N° 2388
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
sur l’encellulement individuel,
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Jean-Jacques URVOAS
Président
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La composition de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République figure au verso de la présente page.
La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de :
M. Jean-Jacques Urvoas, président ; Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Dominique Raimbourg, vice-présidents ; M. Philippe Gosselin , M. Paul Molac, Mme Elisabeth Pochon, M. Alain Tourret, secrétaires ; Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean Leonetti, M. Bernard Lesterlin, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Olivier Marleix, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Philippe Meunier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Luc Warsmann, M. Éric Woerth, Mme Marie-Jo Zimmermann.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
Aux origines de l’idée 5
« Les six glorieuses » 7
Le temps des déconvenues 9
La loi pénitentiaire de 2009 ou la tentation du renoncement 12
Une équation impossible 19
I. L’ENCELLULEMENT INDIVIDUEL : UN PRINCIPE QUI VA RESTER UN OBJECTIF 22
II. LES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES DU NON-RESPECT DE CE DROIT 25
III. UNE VOLONTÉ POUR SORTIR DE L’IMPASSE DES MORATOIRES 27
COMPTE-RENDU DES AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS 33
AUDITION DE M. PIERRE VICTOR TOURNIER, DIRECTEUR DE RECHERCHES AU CNRS 33
AUDITION DE M. CHARLES GIUSTI, DIRECTEUR-ADJOINT DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 43
AUDITION DE MME ADELINE HAZAN, CONTRÔLEURE GÉNÉRALE DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ 56
AUDITION DE M. PAUL MBANZOULOU, DIRECTEUR DE LA RECHERCHE DE L’ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 65
CONTRIBUTIONS ÉCRITES 75
CONTRIBUTION DE M. JEAN-PAUL CÉRÉ, DIRECTEUR DU MASTER DE DROIT DE L’EXÉCUTION DES PEINES DES UNIVERSITÉS DE PAU ET BORDEAUX IV 75
CONTRIBUTION DU DOCTEUR MICHEL DAVID, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES SECTEURS DE PSYCHIATRIE EN MILIEU PÉNITENTIAIRE (ASPMP) 78
CONTRIBUTION DE M. ÉRIC SENNA, MAGISTRAT, MAÎTRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER I 81
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR 89
Dans le ciel sombre de la prison française, l’incapacité de notre pays à appliquer un principe datant de 1875 occupe une large place. L’emprisonnement individuel est en effet un débat chronique depuis près d’un siècle et demi.
Nos établissements pénitentiaires demeurent ainsi au fil du temps des lieux où le respect des droits fondamentaux des détenus est conditionné à l’impérium de l’administration. Et face à la surpopulation carcérale dramatique resurgit régulièrement la tentation du renoncement.
Le combat pour la dignité humaine, en ce qu’il est consubstantiel à l’avenir de notre société, ne peut pourtant souffrir d’aucun relâchement. Car quel que soit le comportement par lequel l’individu en prison a enfreint la loi, la dignité de son appartenance à l’Humanité, qu’il conserve indépendamment de son acte, doit être respectée (1).
L’idée remonte à la Monarchie de Juillet. Une circulaire de 1841 prévoit que « toute nouvelle maison d’arrêt soit construite selon le régime cellulaire », c’est-à-dire un régime d’emprisonnement individuel strict. Chaque cellule, d’une superficie d’au moins neuf mètres carrés, doit permettre au détenu de travailler « à demeure ».
Cependant, le régime de Louis-Philippe ne se donne pas les moyens de ses ambitions et la mise en œuvre du projet n’est que très graduelle. Au début des années 1850, on compte 45 établissements cellulaires comprenant 15 000 cellules et quinze autres en construction.
Le Second Empire donne un coup d’arrêt à l’évolution du régime cellulaire pour des raisons d’économie. Le duc de Persigny, ministre de l’Intérieur de Napoléon III, recommande aux départements de ne plus construire de prisons de type cellulaire.
La IIIe République vient modifier la donne. Le 11 décembre 1871, le vicomte d’Haussonville, un député orléaniste, propose à la Chambre de mener une grande enquête parlementaire. L’initiative est acceptée en mars 1872. La commission, aidée de spécialistes, présente son rapport en 1873. Le diagnostic, sévère, insiste sur l’état matériel et moral désastreux des prisons départementales.
Et c’est du 5 juin 1875 que date la « loi sur le régime des prisons départementales » qui prévoit dans son article 2 que « seront soumis à l’emprisonnement individuel les condamnés à un emprisonnement d’un an et un jour et au-dessous », le but étant d’isoler les détenus en préventive et les condamnés à de courtes peines (2). Elle est votée par les orléanistes du centre droit et les républicains conservateurs du centre gauche. En réformant le régime de la détention préventive et la question des courtes peines d’emprisonnement, elle place l’isolement cellulaire sur le devant de la scène. Le texte dispose en effet que « les inculpés, prévenus et accusés seront à l’avenir individuellement séparés pendant le jour et la nuit ».
En application de cette loi destinée à lutter contre la récidive, ces deux catégories de détenus peuvent, en contrepartie d’une remise d’un quart de leur peine, subir celle-ci sous le régime de l’encellulement individuel. Ils sont alors astreints dans tous leurs déplacements (promenades, douches, prétoire, même le service général) au port (aboli en 1950) d’une cagoule d’étamine de laine, une sorte de capuchon. Le silence est réglementaire. Les détenus sont désignés par leur numéro de cellule. Il est défendu aux surveillants de prononcer leur nom. Les heures de lever, coucher, repas, sont annoncées au son de la cloche. Le personnel doit visiter une fois par jour les détenus dans leur cellule, et les visites des ministres des cultes sont autorisées.
La philosophie qui justifie la mise en place de ce régime est très clairement d’inspiration « chrétienne conservatrice » : il s’agit d’éviter la corruption morale des prévenus et des condamnés à de courtes peines afin de favoriser leur rédemption, ou encore, comme l’écrit le Contrôleur général des lieux de privation de liberté Jean-Marie Delarue dans son avis du 23 avril 2014, « de priver la personne détenue de toute relation avec ses semblables pour que, laissée face à elle-même, elle puisse s’amender » (3).
Cependant, la loi de 1875 sera peu suivie d’effets. Son application supposait la transformation progressive des bâtiments. Or, ceux-ci appartenant aux départements, les conseils généraux se montrèrent peu soucieux d’engager d’importantes sommes dans la réfection des prisons. Certains cependant s’engagèrent et dans de petites villes apparurent des « maisons cellulaires » : Vitré, Die, Nyons... Finalement, 54 établissements pour courtes peines sur 177, soit 31 % seulement du parc pénitentiaire, seront cellulaires. Rapidement, l’opinion ne manifestant aucun intérêt au problème pénitentiaire, les républicains, devenus majoritaires, vont refuser les crédits nécessaires aux 20 000 cellules prévues, leur préférant des solutions moins coûteuses et moins répressives (4).
La réforme de 1945 donne l’impulsion nécessaire à la reconstruction et à la rénovation de nombreux établissements pénitentiaires détruits ou endommagés par la guerre. Cela correspond à la volonté de Paul Amor, le premier directeur de l’administration pénitentiaire qui souhaite instaurer un régime sélectif et progressif où la question de l’isolement cellulaire pour toutes les détentions préventives et les peines jusqu’à un an est réaffirmé dans un souci essentiel de réhabilitation du condamné au moment de sa libération. L’application se fait encore attendre. En 1949-1950, le rapport de l’inspection générale de l’administration affirme que l’administration pénitentiaire est « le prolongement d’une justice répressive, intimidante, vengeresse » et la prison, « l’école de la récidive » et « la fabrique d’êtres déchus moralement et physiquement » (5).
Dans les années suivantes, la priorité s’oriente vers l’assouplissement des conditions de détention dans les maisons d’arrêt. Des activités en commun sont proposées et s’organisent. Ces avancées témoignent de la volonté d’abandonner progressivement le régime cellulaire strict. Et de fait, lentement, la question de l’encellulement individuel sort alors du débat public pour ne plus y réapparaître avant la fin des années 1990, réactivée par les problèmes croissants de surpopulation carcérale et les atteintes qui s’ensuivent à la dignité humaine. En effet, un témoignage très fort, dénonçant la dégradation de la situation au sein de ces établissements, va en 2000, provoquer un véritable choc salutaire.
C’est ainsi que M. Patrick Marest, alors infatigable porte-parole de l’Observatoire international des prisons (OIP), qualifie les six premiers mois de l’année 2000, « où les parlementaires avaient pris conscience, dans l’unanimité politique, de tout ce qu’il fallait changer en prison pour améliorer les conditions épouvantables de détention » (6).
C’est l’ouvrage coup-de-poing de Mme Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé (7) qui va révéler au grand public l’état de délabrement des 185 établissements pénitentiaires. À sa suite, le 3 février 2000, l’Assemblée nationale adoptait, à l’unanimité, sur le rapport de M. Raymond Forni, la proposition de résolution de M. Laurent Fabius tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises. C’était la première fois depuis 125 ans, depuis la création de la IIIe République, qu’une commission d’enquête parlementaire était créée sur ce sujet. Une semaine plus tard, le Sénat instituait à son tour une commission d’enquête sur « les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France ». Adoptés toujours à l’unanimité, les rapportsdénoncent de concert une situation carcérale « humiliante pour la République » et « indigne de la patrie des droits de l’homme » (8). Ils affichent la règle de l’encellulement individuel des détenus comme l’une des priorités majeures.
Quelques semaines plus tôt, justement, a été adoptée à l’initiative de la garde des Sceaux Mme Élisabeth Guigou, la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence. Elle prévoit notamment une application pleine et entière de la règle de l’encellulement individuel des personnes placées en détention provisoire par la suppression, à l’article 716 du code de procédure pénale, des cas dans lesquels il est possible de déroger à ce principe « en raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ». La mesure, toutefois, n’est destinée à entrer en mesure que dans un délai de trois ans, autrement dit au plus tard au 15 juin 2003. Pour M. Jacques Floch, auteur de l’amendement qui permet cette évolution, l’importance de ce principe fait qu’il « ne devrait […] souffrir aucune dérogation ». Son point de vue est alors largement partagé par les parlementaires de tous bords, suscitant même un vote à l’unanimité des députés en deuxième lecture. M. Pierre Albertini, par exemple, explique qu’il en va de « la dignité même des personnes », et que « si l’on veut déverrouiller le problème et prendre en compte les conditions – bien souvent inhumaines – dans lesquelles les détenus se trouvent entassés, au mépris de toute intimité, il faut le faire de manière volontaire » (9).
Notons qu’au 1er janvier 2000, la population pénale s’élevait à 51 441 personnes – soit 16 979 de moins qu’aujourd’hui – et la densité des maisons d’arrêt et quartiers « maison d’arrêt » était de 114 %, soit 23,5 points de moins qu’actuellement. La mise en œuvre de la mesure n’a donc jamais été aussi réalisable qu’à cette date.
Pourtant trois jours avant son entrée en vigueur, le gouvernement dirigé par M. Jean-Pierre Raffarin revient sur l’obligation posée par le législateur en faisant adopter en urgence, dans la loi du 13 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, un article qui permet de déroger au régime de l’encellulement individuel « si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas un tel emprisonnement individuel ». Un nouveau délai, de cinq ans cette fois, est prévu pour l’abrogation de cette restriction.
Cette mesure est adoptée pour « éviter que le non-respect prévisible des dispositions sur l’encellulement individuel ne soit de nature à engager la responsabilité de l’État pour non-application d’un texte législatif », analyse alors Didier Liger, avocat au barreau de Versailles s’exprimant au nom du Conseil national des barreaux (10). La jurisprudence administrative exige en effet que les autorités publiques prennent toutes les mesures matérielles et juridiques pour faire appliquer la loi.
À l’occasion de l’examen par les députés du projet de loi, M. Jacques Floch juge « indécent » que le Gouvernement utilise « un texte sérieux pour faire passer en catimini une disposition sans rapport [avec la loi sur la sécurité routière] », par l’intermédiaire d’un cavalier législatif « particulièrement noir » qui « réduit à néant un principe essentiel et entérine la détestable situation antérieure ». Le garde des Sceaux, Dominique Perben, lui répond en accusant le précédent gouvernement d’avoir « pris un engagement intenable ». Il clame néanmoins haut et fort, à cette occasion, qu’« il ne s’agit pas de revenir sur le principe de l’encellulement individuel » (11). M. Gilles de Robien, défendant le texte devant le Sénat au nom du Gouvernement, s’engage de même à ce que « ce critère dérogatoire […] conserve un caractère exceptionnel et [soit d’] une durée d’application limitée dans le temps ».
Quelques mois avant l’élection présidentielle, à l’occasion de la Convention sur la justice organisée par l’UMP le 3 mai 2006 dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, M. Nicolas Sarkozy déclare vouloir « créer des établissements spéciaux pour les personnes provisoirement détenues », où « l’encellulement individuel doit être garanti, la sécurité et la dignité des personnes particulièrement protégées et les atteintes aux droits réduites au strict nécessaire ». Et dans sa réponse aux États généraux de la condition pénitentiaire, en janvier 2007, il assure d’autre part que « le principe de l’encellulement individuel pour toute personne qui le souhaite, dans des conditions respectueuses de l’intimité, doit être garanti ». L’infléchissement est net. Avec la mention « pour toute personne qui le souhaite », l’application du principe se trouve conditionnée à la volonté du détenu. L’encellulement individuel n’est ainsi plus perçu par celui qui va devenir président de la République, comme un absolu à atteindre dans les meilleurs délais, mais comme une option parmi d’autres.
Hélas, les conditions ne sont pas plus réunies en juin 2008 pour l’application pleine et entière du principe qu’elles ne l’étaient en juin 2003. Comme cinq ans plus tôt, le Gouvernement est contraint de réagir dans l’urgence, par voie réglementaire cette fois-ci. Sur le fond, il innove cependant puisqu’il n’opte pas pour un nouveau report de la mise en œuvre de la disposition. En l’occurrence, le décret n° 2008-546 du 10 juin 2008 relatif au régime de détention et modifiant le code de procédure pénale insère dans ce dernier un article D. 53-1 ainsi rédigé :
« Si un prévenu demande au chef d’établissement à bénéficier du régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit alors que la distribution intérieure de la maison d’arrêt et le nombre de détenus présents ne lui permettent pas de bénéficier sur place de ce régime, il est fait application des dispositions du présent article.
« Le prévenu est informé qu’il a la possibilité de déposer auprès du chef d’établissement une requête pour être transféré, afin d’être placé en cellule individuelle, dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un tel placement, à la condition que ce transfèrement obtienne l’accord du magistrat saisi du dossier de l’information. Dans un délai de deux mois à compter du dépôt de la requête, le chef d’établissement indique au prévenu les propositions de transfèrement permettant de répondre à sa demande, en lui précisant la ou les maisons d’arrêt dans laquelle il est susceptible d’être détenu.
« Si le prévenu indique accepter l’une ou plusieurs de ces propositions, le chef d’établissement en informe immédiatement le magistrat saisi du dossier de l’information, au moyen d’un formulaire adressé par télécopie. Ce dernier indique alors au chef d’établissement, selon les mêmes modalités, s’il donne ou non son accord. En cas d’acceptation du prévenu et d’accord du magistrat, il est procédé dans les meilleurs délais au transfèrement. »
Comme le souligne M. Jean-Marie Delarue dans son avis en date du 24 mars 2014, dans ce dispositif, « le principe de l’encellulement individuel ne doit pas s’apprécier au regard de l’établissement où la personne est incarcérée, mais par rapport à l’ensemble des maisons d’arrêt » (12). Or, chaque détenu sait ce qu’il en est de la surpopulation carcérale et ce qu’il lui en coûtera de demander une cellule individuelle. Les centres susceptibles de l’accueillir se trouvent parfois à des centaines de kilomètres – c’est donc l’isolement garanti. En fin de compte, la crainte d’un éloignement géographique de leurs proches, de leurs avocats, l’emporte sur le désir d’accéder à un espace à soi.
En outre, la procédure prévue par le décret et sa circulaire d’application est une véritable « usine à gaz », en elle-même de nature à décourager n’importe qui de faire une demande. La circulaire d’application en date du 25 juin 2008, ne prévoit ainsi pas moins de huit étapes. La première, dite « étape préalable », c’est-à-dire intervenant avant même le dépôt formalisé de la requête, consiste pour le chef d’établissement à « examiner la situation pénale » du prévenu qui formule une demande « et, le cas échéant, lui expliquer qu’il relève des dispositions des 2° et 3° de l’article 716 du code de procédure pénale », c’est-à-dire qu’il ne peut être placé seul en raison de sa personnalité ou des nécessités qu’impose l’organisation du travail ou de la formation professionnelle.
L’étape suivante vise à « informer » la personne qu’elle peut déposer une requête pour être transférée. Elle doit ensuite adresser sa requête (deuxième étape), puis le chef d’établissement prendre contact avec la direction interrégionale pour identifier les endroits où il reste des places en cellules individuelles, qui elle-même, si la recherche est infructueuse, devra prendre contact avec l’administration centrale « pour qu’une recherche soit effectuée dans les autres directions » (troisième étape). S’ensuit la formulation d’« une ou plusieurs propositions de transfèrement » ou l’information qu’« aucune proposition ne peut lui être faite » (quatrième étape), l’information pour avis du magistrat chargé de l’instruction (cinquième étape), la réception de cet avis par l’établissement (sixième étape), puis enfin l’organisation du transfert (septième étape). Au final, on peut estimer qu’une période de quatre mois est nécessaire pour que puisse aboutir une demande. Or, plus de six prévenus sur dix sont condamnés définitivement après quatre mois, et se retrouvent donc exclus du bénéfice du décret.
Certitude d’un éloignement vecteur de solitude, lourdeur de la procédure, ce mécanisme (toujours en vigueur aujourd’hui) ne pouvait fonctionner, et de fait il ne l’a probablement jamais fait. En effet, il faut regretter l’absence de réponse ministérielle apportée à la question écrite n° 64275 déposée par votre rapporteur le 16 septembre 2014. Nous devons donc nous contenter de la remarque de M. Jean-René Lecerf, qui écrivait en 2008 dans son rapport sur le projet de loi pénitentiaire que le nombre de requêtes formulées fut extrêmement faible, ce qu’il expliqua « non pas par le manque d’attrait des détenus pour l’encellulement individuel mais bien davantage par les conditions dissuasives posées par le décret à l’obtention d’une cellule individuelle et le risque d’un éloignement de l’environnement familial » (13). Une appréciation éclairée par le commentaire critique du syndicat FO-Direction pour lequel peu de demandes sont déposées, car certaines directions interrégionales préconisent « une réponse volontairement lente aux demandes d’affectation en cellule individuelle ». Rien ne vient donc remettre en cause l’intuition que ce mécanisme était simplement pour la puissante direction de l’administration pénitentiaire une tentative de contourner habilement les contraintes induites par un principe voulu par le législateur, mais jugé – par elle – parfaitement inapplicable.
La loi pénitentiaire de 2009 ou la tentation du renoncement
Si extraordinaire que cela apparaisse, le projet de loi pénitentiaire déposé le 23 juillet 2008 fut le premier texte d’ensemble sur l’institution pénitentiaire, succédant à un bloc de décrets « étayé pour l’essentiel par des circulaires […] produites par l’administration pénitentiaire elle-même » (14). Mais ce n’était pas la seule nouveauté. En effet, sa philosophie marquait une véritable rupture.
Le projet consacrait en effet le renoncement à une mise en œuvre effective du principe d’encellulement individuel. À cette fin, il proposait de procéder dans son article 49 à une réécriture de l’article 716 du code de procédure pénale :
« Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées soit en cellule individuelle, soit en cellule collective. Celles d’entre elles qui en font la demande sont placées en cellule individuelle sauf :
« 1° Si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’elles ne soient pas laissées seules ;
« 2° Si elles ont été autorisées à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire, et que les nécessités d’organisation l’imposent.
« Lorsque les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placées en cellule collective, les cellules doivent être adaptées au nombre des détenus qui y sont hébergés. Ceux-ci doivent être aptes à cohabiter et leur sécurité doit être assurée. »
En parallèle évidemment, l’article 59 du projet de loi instituait un nouveau moratoire de cinq ans pour l’entrée en vigueur des dispositions relatives à l’encellulement individuel, dès lors que « la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas leur application ».
La commission des Lois du Sénat s’opposa à cette intention en rétablissant d’emblée le principe de l’encellulement individuel, à l’initiative du rapporteur du texte, M. Jean-René Lecerf. Pour ce dernier, ce principe a valeur d’objectif essentiel de la politique pénitentiaire, parce qu’il garantit des conditions de détention plus respectueuses de la dignité de la personne et parce qu’il implique de lutter contre la surpopulation carcérale, qui se trouve à l’origine de bien des difficultés des établissements pénitentiaires. L’objectif de l’encellulement individuel doit continuer de guider la politique pénitentiaire, ce qui ne serait pas le cas si l’encellulement collectif était admis au même titre que l’encellulement individuel.
De plus, à ses yeux, cet objectif est conforme aux règles pénitentiaires européennes, qui constituent un socle de principes minimaux communs à l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Certes, la règle 18.6 rappelle qu’ « une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus retenus aptes à cohabiter ». Cependant, cette disposition n’est qu’une exception énoncée au principe de la règle 18.5, selon laquelle « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus ».
Enfin, souligne M. Jean-René Lecerf, pour la première fois peut-être, l’objectif de l’encellulement individuel n’apparaît plus hors de portée. Grâce à l’effort engagé dans le cadre des constructions du « programme Perben », 16 466 places devraient être créées, portant la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires à quelque 62 500 places, ce qui correspond à peu près au nombre de détenus.
Les divergences d’analyse sont limpides. Alors que pour le Gouvernement, l’encellulement doit être individuel ou collectif, sauf demande expresse, pour le Sénat il doit être par principe individuel, sachant que, bien entendu, il peut y avoir des dérogations. Et pour ce dernier, le niveau de surpopulation carcérale ne peut pas être une justification : ce n’est pas au droit de s’aligner sur la pratique, mais à la pratique de se conformer aux règles de droit. Continuer à poser le principe de l’encellulement individuel revient à s’opposer à la banalisation juridique de l’encellulement collectif. Même s’il ne peut être pleinement respecté, il n’en demeure pas moins que le législateur doit l’affirmer et que les pouvoirs publics doivent prendre les mesures nécessaires pour tendre vers cet objectif.
Compte tenu de ces divergences, en séance publique, le 6 mars 2009, un amendement du Gouvernement est retiré, qui après la réécriture de la commission des Lois, visait à rétablir « le libre choix du détenu ». Alors garde des Sceaux, Mme Rachida Dati n’en développe pas moins une argumentation hostile à la généralisation de l’encellulement individuel. Elle ne croit pas que celui-ci soit la panacée et la réponse unique à toutes les situations qui se présentent. Pour elle, le positionnement retenu par le Sénat sur cette question révèle un présupposé et un paradoxe : « le présupposé, qui renvoie d’ailleurs très directement aux origines de notre culture, c’est l’idée du retour sur soi, grâce à la solitude ; le paradoxe, c’est que, d’une certaine manière, plus on insiste sur l’encellulement individuel, plus on peut freiner, par le confinement du détenu seul dans sa cellule, une évolution nécessaire vers la réinsertion ». Pour sa part, le Gouvernement prône effectivement le libre choix, considérant qu’il ne faut pas priver les détenus d’une possibilité de cohabitation, si elle correspond à un souhait. Sur ce dossier, Mme Rachida Dati se veut pragmatique et réaliste. Elle constate que, par exemple, l’Espagne et les Pays-Bas ne connaissent pas le principe de l’encellulement individuel, et que la position qu’elle défend « est largement partagée par les gouvernements de la plupart des pays de l’Union européenne ». Elle préférerait concentrer son action sur les véritables problèmes des maisons d’arrêt : « premièrement, lorsque le détenu peut être placé dans des conditions de détention qui sont matériellement indignes ; deuxièmement, lorsque les détenus sont contraints d’être placés en encellulement collectif avec des codétenus non souhaités ; troisièmement, quand des dortoirs existent encore, et ce parce que l’effort de rénovation consacré par la Nation a longtemps été insuffisant, pour ne pas dire inexistant. » Enfin, elle indique que le parc immobilier français ne permet pas aujourd’hui – pas plus qu’il ne le fera demain – de mettre en œuvre le dispositif proposé dans le texte du Sénat, faute d’un nombre suffisant de cellules individuelles.
L’article 49 du projet de loi, rétablissant le principe de l’encellulement individuel, n’en est pas moins adopté par la seconde chambre dans l’écriture retenue par sa commission des Lois.
Le texte continue son parcours par l’Assemblée nationale et l’audition devant la commission des Lois, le 8 septembre 2009, de la nouvelle garde des Sceaux, Mme Michèle Alliot-Marie. Celle-ci dévoile d’emblée les intentions du Gouvernement : « Quand un texte n’est pas appliqué, il perd son autorité, et la loi perd sa légitimité. Dans un certain nombre de cas, il vaut donc mieux avancer progressivement et de façon pragmatique. Pour ma part, je ne suis pas favorable à un nouveau moratoire : je préfère que l’on regarde les choses concrètement et avec bon sens. » À l’instar de Mme Rachida Dati avant elle, elle considère que l’encellulement individuel n’est pas la panacée. Bien au contraire, il peut s’avérer contreproductif face à la fragilité de certains détenus et au risque de suicide. De même, la préparation des personnes incarcérées à la réinsertion suppose de maintenir un lien social, ce que ne permet pas l’encellulement individuel. « Il serait donc préférable, au cours des cinq années à venir, de mettre en œuvre le principe du libre choix du détenu, qui est d’ailleurs conforme aux règles européennes comme à la pratique de la plupart de nos voisins. »
Dans la discussion qui suit l’intervention de la ministre, l’auteur de ces lignes constate que ce débat a déjà eu lieu au Sénat, où une majorité s’est dégagée contre le Gouvernement de l’époque, « mais [il] découvre avec tristesse que la question n’est pas réglée ». M. Serge Blisko considère qu’il y a un moment où il faut s’en tenir aux principes – autrement dit les règles pénitentiaires européennes. « Certes, certains peuvent souhaiter partager leur cellule avec un codétenu, mais j’imagine que personne ne demande à être sur un matelas par terre dans une cellule de quatre, cinq ou six ! » Il ajoute que l’encellulement individuel constitue la meilleure protection contre les maladies infectieuses qui se propagent en prison (tuberculose, grippe A) : « Comment stopper la contagion avec une telle promiscuité ? ». Notre collègue Philippe Goujon estime pour sa part, qu’un effort considérable doit être mené en faveur de l’encellulement individuel, ce qui passe par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires et de nouvelles places de prison. Dans sa réponse, la ministre note que, sur cette question, il faut prendre en compte la réalité et nos marges de manœuvre : « Si dans les hôpitaux, on ne place pas les malades seuls dans une chambre, c’est aussi pour des raisons qui tiennent au maintien du lien social. Pourquoi voulez-vous qu’il en aille autrement dans les prisons ? »
Le même jour, le 8 septembre 2009, le Gouvernement fait adopter en commission des Lois un amendement qui vient substituer au principe de l’encellulement individuel celui du libre choix des détenus. Absolu, le principe de l’encellulement individuel ne doit tolérer aucune restriction. « Vous soutenez que certains détenus préféreraient être placés en cellule collective ; en deux ans de visites d’établissements pénitentiaires, je n’ai jamais entendu exprimer cette opinion ! » (15) Pour M. Noël Mamère cet amendement marque un recul de la prison républicaine, et s’apparente à un arrangement avec une réalité que tout le monde s’accorde à trouver insupportable : à savoir, la surpopulation carcérale, avec un taux d’occupation pouvant atteindre 125 %. Selon M. Dominique Raimbourg, quand il y aura le même nombre de détenus que de places, on pourra envisager des dérogations au principe de l’encellulement individuel. Mettre en avant cette question n’est qu’une façon d’éviter de se donner les moyens d’atteindre cet objectif. Il estime que « construire de nouvelles places de prison ne saurait être une réponse, car on aura tendance à incarcérer davantage. La seule solution, c’est de limiter le nombre de détenus au nombre de places disponibles – rien n’empêchant, par la suite, de faire varier ce dernier. » En revanche, pour le secrétaire d’État Jean-Marie Bockel, affirmer le principe du libre choix, ce n’est pas s’adapter à la réalité, mais refuser que l’on impose à un détenu un encellulement qui ne soit pas conforme à ses souhaits. Le dispositif mis en place permettra de consacrer, à court terme, ce principe du libre choix, dans la mesure où la France disposera en 2012 d’un total de 45 000 cellules individuelles. « Il ne s’agit donc pas d’un discours de circonstance, mais d’une position de principe, que nous n’aurons pas peur de défendre publiquement. »
En séance publique, le 15 septembre, Mme Michèle Alliot-Marie défend le dispositif adopté en commission quelques jours plus tôt. « Énoncer le principe de l’encellulement individuel, cela n’est acceptable (…) que si cela est réalisable. Quand nous faisons la loi, notre devoir est de prévoir qu’elle sera applicable. (…) Faire des lois qui ne seront pas appliquées, ce n’est ni du bon travail législatif, ni positif pour la démocratie. » Dans cette perspective, poursuit-elle, il est embarrassant d’énoncer un principe et de prévoir immédiatement un moratoire pour son application. Elle reprend ensuite son discours sur les vertus de l’encellulement collectif, qui permet de restreindre le risque de suicide – « la cohabitation est parfois un gage de survie » – et de maintenir le lien social. Au demeurant, elle observe que le nombre total de places disponibles devrait s’élever à 68 000 en 2017 et que, compte tenu des cas où l’encellulement individuel n’est pas souhaitable, le principe sera alors quasiment applicable.
Dans la motion de rejet préalable que l’auteur de ces lignes défend alors, il souligne que le Gouvernement cherche en réalité à supprimer le principe de l’encellulement individuel de notre code de procédure pénale. Ce qui constitue une double erreur. D’abord parce qu’il garantit des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne ; ensuite parce qu’il implique de lutter contre la surpopulation carcérale. « L’objectif de l’encellulement individuel doit donc continuer à guider notre politique pénitentiaire – ce qui (…) ne serait pas le cas si l’encellulement collectif était admis au même titre que l’encellulement individuel ». Dans le même ordre d’idée, M. Dominique Raimbourg considère, dans sa motion de renvoi en commission, que poser en principe la question de l’encellulement individuel signifie que l’on va lutter contre la surpopulation carcérale, que l’on va consentir l’effort nécessaire. Quant à la question du libre choix, à ce stade elle ne se pose pas. Pour Mme Laurence Dumont, l’encellulement collectif ne constitue en aucun cas un moyen de lutter contre les suicides puisqu’il en est justement l’une des causes. De surcroît, renoncer à l’encellulement individuel pour prévenir ces suicides revient à faire peser sur les codétenus les manquements de l’administration pénitentiaire. Enfin, le libre choix invoqué par le Gouvernement est illusoire du fait de l’impossibilité pour le détenu, dans les faits, d’obtenir satisfaction, sauf à accepter d’être transféré dans un établissement éloigné de sa famille. « C’est bien pour cette raison que peu de demandes ont été enregistrées depuis la parution du décret de Mme Dati, décret qui met en place une usine à gaz en huit étapes de nature à décourager n’importe qui de déposer une demande » (16). Et enfin pour Mme Élisabeth Guigou, le renoncement à l’encellulement individuel est « absolument indigne de notre pays ». Il s’agit d’une des règles pénitentiaires européennes, on ne devrait pas y déroger et il n’y a aucune raison de ne pas se fixer une obligation de résultat. Ce devrait être, au contraire, perçu comme un stimulant puisque cela permettrait de régler enfin le problème de la surpopulation dans nos prisons.
La garde des Sceaux, Mme Michèle Alliot-Marie, répond aux différents intervenants en affirmant qu’il faut sortir du système du « y a qu’à, faut qu’on » en prenant des mesures claires, en se donnant réellement les moyens de ses ambitions, en respectant les termes de la loi et en évitant ces multiples moratoires qui n’ont cessé d’émailler l’histoire depuis 1875. « Nous savons combien il y aura de places en 2012 et ce que nous pourrons alors offrir. »
Quelques semaines plus tard, en octobre, la commission mixte paritaire revient pourtant à la rédaction du Sénat en maintenant la règle de l’encellulement individuel assortie, d’une part, des trois dérogations déjà admises dans notre droit – lorsque les intéressés demandent l’encellulement collectif, lorsque la personnalité des détenus justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls, lorsque les détenus ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent – et, d’autre part, de la reconduction du moratoire pour une période de cinq ans pour la mettre en œuvre (17). Cela permet à l’auteur de ces lignes d’interroger l’Assemblée le 13 octobre 2009 : « Qu’avons-nous fait dans cette commission mixte paritaire ? Il me semble que nous avons sauvé l’essentiel. Nous avons sauvé un principe, l’encellulement individuel, que notre rapporteur et le Gouvernement souhaitaient voir écarté de notre code pénal pour le mettre à égalité, au nom du libre choix, avec l’encellulement collectif. De notre point de vue, cela n’aurait pas été la même chose. À notre grande satisfaction, la majorité de la commission mixte paritaire s’est retrouvée pour revenir à l’écriture du Sénat, mais nous n’avons pas progressé sur l’encellulement individuel, nous avons simplement évité le pire parce que, malheureusement, le vote de cette loi ne changera pas grand-chose, demain, sur ce cancer qui touche l’ensemble de nos établissements pénitentiaires. »
Le Gouvernement n’a plus alors qu’à prendre acte de l’issue de la commission mixte paritaire et c’est au Sénat, le 13 octobre, que Michèle Alliot-Marie se rallie à la décision du Parlement : « Par respect du caractère normatif de la loi – c’est peut-être mon tropisme d’universitaire – et pour éviter un énième moratoire, j’avais souhaité que le texte soit immédiatement applicable. Cela étant, le Sénat et l’Assemblée nationale ont fait un choix différent et je mettrai bien entendu tout en œuvre pour que soit atteint l’objectif à l’issue des cinq ans du moratoire. Les 5 000 places supplémentaires annoncées par le président de la République et destinées à prolonger le plan qui est mis en œuvre depuis 2002 nous permettront de nous rapprocher dans les meilleurs délais de l’objectif qui nous est commun. Soyez assurés, en tout cas, que je ferai le maximum pour respecter ce qui est décidé par le Parlement. »
La loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est publiée au Journal Officiel le 25 novembre 2009. En vertu de son article 100, l’État devra donc, en théorie, être en mesure de garantir une cellule individuelle à chaque détenu au plus tard le 25 novembre 2014. Et l’article 716 du code de procédure pénale, tel qu’il est issu de la loi pénitentiaire est aujourd’hui ainsi rédigé :
« Art. 716. – Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés en cellule individuelle. Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants :
« 1° Si les intéressés en font la demande ;
« 2° Si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’ils ne soient pas laissés seuls ;
« 3° S’ils ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent.
« Lorsque les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placés en cellule collective, les cellules doivent être adaptées au nombre des personnes détenues qui y sont hébergées. Celles-ci doivent être aptes à cohabiter. Leur sécurité et leur dignité doivent être assurées. »
Le moratoire de cinq ans est prévu à l’article 100 de cette même loi pénitentiaire :
« Art. 100. – Dans la limite de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application.
« Cependant, la personne condamnée ou, sous réserve de l’accord du magistrat chargé de l’information, la personne prévenue peut demander son transfert dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un placement en cellule individuelle. »
Durant la XIIIe législature, le gouvernement dirigé par M. François Fillon se montrera volontiers optimiste quant à sa capacité à atteindre – à terme – cet objectif. En réponse à une question écrite posée par l’auteur de ces lignes, le ministre de la Justice, Michel Mercier, informe en janvier 2011 « qu’à l’issue du nouveau programme immobilier, en 2017, 95 % des personnes détenues devront effectivement bénéficier d’une cellule individuelle ». Le premier dessein de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines est d’adapter quantitativement le parc carcéral aux besoins prévisibles à la fin de l’année 2017, en le portant à 80 000 places – ce qui correspond précisément au nombre de personnes écrouées détenues prévu à cette date. Il en ressort implicitement que dès cette époque, le but fixé par le législateur d’une application du principe de l’encellulement individuel dès 2014 semble irréalisable aux yeux de l’exécutif qui, sans l’abandonner, n’en repousse pas moins l’échéance à 2018.
Dès le début de l’actuelle législature, le 28 septembre 2012, le Gouvernement par la voix de la garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira, est contraint d’annoncer que « des projets non prioritaires ou dont le financement n’a jamais été établi sont décalés ou arrêtés » alors même que le budget de la justice pour 2013 est porté à 7,7 milliards d’euros traduisant ainsi la priorité accordée. C’est ainsi en particulier que « la programmation de la construction de prisons, notamment via des partenariats publics-privés dans ce secteur, est (…) remise en cause, en cohérence avec un changement de cap de la politique pénale, consistant à réduire le nombre d’incarcérations en privilégiant les peines alternatives » (18). En l’espèce, le nouveau programme immobilier prévoit la construction de 6 500 nouvelles places de détention, la fermeture de 1 082 places de détention particulièrement vétustes (+ 5 418 au total, donc) et la rénovation d’établissements d’envergure. Grâce à « ce programme entièrement financé » l’ambition est alors « de doter le parc pénitentiaire français d’environ 63 500 places de détention à l’horizon 2019 » (19).
Dans une question écrite n° 47402 déposée le 14 janvier 2014, après avoir rappelé l’engagement de Mme Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux du Gouvernement de M. François Fillon, à la fin des débats sur le projet de loi pénitentiaire, de faire en sorte que l’encellulement individuel devienne la règle le 25 novembre 2014, votre rapporteur interrogea la garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira, afin de savoir « si le Gouvernement fait sien cet engagement et si tel était le cas, quels sont les moyens mobilisés pour le concrétiser ». L’absence de réponse alors même que le moratoire devait expirer le 25 novembre 2014, ne laissait alors guère de doute sur l’intention de la direction de l’administration pénitentiaire. C’est donc sans réelle surprise que le Gouvernement a demandé à l’Assemblée nationale, lors de la discussion en séance des crédits de la mission « Justice » dans le projet de loi de finances pour 2015, de le prolonger jusqu’à la date du 31 décembre 2017.
Ainsi c’est le 23 octobre 2014, lors de la commission élargie consacrée à son budget que Mme Christiane Taubira indique qu’« il apparaît évident qu’étant donnée la surpopulation carcérale, cette disposition ne pourra pas être respectée à la date dite » et qu’en conséquence le Gouvernement « soumettra donc un amendement proposant de proroger le moratoire jusqu’en décembre 2017. Mais alors que le précédent moratoire ne prévoyait aucun dispositif d’accompagnement, le Gouvernement s’engagera cette fois à présenter au Parlement un état budgétaire et opérationnel de l’encellulement individuel ». Cette démarche, loin de signifier le refus d’une « d’une réflexion sur l’organisation des journées en prison et sur les éléments qui caractérisent la dignité des personnes détenues », est, selon la garde des Sceaux, uniquement mue par « le risque de contentieux qui découlerait du non-respect de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt à partir du 24 novembre 2014 ».
La perspective suscite naturellement un premier échange duquel il ne ressort pas une très grande appétence des parlementaires pour l’approbation d’un nouveau report. Peut-être certains avaient-ils présentes à l’esprit les phrases de M. Robert Badinter prononcées devant la commission d’enquête de 2000 : « Il y a des périodes favorables et des périodes défavorables : périodes favorables quand survient, comme maintenant, une prise de conscience de la réalité des prisons. Ces périodes cessent par le jeu des circonstances ; que survienne une prise d’otage, qu’un gardien soit, hélas victime d’un grave attentat dans une prison et aussitôt le climat change. Il existe donc des moments pendant lesquels on peut agir. Je pense que nous sommes à l’un de ces moments ». (20)
Le débat dans l’hémicycle se déroula le 28 octobre 2014 (21). La ministre de la Justice présenta sa double démarche. D’abord le souhait d’un nouveau moratoire complété « d’éléments que le Gouvernement sera obligé de présenter au Parlement, l’état des lieux et les progrès » et ensuite la détermination à réfléchir aux différents aspects de la dignité humaine : « L’encellulement individuel est-il le seul paramètre ? […] Ne devons-nous pas plutôt travailler sur les conditions de détention, la dignité de la détention, les règles pénitentiaires européennes, les diverses définitions données et la mise en pratique ? »
Dans la confrontation qui suivit ces propositions, votre rapporteur a fait valoir qu’il ne paraissait pas souhaitable de voter un nouveau moratoire sans un examen de la question au fond qui pourrait être confié à « un membre du bureau de la commission des Lois qui connaît bien ces questions pour avoir fait des propositions à ce sujet, dans le cadre d’une mission d’information, au début du quinquennat ». De surcroît, l’engagement était aussi donné par votre rapporteur que « la commission des Lois puisse consacrer du temps » à une question que les législatures précédentes ne purent régler.
Le Gouvernement valida ces propositions, retirant son amendement et confiant par un décret du Premier Ministre en date du 10 novembre 2014 à notre collègue Dominique Raimbourg une mission temporaire auprès de la garde des Sceaux sur cette question de l’encellulement individuel (22).
Parallèlement, votre rapporteur a souhaité procéder à la visite de trois établissements pénitentiaires à Orléans-Saran, Béthune et Osny, au cours desquels il a pu entendre les personnels quotidiennement confrontés à la gestion d’établissements surpeuplés et échanger avec plusieurs personnes détenues. Une nouvelle fois, il a pu constater à quel point ces conditions de détention étaient pesantes pour le personnel, et notamment celui chargé de la surveillance, quel que soit le dévouement des personnes rencontrées auxquelles il adresse ses remerciements les plus sincères.
Comment ne pas voir que si la surpopulation est déjà un problème en elle-même, compte tenu du surcroît de travail qu’elle occasionne, ses effets induits sur la crédibilité et l’autorité de l’institution sont encore plus destructeurs ? Comment ne pas comprendre la lassitude des surveillants qui se sentent ainsi dépossédés de toutes les missions gratifiantes au profit d’une mission exclusive de gestion des flux ? Faut-il vraiment accepter la vétusté des locaux visités (la maison d’arrêt de Béthune fut construite en 1895), les difficultés d’accès aux soins et à l’éducation, la vie familiale rendue difficile ? Et que dire de la carence du pouvoir judiciaire dans sa mission de contrôle des établissements, à laquelle s’ajoute l’insuffisance de l’administration centrale à apporter des réponses adaptées et qui continue à travailler avec des méthodes de fonctionnement dépassées qui contribuent très largement à désorganiser le service pénitentiaire qui peut apparaître alors livré à lui-même ?
Le pire n’est pourtant pas dans ces constats. Le plus choquant est au fond notre acceptation collective et sociale de cet état de fait. Les dénonciations sont légion (23) mais parce les moyens ne sont jamais à la hauteur des défis, l’immobilisme l’emporte toujours. On sait que la surpopulation carcérale a des effets désastreux mais on continue d’enfermer. Qu’importe les rapports parlementaires, européens, internationaux, les condamnations de notre pays par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses conditions lamentables de détention, on s’indigne et on ne change rien.
Votre rapporteur a également souhaité que la commission des Lois puisse procéder à l’audition de plusieurs spécialistes des questions pénitentiaires. Furent ainsi successivement entendus, le jeudi 13 novembre dernier, M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique et auteur de plusieurs ouvrages sur les prisons, M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire, Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, et M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).
La Commission a, en outre, reçu des contributions écrites de MM. Michel David, psychiatre et président de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), Jean-Paul Céré, professeur de droit pénitentiaire à l’Université de Pau, et Éric Senna, magistrat et maître de conférences à l’Université de Montpellier.
Le présent rapport d’information poursuit une ambition délibérément modeste : faire que ce nouveau rendez-vous pénitentiaire ne soit pas une simple péripétie du calendrier législatif. S’en remettre à la seule construction de places de prisons supplémentaires pour régler la surpopulation carcérale conduit à l’impasse. S’en contenter ne serait que le masque d’une impuissance politique.
La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a commencé à dessiner un autre chemin. Comme l’a rappelé en séance publique le 3 juin 2014 la garde des Sceaux « l’incarcération, doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours ; et si elle ne peut être évitée, il convient de tout faire pour en limiter la durée en ayant recours dès que possible aux alternatives à la peine et aux aménagements de peine ». La question de la surpopulation carcérale doit donc être appréhendée à cette aune.
Ce rapport a ainsi pour vocation d’être une contribution utile à son règlement par exemple en apportant des éléments statistiques bien trop difficiles à réunir. Nul doute que le compte-rendu des auditions de la commission des Lois apportera bien des réponses à ceux qui travaillent dans l’univers pénitentiaire ou à ceux qui l’analysent.
De même, il permet d’énumérer quelques convictions de votre rapporteur qui servent de base à des suggestions destinées à nourrir le délicat travail confié à notre collègue M. Dominique Raimbourg.
À l’issue de ces travaux, une lucide mais désolante conclusion s’impose : l’encellulement individuel ne pourra pas être garanti dans les maisons d’arrêt le 25 novembre 2014, jour de l’expiration du moratoire prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, et il demeurera simplement un objectif (I). Or, dans un contexte de surpopulation carcérale massive, les conséquences du non-respect du droit à l’encellulement individuel sur la dignité des personnes et le sens de la privation de liberté sont désastreuses (II). Mais des voies peuvent être empruntées pour sortir de l’impasse en donnant enfin corps à ce principe plus que centenaire (III).
I. L’ENCELLULEMENT INDIVIDUEL : UN PRINCIPE QUI VA RESTER UN OBJECTIF
Au 1er novembre 2014, le parc pénitentiaire français compte 58 054 places opérationnelles, pour une population écrouée de 66 494 personnes. Globalement, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires français s’établit à 114,5 %.
Mais ce taux global de sur-occupation est une donnée trompeuse. Tout d’abord, comme l’a souligné M. Pierre Victor Tournier devant la commission des Lois, il ne tient pas compte des places inoccupées, dont le nombre s’élevait à la même date à 3 724. Si l’on tient compte de ces places inoccupées, le taux d’occupation de l’ensemble des établissements pénitentiaires français grimpe à 122,4 %.
Surtout, ce taux global agrège le taux d’occupation des établissements pour peines qui – sauf exception en outre-mer et dans certains centres de semi-liberté – ne sont pas sur-occupés, voire pour certains sont sous-occupés, et le taux d’occupation des maisons d’arrêt, soumises à des taux d’occupation des plus élevés pouvant dépasser les 200 %.
Le tableau ci-après, qui fournit les taux d’occupation des deux catégories d’établissements pour chacune des interrégions pénitentiaires françaises, montre parfaitement la différence de situation entre les établissements pour peines et les maisons d’arrêt : alors que les premiers ont un taux d’occupation global de 90,6 %, celui des secondes s’élève à 131,5 %.
Ces premiers chiffres confirment une réalité bien établie depuis 1976 : dans les établissements pour peines existe un numerus clausus qui régule la suroccupation du parc (24).
TAUX D’OCCUPATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES FRANÇAIS
PAR INTERRÉGION ET CATÉGORIE AU 1ER OCTOBRE 2014
Maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt |
Établissements pour peines |
Ensemble | |||||||
Capacité opérationnelle |
Nombre de personnes écrouées |
Taux d’occupation |
Capacité opérationnelle |
Nombre de personnes écrouées |
Taux d’occupation |
Capacité opérationnelle |
Nombre de personnes écrouées |
Taux d’occupation | |
Bordeaux |
2 149 |
2 279 |
106,0 % |
3 088 |
2 687 |
87,0 % |
5 237 |
4 966 |
94,8 % |
Dijon |
2 484 |
2 456 |
98,9 % |
3 012 |
2 656 |
88,2 % |
5 496 |
5 112 |
93,0 % |
Lille |
4 560 |
5 904 |
129,5 % |
3 568 |
3 236 |
90,7 % |
8 128 |
9 140 |
112,5 % |
Lyon |
3 668 |
4 203 |
114,6 % |
1 813 |
1 605 |
88,5 % |
5 481 |
5 808 |
106,0 % |
Marseille |
3 893 |
5 862 |
150,6 % |
2 260 |
2 053 |
90,8 % |
6 153 |
7 915 |
128,6 % |
Paris |
7 042 |
10 480 |
148,8 % |
2 069 |
1 931 |
93,3 % |
9 111 |
12 411 |
136,2 % |
Rennes |
2 979 |
3 917 |
131,5 % |
2 372 |
1 992 |
84,0 % |
5 351 |
5 909 |
110,4 % |
Strasbourg |
2 562 |
3 309 |
129,2 % |
2 361 |
2 106 |
89,2 % |
4 923 |
5 415 |
110,0 % |
Toulouse |
2 649 |
3 714 |
140,2 % |
1 755 |
1 572 |
89,6 % |
4 404 |
5 286 |
120,0 % |
Outre-mer |
2 033 |
2 597 |
127,7 % |
1 737 |
1 935 |
111,4 % |
3 770 |
4 532 |
120,2 % |
Total |
34 019 |
44 721 |
131,5 % |
24 035 |
21 773 |
90,6 % |
58 054 |
66 494 |
114,5 % |
Source : ministère de la Justice, Statistique mensuelle de la population détenue et écrouée.
La capacité des cellules est définie par une circulaire du 16 mars 1988 en fonction de leur superficie au sol. Ainsi, une cellule d’une superficie jusqu’à 11 m² a théoriquement une capacité d’accueil d’un détenu, une cellule de plus de 11 m² jusqu’à 14 m² inclus une capacité d’accueil de deux détenus et une cellule de plus de 14 m² jusqu’à 19 m ² inclus une capacité d’accueil de trois détenus. La circulaire décline ainsi la capacité d’accueil des cellules en fonction de leur superficie, les plus grandes pouvant accueillir jusqu’à vingt détenus dans une surface minimale de 94 m². Compte tenu de ces superficies, les 58 054 places opérationnelles du parc pénitentiaire français se répartissent en 49 681 cellules dont 40 857 pour une personne, 6 653 pour deux personnes, 2 271 pour trois personnes ou plus – dont 213 entre cinq et dix places (25).
En raison du sureffectif permanent régnant dans les maisons d’arrêt, la majorité des détenus sont amenés à cohabiter à plusieurs dans des cellules destinées, selon les normes de la circulaire précitée, à un nombre inférieur de personnes.
Le tableau ci-après, réalisé à partir des données communiquées par la direction de la maison d’arrêt de Béthune que votre rapporteur a visitée, illustre la situation qui prévaut dans la majorité des maisons d’arrêt.
RÉPARTITION DES DÉTENUS DANS LES CELLULES
DE LA MAISON D’ARRÊT DE BÉTHUNE À LA DATE DU 31 OCTOBRE 2014
Nombre d’occupants par cellule |
Nombre de cellules |
Nombre de détenus |
Pourcentage de détenus dans chaque type de cellule |
0 |
15 |
0 |
— |
1 |
21 |
21 |
5,9 % |
2 |
100 |
200 |
56,2 % |
3 |
41 |
123 |
34,6 % |
4 |
3 |
12 |
3,4 % |
Total |
180 |
356 |
100 % |
Taux d’occupation |
198 % |
Source : direction de la maison d’arrêt de Béthune
Alors que les 180 cellules de l’établissement ont une superficie identique de 9 m² et devraient donc toutes, théoriquement, n’être occupées que par un seul détenu, l’établissement accueillait, au 31 octobre 2014, 356 détenus, ce qui correspond à un taux d’occupation de 198 %. Sur les 180 cellules de l’établissement, 15 étaient inoccupées, les 356 détenus devant donc être répartis dans 165 cellules. Seuls 21 détenus, représentant 5,9 % de l’effectif total, occupaient une cellule individuelle. 200 détenus occupaient une cellule à deux (56,2 %), 123 détenus une cellule à 3 (34,6 %) et 12 détenus une cellule à 4 (3,4 %).
L’ensemble de ces chiffres met en évidence le fait que la France ne sera pas en capacité, très loin s’en faut, de mettre en œuvre le principe de l’encellulement individuel le 25 novembre 2014, jour de l’expiration du moratoire prévu par l’article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
En outre, et comme l’a souligné M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire devant la Commission, l’objectif de construction de places de prison fixé par la garde des Sceaux est de parvenir à un parc de 63 500 places de détention d’ici à 2020, réparties en 54 400 cellules, mais les prévisions d’évolution de la population écrouée sur lesquelles a été basée la construction du budget de l’administration pénitentiaire ont été établies à 66 200 détenus en 2017. Ainsi, il apparaît peu probable que la configuration du parc pénitentiaire permette une mise en œuvre effective et générale du principe de l’encellulement individuel dans les dix années à venir.
II. LES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES DU NON-RESPECT DE CE DROIT
Être incarcéré seul en cellule peut s’avérer difficile à supporter, et il n’est pas rare de rencontrer en prison des personnes détenues qui disent préférer cohabiter avec un codétenu, sous réserve de s’entendre suffisamment bien avec celui-ci et de disposer d’un espace suffisant. On peut d’ailleurs relever qu’en 1875, le législateur lui-même considérait l’encellulement individuel comme un mode de détention plus pénible que l’encellulement collectif et octroyait, de ce fait, une réduction de peine d’un quart de la durée de la peine prononcée aux détenus ayant subi leur peine seuls en cellule (26).
On peut également relever que ni la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ni les règles pénitentiaires européennes (RPE) – qui sont des règles incitatives, dépourvues de portée contraignante (27) – ne font de l’encellulement individuel un droit absolu pour les détenus, comme le souligne M. Jean-Paul Céré, professeur de droit pénitentiaire à l’Université de Pau, dans la contribution qu’il a adressée à la Commission (28). Ainsi, la règle 18.5 des RPE prévoit-elle que « [c]haque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus », tandis que la règle 18.6 prévoit la possibilité qu’une cellule soit partagée à condition d’être « adaptée à un usage collectif et (…) occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter ».
Cependant, le contexte de surpopulation carcérale massive et durable que connaît notre pays rend les conséquences du non-respect du droit à l’encellulement individuel désastreuses, à la fois sur le plan de la dignité des personnes et sur celui du sens de la privation de liberté. Les visites que votre rapporteur a effectuées dans trois établissements pénitentiaires ont été particulièrement éclairantes sur ces conséquences.
Si tous les détenus ne souhaitent pas être seuls en cellule, la première conséquence de la surpopulation est que ceux qui souhaiteraient effectivement l’être n’en ont pas la possibilité. Beaucoup de détenus se trouvent ainsi en situation de cohabitation subie qui, compte tenu de l’exiguïté des cellules, est source de beaucoup de tensions en détention, qui peuvent aller jusqu’à l’exercice de violences, contre les codétenus ou contre les personnels.
Ces violences touchent plus particulièrement les détenus vulnérables de par leur âge, leur handicap ou l’infraction qui les a conduits en prison. Dans la contribution écrite qu’il a adressée à la Commission, M. Michel David, psychiatre et président de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, souligne l’importance des « états anxieux face aux tensions d’une vie collective, de violences ordinaires, d’attentes sans délais des courriers, des autorisations de parloirs, des audiences auprès des juges qui ne viennent pas, des avocats que l’on attend désespérément, des consultations médicales qui peuvent ne pas venir comme on le voudrait, malgré des douleurs persistantes (et notamment dentaires), des rackets multiples ou des violences diverses dont sexuelles (et que la surpopulation n’évite pas) » et estime qu’« [u]n contexte aussi violent ne peut supporter un patient nettement malade psychiatriquement, qui délire, est plus ou moins incurique, se montre inadapté à l’organisation interne de la cellule et finalement devient une victime du fait de sa vulnérabilité de la part de ses codétenus ».
Certes, les personnels pénitentiaires déploient beaucoup d’énergie et de bonne volonté pour limiter les désagréments de ces cohabitations subies et réduire les risques pour les détenus vulnérables, en s’efforçant de trouver pour chaque détenu le ou les codétenus avec lesquels la vie en commun sera la plus tolérable. Mais comme l’ont souligné les personnels de la maison d’arrêt d’Osny rencontrés par votre rapporteur, les questions d’affectation en cellule et la gestion des urgences liées à des conflits entre détenus en cellule accaparent l’essentiel de leur temps et de leur énergie, au détriment de leurs autres activités et notamment des missions destinées à la réinsertion.
Une deuxième conséquence de la surpopulation carcérale est le manque d’activités accessibles aux détenus, qui aboutit à ce que la majorité des détenus en maison d’arrêt passe entre 20 et 22 heures par jour dans sa cellule, la seule « activité » de la journée résidant dans la promenade. Des listes d’attente de plusieurs semaines voire plusieurs mois sont mises en place pour pouvoir accéder au travail en atelier ou comme auxiliaire, à l’enseignement dispensé par l’Éducation nationale, à la formation professionnelle, aux activités organisées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, au sport ou encore aux cérémonies cultuelles. Ce manque d’activités suscite beaucoup de frustrations, de tensions et d’incompréhension de la part des détenus auxquels il est demandé de manifester des efforts de réinsertion, mais qui ne peuvent en pratique accéder à aucune activité ou presque.
La surpopulation entrave également le maintien des liens familiaux, la durée et parfois le nombre des parloirs devant en maison d’arrêt être réduits pour permettre à l’ensemble des détenus d’y avoir accès. Entravés dans leurs contacts avec leurs proches, privés d’intimité avec eux, les détenus affectés par la surpopulation ne peuvent que vivre plus difficilement encore la promiscuité qui leur est imposée en cellule.
Au final, c’est donc moins le fait que tous les détenus ne soient pas seuls en cellule qui fait difficulté, que la surpopulation carcérale qui frappe les maisons d’arrêt et aboutit à ce que les détenus souhaitant être seuls en cellule ne puissent pas l’être, à ce que des détenus vulnérables puissent se trouver mis en danger par la cohabitation qui leur est imposée et à ce que le droit des détenus d’accéder à des activités et de maintenir les liens avec leur famille soit réduit. Ce sont ces conséquences de la surpopulation qui peuvent porter atteinte à la dignité des personnes et font perdre à la privation de liberté tout le sens et l’intérêt qu’elle pourrait avoir.
III. UNE VOLONTÉ POUR SORTIR DE L’IMPASSE DES MORATOIRES
Depuis bientôt quinze ans, le Parlement n’a cessé de réaffirmer son attachement au principe de l’encellulement individuel, tout en repoussant systématiquement son entrée en application effective.
Cette solution du report a été, à nouveau, proposée par le Gouvernement mais l’Assemblée nationale l’a, cette fois-ci, refusé. Face à un problème si grave et si ancien, la procrastination et le déni de réalité ne sont désormais plus une option. Dans l’avis présenté le 24 mars 2014, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait souligné les inconvénients d’un nouveau report : « Plus le délai est repoussé, d’ailleurs, moins la mise en œuvre effective de l’encellulement individuel peut avoir de crédibilité. De mal nécessaire, le report prendrait le corps d’un expédient commode pour ne pas prendre les mesures qui s’imposent. » (29)
Pour votre rapporteur, une solution de fond, durable et réaliste, doit être trouvée pour sortir notre pays de l’impasse dans laquelle il se débat depuis trop longtemps. Lors des déplacements effectués, au cours des auditions menées ainsi que dans les contributions écrites reçues, de nombreuses pistes ont été avancées pour donner enfin corps au principe de l’encellulement individuel.
La première piste possible est celle de la construction de places de prison. Au cours des dix dernières années, notre pays a déjà considérablement augmenté la capacité de son parc pénitentiaire, et le Gouvernement prévoit de poursuivre cet effort d’agrandissement pour porter la capacité d’accueil à 63 500 places en 2017 et à 65 000 places en 2020 (30). Cependant, aussi nécessaire qu’il puisse être, cet agrandissement du parc pénitentiaire, qui a en outre permis de moderniser ce dernier et de fermer certains des établissements les plus vétustes, ne saurait être l’unique réponse apportée au problème de la surpopulation carcérale.
Comme l’ont rappelé les directeurs des établissements rencontrés, les projets de construction resteront structurellement insuffisants pour endiguer le flux croissant de population carcérale. C’est pour votre rapporteur une course sans fin. Comme l’avait souligné M. Jean-René Lecerf, qui fut le rapporteur du projet de loi pénitentiaire au Sénat, dans un avis budgétaire sur les crédits de la mission « Justice » présenté en novembre 2011, « l’accroissement des capacités de détention n’a d’autre effet que d’encourager de nouvelles incarcérations, à rebours de la volonté exprimée notamment par les commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale, de rompre le cercle vicieux entre l’accroissement du nombre de détenus et l’augmentation des capacités d’accueil en prison » (31). M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire, l’a également souligné lors de son audition par la Commission : « la nature ayant horreur du vide, nous n’avons pas la garantie que le problème de la surpopulation carcérale serait définitivement résolu avec la construction de ces nouvelles places, si nous ne modifions pas par ailleurs nos pratiques en matière d’incarcération ». Les personnels du centre pénitentiaire d’Orléans-Saran, mis en service en juillet 2014, ont parfaitement illustré cette réalité, en indiquant à votre rapporteur que l’établissement, construit pour accueillir des détenus des environs d’Orléans et de Chartres, commencerait à voir arriver des détenus de Blois, voire d’Ile-de-France, les magistrats saisissant l’opportunité d’un établissement neuf et pas encore saturé pour incarcérer des personnes qui, sans cette circonstance, ne l’auraient peut-être pas été.
La deuxième piste possible consiste à développer davantage les aménagements de peine et les alternatives à la prison, dans la continuité des évolutions engagées par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire et la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. Cette dernière loi doit, en particulier, permettre de faire en sorte qu’avec un niveau de sécurité égal pour nos concitoyens, certaines personnes qui n’ont pas leur place en prison n’y entrent pas ou en sortent de façon anticipée, dans le cadre d’un aménagement de peine préparé et accompagné plutôt qu’en « sortie sèche » comme cela est encore majoritairement le cas (32).
Lors des visites que votre rapporteur a effectuées à Orléans-Saran, Béthune et Osny, les personnels des établissements ont, à plusieurs reprises, estimé que certains détenus « n’ont pas leur place en prison », soit en raison de leur âge élevé ou du handicap physique ou mental dont ils sont atteints, soit du fait de la nature de l’infraction commise – citant le cas de certains délits routiers ou de l’usage de stupéfiants –, soit en raison de l’ancienneté de l’infraction, soit encore en raison de la brièveté de la peine prononcée qui empêche tout travail effectif sur la réinsertion. L’application des dispositions de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 précitée devrait permettre de desserrer un peu l’étau de la surpopulation pénale en favorisant le prononcé d’une peine autre que l’emprisonnement – telle que la contrainte pénale – pour les personnes pour lesquelles l’incarcération est inadaptée ou disproportionnée mais est aujourd’hui décidée par défaut, notamment grâce au mécanisme d’ajournement du procès pénal pour investigations sur la personnalité (33). Elle devrait également limiter les entrées en détention pour des faits anciens, grâce à la nouvelle procédure de reconvocation obligatoire devant le juge de l’application des peines des personnes sous le coup d’une condamnation à un emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans qui n’a pas été exécutée plus de trois ans après qu’elle a acquis un caractère définitif (34). Elle devrait, enfin, permettre la sortie anticipée de personnes détenues dans le cadre d’une libération sous contrainte (35) ou d’une suspension de peine pour motif médical – dont les conditions ont été assouplies dans le cadre de l’exécution d’une peine et qui a été créée dans le cadre de la détention provisoire (36).
Pour que l’ensemble de ces dispositions législatives puisse avoir son plein effet, certaines personnes ont proposé la mise en place d’instances locales de régulation chargées d’adapter les flux d’entrée et de sortie aux capacités d’accueil des établissements pénitentiaires. Ces instances associeraient les autorités judiciaires et les responsables de l’administration pénitentiaire, voire le représentant de l’État dans le département.
Allant plus loin, Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, après avoir constaté que la prison était le seul lieu républicain qui continuait d’accueillir ses « usagers » lorsque sa capacité d’accueil était atteinte et même largement dépassée, a préconisé l’instauration d’un mécanisme consistant à interdire le dépassement de la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires et à ne permettre une nouvelle entrée en détention qu’après qu’une sortie a eu lieu, le cas échéant en accélérant la sortie des détenus dont la libération est la plus proche (37). L’instauration d’un tel mécanisme, pouvant être qualifié de « numerus clausus », avait déjà été proposée sous la présente législature par notre collègue Dominique Raimbourg en conclusion des travaux de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale (38).
Une autre piste a été avancée par précédent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son avis précité du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, consistant à « commencer à rétablir l’encellulement individuel dans la rigueur des principes du code de procédure pénale au bénéfice de certaines catégories de personnes détenues, déterminées par un texte réglementaire » et « à entrer par conséquent dans une dynamique de retour progressif des principes du code dans la réalité carcérale ». Pour M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté à la date de publication de cet avis, dont la proposition est reprise par sa successeure Mme Adeline Hazan (39), les détenus devant accéder de façon prioritaire – à moins d’une demande expresse et non équivoque contraire – à l’encellulement individuel devraient être les « personnes souffrant de handicaps, entraînant des pertes d’autonomie, notamment de pathologies invalidantes ou bien des personnes sourdes et muettes ou encore aveugles ; [les] personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ; [les] personnes fragiles à raison des maladies dont elles sont atteintes, en particulier des affections mentales les plus sérieuses ; [les] personnes de nationalité étrangère qui n’entendent pas la langue française » (40).
Reprenant à son compte cette idée de définir des publics prioritaires, M. Pierre Victor Tournier a proposé de réserver l’encellulement individuel par priorité aux prévenus, jugeant anormal que ces derniers, présumés innocents, soient moins bien traités au regard des conditions de détention que les condamnés, qui ont été déclarés coupables.
Cependant, les personnels rencontrés par votre rapporteur lors de ses déplacements ont unanimement estimé délicat de définir des catégories devant bénéficier a priori de l’encellulement individuel, chaque situation devant être traitée dans sa singularité.
A également pu être évoquée l’idée d’une compensation de l’incarcération dans une cellule surpeuplée sous forme de remise de peine. Mise en œuvre en Italie, comme l’indique M. Éric Senna, magistrat et maître de conférences à l’Université de Montpellier, dans la contribution écrite qu’il a adressée à la Commission, cette mesure pourrait constituer à la fois une mesure de justice pour les détenus ayant à subir des conditions d’incarcération dégradées et une incitation pour les pouvoirs publics à mettre fin au plus vite au phénomène de surpopulation.
Enfin, nombre de personnes entendues par votre rapporteur lors de ses déplacements ont estimé que, tout autant – voire davantage – que sur la question de l’encellulement individuel, l’effort des pouvoirs publics devrait porter sur les activités auxquelles ont accès les détenus pendant la journée. Cette position a été résumée par M. Paul Mbanzoulou devant la Commission : « Il ne me semble pas que l’encellulement individuel doive être l’alpha et l’oméga de la pensée pénitentiaire : il conviendrait de l’insérer dans un projet global intégrant aussi la question de la vie sociale en prison. Car lorsque l’on sera parvenu à donner une cellule à chaque personne détenue, l’objectif sera-t-il qu’elle y reste 23 heures sur 24 ? » La réponse à cette question ne saurait évidemment être que négative. Chaque détenu, qu’il soit hébergé individuellement ou avec un codétenu en cellule, doit avant tout pouvoir accéder à des activités destinées, selon les termes de l’article 707 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 précitée, à « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions ».
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De sa première visite en détention, il y a six ans, votre rapporteur a conservé une impression ineffaçable. Il y avait bien sur l’odeur singulière de la prison, mélange d’air confiné, de relents de nourriture et de désinfectant ; et puis aussi les bruits, du claquement des serrures à la fermeture des grilles, des portes, et des cris lancés par les surveillants ou les détenus dans les couloirs ou à travers les portes des cellules. Mais il y eut surtout la découverte de la surpopulation endémique des maisons d’arrêt, la vétusté des locaux, l’exiguïté des cellules, l’oisiveté des détenus, l’insuffisance des moyens.
Durant la XIIIe législature, l’Assemblée nationale eut nombre d’occasions d’évoquer les prisons. À chaque fois, votre rapporteur chercha, avec d’autres, à y apporter sa contribution qu’il voulait positive. Beaucoup de mots furent prononcés pour dénoncer bien des maux. Mais trop peu a été fait et rien n’a vraiment changé. Les prisons restent des lieux où le temps est autre, distendu, inévitable. On ne rendra jamais assez hommage aux personnels qui accompagnent les détenus, ou tentent de le faire, dans leur lent parcours et dont la charge de travail finit par être épuisante.
Il est vrai que la persistante opacité du monde clos pénitentiaire est pour les responsables politiques un confort relatif, l’opinion ne s’y intéresse guère, sauf par bouffées (41), et les détenus comme les surveillants n’y peuvent guère. Mais heureusement, le droit pénitentiaire évolue sur le modèle du droit des étrangers sous le coup des condamnations. Et peu à peu émerge le concept de « prison de droit » (42) dans laquelle un droit fondamental doit rester un droit fondamental en toutes circonstances. La dignité humaine n’est pas une matière malléable à merci, soumise aux aléas du moment ou aux intérêts particuliers, aussi estimables soient-ils. Ce qui est si choquant hors les murs de la prison l’est tout autant derrière les murs de la prison.
Voilà pourquoi, pour votre rapporteur, toutes les occasions sont à saisir pour sortir des sentiers battus et trouver des réponses adaptées à la situation.
COMPTE-RENDU DES AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
La Commission, lors de sa séance du 13 novembre 2014, procède à des auditions consacrées à l’encellulement individuel : audition de M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS ; de M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire ; de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ; de M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire.
La Commission procède d’abord à l’audition de M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Comme je l’ai indiqué dans un courrier adressé aux membres de la Commission lors de l’examen des crédits de la mission « Justice » sur le projet de loi des finances pour 2015, un débat s’est engagé sur la prolongation du moratoire de cinq ans, prévu par la loi pénitentiaire de 2009, sur l’application de l’encellulement individuel. À l’occasion de ce débat en commission élargie comme en séance, lors de la présentation d’un amendement que le Gouvernement a accepté de retirer, j’ai proposé qu’un travail de fond soit engagé sur cette question par notre Commission dans les meilleurs délais, en tout cas avant toute décision d’une éventuelle prolongation du moratoire. Je rappelle que ce dernier, prévu par l’article 100 de la loi pénitentiaire, arrive à terme le 25 novembre prochain. Il nous faut donc nous pencher très rapidement sur le sujet, sachant que nos travaux sont destinés à aider Dominique Raimbourg, auquel la garde des Sceaux a confié une mission, qui doit achever son travail avant le 30 novembre.
C’est pourquoi, en accord avec lui, nous avons prévu un cycle d’auditions qui commencera par celle de M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, qui connaît bien mieux que chacun ici la statistique pénale. Il a du reste beaucoup écrit sur le sujet qui nous intéresse.
Nous recevrons ensuite M. Charles Giusti, directeur adjoint de l’administration pénitentiaire, Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté et M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP). Nous avions prévu de terminer avec l’audition de Mme Pierrette Poncela, directrice du centre de droit pénal et de criminologie à l’Université Paris-Ouest Nanterre, mais, souffrante, elle nous a demandé de bien vouloir l’excuser.
Si vous n’y voyez pas d’obstacle, ces auditions feront l’objet d’un compte rendu qui sera publié dans le cadre d’un rapport d’information de la Commission et qui me permettra notamment de faire état des visites que j’ai conduites au cours des trois dernières semaines dans plusieurs établissements pénitentiaires : à Orléans-Saran, inauguré par la garde des Sceaux l’été dernier ; à Béthune, établissement datant de 1895 ; à Osny, enfin, dans le Val-d’Oise.
Ces auditions seront une contribution de la Commission au travail de son vice-président, Dominique Raimbourg, afin qu’il puisse proposer les meilleures préconisations possibles avant que le Parlement ne soit saisi de suggestions d’aménagement sur cette question sensible et centrale de l’encellulement individuel.
M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS. La question qui vous intéresse me préoccupe depuis quelques années, puisque je l’ai découverte en février 1979, au moment de mon recrutement par l’administration pénitentiaire.
J’interviens ici en tant que chercheur fonctionnaire d’État et avec grand plaisir. Je suis souvent intervenu devant cette commission et j’ai eu le privilège appréciable, pour un chercheur dont la priorité est d’informer les pouvoirs publics et en particulier le Parlement, d’être écouté et même, parfois, entendu sur des points importants.
J’ai beaucoup écrit sur le sujet. Mes trois livres les plus récents l’abordent de façon approfondie ; ils ont été mis à la disposition de la présidence de la Commission et de certains députés ici présents.
Vous allez entendre tout l’après-midi des données chiffrées, et il serait paradoxal que je ne vous en livre pas moi-même quelques-unes, étant donné que c’est mon métier – j’ai une formation mathématique –, d’autant que les données que je vous présenterai ne sont pas nécessairement celles qu’on va vous livrer. C’est en effet aussi mon métier que d’aborder différemment une administration qui a la responsabilité de gérer les choses.
Je suis un chercheur engagé. Je n’appartiens à aucun parti politique, mais je suis président de l’association « DES Maintenant en Europe », organisation ouvertement politique puisqu’elle s’affirme social-démocrate au sens européen du terme. Au-delà de l’analyse scientifique stricto sensu, mon propos s’appuiera principalement sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et en particulier sur son article 3 qui interdit la torture, les traitements inhumains ou dégradants.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je préciserai la philosophie qui sous-tend mes travaux depuis des années. Christiane Taubira l’a dit à La Rochelle : « Je crois à la vertu de la prison républicaine. » Eh bien, après des années passées à avoir étudié ces questions, moi aussi je crois à la vertu de la prison républicaine. Je ne suis pas favorable à l’abolition des courtes peines – je crois donc à leur vertu – ; et je ne crois plus à la nécessité d’abolir la peine perpétuelle, c’est-à-dire que je crois à la vertu de la réclusion criminelle à perpétuité dans certaines conditions, et, à ce titre, je me félicite de la décision annoncée ce matin par la Cour européenne des droits de l’homme.
Ensuite, face à la surpopulation des prisons, traditionnellement, deux positions idéologiques s’affrontent : une partie de la droite réclame plus de places en prison ; une partie de la gauche exige quant à elle qu’il y ait moins de détenus. Pour reprendre à nouveau une expression de Christiane Taubira, je suis opposé à toute démarche de type binaire – comme le veut d’ailleurs mon métier de scientifique. Ma position est donc la suivante : il faut diminuer le nombre de détenus, mais pas n’importe comment, c’est-à-dire à sécurité égale, voire à sécurité supérieure , il faut également construire de nouvelles prisons, mais, une fois encore, pas dans n’importe quelles conditions.
Mon livre La question pénale au fil de l’actualité, publié il y a un mois, reproduit mon article du 31 juillet 2011 paru sur le site leplus.nouvelobs.com. C’était à l’occasion de cette fameuse affaire provoquée par le procureur de la République de Dunkerque, et ma chronique s’intitulait : « La tentative d’un procureur pour limiter la surpopulation carcérale – Une décision de bon sens ? », question à laquelle je répondais par l’affirmative. Ledit procureur avait décidé de repousser de quelques semaines le placement sous écrou d’un certain nombre de condamnés laissés libres, dont la peine était en attente de mise à exécution. Il avait précisé que ces écrous différés ne concernaient pas les auteurs de violences sexuelles ni d’autres violences commises en état de récidive légale. Je concluais ainsi : « Quand sera-t-il possible d’avoir un véritable débat public sur la mise en place du numerus clausus pénitentiaire, l’application, sans plus attendre, de l’encellulement individuel, l’organisation de la détention en espace individuel pour (la nuit) et espace collectif (le jour), la définition d’un optimum de capacité du parc pénitentiaire prenant en compte et les besoins de la société – car on ne peut pas se passer de la prison – et les moyens financiers – forts limités – dont dispose la Nation ? » Cette notion d’optimum de capacité du parc pénitentiaire m’a été « soufflée » par l’un de mes maîtres, Alfred Sauvy, qui a beaucoup écrit sur ce que pourrait être un optimum de la population d’un pays. Il faudra bien, entre modérés – à savoir ceux qui ne se posent pas la question de la nécessité de la prison en République –, lancer une réflexion complexe sur cette notion d’optimum.
Ma démarche est donc scientifique et s’accompagne d’un engagement politique de nature modérée et réformiste. Je résous ainsi les problèmes posés par Max Weber sur la contradiction entre un engagement politique et une démarche scientifique. Mes idées sont modérées, mais ceux qui me connaissent savent que leur formulation peut ne pas l’être : nous avons une multitude de raisons de nous révolter. Cette révolte ne doit toutefois pas conduire à la radicalité, mais au contraire à la recherche de la modération et de ce que le regretté président Edgar Faure appelait des majorités d’idées – à savoir des consensus « durs » et non de faux consensus.
Je ne reçois plus, depuis de nombreuses années, d’informations de la part de l’administration pénitentiaire. Je dispose comme nos concitoyens des données délivrées par internet – exception faite d’une information que j’ai reçue ce matin et dont je vous ferai part tout à l’heure. Au 1er octobre 2014 – l’administration pénitentiaire met tout de même quinze jours pour publier ses chiffres – on comptait 77 739 personnes sous écrou, dont 66 494 étaient détenues. Il y en a eu davantage il y a quelque temps.
Premier point : sauf erreur de ma part, je n’ai jamais vu, dans les publications de la Chancellerie, le chiffre que je vais vous donner, à savoir le nombre de places opérationnelles inoccupées, qui s’élevait à 3 724 – et ce chiffre a pu dépasser 4 000 places par le passé – alors que, paradoxalement, il y a bien surpopulation carcérale. Cela représente environ 6 % du total, ce qui n’est pas négligeable, et l’on comprend pourquoi l’administration n’en parle pas et les médias non plus. Il faudrait que la Commission s’interroge sur cette donnée.
Au moins quatre raisons expliquent ce phénomène. D’abord, quand vous mettez en service un établissement, il est évident qu’il ne sera pas complet dès l’instant où l’on aura coupé le ruban le jour de l’inauguration. Ensuite, petit à petit, le nombre de places inoccupées diminuant, est-on assuré de disposer du personnel suffisant ? Certaines parties de ces établissements restent-elles inoccupées faute de personnel ? Troisième raison : dans tel endroit, pour telle maison d’arrêt, il se peut que l’offre soit supérieure à la demande. Enfin, l’existence de ces places inoccupées peut s’expliquer par un dysfonctionnement dans l’affectation des prévenus ou des condamnés à tel ou tel établissement. Je n’ai jamais rien lu de la part de l’administration pénitentiaire sur le sujet. Du reste, la situation est tout à fait différente entre les établissements pour peine et les maisons d’arrêt, les premières étant soumises à un numerus clausus parfois dépassé : les centres de semi-liberté de la région parisienne sont surpeuplés, tout comme certains de ces établissements outre-mer.
En centre de détention et en maison centrale, 10 % des places sont inoccupées. Est-ce raisonnable ? Dans les autres établissements pour peine, une place sur trois reste inoccupée ! Quelle en est la raison ? Dans les maisons d’arrêt, le taux est de 3 %. J’ignore si l’administration pénitentiaire dispose de ces données.
En outre, la proportion des places inoccupées varie considérablement d’une direction interrégionale à l’autre. Je n’ai pas étudié le sujet, aussi ne pourrai-je pas vous en dire davantage. Quand on tient compte du fait que, selon les directions interrégionales, la répartition est différente selon le type d’établissement, on retrouve, lorsque l’on se limite aux établissements pour peine, des écarts importants. Cette différence d’ordre spatial dans la part des places inoccupées varie indépendamment du premier facteur.
Si l’on devait établir un état des lieux – et il serait grand temps –, le premier sujet à aborder serait ces 3 000 à 4 000 places inoccupées. J’ai été amené à m’y intéresser quand j’ai proposé l’indicateur qui me paraît le plus précis pour mesurer la surpopulation des prisons : les fameux détenus en surnombre, que l’administration pénitentiaire ne calcule pas, mais dont les médias font état. Le Monde d’hier cite un chiffre erroné à ce sujet – une coquille –, estimant ce chiffre à 2 164 alors qu’il est de 12 164. Le nombre de détenus en surnombre comprend les détenus en surpopulation apparente, majoré du nombre de places inoccupées.
Ainsi, second point, nous avons 58 054 places opérationnelles, dont 3 724 sont inoccupées, soit 54 330 places dans lesquelles les détenus vont s’installer. L’écart avec le nombre réel de détenus est de 12 164. Selon les critères retenus, ce sont 12 164 détenus de trop, ou bien 12 164 places qui manquent. Selon moi, il s’agit de détenus en surnombre.
L’administration pénitentiaire donne le nombre de places opérationnelles, celui des détenus, mais ne fait pas la soustraction. Selon les médias qui, eux, la font, la surpopulation apparente est de 8 000 détenus – au lieu de 12 000, donc, selon mon calcul, différence qui n’est pas mince, d’autant que nous n’en sommes pas, aujourd’hui, à un maximum de surpopulation : il est arrivé, il n’y a pas très longtemps, qu’on atteigne le chiffre de 16 000.
Le dernier tableau du document jaune que je vous ai distribué offre une vision bien précise de la surpopulation en maison d’arrêt, en établissement pour peine, en métropole comme outre mer. Les détenus en surnombre se trouvent essentiellement dans les maisons d’arrêt – pour 12 000 d’entre eux – et dans une bien moindre mesure – puisqu’ils ne sont que 364 – dans les établissements pour peine, eux aussi concernés néanmoins par ce phénomène, contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là.
Troisièmement, j’établis mon calcul en m’appuyant sur la définition que donne l’administration pénitentiaire d’une place de prison, et qui date de la circulaire du 3 mars 1988. Jean-Pierre Dintilhac, très grand haut magistrat dont je salue la mémoire et avec qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant plusieurs années, constatant l’absence d’une telle définition – vide laissant au chef d’établissement la possibilité de fixer lui-même le nombre de places –, a demandé à ses services de proposer une définition. Si l’on s’en tient à la définition de la circulaire, où situer les cellules de 14 mètres carrés ? Comptent-elles pour deux ou trois places ? Selon les situations, les détenus bénéficient de 10 mètres carrés et dans d’autres cas de 4,7 mètres carrés – plus du simple au double ! Cette circulaire a certes le mérite d’exister mais, ce qui est extraordinaire, c’est que, depuis plus de vingt-cinq ans, aucun garde des Sceaux, de gauche comme de droite, n’a ressenti le besoin de faire travailler son administration sur cette question centrale. Si le travail de la Commission peut contribuer à lancer ce chantier – savoir ce qu’est une place en se référant aux règles pénitentiaires européennes – ce serait un très grand progrès.
Plus grave encore est la divergence des données quand on se réfère à deux rapports que pourtant je considère comme fondamentaux – j’aurais rêvé qu’en janvier 2013 l’ensemble des participants au débat prennent en compte ces deux documents. L’un est signé d’un sénateur UMP et d’une sénatrice communiste ; l’autre d’un parlementaire socialiste – cette diversité aurait permis de construire une majorité d’idées au sens où l’entendait Edgar Faure. Ces deux rapports n’ont pas été lus attentivement par beaucoup. D’après le rapport sénatorial, page 52, on comptait 48 811 places individuelles ; quant au rapport de l’Assemblée, il aboutissait, après différents calculs, au chiffre de 40 867. Nous nous trouvons donc en présence d’une circulaire problématique, car inutilisable faute de définitions opérationnelles, et reposant sur des données publiques insatisfaisantes.
Le Conseil de l’Europe, auprès duquel j’ai travaillé pendant vingt ans, a renoncé à définir ce qu’est une place de prison. Reste que plusieurs textes recommandent l’encellulement individuel la nuit, et permettent d’établir une référence comprise entre 9 et 10 mètres carrés par cellule. En retenant ce critère, je parviens au chiffre de 31 000 cellules individuelles. Je retranche de ce calcul, bien évidemment, les 34 cellules individuelles de moins de 5 mètres carrés, mentionnées dans son rapport par Dominique Raimbourg.
J’ai appris hier, sous le sceau du secret, que l’administration pénitentiaire avait dressé un état des lieux au 28 octobre 2014 – il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’ai su ce matin, par le cabinet de la garde des Sceaux, que l’on devait transmettre à votre Commission les résultats de cette enquête selon laquelle il y aurait 26 341 détenus seuls en cellules. Un chiffre isolé n’ayant pas de signification, il convient de préciser que près de 40 000 détenus sont en situation de demander à bénéficier d’une cellule individuelle. Au 1er octobre 2014, 21 773 détenus étaient dans des établissements pour peine où, en général, l’encellulement individuel est la réalité. Si l’on fait la soustraction, on compte donc 4 568 détenus seuls en cellule dans les maisons d’arrêt, sauf exceptions comme dans les centres de semi-liberté.
Je vous rappelle pour mémoire qu’il y a 17 000 prévenus, et qu’un prévenu est présumé innocent ; or le traitement que lui fait subir l’administration pénitentiaire est souvent plus lourd que celui des condamnés. Est-ce bien raisonnable ? Dans certains pays, ces deux populations sont systématiquement séparées. Je n’affirme rien, mais je pose la question suivante : l’encellulement individuel ne devrait-il pas prioritairement bénéficier à ces 17 000 prévenus ? Certains sont en détention alors qu’ils n’ont rien fait et seront déclarés innocents au terme d’un processus contradictoire. C’est leur faire courir un risque considérable. Si 4 568 prévenus sont seuls en cellule dans les maisons d’arrêt, pensons aux 12 000 prévenus restants. Dernier chiffre : dans les maisons d’arrêt, prévenus comme condamnés bénéficient pour 10 % d’entre eux seulement d’un encellulement individuel.
Quatrième point, la question de l’encellulement individuel ne peut être posée indépendamment de celle de l’organisation de la détention, thème totalement absent des débats parlementaires de 2009. Laisser dans une cellule individuelle une personne qui va y rester vingt-deux heures sur vingt-quatre sans rien avoir à faire peut être considéré comme un traitement dégradant – la plupart d’entre nous ne le supporteraient pas. On a eu tendance à considérer – ce fut le cas de Mme Dati – que, pour les occuper, il n’y avait qu’à les mettre à plusieurs par cellule, ce qui présenterait en outre l’avantage de prévenir le suicide. On avance aussi l’argument selon lequel certains détenus demandent à n’être pas seuls ; or c’est à la représentation nationale de définir la sanction pénale.
Les règles pénitentiaires européennes, dans leur ensemble, disposent que le respect de la dignité d’un détenu – et c’est ce qui justifie la prison en République – dépend de son encellulement individuel la nuit et, sauf exceptions, de sa participation, le jour, dans des lieux adéquats, à des activités diverses, pourvues de sens, et fortement encadrées car la prison n’est pas le Club Méditerranée. Il faut se souvenir que la très grande majorité des détenus le sont pour des atteintes directes ou indirectes aux personnes, ce qui n’était pas du tout le cas en 1975 quand Michel Foucault a publié Surveiller et punir. La majorité des détenus ont un rapport au corps de l’autre que la plupart de nos concitoyens, Dieu merci, n’ont pas. L’espace carcéral est donc très difficile à organiser, d’où la nécessité de disposer d’espaces adaptés et d’un encadrement à même d’assurer le fonctionnement de ces lieux d’activités, de socialisation, de responsabilisation. Vous avez repris, sur ce dernier point, dans la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, et en les reformulant, un certain nombre de dispositions de la loi de 2009. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en 2009 la gauche n’était pas favorable à la responsabilisation, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ; il y a donc de toute évidence une majorité d’idées, dépassant les clivages politiques, pour estimer que l’objectif de la peine est de préparer ces condamnés à une vie responsable. Eh bien, cette idée, j’y insiste, repose sur cette organisation d’encellulement individuel nocturne et d’activités diurnes dans des lieux de sociabilité.
Évidemment, cela coûte très cher. Je ne connais pas de maison d’arrêt qui fonctionne ainsi, contrairement, pour l’essentiel, aux établissements pour peine. Je souhaite qu’on réfléchisse à ce schéma, que cette question soit au centre de vos préoccupations. Si les personnes sortent le matin de leur cellule individuelle et exercent des activités communes pourvues de sens, je ne connais pas de meilleure protection contre le suicide – les surveillants vont pouvoir les observer et repérer ceux qui ne vont pas très bien –, contre la violence – une grande partie des violences entre détenus ont lieu en cellule –, mais aussi contre l’oisiveté. C’est donc la meilleure façon de préparer à la réinsertion et, j’y insiste, à une vie responsable.
Bien sûr, je ne suis pas à votre place, mais le fruit de vos réflexions ne devrait pas être très différent de l’idée de bon sens que je viens d’exposer.
Est-ce à vous de reconnaître que l’échéance du 25 novembre 2014 n’a techniquement été préparée ni par la droite ni par la gauche ? Nous avions cinq ans, la continuité républicaine devant en l’occurrence l’emporter sur les alternances politiques. Or, autant le reconnaître, la question n’a été préparée, techniquement, ni par les uns ni par les autres. Dans cette situation, le moratoire doit évidemment être prolongé. L’idée d’une prorogation de trois ans, avancée notamment par certains députés écologistes, me choque : l’échéance tomberait ainsi en novembre 2017, à savoir après un événement majeur, l’élection présidentielle. Aussi semble-t-il plus sérieux de proposer une prolongation de deux ans, ce qui nous conduit au 26 novembre 2016, date à laquelle nous ne devrions pas avoir changé de président de la République ni de Gouvernement.
Pendant ces deux années, il conviendra d’approfondir ce que vous allez faire en quinze jours ou trois semaines. Il serait intéressant de confier l’affinement de l’approche scientifique à une structure indépendante comme l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales, rattachée directement au Premier ministre. Il s’agirait de disposer d’une base de données sur les établissements et centres pénitentiaires, sur le nombre de places opérationnelles, sur l’état des cellules, sur le nombre d’encellulements individuels, sur les populations susceptibles, à l’avenir, de bénéficier de la loi du 15 août 2014. Il paraît nécessaire de se donner deux ans pour faire un peu de prospective – peut-être conviendrait-il d’aider, à cette occasion, le bureau de la prospective de l’administration pénitentiaire.
Ensuite, la droite avait proposé la construction de milliers de places de prison. J’avais demandé au garde des Sceaux de l’époque, qui ne m’a jamais répondu, si ces places correspondaient à mon schéma d’encellulement individuel la nuit et d’activités collectives le jour. Il ne faudra pas aborder la question de la construction sans se poser la question de savoir ce qu’on construit. La gauche a adopté une autre démarche à travers la loi du 15 août 2014, visant à réduire le nombre d’entrées, à sécurité égale, au moyen de la contrainte pénale. Certains travaux montrent en effet que la prise en charge en milieu ouvert est plus efficace contre la récidive que certaines courtes peines. Nous avons, même s’ils sont très insatisfaisants, un certain nombre d’instruments qui devraient permettre de prévenir davantage la récidive et de réduire aussi, ce n’est pas incompatible, le nombre de détenus.
J’ignore combien de contraintes pénales ont été prononcées au mois d’octobre. Qui sont ces condamnés, et pour quelles infractions ? J’ai également demandé qu’on me précise les instruments mis en place pour suivre cette question. Je n’ai pas obtenu de réponse. Je vous rappelle que, lorsque le travail d’intérêt général (TIG) a été créé, nous avons mis au point un système d’évaluation qui a permis de savoir très rapidement qui étaient les condamnés au TIG – je me trouvais à l’époque à l’administration pénitentiaire. Lorsque le placement sous surveillance électronique a été instauré, nous avons, de la même manière, créé un système permettant d’en savoir plus sur l’application de ce dispositif.
Ces deux années doivent aussi permettre de vérifier que la représentation nationale et l’ensemble de nos concitoyens savent exactement quels sont les instruments mis en place, et d’assurer un suivi très précis des résultats que l’on souhaite obtenir. La question de l’encellulement individuel se posera en d’autres termes si l’on parvient à réduire de façon raisonnable – à sécurité égale, j’y insiste – la population détenue.
Enfin, je sais bien que, dans tous les journaux, les titres ne sont pas de la main des auteurs, mais je n’ai pas été très heureux de celui d’un article du Monde sur « l’inexorable croissance carcérale ». Le mot « inexorable » signifie : qui résiste aux prières. J’ignore si vous priez pour résoudre les problèmes de la société, mais cela ne me paraît pas suffisant. J’ai la conviction, au contraire du titre de l’article, qu’il est possible d’infléchir la croissance de la population carcérale. Au 1er janvier 2012, le taux de croissance annuelle de cette population était de 7 %. Depuis, ce taux ne cesse de diminuer et, à partir de janvier 2014, il est tombé à 0,8 % – on ne peut donc plus parler d’inflation carcérale, même si ce taux est deux fois supérieur encore à celui de la croissance de la population en général. Depuis octobre 2014, on note une diminution de 1,2 %. Ce phénomène nouveau devrait être analysé même si l’on sait d’ores et déjà qu’il s’explique en partie par une baisse des entrées.
Il semble donc que cette croissance « inexorable » ne le soit pas tant que cela, et il faut rappeler qu’au cours de certaines périodes on a assisté à une baisse assez importante du nombre de détenus. Encore une fois, dans mon esprit, il ne s’agit aucunement de vider les prisons : la prison est une nécessité pour la République. Il faut réduire, par des moyens sûrs, le nombre de détenus, mais aussi, dans certaines conditions, construire.
M. Dominique Raimbourg. Vous indiquez, monsieur Tournier, qu’on compte un grand nombre de prévenus, mais certains ne le restent que pendant une très courte durée. Je n’ai pas votre science des chiffres, mais il se dit que les comparutions immédiates représentent environ le quart des condamnations. Lorsqu’on est condamné en comparution immédiate, généralement, on entre comme prévenu et, dix jours plus tard, à l’expiration du délai d’appel, on devient condamné. L’autre type de prévenu, que nous avons davantage en tête, est placé en détention provisoire par un juge d’instruction, détention qui, cette fois, peut durer un certain temps. L’affectation des prévenus en cellule individuelle ne s’en trouve-t-elle pas compliquée ?
M. Pierre Victor Tournier. Les données sur le sujet sont parcellaires. En théorie, dans les statistiques pénitentiaires, sont comptabilisées parmi les prévenus entrant dans le cadre d’une comparution immédiate deux catégories que l’administration pénitentiaire ne distingue pas : ceux des prévenus qui ont déjà été jugés mais se trouvent encore dans les délais d’appel et, à ce titre, sont considérés comme prévenus, mais pour très peu de temps ; et ceux qui n’ont pas encore été jugés. Il faudrait pouvoir distinguer ces deux catégories.
J’ai été surpris des propositions faites par le contrôleur général des lieux de privation de liberté sortant : aucune des trois hypothèses que vous avez, j’imagine, à l’esprit, n’est vraiment satisfaisante. Le Premier ministre fait référence, dans sa lettre de mission, aux personnes considérées comme fragiles. Est-ce une piste vraiment intéressante, alors qu’il y en a d’autres ? Quand je suggère que la catégorie des prévenus ne serait pas prioritaire par rapport à celle des condamnés en matière d’encellulement individuel, c’est aussi parce que je tiens compte des conditions de mise en détention. Il faut également prendre en considération le choc carcéral. Quand quelqu’un arrive en détention pour la douzième fois, invoquer cette idée relève de l’angélisme, car elle ne concerne guère que ceux qui sont incarcérés pour la première fois.
Un texte de l’administration pénitentiaire mesure la proportion des personnes entrant en détention sans jamais avoir été incarcérées. Voilà des années que je réclame cette donnée, qui constitue un critère important de la réflexion sur l’encellulement individuel. Avons-nous affaire à quelqu’un qui connaît très bien la prison, va y retrouver des proches, et au sujet duquel parler de choc carcéral n’a pas de sens ? Ou bien avons-nous affaire à quelqu’un qui arrive en détention pour la première fois ? Toute une série de critères, objectifs, juridiques, devraient être examinés dans la perspective que vous semblez vous fixer de planifier l’établissement de l’encellulement individuel.
Mme Laurence Dumont. La circulaire du 3 mars 1988 ne prévoit pas de minimum de surface. Dans le centre pénitentiaire de Caen, les cellules de toute une aile mesurent 5,44 mètres carrés. Il conviendrait peut-être un jour de fixer un minimum.
Selon vous, c’est la direction régionale de Rennes qui comprend le plus fort pourcentage de places inoccupées dans les établissements pour peine : 16 %. Or, à Caen se trouve un établissement pénitentiaire exclusivement réservé à des détenus pour crimes ou délits sexuels. Il y a donc sans doute des places dans certains établissements où l’on ne peut pas envoyer n’importe qui.
M. Pierre Victor Tournier. Tout à fait.
M. Joaquim Pueyo. L’administration pénitentiaire avait expérimenté les « quartiers arrivants », pratique qui devait être généralisée à toutes les maisons d’arrêt et grâce à laquelle les primo-entrants devaient être écroués en cellule individuelle durant cinq à sept jours, à l’issue desquels une commission pluridisciplinaire devait les affecter selon certaines priorités définies de manière objective. A-t-on évalué ce dispositif mis en place il y a sept ou huit ans ?
L’administration pénitentiaire ne souhaite pas remplir certaines maisons centrales pour des raisons de sécurité. Un tiers – voire davantage – de la capacité carcérale de plusieurs d’entre elles est disponible. Ces maisons centrales sont en effet difficiles à « gérer », et l’administration pénitentiaire ne souhaite pas que plus d’un certain nombre de détenus y soient incarcérés. Il ne s’agit, certes, que d’une explication parmi bien d’autres, mais nous nous accordons tous pour considérer que la surpopulation carcérale crée de nombreux dégâts sur les plans psychologique, physique, social. Quitte à être à plusieurs, les détenus gagneraient à être placés dans des dortoirs où l’on constate moins de ces dégâts que dans des cellules à deux ou à trois.
L’encellulement individuel me paraît un cap très important malgré la difficulté de le franchir. Il est intéressant de noter que la population carcérale diminue en Suède où des peines alternatives à la prison ont été mises en place, à telle enseigne que les prisons disposent de trop de places disponibles.
Il convient de réfléchir par ailleurs à la journée de détention.
M. Alain Tourret. On ne peut aborder qu’avec une grande précaution un tel sujet, qui touche à l’humanité. La loi permet de réduire l’enfermement de certaines personnes : je me souviens de la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence. En réduisant la possibilité de placement en détention provisoire – mesure unanimement saluée –, nous avons permis une diminution très importante du nombre de détenus.
Peut-être faudrait-il souligner que l’encellulement individuel est un droit inhérent à la fonction de citoyen – quitte à ce que certains ne souhaitent pas en bénéficier. Toute République qui n’y tend pas devrait avoir honte d’elle-même.
Je m’étais rendu avec Catherine Tasca à La Réunion, où j’avais pu voir seize détenus dans une même cellule, détenus qu’on faisait sortir le matin dès les premiers rayons du soleil pour éviter qu’ils ne se battent entre eux, voire qu’ils ne s’entretuent.
Aussi faut-il encourager, certes, la cellule individuelle, mais encore définir la superficie minimum de la cellule individuelle. Ce que j’ai vu là-bas était effrayant. Il y avait même deux prisons, une où se trouvaient les noirs, et l’autre où se trouvaient les blancs, parmi lesquels tous les élus, noirs et blancs – sur 25 maires, près de 21, si ma mémoire ne me fait défaut, étaient mis en examen ou condamnés !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’établissement en question a dû être refait.
Nous vous remercions, monsieur Tournier, pour votre intervention, et j’imagine que vous allez surtout vous montrer attentifs aux propositions que fera Dominique Raimbourg, ainsi qu’aux résultats.
M. Pierre Victor Tournier. Je vous souhaite bon courage.
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Puis, la Commission procède à l’audition de M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le directeur, je vous remercie de votre présence parmi nous.
La commission des lois de l’Assemblée, notamment son vice-président Dominique Raimbourg, sont extrêmement motivés par cette question, sur laquelle nous avons entamé une réflexion avec ce cycle d’auditions. Nous sommes prêts à entendre le point de vue de l’administration et à vous poser des questions, car une grande partie de nos interrogations vient d’un manque de connaissance de certaines réalités.
Je vais d’abord vous laisser présenter les collaborateurs qui vous accompagnent.
M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire. Je vous présente M. François Trouflaut, du bureau de gestion de la détention, à l’état-major de sécurité, qui suit tout particulièrement la situation des cellules opérationnelles et des couchages, Mme Annie Kensey, chef du bureau des études et de la prospective, et M. Romain Peray, chef de bureau des affaires immobilières.
Je ferai d’abord un point sur le plan quantitatif pour expliquer où nous en sommes et quelles sont les perspectives. Puis j’interviendrai, au plan qualitatif, sur la problématique de l’encellulement individuel. Enfin, j’évoquerai la position de l’administration pénitentiaire vis-à-vis de cette problématique.
Je commencerai par un rappel sur les notions de capacité théorique et de capacité opérationnelle.
La capacité théorique est liée à une circulaire de 1988, qui définit le nombre de places par rapport à la surface au sol de la cellule. Cette capacité théorique intègre toutes les places de détention normale, les places de semi-liberté, les places pour personnes à mobilité réduite, les quartiers « arrivants », les places dans les services médico-psychiatriques régionaux et dans les centres nationaux d’évaluation pour les condamnés « longues peines ».
En revanche, la capacité théorique ne prend pas en compte les quartiers d’isolement, les quartiers disciplinaires, ni les cellules de protection d’urgence, réservées aux personnes ayant des velléités suicidaires.
Au 1er octobre, la capacité théorique était de 58 974 places, ce qui représente 49 681 cellules, dont 40 857 cellules à une place – au regard de la superficie, soit jusqu’à onze mètres carrés –, 6 553 cellules pour deux personnes – entre onze et quatorze mètres carrés – et, au-delà de trois personnes, 2 271 cellules multiples pour 6 254 places, l’essentiel étant constitué de cellules de trois ou quatre personnes. 213 cellules comptent entre cinq et dix places, surtout dans les petites maisons d’arrêt relativement anciennes. Enfin, il existe, à Raiatea, en Polynésie, un dortoir de vingt places, occupé par treize personnes.
La capacité opérationnelle est définie par rapport à la capacité théorique. Elle correspond à la capacité théorique, de laquelle on déduit la part des places indisponibles, notamment en raison de travaux. Au 1er octobre, il y avait 58 054 places opérationnelles, soit 920 places de moins que de places théoriques. Cette différence oscille généralement entre 500 et 1 000 places.
Dans les différents types de cellules que je viens d’évoquer, il y a un système de couchage fixe. Pour des raisons liées à la surpopulation et pour pouvoir héberger le plus correctement possible les personnes détenues, des lits fixes sont installés au-delà de la capacité théorique. Ensuite, il y a les matelas au sol, que nous recensons régulièrement.
Les personnes détenues peuvent avoir des lits fixes, mais cela peut masquer des surpopulations importantes, notamment dans le ressort de la direction interrégionale (DI) de Paris, où il y a beaucoup de lits fixes. On cite souvent le cas de Fresnes, où les hauteurs de plafond permettent d’installer trois lits. On évite ainsi les matelas au sol, mais les taux d’occupation n’en sont pas moins considérables, avec un impact très fort sur la vie en détention, sur l’accès des personnes détenues au sport, aux activités socioculturelles, aux parloirs ou aux soins, bref, avec toutes les conséquences qu’entraîne la surpopulation sur le fonctionnement général des établissements.
Au 28 octobre dernier, 38,85 % des détenus étaient seuls en cellule, sachant qu’il ne s’agit pas toujours de personnes seules dans des cellules individuelles. Il peut arriver conjoncturellement qu’une personne occupe seule une cellule prévue pour deux. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les maisons d’arrêt et les quartiers maisons d’arrêt, le taux d’ « encellulement individuel », ou plutôt des personnes hébergées seules en cellule, est de 16 %.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Combien cela fait-il en valeur absolue ?
M. Charles Giusti. Cela fait 7 389.
M. Dominique Raimbourg. Ces 38,85 % correspondent donc à la totalité de la population pénale ?
M. Charles Giusti. C’est cela.
Dans les établissements pour peine, le taux d’encellulement individuel est de 88 %, mais c’est un chiffre à prendre avec prudence, car il s’agit d’une photographie à l’instant T et la partie outre-mer souffre de surpopulation, y compris dans les établissements pour peine. Si l’on se limite à l’Hexagone, le taux est de 93,3 %. Je rappelle qu’il s’agit d’un travail mené ligne par ligne, pour identifier qui est seul en cellule à l’instant T.
J’en viens à l’évolution, depuis 2009, du nombre de places dans les établissements pénitentiaires.
Correspondant au solde entre les nouveaux établissements et les établissements fermés, 3 250 places ont été créées en net en 2009, 1 961 en 2010, 1 617 en 2011, 216 en 2012 – du fait d’une baisse conjoncturelle –, 466 en 2013 et 397 en 2014. Il est prévu de créer 1 817 places en 2015, 356 en 2016, 1 180 en 2017, 808 en 2018 et 117 en 2019. Le nombre de places prévu pour 2018 correspond à la réouverture de la maison d’arrêt de Paris-La Santé et celui prévu pour 2019 au nouvel établissement de Lutterbach, qui s’accompagnera de la fermeture de l’établissement du Bas-Rhin. Le programme immobilier vise à augmenter la capacité d’accueil, mais aussi à améliorer les conditions de la détention, et donc, à fermer les établissements vétustes.
L’objectif de 63 500 places fixé par la garde des Sceaux à l’horizon 2020 permettra de disposer de 54 400 cellules environ – s’agissant de programmes immobiliers, il y a des ajustements au fil des études –, dont 35 800 dans les maisons d’arrêt et 27 700 dans les établissements pour peine.
La garde des Sceaux a également annoncé, à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, un nouveau programme immobilier concernant l’Hexagone, plus particulièrement orienté vers l’outre-mer, avec un horizon de livraison sur une dizaine d’années, qui devrait aboutir à 65 000 places de détention, pour 57 000 cellules. Il s’agit, là encore, de chiffres arrondis.
Quant à la population pénale, elle est estimée, dans le cadre du plan triennal, à 66 200 au 1er janvier 2017. C’est un chiffre théorique, qui a servi à la construction budgétaire.
Sans préjuger des évolutions qui peuvent intervenir ni de l’efficacité de la loi pénale, davantage orientée vers la prévention de la récidive que vers la baisse des effectifs dans les prisons, on estime, au regard des statistiques générales, que la population pénale restera à ce niveau. Elle atteindra peut-être le chiffre de 68 000 à l’horizon 2018. Depuis une vingtaine d’années, on constate des baisses conjoncturelles, liées, notamment, à des lois pénales et, éventuellement à des décrets de grâce, antérieurement à 2007. Le taux d’incarcération par rapport à l’ensemble de la population française évolue très peu, mais globalement, la tendance est à l’augmentation de la population pénale.
Sans faire de prospective poussée en la matière, je rappelle l’objectif, à l’horizon d’une dizaine d’années, de 57 000 cellules, pour une population pénale qui comptera environ 68 000 personnes. Cela signifie que nous ne serons pas, dans une dizaine d’années, au rendez-vous de l’encellulement individuel.
Sur le plan qualitatif, je reprendrai le propos de la directrice de l’administration pénitentiaire à l’occasion de la présentation du projet de budget 2015 : « L’encellulement individuel n’est pas l’alpha et l’oméga des conditions de détention ». Par-delà cette formule choc, les textes existants et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mentionnent la notion d’encellulement individuel de nuit – c’est ce que l’on trouve dans les règles pénitentiaires européennes (RPE) – ou la notion de places multiples, sous réserve que les conditions d’hébergement soient correctes.
La CEDH n’introduit pas la notion d’encellulement individuel. En revanche, elle fixe des critères de dignité pour les conditions de détention, en termes de superficie, de luminosité, de séparation des lieux d’hygiène, etc. La jurisprudence n’insiste pas sur la notion d’encellulement individuel.
Sur le plan international, nous avons observé ce que faisaient nos voisins européens.
Hormis les Scandinaves, notamment les Suédois, qui ont atteint un taux satisfaisant d’encellulement individuel, mais qui ont des taux d’incarcération assez faibles, ce principe n’est pas appliqué ou n’existe pas dans le reste de l’Europe.
Le législateur allemand avait posé le principe de l’encellulement individuel dans les années 1970. Cela étant, compte tenu du surpeuplement carcéral, la loi précisait que l’encellulement collectif était autorisé aussi longtemps que les conditions matérielles des établissements le rendaient nécessaire. Il s’agissait d’une approche très pragmatique de l’encellulement individuel.
Toutefois, la Cour constitutionnelle fédérale a considéré, en 2002, que les établissements pénitentiaires pouvaient déroger à la règle de l’encellulement individuel seulement si la situation ne portait pas atteinte à la dignité de la personne détenue. On en revient aux conditions qui figurent fréquemment dans la jurisprudence du Conseil d’État ou dans les RPE.
Au milieu des années 1980, les Pays-Bas appliquaient la règle de l’encellulement individuel. À partir de 1985, la population carcérale a fortement augmenté du fait d’un durcissement des politiques pénales, et le taux de détention, supérieur à celui de la France, a atteint 113 détenus pour 100 000 personnes en 2007. Les tout derniers chiffres sont assez proches. Les Pays-Bas ont lancé un programme immobilier pour tenter de maintenir la règle de l’encellulement individuel, mais ils l’ont abandonnée dans les années 2000 et ont procédé à un réaménagement des cellules existantes pour pouvoir accueillir deux personnes.
La règle de l’encellulement individuel n’existe pas au Royaume-Uni. Il n’y a pas non plus de politique officielle en la matière. Les Britanniques évitent de mélanger des personnes qui ne seraient pas « compatibles » et la plupart des cellules, construites pour accueillir une à deux personnes, en accueillent, en réalité, deux ou trois.
J’en arrive à la méthode de nos voisins italiens pour alléger la surpopulation carcérale, qui est particulièrement importante. Il s’agit de l’indulto, que l’on peut traduire par « indulgence ». Il s’agit d’une sorte de décret de grâce, qui vide largement les établissements. Ce sont environ 20 000 détenus qui sortent de prison, mais qui y reviennent très vite, du fait de la récidive.
On retrouve par exemple, en Autriche, des règles aux termes desquelles il n’y a pas d’encellulement individuel pour les courtes peines. On y essaie en revanche d’appliquer la règle de l’encellulement individuel aux peines plus longues. Il s’agit de concepts approchants, mais je n’ai pas d’informations précises en la matière.
Je voudrais maintenant souligner l’importance des activités. L’hébergement en cellule n’est peut-être pas l’élément essentiel, dès lors que le détenu peut en sortir dans la journée et avoir des activités. Nous suivons à peu près le même raisonnement que nos voisins européens, notamment espagnols, qui développent fortement les activités extérieures dans certains de leurs établissements, les cellules n’étant occupées que la nuit. Pour le reste, il y a des locaux communs. Les repas, par exemple, sont pris en commun. C’est un autre concept, mais l’idée est la même : faire sortir les détenus de leur cellule.
Pour conclure sur les éléments qualitatifs, j’évoquerai le sous-amendement présenté par M. Coronado dans le cadre du débat budgétaire et allant dans le sens de la proposition du contrôleur général des lieux de privation de liberté en matière d’encellulement individuel pour les personnes vulnérables. La difficulté réside dans la définition de ce que sont les personnes vulnérables. Il peut s’agir de personnes âgées, de personnes à mobilité réduite, éventuellement de personnes fragiles parce qu’en butte à des comportements malveillants de la part de leurs codétenus.
La réponse n’est pas forcément univoque. Si l’on fait le point sur les personnes vulnérables que sont les personnes âgées et celles en situation de handicap, notamment physique, les personnes de plus de soixante ans représentaient, en 2013, 3,6 % de la population pénale, soit 2 409 personnes, dont 115 en perte d’autonomie et 896 en maison d’arrêt. Les personnes en situation de handicap physique représentaient, toujours en 2013, 0,5 % de la population pénale, soit 329 personnes.
Il est intéressant d’observer la façon dont l’administration pénitentiaire a pris en compte l’accueil des personnes souffrant d’un handicap physique. Au 1er octobre de cette année, 352 places dites « places pour personnes à mobilité réduite » disposaient de tous les aménagements nécessaires. Je cite, en outre, même si elles ne sont pas totalement aux normes requises pour l’accueil des personnes handicapées, 243 places adaptées, dans environ quatre-vingt-dix établissements. Ces places n’ont peut-être pas les largeurs de porte parfaitement aux normes, mais des aménagements ont été faits, tels que des barres dans les toilettes et des sièges dans les douches.
S’agissant de la prise en charge des personnes handicapées ou des personnes âgées ayant des problèmes de mobilité, il y a, pour les nouvelles constructions, une norme de 3 % des places théoriques destinées aux personnes à mobilité réduite.
J’en termine avec la question des personnes vulnérables, qui était le sujet de préoccupation lorsque nous avons travaillé sur le sous-amendement de M. Coronado. Si la règle de l’encellulement individuel devait s’appliquer aux personnes vulnérables, sous réserve de pouvoir définir précisément ce que sont les personnes vulnérables, compte tenu de la situation actuelle de surpopulation et au regard des places disponibles, il serait très difficile d’aménager des cellules individuelles dans certaines maisons d’arrêt, sauf à mettre en œuvre des procédures de transfert, avec un fort risque de rupture des liens familiaux.
Pour conclure sur les aspects quantitatif et qualitatif, de manière macroscopique, même si ce n’est pas satisfaisant et que cela peut masquer des disparités au sein des établissements pénitentiaires, l’encellulement individuel ne peut être envisagé dans la dizaine d’années à venir. Cela ne veut pas dire que l’administration pénitentiaire ne fasse rien. Toutes les nouvelles constructions tiennent compte des normes indispensables à l’accueil des personnes à mobilité réduite. Au-delà, il y a la règle fixant à 90 % le taux d’encellulement individuel. Les constructions neuves sont donc soumises à des règles permettant d’aboutir à ce taux.
Par ailleurs, l’idée est de promouvoir des activités au sein des établissements. Cette conception est centrée sur les publics accueillis. À l’avenir, nous essaierons d’éviter les architectures répétitives pour élaborer des projets en lien avec la population accueillie. Il faut travailler sur les flux, limiter les facteurs anxiogènes de l’enfermement en améliorant les matériaux et la luminosité et en « végétalisant » les cours de promenade. Concernant l’accueil des détenus condamnés à de longues peines, un vrai travail a été fait dans les centres de détention, où l’on peut trouver aujourd’hui des cours de promenade assez vastes et arborées.
Dans les futurs établissements, des unités de confiance pourraient être mises en place pour des catégories de détenus en voie de réinsertion, au comportement exemplaire, qui bénéficieraient de conditions de détention adaptées. Ce type de dispositif existe dans certains établissements et sa mise en œuvre dans les futurs établissements doit continuer à faire l’objet d’une réflexion.
Outre les questions architecturales, la volonté de la garde des Sceaux est de développer les activités, dont la durée quotidienne moyenne est aujourd’hui d’une heure trente par détenu. Le budget du plan triennal devrait nous permettre d’augmenter progressivement, jusqu’à trois heures par jour, cette durée moyenne, l’activité étant soit du travail, soit de la formation professionnelle, soit de l’enseignement général ou spécialisé.
S’agissant de l’encellulement individuel, il convient de s’appuyer sur un principe de réalité. La population pénale devrait se stabiliser grâce à la loi pénale. Cela étant, depuis vingt ans, statistiquement, il y a toujours eu une tendance à la hausse. En tout état de cause, l’administration pénitentiaire, qui est le réceptacle de toute l’activité de la chaîne pénale, ne fait qu’exécuter des décisions de justice. La surpopulation doit donc être considérée à l’aune de toutes les politiques pénales. Le principe de réalité, ce sont les 57 000 cellules prévues dans le dernier programme annoncé par la garde des Sceaux à l’horizon d’une dizaine d’années. Nous ne pourrons donc pas assurer l’encellulement individuel pour tous.
Cela étant, l’encellulement individuel n’est pas une fin en soi, y compris pour les personnes vulnérables, qui demandent, pour certaines d’entre elles, à être doublées en cellule. Je pense notamment aux personnes suicidaires ou aux personnes âgées, qui ont besoin d’une présence. Lorsque les auxiliaires de vie quittent les lieux pour la nuit, il est important que des détenus volontaires puissent prêter assistance à des personnes ayant des difficultés particulières.
Je vais vous raconter une petite anecdote. La prison Charles-III, qui disposait, en règle générale, de cellules de quatre personnes, a été remplacée par le nouveau centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville. La perspective pour les détenus était de rejoindre un centre pénitentiaire neuf ne souffrant pas de surpopulation carcérale, et donc, d’être hébergés dans une cellule individuelle. Pourtant, 30 % d’entre eux environ ont souhaité être doublés en cellule. C’est un chiffre anecdotique, qui permet toutefois d’illustrer le souhait d’un certain nombre de détenus de ne pas être seuls dans une cellule.
Il est important de fixer, dans les travaux sur l’encellulement individuel, des objectifs atteignables, dans une approche englobant la problématique de l’encellulement de nuit en tant que tel, et les activités qui vont avec. C’est un travail sur le long terme, car il faut des moyens pour développer les activités, mais c’est aussi la possibilité pour les établissements pénitentiaires de parvenir à un équilibre entre encellulement et activités.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant de laisser la parole à mes collègues, j’ai quatre questions à vous poser.
Vous dites que la mise en œuvre de l’encellulement individuel ne sera pas atteignable dans les dix années à venir. Pourquoi, alors, avoir proposé un moratoire jusqu’en 2017 ?
M. Tournier a beaucoup insisté sur les places inoccupées. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur cette question ? Y en a-t-il réellement et quelle interprétation pouvez-vous en faire ? Est-ce un phénomène lié au manque de personnel ?
Ma troisième question porte sur la circulaire de 1988, qui ne fixe pas de seuil minimum. Dans la prison de Caen, notamment, on est à 5,44 mètres carrés. La direction de l’administration pénitentiaire travaille-t-elle à une réévaluation de la capacité des cellules en fonction de la surface ? Veut-on revisiter la circulaire de 1988 ?
Enfin, avez-vous un moyen d’évaluer les contraintes pénales mises en œuvre depuis la promulgation la loi, ce qui vous permettrait d’en mesurer l’impact éventuel sur le flux d’entrée dans les maisons qui dépendent de votre administration ?
M. Dominique Raimbourg. Le terme ne convient sans doute pas, mais un numerus clausus, envisagé comme un moyen d’accélérer la sortie du détenu le plus proche de la fin de peine lors de l’entrée d’un détenu en surnombre, pourrait-il être une solution ? Ce numerus clausus pourrait être fixé dans chaque établissement en fonction d’un seuil d’alerte, dès lors que le taux de surpopulation deviendrait insupportable.
M. Tournier a indiqué qu’il serait peut-être souhaitable de réserver l’encellulement individuel aux prévenus ou, à défaut, aux primo-entrants, avec une certaine durée de condamnation. Est-il possible de connaître le nombre de primo-entrants ?
Une partie de la surpopulation était autrefois gérée par le biais des décrets de grâce et, de façon plus marginale, par l’effet des lois d’amnistie. Peut-on chiffrer le nombre de détenus qui sortaient en moyenne à cette occasion ? Avez-vous des indications sur la façon dont l’Allemagne et les Pays-Bas ont réussi à diminuer le nombre de leurs détenus ? M. Tournier indique que le taux d’incarcération serait passé de 98 pour 100 000 habitants à 90 ou 89 en Allemagne. Aux Pays-Bas, la situation est telle qu’a été louée une prison à la Belgique, ce qui fait d’ailleurs l’objet d’une controverse. Une partie des détenus belges sont ainsi emprisonnés au Pays-Bas.
M. Alain Tourret. Dispose-t-on du pourcentage représenté, au sein de la population carcérale, par les personnes d’origine maghrébine ? Y a-t-il, dans l’attribution des cellules individuelles, un rapport qui peut être fait en fonction de cette origine ? Y a-t-il, par ailleurs, dans l’attribution des cellules individuelles, un rapport avec le niveau de vie de la personne condamnée ?
Mme Laurence Dumont. Vous avez parlé des personnes âgées de plus de soixante ans. C’est un peu jeune pour parler de personnes âgées ! J’aimerais savoir si vous avez des chiffres concernant les personnes âgées de plus de quatre-vingts ans. Je sais qu’il y en a à Caen. Auriez-vous des chiffres qui correspondent un peu mieux à la définition de la personne âgée ?
M. Charles Giusti. M. Tournier a fait une analyse extrêmement intéressante sur les places inoccupées. Il estime à 3 724 le nombre de places opérationnelles inoccupées au 1er octobre et il en explique les causes principales, qui peuvent être liées aux nouveaux établissements dans lesquels des quartiers n’ont pas encore été ouverts.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. C’est votre point de vue que j’aimerais entendre, monsieur Giusti. L’administration valide-t-elle la lecture de M. Tournier ? Ou bien celle-ci est-elle erronée, lui-même partant du principe qu’il a fait un calcul parfaitement hypothétique puisqu’il ne repose sur aucune base qualitative, mais sur de simples déductions faites sur la base d’éléments constatés ?
M. Charles Giusti. D’un point de vue qualitatif, l’objectif n’est pas, par principe, que les maisons centrales atteignent leur capacité maximale. On l’a vu à Condé-sur-Sarthe, en début d’année, même si la prison n’avait pas encore atteint son rythme de croisière : la coexistence de profils très compliqués de détenus exclus d’autres établissements rend la gestion de la détention extrêmement difficile. Cela étant, il n’y avait pas que ce seul phénomène. Il y avait aussi un problème d’appréhension de cette nouvelle mission et des moyens à mettre en œuvre en termes de formation et d’activités pour soulager la tension liée à la détention.
Il y a des établissements, comme les maisons centrales, qui ne peuvent pas être à capacité maximale, car la sécurité serait trop difficile à gérer. Dans les maisons centrales, je le répète, il y a des profils extrêmement compliqués, que l’on ne peut pas faire coexister. Les quartiers d’isolement de ces établissements sont souvent pleins, du fait de profils très dangereux, comme les prosélytes, qui nécessitent que l’administration pénitentiaire ait une certaine marge.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Peut-on dire alors qu’il y a trop de places en maison centrale ?
M. Charles Giusti. Dans le cadre d’une approche purement comptable, on peut considérer qu’il y a 15 % de places disponibles. Cela étant, on peut ainsi disposer de quartiers dans lesquels diminuer le nombre de personnes. Personnellement, je ne pense pas qu’il y ait trop de places de détention en maison centrale. Cette marge reste nécessaire pour assurer au mieux la gestion de la détention et avoir un taux de surveillants adapté au nombre de détenus.
Une autre partie des places inoccupées se trouve dans des établissements qui, par nature, ne sont pas saturés. Cela dépend des bassins d’emploi et des profils des délinquants. Ainsi, dans les centres de semi-liberté, le nombre de places inoccupées dépend des profils que l’on peut héberger et de leur capacité de réinsertion. Mais certains établissements ne sont pas situés dans des bassins d’emploi idéaux pour des actions de réinsertion.
Les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) sont soumis à un numerus clausus strict. À l’exception du Sud de la France, les EPM ne sont pas totalement occupés. Là encore, il s’agit de modes de gestion de la détention très particulières, d’un quasi « sur-mesure » assuré par des personnels éducateurs surveillants. Il n’est donc pas aberrant qu’il y ait des places inoccupées.
Il y a également des places disponibles dans certaines maisons d’arrêt. Ce sont souvent de petites maisons d’arrêt, situées dans des lieux isolés ou dans des villes de province, qui n’ont pas forcément la population pénale correspondante. Cela étant, le fait de désencombrer des maisons d’arrêt ayant un fort taux d’occupation en transférant les détenus dans des établissements lointains crée un problème de maintien des liens familiaux.
Dans les centres de détention, il y a 1 198 places vacantes, desquelles il faut retrancher 404 cellules pour arrivants. Dans les centres de détention, comme dans tout établissement, il y a un quartier arrivants, qui permet une phase d’observation particulière des détenus. Ces places sont occupées partiellement, en fonction des flux d’arrivées.
En fin de compte, il reste assez peu de places disponibles – 600 à 700 – dans les centres de détention, mais cette marge est importante, car utiliser ces 700 places pour désencombrer les maisons d’arrêt mettrait en péril ces centres, qui sont faits pour des condamnés à des peines importantes dans une perspective de réinsertion. On observe ainsi, dans certains centres de détention qui servent parfois à désencombrer les maisons d’arrêt, des détenus particulièrement turbulents, ce qui implique une gestion assez proche de celle d’une maison d’arrêt pour assurer la sécurité. Les places vacantes s’expliquent par cette petite marge nécessaire à la gestion des détentions.
J’en arrive à la circulaire de 1988, à la question de sa refonte et à l’absence de seuils minimaux.
Les programmes immobiliers prennent en compte les conditions de détention difficiles telles que l’absence de séparation des blocs hygiène, la ventilation, la luminosité et la surface au sol. Nous souhaitons fermer les établissements qui posent difficulté. C’est pourquoi la construction d’un nouvel établissement est envisagée à Caen…
Mme Laurence Dumont. C’est la maison d’arrêt qui va être reconstruite.
M. Charles Giusti. Je vais examiner la question de plus près, madame la députée.
La refonte de la circulaire de 1988 n’est pas envisagée. Pour des questions de traçabilité, on pourrait, en baissant la superficie des cellules à une place, limiter, de fait, la surpopulation. À ce stade, je ne le souhaite pas. Une réflexion pourrait être engagée pour définir des conditions de détention dignes et comment les caractériser en termes de superficie, de volume, etc. Mais, à ce jour, rien ne nous permet d’envisager une nouvelle circulaire en la matière.
S’agissant de la contrainte pénale, 103 peines ont été prononcées au mois d’octobre. Cependant, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de cette mesure, entrée en vigueur le 1er octobre et qui nécessitera un accompagnement approfondi de la part des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).
J’en viens à la question du numerus clausus. L’administration pénitentiaire prend en charge les détenus qui lui sont confiés. Il serait très difficile pour les juges, mais aussi pour l’administration pénitentiaire, de réincarcérer ou d’organiser des transferts pour répartir les détenus dans des établissements qui seraient conjoncturellement en capacité de les accueillir.
En revanche, nous entretenons un dialogue intéressant avec les autorités judiciaires afin qu’elles soient dûment informées des conséquences des surpopulations. Une expérimentation extrêmement intéressante est menée, dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, sur un outil permettant de déterminer des seuils d’alerte en fonction des taux de surpopulation, seuils d’alerte qui ont un impact sur l’accès aux parloirs, aux activités, au sport et aux soins. Un certain nombre d’indicateurs permettraient, non pas de rester strictement limité au numerus clausus correspondant à des capacités théoriques, mais de disposer de seuils d’alerte permettant, en lien avec les autorités judiciaires, de tenir la surpopulation dans des limites acceptables.
Je ne partage pas la conception de l’encellulement individuel des prévenus, évoquée par M. Tournier. J’estime que l’encellulement individuel doit bénéficier d’abord aux condamnés hébergés en maison d’arrêt si leur reliquat de peine est inférieur à deux ans, dans le cadre d’un projet d’aménagement de peine ou du maintien des liens familiaux, surtout lorsqu’ils ont un profil de réinsertion.
Quant aux primo-entrants, une attention particulière leur est portée dans tous les quartiers arrivants des maisons d’arrêt, mais cela peut être une piste, dans une optique de prévention de la récidive. Cela étant, je n’ai pas de chiffres précis sur la question.
Mme Annie Kensey, chef de bureau des études et de la prospective. Selon les chiffres de notre dernière enquête, 17 % des personnes déclarent avoir déjà été incarcérées, ce qui veut dire que 83 % d’entre elles n’auraient pas été incarcérées précédemment. Toutefois, ces données étant déclaratives, il faut les prendre avec précaution.
Pour ce qui est de l’impact des décrets de grâce, je pourrai vous communiquer ultérieurement les chiffres exacts. Mais je me souviens que, lorsqu’il y en avait, environ 6 000 personnes sortaient de prison chaque année de ce fait, tandis que d’autres personnes y entraient. L’évolution a ainsi connu un court répit, mais un répit tout de même, et semble avoir été contenue par les grâces collectives pendant une bonne dizaine d’années.
M. Charles Giusti. S’agissant de l’évolution des taux de détention en Allemagne et aux Pays-Bas, j’avoue ne pas avoir d’informations.
Mme Annie Kensey. J’ai apporté quelques données sur les statistiques européennes. Nous publions chaque année des séries, avec toutes les informations que nous possédons et nous réactualisons ce travail tous les ans. Ces informations sont à votre disposition.
Aux Pays-Bas, le taux de détention diminue, ainsi qu’en Allemagne. Mais le nombre de détenus à l’instant T est la résultante d’entrées et de durées de détention, qui sont des paramètres très importants à prendre en compte pour caractériser l’évolution d’une population.
Aux Pays-Bas, la durée moyenne de détention diminue et le taux d’entrée en détention est plutôt stable. En Allemagne, on observe la même évolution.
En France, au contraire, la durée moyenne de détention augmente fortement puisqu’elle est passée de 8,6 mois en 2007 à 11,5 mois en 2013. Je parle de durée de détention, pas de durée sous écrou. C’est cette augmentation, très forte, qui a fait croître la population pénale de façon conséquente.
M. Charles Giusti. Monsieur Raimbourg, je n’ai pas d’informations sur l’initiative des Pays-Bas qui auraient loué des places de détention à la Belgique.
S’agissant de la présence de population d’origine maghrébine dans les établissements, nous n’avons pas de statistiques ethniques. Le seul chiffre officiel que nous ayons et qui n’est pas lié à une ethnie, mais au domaine religieux, est de 18 000 inscrits pour le ramadan, ce qui n’est pas forcément un signe d’appartenance à la religion musulmane. Il peut s’agir de raisons sociologiques ou de raisons liées aux améliorations apportées aux repas du soir puisque les personnes inscrites pour le ramadan ne peuvent pas manger dans la journée. Cela étant, nous n’avons pas de statistiques en la matière.
Quant à l’origine ethnique, elle ne donne pas lieu à l’attribution d’une cellule individuelle, pas plus que le niveau de ressources. Si un tel cas devait se produire, ce serait une entorse au code de déontologie.
Mme Annie Kensey. En ce qui concerne la question des personnes âgées, je comprends qu’elle froisse tout le monde ! J’ai fait une étude en la matière et j’ai fixé le seuil à cinquante ans. Avoir plus de cinquante ou de soixante ans en prison, c’est être beaucoup plus âgé que ce ne le serait à l’extérieur, car la population carcérale est bien plus jeune que la moyenne. C’est aussi une population qui a une hygiène de vie très dégradée, ce qui fait qu’à partir de cinquante ans les maladies sont plus fréquentes qu’à l’extérieur.
Au 1er janvier 2014, 2 400 personnes incarcérées avaient plus de soixante ans. Je pourrais rechercher le nombre des personnes de plus de quatre-vingts ans actuellement détenues, mais elles ne représentent qu’un très faible effectif.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Dans le tableau dont nous disposons, les catégories que vous avez établies sont assez précises lorsqu’il s’agit de jeunes, contrairement aux plus de soixante ans. La semaine dernière, nous avons vu, à la maison d’arrêt d’Osny, un détenu âgé de quatre-vingt-onze ans.
Mme Annie Kensey. En réalité, c’est une décomposition sociologique. La population âgée a crû depuis une dizaine d’années seulement.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. S’il n’y a pas d’autres questions, je vous remercie, madame, messieurs, pour la précision des réponses que vous avez bien voulu nous apporter.
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* *
Puis, la Commission procède à l’audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, nous sommes ravis de vous accueillir pour évoquer un sujet sur lequel votre prédécesseur avait émis, le 24 mars dernier, un avis qui vous inspire beaucoup et qui a motivé en partie notre travail : l’encellulement individuel.
Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir conviée à cette audition. Lors de la séance du 28 octobre 2014, votre assemblée a été saisie d’un amendement de Mme la garde des Sceaux proposant un moratoire sur la question – ô combien sensible ! – de l’encellulement individuel. Monsieur le président, vous en avez souhaité le retrait et vous avez proposé de mettre à profit ces quelques semaines qui nous séparent de la fin du mois de novembre pour trouver une autre solution. C’est dans ce contexte que j’ai l’honneur de répondre à votre invitation.
Cette question est au cœur de vos débats, et aussi des préoccupations du contrôleur général des lieux de privation de liberté. S’il est un sujet antinomique aux droits fondamentaux du détenu, c’est bien celui de la surpopulation carcérale qui empêche l’encellulement individuel, en contradiction avec les textes qu’ils soient législatifs ou réglementaires, nationaux ou européens, et avec la jurisprudence du Conseil d’État.
Vous connaissez l’historique de ce principe d’encellulement individuel, que nous souhaitons tous voir traduit dans les faits à brève échéance. Pour les détenus, ce n’est pas seulement un principe car il y va de leur dignité et de leur capacité à exercer des droits fondamentaux tels que le droit au travail, le droit à des relations familiales et le droit à la santé. La surpopulation carcérale empêche le bon exercice de ces droits.
Prévu par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, l’encellulement individuel devait entrer en vigueur le 15 juin 2003. En fait, son application a été successivement reportée à 2008 puis à 2009. Certes, la loi pénitentiaire de 2009 permet à un détenu de demander son transfert dans un établissement où il pourra obtenir la cellule individuelle qu’il souhaite, mais cette avancée est toute relative : le détenu doit choisir entre une cellule individuelle et le maintien de ses liens familiaux, ce qui n’est absolument pas normal. La loi pénitentiaire de 2009 a reporté l’application de la règle de l’encellulement individuel au 25 novembre 2014. Nous y sommes.
Rappelons la situation en quelques mots et chiffres. Au 1er octobre 2014, les prisons françaises comptaient 66 494 détenus – dont 44 700 en maison d’arrêt, un quart d’entre eux étant en détention provisoire – pour 58 054 places. La surpopulation carcérale atteint en moyenne 134 % dans les maisons d’arrêt, mais ce taux peut grimper à 150 % ou 180 %, voire jusqu’à 200 % dans les établissements d’outre-mer.
L’administration pénitentiaire indique qu’elle n’est pas en mesure de donner le chiffre précis de l’encellulement individuel en maison d’arrêt. C’est bien dommage, car ce chiffre est beaucoup plus important que le taux de surpopulation carcérale. Il peut très bien ne pas y avoir de surpopulation carcérale dans une maison d’arrêt qui ne dispose pour autant d’aucune cellule individuelle : par exemple, si toutes les cellules ont une superficie comprise entre onze et quatorze mètres carrés et qu’elles sont toutes occupées par deux personnes.
Prenons l’exemple de la maison d’arrêt de Dijon, que j’ai visitée avec mon équipe la semaine dernière. Au 3 novembre 2014, avec 235 personnes détenues présentes et une capacité théorique de 185 places, elle affichait un taux global d’occupation de 127 %, c’est-à-dire légèrement inférieur à la moyenne. Seulement 30 % des personnes placées en détention ordinaire – hors quartiers d’isolement, disciplinaires ou réservés aux mineurs – bénéficiaient d’un encellulement individuel : 28 % chez les hommes et 42 % chez les femmes. Nous allons effectuer cette comptabilité à chaque visite, puisque l’administration pénitentiaire ne peut pas la faire.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je me permets de vous interrompre, car les représentants de l’administration pénitentiaire que nous venons d’entendre nous ont donné cette statistique : 7 389 détenus occupent une cellule individuelle en maison d’arrêt, soit 16 % de l’effectif total.
Mme Adeline Hazan. Merci de me fournir ce chiffre qui confirme notre impression : c’est extrêmement peu.
Voilà pour l’état des lieux. Faut-il tout simplement attendre 2017 ? Certainement pas et vous avez eu raison de refuser cette option. L’encellulement individuel ne doit pas être le seul paramètre, dit la garde des Sceaux qui insiste sur les conditions de détention, la préservation des liens familiaux, l’accès au droit, au travail et à la santé. En fait, il n’y a pas lieu de choisir entre ces différents critères qui doivent tous faire partie des objectifs de la politique du ministère de la justice : tous ces droits sont prévus par les textes en vigueur.
Selon la circulaire de l’administration pénitentiaire de 1988, la taille minimum des cellules individuelles et collectives est respectivement de neuf et de douze mètres carrés. Actuellement, les détenus sont souvent contraints de cohabiter à trois dans des cellules de neuf mètres carrés et à six dans des cellules prévues pour quatre personnes. En plus, malgré cette surpopulation assez effrayante, le personnel pénitentiaire rajoute des matelas par terre. C’est indigne, et en totale contradiction avec la loi, les règles pénitentiaires européennes et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il ne vous aura pas échappé que, l’an dernier, la CEDH a condamné l’Italie dont le taux de surpopulation des prisons atteignait 150 % en moyenne, et qu’elle l’a mise en demeure de se mettre en règle. Je ne souhaiterais pas que l’on attende que la France soit aussi condamnée.
Le 22 mai 2012, mon prédécesseur, Jean-Marie Delarue, avait rendu un avis spécifique sur la surpopulation carcérale. Il montrait qu’au-delà de la question de la dignité des personnes, cette surpopulation avait des conséquences très négatives en termes d’accès à la santé et aux droits familiaux des détenus, et qu’elle créait des conditions de travail tout à fait insupportables pour les agents pénitentiaires.
Depuis cet avis, vous avez adopté la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, dont diverses dispositions devraient faire baisser le nombre d’entrants en prison : l’instauration de la contrainte pénale ; la suppression des peines-plancher ; la libération sous contrainte, avec un rendez-vous judiciaire obligatoire aux deux tiers de la peine. Cette dernière mesure va permettre de revoir la situation des condamnés et de multiplier les sorties : semi-liberté, placements en milieu ouvert, placements sous surveillance électronique, libérations conditionnelles. Actuellement, seulement 7 % des personnes éligibles à la libération conditionnelle bénéficient de ce régime.
Cependant, ces mesures positives ne suffiront pas à assurer un encellulement individuel en maison d’arrêt pour tous les détenus qui le souhaitent. Selon le Gouvernement, elles feront baisser le nombre de détenus de 2000 personnes d’ici à 2017. Comment aller plus loin ? Jean-Marie Delarue avait émis un avis le 24 mars 2014, publié au Journal officiel du 23 avril 2014, dans lequel il écartait l’hypothèse d’un nouveau moratoire, jugée inopportune, pour prôner l’établissement progressif de l’encellulement individuel sur une durée de cinq ans, au bénéfice de certains détenus : les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, malades, handicapées ou étrangères. Il proposait d’en définir la liste par voie réglementaire.
Cette proposition, qui n’a pas donné lieu à un examen par les pouvoirs publics, me paraît intéressante car elle rend possible l’encellulement individuel dans la rigueur des principes de la loi, au bénéfice de certaines catégories de personnes détenues, déterminées par les autorités. Je veux la reprendre à mon compte, tout en souhaitant prolonger la réflexion afin d’en évaluer la faisabilité. Comment libérer de la place pour que les personnes définies comme prioritaires puissent bénéficier d’un encellulement individuel.
Avant d’envisager une solution, je voudrais vous faire part d’une réflexion. Comment se fait-il que, dans notre pays, les prisons soient les seuls établissements où, pour le dire trivialement, « quand il n’y a plus de place, il y en a encore » ? Ce n’est pas le cas pour les maisons de retraite, les centres éducatifs fermés ou les hôpitaux : quand c’est complet, c’est complet. Une telle notion n’existe pas dans les prisons, où le taux de surpopulation grimpe jusqu’à un niveau indéfini.
Les prisons seraient-elles une zone de non-droit où l’on puisse entasser les gens à l’infini ? Non, évidemment. Pourtant, quand il y a déjà deux ou trois personnes dans une cellule de neuf mètres carrés, ou bien quatre, cinq ou six personnes dans une cellule de douze ou treize mères carrés, on rajoute parfois un matelas par terre. Le matin, il faut ranger le matelas pour que les autres détenus puissent poser le pied par terre. Cette pratique est absolument intolérable. Selon les chiffres officiels, publiés en octobre 2014, il y a 1 046 matelas de ce type dans le parc pénitentiaire français. Je propose donc d’interdire purement et simplement cette pratique, au nom de la dignité.
Comment faire baisser la surpopulation carcérale ? Le gouvernement précédent avait envisagé de créer 24 000 places supplémentaires pour porter la capacité du parc pénitentiaire français à 80 000 places. À mon sens, ce n’est pas la bonne démarche. Que nous soyons professionnels, élus ou sociologues, nous savons tous que le taux d’incarcération dépend davantage de l’évolution de la politique pénale que de celle de la délinquance. De même, au fil des décennies, nous avons tous constaté que l’accroissement des capacités de détention encourage à incarcérer.
Il faut donc poursuivre deux objectifs qui n’ont rien d’incompatibles, bien au contraire : moderniser le parc pénitentiaire tout en rejetant la politique du tout carcéral. Le plan de la garde des Sceaux de construire 2 881 nouvelles places nettes entre 2015 et 2017 m’apparaît amplement suffisant.
Comme le prévoit la loi du 15 août 2014, il faut augmenter le nombre d’aménagements de peines, ce qui sera néanmoins insuffisant pour parvenir à l’encellulement individuel de tous les prévenus ou condamnés qui sont incarcérés en maison d’arrêt. C’est pourquoi je suis amenée à faire une proposition supplémentaire, qui permettra de rendre effective et réalisable la solution proposée par mon prédécesseur : il faut non seulement interdire les matelas par terre, mais aussi fixer une capacité maximale pour chaque établissement pénitentiaire, ainsi que l’avait d’ailleurs proposé le député Dominique Raimbourg dans son rapport de janvier 2013.
Rappelons qu’en 1999 le comité des ministres du Conseil de l’Europe faisait cette recommandation : « Il convient, pour éviter des niveaux de surpeuplement excessifs, de fixer pour les établissements pénitentiaires une capacité maximale. » Pour les avoir rencontrés lors de ma prise de fonction, je sais que les syndicats de directeurs de prison sont parfaitement d’accord avec ce principe. Ils estiment que la moitié des problèmes des maisons d’arrêt découle de l’absence d’encellulement individuel et que les trois quarts des détenus souhaitent une cellule individuelle.
Comme je le constate sur le terrain depuis ma prise de fonctions, des expériences sont conduites autour de certains établissements via des accords entre les parquets, les juges de l’application des peines et les directions des établissements pénitentiaires. À Dijon, le procureur de la République reçoit tous les matins un état de la population carcérale. Dès qu’il voit que l’on commence à rajouter des matelas au sol, il alerte les magistrats du parquet et les juges de l’application des peines pour que des procédures d’aménagements de peines soient accélérées et que, si possible, la mise à exécution de courtes peines soit légèrement différée.
Pour intéressantes qu’elles soient, ces pratiques tiennent à des personnes et sont donc fragiles. Il faut les généraliser et aussi prévoir une accélération des sorties de condamnés qui approchent de leur fin de peine : celui dont le reliquat de peine est le plus court bénéficierait non pas d’une sortie sèche mais d’un aménagement de peine. Dans son rapport de 2013, M. Raimbourg indiquait qu’au 1er octobre 2012, 2 557 condamnés – soit 10 % des condamnés détenus en maison d’arrêt – n’avaient plus qu’un mois de peine à effectuer. Cette accélération des sorties permettrait de désengorger de façon significative les établissements pénitentiaires.
Cette solution nécessite du volontarisme et du courage. À dessein, je n’ai pas employé la notion de numerus clausus, qui est clivante et peut suggérer un certain automatisme. Plus que l’appellation, c’est l’esprit qui compte. En tout cas, il me semble que cette régulation de la population carcérale est la seule façon de désencombrer les prisons et donc de parvenir à l’encellulement individuel progressif que nous appelons de nos vœux. Ajoutée à l’effet des nouvelles mesures prévues par la loi du 15 août 2014, cette régulation fera baisser le nombre de détenus et nous permettra d’atteindre notre objectif dans un délai raisonnable et non pas dans plusieurs décennies.
Le moratoire pourrait être prolongé jusqu’au 1er janvier 2017 dans les conditions suivantes : interdiction de la pratique des matelas au sol ; mise en œuvre d’une régulation de la population carcérale qui permette d’appliquer l’encellulement individuel par étape, en commençant par les détenus les plus fragiles. La France rétablirait la dignité des détenus et des conditions de travail du personnel de l’administration pénitentiaire ; elle se mettrait enfin en conformité avec les textes européens, la loi votée depuis des décennies et la jurisprudence administrative.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci pour la clarté de vos propos et pour vos propositions qui résonnent de manière positive à l’oreille de beaucoup d’entre nous. Dans vos nouvelles fonctions, avez-vous souvent rencontré des détenus qui ne veulent pas être seuls en cellule ? Lors des débats sur la loi pénitentiaire de 2009, j’ai beaucoup entendu ce refrain sur le refus de la solitude. Mme Alliot-Marie, la garde des Sceaux de l’époque, présentait l’encellulement à plusieurs comme un moyen de prévenir les suicides, par exemple. Pour ma part, j’ai rencontré peu de détenus qui refusaient d’être seul, sauf parmi les plus âgés. Dans les trois établissements que j’ai visités au cours des trois dernières semaines, j’ai fait ce constat : les détenus ayant dépassé l’âge de cinquante-cinq ou soixante ans ne demandaient pas à être seuls mais, au contraire, estimaient que c’était inenvisageable pour eux.
Pour ma part, je considère que la prison est un lieu où il faut faire entrer le droit car l’arbitraire y est trop souvent la règle. Or, justement, interdire les matelas au sol, n’est-ce pas s’exposer à reconnaître son impuissance ? Comme vous le dites à juste titre, les prisons sont les seuls lieux où « quand il n’y a plus de place, il y en a encore ». La loi suffira-t-elle à bannir les matelas au sol ?
Mme Adeline Hazan. Pour ma part, j’ai rarement rencontré des détenus qui tenaient à partager leur cellule. Selon les syndicats pénitentiaires, la plupart souhaitent une cellule individuelle, mais demandent aussi plus de contacts avec les surveillants ou leurs codétenus et plus d’activités de travail ou de loisir. D’où l’importance de l’organisation de la prison et de ce qui se passe autour de la cellule.
D’après ce que j’ai pu lire et observer, les détenus ne désirent pas aller dans les établissements pénitentiaires modernes où ils souffrent de l’absence de contacts humains. À la maison d’arrêt de Dijon, qui affiche un taux de surpopulation de 127 %, les détenus souhaitent un encellulement individuel parce que c’est une prison humaine où les contacts sont nombreux. Ce n’est pas le sujet du jour, mais ce constat remet en question la construction d’établissements de 500 à 700 détenus qui, comme la prison de Joux-la-Ville, se trouvent souvent au milieu de nulle part, loin – jusqu’à vingt ou trente kilomètres – des moyens de transport utilisés par les familles. Il faut privilégier les établissements de taille moyenne, d’environ 200 détenus, et situés autant que possible en milieu urbain.
Nous exposerions-nous à devoir reconnaître notre impuissance en interdisant les matelas au sol ? Dans un État de droit, il y a des choses que nous devons refuser. Ajouter un matelas par terre alors que trois personnes s’entassent déjà dans une cellule prévue pour une, ce n’est pas acceptable.
M. Dominique Raimbourg. Dans l’intervalle, avant que différentes mesures prennent corps et soient efficaces, vous semblerait-il utile que l’encellulement individuel soit réservé aux primo-arrivants qui subissent le choc carcéral ? Précisons que certaines personnes fragiles craignent d’être seules durant la nuit, qui est longue en prison – de dix-huit heures trente à sept heures du matin –, d’autant que toutes les cellules ne disposent pas d’un système d’appel. Se sentir mal la nuit dans une cellule d’où il est difficile d’appeler quelqu’un peut faire peur à des personnes fragiles.
Ma deuxième question rejoint celle de Jean-Jacques Urvoas, dont je partage le scepticisme quant à l’efficacité d’une interdiction des matelas au sol. Vous paraîtrait-il choquant qu’il y ait une sorte d’« indemnisation » de la surpopulation ? On pourrait imaginer, par exemple, que chaque jour de détention compte double pour les personnes détenues à trois dans une cellule prévue pour une. Si les conditions ne sont pas satisfaisantes, la détention est plus lourde et doit être comptabilisée comme telle. Sans développer la comparaison pour ne vexer personne, je rappelle qu’une campagne compte double quand les militaires sont exposés à un grand danger.
Enfin, les directeurs de prisons expliquent que la séparation entre prévenus et condamnés est parfois lourde à gérer. Cette séparation vous paraît-elle encore pertinente, sachant que la plupart des prévenus, ne nous leurrons pas, sont voués à devenir des condamnés ? S’ils doivent rester présumés innocents jusqu’à leur éventuelle condamnation, est-il pour autant utile de le séparer des condamnés ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il est étonnant de voir à quel point la question de l’encellulement a varié dans le temps. À une époque, l’encellulement était vu comme favorisant le retour sur soi et donc la rémission. Le législateur de juin 1875, qui prévoyait l’encellulement individuel, tenait un raisonnement inverse de celui de Dominique Raimbourg : la peine des détenus en cellule individuelle était réduite d’un quart, tant leur condition était jugée plus dure.
Mme Adeline Hazan. Oui, il serait utile de réserver les cellules individuelles aux primo-arrivants qui le demandent. C’est une bonne idée de vouloir généraliser ce qui s’applique déjà dans la plupart des établissements où un quartier est réservé aux primo-arrivants.
« Indemniser » pour cause de surpopulation, pourquoi pas ? Cependant, je crains que ce soit une manière de se défausser et de ne jamais arriver à l’encellulement individuel.
La séparation entre prévenus et condamnés est obligatoire, mais je ne suis pas convaincue qu’elle ait un sens et qu’il faille la maintenir, d’autant qu’elle pose d’énormes problèmes de gestion de la population carcérale aux directeurs d’établissements. Un prévenu est certes présumé innocent, mais est-ce que cela l’empêche de cohabiter avec une personne déjà condamnée ?
Pour revenir à la question posée par le président, je rappelle que ma mission consiste à visiter les établissements, mais aussi à répondre à des saisines individuelles, ce qui représente plus de 4 000 lettres par an. Il y a quelques jours, j’ai encore reçu le témoignage poignant d’un détenu qui raconte que l’octroi d’une cellule individuelle l’a sauvé et a permis sa réinsertion. À l’inverse, une femme, qui est détenue en Bretagne et qui souhaite un encellulement individuel, m’explique qu’on lui propose de partir à Grenoble pour en bénéficier. « Je ne vais pas partir à l’autre bout de la France sous prétexte que je veux être seule car je veux garder mes liens familiaux et mes chances de réinsertion », écrit-elle. Nous recevons des cris de détresse de personnes qui ne peuvent pas être en cellule individuelle.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Combien de détenus ont demandé à bénéficier du dispositif prévu en 2009, préférant être transférés dans une autre prison pour avoir une cellule individuelle ? J’ai posé la question au Gouvernement et j’attends toujours la réponse. Selon les syndicats pénitentiaires, ce dispositif fonctionne très mal.
Mme Adeline Hazan. Mon expérience de quatre mois me permet de dire qu’il ne fonctionne pas bien.
M. Alain Tourret. Permettez-moi d’abord, madame, de vous remercier pour la qualité de votre intervention.
Certains détenus ont engagé des actions en dommages et intérêts – je connais ceux de Caen car ils étaient défendus par mon associé – et l’État a été condamné à de nombreuses reprises, en particulier pour absence de douche. L’État a-t-il été condamné aussi pour non-respect de l’encellulement individuel à la suite d’actions engagées par des détenus ?
Mme Adeline Hazan. Je sais que des actions ont été engagées pour ce motif de cohabitation forcée, et je crois qu’il y a eu des condamnations à des dommages et intérêts.
Mme Laurence Dumont. Avez-vous plus de détails sur les mesures prises par l’Italie à la suite de sa condamnation par la CEDH ?
Par ailleurs, vous reprenez à votre compte, dites-vous, la proposition faite par votre prédécesseur dans l’avis émis le 24 mars 2014 et publié au Journal officiel du 23 avril 2014. Jean-Marie Delarue envisageait la mise en place progressive de l’encellulement individuel, en commençant par des populations jugées prioritaires, parmi lesquelles les détenus de plus de soixante ans, qui cependant, d’après ce que le président Urvoas vient de nous dire, ne sont pas très demandeurs. Pourquoi les détenus âgés et les détenus étrangers sont-ils classés dans les populations prioritaires ?
Enfin, je fais une sorte de fixation sur les surfaces des cellules. Toute une aile du centre pénitentiaire de Caen est constituée de cellules de 5,44 mètres carrés – en tendant les bras, vous touchez les deux murs – alors que les détenus y purgent de très longues peines. Êtes-vous favorable à ce que la circulaire de 1988 sur les surfaces soit précisée, ne serait-ce que pour fixer une taille minimale obligatoire.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Éric Senna, magistrat à Montpellier et enseignant à l’université, m’a adressé un document où il détaille les mesures prises par l’Italie après sa condamnation. Il sera adressé aux membres de la Commission et amené au rapport d’information de la Commission.
Mme Adeline Hazan. Dans une nouvelle décision, la CEDH a pris acte des efforts entrepris depuis un an par l’Italie en termes d’aménagements de peines. Elle constate que les mesures ont contribué à faire baisser le nombre de détenus et que l’Italie commence ainsi à se mettre en conformité avec les règles européennes.
Madame Dumont, je suis favorable au principe d’un encellulement individuel progressif, et donc à un nouveau moratoire. De quelle durée ? Mon prédécesseur proposait cinq ans ; j’envisagerais plutôt un report jusqu’au début de 2017.
Jean-Marie Delarue définissait des catégories de personnes vulnérables, notamment les détenus âgés. Selon le président de votre commission, ceux-ci ne seraient pas très demandeurs de cellules individuelles. En fait, cela dépend des cas. Certaines personnes menaient une vie active à l’extérieur et se voient mal cohabiter dans une cellule de neuf mètres carrés ; d’autres se sentent plus atteints par l’âge et souhaitent une compagnie. Jean-Marie Delarue cherchait à protéger d’abord les détenus les plus problématiques ou les plus fragiles, mais il reste à les définir. L’ajout proposé par Dominique Raimbourg me semble très judicieux : par hypothèse, les primo-arrivants sont des détenus fragiles.
La circulaire de 1988 sur les surfaces n’est malheureusement pas respectée et il semble nécessaire d’y apporter des précisions. Même les cellules individuelles sont immédiatement équipées de deux lits « pour le cas où », comme disent les directeurs d’établissement. Dans une cellule de neuf mètres carrés dotée de lits doubles en hauteur, chacun doit rester assis sur son lit car il n’est pas possible de bouger.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Après avoir visité les deux nouvelles maisons d’arrêt d’Orléans-Saran, il y a quinze jours, je confirme vos propos. Pour l’instant, un seul lit est installé dans les cellules de neuf mètres carrés, mais l’arrivée d’un lit superposé est prévue comme en témoigne la veilleuse présente sur le mur…
Mme Adeline Hazan. Dans la plupart des nouvelles maisons d’arrêt, les deux lits sont installés d’emblée. Les directeurs expliquent que ce sont des cellules individuelles, mais qu’on y met deux lits « au cas où ».
M. le président Jean-Jacques Urvoas. D’ailleurs, le directeur du centre pénitentiaire d’Orléans-Saran m’a indiqué que la « zone de chalandise », si j’ose m’exprimer ainsi, de son établissement allait croître, son ouverture étant concomitante à la fermeture des prisons d’Orléans et de Chartres, et qu’il commençait en outre à accueillir des détenus de Blois, car la création de nouvelles possibilités d’incarcérer suscite une hausse des incarcérations.
Mme Adeline Hazan. En ce qui concerne les détenus étrangers, je pense que mon prédécesseur voulait protéger ceux qui ne parlent pas le français. On peut cependant renverser l’argument et penser qu’un détenu français ou francophone pourra aider son codétenu étranger à effectuer certaines démarches.
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Enfin, la Commission procède à l’audition de M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous recevons M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire, qui va contribuer à la réflexion de notre commission sur l’encellulement individuel.
M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire. Je vous remercie de m’avoir invité à partager votre réflexion sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt. Cette invitation fait suite au moratoire, sur le point de prendre fin, qui fut introduit par l’article 100 de la loi pénitentiaire, en lien avec la question de la distribution intérieure des locaux et leur taux d’occupation.
Le très vieux principe d’encellulement individuel sert aujourd’hui à guider notre politique pénitentiaire en vue de garantir des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne incarcérée et de lutter contre la surpopulation carcérale. La réaffirmation de ce principe par la loi pénitentiaire nous permet de nous conformer aux règles pénitentiaires européennes, et notamment à la règle 18.5 aux termes de laquelle chaque détenu doit être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres.
Dans le cadre de cette intervention, je vous propose une réflexion générale sur le surencombrement carcéral, liée à la question du taux d’occupation. Je n’évoquerai pas ici la distribution intérieure des locaux, dont vous avez discuté avec le directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire et que Pierre Victor Tournier a évoquée en référence à la circulaire de 1988. En effet, ce sujet renvoie à des enjeux immobiliers. Or je n’ai pas compétence pour évoquer leur dimension budgétaire ni présenter un état du bâti et des cellules individuelles et collectives existant à ce jour. Je parlerai davantage des maisons d’arrêt que des établissements pour peine – ce sont en effet les premières qui sont essentiellement confrontées à ce problème de distribution des locaux et disposent encore en nombre important de cellules prévues à des fins d’encellulement collectif. J’aborderai ainsi le deuxième aspect du moratoire précité : le surencombrement temporaire des établissements pénitentiaires.
C’est là que se situe le nœud du problème. Si, depuis 2000, nous allons de moratoire en moratoire, comme l’a souligné Mme Hazan lors de son audition, c’est que la surpopulation carcérale nous empêche de pouvoir proposer à chaque personne détenue une cellule individuelle, notamment la nuit – comme le recommandent les normes internationales et internes. Votre commission ne s’y est d’ailleurs pas trompée en confiant à la mission d’information présidée par M. Dominique Raimbourg le soin de produire un rapport sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale – rapport dont je me servirai pour soutenir mon argumentation. Ces éléments étant débattus, il ne faudrait pas que votre commission omette son propre travail dans sa réflexion d’aujourd’hui.
Les constats établis sont bien connus de vous : promiscuité alarmante – qui a pour conséquence une perte d’intimité et donc des tensions et des frustrations ; insalubrité – due à la suroccupation des cellules et à la surutilisation des locaux et équipements collectifs ; enfin, violence entre personnes détenues ainsi qu’envers les surveillants. Cette dernière serait due à la promiscuité conjuguée à l’insalubrité et à l’oisiveté forcée.
Je complèterai le tableau en portant un regard plus spécifique sur les conséquences de la surpopulation sur les relations entre surveillants et détenus – objet de mes travaux de recherche – qui sont essentielles dans un établissement pénitentiaire. Les personnels de surveillance et les détenus constituent les deux blocs numériques les plus importants et les plus proches du monde carcéral. La sécurité des établissements dépend de la qualité des relations professionnelles entretenues entre les surveillants et les personnes détenues. Ces relations sont surdéterminées par plusieurs éléments caractéristiques qui en influencent la nature au-delà même de la personnalité des protagonistes. J’énumérerai plusieurs de ces éléments mais m’attarderai davantage sur la question de la surpopulation.
Tout d’abord, la relation entre surveillants et détenus est par essence antagoniste. En effet, le surveillant est payé, au nom du peuple français, pour maintenir enfermée la personne détenue qui, comme tout un chacun, rêve de sa liberté. Ensuite, cette relation s’organise à l’intérieur d’un cadre carcéral qui est lui-même contraignant, d’une part, vis-à-vis des surveillants qui doivent respecter les règles de cet environnement et, d’autre part, vis-à-vis des personnes qui y sont incarcérées. Mais, élément plus important encore, les surveillants sont au quotidien en rapport numérique défavorable. Ils sont en effet souvent seuls à s’occuper d’un étage de 50 à 80 détenus dont certains se trouvent dans des cellules surencombrées.
Malgré cela, les surveillants et les détenus se trouvent dans une situation de dépendance mutuelle structurellement imposée. Les détenus ont besoin des surveillants pour leurs déplacements et pour certains services, de même que les surveillants ont besoin d’un minimum de collaboration de la part des personnes détenues pour pouvoir accomplir leur mission. Cette cohabitation imposée va, de la contrainte, s’orienter vers une collaboration. Pour maintenir l’ordre et la sécurité dans les établissements pénitentiaires, les surveillants doivent continuellement affirmer leur autorité, en même temps qu’ils doivent aussi accompagner au quotidien les personnes détenues, dans le cadre d’une relation personnalisée – en vue de la pacification de la détention. Cette gestion rigoureuse de la détention permet aux personnes détenues de se sentir protégées et d’avoir l’esprit libre pour se projeter dans l’avenir et s’investir dans les activités qui sont susceptibles de leur être proposées au sein des établissements pénitentiaires –travail, formation, scolarisation, etc.
Cela requiert de la part des surveillants une vigilance permanente : le surveillant doit avoir l’œil et l’oreille partout, il doit être en alerte tout le temps. Cette vigilance est essentielle pour la sécurité de tous. Mais l’on pourrait envisager la question différemment : la vigilance continue des surveillants vis-à-à-vis des détenus leur permet aussi de protéger ces derniers contre eux-mêmes, c’est-à-dire tant contre l’auto-agression que contre les autres détenus. Elle permet aussi aux surveillants de les rappeler à l’ordre chaque fois que les prescriptions du règlement intérieur ou les consignes ne sont pas respectées. Cette pratique du rappel quotidien à la règle revêt une dimension pédagogique indéniable : elle représente un élément d’apprentissage et d’intégration de l’interdit et du permis, c’est-à-dire un élément de préparation à mener une vie responsable au terme de l’incarcération, comme le précise la loi pénitentiaire.
Or la surpopulation carcérale, que je considère comme le principal obstacle à l’encellulement individuel, limite fortement cette approche. En effet, face à une telle situation, l’efficacité avec laquelle le surveillant accomplit sa mission de rappel des règles baisse sensiblement pour deux raisons : soit que ses capacités d’observation soient amoindries, soit que, conscient de sa position d’infériorité numérique, il renonce à adresser des observations, à établir des rapports d’incident ou à faire des remontrances aux personnes détenues pour éviter tout conflit. Dans le même ordre d’idées, on pourrait considérer que la protection des personnes détenues perd également en substance.
Ainsi, la surpopulation carcérale, bien qu’elle soit très régulièrement abordée sous l’angle de l’atteinte à la dignité des personnes détenues, a aussi des conséquences sur le fonctionnement général des établissements. Non seulement elle altère les conditions de détention mais, en outre, elle remet en cause le respect de cette dignité et fragilise la sécurité des uns et des autres. Ainsi nuit-elle à l’accomplissement des missions confiées à l’administration pénitentiaire.
Dans votre rapport d’information du 23 janvier 2013, on apprend que dans de nombreuses maisons d’arrêt, la surpopulation rend illusoire le respect du principe d’encellulement individuel des prévenus – principe réaffirmé à l’article 87 de la loi pénitentiaire. On y apprend aussi que l’ampleur de l’encellulement collectif résulte principalement de l’inadéquation entre les capacités d’hébergement du parc carcéral et les flux d’entrée en détention auxquels il faudrait ajouter le maintien en maison d’arrêt des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement supérieures à deux ans, qui sont en attente de transfèrement dans un établissement pour peine. Ces observations, que je partage, vous font aboutir à un constat plus brutal qu’il nous faut regarder en face et qui suppose un sursaut volontariste de la part des pouvoirs publics, des acteurs judiciaires et pénitentiaires. Le constat est simple : tenues, indépendamment de leur taux d’occupation, d’accueillir l’ensemble des personnes placées en détention provisoire ou condamnées à la suite d’une décision judiciaire, les maisons d’arrêt se trouvent dans l’incapacité de garantir le respect du principe énoncé au premier alinéa de l’article 716 du code de procédure pénale.
Dès lors, que faire ? J’évoquerai trois pistes de réponse, suivant un raisonnement progressif et cumulatif. Nous nous retrouverons d’ailleurs sur l’une de ces trois pistes, à laquelle votre rapport fait référence.
La première piste consiste à entreprendre une réflexion globale sur la chaîne pénale avec les différents acteurs impliqués pour gérer au mieux les flux entrants et sortants ainsi que les stocks. Différents rapports ayant été publiés à ce sujet, il conviendrait que l’on puisse réfléchir à notre politique pénale générale. On l’a fait récemment dans le cadre de la loi du 15 août 2014 qui a donné l’occasion de repenser la place de la prison, longtemps considérée comme la bonne à tout faire du système pénal, par rapport à celle du milieu ouvert. On a même eu l’ambition un temps de créer une peine qui n’ait comme référence que le milieu ouvert. Ce débat, qui a évolué, a conduit à instaurer la contrainte pénale.
Cette réflexion relative à la chaîne pénale doit nous amener à changer les pratiques des magistrats, des personnels pénitentiaires et des responsables politiques. Nous savons aujourd’hui que dans les pays qui sont confrontés à cette question, plusieurs pistes d’approche sont proposées. La première, la plus facile, consisterait à créer des places de prison supplémentaires pour résorber le trop plein. À cet égard, on entend souvent dire qu’en France, il manquerait quelque 24 000 places. Mais la nature ayant horreur du vide, nous n’avons pas la garantie que le problème de la surpopulation carcérale serait définitivement résolu avec la construction de ces nouvelles places, si nous ne modifions pas par ailleurs nos pratiques en matière d’incarcération.
Si nous avons déjà mené cette réflexion générale sur la pratique pénale, celle-ci n’est cependant jamais achevée compte tenu de la présence des acteurs concernés et de l’opinion publique mais aussi de l’environnement global. Ne perdons jamais de vue que la peine privative de liberté doit être pensée et prononcée dans le cadre d’une politique criminelle moderne qui exige qu’elle soit appliquée dans le respect du principe de proportionnalité. Un tel principe devrait nous conduire à penser les autres mesures existantes comme de véritables réponses pénales – notre arsenal juridique en comprenant plusieurs, parmi lesquelles la contrainte pénale. Cette dernière pourrait permettre de régler en amont le problème des flux. Cependant, toute réponse pénale doit aussi être choisie en fonction des caractéristiques de la personnalité des intéressés. Dans les autres pays où la question a été traitée, on a d’ailleurs constaté que, chaque fois que l’autorité judiciaire disposait de davantage d’éléments sur la personnalité d’un prévenu, le recours à la prison était abordé de manière différente. Nous nous sommes donc efforcés de changer notre façon de faire pour tenir compte de tels éléments : la loi du 15 août dernier a ainsi introduit une césure dans le procès pénal afin de permettre d’abonder la connaissance que l’on peut avoir de la personnalité de l’individu.
Dans le cadre cette réflexion globale sur la chaîne pénale, il nous faut également déterminer la qualité de vie sociale que nous souhaiterions offrir aux personnes détenues. Il ne me semble pas que l’encellulement individuel doive être l’alpha et l’oméga de la pensée pénitentiaire : il conviendrait de l’insérer dans un projet global intégrant aussi la question de la vie sociale en prison. Car lorsque l’on sera parvenu à donner une cellule à chaque personne détenue, l’objectif sera-t-il qu’elle y reste 23 heures sur 24 ?
La deuxième piste, plus pratique, s’appuie sur les expériences existantes : il conviendrait d’instaurer des instances locales de régulation favorisant un dialogue régulier entre les acteurs judiciaires, pénitentiaires et préfectoraux, afin de définir des seuils d’alerte et des indicateurs communs, d’imaginer des solutions, et ainsi de permettre une utilisation efficace de la prison – y compris pour la société, dans la perspective de la prévention de la récidive. En effet, les conditions dans lesquelles les surveillants et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation travaillent en maison d’arrêt remettent en cause leur efficience. L’instauration d’instances locales se réunissant à intervalles réguliers et jouant un rôle d’autorité de régulation en ce domaine pourrait donc constituer une solution intéressante. Mme Hazan a rappelé l’expérience de Dijon tandis que dans votre rapport, vous avez-vous-même repéré des expériences concluantes à Fresnes ou ailleurs. Il conviendrait d’approfondir cette piste afin de ne pas laisser son application dépendre du bon-vouloir des acteurs mais d’en faire un élément de gestion de la question pénitentiaire dans notre pays.
La troisième piste, combinée aux deux précédentes, consisterait à prévoir un seuil maximal de double occupation des cellules durant une période de trois ans – le moratoire demandé faisant mention d’une telle durée. Cette piste pourrait être un moyen de parvenir progressivement à l’encellulement individuel en maison d’arrêt.
L’idée de la double occupation est tirée d’un principe de réalité puisqu’il sera difficile de parvenir, avant le 25 novembre, à appliquer le principe d’encellulement individuel. J’ai observé la manière dont les Canadiens avaient réagi, alors qu’ils étaient confrontés à un changement législatif tendant à une politique plus répressive. Anticipant une augmentation de la population carcérale, qui n’était pas contrebalancée par une évolution aussi rapide de la construction de nouvelles places de prison, les Canadiens ont instauré un principe de double occupation comme solution temporaire : celui-ci consiste à placer deux individus dans une cellule prévue pour loger une seule personne. Inacceptable au Canada, cette solution y a suscité beaucoup de tensions. Elle constituait pourtant une manière d’anticiper l’accroissement de la population carcérale. Les Canadiens ont néanmoins fixé un seuil maximal de 20 % de détenus en double occupation par établissement pénitentiaire. Je précise que les cellules du parc canadien sont plus petites que les nôtres. Si l’on en croit les statistiques figurant dans la circulaire de l’administration pénitentiaire, nos cellules font entre 5 et 11 m². Les Canadiens considèrent leurs cellules de 6 à 7 m² comme des cellules individuelles susceptibles de faire l’objet d’une double occupation, contrairement aux cellules de 5 m².
Je rappellerai que s’il est choquant chez nous que l’encellulement individuel ne soit pas respecté, on sait en outre que les personnes détenues ne sont pas que deux dans les cellules prévues pour une personne. Mme Hazan a fait allusion à l’installation de matelas au sol : de telles situations, que Pierre Victor Tournier connaît très bien, sont celles qui portent le plus atteinte à la dignité des personnes. Par conséquent, en attendant de résorber la surpopulation carcérale, ou de combiner les trois pistes qui précèdent, la double occupation pourrait constituer une solution a minima, à condition qu’un tel choix s’inscrive dans le cadre d’une réflexion exigeante que les Canadiens ont engagée et qui les a conduits à définir des critères d’attribution de cellules et d’exemption de ce principe – en fonction de la vulnérabilité et de la dangerosité respective des détenus.
En résumé, je souhaiterais réaffirmer l’intérêt de maintenir le principe d’encellulement individuel, ne serait-ce que parce qu’il donne sens à l’action pénitentiaire, même s’il est difficile à appliquer dans la réalité. Cet enjeu n’est pas uniquement d’ordre pénitentiaire mais relève de la nation puisque l’administration pénitentiaire exécute les décisions prononcées par l’autorité judiciaire : nous ne saurions réfléchir à l’encellulement individuel sans modifier nos pratiques judiciaires. Je sais que le numerus clausus, parfois évoqué comme l’une des solutions, n’est pas considéré aujourd’hui comme une option politiquement correcte. Mais ce qui importe, ce sont les solutions que nous pourrons élaborer ensemble pour rendre ce principe applicable.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Considérez-vous que nous avons manqué une occasion lors de la réforme pénale ? Aurions-nous dû intégrer le paramètre de la surpopulation carcérale dans nos débats d’alors en explorant les pistes que vous venez d’évoquer ? Quelle plus-value l’instance de régulation locale que vous avez proposé de créer apporterait-elle selon vous ? On pourrait en effet considérer que la surpopulation carcérale ne concerne pas tant le préfet que les magistrats et l’administration pénitentiaire.
M. Paul Mbanzoulou. Outre le fait que le préfet est chargé de la sécurité, l’enjeu en cause a une portée transversale ne se limitant pas à l’institution judiciaire et à l’administration pénitentiaire. Il s’agit en réalité d’une question de société, l’opinion publique étant très sensible aux pratiques d’exécution des peines. De plus, lorsque j’évoque le préfet, je songe en réalité à l’ensemble des acteurs concernés par le contrat local de sécurité, l’objectif étant de conférer davantage de poids aux préconisations qui pourraient être formulées par cette instance locale. Dès lors que la solution du numerus clausus est exclue, les autorités qui prononcent des mesures et celles qui les mettent à exécution doivent pouvoir se parler afin d’assigner des seuils précis et des critères qu’il leur faudra définir – en termes de suroccupation et de difficulté à organiser les parloirs et à proposer des activités aux personnes incarcérées. La définition d’indicateurs chiffrés locaux pourrait s’avérer plus efficace que celle d’indicateurs nationaux, la situation des établissements pénitentiaires n’étant pas identique d’une direction interrégionale à une autre. C’est pourquoi je préconise la création d’une instance locale de régulation officielle se réunissant à intervalles réguliers et qui aurait pour objet d’examiner la situation d’occupation des établissements relevant de leur ressort.
Quant à savoir si une occasion a été manquée, j’ai eu le bonheur d’être auditionné par le rapporteur de votre commission préalablement à l’adoption de la loi du 15 août 2014 : j’avais alors regretté que l’accent que l’on avait souhaité mettre sur le milieu ouvert, en créant une peine qui n’ait comme référence que ce dernier, ait été légèrement dévié, puisque la possibilité d’une incarcération a été introduite. En même temps, cela fut l’occasion de beaucoup d’échanges, et notamment d’une conférence de consensus en amont. Il me semble donc que le débat a eu lieu. Mais le temps du débat diffère de celui qui est nécessaire à l’évolution des mentalités. Et le débat lui-même a sans doute souffert d’un antagonisme politique qui a empêché toute analyse objective et conduit à jeter l’anathème sur certaines réflexions. Cela a parfois eu pour effet d’inhiber des initiatives.
Par contre, la loi comprend une disposition intéressante : la possibilité d’instaurer des mesures de justice restaurative à chaque stade du procès pénal. Nous verrons comment cette disposition se traduira dans les faits, notamment dans le domaine de la médiation pénale. Si j’ai beaucoup écrit sur le sujet, j’ai aussi eu l’opportunité, lorsque j’étais professeur à l’université de Pau, d’être médiateur du procureur de la République pendant six ans, chargé des questions familiales – violences conjugales, non-présentation de l’enfant, abandon de famille. Je sais par conséquent que ces mesures peuvent permettre de rétablir le lien social et de responsabiliser les protagonistes mais aussi de désengorger les tribunaux.
L’occasion n’a donc pas été complètement manquée ; il convient à présent de continuer à nourrir notre réflexion générale sur la chaîne pénale. J’ai eu l’occasion d’animer la première expérience des rencontres détenus-victimes à la maison centrale de Poissy : si cette possibilité existe aujourd’hui dans la phase d’exécution de la peine, il reste beaucoup à construire afin que la prison ne soit plus toujours la bonne à tout faire du système pénal.
M. Dominique Raimbourg. Vous avez beaucoup étudié la relation entre détenus et surveillants. L’effort en faveur de l’encellulement individuel sera-t-il bien reçu par le personnel de surveillance, sachant que l’atmosphère qui règne dans les maisons d’arrêt dépend aussi de la manière dont les surveillants perçoivent les changements qui y sont opérés ?
Vous avez insisté sur l’opportunité de créer des instances locales de régulation. Or, la réforme pénale a créé une nouvelle instance, les états-majors de sécurité, au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance. Ces états-majors réunissent le préfet, le directeur de l’établissement pénitentiaire, le procureur, le directeur départemental de la sécurité publique et le colonel de gendarmerie : pensez-vous qu’ils pourraient constituer l’instance adéquate pour dialoguer sur l’utilisation de l’outil qu’est la prison ?
Enfin, si ce dialogue a lieu au sein d’une telle instance, comment faire en sorte que les décisions de cette dernière revêtent un caractère obligatoire pour tous de sorte que lorsque l’on atteint un taux de 120 à 130 % de suroccupation, on libère les détenus les plus proches de la date de leur sortie et l’on ralentisse les courtes peines – à même niveau de sécurité, comme le disait Pierre Victor Tournier ?
M. Paul Mbanzoulou. Il convient effectivement d’insister sur la nécessité de maintenir un même niveau de sécurité afin de ne jamais laisser penser qu’il s’agit de laxisme – celui-ci n’arrangeant ni les uns ni les autres. Il est envisagé de prévenir la récidive des personnes condamnées et de mettre les moyens nécessaires pour qu’une fois leur peine purgée, elles puissent tirer profit de cette parenthèse, non pas pour se maintenir dans la délinquance mais pour s’insérer dans la conformité de notre société.
De ce point de vue, si l’encellulement individuel est présenté comme un moyen de réduire la surpopulation carcérale, il améliorera aussi les conditions de travail des personnels de surveillance, et la sécurité des établissements pénitentiaires. Comme vous le savez, le personnel de surveillance entretient parfois un rapport de surenchère vis-à-vis de la population carcérale : lorsque l’on accorde un droit aux personnes détenues, les surveillants le vivent comme si un pouvoir leur était retiré. Enfin, les surveillants trouvent une plus-value à leur métier dès l’instant où ils peuvent s’engager dans des relations plus pacifiées avec les détenus : ces relations se traduisent par davantage d’écoute de la part de ces derniers ainsi que par des échanges réguliers avec eux, que ne permettent pas les conditions d’incarcération que nous avons évoquées.
Si la question de l’encellulement individuel est parfois biaisée, c’est lorsqu’on la présente uniquement comme étant motivée par la nécessité de respecter la dignité des personnes détenues – raison pour laquelle je ne l’ai pas abordée sous cet angle. Car si cela est pour nous chose entendue, un tel motif peut au contraire devenir un élément de clivage pour les personnels de surveillance. J’ai l’habitude de dire aux surveillants que si les détenus sont des ordures, alors ils sont des éboueurs, tandis que s’ils reconnaissent les détenus en tant que personnes humaines, ils seront en mesure d’exiger d’eux certaines choses. En d’autres termes, le regard que l’on porte sur la personne détenue rejaillit toujours sur l’image que l’on a de soi-même.
Enfin, s’il est sans doute possible de réfléchir à la notion de régulation au sein des états-majors de sécurité, je souhaiterais que l’on puisse se doter d’une instance qui aurait pour objet exclusif d’échanger tous les trois mois ou à échéance régulière sur les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires, sur les flux d’entrée et de sortie de ces établissements et sur la gestion des stocks. Dès lors que ces éléments feront l’objet d’un échange partagé, les professionnels seront suffisamment responsables pour trouver les solutions justes et légales.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous vous remercions pour votre contribution qui nous permettra de faire progresser notre réflexion.
CONTRIBUTION DE M. JEAN-PAUL CÉRÉ, DIRECTEUR DU MASTER DE DROIT DE L’EXÉCUTION DES PEINES DES UNIVERSITÉS DE PAU
ET BORDEAUX IV
L’encellulement individuel est un objectif poursuivi par le législateur depuis le XIXe siècle. Si ses fondements ont notablement évolué au fil de l’histoire pénitentiaire, les dernières décennies ont été marquées par la volonté du législateur de traduire enfin ce principe dans la réalité. Réaffirmé avec constance dans son principe, l’encellulement individuel a cependant fait l’objet de reports dans sa mise en œuvre, par trois fois, depuis l’an 2000.
Les divers programmes d’extension du parc pénitentiaire, censés favoriser le respect de l’encellulement individuel se sont avérés insuffisants. Alors que le dernier report prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 doit s’achever le 25 novembre 2014, l’encellulement individuel apparaît plus que jamais comme un vœu pieu. Il relève de l’évidence qu’il ne pourra être pleinement appliqué dans un proche avenir, quand bien même les difficultés se concentrent sur une seule catégorie d’établissement, les maisons d’arrêt.
Face à cette difficulté récurrente, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a identifié dans son rapport du 24 mars 2014, trois directions possibles :
- prévoir un nouveau report pour la mise en application effective de l’encellulement
- donner un plein effet théorique à l’encellulement individuel sans pouvoir le consacrer dans la réalité
- cibler des catégories de détenus qui seules pourraient en bénéficier en pratique.
Compte tenu du caractère incontournable du droit pénitentiaire européen aujourd’hui, il me semble important d’alimenter la réflexion à l’aune des exigences supra nationales. Le droit européen prône le respect de l’encellulement individuel sans pour autant que l’on puisse en inférer un caractère impératif. Comment d’ailleurs pourrait-il l’imposer ? Certaines situations peuvent commander parfois au contraire un emprisonnement en commun (détenu suicidaire, raisons culturelles…).
Tout d’abord, pour ce qui concerne le Comité de prévention contre la torture du conseil de l’Europe – dont on rappellera que les normes dégagées par le comité n’ont pas a priori de valeur obligatoire –, ses rapports font référence au principe de l’encellulement individuel mais des critères sont également posés pour l’emprisonnement collectif. Il est donc permis de penser qu’à défaut d’emprisonnement individuel, la détention de plusieurs détenus dans une même cellule est autorisée ou, à tout le moins, tolérée. Le comité de prévention contre la torture considère en effet les grands dortoirs comme inadaptés aux prisons (c’est-à-dire les pièces qui accueillent plusieurs dizaines de détenus (normes CPT, CPT/Inf/E (2002) 1 - Rev. 2013, p. 27). En revanche, il a pu juger acceptables, dans plusieurs rapports, des pratiques consistant à héberger plusieurs détenus dans une seule cellule (par ex. cellules de 9 à 10 m2 occupées par deux détenus, cellules de 12m2 occupées par trois détenus et cellules de 16 à 17 m2 occupées par quatre détenus43, ou encore cellule de 21 m2 accueillant cinq détenus, même si dans ce dernier le CPT aurait préféré une occupation à quatre44. Finalement, pour le Comité de prévention contre la torture, si l’encellulement individuel doit bien être recherché, le curseur de l’acceptabilité des conditions de détention doit se focaliser sur la surface disponible par détenu au sein d’une cellule, plutôt que sur celui de l’encellulement individuel ou non.
Ensuite, du côté des règles pénitentiaires européennes, là encore, on peut estimer que le critère de l’encellulement apparaît incitatif ; et ce à un double titre. En premier lieu, les règles pénitentiaires ne sont pas obligatoires mais correspondent à un guide auquel les Etat parties doivent se référer. En second lieu, leur contenu invite au respect de l’encellulement individuel, sans cependant interdire l’emprisonnement collectif, aussi bien d’ailleurs pour les condamnés (ex. règle 18.5 : « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle » ; règle 18.7 : « dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit ») que pour les prévenus (règle 96, « autant que possible, les prévenus doivent avoir le choix de disposer d’une cellule individuelle, sauf s’il est considéré comme préférable qu’ils cohabitent avec d’autres prévenus ou si un tribunal a ordonné des conditions spécifiques d’hébergement »). Par comparaison, le critère tenant au respect de la dignité de la personne présent un caractère impératif (règle 18. 1 : « Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine…»).
Enfin et surtout, rien n’indique dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le non-respect de l’encellulement individuel porte en lui-même les germes d’une condamnation pour traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article trois de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le critère d’inconventionnalité repose sur le respect de la dignité du détenu au travers de la surface disponible et des conditions de détention. 3m2 apparaît comme un standard minimum en deçà duquel une violation de l’article 3 est inévitable (CEDH 12 juill. 2012, Vartic c. Roumanie, n° 12152/05) tandis qu’un espace personnel supérieur à 4m2 est considéré comme suffisant (CEDH 12 déc. 2013, Kanakis c. Grèce (n° 2), n° 40146/11). La présence d’un espace de vie en cellule particulièrement restreint suffit donc à lui seul pour conclure à une violation de l’article 3. Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, « le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 » (CEDH 7 avr. 2005, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99). Cela concerne les cas de surpopulation flagrante quand l’espace personnel accordé au détenu est inférieur à 3 m² (par ex., CEDH 22 juill. 2014, Bulatović c. Monténégro, n° 67320/10). Lorsque le manque d’espace est moins sévère (entre 3 et 4m2) et que la surpopulation n’est pas importante au point de soulever, pour la Cour, à elle seule, un problème sous l’angle de l’article 3, cette dernière intègre d’autres aspects des conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. C’est le cas pour des éléments tels que la possibilité pour un requérant de bénéficier d’un accès aux toilettes dans des conditions respectueuses de son intimité, la ventilation, l’accès à la lumière naturelle, l’état des appareils de chauffage ainsi que la conformité avec les normes d’hygiène (par ex. CEDH 22 avr. 2010, Goroshchenya c. Russie, n° 38711/0). La Cour prend en compte la configuration de la cellule et son équipement dans l’examen du respect de l’article 3. L’espace personnel dévolu au détenu s’entend pour la Cour de façon effective, c’est-à-dire que le critère de superficie retenu est déterminé, une fois déduit l’encombrement du mobilier (ex. table, lit, chaises, CEDH 25 avr. 2013, Canali c. France, n°40119/09).
Les conditions de détention, indépendamment parfois de la surface disponible, sont appréciés plus strictement au regard de la situation de vulnérabilité ou en tenant compte de l’état de santé du détenu mais ne sont pas liées au respect ou non d’un emprisonnement en cellule individuelle. Ce sont les réponses apportées à l’état de santé physique ou psychique qui sont prises en considération par la Cour pour établir ou non une violation de la convention, y compris lorsqu’il s’agit d’un détenu âgé (ex. CEDH 7 juin 2001, Papon c. France ; CEDH 25 sept. 2012, Patsos c. Grèce, n° 10067/11).
Finalement, ce sont bien plus les conséquences de l’emprisonnement collectif qui posent plus difficulté que l’absence de généralisation de l’encellulement individuel. Cette dernière est liée à une situation de surpopulation avec des effets générés en termes de conditions de détention et de respecte de la dignité humaine.
Ce constat découlant du droit européen et l’impossibilité de généraliser l’encellulement individuel pourraient inviter à chercher une solution intermédiaire, qui maintiendrait le principe de l’encellulement individuel dans le Code de procédure pénale, tout en ciblant un public prioritaire pour en bénéficier. La proposition du contrôleur général des lieux de privation de liberté en ce sens dans son rapport du 24 mars 2014 est une piste intéressante. Elle se heurte cependant à un obstacle tenant à l’identification des publics bénéficiaires.
Cet obstacle pourrait être levé en s’inspirant des décisions de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme sur le terrain de l’article 3 de la Convention. Il ressort de sa jurisprudence que certaines catégories de personnes doivent faire l’objet de conditions de détention particulièrement adaptées à leur situation (à savoir détenus handicapés, détenus ayant des problèmes de santé, détenus non fumeurs) au travers du recours parfois à la notion de particulière vulnérabilité (détenus souffrant de troubles psychiatriques). Le recours à la jurisprudence européenne permettrait de limiter le nombre de catégories de personnes concernées tout en augurant d’une nécessaire souplesse d’application de la règle. Ces situations commandent le plus souvent une incarcération dans une cellule individuelle mais l’encellulement individuel devra toujours pouvoir faire l’objet d’une dérogation, soit à la demande expresse du détenu soit dès que les risques qu’il encourt justifient qu’il ne reste pas seul. En effet, comme il a été indiqué précédemment le critère primordial dans la jurisprudence de la cour européenne revient à analyser la réponse apportée par les autorités à la situation du détenu. Y compris, pour ces publics que l’on pourrait considérer comme prioritaires, par exception, l’incarcération de plusieurs détenus dans une même cellule doit toujours être envisageable.
Pour s’insérer dans le droit fil des exigences européennes et notamment des recommandations du Comité de prévention contre la torture, cette évolution devrait se traduire par la disparition progressive des cellules dites « chauffoirs » qui accueillent plus de quatre ou cinq détenus. Une date butoir pourrait être envisagée pour acter la suppression de ce type de cellules collectives.
Quelle que soit la voie tracée par le législateur dans les prochains jours en matière de respect de l’encellulement individuel, celle-ci est en réalité consubstantielle d’une réflexion plus fondamentale à mener rapidement. Elle tient aux moyens à mettre en œuvre pour lutter véritablement contre la surpopulation carcérale, à l’image de ce que vient de réaliser le législateur Italien (lois des 21 févr., 28 avr., 16 mai et 11 août 2014).
CONTRIBUTION DU DOCTEUR MICHEL DAVID, PRÉSIDENT
DE L’ASSOCIATION DES SECTEURS DE PSYCHIATRIE
EN MILIEU PÉNITENTIAIRE (ASPMP)
Préambule
La présente demande de la commission des lois survient dans un délai très contraint alors que la date limite du moratoire est connue depuis 5 ans. La contribution demandée sera succincte et se contentera sans développement inutile d’avancer des évidences aux trois questions posées mais aussi fera des propositions concrètes. L’ASPMP ciblera sa réponse sur les questions psychiatriques et laissera à ses collègues somaticiens l’argumentation pour les pathologies médicales non psychiatriques.
1. Quels sont les effets médicaux produits par l’actuelle situation de surpopulation carcérale des maisons d’arrêt françaises ?
Il est présomptueux de parler de problèmes médicaux.
Inutile de médicaliser les insomnies liées aux ronflements des cocellulaires, à l’inquiétude de côtoyer un voisin dont on n’est pas certain, à la télévision comme bruits de fond toute la nuit, aux rondes des surveillants qui réveillent régulièrement comme autrefois les Dragonnades du maréchal Louvois, aux insomnies anxieuses liées aux cogitations inhérentes à l’affaire pénale ou au contexte pénitentiaire.
Peut-on être surpris des états anxieux face aux tensions d’une vie collective, de violences ordinaires, d’attentes sans délais des courriers, des autorisations de parloirs, des audiences auprès des juges qui ne viennent pas, des avocats que l’on attend désespérément, des consultations médicales qui peuvent ne pas venir comme on le voudrait, malgré des douleurs persistantes (et notamment dentaires), des rackets multiples ou des violences diverses dont sexuelles (et que la surpopulation n’évite pas)
Comment ne pas être déprimé pour toutes ces raisons ?
Un contexte aussi violent ne peut supporter un patient nettement malade psychiatriquement, qui délire, est plus ou moins incurique, se montre inadapté à l’organisation interne de la cellule et finalement devient une victime du fait de sa vulnérabilité de la part de ses codétenus.
Évidemment, toutes ces situations conduisent à des prescriptions de psychotropes de manière souvent abusive et propice à toutes sortes de trafics.
2. Sur un plan médical, l’encellulement individuel doit-il être le mode d’encellulement de principe ?
L’encellulement individuel devrait être de principe mais de principe aussi doit être demandé à chaque personne détenue si elle préfère être seule ou à plusieurs (dans des cellules à la superficie et l’équipement, notamment hygiénique adaptés).
Certaines personnes peuvent ne pas supporter la solitude.
Le choix doit être possible comme celui de disposer de plus de choix pour des cellules fumeurs ou non-fumeurs.
La recherche de l’alliance pour partager une cellule doit être recherchée au maximum et ne pourra que faire diminuer les situations de violence.
Évidemment, les limites au regroupement peuvent être justifiées en fonction du profil pénal des intéressés.
3. Si des catégories de personnes détenues vulnérables devant bénéficier par priorité de l’encellulement individuel devaient être définies, comme l’a suggéré l’avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté en date du 24 mars 2014 (JO du 23 avril 2014), quels devraient être les critères de vulnérabilité retenus ?
Parmi les personnes vulnérables citées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), l’ASPMP se limitera à évoquer les personnes souffrant de troubles mentaux dont celles qui ont été reconnues handicapées et qui bénéficient d’une allocation d’adulte handicapé et/ou qui sont sous mesure de protection juridique.
Avant d’évoquer l’encellulement individuel, qui devrait n’être qu’un ultime recours, pour des personnes souffrant de troubles mentaux, il conviendrait de se pencher sur les propositions du CGLP, notamment diminuer le flux d’entrée et augmenter le flux de sortie.
1. Pour diminuer le flux d’entrée :
En cas de doute sur l’état mental d’un prévenu et avant jugement, il est impératif d’évaluer celui-ci et demander une expertise psychiatrique. Pour le permettre, il est impératif que l’Etat prenne en considération la situation dramatique et absurde de l’expertise psychiatrique pénale. Il n’est en état pas acceptable que les juges d’instruction, constatant les importantes perturbations psychiques d’un prévenu, l’incarcèrent en considérant que les SMPR ou les UCSA vont traiter le problème en prison. Un établissement pénitentiaire n’est pas un établissement hospitalier, même si des équipes hospitalières y sont présentes. Elles sont en quelque sorte des antennes avancées. Il n’est pas digne, ou plutôt c’est malhonnête de considérer les prisons comme des lieux de soins identiques à des hôpitaux.
2. Pour augmenter le flux de sortie :
Prévoir des aménagements de peine ou le recours à la suspension de peine pour raisons psychiatriques ou à la mise en liberté à tous les stades de la procédure comme le permet la loi du 15 août 2014 dans les situations qui relèvent de la suspension de peine.
L’encellulement individuel pour les personnes souffrant des affections mentales les plus sérieuses, pour reprendre l’expression utilisée dans l’avis du CGLPL, ne doit être qu’une mesure d’urgence dans l’attente de trouver une solution pour ces personnes qui manifestement relèveraient davantage de l’hôpital (ou de tout autre outil thérapeutique du secteur psychiatrique) que de la prison. Il n’est pas concevable de laisser à l’Administration pénitentiaire et à ses agents la lourde charge de s’occuper des personnes détenues présentant d’importants problèmes psychiatriques, qui les mettent en difficulté sans oublier celles rencontrées par les autres personnes détenues non malades. Se contenter de la situation actuelle consiste à favoriser l’émergence de situations dangereuses.
Propositions
1. La fabrique de la loi demande rigueur et évaluation des conditions de sa faisabilité. Il conviendrait d’apprécier le nombre de personnes vulnérables souffrant des affections mentales les plus sérieuses. Cette proposition a d’ailleurs été faite au cours des travaux du groupe missionné sur la suspension de peine pour raison médicale. Les Pouvoirs publics n’ont actuellement aucune connaissance de la prévalence de ces situations en prison. Le CGLPL évoque environ 17 000 personnes présentant des troubles mentaux et 10 000 d’entre elles qui ne devraient pas être incarcérées. Même si cette étude épidémiologique ne doit concerner que les maisons d’arrêt du fait du surpeuplement, l’étude devrait être étendue aux centres de détention et aux maisons centrales qui comptent nombre de personnes souffrant de graves troubles mentaux.
Une étude épidémiologique devrait donc être lancée de toute urgence (à laquelle, sous certaines conditions, l’ASPMP pourrait contribuer).
2. La procrastination à attaquer frontalement le problème de l’expertise pénale psychiatrique devrait enfin s’arrêter. L’année 2015 risque de voir un effondrement des experts inscrits sur les listes de cour d’appel. De nombreux spécialistes (45)(46) alertent les ministères mais en vain semble-t-il, tellement la complexité des règlements bloquent toute évolution (47).
3. Le recours à tous les outils (sanitaires, sociaux, juridiques, et notamment la contrainte pénale) dont dispose notre société avancée devrait permettre une diminution du nombre de personnes détenues présentant des troubles mentaux. Il va être nécessaire que les ministères (santé/justice) collaborent étroitement et de manière exemplaire (comme ils nous demandent régulièrement de le faire) pour trouver des solutions communes et bien sûr avec l’appui bienveillant de Bercy….
Le présent document n’a pu être élaboré par le bureau et le conseil d’administration de l’ASPMP du fait des délais contraints qui nous sont imposés et qui ne nous ont pas permis de nous soustraire dans des délais trop courts à nos obligations hospitalières auprès de nos patients pour participer à l’audition du jeudi 13 novembre.
Ce texte engage uniquement son rédacteur et président de l’ASPMP.
CONTRIBUTION DE M. ÉRIC SENNA, MAGISTRAT, MAÎTRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER I
Remarques préliminaires
La présente note se substitue aux observations orales que j’envisageais de présenter aux membres de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale au cours de la table-ronde qu’elle organise le 13 novembre prochain et à laquelle son Président m’avait proposé de participer mais sans qu’il m’ait été possible de pouvoir m’y rendre.
Elle s’appuie sur une réflexion doctrinale synthétisée dans un ensemble de publications juridiques parues depuis l’adoption de la loi pénitentiaire en 2009, et sur une pratique juridictionnelle en cour d’appel comme Président de chambre de l’application des peines pendant huit ans en charge également du contentieux de l’indemnisation de la détention provisoire non justifiée.
*****
Au cours des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi du 24 novembre 2009, le Parlement avait refusé d’abolir le principe séculaire de l’encellulement individuel contre l’avis du Gouvernement tout en constatant en l’état une impossibilité matérielle de mise en oeuvre de la configuration du parc pénitentiaire et de ses capacités.
C’est ainsi qu’a vu le jour, un nouveau moratoire résultant de l’article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui précise :
« Dans la limite de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application.
Cependant, la personne condamnée ou, sous réserve de l’accord du magistrat chargé de l’information, la personne prévenue peut demander son transfert dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un placement en cellule individuelle ».
Deux autres textes en déclinent le principe, ce sont les articles 716 (prévenus) et 717-2 (condamnés) du code de procédure pénale.
Pour le placement en cellule collective, c’est le dernier alinéa de l’article 716 du CPP qui en fixe les conditions :
- capacité suffisante en adéquation avec le nombre de personnes hébergées,
- aptitude à leur cohabitation,
- garanties de sécurité et de dignité aux personnes.
À l’heure du bilan, à l’issue des cinq années qui se sont écoulées, la situation s’est-elle modifiée ?
Sur ce point, les constats sont certainement plus évidents à établir que la formulation de réponses pertinentes, laquelle est nettement plus complexe.
En préliminaire, cela a déjà été amplement souligné, aussi je ne ferai que rappeler le manque cruel de données chiffrées fiables et objectives sur la proportion et la répartition de l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires.
En premier lieu, la question de la surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt reste un phénomène de haut niveau et de large ampleur qui continue d’altérer les efforts de tous. Lorsqu’elle se combine avec la problématique qui a trait aux conditions matérielles de détention, cela conduit à reléguer au second rang certaines préoccupations essentielles comme l’encellulement individuel mais aussi l’adéquation des cellules collectives au nombre de personnes hébergées ainsi que la séparation entre prévenus et condamnés.
En second lieu, si la situation en établissement pour peine apparaît être dans les clous de la loi puisque l’administration pénitentiaire parvient à y maintenir un numerus clausus – encore que les établissements situés en outre-mer connaissent une surpopulation carcérale généralisée tout quartiers confondus – le clivage qui existe avec les maisons d’arrêt où est appliqué un régime de détention unique « portes fermées », provoque à statut pénal similaire, une inégalité de traitement générée par la possibilité légale en application de l’article 717 al 2 CPP de maintenir les condamnés jusqu’à deux ans d’emprisonnement.
Au sein des maisons d’arrêt, les objectifs de réinsertion sociale assignés à l’exécution de la peine sont donc largement obérés.
Par exemple, l’application de programme de réadaptation sociale à certaines catégories de personnes détenues qui a été largement encouragée par le Jury de la Conférence de consensus en suivant notamment les enseignements positifs résultant de l’expérimentation « CAIRN » menée cette année au Centre pénitentiaire de Marseille, reste conditionnée par le niveau de tension permanente intrinsèque à ce type d’établissement.
Le principe de réalité va t-il l’emporter à nouveau sur les objectifs que la législation pénale la plus récente continue d’assigner à la détention ?
Autrement dit, l’encellulement individuel ne serait-il qu’un principe de force relative, voire subsidiaire ?
L’amendement au projet de loi de finances qui vous était présenté par le Gouvernement inclinait en ce sens puisque Madame la Garde des Sceaux vous a déclaré qu’à l’échéance du moratoire, le Gouvernement ne serait pas en mesure de satisfaire à son obligation bien qu’il y travaillait depuis près d’un an en faisant le constat qu’objectivement, cela se situait hors de portée.
C’est dire que la méthode du moratoire qui consiste à repousser l’échéance d’une entrée en vigueur trouve ainsi ses limites. Elle est guère prometteuse puisque les délais consentis ne sont pas mis à profit pour combler les lacunes. Il s’agit d’une problématique qui a une traduction juridique sous forme de l’exercice de droits individuels. Par ailleurs, elle révèle une inadaptation structurelle des capacités d’hébergement pénitentiaires tributaires des fluctuations des orientations de politique pénale.
Je me limiterai ci-après à développer quelques observations sur cette question sur le plan juridique. Pour déterminer la force effective de la règle de l’encellulement individuel, on peut observer comment les dérogations au moratoire sont effectivement mises en œuvre.
Les demandes de personnes condamnées fondées sur l’alinéa 2 de l’article 100 qui autorise un transfert dans un établissement pour bénéficier d’une cellule individuelle sont rares car il est vrai qu’en toutes circonstances, la personne détenue privilégie les contacts avec ses proches plutôt que ses conditions matérielles de détention. Par ailleurs, lorsqu’une demande existe, il est constant que celle-ci n’est pas satisfaite à bref délai et qu’il n’y a aucune garantie pour l’intéressé de pouvoir conserver une cellule individuelle dans le nouvel établissement d’affectation.
En matière de détention provisoire, le pouvoir de modifier ses modalités appartient au juge qui est à l’origine de la privation de liberté, lequel peut prescrire une affectation dans un autre quartier de l’établissement ou en cellule individuelle. A défaut, il peut ordonner un transfert vers un établissement pénitentiaire limitrophe.
Ce schéma théorique se heurte aux obstacles nés de la pénurie de cellule individuelle et de la saturation des établissements. Du fait d’un taux de densité carcérale très élevé, le chef d’établissement dispose rarement de marges de manœuvre pour satisfaire la demande du juge, notamment si celle-ci concerne plusieurs prévenus d’une même affaire.
Si l’Administration pénitentiaire doit répondre à une telle sollicitation ; en pratique, cela aboutira à un éloignement du milieu familial et à une fréquence diminuée des parloirs.
Pour illustrer ces éléments, je citerai l’exemple de la région Languedoc-Roussillon où les quatre maisons d’arrêt situées dans un rayon de 200 kms au bord du littoral méditerranéen sont toutes en situation de suroccupation à des degrés plus ou moins prononcés oscillant entre 135 % et 240 %.
Pour deux d’entre elles (Nîmes : 80 matelas à terre, Perpignan : 40), il n’y a plus aucune souplesse, plus d’une centaine de détenus n’ont qu’un matelas posé au sol de la cellule pendant la nuit en guise d’espace privatif. L’effectif des personnes écrouées atteint plus du double de la capacité théorique de l’établissement.
Il s’ensuit une surutilisation tout à fait anormale du quartier d’isolement comme d’ailleurs M. Jean-Marie Delarue l’avait fait observer dans son avis en date du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel.
Reste les deux autres établissements qui sont situés à une heure de trajet où il n’y a plus de cellules individuelles (toutes doublées par l’installation de lit superposé). Dans ces conditions, le changement de prison aboutira nécessairement à un changement de région géographique ( Cf, en ce sens CE 29 mars 2010).
Au final, on peut affirmer que les correctifs mis en place ne fonctionnent pas et sont purement formels. A ma connaissance, il n’existe pas encore de décisions des juridictions administratives sur ce point.
La qualité des conditions de détention influe aussi sur l’effectivité de l’encellulement individuel. Sur ce point, ces trois dernières années ont été fertiles en rebondissement à Strasbourg où converge le contentieux issu de l’article 3 CESDH prohibant les traitements inhumains et dégradants.
La Cour européenne des droits de l’homme a eu le souci de renforcer la protection conventionnelle de la dignité humaine en captivité ce qui doit être mis en relation avec une montée généralisée du surpeuplement carcéral en Europe.
Schématiquement, trois décisions topiques peuvent illustrer la démarche de la Cour de Strasbourg au cours de cette période.
La première étape a concerné la Roumanie. Ce pays a été soumis en 2012 (CEDH 24 juil 2012 Stanciu) à une procédure d’arrêt quasi-pilote en application de l’art 46 CESDH (sans énonciation de mesures générales que l’Etat membre doit prendre) du fait des nombreuses requêtes répétitives mettant en cause des violations de l’article 3 CESDH générées structurellement par son système répressif et par des prisons surpeuplées et obsolètes.
Le montant de l’indemnisation de 20000 € allouée au requérant est à souligner même s’il intégrait également la dégradation de son état de santé.
La seconde étape a concerné l’Italie. La Cour de Strasbourg a prononcé six mois plus tard en début d’année 2013 à l’encontre de ce pays, un arrêt pilote pour les mêmes raisons (CEDH 8 janv 2013, TORREGGIANI). Le montant cumulé de l’indemnisation allouée aux six requérants s’élevait à la somme de 106.000 €.
Dans ces deux affaires, le juge européen a mis en exergue d’une part, le défaut de recours préventif efficace ( c’est à dire la possibilité d’obtenir la cessation de la violation ) et d’autre part, l’absence de recours compensatoire.
La troisième étape concerne la France (CEDH 25 avril 2013, Canali). Dans l’histoire jurisprudentielle des conditions de détention, cette affaire s’est trouvée à la croisée des chemins contentieux pénal et administratif avant que la juridiction européenne ne reconnaisse l’effectivité du recours compensatoire puisqu’elle considère aujourd’hui que les détenus : « qui ont été mais ne sont plus détenus dans des conditions susceptibles de porter atteinte à leur dignité », ne peuvent prétendre épuiser les voies de recours internes en empruntant la seule voie pénale, sans initier de recours indemnitaire devant les juridictions administratives (CEDH. 2 avril 2013, Théron c. France).
La Cour a jugé que : « l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles d’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier et à le rabaisser », situation qui s’analysait en « un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention ».
C’est donc une sanction sans appel des problèmes d’hygiène et d’insalubrité en cellule conjugués à la promiscuité par le confinement en cellule la majeure partie du temps de détention. C’est somme toute, un exemple caractéristique de la situation dégradée au sein de nombreuses maisons d’arrêt françaises. Plus la densité carcérale est élevée, et moins l’encellulement individuel y est pratiqué et plus celle-ci est vétuste et moins l’hébergement s’accomplit selon des normes minimales d’hygiène.
Cette décision constitue donc pour la France une sérieuse mise en garde des juges européens assortie d’une satisfaction équitable de 10000 € au titre du préjudice moral.
Il est intéressant de la rapprocher avec celle qui concernait l’Italie.
À cet égard, on ne peut qu’être frappé par l’existence de plusieurs similitudes tenant à l’évolution de la population pénale mais aussi aux diligences des autorités pour y apporter des réponses adéquates.
En quinze ans de 1991 à 2006, le nombre de détenus en Italie avait augmenté de 26000 personnes, soit une croissance annuelle de 1700 personnes. Une loi du 30 juillet 2006 a accordé aux condamnés des remises de peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Après une purge sans pareil, l’effectif de la population pénale était passé de 61000 à 39000 personnes. Pourtant en six ans, cet effectif est remonté en 2012 à 67000 détenus alors que la capacité totale pénitentiaire était de 47000 détenus, soit près de 20000 détenus en surnombre.
En 2010, l’État italien déclarait l’état d’urgence en recourant à la loi sur les catastrophes naturelles qu’il a appliqué aux prisons en le reconduisant année après année pour résoudre la crise pénitentiaire. Pendant quatre ans, l’urgence est ainsi devenue cyclique par l’emploi de mesures extraordinaires.
Pourtant quatre ans auparavant, l’État italien avait été mis en garde par un précédent résultant d’un constat de violation de l’article 3 CESDH (CEDH, 16 juillet 2009, SULEJMANOVIC).Il s’agissait là d’une détention subie dans une prison de Rome où le requérant placé en cellule collective avec cinq autres personnes, était confiné dans un espace personnel réduit à une moyenne de 2,70 m².
Le critère matériel de violation portait sur le manque d’espace personnel vital limité à 3 m² et sur la saturation consécutive des équipements, sans que la vétusté, l’insalubrité des lieux ou l’altération des conditions d’hygiène générales ne soit ici en cause.
En 2013, la Cour a logiquement eu recours à la procédure d’arrêt pilote, en constatant l’existence de problèmes structurels à l’origine des violations. Elle a précisé les mesures générales et les actions particulières que l’État défendeur devait prendre pour y remédier. L’Italie a ainsi bénéficié d’un délai de grâce de douze mois suspendant l’examen des 3 500 requêtes ayant pour unique objet le surpeuplement carcéral pour présenter un programme d’actions qui a fait l’objet d’un suivi d’exécution par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe.
Comme l’arrêt CANALI qui concerne la situation française n’est pas sans rappeler celle de l’Italie ayant donné lieu à la décision SULEJMANOVIC de 2009, il est intéressant de regarder ce que dans l’intervalle de son côté, l’Italie a mis en place.
Au moyen de quatre lois du 9 août 2013 et des 21 février, 28 avril et 16 mai 2014, des mesures subtancielles ont été adoptées, prévoyant tout à la fois la construction de nouveaux bâtiments et une meilleure répartition des détenus, l’accroissement des réductions de peine, l’augmentation des mesures alternatives à la détention, l’institution d’un médiateur national, la refonte des sanctions applicables aux délits mineurs, l’accroissement de la liberté de mouvement en dehors des cellules, un accès plus facile au travail et une augmentation des visites familiales et la mise en place d’un système informatique de gestion en temps réel des places en établissement.
Elle a également renforcé les voies de recours internes par plusieurs décrets-lois, en prévoyant que tout détenu peut présenter devant un juge une réclamation portant sur le non-respect par l’administration des dispositions de la loi pénitentiaire entraînant une atteinte grave à l’exercice de ses droits, dont le droit à disposer d’un espace vital suffisant et à bénéficier de conditions matérielles de vie convenables.
Ce qui est absolument novateur ici c’est que le juge peut accorder une compensation en nature sous forme d’une réduction de la peine restant à purger correspondant à un jour pour dix jours de détention et à défaut sous forme de compensation pécuniaire à raison de huit euros par jour.
Il faut noter que par deux décisions récentes du 16 septembre 2014 (Stella et Rexhepi c/Italie),la Cour a conclu qu’elle ne disposait pas d’éléments qui lui permettait de juger que ces nouveaux recours ne présentaient pas, en principe, des perspectives de redressement approprié des griefs tirés de l’article 3 CESDH quand bien même la requête avait été introduite avant l’arrêt pilote et a rejeté le recours des requérants.
Ainsi est mis en lumière, les effets positifs induits par une collaboration loyale et constructive de l’Etat en cause, son degré d’implication dans le suivi de l’exécution de l’arrêt pilote est décisif ( - 13000 détenus en Italie entre 2010 et 2014 ). Inversement, si l’Etat concerné ne démontre pas une volonté tangible de régler le problème structurel à l’origine des constats répétitifs de violation, la Cour de Strasbourg n’a alors pas d’autres choix que de mettre fin à sa décision d’ajournement et de juger l’ensemble des requêtes multiples similaires en instance (Par ex : CEDH GC 6 octobre 2005 Hirst c/ Royaume-Uni, sur la privation du droit de vote aux détenus).
Les statistiques pénitentiaires au 1er octobre 2014 confirment le maintien du niveau élevé de la surpopulation carcérale et la progression continue de la population pénale détenue, même s’il existe un léger ralentissement : + de 12000 détenus sont en surnombre et 1100 sont sur un matelas alors qu’une proportion de + 20 % des condamnés sous écrou se trouve en aménagement de peine.
Plusieurs observations peuvent être formulées :
- le premier terme d’un constat de réitération est posé. Par comparaison, l’Italie avait eu quatre années pour modifier la situation dans ses prisons.
- l’État français doit faire la démonstration qu’il a infléchi sa politique pénale et a engagé des réformes structurelles. Le vote de la loi du 15 août 2014 a constitué une première étape en ce sens. Leur effectivité constituera une seconde étape.
- à défaut, la perspective existe pour la France d’une décision plus rigoureuse, voire d’un arrêt quasi-pilote.
Cela amène à envisager les scénarii de ce que pourrait être une autre étape.
La CEDH pourrait user de cette méthode, si l’État français ne fournissait pas de solides assurances que dans les années à venir, il aura mis en place des réponses démontrant que notre système pénal ne génère plus mécaniquement des violations renouvelées en ce domaine.
Une affaire Yengo c/ France qui a été classée au niveau 3 par la Cour fait l’objet d’un suivi attentif. Elle est relative à la situation pénitentiaire à Nouméa qui avait donné lieu en 2011 à des recommandations en urgence du CGLPL, suite à sa visite inopinée sur place. Dans cette instance, le CGLPL et la CNCDH ont été autorisés à faire une tierce intervention commune en juin 2013.
Une décision récente du 2 octobre 2014 (CEDH Fakailo c/ France) qui a déclaré irrecevable le grief tiré des mauvaises conditions de détention au Camp-Est à Nouméa ne doit pas être interprétée comme écartant toute possibilité de condamnation.
En effet, la Cour a rappelé par le passé, que la personne détenue qui se plaint de mauvaises conditions de détention, reste recevable dans son recours, même si elle a fait ensuite l’objet d’un changement de cellule, d’un transfèrement ou d’une libération et même si elle a obtenu une compensation par les juridictions internes.
Au bénéfice de ces observations, il est possible de soutenir que la faisabilité de l’encellulement individuel est conditionnée par l’enclenchement d’une résorption de cette surpopulation (Cf, RPE 18.4) , la suppression des chauffoirs (Recommandation CPT, 11ème rapport général) et la réhabilitation ou la fermeture des établissements vétustes (Cf, RPE 18.5). Par ailleurs, il devient urgent de fixer un taux maximum d’occupation en maison d’arrêt au delà duquel un certain nombre de mesures devraient être prises :
- suspension des mises sous écrou des condamnés libres en exécution de peine inférieure ou égale à un an effectuées à la diligence des Parquets ,
- mise en œuvre accélérée par les SPIP des dispositions du nouvel article du 720 CPP sur la libération sous contrainte ,
- accès direct des juridictions aux tableaux de bord par établissement établis quotidiennement par les DISP pour leur permettre de faire application du nouvel article 707 CPP ,
- développement d’un logiciel (déjà expérimenté en PACA) permettant de déterminer les seuils de criticité affectant les différentes fonctions d’un établissement au regard de sa densité carcérale. ( Cf. Circ JUSD 1422849 C du 26 sept 2014 relative à la présentation des dispositions de la loi n° 2014-896 du 26 sept 2014, p14 qui préconisent des échanges réguliers entre les juridictions et les établissements afin d’assurer une connaissance en temps réel des conditions de détention)
Il reste qu’en l’état, ces objectifs ne pourront pas être atteints à court terme. Ne pas renouveler le moratoire conduirait à une autre impasse. De fait, cela affaiblirait encore la portée de ce principe qui restant lettre morte, pourrait favoriser le développement d’un nouveau contentieux indemnitaire.
La reconduction du moratoire pourrait donc être envisagée dans les limites suivantes :
- en réduisant sa durée qui ne devrait pas excéder le délai de trois ans,
- en retenant une modulation progressive pour permettre l’accès à l’encellulement individuel à certaines catégories de détenus hébergés en maison d’arrêt notamment pour les prévenus primaires, ceux qui sont les plus vulnérables à raison de leur état de santé et/ou de leur état psychologique et pour ceux qui ont été victimes d’agissements transgressifs émanant d’autres détenus ,
- en libéralisant ses modalités pour ne maintenir l’encellulement individuel des condamnés que pendant la nuit comme dans les établissements pour peine (Cf, RPE 18.9) ,
- en recherchant un assouplissement du régime de détention au sein de certains secteurs des maisons d’arrêt ,
- en y favorisant l’activité des personnes détenues pour y généraliser les programmes de réadaptation sociale sous forme de groupe de parole en direction notamment des condamnés exécutant des peines comprises entre six mois et un an.
Dans l’avis du 24 mars 2014 précité, Jean-Marie Delarue, alors Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait proposé d’amorcer une dynamique de retour progressif de ce principe législatif dans la réalité carcérale. Dans un communiqué récent du 2 octobre 2014, son successeur, Adeline Hazan a réaffirmé toute l’actualité qui s’attachait à ces propositions.
Ne pas s’engager dans une perspective raisonnable de progrès, certes de manière modeste, aboutirait à se résoudre à un aveu d’impuissance.
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR
l Centre pénitentiaire d’Orléans-Saran (Loiret)
— M. Didier VOITURON, directeur
— M. Jérôme TRICOT, chef de détention
— Mme Sophie VERMANDER, lieutenant
— M. Ludovic GRIGIS, surveillant, secrétaire local FO Personnels de surveillance
— M. Vincent ESCLOUPIE, surveillant, secrétaire local FO Personnels de surveillance
l Maison d’arrêt de Béthune (Pas-de-Calais)
— M. Bruno LEPORINI, directeur
— Mme Camille LESSEHI, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation
— M. Fayçal BOUCENNA, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation
— M. Luc VANNOBEL, lieutenant
— M. Stéphane DUTOMBOIS, major
— M. Alain FLAMENT, premier surveillant
— M. Serge BARBIEUX, premier surveillant
— M. Wilfried SZALA, secrétaire local FO Personnels de surveillance
— M. Thierry TURLEURE, adjoint au secrétaire local FO Personnels de surveillance
— M. Cedric DEPREZ, délégué régional FO Personnels de surveillance
— M. Nicolas CARON, délégué régional FO Personnels de surveillance
— M. Benoît DERUELLE, représentant UFAP
— M. David BONVARLET, représentant CGT
l Maison d’arrêt d’Osny (Val d’Oise)
— M. Renaud SEVEYRAS, directeur
— Mme Marina PAJONI, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation.
— M. Régis BAUDOIN, directeur adjoint
— Mme Murielle MEDOC, lieutenant
— Mme Léa BOUTROIS, lieutenant
— M. Charbel FARAH, lieutenant
— M. Ratsimiala RHOBINSON, lieutenant
— Mme Astrid PARSADE, lieutenant
— Mme Fleur FROGER, lieutenant
— Mme Danielle SYLVESTRE, première surveillante
— M. Jean-Pierre CALERO, premier surveillant
— M. Lionel ROYER, premier surveillant
— M. Willy ACHAUME, major
— Mme Véronique BOITEUX, attachée d’administration
— M. Rémy FERREIRA DA COSTA, premier surveillant, secrétaire local UFAP
— M. Tony VERDIER, surveillant brigadier, secrétaire local FO Personnels de surveillance
— M. Philippe LEROY, premier surveillant, secrétaire local FO Personnels de surveillance
1 () Béatrice Maurer, Le principe de respect de la dignité humaine et la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, La Documentation française, 1999, note 11, p. 52.
2 () Comme s’interrogeait déjà vingt ans plus tôt, en 1855, le juriste Alphonse Bérenger dans son rapport intitulé De la répression pénale, « comment serait-on fondé à s’étonner de l’immoralité croissante des détenus et des condamnés, immoralité qui se manifeste de plus en plus par l’augmentation vraiment effrayante des récidives ? Comment pourrait-il en être autrement, lorsque se trouvent forcément réunis dans les mêmes lieux les condamnés, les prévenus, les jeunes gens au-dessous de seize ans, quelquefois même les femmes, mettant leurs vices en commun, s’excitant mutuellement au mal, et se livrant avec une contagieuse impudeur aux actes les plus hautement réprouvés par la morale ? »
3 () Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, Journal officiel Lois et Décrets, 23 avril 2014, texte 117 sur 140, § 2.
4 () Instauration de la libération conditionnelle en 1885, du sursis en 1891. En 1905, la France ne compte plus que 21 000 prisonniers, soit moitié moins qu’au début des années 1880. Leur nombre tombera à 16 862 en 1938, après qu’un décret de 1925 eut fait passer de 375 à 159 le nombre de maisons d’arrêt, de justice et de correction.
5 () Cité sur le site de Internet de l’École nationale d’administration pénitentiaire : http://www.enap.justice.fr/ressources/index.php?rubrique=84
6 () Le Monde, 29 mars 2004.
7 () Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Éditions du Cherche-Midi, 2000.
8 () Voir notamment le rapport (n° 2521, XIe législature) de M. Jacques Floch au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises, 28 juin 2000 : http://www.assemblee-nationale.fr/rap-enq/r2521-1.asp#P270_8966
9 () Assemblée nationale, 24 mars 1999.
10 () Le Monde, 29 mars 2004.
11 () Même si l’on sent chez lui, dans certaines de ses déclarations, le début d’une inflexion qui préfigure l’évolution ultérieure de la droite sur cette question. Ainsi précise-t-il dans un entretien au Monde du 22 novembre 2002 que l’encellulement individuel n’est pas « une règle absolue » : « Je ne peux admettre une contrainte quantitative de place, car les magistrats doivent être libres de pouvoir incarcérer les personnes sans tenir compte des capacités d’accueil dans les prisons. »
12 () Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, op. cit., § 7.
13 () Rapport (n° 143, session ordinaire de 2008-2009) de M. Jean-René Lecerf au nom de la commission des Lois du Sénat sur le projet de loi pénitentiaire, p. 226.
14 () François Février, « Nécessité(s) de la loi pénitentiaire », Revue Française de droit Administratif, n° 1, janvier-février 2010, p. 15.
15 () Selon une consultation réalisée en 2006 auprès de 10 000 détenus, 84 % d’entre eux, s’ils avaient le choix, opteraient pour une cellule individuelle.
16 () M. Serge Blisko souligne qu’entre l’entrée en vigueur du « décret Dati » en juin 2008 et septembre 2009, date de l’examen du projet de loi pénitentiaire, seuls 500 détenus ont déposé une demande.
17 () Voir le rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pénitentiaire (n° 1962, XIIIe législature) de MM. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour l’Assemblée nationale, et Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat, p. 23.
18 () Cité par Le Monde, 28 septembre 2012.
19 () Réponse du ministère de la Justice, en date du 14 janvier 2014, à la question écrite n°19138 posée par Christian Estrosi.
20 () Rapport (n° 2521, XIe législature) précité.
21 () Journal officiel Débats Assemblée nationale, 1re séance du 28 octobre 2014, pp. 8055-8058.
22 () Journal officiel Lois et Décrets, 11 novembre 2014, texte 21 sur 63.
23 () Christophe Caresche, Prison, peine perdue, Seuil, 2006.
24 () Bruno Aubusson de Cavarlay, « Statistiques pénitentiaires et parc carcéral, entre encombrement et (sur)occupation (1900-1995) », Criminocorpus, 5 septembre 2014
http://criminocorpus.hypotheses.org/7690
25 () Voir infra, le compte-rendu de l’audition de M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire.
26 () Article 4 de la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales.
27 () Adoptées en 1973 sous l’égide du Conseil de l’Europe, puis révisées en 1987 et en 2006, les règles pénitentiaires européennes (RPE) visent à harmoniser les politiques pénitentiaires des États membres du Conseil de l’Europe et à faire émerger des normes et des pratiques communes. La dernière version des RPE a été rédigée par le Comité européen de coopération pénologique, qui avait reçu le 18 septembre 2002 un mandat du Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour procéder à leur réécriture en lien avec des représentants des États membres.
Ces règles tiennent compte des règles pénitentiaires antérieures, des normes de traitement des détenus établies par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Elles s’appuient également sur l’évolution et le développement du droit et des pratiques pénitentiaires en Europe. Elles ont été adoptées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui rassemble les ministres des Affaires étrangères de l’ensemble des États membres.
28 () Voir infra, le texte de cette contribution en annexe.
29 () Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, op. cit., § 13.
30 () Pour un rappel des différents programmes de construction d’établissements pénitentiaires au cours des dernières années, voir le rapport (n° 652, XIVe législature) de MM. Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe au nom de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, p. 12-13.
Voir également infra, les données fournies par M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire, lors de son audition.
31 () Avis (n° 112, tome XII, session ordinaire de 2011-2012) de M. Jean-René Lecerf au nom de la commission des Lois du Sénat sur les crédits de la mission « Justice », programme « Administration pénitentiaire), novembre 2011, p. 7.
32 () Sur ce point, voir le rapport (n° 1974, XIVe législature) de M. Dominique Raimbourg sur le projet de loi (n° 1413) relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, p. 49.
33 () Nouvel article 132-70-1 du code pénal, créé par l’article 5 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
34 () Nouvel article 723-17-1 du code de procédure pénale, créé par l’article 16 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
35 () Nouvel article 720 du code de procédure pénale, créé par l’article 39 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
36 () Articles 50 et 51 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
37 () Voir infra, le compte-rendu de l’audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
38 () Rapport (n° 652, XIVe législature) précité, pp. 126-130.
39 () Voir infra, le compte-rendu de l’audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
40 () Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, op. cit., § 15.
41 () Roger Errera, Et ce sera justice, Gallimard, 2013, p. 81.
42 () Jean-Charles Froment, « Vers une prison de droit », Revue de science criminelle, n° 3, 1977, p. 537.
43 () Rapport Slovaquie 1, § 75. Cf. R. Morgan et M. Evans, Combattre la torture en Europe, Les éditions du conseil de l’Europe, 2002, p. 106 et s.
44 () Rapport Grèce 1, § 117, Cf. R. Morgan et M. Evans, ibid.
45 () Rossinelli DG, Penochet JC. Qui est irresponsable ? L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 173-6 doi :10.1684/ipe.2014.1173
46 () Zagury D, Senon JL. L’expertise psychiatrique pénale en France, un système à la dérive. L’information psychiatrique 2014 ; 90 : 627-9 doi :10.1684/ipe.2014.1246
47 () http://www.dalloz-actualite.fr/flash/chancellerie-est-elle-en-regle-avec-tresor-et-l-urssaf#.VDPLF6xRb_B
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