N° 2232
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 septembre 2014
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE
relatif à l’École polytechnique
ET PRÉSENTÉ PAR
M. François CORNUT-GENTILLE
Député
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SOMMAIRE
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Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 5
INTRODUCTION 7
I. L’X, UNE ÉCOLE FRANÇAISE SINGULIÈRE D’EXCELLENCE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE 9
A. LA PLURIDISCIPLINARITÉ SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE 9
B. UNE FORMATION MILITAIRE OUVERTE SUR LA SOCIÉTÉ 11
C. UNE FORMATION PLUS QUE JAMAIS D’ACTUALITÉ 12
II. L’X FRAGILISÉE DANS SON IDENTITÉ ET SA MISSION 13
A. LE DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT DE LA SPHÈRE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE 13
1. L’État, acteur de la sphère scientifique et technique, n’est plus ce qu’il était 13
2. Une gestion anachronique trop longtemps tolérée par une tutelle défaillante 14
3. Un lien organique et financier avec la défense de plus en plus ténu 16
1. Une aberration issue de la réforme X2000 20
2. Quatre ans après son lancement, une réforme toujours inachevée 22
3. La crise de la pantoufle, la crise de trop ? 23
III. L’X TENTE DE RÉPONDRE SEULE AUX DÉFIS QUI LUI SONT POSÉS 26
A. LA DYNAMIQUE DE RÉFORME INTERNE DE L’X 26
B. L’ACCROISSEMENT DES RESSOURCES PROPRES : QUELLES CONTREPARTIES ? 28
C. FACE À LA MONDIALISATION, L’X SUBIT-ELLE OU CHOISIT-ELLE SON AVENIR ? 30
IV. L’ÉTAT DOIT ENTAMER UN NOUVEAU DIALOGUE AVEC L’X 33
A. QUE VEUT L’ÉTAT ? QU’APPORTE L’ÉCOLE À L’ÉTAT ? 34
B. LE LIEN AVEC LA DÉFENSE : AVEC QUEL LIANT ? 35
C. QUELLE PLACE POUR L’ÉTAT AU SEIN DE L’ÉCOLE ? 36
EXAMEN EN COMMISSION 39
ANNEXE N° 1 : LISTE ALPHABÉTIQUE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 51
ANNEXE N° 2 : LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DU DÉPLACEMENT À L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE, LE 12 FÉVRIER 2014 53
ANNEXE N° 3 : DONNÉES FINANCIÈRES SUR L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE 55
ANNEXE N° 4 : DONNÉES SOCIALES SUR L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE 57
Dans le contexte de mondialisation dans lequel les enjeux scientifiques et techniques n’ont jamais été aussi forts, Polytechnique constitue objectivement pour la France un atout majeur singulier qui est pourtant aujourd’hui sous-utilisé et insuffisamment valorisé.
Malgré de réelles réformes et évolutions dont X 2000, aucune réflexion globale de l’État sur le rôle de l’École n’a été menée depuis plus de 40 ans. Mener cette réflexion est absolument nécessaire pour inscrire l’X dans une dynamique.
Le prestige de l’X et son apport sont indissociables de la place et du rôle de l’État. La difficulté de l’État à définir une stratégie et une ambition dans les domaines scientifiques, techniques et industriels depuis plusieurs décennies est source d’affaiblissement pour Polytechnique.
Avec la mondialisation, le modèle ancien qui fit le prestige de l’X est à repenser. Le nouveau modèle doit-il toujours s’articuler autour et avec l’État ou en faire désormais abstraction ? Le statu quo actuel parait à terme intenable. Il faudra bien choisir entre la réinvention d’un modèle français ou l’engagement à armes égales dans la compétition mondiale.
Il appartient à l’État de dire ce qu’il veut de l’X et, ainsi, d’affirmer sa place dans la société et l’économie françaises au cœur de la mondialisation.
L’École Polytechnique ne constitue que de loin en loin un centre d’intérêt pour le Parlement. Le dernier grand débat parlementaire sur l’X remonte en effet à juin 1970 lors de la réforme dite Debré. Il faut également mentionner deux textes de moindre importance. En mai 1994, une proposition de loi portant sur la mission de l’École et en 2012, la réforme de la gouvernance qui fut portée par voie d’amendement. On remarquera que ces deux discussions législatives ne mobilisèrent que des députés ayant la particularité d’être eux-mêmes polytechniciens ! Sur la même période, les rapports spéciaux des commissions des finances et les rapports pour avis des autres commissions ne font que mentionner sans analyse les budgets de l’École.
Pourquoi donc s’intéresser à l’X aujourd’hui ? Il y a d’abord un sujet d’actualité tout à fait conjoncturel. Les polémiques sur le non-remboursement de la pantoufle et le temps pris pour prendre conscience du problème et élaborer une solution ont d’abord attiré l’attention du Rapporteur spécial.
Mais au-delà de cet élément anecdotique (quoique révélateur), un regard porté sur l’X permet de soulever un certain nombre de questions de fond qui dépassent largement l’École. Polytechnique est en effet un outil prestigieux et emblématique du modèle français. De ce point de vue, loin de concerner les seuls polytechniciens, les atouts comme les faiblesses de l’X dans la mondialisation constituent un domaine de réflexion éminemment politique au sens fort du terme.
Aussi, ce bref rapport ne propose ni une évaluation exhaustive, ni une quelconque réforme de l’École. En revanche, il s’attache à souligner les points qu’il faut trancher ou clarifier si l’on entend préserver une spécificité de polytechnique. Avant qu’il ne soit trop tard, c’est maintenant qu’il faut redéfinir précisément, et sans nostalgie, quel type de spécificité peut être efficace dans la mondialisation. En d’autres termes, cela a-t-il un sens de vouloir sauver Polytechnique et de refuser sa banalisation ?
I. L’X, UNE ÉCOLE FRANÇAISE SINGULIÈRE D’EXCELLENCE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
L’École Polytechnique est une école singulière reposant à la fois sur un enseignement scientifique et technique pluridisciplinaire de haut niveau et sur une formation militaire ouverte sur la société. La combinaison de ces deux éléments fait de l’X une institution à part de l’enseignement supérieur français et mondial qui a posé sa marque sur les grands projets de l’État depuis des décennies et qui répond, peut-être plus que jamais, à un besoin objectif.
A. LA PLURIDISCIPLINARITÉ SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
L’article premier de la loi du 15 juillet 1970, codifié sous l’article L 675-1 du code de l’éducation, dispose, dans son premier alinéa, que « l'École Polytechnique a pour mission de donner à ses élèves une culture scientifique et générale les rendant aptes à occuper, après formation spécialisée, des emplois de haute qualification ou de responsabilité à caractère scientifique, technique ou économique, dans les corps civils et militaires de l'État et dans les services publics et, de façon plus générale, dans l'ensemble des activités de la nation. » Les articles D 675-1 et suivants précisent le cursus suivi.
Le cursus de quatre années dispensé par l’École Polytechnique vise à donner aux élèves une culture scientifique et technique pluridisciplinaire. Après la première année de formation militaire et de « remise à niveau scientifique », les élèves suivent, pendant deux ans, un cursus pluridisciplinaire de très haut niveau, comportant concomitamment 6 disciplines scientifiques (parmi huit disciplines proposées : biologie ; chimie ; économie ; informatique ; mathématiques ; mathématiques appliquées ; mécanique ; physique), une formation poussée en sciences humaines et sociales et la pratique de deux langues étrangères.
La quatrième année (voire au-delà) dit cursus de spécialisation professionnelle peut prendre la forme d’une formation diplômante propre à l'École Polytechnique ou organisée dans le cadre d'accords bilatéraux avec des organismes partenaires (écoles dites d’application), une formation diplômante d'université ou d'école française ou étrangère conférant au minimum le grade de master ou son équivalent étranger ou une formation diplômante par la recherche. Pour les élèves admis dans un corps civil ou militaire de l'État, leur formation est complétée, le cas échéant, par une formation spécialisée.
L’enquête auprès des promotions 2011 et 2012 indique que 60 % des élèves portent un jugement positif ou très positif sur le cursus académique de l’École. 25 % ont un jugement neutre. Ils sont cependant 57 % à demander des cours plus appliqués. 31 % souhaitent se spécialiser plus tôt (c’est-à-dire avant la quatrième année effectuée en école d’application ou au sein de l’X via un Master). Si l’impatience des étudiants transparaît dans ces deux derniers chiffres, le cursus proposé par l’X est en définitive accepté par ceux qui le subissent.
Est-il pour autant pertinent sur le plan de l’insertion professionnelle ? Des critiques récentes se sont fait jour sur le niveau scientifique imposé aux élèves jugé excessif par certains. Ces mêmes critiques regrettent l’absence d’enseignements autour du management indispensables pour ces futurs cadres supérieurs du secteur privé. Peut-être y a-t-il un vrai sujet qui mérite d’être traité en veillant bien à conserver la spécificité de l’école.
Quoi qu’il en soit, il n’appartient ni aux élèves, ni au pouvoir parlementaire de définir le contenu des enseignements dispensés à l’X. Il importe par contre de veiller à l’existence et à l’efficience des évaluations portées sur ces contenus. C’est précisément la mission de la commission aval.
La commission aval, représentant les principales catégories d’employeurs des diplômés, assure le lien entre les enseignements dispensés et les besoins exprimés par le secteur privé et l’État. Elle est sollicitée pour émettre des avis et des propositions sur le cycle polytechnicien stricto sensu, sur la création de Masters et sur la pertinence des Doctorats délivrés par l’X.
La composition de cette commission aval est donc décisive pour évaluer objectivement la pertinence des enseignements. Présidée par un grand dirigeant d’entreprise (actuellement Xavier Huillard, PDG de Vinci), elle rassemble des cadres de l’école (directeur général, directeur général adjoint chargé de l’enseignement, directeur des relations extérieures, directeur de l’École doctorale, directeur des programmes), deux directeurs d’Écoles ou Universités, deux représentants des grands organismes de recherche, dix représentants du secteur économique, deux élèves du cycle polytechnicien, un étudiant de Master, un doctorant, le délégué général de la Fondation X et le président de l’AX.
Cette composition appelle quelques remarques :
– Les cadres de l’École sont juges et parties au sein de la commission. Leur présence avec voix délibérative assure le lien avec l’École mais peut brider les avis de la commission. Malgré le renforcement de son rôle, le président du conseil d’administration ne figure pas dans la commission même s’il en nomme le président. Une clarification de la place des cadres de l’École s’impose.
– La présence d’un représentant du campus Paris Saclay n’est nullement imposée, malgré l’enjeu stratégique que représente ce projet pour l’X et ses élèves.
– L’État y est absent alors que plusieurs dizaines d’élèves intègrent les grands corps scientifiques et techniques.
Au-delà même de ses membres, la place et le rôle de la commission aval sont susceptibles d’être modifiés dans les années futures par le développement des chaires d’enseignement et de recherche financées par mécénat d’entreprise et de l’apport de la Fondation X dans le budget de l’école. La montée en puissance des financements privés corrélativement à la stagnation des financements étatiques ne sont pas sans conséquence sur la définition des enseignements dispensés.
Sans la réaffirmation par les autorités de tutelle de la singularité du cursus pluridisciplinaire de l’X, la définition du contenu pédagogique risque de donner lieu à un rapport de force permanent entre les enseignants, les dépositaires de la tradition polytechnicienne, les employeurs et les financeurs. À terme, laissé à lui-même, ce rapport de force peut fragiliser l’identité de l’école.
B. UNE FORMATION MILITAIRE OUVERTE SUR LA SOCIÉTÉ
L’école Polytechnique est une école sous tutelle du Ministère de la Défense (et du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche). Aujourd’hui, ce lien historique marque toujours profondément l’identité et l’originalité de l’X.
Dès leur entrée à l’école, les élèves perçoivent cette relation très forte avec les armées.
Le premier mois de présence à l’école est consacré à la préparation militaire supérieure au camp de La Courtine (Creuse). À l’issue, les élèves acquièrent le grade d’aspirant et perçoivent une solde. 80 % d’entre-eux prolongent cette PMS par un stage de formation humaine dans les trois armées et la gendarmerie, comprenant une formation complémentaire en école d’officier et un séjour de 4 mois en unité opérationnelle. Les 20 % restant effectuent un stage de formation humaine dans des établissements ou associations à caractère social, humanitaire, éducatif…
Tous les interlocuteurs rencontrés au cours de cette mission de contrôle ont souligné l’apport de cette première année de formation humaine et militaire.
Sur le plan humain, elle leur apporte un vécu collectif atypique que ne propose aucune autre école. Elle constitue une originalité dans l’approche du management des hommes et des projets.
Sortis de plusieurs années d’intenses apprentissages théoriques, les élèves sont confrontés à des réalités jusqu’alors très éloignées de leur quotidien. En outre, cette formation leur inculque le sens de l’intérêt général, le goût pour les affaires publiques. Les élèves développent ainsi une sensibilité à l’intérêt national qui se retrouvera tout au long de leur carrière, y compris au sein de sociétés privées, respectant en cela la devise de l’École : « Pour la patrie, les sciences et la gloire ».
Autre originalité par rapport à la plupart des filières scientifiques, l’ouverture aux problématiques sociales est renforcée par des enseignements et séminaires d’humanités et sciences sociales faisant appel à des professeurs de renom à l’instar d’Alain Finkielkraut qui enseigna la philosophie pendant 25 ans aux élèves de l’X.
Une enquête menée par l’association des élèves auprès des promotions 2011 et 2012 révèle l’attachement des élèves à cette formation militaire et une demande de plus d’humanités et sciences sociales (pour 42 % d’entre-eux). Ces résultats confirment la réussite de cette pédagogie unique en France.
C. UNE FORMATION PLUS QUE JAMAIS D’ACTUALITÉ
Dans nos économies mondialisées, la formation scientifique pluridisciplinaire est plus que jamais pertinente. Bernard Esambert, ancien président du conseil d’administration de l’X (1985-1993), observe que « les polytechniciens sont heureux dans les périodes de grandes évolutions technologiques, entraînant le développement économique et social ». Chaque siècle a connu sa phase d’expansion technologique au cours de laquelle les polytechniciens ont démontré leur apport à l’intérêt général. Le second Empire avec le développement des infrastructures ferroviaires et des grandes industries ; la 5ème république avec les grands projets de rayonnement international (nucléaire, aérospatial,…).
Le 21ème siècle présente des défis de même ampleur et sans doute encore beaucoup plus complexes : la société numérique, les ressources énergétiques, les enjeux environnementaux, la biologie et les nanotechnologies.
Les sciences et les technologies demeurent des moteurs du développement économique et social. Mais elles s’inscrivent dans des environnements de plus en plus compliqués et interactifs : l’outil est devenu système, conjonction de plusieurs technologies faisant appel à plusieurs domaines scientifiques. Les frontières entre les différentes sciences deviennent poreuses.
Dans ce contexte, la perception des enjeux et la prise de décision par les leaders politiques et économiques deviennent de plus en plus délicates. Avec la formation polytechnicienne pluridisciplinaire, la France dispose d’un atout majeur pour affronter ces défis du 21ème siècle. La capacité des élèves de l’X à appréhender un sujet sous plusieurs angles scientifiques leur donne une force d’analyse et de compréhension singulière. Selon Pierre Faure, ancien président du conseil d’administration de l’X, « l’une des caractéristiques de l’identité polytechnicienne est assurément l’obligation faite aux élèves de suivre un spectre de matières particulièrement étendu. Alors que la tendance générale est d’aller très vite vers l’approfondissement disciplinaire, l’École polytechnique défend un modèle fondé sur une approche large, source d’une différence profonde. » (1)
L’avantage du cycle polytechnicien sur les formations mono-disciplinaires spécialisées est particulièrement perceptible lorsque les scientifiques se confrontent à la réalité du monde. À la conjonction de plusieurs disciplines scientifiques, il apporte une capacité d’innovation qui n’a nul autre pareil et dont la France a su tirer les bénéfices par le passé.
Toute la question est de savoir comment nous voulons faire évoluer cet « outil-polytechnique » pour qu’il joue pleinement son rôle en fournissant à nos entreprises et à l’État les cadres qui permettent à notre pays de peser dans la mondialisation.
II. L’X FRAGILISÉE DANS SON IDENTITÉ ET SA MISSION
L’histoire prestigieuse de l’école comme la pertinence actuelle de la formation dispensée ne signifient pas pour autant que l’avenir de l’X soit durablement assuré. Parce que liée à l’État, parce que franco-française, l’École Polytechnique doit aujourd’hui s’intégrer dans un nouvel environnement. La place et l’identité de l’École ne vont plus de soi. D’aucuns pourraient considérer ces interrogations comme passagères et se persuader de la permanence de l’institution. Ce serait ignorer des évolutions de fond qui, loin d’être superficielles, ne sont pas sans lourdes conséquences sur l’identité et la mission de l’X.
A. LE DÉSENGAGEMENT DE L’ÉTAT DE LA SPHÈRE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
Dans l’imaginaire collectif français, la formation polytechnicienne reste très attachée aux grands corps techniques de l’État (X-Mines ; X-Ponts ; X-Armements ; X- ENSAE…) et aux grands projets industriels et structurant de la France.
Jusqu’à présent, l’X a constitué un rouage majeur d’un projet plus large porté par l’État. Aussi, l’affaiblissement de ce dernier dans la sphère scientifique et technique affecte à terme l’identité même de l’école.
1. L’État, acteur de la sphère scientifique et technique, n’est plus ce qu’il était
Depuis plusieurs décennies, le lien entre l’École et le service de l’État est de plus en plus ténu sous le double effet de l’augmentation des places ouvertes au concours d’admission et de la baisse significative des places offertes dans les grands corps à l’issue de la formation. 1969 marque une rupture : à partir de cette date, moins de la moitié d’une promotion entre dans un grand corps de l’État. En 1991, la part tombe à 37,4 % ; en 2002, 20 % ; 17,5 % aujourd’hui.
Le mouvement est certainement appelé à se poursuivre. L’État n’est plus un acteur opérationnel du développement économique et social. Donneur d’ordre, il a délégué à des opérateurs privés la mission de construire des routes, bâtir des navires, développer les ressources énergétiques... Avec la décentralisation, l’État a confié à des entités publiques locales le pouvoir de décider en matière d’aménagement du territoire, de logement.
Les corps d’ingénieurs de l’État ont ainsi perdu de leur poids dans la fonction publique, de leur prestige dans l’opinion, de leur influence sur la décision politique. L’évolution de la composition des cabinets ministériels accompagne ce déclin des compétences scientifiques et techniques au sommet de l’État au profit des compétences juridiques et administratives. De même, les grands postes publics ou parapublics touchant à la sphère scientifique et technique ne sont plus occupés par des polytechniciens. Les grandes sociétés publiques de transport ou d’énergie sont désormais dirigées par des non-polytechniciens.
Cette évolution n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement même de l’État. De bâtisseur, il est devenu gestionnaire, sans pour autant acquérir la qualité de stratège. Aux ingénieurs de l’État, il est aujourd’hui demandé non d’apporter une analyse technique et scientifique sur un enjeu social mais de gérer des appels d’offres pour mettre en œuvre des programmes. La formation polytechnicienne, tout en demeurant exigeante, s’en trouve dévalorisée. À quoi bon maîtriser les enseignements les plus ardus en mathématique, physique ou biologie ?
L’École a pris acte du désengagement scientifique et technique de l’État, en continuant à accroître le nombre de places offertes au concours concomitamment à la baisse des postes proposés dans les grands corps. Depuis 40 ans, s’opère une déconnexion entre l’X et la sphère publique. Elle a été consacrée par la loi dès 1970 en ouvrant les missions de l’École au-delà de la seule préparation aux grands corps.
Ainsi, l’engagement de l’école au service de la nation a pris une nouvelle forme avec l’implication massive de polytechniciens dans le développement de grandes sociétés privées françaises dans des secteurs aussi divers que l’énergie, l’aérospatial, les travaux publics, les transports, le nucléaire… Ce sont les officiers français de la guerre économique, pour reprendre une expression chère à Bernard Esambert.
Cependant au fil du temps, avec la perte de lisibilité de l’ambition industrielle française - sans parler de la dérive financière des années 2000 – c’est l’utilité sociale de ces officiers qui peut faire aujourd’hui débat.
2. Une gestion anachronique trop longtemps tolérée par une tutelle défaillante
Ce retrait de l’État de la sphère scientifique et technique s’est doublé, pour l’École, d’une inertie tutélaire.
L’École Polytechnique est une des quatre écoles d’ingénieurs placées sous la tutelle du Ministère de la Défense. Organiquement, cette tutelle est exercée par la direction des ressources humaines de la direction générale pour l’armement (DRH-DGA), bureau de la tutelle des écoles et des formations internationales supervisé par une adjointe au directeur des ressources humaines. La tutelle financière est menée par le contrôle financier dépendant de Bercy. Mention doit cependant être faite de l’intervention de la direction des affaires financières du secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense. Au conseil d’administration de l’école, le DGA et le SGA sont présents. Le contrôleur budgétaire est présent mais avec voix consultative.
Pourtant, au moment même du lancement de la réforme X2000, le contraste est saisissant entre les ambitions affichées à l’international et la gestion anachronique de l’école.
En 2003, la Cour des comptes dénonce à la fois « une politique globale de gestion des crédits au fil de l'eau » et le faible investissement des autorités de tutelle qui s’accommodent d’une gestion défaillante.
Bizarrement, ces critiques sévères n’ont provoqué aucune réaction. Il n’est donc pas surprenant qu’en 2010, le Contrôle Général des Armées, associé à l’Inspection générale de l’Éducation nationale, puis, en 2012, de nouveau la Cour des comptes aient relevé de graves défaillances dans la gestion de l’École.
Ainsi, l’audit mené par le Contrôle Général des Armées et l’Inspection générale de l’Éducation nationale estime que « la gestion budgétaire, financière et comptable de l’École Polytechnique demande à être remise à niveau ». De son côté, la Cour des comptes observe que « les légitimes ambitions de développement de l’École passeront nécessairement par une nette amélioration de l’organisation et de la gestion de l’établissement ». Il est vrai que, sur le plan organique, le mandat de président du conseil d’administration, généralement un haut responsable d’une grande entreprise, était bénévole. La direction générale sur laquelle reposait l’essentiel de la gouvernance de l’institution, était dévolue traditionnellement à un officier général issu des forces armées et étranger aux questions universitaires.
Ni la DGA, ni le contrôle financier pas plus que le Parlement ne se sont émus au cours des années 2000 de cette situation de fait. Seul un événement extérieur a contraint l’École à bouger : la création du campus Paris Saclay et l’obligation pour l’X de dialoguer avec de futurs partenaires beaucoup mieux structurés. L’audit du contrôle général des armées et de l’inspection générale des armées en est la conséquence. Soucieuse de disposer d’une meilleure maîtrise du foncier dans le cadre de l’aménagement du plateau de Saclay, l’école a demandé en juin 2009 à bénéficier du transfert des responsabilités et compétences élargies prévu par la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités. Pour valider ce transfert, un audit préalable destiné à s’assurer de la capacité de l’établissement à assumer ces futures responsabilités et compétences était obligatoire. Il donna lieu au rapport de janvier 2010 dénonçant les modalités de gestion de l’École.
Ces rapports accablants posent donc la question de la réalité de la tutelle exercée par la DGA et par le contrôle financier. Comment l’École a-t-elle pu arriver à de tels errements dans sa gestion sans que la tutelle ne s’en émeuve ? Les réunions préparatoires aux trois conseils d’administration de l’école sont manifestement insuffisantes.
Après le premier contrôle de la Cour des comptes de 2003, il faut presque dix années pour que les choses commencent à évoluer positivement. On ne sait si le plus stupéfiant est l’inertie de l’École ou la désinvolture de la tutelle.
3. Un lien organique et financier avec la défense de plus en plus ténu
Le Ministère de la Défense n’exerçant sa tutelle sur l’X que par intermittence, se pose la question du maintien du lien de cette dernière avec la défense. En 2003, la Cour des comptes est conduite à s’interroger sur la pertinence du rattachement de l’X au Ministère de la Défense pour conclure : « les arguments en faveur du maintien du statut militaire n’apparaissent pas probants. »
Sur un plan strictement juridique, le rattachement de l’école Polytechnique au ministère de la Défense est consacré par l’article L.3411-1 du code de la défense. Mais les dispositions de cet article se révèlent immédiatement ambiguës en renvoyant les règles relatives aux missions et à l’organisation de l’École Polytechnique au Code de l’éducation.
Les arguments ne manquent pas en faveur d’une remise en cause de ce lien historique : le manque de réactivité et d’anticipation de la tutelle du ministère de la Défense, la fin de la sanctuarisation des crédits alloués à l’École au titre du programme 144 « Prospective et environnement de la politique de défense », la forte diminution des postes offerts aux élèves en fin de scolarité dans le corps des ingénieurs de l’armement, les champs de recherche menés à l’X majoritairement extra-militaires… D’autres ministères pourraient revendiquer la tutelle de l’école : le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur, le ministère de l’industrie, le ministère de l’économie …
La DGA exerce par délégation du ministre de la Défense la tutelle des écoles d’ingénieurs rattachées au programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » « en raison de leur participation aux travaux de recherche et de préparation de l’avenir. » Organiquement, le bureau des tutelles des écoles est une composante de la DRH-DGA.
Ce rattachement à la DRH-DGA est assurément une faiblesse majeure. Si 18 élèves sont encore recrutés dans le corps des ingénieurs de l’armement de la DGA, ceci ne suffit pas à justifier le lien organique. C’est oublier un peu rapidement les 380 autres qui optent pour une carrière civile, publique ou privée. Depuis plusieurs décennies, l’École Polytechnique n’a plus pour vocation principale de participer « aux travaux de recherche et de préparation de l’avenir » de la défense. Pour la promotion 1927, sur un effectif total de 219, 108 polytechniciens sortent dans les corps militaires. Pour la promotion 1956, sur 274, 74 rejoignent les corps militaires. À compter de la promotion 1960, les officiers ne représentent que quelques unités, en dessous de la dizaine. Les ingénieurs militaires se maintiennent autour de la soixantaine, et l’effectif tombe définitivement sous les 50 à partir de 1969 pour désormais se stabiliser en deçà de 20.
La formation militaire n’est plus une spécificité de l’X. Plusieurs grandes écoles de commerce et de management (HEC, ESSEC, ESC…) font appel aux armées dans leur cursus pédagogique. De leur côté, les armées ont perçu l’intérêt qu’elles suscitent auprès des organismes de formation et des entreprises. L’école spéciale militaire de Saint-Cyr a créé une offre dédiée, Saint-Cyr Formation Continue, à destination des entreprises, grandes écoles et institutions publiques. Les modules proposés sont relatifs au leadership, au management, à la gestion de crises, … L’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) organise chaque année un séminaire grandes écoles de quatre jours mêlant élèves des écoles militaires, des grands corps de l’État mais aussi des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs autour des problématiques et enjeux de la Défense et de la sécurité. Si ce n’est dans sa durée, l’École Polytechnique ne peut plus mettre en avant la singularité de sa première année pour justifier de son lien avec le ministère de la Défense.
Avec le campus Paris-Saclay, l’École Polytechnique s’inscrit dans un environnement d’universités et de laboratoires de recherche, au risque d’amoindrir un peu plus son identité militaire. L’X partage avec la seule ENSTA la tutelle du Ministère de la Défense, les autres établissements ayant des tutelles civiles. Les synergies qui vont émerger du plateau Paris-Saclay combinées aux contraintes financières de plus en plus fortes sont susceptibles de transformer à terme la confédération d’établissements en une fédération à statut civil. Si le Campus Paris Saclay doit devenir une « marque commune » (2), l’uniformisation statutaire s’imposera rapidement au nom de l’efficience. Dans cette perspective, faute d’arguments décisifs, l’X ne pourra longtemps défendre sa spécificité militaire. De même, il apparaît difficile de faire coexister dans une entité unique des élèves bénéficiant d’une solde car sous statut militaire et des étudiants devant payer des droits de scolarité. Sans fait nouveau, l’harmonisation est inéluctable, en dépit des discours affirmant le contraire. Le nombre donnera immanquablement la direction.
Pour la totalité des personnes auditionnées dans le cadre de ce contrôle, le rattachement de l’École Polytechnique au ministère de la défense confère une sécurité budgétaire plus forte que tout autre rattachement. Cette sanctuarisation toujours invoquée est cependant démentie au moins partiellement dans les faits.
Dès 2003, la Cour des comptes notait que « s’agissant des années 1995 à 2001, le caractère peu stable des liens financiers unissant l’École à sa tutelle et la tentative, plusieurs fois réitérée d’un relatif désengagement de la DGA, invalide l’argument selon lequel le rattachement au Ministère de la Défense comporterait un avantage financier décisif pour l’École sur toute autre tutelle. » En 2010, le contrôle général des armées soulignait cependant que « le ministère de la Défense est parvenu à « sanctuariser » les moyens de l’École et peu d’établissements publics et encore moins d’opérateurs de l’État peuvent faire référence à une situation d’un tel confort. ».
Aujourd’hui, les tensions pesant sur le budget de l’État, et particulièrement sur les crédits alloués à la défense, fragilisent ce relatif « confort » comme l’a montré l’examen des crédits 2014 de la mission Défense par l’Assemblée nationale.
En effet, le 30 octobre 2013, l’examen d’un amendement de suppression de crédits de 500 000 euros a donné lieu à l’expression de critiques à l’encontre de l’X dépassant largement le régime de la pantoufle pourtant motif du texte. Contre l’avis du gouvernement, c’est à l’unanimité que les députés, nombreux en séance, ont adopté la suppression des crédits. Ceci marque un tournant politique majeur. Mais il y a plus. Au Sénat, comme en seconde lecture à l’Assemblée, le gouvernement n’a nullement tenté de rétablir les crédits supprimés. Pour ceux qui en doutaient, ces événements attestent que l’illusion d’un régime dérogatoire sanctuarisant le budget de l’X a vécu. Et la pression va être de plus en plus forte sur les dotations prélevées sur le budget général de l’État au profit de l’école Polytechnique : 73,5 millions d’euros en 2014 sur le programme 144 de la Mission Défense ; 2,9 millions d’euros en 2014 sur le programme 150 de la Mission Recherche et enseignement supérieur.
Ce nouvel état de fait impose à l’École et à sa tutelle de devoir désormais justifier les subventions pour charge de service public allouées chaque année. Le rattachement des écoles sous tutelle de la DGA au programme budgétaire 144 Environnement et prospective de la politique de défense n’est pas de nature à faciliter l’exercice. Le programme 144 regroupe des actions allant du renseignement (DGSE, DRM, DPSD) à la diplomatie de défense en passant par les études amont de la DGA et la prospective. Pour 2014, ce programme s’élève à 1,9 milliard d’euros dont 800 millions d’euros pour les études amont et 590 millions d’euros pour la DGSE, deux priorités du livre blanc de la défense et la sécurité nationale de 2013. Dans ce conglomérat budgétaire, les 73 millions d’euros alloués à l’École Polytechnique passent inaperçus.
Autre difficulté pour l’École, le responsable du programme 144, le directeur aux affaires stratégiques, n’est pas son autorité de tutelle, le DGA. Il ne dispose même pas d’un siège au conseil d’administration, à la différence du DGA et du SGA. Sur un strict plan budgétaire, le responsable n’est pas le bon interlocuteur pour justifier des crédits. Et le bon interlocuteur ne peut pas s’exprimer.
En définitive, l’École doit se prendre en charge pour justifier de ses dotations budgétaires car personne d’autre ne le fera pour elle. Ceci l’oblige à rapidement disposer d’une comptabilité analytique. Mais surtout à expliquer au-delà du seul cercle défense sa mission et à justifier devant les armées son apport.
B. LA MONDIALISATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
La difficulté pour l’X de justifier sa présence au sein de la communauté de défense est d’autant plus grande que l’École doit faire face concomitamment à un autre défi : la mondialisation.
Établissement d’enseignement supérieur, l’École Polytechnique s’inscrit dans un environnement devenu de plus en plus concurrentiel en France et dans le monde. Sans toujours prendre le recul nécessaire, les responsables politiques et les médias ont désormais les yeux rivés sur les classements universitaires internationaux. Pour constater en définitive le mauvais classement des établissements français, X compris.
Cette autoflagellation a pour principal objet de torture le classement dit de Shanghai (Academic Ranking of World Universities). En 2014, la première université française (Paris 6) occupe la 35ème place, suivie par Paris 11 (42ème) puis l’École Normale Supérieure (67ème). L’École Polytechnique figure au-delà de la 300ème place, en recul par rapport à 2013, loin derrière l’école Polytechnique Fédérale de Lausanne (96ème) devenue à la fois un référentiel et un encombrant concurrent pour l’X.
Ce médiocre classement international vient bousculer les certitudes franco-françaises sur l’excellence de son système éducatif et de ses grandes écoles. En réaction, et dès 2008, le président de la République d’alors décide la création d’un pôle d’excellence universitaire mondiale regroupant grandes écoles, universités et laboratoires sur le campus de Paris Saclay avec pour objectif d’atteindre une des 10 premières places du classement de Shanghai. Le nouveau campus Paris Saclay regroupe 2 universités, 11 grandes écoles, 7 organismes de recherche (3). L’ambition affichée est de « créer sur le plateau de Saclay une université de recherche capable de se classer à moyen terme dans le groupe des 10 meilleures universités mondiales. »
Une mauvaise place dans le classement Shanghai est perçue comme un handicap majeur pour préserver l’excellence : les professeurs de renom et les meilleurs élèves détermineraient leur affectation en fonction du potentiel universitaire validé par ce classement.
Cette mise en concurrence des établissements d’enseignement supérieur est en Europe à l’origine du processus dit de Bologne qui introduit, au sein de l’Union européenne, un système de grades académiques facilement reconnaissables et comparables, facilitant ainsi la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs. En France, ceci a donné lieu à la réforme dite LMD (Licence, Masters, Doctorat), dispositif sur lequel l’ensemble des établissements d’enseignements supérieurs sont invités à s’aligner.
À ce jour, l’X n’a pas clairement redéfini son positionnement dans un enseignement supérieur mondialisé.
C. UN RÉVÉLATEUR : LA CRISE DE LA PANTOUFLE
Lors de l’examen des crédits de l’École Polytechnique par la représentation nationale en octobre 2013, l’attention des députés s’est focalisée sur la pantoufle et, à travers elle, sur le statut particulier des élèves de Polytechnique. Cet épisode est en fait emblématique des difficultés et défis de l’École.
1. Une aberration issue de la réforme X2000
Les élèves français de l’École Polytechnique servent sous statut militaire. Officiers sous contrat, ils perçoivent une solde spéciale (473,10 euros net) et une indemnité représentative de frais à partir du 9ème mois (411,44 euros). Les élèves bénéficient d’une couverture sociale et leur temps de scolarité crée des droits qu’ils pourront ensuite faire valoir dans le calcul de leur retraite. Ce statut, privilégié pour des élèves d’une école d’enseignement supérieur, a été réaffirmé par la loi du 15 juillet 1970 « sous réserve du remboursement des frais d’entretien et d’études, dans les cas et les conditions fixées par décret en Conseil d’État », la célèbre Pantoufle.
Antérieur à la loi, le décret n° 70-323 du 13 avril 1970 précise que sont tenus au remboursement les élèves démissionnaires et les anciens élèves ne respectant pas l’obligation décennale de services à l’État.
Dans la suite logique de la réforme X2000, l’École a souhaité ajouter un troisième cas afin de contraindre les élèves à une quatrième année : « les anciens élèves qui (…) n'acquièrent pas une formation complémentaire sanctionnée par un titre ou un diplôme français ou étranger dont la liste est établie après avis des autorités responsables de l'école, par arrêté du ministre chargé de la défense nationale et du ministre de l'économie et des finances (…). L'arrêté prévu ci-dessus précise pour chaque type de formation le délai avant l'expiration duquel le titre ou le diplôme exigé doit être obtenu. »
Cet ajout a totalement dénaturé le régime de la pantoufle. La 4ème année devenue obligatoire, le remboursement est désormais exigible des seuls élèves admis dans un grand corps de l’État et qui ne rempliraient pas l’obligation décennale de service. Ceci signifie qu’un Polytechnicien menant carrière dans des institutions bancaires américaines est exonéré de remboursement à la différence d’un ingénieur des Ponts travaillant dans une direction régionale de l’État.
La dérive n’est pas anodine. 23 % des diplômés de 2012 ont leur premier emploi à l’étranger ; 13 % ont rejoint un Corps de l’État. Parmi ceux qui ont choisi le secteur privé, ils ne sont que 48 % à opter pour l’industrie.
Entre 2007 et 2013, l’École Polytechnique a émis 171 avis de remboursement de frais de scolarité (soit un montant de 5 401 346 euros) à l’encontre d’anciens élèves français toutes promotions confondues (X 1965 à X 2006) : 144 avis de remboursement de frais de scolarité à l’encontre d’anciens élèves ayant intégré un corps de l’État par la voie réservée à l’École en fin de troisième année de scolarité ; 27 avis de remboursement de frais de scolarité à l’encontre d’anciens élèves n’ayant pas terminé leur scolarité à l’École (élèves démissionnaires, élèves n’ayant pas validé leur quatrième année, élèves ayant renoncé à leur formation complémentaire pour les promotions avant 1999 (24 sur les 27)).
Une étude sur une période plus longue démontre l’impact de la réforme de 2000 sur le régime de la pantoufle :
Répartition des avis de remboursement des frais de scolarité (AR) émis par promotion (X 1975 à X 2011) | |||||||||
Promo |
Effectifs des élèves français |
Places offertes dans les corps |
Places attribuées dans les corps |
Élèves non-corpsards |
AR |
AR des non-corpsards |
Années |
AR émis par promo |
Répartition du nombre d'AR émis par promotion |
Corpsard = élève admis dans les corps de l'État Non-Corpsard = élève non-admis dans les corps de l'État | |||||||||
1975 |
300 |
nd |
138 |
162 |
11 |
17 |
de 1978 à 2010 |
28 |
9,3 % |
1976 |
300 |
nd |
138 |
162 |
22 |
20 |
de 1980 à 2012 |
42 |
14,0 % |
1977 |
300 |
nd |
127 |
173 |
26 |
18 |
de 1981 à 2001 |
44 |
14,7 % |
1978 |
300 |
nd |
126 |
174 |
18 |
19 |
de 1982 à 1999 |
37 |
12,3 % |
1979 |
300 |
nd |
136 |
164 |
30 |
17 |
de 1983 à 2004 |
47 |
15,7 % |
1980 |
300 |
146 |
146 |
154 |
40 |
11 |
de 1984 à 2005 |
51 |
17,0% |
1981 |
310 |
nd |
155 |
155 |
25 |
20 |
de 1985 à 2010 |
45 |
14,5 % |
1982 |
310 |
nd |
155 |
155 |
24 |
26 |
de 1985 à 2011 |
50 |
16,1 % |
1983 |
325 |
nd |
144 |
181 |
21 |
21 |
de 1986 à 2013 |
42 |
12,9 % |
1984 |
332 |
nd |
123 |
209 |
19 |
26 |
de 1987 à 2010 |
45 |
13,6 % |
1985 |
336 |
nd |
127 |
209 |
17 |
32 |
de 1989 à 2009 |
49 |
14,6 % |
1986 |
340 |
nd |
131 |
209 |
16 |
24 |
de 1990 à 2013 |
40 |
11,8 % |
1987 |
315 |
153 |
137 |
178 |
18 |
13 |
de 1990 à 2013 |
31 |
9,8 % |
1988 |
310 |
nd |
136 |
174 |
17 |
18 |
de 1992 à 2013 |
35 |
11,3 % |
1989 |
340 |
nd |
146 |
194 |
13 |
18 |
de 1993 à 2013 |
31 |
9,1 % |
1990 |
360 |
nd |
145 |
215 |
18 |
19 |
de 1993 à 2013 |
37 |
10,3 % |
1991 |
380 |
nd |
132 |
248 |
15 |
20 |
de 1994 à 2013 |
35 |
9,2 % |
1992 |
400 |
nd |
133 |
267 |
24 |
17 |
de 1995 à 2013 |
41 |
10,3 % |
1993 |
400 |
nd |
123 |
277 |
16 |
12 |
de 1997 à 2013 |
28 |
7,0 % |
1994 |
400 |
nd |
116 |
284 |
15 |
22 |
de 1997 à 2013 |
37 |
9,3% |
1995 |
400 |
147 |
111 |
289 |
8 |
12 |
de 1999 à 2010 |
20 |
5,0 % |
1996 |
400 |
151 |
120 |
280 |
12 |
5 |
de 2000 à 2013 |
17 |
4,3 % |
1997 |
400 |
167 |
104 |
296 |
8 |
5 |
de 2000 à 2011 |
13 |
3,3 % |
1998 |
400 |
179 |
115 |
285 |
7 |
2 |
de 2002 à 2009 |
9 |
2,3 % |
1999 |
400 |
150 |
121 |
279 |
9 |
0 |
de 2004 à 2013 |
9 |
2,3 % |
2000 |
400 |
193 |
111 |
289 |
3 |
0 |
de 2006 à 2009 |
3 |
0,8 % |
2001 |
400 |
161 |
118 |
282 |
10 |
0 |
de 2007 à 2008 |
10 |
2,5 % |
2002 |
400 |
142 |
107 |
293 |
5 |
0 |
de 2007 à 2011 |
5 |
1,3 % |
2003 |
400 |
166 |
94 |
306 |
6 |
0 |
de 2008 à 2011 |
6 |
1,5 % |
2004 |
400 |
200 |
111 |
289 |
1 |
0 |
2009 |
1 |
0,3 % |
2005 |
400 |
* |
100 |
300 |
0 |
1 |
2011 |
1 |
0,3 % |
2006 |
400 |
102 |
96 |
304 |
4 |
1 |
de 2009 à 2012 |
5 |
1,3 % |
2007 |
400 |
91 |
83 |
317 |
1 |
0 |
2012 |
1 |
0,3 % |
2008 |
400 |
78 |
76 |
324 |
1 |
0 |
2012 |
1 |
0,3 % |
2009 |
400 |
78 |
73 |
327 |
0 |
0 |
nd |
0 |
0,0 % |
2010 |
400 |
73 |
70 |
330 |
0 |
0 |
nd |
0 |
0,0 % |
2011 |
400 |
nd |
nd |
nd |
0 |
1 |
2013 |
1 |
0,3 % |
2. Quatre ans après son lancement, une réforme toujours inachevée
Cette aberration n’a été relevée ni par la Cour des Comptes en 2003, ni par le contrôle général des armées en 2010. En 2003, la Cour des comptes s’étonnait simplement du faible taux de remboursement au regard des carrières menées par les élèves. Changement de ton en 2012, elle appelait au « nécessaire rétablissement de la pantoufle », soulignant que la réforme X2000 a créé « une situation indue et, de plus, inéquitable pour les élèves qui intègrent les corps de l’État… ».
À l’initiative des grands corps, la communauté Polytechnicienne a anticipé la demande de la haute juridiction financière. Lors de sa séance du 30 mars 2010, le conseil d’administration de l’École a approuvé le principe d’une réforme de la « pantoufle ». Dans un rapport remis à ce même conseil d’administration en novembre 2010, Jean-Martin Folz notait qu’« au fil des années le nombre des cas d'exemptions n'a cessé de croître avec la liste des établissements d'enseignement supérieur acceptables pour la formation complémentaire (y compris de nombreuses universités étrangères) ; in fine la réforme X2000, en instituant la 4° année pour tous les non-corpsards et donc le passage généralisé dans une école d'application ou une université étrangère, a eu pour conséquence d'exonérer du remboursement des frais de scolarité pratiquement tous les élèves sauf les corpsards. La situation est donc paradoxale puisque le système de la pantoufle, initialement destiné à faire rembourser leurs frais de scolarité aux élèves ne choisissant pas le service de l'État, s'est transformé en un dispositif ne sanctionnant pratiquement que ceux des corpsards qui n'effectuent pas dix ans de service public ! » Pour cet ancien président de la Fondation X et de la commission aval, le statu quo était « clairement indéfendable ». Et de proposer comme principe que « tous les élèves qui n'intègrent pas un corps doivent rembourser leurs frais de scolarité », sur le postulat que l’École Polytechnique « est d'abord un établissement destiné à former des hauts fonctionnaires à compétence scientifique ».
Le conseil d’administration de l’École, lors de sa séance du 24 novembre 2010, a approuvé les orientations proposées par Madame Marion Guillou dont le rétablissement des règles contraignantes des frais de scolarité et l’inscription de la réforme de la « pantoufle » dans le Contrat d’Objectifs et Performances 2012-2016.
Le COP 2012-2016, signé en mars 2012, fixe pour objectif de la réforme de la pantoufle « de disposer du décret correspondant avant le concours 2013. » Dès juin 2012, le Conseil d’administration de l’École Polytechnique a approuvé un nouveau régime de remboursement de la Pantoufle. Ce n’est qu’un an plus tard que les projets de textes réglementaires ont été adoptés par le Conseil d’administration puis transmis au ministère de la Défense. Le projet de décret a été transmis fin novembre 2013 aux ministères contresignataires (fonction publique, économie et finances, budget) pour recueillir leur avis.
À ce jour, le processus interministériel n’est toujours pas achevé. L’École demeurait confiante pour une publication au cours de l’été 2014 qui n’a pas eu lieu. Toutefois, la direction de Polytechnique souhaite que la réforme soit en vigueur pour les élèves recrutés au concours 2014. Le site internet de l’X sensibilise d’ores et déjà les candidats au nouveau régime en préparation. Ce futur régime institue le principe du remboursement sauf pour « les élèves qui, après leur sortie de l’École, servent 10 ans dans la fonction publique (étatique, hospitalière ou territoriale), dans une entreprise publique ou dans une fonction pouvant donner droit à détachement pour les fonctionnaires ne sont pas tenus de rembourser les sommes correspondant aux rémunérations perçues durant leur scolarité. » Le remboursement est exigible 3 ans après la sortie de l’École. Dès lors qu’elle est partiellement commencée dans les 3 ans, l’obligation décennale de services doit être accomplie dans les 15 années.
Tout au long de ce processus de refonte de la pantoufle, la tutelle est demeurée totalement passive. Elle n’a ni initié, ni accéléré une réforme pourtant indispensable. Depuis 2007, l’École Polytechnique n’a reçu ni instructions, ni recommandations de la part du ministère de la Défense concernant la gestion courante du remboursement des frais de scolarité des élèves français de l’École Polytechnique. Aujourd’hui, l’école porte seule et trop lentement cette réforme à forte portée symbolique que la tutelle aurait dû conduire dans un calendrier serré.
Tout comme pour les dérives en matière de gestion, rien ne permet de justifier les retards dans le constat et dans la mise en œuvre de la réforme de la pantoufle.
3. La crise de la pantoufle, la crise de trop ?
La crise de la Pantoufle est emblématique des fragilités de l’École, de la faiblesse de la tutelle et des lenteurs de l’X à se réformer.
Privilège indu dans sa forme actuelle, la pantoufle porte en elle les germes d’une crise de légitimité de l’École et doit à ce titre être traitée en urgence. Les débats parlementaires de l’automne 2013, relayés par les médias, ont fait écho au malaise dans la société. Ainsi, Jean Launay, rapporteur spécial de la commission des finances, parlait de dérèglement notoire : « ceux qui choisissent de travailler pour l’État sont plus lourdement pénalisés que ceux qui choisissent d’emblée de travailler pour le privé ! Nous estimons que les élèves qui se dérobent à l’obligation de servir l’État – qui justifie, à l’origine, les moyens investis pour l’École polytechnique – devraient être soumis au même régime de remboursement de la scolarité que les autres. » Présidente de la commission de la Défense, Patricia Adam estimait, elle, qu’il y avait « une sorte d’injustice dans le traitement des jeunes formés par les écoles dépendant du ministère de la Défense. (…) Les étudiants qui sont formés pour devenir des médecins militaires sont tenus de rembourser leur scolarité – qui représente un montant très important – s’ils ne souhaitent pas continuer dans l’armée, et c’est bien normal. Il en est de même pour les ingénieurs – par exemple, les ingénieurs d’armement – qui sont formés notamment dans les écoles dépendant de la direction générale de l’armement. Il me semble donc légitime que la même règle soit appliquée à l’ensemble de ces étudiants, quelle que soit leur formation. »
Si l’engagement de la réforme est un premier pas à mettre au crédit de l’École, il ne peut suffire. La critique qui pèse sur l’École ne sera définitivement levée que le jour où l’opinion et les médias auront pris acte du changement. Or, dans l’hypothèse où les textes réglementaires seraient incessamment adoptés, les premiers remboursements de la pantoufle « nouvelle formule » n’interviendront qu’à partir de 2021. Les promotions qui sortiront de l’École jusqu’en 2017 continueront à bénéficier du régime ancien. Est-ce moralement et médiatiquement acceptable ? Ne faudrait-il pas envisager une réforme plus radicale et plus rapide ?
Par ailleurs, il convient de souligner qu’une application plus rapide de cette réforme permettrait un accroissement des ressources propres de l’école, de l’ordre de plusieurs millions d’euros par an.
Aussi emblématique, nécessaire et utile pour l’école qu’elle soit, la réforme de la pantoufle, initiée sous la pression parlementaire, ne peut cependant constituer la seule réponse aux défis que doit affronter l’X. Lorsque la réforme de la pantoufle entrera en vigueur, à partir de 2021, la question plus profonde de l’insertion de l’école dans la compétition universitaire mondiale aura peut-être changé de nature.
Enfin, le maintien même temporaire du régime actuel de la pantoufle alimente le procès en élitisme des X mené par une frange non négligeable de la société. Polytechnique n’est pas la seule grande école à subir la vindicte populaire mais, de par son histoire, elle en est l’épicentre.
Que l’X ait un recrutement non représentatif de la structure sociale française est un fait établi historiquement. Publiées en février 1969, les travaux de Gérard Grunberg pour le compte du CEVIPOF (4) montraient déjà que, sur la période 1947-1967, « plus des deux tiers des polytechniciens sont issus de pères industriels et gros commerçants, cadres supérieurs, professeurs et professions libérales. » Mais le politologue précisait que « l’origine dite bourgeoise des élèves de l’École polytechnique n’est pas spécifique à cette École ».
Aujourd’hui, comme hier, le recrutement majoritairement parmi l’élite sociale et économique des élèves de l’X est incontestable, malgré un processus de sélection fondé sur les classes préparatoires scientifiques (5). Sur la période 2003-2013, 63,7 % des étudiants de première année étaient issus d’une famille de cadres et professions intellectuelles supérieures, contre 5,6 % d’employés et 1,3 % d’ouvriers.
Cette surreprésentation de l’élite sociale et économique parmi les élèves de l’X peut devenir à court terme une source de fragilisation. Une élite n’est socialement acceptée que lorsque sa contribution à l’intérêt général est avérée et reconnue par tous. L’incertitude voire l’incompréhension autour de la finalité de la formation polytechnicienne ouvre la voie à une critique aujourd’hui infondée « d’une école de l’élite pour l’élite aux frais des contribuables. ». Combinée au régime exorbitant de la pantoufle, cette critique élitiste peut mener à un divorce entre la société française et la formation d’excellence que constitue l’X.
III. L’X TENTE DE RÉPONDRE SEULE AUX DÉFIS QUI LUI SONT POSÉS
Face aux évolutions de l’environnement et aux critiques formulées à l’encontre de l’école, les différents présidents de l’X qui se sont succédé depuis près de 15 ans ne sont pas restés sans agir. Sous leur seule impulsion, l’école a progressivement changé de visage mais sans que l’on puisse réellement discerner une véritable stratégie concertée dans la durée.
A. LA DYNAMIQUE DE RÉFORME INTERNE DE L’X
En réponse au rapport du contrôle général et à ceux de la Cour des comptes, plusieurs mesures importantes ont été adoptées : mise en place d’une comptabilité analytique des coûts à partir de 2011 ; régularisation de la gestion du corps professoral via le référentiel des équivalences de charges pour les enseignants-chercheurs et les déclarations de cumul d’activité ; mise en conformité de la grille de rémunération des enseignants à temps incomplet ; contrôle renforcé sur les chaires via la Fondation…
Dans la continuité du projet X 2000, la mise en place du contrat d’objectifs et de performances conclu entre l’École et le ministère de la Défense constitue la pierre angulaire stratégique de celle-ci pour la période 2012-2016.
En terme calendaire, ce document ne correspond ni à la loi de programmation militaire (2014-2019), ni à la loi de programmation des finances publiques (2011-2014). Il est également en décalage avec le cadre des campagnes de levée de fonds (2014-2018). Le financement du COP affiche dès lors une fragilité structurelle : ses financements publics sont déconnectés des principaux documents programmatiques de l’État et donc soumis à un fort aléa. Cette situation est apparue dès la mise en œuvre du premier contrat quinquennal. En 2003, la Cour des comptes observait que « dès la première année d’application de ce plan (budget 2001), la dotation attribuée au titre de la subvention de fonctionnement a été inférieure à l’enveloppe prévue dans le scénario du contrat quinquennal qui avait reçu l’aval du DGA (…) Le document qui devait servir de cadre de référence pour l’évolution à moyen terme des ressources financières de l’École n’a donc pas été respecté, laissant l’impression d’un exercice inutile alors même que c’est à la demande de la tutelle qu’il avait été conduit… »
Malgré sa faiblesse structurelle, le COP demeure le document de référence dont il convient de questionner les orientations censées répondre aux défis posés à l’X.
En matière de gouvernance, le COP 2012-2016 entretient un flou rédactionnel : « sur la base des conclusions de l’audit réalisé pour l’attribution des responsabilités et des compétences élargies prévues par la loi LRU, et des recommandations de la Cour des comptes, l’École amplifiera la démarche de modernisation du pilotage et de la gestion. »
C’est en fait grâce à l’obstination de Pierre David, polytechnicien alors conseiller du Premier ministre, que l’École a vu ses statuts bouleversés. Dans les dernières semaines de la 13ème législature, le Parlement eut à examiner le projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Au cours des débats, fut déposé et adopté un amendement parlementaire, défendu par le polytechnicien Hervé Mariton, modifiant les dispositions de l'article L. 755-1 du code de l'éducation régissant la gouvernance de l’École polytechnique. La nouvelle rédaction de cet article dispose dorénavant que « l'administration de l'école est assurée par un conseil d'administration et le président de ce conseil. Un officier général assure, sous l'autorité du président du conseil d'administration, la direction générale et le commandement militaire de l'école. » En dépit de l’alternance issue des élections présidentielles et législatives, la réforme fut poursuivie et aboutit au décret du 21 mars 2013 « relatif à l’organisation et au régime administratif et financier de l’École Polytechnique. »
La nouvelle gouvernance fait dorénavant du président du conseil d’administration un président de l’École à temps plein et hiérarchiquement supérieur au directeur général. Désormais, un civil dirige effectivement l’École. Nommé pour 5 ans en conseil des ministres, le président « administre l’École dans le cadre des orientations définies par le conseil d’administration ».
Dès la publication du décret en mars 2013, le processus de nomination du nouveau président a été engagé. Il a abouti à la désignation de Jacques Biot en juin 2013. Entre-temps, une véritable compétition s’est instaurée entre différents candidats. Peu habituée à un tel mode de désignation, la communauté polytechnicienne a révélé au grand jour certaines dissensions et faiblesses.
Dans son rapport de février 2012, la Cour des comptes observait que les réformes de l’X menées depuis une décennie ont été « souvent à l’initiative des entreprises et des anciens élèves. ». La Fondation X, l’école doctorale, le projet X 2000 ont ainsi émergé à l’initiative principalement de deux présidents du conseil d’administration, Bernard Esambert et Pierre Faurre.
Polytechnique est ainsi un curieux modèle d’autogestion à la française : l’État s’est toujours reposé sur les Polytechniciens issus des grands corps techniques et scientifiques et des forces armées pour gérer l’École. Les présidences de l’École, de la Fondation X, de la commission aval sont confiées à des polytechniciens issus des grands corps. Cette autogestion reposait sur le préalable d’une unité de la communauté polytechnicienne symbolisée par l’association des anciens élèves de l’X, l’AX.
Aujourd’hui, cependant, cette unité semble devenue problématique. La diversité des parcours polytechniciens et la concurrence entre grands corps techniques de l’État sont sources de pluralité et non d’unité. Le déclin de la culture scientifique et technique au sein de l’État et les mutations en cours de l’École avivent des tensions sans que l’observateur extérieur soit en mesure d’en décrire clairement les lignes de fracture en dehors de la diversité des carrières menées et donc des regards portés sur ce que doit être l’École.
Depuis quelques mois, ces débats internes à la communauté polytechnicienne se sont ouverts aux médias. En quête d’une nouvelle légitimité devant l’opinion publique, l’École polytechnique ne peut que pâtir de cette situation. Facteur aggravant, la communauté Polytechnicienne est en peine de trouver un arbitre extérieur pour mettre un terme à ses dissensions. Tant que l’État, et non l’autorité de tutelle elle-même partie prenante de la communauté polytechnicienne, n’affirmera pas clairement les missions dévolues à l’École, il est à craindre que, par l’affichage de leurs débats, les Polytechniciens ne contribuent à fragiliser l’institution à laquelle ils sont pourtant tous très attachés.
B. L’ACCROISSEMENT DES RESSOURCES PROPRES : QUELLES CONTREPARTIES ?
Dans son rapport 2012, la Cour des comptes observe que « les légitimes ambitions de développement de l’École passeront nécessairement par une nette amélioration de l’organisation et de la gestion de l’établissement et par un fort accroissement des ressources propres. » L’École ne peut raisonnablement plus compter sur une hausse de sa dotation publique. Outre des gains de productivité et des économies d’échelle générées par le campus Paris-Saclay, elle doit rechercher et trouver d’autres recettes pour financer son développement. Le Contrat d’objectif et de performances 2012-2016 fixe un chiffre précis : « l’École poursuivra l’accroissement global de ses moyens financiers en développant ses ressources propres dont la part sera portée de 20 à 30 %. »
Ainsi, la Fondation de l’École Polytechnique, fondation reconnue d’utilité publique, est appelée à accroître significativement sa contribution. Créée en 1987 à l’initiative du président du conseil d’administration de l’École, Bernard Esambert, la Fondation a collecté un million d’euros par an jusqu’en 2007. À partir de cette date, Yannick d’Escatha a souhaité accroître ce montant en donnant un objectif quinquennal de levée de fonds de 25 millions d’euros. Au terme de la campagne, le montant collecté s’est élevé à 35 millions d’euros (22,9 millions d’euros pour la fondation de l’école centrale Paris sur la même période ; 23,5 millions d’euros pour la fondation Mines ParisTech). Ce chiffre est cependant largement dépassé par la collecte des fondations des écoles d’application.
L’objectif de la Fondation pour les 5 ans à venir est une collecte de 100 millions d’euros auprès de personnes physiques, essentiellement les anciens élèves, et des entreprises qui peuvent financer également directement des chaires d’enseignement. Le Contrat d’objectif et de performances 2012-2016 de l’École Polytechnique se montre nettement moins ambitieux fixant à 40 millions d’euros l’objectif de la seconde campagne de levée de fonds (2014-2018).
Le conseil d’administration du 23 mars 2014 a fait évoluer sensiblement le schéma financier de l’école :
« Sur la base du cadrage budgétaire de janvier 2014, la mise en œuvre des chantiers stratégiques est financée au quasi équilibre sur la période de la loi de programmation militaire 2014-2019 aux conditions suivantes :
– une réduction du montant de la baisse de la subvention de 4,5 millions d’euros
– une levée de la réserve LOLF chaque année (9 millions d’euros)
– une ponction sur le fonds de roulement de 9 millions d’euros
– la réalisation d’économies de fonctionnement à hauteur de 4,5 millions d’euros
– la création de ressources nouvelles (frais de scolarité, contrats, formation continue, entrepreneuriat, etc.) à hauteur de 102 millions d’euros
– la contribution de la levée de fonds à hauteur de 50 millions d’euros
Au bilan, de 2014 à 2019, le budget de l’École passerait de 102 millions d’euros à un peu plus de 140 millions d’euros. »
On constate en définitive que l’École s’organise pour faire chaque année un peu plus appel aux levées de fonds organisées par la Fondation. Ce « fort accroissement des ressources propres », invoqué par la Cour des comptes, est bien sûr de nature à modifier les orientations stratégiques qui gouvernent actuellement l’École. À terme, si les financements publics venaient à être rejoints voire dépassés par des financements privés, il apparaît illusoire de penser que la gouvernance de l’École n’en soit pas impactée. D’ores et déjà, la montée en puissance de la Fondation a contraint l’École à établir un business plan et à accepter une procédure dite de reporting trimestriel notamment sur les dépenses engagées et leur affectation.
La Fondation participe également aux jurys de stage. Son délégué général contribue aux travaux de la commission aval. Son président est membre du conseil d’administration, non en tant que président de la fondation mais en tant que personnalité qualifiée. On est indéniablement entré dans un processus où le statut d’opérateur de l’État reconnu à l’X en raison de son financement majoritairement public pourrait être discuté. L’École a-t-elle les moyens de s’opposer à des investisseurs massifs privés ? Dans la négative, sa gouvernance en serait assurément bouleversée.
Le paiement de frais de scolarité doit être assurément envisagé. Non seulement pour les élèves français via la pantoufle mais aussi pour les élèves étrangers. Les montants en jeu ne sont pas anodins : le calcul de la contribution aux frais est établi sur la base des rémunérations perçues par les élèves au cours de la scolarité (solde et indemnité représentative de frais), à l’exception de celles perçues durant les douze premiers mois de scolarité. Le montant des frais à rembourser est ainsi estimé à 21 000 euros pour les élèves corpsards (deux années de rémunération) et à 31 000 euros pour les élèves non-corpsards (trois années de rémunération). Une majoration du montant des frais est appliquée pour les élèves et anciens élèves qui ne poursuivent pas la formation polytechnicienne après l’obtention du titre d’ingénieur diplômé de l’École à l’issue de la 3ème année de scolarité.
Afin d’attirer des étudiants issus des universités étrangères, l’X a opté pour la gratuité de la scolarité. Ce choix, compréhensible, est cependant de nature à dévaloriser la formation par rapport aux autres grandes universités mondiales qui n’hésitent pas à afficher des frais de scolarité élevés tout en développant un système de bourses atténuant l’impact réel de ces frais.
Le développement de formations continues, à l’instar du CNAM, et la création d’un incubateur de start-up constituent d’autres voies de financement mais dont les résultats ne se feront sentir qu’à moyen et long termes.
C. FACE À LA MONDIALISATION, L’X SUBIT-ELLE OU CHOISIT-ELLE SON AVENIR ?
Lors du conseil d’administration de l’école du 23 mars 2014, il a été rappelé qu’« alors que la compétition mondiale dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche se durcit, que les principaux acteurs internationaux accroissent leurs ressources financières et qu'une concentration est engagée en France dans le domaine de l'enseignement supérieur, et alors que l'État a assigné des objectifs de rayonnement ambitieux à l'Université Paris-Saclay dont l'X doit être un fer de lance, le CA a approuvé le 24 octobre dernier le principe d'une stratégie de croissance. » Ceci se traduit notamment par des objectifs ambitieux : « avec pour objectif de développer sa visibilité internationale et celle de l’Université Paris-Saclay à travers l’internationalisation de ses programmes de formation et de développement d’échanges internationaux d’étudiants et d’enseignants chercheurs, l’École maintiendra la proportion de 30 % d’étudiants internationaux, et doublera le nombre d’étudiants européens. »
Le choix stratégique de faire entrer l’X dans la compétition mondiale est ancien. Il a été validé par le projet X 2000 qui introduit la logique des Masters dans la formation polytechnicienne et par l’adhésion, plus ou moins subie, au projet de Paris-Saclay.
L’impact le plus visible de la mondialisation sur l’École Polytechnique est l’augmentation du contingent d’élèves étrangers (30 % des effectifs totaux) et le recrutement d’enseignants étrangers. La fondation X joue ici un rôle majeur pour renforcer l’attractivité de l’École auprès des professeurs étrangers peu au fait des contraintes et pesanteurs de la fonction publique universitaire. Il se traduit également par une place plus importante donnée aux enseignements en anglais et aux stages hors de France.
L’accueil fait aux élèves et enseignants étrangers part du principe de l’excellence et de l’originalité de la formation polytechnicienne. L’X peut légitimement devenir le fer de lance mondial du modèle français de formation des élites scientifiques et techniques. Dans un rapport déposé en janvier 2014 au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et consacrée à la Francophonie, Pouria Amirshahi rappelle que les classes préparatoires ont été exportées notamment au Maroc dans les années quatre-vingt : « il en existe une centaine qui préparent aux grandes écoles marocaines et françaises et on retrouve ces ingénieurs notamment, partis étudier en France, dans la haute fonction publique marocaine. C’est tout ce réseau d’ailleurs qui est le creuset de l’exceptionnelle densité de la relation économique franco-marocaine et de l’hyperprésence économique de la France. »
L’État et les grandes industries françaises, via la commission aval, doivent mieux définir les pays vers lesquels l’X doit s’ouvrir pour exporter son modèle et sa formation. La francophonie et les pays émergents apparaissent ici au premier plan avec une attention particulière pour la Chine et l’Amérique du Sud. Se faisant, elle préparera les liens économiques, scientifiques et politiques porteurs de croissance internationale pour la France.
En l’absence de ces directives, l’X s’appuie sur des indicateurs extérieurs, les classements internationaux des universités et grandes écoles, sans en mesurer toutes les conséquences. En effet, ni les critères établis pour le classement de Shanghai, ni les orientations portées par le processus de Bologne (réforme LMD) ne correspondent à la formation polytechnicienne. En voulant se fondre sans réflexion préalable dans le système LMD et mener la compétition pour le classement de Shanghai, l’X risque de perdre son identité et sa singularité.
Car la compétition internationale telle que définie par le processus de Bologne et le classement de Shanghai, contraint l’École Polytechnique et plus largement la France à renoncer au modèle singulier des grandes écoles françaises. Cette adhésion naïve repose sur l’oubli ou l’occultation du fait que le classement de Shanghai est surtout un moyen mis en place par les universités chinoises pour se valoriser sur la scène mondiale.
Ainsi, la France se soumet sans réserve à une opération de pur marketing qui lui est défavorable. Emblématique de cette stratégie, le rapport présenté en décembre 2013 par l’ancien délégué général pour l’armement François Lureau sur le rapprochement X-ENSTA est porteur d’une argumentation qui a le mérite d’être clairement revendiquée : « la compétition sur le « marché » des étudiants et des E/C d’un côté, et de l’autre, la recherche de financements « tiers » imposent non seulement de se situer parmi les meilleurs au monde dans sa catégorie, mais également de promouvoir une ou des marques reconnues internationalement pour leur excellence. »
Mais cette approche oublie que des concurrents, plus armés et expérimentés, sont déjà à l’œuvre. Polytechnique ne rivalisera jamais avec Normale Sup en matière de recherche, ni avec les grandes universités françaises dans l’offre LMD. En voulant faire de Polytechnique une marque sur un marché concurrentiel, on en oublie l’originalité du produit.
L’X assure déjà une formation de 3ème cycle et mène des activités de recherche consacrées par la loi du 12 juillet 1994. Mais le volet Master était jusqu’à présent négligé voire absent car pris en charge par des écoles d’application extérieures. Décision a été prise d’internaliser les Masters. C’est le projet X 2000 développé par Pierre Faurre et repris à leur compte par ses successeurs à la présidence du conseil d’administration de l’École. Aujourd’hui, 344 étudiants sont inscrits en Master 2 dispensés par l’X. L’école doctorale rassemble quant à elle 589 doctorants dans toutes les disciplines. Ceci signifie que les élèves du cycle polytechnicien (400) sont désormais minoritaires à Polytechnique.
En adhérant sans stratégie propre au processus LMD dit de Bologne, des grandes écoles, au premier rang desquelles on peut citer Sciences Po, ont sacrifié leur singularité pour une banalisation universitaire. Polytechnique doit-elle suivre le même chemin ? N’y a-t-il pas un travail préalable de réflexion à avoir pour valoriser les spécificités de l’École dans la mondialisation ?
L’originalité du cycle Polytechnicien est également fragilisée par l’émergence d’un acteur majeur dédié à la compétition internationale universitaire : Paris-Saclay. Dans le contrat d’objectif et de performances 2012-2016, il est indiqué que « l’École Polytechnique partage avec les autres établissements de Paris-Saclay l’ambition de créer une université d’enseignement et de recherche au tout meilleur niveau international, pour y attirer les meilleurs talents et en faire un haut-lieu de développement technologique et économique. »
L’ambition de l’école se définit désormais par son apport à un projet universitaire extérieur, et non en mettant en avant sa finalité propre au sein de la société. Dans cette logique, Polytechnique n’est plus une institution mais un outil d’autant plus que, dans ce vaste ensemble, les élèves du cycle polytechnicien compteront pour moins de 10 % des étudiants. Face au nombre, comment peut s’affirmer le cycle singulier des polytechniciens ? Cette interrogation est partagée par la communauté polytechnicienne par la voix de l’AX qui, dès avril 2012, demandait à « l’École Polytechnique de faire reconnaître et de préserver [ses] spécificités. »
L’X a perçu rapidement le danger et cherche à peser un maximum parmi la vingtaine de membres du conseil d’administration de Paris-Saclay. Ceci se traduit par la volonté de maîtriser le foncier par l’obtention de la compétence élargie offerte par la loi LRU, de se doter d’un président exécutif, de mener une opération de croissance externe par le rapprochement avec l’ENSTA.
Mais cela semble insuffisant tant Paris-Saclay pèse dans la réflexion politique. Par sa rédaction, le COP 2012-2016 soumet l’avenir de l’X à la réussite de Paris-Saclay : « l’Université Paris-Saclay est un projet de grande ampleur, structurant pour le devenir de l’École Polytechnique. » La stratégie de l’École s’appuie donc sur une structure à l’état de projet. Les rédacteurs du COP font de l’incertitude la pierre angulaire de la stratégie de l’X. À propos de Paris-Saclay, ils notent que « sa montée en puissance est en cours de définition dans ses principes. Ses modalités de mise en œuvre n’ont pas encore atteint un niveau de précision qui puisse être uniformément décliné de façon opérationnelle dans ce contrat d’objectifs et de performance. » Ce qui aboutit à reconnaître qu’« au cours de la période couverte par le contrat d’objectifs et de performance, l’École Polytechnique sera donc probablement conduite à en ajuster certains aspects de mise en œuvre afin d’assurer la cohérence optimale avec la montée en puissance de l’Université Paris-Saclay. Au regard de la convergence des ambitions, ces ajustements devraient confirmer les lignes générales définies dans ce contrat. » Preuve de lucidité, le conditionnel employé dans cette ultime mention n’est toutefois pas sans inquiéter.
La mondialisation de l’enseignement ainsi que la mise en place de Paris-Saclay comme réponse à celle-ci, imposent à Polytechnique une réflexion décisive qui est certes engagée mais qui comporte encore à ce jour de nombreuses contradictions et incertitudes.
IV. L’ÉTAT DOIT ENTAMER UN NOUVEAU DIALOGUE AVEC L’X
L’avenir de l’École ne peut se dessiner entre polytechniciens, au gré des crises et des questionnements. Cette gestion au fil de l’eau mène inéluctablement à un effacement.
Certes, l’École est maintenant revenue à une saine gestion et dispose avec le COP d’un document de cadrage quinquennal. Ce document de référence reconnaît bien le nouveau contexte (mondialisation, Saclay, pression budgétaire…). Mais il fait comme si tout cela était sans véritable incidence sur l’identité et la mission de l’X.
Or, comme en 1970, il faut redéfinir et actualiser la mission de l’École. À l’époque il s’agissait de prendre acte du recul de l’État et de fournir les cadres des grandes entreprises publiques ou privées participant à l’ambition nationale.
Aujourd’hui, dans un contexte mondial extrêmement éloigné de celui de la fin des Trente Glorieuses, l’État doit refaire l’exercice en s’interrogeant à la fois sur ses besoins propres et sur le profil des nouveaux officiers de la guerre économiques du 21ème siècle.
A. QUE VEUT L’ÉTAT ? QU’APPORTE L’ÉCOLE À L’ÉTAT ?
Sous le triple effet de la mondialisation, de la décentralisation et de la contrainte budgétaire qui rogne les investissements, l’État d’aujourd’hui diffère profondément dans son mode d’action et ses marges de manœuvre de celui de la république pompidolienne.
Le paradoxe de la situation actuelle mérite d’être souligné. À un moment où les enjeux scientifiques et techniques sont plus que jamais d’actualité, on assiste à la poursuite voire à l’accélération de la perte d’influence de Polytechnique au sein de la haute fonction publique et de la sphère politique.
Pourtant, les besoins sont là. Du Grenelle de l’environnement à la transition énergétique, la difficulté de l’État à définir et à proposer une stratégie environnementale et énergétique sur des bases scientifiques, économiques et industrielles solides est à la fois constante et navrante. Et que dire de l’incapacité – faute de compétence ? – à négocier avec les grands groupes des PPP dans des conditions équilibrées ?
Ces deux exemples illustrent bien la nécessité d’un dialogue approfondi entre l’État et l’X. L’État doit préciser ses besoins ; l’X démontrer sa capacité à fournir des réponses. On en est aujourd’hui malheureusement très éloigné. Les impératifs du marketing politique ont en effet conduit à ne pas donner toute sa place légitime à l’administration scientifique et technique lors du Grenelle de l’environnement. Et que dire de la transition énergétique dont l’administration a été purement et simplement écartée ?
Pour éclairer le débat politique, l’État doit au contraire, avec un regard neuf, aller plus loin que le rapport Canepa-Folz (6) dans la redéfinition des compétences scientifiques et techniques qui lui sont utiles et qui lui manquent aujourd’hui ou sont mal utilisées. En particulier, une réflexion sur la revalorisation de la mission de conseil scientifique paraît indispensable.
La question du déroulement des carrières doit également être prise en compte. Avec une difficulté qui ne doit pas être éludée : comment conserver au moins une partie des meilleurs éléments au sein de la fonction publique ? Le statut ne doit-il pas évoluer afin de faciliter des allers-et-retours entre le public et le privé aujourd’hui trop rares ?
De même, l’État et l’École doivent engager un dialogue pour le secteur privé participant au rayonnement économique de la France. Là aussi, il y a un travail à entreprendre pour transformer les officiers de la guerre économique des années 80 en forces spéciales de la mondialisation du 21ème siècle. Cela suppose que l’État, dans ses différentes composantes, c’est-à-dire en ne se limitant pas à ses grands corps, définisse une stratégie pour que l’École puisse former les cadres adaptés à sa mise en œuvre.
Or, il faut malheureusement bien reconnaître qu’à ce jour, même si l’on en parle beaucoup, cette stratégie industrielle nationale n’existe toujours pas. L’État semble pourtant conscient de ce manque comme en témoignent les différents rapports commandés par les majorités successives : « Investir pour l’avenir » (Juppé-Rocard 2009), « Innovation 2030 » (Lauvergeon 2013), … Cependant aucun de ces travaux n’a pu déboucher sur une véritable politique industrielle portée dans la durée par l’État. En outre, le devenir de l’École n’a jamais été intégré dans ces réflexions.
Il s’agit là d’une double faute. Car l’École a besoin de cette stratégie pour justifier de son existence (en particulier sa dotation annuelle de 70 millions d’euros environ) et l’État a besoin de l’excellence de l’X dans la mise en œuvre de cette stratégie.
Faute de renouer et de moderniser ce dialogue original qui est au cœur de son identité, l’École semble à plus ou moins long terme inéluctablement vouée à une banalisation / privatisation. Est-ce bien cela que l’on veut ?
B. LE LIEN AVEC LA DÉFENSE : AVEC QUEL LIANT ?
Dans ce nécessaire dialogue entre l’X et l’État, une attention particulière doit être portée à la Défense.
En dépit de la faiblesse du recrutement de Polytechniciens par ce ministère (moins de 5 %), l’attachement à la Défense demeure extrêmement vif. Tous les interlocuteurs rencontrés insistent sur ce point. Ainsi, dans une motion adoptée le 10 avril 2014, le conseil de l’AX, représentant la communauté polytechnicienne, a réaffirmé « son attachement à la tutelle Défense, au service de la Nation dans son ensemble, que ce soit pour les besoins immédiats dans les activités de souveraineté, et plus largement liés à la défense économique, ou bien à plus long terme, afin que les dirigeants de demain aient reçu la formation humaine et militaire qui forge les qualités de leadership, et aient connu tôt ce lien avec la Défense et aient ainsi été confrontés à ses problématiques. »
Ce lien est à la fois historique et, en quelque sorte, charnel tant l’expérience de la première année est marquante. De plus, il n’est sans doute pas totalement dépourvu d’arrières pensées avec cette idée (de moins en moins assurée mais à laquelle tous les polytechniciens veulent croire) d’une certaine sécurité budgétaire.
Les orientations stratégiques adoptées lors du conseil d’administration d’octobre 2013 confirment cette forte volonté de préserver le lien avec la Défense : « L'École Polytechnique est un établissement d'enseignement supérieur et de recherche, fier d'appartenir à l'univers du Ministère de la Défense ».
De son côté, le ministère de la Défense est assurément fier, lui aussi, d’abriter l’X. Mais jusqu’à quel point ? En période de tensions sur les finances et les effectifs, ce prestige de l’X ne suffira plus à démontrer son apport. Au sein des forces, le faible nombre d’officiers polytechniciens ne permet pas d’entretenir la flamme. Au sein de la DGA, au-delà du recrutement annuel d’une grosse quinzaine d’ingénieurs de l’armement, l’intérêt pour Polytechnique est à démontrer. Quant aux armées, elles ne font pratiquement pas appel à ce vivier d’officiers de réserve que constituent les anciens de l’X.
À terme, ces réalités vont peser de plus en plus. Elles risquent de supplanter un lien certes profond et puissant, mais compliqué à expliquer aux non-initiés.
Pourtant, le lien avec la Défense est loin d’être dépourvu de sens. Il serait même souhaitable de le conserver. Mais cela implique une démarche volontariste pour le conforter.
La piste d’un « Campus Défense » autour de l’X au sein de Paris-Saclay mériterait d’être creusée. Elle permettrait à l’X de préserver une spécificité forte en apportant aux armées une capacité de réflexion géostratégique et scientifique enrichie. Les synergies avec l’IHEDN ou encore l’École de guerre seraient porteuses d’innovation. Enfin, les armées disposeraient d’un cadre leur permettant de mobiliser la ressource des anciens de l’X.
Autre intérêt, ce futur campus défense pourrait également s’appuyer sur l’incubateur de start-up souhaité par le président de l’X afin de développer des sociétés développant des produits ou services répondant en premier lieu aux besoins de la Défense et de la sécurité nationale. L’X et l’ENSTA sont un vivier sur lequel la DGA, notamment, devrait plus investir pour créer localement des pôles d’excellence technologiques à l’instar du pôle d’excellence cyber de Rennes.
Quoi qu’il en soit, une réflexion novatrice entre l’État-major des armées, la DGA, la DAS et l’École apparaît indispensable pour redonner un contenu solide et indiscutable au lien entre l’X et la Défense.
Ne pas entreprendre cette démarche aboutirait dans un avenir plus ou moins proche à laisser se rompre ce lien que la seule tradition ne pourra durablement préserver.
C. QUELLE PLACE POUR L’ÉTAT AU SEIN DE L’ÉCOLE ?
Si l’État redéfinit ses besoins propres (y compris en matière de Défense) ainsi qu’une stratégie industrielle dans laquelle l’X conserve un rôle majeur, il lui reste à réaffirmer sa tutelle en en réformant le mode opératoire et à réinvestir les instances stratégiques de l’École.
En effet, la réforme de la gouvernance de l’École ne règle en rien la question de l’inertie de la tutelle.
En février 2013, le secrétariat général pour l’administration (SGA) du Ministère de la Défense a édité le premier guide pour « l’exercice de la tutelle des établissements publics de l’État au ministère de la Défense. » Cette initiative vertueuse quoique tardive part du constat que « l’organisation du ministère de la Défense et la multiplicité des acteurs rendent nécessaire une clarification des rôles, responsabilités et activités de chaque entité participant à la tutelle. Cette clarification constitue un préalable à la maîtrise des risques. » L’épais document détaille avec précision les actes administratifs et financiers qui jalonnent la gouvernance des établissements sous tutelle.
Mais la tutelle ne peut pas être seulement administrative et financière. Elle doit comporter un volet stratégique, ici totalement absent. Selon le SGA, les lettres de mission adressées aux présidents de conseil d’administration et directeur d’établissement sont rédigées par la direction pilote, en liaison avec la direction des affaires financières et le cas échéant avec le responsable de programme. Pour Polytechnique, ceci signifie que le document le plus stratégique est conçu par la direction des ressources humaines de la DGA ! Pour l’École nationale d’administration, le même document est l’œuvre des services du Premier ministre ! On pourrait concevoir a minima une prise en charge par la direction de la stratégie de la DGA
Sur le plan budgétaire, afin de gagner en cohérence et pour éviter des engagements illusoires, l’alignement calendaire du COP sur les principaux instruments budgétaires programmatiques de l’État apparaît comme une évidence : loi triennale et loi de programmation militaire. Cet alignement des contrats d’objectifs et de performance devrait d’ailleurs être la règle pour tous les opérateurs de l’État auxquels il est demandé de participer à l’effort de redressement des finances publiques.
Ajoutons que cette imbrication des finances et de la stratégie rend discutable l’absence au conseil d’administration du directeur des affaires stratégiques, responsable du programme budgétaire 144 auquel est rattachée l’École.
Enfin, compte tenu de son rôle essentiel qui vise à s’assurer que l’École dispense bien les formations adaptées aux besoins de l’époque, l’État doit également réinvestir la commission-aval. Certes les représentants des corps y sont bien présents. Mais sont-ils les plus à même d’exprimer les besoins de la puissance publique ? Ne faudrait-il pas associer plus largement les différents ministères (défense, industrie, environnement, économie numérique,…) ? En effet, la présence de l’État au sein de la commission aval ne se justifie pas seulement comme employeur d’une minorité d’élèves mais comme stratège de la politique industrielle, scientifique et universitaire de la France.
La Commission a examiné le rapport d’information de M. François Cornut-Gentille : Polytechnique, l’X dans l’inconnu.
M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial. Pour faire un lien avec la discussion qui précède sur l’avenir du nucléaire et la transition énergétique, je rappelle que l’une des grandes missions de l’École polytechnique consiste à former des cadres de la haute administration scientifique et technique qui soient en mesure d’éclairer de tels débats.
En tant que rapporteur spécial du programme « Préparation de l’avenir » de la mission « Défense », il était logique que je m’intéresse à Polytechnique, école placée sous la tutelle de la direction générale de l’armement – DGA –. L’année dernière, j’ai constaté que la dotation de l’École progressait alors que d’autres opérateurs de l’État voyaient la leur se réduire. Cela a évidemment suscité mon intérêt. La petite polémique à laquelle avait donné lieu la question de la « pantoufle » lors de l’examen des crédits de l’École inscrits au budget pour 2014 a constitué un élément supplémentaire qui a motivé la rédaction de ce rapport d’information.
Il ne s’agit pas d’un rapport budgétaire mais plutôt d’une interrogation sur la mission de l’École du point de vue de l’État car il me paraît essentiel que tous les acteurs soient au clair sur ce sujet.
Ce rapport est divisé en quatre parties dont la première est intitulée : « L’X, une école française singulière d’excellence scientifique et technique » vise à montrer l’originalité de l’École qui dispense une formation plus que jamais d’actualité.
La singularité de l’école tient au caractère pluridisciplinaire des hautes formations scientifiques et techniques qu’elle dispense. Cette originalité vaut par rapport aux écoles françaises, mais aussi par rapport aux grandes écoles étrangères. Le lien fort de l’école avec le ministère de la défense, auquel les X sont particulièrement attachés, renforce son originalité. Il permet d’offrir aux jeunes concernés un vécu collectif atypique et leur donne une approche particulière du management. La vision transdisciplinaire apportée par l’X donne à ses étudiants la capacité à comprendre le monde d’aujourd’hui, et d’innover. Ils reçoivent en ce sens une formation particulièrement adaptée à la société actuelle.
La seconde partie du rapport tente de réfléchir sur l’école qui s’est trouvée fragilisée dans son identité et sa mission.
Le désengagement de l’État de la sphère scientifique et technique explique en partie cette évolution.
Le lien entre l’École et le service de l’État est de plus en plus ténu. Jusqu’au début des années 1970, la majorité des X entraient au service de l’État. Ce n’est plus le cas depuis. En 1991, seulement 37,4 % des élèves d’une promotion rejoignaient un grand corps de l’État ; en 2002, cette part est tombée à 20 % ; aujourd’hui, elle est de 17,5 %.
Ce retrait de l’État de la sphère scientifique et technique s’est accompagné d’une certaine « mollesse » de la tutelle de l’École, les remarques formulées tant par la Cour des comptes que par le contrôle général des armées ou l’inspection générale de l’éducation nationale dans des rapports parus au cours des années 2000 n’ayant été prises en compte que de manière très imparfaite.
Par ailleurs, il apparaît que le lien de Polytechnique avec la défense est de plus en plus ténu : 16 ou 17 élèves se tournent aujourd’hui vers le corps de la Direction générale de l’armement – GA –, et il n’y a qu’un officier tous les deux ans environ pour rejoindre les forces armées.
Un autre grand facteur ayant conduit à la remise en cause de Polytechnique au sein de la communauté de la défense est celui de la mondialisation de l’enseignement supérieur, que la participation de l’École au projet de Paris-Saclay a encore accentué, avec l’intégration de l’X à un campus d’une culture très différente de la sienne, privilégiant les classements internationaux.
Ce que l’on a appelé la crise de la pantoufle a beaucoup attiré l’attention des médias à partir de 2003, et force est de constater qu’il a fallu beaucoup de temps à l’École pour trouver une solution à ce problème. La pantoufle, c’est la somme que doivent rembourser les X qui n’entrent pas au service de l’État à l’issue de leur scolarité, et qui n’était plus réclamée depuis la réforme X2000 – plus exactement, elle était, d’une façon paradoxale, réclamée à ceux des anciens élèves qui n’auraient passé que quelques années au service de l’État. Le caractère trop lâche de la tutelle apparaît ici de manière flagrante, puisqu’il a fallu une quinzaine d’années pour que l’on s’aperçoive du problème: certes, Polytechnique a affirmé en 2010 la nécessité de réformer le système de la pantoufle, mais ce n’est que fin 2014 qu’une réforme est censée réellement aboutir. Si cette réforme, dont les grandes lignes m’ont été exposées, paraît satisfaisante, on ne peut que regretter le temps qui a été nécessaire à son élaboration et à sa mise en œuvre : en la matière, le moins que l’on puisse dire est que la tutelle de l’École n’a pas été très active.
Je m’efforce de démontrer, en une troisième partie, que l’X a réagi en adoptant plusieurs mesures importantes au cours des quinze dernières années, en réponse aux rapports de la Cour des comptes, de l’Inspection générale de l’armement et de l’éducation nationale que j’ai évoqués précédemment. Ainsi, une comptabilité analytique a été mise en place à partir de 2011, tandis qu’un contrat d’objectifs et de performances était conclu entre l’École et le ministère de la défense en 2012. Fin 2012 a été accomplie une avancée majeure en matière de gouvernance : le principe d’une présidence jusqu’alors bénévole et à temps partiel a été abandonné au profit de la nomination d’un directeur général et un président à plein-temps. Les choses ont donc évolué, et ce serait faire preuve de sectarisme que de ne pas le reconnaître.
Dans un contexte budgétaire contraint, l’X a dû chercher des moyens d’accroître ses ressources propres. C’est la Fondation de l’École polytechnique qui se charge de collecter des fonds d’origine privée, d’un montant actuellement compris entre 5 et 10 millions d’euros – environ 7 millions d’euros, me semble-t-il –, et que l’École a pour objectif de faire passer à 20 millions d’euros dans les années à venir. La stabilisation, voire la réduction prévisible de la dotation publique, qui nécessiterait un accroissement de la part de financement privé, susciterait des interrogations, justifiées par le fait qu’une entreprise qui finance une école finit inévitablement par peser sur le contenu de l’enseignement dispensé. Par ailleurs, de nombreuses entreprises préfèrent dispenser leurs dons aux écoles d’application plutôt qu’à l’X car, si le principe de la pluridisciplinarité est intéressant du point de vue de l’intérêt général, du service de l’État et de l’innovation, les entreprises qui apportent des fonds veulent en voir rapidement les effets concrets. En résumé, si la démarche consistant à accroître ses ressources propres est intéressante, il faut s’interroger sur ses limites et ses conséquences potentielles sur l’avenir de l’X.
Face à la mondialisation, l’École polytechnique a fait le choix d’entrer dans la compétition mondiale, avec la participation au pôle de Paris-Saclay et au classement de Shanghai, ainsi que par la mastérisation des enseignements, c’est-à-dire la mise en place – comme à Sciences Po – de cycles de trois années. Aujourd’hui, les élèves du cycle polytechnicien ne sont que 400 sur les 1 000 que compte l’École au total : la spécificité Polytechnique se trouve donc minoritaire, ce qui me semble nécessiter une réflexion quant aux conséquences d’une telle évolution.
Enfin, dans la quatrième partie du rapport, je souligne que l’École dispose désormais, avec le contrat d’objectifs et de performance, d’un document de référence prenant en compte toutes les évolutions que j’ai évoquées, qu’il s’agisse du recul de l’État ou de la mondialisation. On peut cependant s’étonner que l’X en reste à un simple constat de ces évolutions, sans que soient formalisées les interrogations que ce constat devrait lui inspirer quant à son identité et son avenir. Pour ma part, j’estime absolument nécessaire que l’État engage un dialogue renouvelé avec l’École afin de définir des solutions sur tous les points qui paraissent encore flous.
À l’heure actuelle, le texte de référence sur les grandes orientations de l’X reste le texte de la loi Debré de 1970, qui définissait le service apporté par l’École à l’État d’une part, à l’économie nationale d’autre part. Si ces deux axes me paraissent toujours valables, je pense que le service de l’État n’est sans doute plus le même qu’il y a plus de quarante ans, et qu’il conviendrait de redéfinir avec l’École de quel cadre scientifique et technique l’État a besoin aujourd’hui. Dans les années 1980, Bernard Esambert, alors président du conseil d’administration de Polytechnique, évoquait les « officiers de la guerre économique » – une expression évoquant l’idée d’une entité très organisée. L’économie a évolué, elle aussi, ce qui me paraît justifier que l’on constitue aujourd’hui les « forces spéciales de la mondialisation ». L’École n’est pas en mesure de repenser elle-même les services qu’elle doit rendre : elle a besoin de mener cette réflexion dans le cadre d’un dialogue avec l’État.
Il est apparu, lors des auditions auxquelles j’ai procédé, que de nombreux cadres de haut niveau de l’administration scientifique et technique avaient le sentiment – acquis depuis l’élaboration du Grenelle de l’environnement, et que le débat sur la transition énergétique n’a fait que confirmer – de ne pas être écoutés en dépit de leurs compétences dans ces domaines. La valorisation par l’État de son administration scientifique et technique est une question à part entière – ainsi que celle du recrutement, sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.
Le lien entre l’École et la défense est d’ordre quasi charnel pour les polytechniciens, dont il marque profondément la formation. Si l’on veut que ce lien perdure, on ne peut se contenter de la tradition : il faut se demander ce que Polytechnique peut vraiment apporter aux armées. Actuellement, un seul officier polytechnicien rejoint l’état-major des armées tous les ans, voire tous les deux ans – pour 70 millions d’euros de subventions publiques. Il est permis de se demander si des liens ne seraient pas à créer entre l’Institut des hautes études de défense nationale – IHEDN – et Polytechnique, si un « campus défense » ne pourrait être constitué autour de l’X au sein de Paris-Saclay, ou encore s’il ne serait pas possible de créer des start-up dans ce domaine.
Je conclurai sur trois remarques. Premièrement, l’École m’a fait très bon accueil : le président et le directeur général se sont tenus à ma disposition et m’ont donné rapidement accès à tous les documents que j’ai souhaité consulter ; je les remercie de m’avoir permis de travailler dans ces conditions et j’espère qu’ils ne m’en auront pas trop voulu de ne pas les avoir laissés tenir ma plume quand je suis entré dans la phase de rédaction de mon rapport. J’ai cependant noté une certaine défiance à mon égard et surtout à celui de ma mission – une réaction suscitée par l’idée que Polytechnique est déjà parfaitement consciente de sa situation, et qu’elle n’a donc pas de problème à résoudre.
Or, si le constat de la situation est effectivement posé, les solutions, elles, restent à définir. J’en donnerai deux exemples concrets. D’une part, si l’excellence de l’École se voit surtout en matière de service de l’État, les majorités successives font part d’une certaine déception en ce qui concerne le rôle de Polytechnique dans la haute fonction publique : on a de plus en plus de difficultés à attirer les meilleurs – que les X-Mines sont supposés être, suivis de près par les X-Ponts – et surtout à les maintenir durablement au service de l’État, alors même que nous avons à résoudre des problèmes scientifiques et techniques de plus en plus importants. Il y a trente ou quarante ans, le dernier des X-Ponts devait être trentième ou quarantième de sa promotion ; actuellement, il se situe plutôt aux alentours du deux cent cinquantième rang. Comme on le voit, le prestige que représentait autrefois, pour les polytechniciens, le fait de servir l’État, n’est plus ce qu’il était. D’autre part, l’X, lancée dans la compétition mondiale dans le contexte de mondialisation que l’on connaît, a reculé d’une centaine de places au classement de Shanghai depuis l’année dernière. Il me paraît donc important de souligner que l’École appartient à la Nation, et que la définition de sa stratégie ne saurait se faire dans le cadre restreint d’un dialogue entre les polytechniciens et entre les différents corps de l’École : c’est à l’État à son plus haut niveau qu’il revient de définir les missions de l’École.
Certains se sont étonnés du fait que je n’arrive pas avec des réponses toutes faites, mais pour moi, il faut commencer par se poser les bonnes questions. Deux options sont envisageables. La première consiste à prendre les critères de la mondialisation tels qu’ils nous sont proposés sur le modèle anglo-saxon : dans ce cas, cela implique que certaines traditions auxquelles les polytechniciens sont attachés – en particulier le lien avec la défense et le service de l’État – n’aient plus de sens, et puissent même gêner l’École dans la compétition mondiale à laquelle elle prend part. La seconde est de considérer que le sens de l’intérêt général, la pluridisciplinarité, et d’autres spécificités héritées de la tradition peuvent conserver un sens dans le contexte de la mondialisation et que, sans s’occuper du classement de Shanghai, on peut s’efforcer de rénover le modèle français qui a fait le succès de l’X.
Si je n’ai pas souhaité formuler de propositions de réforme, c’est aussi parce que j’estime que la définition de l’X de demain doit être précédée d’une réflexion interministérielle – car l’X n’intéresse pas seulement la défense, mais aussi l’industrie, l’environnement, les nouvelles technologies et le rayonnement de la France dans le monde. À l’heure actuelle, c’est par la direction des ressources humaines de la DGA que la tutelle de l’École est exercée, alors que les problématiques relatives à la mondialisation auxquelles elle doit faire face ont vocation à être traitées par les services du Premier ministre.
L’intérêt montré par la presse et l’opinion publique à l’égard de ce rapport est révélateur du fait qu’actuellement, tout ce qui concerne les élites focalise l’attention. L’une des critiques les plus couramment formulées à leur encontre est celle de la reproduction sociale : les élites seraient majoritairement des enfants d’enseignants, issus de la bourgeoisie. Si ce n’est pas complètement faux en ce qui concerne Polytechnique, il n’est pas de mon propos de m’étendre sur cette question ; je dirai simplement que quand elles font leur travail, les élites sont acceptées, et que c’est seulement quand on ne connaît ce qu’elles font qu’une certaine méfiance peut s’installer. La critique à l’égard des polytechniciens ne date pas d’aujourd’hui. Cependant, on avait en réalité un grand respect pour l’apport des polytechniciens au pays, à ses infrastructures et ses entreprises, qui était bien visible – ce qui n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui.
M. le président Gilles Carrez. Nous vous remercions pour votre rapport très approfondi qui soulève de nombreuses interrogations. Je pense, comme vous, que le positionnement de Polytechnique a vocation à être précisé par l’État au sens général du terme.
Ce rapport m’inspire deux séries de réflexions. Premièrement, je suis frappé par la dégradation de l’expertise scientifique et technique de l’État à laquelle nous assistons depuis une vingtaine d’années, due en partie à l’hémorragie des personnels issus des corps d’État qui, après avoir bénéficié de formations d’une très grande qualité, renoncent de plus en plus souvent à le servir. Lorsque nous avons auditionné la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence au sujet des sociétés concessionnaires d’autoroutes, ces deux instances ont souligné l’affaiblissement de la capacité d’expertise technique de l’État.
J’en donnerai deux exemples, le premier étant issu de mon expérience personnelle. Entré en qualité d’ingénieur des Ponts au ministère de l’équipement en 1976, je peux vous assurer qu’à l’époque, cela voulait dire quelque chose, aussi bien en termes de compétences que de sens de l’intérêt général – des aspects ayant aujourd’hui pratiquement disparu. Or, comme l’a dit M. le rapporteur, si l’élite était alors respectée, c’est parce que les résultats de son travail étaient visibles de tous. Je précise toutefois que l’amoindrissement de la capacité d’expertise technique de l’État résulte sans doute également pour partie de l’affaiblissement général de l’État, lié au processus de décentralisation.
Le deuxième exemple est celui du projet de loi de transition énergétique, dont l’examen en commission a été l’occasion de mettre en évidence le manque d’expertise scientifique et technique que l’on serait en droit d’attendre de l’État.
D’une manière plus générale, j’ai l’impression que la société et la puissance publique – y compris la représentation nationale – négligent de plus en plus cette expertise ce qui est pour le moins étonnant pour une société constamment demandeuse de nouvelles avancées technologiques.
Deuxièmement, à propos de la pantoufle. Un jeune polytechnicien ayant choisi le corps des Ponts – ce qui est méritoire – va, s’il quitte au bout de cinq ans le ministère où il a travaillé, devoir rembourser une partie de sa formation, alors que son condisciple intégrant un fonds d’investissement après avoir passé un master n’aura, lui, rien à rembourser – ni au titre de la rémunération de plus de 800 euros mensuels qu’il a perçue en tant qu’élève, ni au titre de la formation qui lui a été dispensée. Cette situation était proprement aberrante. L’État, qui consent un gros effort au profit de l’École polytechnique, doit en retirer quelque bénéfice, plutôt que d’être systématiquement dédaigné en tant qu’employeur – un phénomène dont l’origine remonte au début du XXe siècle en ce qui concerne la défense.
M. Alain Rodet. Quand j’entends dire que les centraliens ont tendance à prendre le pas sur les polytechniciens dans un certain nombre d’activités, cela me rappelle de vieux souvenirs. Quand, en 1966, le général de Gaulle a nommé Edgar Pisani – ce « réformateur vocationnel », comme disait Edgar Faure – à la tête d’un grand ministère de l’équipement réunissant les transports et la construction, cela a abouti, un an plus tard, à la création des directions départementales de l’équipement. À l’époque, les polytechniciens et les centraliens se livraient une concurrence farouche pour travailler au service des DDE – alors même que les conditions de travail n’y étaient pas celles d’aujourd’hui, ces services étant souvent logés dans des bâtiments vétustes ou des préfabriqués !
Pour ce qui de la pantoufle, j’y vois moi aussi un scandale. Quand un inspecteur des impôts décide, après quelques années de cette activité, de rejoindre un cabinet fiduciaire, il a l’obligation de rembourser ce dont il a bénéficié, et c’est bien normal – ce qui l’est moins, c’est qu’un polytechnicien menant carrière dans le secteur privé dès sa sortie de l’École ait été exonéré de cette obligation.
Cela étant, cette pratique n’est pas nouvelle, et son observation nous renseigne également sur le niveau des enseignements dispensés par l’X. Il paraît que, depuis quelque temps, on reproche aux polytechniciens désireux de travailler pour les banques londoniennes une formation mathématique insuffisante s’ils n’ont pas suivi le séminaire de mathématiques financières de Paris VI. Il y a là de quoi se poser des questions.
De même, le fait pour les polytechniciens de prendre part à la compétition mondiale, notamment dans le secteur pétrolier, a mis en évidence le fait que la France pouvait être vue, de l’étranger, comme un pays de castes. François-Xavier Ortoli, ancien ministre de l’économie et des finances, et PDG de Total de 1984 à 1990, m’a ainsi rapporté que les Américains présents sur les plates-formes pétrolières indonésiennes s’étonnaient que constater que le directeur régional de Total était polytechnicien, tandis que son subordonné immédiat était centralien, et les directeurs de plates-formes souvent issus des Arts et Métiers ! Peut-être notre pays a-t-il grandi trop vite, et insuffisamment évolué sur certains points.
En conclusion, je dirai que le rapport de notre collègue est intéressant dans la mesure où il ne stigmatise pas, mais appelle à un réveil. Je rappelle qu’à l’âge de quarante ans, le polytechnicien Alfred Dreyfus n’était que capitaine.
M. Pierre-Alain Muet. Pour ma part, je suis centralien et j’ai enseigné à Polytechnique durant vingt-cinq ans, ce qui m’a donné l’occasion d’assister à une importante évolution de cette école. À l’origine, l’X était la seule des grandes écoles à arrêter son enseignement au deuxième cycle, sans proposer de doctorat, puisqu’elle était censée former des ingénieurs qui s’inscrivaient ensuite dans une école d’application afin de se spécialiser et parfois d’intégrer l’un des grands corps de l’État. Ce deuxième cycle était un peu particulier, coincé qu’il était entre les classes préparatoires et certaines écoles d’ingénieurs ou formations doctorales.
L’expression : « le modèle ancien, qui fit le prestige de l’X, est à repenser », qui figure dans le rapport de notre collègue, aurait sans doute pu être employée il y a trente ans, mais le modèle a bel et bien été repensé depuis. Certes, l’École polytechnique est encore une école militaire, et reste rattachée au ministère de la défense, mais elle n’a plus rien à voir avec l’école qui formait autrefois les ingénieurs des grands corps de l’État. Aujourd’hui, avec Normale Sup, elle a plutôt vocation à former les chercheurs les plus réputés dans le monde.
Il me semble qu’il aurait été intéressant d’interroger les universités étrangères – en particulier chinoises – au sujet de Polytechnique. Quand la Chine a décidé de se mettre à enseigner l’économie, il y a vingt-cinq ans, elle a fait appel à deux universités américaines, mais aussi à l’École polytechnique. Cela montre que l’internationalisation dans le domaine scientifique est une réalité depuis longtemps. J’ai eu l’occasion de constater que les professeurs d’origine française des grandes universités américaines étaient le plus souvent normaliens ou polytechniciens – et ce qui est vrai pour mon domaine de prédilection, l’économie, l’est bien plus encore pour les mathématiques, la physique et peut-être même la biologie. De même, les lauréats français du prix du jeune économiste sortent en général de Normale Sup ou de Polytechnique.
On ne peut donc pas faire abstraction de la dimension internationale de Polytechnique, pas plus que de ses autres particularités. Si c’est une école militaire avec tout ce que cela suppose en termes de rigidité, c’est aussi probablement le seul établissement à avoir décidé de recruter ses enseignants au moyen d’un concours interne, sanctionné par un jury constitué de prix Nobel et des meilleurs spécialistes des disciplines considérées. Ce mode de recrutement impliquait de passer au travers de quatre filtres, même si cette exigence posée par le corps d’enseignants et de chercheurs de l’École ne figurait dans aucun texte. Ce point n’est pas abordé dans le rapport, mais je me permets d’insister sur la nécessité de conserver cette spécificité, les chercheurs et les enseignants étant très inquiets à l’idée qu’elle puisse être remise en cause. Disons-le franchement, notre système comprend très peu d’établissements du calibre des grandes universités anglo-saxonnes, et nous devons nous féliciter que Polytechnique puisse se prévaloir d’un mode de recrutement comparable à celui du Massachusetts Institute of Technology – MIT – : pluridisciplinaire – mais fondé essentiellement sur les mathématiques –, et surtout d’un très haut niveau, ce qui justifie que l’École fasse partie des rares établissements français dont les enseignants soient très recherchés par les meilleures universités étrangères.
Je ne considère pas pour autant que rien ne doive changer dans notre système. À mon sens, la France a commis une erreur colossale en décidant, après 1968, d’éclater ses grandes écoles et ses universités : Centrale, Polytechnique et HEC se sont retrouvées chacune de leur côté, tandis que l’on installait une multitude d’universités en région parisienne, au lieu de créer une grande université parisienne – éventuellement sous le nom de Sorbonne –, qui aurait pu jouir d’un renom comparable à celui des universités américaines – Berkeley, Harvard ou MIT. Nous avons raté cette occasion, et nous retrouvons donc aujourd’hui avec des grandes écoles éloignées de Paris – je ne parle pas du campus de Saclay et de ses laboratoires, dont la proximité constitue une chance pour Polytechnique. De ce point de vue, il est dommage que notre pays n’ait pas su faire pour ses universités et ses grandes écoles l’immense travail qu’elle a fait pour ses cycles primaire et secondaire.
Pour ce qui est de l’aspect pluridisciplinaire de l’enseignement dispensé par Polytechnique, il me paraît constituer une richesse extraordinaire.
M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial. C’est ce que je pense également.
M. Pierre-Alain Muet. La grande force de nos formations scientifiques est de proposer des applications connexes des enseignements théoriques qui sont dispensés. Certes, une évolution est nécessaire, mais j’insiste sur le fait que l’École d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’antan – si ce n’est un recrutement très sélectif, se faisant parmi les meilleurs élèves issus des lycées, des classes préparatoires et de certaines universités, parfois de l’étranger. J’en veux pour preuve deux chiffres : Polytechnique forme aujourd’hui un millier d’élèves dans le cadre de sa Graduate School, participant ainsi activement à l'offre post-graduée sur le campus de Paris-Saclay. Par ailleurs, on compte 20 % d’élèves étrangers, provenant d’origines très diverses, au sein des effectifs de Polytechnique – cette proportion s’élève à 50 % au sein de la Graduate School –, ce qui en fait une école très ouverte sur l’étranger, alors que ce n’était pas du tout le cas il y a trente ans. Sans doute auriez-vous dû interroger les grands scientifiques étrangers au sein de leurs universités, monsieur Cornut-Gentille – c’est ce que j’aurais fait à votre place –, afin de savoir ce qu’ils pensent de nos écoles et de nos universités : cela vous aurait fait prendre conscience des évolutions profondes qui ont déjà eu lieu en ne laissant qu’une chose inchangée, la haute qualité du recrutement et de l’enseignement.
M. le président Gilles Carrez. Pour ma part, je suis très préoccupé par le fait que l’État emploie de moins en moins de polytechniciens.
M. Pierre-Alain Muet. Il peut être tentant de bouleverser ce qui ne semble pas parfait, mais il faut tout de même veiller à préserver les pépites de notre système d’enseignement. Si nous n’occupons pas une très bonne place au classement de Shanghai, il existe quatre autres classements plus spécifiquement dédiés aux enseignements scientifiques, où Normale Sup et Polytechnique sont, cette fois, considérées comme faisant partie des plus grandes universités du monde. Nous ne devons pas non plus négliger le fait que plusieurs prix Nobel étaient des normaliens ou des polytechniciens – notamment en économie. En résumé, ce n’est pas parce que Polytechnique continue de défiler le 14 juillet sur les Champs-Élysées en tant qu’école militaire qu’elle n’a pas accompli sa révolution : en réalité, elle a pris depuis longtemps le tournant décisif qui a fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui.
M. Éric Alauzet. Il a été évoqué une certaine amertume de la part des élèves de l’École polytechnique de ne pas être suffisamment sollicités sur certains sujets tels que le Grenelle de l’environnement ou le projet de loi sur la transition énergétique, où leur expertise aurait pourtant pu être utilement mise à contribution.
Pour ma part, en tant qu’écologiste, j’ai regretté, lors des débats suscités par certains grands défis écologistes – le changement climatique ou la biodiversité, par exemple –, la faiblesse de la culture scientifique dans notre pays, notamment par rapport à nos voisins européens. Pouvez-vous nous préciser, monsieur Cornut-Gentille, sur quoi repose la frustration éprouvée par les polytechniciens, et si elle est en rapport avec la faiblesse de la culture scientifique que je viens d’évoquer ?
M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial. Ce sont des représentants de la haute administration qui m’ont confié avoir eu l’impression de ne pas avoir pu partager leur expertise lors des débats sur le Grenelle de l’environnement ou le projet de loi sur la transition énergétique – d’où le sentiment d’amertume que j’ai évoqué. Il semble donc qu’il y ait un problème d’éclairage de la décision politique par les scientifiques.
Lorsque j’ai auditionné M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État et Mme Nathalie Loiseau, directrice de l’École Nationale d’Administration, ils m’ont fait part de la même réflexion dans d’autres domaines que ceux précités. Visiblement, les pouvoirs publics ont du mal, depuis une dizaine d’années, à s’appuyer sur l’expertise scientifique de l’administration – peut-être parce que le politique est devenu trop militant, ou pour d’autres raisons restant à déterminer.
M. Éric Alauzet. Il y a vraiment eu un changement sur ce point ?
M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial. M. Sauvé me l’a confirmé. Il s’agit d’un problème majeur du point de vue du fonctionnement de l’État, et qui se manifeste quelle que soit la majorité en place.
Une autre grande préoccupation réside dans l’impossibilité pour l’État de garder à son service les meilleurs éléments – qui ne reviennent même pas vers le public une fois qu’ils ont acquis une expérience dans le privé. Cette difficulté se manifeste notamment lors de l’élaboration des partenariats public-privé, le fait que l’expertise scientifique soit beaucoup plus forte du côté des sociétés privées que de l’État entraînant un déséquilibre. Les solutions qui seraient de nature à permettre à l’État de retenir l’expertise dont il a besoin restent encore à définir.
Enfin, pour répondre à M. Muet, je ne conteste pas que l’École ait déjà beaucoup évolué. Ce que je dis, en revanche, c’est que la commande de l’État doit être réaffirmée, notamment pour que la pépite – je reprends volontiers ce terme – que représente Polytechnique soit préservée. Je maintiens également l’existence d’une alternative entre le choix de la mondialisation et celui que pourrait faire l’X d’une stratégie différente, basée sur l’expertise qui est la sienne – étant précisé que cette stratégie n’apparaît pas très lisible pour le moment, non par la faute de l’École, mais par celle de l’État.
M. le président Gilles Carrez. Merci, cher collègue, de nous avoir présenté ce rapport.
En application de l’article 146 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport d’information relatif à l’École polytechnique.
ANNEXE N° 1 :
LISTE ALPHABÉTIQUE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
– Jacques Attali
– Jean-Louis Beffa
– Laurent Billès-Garabédian, président de l’AX
– Jacques Biot, président du conseil d’administration de l’École polytechnique
– Romain Bordier, DREAL Nord - Pas de Calais
– Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement
– Pierre David, ancien conseiller du Premier ministre (2007-2012)
– Yves Demay, directeur général de l’École polytechnique
– Délégation des personnels de l’ENSTA (Jacky Auvray ; Agnès Berry, Anne-Sophie Bonnet-Bendhia, Nathalie Branger, Sabine Ortiz )
– Philippe Errera, directeur des affaires stratégiques, ministère de la Défense
– Yannick d’Escatha, ancien président du conseil d’administration de l’École polytechnique
– Bernard Esambert, ancien président du conseil d’administration de l’École polytechnique
– Alain Finkielkraut, philosophe, ancien professeur à l’École polytechnique
– Jean-Martin Folz
– Christian Gerondeau
– Marion Guillou, ancienne présidente du conseil d’administration de l’École polytechnique
– Xavier Huillard, PDG de Vinci, président de la commission aval de l’École polytechnique
– Philippe Jamet, président de la conférence des grandes écoles
– Francis Jouajean, délégué général de la conférence des grandes écoles
– Nathalie Kosciusko-Morizet, députée
– Jean-Bernard Lartigue, délégué général de la Fondation X
– Gilles-Pierre Levy, président de la deuxième chambre de la Cour des Comptes
– Nathalie Loiseau, directrice de l’École Nationale d’Administration
– Hervé Mariton, député
– Henri Martre
– Thierry Martel, directeur général GROUPAMA
– Jonathan Nussbaumer, DIRECCTE Centre
– Luc Rousseau, vice-président du conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies
– Françoise Saliou, conseiller-maître Cour des Comptes
– Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État
– Pierre Tapie, ancien directeur général du groupe ESSEC
– Marie-Solange Tissier, chef du service du conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies
– Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées
ANNEXE N° 2 :
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DU DÉPLACEMENT À L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE, LE 12 FÉVRIER 2014
– Jacques Biot, président du conseil d’administration de l’École polytechnique
– Yves Demay, directeur général de l’École polytechnique
– Jean-Charles Fischer, secrétaire général
– Colonel Jean-Marie Gontier, directeur de la formation humaine et militaire
– Claude Pernel, directeur de cabinet
– Laurent Billès-Garabédian, président de l’AX
– Frank Pacard, directeur de l’enseignement et de la recherche
– Patrick Le Quéré, directeur adjoint de l’enseignement et de la recherche
– Représentants des organisations syndicales : Laurent Bergeon (CGT) ; Lionel Boulas (FO) ; Agnès Laplaige (UNSA Défense) ; Fouad Maroun (membre élu du conseil d’administration) ; Aldjia Mazari (CFDT) ; Pascal Ménigot (membre élu du conseil d’administration)
– Élèves : aspirant Lélio Renard-Lavaud, X2011 (membre du conseil d’administration) ; aspirant Clément Le Gouëllec, X2012 (membre du conseil d’administration) ; aspirants Aymeri de Choulot, Bérengère Duverneuil, Antoine Gontier, Arthur Hatchuel, Blandine Meurisse, Marc Nègre, Hugo Palmer, Daniel Soarès, Sophie Trastour (membres du bureau des élèves)
– Représentants des enseignants-chercheurs : Emmanuel de Langre, membre élu du conseil d’administration (Président du département de mécanique ; X78) ; Sylvie Méléard, membre élu du conseil d’administration (Présidente du département de mathématiques appliquées ; responsable de l’équipe « Modélisation pour l’évolution du vivant » ; porteuse de la chaire « Modélisation mathématique et diversité » ; ENS) ; Samir Zard, directeur de recherche CNRS (laboratoire de synthèse organique)
ANNEXE N° 3 :
DONNÉES FINANCIÈRES SUR L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE
BUDGET PRÉVISIONNEL DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE DEPUIS 2007
Source : École polytechnique
BUDGET RÉALISÉ DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE DEPUIS 2007
Source : École polytechnique
ANNEXE N° 4 :
DONNÉES SOCIALES SUR L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE
ORIGINE SOCIALE DES ÉTUDIANTS DE PREMIÈRE ANNÉE
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
Total | ||
Agriculteurs, exploitants |
15 |
6 |
7 |
10 |
10 |
16 |
7 |
23 |
13 |
13 |
3 |
123 |
1,2 % |
Artisans, commerçants et chefs d'entreprise |
40 |
48 |
47 |
62 |
62 |
50 |
61 |
57 |
50 |
66 |
60 |
603 |
5,7 % |
Cadres et professions intellectuelles supérieures |
593 |
614 |
617 |
577 |
591 |
659 |
619 |
602 |
595 |
599 |
617 |
6 683 |
63,7 % |
Professions intermédiaires |
123 |
121 |
88 |
99 |
113 |
83 |
76 |
103 |
96 |
106 |
95 |
1 103 |
10,5 % |
Employés |
50 |
50 |
49 |
60 |
54 |
50 |
57 |
57 |
64 |
56 |
40 |
587 |
5,6 % |
Ouvriers |
10 |
9 |
11 |
20 |
21 |
17 |
9 |
13 |
5 |
19 |
4 |
138 |
1,3 % |
Retraités |
0 |
0 |
0 |
1 |
20 |
16 |
3 |
2 |
1 |
0 |
4 |
47 |
0,4 % |
Autres personnes sans activité professionnelle |
104 |
109 |
108 |
96 |
94 |
57 |
103 |
85 |
102 |
104 |
76 |
1 038 |
9,9 % |
Non renseigné |
8 |
11 |
13 |
10 |
5 |
12 |
24 |
22 |
19 |
17 |
33 |
174 |
1,7 % |
Total |
943 |
968 |
940 |
935 |
970 |
960 |
959 |
964 |
945 |
980 |
932 |
10 496 |
ORIENTATION DES DIPLÔMÉS À L’ISSUE DE LEUR CURSUS
Pour les polytechniciens diplômés en 2010 :
Pour les polytechniciens diplômés en 2011 :
Pour les polytechniciens diplômés en 2012 :
NATURE DU PREMIER EMPLOI OCCUPÉ PAR LES DIPLÔMÉS
Secteur d’activité
Localisation
Diplômés en 2008 |
Diplômés en 2009 |
Diplômés en 2010 |
Diplômés en 2011 |
Diplômés en 2012 | |
Ile de France |
64 % |
63 % |
62 % |
65 % |
67 % |
Pays étranger |
26 % |
22 % |
28 % |
22 % |
23 % |
Province |
10 % |
15 % |
10 % |
13 % |
10 % |
Rémunération
Année |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Moyenne |
43 999 € |
41 782 € |
44 000 € |
44 000 € |
47 000 € |
Médiane |
42 300 € |
41 000 € |
42 500 € |
42 000 € |
44 000 € |
1 () Cité in « les Polytechniciens dans le siècle 1894-1994 », sous la direction de Jacques Lesourne, Dunod, Paris, 1994
2 () Expression de la ministre de l’enseignement supérieure, 15 juillet 2009.
3 () AgroParisTech; CEA ; CNRS ; Centrale ; ENS Cachan ; Ecole Polytechnique ; ENSAE ParisTech ; ENSTA ParisTech ; HEC Paris ; IHES ; INRA ; INRIA ; INSERM ; Institut Mines Télécom (Télécom ParisTech, Télécom SudParis) ; IOGS ; ONERA ; Supélec ; Systematic ; Synchrotron Soleil ; Université Paris-Sud ; Université Versaille-Saint-Quentin.
4 () « L’origine sociale des élèves de l’Ecole polytechnique 1948-1967, rapport d’enquête », Gérard Grunberg, CEVIPOF- FNSP, février 1969.
5 () Le recrutement du cycle Polytechnicien s’opère par un concours de haut niveau commun ouvert aux élèves de classes préparatoires scientifiques (en 2014 : 382 places pour les étudiants français ; 42 places pour les étudiants étrangers) ou par la voie universitaire (en 2014 : 18 places pour les étudiants français ; 68 places pour les étudiants étrangers) proposée aux titulaires d’une licence 2 en mathématiques, informatique, mécanique, physique ou chimie.
6 () Rapport au Premier Ministre « Mission d’étude sur l’avenir des corps d’ingénieurs de l’Etat », Daniel Canepa / Jean-Martin Folz, janvier 2009.
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