N° 2156 - Rapport d'information de M. Christophe Castaner déposé en application de l'article 146 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur le recours par Pôle Emploi aux opérateurs de placement pour l'accompagnement et le placement des demandeurs d'emploi




N
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2156

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juillet 2014

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs de placement pour l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Christophe CASTANER

Député

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION AU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES 5

I. UN RECOURS UTILE MAIS LARGEMENT PERFECTIBLE AUX OPÉRATEURS PRIVÉS DE PLACEMENT 6

A. UNE REMISE EN CAUSE DE L’EFFICACITÉ DES OPP QUI DOIT ÊTRE NUANCÉE 6

B. DES DYSFONCTIONNEMENTS Á CORRIGER EN TERMES DE PILOTAGE, DE COOPÉRATION ET D’ÉQUILIBRE FINANCIER DES MARCHÉS 7

II. UN RENVERSEMENT DE LOGIQUE NÉCESSAIRE : DE LA CONCURRENCE À L’INSTITUTIONNALISATION 9

A. AMÉLIORER LES CONDITIONS DE SÉLECTION, DE RÉMUNÉRATION ET DE SUIVI DES OPÉRATEURS PRIVÉS DE PLACEMENT 9

B. LA NOUVELLE STRATÉGIE DE PÔLE EMPLOI : RÉINTERNALISATION DE L’ACCOMPAGNEMENT DES CHÔMEURS EN DIFFICULTÉ ET EXTERNALISATION DU PLACEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI AUTONOMES 12

EXAMEN EN COMMISSION 15

ANNEXE : RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES « LE RECOURS PAR PÔLE EMPLOI AUX OPÉRATEURS DE PLACEMENT POUR L’ACCOMPAGNEMENT ET LE PLACEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI » 27

LE RECOURS PAR PÔLE EMPLOI AUX OPÉRATEURS DE PLACEMENT POUR L’ACCOMPAGNEMENT ET LE PLACEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI

INTRODUCTION AU RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

Depuis 2011, le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés de placement (OPP) a chuté de moitié ; passant de 522 000 prestations d’une durée au moins égale à trois mois, en 2010, à 436 000 en 2011, puis à 274 000 en 2012 et à 239 875 en 2013. Dans un contexte marqué par une volonté de consolidation des finances publiques, cette évolution ne trouve pourtant pas sa raison première dans le resserrement des crédits alloués à l’externalisation du placement des demandeurs d’emploi mais bien dans les difficultés de pilotage et de contractualisation qui marquent les relations entre Pôle emploi et ses sous-traitants.

C’est dans ce cadre que la commission des Finances a demandé à la Cour des Comptes de mener une évaluation détaillée des modalités, des formes et des objectifs du recours par Pôle emploi à des opérateurs privés de placement. Cette forme d’externalisation avait été d’abord expérimentée par les partenaires sociaux à partir de 2005. Pôle emploi n’y a eu recours qu’à partir de 2009. Depuis cette date, les débats ont été vifs entre partisans et opposants de ce dispositif. Les premiers rapports d’évaluation tendaient généralement à montrer que les OPP n’étaient pas plus efficaces, voire l’étaient parfois significativement moins, en termes de retour à l’emploi des chômeurs. À cet égard, M. Christian Eckert, rapporteur spécial pour la mission Travail Emploi, avait pu justement dénoncer, en 2011, « une pratique coûteuse et à l’efficacité économique contestable », mettant en cause des effets d’aubaine et des résultats inférieurs à ceux de Pôle emploi dans le reclassement des demandeurs d’emploi.

Le rapport de la Cour des Comptes nuance ce constat. Si le dispositif a souffert de nombreuses défaillances, d’un côté comme de l’autre, les magistrats montrent que le flou entourant le pilotage et les méthodes d’évaluation des OPP n’ont pu permettre le développement d’une véritable coopération. Le constat de la Cour des Comptes est clair : si le recours aux opérateurs privés est nécessaire, au nom d’une « externalisation dite de capacité » et « de spécialité », il reste déficient en l’état, par défaut de cohérence stratégique et de performance dans le processus de sélection et de contrôle de la qualité. Il s’agit donc d’intégrer le recours aux opérateurs privés de placement dans l’élaboration de la stratégie de l’opérateur public, c’est-à-dire d’« institutionnaliser » cette externalisation, avec le risque qu’elle perde du même coup son caractère aléatoire et ponctuel. L’enjeu est en effet de doubler le service public de l’emploi, qui se consacrerait à sa mission première d’accompagner les publics en difficulté, par un réseau permanent de prestataires privés, dont l’objectif serait d’accompagner les publics les plus autonomes.

I. UN RECOURS UTILE MAIS LARGEMENT PERFECTIBLE AUX OPÉRATEURS PRIVÉS DE PLACEMENT

À la suite des recommandations de la Commission Européenne, formulées en 1998, et visant à développer l’innovation dans les méthodes d’accompagnement des demandeurs d’emploi tout en stimulant les services publics de l’emploi, l’ANPE et l’Unédic ont successivement expérimentés, puis accru, leur recours aux opérateurs privés, notamment par le biais de l’attribution de marchés à bons de commande à partir de 2009.

Néanmoins, si l’enveloppe budgétaire allouée aux OPP représentait un tiers des dépenses consacrées par Pôle emploi à la formation des demandeurs d’emploi en 2011, celle-ci est en net recul depuis. La Cour précise néanmoins qu’il ne faut pas conclure trop rapidement à l’inefficacité de ces derniers mais plutôt prendre en compte l’ensemble de l’environnement contractuel et relationnel entre Pôle emploi et les OPP.

A. UNE REMISE EN CAUSE DE L’EFFICACITÉ DES OPP QUI DOIT ÊTRE NUANCÉE

Les dépenses consacrées par Pôle emploi aux prestations d’accompagnement et de placement réalisées par des opérateurs privés ont diminué de 186 millions d’euros en 2012 à 145 millions d’euros en 2013. Elles ne représentent plus que 2,9 % des dépenses de fonctionnement et d’intervention de Pôle emploi en 2013 (contre 3,7 % en 2012).

Une telle tendance ne peut s’expliquer uniquement par des contraintes budgétaires, qui auraient poussé Pôle emploi à diminuer les budgets alloués aux prestations d’accompagnement sous-traitées pour retourner à l’équilibre. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi a en effet connu depuis 2008 une augmentation forte et durable qui avait conduit, en 2010, l’opérateur public à accroître le nombre d’actions d’accompagnements réalisés par ses soins tout en mettant en place, dès 2008, de nouvelles prestations sous-traitées (la prestation Trajectoire vers l’emploi, TRA, accompagnement renforcé destiné aux demandeurs d’emploi exposés à un risque élevé de chômage longue durée, et la prestation Licenciés économiques, ou LEC). Il s’agissait par ce biais de compenser la faiblesse des moyens propres de Pôle emploi (externalisation dite de capacité). Le recours aux prestations sous-traitées devrait dès lors suivre l’évolution de la conjoncture, en augmentant avec le nombre de demandeurs d’emploi, pour répondre aux besoins de l’opérateur public : or, alors que le nombre d’inscrits à Pôle emploi n’a cessé de croître, seule la prestation d’accompagnement des licenciés économiques parvient à suivre l’évolution de la conjoncture, avec une augmentation sensible des flux depuis 2011.

En termes d’efficacité, si l’on tient compte des différences de caractéristiques observables des populations accompagnées, les écarts dans la probabilité de retour à l’emploi d’un demandeur d’emploi se sont montrés systématiquement supérieurs à 4 points, en défaveur des OPP, quel que soit le type de prestation et la nature de l’emploi retrouvé (durable ou temporaire). En outre, il n’a pu être dégagé un public pour lequel les opérateurs privés seraient systématiquement plus performants. En matière d’efficience, le coût global de mise en œuvre d’un accompagnement renforcé reste moins élevé lorsqu’il est réalisé en interne plutôt que par un sous-traitant, même si la différence tient avant tout à des problèmes de mesure (les coûts de structure ne sont pas pris en compte en ce qui concerne l’accompagnement des demandeurs d’emploi par le service public) et au niveau d’indemnisation des publics cibles (souvent des licenciés économiques pour les opérateurs privés, qui bénéficient d’allocations plus favorables que les publics en difficulté d’insertion que traite en particulier Pôle emploi, car assujettis au RSA). La Cour ajoute enfin que cette moindre efficacité des opérateurs privés par rapport à l’opérateur public n’est pas propre à la France.

Toutefois, le rapport de la Cour souligne également l’impossibilité de faire la part de ces mauvais résultats qui résulterait du fait que les demandeurs d’emploi les plus en difficulté seraient dirigés vers les OPP. Surtout, le manque de recul qui a suivi ces évaluations – Pôle emploi ne recourant à la sous-traitance que depuis 2009 – a empêché de mesurer les effets d’apprentissages tant au niveau des individus que de la relation entre l’opérateur public et les OPP. En effet, l’accompagnement renforcé visant avant tout à rendre plus autonome et plus efficace dans ses recherches le demandeur d’emploi, ses effets se mesurent aussi sur le parcours futur de ce dernier. Par ailleurs, la Cour souligne que les agents de Pôle emploi ont parfois montré une certaine réticence à coopérer avec les OPP, notamment en l’absence de règles bien définies à l’avance, ce qui doit être pris en compte dans les résultats d’évaluation.

De manière générale, Pôle emploi a admis que sa stratégie d’ensemble en matière d’externalisation souffrait d’un manque de précisions jusqu’aux dernières orientations validées par le conseil d’administration en février 2014. Sous l’effet de la crise, la convention tripartite de 2009 a ainsi donné lieu à un recours accru aux opérateurs privés, pour des raisons de capacité plus que pour des motifs relatifs à une externalisation de spécialité, sans définir précisément les publics concernés par les nouvelles prestations : ce flou ne pouvait dès lors qu’être source d’irrégularité dans les flux à destination des OPP.

B. DES DYSFONCTIONNEMENTS Á CORRIGER EN TERMES DE PILOTAGE, DE COOPÉRATION ET D’ÉQUILIBRE FINANCIER DES MARCHÉS

Au-delà des difficultés propres liées à l’évaluation et à la « doctrine » entourant le recours aux OPP, la Cour juge que celui-ci reste utile pour donner plus de flexibilité à Pôle emploi dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi ainsi que pour répondre à des besoins spécifiques.

En premier lieu, les OPP compensent le manque de souplesse de Pôle emploi dans l’allocation de ses ressources internes pour faire face à l’évolution conjoncturelle du chômage. Par ailleurs, les conseillers du service public de l’emploi n’ont pas forcément les compétences nécessaires à l’accompagnement de certaines catégories de demandeurs d’emploi (externalisation dite de spécialité) : ceci est particulièrement vrai pour l’accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprises, pour lequel Pôle emploi ne dispose pas des ressources en interne pour mener à bien cette mission, en raison de la faiblesse des besoins en la matière. Enfin, recourir aux opérateurs privés de placement présente aussi l’avantage d’accroître la recherche de méthodes innovantes, ce qui implique néanmoins, pour ce faire, de repenser les conditions de mise en œuvre du recours à la sous-traitance.

Il faut pour cela revoir la place centrale accordée à l’offre tarifaire : le processus de sélection a été dans la réalité trop centré sur les prix des opérateurs, avec de nombreux effets pervers. L’opérateur public doit en effet choisir en fonction de l’offre tarifaire des candidats mais aussi de leur capacité opérationnelle. La solidité de ces derniers et leur capacité à innover n’a pourtant joué que très marginalement dans l’attribution des contrats. À ce titre, les opérateurs ont été poussés, du fait de la concurrence, à sous-évaluer les coûts associés à la mise en œuvre des diverses prestations en se fondant sur des hypothèses de flux et de taux de retour à l’emploi optimistes : leur pérennité a ainsi été remise en cause et l’on a pu observer de nombreuses faillites parmi les OPP.

Cette focalisation sur l’offre tarifaire s’est par ailleurs doublée d’une défaillance du contrôle de qualité. En se fondant uniquement sur la bonne exécution du cahier de charges, plutôt que sur la bonne exécution des prestations, il est entré en contradiction avec l’objectif de développement de pratiques innovantes par les OPP et a restreint drastiquement leur liberté d’action, ce que regrettent les magistrats de la Cour.

Enfin, la Cour remet également en cause le mode de rémunération à la performance qui fragilise les OPP et génère des effets pervers. En effet, une large part de la rémunération est actuellement liée à une démarche de performance (entre 50 et 60 % de la rémunération totale, selon la prestation), c’est-à-dire de résultats en termes de retour à l’emploi, qui la rend très sensible aux flux de demandeurs d’emploi pris en charge et à la conjoncture économique dans son ensemble. Or, les flux de demandeurs d’emploi dirigés vers les prestations exécutées par les OPP ont été très irréguliers, et inférieurs aux prévisions, parfois en raison de la méfiance des conseillers de Pôle emploi pour ces opérateurs privés avec lesquels ils avaient été mis en concurrence, souvent en raison de contraintes budgétaires ou techniques propres à Pôle emploi et d’évolution conjoncturelle du niveau de l’emploi. Par conséquent, ces flux irréguliers n’ont pas permis de couvrir les coûts fixes de certains d’entre eux, si bien que, dans certaines régions, Pôle emploi n’a pas respecté le nombre minimal de demandeurs d’emploi, sans qu’aucune indemnisation n’intervienne.

S’ajoute à cela le fait qu’une partie des résultats obtenus pendant ou à l’issue de la prestation ne donne pas lieu à facturation : cela arrive en particulier lorsque l’ancien demandeur d’emploi ne souhaite pas communiquer son salaire et ne fournit pas son contrat de travail, pièce manquante au dossier pour avaliser la reprise d’emploi et ainsi obtenir la rémunération adéquate.

Par ailleurs, alors que le marché de prestations aux demandeurs d’emploi comprend, depuis 2008, des prestations longues (plus coûteuses, consistant en un accompagnement renforcé du demandeur), le mode de rémunération n’a pas été ajusté en conséquence, et ne tient pas compte d’une dégradation significative de la situation des bassins d’emploi, fragilisant là encore l’équilibre économique des opérateurs.

Enfin et surtout, les démarches faites par un OPP pour un demandeur d’emploi, si celui-ci n’arrivait finalement pas à être reclassé, n’étaient pas rémunérées. Ce n’est ainsi que depuis la présentation en conseil d’administration de nouvelles orientations en la matière, en février 2014, que l’octroi d’une rémunération dans ce cas est proposé.

II. UN RENVERSEMENT DE LOGIQUE NÉCESSAIRE : DE LA CONCURRENCE À L’INSTITUTIONNALISATION

La Cour propose une série de recommandations visant à renverser la logique qui prévaut actuellement en matière d’externalisation. Il s’agit ainsi de considérer comme partie prenante d’une stratégie globale et cohérente d’accompagnement des demandeurs d’emploi, en faisant des prestataires privés de véritables partenaires.

A. AMÉLIORER LES CONDITIONS DE SÉLECTION, DE RÉMUNÉRATION ET DE SUIVI DES OPÉRATEURS PRIVÉS DE PLACEMENT

Cela passe en priorité par une redéfinition de la procédure de sélection, en accordant davantage d’attention à l’offre technique. Cette procédure ne stimulant pas suffisamment l’innovation dans les méthodes d’accompagnement, tout en poussant à la baisse les offres tarifaires, au mépris de l’équilibre financier des prestataires, il s’agit, pour la Cour, de « prendre davantage en compte l’offre technique dans les critères de sélection des attributaires des marchés et rejeter, sur des critères objectifs, les offres tarifaires anormalement basses » (recommandation n° 2). L’innovation des prestataires dans les méthodes d’accompagnement serait donc valorisée, et ce d’autant plus que les évaluations ont indiqué que les OPP dont les méthodes se rapprochaient le plus de celles de l’opérateur public n’étaient pas les plus efficaces. Cette proposition répond de même à l’effet pervers d’une focalisation sur l’offre tarifaire, sujette à des hypothèses peu réalistes en termes de retour à l’emploi et dépendante de l’évolution du marché du travail, ce qui tend à fragiliser financièrement les prestataires.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que cette recommandation se traduise dans la réalité. Il faudrait en premier lieu que les cahiers de charge soient moins prescriptifs, pour laisser place à ces innovations, et que le contrôle de la qualité soit repensé ; celui-ci étant pour l’instant de nature trop administrative, car fondé sur le respect strict de ces mêmes cahiers des charges. Ceci fait l’objet de la quatrième recommandation de la Cour des comptes, qui appelle à l’amélioration du « contrôle qualité en l’adaptant à chaque prestation et en utilisant un référentiel national ». Si la formulation laisse place à de nombreuses interprétations, il convient de souligner que les exemples étrangers mis en avant par la Cour des comptes pourraient fournir l’inspiration nécessaire à la refondation de ces contrôles. Le système de star ratings, en Australie, en est un exemple : le renouvellement des contrats est conditionné à un taux minimal de retour à l’emploi, à l’observation des performances comparées entre opérateurs en termes de délai de retour à l’emploi, tandis qu’est mesurée la qualité de la prestation quant à l’organisation et l’implication du prestataire. À cet égard, l’utilisation d’enquêtes de satisfaction auprès des bénéficiaires pour améliorer le suivi qualitatif des principaux fournisseurs, depuis 2013, constitue une avancée qui méritait d’être soulignée, et prolongée.

Par ailleurs, il est nécessaire de revoir les modalités de rémunération des prestations sous-traitées afin de ne pas fragiliser davantage les prestataires et de leur assurer suffisamment de moyens pour qu’ils mènent à bien leur mission. En toute logique, la Cour propose de rehausser les rémunérations des opérateurs pour payer le travail accompli, même si le contrat est rompu en cours de route. L’intérêt serait dans le même temps de répondre au problème de sous-facturation des résultats obtenus, pour les raisons évoquées précédemment. Plus précisément, il faut, selon la Cour des comptes, « tenir compte du profil des demandeurs d’emploi et des perspectives de reclassement sur la zone géographique de recherche d’emploi dans la rémunération des prestataires » (recommandation n° 1).

Ceci pourrait se traduire par l’augmentation de la part fixe pour les prestations à destination des demandeurs d’emploi les plus en difficulté dans leurs recherches, en contrepartie d’un contrôle de qualité renforcé sur un accompagnement laissant plus de latitude à l’opérateur privé (Cf. supra). Actuellement, la part fixe (qui ne dépend que de la réalisation de la prestation) représente 50 % pour les cadres comme pour les publics éloignés de l’emploi, alors que l’on peut supposer qu’un cadre retrouvera plus aisément du travail que le demandeur d’emploi de la première catégorie citée ; seules les prestations relatives à des publics présentant des difficultés d’ordre social et personnel bénéficient ainsi d’une part fixe bien plus élevée (90 %).

Il convient néanmoins de souligner qu’une révision des modalités de rémunération et du processus de sélection dans les directions indiquées ci-dessus engendrerait un surcoût inévitable, puisqu’il s’agit aussi de ne mettre fin à la fragilisation économique des opérateurs, surcoût qu’il conviendrait de chiffrer précisément. On conçoit parfaitement que ce surcoût soit difficilement chiffrable ex ante et que l’objectif de l’analyse de la Cour n’ait pas été de détailler les coûts d’une hypothétique réforme future. Néanmoins, il reviendra aux acteurs concernés de se pencher sur cette question car l’institutionnalisation du recours aux OPP aura certainement un coût, qu’il conviendra de comparer avec les moyens supplémentaires qui auraient éventuellement pu être dégagés pour accroître les effectifs et les implantations de Pôle emploi.

Ce surcoût pourrait également être compensé par une rémunération des prestataires élaborée en fonction du profil du demandeur d’emploi. Pour ce faire, l’exemple de certains pays étrangers comme l’Allemagne pourrait inspirer la mise en place de grilles statistiques qui conduiraient à des rémunérations automatiques en fonction du profil concerné.

Enfin, l’intégration du recours aux opérateurs privé dans la stratégie de Pôle emploi nécessite d’améliorer les relations entre prestataires et conseillers de l’opérateur public. L’objectif est double : il s’agit à la fois de sécuriser les flux à destination des opérateurs privés des placements pour mieux assurer leur équilibre financier à long terme – et donc la qualité des prestations fournies aux demandeurs d’emploi – tout en améliorant l’accompagnement de ces derniers par une plus grande clarté des règles d’orientation. Si l’externalisation, perçue en premier lieu comme une forme de mise en concurrence du service public par les équipes locales de Pôle emploi, souffre d’une image négative, certaines directions régionales ont d’ores et déjà cherché à en améliorer la perception, par l’organisation de rencontres régulières entre prescripteurs et prestataires. L’objectif est donc de « s’assurer par un pilotage renforcé, lors de la mise en œuvre des nouveaux marchés et sur toute leur durée, de la pleine intégration des nouvelles conditions de recours aux opérateurs privés dans la pratique de prescription des conseillers » (proposition n° 7). Parce que les conseillers de Pôle emploi ont tendance à ne prescrire que les dispositifs qu’ils connaissent le mieux, la mise en place de cette recommandation serait de nature à sécuriser les flux de demandeurs d’emploi à leur destination.

L’expérience a de même démontré, par l’intermédiaire des résultats plus positifs des prestations LIC et LEC (offre pour les licenciés économiques), que des critères clairs d’orientation des demandeurs d’emploi vers les diverses prestations assuraient à ces dernières une meilleure intégration à l’offre de services de Pôle emploi, et permettaient surtout de sécuriser les flux à destination des opérateurs privés. Ainsi, dans le cas de la prestation LEC / LIC, 50 % des flux doivent être orientés vers les OPP sur l’aire géographique couverte par un lot au sein du marché. Il s’agirait donc, pour poursuivre ce mouvement, à la fois d’impliquer « davantage les équipes locales de direction dans la gestion des flux de demandeurs d’emploi orientés vers les opérateurs privés » (proposition n° 3), pour mieux préciser « les nouvelles conditions de recours aux opérateurs privés (public et prestations) validées par le conseil d’administration » et les intégrer « dans la stratégie d’ensemble de Pôle emploi » (proposition n° 6).

B. LA NOUVELLE STRATÉGIE DE PÔLE EMPLOI : RÉINTERNALISATION DE L’ACCOMPAGNEMENT DES CHÔMEURS EN DIFFICULTÉ ET EXTERNALISATION DU PLACEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI AUTONOMES

Les dernières recommandations de la Cour s’inscrivent en réalité dans la lignée de la réorientation stratégique opérée par le conseil d’administration de Pôle emploi, en février 2014. Le principe d’un changement d’orientation stratégique majeur pour 2015 a en effet été adopté : les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, qui constituaient les publics souvent confiés aux opérateurs privés, ne se verront plus proposer d’accompagnement externalisé, mais un accompagnement renforcé dans le cadre de Pôle emploi ; en sens inverse, une nouvelle prestation serait créée dans le but de sous-traiter au secteur privé l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus autonomes. Cette nouvelle prestation serait disponible dès 2015, alors que les prestations Objectif emploi (OE) et Trajectoire vers l’emploi (TVE) qui étaient réservées aux publics en difficulté ne seront plus assurées par les prestataires privés.

Si cette clarification de la stratégie et des règles de recours aux diverses prestations externalisées permettent de sécuriser les flux à destination des prestataires tout en améliorant l’orientation – et donc l’accompagnement – des demandeurs d’emploi, la possibilité d’effectuer ce changement de stratégie à coûts constants se pose. Ainsi, le nouveau schéma se traduira par la réinternalisation de l’accompagnement de 137 000 demandeurs d’emploi en difficulté d’insertion professionnelle, la sous-traitance de l’accompagnement de 500 000 demandeurs d’emploi plus autonomes et le redéploiement de 700 conseillers aujourd’hui affectés à la modalité interne de « suivi » vers la modalité interne d’ « accompagnement renforcé ».

À cet égard, il convient de garder à l’esprit que l’utilisation des opérateurs privés pour gérer l’évolution conjoncturelle du marché du travail n’atténue pas la difficulté à assurer sur le long terme l’équilibre financier de ces sous-traitants, notamment car les flux peuvent évoluer rapidement.

Le rapport de la Cour a donc le mérite de rappeler la nécessité du recours aux opérateurs privés, tout en soulignant ses limites actuelles. Il s’agit, selon elle, de poursuivre et d’amplifier les améliorations introduites par Pôle emploi depuis le début de l’année 2014. La plupart des recommandations formulées peuvent être traduites rapidement dans les modalités de contractualisation avec les sous-traitants et conduire à une réelle amélioration de la situation des prestataires.

Certaines questions demeurent cependant ouvertes : quel sera le coût global de l’institutionnalisation du recours aux OPP ? Comment évaluer les coûts de structure qui donnent un avantage à Pôle emploi et dont ne peuvent bénéficier les OPP ? Quels devraient être les nouveaux critères d’évaluation que la Cour appelle de ses vœux ? Quel sera l’impact, en matière de performance affichée, de l’externalisation du placement des demandeurs d’emploi les plus autonomes et de l’internalisation du placement des chômeurs les plus en difficulté ?

Au-delà de ces questions, certaines propositions sont essentielles : la modulation de la rémunération en fonction du profil du demandeur d’emploi, la nécessaire autonomie des OPP dans les méthodes de placement, la coordination entre les directions régionales de Pôle emploi et les OPP. Fondamentalement, la Cour plaide à juste titre pour que soient tirées toutes les conséquences de l’existence d’un marché privé de placement des demandeurs d’emploi, constitué de structures variées ayant leurs difficultés propres, dès lors que ce marché existe. La situation actuelle, où le recours aux OPP se faisait en l’absence de « doctrine », de règles et de coopération, n’était pas tenable : elle engendrait un gâchis de part et d’autre, au détriment des chômeurs eux-mêmes. Le changement stratégique majeur actuellement mis en œuvre par Pôle emploi devrait permettre d’apporter des réponses rapides à certaines de ces difficultés.

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EXAMEN EN COMMISSION

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour des comptes, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés pour l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi, M. Pascal Duchadeuil, conseiller maître, président de section à la 5e chambre de la Cour des comptes, et Mme Corinne Soussia, conseillère maître, ainsi que M. Thomas Cazenave, directeur général adjoint « Opérations, stratégie et relations extérieures » de Pôle emploi, et Mme Carine Rouillard, directrice générale adjointe « Administration, finances et gestion ».

M. le président Gilles Carrez. En application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF –, nous commandons chaque année un certain nombre d’enquêtes à la Cour des comptes. Les thèmes en sont retenus, sur la base de propositions faites par nos rapporteurs spéciaux, à l’issue d’une réunion de concertation avec la Cour, qui se tient habituellement en fin d’année civile. M. Didier Migaud, Premier président de la Cour, nous a cependant suggéré de modifier ce calendrier, car c’est en septembre que la Cour détermine les thèmes de ses travaux. Il faudrait par conséquent que nous consultions les rapporteurs spéciaux dès juillet, nonobstant notre charge de travail ce mois-ci.

Le 19 décembre dernier, nous avons retenu les thèmes suivants au titre de l’année 2014 : la gestion du Défenseur des droits, les frais de justice depuis 2011, le bilan des conventions et des crédits de revitalisation des territoires, les centres de gestion agréés ainsi que les dispositifs et les crédits mobilisés pour les jeunes sortis sans qualification du système scolaire. La Cour nous a indiqué que, compte tenu de sa charge de travail, certaines de ces enquêtes ne pourraient être réalisées qu’en 2015.

Nous avions également commandé cinq enquêtes à la Cour au titre de l’année 2013.

La Cour a remis son rapport sur les avoirs bancaires et les contrats d’assurance vie en déshérence à la fin du mois de juin 2013 ; nous avons procédé à une audition sur le sujet le 17 juillet 2013 et une proposition de loi a été déposée par le rapporteur général de l’époque, Christian Eckert. La discussion parlementaire a eu lieu, et le texte de loi a été promulgué le 13 juin dernier : le chantier aura donc mis un peu plus d’un an pour aboutir.

L’étude sur l’évolution des péages autoroutiers et le bilan financier des concessions a quant à elle été publiée en annexe d’un rapport d’information ; elle a fourni une base extrêmement utile pour les décisions relatives au dispositif d’écotaxe.

Sur l’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche, nous disposons désormais de plusieurs rapports, le vôtre venant s’ajouter à celui de nos collègues Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys et à celui de l’Inspection générale des finances. Le crédit d’impôt recherche coûte aujourd’hui entre 6 et 7 milliards d’euros et est devenu l’une de nos principales dépenses fiscales.

La Cour a remis son rapport sur l’évolution des missions de l’organisation des consulats à la mi-septembre 2013.

S’agissant de notre ultime commande pour l’année 2013 – une enquête sur le recours par Pôle emploi à des opérateurs privés pour le placement et l’accompagnement des chômeurs demandée sur proposition de notre rapporteur spécial pour le travail et l’emploi, Christophe Castaner –, la Cour nous avait informés qu’elle ne pourrait pas achever ses travaux avant la fin du mois de mai 2014. L’échéance a été respectée, et c’est sur ce thème que porte la présente audition.

M. Pascal Duchadeuil, conseiller maître, président de section à la cinquième chambre de la Cour des comptes. L’enquête sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés de placement – OPP – pour l’accompagnement et le placement des chômeurs a en effet été réalisée au titre de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, l’Assemblée nationale s’interrogeant sur la pratique de Pôle emploi qui l’amenait à recourir à des opérateurs privés alors que les pouvoirs publics renforçaient simultanément ses effectifs.

Il avait été convenu que la Cour aborderait plus particulièrement quatre points : elle devrait rappeler le motif et l’historique du recours à l’accompagnement des demandeurs d’emploi par d’autres organismes que Pôle emploi, dont les OPP, en effectuant des comparaisons avec d’autres pays ; analyser les modalités de recours aux OPP, notamment en matière de passation, d’exécution et de suivi des marchés ; faire le bilan des évaluations menées en France depuis les premières expérimentations lancées par l’Unédic au milieu des années 2000 ; enfin, examiner la complémentarité de la stratégie de Pôle emploi en matière de recours à des organismes externes avec son offre de services interne, elle-même en cours d’évolution.

Cette enquête, dont la responsabilité a été confiée à Mme Corinne Soussia, conseillère maître, a été intégrée à une série de contrôles sur Pôle emploi que la cinquième chambre a conduits en vue de la publication d’un rapport thématique, prévue pour le début de 2015. Les rapporteurs ont mené des investigations dans les services de Pôle emploi dans sept régions – Aquitaine, Bourgogne, Bretagne, Haute-Normandie, Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Lorraine – et ont interrogé des opérateurs privés attributaires de marchés de Pôle emploi. Six d’entre eux ont été rencontrés, qui ont été destinataires des observations de la Cour ; dans l’ensemble, ils ont exprimé leur accord avec les constats tirés.

Que peut-on dire au terme de cette enquête ?

Tout d’abord, que le dispositif de sous-traitance par des opérateurs privés a connu des difficultés de lancement. En France, ce sont l’Unédic et les partenaires sociaux, et non l’Agence nationale pour l’emploi – ANPE –, qui ont lancé en 2005 les premières expérimentations de mise en concurrence de l’opérateur public avec des entreprises de travail temporaire et des cabinets spécialisés dans le recrutement et le reclassement ; l’objectif était de réduire les dépenses de l’assurance chômage grâce à un reclassement plus rapide des demandeurs d’emploi. Même si l’ANPE a été associée, à partir de 2007, aux expérimentations suivantes, ses conseillers ont été durablement marqués par une initiative qui a pu être ressentie comme une mise en cause de leur professionnalisme.

Le dispositif a ensuite connu un repli relatif. Pôle emploi, nouvel organisme issu de la fusion de l’ANPE et du réseau des Assédic, a passé ses premiers marchés en 2009. Ces derniers ont donné lieu à un volume de prestations dans un premier temps important, mais qui a rapidement décru, passant de 522 000 prestations d’une durée au moins égale à trois mois en 2010 à 436 000 en 2011, puis à 274 000 en 2012 et à 239 000 en 2013, soit une diminution de 54 % en trois ans. Cette évolution est d’autant plus notable qu’au cours de la même période, le nombre de demandeurs d’emploi s’est considérablement accru et que les prestations d’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi sont restées limitées en interne. Le recours aux OPP est aujourd’hui très minoritaire, puisqu’il ne représentait en 2013 qu’une enveloppe de 145 millions d’euros sur un budget global de fonctionnement et d’intervention de presque 5 milliards.

La mise en œuvre des marchés s’est heurtée à d’importantes difficultés pratiques. La procédure de passation des marchés et leur exécution ont connu des dysfonctionnements du fait qu’on ne s’est pas toujours entouré de garanties suffisantes sur la capacité des opérateurs à délivrer des prestations de qualité ; dans un premier temps, la sélection des attributaires s’est faite principalement sur les prix. En conséquence, les opérateurs privés couraient le risque d’avoir un compte de résultat déséquilibré si les hypothèses d’activité sur lesquelles ils avaient fondé leurs offres ne se réalisaient pas, c’est-à-dire si Pôle emploi ne leur adressait pas suffisamment de demandeurs d’emploi. L’irrégularité et parfois la faiblesse des flux de demandeurs d’emploi orientés vers les OPP par rapport au cadrage prévu dans les cahiers des charges ont contribué à fragiliser l’équilibre économique de certains marchés, voire à mettre en danger les opérateurs pour lesquels les marchés de Pôle emploi constituaient une part importante du chiffre d’affaires.

En outre, la gestion des marchés par Pôle emploi s’est concentrée sur le respect d’obligations souvent formelles inscrites dans les cahiers des charges, et non sur le contrôle de la qualité des prestations, alors que certains opérateurs pouvaient, en raison de leur fragilité, être tentés de réduire celle-ci.

Ces difficultés ont provoqué le retrait de plusieurs opérateurs privés en 2012-2013, certains cessant toute activité. Si l’on se réfère aux exemples étrangers, un tel constat aurait dû aboutir à une modification rapide des modalités d’exécution des marchés. En juillet 2013, au vu de l’aggravation de la situation de certains opérateurs, la direction générale de Pôle emploi a proposé au conseil d’administration une réaction en ce sens, mais faute d’accord, cette proposition n’a pas fait l’objet d’une délibération spécifique.

Des évaluations ont été faites par des chercheurs spécialisés, sous l’égide du comité d’évaluation de Pôle emploi, sur les marchés 2009-2010, mais elles se sont heurtées à des difficultés méthodologiques considérables. Elles ont toutefois abouti à la conclusion que l’opérateur public obtenait en moyenne de meilleures performances que les opérateurs privés, ce qui rejoint les observations faites à l’étranger.

La Cour n’a cependant pas voulu en conclure qu’il ne fallait pas intégrer le recours aux OPP dans la stratégie générale de Pôle emploi. Au contraire, il lui paraît justifié de sous-traiter l’accompagnement de certains demandeurs d’emploi, en faisant varier le volume des personnes concernées suivant les besoins, et cela pour plusieurs raisons.

En premier lieu, les évaluations n’ont pas pris en considération les éventuels effets d’apprentissage des opérateurs sur des marchés aussi récents : avec l’expérience, leur efficacité et la qualité des prestations sont susceptibles de s’améliorer. Il était sans doute prématuré de tirer des conclusions définitives au sujet d’un marché pas encore parvenu à maturité ; une sous-traitance mieux pilotée pourrait être mise à contribution pour faire face au chômage de masse. Plus généralement, le potentiel d’innovation des OPP n’a pas été suffisamment exploité. Enfin, il existe des écarts de performance considérables d’un opérateur à l’autre : les évaluations ne font apparaître que des résultats globaux.

Ensuite, le recours aux OPP peut se justifier par la volonté de donner à Pôle emploi une marge de manœuvre pour gérer les priorités qui lui sont assignées ou pour répondre à des besoins ponctuels, par exemple pour faire face à des situations locales : cela permet d’adapter les capacités de gestion des demandeurs d’emploi à la conjoncture.

Il peut également être souhaitable de disposer de compétences spécialisées pour prendre en charge certaines catégories de demandeurs d’emploi, comme les candidats à la création ou à la reprise d’entreprises, ou pour expérimenter de nouvelles méthodes d’accompagnement.

Surtout, le maintien d’une offre externalisée implique que celle-ci soit pleinement intégrée à la stratégie d’ensemble de Pôle emploi. Or, une telle volonté se fait actuellement jour. Les orientations stratégiques de Pôle emploi, telles qu’elles sont définies par la convention tripartite de 2012, peuvent se résumer par la formule : « Faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin » ; cela signifie que le cœur de métier de Pôle emploi est l’accompagnement des demandeurs les plus éloignés de l’emploi. En février 2014, dans le cadre d’une réflexion stratégique en cours, le conseil d’administration de Pôle emploi a adopté, à l’initiative de la direction générale, le principe d’une spécialisation relative des OPP d’une part, de Pôle emploi de l’autre : les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, qui constituaient les publics les plus nombreux confiés aux opérateurs privés, se verront désormais proposer, non plus un service externalisé, mais un accompagnement renforcé dans le cadre de Pôle emploi ; à l’inverse, une nouvelle prestation sera créée dans le but de sous-traiter au secteur privé l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus autonomes, ceux qui disposent d’un projet professionnel validé et qui n’ont besoin que d’un appui méthodologique.

Ces décisions auront des effets importants sur la prochaine vague de passation de marchés, à compter de la mi-2015. La direction générale de Pôle emploi a d’ores et déjà proposé de faire évoluer les modalités de rémunération des opérateurs privés, ainsi que leurs relations avec l’opérateur public ; la réorientation stratégique se poursuivra, au second semestre 2014, par l’examen des publics concernés par la sous-traitance de spécialité.

Pour que cette nouvelle orientation puisse réussir, il est essentiel qu’elle soit pleinement intégrée à la stratégie d’ensemble de Pôle emploi, et notamment qu’elle fasse partie des orientations de la prochaine convention pluriannuelle entre l’État, l’Unédic et Pôle emploi qui sera négociée au second semestre 2014. C’est pourquoi la Cour a émis une série de recommandations, que je vais vous présenter très succinctement.

La Cour a observé que la mise en œuvre du dispositif était peu satisfaisante, concernant le contrôle de la qualité des prestations délivrées par les opérateurs privés, le manque d’innovation, les cahiers de charges trop prescriptifs, l’émiettement des marchés, qui ne permet pas de garantir un flux de demandes régulières, et les prix trop bas, qui menacent la viabilité économique du secteur.

En conséquence, la Cour recommande : premièrement, de prendre davantage en considération la qualité technique dans les critères d’attribution des marchés et de développer le contrôle qualité, en l’adaptant à chaque prestation et en recourant au besoin à un référentiel national ; deuxièmement, de rejeter les offres tarifaires qui paraîtraient anormalement basses au regard de critères objectifs préalablement fixés et de moduler la rémunération des prestataires en tenant compte du profil des demandeurs d’emploi et des perspectives de reclassement dans la zone géographique concernée ; troisièmement, d’impliquer davantage les équipes locales de direction dans la gestion des flux de demandeurs d’emploi orientés vers les opérateurs privés ; quatrièmement, de prévoir pour toute prestation d’accompagnement une évaluation dont les modalités seront définies dès le départ, en prévoyant une période de recul pour tenir compte des effets d’apprentissage ; enfin, de préciser dans la prochaine convention tripartite les conditions de recours aux opérateurs privés et leur intégration dans la stratégie d’ensemble de Pôle emploi, de manière à prévoir les changements d’allocation des moyens et à engager en interne une démarche de conduite de changement qui accompagnera la mise en œuvre des nouveaux marchés de sous-traitance.

Pour conclure, la Cour insiste sur la nécessité qu’un pilotage interne à Pôle emploi permette de mesurer avec précision et rapidité les résultats de cette réorientation stratégique décisive.

M. Christophe Castaner, rapporteur spécial pour le travail et l’emploi. Si j’ai proposé au bureau de notre Commission de commander à la Cour des comptes une étude sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés de placement, c’est d’abord parce que dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2012, mon prédécesseur, Christian Eckert, avait consacré au sujet un développement, sous le titre : « Une pratique coûteuse et à l’efficacité contestable ». Il y évoquait des « effets d’aubaine » et indiquait qu’il s’agissait d’« une sous-traitance de capacité et non d’une sous-traitance de spécialité comme cela avait été initialement présenté ». « Il serait plus judicieux d’augmenter le nombre de conseillers de Pôle emploi », concluait-il – sur ce point au moins, il aura été entendu !

L’enquête de la Cour montre l’absence de doctrine encadrant le recours aux OPP. Celui-ci n’a constitué, dans ces dernières années, qu’une variable d’ajustement budgétaire ; les marges de manœuvre se réduisant avec l’augmentation du nombre de chômeurs, on a ainsi fragilisé tout un secteur économique. La Cour des comptes le montre bien, en prenant parti pour les OPP ; ce n’est pas tout à fait ce à quoi je m’attendais, mais c’est un effet intéressant de l’absence de doctrine !

Un certain nombre d’études ayant montré que les opérateurs privés obtiennent de moins bons résultats que l’opérateur public, il semblait en outre nécessaire de les évaluer. La réponse de la Cour est que les indicateurs de référence retenus ne permettent pas d’aboutir à des conclusions définitives.

Il fallait enfin expliquer la forte diminution des prestations au cours de ces dernières années et examiner si Pôle emploi disposait en interne de la capacité à faire face à des évolutions rapides sur le marché de l’emploi.

Je ne commenterai pas la totalité des conclusions de la Cour, mais je voudrais à travers quelques remarques engager le débat sur la réorientation stratégique décidée par Pôle emploi parallèlement à la préparation du rapport.

Le plan stratégique Pôle emploi 2015 prévoit une interversion des rôles entre l’opérateur public et les OPP : un seul conseiller sera désormais chargé de l’accompagnement renforcé de 70 demandeurs d’emploi au maximum parmi ceux les plus éloignés du marché du travail, le suivi des plus autonomes étant délégué à d’autres conseillers et aux OPP ; l’objectif est de réinternaliser le suivi de quelque 137 000 demandeurs d’emploi actuellement pris en charge par les OPP, et d’externaliser celui de presque 500 000 personnes.

Cela pose une première question : Pôle emploi a-t-il la capacité de répondre en interne aux besoins spécifiques de certains publics ? Par exemple, que pourra-t-il faire en matière de création et de reprise d’entreprises, ou de suivi des personnes en grande fragilité sociale ? D’où la nécessité de procéder à une expertise préalablement à toute externalisation.

Il ne faut pas non plus considérer les OPP comme une variable d’ajustement. Ils sont au contraire des partenaires, qu’il convient de faire vivre dans de bonnes conditions, en définissant des critères d’évaluation de leurs prestations, mais aussi en concluant des relations contractuelles pérennes, avec une feuille de route claire : on ne peut pas mobiliser autant de partenaires en les laissant dans l’incertitude. Le rapport montre bien que la diminution du recours aux OPP est due à un pilotage défaillant et à des faiblesses juridiques ; si l’on veut favoriser la montée en puissance des opérateurs privés, il importe que Pôle emploi définisse avec précision des critères d’évaluation et de rémunération qui ne soient pas liés aux seuls résultats – surtout si l’on change le profil des publics concernés.

Une réorientation stratégique a été lancée en février dernier, qui doit être complétée dans les prochains mois par une modification du suivi des demandeurs d’emploi les plus autonomes, lequel sera désormais confié aux prestataires privés. Une telle évolution ne comporte-t-elle pas le risque de faire baisser la performance de l’opérateur public en matière de retour à l’emploi ?

Quelles sont les conditions d’une pérennisation des relations entre Pôle emploi et les OPP ? Quelle devrait être la durée des contrats pour que ces derniers puissent réussir leur mission ? Quels outils d’évaluation Pôle emploi peut-il mettre en place ?

Aux côtés de Pôle emploi interviennent aussi des cotraitants, comme les missions locales, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ou les collectivités territoriales. Quelle distinction Pôle emploi fait-il entre sous-traitants et cotraitants ? Ne faudrait-il pas rationaliser le dispositif dans un souci de plus grande efficience ?

M. Thomas Cazenave, directeur général adjoint « Opérations, stratégie et relations extérieures » de Pôle emploi. Nous partageons la plupart des constats dressés par la Cour dans son rapport ; Pôle emploi les a d’ailleurs rendus publics il y a six mois, dans le cadre d’une refonte de sa stratégie.

Il y a un an, sur l’incitation de plusieurs rapports parlementaires – notamment celui de la mission d’information sénatoriale de 2011 et celui de Mme Monique Iborra –, nous avons engagé une réflexion approfondie sur les conditions de recours aux opérateurs de placement. Pour ce faire, nous avons jugé utile de tenir compte des résultats des évaluations, qui ne concluent pas à la supériorité du recours aux OPP pour l’accompagnement des publics les plus en difficulté, et des nouvelles orientations fixées par l’État et l’Unédic, notamment s’agissant du développement en interne d’une offre d’accompagnement renforcé
– 3 500 conseillers de Pôle emploi réalisent aujourd’hui de l’accompagnement renforcé, contre 500 au début 2012.

Nous avons mené cette refonte stratégique en toute transparence, puisque nous avons publié un état des lieux il y a neuf mois et lancé un appel à contributions, dont les parties prenantes étaient les opérateurs privés de placement, les associations de chômeurs, les partenaires de Pôle emploi dans le cadre de la cotraitance et les chercheurs ayant publié sur le sujet. Cette réflexion collective a débouché en février dernier sur une délibération du conseil d’administration, qui a fixé trois principes structurants.

Le premier est de réinternaliser l’accompagnement renforcé, en cohérence avec les orientations stratégiques fixées à l’opérateur, et pour tenir compte des évaluations.

Le deuxième est de conserver une capacité d’ajustement à la conjoncture en recourant aux opérateurs de placement, mais pour les publics les plus proches de l’emploi, afin de dégager du temps pour les conseillers de Pôle emploi pour l’accompagnement de ceux qui en ont le plus besoin.

Le troisième est de nouer une relation de partenariat avec les opérateurs de placement, en développant des échanges sur le terrain, en allégeant les cahiers des charges, et en laissant aux opérateurs des marges de manœuvre afin d’encourager l’innovation.

Ce processus a débouché sur une deuxième délibération le 25 juin, au cours de laquelle le conseil d’administration a défini les caractéristiques et les objectifs du marché qui sera lancé dans le courant de l’automne par les directions régionales, dans un souci de déconcentration et de territorialisation de notre action.

Mme Marie-Christine Dalloz. Pour l’avoir constaté sur le territoire dont je suis l’élue, je puis confirmer que les opérateurs privés retenus dans le cadre des marchés l’ont été sur le seul critère de leur offre de prix. C’est la raison pour laquelle j’ai naguère dénoncé les risques d’échec qui me semblaient dès lors inéluctables. Le problème était en effet lié à la « clientèle » envoyée aux opérateurs privés : si le système fonctionnait relativement bien – pratiquement aussi bien qu’avec Pôle emploi – pour les demandeurs d’emploi réemployables assez rapidement, Pôle emploi lui-même n’avait pas de solution pour ceux qui étaient les plus éloignés de l’emploi et qui, bien qu’on leur propose une formation, ne débouchent pas sur un emploi. Les indicateurs de performance ne portant pas sur l’emploi durable, il était évident que le partenariat était voué à être remis en question. Il conviendrait donc de définir aujourd’hui quels seront demain les éléments de validation de performance des OPP. Peut-être faudra-t-il à cette fin scinder les différentes catégories de demandeurs d’emploi et fixer des objectifs dans ces catégories.

Par ailleurs, Pôle emploi envisageant de travailler sur des marchés régionaux, comment la direction régionale mettra-t-elle en œuvre des partenariats ou des contrats officiels avec les OPP très disparates qui interviendront à l’échelle des grandes régions ?

M. Charles de Courson. Du point de vue méthodologique, vous distinguez à juste titre la sous-traitance de la cotraitance. Lorsque je siégeais, voilà un quart de siècle, à la chambre sociale de la Cour des comptes, j’ai constaté, en comparant la cotraitance avec les services de ce qui était alors l’ANPE, que celle-ci était très nettement meilleure en termes de résultats et de coûts et que les écarts avec la cotraitance étaient considérables. Je regrette donc que vous n’ayez comparé Pôle emploi qu’à la sous-traitance, et non pas à la cotraitance. Avez-vous des éléments à nous communiquer à ce propos ?

En deuxième lieu, vous avez rencontré d’importants problèmes méthodologiques pour répondre à la question du coût et de l’efficacité, pourtant indispensable à la comparaison entre deux systèmes. En moyenne, compte tenu de la diversité des agences, vous avez évalué à 20 % l’écart en termes de résultats, c’est-à-dire de taux de retour à l’emploi. Vous comparez cependant le coût complet de la sous-traitance à un coût presque marginal pour Pôle emploi, sans tenir compte de ses coûts de structure. Si l’on en tenait compte, le différentiel d’efficacité ne serait-il pas inférieur au surcoût ainsi obtenu ?

En troisième lieu, vous déclarez que certains conseillers de Pôle emploi ne jouent pas le jeu avec leurs sous-traitants. Comment encourager les sous-traitants à avoir de bonnes relations avec les conseillers, afin de s’assurer que ceux-ci ne sabotent pas le travail ?

Quant à la comparaison internationale que vous évoquez, elle ne permet guère de tirer des conclusions.

M. Jean-Patrick Gille. Ayant été rapporteur du budget de l’emploi, je m’intéresse particulièrement au sujet évoqué aujourd’hui, qui est du reste une sorte de serpent de mer qui se mord la queue : avec des réserves méthodologiques, tous les rapports concluent, comme celui-ci, que « rien n’atteste que la performance des OPP soit supérieure à celle de Pôle emploi » – tout est dit. On a même parfois l’impression inverse : les syndicats de Pôle emploi se félicitent de la qualité de leur travail et tout le monde est content. Dans le même temps, il semble qu’il faille à tout prix, et quel que soit le régime en place, entretenir un marché des opérateurs privés de placement.

On trouve peu de chiffres sur le coût du placement, alors que les marchés sont passés sur la base du nombre de suivis ou d’accompagnements réalisés. On sait aussi qu’il existait, au démarrage, un important biais économique : les opérateurs privés de placement, qui étaient rémunérés en deux ou trois versements, avaient vite compris qu’il était plus rentable pour eux de faire entrer un plus grand nombre de demandeurs d’emploi dans le système, quitte à ne pas les placer, et de se contenter des premiers versements. Sans doute ce biais a-t-il été corrigé au fil des rapports, mais il explique en partie la faible efficacité du dispositif à ses débuts. Cette analyse est politiquement incorrecte, mais je la maintiens.

Par la suite, des dispositifs tels que le contrat d’autonomie ayant entraîné des coûts importants, de l’ordre de 10 000 à 14 000 euros par suivi, les rapports se sont multipliés et les parlementaires se sont alarmés de la situation. L’évolution récente de Pôle emploi a ensuite été positive, avec la création de 4 000 postes. La masse salariale de Pôle emploi ne représente pas moins de 3 milliards d’euros – travail d’indemnisation inclus – alors que les opérateurs privés de placement n’en représentaient qu’une partie infime.

Sans partager les conclusions de Charles de Courson sur les résultats, je souhaite comme lui que puisse être objectivé le coût du suivi, de l’accompagnement et du placement selon les opérateurs et les publics – l’accompagnement et le placement sont plus difficiles, par exemple, pour Cap Emploi que pour l’APEC dans un secteur porteur comme celui de l’informatique –, ainsi que selon les bassins d’emploi. Il devrait être possible de modéliser ces éléments, mais ce n’est pas le cas actuellement – au risque d’être désagréable, je suis tenté de dire qu’on lit un peu toujours le même rapport. L’engouement pour les OPP, sans la preuve de leur efficacité, me surprend quelque peu. Je salue cependant l’évolution de Pôle emploi qui, inversant quelque peu sa logique, a décidé de consacrer ses capacités les plus fortes aux publics les plus en difficulté.

M. Pascal Duchadeuil. La Cour a recommandé d’évaluer les performances en fonction des caractéristiques des publics, ce qui n’était pas toujours le cas jusqu’à présent. De fait, la diversité des « clientèles » peut produire des effets très divers, le rapport décrivant même l’« effet parking », qui consiste à mettre de côté ceux dont le retour à l’emploi peut être plus difficile. Le mode de rémunération prévu par les marchés doit pouvoir intégrer une appréciation de la performance en fonction de la nature des publics et, partant, des difficultés rencontrées.

La cotraitance n’a pas été évoquée, car elle ne faisait pas partie de la demande, mais la Cour se penchera sur ce sujet dans le cadre d’un rapport public plus global portant sur Pôle emploi.

Quant à la capacité des conseillers à relayer localement les inflexions stratégiques, elle relève du pilotage par Pôle emploi. On observe en effet un choc entre des objectifs stratégiques nationaux parfaitement précis et le principe de la liberté de prescription par le conseiller. Le lien qui doit s’établir entre les deux est très difficile à piloter. Pôle emploi ne manquera pas, j’en suis certain, de compléter mon propos en soulignant la politique de déconcentration qu’il entend développer. Nous avons évoqué ce problème de pilotage dans notre dernière recommandation.

M. Charles de Courson. Est-ce à dire que vous proposez des objectifs par conseiller ?

M. Pascal Duchadeuil. Le rapport évoque à ce propos le cas des prévisions de marchés, fixées à une certaine somme pour une année donnée. Le suivi de l’exécution suppose qu’au sein de l’agence ou au niveau régional les différents modes d’intervention ne soient pas considérés comme fongibles ou soient en tout cas assez séparés pour pouvoir faire l’objet à tout moment d’un suivi systématique. Sur ce sujet, nos opinions et celles de Pôle emploi ont quelque peu divergé, la Cour demandant expressément dans son rapport un suivi budgétaire très fin et Pôle emploi se montrant plus favorable à la fongibilité.

M. Thomas Cazenave. Depuis deux ans et demi, nous avons commencé à changer le mode de fonctionnement interne de Pôle emploi, afin de sortir d’une approche quelque peu mécanique, standardisée et stéréotypée du suivi des demandeurs d’emploi, grâce notamment au suivi mensuel personnalisé. De nombreux rapports avaient mis en évidence l’excès de centralisation et de rigidité d’un opérateur unique. Il faut, afin d’améliorer l’efficacité de notre action, la déconcentrer largement. Or, la personne la mieux placée pour savoir ce dont a besoin un demandeur d’emploi ou une entreprise engagée dans un processus de recrutement est le conseiller de Pôle emploi. Il serait donc paradoxal de vouloir fixer un nombre de prestations sous-traitées par conseiller, au risque d’envoyer des demandeurs d’emploi en prestations alors même qu’ils n’en ont pas besoin. Il s’agit là, en effet, d’un point sur lequel les appréciations de la Cour et de Pôle emploi divergent.

Quant à la qualité de la prestation, elle repose essentiellement sur la compréhension qu’ont les conseillers de l’utilité même du recours aux opérateurs placement. Nous entendons, avec l’évolution stratégique que nous avons engagée, passer d’une logique de concurrence à une logique de complémentarité où les opérateurs sont mobilisés sur des demandeurs d’emploi plus autonomes, permettant aux conseillers de Pôle emploi d’assurer un accompagnement plus intensif. C’est là pour nous l’une des conditions nécessaires pour améliorer la qualité de la prescription par les conseillers.

Monsieur Castaner, pour ce qui est de la capacité à opérer le revirement stratégique que vous évoquez et du risque d’une baisse de la performance de l’opérateur public, la responsabilité du service public consiste à concentrer ses forces sur ceux qui ont le plus besoin d’un accompagnement intensif pour le retour à l’emploi. C’est aussi le cœur du métier des conseillers de Pôle emploi.

Nous allons mettre en place un dispositif d’évaluation de cette nouvelle prestation, qui sera opérationnel au milieu de l’année 2015. Ce dispositif sera conçu en amont de manière que les conditions de l’évaluation soient aussi irréprochables que possible. Je précise cependant que les travaux d’évaluation cités par la Cour ont été commandités par le comité d’évaluation de Pôle emploi. Pour cet exercice compliqué, nous avons retenu des experts qui sont parmi les meilleurs à l’échelle européenne, sinon mondiale : M. Bruno Crépon et le centre de recherche en économie de l’INSEE.

La passation de marchés nous permet de rechercher des compétences dont les conseillers ne disposent pas, notamment en matière de création d’entreprise. Quant à notre capacité à traiter les demandeurs d’emploi connaissant des difficultés sociales nous avons revu en profondeur le cadre de notre coopération avec les conseils généraux, notamment pour l’accompagnement global. Ce dispositif est en place dans quatre départements et en concernera une cinquantaine d’ici au début de 2015. Il permettra un accompagnement « à double tête », professionnel par les équipes de Pôle emploi, dont c’est le cœur de métier, et social par celles des conseils généraux.

Monsieur Gille, les biais d’orientation des demandeurs d’emploi auprès des opérateurs de placement sont en effet l’un des sujets de discussion que nous avons eus avec ces opérateurs. Les évaluateurs se sont du reste attachés à neutraliser les biais de sélection afin de disposer d’une mesure précise de l’efficacité réciproque de Pôle emploi et des opérateurs. J’observe par ailleurs que, sur la période au cours de laquelle on nous a accordé 4 000 postes supplémentaires, la demande d’emploi a hélas continué à progresser de manière assez dynamique.

Mme Corinne Soussia, conseillère maître à la Cour des comptes. L’analyse réalisée sous l’égide du Centre de recherche en économie et statistique – CREST – reprenait un périmètre de coûts dissymétrique entre Pôle emploi et les opérateurs privés. En effet, le point de vue adopté n’était pas celui de la collectivité, mais celui de Pôle emploi.

Par ailleurs, l’évaluation de la différence de performance a tenu compte des coûts de gestion, mais aussi des indemnités versées pendant l’accompagnement et au-delà, sur une période de deux ans et neuf mois. La différence de performance tenait moins aux coûts de structure qu’au montant des indemnités versées. La Cour s’est donc demandé si les évaluateurs avaient pu ou non neutraliser des potentiels d’indemnisation différents dans la constitution des cohortes. De fait, des travaux statistiques ont été menés en vue de comparer des cohortes comparables et la question du potentiel d’indemnisation peut jouer, car elle est un facteur important de l’évaluation de l’efficience pour cette étude. Ce sont là des points sur lesquels le rapport reste quelque peu dubitatif.

M. Charles de Courson. Quel est l’ordre de grandeur des coûts de structure de Pôle emploi ? 20 % ? 30 %?

M. le rapporteur spécial. Ce n’est pas le cœur de la mission.

M. Thomas Cazenave. L’hypothèse est celle qui a été retenue par les évaluateurs, et non pas par Pôle emploi, ni d’ailleurs par la Cour. Au demeurant, les coûts de structure de Pôle emploi répondent à une mission beaucoup plus large que celle d’un opérateur de placement, car nous inscrivons, accueillons et indemnisons des demandeurs d’emploi. Le choix retenu par M. Bruno Crépon – que vous pourriez peut-être auditionner – a donc été de comparer à missions comparables.

Mme Carine Rouillard, directrice générale adjointe « Administration, finances et gestion » de Pôle emploi. Vous avez indiqué que le prix était déterminant dans le choix de prestataires, mais la pondération fait apparaître que, précédemment, les prix pesaient pour 30 % et l’offre technique pour 70 %. Le prix pouvait néanmoins être prépondérant dans le choix final dès lors que le cahier des charges était très prescriptif et les réponses des prestataires assez proches. Par ailleurs, la négociation systématique pouvait également contribuer à surpondérer et à faire baisser les prix.

Ce n’est plus du tout le cas dans le cadre de nouveaux marchés que nous lançons : le poids reste le même, soit 30 % pour les prix et 70 % pour l’offre technique, mais cette dernière est désormais complètement ouverte, de telle sorte que ces 70 % joueront pleinement leur rôle. En outre, la négociation ne sera plus systématique, mais réservée aux cas où les offres techniques seront considérées comme insuffisantes.

Les marchés actuels valorisent en revanche très fortement la performance : la part fixe représente 30 % de la rémunération du prestataire et la part variable, liée au retour à l’emploi, 70 %. C’est du reste l’une des raisons des difficultés que connaissent actuellement nos opérateurs, car le contexte économique a été sous-estimé en 2012, lors du lancement de ces marchés, et il est plus difficile pour eux de percevoir la part variable, qui n’est versée qu’en cas de placement.

Par ailleurs, alors que nous étions précédemment plus exigeants sur le type de placements, privilégiant les placements durables, en contrat à durée déterminée – CDD – de plus de six mois ou en contrat à durée indéterminée – CDI –, nous avons ouvert, pour les marchés actuels, la possibilité d’une rémunération – certes de moitié – pour des CDD de trois à six mois, qui peuvent être aussi une voie de retour à l’emploi.

Enfin, il sera tout à fait possible d’attribuer plusieurs lots et de conclure plusieurs marchés dans une même région, en fonction du maillage territorial des prestataires et des agences.

M. Pascal Duchadeuil. En écho à l’explication donnée par Mme Soussia, je précise que le rapport montre dans sa partie consacrée à l’efficience, aux alentours de la page 81, le problème de détermination des coûts, indiquant clairement que l’analyse des coûts est, en l’état, biaisée. En effet, non seulement certains frais de structure ne sont pas imputés, mais certains frais sont communs à un ensemble d’accompagnements, comme les frais de collecte et de mise à disposition des offres d’emploi. Ces éléments n’ont en effet pas fait l’objet d’un traitement nous permettant de comparer des coûts complets. Le rapport précise donc bien qu’il s’agit d’une analyse marginale, de choix opérés à un certain niveau.

La question est de savoir s’il est marginalement plus efficient de recourir aux OPP ou de traiter en interne. Le rapport concluait que nous n’étions pas en état de déterminer s’il est actuellement et globalement plus coûteux en gestion de recourir à Pôle emploi ou à des opérateurs privés. Se pose en effet à ce propos le problème de la comptabilité analytique, dont nous n’avons pas été saisis et que nous n’avons donc pas traité, mais sur lequel nous travaillons actuellement afin d’adresser, dans une semaine, des observations provisoires à Pôle emploi.

La Commission autorise la publication du rapport d’information de M. Christophe Castaner sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés pour l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi.

ANNEXE :
RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES
« LE RECOURS PAR PÔLE EMPLOI AUX OPÉRATEURS DE PLACEMENT POUR L’ACCOMPAGNEMENT ET LE PLACEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI »

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