur les modèles économiques et le système bancaire.
L’administration a déjà entamé sa conversion numérique, comme en témoigne le succès du site internet impots.gouv.fr et de la télédéclaration. Mais au-delà de ces aspects techniques, que vos rapporteures évoqueront en deuxième partie du présent rapport, le numérique adresse un défi à l’État et aux collectivités territoriales en remettant en cause leur fonctionnement même et les modalités de l’action publique. L’État moderne s’est construit de manière centralisée et, malgré le processus de déconcentration, demeure organisé de manière verticale. Cette organisation administrative influence l’action publique, encore planificatrice. Or, cette logique verticale et descendante est en contradiction avec le numérique, qui revendique plutôt des relations horizontales ou, à tout le moins, ascendantes. Les collectivités territoriales sont davantage à même de s’adapter rapidement à la conversion numérique, étant par essence construites sur un modèle appelant à la collaboration et ayant développé des modèles plus horizontaux. Elles sont néanmoins confrontées à des défis similaires à ceux adressés à l’État, car les citoyens sont pleinement entrés dans l’ère numérique, parfois sans en avoir conscience. Ils attendent donc de l’État comme des collectivités territoriales qu’ils répondent à leurs nouvelles exigences, les écoute, les accompagne, les laisse créer et contribuer à l’élaboration des politiques publiques. Au moment où la parole établie est contestée et en quête de légitimité, un renouveau démocratique apparaît nécessaire.
3. Les secteurs qui seront bientôt bouleversés
Vos rapporteures se concentreront ici sur l’Enseignement supérieur, en premier confronté au bouleversement induit par le numérique. Si les universités ne réagissent pas, elles risquent grandement de se retrouver en perte de vitesse alors que le seul rempart qui demeure contre certaines initiatives est le diplôme national…mais pour combien de temps ?
Des initiatives parallèles, privées, se développent toujours plus. Le succès fulgurant de l’École 42, lancée par Xavier Niel en 2013, illustre l’engouement des plus jeunes, désireux d’apprendre, pour des formations alternatives, en même temps qu’il interroge sur les capacités de l’Université à former aux métiers de demain. En parallèle, les MOOC (massive open online course) ont depuis peu fait leur apparition. Ce terme désigne à la fois le présentiel enrichi, les formations hybrides comportant des cours physiques et des cours en ligne, sous la forme d’un enseignement à distance, et la conception d’un cours destiné à être diffusé en ligne, ouvert et suivi potentiellement par des dizaines de milliers d’étudiants, aux quatre coins du monde, qui place les relations entre étudiants au cœur du processus pédagogique. Cette dernière catégorie correspond notamment aux programmes de Coursera, une entreprise américaine créée en 2012 qui propose des cours conçus par des universités avec lesquelles elle est partenaire, ou EdX, une association à but non lucratif portée par le MIT et Harvard depuis la même année. Le modèle économique de Coursera, derrière l’ambition d’ouvrir l’éducation à tous, repose sans nul doute sur la collecte de données sur les étudiants inscrits dans les cours proposés par l’entreprise, ce qui pose des questions éthiques au regard des finalités de l’enseignement.
En France, plusieurs universités ou grandes écoles ont lancé leur propre MOOC en 2013, parmi lesquelles l’École centrale de Lille, l’École Polytechnique, l’Université de Lille 1, l’EM Lyon ou HEC. En octobre 2013, le Gouvernement a par ailleurs annoncé la mise en place de France Université Numérique (FUN), dont les premiers cours sont accessibles depuis le 16 janvier 2014. Les MOOC représentent une formidable opportunité d’élargir l’accès à la connaissance, et de repérer les talents de demain à travers le monde. Pour vos rapporteures, il est essentiel que des solutions publiques (comme FUN) ou portées par des structures à but non lucratif (sur le modèle d’EdX) se développent, afin de garantir que l’éducation demeure au service de l’intérêt général. Par ailleurs, le développement d’une offre de qualité en français est également essentiel du point de vue de la promotion de la francophonie.
Au-delà, le développement des solutions d’enseignement à distance pose également la question de l’avenir des universités, notamment les moins prestigieuses, s’il devient loisible à tout le monde de suivre une formation et d’obtenir une certification de la part des établissements les plus réputés.
Si l’attention de vos rapporteures se focalise sur l’Enseignement supérieur, l’Éducation nationale est également confrontée à de forts enjeux. Si, bien évidemment, le cœur de l’enseignement primaire et secondaire reposera toujours sur l’apprentissage des savoirs fondamentaux et l’acquisition des connaissances, la conversion numérique interpelle quant à l’évolution des méthodes pédagogiques. Au cours du XXème siècle, l’école a été confrontée à l’enjeu de démocratisation et de massification. Aujourd’hui, l’Éducation nationale est confrontée à celui de la conversion numérique : former au numérique et former aux métiers du numérique, afin d’apprendre à chacun à se mouvoir dans ce monde changeant et de former, aussi, des innovateurs radicaux.
L’Éducation nationale comme l’Enseignement supérieur n’apparaissent pour l’heure pas assez agiles pour répondre avec une suffisante réactivité aux enjeux qui leur sont adressés. Or, selon le ministère du travail américain, 65 % des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, des métiers qui n’ont même pas encore été inventés (69)… Le numérique induit donc une révolution, et redessinera le paysage éducatif, en réorientant les objectifs et les méthodes de l’enseignement et en suscitant l’émergence de nouvelles structures d’enseignement.
Le rapport du citoyen au monde médical est de manière générale très ponctuel, et ne se concrétise souvent qu’à l’occasion d’un rendez-vous ou d’un contrôle de « routine ». En cas de symptôme ou de diagnostic, les visites médicales deviennent plus fréquentes, et peuvent éventuellement aboutir à une hospitalisation ou une entrée dans un établissement de soins, pour surveiller en permanence l’évolution de la santé du patient. L’apparition des objets connectés dans le domaine de la santé modifie profondément le rapport au médecin. La « visite » médicale devient quasiment superflue, ou du moins n’est plus automatique, le diagnostic pouvant être fait à distance. En fait, « le mur entre le cabinet médical et le monde extérieur est en train de sauter, notamment du fait de la continuité de l’information » selon les fondateurs de Withings : la mesure est partagée de manière quasi immédiate avec le médecin.
Pour l’heure, la France n’est pas pleinement entrée dans cette évolution, et une entreprise comme Whithings, spécialisée dans les objets connectés de santé comme les balances, les tensiomètres ou des appareils mesurant le rythme cardiaque, réalise actuellement plus de 50 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis. Notre pays semble tarder à s’engager dans cette révolution alors qu’il revendique le meilleur système de santé au monde. Le développement de la santé « connectée » adresse plusieurs défis à la politique de santé publique et à ses acteurs, en même temps qu’elle offre des solutions innovantes, au service des citoyens. S’agissant des progrès indéniables portés par l’e-santé, vos rapporteures souhaitent mettre l’accent sur trois évolutions. D’abord la problématique des « déserts médicaux » pourrait trouver une partie de réponse par la capacité à suivre la santé des patients et à mener des diagnostics à distance. Ensuite, cette prise en charge à distance des patients ou des personnes à risques permettrait de renforcer le maintien à domicile, alors que bien souvent, des personnes tout à fait aptes à demeurer chez elles sont contraintes de rejoindre un établissement de santé, faute de pouvoir consulter facilement et régulièrement le personnel médical. Enfin, le traitement des maladies chroniques pourra être effectué plus en amont dès lors qu’elles pourront être détectées plus tôt. Selon la Haute Autorité de santé, plus de 15 millions de Français souffrent d’une maladie chronique, dont plus de 9 millions sont inscrits en affection de longue durée (ALD), soit 14 % de la population.
S’agissant des défis, quelle politique faut-il définir s’agissant de l’accès aux données de santé ? Le rapport sur la gouvernance et l’utilisation des données de santé remis à Mme Marisol Touraine en octobre dernier (70) laisse entrevoir la possibilité d’une ouverture de certaines données. De plus, l’émergence d’un suivi à distance des patients par leurs médecins pose une question essentielle pour l’équilibre de la sécurité sociale : comment rémunérer les médecins généralistes ?
Notre système de santé, élément central de la politique de solidarité nationale, fait la fierté de notre pays et est parfois envié à l’étranger. La réduction des déficits de la Sécurité sociale, indispensable à la pérennité du système, constitue l’un des enjeux essentiels de la maîtrise de la dépense publique. Le développement de la e-santé permettra de renforcer la prévention et de renouveler la prise en charge médicale, mais aussi de réduire le coût de notre système de santé par le maintien à domicile et la détection en amont de certaines maladies (71). Il produira donc un double bienfait, sanitaire et budgétaire.
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Plus largement, comme vos rapporteures l’ont rappelé, le numérique transforme tous les secteurs de l’économie. À l’avenir, le secteur énergétique, avec le développement des smart grids, sera également fortement transformé. Les énergies seront de plus en plus en réseau, l’Internet permettant de mettre en place un inter-réseau de partage de l’énergie, permettant aux individus de produire leur propre énergie renouvelable et de la partager (72). De même, les industries de services comme l’assurance ou la banque se renouvelleront par le numérique. Mais au-delà de l’analyse des transformations induites par le numérique sur les secteurs économiques, vos rapporteures souhaitent montrer l’impact du numérique sur le fonctionnement même des entreprises.
B. L’IMPACT SUR LE FONCTIONNEMENT DES ENTREPRISES
Le numérique impose de renouveler le fonctionnement interne même des entreprises : le numérique a non seulement modernisé les modalités d’exécution des tâches quotidiennes, mais conduit à réinventer la manière de fonctionner des entreprises.
Tout d’abord, le concept d’innovation permanente, au cœur des modèles économiques des entreprises du numérique, a rendu obsolète la notion de cycles technologiques, ce qui a un impact certain sur le fonctionnement des équipes chargées de la recherche et de la conception au sein des industries traditionnelles. Alors qu’auparavant, des équipes étaient constituées autour d’un projet inscrit dans la durée, rassemblées autour de l’objectif de fournir un produit fini, il s’agit dorénavant de mettre sur le marché, le plus rapidement possible, le produit le plus innovant possible, tout en sachant qu’il est inachevé, et ensuite de continuer à l’améliorer pour proposer des mises à jour à répétition. Le raccourcissement du délai entre la conception et la mise sur le marché, ainsi que la livraison d’un premier produit non fini, est la première modification induite par le numérique sur le mode de fonctionnement des entreprises et leur organisation.
Ce temps du numérique influence également le processus décisionnel. Dans une économie de l’innovation, le moindre temps de retard peut placer une entreprise hors-jeu. Pensons une nouvelle fois à la rapidité avec laquelle une position devient dominante dans le numérique, et à l’âge moyen des entreprises considérées comme les leaders dans leurs secteurs à l’heure actuelle. La vitesse de sélection d’un leader a pour corollaire la vitesse d’élimination d’une entreprise n’ayant pas su s’adapter assez rapidement – Yahoo ! en a fait l’amère expérience sur le segment des moteurs de recherche. Dès lors, il faut raccourcir au maximum la chaîne de décision, et modifier le processus décisionnel : il ne doit pas être nécessaire de réunir un comité exécutif ou toute autre structure de décision plus lourde pour décider de la mise en place d’une stratégie d’innovation.
Le numérique modifie également le contenu même d’un métier. Vos rapporteures l’ont déjà souligné, le numérique change l’approche des relations humaines, en privilégiant l’horizontalité à la verticalité, notamment en raison de l’élargissement de l’accès à la connaissance. La maîtrise de l’information n’est en quelque sorte plus le monopole du sachant. Cela concerne l’enseignant, bien sûr, mais également tous les métiers d’intermédiation. Par exemple, le commerçant, auparavant jugé sur ses aptitudes à bien vendre un produit en présentant toutes ses caractéristiques, se trouve aujourd’hui confronté à une clientèle aussi renseignée que lui sur un produit. Avec le numérique, le bon commerçant est donc celui à qui l’on fait confiance, qui sait présenter le bon produit selon la demande spécifique du client ainsi que conseiller, et pas seulement gérer les stocks et connaître les caractéristiques techniques de tel ou tel objet mis en vente.
De même, le numérique appelle aussi l’émergence de nouvelles relations managériales. Les équipes sont de moins en moins hiérarchiques et de plus en plus transversales. Le manager, auparavant détenteur de l’information, doit aujourd’hui savoir témoigner de son autorité tout étant ouvert, quasiment sur un pied d’égalité avec ses équipes. À l’heure où chacun souhaite davantage contribuer à la définition de nouveaux produits, de nouvelles stratégies, le manager doit savoir encourager le foisonnement d’idées – les salariés de Google sont ainsi autorisés à travailler sur des projets ne relevant pas de leurs missions quotidiennes une journée par semaine, et la légende veut que le Google cultural institute soit né de l’initiative de l’un de ses salariés. C’est d’ailleurs le mode d’évaluation des équipes qui doit s’adapter : quelles sont les raisons de maintenir une évaluation basée sur la performance individuelle à une époque où l’innovation est avant tout portée par le travail d’équipe et la collaboration ?
Au sein de l’entreprise, le numérique a également profondément modifié certaines fonctions essentielles : dans certains départements de ressources humaines par exemple, on googelise le candidat ou on vérifie et on évalue ses aptitudes sur LinkedIn. Le candidat est de plus en plus évalué par ses pairs plutôt que par des grilles de lectures pré-établies. L’apparition du Web 2.0, puis l’essor des réseaux sociaux, a profondément modifié la manière de communiquer et de mener les actions de marketing et de relation client. Des community manager sont chargés d’animer la communauté de clients effectifs ou potentiels, de créer une vie autour d’un produit ou d’une entreprise. Dans le même temps, on reçoit des sollicitations via les réseaux sociaux auxquelles il faut répondre de plus en plus en temps réel.
Au-delà, le numérique modifie le rapport de chacun au travail. Pour certaines professions, cette transformation est encore peu visible. Pour d’autres, en revanche, les constats sont déjà là : il accroît le phénomène d’abstraction, tout en renforçant la surcharge informationnelle, ce qui génère du stress, et conduit à l’éclatement de l’unité de temps et de lieu de travail. Ceci est particulièrement vrai pour les métiers susceptibles d’être en partie exercés à distance : en effet, l’essor des terminaux personnels et de la connectivité de chacun a renforcé le travail en mobilité, à distance, en dehors des heures traditionnelles de bureau. L’espace entre le temps privé et le temps au travail est de plus en plus poreux, remettant en question la notion même d’encadrement du temps de travail. Ce phénomène adresse deux défis : aux entreprises et aux employés d’abord, qui doivent apprendre à gérer cet éclatement du travail, d’une part en assurant le maintien d’un temps déconnecté des tâches professionnelles (73) , et d’autre part en acceptant de nouvelles pratiques de travail, à distance (74) ; au législateur ensuite, à qui est posé le défi de redéfinir la législation du travail pour l’adapter aux évolutions portées par le numérique.
Le numérique reconfigure donc tout le système économique, en transformant non seulement les secteurs économiques, mais également en obligeant les entreprises à évoluer en interne. Pour l’heure, la conversion numérique n’a pas touché tous les acteurs économiques, mais c’est un enjeu essentiel pour leur survie, peu importe leur taille.
2. Les enjeux de conversion numérique pour les entreprises
Faute d’avoir su s’adapter à temps, des groupes leader dans leur secteur ont disparu. Que l’on pense à Kodak ou Fujifilm, qui ont totalement périclité en quelques années, avalés par les géants de l’Internet, disparus ou marginalisés, la liste des grandes entreprises mondiales historiques n’ayant pas résisté au numérique est assez longue. Pour les grands groupes, il est donc essentiel de saisir que la conversion numérique n’est pas acquise et ce qui est arrivé à d’autres peut les toucher aussi demain. Pour l’heure, la plupart tentent de résister en protégeant leur modèle et en tentant d’assurer leur domination sur leur métier traditionnel. Pour l’heure, les grands groupes français résistent bien, ce qui témoigne de leur solidité. Mais on constate néanmoins une difficulté à innover : les grands groupes sont dépendants de leurs actionnaires et de leurs clients, et les innovations trop radicales peuvent être perçues comme un risque susceptible de mettre à mal les actifs principaux de l’entreprise. Par ailleurs, les grands groupes souffrent de leur position de leader sur le marché, et d’une situation relativement confortable : alors que les applications issues d’innovation sont toujours des activités à faible marge, dans un premier temps du moins, le bénéfice apparaît forcément plus faible. Par ailleurs, le cycle de décision est souvent long, ce qui décourage les porteurs de projets innovants : le temps que la décision soit prise, il sera déjà trop tard. Enfin, les grands groupes peinent à intégrer et tirer les bénéfices de solutions innovantes élaborées par des start-up, par l’acquisition de technologies à l’extérieur. Cela est principalement dû au fonctionnement des directions achats des grands groupes, dont le premier objectif est la garantie d’obtenir satisfaction au meilleur prix et non d’engager une éventuelle prise de risque sur de nouveaux services ou modèles économiques. Pire, les directeurs des achats ne connaissent généralement pas les recherches et innovations réalisées à l’extérieur du groupe qui pourraient intéresser leurs entreprises...
Les choses évoluent néanmoins rapidement. Les grands groupes s’ouvrent de plus en plus, et tentent de se mouvoir dans un écosystème intégrant des start-up à même de défier leur modèle, et de les aider à se renouveler. On constate ainsi un regain d’intérêt pour le corporate venture, le capital-risque mené par des entreprises, même si des interrogations demeurent quant aux motivations de ces investissements : aider une start-up à grandir, ou la tuer dans l’œuf avant qu’elle puisse contester le marché établi... Pour ce faire, chaque groupe devrait disposer d’une antenne dédiée à la veille technologique, afin de repérer dès le départ les innovations pouvant lui permettre de se renouveler et de basculer dans l’ère numérique. À ce titre, vos rapporteures ont été particulièrement stupéfaites qu’un seul constructeur automobile français soit présent dans la Silicon Valley, alors que la grande majorité des innovations radicales à même de bouleverser le secteur sont susceptibles d’y être inventées, et ce d’autant plus que seuls trois constructeurs mondiaux ne sont pas présents dans la région…
Pour Nicolas Colin et Henri Verdier, les grandes entreprises ont quatre options :
– s’imposer dans la multitude grâce à la puissance de leurs applications, fondée sur la force de leur proposition et leur design ;
– devenir agiles et réactives, notamment en recueillant les traces d’utilisation ;
– se transformer en plates-formes, c’est-à-dire mettre à disposition des ressources pour inciter d’autres à concevoir les applications en devenant des sur-traitants ;
– devenir de nouvelles plates-formes, comme Facebook ou Wikipédia.
Selon eux, l’accent doit particulièrement être mis, s’agissant des grands groupes, sur les possibilités de mutation en plates-formes. Les grands groupes devraient ainsi s’interroger sur la nature exacte de leurs actifs et de leur cœur de métier : la logistique pour les entreprises de distribution, la confiance et le réseau de proximité pour La Poste etc. La constitution d’une plate-forme serait « la seule condition pour prospérer dans une économie numérique où mes vieilles applications deviennent obsolètes (…) Le Monde peut devenir une plate-forme, Universal Music peut devenir une plate-forme. Carrefour ou Auchan peuvent devenir des plates-formes. La Poste peur devenir une plate-forme. Même l’État français doit se poser cette question ».
Pour l’heure, l’immense majorité des PME semble en retard s’agissant de la conversion numérique. Bien évidemment, les entreprises à la pointe de la technologie ont pleinement conscience des enjeux du numérique. De même, des artisans ou des entrepreneurs dont le numérique n’est pas le cœur de métier ont anticipé les évolutions à venir afin de renouveler leur offre, modifier l’organisation de leur entreprise et engager la conversion numérique. Toutefois, trop souvent, le numérique n’est perçu que comme l’élaboration d’un site internet dédié au commerce électronique. Or, si les PME françaises n’adaptent pas leur modèle économique, elles seront confrontées à un fort risque de décompétitivité, le tissu numérique restera à la traîne de la Silicon Valley et le gros tissu économique des PME, qui va des secteurs agricoles et industriels aux secteurs de pointe, périclitera. Beaucoup en ont conscience, mais elles sont nombreuses encore à ne pas se croire concernées par le numérique, ou à ne pas juger comme prioritaire l’investissement dans les technologies numériques.
Selon les données publiées par l’entreprise Priceminister et La Poste dans le cadre d’un baromètre du e-commerce des petites entreprises, 48 % des entreprises de moins de 50 salariés ne sont pas présentes sur Internet. Même si les choses évoluent, 60 % des entreprises présentes sur Internet ayant créé leur site il y a moins de trois ans, cette proportion demeure trop faible. Par ailleurs, les PME semblent ne pas avoir pleinement conscience des opportunités que représente la présence sur Internet, 37 % d’entre elles affirmant qu’une telle présence n’est pas utile à leur activité. Cette méconnaissance des enjeux du numérique se couple à une certaine crainte d’être dépassé par un environnement que les dirigeants des PME ne savent pas forcément comment appréhender. Ainsi, selon les données du même baromètre, 23 % des dirigeants interrogés dans le cadre de cette étude déclarent avoir peur de ne pas savoir comment gérer l’afflux de commandes qui pourrait être généré par une présence sur Internet. Sans se focaliser sur les entreprises de commerce, le cabinet McKinsey a dressé le même constat dans son étude sur l’Impact d’Internet sur l’économie française, estimant que 49 % des PME sont des entreprises à faible intensité Web (75).
Mais au-delà, c’est bien le fonctionnement quotidien de nombreuses PME qui n’est pas passé à l’âge du numérique. Ainsi, d’après Bpifrance, de nombreuses TPE et PME sous-estiment l’importance des TICS dans leurs activités et n’ont pas connaissances de solutions informatiques qui seraient pourtant adaptées à leurs besoins. Le cloud computing est encore une pratique émergente dans les entreprises : respectivement 69 % et 57 % des dirigeants de TPE et de PME déclarent ne pas connaître cette technologie. Par ailleurs, 68 % des entreprises françaises de plus de 10 salariés – majoritairement des PME – disposent d’une connexion internet, 33 % d’un progiciel de gestion intégré (ERP-enterprise resource planning), 28 % d’un système de gestion de la relation client (CRM-customer relationship management) et 13 % d’une application de gestion de la chaîne logistique(76).
Le taux de pénétration numérique est ainsi beaucoup trop faible s’agissant des PME et des TPE. La conversion numérique des TPE et PME conditionne leur survie à long terme, en même temps qu’elle offre de formidables possibilités de développement et des moyens de renforcement de leur compétitivité.
Les PME constituent l’essentiel du tissu économique de notre pays. Elles sont 3,2 millions, ce qui correspond à 99,9 % des entreprises, et représentent 52 % de l’emploi salarié. Elles réalisent 38 % du chiffre d’affaires, 49 % de la valeur ajoutée et 43 % de l’investissement de la France (77). Il est donc essentiel d’accompagner la transition numérique par des dispositifs de soutien public – comme le prêt numérique proposé par Bpifrance, détaillé en deuxième partie du rapport – et de poursuivre les actions de sensibilisation et de formation aux enjeux du numérique, notamment à l’égard des dirigeants. Ainsi, le Syntec numérique, à l’occasion de la publication d’un baromètre sur la maturité numérique des dirigeants (78), soulignait que « bien que conscients du lien entre numérique et performance, les dirigeants français tardent à franchir le cap de la transformation numérique de leur entreprise ». Ce constat concerne d’ailleurs autant les PME que les plus grands groupes.
III. LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE REPOSERA SUR LE NUMÉRIQUE
A. ANTICIPER LES EFFETS DESTRUCTEURS DU NUMÉRIQUE
Le numérique est porteur d’innovations radicales qui, ne le cachons pas, sont susceptibles d’entraîner dans un premier temps une destruction de valeur. Ce qui est déstabilisant, ce n’est pas tant la disparition de certaines activités ou les changements de la structure de l’emploi, inhérents à l’évolution de l’économie, mais la brutalité du phénomène et la rapidité des changements qui se produisent dans cette nouvelle économie. Rappelons à ce titre qu’en août 2011, Apple est devenue la première capitalisation boursière mondiale en dollars, alors qu’elle se situait au 297ème rang dix ans plus tôt, à la veille du lancement de l’iPod, et à la veille d’une période dévastatrice pour l’industrie musicale traditionnelle. La brutalité des changements économiques n’est que le reflet de la vitesse d’appropriation des outils du numérique par la population. Ainsi, il avait fallu quatre-vingts ans pour que 50 % de la population ait une automobile, soixante-dix ans pour le téléphone, cinquante ans pour l’électricité : il n’aura pas fallu vingt ans pour Internet.
1. Petite leçon d’économie : la « destruction créatrice »
La théorie économique a identifié depuis longtemps les effets de l’innovation sur la structure de l’économie. Joseph Schumpeter a ainsi développé le concept de « destruction créatrice » au cœur des cycles économiques : selon lui, la croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques, « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le nuire ». L’innovation porte donc en elle-même les germes de la destruction de valeur, avant de constituer le moteur indispensable de l’économie.
Au cours de l’histoire de l’humanité, les innovations radicales ont toujours eu pour conséquence la disparition d’une activité économique et avec elle la suppression d’un grand nombre d’emplois. Comme le souligne Marc Giget, l’invention de l’imprimerie a ainsi mis un terme à l’activité des moines copistes et à l’économie des manuscrits, le moteur à essence a succédé à la machine à vapeur, modifiant profondément l’industrie au cours du XXème siècle, l’apparition de l’automobile a mis fin à l’activité de transport équidé. De tels constats pourraient également être dressés pour l’électricité à l’égard de la bougie, le téléphone à l’égard du télégraphe, ou de l’e-mail à l’égard du papier. Si, à l’instant de ces changements, de vives inquiétudes sont exprimées, personne ne contesterait aujourd’hui l’apport majeur de ces innovations sur l’économie globale, et plus largement sur la société. À titre d’exemple, Marc Giget souligne que « pour assurer le trafic téléphonique actuel avec la technologie des années 1950, il faudrait un nombre d’opératrices correspondant à la totalité de la population féminine actuelle ». La modernisation du téléphone a donc privé la France d’un grand nombre d’emplois, mais a en revanche permis le développement de nouvelles activités, le renforcement du lien social et la création de nouvelles richesses.
Si le numérique déroute tant aujourd’hui, c’est parce que la deuxième phase de la théorie schumpetérienne tarde à apparaître. Pour l’heure, les entreprises du numérique ne sont perçues que comme des nouveaux barbares (79), insaisissables, violents, et destructeurs. L’exemple de l’évolution des revenus de la presse issus de la publicité éclaire parfaitement ce phénomène de destruction induit par l’émergence du numérique.
Revenus de la presse issus de la publicité (corrigés par l’inflation) de 1950 à 2010
Source : Marc Giget – Carpe Diem Blog – Newspaper Association of America
Ainsi, l’économie numérique tarde à concrétiser ses promesses : le nombre d’emplois aux États-Unis est aujourd’hui comparable à celui de 2008, avant la crise, alors même que le PIB était de 10 % inférieur. La montée des automatismes (bornes de paiement, self-service, etc.) entraîne nécessairement une destruction des emplois, avant tout les moins qualifiés. Ainsi, American Express devrait supprimer 5 400 emplois du seul fait de la montée en puissance de son portail internet (80). Selon une étude menée par Hackett Group, les emplois de support supprimés par l’économie numérique aux États-Unis et en Europe sont estimés à deux millions depuis la fin des années 2000 (81), essentiellement dans les fonctions finance, ressources humaines, technologies de l’information et approvisionnement. Ces destructions d’emplois touchent avec une acuité particulière les emplois intermédiaires ou moins qualifiés, adressant ainsi aux sociétés un défi de formation professionnelle, d’adaptation des compétences et de gestion du chômage.
2. « Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connait mais ne connaît pas l’ennemi sera victorieux une fois sur deux. Qui ne connaît ni son ennemi, ni lui-même, est toujours en danger. » – l’Art de la Guerre – Sun Tzu
Demain, la généralisation des caisses automatiques pourrait entraîner la suppression de l’emploi des 450 000 caissières employées par la grande distribution en France. Le commerce en ligne représente encore une part tout à fait marginale de la vente en France, mais son développement, assuré, aura indubitablement pour conséquence la disparition d’un très grand nombre d’emplois dans ce secteur.
Pour Gilles Babinet, « une révolution d’une même ampleur que la première révolution industrielle – qui a profondément bouleversé la société française – est sur le point de survenir et nous n’y sommes absolument pas préparés. Faute de le faire, on risque de créer beaucoup d’inégalités et de dysfonctionnements sociaux ». C’est probablement l’exigence de prévention d’une explosion de la société qui doit motiver notre anticipation. Dans son dernier ouvrage – le capital au XXIème siècle – l’économiste français Thomas Piketty souligne justement que « le retour des inégalités inquiète » aux États-Unis, où elles ont fortement cru au cours des dernières années du fait d’une extrême concentration des richesses (82).
Toute révolution fondée sur l’innovation comporte trois stades. Un premier stade, purement scientifique, dont les impacts sociaux et économiques sont difficilement mesurables. Un deuxième stade, purement technologique, susceptible de perturber l’économie et, parfois, d’entraîner des destructions d’emplois. Enfin, un troisième stade, qui voit l’émergence de nouveaux produits et services, et qui symbolise le progrès. Aujourd’hui, nous nous situons à des stades différents selon les secteurs d’activité, mais aucun n’a pleinement atteint le troisième stade. C’est ce qui explique que l’économie suive toujours une croissance molle, dans l’attente de tirer pleinement profit de la révolution numérique. Or, se préparer à la conversion numérique est d’autant plus essentiel que près de 80 % de l’économie française est concerné par le numérique.
Le seul moyen pour nos entreprises de demeurer dynamiques à l’ère du numérique est d’anticiper les évolutions des modèles économiques et de comprendre les nouvelles modalités de création de valeur. Au-delà, l’exigence d’anticipation concerne les responsables politiques, qui au lieu d’ériger des digues de sable face aux innovations radicales, doivent identifier les moyens de favoriser l’émergence des champions du numérique de demain, accompagner les entreprises existantes et comprendre les rouages de cette nouvelle économique. Elle concerne aussi les administrations et les acteurs chargés d’une mission de service public, qui doivent montrer la voie, en même temps que mettre en œuvre des outils d’intervention publique adaptés à l’ère du numérique. Le troisième stade de la révolution numérique, créateurs d’emplois et de croissance, n’est pas encore pleinement atteint. L’enjeu pour notre pays est de ne pas rester bloquer à l’une des deux premières étapes, délétère, et l’unique moyen d’y parvenir est de comprendre l’impact du numérique sur l’ensemble de notre société, et ainsi de pouvoir identifier les actions les plus efficaces à mener. Ce n’est qu’en saisissant l’ensemble des bouleversements induits par le numérique que chacun prendra conscience du formidable levier de croissance qu’il représente.
B. LE NUMÉRIQUE EST UN FORMIDABLE LEVIER DE CROISSANCE
Si le numérique n’a pas encore satisfait toutes les attentes qu’il porte, il constitue un puissant vecteur de croissance économique, en même temps qu’il transforme nos sociétés. De même que la « fée électricité » s’était parée d’atours magiques, le numérique mérite d’être perçu comme la condition de la croissance et du progrès de nos sociétés.
Selon un rapport remis au Gouvernement sur l’impact d’Internet sur l’économie française (83), le numérique aurait, de manière directe, contribué à hauteur de 72 milliards d’euros au PIB français en 2010, soit davantage que des secteurs clés de l’économie française tels l’énergie, les transports ou encore l’agriculture, en valeur ajoutée. Aujourd’hui, la part du numérique dans la croissance française atteint 25 %. D’après le rapport remis à l’automne dernier par Axelle Lemaire et Hervé Gaymard sur la stratégie numérique de l’Union européenne (84), « le secteur numérique représente une part croissante de l’économie de l’Union européenne : sa valeur ajoutée brute a progressé de 60 % entre 2000 et 2011, quand celle de l’économie globale des Vingt-sept ne s’accroissait que de 17 % ». Ces chiffres doivent bien évidemment être appréhendés avec précaution, vos rapporteures attirant l’attention sur la difficulté d’identifier avec précision une « filière numérique », alors que le numérique irrigue tous les secteurs économiques et chamboule toutes les activités. Néanmoins, en s’appuyant sur ces données, il est possible de fonder l’espoir de voir le niveau du chômage se réduire à mesure que cette part s’accroîtra. En effet, selon Marc Giget, « le seul rattrapage du retard applicatif de l’Internet en Europe par rapport aux États-Unis pourrait permettre de créer rapidement 400 000 emplois directs et 1,5 million d’emplois au total. Si la part du numérique dans la croissance française atteint 40 %, comme aux États-Unis, la question du chômage disparaît quasiment automatiquement ».
Plus largement, le numérique offre d’immenses possibilités de création d’entreprises : de nouveaux usages et services apparaissent, l’économie traditionnelle est chamboulée, les métiers de demain ne sont même pas imaginés. Or, l’essor de cette nouvelle économie conditionne la reprise de la croissance et la réduction du chômage car, comme l’a montré une étude de la Fondation Kauffman (85), les nouvelles entreprises constituent en effet le principal pourvoyeur de nouveaux emplois. À partir de l’analyse des statistiques fournies par l’administration américaine, les auteurs de cette étude ont montré qu’entre 1977 et 2005, à l’exception de sept années, le solde net de créations d’emplois est chaque année déficitaire d’un million pour les entreprises existantes, et excédentaire de trois millions pour les start-up. Deux-tiers des emplois créés aux États-Unis au cours des dix dernières années sont le fait de nouvelles entreprises (86).
L’IMPORTANCE DES NOUVELLES ENTREPRISES DANS LA CRÉATION ET LA DESTRUCTION D’EMPLOIS
Au-delà, le numérique permet de gommer les aspérités de l’économie, et de rendre les entreprises comme les organisations plus efficaces. Selon certains interlocuteurs de vos rapporteures, si l’ensemble du système est numérisé, il serait possible de réaliser des économies de 20 à 30 %. Selon Axelle Lemaire et Hervé Gaymard « les nouvelles technologies ouvrent de nouvelles possibilités, comme l’informatique en nuage. Il a été estimé que 80 % des organisations qui adoptent cette méthode réduisent leurs coûts de 10 à 20 %. L’impact cumulé sur le PIB de l’Union européenne pourrait atteindre 940 milliards d’euros et 400 000 nouvelles PME pourraient voir le jour d’ici à 2016 grâce à l’informatique en nuage. D’ici à 2020, l’économie numérique pourrait contribuer à une augmentation du PIB de l’Union européenne d’au moins 4 %, voire de 12 % selon le scénario le plus optimiste ». Le numérique est donc source de productivité, de croissance et d’emplois.
Au-delà du cœur d’activité de chaque acteur, c’est également leur impact sur l’ensemble de la société qui augure d’une reprise de la croissance. Une étude du cabinet Deloitte, publiée en 2012, sur l’impact économique de Facebook en Europe (87), a ainsi révélé que la plate-forme a été à l’origine, en 2011, de la création directe et indirecte de 232 000 emplois et de 15,3 milliards d’euros de valeur économique en Europe, dont 22 000 emplois et 1,9 milliard d’euros en France. Ces données, vertigineuses, témoignent à nouveau du potentiel de croissance que représente une plate-forme. En effet, c’est avant tout l’écosystème de l’économie des applications qui génère autant de valeur. Dans leur ouvrage précité, Nicolas Colin et Henri Verdier rappellent ainsi qu’au début de l’année 2012, l’App store permet de télécharger plus de 500 000 applications, ajoutant que « si chacune de ces applications a exigé une durée moyenne de développement de six mois, ce sont donc plus de 250 000 « années.hommes » de développement qui sont ainsi proposées au public. Pour les rémunérer, il aurait probablement fallu investir une dizaine de milliards de dollars ! ».
Par ailleurs, l’application Facebook, cette fois, offre de nouvelles possibilités de communication aux entreprises, qui peuvent disposer gratuitement d’un espace publicitaire via la page que les internautes peuvent « aimer » ou commenter. De même, l’essor des réseaux sociaux a contribué à la création de nouveaux métiers – community managers, social strategists, e-influenceurs – qui ont représenté, selon l’étude précitée, près de 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et près de 12 000 emplois en France en 2011.
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Le numérique chamboule ainsi l’intégralité des secteurs économiques, et le fonctionnement même de nos entreprises et de nos organisations. Mais s’il représente un formidable levier de croissance, il représente surtout une possibilité d’améliorer le quotidien de chacun. Le numérique doit avant tout être placé au service des citoyens. En Suède, une application de géolocalisation de volontaires aptes à délivrer les premiers soins en cas d’accident dans l’attente de la venue des services d’urgences compétents a permis de réduire par trois le nombre de crises cardiaques mortelles. Si le domaine de la santé est d’emblée concerné par les opportunités portées par le numérique, l’ensemble des activités quotidiennes et de nos modes de vie pourra progresser. A ce titre, les villes intelligentes offriront de nouveaux services performants dans tous les domaines : transport et mobilité, environnement durable, par une meilleure gestion des déchets et une plus grande efficacité énergétique, urbanisation responsable et habitat connecté. Porteur d’immenses promesses, le numérique tarde à satisfaire, car nous tardons à engager pleinement la conversion numérique de nos sociétés. C’est pourquoi il est urgent d’agir pour une France numérique.
0DEUXIÈME PARTIE
AGIR POUR UNE FRANCE NUMÉRIQUE : « DE L’AUDACE, ENCORE DE L’AUDACE, TOUJOURS DE L’AUDACE… »
Notre pays est donc à un tournant. Nous avons connu de belles aventures numériques, de l’invention du Minitel à l’introduction en Bourse – très remarquée – de l’entreprise Criteo, à l’automne dernier, mais les succès numériques français sont encore trop rares. Il est temps de prendre conscience que sans actions fortes, sans un engagement entier de tous les acteurs de notre pays dans cette révolution, nous serons laissés sur le bas-côté de la route, condamnés à fournir nos matières premières – données, ressources humaines, idées – à d’autres États qui les feront prospérer. Le numérique n’est pas une menace, mais bel et bien une chance de replacer notre pays sur la route de la croissance et du progrès. Pour ce faire, il faut arrêter de penser le numérique comme une filière industrielle à part entière, arrêter de considérer le numérique comme une simple évolution technologique, arrêter de « se mettre au numérique » de manière incrémentale, mais bien prendre conscience qu’il s’agit d’une révolution systémique qui change profondément nos sociétés, en influant sur nos modes de production, nos modes de vie, notre quotidien, nos institutions, et en appelant une conversion numérique globale. Agir pour une France numérique, c’est réconcilier la recherche du profit et de la croissance avec un équilibre social et une réelle amélioration de la vie de nos concitoyens. C’est assurer l’avenir de notre pays car le numérique pose un enjeu de souveraineté numérique, en même temps qu’il adresse un défi aux États. Le problème de la France réside essentiellement dans son incapacité à faire grandir ses entreprises numériques, à transformer ses start-up en leaders mondiaux, alors même que notre pays regorge de talents et de créativité, et dispose d’atouts indéniables pour réussir la conversion numérique.
Agir pour une France numérique, c’est aussi passer de l’incantation à l’action. Trop longtemps les plans, les rapports, les bonnes intentions se sont succédé pour faire de notre pays un champion du numérique. Il n’est plus temps de retarder cette transition. Comme pour toute révolution, il y a des inquiétudes et des incertitudes, mais sans prise de risque, nous sommes condamnés à la stagnation. L’urgence a d’ailleurs été perçue et, il faut s’en réjouir, les choses ont beaucoup évolué au cours des dernières années, tant au sein des entreprises que de l’État. Mais les chantiers sont encore immenses, notamment car le blocage principal est d’ordre culturel.
Vos rapporteures n’ont pas la prétention d’identifier toutes les solutions, d’autant que beaucoup de choses ont été faites ces derniers mois et qu’elles ne reprendront pas à leur compte des propositions maintes fois présentées. Elles se proposent simplement de partager quelques pistes, organisées autour de huit axes d’action, permettant d’enclencher la conversion numérique de notre pays.
I. FORMER LES ACTEURS DE DEMAIN
Comme le soulignaient déjà vos rapporteures en 2009 (88), « la fracture numérique territoriale apparaît moins importante que la fracture numérique sociale – qui frappe avant tout les seniors pour des raisons d’intérêts et de compétences, et les pauvres pour des questions de ressources ». Ainsi, selon un stéréotype vivace, les natifs du numérique sont tous compétents, alors que leurs aînés sont complètement démunis face aux nouvelles technologies, comme si les « jeunes » disposaient davantage de compétences informationnelles que les « vieux », pour leur part plus compétents en matière de stratégie. Il n’y a pas de division du marché du travail selon les classes d’âge s’agissant de l’indispensable recours à l’informatique dans les tâches du quotidien, de la même manière qu’il n’y a pas d’égalité d’accès aux compétences recherchées par la nouvelle économie au sein d’une même classe d’âge. Les deux enjeux essentiels de la formation sont ainsi d’apprendre à se mouvoir dans le monde numérique et de former aux métiers de demain.
Comme le souligne l’étude du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (89), « se met en place une nouvelle organisation du monde de la connaissance, des informations, des données. Les portails, les moteurs de recherche et dorénavant les intermédiaires de l’information, notamment pour les produits culturels, conditionnent très fortement celle-ci à travers les fonctionnalités qu’ils développent, les bases de données et les archives numériques qu’ils constituent, les dénominations ou les nomenclatures (catalogues, genres, etc.) qu’ils utilisent ». La réussite scolaire ne se mesurera plus seulement à l’aune des connaissances apprises durant le cycle de formation, mais aussi à la capacité à trouver, sélectionner, analyser, critiquer les connaissances disponibles.
Aujourd’hui, l’Éducation nationale et les Universités pratiquent une formation verticale, le savoir détenu par l’enseignant étant transmis aux élèves. Pourtant, grâce au numérique, chacun a un accès facilité à une quantité phénoménale d’informations, qu’il faut savoir analyser. Cet enjeu est d’autant plus criant en raison de la concentration des acteurs sur l’Internet : si Wikipédia, par son fonctionnement même basé sur une production de la connaissance externalisée et ouverte à chacun, garantit une certaine variété de pensée, l’omniprésence d’un moteur de recherche comme Google, qui affiche une part de marché de 90 % sur la recherche sur internet en France (90), comporte un risque d’uniformisation de la réflexion, par la détermination d’un ordre préférentiel de réponses à une question donnée. L’enjeu est donc d’apprendre aux élèves à comprendre le monde numérique et à s’y repérer.
La formation au numérique, c’est également apprendre à innover plutôt qu’à réciter et parvenir à sélectionner des étudiants autrement que sur leur seule capacité d’endurance et d’assimilation rapide, afin de disposer d’un vivier le plus diversifié possible. L’un des handicaps de la France à l’ère du numérique est le formatage relativement uniforme de ses principaux responsables politiques et économiques, alors que des gens qui se ressemblent ensemble, cela n’innove pas selon le mot de l’une des personnes auditionnées.
Apprendre à se mouvoir dans le monde numérique et apprendre à innover doivent être les nouveaux fils conducteurs de la pédagogie dans les écoles et les universités. Cette révolution de la pédagogie, à laquelle les enseignants ne sont pas suffisamment préparés, implique la mise en place de relations plus horizontales.
L’Éducation nationale se met au numérique
Dans le cadre de la réorganisation de ses services, le ministère de l’éducation nationale a créé, le 1er février 2014, une « direction du numérique pour l’éducation » (DNE). La DNE a pour mission de mettre en synergie tous les acteurs du numérique éducatif avec les systèmes d’information du ministère et comprendra un service du développement du numérique éducatif et un service des technologies et des systèmes d’information dont l’étroite collaboration permettra de traiter à la fois des enjeux pédagogiques du numérique, du développement de nouveaux contenus et services en ligne de qualité, des infrastructures et des conditions techniques et de sécurité permettant la réussite des projets. Cinq nouveaux services sont d’ores et déjà à la disposition des enseignants et des élèves du premier et du second degré :
- D’Col, un service d’accompagnement interactif personnalisé pour les élèves de 6ème de l’éducation prioritaire ;
- English for schools, une offre d’exercices et de vidéos pédagogiques pour les 8-11 ans, accessible en ligne pour un apprentissage ludique et facilité de l’anglais en classe et à la maison ;
- ÉduThèque, un portail destiné aux enseignants du 1er et du 2nd degré qui permet d’accéder gratuitement à des ressources proposées par les grands établissements publics scientifiques et culturels pour un usage pédagogique ;
- Les Fondamentaux, films d’animation pour comprendre, de façon ludique, les notions fondamentales liées à l’apprentissage du français, des mathématiques, des sciences, etc.
- Le dispositif de formation continue tutorée et interactive M@gistère, spécifiquement conçu pour les enseignants du 1er degré.
De plus, l’article 16 de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (91) prévoit que « dans le cadre du service public de l’enseignement et afin de contribuer à ses missions, un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance est organisé pour, notamment :
« 1° Mettre à disposition des écoles et des établissements scolaires une offre diversifiée de services numériques permettant de prolonger l’offre des enseignements qui y sont dispensés, d’enrichir les modalités d’enseignement et de faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée à tous les élèves ;
« 2° Proposer aux enseignants une offre diversifiée de ressources pédagogiques, des contenus et des services contribuant à leur formation ainsi que des outils de suivi de leurs élèves et de communication avec les familles ;
« 3° Assurer l’instruction des enfants qui ne peuvent être scolarisés dans une école ou dans un établissement scolaire, notamment ceux à besoins éducatifs particuliers. Des supports numériques adaptés peuvent être fournis en fonction des besoins spécifiques de l’élève ;
« 4° Contribuer au développement de projets innovants et à des expérimentations pédagogiques favorisant les usages du numérique à l’école et la coopération.
« Dans le cadre de ce service public, la détermination du choix des ressources utilisées tient compte de l’offre de logiciels libres et de documents au format ouvert, si elle existe. »
2. « Soit ils programmeront, soit ils seront programmés » - Fleur Pellerin
La formation au numérique interroge également sur la liste des savoirs fondamentaux que l’école devrait prodiguer, et ce dès le plus jeune âge. « Apprendre à lire, à écrire, à compter… et à coder », plusieurs articles de presse ont récemment mis en avant la nécessité de renforcer l’apprentissage du code dès les premières années de la formation initiale, en primaire, reprenant ainsi la proposition formulée par Tariq Krim, pour qui apprendre à coder dès l’école primaire pourrait ainsi « susciter un éveil », de la même manière que l’on insuffle aux enfants les bases du dessin, de la musique ou de la gymnastique.
Plus largement, se pose la question de l’enseignement de l’informatique dès le plus jeune âge.
Certes, des choses ont déjà été faites. Ainsi, le « Brevet informatique et internet » dit B2i (92), instauré en 2000 et renouvelé maintes fois depuis (93), atteste du niveau acquis par les élèves dans la maîtrise des outils multimédia et de l’internet. Les élèves de l’école au lycée et les apprentis, gérés par les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) et les centres de formation d’apprentis (CFA), sont concernés par cette attestation. Pour l’obtention du B2i, les élèves doivent « maîtriser les bases des techniques de l’information et de la communication (composants matériels, logiciels et services courants, traitement et échange de l’information, caractéristiques techniques, fichiers, documents, structuration de l’espace de travail, produits multimédias...) et savoir que les équipements informatiques traitent une information codée pour produire des résultats et peuvent communiquer entre eux et que l’usage de ces outils est régi par des règles qui permettent de protéger la propriété intellectuelle, les droits et libertés des citoyens et de se protéger soi-même » (94). Il existe un B2i par cycle d’enseignement. Par ailleurs, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République précitée a également, en son article 38, procédé à une nouvelle rédaction de l’article L. 312-9 du code de l’éducation, en précisant que « la formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques est dispensée dans les écoles et les établissements d’enseignement ainsi que dans les unités d’enseignement des établissements et services médico-sociaux et des établissements de santé. Elle comporte une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle ». Auparavant, la loi dite « Hadopi » prévoyait que les enseignants devaient informer les élèves « sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de délit de contrefaçon (..) [et] sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne ». Si ces évolutions vont dans le bon sens, il faut aller plus loin !
Le 8 avril dernier, Colin de la Higuera, président de la Société informatique de France, Serge Abiteboul, professeur au Collège de France, et Gilles Dowek, chercheur à l’Inria – ont remis au Président de la République une lettre plaidant pour la mise en place d’un enseignement de la science informatique à égalité de traitement avec les mathématiques ou les sciences naturelles, c’est-à-dire dispensé du primaire au lycée. Cette lettre fait suite au rapport publié par l’Académie des Sciences l’an dernier sur l’enseignement de l’informatique (95). Cette revendication correspond d’ailleurs à une demande de nos concitoyens, puisque selon un sondage commandé par l’Inria, 75 % des Français estiment que des cours d’informatique et de sciences du numérique doivent être proposés aux élèves avant la terminale.
Des expériences ont déjà été lancées. Ainsi, depuis la rentrée 2012, plusieurs lycées proposent aux élèves de terminale scientifique une option « informatique et sciences du numérique (ISN) ». Toutefois, seuls 20 % des lycées proposent cette option, faute d’enseignants. Partout ailleurs, l’informatique a été inscrite dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge. Ainsi, en Chine, au Japon et en Corée du Sud, l’informatique est enseignée dès l’âge de 8-10 ans et jusqu’à l’équivalent du bac. En Allemagne, certains Länder, comme la Bavière, ont rendu obligatoire l’enseignement de l’informatique depuis une quinzaine d’années. Par ailleurs, au Royaume-Uni, un rapport publié en 2012 par la Royal Society, intitulé Shutdown or Restart a conduit à faire de l’informatique une matière aussi importante que les mathématiques, la physique ou la biologie.
Notre pays est extrêmement en retard sur l’enseignement de l’informatique. Il faut absolument assurer l’équipement technologique des établissements, qui n’est qu’une première étape, et garantir la maintenance des matériels, et rendre obligatoire l’enseignement de l’informatique à l’école, tout en accroissant le nombre d’enseignants qualifiés.
Propositions :
– Éveiller les élèves du primaire au codage et à la programmation, sur le modèle de l’éveil au dessin, à la musique et aux langues étrangères.
– Rendre obligatoire l’enseignement de l’informatique dès le collège.
– Créer un CAPES et une Agrégation d’informatique.
A. FORMER AUX MÉTIERS DU NUMÉRIQUE
Voir un entrepreneur créer sa propre école (96) amène nécessairement à s’interroger sur notre capacité à former aux métiers de demain, en même temps qu’elle interroge sur l’adaptation du modèle républicain de formation initiale et sur la modernisation des dispositifs de formation continue. Selon Nicolas Sadirac, l’un des concepteurs de l’École 42, 70 % des entreprises qui recherchent des personnes compétentes en informatique ne trouvent pas les talents nécessaires. D’ailleurs, le fondateur de l’entreprise française Blablacar, Frédéric Mazella, a indiqué à vos rapporteures que le manque de développeurs dans notre pays était le principal frein au développement de son entreprise, qui revendique pourtant six millions d’utilisateurs sur sa plate-forme communautaire de covoiturage.
L’enjeu de la formation aux métiers du numérique concerne surtout l’avenir, alors que selon Marc Giget, « les « digital jobs », d’ingénieurs et techniciens maîtrisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication s’élèvent à plus de 100 000 en Europe, mais les postes non pourvus ne cessent de croître. De plus de 200 000 aujourd’hui, ils pourraient atteindre 900 000 en 2020 ».
Cela passe d’abord par une meilleure identification des besoins, en accroissant la coopération avec les branches professionnelles et l’industrie pour comprendre les manques et les besoins. Ce constat, qui concerne l’ensemble des secteurs économiques, est particulièrement criant s’agissant des métiers numériques. Comme l’a indiqué à vos rapporteures François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise et président du comité numérique de la Conférence des présidents d’université (CPU), « tout le monde sait que certains métiers sont sous tension, mais les responsables pédagogiques ne disposent pas toujours des bons retours de la part des acteurs économiques ». Parfois, l’identification des besoins est complexe, notamment pour les secteurs où l’impact de la numérisation est le moins visible.
L’école 42, révélateur des difficultés du système éducatif à former aux métiers de demain.
L’École 42 (97) a ouvert ses portes en novembre 2013 – la phase de sélection des étudiants a débuté en juillet 2013. Fondée par Xavier Niel, Nicolas Sadirac, Kwame Yamgnane et Florian Bucher, elle a pour ambition de « simplement être la meilleure école d’informatique en France ». La scolarité, d’une durée de trois ans, est gratuite.
Aucun diplôme n’est requis pour intégrer l’école. Toutes les personnes de 18 à 30 ans peuvent postuler, le processus de sélection se déroulant sur une période de trois semaines. Cette phase, appelée « la piscine » consiste à tester les étudiants en leur proposant de résoudre des problèmes par eux-mêmes. Il s’agit ainsi de repérer les candidats les plus innovants et prêts à travailler de manière collaborative.
La scolarité s’organise autour de projets d’une à deux semaines, comme, par exemple, la recréation de logiciels existants.
La formation n’est pas reconnue par l’État et ne donne lieu à aucun diplôme. Néanmoins, selon les fondateurs, cette limite n’empêcherait pas l’insertion sur le marché du travail, tant le manque de développeurs est important en France. La première promotion compte 900 étudiants dont seulement 81 filles.
Une fois les besoins identifiés, il faut parvenir à déployer la formation idoine, de l’école à l’université. À l’école, vos rapporteures l’ont souligné, cela passe par l’enseignement de l’informatique, mais également par le renforcement et la valorisation des formations professionnelles.
Vos rapporteures se concentreront ici sur la formation universitaire, moins souvent abordée selon elles. L’apprentissage et la formation en alternance constituent des moyens efficaces de préparer l’insertion professionnelle des étudiants. Ces cursus permettent de répondre pleinement aux attentes des acteurs économiques. Or, l’apprentissage et la formation en alternance, qui séduisent nombre d’étudiants, sont aujourd’hui surtout le fait du cycle secondaire. Dans l’enseignement supérieur, l’apprentissage est essentiellement déployé dans le cadre d’une formation diplômante, ce qui exclut les deux premières années de licence (L1 et L2). Dans le cadre de la spécialisation progressive des études mise en œuvre par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche (loi ESR) (98), il serait pourtant pertinent de développer l’offre d’apprentissage tout au long du cycle de licence, afin d’une part de permettre aux étudiants de préciser leur projet professionnel, et d’autre part de leur inculquer dès les premières années d’études supérieures une culture de l’entrepreneuriat et du monde professionnel. Les BTS constituent d’ailleurs l’une des seules formations permettant actuellement de répondre aux besoins exprimés par les interlocuteurs de vos rapporteures. Par ailleurs, l’article 22 de la loi ESR a complété l’article L. 611-2 du code de l’éducation afin de consacrer l’alternance comme mode d’organisation des enseignements supérieurs.
Il est aussi essentiel de déployer rapidement des formations adaptées aux besoins. Ainsi, selon l’Institut McKinsey global, les besoins en analyse de masses de données induiront, aux États-Unis, le recrutement de 140 000 à 190 000 spécialistes. Les besoins en data scientists seront évidemment tout aussi importants en France. Il faut donc faciliter la création de nouvelles formations et de nouveaux diplômes, qui pourraient être labellisés par des pôles de compétitivité afin de témoigner de leur potentiel d’avenir.
Dans le même temps, alors qu’a été fixé l’objectif d’amener 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur, il est nécessaire d’encourager le développement des licences professionnelles. L’ambition politique n’est pas tenable en se fondant uniquement sur des filières conceptuelles et générales. Les filières professionnelles, au-delà de leur adaptation au marché du travail, offrent également de nouveaux débouchés aux bacheliers issus de filière technique. Ainsi, à l’Université de Cergy-Pontoise, alors que le taux de réussite des bacheliers techniques en filière générale est de l’ordre de 3 %, il atteint 16 % en licence professionnelle. Dans ce contexte, les orientations de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche (99), promulguée à l’été 2013, permettront certainement de renforcer la place de la licence professionnelle. L’article 32 de la loi modifie l’article L. 612-2 du code de l’éducation, afin de souligner que le premier cycle des études de l’enseignement supérieur s’inscrit « dans la continuité des enseignements dispensés dans le second cycle de l’enseignement du second degré ». Par ailleurs, il complète les objectifs assignés à ce premier cycle par celui « d’accompagner tout étudiant dans l’identification et dans la constitution d’un projet personnel et professionnel, sur la base d’un enseignement pluridisciplinaire et ainsi d’une spécialisation progressive des études ». La notion de spécialisation progressive des études permet de repenser l’architecture des formations, en centrant les premières années sur un socle pluridisciplinaire et en repoussant l’orientation définitive dans une mention spécifique. Le pouvoir réglementaire a précisé ces dispositions (100), afin d’ouvrir davantage les licences professionnelles aux étudiants issus des formations générales, et pas uniquement aux étudiants issus de DUT ou de BTS. Vos rapporteures considèrent que ces évolutions vont dans le bon sens, de tels cursus pouvant être adaptés à la formation aux métiers du numérique (notamment les développeurs). Néanmoins, elles craignent qu’elles ne suffisent pas à développer les licences professionnelles. Il est en effet essentiel de valoriser ce type de formation, tant auprès des enseignants que des étudiants, qui ont tendance à percevoir ces formations comme une voie réservée aux étudiants « en échec ». Pourtant, comme le rappelait le rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, Refonder l’université, dynamiser la recherche : mieux coopérer pour réussir (101), « l’insertion professionnelle des alternants et apprentis est sensiblement meilleure ; d’après le Céreq (102), un diplôme de licence professionnelle en apprentissage met deux mois en moins que la moyenne pour trouver son premier emploi et gagne 4,5 % de plus ». La licence professionnelle constitue donc une sortie noble pour les étudiants, qui facilite l’insertion professionnelle et séduit les entreprises. À ce titre, vos rapporteures attendent la parution de l’arrêté fixant la nomenclature des mentions du diplôme national de licence professionnelle, après la parution des arrêtés relatifs au master et à la licence (103).
Par ailleurs, comme l’ont montré la Web@cademy ou, plus récemment, l’École 42, les besoins d’ingénieurs ou de développeurs formés à partir de cycles courts peuvent être une occasion pour les « décrocheurs » de reprendre une formation et de s’insérer sur le marché du travail, ce qui lutterait contre la stigmatisation de l’échec scolaire.
À l’autre bout du cycle universitaire, il est essentiel de mieux préparer l’insertion dans le milieu professionnel des docteurs. Les titulaires de doctorats éprouvent certaines difficultés à s’insérer sur le marché du travail, et optent souvent pour un parcours exclusivement centré sur la recherche, au sein d’un établissement public. Les écoles doctorales sont bien évidemment en partie responsables de cet état de fait, pour ne pas avoir suffisamment développé les liens avec les acteurs économiques, alors qu’ailleurs, la plupart des innovateurs radicaux qui ont fondé une start-up aujourd’hui de taille mondiale sont avant tout des docteurs… Mais, comme l’a souligné notre collègue Emeric Bréhier dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2014 (104), la première explication réside dans le fait que le doctorat est « un diplôme culturellement déconsidéré ». Trop souvent, le docteur est ramené au sujet de sa thèse, considéré comme un hyper spécialiste d’un micro-sujet, alors même que réaliser une thèse, c’est maîtriser des connaissances transversales et remettre en question ses hypothèses de départs pour parvenir à résoudre un problème complexe. Partout ailleurs, le docteur est choyé et valorisé, car il est vu comme une personne capable de comprendre les grands enjeux de la recherche et développement des vingt années à venir. Or, la recherche est un complément essentiel de l’innovation, et c’est pourquoi il faut concevoir des formations comprenant dès la première année des liens entre la recherche et l’innovation.
Vos rapporteures sont également préoccupées par l’écrasante inégalité de genre au sein des formations aux métiers du numérique, les femmes ne représentant que 22 % des emplois du secteur des technologies de l’information et de la communication selon Patricia Vendramin, chercheur à l’Université de Namur et spécialiste de l’impact du numérique sur le travail.
Propositions :
– Former des cohortes de data scientists.
– Dans le respect de leur autonomie, inciter les universités à réserver dix pourcents des bourses attribuées dans le cadre des contrats doctoraux à des sujets de recherche relatifs au numérique.
– Valoriser les licences professionnelles et revaloriser le doctorat.
L’enseignement supérieur à l’ère numérique : la stratégie du Gouvernement
L’Agenda numérique de l’enseignement supérieur est orienté autour de quatre axes : réussite (plus de 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur), accompagnement des équipes pédagogiques, infrastructures dans les campus, attractivité. Il repose sur 18 actions qui s’appuient sur la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Action 1 : Faciliter et renforcer la mise en place de dispositifs d’aide à l’orientation des lycéens et étudiants.
Action 2 : Favoriser la réussite des étudiants grâce à une pédagogie rénovée par le numérique.
Action 3 : Lancer une plate-forme nationale.
Action 4 : Favoriser une meilleure insertion professionnelle des étudiants grâce au numérique
Action 5 : Proposer une offre innovante de formations en ligne pour répondre aux besoins croissants de formation continue.
Action 6 : Former et accompagner les enseignants et les équipes pédagogiques à l’usage du numérique dans leurs pratiques pédagogiques.
Action 7 : Mieux reconnaître et valoriser, dans l’évolution de la carrière des enseignants-chercheurs, leur investissement pour intégrer le numérique dans leurs pratiques pédagogiques.
Action 8 : Accompagner les établissements dans la mise en place d’une stratégie numérique, en y consacrant 10 % des 1 000 postes par an attribués par le MESR.
Action 9 : Lancer une fondation France Université Numérique.
Action 10 : Intégrer des indicateurs numériques dans le suivi des contrats de site établis entre le Ministère et les sites universitaires.
Action 11 : Donner une impulsion forte à la recherche sur la pédagogie numérique (les digital studies) et notamment à la recherche dans l’e-éducation.
Action 12 : Inciter les établissements d’enseignement supérieur à rationaliser leurs infrastructures informatiques, en mutualisant et sécurisant leurs données dans des data center éco-responsables.
Action 13 : Offrir des services en Cloud aux établissements, notamment pour les applications de gestion (finances, R.H., scolarité...) et les plates-formes pédagogiques.
Action 14 : Intégrer le numérique et l’évolution pédagogique qu’il induit dans les constructions et les rénovations de bâtiments universitaires.
Action 15 : Encourager et développer les services numériques pour les établissements et les usagers (messagerie, listes de diffusion, services de visio-conférence, faciliter le Wi-fi, etc.).
Action 16 : Rendre plus performants les systèmes d’information des établissements et l’interopérabilité entre établissements.
Action 17 : Développer une action spécifique à destination de la francophonie.
Action 18 : Articuler les initiatives françaises avec les stratégies européennes et internationales.
2. La formation professionnelle continue
Le 5 mars 2014, le Président de la République a promulgué la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (105), qui crée notamment un compte personnel de formation. Ce texte transpose pour l’essentiel les dispositions de l’accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle conclu entre les partenaires sociaux le 14 décembre 2013, et tire les conséquences des nombreux rapports publiés ces dernières années. Cette réforme était attendue, quarante-quatre ans après la signature d’un accord national interprofessionnel, le 9 juillet 1970, qui a fondé le système de formation professionnelle continue. Pour autant, les enjeux de formation continue et professionnelle demeurent considérables dans le contexte de la révolution numérique.
Vos rapporteures l’ont souligné en première partie du présent rapport, le stade ultime de la révolution numérique, qui se traduira par la création de nouveaux services et produits et la reprise de la croissance, n’est pas encore atteint. Pour l’heure, le numérique continue de bousculer la structure historique de l’économie, renforçant ainsi l’impact de la crise économique et financière sur l’emploi. Or, l’une des difficultés principales à laquelle sont confrontées les personnes qui perdent leur emploi est l’allongement de la sortie de la phase de destruction par rapport aux crises précédentes : la crise actuelle est plus longue, ce qui accroît la perte de compétences.
Au-delà du stock considérable de personnes éprouvant un besoin de formation, près de 60 % des employés exercent actuellement des activités qui sont directement touchées par le numérique, et pourraient être effectuées par des applications informatiques (106). Certains métiers sont appelés à disparaître – vos rapporteures ont déjà évoqué le cas des employés de caisse, mais ce constat s’applique à nombre de fonctions de back office – tandis que d’autres vont profondément évoluer. En résumé, tous les métiers de l’intermédiation sont concernés, « les cols blancs vont être massivement touchés, comme l’ont été massivement et le sont encore les cols bleus du fait de la seconde révolution industrielle et le furent les ouvriers agricoles lors de la première » selon Marc Giget.
Plus largement, personne, dorénavant, ne travaillera en fin de carrière avec les technologies de sa jeunesse.
L’enjeu principal est un vaste programme d’éducation, de formation et d’adaptation des compétences pour éviter un éclatement de la société. En effet, alors qu’un très grand nombre de métiers seront bouleversés par le numérique, voire amenés à disparaître, il est essentiel de mener des programmes de formation permettant à des personnes se trouvant sans emploi de réorienter complètement leur parcours professionnel, en leur apportant de nouvelles compétences. Pour l’heure, les acteurs de la formation professionnelle et continue n’ont pas su répondre aux enjeux, et les chambres consulaires comme les organisations patronales ont une lourde responsabilité dans le retard pris par les entreprises françaises, en particulier les PME et les TPE, à assurer leur conversion numérique et la formation des salariés.
Le 14 janvier dernier, Syntec Numérique a publié ses propositions pour adapter l’offre de formation professionnelle au numérique, en insistant notamment sur les personnes en activité et celles en situation de recherche d’emploi. Le syndicat de la filière numérique appelle notamment à favoriser et encourager le développement des nouvelles modalités pédagogiques de formation professionnelle, que ce soit au sein des entreprises ou au sein des organismes de formation. Le développement des outils de formations professionnelles numérisés (e-learning, MOOC) permet en effet d’enrichir substantiellement l’offre proposée tout en permettant de rendre compatibles les actions de formation avec le rythme de vie des travailleurs, leur situation professionnelle et personnelle et l’activité de l’entreprise.
Par ailleurs, des actions spécifiques doivent être menées à destination des informaticiens en situation d’emploi ou de recherche d’emploi. Si nombre d’entre eux demeurent à la pointe de la technologique, en raison de leur appétence naturelle pour l’innovation informatique, nombreux sont ceux qui ne disposent plus des compétences adaptées aux évolutions technologiques.
Proposition :
– Élargir le champ des activités reconnues par la formation professionnelle aux supports numériques : MOOC, e-learning etc.
I. DIFFUSER UNE CULTURE DU NUMÉRIQUE
Comment peut-on encore parler de « nouvelles » technologies de l’information et de la communication, alors que l’Internet connecte plus de 2,5 milliards de personnes à travers le monde ? C’est l’une des interrogations que vos rapporteures ne seront pas parvenues à résoudre…
L’informatique existe depuis soixante-dix ans, l’ordinateur personnel est popularisé depuis les années 1980, tandis que l’Internet tel que nous le connaissons aujourd’hui a été inventé au début des années 1990, avant de prendre son essor au tournant du siècle, soit il y a plus de quinze ans. Les bacheliers de 2014 sont pour l’immense majorité d’entre eux nés l’année de la fondation d’Amazon !
Le numérique est encore trop perçu comme une révolution technologique. Si chacun perçoit que quelque chose se passe, la révolution numérique demeure trop abstraite, et tant qu’elle ne sera pas assimilée par la société comme le moyen de retrouver la croissance, notre pays ne s’y engagera pas pleinement. Quelle en est la raison ?
Autant les usages du numérique se diffusent rapidement dans la société, car nos concitoyens voient immédiatement les bénéfices apportés par ces nouveaux services ; autant la compréhension des enjeux de transformation brutale de notre économie et de notre société reste le fait d’un faible nombre, souvent directement impliqué dans le développement du numérique. Il est primordial de mieux et plus diffuser la culture du numérique et le « changement de monde » qu’elle entraîne.
Plusieurs canaux essentiels à la diffusion d’une culture numérique doivent être mobilisés : l’école, bien sûr, le discours politique, évidemment, et les médias, trop frileux à certaines exceptions près.
Vos rapporteures ont déjà eu l’occasion d’exposer l’impérieuse nécessité qu’il y a à former au numérique à l’école et à l’université, par une éducation au numérique, mais également le développement d’un goût de l’innovation et de l’entrepreneuriat. L’accroissement de l’association des entrepreneurs aux activités scolaires et les rencontres avec des innovateurs dès le plus jeune âge, sont une nécessité afin de répondre à une question bien réelle : comment susciter l’intérêt pour l’innovation dès le plus jeune âge ?
À ce titre, vos rapporteures tiennent à souligner l’action de l’association « 100 000 entrepreneurs », fondée en 2007 par Philippe Hayat, qui organise des témoignages bénévoles d’entrepreneurs dans les établissements scolaires, de la troisième à l’enseignement supérieur, en partenariat avec les enseignants, les chefs d’établissement et l’Éducation nationale.
La mobilisation sur Twitter, aussi inédite que compréhensible, des acteurs du numérique en faveur du maintien de Fleur Pellerin à la tête d’un grand ministère du numérique peu avant l’annonce de la composition du Gouvernement de Manuel Valls (107) témoigne de l’évolution de la situation, en même temps qu’elle retranscrit une angoisse de la part du monde de l’innovation de perdre un interlocuteur à leur écoute : les responsables politiques saisissent davantage qu’avant les enjeux de la révolution numérique, mais ils sont encore trop peu nombreux…
Le numérique doit être une composante essentielle des discours au plus haut niveau de l’État et si le récent déplacement du Président de la République à San Francisco (108) comme l’accroissement de la fréquence d’utilisation du mot « numérique » dans les discours des responsables politiques de toutes tendances témoigne d’une évolution, nous sommes en retard au regard du Royaume-Uni et des États-Unis. Pour Gilles Babinet et Nicolas Colin, la maxime affichée sur le mur du fond du pavillon des machines lors de l’Exposition universelle de 1900, le Progrès est la lumière des nations, reflète une période où « notre nation alors ne doutait pas d’elle-même. C’était la Belle Époque, une ère de croissance économique et de propagation d’innovations technologiques majeures – l’électricité, le téléphone, le chemin de fer, la photographie et le cinéma, les engrais, et de nombreuses autres » (109).
La responsabilité des hommes et des femmes politiques est d’anticiper, de prévoir et d’accompagner les citoyens dans les changements à venir, afin d’assurer l’avenir de notre société et de faire honneur au mandat qui leur a été confiée. Aujourd’hui, cette responsabilité prend notamment la forme de la promotion du numérique. Au Parlement, le numérique est encore trop souvent abordé par son côté destructeur et pas suffisamment par son aspect créateur. Aux yeux de vos rapporteures, l’un des objectifs du présent rapport est aussi d’adresser un message à leurs collègues : le numérique est porteur de croissance, d’emploi et de progrès.
Promouvons-le !
Pour ce faire, il faut dépasser la frontière technologique et même l’usage, afin de construire un projet de société numérique.
Lors de leur entretien avec Vincent Worms, dans les bureaux de Partech International à San Francisco, ce dernier a expliqué à vos rapporteures combien la culture de l’entreprise était mise en avant dans la baie de San Francisco, l’évolution des entreprises numériques étant scrutée de près, et fortement médiatisée. La presse constitue l’un des éléments essentiels de l’écosystème de la Silicon Valley, en particulier le site Techcrunch (110), véritable référence sur le numérique.
En France, le numérique n’est souvent traité par les médias généralistes que sous l’angle technologique, et par des spécialistes. Plusieurs sites spécialisés (111) ont été créés au fil des ans, mais malgré la qualité de leur contenu, ils ne disposent pas encore de l’écho « grand public » de Techcrunch.
Au-delà des supports, c’est aussi le contenu qui importe. Alors que la presse française est, de l’aveu de nombre d’entre eux, « plutôt favorable à promouvoir les entrepreneurs », il faut absolument raconter leurs histoires. La légende est une composante essentielle de toute promotion – que l’on pense simplement au fondateur de start-up dans son garage. La production et le succès des films The Social Network (112), Jobs (113), ou The Internship (114), racontant respectivement l’histoire de la fondation de Facebook, la vie de Steve Jobs ou le parcours loufoque de deux anciens VRP décrochant un stage chez Google, montrent combien ces entreprises et leurs fondateurs exercent une fascination sur les gens. En France, seul Xavier Niel, en raison de sa personnalité principalement, jouit réellement d’une réputation comparable à celles de ses homologues anglo-saxons. Pourtant, nous disposons d’entrepreneurs reconnus à l’étranger. Tariq Krim a ainsi établi une première liste, non exhaustive, de cent développeurs français qui comptent, rappelant à cette occasion qu’ « on le sait peu, mais le co-fondateur de Linkedin est un Français, celui d’Android aussi, des Français ont participé à la création de Google Cloud, de l’iPhone, de Gmail… Or, en France, on a tendance à considérer ces personnes, présentes dans des universités ou des entreprises, comme de simples exécutants, tandis qu’aux États-Unis ce sont des stars, extrêmement valorisées » (115) .
Il faut donc raconter les histoires des entreprises qui ont réussi, afin de donner l’exemple, de montrer que tout est possible, et d’encourager les plus jeunes à se lancer. Aux États-Unis, la plupart des entrepreneurs fondent une start-up pour changer le monde, certes, mais également dans l’espoir de créer une one-billion company.
II. CRÉER UN ENVIRONNEMENT PROPICE À L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE
A. FACILITER LA VIE DES ENTREPRISES
L’un des freins essentiels à la création de nouvelles entreprises – pas seulement numériques – et à leur croissance réside dans l’extrême complexité des procédures administratives françaises. À San Francisco ou Sydney, il s’agit de l’un des premiers éléments mis en avant par les jeunes entrepreneurs français rencontrés par vos rapporteures pour justifier la décision de se lancer hors de France. Afin de remédier à cette situation et faciliter la vie des entreprises, il faut agir sur deux axes : le stock et le flux.
o Le stock
S’agissant du stock, plusieurs mesures ont été prises depuis quelques années. Sous la précédente législature, plusieurs lois de simplification du droit avaient été adoptées, à l’initiative du président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, en vue d’alléger les démarches administratives et d’améliorer la qualité du droit.
Depuis un an, le Gouvernement a engagé un « choc de simplification », précisé lors du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 17 juillet dernier, et déjà matérialisé par plusieurs textes législatifs. La simplification poursuit quatre principes : (i) le principe du « un pour un », selon lequel le coût des normes nouvelles devra être strictement compensé par le coût des normes supprimées ; (ii) le principe du « silence de l’administration vaut accord » ; (iii) le principe de la « confiance a priori », selon lequel les entreprises ne seront plus tenues, pour diverses démarches, d’adresser les pièces justificatives mais seulement de les tenir à disposition en cas de contrôle ; (iv) le principe du « dites-le-nous une fois », qui vise à éviter les redondances alors que les entreprises sont sans cesse sollicitées afin de communiquer les mêmes informations à des administrations différentes – entre dix et quinze fois le chiffre d’affaires par exemple.
Ce dernier principe, annoncé dès le « Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », est en cours de déploiement par le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP). Afin de réduire les sollicitations, le Gouvernement a souhaité que les administrations mutualisent davantage les informations qui leur sont nécessaires. Ce programme repose sur trois leviers de simplification :
– la réingénierie afin de s’assurer que les informations demandées lors de démarches administratives soient réellement nécessaires pour instruire une demande et de rendre les démarches plus claires, lisibles et compréhensibles ;
– la dématérialisation des démarches afin de les rendre plus accessibles, personnalisées, plus faciles à transmettre et plus interactives ;
– l’échange des données entre administrations, afin de ne plus solliciter les entreprises sur des informations déjà détenues par une autre administration. L’échange de données permet également de sécuriser la qualité des informations reçues par les administrations.
Les objectifs sont ambitieux : réduction de 30 % de la redondance en 2015, de 50 % en 2017 et de 100 % à horizon de 10 ans.
Au-delà, notre collègue Thierry Mandon, ainsi que Guillaume Poitrinal, chef d’entreprise, ont été désigné pour co-présider le Conseil de la simplification, chargé de piloter les mesures de simplication, tandis que dans chaque ministère, des chefs de projets mandatés par le Premier ministre conduisent les projets de simplification en association les administrations, les entreprises et les organisations professionnelles. Cette démarche collaborative et ascendante est à saluer tant elle correspond au mode de fonctionnement du numérique.
Si certaines mesures avaient été annoncées dès la clôture des Assises de l’entrepreneuriat, une étape décisive a été franchie le 14 avril dernier, avec la publication des cinquante premières mesures de simplification. Certaines sont d’application directe tandis que d’autres seront prises au plus tard à la fin de l’année 2014.
Parmi les mesures listées, vos rapporteures se satisfont particulièrement de l’annonce de la réduction du nombre de statuts pour les entreprises individuelles, de l’allégement des autorisations préalables à la création d’entreprise et de la modernisation de certaines tâches quotidiennes qui entraînent un « coût caché » pour les entreprises, comme la simplification de la fiche de paie ou la création d’un « chèque emploi » permettant de faciliter les démarches d’embauche des PME. Par ailleurs, elles rappellent combien il est essentiel que l’administration évalue l’impact de toute nouvelle norme sur les entreprises, comme y invitait déjà en 2011 la circulaire de François Fillon, Premier ministre, relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales (116), aux termes de laquelle « l’élaboration de tout projet de loi, d’ordonnance, de décret ou d’arrêté comportant des mesures concernant les entreprises, c’est-à-dire susceptibles d’avoir une incidence sur elles, tout particulièrement sur les petites et moyennes entreprises et sur les entreprises du secteur industriel, appelle une analyse d’impact circonstanciée. » MM. Mandon et Poitrinal ont repris cette proposition, ce qui témoigne des progrès à réaliser en la matière. Partisanes depuis longtemps du développement de la culture de l’étude d’impact économique au sein de l’administration, elles ne comprennent pas que de telles évaluations ne soient pas systématiquement menées depuis longtemps…
o Le flux
S’agissant du flux, c’est-à-dire de la vigilance quant à l’édiction de nouvelles normes, les élus portent, reconnaissons-le, une part de responsabilité, tant au niveau national que local. Afin de mieux légiférer, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a décidé, le 1er octobre dernier, de la création d’une mission d’information dont la présidence a été confiée à l’une de vos rapporteures. Cette mission, dont les conclusions seront rendues en juillet 2014, vise à provoquer un « changement de culture normative » en s’inspirant des exemples étranger. Elle fera des propositions pour simplifier la législation.
B. FACILITER L’ÉMERGENCE D’ÉCOSYSTÈMES VERTUEUX
Le modèle de la Silicon Valley n’est pas reproductible en France. D’après Greg Horowitt, cofondateur du fonds d’investissement T2 Venture Creation, que vos rapporteures ont rencontré lors de leur déplacement à San Francisco, un écosystème performant (117) se construit comme la forêt tropicale – qui laisse pousser la mauvaise herbe et garantit la diversité, mais nécessite de profondes racines pour continuer à croître. La construction d’un écosystème dépend, par ailleurs, des conditions climatiques, géographiques, territoriales. C’est pourquoi un modèle ayant réussi dans un pays ne peut être reproduit tel quel, car certains changements peuvent être opérés tandis que d’autres constituent l’ADN d’un pays. En d’autres termes, il faut, selon lui, comprendre le génome du pays et ensuite mettre en place des politiques adaptées. À titre d’exemple, la constitution d’un seul écosystème numérique en France, localisé en région parisienne n’est pas compatible avec l’exigence de garantir un développement équilibré des territoires, d’autant plus que des régions ont mené des politiques très innovantes en matière de numérique et disposent aujourd’hui d’écosystèmes dynamiques.
1. Les acteurs de l’écosystème français
La création d’écosystèmes est particulièrement adaptée à la situation française et de grands pôles numériques territoriaux ont déjà émergé. En région parisienne bien évidemment, mais aussi en Bretagne, qui a su tirer profit de la présence historique des entreprises du secteur des télécommunications à Lannion, Brest et Rennes, pour construire un écosystème performant (118), comme en Isère autour de Grenoble et des institutions de recherche qui y sont installées ainsi que dans la région de Toulouse, tirée par le développement de la filière aéronautique. Ces écosystèmes font intervenir un certain nombre d’acteurs. Vos rapporteures ont déjà souligné l’importance des investisseurs et des établissements d’enseignement.
o Les incubateurs et les accélérateurs
Un écosystème numérique repose aussi sur des incubateurs et des accélérateurs (119), qui accompagnent des projets de création d’entreprises, en termes d’hébergement, de conseil et de financement, lors des premières étapes de la vie de l’entreprise. Ils peuvent être rattachés à un organisme de recherche, à une école, à d’autres structures comme les technopôles, les pôles de compétitivité ou être des structures privées. Certains incubateurs publics ou parapublics, et toutes les structures privées, offrent leurs services en contrepartie d’une entrée au capital de l’entreprise, de l’ordre de 1 % à 10 % (120) , de manière à réaliser une plus-value lors de la cession de la société à un acquéreur, ou lors de son éventuelle introduction en Bourse.
À l’heure actuelle, l’attention autour des incubateurs se focalise sur le projet porté par Xavier Niel autour de la transformation en un incubateur, le plus grand du monde, de la Halle Freyssinet, une ancienne halle de messagerie de la SNCF de 30 000 mètres carrés classée monument historique. L’objectif est, à terme, de rassembler dans un même endroit tous les services nécessaires à l’émergence d’une start-up et d’accueillir près de 1 000 start-up. L’univers des incubateurs et accélérateurs privés a fortement été renouvelé par la création de structures comme Le Camping numérique ou, plus récemment, The Family.
Le nombre d’incubateurs et d’accélérateurs a crû de manière exponentielle au cours des deux dernières années, faisant craindre à vos rapporteures un effet « bulle ». Les incubateurs et accélérateurs ne présentent pas tous le même niveau de performance. Une multiplicité de facteurs entrent en jeu : qualité des équipes, des événements, de l’accompagnement et des services proposés. Derrière les plus connus, quel est l’apport des plus petites structures ? Alors qu’aucune étude, à la connaissance de vos rapporteures, n’a permis d’évaluer ces structures, une cartographie pourrait être nécessaire, en même temps qu’une évaluation, notamment de celles qui bénéficient de subventions publiques.
o Les fab labs
Parallèlement, les fab labs (121) numériques se sont développés. Il s’agit d’espaces de travail ouverts à tous, moyennant une contribution financière souvent modeste, permettant de rassembler en un même lieu des innovateurs travaillant sur des projets différents, pouvant s’entraider, parfois découvrir des projets communs et les fusionner. L’idée centrale, inhérente au numérique, est de favoriser l’émulation par la collaboration, l’échange et le foisonnement d’idées. Selon le CGSP, « ces dispositifs mutualisent les outils technologiques de pointe afin de les rendre accessibles à un grand nombre de personnes, capables d’en imaginer des usages ou des projets nouveaux, par l’intelligence collective ». Afin de multiplier ces structures, le Gouvernement a lancé un appel à projets « Aide au développement des ateliers de fabrication numérique », dont les résultats ont été dévoilés en décembre dernier. Au total, cent cinquante-quatre dossiers ont été déposés en provenance de vingt-trois régions dont 70 % en dehors de l’Ile-de-France. Quatorze dossiers ont été retenus, sur tout le territoire et de façon à refléter la diversité des projets : le projet FabLab Pro de l’association Artilect, à Toulouse, le LabFab de l’association BUG, à Rennes, l’EcoLab Côte d’Azur, à Nice, le projet Fabmake, au Bouguenais près de Nantes, le projet L’Usine, à Paris, le projet Polab, à Vic-sur-Cères, le projet Manche Lab, le projet Fablab Calais, le projet de Fablab Orléans, le Fablab Val-de-Drôme, à Crest dans la Drôme, le projet ICI, à Montreuil, le projet Smart materials, à Charleville-Mezières, le projet sBis, à la Roche-sur-Yon, et le projet FabCLub de l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle.
o Les pôles de compétitivité
Créés en 2004, les pôles de compétitivité constituent un élément essentiel des écosystèmes numériques. Ils incarnent même le concept d’écosystème, étant définis par la loi de finances initiale pour 2005 (122) comme « le regroupement sur un même territoire d’entreprises, d’établissements d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche publics ou privés qui ont vocation à travailler en synergie pour mettre en œuvre des projets de développement économique pour l’innovation ». La France compte soixante et onze pôles de compétitivité dont sept pôles mondiaux et onze à vocation mondiale. Ces pôles, issus d’initiatives locales, concernent la plupart des secteurs d’activité (domaines technologiques en émergence, domaines plus matures tels que l’automobile ou l’aéronautique) y compris les écotechnologies depuis 2010. Plusieurs pôles sont tournés vers le numérique, les plus importants d’entre eux étant Images-et-Réseaux en Bretagne Cap Digital et System@tic Paris-Région en Île-de-France.
Comme le rappelait notre collègue Christophe Borgel, dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances initiale pour 2013 consacré à la recherche industrielle (123), « une première évaluation conduite en 2008 a conclu au succès des premières années de la politique des pôles de compétitivité. Sur cette base, le Gouvernement a décidé, au cours de l’été 2008, de pérenniser cette dynamique pour une nouvelle période de trois ans dite phase « Pôles 2.0 ». Une évaluation externe réalisée en 2012 a recommandé le lancement d’une troisième phase de la politique des pôles ». Les contours de cette troisième phase vers des Pôles 3.0 ont été précisés en février 2013. Il s’agit de faire des pôles des usines à produits d’avenir, et de renforcer l’accompagnement des PME « dans quatre domaines principaux en lien avec les régions : l’accès au financement privé, l’internationalisation, l’accompagnement des PME et l’anticipation des besoins en compétences ». À la connaissance de vos rapporteures, cette phase est à l’arrêt.
o Les IRT
Par ailleurs, afin de renforcer le rôle d’écosystème des pôles de compétitivité, huit instituts de recherche technologiques (IRT) ont été créés en 2011, dont deux concernent directement le numérique : l’Institut B-Com adossé au pôle de compétitivité Images-et-Réseaux en Bretagne et l’Institut SystemX adossé au pôle de compétitivité System@tic en Île-de-France. Les IRT sont des instituts thématiques pluridisciplinaires rassemblant les compétences de l’industrie et de la recherche publique dans une logique de co-investissement public-privé et de collaboration étroite entre tous les acteurs, qui doivent permettre de renforcer les écosystèmes constitués par les pôles de compétitivité. Ils ont vocation à couvrir l’ensemble du processus d’innovation. Compte tenu de la connaissance fine qu’ont développée les pôles de compétitivité et les IRT de leurs territoires et des entreprises de leur secteur, il est essentiel de renforcer leur association à l’essor d’un écosystème vertueux.
o Les entreprises existantes
Enfin, les entreprises existantes participent à la constitution d’écosystèmes, en favorisant l’émulation par leur politique d’achat. Malgré les faiblesses des directions achats déjà soulignées par vos rapporteures, certaines grandes entreprises françaises, à l’instar de Dassault Systèmes (124), sont essentielles à l’émergence de nouvelles pépites. Afin de renforcer l’importance accordée au numérique au sein des grands groupes, vos rapporteures encouragent à ce que les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 comprennent un membre ayant fondé une start-up innovante. S’il paraît difficile juridiquement d’imposer par la loi une telle évolution, sur le modèle des modifications apportées au code de commerce par la loi de 2011 relative à la représentation des femmes au sein des Conseil d’administration (125), il pourrait être pertinent d’inciter fortement les entreprises du CAC 40 à inclure dans leurs statuts une disposition de ce type.
Le rôle des collectivités territoriales dans l’émergence d’un écosystème : l’exemple de la région Bretagne
La région Bretagne constitue une référence en matière de politique numérique et d’animation d’un écosystème, qui rassemble 44 000 emplois et 650 entreprises dans le secteur, dont un tissu très dynamique de start-up, PME, grands groupes et établissements d’enseignement supérieur sans oublier la présence d’un pôle de compétitivité de compétence mondial, Images et Réseaux, et d’un IRT performant, B-com. La politique numérique régionale – « Bretagne numérique », adoptée dès 2011- est mise en œuvre par le Service du développement numérique (SDENUM).
La Bretagne a décidé de s’investir très fortement pour entrer dans l’ère du numérique pour tous. L’ambition est double : doter la région d’un réseau d’infrastructures 100 % très haut débit mais aussi accompagner et promouvoir le développement des usages, en ne laissant aucun Breton à l’écart de la société numérique.
Cette initiative repose notamment sur :
- Le très haut débit
Alors que l’aménagement d’une infrastructure régionale à très haut débit nécessite un investissement de l’ordre de 2 milliards d’euros, la région mobilise depuis 2011 un plan d’investissement inédit pour accompagner le déploiement prévoyant notamment 60 millions d’euros en 2014 et 100 millions d’euros en 2015. L’objectif est de constituer un réseau régional 100 % très haut débit à tarif, accessible à tous, avec le support fibre jusqu’à l’abonné (FTTH) pour 2030.
- Une politique d’appels à projets innovants
Depuis 2007, la région a lancé dix appels à projets, permettant de retenir une cinquantaine de projets, bénéficiant à 75 entreprises pour un montant de deux millions d’euros, afin de soutenir les pépites de demain tout en participant à la conversion numérique de la région.
- Une bibliothèque numérique
Point d’accès commun à un ensemble de contenus sonores, audiovisuels, photographiques, écrits détenus par les acteurs culturels régionaux (Cinémathèque de Bretagne, Ina, musées, bibliothèques…), la bibliothèque numérique sera un outil de valorisation du patrimoine et de la culture.
- Campus numérique européen
Premier campus numérique européen, le campus numérique breton dotera chaque site de l’Université européenne de Bretagne de services et d’outils numériques de haute qualité pour développer de nouveaux usages et service collaboratifs au service de l’enseignement supérieurs.
- Des Visas internet pour s’initier aux Tics
La région Bretagne a lancé les visas internet pour lutter contre la fracture numérique : un chèque régional d’un montant de 100 euros est attribué aux personnes qui souhaitent se former aux nouvelles technologies dans le cadre d’un suivi individualisé pour des actions de formations.
- « Smart grids » pour gérer sa consommation d’énergie
Dans le cadre de son pacte électrique, la région utilisera les « smart grids » pour expérimenter des boucles énergétiques intelligentes et permettre de mieux maîtriser sa consommation d’énergie.
- Breizhgo, le site web des transports collectif
Le portail Breizhgo, lancé en 2010, propose de nombreux services aux voyageurs : calcul d’itinéraires, horaires du réseau, alertes, une carte du réseau selon son quartier...
- Open data
Un premier projet – GéoBretagne – a permis de donner accès aux informations géographiques du territoire (localisation des lycées, atlas éolien, contours des parcs naturels, etc.). A l’avenir, une seconde étape permettra d’ouvrir les données générales que possède la région.
La région a plus récemment décidé d’enrichir le dispositif d’actions clés comprenant :
- Soutien à la promotion et au développement des services liés à l’e-administration
Le syndicat mixte e-Megalis entend fédérer les collectivités autour des enjeux numériques. Il a ainsi développé des compétences favorisant le développement de nouvelles pratiques au sein des collectivités, l’acquisition d’une nouvelle culture et l’usage des services numériques.
- Consolidation du réseau de l’accès public au numérique
Un projet « Nouveaux usages – Nouvel espace » permettra de mettre en exergue les axes de développement des espaces numériques en Bretagne afin de mener une réflexion sur leur avenir et sur les services nouveaux qu’ils pourraient proposer aux usagers. La Région entend également repositionner le numérique comme un outil au service des problématiques locales et permettant de développer l’innovation sociale.
- Accompagnement de projets innovants
Par son soutien et l’organisation d’évènements de grande ampleur au niveau régional, la Région a permis et entre permettre l’émergence et la concrétisation d’initiatives innovantes (fablabs, MOOC, etc.).
Vos rapporteures ont noté qu’il était parfois complexe, pour de jeunes entrepreneurs, d’identifier le bon interlocuteur au sein de l’écosystème français. Pour remédier à ce handicap, vos rapporteures considèrent que la mise en place d’une plate-forme publique – système expert (126) – permettrait d’aiguiller les entrepreneurs vers le bon interlocuteur au regard de ses besoins. Il s’agirait d’une infrastructure efficace pour simplifier la vie des entrepreneurs. Bpifrance avait d’ailleurs annoncé vouloir lancer un tel projet.
Propositions :
- Évaluer les incubateurs et accélérateurs bénéficiant de crédits publics.
- Ajouter dans les critères d’évaluation des pôles de compétitivité un critère relatif à l’identification des pépites du numérique.
- Inciter à ce que les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 comprennent un membre ayant fondé une start-up innovante.
L’écosystème numérique français a ainsi évolué et le lancement de la French Tech (127) marque une étape décisive dans la reconnaissance de plusieurs écosystèmes performants sur tout le territoire. La French Tech, annoncée le 27 novembre 2013, prend la suite de l’initiative Quartiers numériques, lancée huit mois plus tôt par le Gouvernement. La French Tech s’inspire d’initiatives menées par nos partenaires en faveur du développement des start-up, comme Tech City à Londres, Start-up Berlin en Allemagne, Start-up Initiative aux États-Unis, Start-up Brazil ou Start-up Chile (128), qui visent avant tout à renforcer les écosystèmes numériques au service du développement des start-up.
L’objectif est ainsi de créer un environnement vertueux permettant de retrouver la croissance et de créer des emplois. Comme le rappelait Fleur Pellerin à l’occasion de la présentation de cette initiative, « l’innovation et la croissance des start-up se font sur le terrain, en soutenant les entrepreneurs ambitieux, et ne se décident pas dans un bureau ou dans une administration. À cet égard, les collectivités territoriales font un travail quotidien au contact des porteurs de projets », par la connaissance de leur territoire et leur proximité vis-à-vis des acteurs économiques et des citoyens. Il s’agit donc de passer d’une logique top-down à une logique bottom-up.
L’initiative French Tech (129) est dotée de 215 millions d’euros, dans le cadre des Investissements d’avenir, et repose sur trois leviers d’intervention :
- la mobilisation des écosystèmes, en labellisant, sous le nom de Métropole French Tech, quelques territoires qui répondront aux caractéristiques suivantes : un écosystème numérique dynamique et d’une taille critique, un réseau d’acteurs publics et privés efficace, un portefeuille de programmes d’accélération d’entreprises numériques, un environnement urbain favorable, lisible et attractif développé par les collectivités territoriales ;
- l’accélération de la croissance des start-up, en vue de constituer des leaders mondiaux, plutôt que d’accompagner la création d’entreprises. 200 millions d’euros sont ainsi destinés à soutenir des dispositifs d’accélération d’entreprises, sous la forme d’un co-investissement minoritaire de l’État ;
- l’attractivité internationale, fondée sur la mise en réseau des Métropoles French Tech et sa promotion internationale. 15 millions d’euros sont réservés à des actions en ce sens.
La French Tech repose donc avant tout sur le dynamisme des collectivités territoriales. Si la région parisienne fait figure de locomotive en raison d’une concentration très élevée des acteurs du numérique, l’ensemble du territoire est concerné par cette initiative, au service d’une politique d’aménagement du territoire performante et équilibrée. Plusieurs agglomérations ont ainsi annoncé leur intérêt dès le lancement de la French Tech. Parmi elles, on trouve Paris, Marseille, Lyon, Montpellier, Grenoble, Nancy, Bordeaux, Lille ou Nantes. Rennes et Brest.
C. DÉPLOYER LE TRÈS HAUT DÉBIT
La réduction de la fracture numérique, le développement de nouveaux usages, l’apparition de nouvelles start-up, le renforcement de la compétitivité des entreprises et de l’attractivité des territoires sont conditionnés à la mise en place d’infrastructures de télécommunications performantes. Le très haut débit se définit comme la possibilité d’accéder à un débit descendant supérieur à 30 Mégabits par seconde (Mbps).
Lancé sous la précédente majorité, le plan de déploiement du très haut débit a été confirmé et précisé par le Président de la République, François Hollande, le 20 février 2013, conformément au quatrième de ses soixante engagements de campagne, puis précisé en mai 2013. Désormais dénommé « Plan France Très Haut Débit », il a pour ambition de couvrir intégralement le territoire en très haut débit d’ici 2022 – objectif intermédiaire de 50 % de la population en 2017 – grâce à un investissement public et privé de 20 milliards d’euros.
Quelles sont les technologies mises en œuvre ?
Dans le cadre du déploiement du très haut débit, plusieurs technologies sont mises en œuvre.
- La fibre optique
La fibre optique est un tube de verre permettant de transporter des données à la vitesse de la lumière, par le biais d’un signal lumineux. A l’inverse de l’ADSL, le débit peut être symétrique, c’est-à-dire identique pour la réception (débit descendant) et l’envoi de données (débit ascendant).
La fibre optique est utilisée dans les réseaux de télécommunications depuis les années 1980, notamment dans les liaisons sous-marines et intercontinentales. Depuis la fin des années 1990, des fibres optiques ont été déployées le long des autoroutes, des voies navigables et des voies ferrées).
- La montée en débit
La montée en débit est une opération qui consiste à remplacer systématiquement les câbles en cuivre situés en amont des répartiteurs (NRA) par une alimentation en fibre optique. En effet alors que le raccordement par un câble de cuivre limite les débits à 2 Mbit/s en moyenne, les relier en fibre optique permet généralement de disposer de 10 Mbit/s ou plus.
Une opération de montée en débit (FttN) peut être particulièrement adaptée à certains territoires : c’est notamment dans les cas d’habitats assez rapprochés où la technologie VDSL2 peut apporter rapidement des débits très importants sur le réseau cuivre.
- Les technologies hertziennes
Pour améliorer rapidement le débit dans les zones les plus rurales et les habitats les plus isolés, le Plan France Très Haut Débit soutient aussi le déploiement de technologies hertziennes. Ces technologies permettent de transférer des données par des ondes radios. Les récentes innovations technologiques permettent d’offrir un très bon haut débit aux habitats pour lesquels le déploiement de la fibre optique ne peut être envisagé qu’à long terme. Le Plan France Très Haut Débit soutient ainsi trois types de réseaux hertziens :
i) la nouvelle génération de satellite.
ii) le Wimax, une technologie hertzienne qui passe par des relais terrestres.
iii) des innovations sont en cours pour apporter de l’internet en situation fixe par les réseaux mobiles (avec une petite antenne à la fenêtre). C’est ce qu’on appelle les technologies LTE pour Long Term Evolution dont la 4G fait partie. Des expérimentations sont menées dans le cadre du Plan France Très Haut Débit.
Au 31 décembre 2013, 8,6 millions de foyers étaient connectés au très haut débit via un réseau de fibre optique jusqu’à la rue ou jusqu’au pied de l’immeuble (FFTS – fiber to the street ; FTTB – fiber to the building), 3 millions via un réseau de fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH – fiber to the home) et plus d’un million en VDSL2 (réseau cuivre amélioré via une bande de fréquences plus large que celle de l’ADSL, permettant d’augmenter le débit entre le répartiteur et l’abonné final).
Les modalités de déploiement du très haut débit dépendent de la zone concernée :
– Dans les zones dites « conventionnées », qui correspondent aux zones denses, les opérateurs privés s’engagent à déployer des réseaux de fibre optique, mutualisés, jusqu’à l’abonné pour l’ensemble des habitants d’ici 2020. Les déploiements sont effectués dans le cadre de « conventions », entre les opérateurs, l’État et les collectivités territoriales concernées. Le déploiement du très haut débit dans ces zones, qui représentent 57 % de la population, devrait faire l’objet d’un investissement de 6 à 7 milliards d’euros ;
– Dans les zones non conventionnées, les collectivités territoriales déploient des réseaux d’initiative publique (RIP). Le déploiement dans ces zones, qui représentent 43 % de la population, représente un investissement de 13 à 14 milliards d’euros. Les collectivités territoriales sont accompagnées par l’État selon deux modalités : (i) une enveloppe de subvention de 3,3 milliards d’euros afin de financer 50 % du coût public ; (ii) la mise à disposition d’un prêt de longue maturité (jusqu’à quarante ans) à taux très faible.
À l’occasion du rapport budgétaire qu’elle avait réalisé sur le projet de finances pour 2014, l’une de vos rapporteures avait dressé un état des lieux objectif du déploiement de la 4G sur le territoire, et rappelé les conditions de déploiement de la 4G (130). Ainsi avait-elle noté que « les déploiements de la 4G se sont brusquement accélérés au cours du second semestre de l’année 2013, suite à la décision de l’ARCEP d’autoriser la société Bouygues Telecom à convertir ses fréquences 1 800 MHz de la 2G à la 4G ».
La 4G constitue un relai de croissance pour les opérateurs de télécommunications, mais représente également une condition de l’essor des acteurs du numérique. En permettant d’accéder à des débits très élevés – plusieurs dizaines de Mbit/s, voire supérieurs à 150 Mbit/s, contre 42 Mbit/s en 3G – la 4G conduira à l’émergence de nouveaux services et de nouvelles applications.
Trois bandes de fréquences sont concernées par le déploiement de la 4G :
– la bande 790 – 862 MHz (dite « 800 MHz »), issue du dividende numérique, libérée par l’arrêt de la diffusion hertzienne terrestre analogique de la télévision, dont le Premier ministre a décidé l’affectation aux services mobiles à partir du 1er décembre 2011 ;
– la bande 2500 – 2 690 MHz (dite « 2,6 GHz FDD (131) »), dont la libération par le ministère de la Défense, région par région, s’étend entre 2010 et 2014.
– la bande 1 800 MHz, que Bouygues Telecom peut réutiliser pour d’autres technologies que le GSM depuis le 1er octobre 2013.
Aujourd’hui, la couverture du territoire en 4G continue de s’améliorer, même si l’on constate d’importantes disparités territoriales. L’Agence nationale des fréquences publie chaque mois un observatoire des déploiements de réseaux 2G/3G/4G. Les derniers chiffres datent du 1er mai 2014 et sont accessibles sur le site de l’Agence (132). À cette date, près de 15 000 sites avaient été autorisés pour la téléphonie mobile très haut débit (4G) tous opérateurs confondus.
L’expérience australienne du très haut débit
Lors de leur mission en Australie, vos rapporteures ont rencontré un certain nombre d’acteurs impliqués dans le projet de déploiement d’une infrastructure de très haut débit, dont M. Malcolm Turnbull, ministre des télécommunications, Mme Kate Lundy, sénatrice, et M. Jean-Baptiste Rousselot, directeur de l’entreprise NBN.
En 2007, le Gouvernement travailliste australien a lancé un appel d’offres afin de couvrir le territoire australien en haut débit. Suite à l’échec de l’appel d’offres, une entreprise publique a été créée, NBNCo, afin de mettre en place le programme NBN ou National Broadband Network, qui prévoit la couverture de tout le territoire australien par un réseau internet à très haut débit (dont 93 % par fibre optique jusqu’au domicile).
Le changement de gouvernement aux élections fédérales de septembre 2013 a remis en question les principaux paramètres de ce programme, le nouveau gouvernement libéral souhaitant un projet moins coûteux et moins ambitieux, en recourant notamment à la technologie FttN (Fiber To The Node ou fibre jusqu’au répartiteur). Le Ministre chargé des Communications a confirmé la réorientation du projet NBN. Si l’architecture d’ensemble du programme est désormais irréversible, il sera néanmoins rapidement révisé :
- l’objectif de relier 93 % des logements par fibre optique sera abandonné au profit d’un mixte de technologies « optimisées » combinant FttP, FttB, FttN et HFC, ce qui suppose la réutilisation des réseaux cuivre et HFC des opérateurs historiques, en particulier celui de Telstra ;
- l’abandon du « tout fibre » se traduira par des performances techniques moindres (au minimum 25 Mbps/s d’ici 2016 pour 40 à 45 % des lignes fixes, au minimum 50 Mbps/s d’ici 2019 pour 90 % des lignes fixes, et au minimum 25 Mbps/s d’ici 2020 pour 98 à 100 % des lignes fixes, à comparer au projet initial de couverture de 93 % de la population par FttH à 100 Mbps/s en 2021). En contrepartie, i/ le coût du projet est ramené de 73 Mds AUD (nouveau coût estimé du projet initial après dérapage compte tenu des retards et des difficultés techniques) à 41 Mds AUD ; ii/ le déploiement est accéléré, en particulier, dans les zones d’activités et les quartiers d’affaires, afin de hâter la génération de revenus permettant de couvrir le coût de l’investissement (les premiers flux de trésorerie nette positifs sont attendus en 2022 contre 2025-2040 auparavant).
La formule vers laquelle s’oriente le gouvernement n’est pas sans risques : i/ les conditions auxquelles les opérateurs téléphoniques Telstra et Optus permettront l’utilisation de leur réseau cuivre et HFC, sans paiement additionnel par rapport aux dédommagements déjà négociés pour décommissionner ces réseaux (la négociation doit se conclure en juin et s’annonce très délicate) ; ii/ les difficultés liées à la bonne exécution du projet (déficit en ressources humaines, renégociation des contrats passés avec les entreprises sous-contractantes, ignorance de la qualité réelle des réseaux cuivre et HFC dans lesquels les opérateurs ont sous-investi depuis plusieurs années, anticipant leur abandon, etc.) ; iii/ le risque que les capacités révisées à la baisse s’avèrent insuffisantes. Il n’a pas mentionné le risque d’une remise en cause du monopole du marché de gros de NBN, alors qu’il est réel et que toute la viabilité économique du projet en serait affectée.
La réorientation du projet NBN ne nuit pas aux principaux fournisseurs français de NBN, Arianespace et Alcatel. Celle dernière fournit des équipements fibre GPON, des équipements FTTN et d’Agrégation Ethernet, pour des contrats jusqu’à 1,5 Mds AUD. L’utilisation future du VDSL sert ses intérêts, Alcatel étant leader de cette technologie et connaissant mieux que quiconque le réseau cuivre de Telstra dont elle est un partenaire stratégique. Au demeurant, le ministre des Communications s’est félicité de l’implication d’Alcatel Lucent dans le projet NBN.
I. ASSURER LE FINANCEMENT DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE
A. LA TRAJECTOIRE DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES DU NUMÉRIQUE
Au stade de la création, une start-up se finance avant tout par l’autofinancement et le love money, c’est-à-dire l’argent collecté auprès des proches du fondateur. Ce sont donc souvent des amis, ou des membres de la famille qui décident de contribuer aux premiers pas d’une entreprise du numérique en complétant le capital initialement investi par le fondateur. Par la suite, l’amorçage est le fait des business angels, qui investissent des montants variant de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’euros.
Le développement des entreprises du numérique est avant tout porté par le capital-investissement, c’est-à-dire la prise de participation en capital par des fonds d’investissement, dans des PME non cotées en Bourse afin de permettre le financement de leur démarrage et du développement de leur innovation. Il comprend deux types de financement selon la maturité de l’entreprise :
– le capital-risque (ou capital-innovation) qui intervient en phase de post-amorçage ;
– le capital-développement, qui prend le relai à l’issue de la première étape afin de développer et de mettre sur le marché l’innovation mise au point pendant la phase initiale.
Les fonds d’investissement apportent non seulement des ressources financières à l’entreprise, mais accompagnent également les entrepreneurs lors de décisions stratégiques, en apportant leurs compétences, leurs réseaux, leurs expériences. Les équipes des fonds sont d’abord des spécialistes des secteurs dans lesquels ils investissent, comme l’a confirmé Éric Buatois, l’un des partners du fonds Sofinnova que vos rapporteures ont rencontré dans la Silicon Valley.
Source : ISAI
À terme, la start-up a vocation à poursuivre son développement via d’autres fonds d’investissement, à être rachetée, ou à entrer en Bourse, par le biais d’une IPO (Initial public offering). Les années 2000 sont perçues comme la « décennie perdue » selon le mot de Vincent Worms, general partner du fonds Partech International à San Francisco, s’agissant des IPO. Cela s’explique par l’impact de l’explosion de la « bulle internet » en 2000, qui a traumatisé un certain nombre d’investisseurs, par les difficultés de ces derniers à percevoir la source de la valeur (133), et par l’accroissement des opérations de rachat par les grands groupes, qui préfèrent aujourd’hui développer des pépites en interne ou les accompagner et ainsi générer de la valeur plutôt que de se voir concurrencer. Le rachat par Facebook d’Instagram pour un milliard de dollars au printemps 2012 et de WhatsApp pour un montant record de 19 milliards de dollars en février dernier témoigne de ces nouvelles stratégies. D’ailleurs, d’après Éric Buatois, neuf des dix plus gros acheteurs mondiaux sont établis en Silicon Valley, SAP étant le seul acteur non américain dans ce classement.
B. LES SPÉCIFICITÉS FRANÇAISES
1. Des lacunes en capital-risque
Si la situation s’est grandement améliorée au regard de celle qui prévalait il y a quelques années, la chaîne de financement connaît un trou d’air, qui explique les difficultés des entreprises françaises à partir à la conquête du monde. Selon Pierre Kosciusko-Morizet, « la chaîne de financement est un tuyau avec des goulets d’étranglements. Il n’y a jamais eu autant de Business angels, on est très bon sur ce segment, mais on est en retard pour l’étape d’après, entre 500 000 euros et un million ».
La phase d’amorçage est en effet plutôt bien couverte en France, notamment grâce aux investissements de la première génération d’innovateurs, tel Xavier Niel ou Pierre Kosciusko-Morizet, qui réinjectent aujourd’hui dans les projets de jeunes start-up une partie de leur fortune, construite sur le Web 1.0. Ainsi, l’entreprise française d’écoute de musique en ligne Deezer n’aurait jamais réussi sans un investissement de Xavier Niel dès 2007, et Pierre Kosciusko-Morizet a cofondé le fonds d’investissement ISAI, dédié aux entrepreneurs d’internet et particulièrement porté sur le post-amorçage, et a investi personnellement dans plusieurs start-up. Au-delà de l’argent versé, cette première génération apporte des compétences, et guide les fondateurs de start-up au regard de leurs propres expériences. Les bons chiffres de l’activité de business angels s’expliquent aussi par l’ISF-PME, introduit par l’article 16 de la loi TEPA (134), qui permet d’obtenir une réduction d’impôt de solidarité sur la fortune au titre des investissements, directs ou indirects, réalisés dans les PME. Cette réduction est de 50 % des versements effectués, le plafond de réduction étant fixé à 45 000 euros. Par ailleurs, si l’investissement se fait par le biais d’un FIP ou d’un FCPI, la réduction est limitée à 18 000 euros.
Après la crispation de la fin de l’année 2012 et le mouvement des Pigeons (135), l’investissement des business angels continue ainsi de croître, le bilan sur l’année 2013 révélant une hausse de 48 % des montants investis par rapport à 2012 (136). Bien évidemment, la situation française demeure moins favorable qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni. À l’occasion de leur déplacement à Londres, vos rapporteures ont ainsi appris que le premier tour d’angels permet de lever en moyenne 850 000 euros (137), alors que cette première levée est en moyenne de 300 000 euros en France.
L’amorçage des start-up est également permis par le crowdfunding, c’est-à-dire le financement participatif, qui permet à des particuliers de financer les projets d’entrepreneurs qu’ils ne connaissent pas. De plus en plus de start-up parviennent à financer leurs premiers pas via ce mode de financement, alors que les premiers projets de financement participatif concernaient surtout le domaine culturel – en France, le cas le plus emblématique demeure le financement en 2008 de l’album de Grégoire pour lequel 70 000 euros avait été rassemblés en quarante-cinq jours, alors que le Louvre a levé l’an dernier un million d’euros auprès de 6 700 donateurs particuliers afin de restaurer la Victoire de Samothrace (138). Les annonces du Gouvernement, le 14 février dernier, visant à assouplir le régime juridique et à libérer le financement participatif, vont dans le bon sens : le montant reste libre, il devient possible pour des particuliers de prêter de l’argent à d’autres particuliers ou à des entreprises, à hauteur de 1 million d’euros, les plates-formes de prêt disposeront du statut de CIP (Conseiller en Investissement Participatif), le prêteur devra être informé par les plates-formes du risque encouru et disposera d’une aide à la décision, les prêts ne pourront se faire que par « blocs » de 1 000 euros maximum pour diversifier le risque.
En revanche, la France connaît un réel trou d’air en post-amorçage et en phase de développement au-delà de 20 millions d’euros, ce qui empêche par exemple des start-up spécialisées dans le secteur des biotechnologies de grandir dans notre pays. On observe une baisse de 50 %, depuis 2008, des levées de fonds des capital-risqueurs et de capital-développeurs français (139), et ce malgré la belle opération annoncée par Partech à l’automne 2013 (140). Selon l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC), qui regroupe les investisseurs en capital investissements, le capital-innovation demeure trente-trois fois moins importants qu’aux États-Unis, s’élevant ainsi en 2013 à 642 millions d’euros, contre 21 300 millions d’euros aux États-Unis (141). Les lacunes françaises se situent au stade de la consolidation des start-up, entre 500 000 euros et 2 millions d’euros environ, et en phase d’hyper-développement. Au-delà, l’un des problèmes auquel la France est aussi confrontée est le faible nombre de fonds d’investissement, par ailleurs constitués de petites équipes. La qualité d’un fonds, et donc les chances de réussite d’une start-up, ne dépendent pas uniquement des montants investis mais bel et bien de l’expérience des équipes, des conseils qu’elles sont à même de délivrer, de leur réseau, de l’accompagnement de la start-up. Or, la taille des fonds français est un handicap certain. En raison de ces deux facteurs, le nombre de start-up financées est donc relativement faible – ISAI sélectionne par exemple quatre entreprises par an alors que plus de 2 000 projets lui sont présentés.
Source : ISAI
Les OPCVM de capital-investissement dans l’innovation : FCPR, FCPI, FIP
Un organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) est un portefeuille dont les fonds investis sont placés en valeurs mobilières ou autres instruments financiers. Il existe trois OPCVM de capital-investissement permettant d’investir dans des sociétés non cotées innovantes :
– FCPR (fonds communs de placement à risques),
– FCPI (fonds communs de placement dans l’innovation),
– FIP (fonds d’investissement de proximité).
Les FIP et FCPI sont deux catégories particulières de FCPR. Ces fonds drainent l’épargne des particuliers en contrepartie d’avantages fiscaux (IR ou ISF)
1) Les FCPR sont investis en titres d’entreprises non cotées en Bourse à hauteur de 50 % minimum. Les FCPI sont investis en titres de sociétés innovantes non cotées en Bourse à hauteur de 70 % minimum. Les FIP sont investis dans des PME régionales à hauteur de 60 % minimum (142).
2) Un FCPR/FCPI/FIP a pour particularité d’émettre deux catégories de parts :
– les parts destinées aux particuliers,
– les parts dites de carried interest, réservées à la société de gestion et à ses salariés.
3) Il est en pratique impossible d’obtenir le rachat de ses parts de FCPR/FCPI/FIP pendant la durée de vie du fonds, pouvant aller en principe jusqu’à 10 ans.
Quel est le cycle de vie d’un OPCVM de capital investissement ?
Le règlement du FCPR / FCPI peut prévoir une ou plusieurs périodes de souscription ayant une durée déterminée. En dehors de ces périodes, il est impossible de souscrire des parts du FCPR/ FCPI/FIP .
Au cours de la période d’investissement, la société de gestion recherche des entreprises « cibles » dans lesquelles elle souhaite investir. Elle réalise ses investissements dans les cibles sélectionnées et en assure le suivi pour le compte du FCPR/FCPI/FIP.
La société de gestion commence à céder les participations et, le cas échéant, à procéder aux premières distributions.
La société de gestion de portefeuille décide de mettre un terme à la vie du FCPR/FCPI/FIP. Elle entraîne l’ouverture de la période de liquidation et est soumise, au préalable, à l’agrément de l’AMF.
La société de gestion liquide les dernières participations du FCPR/FCPI/FIP. À la clôture de la liquidation, qui intervient au plus tard à l’échéance du FCPR/FCPI/FIP, les éventuelles plus-values réalisées sont partagées entre les porteurs de parts.
Source : Autorité des marchés financiers
Par ailleurs, alors que les fonds levés par les fonds d’investissement n’ont aucune origine publique aux États-Unis, une grande partie des financements est, en France, d’origine publique, nationale ou européenne. Cette structure des fonds a un impact direct sur les stratégies d’investissement : les fonds interviennent moins sur les premiers stades de développement, afin de minimiser le risque. Outre le fait que cette stratégie contribue à renforcer le trou de financement entre 500 000 euros et 2 millions d’euros, elle diminue les retours sur investissement.
Au-delà, la France se distingue de ses partenaires par sa timidité à l’égard du risque. Alors même que le mot « entrepreneur » a été forgé en France, et s’est imposé dans le langage anglo-saxon, nous avons perdu cette admiration pour celui qui tente, sans parfois réussir. La différence principale entre la France et les pays anglo-saxons au regard du financement n’est sans doute pas un problème de fonds, mais bien un problème culturel. Ainsi, selon le rapport de Tariq Krim, « pour être financé et soutenu en France, il faut souvent adapter un service qui a déjà marché ailleurs. Le modèle d’investissement des acteurs du capital-risque en France comme celui des Investissements d’avenir a tendance à privilégier les modèles économiques clairs et établis. Il favorise souvent les entrepreneurs issus des grandes écoles, notamment des écoles de commerce ». Par ailleurs, aux États-Unis, un entrepreneur qui a échoué a acquis de l’expérience, s’est frotté aux investisseurs, à des partenaires économiques, a testé des produits et services auprès du public et dispose ainsi de davantage de chances de réussite qu’un néophyte. De la même manière que les notes obtenues au baccalauréat poursuivent un étudiant jusqu’à sa soutenance de thèse, un premier échec entrepreneurial semble marquer au fer rouge le discours d’une personne tentant d’innover. « Je n’ai pas échoué, j’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnaient pas ». Cette citation attribuée à Thomas Edison (143), fondateur de General Electrics, pionnier de l’électricité, inventeur du premier phonographe et précurseur du cinéma, pourrait être le slogan de tout innovateur. C’est cette culture de l’innovation, cette relativisation de l’échec et cette promotion de la prise d’initiative qui devrait être promue comme première solution au développement du capital-risque en France. À ce titre, la suppression de l’indicateur 040 de la Banque de France, afin de cesser de stigmatiser la prise de risque entrepreneurial, a été saluée par tous lorsqu’elle a été annoncée aux Assises de l’entrepreneuriat, le 29 avril 2013.
Propositions :
– Poursuivre l’effort au niveau européen pour créer des fonds de fonds paneuropéens, afin de constituer des champions européens du numérique.
– Encourager l’État à investir dans des fonds d’investissement privés, sur le modèle de l’initiative israélienne Yozma, afin d’accélérer l’innovation et de dynamiser l’industrie du capital-risque. L’État devra siéger au conseil d’administration d’un tel fonds.
2. Une faiblesse à la « sortie »
La France, comme l’Europe, souffre de trois lacunes principales s’agissant de la sortie de la phase de développement : des stratégies inefficientes de rachat par les grands groupes, des fonds trop petits, l’absence d’une bourse spécialisée dans l’innovation. Une fois un certain stade de développement atteint, les start-up françaises n’ont que le choix de quitter la France pour poursuivre leur développement, car une entreprise qui a du succès est toujours en manque de financement. Cette situation est tellement dramatique que l’on considère parfois qu’une start-up française qui a réussi est une start-up qui s’est fait racheter par un groupe étranger…
Si les entreprises américaines rachètent des pépites afin d’assurer leur développement les acteurs ont le sentiment que « les grands groupes français voient au mieux les start-up comme un sous-traitant, le plus souvent comme un concurrent possible à éliminer » selon l’une des personnes auditionnées par vos rapporteures. Aux États-Unis, outre les récentes acquisitions spectaculaires réalisées par Facebook, Oracle rachète en moyenne deux entreprises par an, tandis que Google a investi 43 milliards de dollars en quinze ans pour racheter des entreprises et les développer selon les informations communiquées à vos rapporteures lors de leur mission à San Francisco. La domination des acteurs américains dans le numérique s’explique avant tout par une stratégie délibérée pour repérer les pépites, même en dehors de leur cœur d’activité, pour les acquérir et les aider à grandir, afin d’accroître leur position sur les marchés, tout en continuant à animer l’écosystème.
Ensuite, la taille des fonds oblige les entreprises à chercher des financements ailleurs. Seuls des fonds de grande taille pourraient permettre d’investir suffisamment d’argent pour conquérir le monde, et accompagner des start-up jusqu’à en faire des champions mondiaux du numérique. Pour ce faire, vos rapporteures encouragent la proposition formulée par le Gouvernement français dans le cadre de la réflexion sur la stratégie numérique de l’Union européenne de créer des fonds de fonds paneuropéens.
Enfin, la Bourse ne représente aucune porte de sortie en France comme en Europe. « Euronext est catastrophique » selon un investisseur rencontré aux États-Unis par vos rapporteures, une entreprise introduite en Bourse sur le marché européen ne pouvant guère espérer être valorisée à un montant supérieur à ce que lui aurait rapporté une vente à un géant américain ou obtenir davantage de financements qu’auprès de fonds d’investissement. À ce titre, la cotation de l’entreprise française Criteo au Nasdaq de New York a permis à l’entreprise de lever 250 millions d’euros et fut une vraie réussite – le titre connaissant une hausse de 14 % le jour de son introduction – et en dit long sur l’incapacité d’Euronext d’offrir une sortie satisfaisante. Une Bourse performante constitue pourtant une infrastructure essentielle à la pérennité d’un écosystème numérique européen capable de rivaliser avec les acteurs américains ou asiatiques.
Trois propositions pour créer un Nasdaq européen,
la contribution de PME-Finance (144)
Jamais les petites et moyennes valeurs de la Bourse de Paris n’ont bénéficié de tant d’attentions. Très immédiatement, lesquelles sont éligibles au PEA-PME ? À terme, lesquelles présentent le meilleur potentiel ? Le PEA-PME, que PME Finance avait présenté en 2011, porte ainsi déjà un premier effet positif : il a mobilisé l’attention des investisseurs et des financiers sur un segment jusque-là délaissé de la Bourse de Paris. L’Observatoire des Entrepreneurs - PME Finance, en partenariat avec Altavalue, a déterminé une liste de quelque 900 sociétés, moitié cotées et moitié non cotées, qui devraient bénéficier en priorité des nouveaux apports de fonds. Si son succès se confirme, et que 5 à 9 milliards d’euros viennent à s’investir sur Euronext B, C et Alternext d’ici à fin 2017, le PEA-PME commencera à redresser le principal déséquilibre du financement des PME : une Bourse deux fois plus petite que le capital-investissement, et pourtant chargée d’offrir des « sorties » aux investisseurs en capital. Peu étonnant, dès lors, que les start-up au plus grand potentiel, comme Criteo, aillent se coter outre-Atlantique.
Le PEA-PME peut faire de la place de Paris la Bourse la plus liquide d’Europe pour les PME-ETI. Ce faisant, il posera les fondements d’un nouvel outil de financement du Mittelstand européen. Il deviendra alors une place de marché d’une profondeur sans égale, pour offrir aux start-up et PME à potentiel une réelle alternative de cotation face aux grandes places américaines. Ce « Nasdaq européen » pourra financer des PME avec des levées de plusieurs dizaines, voire centaines, de millions d’euros, plutôt que quelques millions d’euros comme aujourd’hui. Dans cet esprit, PME Finance propose trois actions :
1. Remédier à la fragmentation des marchés, qui nuit à la visibilité et l’attractivité des PME-ETI. Pour cela, il est nécessaire de pousser au rapprochement des Bourses de valeurs moyennes, selon le modèle multi-local de la fusion des carnets d’ordres entre les Bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam. Il est également possible de favoriser les cotations multiples, de viser à l’interopérabilité des systèmes de cotation et de mettre en réseau les différentes Bourses régionales européennes. Tout cela créera, du point de vue des investisseurs, une masse critique sur une nouvelle classe d’actifs à fort potentiel et, du point de vue des entrepreneurs, un marché doté d’une profondeur suffisante pour y financer des levées de fonds importantes. La France pourra saisir en ce sens la prochaine Commission de la nécessité de créer un passeport européen, dans l’esprit de la directive Prospectus, pour les phases de négociation et non seulement pour l’offre au public de titres financiers.
2. Relancer la constitution d’une Bourse européenne des entrepreneurs. La fusion des places générales en Europe est un sujet difficile et sensible, pour des raisons de souveraineté nationale, de contrôle et de gouvernance. En revanche, le rapprochement des marchés de PME et d’ETI peut emporter le consensus, car le financement des PME forme un sujet prioritaire pour la plupart des pays de l’Union. Les travaux, en 2012, des rapports Giami-Rameix et du Comité d’Orientation Stratégique d’Euronext ont posé les bases de la création d’un marché de PME-ETI à vocation européenne. Si Euronext prend l’initiative, en apportant à sa filiale Enternext ses marchés de PME-ETI (Euronext B, C et Alternext), elle créera le moteur de ce rapprochement. Enternext deviendra une entité autonome, bénéficiant pleinement de la liquidité générée par le PEA-PME et capable d’engager des alliances stratégiques avec d’autres marchés de start-up et de PME-ETI en Europe. L’intéressement à son capital des principaux acteurs européens de marché, notamment technologiques, pourra conforter ce mouvement et faire ainsi d’Enternext le noyau d’un futur Nasdaq européen.
3. Filtrer les sociétés pour renforcer la base des investisseurs. Le PEA-PME favorisera la multiplication des introductions en Bourse et attirera de nouveaux investisseurs vers les PME-ETI. Pour que ce mouvement prenne de l’ampleur et efface le souvenir de la bulle Internet, il est important, notamment pour les sociétés de technologie, que leur confiance soit protégée. PME Finance invite les régulateurs et les autres parties prenantes à ne pas relâcher les critères d’admission des start-up, comme on l’en presse souvent : au contraire, plus d’exigences auprès des émetteurs peuvent générer, in fine, plus d’investissements dans les PME.
Source : PME-Finance - http://www.pmefinance.org/8617-nasdaq-europeen-propositions.html
Proposition :
– Encourager la création d’un Nasdaq européen.
3. Un soutien public perfectible
L’économie numérique bénéficie, à l’instar des autres secteurs d’activités, de nombreux dispositifs transversaux de soutien public, qui participent au financement de la recherche publique et privée, au financement des activités d’exploitation des entreprises mais aussi à leur internationalisation. Si ces dispositifs constituent des atouts indéniables, notamment lors de la phase initiale de développement d’une start-up, ils perdent de leur efficacité en raison de l’extraordinaire millefeuille qu’ils constituent. Ces dispositifs sont ainsi portés par une multitude d’acteurs : l’État, les collectivités territoriales, la Caisse des dépôts et des consignations, CDC-Entreprises, l’Agence nationale pour la recherche, Ubifrance, la Coface, et la Banque publique d’investissement, dont la création a permis d’engager le processus de rationalisation.
Source : Inspection générale des finances, janvier 2012. (145)
Il est donc nécessaire d’assurer la lisibilité entre les différentes sources de financement existantes, et de rationaliser les outils de financement publics. Ainsi, l’intervention du secteur public dans le champ d’intervention du capital-investissement est parfois difficilement compréhensible, et pas toujours efficace, entraînant par ailleurs parfois une fragmentation des sources de financement. Le secteur public a souhaité se substituer aux acteurs privés, quand d’autres pays ont opté pour des stratégies inverses. Par exemple, le gouvernement israélien a lancé en 1993 le programme Yozma (146), qui consistait à attirer les plus grands fonds d’investissement dans le pays par un investissement de 100 millions de dollars dans ces fonds. Quatre ans plus tard, l’écosystème était devenu très dynamique, l’État s’est retiré, réalisant à cette occasion une plus-value de 50 %, tandis que les fonds d’investissement demeurent encore aujourd’hui très actifs. Selon les données fournies par les autorités israéliennes, le montant investi annuellement en capital-risque aurait ainsi été multiplié par soixante entre 1991 et 2000, passant de 58 millions à 3,3 milliards de dollars. Aujourd’hui, Israël est considéré comme « l’autre Silicon Valley » et est le deuxième pays du monde à la fois en nombre de startups technologiques par habitant et d’entreprises cotées au Nasdaq après les États-Unis. Les géants du numérique comme Google ou Qualcomm ont implanté des centres de recherche importants, et développent même certains de leurs produits depuis les environs de Tel-Aviv ou d’Haïfa.
Par ailleurs, une évaluation de l’ensemble des dispositifs d’intervention publique paraît nécessaire, alors que certains outils pourraient entraîner des effets pervers sur le financement de l’économie. Ainsi par exemple des aides fiscales qui pourraient conduire un entrepreneur à opérer un choix lui permettant de bénéficier d’un soutien public, alors que sa seule stratégie d’investissement aurait dû le conduire à adopter une autre solution. Ce risque de désalignement de l’intérêt de l’entrepreneur et de celui de l’investissement mériterait d’être étudié en détail. De même, le financement par « appels à projets » pourrait ne pas favoriser les entrepreneurs les plus innovants, mais des spécialistes de ce type de procédure. Vos rapporteures sont convaincues de la nécessité de mener une évaluation exhaustive de l’ensemble des outils soutien public à l’innovation. Enfin, si les fonds publics sont importants, ils ne sont pas souvent décaissés, et l’action publique pâtit d’un manque de cohérence et de cohésion. A ce titre, plus de deux ans après son lancement, seuls 30 des 400 millions d’euros prévus pour le FSN-PME (147) avaient été décaissés.
Vos rapporteures ne détailleront pas ici l’ensemble des dispositifs de soutien public, dont une présentation a été réalisée par l’Inspection générale des finances (148), d’autant que la situation devrait s’améliorer avec la création de la Banque publique d’investissement (BPI) (149). Le Mouvement des Pigeons a été l’occasion pour l’État et les élus de mieux comprendre le financement de cette économie. Les différentes annonces formulées en clôture des Assises de l’entrepreneuriat ont d’ailleurs été très bien accueillies par les acteurs du numérique tandis que toute une série de mesures prises pour la plupart à l’initiative de Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, ont permis d’entamer le processus de rationalisation des dispositifs de soutien public au service de l’innovation. Il faut toutefois aller plus loin.
mesures prises en faveur des entreprises innovantes et des start-up
Pacte pour la compétitivité, la croissance et les emplois (novembre 2012)
Commande publique innovante : cible de 2 % d’achat d’innovation pour utiliser la commande publique comme levier de la croissance des entreprises innovantes.
Statut de la Jeune entreprise Innovante (JEI) : mise en place d’un régime plus favorable et extension de l’assiette aux dépenses d’innovation.
Crédit d’impôt innovation : donner aux entreprises innovantes la possibilité de bénéficier d’un crédit d’impôt pour le design ou le prototypage au-delà de leurs dépenses de R&D.
Assises de l’entrepreneuriat et de l’innovation (avril 2013)
Suppression de l’indicateur 040 de la Banque de France : pour cesser de stigmatiser la prise de risque entrepreneurial.
Financement participatif : engagement de la réforme du statut juridique du financement participatif (crowdfunding).
Réforme du régime fiscal de plus-value de cessions mobilières : pour valoriser la prise de risque entrepreneurial.
Nouvelle donne pour l’innovation (novembre 2013)
Développement de la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat, soutien à l’innovation non technologique : lancement d’un Fonds national d’innovation (240 M€) au sein du programme des investissements d’avenir.
Bourse de soutien aux jeunes créateurs d’entreprises : lancement d’un programme de financement porté par Bpifrance.
Soutien à l’industrie du capital-risque : mesures d’amortissement fiscal pour les investissements dans les PME innovantes, consolidation des FIP et FCPI.
Financement de la croissance des start-up : lancement du fonds Large Ventures (500 M€) par BpiFrance.
Initiative French Tech (novembre 2013)
Soutien à des accélérateurs : pour accompagner la croissance des start-up, lancement d’un programme de 200 millions d’euros au sein du programme des investissements d’avenir.
Promotion des écosystèmes numériques à l’international : programme de 15 millions d’euros au sein du programme des investissements d’avenir.
Le Pacte de responsabilité et de solidarité
Si elles ne visent pas spécifiquement les start-up et les entreprises innovantes, les mesures du Pacte de responsabilité et de solidarité leur bénéficiera également : baisse du coût du travail et mesures d’encouragement à l’emploi, diminution de la fiscalité des entreprises, etc.
Vos rapporteures ont choisi de se pencher particulièrement sur trois sujets : la commande publique, le rôle de Bpifrance dans le financement de l’innovation et le renforcement des start-up ainsi que certaines mesures de la loi de finances initiale pour 2014.
– La commande publique
La commande publique constitue un axe vertueux de soutien public, en agissant comme un aiguillon et un financement direct plutôt que comme une simple subvention. En s’appropriant de nouvelles technologies, l’État montrerait par ailleurs l’exemple. Jusqu’à présent, la commande publique n’a pas toujours été efficace, principalement en raison de la logique d’achat de l’administration, peu propice à la prise de risque. Le Gouvernement a lancé récemment des initiatives afin de remédier à cette situation. Pour ce faire, le médiateur des marchés publics s’est vu confier, en mars 2014, la mission de poursuivre l’objectif d’atteindre 2 % de commande publique innovante d’ici 2017, conformément à l’ambition du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, lancé à l’automne 2012. Alors que la commande publique représente près de 80 milliards d’euros annuellement, l’État, ses opérateurs, les collectivités territoriales et les hôpitaux pourraient acquérir des innovations représentant un montant de 1,6 milliard d’euros. Au-delà de la source de financement qu’un tel investissement représente, il s’agit d’envoyer un signal fort à tous les acteurs économiques. Afin de participer à cet objectif, le ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique, Arnaud Montebourg a annoncé il y a quelques semaines son intention d’organiser une rencontre avec les acheteurs hospitaliers et Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, alors que la commande hospitalière représente 18 milliards d’euros.
Afin d’atteindre ces objectifs, il est essentiel de faciliter l’accès à la commande publique. Selon une enquête réalisée par Syntec Numérique en juillet dernier, 92 % des entreprises interrogées jugent les procédures d’appels d’offres publics complexes, et 54 % d’entre elles déclarent avoir constaté des pratiques abusives de la part des services d’achats d’entités ou d’administrations publiques. Dans son rapport précité, Tariq Krim incite les administrations à « prendre les devants en publiant des appels d’offres décrivant un besoin. Quitte à sortir des sentiers habituels de la commande publique, autant s’orienter carrément vers l’organisation d’un concours autour d’un problème à résoudre pour faire émerger des concepts applicatifs innovants. Le Gouvernement américain recourt désormais largement au mécanisme du concours, il a même ouvert une plate-forme, Challenge.gov, qui permet à chaque agence fédérale de lancer des défis ». Vos rapporteures notent que de telles pratiques commencent à être adoptées par l’État, comme en témoignent les Concours mondiaux d’innovation, les défis de l’Agence nationale de la recherche ou encore les « challenges Big data ».
– Bpifrance
Bpifrance a été créée par la loi du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement (150) , et regroupe OSEO, l’agence publique de soutien à l’innovation, CDC Entreprises, qui gérait notamment le Fonds national d’amorçage, le Fonds stratégique d’investissement et sa déclinaison FSI Régions. Bpifrance est chargée de quatre missions : (i) l’aide aux entreprises dans leurs premiers besoins d’investissement – amorçage, garantie, innovation ; (ii) le soutien de la croissance des PME partout en France – capital-risque et développement, co-financement, garantie ; (iii) le renforcement des ETI dans leur développement et leur internationalisation – capital développement et transmission, co-financement, crédit export, accompagnement ; (iv) enfin la participation au rayonnement des grandes entreprises et la stabilisation de leur capital (capital transmission, co-financement crédit export, accompagnement). S’agissant du numérique, deux outils paraissent particulièrement intéressants.
Premièrement, le « Prêt numérique », annoncé à la fin de l’année 2013 dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir, permettra de financer les opérations d’investissement des PME et ETI destinées à des projets de numérisation. Il s’agit d’un soutien essentiel à la conversion numérique de nos entreprises, alors que la part d’investissement des entreprises françaises dans le numérique s’élève à 15 % en France, contre 30 % aux États-Unis. Ces prêts devront être accompagnés de financements privés d’un montant au moins égal. Ce sont ainsi plus de 600 millions d’euros de financements qui seront mobilisés au profit des technologies du numérique, enjeu majeur pour tous les secteurs de l’économie.
Le prêt numérique de Bpifrance
Le prêt numérique présente les caractéristiques suivantes :
- un montant de 200 000 euros à 3 millions d’euros
- un remboursement sur 7 ans dont 24 mois de différé d’amortissement en capital
- un taux bonifié par l’État à hauteur de 200 points de base
- sans garantie sur les actifs de l’entreprise ni sur le patrimoine du dirigeant
- associé systématiquement à un prêt d’accompagnement et/ou un apport en fonds propres/quasi fonds propres au moins du même montant
Les PME et ETI éligibles à ce financement devront répondre aux critères suivants :
- âgées d’au moins 3 ans ;
- constituées sous forme de société ;
- indépendantes (ne pas être détenue à plus de 25 % par une ou plusieurs entités qui ne sont pas des PME) ;
- ayant moins de 5 000 salariés ;
- chiffre d’affaires de moins de 1 500 millions d’euros ;
- financièrement saines.
Le prêt numérique financera les dépenses liées aux investissements suivants :
- Investissements immatériels : achat de logiciels, de progiciels, bases de données, d’outils de fouille de données (data mining), mise en place d’un nouveau process, création de site web
- Investissements matériels à faible valeur de gage : serveurs, baies, « firewall », systèmes d’interconnexion (routeur, concentrateur, passerelle, pont …), matériel de télécommunication innovant, numérisation et automatisation des outils de production, etc.
- Prestations liées à l’étude, l’installation et le déploiement des bien acquis, (étude de faisabilité, audit, conseil, paramétrage, formation du personnel, etc.)
Source : Bpifrance
Deuxièmement, Bpifrance a repris la gestion du FSN-FME, initié par le gouvernement de François Fillon, rebaptisé depuis Fonds Ambition Numérique (FAN). Ce fonds investit en fonds propres ou quasi-fonds propres dans des entreprises numériques, obligatoirement aux côtés de co-investisseurs privés, principalement dans le cloud computing, la cybersécurité, la robotique et les objets intelligents. Doté de 400 millions d’euros, le fonds investit au minimum un million d’euros et a la capacité de réinvestir jusqu’à dix millions d’euros en cumulé, en ayant pour objectif de ne pas dépasser, en général, un tiers du montant total du tour de table auquel il participe. Par ailleurs, Bpifrance a créé à l’automne dernier le fonds Large Venture, doté de plus de 300 millions d’euros, qui interviendra auprès d’entreprises innovantes, dans des secteurs prioritaires de la santé, du numérique et de l’environnement, et pour des opérations de capital-risque à partir de 10 millions d’euros.
Dans ce contexte, Bpifrance a investi en juillet 2013 dans l’entreprise Scality, spécialisée dans le domaine des logiciels de stockage de données en masse, puis récemment dans l’entreprise d’objets connectés Withings, à hauteur de 11 millions d’euros, dans le cadre d’un tour de table ayant permis à l’entreprise de lever 23,5 millions d’euros. Selon Nicolas Dufourcq, président de Bpifrance, l’institution pourrait ainsi financer cinq grosses start-up par an. Cette stratégie de co-investissement, mise en place depuis 2010 dans le cadre des Investissements d’avenir, constitue sans nul doute la voie à suivre pour l’intervention publique. Ainsi, Cyril Zimmermann, fondateur et président-directeur général de HiMedia Group, interpellait le 10 avril 2014 la nouvelle secrétaire d’État chargée du numérique, Axelle Lemaire, en rappelant combien « il est essentiel que l’État apprenne à s’appuyer résolument sur l’expérience des entreprises chevronnées du secteur et les encourage dans leur rôle de relai et de pivot du tissu créatif. C’est nécessairement vers ces entreprises plus confirmées que se tournent les jeunes start-up innovantes en quête de soutien. Plutôt que de chercher à substituer quelque nouvelle structure d’État à ce réseau d’interlocuteurs naturels, les gouvernements auraient intérêt à l’utiliser comme de véritables interfaces et « têtes chercheuses » des nouvelles pépites du numérique qui n’auront pas le réflexe de s’en remettre à des institutions comme la BPI, le FSI ou Oséo, mais s’adresseront forcément à ceux qui leur ressemblent. On parle beaucoup ces jours-ci de contrat ou encore de pacte. Ici, il s’agirait aussi d’une logique de co-investissement, comme il en existe d’ailleurs dans d’autres domaines, c’est-à-dire d’un partenariat public-privé d’un genre nouveau, seul capable de créer un effet de levier. Pour un euro investi par un entrepreneur en tant qu’investisseur providentiel (« business angel ») ou « corporate investisseur », la puissance publique investirait également un euro. Les mérites d’une telle démarche seraient considérables. Elle permettrait à l’État de se reposer sur les intuitions, expertises et prospectives des acteurs économiques. L’implication des entreprises dans le risque financier garantirait un accompagnement attentif de leurs jeunes émules. L’exigence d’un maillage du territoire entraînerait la fédération de puissants pôles de spécialisations thématiques par régions (Medtech, Big Data...), capables d’atteindre la taille critique aujourd’hui nécessaire dans ces domaines où la compétition internationale est sans merci ».
– Les mesures de loi de finances initiale pour 2014 (151) en faveur de l’innovation.
Premièrement, le statut de Jeune entreprise Innovante (JEI) a été renforcé. Créé par la loi de finances initiale pour 2004 (152), il est un outil de soutien aux petites entreprises investissant au moins 15 % de leurs charges dans la recherche et développement. Initialement effectif jusqu’au 31 décembre 2013, le dispositif a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2016. Par ailleurs, conformément aux annonces issues des Assises de l’entrepreneuriat, la loi de finances pour 2014 prévoit une exonération de 100 % des cotisations sociales patronales pendant huit ans contre une exonération auparavant dégressive auparavant, et étend l’extension de l’exonération de cotisations aux personnels affectés à des activités d’innovation : conception de prototypes ou installation de pilotes de nouveaux produits.
Deuxièmement, le Crédit d’impôt recherche (CIR), qui permet de soutenir le financement d’activités de recherche et développement sous la forme d’un crédit d’impôt de 30 % des dépenses de recherche jusqu’à 100 millions d’euros et de 5 % au-delà, a été sécurisé, conformément aux attentes des entrepreneurs. La loi de finances initiale pour 2014 instaure néanmoins un seul et même régime de territorialité pour les dépenses de protection des droits de propriété intellectuelle éligibles au CIR. Par ailleurs, les entrepreneurs dénonçaient le manque de lisibilité des conditions d’éligibilité au CIR, l’obtention de ce dernier « déclenchant souvent un contrôle fiscal aux effets imprévisibles » selon une personne auditionnée par vos rapporteures. Afin de sécuriser le CIR, et d’assurer la sécurité juridique des entreprises, le Gouvernement a indiqué, par la voix de Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée du numérique, que la procédure de rescrit fiscal serait facilitée. Dans le même temps, les missions de la médiation inter-entreprises ont été élargies aux entreprises innovantes, le 14 mars dernier, afin notamment de fluidifier les relations entre l’administration fiscale et les entreprises, en particulier au sujet du CIR.
Troisièmement, la loi de finances initiale pour 2014 procède à la création d’un nouvel outil de financement des entreprises, le PEA-PME, qui avait été présenté à Lannion en août 2013 par Pierre Moscovici, et dont il a déjà été question, et ne touche pas au régime de l’imposition des plus-values de valeurs mobilières. Ce dernier point est essentiel, car ce que demandent avant tous les entrepreneurs n’est pas un avantage fiscal, mais une stabilité fiscale.
Propositions :
– Développer les « concours ».
– Renforcer la place de l’innovation de rupture dans les critères d’évaluation et d’attribution des marchés publics (article 53 du Code des marchés publics).
– Confier à la Cour des comptes (article 58 de la LOLF et article 47-2 de la Constitution) une mission d’évaluation des dispositifs de soutien public au numérique mis en œuvre par l’État et les collectivités territoriales. À cet égard, le réseau des Chambres régionales des comptes permettra à la Cour des comptes de mener une fine analyse des dépenses engagées par les collectivités territoriales.
– Poursuivre les actions de sécurisation des dispositifs d’incitation fiscale en faveur de l’innovation et de la recherche et développement et assurer la stabilisation fiscale.
I. MODERNISER LE CADRE JURIDIQUE
A. UNE ÉQUITÉ FISCALE GARANTIE
Le 10 juillet 2013, la commission des finances de l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international (153), dont une large partie était consacrée aux acteurs numériques. Selon les mots de notre collègue Pierre-Alain Muet, rapporteur, « la question de la fiscalité des entreprises du secteur numérique intéresse et préoccupe de plus en plus les citoyens et les pouvoirs publics, en France, en Europe, mais également aux États-Unis, [car] alors que ces entreprises connaissent une forte croissance et sont les vecteurs d’une transformation profonde de l’économie, leur contribution aux charges communes par le paiement de l’impôt apparaît sans rapport avec leur dynamisme et surtout leur richesse. Ce constat, difficilement chiffrable, est toutefois incontestable dans son principe. Les entreprises du secteur reconnaissent d’ailleurs bien volontiers qu’elles parviennent, grâce à une stratégie fiscale dont la complexité n’a d’égale que la subtilité, à échapper en toute légalité à l’impôt. En exergue de leur rapport précité (154), Pierre Collin et Nicolas Colin ont ainsi choisi cette déclaration d’autosatisfaction du président exécutif de Google, Éric Schmidt, qui assurait en 2012 : « Je suis très fier de la structure que nous avons mise en place. Nous l’avons fait en nous basant sur les incitations que les gouvernements nous ont proposées pour établir nos activités ». Cette phrase porte en elle le paradoxe de l’optimisation fiscale, qui est finalement rendue possible du fait de l’utilisation de dispositifs légaux, souvent expressément incitatifs, mis en place par des États fiscalement souverains, mais qui in fine portent atteinte à la capacité d’autres États à recouvrer l’impôt qu’ils peuvent estimer leur être dû ».
En fait, c’est à la mondialisation de l’économie que la fiscalité n’est pas adaptée. L’attention se focalise sur les acteurs du numérique car, nés récemment, ils semblent avoir développé des stratégies d’optimisation fiscale redoutablement efficaces dès leur origine.
Il est aujourd’hui nécessaire d’établir un cadre fiscal efficace permettant aux acteurs économiques d’évoluer dans un contexte équitable et à l’ensemble des États de tirer bénéfice de l’activité de ces acteurs, en agissant non au niveau national, mais plutôt au niveau européen voire international, d’autant que le constat d’une inadaptation de la fiscalité au numérique est partagé par tous.
L’OCDE mène depuis 2012 des travaux visant à une refonte du cadre fiscal international et la France s’est fortement mobilisée sur le sujet, et a identifié des pistes innovantes (155). Le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin, remis en janvier 2013, contenait ainsi de premières pistes de renouveau fiscal, reposant notamment sur l’imposition de l’exploitation des données, au cœur de la création de valeur pour les entreprises du numérique.
À la suite de ce rapport, le Parlement s’est saisi du sujet, via la commission des finances, et notre collègue Pierre-Alain Muet a d’ailleurs repris à son compte certaines des propositions émises par MM. Colin et Collin, comme la définition du concept d’établissement stable virtuel par l’OCDE.
Par ailleurs, le Conseil national du numérique a rendu un avis consacré à la fiscalité du numérique (156) en septembre 2013, et le Gouvernement a organisé, le 9 octobre 2013, un Séminaire international sur la fiscalité du numérique, rassemblant notre collègue Pierre-Alain Muet, le sénateur Philippe Marini, le Commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, le secrétaire général adjoint de l’OCDE, Yves Leterme, des experts administratifs français et étrangers, des juristes, des chefs d’entreprises et des économistes. À cette occasion, Yves Leterme avait souligné le rôle moteur joué par la France sur cette question, tandis que le commissaire Semeta a pointé du doigt l’attitude de certains États membres de l’Union, dont les politiques de dumping fiscal concourent à fausser la concurrence et à priver de recettes fiscales les autres États membres.
Si ces initiatives sont à saluer, vos rapporteures regrettent que les choses n’aient pas vraiment évolué depuis. Pourtant, la refonte du cadre fiscal international est un enjeu de souveraineté pour les États, en même temps qu’elle contribuera à rétablir l’équité, en termes de concurrence fiscale, entre les acteurs économiques européens et extra-européens. Pour ce faire, vos rapporteures encouragent la France à valoriser les travaux menés dans notre pays et à jouer un rôle moteur dans les discussions menées au niveau européen et international, dans le cadre de l’OCDE.
Proposition :
– Faire de la France le pays moteur de la refonte du cadre fiscal international (cadre OCDE) en promouvant les pistes de réflexions déjà envisagées dans le cadre national.
L’affaire PRISM a jeté le discrédit sur l’ensemble des acteurs du numérique, et amène à s’interroger sur la protection des libertés individuelles à l’ère numérique. Au sein du Parlement, de nombreuses initiatives ayant trait au numérique ont été débattues, au motif qu’elles seraient susceptibles d’affecter l’exercice des libertés. Ainsi par exemple des mesures de surveillance prévues par la loi de programmation militaire (157) ou de l’extension du champ du dispositif de signalement des hébergeurs dans le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (158) et la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (159).
L’affaire PRISM
Le programme PRISM est un programme de surveillance mis en place par les États-Unis en 2007 afin de suivre de manière étendue l’activité d’un grand nombre de personnes. Il permet à l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) de collecter des données auprès d’entreprises américaines, dont la plupart sont des géants de l’Internet.
En pratique, le système PRISM collecte courriers, fichiers, photos, contenus des communications audio et vidéo réalisées par Internet, informations sur les réseaux sociaux et habitudes de connexions. Selon les informations du Guardian et du Washington Post (160), alimentés par Edward Snowden, qui a révélé l’affaire, les entreprises devaient également répondre à des demandes spéciales émanant de la NSA. Parmi les géants de l’Internet concernés figureraient Microsoft, Yahoo !, Facebook, Skype, AOL, Youtube, Apple, Google. Si la plupart de ces entreprises ont publié des démentis, en précisant que les services de la NSA ne pouvaient pas se connecter directement aux serveurs, aucune n’a formellement démenti avoir collaboré avec la NSA.
En mars 2013, la NSA aurait ainsi collecté 97 milliards d’informations. L’Iran serait le pays le plus suivi, avec 14 milliards d’informations recueillies, devant le Pakistan (13,5 milliards), la Jordanie (12,7 milliards), l’Égypte (7,6 milliards) et l’Inde (6,3 milliards). Tous les pays sont concernés.
Alors que la révélation de cette affaire a entraîné de très vives réactions de la part de la plupart des gouvernements, les entreprises américaines concernées tentent de se dédouaner.
Dans le même temps, de nombreuses questions ont émergé s’agissant de la de la propriété intellectuelle à l’ère numérique, alors que les entreprises pratiquent de plus en plus souvent l’open-innovation et que la numérisation des contenus rend toujours plus complexe la protection des idées.
Enfin, le débat sur la neutralité du net demeure prégnant, alors que l’Autorité fédérale des communications (FCC) américaine a publié le 24 avril 2014 un nouveau cadre qui a provoqué d’intenses réactions, la FCC étant accusée de vouloir tuer la neutralité du net.
Ainsi, de manière générale, quatre grands enjeux peuvent être identifiés :
– la protection des idées ;
– la protection des données ;
– la protection de la neutralité de l’Internet et des réseaux ;
– la neutralité des plates-formes.
C’est d’ailleurs dans ce contexte que la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a créé, le 25 février dernier, une commission de réflexion et de propositions ad hoc (161) afin de définir une doctrine et des principes durables en matière de protection des droits et libertés à l’âge du numérique. Cette commission, qui réunira des parlementaires et des personnalités qualifiées, devrait se pencher sur deux sujets principaux : la protection de la vie privée et des données à caractère personnel ainsi que la liberté d’expression et de communication et le droit à l’information à l’ère numérique, lesquels sont aujourd’hui fortement conditionnés à la neutralité des réseaux et des plates-formes.
Alors que le Parlement a lancé d’importantes initiatives sur ces sujets, et que vos rapporteures ont déjà eu l’occasion d’étudier en profondeur certains d’entre eux, elles se limiteront ici à souligner les défis que le numérique adresse s’agissant de la protection des acteurs et des citoyens.
La propriété intellectuelle recouvre à la fois la propriété industrielle (brevets, marques, dessins, etc.) et la propriété littéraire et artistique (droits d’auteur, droits voisins, etc.). L’impact du numérique sur la propriété littéraire et artistique a déjà été maintes fois commenté, et certaines réponses tentées d’être apportées. S’agissant de l’enjeu de la propriété industrielle, vos rapporteures ont constaté, lors de leurs déplacements, que la question du brevet n’est pas essentielle. À l’occasion d’une table-ronde rassemblant de jeunes entrepreneurs français à Sydney, elles se sont vu confier que ce n’est pas tant l’idée qui importe que la technologie qui la supporte. Ainsi, « on partage ses idées assez facilement, c’est même le concept des incubateurs ou des fab-labs ». À l’inverse, les brevets représentent un coût exorbitant, et un intérêt faible, surtout pour des start-up. Lors de la même rencontre, les jeunes entrepreneurs rencontrés ont ainsi expliqué à vos rapporteures que la procédure de dépôt de brevet était longue, complexe, coûteuse, et n’apportait pas de réelle garantie vis-à-vis de la concurrence. Selon eux, le seul enjeu consiste à devenir très rapidement le leader sur un marché et à le rester par l’innovation permanente. À l’heure de l’open innovation, qui implique une sollicitation de personnes extérieures à l’entreprise pour améliorer un produit, comment renouveler les outils juridiques nécessaires à la protection des idées ?
Vos rapporteures ont déjà eu l’occasion de le souligner, à l’ère numérique, la valeur se situe essentiellement dans les données et leur exploitation : ce qui fait la force d’un réseau social est la capacité de l’entreprise à valoriser les données publiées par ses membres tandis que ce qui fait la force d’un moteur de recherche est son aptitude à recueillir et traiter les traces laissées par les internautes. Aujourd’hui, les données sont l’objet d’échanges commerciaux de plus en plus importants. Des « vendeurs de données » sont apparus, accumulant et revendant des données sans que les individus concernés se doutent de quoique ce soit (162). Ainsi, selon le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, « la société américaine Acxiom, spécialisée dans le recueil et la vente d’informations, et qui a dégagé un revenu de 1,15 milliard de dollars en 2012, posséderait en moyenne 1 500 données sur 700 millions d’individus dans le monde » (163).
Or, l’utilisation à des fins commerciales de données à caractère personnel interpelle le législateur, confronté à un double défi juridique et éthique : comment mieux responsabiliser les individus face à leur propre comportement, dont les conséquences ne sont pas toujours mesurées ? Il convient également de s’interroger sur la mise en œuvre de la protection de l’identité numérique des individus, qui regroupe l’ensemble des traces laissées par un individu (adresses IP, cookies), ses coordonnées d’identification, les contenus qu’il publie ou partage en ligne (blogs, avis, discussions, contributions à des sites collaboratifs, jeux), ses habitudes de consommation sur internet ou sa e-réputation.
Plus largement, l’utilisation des données personnelles conduit à mener une réflexion sur la conciliation entre l’intérêt général et l’intérêt individuel. Ainsi du secteur de la santé : le recueil et l’analyse des données de santé pourraient en effet permettre de mieux prévenir certaines maladies, tandis que le secret médical impose la plus grande confidentialité en la matière. Alors que la collecte et l’analyse des données de santé de chacun permettraient de détecter des maladies très en amont et ainsi de sauver des vies, il est essentiel de rapidement parvenir à moderniser le cadre juridique pour les exploiter tout en préservant l’impératif de discrétion et de confidentialité. Il faudra aussi associer les professionnels de santé dans la modernisation de cadre déontologique d’exercice de leur profession : doit-on tout révéler de ce que la science nous permettra de savoir ? À titre d’exemple, si l’on découvre qu’un jeune est porteur du gène caractéristique d’une maladie rare létale se développant entre 40 et 50 ans, doit-on lui dire ?
Quoi qu’il en soit, vos rapporteures sont convaincues de la nécessité d’adapter le cadre juridique existant, principalement issu de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dite « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 (164). Cette loi, modifiée, transpose notamment la directive européenne de 1995 relative à la protection des données (165) que le projet de règlement européen du 25 janvier 2012 (166), adopté en première lecture par le Parlement européen, doit réviser.
La loi de 1978 définit les données personnelles comme toutes les informations relatives à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée par des éléments qui lui sont propres compte tenu des possibilités de croisement des données. Or, à l’heure du Big data, cette anonymisation est quasiment impossible. Par ailleurs, la loi précise que les données personnelles doivent être collectées et traitées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, tandis que leur durée de conservation ne doit pas excéder le temps nécessaire à l’atteinte des objectifs pour lesquels elles sont collectées. Or, il est aujourd’hui difficile de prévoir quel usage pourra être fait de certaines données collectées. Par exemple, comment être assuré que le recueil de certaines données de santé permettra de prévenir telle ou telle maladie ? De plus, le potentiel du Big data repose justement sur le recueil et le traitement du plus grand nombre de données possible.
Si la commission ad hoc aura l’occasion de se prononcer sur ce sujet, vos rapporteures considèrent néanmoins qu’il sera nécessaire de légiférer de manière sectorielle, sans reproduire le modèle de la loi « chapeau » de 1978. En effet, comment traiter juridiquement de la même manière les données personnelles publiées sur Facebook, les données collectées par les compagnies d’assurances ou celles nécessaires au ciblage de la publicité tel que l’effectue une entreprise comme Criteo ?
Pour certains acteurs du numérique, il serait par ailleurs nécessaire de créer un droit à l’expérimentation qui permette à une start-up de collecter certaines données dans l’attente de l’identification précise de son modèle économique. Cela reviendrait ainsi à pratiquer une régulation a posteriori, alors que le modèle français est construit sur une régulation a priori. La régulation a posteriori, telle qu’elle est mise en œuvre par la FCC aux États-Unis par exemple, permet de laisser croître des start-up tout en sanctionnant fortement les abus.
Par ailleurs, vos rapporteures souscrivent à la proposition phare de la commission « Innovation 2030 », présidée par Anne Lauvergeon, visant à créer un principe d’innovation, destiné à être le pendant du principe de précaution. Dans leur rapport (167), les membres de ladite commission indiquent ainsi « qu’il faut réapprendre à oser, à accepter le risque et donc l’échec. Par tous les moyens, il faut stimuler et encourager la création d’entreprises, l’innovation, les PME innovantes, l’expérimentation, l’audace, l’achat innovant, etc. Pour cela, la Commission propose de reconnaître, au plus haut niveau, l’existence d’un principe d’innovation, équilibrant le principe de précaution, yin et yang du progrès des sociétés ». Vos rapporteures partagent pleinement ce souhait s’agissant du numérique et ne peuvent qu’appeler à sa réalisation.
La révolution numérique adresse en tout cas de nombreux défis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dont la jurisprudence et la position à l’égard de l’utilisation des données personnelles ont, par le passé, été parfois jugées trop archaïques par nombre d’acteurs du numérique. La CNIL joue un rôle essentiel s’agissant de la protection des citoyens, comme l’illustre la sanction prononcée le 3 janvier 2014 à l’encontre de Google pour plusieurs manquements aux règles de protection des données personnelles consacrées par la loi « Informatique et Libertés ». La CNIL a ainsi prononcé une sanction pécuniaire de 150 000 € à son encontre – une brindille pour l’entreprise – et ordonné l’insertion sur le site Internet de Google d’un communiqué faisant mention de sa décision – sanction certainement beaucoup plus pénalisante (168). Mais comme le souligne Gilles Babinet, « la CNIL doit faire face à de nouveaux défis. L’informatique de la fin des années 80 a disparu au profit d’une économie numérique, d’un Internet globalisé, complexe, aux limites territoriales floues. À sa création, la CNIL devait prévenir l’intrusion de l’État dans la vie des citoyens, sans leur consentement, via les nouvelles technologies. Aujourd’hui, la Commission doit affronter un univers où le dynamisme économique repose sur les données, personnelles ou non, et sur de nombreuses innovations et gains de productivité » (169). Toutefois, il faut le reconnaître, la position de la CNIL a évolué au cours des derniers mois, l’institution prenant conscience des immenses enjeux que représente pour notre pays le numérique, et de la valeur que représente l’utilisation des données.
Dans ce contexte, vos rapporteures se réjouissent qu’à l’occasion du renouvellement du collège de la CNIL, intervenu en février dernier, trois nouveaux membres imprégnés de la culture numérique aient été nommés : Nicolas Colin, François Pellegrini, professeur à l’université de Bordeaux et chercheur au Laboratoire bordelais de recherche en informatique (LaBRI) et à l’Inria et Philippe Lemoine, président-directeur général de LaSer, président de la Fondation Internet Nouvelle Génération et chargé par le Gouvernement d’une mission sur la transformation numérique de l’économie française.
Parallèlement à la création d’un droit de la donnée renouvelé, il est indispensable de mener des actions pédagogiques à l’encontre des citoyens, trop souvent ignorants des pratiques des entreprises numériques. Même s’il existe un contrat tacite entre les géants du numérique et les internautes – l’utilisation du service est gratuite en l’échange de la collecte des données – des actions de sensibilisation et de responsabilisation pourraient être menées en parallèle de la refonte de la législation.
Propositions :
– Encourager l’adoption d’une législation européenne des données garantissant :
o le droit à la portabilité, c’est-à-dire la possibilité de gérer soi-même ses données personnelles, de les porter d’un système à un autre, de les partager entre plusieurs systèmes et de les récupérer ;
o un équilibre entre la protection de la vie privée et le développement de l’innovation ;
o un droit à l’expérimentation pour le numérique.
– Élaborer un guide de sensibilisation aux enjeux du stockage des données à destination des particuliers.
– Mettre en place un principe d’innovation, pendant du principe de précaution pour le numérique.
2. La neutralité de l’Internet et des réseaux
Vos rapporteures ont réalisé, en 2011, un rapport d’information consacré à la neutralité de l’Internet et des réseaux (170). Elles demeurent attachées à l’ensemble de leurs propositions de l’époque et ne peuvent qu’encourager à leur concrétisation.
3. La régulation des plates-formes
La régulation des principales plates-formes de services et applications numériques était l’un des points forts de la Contribution de la France à la stratégie numérique de l’Union européenne élaborée en amont de la réunion du Conseil européen d’octobre dernier (171) :
« Le maintien d’un environnement numérique ouvert pour les citoyens et les utilisateurs ainsi que pour les entreprises innovantes est une condition indispensable pour promouvoir l’innovation en Europe, le développement de nouveaux services et le respect des valeurs fondamentales de l’Europe.
Une régulation des principales plateformes de services et applications numériques est nécessaire pour garantir un accès ouvert aux services et utilisateurs d’Internet et permettre l’émergence d’acteurs européens de niveau mondial. Les conditions d’accès, de transparence et de non-discrimination devraient être définies dans ce contexte. Elle devrait être suffisamment souple et réactive pour prendre en compte et encourager le caractère innovant et dynamique d’Internet.
La Commission devrait présenter un rapport/une communication avant la fin du 1er trimestre 2014 en vue d’une proposition législative à la fin du 1er semestre 2014. »
Près de six mois après la tenue de ce Conseil européen, force est de constater que les choses n’ont malheureusement pas suffisamment été prises en main au niveau européen. Il s’agit pourtant d’un enjeu essentiel pour l’avenir des start-up européennes. L’affaire qui a opposé les fondateurs de l’application AppGratis à la société Apple (172) a illustré pleinement le déséquilibre des relations existantes entre les start-up et les exploitants de plates-formes. À cet égard, ces relations commerciales ne sont pas sans rappeler les déséquilibres existant entre les centrales d’achat des grandes enseignes de la distribution et leurs fournisseurs.
Les plates-formes se trouvent aujourd’hui en situation de position dominante et constituent un passage obligé pour accéder à des services ou à des informations sur l’Internet. Comme le rappelait Fleur Pellerin, alors ministre chargée du numérique, lors d’une audition devant la représentation nationale (173) , « À l’évidence, le droit de la concurrence est peu efficace actuellement. Nous verrons ce qui résultera des négociations avec Google mais nous savons que le contentieux entre l’Europe et Microsoft a duré dix ans. Avec de tels délais, toutes les entreprises qui engagent des procédures pour abus de position dominante ont largement le temps de disparaître. Il faut trouver des solutions qui permettent de régler les problèmes en moins d’un an, d’où notre souhait d’établir pour les plateformes une régulation ex ante, sur le modèle de la régulation symétrique imposée aux opérateurs de télécommunications. Bien entendu, c’est l’échelon européen qui est pertinent pour soutenir un rapport de force avec des plateformes comme YouTube et autres réseaux sociaux. L’objectif est de les soumettre à différentes obligations en matière d’ouverture, d’interopérabilité, etc., pour pouvoir opérer en Europe avec des données personnelles de citoyens européens. »
Vos rapporteures partagent pleinement cette position et encouragent vivement les autorités françaises à poursuivre ce chantier dans le cadre des discussions en cours au niveau européen…
I. CONSOLIDER LES FILIÈRES D’AVENIR ET CRÉER LES CHAMPIONS DE DEMAIN
Les industries du numérique de demain sont en train d’être imaginées et conçues à travers le monde. Pour certaines, le mouvement est déjà enclenché depuis quelques années, mais tout reste à construire, et tout est possible pour des acteurs européens qui ont, reconnaissons-le, plutôt manqué l’ère du Web 1.0 et du Web 2.0. Partout, des stratégies numériques sont mises en place afin d’identifier les filières stratégiques qui permettront de retrouver la route de la croissance et de l’emploi. La bataille sera dure, certes, face aux géants du numérique, qui ont dominé la première partie de la révolution numérique, disposent de capacités financières sans égal et continuent de grandir par l’acquisition de plus jeunes entreprises dont les innovations s’avèrent incontournables stratégiquement. Contrairement aux idées reçues, les entreprises américaines ne sont pas les seules à représenter une menace pour l’avenir des acteurs économiques européens. À l’Est, les groupes chinois comme Tencent ou AliBaba poursuivent leur croissance à des rythmes effrénés, et sont quasiment tout aussi puissants que Google, Amazon ou Facebook. Alors que l’on observe une forte concentration des acteurs de l’Internet, il sera de plus en plus complexe de construire un champion du numérique capable de rivaliser avec les entreprises mentionnées à l’instant.
Certaines filières de demain ont déjà été identifiées, mais la plupart n’ont même pas encore été imaginées par les innovateurs radicaux. En attendant que ces dernières soient identifiées, il est de la responsabilité des acteurs publics de soutenir les filières dotées du plus fort potentiel et d’accompagner les acteurs privés dans la conquête de ces nouveaux marchés.
La Nouvelle France industrielle, dont les priorités ont été détaillées en septembre 2013 par le Président de la République, a l’ambition de placer la France sur le chemin de la reconquête industrielle, en concentrant l’énergie de l’ensemble de la société sur les secteurs à forte croissance correspondant à des savoir-faire de notre pays. Le travail d’identification de 34 plans industriels a été mené par le ministère du Redressement productif, appuyé par le cabinet McKinsey, en lien avec les pôles de compétitivité et les comités stratégiques de filières, au sein desquels les chefs d’entreprise, les partenaires sociaux, les administrations et les fédérations professionnelles prennent une part active. Un tiers des 34 plans (174) repose sur le numérique.
Vos rapporteures présentent ici trois secteurs d’activité qui leur semblent parmi les plus porteurs de valeur, et recommandent que l’État, les collectivités territoriales, les investisseurs, les grands groupes et les PME se lancent pleinement dans ces chantiers. Cela passe par la création d’incubateurs et d’accélérateurs, la concentration des financements publics sur quelques secteurs, la promotion permanente de ces innovations, dans la presse, dans le discours politique, et la sensibilisation de nos concitoyens quant aux bienfaits de ces technologies sur leur quotidien car personne n’est séduit par une technologie, c’est son usage qui fonde le succès d’une application.
A. LES OBJETS CONNECTÉS ET LES PLATES-FORMES WEB DU FUTUR
L’expression « objets connectés », ou l’Internet des objets, désigne les objets connectés à internet qui transmettent des données numériques par le biais de puces radiofréquences (RFID). Ces objets peuvent communiquer entre eux. On les retrouve dans la grande distribution, dans les objets du quotidien (podomètres connectés, domotique, compteurs électriques intelligents), dans les avions, les voitures, dans le monde médical, etc. Les plus populaires, au-delà de l’emblématique télévision connectée, sont les montres – Apple et Samsung ont lancé leurs premiers produits sur ce segment – les lunettes – sur lesquelles mise Google – et les appareils électroménagers.
Selon la société Ericsson, le nombre d’objets connectés dans le monde atteindra 50 milliards d’ici à 2020, contre environ 12 milliards aujourd’hui (175) et d’après Rafi Haladjian, fondateur de la plate-forme française Mother, qui propose des services permettant de gérer ses propres objets connectés, et créateur du lapin connecté Nabaztag en 2005, il y aura à terme une trentaine d’objets connectés par foyer. À un horizon plus lointain, ces objets connectés seront vraisemblablement de véritables robots bien plus évolués qu’Asimo. Ce dernier, conçu par Honda, et dont la dernière version a été présentée à New York le 16 avril 2014, est un robot blanc de 1,30 mètre, pesant 50 kg, capable de courir à 9 kilomètres par heure ou de marcher et monter un escalier dans la foulée sans s’arrêter. Doté d’une autonomie de 40 minutes grâce à une batterie lithium-ion, Asimo saute à pieds joints ou à cloche-pied, tape dans un ballon, danse en bougeant les jambes et les bras presque en rythme, « parle » en langue des signes américaine ou japonaise, et sert même à boire (176).
Ainsi, selon le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, « à l’internet des objets succéderait ainsi un internet des robots, avec une intelligence plus décentralisée ». Derrière le gadget, l’objet connecté représente donc un formidable enjeu pour tous les secteurs d’activité, mais surtout pour l’amélioration de notre quotidien. Les objets connectés participeront au maintien des personnes âgées à domicile, grâce aux robots d’assistance et à la santé connectée, permettront d’améliorer la gestion de l’énergie, via les compteurs intelligents, de rationaliser les modes de transports, par le biais des logiciels embarqués et de simplifier la vie au quotidien, grâce à des applications comme HomeChat, développée par l’entreprise LG, qui permet de dialoguer avec ses appareils électroménagers, ou même, à terme, la commercialisation de la voiture sans chauffeur (177). Le potentiel des objets connectés dépasse l’imagination…
Les acteurs français sont en pointe en matière d’objets connectés, que l’on pense à Archos, qui a présenté quinze objets connectés au salon de Las Vegas (Consumer Electronics Show) cet hiver, ou à Netatmo, spécialisé dans les outils de mesure de l’environnement comme les stations météo ou les thermostats connectés, Parrot, réputé pour ses drones, ou encore Withings, spécialiste de la santé connectée.
Or, le développement de ces nouvelles applications 3.0 voire 4.0 nécessitera obligatoirement des plates-formes liées à l’internet des objets. Comme vos rapporteures ont tenté de le montrer, une plate-forme est un actif économique beaucoup plus robuste qu’une application, dont la robustesse sur le marché n’est que d’apparence. Elles encouragent donc vivement, en plus du développement de nouvelles applications, à la constitution de plates-formes dédiées à l’internet des objets.
Proposition :
– Réserver une part de la commande publique « numérique » au développement de nouvelles applications dans le domaine de l’internet des objets.
Le développement de l’internet des objets aura deux conséquences majeures : d’une part, il accroîtra le trafic internet, d’autre part il générera une quantité de données gigantesque. Ainsi, le corollaire du développement de l’internet des objets est naturellement le cloud computing, qui permet de stocker des données hors sol, et le big data, qui permet de les analyser.
B. LE CLOUD ET LE FOG COMPUTING
Comme le relève le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans son étude précitée, « l’Europe tient encore tête aux États-Unis en termes de capacités de stockage et de traitement de l’information. Mais si la migration des données et des applications dans le « nuage » se confirmait, la situation pourrait se dégrader, avec trois conséquences :
– une balance des paiements déficitaire, des acteurs technologiques et des services informatiques moins puissants et moins performants ;
– des données hébergées à l’extérieur du pays, dans des conditions de sécurité non garanties, auprès d’acteurs parfois hors de portée des juridictions nationales ;
– des grands acteurs en position constante d’initiative (Google sur StreetView, Facebook sur la vie privée), face auxquels les acteurs publics européens jouent “en défense” et, malgré quelques réussites, cèdent constamment du terrain. »
Le cloud désigne le stockage des données et des applications « dans le nuage », c’est-à-dire dans des serveurs situés sur le réseau, au lieu de stocker ces données sur le terminal.
Source : Wikipédia, cloud computing
Le fog désigne le stockage de données et des applications « dans le brouillard ». On parle de fog depuis que l’entreprise américaine Cisco a développé une plate-forme « fog » permettant d’intégrer les données récoltées aux extrémités du réseau. Le fog se distingue du cloud de trois manières : sa proximité avec l’utilisateur final, une distribution géographique plus dense ainsi qu’un support de mobilité intégré. Cette solution autorise le stockage d’un plus grand volume de données, et ce de manière plus rapide (178).
Aujourd’hui ces technologies permettent aux entreprises comme aux administrations de réaliser d’importantes économies en stockant des données à moindre coût. Ainsi, le prix d’un gigaoctet pour un disque dur est passé de 12,30 euros en février 2000 à 0,07 euro en août 2010 (179). Cette baisse du coût du stockage explique sans doute pourquoi le recours à ces technologies s’est accru de 30 % en 2012 selon les données fournies par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Au-delà de cette baisse des prix, le stockage des données sur le réseau permet également de considérer son coût comme un coût variable et non plus comme un coût fixe.
Or, même s’il est parfaitement compréhensible que les entreprises comme les organisations publiques souhaitent recourir à ce mode de stockage, l’enjeu de sécurité des données ne doit pas être négligé. Malgré les engagements de confidentialité, les créateurs de ces technologies utiliseraient, selon le CGSP, des backdoors leur permettant d’avoir accès à l’ensemble des données stockées (180). Les données pourraient donc potentiellement être accessibles, revendues, exploitées ou espionnées, par le fournisseur de service. Cette crainte a été renforcée par l’affaire PRISM, et la révélation de la possibilité pour l’administration américaine, grâce au Patriot Act, d’accéder directement aux données stockées sur les serveurs des entreprises américaines.
Assurer la sécurité des données constitue donc un enjeu pour la France, et plus largement pour l’Europe. Cela passe premièrement par une sensibilisation des acteurs quant au risque issu du stockage de données sensibles à l’étranger. Si les administrations, les collectivités territoriales ou les grands groupes semblent avoir pleinement conscience de ces enjeux, et ont les moyens de conserver des serveurs en interne dans l’attente d’une solution de stockage sûr, l’enjeu est particulièrement criant pour les PME et les TPE, pour lesquelles l’externalisation d’une activité représentant un coût important est une source immédiate d’économie dans un contexte économique morose. Il en va de même pour les nouvelles entreprises, qui peuvent dès le départ décider de stocker leurs données uniquement sur le cloud. Le développement de ces pratiques soulève des enjeux criants s’agissant de la sécurité informatique, qui ne doivent pas être négligés.
Deuxièmement, il est urgent d’avancer sur l’établissement d’un cadre juridique relatif aux données personnelles, comme vos rapporteures le détailleront plus loin dans le rapport. Elles rappellent à ce stade que le Conseil JAI (Justice-Affaires intérieures) organisé les 6 et 7 juin 2013 a défini un cadre d’élaboration d’une nouvelle législation, reposant notamment sur la création d’un droit à la portabilité des données.
Troisièmement, la constitution de solutions européennes de stockage des données est une nécessité. La France a déjà avancé sur le sujet, en subventionnant via la Caisse des dépôts et consignations deux clouds initialement dits « souverains », à hauteur de 150 millions d’euros dans le cadre de partenariats publics-privés :
– Cloudwatt, créée en septembre 2012 par Orange et Thalès. Encore en déploiement, l’offre repose sur des technologies open source ;
– Numergy, société créée en septembre 2012 par SFR et Bull sur la base du projet Andromède. Numergy poursuit actuellement une stratégie européenne, et cherche notamment à développer des partenariats.
Propositions :
– Élaborer un guide de sensibilisation aux enjeux du stockage des données à destination des acteurs économiques (en particulier les PME et les TPE) et des collectivités territoriales.
– Faire de la cybersécurité un enjeu majeur du développement économique des entreprises.
– Poursuivre le développement d’entreprises françaises et européennes spécialisées dans le cloud et le fog computing.
– Rédiger les cahiers des charges de telle sorte que 30 % du montant des projets Cloud Computing confiés par le secteur public aux grands acteurs de l’informatique soient sous-traités à des TPE et des PME (181).
Selon le CGSP, le Big Data se définit comme la capacité de traitement de masses de données, et regroupe l’ensemble des technologies, infrastructures et services permettant la transformation des données en informations et des informations en connaissances. Au cœur de ce domaine se trouvent l’analyse et le traitement automatisé des données et informations, et donc l’intelligence artificielle.
Pour la plupart des acteurs rencontrés par vos rapporteures, « la prochaine grande révolution c’est le Big Data ». À l’heure actuelle, les entreprises comme les administrations disposent de masse de données, accumulées au fil des années et produites en nombre toujours plus important par l’informatique embarquée. Selon l’Association française des éditeurs de logiciels (AFDEL), 30 % du coût d’une voiture est aujourd’hui le fait de l’informatique, tandis qu’un tiers du coût d’un avion est dû à l’informatique embarquée. Chaque appareil Airbus enregistre un téraoctet (182) de données par heure de vol. Le volume de données numériques augmente de manière exponentielle. À titre d’exemple 90 % de l’ensemble des données aujourd’hui disponibles ont été créées ces deux dernières années (183). Comme le souligne le CGSP, alors que l’on parlait il y a peu de gigaoctets (109 octets), on parle maintenant plutôt de téraoctets (1012 octets), de pétaoctets (1015 octets), d’exaoctets (1018 octets) et même de zettaoctets (1021 octets). Ces données sont stockées mais, jusqu’à présent, personne ne sait comment les valoriser. Pourtant, chacun a conscience qu’une immense valeur se trouve dans ces données, surtout dans un contexte de réduction des marges des produits physiques.
Le Big Data représente la prochaine vague technologique permettant aux entreprises de se différencier, en proposant des modèles adaptés à chaque situation. De plus, le développement de ces services amènera le numérique à bouleverser des secteurs économiques qu’il commence à peine à concerner, comme l’assurance, la banque ou l’énergie. Le potentiel des applications pouvant directement et positivement influencer notre vie est loin d’être pleinement identifié : le croisement des données de santé permettra de détecter en amont les maladies – au Canada le traitement des informations sur l’état de santé de bébés prématurés avec un logiciel d’aide au diagnostic a permis de détecter des infections vingt-quatre heures avant la manifestation de symptômes visibles (184) – l’analyse des données dans le domaine de l’éducation permettra d’améliorer la formation des élèves, l’analyse des données météorologiques permettra aux agriculteurs d’adapter leurs rythmes et méthodes de travail, et aux énergéticiens de piloter avec précision le fonctionnement des éoliennes. Dans le domaine des transports, il sera possible d’adapter avec précision les infrastructures et les services (horaires des trains par exemple) aux déplacements des populations. La spécificité du Big Data réside aussi dans la variété des sources analysables.
Par ailleurs, l’Australie a clairement annoncé, dans le cadre d’un Plan stratégique concernant les technologies de l’information et de la communication pour la période 2012-2015, son intention de moderniser l’action publique et le fonctionnement de l’administration grâce au Big Data. Pour ce faire, un centre d’excellence pour l’analyse et la gestion des données sera créé et mis à la disposition de l’ensemble du gouvernement (185).
L’essor du Big Data soulève plusieurs enjeux : la protection des données, une nouvelle fois – comment analyser des données de santé ou relatives à la performance éducative des étudiants ? – mais aussi la question de la fiabilité des informations, alors que l’Internet regorge d’informations erronées, dont l’exploitation pourrait entraîner des conséquences désastreuses. À titre d’exemple, vos rapporteures soulignent qu’en janvier 2011, un faux tweet, publié sur un compte Twitter n’ayant que onze followers, a entraîné en deux minutes l’échange de 300 000 actions de l’entreprise Audience, et la chute de 25 % du cours de l’entreprise… (186) Par ailleurs, si les envies des usagers peuvent être scrutées et anticipées, quelles seront les conséquences sur la production culturelle ? La variété subsistera-t-elle à une offre conçue au regard des grandes tendances ?
Pour l’heure, l’investissement dans le Big Data est surtout l’œuvre des acteurs privés. Selon une récente enquête (187) réalisée en 2012-2013 auprès de 1 217 entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard de dollars, 643 entreprises ont déployé une stratégie Big Data en 2012, dont 7 % ont investi au moins 500 millions de dollars et 15 % au moins 100 millions de dollars. En comparaison, l’administration américaine a annoncé, en mars 2012, financer à hauteur de 200 millions de dollars un programme intitulé « Big Data Initiative », destiné à améliorer les technologies (stockage, analyse, collecte des données), accélérer la recherche en science et en ingénierie, renforcer la sécurité nationale, transformer l’enseignement et l’apprentissage, et développer une main-d’œuvre qualifiée dans le secteur (188). En Europe, l’Irlande a lancé une initiative en la matière dans le cadre de son Plan d’action pour l’emploi de 2013 et décidé d’investir un million d’euros pour développer un centre de recherche. La Commission européenne a, quant à elle, prévu d’investir 3 millions d’euros pour la création d’un forum internet visant à définir les grandes orientations en matière d’analyse des Big Data au sein de l’Union européenne.
Notre pays est en retard, mais la bataille n’est pas encore perdue et nous sommes récemment entrés dans l’arène. Ainsi, dans le cadre d’un appel à projets des Investissements d’avenir, sept projets traitant des Big Data ont été sélectionnés et seront financés à hauteur de 11,5 millions d’euros (189). Par ailleurs, Fleur Pellerin, alors ministre déléguée chargée du numérique, avait constitué une mission chargée de définir les orientations nécessaires à l’émergence d’une filière française Big Data (190). Cette mission, dont les conclusions ont pour la plupart été reprises par le Gouvernement, recommande la création d’un incubateur parisien doté d’un investissement de 300 millions d’euros provenant de fonds publics et privés. Selon les calculs de la mission Big Data, la valeur générée par cet investissement pourrait atteindre 2,8 milliards d’euros et créer dix mille emplois directs sur la période.
Vos rapporteures partagent pleinement ces positions. Il faut donc se lancer pleinement dans le Big Data, en focalisant la recherche sur ce sujet, en créant un incubateur et en dédiant des fonds à l’amorçage de start-up se lançant sur ce segment de l’activité. La France est souvent louée pour la qualité de sa formation en mathématique et d’ingénieurs. Or le Big Data nécessite justement la combinaison des compétences en mathématiques et analyse statistique afin de concevoir des algorithmes performants. Nous avons donc toutes les cartes en main.
Propositions :
– Mettre en œuvre les recommandations de la mission Big Data :
o créer un fonds de financement de 300 millions d’euros en partenariat public-privé ;
o développer un incubateur dédié au Big Data qui fasse référence dans le monde ;
o déployer l’écosystème d’infrastructure, de compétences, de formation, de financement…
I. METTRE L’ACTION PUBLIQUE À L’HEURE DU 2.0
La conversion numérique de l’État, des collectivités territoriales et de leurs administrations est indispensable. Elle répond à un enjeu d’efficacité de l’action publique.
L’action publique se doit d’être exemplaire. Pour ce faire, elle doit montrer la voie en encourageant la conversion numérique. En effet, pourquoi les entreprises et la société fourniraient-elles les efforts nécessaires à leur conversion numérique si l’État et les collectivités territoriales jugent que cela n’est pas nécessaire et encore moins urgent pour eux-mêmes ?
D’abord, vos rapporteures l’ont déjà indiqué, l’État et les collectivités territoriales doivent se montrer exemplaires par le biais de la commande publique.
Ensuite, l’administration française doit réellement opérer sa conversion numérique, la mise en ligne des formulaires n’étant qu’une première étape. Il s’agit d’un défi majeur pour l’efficacité de l’action publique, sa légitimité, mais plus prosaïquement pour réduire la dépense publique. Alors que les besoins ne font que s’accroître et que les moyens diminuent sans cesse, la conversion numérique est une chance de répondre à l’enjeu. Or, notre pays part de très loin en ce domaine, même si l’action de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) donne le sentiment d’une administration pleinement modernisée. La numérisation de l’action a connu de profonds échecs, dans le plus emblématique est celui du dossier médical personnel.
Le Dossier médical personnel : une analyse critique de la Cour des Comptes
Suite à sa saisine par la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Cour des Comptes a publié en février 2013 un rapport consacré au coût réel du Dossier médical personnel depuis sa mise en place (191).
Dans ce rapport, la Cour considère que l’absence de suivi financier précis et l’impossibilité de consolider le montant des fonds publics considérables consacrés, sous de multiples formes et par un grand nombre d’acteurs, au DMP ne sont pas seulement gravement préjudiciables à l’appréciation de son coût réel. Ces défaillances attestent aussi d’une absence particulièrement anormale de stratégie et d’un grave défaut de continuité de méthode dans la mise en œuvre d’un outil annoncé comme essentiel à la réussite de profondes réformes structurelles. En effet, avec notamment l’instauration du médecin traitant et la mise en place d’un parcours de soins coordonnés du patient, il en est attendu des gains majeurs d’efficience et de qualité du système de santé.
Créé et consulté par des professionnels de santé à la demande de son titulaire, le DMP contient les informations personnelles de santé nécessaires au suivi et à la coordination des soins : analyses de laboratoire, antécédents, certificats, comptes rendus hospitaliers et de radiologie, traitements... Les professionnels de santé ou le titulaire du DMP les y ajoutent et les partagent. Le patient peut prendre connaissance de l’historique de toutes les actions ainsi effectuées, supprimer des documents, fermer temporairement ou détruire son DMP et en obtenir une copie.
Après une longue phase de recherches, d’expérimentations régionales et de développements infructueux lancée en 2005, le système des DMP informatisés est accessible sur Internet depuis 2011. Mi-juin 2012, 158 000 DMP étaient ouverts, au rythme quotidien d’un millier de créations et de deux mille dépôts de document (192).
La Cour estime à au moins 210 millions d’euros le coût total du DMP entre la loi du 13 août 204 relative à l’assurance maladie l’ayant instauré et fin 2011, tout en soulignant le caractère incomplet des données régionales en ce domaine. Par ailleurs, le coût du développement et de la mise en place de systèmes de dossiers médicaux personnels, hospitaliers ou nationaux, y compris l’historique des remboursements de la CNAMTS, a vraisemblablement dépassé un demi-milliard d’euros à fin 2011.
Source : Cour des comptes. Extraits du rapport.
La DGFiP, il faut le saluer, a été un précurseur au sein de l’administration française et est d’ailleurs vue comme l’administration de référence dans l’imaginaire collectif. Elle a d’ailleurs vocation à être celle de référence à horizon cinq ans. La numérisation de la DGFiP est évidemment liée à la déclaration de l’impôt sur le revenu. Aujourd’hui, 13,5 millions de contribuables télédéclarent leur impôt sur le revenu, ce qui représente une hausse d’un million de personnes entre 2012 et 2013. Alors qu’environ un tiers des foyers sont couverts, l’augmentation du nombre de télédéclarants est moins forte depuis 2006, après un fort décollage dès 2000. Le site impots.gouv.fr a recueilli 68 millions de connexions en 2012. Ces bons chiffres imposent des systèmes d’information performants, alors que la grande majorité des connexions a lieu à deux moments de l’année, au moment de la télédéclaration et au moment du télépaiement. S’agissant des entreprises, celles dont le chiffre d’affaires était supérieur à 210 millions jusqu’en octobre 2013 – et à 80 millions depuis – sont soumises à une obligation de télédéclarer et de télépayer.
Pour la DGFiP, l’enjeu principal aujourd’hui est de permettre aux particuliers de retrouver l’intégralité des informations et services sur le portail internet, y compris ceux ne relevant pas de la responsabilité de l’État mais des collectivités territoriales par exemple. Ils pourraient ainsi régler au même endroit leurs impôts, les amendes, les cotisations de la cantine scolaire ou de la piscine municipale. Afin de permettre ces opérations, il est nécessaire de faire évoluer le portail actuel en créant un espace sécurisé et unifié offrant davantage de services, comme une messagerie intégrée, sur le modèle de ce que pratiquent les banques en ligne. Il faudrait pouvoir garantir aux particuliers que ces échanges soient opposables, ce qui suppose leur traçabilité.
La DGFiP a également déployé le service Télé@ct, qui a pour but la modernisation de la publicité foncière par la dématérialisation des échanges entre les notaires et les conservations des hypothèques. À ce titre, vos rapporteures soulignent que jusqu’en 2004, le fichier immobilier supportant le système hypothécaire, mis en place en 1956, existait seulement en format papier et était constitué de quelque 200 millions de fiches de personnes et de fiches immeubles, conservées dans les bureaux des hypothèques ! La numérisation des procédures permet de rendre l’action publique plus efficace et d’affecter des agents à des tâches plus enrichissantes pour eux et pour l’administration. Le passage d’une base de données au format papier, dispersée, difficile à gérer et à actualiser, à une base de données centralisée et informatisée permet un gain de temps important, les délais de réponse de la conservation des hypothèques passant de deux ou trois semaines à quelques jours au maximum.
Par ailleurs, la DGFiP mène actuellement trois chantiers essentiels pour réduire les dépenses publiques, et qu’il est incompréhensible, du moins s’agissant des deux premiers, de ne pas avoir lancé plus tôt. Le premier est la numérisation des timbres fiscaux (passeport, permis bateau, etc.), qui seraient remplacés par un timbre électronique, alors que le coût du timbre est de 50 millions d’euros par an environ, la DGFiP versant 20 millions d’euros aux débitants de tabac au seul titre des commissions… Vos rapporteures aimeraient se voir communiquer l’étude d’impact économique accompagnant sans nul doute ce projet.
Le deuxième est la dématérialisation des bulletins de paie des agents, en cours de conception. Pour l’heure, une telle évolution est impossible : en effet, l’article 26 de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures (193) a modifié le Code du travail afin d’autoriser l’employeur, avec l’accord du salarié, à remettre le bulletin de paie sous forme électronique. Mais le Code du travail ne s’applique pas à la fonction publique. À l’époque de l’examen du texte par le Parlement, députés et sénateurs de toutes tendances politiques avaient manifesté leur souhait de voir cette possibilité étendue à la fonction publique. La modification de la réglementation applicable est néanmoins du ressort du pouvoir exécutif et si des initiatives ont été lancées au sein de certaines administrations, il est temps d’engager réellement le processus de numérisation des bulletins de paie des agents publics.
Le troisième, enfin, constitue l’une des sources d’économie les plus importantes : il s’agit de la numérisation des relations entre la DGFiP et les collectivités territoriales. La DGFiP assure en effet la gestion des pièces relatives à 170 000 budgets ! À partir du 1er janvier 2015, entrera en vigueur un protocole d’échanges visant à dématérialiser les pièces justificatives, soit 627 millions de feuilles A4 échangées annuellement. La DGFiP s’est fixé l’objectif d’atteindre un taux de dématérialisation de 80 % en 2018.
Outre la possibilité de réaffecter des agents à d’autres tâches, plus enrichissantes pour eux et pour l’administration, la dématérialisation représente une source très importante d’économie : la DGFiP est ainsi le deuxième client de La Poste, et ses frais d’affranchissement s’élèvent à 230 millions d’euros par an, tandis que ses frais d’édition s’élèvent à 35 millions par an !
Si la DGFiP mène des actions tout à fait exemplaires, elle ne représente nullement l’ensemble de l’administration… L’administration est de manière générale très en retard en matière de numérisation des procédures et de son fonctionnement.
La modernisation de l’administration a été confiée au Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), créé par décret en octobre 2012 (194). Le SGMAP a ainsi pris la suite de la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME), créée par décret le 30 décembre 2005 en vue de transformer l’État et d’assurer un meilleur service aux usagers et un meilleur ratio coût-qualité. Le développement des usages mobiles et la banalisation du recours au smartphone imposent de concevoir des services accessibles sur mobile, ce qui oblige à la simplicité et modifie l’approche jusqu’à présent suivie par l’administration dans la fourniture d’informations. Ainsi, le moindre site d’une administration publique ou les sites d’information générale (195) débordent d’informations, au risque de décourager le lecteur d’achever sa quête de renseignements. En développant des interfaces pour terminaux mobiles, le SGMAP est contraint de synthétiser, et de passer d’une logique de l’offre à une logique de l’usage. Le développement de ces applications pose d’ailleurs un enjeu en termes d’indépendance comme de politique industrielle : ainsi, plutôt que développer des applications sur des systèmes fermés comme iOS ou Android, le SGMAP s’oriente vers un développement en langage Html 5, c’est-à-dire ouvert.
Le numérique constitue ainsi un formidable moyen pour l’administration d’améliorer le service aux usagers.
Vos rapporteures ont déjà fait mention du programme « Dites-le-nous une fois », qui vise à simplifier la vie des entreprises. Mais plus largement, la réduction de la redondance dans les informations demandées intéresse chaque citoyen. Ainsi, selon le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, « au Royaume-Uni, pour les demandes de nouveaux permis, l’agence en charge des permis de conduire et de l’immatriculation des véhicules peut récupérer les photographies et les signatures nécessaires dans les données en ligne du service en charge des passeports (si le demandeur a un passeport) » (196).
Que l’on pense simplement qu’un étudiant désirant postuler à une université doit remplir, chaque année et pour chaque université, un formulaire différent – phénomène que l’autonomie des universités pourrait renforcer si l’on n’y prend pas garde. Que l’on songe qu’un étudiant doit, chaque année, renseigner les notes obtenues au baccalauréat et au cours de l’année universitaire précédente. Il serait temps sur ce point de créer un dossier universitaire électronique, qui simplifie les procédures d’inscription et suive l’étudiant tout au long de sa formation. Une telle ressource permettrait, par ailleurs, de mieux connaître le parcours de l’étudiant, ses compétences, et ainsi d’offrir des conseils d’orientation plus adaptés.
De même, les administrations des collectivités territoriales sont parfois fermées les unes aux autres alors mêmes qu’elles interviennent parfois sur le même champ au sein du même territoire.
La création d’une administration 2.0 est aujourd’hui une nécessité afin de réduire le coût de la dépense publique, de retrouver l’efficacité de l’action publique et d’améliorer le fonctionnement de l’administration. Elle pose néanmoins des enjeux juridiques, le rapprochement de fichiers nécessitant un accord de la CNIL, de ressources humaines et de dialogue social, la dématérialisation étant souvent vécue comme un moyen de réduire les effectifs, et de conduite du changement, en raison de l’impact sur les manières de travailler.
Dans le même temps, passer au « tout-numérique » serait une erreur en matière de services publics, car il est nécessaire de tenir compte de la fracture numérique, géographique, sociale et économique, comme il est illusoire de penser que le numérique sera amené à remplacer la présence humaine sur les territoires. La présence physique des opérateurs de services publics, en plus de répondre à une réelle demande de la part des citoyens, constitue une exigence pour l’État et les collectivités territoriales.
la politique d’Open Data de l’administration.
L’Open Data se définit comme le processus d’ouverture des données publiques ou privées pour les rendre disponibles à l’ensemble de la population sans restriction juridique, technique ou financière. Elle constitue un formidable potentiel de croissance, des données jusqu’alors inexploitées se trouvant soudainement sur le marché, prêtes à être utilisées et valorisées.
En France, la mission Etalab, dirigée par M. Henri Verdier, pilote la politique d’ouverture et de partage des données publiques. Etalab administre le portail unique interministériel data.gouv.fr destiné à rassembler et à mettre à disposition librement l’ensemble des informations publiques de l’État, de ses établissements publics et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales et des personnes de droit public ou de droit privé chargées d’une mission de service public.
Etalab met à disposition gratuitement des données publiques, conformément au principe général de réutilisation libre, facile et gratuite fixé par la circulaire du Premier ministre du 26 mai 2011 (197) relative à l’Open Data, en mettant l’accent sur les données à fort impact sociétal (santé, éducation, etc.) ou à fort potentiel d’innovation sociale et économique. Une nouvelle étape a été franchie en juin 2013 avec la signature par la France de la Charte du G8 pour l’ouverture des données publiques.
355 000 informations publiques sont aujourd’hui accessibles gratuitement et réutilisables : les dépenses du budget de l’État à partir d’un seul fichier brut dans un format réutilisable, la liste des biens immobiliers propriété de l’État,
L’objectif est ainsi de rendre des comptes aux citoyens sur le fonctionnement de l’État et de ses administrations en permettant une plus grande transparence de leur fonctionnement. Selon Henri Verdier, « l’open data est un geste fort de transparence, mais aussi une porte d’entrée vers la révolution numérique pour la puissance publique ».
Malgré les progrès constatés, il faut aller plus loin. Ainsi, les données disponibles le sont trop rarement au travers d’interface de programmation (API), ce qui limite les usages potentiels. Par ailleurs, vos rapporteures sont convaincues de la nécessité d’inverser la logique jusqu’à présent adoptée, en passant d’une ouverture progressive des données publiques à une politique d’open data par défaut. Ainsi, elles considèrent que les données publiques devraient être automatiquement publiques, et que l’administration devrait justifier la fermeture de certaines données par un motif d’intérêt général.
La conversion numérique de l’administration nécessite en préalable une prise de conscience, alors que la Cour des comptes pointe régulièrement les faiblesses de l’informatique publique, celle-ci étant « perçue comme un simple moyen technique devant respecter un environnement réglementaire défini et des délais spécifiques alors qu’il s’agit d’une véritable ré-ingénierie des ressources ». Pour ce faire, la puissance publique doit se doter, à côté d’une feuille de route numérique, d’une feuille de route technologique.
Propositions :
– Fournir un effort particulier à destination de la numérisation des administrations territoriales, décentralisées ou déconcentrées.
– Consacrer le principe d’ouverture par défaut des données publiques dans le cadre de la politique d’Open data des administrations d’État et territoriales.
– Élaborer une feuille de route purement technologique (équipement informatique), à côté de la feuille de route numérique.
– Mener quelques actions symboliques pour témoigner de l’engagement de la puissance publique dans la conversion numérique :
o Créer un dossier scolaire et universitaire électronique pour chaque élève et étudiant ;
o Engager le processus de numérisation des bulletins de paie des agents publics.
L’ambition du numérique est de gommer les bugs, ce qui a souvent pour corollaire de supprimer l’intermédiation. À ce titre les pouvoirs publics peuvent se voir remis en cause dans certaines de leurs activités. Dans le même temps, les messages véhiculés par le numérique – collaboration, horizontalité et immédiateté – amènent les citoyens à demander une refonte de l’action publique.
Pour ce faire, il faut réinventer les services publics en même temps que renouveler les institutions.
S’agissant d’abord des services publics, le numérique permet d’améliorer les services publics d’aujourd’hui tout en inventant ceux de demain.
Premièrement, l’accès aux services existants peut être rendu plus efficace. Ainsi, les articles 20 et 21 du projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires, déposé au Sénat le 10 avril 2014, encouragent le développement des maisons de services au public (MSP), afin d’améliorer l’accès des populations aux services via le numérique. La création des maisons de service au public était l’une des propositions phares du rapport remis le 8 octobre 2013, par nos collègues Carole Delga, députée socialiste de Haute-Garonne, et Pierre Morel-A-l’Huissier, député UMP de la Lozère, sur l’accessibilité et la qualité des services au public dans les territoires fragiles (198). D’après le rapport de notre collègue Michèle Bonneton sur les crédits affectés à La Poste dans le projet de loi de finances initial pour 2014 (199), le nombre total de MSP avoisinerait 450. Les MSP peuvent rassembler neuf opérateurs nationaux (La Poste, EDF, SNCF, GDF Suez, Pôle emploi, l’Assurance Maladie, les Allocations Familiales, la Mutualité Sociale Agricole et l’Assurance Retraite) et autant de partenaires locaux qu’elles le souhaitent, dans le but de concentrer l’accès à leurs services. Dans certains cas, les usagers peuvent échanger directement avec l’un des opérateurs par le biais d’une interface numérique, et recevoir ou transmettre des documents de manière instantanée. Cette avancée technologique ne doit pas, une nouvelle fois, faire oublier l’importance d’une présence territoriale. Ainsi, le groupe La Poste, qui prend pourtant part aux MSP, a récemment multiplié les opérations de communication autour de la thématique « en chair et en os », afin de souligner l’importance de sa présence physique territoriale (200).
Deuxièmement, il est nécessaire d’identifier les services publics de demain. Dans cette perspective, le Gouvernement a organisé il y a un an, sous la houlette du SGMAP, un séminaire de travail visant à concevoir le laboratoire Futurs publics, chargé d’élaborer les nouveaux services publics de demain. Cette institution, directement inspirée du Nesta Public Services Lab au Royaume-Uni, de l’Office of Personnal Management Innovation Lab aux États-Unis ou du MindLab au Danemark, a été officiellement lancée par la Ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, Marylise Lebranchu, en novembre 2013 (201). Confirmé par le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2013, Futurs publics a engagé quatre chantiers :
– simplifier les demandes d’aides sociales : changer radicalement la façon de demander les différentes aides sociales, en partant de la situation personnelle de chaque usager, tout en luttant contre le non-recours et en générant des gains de gestion ;
– améliorer la prise en charge administrative des personnes en situation de handicap : expérimenter dans deux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) le traitement personnalisé des demandes et améliorer drastiquement l’efficacité de la prise en charge des personnes handicapées ;
– repenser l’action des « maisons de services aux publics » pour une meilleure coopération entre acteurs publics et optimiser l’accès aux services de proximité ;
– développer les usages pédagogiques du numérique dans les collèges (opération Collèges connectés) et valoriser les investissements des acteurs publics en ce sens.
En parallèle, des appels à projets seront lancés tous les six à huit mois auprès des ministères, et seront soutenus par Futurs publics selon deux modalités : la conduite de projet en mode laboratoire par le SGMAP, qui apportera des moyens humains et des expertises externes à l’administration et le soutien financier à des projets développés par les ministères, dans le cadre du programme d’investissement d’avenir.
S’agissant du renouvellement des institutions, vos rapporteures sont convaincues que la conversion numérique de nos sociétés touchera les institutions politiques. À l’âge du numérique, un modèle institutionnel dont les origines remontent à plus de deux cents ans est nécessairement appelé à se renouveler. L’essor de la démocratie participative est intimement lié au développement du numérique, et il est essentiel de mieux associer les citoyens à l’élaboration des normes, sans pour autant mettre un terme au modèle représentatif, seul à même d’assurer aujourd’hui une démocratie vivante et efficace. Par ailleurs, l’action des responsables politiques et administratives doit encore gagner en transparence, dans le respect de la vie privée de chacun. À ce titre, le renforcement de la politique d’open data participe à une meilleure compréhension de l’action publique et constitue un moyen de retrouver la confiance des citoyens.
I. RENFORCER L’ACTION INTERNATIONALE
A. ASSURER LA VISIBILITÉ DE LA FRANCE
La promotion internationale de la France comme territoire du numérique est essentielle vis-à-vis des innovateurs, des investisseurs et des expatriés. À ce titre, le volet « promotion internationale » de la French Tech permettra sans nul doute de renforcer la visibilité internationale de l’écosystème numérique français. Il s’appuiera d’ailleurs sur plusieurs ressources : la marque « French Tech », qui sera un gage de qualité pour les entreprises labellisées, le projet de la Halle Freyssinet à Paris, qui constituera l’étendard international de la French Tech, une enveloppe budgétaire de 15 millions d’euros pour mettre en place des actions de marketing international, menées par l’Agence française pour les investissements internationaux et la mission French Tech, et financer des projets mis en place par des structures privées membres des écosystèmes labellisés et visant à renforcer l’attractivité du territoire.
Par ailleurs, il est nécessaire d’accompagner la visibilité des entreprises françaises, et en particulier des PME, par le renforcement de leur présence sur le web, alors que 26 % des PME déclarent réaliser des ventes à l’étranger à partir de leur site internet. Or, comme vos rapporteures l’ont déjà souligné, le Baromètre 2013 du e-Commerce des Petites Entreprises réalisé par Priceminister et le groupe La Poste (202) indique que 48 % des entreprises de moins de cinquante salariés ne sont pas présentes sur Internet. L’absence de visibilité des PME française sur le Web les prive donc de débouchés commerciaux. Plus largement, le rapport réalisé par le cabinet McKinsey sur l’impact d’internet sur l’économie française (203) souligne que les PME française à très forte croissance se caractérisent par une utilisation plus intensive des technologies web. Internet constitue ainsi un « accélérateur de développement pour les PME ».
Par ailleurs, il est nécessaire de rendre la France encore plus attractive et de faciliter la venue de talents étrangers dans notre pays. Alors que les procédures d’immigration sur le territoire américain sont souvent complexes, et que la Chine ne représente pas toujours un eldorado, notre pays pourrait renforcer son statut de terres d’accueils des innovateurs des pays dits « émergents ». Dans son rapport précité, Tariq Krim invite ainsi à créer un « visa de travail pour les développeurs venant en France », sur le modèle du « visa entrepreneur » annoncé par le Président de la République lors de son déplacement à San Francisco. Inspiré de pratiques mises en place à l’étranger, le « visa entrepreneur » sera délivré au terme d’une procédure accélérée, sous condition d’investissement minimal et d’une expertise préalable. Or, les développeurs, pourtant essentiels à la création de start-up, ne satisferont pas les exigences du « visa entrepreneurs », notamment s’agissant de l’investissement minimal. Un titre de séjour plus souple permettrait, selon Tariq Krim, « d’attirer en France l’immigration hautement qualifiée que représentent ces milliers d’ingénieurs, Chinois, Russes ou encore Indiens qui ne parviennent pas aujourd’hui à obtenir de visas pour les États-Unis ».
Proposition :
– Mettre en place un « visa développeurs ».
Le réseau d’expatriés que compte la France est une vraie chance. Il permet la diffusion de la culture et des valeurs françaises, et représente un formidable moyen de communication, en même temps qu’un vivier de personnes pouvant aider notre pays à s’ouvrir davantage et à mieux comprendre le monde extérieur.
L’histoire de l’entreprise Criteo et de son fondateur, Jean-Baptiste Rudelle, rentré installer le siège de son entreprise à Paris après quatre années passées à San Francisco, est relativement exceptionnelle. En effet, nos compatriotes installés à l’étranger, qui ont fondé leur entreprise et, bien souvent, une famille par la même occasion, rentrent relativement peu souvent installer leur entreprise en France. En revanche, l’immense majorité des étudiants, chercheurs, jeunes salariés partis à l’étranger rentrent souvent après quelques années. Ainsi, à San Francisco, à Hong Kong ou à Sydney, les Français que vos rapporteures ont rencontrés envisagent pour la plupart de rentrer en France après quelques années et vantent les mérites de la formation « à la française », souvent recherchée par leurs employeurs. Leur attachement à la France est assez criant et certains ont confié à vos rapporteures « avoir l’intention de rendre à leur pays une partie de ce qu’il leur a apporté ». Les Français de l’étranger effectuent ainsi régulièrement des allers-retours de quelques années entre la France et l’étranger. Alors que l’on parle souvent d’une fuite des cerveaux, on peine à mesurer le nombre de Français partis à l’étranger qui reviennent après quelques années. Le mythe de l’expatrié-déserteur doit être atténué. Il est indispensable de miser sur le réseau des Français de l’étranger pour véhiculer l’image de la France, et ainsi renforcer son attractivité : les expatriés constituent ainsi les premiers ambassadeurs de notre pays et pourraient être davantage mobilisés pour partager leurs expériences, notamment avec les plus jeunes, sur le modèle des initiatives menées par l’association « 100 000 entrepreneurs ». Aux yeux de vos rapporteures, les Français de l’étranger pourraient ainsi apporter une expérience des plus enrichissantes aux élèves, à compter du lycée par exemple, puis aux étudiants engagés dans un cycle universitaire.
Par ailleurs, vos rapporteures sont convaincues de la nécessité de renforcer la place de la France dans les instances internationales relatives à la gouvernance du numérique. À ce titre, dans la continuité de la résolution adoptée à l’unanimité de l’Assemblée nationale relative à la stratégie numérique de l’Union européenne, vos rapporteures considèrent urgent d’engager la réforme de l’ICANN (the Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), société de droit californien créée à la fin des années 1990 à l’initiative du Gouvernement fédéral américain, chargée de la gouvernance mondiale des noms de domaines. Critiquée à plusieurs reprises pour l’étroitesse des liens entre une administration étatique et un organe de régulation internationale, l’ICANN doit évoluer. Le sommet international sur la gouvernance de l’Internet –Netmundial – organisé à Sao Paulo les 23 et 24 avril à l’initiative de Dilma Roussef, Présidente de la République fédérative du Brésil, a été l’occasion de poser les fondements de la réforme de la gouvernance mondiale de l’Internet. Si la réforme de l’ICANN constitue le premier chantier, d’autres structures mériteraient d’être renouvelées, comme l’IETF (Internet Engineering Task Force), l’organisme fixant les normes relatives au fonctionnement de l’Internet. La France doit jouer un rôle moteur dans la refonte de la gouvernance mondiale de l’Internet, et être davantage présente dans les négociations internationales relatives au numérique.
B. METTRE EN PLACE UNE ACTION EUROPÉENNE
Vos rapporteures en sont convaincues, aucun État membre ne pourra agir de manière totalement autonome s’agissant du numérique. Le numérique dépasse les frontières, et si un espace pour une action nationale demeure, l’essentiel des actions devront être menées à l’échelon européen, le plus pertinent tant pour l’élaboration du droit du numérique que pour la création de champions à vocation mondiale.
Le Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013 était en partie consacré à l’économie numérique. À cette occasion, l’Assemblée nationale a adopté une résolution (204), examinée par la commission des affaires économiques (205) sur le rapport de Mme Erhel. Cette proposition de résolution, adoptée de manière transpartisane et à l’unanimité, constate « le retard accusé par l’Europe dans la répartition de la valeur générée par l’économie numérique [qui] risque de s’accentuer dans les décennies à venir si les États membres ne font pas de ce secteur une priorité de leur agenda politique ».
Cette position a été entendue, le relevé de conclusions du Conseil européen précisant ainsi qu’ « à l’heure de la mondialisation, une économie numérique vigoureuse revêt une importance capitale pour la croissance et la compétitivité au niveau européen. Il ne faut donc ménager aucun effort pour que l’industrie européenne gagne à nouveau du terrain dans le domaine des produits et services numériques ». (206)
L’Europe, si elle a manqué en partie la révolution numérique, avait d’ailleurs pris acte de son retard auparavant, et s’était dotée en août 2010 d’une stratégie numérique, actualisée en 2012 (207). Il s’agissait de mettre un terme à un traitement par silo du numérique, par le seul biais des télécommunications, au profit d’un plan d’action transversal visant à décloisonner les marchés numériques, à remédier au manque d’interopérabilité, à combattre la cybercriminalité, à renforcer les investissements dans les réseaux, à conforter les efforts de recherche, à mieux former les citoyens européens au numérique et à permettre à l’Europe de mieux répondre aux défis sociétaux.
Plus de deux ans après cette actualisation, l’Europe semble néanmoins en « panne de doctrine » s’agissant du numérique, selon Axelle Lemaire et Hervé Gaymard (208). Pourtant, de nombreux chantiers « numériques » ont été ouverts :
– le mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE), qui fait l’objet d’une proposition de règlement datée du 28 mai 2013, adoptée par le Parlement européen le 19 novembre 2013. L’objectif du MIE est d’accélérer le financement pour achever des réseaux transeuropéens importants en matière de transports, d’énergie et de télécommunications. S’agissant du numérique (209), il s’agit de faire disparaître les goulets d’étranglement qui s’opposent à l’achèvement du marché unique du numérique, en fournissant la connectivité au réseau et l’accès à une infrastructure de services publics numériques ;
– l’identification électronique et les services de confiance dans les transactions électroniques, qui fait l’objet d’une proposition de règlement datée du 4 juin 2012. Il s’agit avant tout d’accroître la confiance dans les transactions électroniques au sein du marché intérieur en garantissant des interactions électroniques sûres et continues entre les entreprises, les particuliers et les pouvoirs publics afin de promouvoir le commerce électronique et renforcer l’efficacité des services publics en ligne. Le texte faisant l’objet d’un accord des États membres, le Conseil européen d’octobre 2013 a souhaité son adoption rapide, avant la fin de la législature du Parlement européen, intervenue le 17 avril dernier. Le texte a été adopté au Parlement européen le 3 avril dernier ;
– l’accessibilité des sites web des administrations publiques, qui fait l’objet d’une proposition de directive datée du 3 décembre 2012. La procédure d’examen suit son cours, même si plusieurs délégations ont fait part de leurs vives réserves à l’occasion du conseil « Télécom » du 6 juin 2013 ;
– la sécurité des réseaux, qui fait l’objet d’une proposition de directive datée du 7 février 2013. Lors du Conseil européen d’octobre 2013, les États membres ont fait état de désaccords, retardant ainsi le processus d’examen. Si le projet de directive a été adopté par le Parlement européen en mars dernier, les discussions se poursuivront avec les États membres au cours des mois à venir ;
– la réduction du coût du déploiement du haut débit. Le 15 avril 2014, le Parlement européen a adopté une série de mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit (210). Il s’agit notamment de promouvoir l’utilisation conjointe des infrastructures de télécommunications, d’électricité, de gaz et de réseaux d’égouts.
– le « paquet télécom », présenté le 11 septembre 2013 par la Commission européenne sous la forme d’une proposition de règlement établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté (211). Cette proposition de règlement comprend cinq grandes propositions :
i. premièrement, il s’agit de refondre le régime d’autorisation en créant une autorisation unique permettant aux opérateurs d’exercer leurs activités dans l’ensemble des États membres ;
ii. deuxièmement, la proposition de règlement vise à renforcer la neutralité de l’Internet, selon une définition loin de faire consensus ;
iii. troisièmement, il est proposé d’harmoniser le droit de la consommation applicable en matière de télécommunications ;
iv. quatrièmement, la Commission européenne propose de supprimer les majorations applicables aux appels intra-Union européenne (frais de roaming) ;
v. cinquièmement, le texte vise à renforcer la coordination dans l’assignation des radiofréquences.
Ce projet de règlement, intitulé « Continent connecté », a été adopté en première lecture par le Parlement européen le 3 avril dernier. Compte tenu des débats qu’il a générés, il est peu probable que le texte soit définitivement adopté avant le terme du mandat de la commission, en octobre prochain.
– le paquet « données personnelles » (212), adopté par le Parlement européen le 12 mars dernier, qui comprend deux instruments juridiques, un règlement (traitement des données personnelles), et une directive (volet infractions et application des peines). Ce texte fait l’objet de désaccords entre États membres, notamment s’agissant de l’équilibre entre le niveau de protection de la vie privée et les conditions d’un développement économique dynamique. Vos rapporteures sont ainsi pleinement convaincues qu’un cadre trop strict pénaliserait l’essor de start-up dont le modèle économique reposerait sur l’utilisation des données. Si elles partagent les principaux objectifs posés initialement par ces textes - instauration d’un droit à l’oubli, permettant à un internaute d’obtenir l’effacement de ses données, l’obligation de consentement de l’internaute préalablement au traitement de ses données, l’obligation d’information sur les failles de sécurité des sites, la création d’un droit à la portabilité des données, la mise en place d’un guichet unique pour tout recours relatif aux données personnelles – elles s’interrogent sur certaines mesures adoptées par leurs collègues européens dans le contexte de l’affaire PRISM – montant des amendes infligées aux acteurs économiques, pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires des entreprises (contre 2 % initialement), mise en place d’un régime d’autorisation préalable avant la transmission d’une donnée hors du territoire de l’Union européenne. Pour nombre d’acteurs du numérique, le bon équilibre entre protection des droits des citoyens et encouragement à l’innovation est encore loin d’être atteint.
Ainsi, il appartiendra aux députés européens nouvellement élus (213) ainsi qu’à la prochaine Commission de poursuivre la révolution numérique de l’Union européenne. Vos rapporteures ont le sentiment que chacun a pris conscience que le droit du numérique doit être élaboré à l’échelon européen. L’exemple typique est celui de la fiscalité. Fleur Pellerin et Pierre Moscovici avaient ainsi souligné, à l’occasion du Séminaire international organisé à Paris le 9 octobre 2013, que toute fiscalité du numérique ne pourra être élaborée qu’à l’échelle européenne. À la suite de ce séminaire, le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semata, a d’ailleurs annoncé la constitution d’un groupe de travail de haut niveau sur la fiscalité du numérique à l’échelle européenne. Ce sujet devrait figurer au rang des priorités des futures instances européennes, au même titre que la finalisation du « paquet télécoms » et de la réglementation en matière de données personnelles.
Seul un cadre juridique commun aux États membres permettra aux start-up européennes de grandir et de devenir des champions mondiaux, alors qu’elles doivent aujourd’hui faire face à des réglementations différentes, parfois contradictoires, ce qui freine indéniablement leur développement. Alors qu’une start-up lancée aux États-Unis peut, moyennant quelques adaptations mineures selon les États, s’attaquer dès sa création à un marché de 320 millions d’habitants, les entreprises européennes doivent, trop souvent, adapter vingt-huit fois leur modèle économique pour toucher les 500 millions de citoyens européens. Conquérir le marché américain permet de s’attaquer au monde à un coût marginal tandis que conquérir le marché d’un autre État membre impose de repartir de zéro.
La France a sans nul doute un rôle important à jouer dans la définition de l’Europe numérique, d’autant que les dispositions juridiques les plus importantes sont encore en cours d’élaboration. Notre pays est l’un des plus dynamiques d’Europe s’agissant du numérique. Par ailleurs, la France a mené les discussions entre les États membres en amont du Conseil européen d’octobre dernier, un « mini-sommet » ayant été organisé à Paris le 24 septembre dernier autour de Fleur Pellerin et rassemblant ses homologues allemand, belge, espagnol, hongrois, italien, polonais et britannique. Enfin, la France était à l’origine de l’organisation du Séminaire international sur la fiscalité du numérique évoqué ci-dessus. Le rôle moteur de la France dans le processus de construction d’un droit numérique européen a été souligné tant par des instances internationales comme l’OCDE que par nos partenaires européens et la Commission européenne. D’ailleurs, la position française présentée lors du Conseil européen d’octobre 2013 (214) a globalement fait consensus. Cette position était organisée autour de quatre axes principaux, que partagent pleinement vos rapporteures :
i. mettre en place une stratégie industrielle qui soutient l’innovation et la croissance des entreprises : permettre l’émergence d’un plus grand nombre d’entreprises créatrices de croissance et d’emplois avec des soutiens à l’innovation, le financement des PME et des startups et des technologies avancées...
ii. garantir des règles du jeu équitables avec la régulation des principales plates-formes de services et applications, un nouveau cadre avec notamment un régime fiscal des entreprises, le respect de la propriété intellectuelle et la promotion des contenus culturels numériques.
iii. garantir un environnement numérique sécurisé pour les entreprises et les citoyens : sécurité juridique des échanges commerciaux dématérialisés, protection des données personnelles.
iv. renforcer l’action de l’Union européenne en matière de coopération internationale.
Il est indispensable de porter ces initiatives au plus haut niveau. L’Union européenne a lancé plusieurs chantiers, qui rendent la politique numérique parfois illisible. Il est indispensable de clarifier la stratégie numérique européenne, et faire de la France le moteur de l’Europe numérique.
Proposition :
– Relancer le processus européen de construction d’une Europe numérique, en clarifiant les objectifs et les chantiers ouverts.
Au cours de sa réunion du 14 mai 2014, la commission des affaires économiques a examiné le rapport d’information sur l’économie numérique.
M. le président François Brottes. Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner les conclusions d’une mission d’information menée par nos collègues Corinne Ehrel et Laure de La Raudière. Ce type de rendez-vous, à côté du travail législatif qui nous occupe la plupart du temps – en ce moment nous sommes investis sur le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire – permet à la commission de ne pas être simplement active sur les sujets d’actualité, mais aussi d’anticiper les sujets de demain. Aujourd’hui, nous discuterons donc de l’économie numérique, dont nos deux collègues sont des spécialistes depuis plusieurs années. Si ce sujet fera l’objet ce matin même d’une communication en Conseil des ministres, sans que nos travaux soient d’ailleurs pris en compte à ce stade, nous ne manquerons pas de transmettre le rapport au Gouvernement. Je vous invite à la plus grande attention pour recueillir leurs observations, essentielles pour l’avenir de l’économie.
Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Aujourd’hui, on ne se connecte plus, on est connecté. Il faut prendre conscience de cette évolution majeure car le numérique est porteur de changements aussi importants que ceux amenés par l’électricité au XIXème siècle, et constitue l’une des composantes fondamentales de la troisième révolution industrielle qui a débuté il y a quelques années. J’utilise volontairement le terme de révolution, et Corinne Ehrel exposera les transformations qu’elle engendre sur l’économie. Le rôle des responsables politiques est avant tout de prévoir : comment faire en sorte que la France tire parti des transformations numériques à venir ? Notre rapport n’entend pas répondre à l’ensemble des questions soulevées par le numérique, dont chacune pourrait faire l’objet d’une mission d’information spécifique. Il poursuit deux objectifs principaux.
Le premier est de nature pédagogique. Alors que l’on a parfois l’impression de vouloir gagner la bataille de la mondialisation avec les outils et les méthodes du siècle dernier, il est temps que nous entrions pleinement dans ce XXIème siècle, où Internet rebat les règles du jeu au niveau mondial. Pour ce faire, il faut prendre conscience des bouleversements induits par le numérique, non pour s’alarmer mais pour poser clairement les enjeux, et expliquer l’impact du numérique sur notre économie, en s’intéressant aux changements qui affectent les différents secteurs économiques, mais également aux modifications qui touchent le fonctionnement même de nos entreprises et de nos organisations.
Le second est d’ordre prospectif. La révolution numérique n’en est qu’à ses débuts. Si la puissance industrielle des acteurs américains est indéniable, l’Europe et la France doivent agir avec audace, comme l’indique le titre de notre rapport : « Agir pour une France numérique, de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ».
Pour bien comprendre le fonctionnement de l’économie numérique, il faut étudier l’écosystème de la Silicon Valley. Lorsque nous avons eu la chance de nous y rendre, nous avons d’abord été frappées par la volonté de tous les acteurs rencontrés de « changer le monde ». D’ailleurs, cette ambition est proclamée sur les bannières de l’Université de San Francisco et on peut lire, sur le dos des cartes de visite des enseignants et personnels administratifs de l’Université de Stanford que nous avons rencontrés : « Change lives. Change organisations. Change the world ». Nous sommes devant vous pour témoigner, aussi, de ce que nous avons vu. Il faut prendre conscience que l’économie numérique se nourrit des failles qui existent dans nos systèmes, notre économie et nos politiques publiques : le numérique s’engouffre là où le XXIème siècle n’a pour l’instant pas su apporter de réponse pertinente.
Ces entreprises naissent avec la volonté de croître au niveau mondial, ce qui est très nouveau et extrêmement important dans le fonctionnement de l’économie numérique, en particulier s’agissant du financement. Si vous créez une entreprise avec l’ambition de vouloir immédiatement conquérir le monde, il faut beaucoup plus de capitaux que si vous entendez simplement devenir commerçant sur un territoire donné. Le financement de l’innovation est donc une activité très spécifique, risquée, qui est le cœur de métier des investisseurs en capital-risque. Les startupper sollicitent d’abord leurs proches – le love money – puis des business angels pour atteindre une première tranche de financement d’une centaine de milliers d’euros. Puis, pour franchir un palier permettant d’asseoir leur développement, les entrepreneurs se tournent vers les investisseurs en capital-risque qui apportent du capital, évidemment, mais également leurs réseaux et leur expérience pour accompagner les fondateurs dans leur stratégie de croissance. Ces fonds de capital risque (venture capitalists) sont essentiels au fonctionnement de l’économie numérique. Ce point doit être compris pour mettre en place une politique publique efficace, notamment en matière de fiscalité. Il faut que la France et l’Europe permettent à ces fonds de gagner de l’argent, car la prise de risque a pour pendant le désir d’obtenir une forte rentabilité. Par ailleurs, au sein du portefeuille des VC, il y a autant d’entreprises destinées à l’échec que d’entreprises qui réussiront. La culture de la prise de risque – et de l’entrepreneuriat – et très forte dans cette économie.
Dans la Silicon Valley, la mise en valeur des entrepreneurs est permanente, dans les médias comme dans la parole politique. Le magazine web Techcrunch, très orienté sur les nouvelles technologies, est aux États-Unis un média « grand public », qui n’a pas d’équivalent en France ou en Europe. De tels relais permettent la diffusion d’une culture de la prise de risque. La Silicon Valley constitue un écosystème performant, qui regroupe des universités, des entreprises à succès, des start-up qui se lancent et des capitaux-risqueurs. Cette proximité explique aussi l’émergence d’un nouveau mode de fonctionnement des entreprises, qui ont tendance à collaborer entre elles. Par exemple, à l’occasion d’un entretien avec l’un des entrepreneurs les plus innovants que nous avons rencontrés, nous avons appris que le développement d’une nouvelle plate-forme dans le domaine de l’éducation avait en partie été permis par la contribution d’anciens collègues des fondateurs, employés par d’autres géants du numérique. Cet esprit de collaboration a bien évidemment ses limites mais se retrouve finalement dans la relation qu’entretiennent les entreprises du numérique avec leurs « usagers ». Le développement du crowdsourcing est à ce titre symbolique de l’esprit collaboratif qui anime le numérique. Il s’agit en pratique d’externaliser la production de contenu, en la confiant aux internautes. Je pense par exemple à Wikipédia ou Open street map, qui font appel aux internautes pour enrichir leurs contenus, mais aussi à Google, qui propose un service gratuit mais s’appuie sur les traces d’utilisations des internautes pour vendre de la publicité. Il en va de même pour Facebook.
Ces pratiques témoignent de l’apparition de nouveaux modèles économiques, fondés en partie sur ce que Nicolas Colin et Henri Verdier appellent la « captation de la multitude », c’est-à-dire du contenu produit gratuitement à l’extérieur d’une organisation par les internautes. C’est d’ailleurs ce qui permet à Facebook de gérer plus d’un milliard de comptes avec 6 630 employés, et de disposer d’une capitalisation boursière de 152 milliards de dollars. Cet exemple est symptomatique du fonctionnement de l’économie numérique.
Enfin, l’économie numérique se fonde sur l’innovation sans cesse renouvelée, par des acteurs qui veulent, selon le vice-président d’Amazon, « innover comme des fous ». L’enjeu est de ne pas se faire rattraper par un concurrent qui les éliminerait grâce à une innovation radicale. L’économie numérique ne fonctionne pas comme une économie traditionnelle et s’attaque à tous les secteurs de l’économie, comme Corinne Ehrel va vous l’exposer.
Mme Corinne Ehrel, rapporteure. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises, Le numérique modifie en profondeur notre société, notre économie dans son ensemble et nos territoires. C’est une réalité dont chacun ne prend pas nécessairement la mesure notamment sur le plan économique. Le numérique pose en effet un défi aux entreprises traditionnelles, petites, moyennes et grandes, en transformant radicalement tous les secteurs de l’économie, et en imposant de profondes mutations sur leur fonctionnement même. La question de l’adaptation des compétences revêt une importance cruciale, afin de répondre aux enjeux de conversion numérique et formation des jeunes générations. Aujourd’hui, aucun secteur ne peut se dire que la transformation numérique ne le concerne ou ne le concernera pas. Certains ont toutefois été gagnés plus rapidement que d’autres par la transition, ou ont compris la nécessité d’opérer des changements de fond.
Ainsi, on peut considérer que des secteurs comme l’audiovisuel, le tourisme et la distribution ont déjà connu un bouleversement de fond lié au numérique. Prenons l’exemple de l’audiovisuel. Sans rentrer dans le débat autour du téléchargement illégal, le modèle même de la télévision classique, qui propose, tout au long de la journée, des programmes imposés à l’auditeur, n’est plus qu’un aspect d’une offre beaucoup plus diversifiée à l’heure de la télévision à la demande. Une entreprise comme Watchup, dont nous avons rencontré le fondateur à San Francisco, propose ainsi aux utilisateurs de concevoir leur propre journal TV à partir des informations qui les intéressent réellement.
De façon moins affirmée, le paiement, est en cours de bouleversement, avec le paiement mobile mais aussi le paiement sans contact. Il en va de même des transports, où l’introduction de la géolocalisation - c’est l’exemple des VTC – a entraîné de profonds changements. L’économie numérique a également vu l’émergence de l’économie du partage, dans laquelle la possession ne constitue plus le but ultime – je pense au covoiturage ou aux voitures en libre-service.
Enfin, il y a des secteurs qui sont touchés et pour lesquels l’impact du numérique sera encore plus important. Je pense d’abord à l’enseignement supérieur. Le développement des MOOC permet à chacun d’accéder en ligne au savoir et à des formations de très haut niveau. La France a d’ailleurs lancé plusieurs initiatives sur ce segment d’activité. De plus, de nouvelles écoles, comme l’École 42 ; fondée par Xavier Niel, offre une formation reposant la créativité et la sensibilité et accueillant des personnes dont le parcours scolaire peut être compliqué au regard des standards en vigueur. Ensuite, le développement des objets connectés témoigne de l’irruption croissante du numérique dans le domaine de la santé. Les rapports de chacun avec la médecine sont modifiés, ce qui n’est pas sans poser des questions, notamment sur la protection des données.
On le voit bien, tous les secteurs traditionnels sont touchés et, nous en sommes toutes les deux convaincues, ce n’est pas en élevant des digues de sable pour se protéger que l’on parviendra à gagner un certain nombre de batailles. Il faut plutôt faire preuve d’innovation et amener l’ensemble de nos acteurs économiques et publics à saisir l’opportunité que représente le numérique.
J’insiste à nouveau, car il s’agit d’un élément fondamental pour moi, sur le caractère essentiel de faire une de notre système de formation initiale et continue et de l’adaptation des compétences une priorité afin de nous adapter à ce monde qui change de façon très rapide et qui repose sur d’autres modèles de pensée.
Le numérique est un vecteur de croissance et aurait contribué à hauteur de 72 milliards d’euros au PIB de la France en 2010. Par ailleurs, la part du numérique dans la croissance française atteint déjà 25%. Il est donc essentiel de prendre en compte son impact sur tous les secteurs et les entreprises.
Le numérique modifie la façon de travailler et renouvelle le fonctionnement interne même des entreprises. Il faut aller vite, de plus en plus vite et c’est la vitesse du déploiement d’un projet qui conditionne sa réussite. Il est fondamental aujourd’hui de ne pas aller à l’encontre de ces évolutions mais d’agir au lieu de se réfugier derrière des digues de sables. La conversion numérique est un enjeu essentiel pour le développement de nos territoires et de notre économie et la conversion des TPE et des PME est essentielle alors que la pénétration du numérique dans ces entreprises demeure faible au regard des pratiques constatées dans les autres pays. Mais ne perdons surtout pas de vue que si le numérique est un levier de croissance, il représente surtout une possibilité d’améliorer considérablement le quotidien de chacun.
Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Nous allons maintenant vous présenter, de façon synthétique, les propositions que nous avons formulées. Certaines mériteraient d’ailleurs d’être précisées dans le cadre de missions d’information spécifiques. Comme Corinne Ehrel l’a mentionné, il est nécessaire de penser nos formations et notre éducation à l’ère du numérique. Selon le ministère du travail américain, 65 % des écoliers d’aujourd’hui pratiqueront, une fois diplômés, c’est-à-dire dans une vingtaine d’années des métiers qui n’ont même pas encore été inventés. C’est un véritable big bang pour l’école, les collèges les lycées, les universités. Bien sûr, cette transition a été prise en compte mais, selon moi, trop partiellement. Nous pensons qu’il faut aller plus loin et beaucoup plus vite. Nous suggérons d’éveiller les élèves de primaire au code informatique et à la programmation, sur le mode de l’éveil au dessin, à la musique, aux langues étrangères. Nous souhaitons que l’enseignement de l’informatique soit obligatoire au collège quitte, selon moi, à peut-être supprimer – osons le terme ! – certains autres enseignements moins prioritaires que l’informatique. Bien évidemment, la commission des affaires culturelles devrait se pencher sur cette question car nous sommes bien conscientes qu’un tel sujet ne relève pas de notre compétence. C’est pourquoi nous n’avons pas été aussi loin dans le rapport. Nous préconisons également la création d’un CAPES et d’une agrégation d’informatique. Chacun d’entre nous doit être surpris qu’un acteur privé comme Xavier Niel créé une école de développeurs, l’École 42. Mais s’il l’a fait, c’est parce que le secteur public n’a pas su former aux métiers du numérique. Il faut donc former des cohortes de data scientist, valoriser les licences professionnelles et revaloriser le doctorat pour former d’un côté des développeurs par exemple, et de l’autre ceux qui concevront l’économie numérique de demain. Nous pensons aussi qu’il serait utile, dans le respect de leur autonomie, d’inciter les universités à réserver dix pourcents des bourses attribuées dans le cadre des contrats doctoraux à des sujets de recherche relatifs au numérique. La recherche sur le numérique est en effet trop peu présente dans nos universités. Le travail de pédagogie que nous appelons de nos vœux doit également être mené à l’égard des universités. Nous pensons par ailleurs utile d’élargir le champ des activités reconnues par la formation professionnelle aux supports numériques, en particulier les MOOC, le e-learning et plus largement l’enseignement à distance. Nous encourageons enfin à ce que l’Assemblée nationale, le Sénat et le Gouvernement s’investissent davantage sur ces enjeux de formation.
Par ailleurs, il faut également assurer une diffusion de la culture du numérique au sein de notre société afin que chacun puisse comprendre les enjeux de cette nouvelle économie. Ce qu’il faut mettre en avant c’est la culture de la prise de risque et de l’entrepreneuriat, afin de permettre à la France de prendre des positions de leader dans ces nouvelles activités qui vont révolutionner l’ensemble des secteurs économiques. Cette meilleure diffusion doit être assurée dans les écoles, dans les médias, et auprès des décideurs. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, et nous sommes convaincues que la parole politique doit s’emparer de la diffusion de cette culture.
Mme Corinne Ehrel, rapporteure. Il est aussi essentiel de faciliter la création d’un environnement propice à l’économie numérique en France et nous avons ainsi pu tirer profit de nos rencontres aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Asie. Notre déplacement en Californie nous a permis de mieux appréhender la Silicon Valley, et les recettes de sa réussite qui repose principalement sur le regroupement des compétences, du financement et des innovateurs. Mais il faut également prendre en compte le revers de la médaille : en raison de salaires très élevés dans les entreprises technologiques, le prix des loyers a explosé à San Francisco et comme certains articles l’ont récemment souligné, il y a eu une forte contestation dans la baie de San Francisco. En France, nous avons la chance de disposer de plusieurs écosystèmes sur tout le territoire, avec des incubateurs et des accélérateurs présents non seulement en région parisienne mais aussi beaucoup en régions. Par exemple, en Rhône-Alpes, il y a un pôle de compétitivité, un institut de recherche technologique (IRT), des établissements d’enseignement supérieur et de nombreuses start-up. De même en Bretagne, où 44 000 emplois sont concernés par le numérique. La région accueille un pôle de compétitivité, Images et Réseaux, un IRT, des établissements d’enseignement supérieur et de nombreuses entreprises. La richesse de la France, c’est justement ses territoires performants. Cette spécificité doit absolument être conservée de mon point de vue. Bien sûr il faut assurer la visibilité à l’international de notre pays, mais sans oublier que la richesse et l’innovation sont présentes dans les territoires également.
Afin d’améliorer les choses, nous avons formulé un certain nombre de propositions. Alors que de nombreuses initiatives ont été lancées pour accompagner les start-up, il faut évaluer ces politiques et les incubateurs et accélérateurs qui bénéficient de soutien public pour identifier les solutions les plus efficaces. Par ailleurs, nous pensons qu’il faudrait également évaluer les pôles de compétitivité sur leur capacité à faire émerger les pépites et, à l’initiative de Laure de La Raudière, nous souhaitons inciter les grands groupes à désigner un fondateur de start-up au sein de leurs conseils d’administration. En effet, si le numérique percute le modèle des TPE et PME, il touche aussi les grands groupes et certains ont des difficultés à prendre le virage du numérique suffisamment rapidement. Bien évidemment le chantier du très haut débit est un élément important. Il s’agit d’un enjeu industriel majeur mais également d’un enjeu d’aménagement du territoire. Aux États-Unis ou en Asie, tout va extrêmement vite tant sur le fixe que sur le mobile. Pour se différencier et se développer, les entreprises ont besoin de réseaux qui tiennent. À ce titre l’expérience australienne est intéressante. Initialement, l’objectif était de couvrir le territoire en fibre optique. À la suite d’un changement de majorité, il a été décidé de s’orienter vers un mix technologique intégrant la montée en débit et le satellite.
Il est aussi essentiel d’assurer le financement de l’économie numérique. Au départ, les entrepreneurs sollicitent leur famille et leurs proches puis des business angels dans la phase d’amorçage. Enfin, interviennent les acteurs du capital-investissement, c’est-à-dire la prise de participation en capital dans des entreprises non cotées. On distingue le capital-risque en phase de post-amorçage et le capital-développement qui prend le relais. Nous avons réalisé, au fil de nos auditions, que les fonds d’investissement apportent bien sûr du capital, mais ce qui fait la valeur et la qualité d’un fond, c’est l’accompagnement, le réseau, le conseil et l’aide au recrutement ou à la prise de décision stratégique. En France la phase d’amorçage est bien couverte, grâce à des financements publics et privés. Mais nous souffrons d’une mais lacune dans la phase de post-amorçage et dans la phase de développement. Les investisseurs sont trop peu nombreux et la structuration des fonds repose encore trop souvent sur des fonds publics nationaux ou européen, alors qu’aux États-Unis les financements sont exclusivement privés. À l’occasion de l’examen du rapport sur la stratégie numérique de l’Union européenne, nous avions soutenu la proposition de Fleur Pellerin de constituer des fonds de fonds paneuropéens. Nous encourageons également à l’adoption de programmes comme l’initiative Yozma menée en Israël. Par ailleurs, pour parfaire le soutien public, il faudrait développer les concours, renforcer l’innovation de rupture dans la commande publique, et évaluer davantage nos dispositifs de soutien public. Le manque d’évaluation constitue souvent l’une des carences en France.
M. le président François Brottes. Au fond, sommes-nous ringards ?
Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Non, nous ne sommes pas ringards. Il suffit simplement de nous moderniser ! C’est une parfaite transition avec nos propositions relatives à la modernisation du cadre juridique. Comme Corinne Ehrel l’a souligné, il est inutile de construire des digues de sable pour protéger un modèle ancien. C’est pourtant ce que nous faisons régulièrement, que l’on pense à Hadopi ou plus récemment aux VTC. Avec une telle stratégie on perd tout à moyen terme. Pour moderniser le cadre juridique, il faut en fait adopter un esprit de conquête et d’innovation et porter la volonté de conquérir le monde depuis l’Europe, avec les valeurs européennes –protection des libertés individuelles, de la vie privée, etc. Mais il est essentiel de ne pas se contenter de vouloir protéger : il faut conquérir. À ce titre il faut soutenir la création d’un principe d’innovation pour le numérique, pendant du principe de précaution, et instaurer un droit à l’expérimentation. Ces évolutions doivent être portées au niveau européen. L’économie numérique est extrêmement agile et si la France s’isole, les acteurs iront s’installer ailleurs.
Par ailleurs, il est temps de mettre l’action publique à l’heure du 2.0. Des choses ont été faites, bien sûr, notamment s’agissant de l’open data. Mais nous pensons qu’il faut aller plus loin, en consacrant le principe d’ouverture par défaut des données publiques afin d’encourager réellement l’open data et de permettre aux citoyens de se rendre compte des bénéfices de l’ouverture des données publiques. Il y a énormément de choses à faire. La numérisation de l’action publique est une attente de nos concitoyens en même temps qu’un moyen de réaliser des économies budgétaires. À ce titre nous proposons de mettre en œuvre quelques actions symboliques comme la création d’un dossier scolaire et universitaire électronique, qui bénéficiera à tous et l’engagement du processus de numérisation des bulletins de paie des agents publics, qui permettra de réaliser des économies, de rendre un meilleur service aux agents et de montrer la voie.
Mme Corinne Ehrel, rapporteure. Il est aussi absolument nécessaire de consolider les filières de demain. De nombreuses filières ont été identifiées dans le cadre des « 34 plans de la France industrielle » ou de la Commission dite « Innovation 2030». Nous avons retenu trois secteurs qui nous semble importants : le cloud computing , c’est-à-dire le stockage des données, le big data c’est-à-dire le traitement de masses de données, et les objets connectés. Tous les pays se positionnent et mettent des moyens puissants sur ces secteurs d’avenir. En France, notre formation est reconnue et nous avons la chance d’avoir de très bons mathématiciens ainsi que des infrastructures performantes. En somme, nous avons la capacité de bâtir des pépites. Comme nous l’avons souvent entendu lors des différentes auditions et déplacements, les Français n’ont pas suffisamment confiance en eux. Nous formulons plusieurs propositions, par exemple sur le stockage des données : il s’agit d’assurer la sécurité en matière de localisation des données, alors que la presse s’est fait l’échos d’attaques à l’encontre d’opérateurs ou de grandes entreprises, et de sensibiliser les petites et moyennes entreprises comme les collectivités sur le stockage des données. La cyber sécurité est un enjeu essentiel et il faut traiter le plus en amont possible les risques de vulnérabilité des réseaux et des entreprises critiques et stratégiques. S’agissant de la commande publique, certains acteurs souhaiteraient que 30 % du montant des projets cloud computing confiés par le secteur public aux grands acteurs de l’informatique soient sous-traités à des TPE et des PME pour faire vivre l’écosystème.
Il est par ailleurs essentiel de renforcer l’action internationale de la France. La visibilité de la France commence à être assurée, notamment grâce à des initiatives comme la French Tech, portée par Fleur Pellerin, pour rassembler sous une même bannière l’ensemble des innovateurs, des PME des grands groupes. Cela nous permet notamment d’avancer unis à l’étranger lors de grands événements, alors que, contrairement aux acteurs allemands, nous avons tendance à agir de manière dispersée. J’ai eu l’occasion d’accompagner Fleur Pellerin au salon de Barcelone, en février dernier, j’ai pu constater la présence de nombreuses entreprises issues des territoires – Bretagne, Rhône-Alpes, Toulouse…
Par ailleurs, je sais que c’est un sujet qui tient au Président Brottes, il faut davantage miser sur le réseau des expatriés, à même de transmettre leur connaissance de notre pays et de valoriser l’image de la France. Partout où nous nous sommes rendues, nous avons eu des échanges très intéressants avec nos expatriés, qu’ils soient étudiants, entrepreneurs, chercheurs.
Enfin, c’est une évidence, le numérique abat les frontières. L’échelon le plus pertinent est donc celui de l’Union européenne. Nous ne pouvons pas légiférer uniquement pour notre pays mais il est indispensable d’adopter un regard européen sur ces questions et la France doit jouer un rôle moteur.
M. le président François Brottes. Avant que nos collègues puissent réagir à votre présentation, je souhaite formuler trois observations. D’une part, la localisation a-t-elle encore un sens ? D’autre part, vous avez évoqué la question de la fuite des cerveaux, on voit bien en quoi ce sujet doit être posé autrement dès lors que, dans une économie mondialisée, les cerveaux en question sont irrigués par le réseau mondial. Enfin, j’ai été très marqué, lors des rencontres que nous avons effectuées à l’occasion de notre déplacement en Australie, par les témoignages de ces jeunes Français qui ont renoncé à déposer des brevets, eu égard au temps et au coût que cela nécessite, et surtout eu égard au fait que les entreprises concurrentes en profitent pour se positionner sur le marché. La fonction protectrice des brevets ne tient plus dès lors que tout va très vite !
Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Votre remarque va tout à fait dans le sens de ce que nous décrivons dans le rapport, s’agissant de ces acteurs pour lesquels il s’agit d’« innover comme des fous ». Quand vous êtes en avance sur le marché, vous n’avez plus besoin de déposer des brevets.
Mme Corinne Ehrel, co-rapporteure. Sur la localisation, les cartes sont en effet rebattues, mais pour partie seulement, car ce qui compte également, c’est la confiance de l’utilisateur dans le système, ce qui amène à ne pas négliger non plus le paramètre de la proximité. Par ailleurs, l’économie numérique est fondamentalement basée sur l’innovation ouverte et collaborative. Cela a forcément des conséquences en matière de brevets. J’en profite aussi pour rebondir au sujet de la « fuite des cerveaux » : au-delà des parcours individuels, ce qui se joue, c’est la capacité en France et en Europe de permettre à nos entreprises innovantes et technologiques de grandir. À défaut de pouvoir se développer sur nos territoires, ces entreprises peuvent effectivement être amenées à le quitter. Là encore, la clé réside dans l’innovation.
M. Kléber Mesquida. Je retiens de l’exposé des rapporteures que tous les secteurs économiques doivent aujourd’hui intégrer la dimension numérique, dont résulterait 25 % de la croissance économique. 400 000 emplois potentiels pourraient être créés, induisant eux-mêmes près d’un million d’emplois, mais le rapport pointe aussi nos réflexes de protection et de résistance. Je veux revenir sur la question de la protection des données, que l’affaire du piratage d’Orange a récemment illustrée. Les interlocuteurs que vous avez rencontrés au-delà de nos frontières sont-ils sensibles à cette question ? Il me semble en effet que de meilleures garanties en la matière permettraient de lever bien des réticences en France.
M. Daniel Fasquelle. L’économie numérique est manifestement porteuse de nombreuses opportunités, elle est également un défi pour le législateur français car elle est porteuse de menaces. Des géants mondiaux veulent aujourd’hui s’emparer de contenus, je pense aux débats que nous avons pu avoir sur le livre numérique ou encore à la problématique de l’achat des noms de domaine, qui concerne notamment les communes touristiques. Par ailleurs, des acteurs traditionnels comme l’hôtellerie sont aujourd’hui privés par les centrales de réservation sur Internet d’une partie des revenus générés par leur activité, c’est un point sur lequel nous nous pencherons dans le cadre de la mission d’information sur le tourisme que je mène avec notre collègue Pascale Got. Il convient également de mentionner l’enjeu fiscal, puisque des acteurs basés à l’étranger ont une activité effective sur le sol français, et plus généralement, l’enjeu en matière de souveraineté. Dans le cadre du débat sur les jeux en ligne, nous avons bien vu en quoi les législations nationales pouvaient être contournées, dès lors que les sanctions sont inopérantes. Ces remarques m’amènent à vous demander si vous considérez que l’échelle nationale est pertinente pour traiter de ces questions. Ne faudrait-il pas mieux envisager organiser les entreprises et légiférer à l’échelle européenne ?
M. Franck Reynier. Le numérique constitue clairement un levier de croissance essentiel pour notre économie, même si l’on observe aujourd’hui une domination manifeste des entreprises nord-américaines et asiatiques. La France doit passer dans ce secteur du stade de consommateur à celui d’acteur ! Pour ce faire, il est fondamental de mieux organiser nos actions en matière de recherche-innovation, ainsi que leurs ramifications aux niveaux national et européen. Ma première question aux rapporteures portera sur le plan très haut débit annoncé par le Gouvernement. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les étapes de sa mise en œuvre et sur son financement ?
M. le président François Brottes. Cher collègue, nous débattons ce matin au sujet d’un rapport parlementaire, il serait préférable que vous réserviez vos interrogations sur le plan gouvernemental au Gouvernement lui-même !
M. Franck Reynier. Quand on parle du numérique, il est légitime d’évoquer l’accès au très haut débit. Ma deuxième question concerne le volet de votre rapport relatif à l’éducation. Quelles propositions pouvez-vous formuler qui s’articulent avec la perspective de la réforme des rythmes scolaires ? Enfin, ma dernière question concerne les données personnelles, qui constituent une véritable ressource. On a même vu, avec l’affaire Prism, comment la puissance géopolitique de certains États pouvait influer sur l’utilisation de ces données. Comment inciter les entreprises à développer le stockage des données et, parallèlement, comment mieux assurer la protection de ces données ?
M. Brigitte Allain. La relocalisation a-t-elle du sens ? Nous devons certes utiliser les technologies modernes mais cela n’est pas incompatible avec notre objectif de proximité et de rapprochement avec les citoyens ! Vous avez par ailleurs souligné que les acteurs de l’économie numérique voulaient « changer le monde », mais pour quoi faire au juste ? Au reste, s’agit-il pour eux de changer le monde pour tous ou bien de le conquérir, pour l’intérêt financier de quelques-uns ? Enfin, qu’en est-il de l’action publique ? Vous avez évoqué la nécessité d’informer et d’éduquer, je voudrais insister pour ma part sur la nécessaire mise en place de véritables protections citoyennes face aux risques et agressions potentielles en matière de libertés publiques et individuelles.
Mme Jeanine Dubié. Je souhaite remercier les deux rapporteures et leur dire que j’ai vraiment apprécié cette présentation, qui fait suite à plusieurs travaux qu’elles ont déjà menés ensemble et qui nous apportent un réel éclairage. En tant qu’élue d’un territoire rural, je considère que la question de l’égal accès aux infrastructures, et notamment au très haut débit, revêt une importance cruciale. S’il est vrai que le numérique bouleverse nos modes de vie et le fonctionnement des entreprises, encore faut-il en effet que le réseau se développe pour que ces nouveaux usages deviennent partout réalité. Je souhaite revenir aussi sur le développement du secteur la « santé numérique » qui apparaît aujourd’hui comme une piste pour lutter contre la désertification médicale touchant près de deux millions de personnes. Des perspectives existent par ailleurs tant en ce qui concerne l’amélioration des diagnostics que l’optimisation des parcours de soin. En décembre dernier, le Gouvernement a annoncé à cet effet le lancement d’un programme doté de près de 80 millions d’euros. Où en est cette initiative ? Il convient ce faisant d’accompagner cette dynamique par une adaptation du cadre économique et juridique. S’agissant des questions touchant à la santé, la protection des données personnelles est en effet un sujet particulièrement sensible. Comment faire de la France un leader en la matière ?
M. le président François Brottes. La question du très haut débit est au cœur des enjeux de l’économie numérique pointés par ce rapport. Mais un travail parlementaire, aussi conséquent soit-il, ne peut pas apporter toutes les réponses à ce qui relève du Gouvernement. J’inviterai prochainement Mme Axelle Lemaire à venir réagir aux propositions de nos rapporteures et à faire le point sur l’action gouvernementale.
Mme Marie-Lou Marcel. Mon intervention portera sur le développement du numérique dans les zones rurales. Dans le secteur artisanal en particulier, des formes de e-commerce audacieuses émergent et viennent transformer profondément les rapports entre clients, entreprises et fournisseurs. Les sites Internet donnent une vraie visibilité mais plus généralement, le numérique amène à repenser les stratégies commerciales en permettant le développement d’articles de niche, notamment à l’export. Comment mieux éduquer les petits artisans et entrepreneurs à l’économie numérique ? Comment mieux les soutenir afin qu’ils augmentent leur présence sur les marchés ?
M. Dino Cinieri. L’intervention qui a précédé la mienne rejoint tout à fait mes préoccupations, je ne reprendrai donc pas les questions qui viennent d’être posées. Dans la version provisoire du rapport dont nous disposons, vous rappelez que notre assemblée a adopté en octobre dernier une résolution transpartisane qui pointait le retard accusé par l’Europe dans la répartition de la valeur générée par l’économie numérique, qui risquait de s’accentuer encore si les États membres ne faisaient pas de ce secteur une priorité de leur agenda politique. À la suite du dernier Conseil européen qui était justement consacré à l’économie numérique, où en est l’Europe aujourd’hui ?
Mme Béatrice Santais. Tout d’abord, je voudrais féliciter nos deux rapporteures pour le travail effectué et je reprends les propos de Corinne Ehrel au sujet de numérique : « Nous ne pouvons plus raisonner à l’échelle du pays mais à l’échelle européenne voire au-delà ».
Ma première question concerne les moyens d’assurer une fiscalité équitable. Un rééquilibrage est souhaitable entre les entreprises françaises qui payent l’impôt sur les sociétés et les entreprises internationales, notamment américaines qui font des choix d’optimisation fiscale.
Ma seconde question vise à connaître votre point de vue sur la gouvernance mondiale de l’Internet qui est essentiellement assurée par les États-Unis et des entreprises privées.
M. Jean-Claude Mathis. Merci pour cet exposé qui cerne bien comment la France doit appréhender le développement futur de l’économie numérique. Vous constatez le retard que celle-ci accuse par rapport aux États-Unis, à l’Allemagne ou au Royaume-Uni et qu’il faut rattraper ce retard en limitant les pertes pour notre économie traditionnelle. Quels sont donc les moyens pour soutenir et développer l’économie numérique ? De même, beaucoup d’informaticiens s’expatrient aujourd’hui : comment faire pour ramener ces compétences sur le territoire national ? Par ailleurs, quels sont les outils de sécurisation des transactions par internet ?
Mme Frédérique Massat. Merci pour ce rapport très intéressant et pour le « tour du monde » que vous nous avez ainsi fait partager. Votre rapport ouvre des pistes qu’il faut saisir. Je voudrais insister sur la question de la transversalité de l’action publique en termes de politique du numérique aujourd’hui, qui est fondamentale. Il est nécessaire de prendre en compte le numérique dans l’ensemble de l’action gouvernementale et dans nos projets et propositions de loi comme le prochain projet de loi sur la dépendance. L’expérimentation est un outil important du développement du numérique et a ainsi permis dans mon département, l’Ariège, au travers de l’expérience « e-autonomie », de maintenir des personnes âgées à domicile grâce à des procédés innovants et intégrés.
Enfin, le président du Conseil national du numérique a insisté sur le fait de placer le numérique au cœur de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne et a proposé l’instauration d’un médiateur au niveau européen pour cela. Que pensez-vous de ces propositions ?
M. Alain Marc. En matière d’éducation, tous les élèves du primaire passent le B2i (Brevet informatique et internet) à la fin de leur cycle de primaire, ils bénéficient donc tous d’une première approche du numérique. De manière plus générale, il s’agit de réinventer la politique économique et celle du numérique afin de rester dans la compétition mondiale. Aux États-Unis, le numérique se situe essentiellement dans la Silicon Valley ; en France, nous disposons de pôles de compétitivité quasiment dans chaque région. Sont-ils aussi efficaces et surtout, comment la France parviendra-t-elle à affronter la concurrence en disposant de structures aussi éparpillées sur le territoire ?
M. Razzy Hammadi. Merci pour ce rapport et pour le travail effectué. Je voudrais d’abord aborder un point pour aller plus loin : celui du code. Tout le monde connaît le programme « Code for America » avec la dynamique transversale éducative et entrepreneuriale qu’elle représente ou la citation : « Ils programmeront ou ils seront programmés ». Les initiatives comme Simplon.co, l’école de formation aux technologies internet créée récemment à Montreuil dans le cadre de l’économie sociale, sont des exemples encourageants. Ne pas savoir coder sera l’analphabétisme des vingt prochaines années.
Au sujet de la transversalité, outre les questions administratives et fiscales, les aménagements pour le numérique et la stratégie que l’on souhaite adopter sont importants. À Barcelone, à Berlin ou même en Inde, il existe des stratégies d’aménagement comprenant des zones d’innovation qui traduisent des choix fonciers structurants, fondés notamment sur le prix des loyers. En région parisienne, on développe les zones d’aménagement foncier pour le numérique uniquement à Paris, ce qui est une erreur au regard du prix exorbitant du mètre carré et du besoin croissant en foncier disponible dans les dix prochaines années.
M. Damien Abad. Ce rapport est très intéressant, il présente avec pédagogie la troisième révolution industrielle où le numérique apparaît comme un secteur porteur pour l’éducation ou la santé, mais il faut aller plus loin dans la réflexion notamment sur la fiscalité du numérique, la simplification, les pôles de compétitivité ou la formation professionnelle. Tout d’abord, la différence entre la France et la Silicon Valley réside dans le fait que la France n’a ni la culture du risque, ni celle de l’échec, ni même celle de la réussite. Êtes-vous favorable à l’instauration d’un principe constitutionnel d’innovation qui serait de même nature que le principe de précaution ? Par ailleurs, que peut faire l’Union européenne en matière numérique au-delà de l’Agenda « Horizon 2020 » ? Il avait été évoqué la création d’un Nasdaq européen. Enfin, concernant les risques liés à Internet, êtes-vous favorables au droit à l’oubli ? Êtes-vous également favorables à l’instauration au niveau européen d’une charte des droits numériques qui serait aussi utile pour les paris et jeux en ligne ?
Mme Clotilde Valter. Tout d’abord, toutes mes félicitations pour ce travail. Vous avez parlé de l’environnement du numérique, des infrastructures et de la formation. Mais n’a pas été abordée la question du numérique dans les processus industriels. Nos TPE et PME sont très en retard par rapport à celles d’autres pays. Quels outils, quel centre de ressources seraient à la disposition de ces entreprises pour les aider à réfléchir à l’impact du numérique dans les processus de production ou de travail ?
M. Alain Suguenot. N’y aurait-il pas une forme de contradiction dans le rapport entre une attitude offensive ou défensive vis-à-vis du numérique ? Aujourd’hui, nous sommes tellement dans l’urgence que nous n’avons plus le choix. Le droit à l’expérimentation pour le numérique devrait être un droit constitutionnel. La création du principe d’innovation est une nécessité, de même que poursuivre les efforts en matière de formation ou d’évolution des mentalités. L’impérialisme des sociétés américaines renforce notre retard. Si nous voulons que ce rapport ne soit pas vain, il faut se donner les moyens d’agir en faveur de l’innovation, tout en préservant son équilibre avec la vie privée.
Mme Anne Grommerch. Merci pour ces propositions concrètes. Le retard de la France en matière de numérique est considérable, il y a urgence à agir. L’accès au numérique est très large en France, mais les entreprises en particulier les TPE et les PME accusent un véritable retard de numérisation et cela influe sur leur compétitivité (achats en ligne par exemple). Il est absolument nécessaire que la Gouvernement agisse, en particulier pour renforcer les moyens de l’enseignement de l’informatique aux jeunes. Quels sont les moyens à notre disposition ? Au niveau des collectivités territoriales, il serait utile de mettre en place des plates-formes ou des sites d’échange de bonnes pratiques afin de mettre en commun ce qui fonctionne bien et aller plus vite dans le passage au numérique.
M. Lionel Tardy. À la page 8 du rapport, vous vous demandez si la révolution numérique est déjà passée en indiquant que « 83 % de la capitalisation boursière des entreprises internet concerne les firmes américaines et seulement un peu plus de 2 % des entreprises européennes ». À la page 9, vous évoquez les enjeux de souveraineté et de croissance que le numérique implique. Il est indispensable que les ministres Mmes Axelle Lemaire pour le numérique et Fleur Pellerin pour le commerce extérieur soient au courant de ces enjeux et qu’elles pèsent sur les négociations du traité de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis (TAFTA) qui concerne 820 millions de consommateurs. Les questions de portabilité des données personnelles, de l’interopérabilité des plates-formes, du soutien aux logiciels libres ou encore de l’impossibilité de breveter les logiciels sont cruciales d’autant plus que les États-Unis entendent garder leurs parts de marché. C’est lors des négociations de ce traité de libre-échange que l’Europe du numérique peut montrer qu’elle existe, et c’est maintenant qu’elle doit agir.
M. François Sauvadet. Le rapport est très bien fait, il démontre que le débat sur le numérique est mondial, qu’il permet l’accès à la formation et que l’innovation est fondamentale. Le numérique est partout : éducation (visio-conférence, MOOC…), santé, protection des personnes âgées, sécurité. Mais en termes d’accès au numérique, il ne faut pas oublier la fracture territoriale. Mon département est le quatrième plus grand de France en surface, et cela fait déjà dix ans que nous investissons pour permettre l’accès au haut débit à tous les habitants, notamment la 3G, et cela a un coût. L’installation de la fibre optique pour le très haut débit à domicile (FTTH) se chiffre à 220 millions d’euros d’investissement dans mon département. Qui peut prendre en charge de telles sommes et qui acceptera de prêter de l’argent aux collectivités pour parvenir à mettre en place le plan numérique du Gouvernement pour la fibre à l’horizon 2022 ?
M. Luc Belot. Merci, chers collègues, de m’accueillir dans cette commission, moi qui suis membre de la commission voisine des affaires culturelles et de l’éducation. J’ai vu que la question de l’enseignement au numérique revenait dans les interrogations de beaucoup d’entre vous. Vous l’avez aussi abordé dans votre rapport, que j’ai particulièrement apprécié dans sa globalité. Je suis toujours inquiet quand on parle « d’école numérique » car on y met souvent tout et n’importe quoi : à la fois le matériel, qui est la base, le B2i, qui est selon moi, à bien des égards, l’informatique du XXe siècle, et enfin le codage. C’est ce dernier élément qui est le plus important. Je suis membre du Conseil supérieur des programmes. Nous avons reçu les trois personnes que vous citez, qui ont écrit au Président de la République pour demander un CAPES d’informatique. Je crois qu’il faut aborder cette question, même si je ne suis pas sûr que le CAPES soit la réponse adaptée. Je pense qu’elle est plutôt ancienne et qu’il faut trouver d’autres réponses. Mais le « Born to code » est aujourd’hui une réalité outre-Atlantique. Il faut qu’on ait en tête la manière dont on doit s’approprier cet enseignement. J’ai trouvé que la manière dont vous l’abordiez, l’idée qu’il y ait une sensibilisation de nos écoliers dès le plus jeune âge, était particulièrement pertinente. Vous avez évoqué, monsieur le président, le fait que nous étions des ringards. Nos deux rapporteures ont dit que non. Moi je crois que nous le sommes sur bien des sujets, et notamment dans les réponses que nous pouvons apporter aujourd’hui à certains problèmes. Sur les taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) par exemple, je suis affolé que, au moment où des sociétés privées apportent des innovations technologiques, des innovations de service réelles, comme la maraude électronique, on puisse imaginer réserver une technologie à certains, les taxis sous licence, et l’interdire à ceux-là même qui l’ont développée, les VTC. Ce côté ringard m’inquiète et va complètement à l’encontre du rapport de nos collègues. Enfin, concernant l’open data, et notamment l’open data en temps réel pour les transports et les stationnements, je tiens à rappeler que cela représente un coût non négligeable pour les collectivités territoriales même s’il s’agit d’un vrai enjeu pour demain.
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Je félicite, à mon tour, les rapporteures. Je note l’engouement pour le sujet, qui est largement partagé. Beaucoup de questionnements appellent des réponses des pouvoirs publics, que nos collègues ne peuvent évidemment pas apporter. Il serait pour autant dommage que ce gros travail, qui est aussi un grand investissement de la commission des affaires économiques, ne soit pas davantage valorisé. C’est la raison pour laquelle je vais proposer au Gouvernement une audition commune de plusieurs de ses membres afin que ceux-ci réagissent aux propositions du rapport.
Mme Corinne Ehrel, rapporteure. Merci beaucoup pour l’ensemble de vos questions. Le numérique fait l’objet d’un grand travail de la commission des affaires économiques depuis plusieurs années et je m’en félicite. Sur la question majeure de la fiscalité du numérique, on parle souvent des géants américains du net. Mais je ne voudrais pas qu’on oublie qu’il y a également des grands groupes d’autres nationalités, notamment chinois, qui se développent et qui sont très innovants. Nous en avons rencontré un certain nombre. Nous n’abordons jamais la question de la fiscalité numérique en tant que telle. Nous parlons plutôt de la fiscalité des grands groupes internationaux, appliquée à la circulation de la donnée, qui est la base de l’économie numérique. Il n’est pas possible d’avoir une réflexion limitée à l’Hexagone car ces groupes ont la possibilité de contourner facilement le territoire. Il faut donc un cadre européen ou un cadre défini par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sinon cela ne fonctionnera pas. La France doit porter ce message d’une voix forte. Il est question de l’égalité devant l’impôt.
Concernant le plan très haut-débit, nous considérons que les infrastructures très haut débit fixes et mobiles soutiennent évidemment le développement de l’économie numérique. Mais nous manquons d’une stratégie industrielle suffisamment forte au niveau européen. Or il s’agit d’un enjeu majeur qui touche à la fois aux écoles, aux industries et aux très petites entreprises. Pour pouvoir faire du cloud computing, il faut également que les data center soient reliés avec un réseau qui tienne. Sur l’état d’avancement du plan, c’est à la ministre de répondre. Quand on va à l’étranger, on voit bien que les infrastructures vont extrêmement vite, notamment dans les pays asiatiques.
Concernant la protection des données personnelles, nous avons aussi besoin d’un cadre européen. L’économie numérique repose sur un équilibre entre la protection des données personnelles et le secret des affaires, d’une part, et la capacité à innover, d’autre part. Si nous n’arrivons pas à trouver cet équilibre-là, d’autres pays ou d’autres continents iront beaucoup plus vite sur ces secteurs.
Enfin, sur la e-santé, comme le disait Jeanine Dubié, c’est effectivement une partie de la réponse pour les territoires ruraux. Mais cela pose des questions en termes de modification des rapports entre le patient et le médecin. Le numérique ne peut être que complémentaire. Il faut toujours penser que le numérique est un outil qui permet de nouveaux services. Mais il ne faut pas pour autant prôner la déshumanisation, bien au contraire. La e-santé, dans le traitement des données anonymisées, est un gigantesque potentiel en matière, par exemple, de prévention d’un certain nombre de pathologies et de maladies rares. Nous avons des acteurs français très performants dans ce secteur, comme l’entreprise Withings qui travaille sur les données connectées.
Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Sur l’équilibre entre l’innovation et la protection, je pense que c’est au niveau européen qu’il faut construire le cadre. Nous n’avons pas besoin de légiférer sur la protection de notre économie ou de nos données personnelles au niveau franco-français. Il faut porter nos valeurs au niveau européen, certainement avec l’Allemagne qui a pris conscience de ces enjeux depuis l’affaire Prism. Mais il faut le faire dans un esprit, non pas de protection de l’ancien modèle, mais dans celui de la conquête de nouveaux marchés. C’est un raisonnement différent. Bien sûr, l’activité du tourisme subit de plein fouet l’activité des géants de l’internet américain qui leur prennent des parts de marché. Ce que nous avons constaté dans la discussion avec l’ensemble des acteurs, c’est que la réponse n’est pas dans la protection des acteurs, comme nous le faisions traditionnellement, mais plutôt dans l’accompagnement. Pour lutter contre la plate-forme Booking, nous devons inciter les hôteliers, de Nice par exemple, à se regrouper pour construire leur propre plate-forme, être visible sur internet et offrir des services innovants par rapport à Booking. Concernant la protection des données personnelles, des débats importants sont en jeu au niveau européen comme celui de la portabilité des données. Pouvoir récupérer ses données de Facebook et les porter sur une autre plate-forme permet d’assurer de la concurrence et le droit à l’oubli. D’autres débats ont lieu comme : qui est propriétaire des données ? Est-ce normal, par exemple, que Facebook soit le seul propriétaire des données publiées sur son réseau ? Nous pourrions imaginer plutôt un système de location ou de mise à disposition des données. Sur les données relatives à la santé, des questions éthiques sont également en jeu. Doit-on, par exemple, nécessairement donner toutes informations sur des personnes qui n’en sont pas demandeuses ?
Le débat et le cadre doivent être européens. Pour répondre à la question de François Sauvadet, il faut que l’Europe ait un investissement très fort dans la recherche et l’innovation dans le domaine du numérique et qu’elle nous accompagne dans la construction des infrastructures de communication. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous sommes passés de 7 milliards à 1 milliard d’euros d’accompagnement dans le budget européen. Je pense que la France et l’Allemagne doivent peser de tout leur poids dans l’agenda européen sur ces sujets-là.
Sur le principe d’innovation enfin, je pense, à titre personnel, que nous devons nous interroger sur le maintien ou non du principe de précaution dans la Constitution. Sujet par sujet et texte par texte, selon les enjeux, nous pourrions décider ce qui est prioritaire entre le principe d’innovation et le principe de précaution.
Corinne Ehrel, rapporteure. Je voudrais encore aborder deux points. Je voudrais répondre à Razzy Hammadi, tout d’abord, sur la concentration des écosystèmes et la question du prix du foncier. Paris, par exemple, a une image extrêmement forte. Mais il est évident que derrière, il y a des problèmes sur le prix et l’accès au foncier. Ce que je vous ai dit sur la Silicon Valley est tout à fait prégnant et de nombreux articles sont parus sur le sujet.
Les écosystèmes régionaux sont en effet très pertinents s’agissant des thématiques de l’accès au foncier et de son prix. Le phénomène que je vous ai décrit à propos de la Silicon Valley est à cet égard tout à fait prégnant. Ainsi, la différence des prix entre la région parisienne et la province peut être l’un des critères du choix du lieu d’implantation d’une entreprise.
Je souhaiterais compléter mon propos en évoquant le sujet crucial de l’éducation, de l’adaptation des compétences et de la formation professionnelle. Je confesse avec beaucoup de modestie qu’il ne s’agit pas de mon sujet de compétence. Je suis fermement convaincue que l’Éducation Nationale a un rôle fondateur à jouer dans le contexte de la numérisation de l’économie globale car l’accès des élèves à ces technologies selon leurs origines sociales peut être extrêmement différent.
Il s’agit également d’être ouvert à la diversité des parcours professionnels. Ce n’est pas parce qu’un jeune n’a pas eu un parcours scolaire linéaire ou brillant qu’il est dénué de qualités importantes de créativité et de capacité à travailler de manière collaborative. Il doit être possible de les mettre en valeur à tous âges. À cet égard, je tiens à saluer la démarche de l’école 42, où il n’y a pas de stigmatisation ou de condamnation de l’échec a priori.
Mme Laure de La Raudière, rapporteure. S’agissant de la question d’enseigner le code aux élèves, il me paraît en effet qu’il faut le faire.
Je voudrais aborder un enjeu fondamental que nous n’avons pas encore évoqué, c’est la manière dont le numérique peut transformer la pédagogie. Il s’agit de passer d’un enseignement très vertical d’apprentissage des savoirs à un enseignement horizontal, plus adapté aux évolutions du monde en matière de prise de risque. Il me semble qu’il serait intéressant que la commission des affaires culturelles et de l’éducation se saisisse de ce sujet ambitieux.
M. le président François Brottes. Mesdames les rapporteures, je renouvelle mes félicitations pour ce travail et vous remercie pour cette présentation. Je vous encourage à préparer une présentation compacte pour la venue des ministres.
La Commission autorise la publication du rapport sur le développement de l’économie numérique française.
2LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
EN FRANCE
M. Serge Abiteboul, directeur de recherche à l’INRIA et membre du laboratoire spécification et vérification (LSV) à l’ENS Cachan, membre du CNN
Amazon France
– M. Andrew Cecil, directeur des affaires publiques
– M. Étienne Bodard, conseil d’Amazon, Arcturus group *
Association « Broadband78 »
– M. Jean-Michel Billaut, président, fondateur de l’Atelier BNP Paribas, animateur des billautshows
Association de l’économie numérique (ACSEL)
– M. Jean-Rémi Gratadour, délégué général
– M. Benoît Tezenas du Montcel (Novacom Associés), vice-président
– Mme Carole Walter (Social Mix Média Group), vice-présidente
– M. Laurent Nizri, (Altéir Consulting), président de la commission « nouveaux moyens de paiement »
– M. Jean-Christophe Carpentier (Atos), administrateur
– M. Cyril Zimmermann (Hi-Média), administrateur
Association française des éditeurs de logiciel (Afdel)
– M. Jamal Labed, président
– M. Loïc Rivière, délégué général
– M. Emmanuel Lempert
Autolib
– M. Morald Chibout, directeur général
– M. Serge Amabile, directeur commercial et marketing
M. Gilles Babinet, Digital Champion de la France auprès de l’Union européenne
Mme Christine Balagué, titulaire de la Chaire Réseaux sociaux à l’Institut Mines-Télécom, vice-présidente du CNN en charge des libertés, présidente de la commission services de Cap Digital
M. Jean-Luc Beylat, président du pôle de compétitivité Systematic Paris–Région, vice-président de l’IRT System-X, co-auteur du rapport « L’innovation, un enjeu majeur pour la France »
Blablacar.fr
– M. Frédéric Mazzella, président-fondateur
Buyster
– M. Éric Gontier, directeur général
CAP Digital
– M. Stéphane Distinguin, président, fondateur et président de faberNovel,
– M. Patrick Cocquet, délégué général
CCI France
– M. André Marcon, président
M. Fabien Cohen, président-directeur général de Whoozer
M. Nicolas Colin, inspecteur des finances, fondateur de The Family, co-auteur de « L’âge de la multitude »
Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
– M. Sainz, co-président de la Commission de l’économie numérique
– M. Chenet, co-président de la Commission de l’économie numérique
– Mme Amélie Jugan, juriste à la direction des affaires économiques
Conférence des Présidents d’Université (CPU)
– M. François Germinet, président du comité numérique de la CPU et président de l’université de Cergy-Pontoise
Commission nationale de l’informatique et des libertés - CNIL
– Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente
– M. Geoffroy Sigrist, attaché parlementaire
Dassault Systèmes
– M. François Bourdoncle, co-fondateur d’Exalead et directeur technique d’Exalead-Dassault Systèmes
Direction générale des finances publiques (DGFIP)
– M. Olivier Bourges, directeur adjoint
– M. François Mahéas, chargé de mission
École 42
– M. Xavier Niel, fondateur d’École 42 vice-président du conseil d'administration et directeur général délégué à la stratégie d’Iliad
– M. Nicolas Sadirac, directeur général
Fédération bancaire française (FBF) *
– M. Willy Dubost, directeur du service « moyens de paiement »
– Mme Catherine Bertrand, chargée d’études « systèmes et moyens de paiement »
– Mme Estelle Toullec-Marquot, chargée des relations institutionnelles
Inspection générale des finances
– M. Pierre Hausswalt, inspecteur des finances
M. Jean-David Chamboredon, président-directeur général d’ISAI
Facebook France
– Mme Delphine Reyre, directrice des affaires publiques
– M. Anton Battesti, responsable des affaires publiques de Facebook France
Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD)
– M. François Momboisse, président
– M. Marc Lolivier, délégué général de la FEVAD
Fédération française des associations de commerçants (FFAC)
– M. Georges Sorel, président
Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *
– Mme Fabienne Prouvost, directrice de la communication et des affaires publiques de la FCD
– M. Jean Richard de Latour, directeur des études, de l’innovation et des affaires publiques du Groupe Carrefour
– Mlle Géraldine Etchepare, responsable des affaires publiques France du Groupe Carrefour.
– M. Antoine Sauvagnargues, chargé de mission affaires publiques pour la FCD
FNAC
– Mme Frédérique Giavarini, directrice organisation, stratégie et affaires publiques
– Mme Aurélie Andrieux-Bonneau, responsable des affaires publiques
Centre de recherche de la Fondation Travail-Université de Namur (FTU)
– Mme Patricia Vendramin
France Digitale
– Mme Delphine Villuendas, secrétaire générale de France Digitale, General counsel Partech International
– M. Giuseppe de Martino, Dailymotion, administrateur de France Digitale
– M. Emanuele Levi, 360 Capital, administrateur de France Digitale
Good Technology France
– M. Florian Bienvenu, vice-président Europe du Sud et Europe Centrale de Good Technology
– Mme Fabiola Flex
Google France
– Mme Elisabeth Bargès, directeur des politiques publiques et de l’innovation
Groupe La Poste *
– Mme Nathalie Andrieux, directrice générale déléguée en charge du numérique
M. Vincent Marcatté, directeur de l’IRT B-Com, vice-président « Open Innovation » chez Orange.fr
Microsoft
– M. Marc Mossé, directeur des affaires juridiques et publiques
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (cabinet de Mme Fioraso)
– M. David Philipona, conseiller transfert, énergie, numérique et développement durable
– M. Anthony Aly, conseiller parlementaire
Paypal France
– Mme Gimena Diaz, directrice générale
– Mme Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles du bureau de Bruxelles
– Mme Emmanuelle Garault, chargée des relations institutionnelles
Price Minister
– M. Pierre Kosciusko-Morizet, président-directeur général
M. Dominique Roux, directeur scientifique de la Chaire Économie numérique de l’Université de Paris Dauphine
Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP)
– M. Nicolas Conso, chef du service innovation et service aux usagers
M. Thomas Serval, fondateur de Radioline
S.N.C.F.
– Mme Barbara Dalibard, directrice générale SNCF Voyages
– M. Yves Tyrode, directeur général de voyages-sncf.com
– Mme Karine Grossetête, conseillère parlementaire
Syntec Numérique
– M. Guy Mamou-Mani, président
Transdev *
– M. Philippe Payen, conseiller numérique
Uber France
– M. Pierre-Dimitri Gore-Coty, en charge des activités Nord-Européennes de Uber (incluant la France)
– Mme Thaima Samman, avocate associée du cabinet Samman
M. Henri Verdier, directeur d’Etalab, co-auteur de « L’âge de la multitude »
Vente-privee.com
– M. Xavier Court, cofondateur et associé
Withings
– M. Éric Carreel, président
– M. Cédric Hutchings, directeur général
– M. Jean-François Kitten, conseiller
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
3LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
À L’ÉTRANGER
Londres, 15 juillet 2013
______
Association des Business Angels du Royaume-Uni
– Mme Jenny Tooth, PDG
Cabinet Office
– M. Paul Maltby, directeur de l’Open Data et du e-gouvernement
Funding Circle
– M. Samir Desai, co-fondateur et directeur
– Mme Lisa Griffiths, vice-présidente en charge de la stratégie et du développement
GSM association
– Mme Anne Bouverot, directrice générale
Loco2
M. Jamie Andrews, co-fondateur et PDG
Ministère des entreprises, de l’innovation et des compétences
– M. Alan Martin, conseiller PME accès au financement
– Mme Nathalie Bodek, conseiller PME accès au financement
Shopcade
– Mme Nathalie Gaveau, fondatrice et PDG
San Francisco, 16-18 septembre 2013
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Airbnb
– M. David Hantman, directeur des affaires publiques d’Airbnb
– Mme Natalie Foster, directrice exécutive co-fondatrice de Peers.org (ONG dédiée à la « sharing economy »)
Coursera (MOOC)
– M. Andrew Ng, fondateur et président-directeur général
CEO de T2 Venture Capital
– M. Gregory Scott Horowitt, membre de Sand Hill Angels
– Rencontre avec les équipes « gouvernance et régulation »
Founder Institute, accélérateur de start-ups
– M. Adeo Ressi, fondateur et président-directeur général
– Département « Google X »
Mairie de San Francisco
– M. Mark Chandler, conseiller économique du Maire de San Francisco
Orange Lab
– M. Georges Nahon, directeur général
Partech International
– M. Vincent Worms, Associé
Renault Silicon Valley
– M. Serge Passolunghi, directeur de Renault Silicon Valley
Soffinova
– M. Eric Buatois, Associé
Table-ronde avec des étudiants et entrepreneurs français (Consulat)
– M. Daniel Amzallag (HEC, Stanford), président-directeur général d’Ivalua.
– Mlle Anne-Perrine Avrin (Arts et Métiers de Bordeaux), étudiante à l’Université de Berkeley
– M. Alexandre Bayen (Polytechnique, Stanford), professeur-chercheur à l’Université de Berkeley
– M. Éric Didier (Arts et Métiers), entrepreneur, président-directeur général d’Ividence
– M. Nicolas Zweibaum (Polytechnique), étudiant à l’Université de Berkeley
Table-ronde avec de jeunes français entrepreneurs et employés des acteurs du numérique installés dans la baie de San Francisco
– M. Etienne Deguine, Google
– Mme Clara Droulhiole, Google
– M. Charles Gorintin, Instagram
– M. Léo Grimaldi, Forty Two
– M. Louis Lecat, AgilOne
– M. Thibault Poisson, Health Loop
Uber
– M. Corey Owens, directeur des affaires publiques
Université de Stanford - Stanford Graduate School of Business
– Mme Bethany Coates, directrice du programme « Global Innovation »
Watchup
– M. Adriano Farano, co-fondateur et président-directeur général
Hong Kong
1-2 mars
______
Cyberport Hong Kong
– M. David Chung, responsable du bureau innovation et technologie
Rencontre avec la communauté française, représentant les grandes entreprises françaises (Orange, Thalès, Capgemini, etc.) et les start-up
Shenzhen
3-4 mars
______
Bourse de Shenzhen
– M. Zou Sheng, Vice-président exécutif
Commission municipale pour l’économie, le commerce et 1’informatisation
– M. Jia XiDong, directeur général adjoint en charge de l’économie numérique et des projets de l’e-gouvernement.
Global Digital Creation
– M.Xiao Yong, Directeur Général groupe
Sagemcom
– M. Ulrich Geiger, Directeur général de la filiale à Shenzhen
Shenzhen Capital Group
– M. Sun Dongsheng, membre du Directoire.
Tencent
– M. Beck Han, directeur adjoint du département de la stratégie et du développement
Sydney et Canberra, 5-7 mars
______
Alcatel-Lucent Australie
– M. Sean O’Halloran, Président-directeur général
– M. Pierre Antoine Chauvet, vice-président en charge des opérations commerciales et des ventes
– M. Tim Marshall, directeur des affaires publiques
– Mme Liza Noonan, directrice du département de commercialisation des technologies innovantes
Autorité des médias et des télécommunications de l’Australie
– M. Giles Tanner, directeur général de la division « économie numérique »
– M. Alan Chalmers, responsable de la section « Manager-Consumer Interests Section
– M. Joe Di Gregorio, responsable de la section « analyse du marché des télécommunications »
– M. Colin Payne, responsable de la section « régulation internationale »
Commission spéciale du Parlement sur le projet « NBN »
– Mme Kate Lundy, Présidente, sénatrice
M. Ian Macfarlane, Ministre de l’industrie, député
M. Malcolm Turnbull, Ministre des télécommunications, député
Ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur
– Mme Suzanne Jorgenson, responsable du département « Europe »
Ministère des finances (AGIMO)
– M. John Sheridan, conseiller au sein de la division « Achats et technologies »
– M. Marc Vickers, conseiller au sein de la division « Gouvernance »
Ministère des télécommunications
– M. Emmanuel Njuguna, directeur du département « économie numérique »
– M. Abul Rizvi, directeur adjoint du département « économie numérique »
– M. Simon Cordina, conseiller « e-Gouvernement »
– Mme Jacqueline Daly, conseiller au sein du département « économie numérique »
– Mme Jo Grainger, conseiller « très haut débit »
– M. Andrew Verdon, conseiller du directeur du département « économie numérique »
NBN Co Ltd
– M. Jean-Baptiste Rousselot, directeur de la stratégie
– M. Landry Fevre, directeur de la stratégie média
National ICT Australia NICTA
– M. Terry Percival, directeur « Très haut débit et économie numérique »
– M. Carl Middlehurst, conseiller
– Mme Danelle Partridge, directeur de la stratégie
– M. Ronnie Taib, co-responsable du projet « infrastructure, transports et logistique »
– M. Peter Runcie, co-responsable du projet « infrastructure, transports et logistique »
– M. Guillaume Smith, doctorant, groupe de recherches « réseaux »
– M. Guillaume Jourjon, chercheur groupe de recherches « réseaux »
– M. Olivier Mehani, chercheur groupe de recherches « réseaux »
– M. Vincent Gramoli, chercheur, chercheur groupe de recherches « systèmes logiciels »
– M. Adnene Guabtni, chercheur, groupe de recherches « systèmes logiciels »
Organisation de recherche scientifique et industrielle du Commonwealth (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation) CSIRO
– Dr Dave Williams, Group Executive, Information Sciences Group
– Dr Ian Oppermann, directeur « Digital Productivity and Services Flagship »
– M. Geof Heydon, directeur « Business Development, Information Sciences Group »
Table ronde : « Le numérique en Australie »
– M. Antoine Burbaud, directeur de Newquest :
– M. Didier Grossemy, président-directeur général de My Verified ID
– M. Stéphane Ibos, président-directeur général de Maestrano
– M. Eric Perriard, Directeur et cofondateur de Cascade
– Nicolas Tessier, responsable du département « Start up et Innovation », GPY&R
– M. Mathieu Van Hieu, directeur commercial de GPY&R
– M. Marc Xavier, responsable des ventes, Criteo
Ubifrance Australie
– M. Bruno Teissier, directeur
– M. Bertrand Raoult, conseiller chargé du numérique
1 () Selon l’économiste Jérémy Rifkin, toute révolution industrielle repose sur l’apparition combinée ou à la « convergence » d’une nouvelle technologie de la communication et de nouveaux systèmes énergétiques. La troisième (TRI) reposerait ainsi sur le numérique et la transition énergétique.
2 () www.lemonde.fr/technologies/article/2014/05/01/pourquoi-les-manifestations-anti-high-tech-se-radicalisent-a-san-francisco_4410201_651865.html.
3 () L’Âge de la multitude – entreprendre et gouverner après la révolution numérique. N. Colin et H. Verdier. Armand Colin. 2012.
4 () Voir à ce sujet : La souveraineté numérique. Pierre Bellanger. Stock. 2014.
5 () Voir à ce sujet : L’ère numérique, un nouvel âge de l’humanité. Gilles Babinet. Le Passeur. 2014.
6 () Rapport d’information sur la neutralité de l’internet et des réseaux, n° 3336. Corinne Erhel et Laure de La Raudière. 2011. pp.13 et 17. http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i3336.pdf.
7 () Ces caractéristiques trouvent notamment leur origine dans la manière dont fonctionnent les protocoles TCP et IP élaborés par Vinton Cerf et Robert Khan : cf. V. G. Cerf et R. E. Kahn, « A protocol for packet network interconnection », IEEE Trans. Comm. Tech., 1974.
8 () Advanced Research Projects Agency Network.
9 () Internet propose aujourd’hui trois types de service fondamentaux : le courrier électronique, l’échange de fichiers via le protocole FTP (file transfer protocol) et le Web.
10 () Commissariat général à la stratégie et à la prospective. La dynamique d’internet. Prospective 2030. Juin 2013. http://www.strategie.gouv.fr/blog/2013/06/internet-prospective-2030-note-danalyse-02-juin-2013/.
11 () La société Netscape a édité les premiers navigateurs capables de fonctionner sur des ordinateurs personnels en 1994 et a rapidement dominé le marché, avant de péricliter au début des années 2000. Il est néanmoins admis que le premier logiciel de navigation Web « stable » et populaire était Mosaic, développé en 1993 par le centre de recherche américain NCSA.
12 () Tim O’Reilly, "What is web 2.0", 30 septembre 2005.
13 () Le mot « wiki » trouve son étymologie dans l’expression hawaïenne wiki wiki, qui signifie « rapide ».
14 () MySpace, créé en 2003, est souvent considéré comme le premier réseau social. Depuis Facebook, Twitter, Instagram, Linkedin, Google + sont apparus et font partie des leaders mondiaux en ce domaine.
15 () Application Programming Interface.
16 () Ouvrage précité.
(17 ) A ce titre, l’affaire AppGratis, qui a opposé des développeurs français à Apple, illustre cette relation asymétrique, comparable à certaines pratiques constatées dans la grande distribution.
18 () http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-google-annonce-1-million-d-apps-mais-combien-de-douteuses-54565.html.
19 () http://www.gartner.com/newsroom/id/2592315. http://www.gartner.com/newsroom/id/2654115.
21 () http://www.gsb.stanford.edu/
22 () Il ne s’agit à ce stade que d’évoquer l’importance du capital-risque dans l’écosystème de la Silicon Valley et pour le financement de l’économie numérique. Une analyse approfondie de la chaîne de financement des start-up est faite en deuxième partie, « assurer le financement ».
23 () Prise de participations majoritaires ou minoritaires dans le capital des entreprises.
24 () L’Âge de la multitude. Op. cité.
25 () Stanford est deuxième au classement 2013 de Shangai. http://www.shanghairanking.com/ARWU2013.html.
26 () Vos rapporteures n’ignorent pas les guerres que se livrent les acteurs du numérique sur le terrain de la propriété intellectuelle. http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/apple-samsung-le-proces-des-geants_1492287.html.
27 () La « lettre aux actionnaires » de Jeff Bezos est devenue un rituel annuel, toujours riche d’enseignements pour le lecteur intéressé par le numérique - http://www.sec.gov/Archives/edgar/data/1018724/000119312513151836/d511111dex991.htm .
28 () Les enjeux et conséquences de l’Affaire Prism sont traités en deuxième partie du rapport.
29 () Op. cité. p. 80.
30 () Amazon revendique 40 % de ses ventes grâce à son moteur de recommandation, Netflix 60 %.
31 () Les foules. Le Spleen de Paris. Baudelaire. 1864.
32 () Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique. Pierre Collin et Nicolas Colin, janvier 2013. http://www.redressement-productif.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf.
33 () Thomas Friedman. The Start-up of You. New York Times. 12 juillet 2011. « Facebook is now valued near $100 billion, Twitter at $8 billion, Groupon at $30 billion, Zynga at $20 billion and LinkedIn at $8 billion. These are the fastest-growing Internet/social networking companies in the world, and here’s what’s scary : You could easily fit all their employees together into the 20,000 seats in Madison Square Garden, and still have room for grandma. » http://www.nytimes.com/2011/07/13/opinion/13friedman.html?_r=0.
34 () http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/04/12/google-maps-rattache-la-crimee-a-la-russie-mais-seulement-pour-les-utilisateurs-russes/.
35 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-eco/13-14/c1314067.asp#P2_47.
36 () http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/accord-avec-google/.
37 () http://www.itespresso.fr/interview-gilles-babinet-debut-revolution-numerique-71707.html 21.01.2014.
38 () http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_lescure/index.htm#/1
39 () Décret n° 90-66 du 17 janvier 1990, pris pour l’application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986.
40 () On trouvera le détail de la réglementation sur le site du CNC : http://www.cnc.fr/web/fr/reglementation-des-relations-cinema-television.
41 () Avis budgétaire sur le PLF 2014. Mission Économie. Tome VI « Tourisme ». Éric Straumann. 10.10.2013. http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/budget/plf2014/a1430-tVI.pdf.
42 () Selon le rapport de M. Straumann précité, 64 % des voyageurs ont consulté les avis d’anciens voyageurs sur Internet avant de choisir leur destination, et 20 % ont consulté les réseaux sociaux.
43 () Fédération du e-commerce et de la vente à distance.
44 () Avec plus de 7 millions de visiteurs uniques par mois, Voyages-sncf.com demeure en 2012 le seul site e-tourisme dans le classement des dix sites marchands les plus fréquentés, tous secteurs confondus (7ème position).
45 () http://www.challenges.fr/entreprise/20130917.CHA4410/pourquoi-les-hoteliers-se-retournent-contre-booking-expedia-et-hotels-com.html et http://lentreprise.lexpress.fr/marketing-vente/ebusiness/comment-booking-com-hotels-com-ou-expedia-fr-braquent-hoteliers-et-restaurateurs_1516316.html.
46 () http://www.artisanat-commerce-tourisme.gouv.fr/sylvia-pinel-souhaite-regulation-accrue-des-sites-reservations-hotelieres.
47 () http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cepc/avis/avis_13_10.pdf.
48 () https://fresh.amazon.com/welcome. Et http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/auto-transport/actu/0203389929327-bernard-demeure-pour-la-distribution-francaise-l-arrivee-d-amazon-fresh-pourrait-avoir-des-consequences-importantes-659197.php.
49 () http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/12/16/les-travailleurs-chez-amazon-ont-des-conditions-de-travail-dignes-du-xixe-siecle_3517609_3234.html.
50 () http://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/dgccrf/documentation/dgccrf_eco/dgccrf_eco11.pdf.
51 () http://www.fcd.asso.fr/. Une cinquantaine d’entreprises du commerce de détail et de gros.
52 () http://www.ffacommercants.org/.
53 () http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5N0MM4F520140325.
54 () Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
55 () Alors que les taxis ne sont pas tous équipés d’un terminal permettant de régler en carte bancaire.
56 () Un récent article de presse estime que le prix de la licence a perdu 25 % de sa valeur depuis janvier 2013, atteignant aujourd’hui 200 000 euros. http://www.lefigaro.fr/societes/2014/05/02/20005-20140502ARTFIG00003-le-prix-des-plaques-de-taxis-parisiens-s-effondre.php.
57 () http://colin-verdier.com/les-fossoyeurs-de-l-innovation/.
58 () http://www.usine-digitale.fr/article/chaque-depute-devrait-etre-sensibilise-aux-problemes-des-entrepreneurs-explique-nicolas-colin.N255895.
59 () Les autorités new-yorkaises ont récemment entrepris de réguler l’activité de sous-location via Airbnb (http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/04/22/airbnb-supprime-2-000-annonces-a-new-york_4405082_651865.html). En France, la loi « Alur » n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové a également encadré cette activité.
60 () Voir Deuxième partie.
61 () http://www.fbf.fr/fr/files/987KJD/Chiffres-cles-secteur-bancaire-francais-25042014.pdf.
62 () Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin – 5 décembre 2013. http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Focus-10-stabilite-financiere.pdf.
63 () Warning to consumers on virtual currencies – 12 décembre 2013. http://www.eba.europa.eu/documents/10180/598344/EBA+Warning+on+Virtual+Currencies.pdf
64 () RBI cautions users of Virtual Currencies against Risks – 24 décembre 2013. http://rbi.org.in/scripts/BS_PressReleaseDisplay.aspx?prid=30247.
65 () https://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/Communication/Communiques %20de %20presse/20140129-Communique-ACPR-position-bitcoin.pdf.
66 () http://www.cryptocoinsnews.com/news/bank-of-thailand-issues-another-statement-on-bitcoin/2014/03/18.
67 () http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0203290802493-le-bitcoin-et-la-revolution-numerique-des-monnaies-647932.php et http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/high-tech-medias/internet/221190061/force-cachee-bitcoin.
68 () http://recode.net/2014/03/11/will-bitcoin-live-or-die-in-new-york-this-man-will-decide/.
69 () http://www.dol.gov/oasam/programs/history/herman/reports/futurework/report.htm.
70 () http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_donnees_de_sante_2013.pdf.
71 () La France se classe au 3e rang des pays de l’OCDE en matière de dépenses de santé, consacrant 11,8 % du PIB soit 220 milliards d’euros à son système de santé. 77 % des dépenses de santé sont financées par l’Assurance Maladie. Ces dépenses progressent chaque année plus rapidement que le PIB et l’Assurance maladie accuse un déficit de 8,3 milliards d’euros en 2011.
72 () J. Rifkin. La Troisième Révolution Industrielle.
73 ( À ce titre, l’accord signé le 1er avril 2014 par la CFDT, la CGC, CINOV et la Fédération SYNTEC prévoit une « obligation de déconnexion des outils de communication à distance » - http://www.syntec.fr/1-federation-syntec/144-actualite-convention-collective/144-actualite-convention-collective.aspx.
74 () À cet égard, il est essentiel de mener des actions de sensibilisation vis-à-vis des services chargés des ressources humaines, afin de permettre le développement du travail à distance, tout en assurant la sécurité nécessaire face à la mobilité de données parfois sensibles, stockeés sur des supports personnels (clés usb, terminaux personnels, etc.) - phénomène du Bring your own device (BYOD.)
75 () Etude précitée. L’indice d’intensité établi par le cabinet repose sur le nombre d’outils ou technologies Internet adoptés ar une entreprise (messagerie électronique, site Web, Intranet, Extranet, Web 2.0, marketing online, etc.) et le taux de pénétration de chacun de ces outils.
76 () Chiffres INSEE.
77 () http://www.economie.gouv.fr/cedef/chiffres-cles-des-pme.
78 () http://www.syntec-numerique.fr/sites/default/files/related_docs/barometre_idc_sn_maturite_numerique_des_dirigeants_oct2013.pdf.
79 () http://barbares.thefamily.co/.
80 () http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/american-express-va-supprimer-5-400-emplois-en-2013-10-01-2013-2470103.php.
81 () http://www.thehackettgroup.com/research/2012/offshoring-update/hckt2012-offshoring-forecast.pdf et http://www.thehackettgroup.com/about/research-alerts-press-releases/2013/09102013-offshoring-technology-slow-growth.jsp.
82 () Le capital au XXIe siècle - Thomas Piketty.
83 () http://www.economie.gouv.fr/files/rapport-mckinsey-company.pdf
84 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/europe/rap-info/i1409.pdf.
85 () http://www.kauffman.org/what-we-do/research/firm-formation-and-growth-series/the-importance-of-startups-in-job-creation-and-job-destruction.
86 () http://www.gouvernement.fr/gouvernement/l-initiative-quartiers-numeriques-devient-la-french-tech.
87 () http://www.deloitte.com/assets/Dcom-UnitedKingdom/Local %20Assets/Documents/Industries/TMT/uk-tmt-media-facebook-europe-economic-impact.pdf.
88 () Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique. http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4029.asp.
89 () Étude précitée.
90 () http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/fiche2_psentation_google_14dec10.pdf.
91 () Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
92 () http://eduscol.education.fr/cid46073/b2i.html.
93 () Le B2i a notamment été réformé par l’arrêté du 24 juillet 2013 modifiant l’arrêté du 14 juin 2006 relatif aux référentiels de connaissances et capacités exigibles pour le brevet informatique et internet (B2i).
94 () http://eduscol.education.fr/cid47415/la-maitrise-des-techniques-usuelles-de-l-information-et-de-la-communication.html.
95 () http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf.
96 () L’École 42, fondée par Xavier Niel, a ouvert ses portes à la rentrée 2013.
97 () http://www.42.fr/.
98 () Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
99 () Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
100 () Arrêté du 22 janvier 2014 fixant le cadre national des formations conduisant à la délivrance des diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et de master.
101 () http://www.enseignement-sup-villes-moyennes.fr/upload/publication/PDF_1334_Rapport_JYLD_14janv13.pdf.
102 () http://www.cereq.fr/index.php/publications/Net.Doc/L-insertion-des-diplomes-de-licence-du-parcours-d-etudes-au-premier-emploi.
103 () Arrêté du 22 janvier 2014 fixant la nomenclature des mentions du diplôme national de licence et Arrêté du 4 février 2014 fixant la nomenclature des mentions du diplôme national de master.
104 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/budget/plf2014/a1429-tix.pdf.
105 () Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
106 () Brynjolfsson et McAfee.
107 () http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0203416157254-le-sort-de-fleur-pellerin-interpelle-le-secteur-du-numerique-661719.php.
108 () http://www.elysee.fr/visite-d-etat-aux-etats-unis-d-amerique-prusa/.
109 () http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/recherche-innovation/innovation/221177237/progres-est-lumiere-nations.
110 () http://techcrunch.com/ Fondé en 2005 par Michael Arrington, il s’agit d’un blog spécialisé dans les startups Internet. Une version française existait avant de disparaître en 2012. Une version européenne existe néanmoins : http://techcrunch.com/europe/.
111 () Zdnet, ITespresso, 01net, Frenchweb, Presse citron, etc.
112 () The Social Network, de David Fincher, 2010.
113 () Jobs, de Joshua Michael Stern, 2013.
114 () The Internship, de Shawn Levy, 2013.
115 () http://www.redressement-productif.gouv.fr/rapport-tariq-krim-developpeurs-atout-pour-france.
116 () Circulaire du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales.
117 () En détail : The Rainforest : The Secret to Building the Next Silicon Valley. Victor W. Hwang et Greg Horowitt. 2012. Ou la présentation : http://fr.slideshare.net/ghorowitt/the-rainforest-240113.
118 () L’ensemble Pays de la Loire-Bretagne constitue la deuxième région numérique du territoire après l’Ile-de-France.
119 () Les incubateurs sont des structures publiques, académiques ou privées, sous forme associative ou de société par actions simplifiée (SAS) apportant des services (coaching, mise à disposition de ressources techniques, hébergement, etc.) et une mise en réseau sur une durée longue, sur la base d’un modèle économique ad hoc. Les accélérateurs sont en général des structures privées, ayant souvent à leur tête des entrepreneurs, et apportant un accompagnement intensif à des start-up cherchant à lever rapidement des fonds.
120 () http://www.business-angel-france.com/startups-quel-accelerateur-choisir.
121 () L’ensemble Pays de la Loire-Bretagne constitue la deuxième région numérique du territoire après l’Ile-de-France.
122 () Article 24 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.
123 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2013/a0253-txvi.asp.
124 () http://www.la-fabrique.fr/Actualite/dassault-systemes-l-exception-francaise.
125 () Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.
126 () Un système expert est un logiciel d’intelligence artificielle permettant d’orienter l’utilisateur en fonction de ses réponses à des questions précises. Un système expert repose sur trois outils : une base de faits, une base de règles, un moteur d’inférence. En somme, l’entrepreneur répondrait à des questions concernant ses besoins et le système l’orienterait vers le bon acteur.
127 () http://www.lafrenchtech.com/.
128 () http://www.techcityuk.com/ - http://startup-berlin.com/ - http://www.whitehouse.gov/economy/business/startup-america - http://www.startupbrasil.org.br/ - http://www.startupchile.org/.
129 () http://www.redressement-productif.gouv.fr/files/1_french-tech-presentation-generale.pdf.
130 () Avis budgétaire de Mme Corinne Erhel sur le PLF pour 2014. « Communications électroniques- économie numérique »http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2014/a1430-tix.asp#P158_20994.
131 () FDD (Frequency Division Duplexing) est une méthode de duplexage dans le domaine des télécommunications sans fil : l’émission et la réception des données se font à des fréquences différentes, c’est-à-dire que la fréquence porteuse du signal diffère suivant que le sens de la liaison est montant ou descendant. Cette technique permet d’émettre et de recevoir simultanément. Fonctionnent ainsi l’ADSL, le VDSL, l’UMTS, le LTE, le Wimax.
132 () http://www.anfr.fr/fr/l-anfr/actualites/dernieres-actualites/detail-dactualite/article/pres-de-15-000-sites-autorises-pour-la-4g-au-1er-mai-2014-267/archive/2014/05.html?tx_ttnews[day]=06&cHash=997fd4f051ca568a023dd13440e9a589.
133 () À ce sujet, l’entrée en Bourse de Facebook en mai 2012, ou celle des entreprises de jeux électroniques comme King ou Zynga, ont laissé nombre de commentateurs perplexes face à la valorisation obtenue.
134 () Loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
135 () Le mouvement des Pigeons est né à l’automne 2012, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2013, à l’initiative d’un certain nombre de business angels et d’entrepreneurs du numérique, qui se sont mobilisés contre le projet d’intégration au barème de l’impôt sur le revenu des plus-values de cessions mobilières. Le Gouvernement avait alors entendu ces revendications.
136 () French Internet Business Angel Money Yardstick.(FIBAMY).
137 () 700 000 livres.
138 () http://www.louvresamothrace.fr/fr/#/campagne.
139 () FIBAMY.
140 () Partech Ventures a annoncé avoir levé 160 millions d’euros pour le lancement de deux nouveaux fonds, l’un dédié au capital-risque (160 M), le second consacré à l’amorçage (30 M).
141 () http://www.afic.asso.fr/fr/les-chiffres-cles-du-capital-investissement/les-etudes-cles-du-capital-investissement/activite-du-capital-investissement.html.
142 () La loi de finances rectificative pour 2013 a modifié la législation en vigueur en mettant en place des mesures d’amortissement fiscal pour les investissements dans les PME innovantes, et en consolidant les FCPI : http://www.senat.fr/rap/l13-217-1/l13-217-11.pdf p. 97.
143 () I have not failed. I’ve just found 10,000 ways that won’t work.
144 () Les propositions de PME-Finance sont basées sur la création du PEA-PME, destiné au financement, par l’épargne des particuliers, des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les versements sur un PEA-PME sont plafonnés à 75 000 € par personne (ou 150 000 € pour un couple avec 2 plans). https://euronext.com/pea-pme/.
145 () À la date de réalisation de ce schéma, la BPI n’avait pas encore été constituée.
146 () Voir OCDE. Étude « politique d’investissement : Israël. 2002 ».
147 () Le fonds FSN PME est un fonds d’investissement de capital-risque doté de 400 millions d’euros et créé par le Fonds national pour la société numérique institué dans le cadre du Grand Emprunt. Il est constitué sous forme de fonds commun de placement (FCPR). Il a pour objet principal d’intervenir sur des opérations d’investissement en fonds propres et/ou quasi-fonds propres dans des PME développant de nouveaux usages, services et contenus numériques. Le 17 juin 2013, il a été renommé "Fonds Ambition Numérique" et intégré à la Banque Publique d’Investissement - http://fr.wikipedia.org/wiki/FSN_PME.
148 () http://www.igf.finances.gouv.fr/webdav/site/igf/shared/Nos_Rapports/documents/2012/2011-M-060-02.pdf
149 () La BPI est depuis devenue Bpifrance.
150 () Loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement.
151 () Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
152 () Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.
153 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1243.asp#P1044_179852.
154 () http://www.economie.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf.
155 () Un groupe de travail sur la fiscalité du numérique a été mis en place au sein de l’OCDE. Il est co-présidé par la France et les États-Unis.
156 () http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2013/09/CNN-avis-fiscalit %C3 %A9-num %C3 %A9rique-fran %C3 %A7ais.pdf.
157 () Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
158 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/egalite_femmes_hommes.asp.
159 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/systeme_prostitutionnel_renforcement_lutte.asp.
160 () http://www.washingtonpost.com/wp-srv/special/politics/prism-collection-documents/ et http://www.theguardian.com/world/prism
161 () http://presidence.assemblee-nationale.fr/communiques-de-presse/communique-de-claude-bartolone-creation-d-une-commission-de-reflexion-et-de-propositions-sur-le-numerique.
162 () Dans un rapport publié en mars 2012, la Commission fédérale américaine du commerce s’est souciée de l’essor de la profession d’information broker. Elle demande entre autres à ce que les citoyens puissent avoir accès aux informations que ces « vendeurs d’informations » ont sur eux. Federal Trade Commission (2012), Protecting Consumer Privacy in an Era of Rapid Change.
163 () http://www.strategie.gouv.fr/blog/wp-content/uploads/2013/11/2013-11-09-Bigdata-NA008.pdf.
164 () Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
165 () Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
166 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données), Bruxelles, le 25 janvier 2012, COM(2012) 11 final, 2012/0011 (COD.)
167 () http://www.elysee.fr/assets/pdf/Rapport-de-la-commission-Innovation-2030.pdf.
168 () http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/deliberations/Formation_contentieuse/D2013-420_Sanction_Google.pdf. La société a sollicité la suspension de cette mesure d’insertion devant le juge des référés du Conseil d’État. Par décision du 7 février 2014, le juge a rejeté cette demande. Cette décision ne préjuge pas du recours au fond qui demeure par ailleurs pendant devant le Conseil d’État.
169 () http://www.usinenouvelle.com/article/pour-gilles-babinet-il-faut-fermer-la-cnil-c-est-un-ennemi-de-la-nation.N192221 et http://pro.01net.com/editorial/587657/gilles-babinet-une-cnil-reformee-pourrait-remplir-un-role-utile/ et http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20130219trib000749642/la-cnil-devrait-s-appeler-commission-nationale-innovation-et-libertes.html.
170 () http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i3336.pdf.
171 () http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/contribution-francaise-a-l-europe-numerique/.
172 () http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/04/18/01007-20130418ARTFIG00562-appgratis-notre-sortie-de-l-app-store-est-une-campagne-de-publicite-incroyable.php.
173 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/c-rendus/c0084.asp#P5_269.
174 () http://www.redressement-productif.gouv.fr/nouvelle-france-industrielle. Énergies renouvelables, La voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 km, Bornes électriques de recharge, Autonomie et puissance des batteries, Véhicules à pilotage automatique, Avion électrique et nouvelle génération d’aéronefs, Dirigeables - charges lourdes, Logiciels et systèmes embarqués, Satellites à propulsion électrique, TGV du futur, Navires écologiques, Textiles techniques et intelligents, Industries du bois, Recyclage et matériaux verts, Rénovation thermique des bâtiments, Réseaux électriques intelligents, Qualité de l’eau et gestion de la rareté, Chimie verte et biocarburants, Biotechnologies médicales, Hôpital numérique, Dispositifs médicaux et nouveaux équipements de santé, Produits innovants pour une alimentation sûre, saine et durable, Big data, Cloud computing, E-éducation, Souveraineté télécoms, Nanoélectronique, Objets connectés, Réalité augmentée, Services sans contact, Supercalculateurs, Robotique, Cybersécurité, Usine du futur.
175 () Ericsson White Paper (2011), More than 50 Billion Connected Devices.
176 () Les vidéos sont ici : http://www.universcience.tv/video-asimo-un-robot-pour-nous-servir-5717.html et ici: http://www.youtube.com/watch?v=xPJy1-AO17I .
177 () À ce sujet, la vidéo de la Google car est ici : http://www.dailymotion.com/video/xpwft2_google-car-un-aveugle-teste-la-voiture-autonome_tech.
178 () http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0203332448099-l-actu-tech-de-la-silicon-valley-apres-le-cloud-computing-place-au-fog-computing-652259.php.
179 () http://ns1758.ca/winch/winchest.html.
180 () CGSP. Analyse des big data, quels usages, quels défis ? novembre 2013 http://www.strategie.gouv.fr/blog/2013/11/note-analyse-des-big-data/.
181 () Cette proposition a été formulée par Eurocloud.
182 () Soit 1 000 Go ou 1 000 000 000 000 octets. Un octet est un regroupement de 8 bits codant une information. Dans ce système de codage, s’appuyant sur le système binaire, un octet permet de représenter 28, c’est-à-dire 256 valeurs différentes.
183 () C. Brasseur. Enjeux et usages du Big Data. Technologies, méthodes et mise en œuvre. Lavoisier. 2013.
184 () V. Mayer-Schönberger et K. Cukier. Big Data. A revolution that will transform how we live, work and think. 2013.
185 () http://www.finance.gov.au/files/2013/01/APS_ICT_Strategy.pdf.
186 () http://www.presse-citron.net/comment-flinguer-le-cours-de-bourse-dune-entreprise-avec-seulement-11-followers-sur-twitter.
187 () http://www.tcs.com/SiteCollectionDocuments/Trends_Study/TCS-Big-Data-Global-Trend-Study-2013.pdf.
188 () http://www.whitehouse.gov/sites/default/files/microsites/ostp/big_data_press_release.pdf.
189 () http://investissement-avenir.gouvernement.fr/content/programme-d %E2 %80 %99investissements-d %E2 %80 %99avenir-115-millions-d %E2 %80 %99euros-dans-7-projets-de-big-data.
190 () http://www.afdel.fr/actualites/categorie/actualite-afdel/article/l-afdel-se-rejouit-du-plan-big-data-annonce-hier-par-fleur-pellerin-qui-repond-positivement-aux-propositions-de-l-afdel.
191 () http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Le-cout-du-dossier-medical-personnel-depuis-sa-mise-en-place.
192 () À la date de rédaction du présent rapport, on dénombre 455 971 (1er mai 2014).
193 () Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.
194 () Décret n° 2012-1198 du 30 octobre 2012.
195 () mon.service-public.fr et service-public.fr, qui ont vocation à fusionner.
196 () Étude précitée.
197 () http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/4/37/99/26/SGMAP/Circulaire-du-26-mai-2011.pdf.
198 () http://www.territoires.gouv.fr/IMG/pdf/2013-08-01_rapport_final.pdf.
199 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2014/a1430-txi.asp.
200 () La vidéo est ici : http://www.dailymotion.com/video/x1k0793_la-poste-mobile-pub-tv-en-chair-et-en-os_fun.
201 () http://modernisation.gouv.fr/les-services-publics-se-simplifient-et-innovent/par-la-co-construction/lancement-du-programme-futurs-publics-innover-pour-moderniser-laction-publique.
202 () http://www.priceminister.com/blog/barometre-2013-e-commerce-des-petites-entreprises-9285.
203 () Rapport précité : http://www.economie.gouv.fr/files/rapport-mckinsey-company.pdf.
204 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta-commission/r1458-a0.asp.
205 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1458.asp#P85_16204.
206 () http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/139210.pdf.
207 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 26 août 2010 « Une stratégie numérique pour l’Europe » [COM (2010) 245/2] et Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 décembre 2012 « Une stratégie numérique pour l’Europe : faire du numérique un moteur de la croissance européenne » [COM (2012) 784].
208 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i1409.asp.
209 () Le MIE est doté de 23,3 milliards d’euros au total mais la part numérique ne représente qu’un milliard.
210 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit (COM(2013)0147 – C7-0082/2013 – 2013/0080(COD)).
211 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 septembre 2013 établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l’Europe un continent connecté, et modifiant les directives 2002/20/CE, 2002/21/CE et 2002/22/CE ainsi que les règlements (CE) no 1211/2009 et (UE) no 531/2012 [COM (2013) 627].
212 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (COM/2012/011 final - 2012/0011 (COD)).
213 () Les élections européennes se tiendront du 22 au 25 mai 2014.
214 () http://www.gouvernement.fr/gouvernement/construire-une-europe-du-numerique-et-de-l-innovation http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/contribution-francaise-a-l-europe-numerique/.
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