N° 2952
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2015.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE
sur les perspectives de développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire
ET PRÉSENTÉ
PAR MM. Marc GOUA et Hervé MARITON
Députés
——
SOMMAIRE
___
Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 7
INTRODUCTION 9
I. SURMONTER LE POIDS D’UNE CONJONCTURE DIFFICILE ET LES CONSÉQUENCES DE DÉCISIONS STRATÉGIQUES DISCUTABLES 11
A. UNE SITUATION FINANCIÈRE PRÉOCCUPANTE POUR UN SECTEUR EN PERTE DE CROISSANCE ET CONFRONTÉ À DES RESTRUCTURATIONS IMPORTANTES 11
1. Des pertes croissantes et des résultats d’activité en baisse pour 2014 11
2. Une trésorerie permettant la poursuite de l’exploitation à court terme 13
3. Des marchés du cycle nucléaire convalescents et durablement ébranlés par les conséquences de l’accident de Fukushima 16
a. Une crise des débouchés à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima mais des perspectives de croissance positive 16
b. Des difficultés pour le groupe à se positionner au sein d’une concurrence renouvelée 18
B. UN GROUPE FRAGILISÉ PAR SES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES ET UN MODE DE DÉVELOPPEMENT AUX RÉSULTATS INCERTAINS 19
1. Des activités à la rentabilité inégale et globalement problématique 20
a. Des marges insuffisantes dans les secteurs « amont » et « aval » du cycle pour soutenir les autres activités du groupe 20
b. Les énergies renouvelables : un secteur assez lourdement déficitaire et occupant une place marginale parmi les activités du groupe 23
c. « Réacteurs et services » : un secteur confronté à de sévères pertes et à des difficultés chroniques dans la conduite de ses projets 25
2. Une politique de croissance trop volontariste et rétrospectivement discutable 27
a. Une stratégie d’investissement sans doute fondée sur des anticipations légitimes mais sous-estimant la question des moyens financiers 28
b. Des projets mal conduits et des acquisitions parfois discutables 30
II. REDÉFINIR LES TERMES D’UN AVENIR POSSIBLE DANS LE CADRE D’UNE FILIÈRE NUCLÉAIRE RESTRUCTURÉE 38
A. MENER À BIEN LA REFONDATION D’UN GROUPE PERFORMANT ET LA GOUVERNANCE DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE 38
1. Poursuivre les lourds efforts de compétitivité qui ont été engagés 39
a. Améliorer les performances du processus de production 39
b. Adapter les conditions d’emploi et de travail au sein du groupe 40
2. Simplifier la structuration juridique et opérationnelle du groupe 42
3. Organiser les conditions d’une gouvernance équilibrée et transparente du groupe 43
a. Une gouvernance autour d’un directoire et d’un conseil de surveillance objet de critiques 44
b. Un fonctionnement de la gouvernance jugé plus satisfaisant en 2015 mais qui demande à être confirmé 45
4. Réaffirmer la responsabilité de l’État stratège et actionnaire dans la gouvernance de la filière nucléaire 46
a. Un bilan qui questionne le rôle de l’État stratège et actionnaire dans la direction des entreprises publiques 46
b. Des interrogations sur les instruments et les ressources de contrôle de l’État sur les entreprises publiques stratégiques du secteur de l’énergie 48
c. Des enseignements à tirer pour renforcer le contrôle du Parlement 50
B. ADOPTER UNE SOLUTION COHÉRENTE INDUSTRIELLEMENT ET UNE POSITION PERTINENTE POUR LA FILIÈRE NUCLÉAIRE FRANÇAISE 51
1. Évaluer la pertinence du périmètre des activités du groupe pour constituer un modèle qui fasse sens au plan industriel et économique 52
a. Le « modèle intégré » : un concept au cœur de la constitution d’AREVA qui n’est désormais plus opérationnel 53
b. La nécessité de construire un nouveau modèle qui soit cohérent d’un point de vue industriel et garantisse la pérennité des activités 54
c. La mise en valeur d’une offre de produits et de service pertinente et compétitive 57
2. Assurer une réponse adaptée et équitable aux besoins de financement de l’entreprise 60
a. Un partenariat renouvelé et équilibré entre EDF et AREVA pour une valorisation équitable d’AREVA NP 60
b. L’intervention éventuelle d’investisseurs tiers au capital d’AREVA NP 63
c. La nécessité pour l’État actionnaire d’assurer pleinement ses responsabilités en participant au refinancement de l’entreprise 65
3. Définir une place qui tienne compte de l’avenir de la filière et de la politique énergétique du pays 66
a. Des perspectives ouvertes par la loi relative à la transition énergétique non sans conséquences sur la valorisation du groupe et l’avenir de la filière 67
b. Une solution qui réponde au renouvellement futur du parc nucléaire français et aux besoins énergétiques du pays 69
CONCLUSION 71
EXAMEN EN COMMISSION 73
ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS SPÉCIAUX 87
ANNEXE 2 : ORGANISATION OPÉRATIONNELLE DU GROUPE AREVA 91
ANNEXE 3 : ORGANISATION JURIDIQUE DU GROUPE AREVA 92
Le 31 décembre 2014, AREVA affichait un résultat net négatif sans précédent de 4,8 milliards d’euros. L’ampleur de la perte nette constatée pour l’exercice 2014 illustre la gravité de la situation. Le groupe fait face à une stagnation persistante et durable des activités nucléaires à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima et de la disparition de ses principaux clients.
L’ampleur des pertes traduit également les conséquences de décisions stratégiques malencontreuses et d’acquisitions minières discutables, une perte de compétitivité sur certains secteurs d’activité, ainsi qu’une maîtrise difficile des principaux grands projets industriels. À certains égards, AREVA paie en grande partie le choix délibéré d’un développement tous azimuts. Le bilan de cette politique – à laquelle il n’a été mis un frein qu’à la suite de la révélation de l’ampleur des pertes accumulées – aboutit à deux conclusions : cette stratégie d’investissement, sans doute fondée sur des anticipations légitimes, a sous-estimé la question des moyens financiers ; le groupe s’est engagé dans des projets et des acquisitions malencontreuses qui, rétrospectivement, suscitent des doutes quant à leur bien-fondé.
La situation actuelle difficile du groupe ne doit pas cependant conduire à négliger les atouts dont dispose ce dernier. Celui-ci se place en effet au tout premier rang dans nombre d’activités essentielles du cycle nucléaire en tant que quatrième producteur d’uranium, détenteur d’un savoir-faire ancien dans le domaine des réacteurs et des services à la base installée, et opérateur en situation de quasi-monopole dans les activités de l’aval.
Dans ce contexte difficile, le Président de la République a fait connaître le 3 juin 2015 les intentions du pouvoir exécutif en ce qui concerne le devenir d’AREVA et les moyens de garantir sa pérennité. Cette feuille de route inscrit le redressement du groupe dans une refondation globale de la filière nucléaire française. Elle met l’accent sur deux impératifs : d’une part, l’indispensable rétablissement de la compétitivité du groupe ; d’autre part, l’élaboration d’un nouveau partenariat et une redéfinition des rôles entre AREVA et EDF dans la conception, la fabrication et la vente des réacteurs.
Sur le principe, les Rapporteurs spéciaux ne peuvent que souscrire à la logique de ces deux orientations qui tendent à écarter le scénario d’un démantèlement tout en mettant fin au modèle intégré qui prévalait jusqu’ici. Elle doit néanmoins répondre à des impératifs et à des objectifs dont les Rapporteurs spéciaux tiennent à rappeler les principaux tenants et aboutissants : la nécessité de refonder le groupe AREVA autour d’une solution qui fasse sens d’un point de vue industriel et économique ; l’obligation de trouver une solution qui permette de répondre aux besoins de financement d’AREVA sans pour autant fragiliser son modèle de rentabilité économique ; et enfin, l’objectif de refonder la filière nucléaire dans le contexte du projet de loi relative à la transition énergétique et du nécessaire renouvellement à venir du parc nucléaire.
C’est sur la base de ces trois impératifs que les Rapporteurs spéciaux ont été amenés à émettre un avis concernant la restructuration en cours. Il convient en effet de ne pas précipiter une décision au nom d’impératifs financiers de court terme sans tenir compte des objectifs de long terme qui doivent guider la politique énergétique française : la décision industrielle doit pouvoir ne pas être seulement dictée par l’urgence financière.
Les Rapporteurs spéciaux sont ainsi pleinement favorables au renforcement des synergies entre les deux groupes industriels dans les activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’AREVA. Il est impératif que les équipes d’ingénierie et de projet des deux groupes travaillent désormais en commun pour, d’une part, réduire les risques des grands projets en cours portés par AREVA NP, et d’autre part, développer une politique d’exportation ambitieuse à travers la constitution d’une véritable « équipe de France du nucléaire ».
Toutefois, les Rapporteurs spéciaux s’interrogent sur les conséquences d’une prise de participation majoritaire d’EDF au sein d’AREVA NP. Ils rappellent qu’une majorité du chiffre d’affaires des activités concernées est effectuée à l’international, et qu’une partie du carnet de commandes pourrait basculer auprès de concurrents étrangers. Ils s’interrogent également sur le sens industriel de la mesure en termes de synergies : les activités concernées ne semblent pas relever du cœur de métier d’un exploitant-ensemblier. La réorganisation de la filière proposée par le Gouvernement paraît nécessaire mais ne saurait assurer à elle seule, de manière, durable la compétitivité des deux entreprises.
Dans tous les cas, les Rapporteurs spéciaux estiment qu’une attention toute particulière doit être apportée aux impacts de la loi tant sur la valorisation d’AREVA que sur la structuration de l’ensemble de la filière nucléaire. Le renouvellement du parc nucléaire à venir – environ 30 nouveaux réacteurs d’ici 2050 – est ainsi une occasion unique pour renforcer le savoir-faire français et soutenir la filière nationale, tout en répondant aux besoins énergétiques futurs de notre pays.
Enfin, les Rapporteurs spéciaux estiment que la refondation actuelle de la filière rend également nécessaire une réflexion sur le renforcement des instruments de supervision et d’impulsion dont dispose l’État stratège s’agissant des entreprises publiques stratégiques, comme de les adapter à une éventuelle évolution de la place de l’État.
La gravité de la situation d’AREVA et la place de l’entreprise dans l’industrie ont conduit les Rapporteurs spéciaux, dans le cadre de leur activité de contrôle, à se saisir de la question de sa situation financière et des perspectives organisationnelles du groupe.
Cette entreprise publique vit l’un des instants critiques de sa jeune histoire. Créée par le regroupement de Framatome, de la Cogema et de la société des participations du Commissariat à l’énergie atomique, AREVA incarnait en 2001 la volonté conquérante de perpétuer une tradition nationale d’excellence dans le domaine de l’énergie nucléaire. En 2014, l’ampleur des pertes financières semble sanctionner la stratégie comme la gestion de l’entreprise.
Au-delà de leur sévérité comptable, les chiffres révèlent en effet davantage que des difficultés conjoncturelles : ils jettent une lumière assez crue sur les limites d’un modèle de développement et sur le caractère pour le moins optimiste d’une stratégie fondée sur l’anticipation d’un renouveau de la production de l’énergie nucléaire. La catastrophe de Fukushima a profondément changé la donne : d’une part, le marché est plus concurrentiel et offre moins de débouchés ; d’autre part, certains États tendent à réduire la part du nucléaire dans leur mix énergétique à l’exemple de la France qui, dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte discuté par le Parlement, examine notamment l’opportunité d’établir une réduction à 50 % du mix électrique à l’horizon 2025.
Face à ces bouleversements, AREVA doit se transformer pour ne pas disparaître. Avec ses 41 847 salariés, ses implantations en France et à l’étranger, ainsi que son savoir-faire ancien et reconnu, le groupe occupe une place essentielle dans la filière nucléaire française, secteur qui – soulignons-le – apporte au dynamisme de l’économie nationale une contribution tout aussi décisive que l’aéronautique ou l’automobile (1).
Dans ces conditions, la pérennité des activités présentes au sein d’AREVA constitue un objectif primordial pour la France et, par conséquent, une préoccupation de tout premier ordre pour l’ensemble des pouvoirs publics. À l’issue d’une réunion organisée le 3 juin 2015 sous l’autorité du Président de la République, le pouvoir exécutif a rendu publiques des décisions qui engagent l’avenir du groupe et, au-delà, affectent nécessairement la structuration et les perspectives de la filière nucléaire.
Le présent rapport vise pour sa part à offrir à la représentation nationale un éclairage susceptible de lui permettre, le cas échéant, de se prononcer en toute connaissance de cause sur les lourds enjeux de cette reconfiguration annoncée.
Dans cette optique, les Rapporteurs spéciaux ont réalisé, depuis mars 2015, dix-huit auditions, reçu les représentants des organisations syndicales dans le cadre d’une table ronde et visité les sites de l’EPR de Flamanville et de l’usine de retraitement de la Hague. De ces multiples échanges avec les acteurs du dossier, ils tirent la conclusion que pour sortir d’une situation actuelle critique, AREVA doit se donner une nouvelle feuille de route qui lui permette de relever deux défis : surmonter le poids d’une conjoncture difficile et les conséquences de décisions stratégiques discutables ; redéfinir les termes d’un avenir possible dans le cadre d’une filière nucléaire restructurée.
I. SURMONTER LE POIDS D’UNE CONJONCTURE DIFFICILE ET LES CONSÉQUENCES DE DÉCISIONS STRATÉGIQUES DISCUTABLES
Le 31 décembre 2014, AREVA affichait un résultat net négatif sans précédent de 4,8 milliards d’euros. L’ampleur de la perte nette constatée pour l’exercice 2014 illustre la gravité de la situation. Le groupe fait face à une stagnation persistante et durable des activités nucléaires à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima et de la disparition de ses principaux clients qui étaient le Japon et l’Allemagne. L’ampleur des pertes affichées traduit également les conséquences de décisions stratégiques malencontreuses et d’acquisitions minières discutables (la société Uramin), une perte de compétitivité sur certains secteurs d’activité, ainsi qu’une maîtrise difficile des principaux grands projets industriels.
A. UNE SITUATION FINANCIÈRE PRÉOCCUPANTE POUR UN SECTEUR EN PERTE DE CROISSANCE ET CONFRONTÉ À DES RESTRUCTURATIONS IMPORTANTES
Le groupe a fait face tout au long de l’année 2014 à une dégradation significative de la conjoncture économique des activités nucléaires. Le 18 novembre 2014, AREVA annonçait ainsi la suspension de ses perspectives financières pour les exercices 2015 et 2016 en raison de difficultés dans la maîtrise d’ouvrage du projet de réacteur pressurisé européen (EPR) à Olkiluoto 3 (OL3) en Finlande, du glissement du calendrier de redémarrage des réacteurs japonais et d’une révision significative des hypothèses de nouvelles constructions et de développement des services à la base installée due à une atonie persistante du marché. Le 23 février 2015, quelques semaines avant la clôture définitive des comptes consolidés de l’entreprise, le groupe présentait un résultat net consolidé part du groupe négatif de l’ordre de 4,8 milliards d’euros.
1. Des pertes croissantes et des résultats d’activité en baisse pour 2014
En 2014, AREVA a généré un chiffre d’affaires consolidé de 8 336 millions d’euros en baisse de 8 % (7,2 % à données comparables) par rapport à l’exercice 2013, pour s’établir à un niveau inférieur au chiffre d’affaires constaté en 2009.
EXTRAITS DES COMPTES DE RÉSULTAT CONSOLIDÉS DE 2009 À 2014
(en millions d’euros)
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 | |
Chiffre d’affaires |
8 529 |
9 104 |
8 872 |
9 342 |
9 240 |
8 336 |
Marge brute |
1 082 |
1 326 |
854 |
942 |
1 299 |
(390) |
Résultat opérationnel |
97 |
(423) |
(1 923) |
118 |
11 |
(2 645) |
Résultat financier |
187 |
(314) |
(548) |
(324) |
(248) |
(397) |
Résultat net part du groupe |
552 |
883 |
(2 424) |
(99) |
(494) |
(4 834) |
Source : documents de référence du groupe AREVA de 2009 à 2014. Les informations ci-dessus ne tiennent pas compte des retraitements effectués d’une année à l’autre dans les états financiers. Les nombres entre parenthèses indiquent un résultat négatif.
Les résultats net part du groupe sont marqués par deux années noires avec un résultat déficitaire de 2 424 millions d’euros en 2011 et de 4 834 millions d’euros en 2014. Les résultats du groupe se sont détériorés en passant d’un bénéfice de 883 millions d’euros en 2010 à une perte de 4 834 millions d’euros en 2014. Les résultats de l’ensemble de la période ont pâti des effets des importantes pertes à terminaisons constatées pour OL3 et des pertes de valeur sur les actifs de la société Uramin et de certains projets industriels, notamment dans les activités de l’amont et des énergies renouvelables.
Le résultat net de l’exercice 2 011 avait été marqué par des pertes de valeur sur les immobilisations issues de l’achat de la société Uramin pour un montant de 1 456 millions d’euros. Une perte de valeur de 212 millions d’euros avait également dû être comptabilisée pour l’usine Comurhex II et une perte de valeur de 191 millions d’euros constatée sur l’usine d’enrichissement Georges Besse I.
Le résultat net de l’exercice 2014 est quant à lui marqué par d’importantes provisions et/ou pertes additionnelles :
– 1 460 millions d’euros de pertes de valeurs d’actifs des activités nucléaires dont 599 millions d’euros sur l’actif Comurhex II et 300 millions d’euros sur les actifs miniers ;
– 1 097 millions d’euros de pertes additionnelles et provisions pour pertes à terminaison sur trois grands projets nucléaires dont 720 millions d’euros au titre du projet OL3 et 187 millions d’euros au titre du réacteur de recherche Jules Horowitz ;
– 938 millions d’euros de dépréciations d’impôts différés à la suite de la révision des perspectives financières et de rentabilité du groupe ;
– 557 millions d’euros de provisions pour pertes de valeur, pertes à terminaison et risques dans les activités renouvelables destinées à être cédées ;
– 300 millions d’euros de provisions pour opérations de fin de cycle.
Le résultat financier du groupe est de – 397 millions d’euros en 2014 contre – 248 millions d’euros en 2013 en raison d’une hausse du coût de l’endettement et d’une dégradation des opérations de fin de cycle.
Au 31 décembre 2014, le résultat net part du groupe d’AREVA affichait ainsi une perte de 4 834 millions d’euros contre une perte de 494 millions d’euros en 2013.
Les Rapporteurs spéciaux rappellent que sur les 4,8 milliards de pertes constatées sur le résultat, près de 4,4 milliards relèvent d’écritures exceptionnelles qui ne sont pas destinées à se reproduire, dont 2,6 milliards d’euros en pertes de valeur qui n’ont aucun impact direct sur la trésorerie s’agissant d’investissements déjà réalisés.
Le groupe conserve des fondamentaux solides avec un excédent brut d’exploitation (EBE) en repli de 280 millions d’euros mais toujours positif : il passe de 991 millions d’euros en 2013 à 711 millions d’euros en 2014. Le groupe dispose également d’une visibilité importante sur son activité grâce à un carnet de commande conséquent qui s’établissait au 31 mars 2015 à 47 520 millions d’euros, soit 5,7 fois le chiffre d’affaires actuel, et s’étalant jusqu’en 2029 pour le BG Amont. Ce chiffre ne comprend pas le montant relatif aux accords conclus avec Électricité de France (EDF) en octobre 2013 au titre du projet de réacteurs EPR à Hinkley Point au Royaume-Uni et de l’approvisionnement en combustible associé.
Enfin, au 1er trimestre 2015, AREVA a généré un chiffre d’affaires consolidé de 1 762 millions d’euros, en baisse de 1,1 % (– 0,9 % à données comparables) par rapport à la même période en 2014. Le résultat est conforme aux prévisions et ne présente pas de dégradation supplémentaire.
2. Une trésorerie permettant la poursuite de l’exploitation à court terme
L’endettement financier net total du groupe s’élève à 5 809 millions d’euros au 31 décembre 2014 contre 4 468 millions d’euros au 31 décembre 2013 et à données comparables. Les efforts de désendettement opérés en 2010 et 2011, portés par d’importantes cessions d’actifs et un déstockage significatif d’uranium, ont été entièrement effacés au cours des trois derniers exercices pour revenir à un niveau d’endettement proche de celui observé en 2009.
La hausse de l’endettement net en 2014 s’explique, outre un flux de trésorerie opérationnel négatif sur l’exercice, par des décaissements d’impôts pour 140 millions d’euros, l’augmentation de la dette nette des activités destinées à être cédées pour 366 millions d’euros, ainsi que l’impact sur la trésorerie du résultat financier pour 322 millions d’euros. Au total, le flux de trésorerie net du groupe diminue de 1 340 millions d’euros en 2014.
ÉVOLUTION DE LA TRÉSORERIE ET DE L’ENDETTEMENT DU GROUPE DE 2009 À 2014
(en millions d’euros)
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 | |
Trésorerie à la clôture |
1 481 |
3 164 |
2 273 |
1 489 |
1 670 |
1 556 |
Dette financière |
7 741 |
7 240 |
6 094 |
5 850 |
6 176 |
7 494 |
Dette financière nette |
6 193 |
3 672 |
3 548 |
3 948 |
4 415 |
5 809 |
Capitaux propres part du groupe |
6 648 |
8 664 |
6 061 |
5 174 |
4 673 |
(673) |
Ratio dette financière nette sur capitaux propres |
93 % |
42 % |
59 % |
76 % |
94 % |
- |
Source : documents de référence du groupe AREVA de 2009 à 2014. Les informations ci-dessus ne tiennent pas compte des retraitements effectués d’une année à l’autre dans les états financiers.
À côté de cette hausse de l’endettement, les capitaux propres du groupe ont connu une baisse significative jusqu’à devenir négatifs. Ils s’établissent à – 673 millions d’euros contre 4 574 millions d’euros au 31 décembre 2013. L’évolution constatée reflète principalement l’effet des provisions pour pertes de valeur comptabilisées en 2011 et en 2014. Le groupe n’a pas versé de dividendes aux actionnaires en 2014 comme au cours des trois derniers exercices.
L’effondrement des capitaux propres, couplé à une hausse significative de l’endettement net au cours des trois derniers exercices, ont conduit à une dégradation accentuée du ratio endettement net sur capitaux propres, passant de 42 % en 2010 à 94 % en 2013. L’année 2014 rend le ratio inopérant en raison de capitaux propres désormais négatifs.
Afin de faire face à ses besoins de liquidité et de financement en 2014, le groupe a notamment :
– réalisé en mars 2014 une émission obligataire de 750 millions d’euros à neuf ans (échéance mars 2023) à un taux de 3,125 % ;
– mis en place en juin 2014 un financement structuré de l’usine d’enrichissement Georges Besse II d’un montant de 650 millions d’euros à échéance 2024 auprès d’un syndicat bancaire de dix partenaires.
Par ailleurs, le groupe dispose d’une ligne de crédit syndiquée de 1 250 millions d’euros à échéance 2018 et de lignes de crédit bilatérales de 845 millions d’euros à échéance 2016 et 2017. AREVA dispose ainsi de lignes de crédit confirmées et non tirées pour un montant total de 2,1 milliards d’euros sur lesquelles le groupe pourra être amené à tirer en fonction des besoins de liquidité nécessaires à ses activités.
Pour autant, si la trésorerie nette disponible (2) et les lignes de crédit confirmées permettent au 31 décembre 2014 d’assurer une exploitation sur les 12 prochains mois, les Rapporteurs spéciaux rappellent que des garanties doivent être apportées au-delà du fait des principales échéances contractuelles d’emprunts. Le groupe doit faire face à deux échéances de remboursement d’emprunts d’un montant de 1 506 millions d’euros en 2016 et de 1 083 millions d’euros en 2017.
ÉCHÉANCIER DES PRINCIPAUX ENCOURS DES DETTES FINANCIÈRES
(en millions d’euros)
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020-2024 |
Total | |
Emprunts auprès des établissements de crédit |
436 |
247 |
78 |
61 |
45 |
392 |
1 259 |
Emprunts obligataires |
53 |
991 |
794 |
55 |
778 |
3 324 |
5 994 |
Intérêts futurs sur passifs financiers |
326 |
256 |
211 |
154 |
149 |
546 |
1 551 |
Total encours des dettes financières |
941 |
1 506 |
1 083 |
270 |
971 |
4 266 |
9 038 |
Source : document de référence du groupe AREVA de 2014. Échéancier des flux contractuels au 31 décembre 2014.
Une solution aux besoins de financement de long terme du groupe doit dès lors être trouvée au cours des prochains mois pour garantir un financement pérenne des activités d’AREVA. M. Philippe VARIN, Président du conseil d’administration d’AREVA, a reconnu devant la commission des Affaires économiques, le 10 juin 2015, la pertinence des estimations effectuées par les analystes selon lesquelles les besoins de liquidités du groupe se situeraient autour de 7 milliards d’euros pour les trois prochaines années. En effet, le flux de trésorerie net sera négatif en 2015 et compris entre 1,3 et 1,7 milliard d’euros, hors dépenses de restructuration, pour devenir de nouveau positif à partir de 2018. De plus, le groupe devra rembourser les porteurs d’obligations à hauteur de 2,6 milliards d’euros entre 2015 et 2017.
Dans ce cadre, AREVA doit présenter prochainement un plan de financement pour la période 2015-2017 qui devrait comprendre les mesures suivantes :
– le renforcement de la sélectivité des investissements qui seront ramenés à moins de 3 milliards d’euros en cumul sur la période 2015-2017 contre 4,6 milliards d’euros en cumul sur la période 2012-2014 ;
– la poursuite de la levée de financements bancaires telle qu’effectuée en 2014 pour le financement de projet de l’usine Georges Besse II ;
– la mise au point d’un programme de cessions d’actifs non stratégiques ou de participations minoritaires dans des projets pour un montant supérieur aux 450 millions d’euros annoncés le 7 octobre 2014. Des négociations seraient en cours notamment concernant la cession de la filiale américaine Canberra et d’autres actifs.
Le plan de financement prendra également en compte d’une part, la cession envisagée d’AREVA NP à EDF au sein d’une coentreprise, et d’autre part, un renforcement des fonds propres du groupe à travers une recapitalisation par l’État et / ou d’autres partenaires stratégiques.
Il devra permettre, accompagné d’un plan de performance et de compétitivité, de sortir de la spirale actuelle de l’endettement et de dégager à partir de 2018 un flux de trésorerie net positif.
3. Des marchés du cycle nucléaire convalescents et durablement ébranlés par les conséquences de l’accident de Fukushima
AREVA anticipait un renouveau des activités nucléaires faisant suite aux accidents nucléaires de Three Mile Island (1979) et de Tchernobyl (1986) dans un contexte de demande croissante d’énergie décarbonée. Le groupe a investi et redimensionné ses effectifs pour faire face à un renouveau nucléaire qui a pris fin brusquement avec l’accident nucléaire de Fukushima. La crise des débouchés qui en a suivi doit nécessairement conduire le groupe, dont les moyens avaient été dimensionnés pour accompagner une montée du nucléaire, à s’adapter aux nouvelles réalités du marché pour redevenir compétitif. La nouvelle feuille de route présentée en mars 2015 vise ainsi à tirer les conséquences des nouvelles réalités du marché international du nucléaire.
a. Une crise des débouchés à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima mais des perspectives de croissance positive
Les résultats de l’exercice 2014 d’AREVA sont tributaires de la dégradation forte et progressive des marchés du groupe depuis 2011. Parmi les causes de cette dégradation, il y a l’accident nucléaire de Fukushima suivi de la fermeture immédiate des 48 réacteurs nucléaires japonais et de 8 réacteurs nucléaires allemand accompagnée d’une sortie progressive de l’énergie nucléaire du mix énergétique allemand à l’horizon 2022. Le rétrécissement rapide du marché mondial du nucléaire a conduit le groupe à revoir ses ambitions à l’international.
De surcroît, le retard du redémarrage des réacteurs japonais pour des raisons techniques et politiques a conduit à réviser à la baisse les anticipations de reprise : aucun des 48 réacteurs – sans compter les six définitivement fermés de la centrale de Fukushima Daiichi – n’a été relancé depuis quatre ans. Cinq réacteurs ont pour le moment obtenu de l’Autorité de régulation du nucléaire (NRA) japonaise une autorisation de redémarrage, insuffisante pour garantir un redémarrage effectif au vu des contraintes politiques actuelles. Le 7 juillet, la compagnie d'électricité japonaise Kyushu Electric Power a annoncé qu'elle commençait à charger le combustible nucléaire dans le réacteur Sendai 1 dont le redémarrage est prévu en août. En outre, le gouvernement japonais a définitivement renoncé à une sortie du nucléaire à l’horizon 2040 et n’exclut pas à l’avenir la construction de près de 12 nouveaux réacteurs. À moyen terme, AREVA anticipe le redémarrage de huit à dix réacteurs d’ici la fin de l’année 2016.
Aux États-Unis, la renaissance attendue du nucléaire a été remise en cause par la concurrence des centrales au gaz de schiste, devenues plus compétitives, conduisant au décalage ou à l’abandon d’une dizaine de projets de construction de réacteur nucléaire. Les États-Unis constituent toutefois toujours le plus important producteur d’énergie nucléaire avec 103 réacteurs en fonctionnement.
À côté de cette contraction rapide du volume des marchés, le groupe AREVA a dû également faire face à un effet prix significatif, lié aux dynamiques de marché en Allemagne et au Japon, qui ont conduit à une baisse des prix de l’uranium naturel et des services en amont du cycle de 30 à 40 % en 2014. De même, l’année 2014 a été marquée pour AREVA par la fin de plusieurs contrats de longue durée – notamment avec des clients allemands et japonais – relatifs au conditionnement des déchets et au recyclage de matières radioactives.
Les perspectives de croissance du marché du nucléaire restent nettement plus positives : la capacité nucléaire mondiale augmenterait de 50 % à l’horizon 2030. Au 31 décembre 2014, 438 réacteurs représentant 397 gigawatts électriques (GWe) étaient en service, répartis dans 31 pays. La base installée en Europe reste prééminente (136 réacteurs) devant l’Asie (125 réacteurs) et l’Amérique du Nord (120 réacteurs). Sur la base des scénarios établis par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la World Nuclear Association (WNA), fin 2014, 181 réacteurs étaient en commande ou en projet et plus de 300 autres étaient envisagés dans les années à venir.
Néanmoins, les fondamentaux du marché nucléaire sont entièrement nouveaux et le groupe assiste à un véritable basculement du marché vers les économies émergentes. Les marchés nucléaires historiques sont des marchés désormais matures (Europe et États-Unis) dans lesquels les clients historiques subissent une pression économique accrue répercutée sur les fournisseurs : les marchés de l’électricité connaissent dans ces pays une demande stable et des prix de l’énergie en baisse conduisant à une réduction des investissements et des services de maintenance. Le vieillissement des parcs et le besoin de renouvellement créent néanmoins de nouveaux besoins pour les exploitants de centrales nucléaires, tandis que les stocks de combustibles usés augmentent et appellent des innovations dans les domaines du recyclage et du stockage de longue durée.
Le développement de la construction de réacteurs nucléaires sera tiré principalement par les marchés émergents tels que la Chine, l’Inde, ou la Russie, ainsi que de nombreux pays émergents qui étudient l’option nucléaire comme nouvelle composante de leur mix énergétique tels que le Brésil ou la Turquie. Le potentiel de croissance à moyen terme du parc nucléaire se situe principalement en Asie avec 43 réacteurs en cours de construction fin 2014 – dont 23 réacteurs en cours de construction en Chine – contre 4 en Europe et 5 en Amérique du Nord. La Chine représentera un marché porteur avec 172 projets envisagés, suivie de l’Inde avec 57 projets, de la Russie avec 49 projets ou encore de l’Arabie saoudite avec 16 projets de réacteur envisagés.
b. Des difficultés pour le groupe à se positionner au sein d’une concurrence renouvelée
Le marché nucléaire de construction de nouveaux réacteurs est devenu un marché fortement concurrentiel avec l’arrivée de nouveaux acteurs bénéficiant de la croissance de leur marché domestique essentiellement captif (Chine, Corée du Sud) et d’une capacité de financement des projets facilitée.
Si le marché intérieur russe est ainsi fermé aux constructeurs étrangers, le groupe Rosatom revendiquait fin 2014 près de 100 milliards de dollars de commande avec 23 projets de réacteurs nucléaires en cours de construction à l’étranger et 58 projets en cours de négociation ou à l’étude. Le réacteur de puissance à caloporteur et modérateur eau (VVER) russe de 1 200 mégawatts (MW) est un réacteur de troisième génération dont Rosatom propose une prise en charge complète, de la fourniture de combustible jusqu’au retraitement des déchets, en passant par le financement des projets.
La Chine a de son côté récemment entrepris le développement d’un réacteur nucléaire de troisième génération de conception entièrement chinoise, le Hualong One (« dragon »), avec de fortes ambitions nationales et internationales. En avril 2015, la Chine a autorisé la construction de deux réacteurs nucléaires Hualong dans la province du Fujian. Le pays doit également investir prochainement à travers China General Nuclear Power Corporation (CGN) et China National Nuclear Corporation (CNNC) dans le projet britannique de Hinkley Point. Enfin, en 2014, la CNNC a signé un accord de 2 milliards de dollars avec l’Argentine pour la construction d’un réacteur.
Dans ce contexte international de concurrence accrue entre constructeurs de réacteurs, le groupe AREVA peine à trouver une place et n’a vendu aujourd’hui que quatre EPR d’environ 1 650 mégawatts (MW) : l’EPR de Flamanville 3 en France, l’EPR d’Olkiluoto 3 en Finlande et deux EPR à Taishan 1 et 2 en Chine. Le groupe devrait à l’avenir compléter son carnet de commandes de deux commandes d’EPR dans le cadre du projet britannique de Hinkley Point.
En effet, les retards et défaillances observés tant en Finlande qu’en France nuisent à l’image et à la compétitivité à l’exportation de la gamme EPR, en dépit d’avancées significatives en termes de compétitivité, de sûreté et d’impacts sur l’environnement : les modèles de réacteurs EPR bénéficient d’un niveau de sûreté très élevé, sont conçus pour être exploités sur une durée minimale de 60 ans, tout en réduisant de 15 % la production de déchets radioactifs à vie longue. De plus, AREVA n’a pas les moyens de proposer un financement intégral des projets dans le cadre des appels d’offres, au contraire de ses concurrents qui assurent le cofinancement de la construction des réacteurs.
La standardisation espérée sur les EPR n’a également pas été aussi importante qu’anticipée : l’une des lignes stratégiques d’AREVA consistait à développer un réacteur exigeant en termes de sûreté afin de permettre une approbation rapide par les principales autorités. Ce principe a cependant dû être modulé en fonction des principales zones de prospection commerciale et le groupe a été contraint de développer plusieurs versions de l’EPR ce qui a généré d’importants frais de développement. Aussi, le groupe a été contraint d’effectuer en 2014 des dépréciations significatives de frais de recherche et développement immobilisés pour un montant de 362 millions d’euros, en particulier concernant la conception de l’EPR américain, en l’absence de débouché identifié pour ce modèle.
Le groupe AREVA indique cependant avoir lancé depuis septembre 2013 avec EDF un programme commun d’optimisation de l’EPR dénommé EPR nouveau modèle (EPR-NM) sur la base des enseignements tirés des constructions en cours.
Enfin, la gamme de réacteur à eau sous pression d’AREVA a été enrichie depuis novembre 2007 par l’ATMEA1 de 1 150 mégawatts (MW) conçu dans le cadre d’une co-entreprise entre AREVA et Mitsubishi Heavy Industries (MHI). Le réacteur a été conçu dans la perspective de répondre à la demande de réacteurs nucléaires de moyenne puissance. Un accord intergouvernemental signé en 2013 entre la Turquie et le Japon a confirmé l’attribution à la co-entreprise de la fourniture de quatre réacteurs ATMEA1 sur le site de Sinop en Turquie pour un montant de 17 milliards d’euros.
B. UN GROUPE FRAGILISÉ PAR SES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES ET UN MODE DE DÉVELOPPEMENT AUX RÉSULTATS INCERTAINS
La crise que traverse AREVA ne s’explique pas uniquement par une adaptation trop lente du groupe dans son organisation comme dans ses ressources au bouleversement du marché nucléaire.
Elle résulte aussi de facteurs plus divers et structurels que constituent une perte de compétitivité du groupe (en particulier dans les secteurs de l’aval et de l’amont du cycle), une maîtrise insuffisante des grands contrats et des grands projets, ou encore des choix d’investissements malencontreux, notamment dans le domaine minier ou dans celui des énergies renouvelables.
1. Des activités à la rentabilité inégale et globalement problématique
En 2001, le projet de regrouper dans une même entreprise les activités de Framatome et de la COGEMA reposait sur le pari d’une synergie entre des activités perçues comme complémentaires. Cette complémentarité devait permettre à AREVA d’occuper une position éminente sur l’ensemble du cycle de production de l’énergie nucléaire. Aujourd’hui, le bilan de l’ensemble intégré met en lumière l’existence de deux types de secteurs dans l’activité du groupe : d’une part, « l’amont » et « l’aval », secteurs qui dégagent une assez forte rentabilité mais dont les marges apparaissent insuffisantes pour soutenir les autres activités du groupe ; d’autre part, les énergies renouvelables et les réacteurs et services, secteurs confrontés à des difficultés tant financières qu’opérationnelles.
a. Des marges insuffisantes dans les secteurs « amont » et « aval » du cycle pour soutenir les autres activités du groupe
Le Business Group Mines rassemble les activités de recherche de nouveaux gisements, d’extraction et de traitement du minerai d’uranium et de réaménagement des sites après exploitation.
L’activité de cette unité opérationnelle a affiché des résultats globalement en baisse entre 2013 et 2014.
ÉVOLUTION DES RÉSULTATS ÉCONOMIQUES DU BG MINES DE 2011 À 2014
(en millions d’euros)
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2013/2012 |
2014 |
Évolution 2014/2013 |
Évolution 2014/2012 | |
Chiffre d’affaires |
1 289 |
1 360 |
1 756 |
+ 29,1 % |
1 297 |
– 26,1 % |
– 4,6 % |
EBE (3) |
450 |
643 |
665 |
+ 1,9 % |
451 |
– 31,1 % |
– 29,9 % |
Résultat opérationnel |
(1 169) |
352 |
509 |
+ 44,6 % |
– 73 |
– 114,3 % |
– 120,7 % |
Cash flow opérationnel libre avant impôts |
(163) |
463 |
524 |
+ 13,2 % |
– 14 |
– 102,7 % |
– 103,0 % |
Carnet de commandes |
10 230 |
12 036 |
9 602 |
– 20,2 % |
9 539 |
– 0,7 % |
– 26,2 % |
Source : documents de référence d’AREVA 2011 à 2014.
Toutefois, sa rentabilité demeure prépondérante par rapport aux autres activités du groupe et la met en situation de contribuer notablement à son activité et à ses ressources financières. Avec 1,297 milliard d’euros en 2014, le chiffre d’affaires consolidé de la BG mines représente 16 % du chiffre d’affaires d’AREVA (contre 19 % en 2013 mais seulement 15 % en 2012). Quoiqu’en baisse par rapport aux résultats obtenus en 2013 et 2012, l’excédent brut d’exploitation (EBE) atteint 63,4 % de la valeur de celui dégagé par le groupe (contre 62,8 % en 2013 et 52,5 % en 2012). De même, le carnet de commandes du BG Mines compte pour 20,35 % de celui d’AREVA en 2014 (contre 23,17 % en 2013 et 26,53 % en 2012). Enfin et surtout, le taux de marge (4) s’est établi à 31,8 % en 2014 (contre 37,3 % en 2013 et 47,3 % en 2012). En 2012, le BG mines dégageait 10,1 % de marges brutes pour l’ensemble du groupe (soit 942 millions d’euros).
Ainsi que l’a fait observer M. Jean Cyril Spinetta, ancien président du conseil de surveillance du groupe, ces résultats constituent la traduction concrète des importants investissements engagés sous la présidence d’Anne Lauvergeon et destinés à moderniser l’outil de production d’AREVA et d’en accroître les capacités. D’après le document de référence pour l’année 2014, le montant des investissements de la BG mines s’élevait encore à 440 millions d’euros en 2014 (contre 335 millions d’euros en 2013), en raison de la montée en puissance de Cigar Lake (Canada) et de la fin des investissements prévus à Imouraren. Les bénéfices tirés par AREVA de l’activité mines tiennent également aux contrats de long terme ayant pour objet la fourniture d’uranium, négociés avec un prix de vente moyen relativement supérieur à l’évolution des cours entre 2007 et 2012. En 2014, les contrats pluriannuels en cours peuvent couvrir une durée allant jusqu’à 15 ans et plus de sorte que selon le document de référence, le carnet de commandes porte déjà sur une dizaine d’années de production.
Les contre-performances enregistrées en 2014 s’expliquent en partie par des prises de commandes limitées dans un contexte marqué par les incertitudes sur l’évolution du cours des marchés de l’uranium. Elles résultent également de dépréciations d’actifs réalisés afin d’anticiper la baisse prévisionnelle du prix de vente de cette matière première ou encore, afin de prendre en considération le changement des conditions d’exploitation du gisement de Somaïr (Niger).
Le Business Group Amont se compose de l’ensemble des activités de conversion et d’enrichissement de l’uranium, ainsi que la conception et la fabrication de combustible pour les deux types de réacteurs nucléaires à eau légère. Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, il s’agit d’activités en assez forte croissance depuis 2012, tant du point de vue du chiffre d’affaires (+ 9,1 %), que de l’EBE (+ 43,2 %) ou du carnet de commandes.
ÉVOLUTION DES RÉSULTATS ÉCONOMIQUES DU BG AMONT DE 2011 À 2014
(en millions d’euros)
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2013/2012 |
2014 |
Évolution 2014/2013 |
Évolution 2014/2012 | |
Chiffre d’affaires |
2 282 |
2 049 |
2 188 |
+ 6,8 % |
2 235 |
+ 2,1 % |
+ 9,1 % |
EBE (5) |
179 |
294 |
328 |
+ 11,6 % |
421 |
+ 28,4 % |
+ 43,2 % |
Résultat opérationnel |
(780) |
145 |
21 |
– 85,5 % |
(416) |
- |
- 386,7 % |
Cash flow opérationnel libre avant impôts |
(584) |
(958) |
(191) |
+ 80,1 % |
(140) |
+ 26,7 % |
+ 85,4 % |
Carnet de commandes |
18 071 |
18 047 |
16 770 |
– 7,1 % |
19 019 |
+ 13,4 % |
+ 5,4 % |
Source : documents de référence d’AREVA de 2011 à 2014.
Ainsi, le BG Amont occupe une place croissante dans les résultats financiers, ce qui en fait l’un des tout premiers secteurs par sa rentabilité croissante et relativement élevée.
En 2014, il représentait 27 % du chiffre d’affaires consolidé d’AREVA, valeur en hausse constante (en 2012, 22 % ; en 2013, 24 %). Le carnet de commandes de l’unité représentait 40,6 % de celui du groupe (40,5 % en 2013 et 39,8 % en 2012). Son EBE comptait pour 60,6 % de celui du groupe en 2014 (contre 31,4 % en 2013, 24 % en 2012). Le taux de marge connaît une hausse assez sensible depuis 2011, passant de 7,8 % à 14,3 % en 2012 et 2013. En 2014, il s’établit à 18,8 %. On notera que dans les activités du secteur « Amont », les contrats portent sur une durée de même ordre pour l’enrichissement et comporte des clauses d’indexations usuelles.
Le Business group Aval correspond à l’ensemble des activités du recyclage de combustibles usé et de valorisation des installations nucléaires par le biais de leur assainissement et de leur démantèlement. Ce secteur inclut également le transport du combustible à chaque étape du cycle.
En dépit de résultats financiers plus que contrastés et globalement en baisse depuis 2011, les activités Aval comptent parmi les secteurs essentiels pour la performance économique d’AREVA.
ÉVOLUTION DES RÉSULTATS ÉCONOMIQUES DU BG AVAL DE 2011 À 2014
(en millions d’euros)
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2013/2012 |
2014 |
Évolution 2014/2013 |
Évolution 2014/2012 | |
Chiffre d’affaires |
1 594 |
1 732 |
1 736 |
+ 0,2 % |
1 531 |
– 11,8 % |
– 11,6 % |
EBE (6) |
406 |
417 |
531 |
+ 27,3 % |
232 |
– 56,3 % |
– 44,4 % |
Résultat opérationnel |
191 |
438 |
308 |
– 29,7 % |
(495) |
– 260,7 % |
– 213,0 % |
Cash flow opérationnel libre avant impôts |
217 |
293 |
484 |
+ 65,2 % |
114 |
– 76,4 % |
– 61,1 % |
Carnet de commandes |
6 282 |
6 030 |
5 884 |
– 2,4 % |
9 665 |
+ 64,3 % |
+ 60,3 % |
Source : documents de référence d’AREVA de 2011 à 2014.
Si le chiffre d’affaires et l’excédent brut d’exploitation subissent une baisse sur la période, le carnet de commandes connaît une croissance assez soutenue (de 60,3 % entre 2012 et 2014). Le BG Aval se classe troisième par le taux de marge dégagé, même si celui-ci enregistre une diminution assez sensible entre 2013 et 2014 (de 30,6 % à 15,2 %) mais également par rapport au taux obtenu en 2012 (24,1 %). Il joue un rôle croissant dans les résultats financiers du groupe, compte tenu de son poids dans le chiffre d’affaires (18 % en 2014 contre 19 % en 2013 et en 2012) et le carnet de commandes du groupe (20,62 % en 2014 contre 14,20 % en 2013, et 13,29 % en 2012). Sur la période, l’excédent brut d’exploitation (EBE) représente quant à lui 32,6 % en 2014 de la valeur de l’EBE du groupe, en diminution par rapport à 2013 (51 %) et 2012 (34 %).
À la lecture des documents de référence d’AREVA, les résultats du groupe se révèlent cependant tributaires de trois déterminants fondamentaux : en premier lieu, la demande adressée à ses installations, dont le maintien en condition opérationnelle à un coût de production raisonnable suppose un niveau d’investissement soutenu et régulier financé par les clients par le biais de contrats de long terme ; en deuxième lieu, le coût des provisions de fin de cycle, lesquelles correspondent à une obligation légale destinée à couvrir les risques et les aléas inhérents aux opérations de démantèlement et de reprise du combustible usagé ; en dernier lieu, l’impact de l’accord conclu avec EDF sur les principales conditions de l’activité traitement-recyclage pour la période 2013-2020. Sur ce dernier point, ainsi que l’ont relevé plusieurs personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, AREVA a été amenée à consentir des concessions commerciales à EDF, notamment du point de vue du prix de ses prestations. D’après le document de référence pour l’année 2014, ces concessions trouveraient des contreparties dans une visibilité renforcée sur la durée des prestations fournies et dans l’augmentation des volumes livrés. Compte tenu du mode de financement convenu avec EDF, AREVA a comptabilisé une dépréciation de 105 millions d’euros, montant qui correspond à l’amortissement d’actifs complémentaire des actifs immobilisés au titre des usines de la Hague et de Melox.
b. Les énergies renouvelables : un secteur assez lourdement déficitaire et occupant une place marginale parmi les activités du groupe
Le Business group Énergies renouvelables opère dans les secteurs de la bioénergie, du stockage d’énergie, de l’éolien en mer et de l’énergie solaire.
Ainsi que l’ont souligné de nombreuses personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, les énergies renouvelables font figure d’activité assez marginale dans la structuration d’AREVA.
De fait, elles ne font pas partie des métiers historiques du groupe. L’activité du BG Énergies renouvelables a pris corps au fil des investissements volontaristes réalisés et des partenariats noués par AREVA depuis 2005, notamment dans le cadre de coentreprises (7). Au cours de l’exercice 2014, le groupe a poursuivi la livraison de chantiers (à l’exemple de la centrale biomasse Bio Golden Raand (8) et de l’installation de dizaines d’éoliennes dans deux parcs marins allemands en Mer du Nord) ; il a conclu des accords de partenariat (en l’espèce avec Schneider Electric(9)) ; il a enfin participé au groupement ayant remporté l’appel d’offres national lancé par l’État en vue de l’installation et l’exploitation des parcs éoliens en mer dans sur les zones du Tréport et des îles d’Yeu et de Noirmoutier. Il convient en outre de souligner l’importance du partenariat industriel conclu avec GAMESA, opérateur espagnol (10). Cette alliance s’est cristallisée par la création, le 9 mars 2015, de la coentreprise Adwen dans l’éolien en mer, en application d’un accord conclu en juillet 2014.
Cependant, la poursuite de l’engagement du groupe dans les énergies renouvelables ne va pas de soi, eu égard aux pertes financières croissantes et récurrentes enregistrées par cette activité.
Par rapport à 2013, le document de référence du groupe fait état d’un fort recul du carnet de commandes (– 29,0 %), du chiffre d’affaires (– 24,6 %), ainsi que du résultat opérationnel (– 10,3 %). En 2014, seuls l’excédent brut d’exploitation et le cash-flow opérationnel libre avant impôts présentent une évolution positive (de respectivement + 7,3 % et de + 33,3 % par rapport à 2013).
ÉVOLUTION DES RÉSULTATS ÉCONOMIQUES DU BG ÉNERGIES RENOUVELABLES
DE 2011 À 2014
(en millions d’euros)
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2013/2012 |
2014 |
Évolution 2014/2013 |
Évolution 2014/2012 | |
Chiffre d’affaires |
297 |
572 |
69 |
– 87,9 % |
52 |
– 24,6 % |
– 90,9 % |
EBE |
(85) |
(59) |
(33) |
+ 44,1 % |
(24) |
+ 7,3 % |
+ 59,3 % |
Résultat opérationnel |
(78) |
(207) |
(39) |
+ 81,2 % |
(43) |
– 10,3 % |
+ 79,2 % |
Cash flow opérationnel libre avant impôts |
(102) |
(194) |
(42) |
+ 78,4 % |
(28) |
+ 33,3 % |
+ 85,6 % |
Carnet de commandes |
1 778 |
844 |
69 |
– 91,8 % |
49 |
– 29,0 % |
– 94,2 % |
Source : documents de référence d’AREVA de 2011 à 2014.
En 2014, le résultat opérationnel du BG Énergies renouvelables s’établit à – 42 millions d’euros. En baisse par rapport à 2013, ce résultat négatif s’inscrit dans une suite d’exercice au terme desquels AREVA a accusé des pertes très substantielles au regard du chiffre d’affaires et du carnet de commandes de l’activité. Du point de vue de la rentabilité, le document de référence du groupe ne comporte aucune information pour l’année 2014. En 2013 comme en 2012, le taux de marge présentait une valeur négative (de respectivement – 48 % et – 10 %).
Cette situation résulte des difficultés récurrentes éprouvées dans la réalisation des projets dans le domaine de l’énergie solaire et des restructurations nécessaires compte tenu de la baisse d’activité dans celui de la bioénergie.
Dans le domaine de l’énergie solaire, AREVA a fait le constat de l’absence des conditions requises pour la création d’une coentreprise avec des perspectives satisfaisantes de développement technologique et commercial à court et moyen terme. Le groupe a donc résolu, en juillet 2014, de mettre un terme à cette partie de son engagement dans les énergies renouvelables après l’achèvement des chantiers en cours. Compte tenu des marques d’intérêts recueillies pour AREVA Solar inc, des négociations ont néanmoins été engagées avec un partenaire minoritaire de cette société, afin d’envisager les conditions d’une prise de participation majoritaire de celui-ci.
À certains égards, le retrait ainsi esquissé par AREVA conduit à s’interroger sur la pertinence et la raison d’être des investissements réalisés dans le domaine des énergies renouvelables. Au cours de son audition, M. Bernard Bigot, ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a ainsi jugé que le groupe avait investi dans l’énergie solaire sans s’assurer auparavant du développement des technologies relatives au stockage de l’énergie, condition requise pour une exploitation commerciale rentable. Devant les Rapporteurs spéciaux, M. Jean-Pierre Bachmann, représentant de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), s’est pour sa part interrogé sur la capacité d’AREVA à soutenir la concurrence des panneaux photovoltaïques vendus par les entreprises chinoises. Ce jugement fait écho à l’analyse des représentants de la Deuxième Chambre de la Cour des comptes, aux yeux desquels il n’était sans doute pas nécessaire pour le groupe d’être présent sur tous les segments du domaine des énergies renouvelables.
En 2014, les provisions pour pertes de valeur, pertes à terminaison et risques dans les énergies renouvelables destinées à être cédées ont atteint 569 millions d’euros. Il s’agit donc aujourd’hui d’activités présentant un caractère résiduel et à faible valeur ajoutée.
c. « Réacteurs et services » : un secteur confronté à de sévères pertes et à des difficultés chroniques dans la conduite de ses projets
Le Business group Réacteurs et Services d’AREVA conçoit et fabrique des réacteurs pour la production d’électricité, des réacteurs de propulsion navale et des réacteurs de recherche. Il propose également des produits et des services nécessaires à la modernisation, au contrôle et à l’entretien de tous types de réacteurs nucléaires, autrement dénommés « services à la base installée ». Ce secteur repose sur des activités récurrentes (de services et d’ingénierie) sur la base de contrats de long terme ou fréquemment renouvelés. Ces contrats représentent 80 % de l’activité totale du BG.
Le bilan du résultat des Réacteurs et services montre la persistance de sévères pertes financières et d’une quasi-absence de rentabilité dans les grands projets, ce qui n’est pas le cas des services à la base installée.
Entre 2012 et 2014, le BG a ainsi enregistré une chute de l’ensemble de ses résultats financiers, à l’exclusion de son carnet de commandes qui, sur la période, augmente de 3,4 %. En revanche, son chiffre d’affaires baisse de 9,7 % ; son excédent brut d’exploitation ne présente une valeur positive qu’en 2012, le groupe améliorant cependant son EBE entre 2013 et 2014 de 14 %. Le résultat opérationnel régresse de 201,2 % sur la période. À peine positif en 2012 (2,8 %), le taux de marge affiche une valeur négative en 2013 (– 8 %).
ÉVOLUTION DES RÉSULTATS ÉCONOMIQUES DU BG RÉACTEURS ET SERVICES
DE 2011 À 2014
(en millions d’euros)
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2013/2012 |
2014 |
Évolution 2014/2013 |
Évolution 2014/2012 | |
Chiffre d’affaires |
3 262 |
3 452 |
3 324 |
– 3,7 % |
3 119 |
– 6,2 % |
– 9,7 % |
EBE |
(378) |
98 |
(264) |
– 369,4 % |
(227) |
+ 14,0 % |
– 331,6 % |
Résultat opérationnel |
(512) |
(410) |
(535) |
– 30,5 % |
(1 235) |
– 130,8 % |
– 201,2 % |
Cash flow opérationnel libre avant impôts |
(423) |
(54) |
(242) |
– 348 % |
(210) |
– 13,2 % |
– 288,9 % |
Carnet de commandes |
9 103 |
8 314 |
9 111 |
+ 9,6 % |
8 593 |
– 6,3 % |
+ 3,4 % |
Source : documents de référence d’AREVA de 2011 à 2014.
L’année 2014 se solde par l’inscription dans les comptes d’AREVA de provisions pour pertes de valeur d’actif des activités nucléaires pour un montant de 1,4 milliard d’euros.
Le montant des nouvelles pertes additionnelles et de provisions pour pertes à terminaison sur trois grands projets de construction nucléaire atteint pour l’exercice 1,062 milliard d’euros, dont 720 millions d’euros au titre du projet de construction d’un EPR à Olkiluoto 3 (11). On notera également que les comptes du groupe comportent des dépréciations de frais de recherche et de développement, d’un montant de 362 millions d’euros, en l’absence de débouchés identifiés à horizon prévisible pour plusieurs éléments de la gamme de réacteurs nucléaires de troisième génération, dont ceux utilisés dans les projets de construction d’EPR aux États-Unis.
De fait, depuis leur lancement, les grands projets de construction, et en particulier le projet de l’EPR finlandais, ont donné lieu à une accumulation de pertes sur terminaison ou de surcoûts que des provisions viennent couvrir périodiquement et de façon récurrente depuis plusieurs années.
Sur la base des documents de référence de l’entreprise, depuis la conclusion du contrat en 2006, le montant des provisions pour pertes à terminaison relatives au projet de construction d’un EPR sur le site d’Olkiluoto (OL3) atteignait ainsi, au 30 juin 2013, la somme de 3,390 milliards d’euros, pour un projet initialement évalué à 3,90 milliards d’euros. La période 2005-2010 a ainsi vu l’inscription chaque année d’un montant moyen de 430 millions d’euros de dépréciations. Compte tenu des provisionnements complémentaires de la fin de l’exercice 2013 (275 millions d’euros) et des provisions réalisées en 2014, le coût total des provisions inscrites pour pertes à terminaison sur OL3 se monte aujourd’hui à environ 4,385 milliards d’euros.
Ces chiffres traduisent à eux seuls l’ampleur des difficultés qu’AREVA a pu rencontrer dans la réalisation de projets phares dont il assure la maîtrise d’ouvrage.
De fait, le bilan du projet OL3 se caractérise par une dérive des coûts et du calendrier. D’après les dernières informations disponibles, l’EPR finlandais devrait être livré en 2018, soit avec un retard de plus de neuf années sur les engagements pris auprès de l’entreprise finlandaise Teollisuuden Voima Oyj (TVO) d’une livraison à l’été 2009. Le coût du réacteur devrait quant à lui atteindre près de 9 milliards d’euros, contre une estimation initiale portant sur 3,9 milliards d’euros.
Par comparaison, la construction de deux îlots nucléaires de technologie EPR à Taishan, en Chine, ne semble pas se heurter aux mêmes écueils. Suivant les dernières informations connues, le chantier n’accuse pas de retards significatifs. En septembre 2013, les travaux d’ingénierie étaient réalisés à 87 % (contre une prévision de 99 % à cette date). À ce jour, AREVA a réalisé 99 % de sa partie du contrat et se prépare à assister son client dans la phase d’essais avant mise en service. De même, les éléments disponibles donnent à penser que les coûts sont relativement maîtrisés par rapport aux bénéfices escomptés de la réalisation du projet. Toutefois, des doutes subsistent quant à l’importance des marges que celui-ci pourrait dégager.
Cette incertitude concernant la rentabilité – qui prévaut pour l’ensemble des grands projets d’AREVA – illustre sans doute les difficultés inhérentes au lancement de prototypes dans des environnements sans doute difficiles à maîtriser. Elle constitue également l’héritage d’une politique de croissance trop volontariste et rétrospectivement discutable.
2. Une politique de croissance trop volontariste et rétrospectivement discutable
Dans la situation présente du groupe, les facteurs conjoncturels liés au retournement du cours des matières premières et des perspectives de développement du marché de l’énergie nucléaire ont certes leur importance. Mais à certains égards, AREVA paie également en grande partie le choix délibéré d’un développement tous azimuts.
Le bilan de cette politique – à laquelle il n’a été mis un frein qu’à la suite de la révélation de l’ampleur des pertes accumulées – aboutit à deux conclusions : cette stratégie d’investissement, sans doute fondée sur des anticipations légitimes, a sous-estimé la question des moyens financiers ; le groupe s’est engagé dans des projets et des acquisitions malencontreuses qui, rétrospectivement, suscitent des doutes quant à leur bien-fondé.
a. Une stratégie d’investissement sans doute fondée sur des anticipations légitimes mais sous-estimant la question des moyens financiers
Souligné par l’ensemble des personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, l’expansionnisme du développement d’AREVA se manifeste d’abord par l’évolution spectaculaire des ressources allouées aux investissements du groupe.
Si, d’après les chiffres cités au cours des auditions, les dépenses correspondantes portaient encore sur 500 millions d’euros en 2004, le montant croît de manière continue et soutenue entre 2006 et 2011, passant de 1,325 milliard d’euros à 2,176 milliards d’euros en 2010, avec un « pic » à 2,928 milliards d’euros en 2007. Sur cette période, les investissements du groupe (nets des cessions) se seront élevés à 8,898 milliards d’euros, soit une moyenne annuelle de 1,780 milliard d’euros. Ces années de forte expansion correspondent à celles couvertes par d’ambitieux plans de développement du groupe défendus par son directoire : le « Plan d’actions stratégique 2007-2012 » (PAS 2007-2012) ; le « Plan d’action stratégique 2008-2012 » (PAS 2008-2012) révisé par le plan « Bridge the gap » (2008-2009).
ÉVOLUTION DU MONTANT DES INVESTISSEMENTS
RÉALISÉS PAR AREVA ENTRE 2006 ET 2014
(en millions d’euros)
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
Total | |
Investissements opérationnels bruts |
1 325 |
2 928 |
1 756 |
1 808 |
2 176 |
2 054 |
2 108 |
1 428 |
1 159 |
16 385 |
Investissements nets des cessions |
1 248 |
2 889 |
1 454 |
1 294 |
2 013 |
3 653 |
1 823 |
1 374 |
1 160 |
14 902 |
Source : documents de référence d’AREVA de 2006 à 2014.
La baisse observée entre 2012 et 2014 résulte de l’application du plan « Action 2016 ». Engagé en décembre 2011, celui-ci a révisé à la baisse les sommes consacrées par AREVA aux investissements, en se donnant pour objectif une moyenne annuelle de 1,9 milliard d’euros. En 2012 et 2013, le montant des investissements s’est établi en moyenne à 1,77 milliard d’euros.
À certains égards, la politique d’AREVA pouvait être jugée comme dictée par des contraintes objectives : celles de lever des hypothèques sur le développement du groupe et de répondre à des prescriptions de son environnement normatif.
Les hypothèques sur l’avenir du groupe résidaient notamment dans l’état de son appareil de production. Suivant le tableau dressé devant les Rapporteurs spéciaux par Mme Lauvergeon, ancienne présidente du directoire, à l’exclusion du secteur « Aval », les installations dont disposait le groupe à sa création dataient pour l’essentiel du lancement du programme nucléaire français. L’équipement de l’amont du cycle du combustible avait vieilli car le cours de l’uranium – tiré vers le bas par les ventes réalisées à bas coût par les Soviétiques – était trop faible pour assurer la rentabilité de travaux de modernisation. Dès lors, AREVA se trouvait confronté à une alternative : soit poursuivre l’exploitation des infrastructures jusqu’à épuisement ; soit entreprendre leur renouvellement. Ces considérations justifient, selon Jean Cyril Spinetta que le groupe ait investi massivement dans les installations des secteurs Amont, Mines, Enrichissement, et Conversion.
Ayant pour objet la préservation de la sûreté nucléaire, les contraintes normatives ont conduit AREVA à réaliser un certain nombre d’investissements souvent coûteux. Il en va ainsi à l’usine de retraitement de la Hague (Manche) afin d’augmenter ses capacités de production, mais également de garantir la sécurité des conditions d’entreposage des déchets. De même, la construction de l’usine Comurhex II (12) constitue la conséquence des observations exprimées à la suite d’une inspection de Comurhex I réalisée en 2004, laquelle concluait notamment à la vulnérabilité des locaux de gestion de crise face à un épisode sismique ou au passage d’un nuage toxique, ainsi que l’anticipation d’une croissance de la demande en combustible nucléaire.
À la suite d’une simulation d’accident au Tricastin le 31 août 2004, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a remarqué que les locaux utilisés pour gérer une situation de crise n’étaient « pas adaptés au risque sismique » et « ne possèdent pas de système de filtration permettant la survie au passage d’un nuage toxique ».
Un dernier motif avancé par AREVA résidait dans la volonté de développer ses marchés en répondant à des appels d’offres susceptibles de conférer au groupe, par sa capacité à proposer une offre intégrée, une position première sur des produits ou filières jugées d’avenir pour le nucléaire. Ainsi s’explique la volonté du directoire de l’époque de présenter sa candidature à la construction des EPR finlandais et chinois, « l’hiver nucléaire » provoqué en 1986 par la catastrophe de Tchernobyl étant censé prendre fin et le marché offrir de nouvelles perspectives de développements.
Cela étant, il s’avère que cette croissance volontariste ne tenait pas suffisamment compte des moyens financiers dont disposait le groupe.
Certes, ainsi qu’il ressort de plusieurs des auditions réalisées par les Rapporteurs, entre 2006 et 2011, l’État n’a jamais réellement donné suite aux demandes insistantes présentées par le directoire en vue d’une recapitalisation du groupe. Alors que Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire entre 2001 et 2011, estimait les besoins de recapitalisation à un montant de 3 milliards à 4 milliards d’euros, le Gouvernement a différé cette opération. L’ouverture de capital réalisée en janvier 2011, qui a permis la levée de 935 millions d’euros, revêt rétrospectivement un caractère très limité au regard du niveau des fonds propres que requéraient les engagements du groupe.
En effet, d’après les calculs établis dans un précédent rapport parlementaire consacré notamment à AREVA (13), le montant des investissements réalisés en 2007 et 2010 représentait plus de quatre fois sa capacité d’autofinancement. Il en résultait nécessairement une impasse financière.
De fait, sur la période, la soutenabilité du plan d’investissement d’AREVA n’a tenu qu’à un endettement croissant et à la cession ponctuelle d’actifs susceptibles d’apporter des liquidités et des fonds propres de manière rapide et conséquente. Tel aura été par exemple le motif de la vente d’AREVA T&D : alors qu’à cette date, elle réalisait 40 % des ventes (avec un résultat opérationnel de 560 millions d’euros) (14) et employait 31 000 des 75 000 salariés, la division Transmission et Distribution (T&D) du groupe a été cédée au consortium Alstom-Schneider pour un montant de 4,09 milliards d’euros, cette cession présentant l’intérêt pour AREVA d’un apport en fonds propres pour un montant de 2,290 milliards d’euros. Selon l’analyse des représentants de la Cour des comptes, en poursuivant ses investissements, AREVA en est venue à liquider des actifs dont elle n’avait pas prévu de se séparer, ce au détriment du financement d’un secteur des activités nucléaires accusant de lourdes pertes qui, en conséquence, restreignent encore les capacités d’investissements.
Ces besoins de financement ont revêtu un caractère d’autant plus impérieux qu’AREVA a mobilisé beaucoup de ressources dans la réalisation des projets et des acquisitions dont la pertinence se révèle aujourd’hui incertaine.
b. Des projets mal conduits et des acquisitions parfois discutables
Deux conclusions peuvent ressortir de l’analyse développée par un certain nombre de personnes auditionnées, notamment de la Cour des comptes.
D’une part, nombre des investissements très coûteux, à l’origine des lourdes provisions pesant sur les comptes du groupe, semblent procéder de la volonté de développement international du groupe. Nombre de personnes auditionnées ont évoqué également un certain optimisme quant aux capacités réelles du groupe et à ses perspectives de développement.
Interrogé par les Rapporteurs spéciaux sur le bilan de la gestion du groupe entre 2001 et 2011, M. René Ricol, ancien membre du conseil de surveillance et coprésident du comité d’audit d’AREVA entre mai 2010 et avril 2011, a ainsi décelé dans la politique du directoire avant son renouvellement un « péché d’orgueil », consistant à chercher des débouchés pour l’EPR à l’international, parfois à des conditions contractuelles désavantageuses ou difficiles pour AREVA. Pour sa part, M. Daniel Verwaerde, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a estimé que des avantages importants avaient pu être consentis aux clients d’AREVA.
Ces analyses peuvent trouver quelque consistance s’agissant des grands projets en général et de la construction des EPR en particulier.
En ce qui concerne l’EPR finlandais, AREVA s’est engagé sur un calendrier très exigeant. En effet, le contrat conclu avec TVO prévoyait à l’origine la construction de l’EPR en 50 mois. Pourtant, la durée constatée pour la construction des réacteurs français de deuxième génération allait de 150 mois pour la tête de série à 103 mois pour la quatrième réalisation. Les Rapporteurs spéciaux s’interrogent dès lors sur les conditions de la négociation contractuelle d’OL3.
En effet, l’interprétation rigoriste de l’économie du contrat a conduit TVO à refuser tout avenant motivé par des modifications du cahier des charges ou des surcoûts constatés aux cours de la construction. Du fait des divergences persistantes quant aux obligations de chacun et aux responsabilités dans les retards constatés, AREVA et son client se sont engagés dans la voie d’un contentieux qui doit être tranché par une procédure d’arbitrage. Les premiers jugements du Tribunal arbitral sur les prétentions des deux parties ne devraient pas être rendus avant au mieux 2017. Le consortium AREVA-Siemens réclame au total 3,4 milliards d’euros pour le préjudice occasionné dans l’exécution du contrat. Invoquant une faute lourde et intentionnelle, la réclamation de TVO s’élève à 2,3 milliards d’euros (15).
En ce qui concerne les deux îlots nucléaires construits à Taishan, les Rapporteurs spéciaux s’interrogent sur les marges financières de tels contrats. Signé en novembre 2007 avec l’électricien chinois Chinese General Nuclear Power Corporation (CGNPC), le contrat du projet porte sur : la livraison de deux réacteurs EPR, assortie d’un transfert de technologie ; la fourniture des recharges de combustibles, selon un contrat indexé sur les prix de marché de long terme et incluant également un transfert de technologie sur la fabrication du combustible ; la livraison immédiate de 1 600 tonnes d’uranium naturel, avec une marge significative pour AREVA. Du reste, ainsi que l’ont observé plusieurs des personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, les transferts de technologie consentis par AREVA pourraient permettre aux opérateurs chinois de procéder eux-mêmes à la construction de nouveaux réacteurs, ce qui réduirait d’autant la perspective de nouveaux marchés ou partenariats pour le groupe. Aujourd’hui, AREVA a réalisé plus de 95 % de la part du chantier qui lui incombait. Le groupe assiste actuellement son client dans la perspective de la phase des essais. Les réacteurs pourraient être mis en service en 2016.
D’autre part, les investissements d’AREVA tendent à se caractériser par un surdimensionnement des capacités de production, le groupe ayant pu faire le pari de débouchés croissants à l’extérieur et d’un marché intérieur relativement captif.
Ainsi que l’ont relevé plusieurs personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, il en va ainsi, dans le domaine de l’Amont, du projet Comurhex II.
Il s’agit pour AREVA de remplacer en 2016 l’actuelle usine de conversion d’uranium par une installation modernisée dans sa capacité de production et répondant aux normes de sûreté (notamment sismiques). En 2014, une perte de valeur de 599 millions d’euros a été constatée sur cet actif pour deux raisons : d’une part, le relèvement, au premier semestre 2014, du coût à terminaison de la première phase de cet investissement ; d’autre part, la décision prise, au second trimestre de l’exercice, de repousser au-delà de 2030 l’extension de la capacité de production de l’usine de 15 000 tonnes à 21 000 tonnes par an, eu égard aux perspectives d’évolution de l’offre et de la demande sur le marché de la conversion d’uranium. La capacité actuelle de l’usine, soit 15 000 tonnes, excède largement les besoins de son principal client, EDF, que l’on peut évaluer à 3 500 tonnes, soit 35 % de ses besoins. Ce décalage pourrait s’expliquer par le fait qu’AREVA pensait qu’ayant également le statut d’entreprise publique, EDF aurait finalement été conduite à passer des commandes en rapport avec les conditions de rentabilité de l’installation.
Quoi qu’il en soit, d’après les éléments fournis au cours de leur audition par les représentants du cabinet Mazars, commissaires aux comptes d’AREVA, la valeur de Comurhex II serait nulle dans les comptes à la suite de la dernière dépréciation réalisée en 2014.
Dans une certaine mesure, la rentabilité de l’usine de traitement de La Hague pâtit également de l’hypothèque que constitue l’existence d’une clientèle finalement restreinte. Construite en 1966 et s’étendant aujourd’hui sur trois hectares et quatre communes, l’usine possède une capacité annuelle de retraitement du combustible usé de 1 700 tonnes (16). Elle assure le retraitement de 75 % des combustibles nucléaires produits dans le monde.
Toutefois, le niveau d’activité dépend à 90 % des commandes passées par EDF. L’arrêt des réacteurs nucléaires japonais et allemands a privé cette usine de précieux débouchés. Or, ainsi que l’ont souligné plusieurs des personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, le financement des installations de l’aval du cycle nucléaire ne repose pas sur les fonds propres mais sur les ressources apportées par les clients par le biais des commandes qu’ils passent. À titre d’illustration, on notera que le document de référence d’AREVA pour l’exercice 2014 évoque un « impact ponctuel négatif » de l’accord conclu avec EDF sur les modalités de l’accord traitement-recyclage pour la période 2013-2020. Le document fait également mention d’une perte d’actifs industriels de La Hague et de MELOX compte tenu des modalités de financement des investissements réalisés depuis 2013 sur ces sites.
Suivant l’analyse développée devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale par M. Philippe Varin, président du conseil d’administration d’AREVA (17), le groupe doit s’adapter à la baisse du plan de charge à MELOX et l’âge d’or des grands contrats de retraitement avec le Japon et l’Allemagne fait partie d’une époque révolue pour La Hague. Sur ce site, la probabilité d’une augmentation de la production apparaît faible, même si certains pays arrivent au terme de leur cycle de production d’énergie nucléaire. Il y a peu de probabilité que dans les trois années qui viennent, le groupe puisse s’assurer d’une nouvelle clientèle internationale, ce qui n’en rend que plus importants les contrats commerciaux conclus avec EDF.
Du reste, l’évolution des prescriptions normatives en ce qui concerne l’entreposage des matières nucléaires non recyclables soulève aujourd’hui de véritables difficultés techniques et financières. Dans un communiqué publié le 26 mai 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a ainsi souligné qu’AREVA NC devait poursuivre ses efforts pour assurer, dans le respect des échéances prescrites, la reprise et le conditionnement des déchets anciens entreposés sur le site, les conditions de cet entreposage ne répondant plus aux exigences actuelles. L’Autorité a affirmé vouloir contrôler la mise en œuvre de la décision prise le 9 décembre 2014 pour compléter l’encadrement des projets de reprise et de conditionnement de ces déchets.
L’usine d’enrichissement d’uranium dont la construction a été engagée en 2006, Georges Besse II, constitue l’aboutissement d’un projet financé par AREVA sans partenariat bancaire, compte tenu de la durée d’investissement et des cash-flows négatifs. Sur la base des informations contenues dans les documents de référence du groupe, le budget nécessaire à la réalisation du chantier serait passé de 2,862 milliards d’euros en 2006 à 4,019 milliards d’euros à la fin de 2013.
En 2014, le document de référence d’AREVA faisait état d’une montée en puissance de l’installation, le taux d’utilisation des capacités de production s’établissant à 88 %. Toutefois, la rentabilité de l’usine demeure tributaire de l’évolution des prix du marché de l’enrichissement par rapport au coût d’exploitation de la technologie de centrifugation. Le marché a ainsi subi un repli de 30 % entre 2009 et septembre 2013.
Cela étant, la revue des investissements réalisés par AREVA et qui posent aujourd’hui question ne saurait occulter la situation de certains actifs du secteur des réacteurs nucléaires et de la branche mines.
En construction sur le site de Cadarache, le réacteur Jules Horowitz doit remplacer les actuels réacteurs d’études européens qui datent des années 1960. Son financement se partage entre le CEA et les futurs utilisateurs, dont AREVA SA. En décembre 2008, le groupe est devenu le maître d’œuvre pour la réalisation du chantier. En mars 2011, AREVA a conclu un contrat de fourniture du bloc réacteur pour un montant forfaitaire de 133,7 millions d’euros. Par ces contrats de gré à gré, AREVA s’était engagé sur la performance technique du réacteur et la maîtrise des coûts des marchés de réalisation et des délais.
Or, le projet a connu une dérive importante dans son calendrier et dans ses coûts, du fait notamment de la défaillance d’un sous-traitant. Initialement estimé à 530 millions d’euros, le budget du projet a été revu très sensiblement à la hausse, passant à 760 millions d’euros en 2010. Le 11 avril 2014, un groupe financier conjoint entre AREVA et le CEA a évalué le coût à terminaison du projet à 1,589 milliard d’euros. Le groupe a été amené à inscrire dans ses comptes plusieurs provisions d’un montant global de 270 millions d’euros (83 millions d’euros dans les comptes consolidés en 2012, 187 millions d’euros en 2014). Prévu pour la fin de l’année 2013, le démarrage du réacteur ne devrait pas intervenir au mieux avant octobre 2019. Ainsi que l’a rappelé M. Daniel Verwaerde, administrateur général du CEA, le Commissariat et le groupe ont travaillé à une solution négociée à leur différend en ce qui concerne la prise en charge des surcoûts avérés et probables, tant dans l’exécution des contrats dont AREVA TA est titulaire que dans celle des contrats passés par le CEA avec d’autres industriels.
Dans le secteur Mines, la gestion des actifs de la société Uramin continue de peser sur les comptes d’AREVA et de mettre en cause la pertinence de sa politique d’investissement. Une procédure judiciaire a d’ailleurs été ouverte sur les conditions d’acquisition de cette société.
Ainsi que l’ont indiqué devant les Rapporteurs spéciaux les commissaires aux comptes actuellement en fonction, ces actifs présentent aujourd’hui une valeur très résiduelle dans les comptes d’AREVA après leur dépréciation quasi intégrale. En 2014, il a été encore procédé à une dépréciation de 75 millions d’euros de l’actif minier de Trekkopje (Namibie), sur la base d’une évaluation en multiple de quantité d’uranium en terre. Ainsi, le total des pertes résultant de l’acquisition de cette société canadienne porte sur 2,122 milliards d’euros (actifs corporels et incorporels).
DÉPRÉCIATIONS RELATIVES AUX ACTIFS D’URAMIN
(en millions d’euros)
Exercice |
Montants |
2010 |
426 |
2011 |
1 456 |
2012 |
165 |
2013 |
0 |
2014 |
75 |
TOTAL |
2 122 |
Source : documents de référence d’AREVA pour les années 2010 à 2014.
Au cours de sa troisième audition, M. Philippe Knoche, directeur général d’AREVA, a en outre confirmé les informations parues dans la presse (18) au sujet de la vente du gisement de Rys Kuil (Afrique du Sud) à la société australienne Peninsula Energy Limited, pour un montant de 5 millions de dollars (plus 45 millions de dollars en cas de mise en exploitation de la mine). Les autres gisements (Bakouhma en Centre Afrique, Trekkopje en Namibie) demeurent « sous cocon », le groupe n’estimant pas remplies les conditions d’une exploitation optimale d’un point de vue économique et financier.
En dehors de cette cession, aucun des éléments recueillis en vue du présent rapport ne semble de nature à éclairer l’« affaire Uramin » d’un jour fondamentalement nouveau et, ce faisant, à modifier l’analyse des faits proposée par le dernier rapport d’information de l’Assemblée nationale relatif à AREVA (19).
D’une part, il apparaît que l’acquisition en 2007 de la société canadienne se présentait à l’époque comme une opération cohérente avec la stratégie du groupe. Plusieurs des personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux l’ont confirmé, dont M. Bruno Bezard, actuel directeur du Trésor qui occupait alors les fonctions de directeur de l’Agence des participations de l’État. Dans un contexte marqué par les perspectives de renouveau du marché de l’énergie nucléaire et une hausse des cours, on pouvait en effet craindre une moindre disponibilité des ressources minières. La sécurisation de nouvelles capacités nationales de production participait donc de l’intérêt social d’AREVA – eu égard aux difficultés rencontrées sur le gisement de Cigar Lake – comme de l’intérêt national. Du reste, ainsi que M. Bernard Bigot, ancien administrateur général du CEA, les autorités de tutelles avaient écarté d’autres projets d’acquisition soumis par le directoire du groupe.
D’autre part, l’analyse des risques peut sembler conforme aux pratiques du secteur. L’avis assez généralement exprimé devant les Rapporteurs spéciaux est que compte tenu de la très bonne réputation dont jouissait le cabinet SRK sur la place, rien ne pouvait pousser AREVA à douter de la réalité de la teneur en minerais affichée par les vendeurs ainsi que sur la qualité des études produites. Du reste, la Banque Rotschild – établissement dont les compétences sont reconnues en matière d’analyse financière du secteur minier – a avalisé le prix d’acquisition. Les Rapporteurs spéciaux s’interrogent néanmoins sur l’absence de contre-expertise lors de cette acquisition et auraient souhaité connaître l’étendue des signalements en interne portés à l’attention des directions sur les risques que pouvait induire cette opération.
L’acquisition d’Uramin a donné lieu des échanges entre le directoire, le conseil de surveillance et les autorités de tutelle d’AREVA. Il convient de souligner le caractère unanime de l’approbation dont a bénéficié le projet. Les propos tenus par M. Gérard Arbola, ancien membre du directoire et ancien directeur général délégué du groupe devant les Rapporteurs spéciaux, le confirment. Du reste, il ressort de l’audition des représentants du CEA que si des études anciennes existaient qui démontraient l’absence ou la faiblesse des gisements exploitables, l’évolution des techniques d’extraction pouvait laisser croire en la possibilité d’une exploitation à un coût de revient raisonnable.
Plusieurs points peuvent néanmoins encore aujourd’hui nourrir un doute ou des critiques.
Le premier repose sur le prix de l’acquisition de la société minière Uramin. Dans une période de spéculation à la hausse sur l’uranium et de renouveau du nucléaire, une course aux gisements s’ouvre entre les grands opérateurs du secteur : entre avril 2006 et juin 2007, le prix spot de l’uranium est passé de 40 dollars à 137 dollars la livre, un record historique. En avril 2006, une première offre d’AREVA d’un peu plus de 235 millions de dollars est refusée par Uramin. En octobre 2006, une proposition confidentielle d’Uramin évoque le prix de 472 millions de dollars pour l’intégralité du capital d’Uramin, soit le double de l’offre effectuée en avril ; cette proposition sera retirée quelques jours plus tard. Enfin, en juin 2007, AREVA acquiert Uramin pour 2,5 milliards de dollars ou 1,82 milliard d’euros. La transaction se fait ainsi à un prix cinq fois supérieur à celui initialement proposé en octobre 2006. Le cours d’Uramin a connu une progression nettement plus rapide que le cours de l’Uranium. Les Rapporteurs spéciaux s’interrogent dès lors sur la pertinence d’une acquisition au « prix fort » de la société Uramin.
Le second tient au flou entretenu par le directoire sur la possibilité d’un partage des risques de l’acquisition. Suivant les propos tenus par M. Bruno Bézard, l’APE avait donné son accord à la réalisation du projet sous réserve que deux conditions soient remplies qui lui paraissaient de nature à en réduire les risques : d’une part, une prise de participation d’un partenaire chinois (à hauteur de 49 % du capital de la filiale) ; d’autre part, la conclusion d’un contrat garantissant la vente rapide d’un tiers de la production attendue des gisements. Or, face aux interrogations de plus en plus pressantes, le directoire semble avoir apporté des réponses d’abord rassurantes, puis dilatoires, avant de reconnaître finalement l’absence de toute partenaire.
Le troisième motif de reproche réside dans la poursuite d’investissements assez lourds jusqu’en 2009 et 2010 sans connaissance précise de la rentabilité des sites, ces opérations étant justifiées par la perspective de leur mise en exploitation rapide. Ces investissements ont en effet mobilisé quelque 720 millions d’euros alors que les études à propos de la teneur des gisements – demandées notamment par des membres du conseil de surveillance et les représentants des tutelles – tardaient à être réalisées et/ou communiquées. Par ailleurs, on remarquera les incertitudes persistantes qui semblent devoir entourer les ressources exactes des gisements détenus par Uramin.
L’« affaire Uramin » constitue en tout état de cause un épisode très préjudiciable pour un groupe fragile. Aujourd’hui, ces investissements pèsent encore lourdement sur les comptes d’AREVA qui présentent d’importantes dépréciations d’actifs.
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La situation actuelle difficile du groupe ne doit pas cependant conduire à négliger les atouts dont dispose ce dernier. Celui-ci se place en effet au tout premier rang dans nombre d’activités essentielles du cycle nucléaire en tant que quatrième producteur d’uranium (avec 15 % de la production en 2014), détenteur d’un savoir-faire ancien dans le domaine des réacteurs et des services à la base installée, et opérateur en situation de quasi-monopole dans les activités de l’aval.
AREVA demeure potentiellement une belle entreprise mais elle doit se remettre en cause, tant dans son organisation interne que dans son positionnement sur le marché de l’énergie nucléaire.
II. REDÉFINIR LES TERMES D’UN AVENIR POSSIBLE DANS LE CADRE D’UNE FILIÈRE NUCLÉAIRE RESTRUCTURÉE
À l’issue d’une réunion organisée le 3 juin 2015 à l’Élysée, le Président de la République a fait connaître les intentions du pouvoir exécutif en ce qui concerne le devenir d’AREVA et les moyens de garantir sa pérennité. Cette feuille de route inscrit le redressement du groupe dans une refondation globale de la filière nucléaire française. Elle met l’accent sur deux impératifs : d’une part, l’indispensable rétablissement de la compétitivité du groupe ; d’autre part, l’élaboration d’un nouveau partenariat et une redéfinition des rôles entre AREVA et EDF dans la conception, la fabrication et la vente des réacteurs.
Sur le principe, on ne peut que souscrire à la logique de ces deux orientations qui tendent à écarter le scénario d’un démantèlement. Toutefois, les réponses apportées aux difficultés du groupe ne vont pas de soi. Elles nécessitent une évaluation approfondie. AREVA – et, au-delà, l’avenir de la filière nucléaire française – ne trouvera son salut que si les pouvoirs publics parviennent à des solutions pérennes.
Du point de vue des Rapporteurs spéciaux, il convient de mener à bien la refondation d’un groupe performant et la gouvernance de la filière nucléaire, mais il apparaît tout aussi essentiel d’adopter une solution cohérente sur le plan industriel et une position pertinente pour la filière nucléaire française.
A. MENER À BIEN LA REFONDATION D’UN GROUPE PERFORMANT ET LA GOUVERNANCE DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE
À l’occasion de la publication des comptes annuels de l’exercice 2014, le 4 mars 2015, AREVA a affirmé vouloir mettre en œuvre un plan de compétitivité reposant sur l’objectif d’1 milliard d’euros de gains opérationnels par rapport à 2014 et un projet de réorganisation de l’ingénierie. La crédibilité de ce plan suscite depuis lors des réactions assez diverses. Au cours de la table ronde organisée par les Rapporteurs spéciaux à l’Assemblée nationale, certains représentants des organisations syndicales ont exprimé leur scepticisme quant à la capacité du groupe à dégager de telles économies en trois ans, étant observé qu’EDF n’escomptait mener à bien un plan d’envergure similaire qu’à l’horizon de 2025.
Nonobstant les objectifs quantitatifs, la réalisation d’un plan de performance constitue une priorité pour l’avenir du groupe. Il en va en effet de la capacité d’AREVA à recueillir des fonds propres auprès de nouveaux investisseurs, à nouer de nouveaux partenariats industriels, à maintenir la confiance des banques et assurer la pérennité de son modèle de développement. Il s’agit également d’une condition sine qua non de la réussite de la recapitalisation à laquelle l’État devra procéder.
Dans cette perspective, il importe de poursuivre les efforts de compétitivité engagés, de simplifier la structuration juridique et opérationnelle du groupe mais encore d’organiser les conditions d’une gouvernance équilibrée et transparente et de réaffirmer la responsabilité de l’État stratège et actionnaire dans la gouvernance de la filière nucléaire.
1. Poursuivre les lourds efforts de compétitivité qui ont été engagés
Le redressement d’AREVA implique d’une part de réduire les coûts opérationnels en tirant toutes les conséquences d’une redéfinition du plan stratégique, en améliorant les performances du processus de production et en adaptant les conditions d’emploi et de travail au sein du groupe.
a. Améliorer les performances du processus de production
Il s’agit en premier lieu de maintenir et d’approfondir les orientations mises en œuvre dans le cadre du plan « Action 2016 » qui semble déjà produire un certain nombre de résultats.
Outre une plus grande sélectivité des investissements et la réduction du volume des dépenses qui leurs sont consacrées, AREVA a mis notamment mis l’accent sur l’amélioration des délais de livraison et des procédures de prises de commandes pour les grands projets. Un suivi renforcé des coûts de non-qualité et une analyse des principaux « événements qualité » ont été réalisés. Une initiative de transformation industrielle a été conduite dans les vingt sites les plus importants du groupe.
D’après les éléments communiqués par AREVA, la part des livraisons dans les délais a augmenté de 20 % entre 2012 et 2014 dans le domaine des activités industrielles. S’agissant des activités de projet, la part des opérations exécutées dans les délais a augmenté de 70 % sur cette même période.
Le plan « Action 2016 » prévoyait également une limitation du coût des fonctions support à 10 % du chiffre d’affaires. Selon le bilan communiqué par AREVA, ce coût est passé de 14,9 % en 2011 à 12 % en 2013, soit une réduction de 162 millions d’euros en deux ans. Le coût des fonctions supports aurait été ainsi ramené de 1,319 milliard d’euros en 2011 (1,27 milliard d’euros à périmètre constant) à 1,017 milliard d’euros au terme de l’exercice 2014.
La somme des économies dégagées a atteint 990 millions d’euros alors que la prévision actualisée du premier semestre 2014 prévoyait un montant de 1,2 milliard d’euros. La cible est donc presque atteinte mais les efforts de productivité et de rationalisation des activités doivent être sans doute maintenus, notamment dans le cadre du nouveau plan de compétitivité. Celui-ci prévoit une économie de 400 millions d’euros à raison du ralentissement des investissements, de l’amélioration de la politique d’achats et de gains de productivité.
b. Adapter les conditions d’emploi et de travail au sein du groupe
Au 31 décembre 2014, AREVA employait 41 847 personnes. Nonobstant les cessions réalisées et les changements de périmètre, ce chiffre marque un recul global et prolongé des effectifs.
La baisse atteint en effet 8,81 % par rapport à 2013 (et 8,11 % par rapport à 2012), étant noté que cette diminution se répartit de manière très inégale entre les différents secteurs d’activité du groupe. En 2014, il aura été procédé au recrutement de 2 611 salariés (CDI et CDD) en externe, soit un effectif en nette diminution par rapport à l’exercice précédent et qui n’assurait le remplacement que des trois quarts des départs. Il en est résulté une diminution nette de 933 collaborateurs. Le document de référence pour l’année fait, par ailleurs, état de 352 licenciements à l’échelle du groupe. Depuis 2012, AREVA privilégie ainsi les recrutements internes sur les embauches extérieures : on recense ainsi 2 400 mobilités intersites en 2012 et 2013 ; 60 % des postes ont été pourvus par cette modalité de recrutement.
L’ÉVOLUTION DES EFFECTIFS D’AREVA DEPUIS 2011
2011 |
2012 |
2013 |
Évolution 2013/2012 |
2014 |
Évolution 2014/2013 |
Évolution 2014/2012 | |
Mines |
5 319 |
4 601 |
4 463 |
– 3 % |
3 915 |
– 12,28 % |
– 14,91 % |
Amont |
8 888 |
8 727 |
8 555 |
– 1,97 % |
8 080 |
– 5,55 % |
– 7 ,41 % |
Réacteurs et services |
16 367 |
16 113 |
15 592 |
– 3,23 % |
14 745 |
– 5,43 % |
– 8,49 % |
Aval |
11 009 |
11 095 |
11 583 |
+ 4,40 % |
12 325 |
+ 6,41 % |
+ 11,09 % |
Corporate, services partagés et ingénierie |
4 706 |
4 484 |
4 697 |
+ 4,75 % |
2 565 |
– 45,39 % |
– 42,80 % |
Énergies renouvelables |
1 252 |
1 493 |
451 |
– 69,79 % |
217 |
– 51,88 % |
– 85,47 % |
TOTAL |
47 541 |
46 513 |
45 340 |
– 2,52 % |
41 847 |
– 7,70 % |
– 10,03 % |
Source : documents de référence d’AREVA de 2011 à 2014.
Néanmoins, dès lors qu’AREVA doit refonder son modèle économique et réfléchir au périmètre de ses actifs, la question de l’évolution des effectifs et des conditions de travail ne saurait être éludée.
Le plan de compétitivité annoncé le 4 mars 2015 par la direction du groupe prévoit une réduction des dépenses de personnel de 15 % en France et de 18 % à l’échelle mondiale. Cela contribuerait à hauteur de 600 millions d’euros au montant total d’économies escompté par le groupe à horizon 2017. La réalisation de cet objectif se traduirait par la suppression au total de 4 000 à 5 000 postes, dont 3 000 à 4 000 postes sur le territoire national.
Ainsi que l’a indiqué M. Philippe Knoche, directeur général d’AREVA, aux Rapporteurs spéciaux, la négociation ouverte le 7 mai 2015 porte aujourd’hui sur les modalités de départs des salariés, ainsi que sur la durée du travail, sur certains éléments de rémunération, ainsi que sur la prise en compte de la pénibilité et certains éléments de la couverture sociale (20).
S’agissant des modalités de réduction des effectifs, la direction du groupe s’est engagée publiquement à envisager toutes les possibilités permettant des départs volontaires (21). Dans cet esprit, le plan de réduction des effectifs pourrait donner lieu à des reclassements à l’échelle du groupe et reposer sur des départs anticipés à la retraite. De fait, la pyramide des âges du groupe semble donner une certaine latitude.
En ce qui concerne les conditions de rémunération, la direction d’AREVA semble vouloir négocier une remise à plat des dispositifs d’intéressement et de participation salariale. Le but poursuivi consiste à favoriser une certaine modération des montants versés qui tienne mieux compte de l’évolution des résultats économiques et financiers du groupe (22).
Enfin, les accords relatifs à la durée du temps de travail pourraient être réexaminés, avec pour objectif une meilleure organisation du temps de travail et de la production sur les sites industriels.
Du point de vue des Rapporteurs spéciaux, l’adaptation des effectifs et conditions de travail représente un mal sans doute nécessaire dans les circonstances actuelles mais il importe de mesurer l’impact exact de telles mesures. Ainsi que l’ont indiqué les organisations syndicales reçues dans le cadre de leurs travaux, l’emploi ne saurait constituer la principale variable d’ajustement face aux difficultés passées et présentes.
La masse salariale d’AREVA représente aujourd’hui 3,5 milliards d’euros (3,1 milliards d’euros si l’on retire les effectifs employés en Chine). Un effort a déjà été demandé en termes de modération salariale à des personnels qui – le fait mérite d’être relevé – ont placé sur le plan épargne groupe 73 % des montants perçus dans le cadre de l’intéressement et 76 % de la participation versée en 2014. Par ailleurs, 36 % des salariés français, allemands et américains ont investi en moyenne 2 000 euros en souscrivant aux titres qui leur étaient proposés, en mai 2013, dans le cadre de la première opération d’ouverture du capital à l’actionnariat salarié.
Surtout, ainsi que l’affirmait M. Philippe Varin devant les membres de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale (23), le groupe dispose d’un véritable capital humain et peut s’appuyer sur des compétences et des savoir-faire uniques et reconnus. Leur préservation suppose une gestion des ressources au long terme, compte tenu notamment des délais nécessaires à la formation des salariés. Cela vaut en particulier dans le domaine de la sûreté des installations nucléaires. Suivant l’avertissement public du président de l’Autorité de sûreté nucléaire (24), il importe de s’assurer que le plan de restructuration d’AREVA « n’attaque pas des fonctions vitales » au regard de ces enjeux, inquiétude que les organisations syndicales ont tenue à exprimer de manière vive et insistante devant les Rapporteurs spéciaux.
2. Simplifier la structuration juridique et opérationnelle du groupe
Il s’agit en deuxième lieu de réexaminer la pertinence de l’organisation juridique et opérationnelle d’AREVA.
Depuis sa création, le groupe est structuré par deux organisations qui ne se recoupent que partiellement :
– une organisation opérationnelle : celle-ci repose sur la division de l’entreprise en des directions fonctionnelles, des directions régionales et deux directions opérationnelles dont relèvent les sept « business groups » correspondant aux différents secteurs ou métiers d’AREVA (Mines, Amont , Réacteurs et services, Aval, Énergies renouvelables) ; les BG se composent du Business units relatif à une activité spécifique (par exemple, la BU Fabrication au sein du BG Réacteurs et services ou la BU Démantèlement et Services au sein du BG Aval.
– une organisation juridique, fondée sur la distinction au sein de la maison mère, AREVA SA, entre les différentes sociétés à l’origine du groupe ou créées au fil de l’évolution de son périmètre et de l’organisation de ces activités (par exemple, AREVA TA, société fabriquant notamment les produits utilisés par la force de dissuasion nucléaire).
Suivant l’analyse de la Cour des comptes, cette coexistence résulte du primat accordé par le premier directoire à la naissance d’un esprit de groupe qui transcende le regroupement de la COGEMA et de Framatome. Toutefois, la dimension opérationnelle a été privilégiée au détriment d’une nécessaire simplification des structures. Or, en soi, cette démarche serait de nature à faciliter la consolidation comptable, réduire les frais juridiques, permettre l’entrée d’un actionnaire dans le capital d’une activité et – si le besoin en était avéré – créer le cadre d’une harmonisation du statut des personnels hérités d’accords de branche ou d’entreprise antérieurs.
En 2011, AREVA a entrepris la simplification de ses structures juridiques par la mise en œuvre du plan Philéas. Poursuivi dans le cadre du plan « Action 2016 », cet effort doit être maintenu afin de nourrir les synergies attendues au moment de la création d’un ensemble intégré. Au cours de son audition, M. Philippe Knoche a indiqué que la direction du groupe travaillait à une organisation par métier, avec une interface permettant au client de disposer d’un interlocuteur unique pour chaque technologie proposée par AREVA.
Du point de vue des Rapporteurs spéciaux, ce remaniement des structures devrait en outre donner lieu à une révision des chaînes de décision et des circuits d’information. Dans cette optique, ils tiennent à saluer les dispositions prises ou envisagées par le groupe pour assurer la maîtrise des grands projets.
D’après les éléments communiqués par AREVA, depuis mars 2015, les directeurs des grands projets de construction de réacteurs (OL3, Flamanville 3, Taishan, Hinkley Point, Angra 3) se trouvent ainsi directement rattachés au directeur des Projets et l’Ingénierie, membre du comité exécutif du d’AREVA.
Conjugué à une organisation simplifiée, ce raccourcissement de la chaîne hiérarchique paraît de nature à assurer un meilleur suivi des chantiers sensibles et potentiellement sources de contentieux : en théorie, il devrait permettre la validation au plus haut niveau des plans de finalisation des chantiers, une supervision de leur degré d’avancement et une meilleure anticipation des risques associés par davantage de réactivités. De même, on ne peut que se féliciter de l’intention exprimée par AREVA de capitaliser l’expérience acquise au sein du groupe afin de généraliser la diffusion des meilleures pratiques pour la conduite de projets et de s’inspirer des méthodes employées par les importantes ingénieries mondiales.
3. Organiser les conditions d’une gouvernance équilibrée et transparente du groupe
Beaucoup a été dit et écrit sur la gouvernance d’AREVA, notamment à propos des relations existant entre les organes sociaux avant le premier renouvellement du directoire intervenu en juillet 2011. Certains ont accablé le directoire, déplorant le caractère non contradictoire des délibérations en son sein, la mauvaise qualité des échanges d’informations avec le conseil de surveillance et, surtout, l’autorité que sa présidente aurait exercée sans partage dans la conduite des affaires du groupe. La vérité commande de dire qu’il existe sans doute sur cette période autant de versions que de personnes qui en ont été les acteurs. En tout état de cause, les décisions prises ont recueilli auprès des organes de contrôle sinon une approbation expresse ou, du moins, un consentement tacite, constat qui plaide en faveur de responsabilités plus partagées.
Par-delà le rôle exact joué par chacun, c’est donc sous un angle plus systémique qu’il convient d’évaluer la gouvernance passée et présente d’AREVA. Cette approche conduit à deux observations : avant et après 2011, le fonctionnement de la gouvernance pouvait faire l’objet de critiques du fait de son organisation autour d’un directoire et d’un conseil de surveillance ; depuis 2015, elle semble connaître une amélioration sensible à confirmer dans la pratique.
a. Une gouvernance autour d’un directoire et d’un conseil de surveillance objet de critiques
Par-delà leurs contradictions, les éléments recueillis par les Rapporteurs spéciaux semblent démontrer la nature dysfonctionnelle des rapports existant entre les organes sociaux d’AREVA et entre le groupe et les tutelles.
Certes, ils ne permettent pas de prononcer sur la véracité d’allégations telles que celles portant sur l’existence de procès-verbaux elliptiques, de documents incomplets ou inexistants ou de réponses dilatoires de la direction du groupe ne permettant pas au conseil de surveillance de jouer utilement son rôle dans le processus de décision. Ils n’offrent pas davantage de certitudes sur la teneur des échanges, ni sur la fréquence ou la durée des réunions évoquées par les uns ou par les autres afin de justifier leur appréciation sur le caractère classique de la gouvernance ou l’étendue du pouvoir de la présidente du directoire. Pour juger de ces faits, il faudrait étudier précisément les procès-verbaux, ce que le temps imparti aux travaux des Rapporteurs ne leur a pas permis de faire.
En revanche, ils révèlent l’existence de tensions persistantes entre les organes sociaux dans lesquelles entrent sinon des jeux de pouvoir – ou l’affrontement de fortes personnalités, du moins le poids du déséquilibre inhérent à la répartition des rôles dans une société possédant un directoire et un conseil de surveillance. Ce déséquilibre résulte des compétences que la loi assigne à chacun de ces organes.
Ainsi que l’ont rappelé plusieurs des personnes entendues, dont M. Jean Cyril Spinetta et M. Pierre Blayau, tous deux anciens présidents du conseil de surveillance, les dispositions du code de commerce confient au directoire un rôle moteur.
Suivant l’article L. 225-58 du code, « la société anonyme est dirigée par le directoire […] », l’article L. 225- 64 précisant que « le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société », dans « la limite de l’objet social » de la société et « sous réserve [des pouvoirs] expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées d’actionnaires ». L’article L. 225-68 prévoit pour sa part que « le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société sur le directoire » et que « les statuts peuvent subordonner à l’autorisation préalable du conseil de surveillance la conclusion des opérations qu’ils énumèrent ».
C’est sur cette base que jusqu’à 2015, le directoire arrêtait les comptes du groupe. De même, en application des statuts, ont été déterminés des seuils qui, entre 2001et 2010, permettaient au directoire de ne pas avoir à obtenir l’approbation du conseil de surveillance pour engager un investissement. Ainsi que l’a rappelé M. Bruno Bézard, en sa qualité d’ancien directeur de l’APE, les seuils ont été ramenés de 200 millions d’euros à 80 millions sur l’insistance de l’État actionnaire, certains investissements échappant aux organes de contrôle grâce à un montage par tranche.
Si la présidence ne saurait être dédouanée des choix parfois discutables intervenus pendant son mandat, elle ne saurait être tenue pour la seule responsable de la politique suivie par AREVA. Il ressort en effet des éléments recueillis par les Rapports spéciaux que l’explication des dysfonctionnements observés dans la gouvernance d’AREVA réside pour beaucoup dans une répartition des rôles institutionnellement déséquilibrée.
Ainsi que l’ont relevé certaines personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux, les tensions qui marquaient la gouvernance du groupe ont pu en effet persister au-delà du renouvellement du directoire intervenu en 2011.
b. Un fonctionnement de la gouvernance jugé plus satisfaisant en 2015 mais qui demande à être confirmé
Le 8 janvier 2015, une assemblée générale extraordinaire d’AREVA a résolu de faire passer le groupe du statut de société anonyme à conseil de surveillance à celui de société anonyme dotée d’un conseil d’administration. Le même jour, le conseil d’administration nouvellement nommé a choisi de dissocier la présidence du conseil de l’exercice des fonctions de directeur général. Cette transformation fait suite à des prises de positions répétées de l’État actionnaire (et notamment de l’APE) et de plusieurs membres du conseil de surveillance, ainsi qu’aux préconisations de la Cour des comptes.
Ce nouveau statut confère un rôle prééminent aux organes de contrôle et à leurs membres (actionnaires et représentants des tutelles) vis-à-vis de la direction qui doit rendre compte.
Il résulte en effet des dispositions de l’article L. 225-17 du code de commerce que sous cette forme, « la société anonyme est administrée par [le] conseil d’administration […]. En application de l’article L. 225-35 du code, il appartient à cet organe de déterminer « les orientations de l’activité de la société et [de] veill[er] à leur mise en œuvre », l’article précisant que « le conseil d’administration procède aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns » et que « le président ou le directeur général de la société est tenu de communiquer à chaque administrateur tous les documents et informations nécessaires à l’accomplissement de la mission ».
Un cadre vient d’être posé qui, au moins en théorie, paraît plus adapté à la gouvernance d’un groupe appelé à faire, en toute transparence et en toute connaissance de cause, des choix cruciaux pour son devenir. Depuis le 8 janvier 2015, le conseil d’administration d’AREVA comprend quatre comités permanents : un comité d’audit et d’éthique ; un comité stratégique et des investissements ; un comité des nominations et des rémunérations ; un comité de suivi des obligations de fin de cycle. Il reste cependant à mettre les pratiques en conformité avec les textes.
4. Réaffirmer la responsabilité de l’État stratège et actionnaire dans la gouvernance de la filière nucléaire
Dans l’organisation d’une gouvernance efficace pour AREVA, le rôle de l’État revêt évidemment une importance cardinale. De fait, par ses propres participations (21,68 %) ou par l’entremise de celles de personnes publiques soumises à son contrôle, il contrôle près de 87 % du capital du groupe (25). Du reste, la filière nucléaire représente un secteur essentiel tant pour l’économie du pays que pour l’indépendance nationale. Dès lors, l’État ne saurait se borner au rôle d’un simple actionnaire. La puissance publique doit se montrer stratège.
Il s’agit là d’un véritable défi si l’on regarde l’histoire d’AREVA. Son bilan se révèle en effet porteur de multiples interrogations : en premier lieu, sur le comportement de l’État stratège et actionnaire dans le pilotage des entreprises publiques ; en deuxième lieu, sur les instruments et les ressources de contrôle des entreprises publiques stratégiques ; en dernier lieu, sur les enseignements à tirer pour le renforcement du contrôle du Parlement.
a. Un bilan qui questionne le rôle de l’État stratège et actionnaire dans la direction des entreprises publiques
Compte tenu des acteurs de sa création et de la structuration de son capital, AREVA se trouve placé sous la tutelle de trois organismes, services de l’État ou établissement public. Il s’agit :
– du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA), représenté au conseil d’administration d’AREVA par son administrateur général et un autre représentant du Commissariat ;
– de l’Agence des participations de l’État (APE-ministère des Finances, Direction du Trésor), représenté au conseil d’administration par son directeur ou son adjoint qui ont la qualité de représentant de l’État (26) ;
– de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC-ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie), représenté au conseil d’administration par son directeur qui, au demeurant, dispose d’une voix consultative et de la qualité de commissaire du Gouvernement.
Sur le rôle joué par chacun de ces acteurs, les Rapporteurs spéciaux ont recueilli des analyses parfois contradictoires. Dans l’ensemble, il ressort des auditions que les représentants des autorités de tutelles se sont efforcés d’assumer pleinement leurs responsabilités dans le cadre des réunions du conseil de surveillance, questionnant l’équipe dirigeante d’AREVA de manière souvent très précise en ce qui concerne le lancement et la réalisation des grands projets ou les projets de cessions. Il semble également qu’en dehors de cette enceinte, pouvaient exister des échanges parfois très nourris entre l’APE et le directoire sur des sujets aussi sensibles que la recapitalisation du groupe ou la définition des conditions d’investissement (comme par exemple, dans le cas d’Uramin).
En revanche, rien n’indique que les services de l’État ou ceux du CEA aient apporté une expertise technique particulière sur certaines questions sensibles (s’agissant par exemple de la teneur des gisements d’Uramin). Par ailleurs, on pourrait s’étonner que sur certains dossiers, des interrogations pourtant substantielles sur la stratégie ou les investissements réalisés aient été laissées longtemps sans réponses ou sans suites. À l’exemple de MM. René Ricol et de Pierre Blayau, certaines personnes entendues par les Rapporteurs spéciaux ont ainsi estimé que les représentants des tutelles n’avaient peut-être pas suffisamment poussé les membres du directoire dans leurs retranchements et incité à une évaluation plus approfondie des décisions prises.
À l’exclusion des représentants de l’APE, la plupart des personnes auditionnées s’accordent en revanche pour affirmer que l’État n’a pas rendu les arbitrages qui lui incombaient de rendre.
Une partie de l’explication à cette critique réside sans doute dans les ambivalences inhérentes au statut d’actionnaire pour la puissance publique.
En premier lieu, ainsi que l’a rappelé M. Bruno Bezard, le Gouvernement s’est doté d’une charte, entrée en vigueur en 2004, et qui régit les règles de gouvernance avec les entreprises à participations publiques. La doctrine que celle-ci consacre repose sur le principe du rôle premier de la direction dans la conduite de l’entreprise : tout en assumant ses responsabilités, l’État ne doit pas se substituer à ses dirigeants dans sa gestion.
En deuxième lieu, il s’avère que l’État pouvait – et peut – se retrouver confronté à deux exigences contradictoires : soit rechercher la meilleure rémunération possible des participations publiques en demandant un niveau de dividendes élevé ; soit se donner pour priorité la préservation des fonds propres des entreprises. Du point de vue de M. Bézard, l’État actionnaire aura déterminé le montant des dividendes en prenant en considération le bilan du groupe, les besoins en investissements et la situation de la concurrence (27).
Une autre partie de l’explication se trouve peut-être dans la nature et les objectifs du contrôle assuré par l’État. Suivant l’analyse de M. Pierre Blayau, ancien président du conseil de surveillance du groupe, les entreprises publiques feraient l’objet d’un contrôle de gestion mais désormais plus d’un contrôle donnant le primat à l’objectif d’une stratégie industrielle.
Du reste, la place de l’État l’expose à des situations qui recèlent une part de baroque. Ainsi que l’ont indiqué les représentants de l’APE, à raison du double statut de puissance publique et d’actionnaire majoritaire d’AREVA, l’État pourrait être conduit à s’abstenir au cours des conseils d’administration qui examineront des décisions capitales pour l’avenir du groupe.
b. Des interrogations sur les instruments et les ressources de contrôle de l’État sur les entreprises publiques stratégiques du secteur de l’énergie
Les auditions réalisées par les Rapporteurs spéciaux ont mis en lumière deux problématiques.
La première porte sur la capacité des entreprises publiques du secteur de l’énergie à développer des stratégies conformes aux objectifs d’intérêt général définis par l’État.
Du point de vue de M. Pierre Blayau, la libéralisation du secteur de l’énergie a « rogné les ailes » de l’État régulateur. La cotation et l’ouverture du capital restreignent les marges de manœuvre. Or des entreprises dont le domaine d’activité touche à des enjeux de souveraineté ne peuvent être gérées comme des entreprises privées relevant du droit commun. Toutefois les difficultés inhérentes à une cotation boursière ne doivent pas être négligées, et il convient également de ne pas minorer l’intérêt de l’accès aux marchés financiers.
Suivant l’analyse développée aux cours de l’audition de M. Henri Proglio, ancien président directeur général d’EDF, l’absence de cotation nuit à la crédibilité sur les marchés nationaux, sauf à ce que l’État apporte sa garantie. Sur ce point, le propos de l’ancien président directeur général d’EDF rejoint en partie les éléments livrés par Mme Anne Lauvergeon sur la coexistence de deux modèles de développement de la filière nucléaire dans le monde : un système national dans le cadre duquel l’État construit, soutient et prend en charge ; un système caractérisé par la diversité des opérateurs et le financement de la filière par le secteur privé. La France se trouve ainsi dans une situation intermédiaire qui, dans les faits, se révèle inconfortable.
La seconde problématique a trait aux modalités de représentation de l’État et aux moyens de l’Agence des participations de l’État pour le suivi d’une entreprise aussi stratégique qu’AREVA.
D’une part, suivant les travaux de la Cour des comptes, il semble qu’à l’expérience, les fonctions du contrôle général économique et financier et celles de commissaire du Gouvernement n’a pas constitué un double mécanisme de contrôle suffisant dans le cas d’AREVA.
D’autre part, au vu du tableau dressé par plusieurs des personnes auditionnés, on peut se demander si l’APE dispose des effectifs nécessaires afin d’assurer en toutes circonstances une supervision continue et pertinente. M. Bernard Bigot a estimé que l’État se trouvait démuni en conseil de surveillance en raison des changements ponctuels observés dans la représentation de l’APE. Cette opinion rejoint celle exprimée par M. Pierre Blayau en sa qualité d’ancien président du conseil de surveillance d’AREVA : de son point de vue, il était difficile pour de jeunes fonctionnaires – certes très qualifiés mais qui dans les faits se forment en contrôlant – de réaliser une évaluation aussi approfondie que nécessaire.
Du reste, on ne saurait négliger des facteurs peu visibles mais qui ont pu interférer dans l’accomplissement ordinaire des diligences des services de tutelle : d’une part, la dimension éminemment politique du fonctionnement et des enjeux du secteur de l’énergie ; d’autre part, l’influence spécifique que peuvent acquérir ceux qui en dirigent les opérateurs, notamment dans le secteur public. De fait, les signaux d’alerte émis par les tutelles administratives ne semblent pas avoir été suffisamment pris en considération par le pouvoir exécutif. En tout cas, celui-ci ne leur a pas donné les suites qui convenaient.
De fait, suivant l’ensemble des éléments recueillis par les Rapporteurs spéciaux, à l’entrée en vigueur de la charte régissant les relations de l’État avec les entreprises à participations publiques, il semble qu’AREVA ne faisait pas nécessairement partie des entreprises se conformant le mieux aux principes que celle-ci édictait. Si des progrès ont été accomplis, il semble avoir nécessité des demandes récurrentes de la tutelle. Surtout, on soulignera que les premiers signes d’une dégradation structurelle et inquiétante des positions du groupe n’auront conduit que très tardivement au renouvellement des équipes et aux changements d’orientations qui pouvaient s’imposer.
Du point de vue des Rapporteurs spéciaux, cette réaction tardive de l’État résulte pour partie de l’absence d’une instance de pilotage à même d’assurer une supervision attentive de la filière nucléaire française et de ses opérateurs. Dans cette optique, certaines des personnes entendues ont préconisé la création d’un secrétariat général qui exercerait, dans le domaine de l’énergie, des missions analogues à celle du Secrétariat général de la Défense nationale. À défaut de disposer des moyens nécessaires à la création d’une nouvelle structure, il paraît décisif que le Conseil de politique nucléaire soit réuni plus fréquemment.
Mais un sujet aussi sensible que l’avenir de la filière nucléaire et, plus largement, la gestion des entreprises publiques stratégiques, ne saurait demeurer l’apanage du seul pouvoir exécutif. Il est l’affaire des pouvoirs publics et le Parlement doit pouvoir exercer sa vigilance et tenir sa place dans la prise des grandes décisions.
c. Des enseignements à tirer pour renforcer le contrôle du Parlement
À cette fin, les Rapporteurs spéciaux estiment qu’il convient d’explorer deux pistes complémentaires.
La première consiste à enrichir les documents mis à la disposition des Assemblées, notamment dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances ou des textes relatifs à la politique énergétique.
Certes, dans le cadre de la procédure budgétaire, le Gouvernement établit à l’attention du Parlement deux documents qui peuvent comporter des informations utiles :
– les projets annuels (PAP) et les rapports de performances (RAP) du programme n° 731 Opérations en capital intéressant les participations financières de l’État : ces documents peuvent comprendre une mention ponctuelle sur la situation des entreprises publiques même si de manière générale, la présentation des participations de l’État donne une vision consolidée et purement financière, sans considération spécifique et détaillée sur la stratégie d’une entreprise ;
– surtout, le jaune budgétaire « l’État actionnaire » : ce document offre une information plus détaillée dans la mesure où il fait état des prises de participations et échanges de titres, établit une synthèse sur les comptes des principales entreprises et reproduit les résultats financiers ; une fiche y est par ailleurs consacrée à chaque entreprise (dont AREVA) qui comporte des éléments sur les grands projets, le carnet de commandes, les grands chiffres de l’état financier ; le jaune recense par ailleurs les faits significatifs intervenus au cours d’un exercice.
Du point de vue des Rapporteurs spéciaux, il pourrait être utile de compléter ces documents par des informations supplémentaires d’analyse des perspectives financières et de développement de l’activité. Il s’agirait d’adopter une démarche davantage prospective, pluriannuelle et moins formelle qu’une présentation à la manière d’un compte de résultat. Le cas échéant, il conviendrait également que les décisions envisagées par l’État susceptibles d’avoir une portée importante pour les entreprises publiques – telles que les dispositions du projet de loi sur la transition énergétique – soient accompagnées d’une étude impact.
La seconde piste réside dans la création d’un mécanisme d’alerte qui permettrait au Parlement d’être informé préalablement de la situation dégradée d’une entreprise stratégique.
Les Rapporteurs spéciaux n’ont pas pour propos de minorer l’importance du travail de contrôle accompli par les différentes commissions compétentes de l’Assemblée nationale. La commission des Affaires économiques ainsi que celle des Finances ont depuis quelques années auditionné à de nombreuses reprises les membres de la direction d’AREVA, voire les ministres de tutelle. Toutefois, cet exercice présente des limites bien connues des parlementaires : les personnes auditionnées peuvent éluder certaines interrogations ou y apporter des réponses partielles. Du reste, il n’est pas certain que ces échanges bénéficient de la publicité qu’ils mériteraient. Dans un souci de réactivité et d’anticipation, il importe donc d’organiser une procédure plus formelle mais plus efficace.
Aussi les Rapporteurs spéciaux proposent-ils que les présidents et les rapporteurs spéciaux chargés du suivi des crédits afférents des commissions concernées reçoivent communication de tous documents concluant, de manière circonstanciée, à la dégradation probable de la santé économique et/ou financière des entreprises publiques stratégiques.
L’établissement d’un tel dispositif supposerait évidemment de définir de manière précise la catégorie des entreprises concernées (par exemple, eu égard aux résultats financiers, à l’incidence sur l’emploi ou des enjeux qui intéressent la souveraineté nationale). Elle impliquerait également d’imposer aux destinataires de ces informations, une stricte obligation de confidentialité car les données transmises pourraient relever de secrets protégés par la loi (tels que le secret des affaires) ou affaiblir des entreprises opérant sur un marché concurrentiel.
B. ADOPTER UNE SOLUTION COHÉRENTE INDUSTRIELLEMENT ET UNE POSITION PERTINENTE POUR LA FILIÈRE NUCLÉAIRE FRANÇAISE
Le cap fixé par le Président de la République le 3 juin 2015 est celui d’un rapprochement immédiat, au sein d’une société dédiée, des activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’AREVA. Sous réserve de la conclusion d’un accord de partenariat stratégique global avec AREVA, EDF aura également vocation à devenir actionnaire majoritaire de la filiale AREVA NP, qui rassemble les activités industrielles de construction de réacteurs, d’assemblage de combustible et de services à la base installée. AREVA restera minoritaire dans la nouvelle structure et devra recentrer ses activités vers le cycle du combustible. L’État s’engage quant à lui à recapitaliser AREVA à la hauteur nécessaire pour consolider, en tant qu’investisseur avisé, les fonds propres du groupe.
La solution entérinée par le Gouvernement marque le refus d’un démantèlement pur et simple de l’entreprise et la volonté de redonner un sens industriel à la fois au groupe AREVA mais aussi à la filière nucléaire dans son ensemble. Il met néanmoins fin au modèle intégré qui avait prévalu lors de la création d’AREVA en 2001 et qui avait été au cœur de la stratégie de l’entreprise.
Néanmoins, la définition du nouveau schéma du groupe et de la filière nucléaire dans son ensemble ne va pas de soi. Elle doit répondre à des impératifs et à des objectifs dont les Rapporteurs spéciaux tiennent à rappeler les principaux tenants et aboutissants : la nécessité de refonder le groupe AREVA autour d’une solution qui fasse sens d’un point de vue industriel et économique ; l’obligation de trouver une solution qui permette de mettre un terme aux besoins de financement d’AREVA sans pour autant fragiliser son modèle de rentabilité économique ; et enfin, l’objectif de refonder la filière nucléaire en tenant compte du projet de loi relative à la transition énergétique et du renouvellement à venir du parc nucléaire – de ce qu’elle dit et de ce qu’elle ne dit pas.
C’est sur la base de ces trois impératifs que les Rapporteurs spéciaux ont été amenés à émettre un avis concernant la restructuration en cours. Il convient en effet de ne pas précipiter une décision au nom d’impératifs financiers de court terme sans tenir compte des objectifs de long terme qui doivent guider la politique énergétique française : la décision industrielle doit pouvoir ne pas être seulement dictée par l’urgence financière.
1. Évaluer la pertinence du périmètre des activités du groupe pour constituer un modèle qui fasse sens au plan industriel et économique
Le modèle intégré, qui constituait le mythe fondateur à la constitution d’AREVA en 2001, est aujourd’hui unanimement critiqué notamment par le manque de synergies existantes dans le domaine de l’ingénierie, de la commercialisation et de la gestion des grands projets de construction de réacteurs.
Les conséquences de la gestion des grands projets, ainsi que la situation financière grave qui en est résultée, incitent aujourd’hui l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire à définir un nouveau modèle cohérent d’un point de vue industriel, mais également viable économique tant du point de vue des règles de la concurrence que des impératifs de viabilité économique du nouvel AREVA recentré sur la gestion du cycle de l’uranium.
a. Le « modèle intégré » : un concept au cœur de la constitution d’AREVA qui n’est désormais plus opérationnel
AREVA a été créé le 3 septembre 2001 par le rapprochement de deux acteurs majeurs du secteur de l’énergie nucléaire détenus majoritairement par la société CEA-Industrie : d’une part, la Compagnie générale des matières nucléaires (COGEMA) en charge de l’exploitation minière, de l’enrichissement de l’uranium et du traitement des combustibles usés (actuellement les business groups (BG) Mines, Amont et Aval du groupe AREVA) ; d’autre part, Framatome et Technicatome en charge de la conception et de la construction de centrales nucléaires, de combustibles nucléaires ainsi que de la fourniture des services associés aux activités nucléaires (actuellement le BG Réacteurs et Services et l’activité combustible dans le BG Amont).
L’objectif de la création d’AREVA était de constituer un groupe industriel capable d’assurer une présence sur tous les métiers du cycle du nucléaire permettant de développer des stratégies cohérentes vis-à-vis des grands clients du nucléaire. AREVA se pensait alors comme l’acteur industriel le plus intégré sur la chaîne de valeur du nucléaire, depuis la fourniture en uranium jusqu’au recyclage du combustible, en passant par la conception et la construction de nouveaux réacteurs.
De fait, après la cession des activités de transmission et de distribution d’électricité lors de la vente de la branche Transmission et Distribution (T&D) en 2010, le modèle intégré d’AREVA se définit par le rassemblement de trois métiers : fourniture et construction de réacteurs, prestations de services à la base installée, gestion de l’ensemble du cycle de l’uranium de la production au recyclage et stockage, et enfin, ingénierie et gestion de grands projets.
AREVA intervient dans la conception et la construction de réacteurs nucléaires. Le groupe fournit également des services à la base installée de maintenance, de modernisation et d’extension des parcs nucléaires existants et futurs.
En ce qui concerne la gestion du cycle de l’uranium, AREVA est positionné tant sur l’exploitation minière d’uranium, la conversion chimique et l’enrichissement du minerai, la conception et la fabrication de combustible nucléaire, le recyclage et l’entreposage des déchets radioactifs, et le démantèlement des installations nucléaires dont l’exploitation est terminée.
Le groupe est enfin présent sur d’autres métiers liés plus ou moins directement au nucléaire comme la fabrication des réacteurs et combustibles des sous-marins nucléaires, la conception et fabrication de système de détection et de mesure de la radioactivité, et enfin le secteur des énergies renouvelables dans les domaines de l’éolien en mer, de l’énergie solaire concentrée, du stockage de l’énergie et de la bioénergie.
Cette intégration tout au long de la chaine de valeur du nucléaire, qui va même jusqu’à s’étendre aux domaines des énergies renouvelables, distingue le groupe des autres grands fournisseurs de réacteurs nucléaires. Plusieurs arguments permettaient de justifier un tel modèle : l’existence de synergies entre activités et métiers ; mais surtout la capacité de répondre à des appels d’offres variés en fournissant des centrales clés en main accompagnées de services de maintenance, d’approvisionnement et de recyclage du combustible. Le modèle économique ainsi défini, dénommé familièrement « modèle Nespresso », consistait à assurer le financement d’activités essentielles mais dont les marges sont faibles (ingénierie et construction de réacteurs) par la mine et l’enrichissement, activités sur lesquelles les marges devaient être importantes.
Les Rapporteurs spéciaux soulignent que l’argument de l’avantage commercial a été celui le plus souvent mis en avant au cours des auditions. Dans cette conception du modèle intégré, la proposition aux clients d’une offre unique devait permettre de financer la conquête des marchés extérieurs en l’absence de marché intérieur porteur.
Néanmoins, le modèle intégré ne semble pas avoir atteint ses objectifs : les synergies entre les activités de gestion du cycle du recyclage et la branche réacteurs et services se sont avérés faibles, tandis que le développement à l’international de l’entreprise peut être considéré comme un échec par comparaison aux objectifs initiaux de vente de réacteurs. Le développement de la branche énergie renouvelable va quant à lui à l’encontre de l’idée de chaîne du nucléaire.
Enfin, si les difficultés financières du groupe ne sont pas seulement le fait de l’existence du modèle intégré mais davantage liées au surinvestissement passé et à la non-maîtrise de certains grands projets, elles rendent nécessaire une redéfinition du modèle qui n’avait de sens que dans un marché où le cycle de l’uranium venait soutenir les grands projets : or les difficultés actuelles tant de l’aval que de l’amont rendent un tel modèle inopérant.
b. La nécessité de construire un nouveau modèle qui soit cohérent d’un point de vue industriel et garantisse la pérennité des activités
Le Gouvernement a finalement tranché en faveur d’un contrôle majoritaire d’AREVA NP par EDF dans le cadre d’une coentreprise, sous réserve d’un partenariat stratégique entre les deux entreprises, tout en décidant le rapprochement immédiat au sein d’une société dédiée des activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’AREVA. Une telle décision va modifier profondément l’organisation de la filière nucléaire française en mettant fin au modèle intégré, sans pour autant conduire à la constitution d’un acteur unique du nucléaire.
Au-delà de la définition d’un nouveau modèle, il s’agit plus largement de clarifier et de redéfinir les responsabilités entre l’ensemblier (EDF) et l’équipementier (AREVA) au sein de la filière nucléaire. La constitution d’une telle filière industrielle nécessitera un alignement des acteurs dans lequel l’équipementier ne se pensera pas ensemblier : il ne reviendra dès lors plus à AREVA d’assurer la construction de réacteurs nucléaires.
Les Rapporteurs spéciaux estiment qu’il est en effet impératif de renforcer les synergies entre les deux groupes industriels et de mettre en commun les compétences dans les activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’AREVA. Les retards multiples et les dépassements de prix observés sur les grands chantiers de construction de réacteurs, à l’exception de Taishan 1 et 2, illustrent les difficultés du groupe et de la filière nucléaire dans son ensemble à assurer la construction et la livraison d’équipements nucléaires lourds. Il est donc impératif que les équipes d’ingénierie et de projet d’EDF et d’AREVA travaillent désormais en commun pour d’une part, résoudre les difficultés majeures constatées sur les deux chantiers tête de série de l’EPR en France et en Finlande, et d’autre part, former une véritable « équipe de France du nucléaire » afin de répondre de manière commune aux appels d’offres internationaux en matière de construction de réacteurs et de développer une politique d’exportation ambitieuse. Aussi les Rapporteurs spéciaux sont-ils pleinement favorables à un rapprochement immédiat au sein d’une société dédiée des ingénieries réacteurs et projets des deux entreprises. Il ne s’agit pas de procéder à une intégration des équipes d’AREVA au sein d’EDF, mais davantage de créer les conditions d’un rapprochement des équipes d’ingénierie et de projet des deux entreprises susceptible de favoriser des synergies et un renforcement des compétences.
Toutefois, les Rapporteurs spéciaux s’interrogent sur les conséquences d’une prise de participation majoritaire d’EDF au sein d’AREVA NP en charge de la fabrication des équipements nucléaires et de réacteurs, des services à la base installée et de l’assemblage de combustibles. AREVA NP est un concepteur de chaudière nucléaire, un fabricant d’équipements lourds et désormais un acteur incontournable des services à la base installée, non seulement en France auprès d’EDF, mais également auprès de nombreux clients étrangers (auprès d’environ 250 réacteurs à travers le monde). La décision d’intégrer les prestations de services et de fourniture d’équipements nucléaires lourds sous le contrôle d’EDF pourrait théoriquement avoir un impact négatif sur le carnet de commandes d’AREVA NP. Il est en effet possible que les exploitants et ensembliers concurrents d’EDF hésitent à renforcer le carnet de commande du nouvel AREVA NP, qui deviendrait théoriquement concurrent de ses propres clients.
Un tel risque commercial peut néanmoins être relativisé par le fait, d’une part, que la structuration actuelle du marché du nucléaire réduit le nombre de concurrents susceptibles d’être affectés, d’autre part, que la plupart des primo-accédants au nucléaire recherchent davantage une offre globale incluant expérience d’exploitation et de construction. Une solution pourrait néanmoins être trouvée par l’entrée d’investisseurs tiers au sein de la nouvelle structure, potentiellement électriciens, mais aussi par la signature d’un pacte d’actionnaire limitant la capacité de contrôle d’EDF et laissant une marge d’autonomie importante à la nouvelle filiale commune. Dans tous les cas, il est important qu’AREVA NP conserve une autonomie significative par rapport à EDF et une logique industrielle qui lui soit propre.
À côté de l’intégration d’AREVA NP sous le contrôle d’EDF, les Rapporteurs spéciaux estiment que la pertinence du nouveau modèle dépendra aussi de la capacité du groupe AREVA à poursuivre une activité économique viable sur la seule chaîne de valeur ajoutée du nucléaire. En effet, le marché de l’uranium et des services associés connaissent une chute importante des prix. En conséquence, tant l’activité du BG Mines que l’activité du BG Aval ont connu en 2014 une diminution notable de leur chiffre d’affaires et de leur excédent brut d’exploitation (EBE). La seule exception constitue l’activité du BG Amont portée par le lancement et la montée en charge de l’usine Georges Besse II. La réussite de l’opération dépend dès lors en grande partie de la réussite du plan de compétitivité qui doit permettre à terme une viabilité économique à un AREVA recentré sur le seul cycle du nucléaire. Le redressement du groupe et le rétablissement de sa compétitivité est indispensable pour permettre aux activités restantes du groupe de dégager des marges suffisantes au remboursement de la dette restante au sein de l’entreprise. L’intégration n’offre pas une réponse à tous les défis que celui-ci doit relever.
Toujours dans le domaine des services aux réacteurs mais uniquement à l’international, les Rapporteurs spéciaux émettent un avis contrasté sur la proposition effectuée par le groupe Engie. M. Gérard Mestrallet, président-directeur général du groupe, a ainsi indiqué le 21 mai 2015, l’intérêt porté par Engie pour certaines activités d’Areva, principalement dans le domaine de la maintenance et des services à l’international. Les Rapporteurs spéciaux s’interrogent sur la capacité au sein du groupe AREVA à effectuer une telle distinction pertinente au sens industriel entre les activités de services aux réacteurs au niveau national de celles effectuées au niveau international : une telle distinction serait sans doute artificielle et conduirait à des pertes de synergies. Inversement, il est peu probable qu’EDF accepte de concéder la maintenance et la modernisation de ses réacteurs à l’un de ses principaux concurrents français, même dans le cadre d’une participation financière d’Engie au sein d’ARENA NP.
Enfin, les Rapporteurs spéciaux doutent de la place des énergies renouvelables au sein du nouvel AREVA, alors même qu’il s’agit d’une activité non-indispensable au développement futur du groupe et fortement déficitaire. Supposées donner un second métier au groupe, les activités liées aux énergies renouvelables ont régulièrement eu un impact négatif sur les comptes du groupe, et ceci sans pour autant qu’une véritable stratégie de filière entre les différents acteurs ne se profile au niveau national. AREVA a consacré de nombreux investissements en faveur du développement des énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’éolien offshore, du solaire par concentration, de la biomasse ou du stockage d’énergie. Or le chiffre d’affaires du BG Énergie renouvelables est en constante réduction du fait, d’une part, du développement de partenariats à travers la création de coentreprises non consolidées dans les comptes d’AREVA, d’autre part, d’un désengagement d’AREVA dans certaines activités telles que l’énergie solaire. En 2014, près de 555 millions d’euros de provisions pour pertes de valeur, pertes à terminaison et risques ont été ainsi inscrits dans les activités renouvelables destinées à être cédées. Les Rapporteurs spéciaux pensent donc qu’un désengagement total du groupe de ce secteur d’activité, qui ne constitue pas son cœur de métier, doit être envisagé. Ils soulignent cependant que cette solution pourrait conduire à des licenciements secs et que toutes les mesures pour les éviter devront être envisagées, conformément à l’engagement de la direction du groupe.
c. La mise en valeur d’une offre de produits et de service pertinente et compétitive
Le plan de compétitivité présenté par le groupe AREVA à la suite de la présentation des comptes de l’exercice 2014 vise notamment à approfondir la relation partenariale et stratégique entre AREVA et EDF afin de développer une gamme de réacteurs compétitive, non seulement en améliorant la compétitivité de l’actuel EPR, mais aussi en développant la gamme de réacteurs de moyenne puissance.
Le renforcement de l’offre commerciale des produits des deux groupes est essentiel dans le cadre de la restructuration actuelle : la santé de la filière nucléaire passe par un développement à la fois au niveau national mais également international qui ne pourra avoir lieu sans une offre compétitive, tant par rapport aux autres énergies, que par rapport à ses concurrents internationaux.
Or aujourd’hui, l’EPR est un produit commercialisable mais encore trop peu compétitif : aucun EPR ne fonctionne dans le monde en 2015 et seulement quatre sont en chantier. Pour l’avenir, seuls deux EPR ont fait l’objet d’un accord de vente quasiment ferme au Royaume-Uni alors que les prévisions effectuées en 2012 anticipaient la vente de 10 EPR à l’horizon 2016. Si la puissance de l’EPR n’est pas un frein au développement de celui-ci à l’international, où la demande existe sous réserve de réseaux de transport d’électricité suffisants, le véritable sujet concerne davantage la compétitivité de l’EPR : AREVA et EDF travaillent déjà en commun sur la conception d’un EPR-Nouveau modèle (EPR-NM) sur la base d’une part, des retours d’expériences d’Olkiluoto, de Flamanville et de Taishan, et d’autre part, d’une amélioration significative de l’ergonomie et de l’ingénierie de détails de l’EPR. La réduction des coûts doit néanmoins être significative pour permettre une compétitivité suffisante par rapport aux énergies fossiles mais aussi aux énergies renouvelables.
La nouvelle entité devra également contribuer au développement de l’offre de moyenne puissance. L’ATMEA, réacteur de moyenne puissance développé par AREVA en partenariat avec Mitsubishi Heavy Industries (MHI), aura ainsi vocation à rejoindre la société dédiée au contrôle d’EDF, sans impact sur le partenariat entre les deux groupes.
LES ANOMALIES DÉTECTÉES SUR LA CUVE DE L’EPR DE FLAMANVILLE
Le 7 avril 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a révélé la présence d’une anomalie de la composition de l’acier de certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville qui présenteraient des ségrégations majeures positives de carbone pouvant conduire à des valeurs de résilience mécanique plus faibles qu’attendues (28). Le phénomène, connu et inhérent à la fabrication de pièces forgées, est maîtrisé lors de la fabrication des pièces afin d’éliminer les zones de ségrégation dès l’origine ou de les positionner dans les zones où les contraintes mécaniques sont les plus faibles (dans le cas présent, au centre de la face extérieure de la calotte).
Les calottes du couvercle et du fond de cuve de l’EPR de Flamanville ont été forgées dans l’usine de Creusot. L’ASN estime que les essais réalisés à ce stade mettent en lumière un défaut de maîtrise de la qualité des fabrications ayant un impact sur les propriétés des matériaux. Les calottes du couvercle et du fond de cuve des deux EPR construits par EDF et China General Nuclear Power Corporation (CGNPC) sur le site de Taïshan en Chine ont également été forgées par l’usine du Creusot.
AREVA devra démontrer au cours des prochains mois que les anomalies détectées sur la cuve de l’EPR sont bien identifiées et n’affectent pas d’autres zones que celles initialement prévues. La cuve ne peut en effet présenter de défaut majeur car elle ne peut être changée une fois que l’exploitation de l’EPR est initiée.
La validation et la bonne réalisation du programme d’essais, ainsi que l’instruction du dossier seront réalisées par l’ASN. L’Autorité de sûreté nucléaire s’appuiera sur l’expertise technique de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), du Groupe permanent d’experts dédié aux équipements sous pression nucléaires ainsi que de l’avis d’experts étrangers.
Cette anomalie a par ailleurs fait l’objet d’une réunion de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) le 24 juin 2015. Au cours de cette audition, le Directeur général de l’IRSN a précisé qu’il était trop tôt pour déterminer le degré de gravité de l’anomalie par rapport aux exigences de sûreté. Il a également indiqué que dans le cas d’une anomalie grave effectivement constatée sur la calotte du fond de cuve, cela conduirait au remplacement de l’ensemble de la cuve, tandis que la présence d’anomalies sur la calotte du couvercle, soumises à des contraintes mécaniques plus importantes, conduirait au remplacement de cette seule pièce (cela constituerait cependant un coût non négligeable, de nombreux éléments ayant déjà été soudés au couvercle de la cuve).
Les premiers résultats des tests complémentaires devraient être connus au cours du 1er semestre 2016. Les Rapporteurs spéciaux estiment ainsi qu’aucun accord définitif concernant l’avenir d’AREVA NP ne pourra être conclu avant de connaître les résultats du programme d’essais à venir et les conséquences sur l’avenir du chantier.
Les Rapporteurs spéciaux ont également constaté qu’il existait une nuance d’appréciation significative de la situation entre l’ASN et l’IRSN.
AREVA devra également poursuivre ses efforts dans les domaines des services à la base installée et de la fabrication d’équipements nucléaires afin d’être en mesure de fournir une offre compétitive de qualité.
Les services à la base installée constituent aujourd’hui un atout majeur du groupe AREVA et représentent à eux seuls près de 20 % du chiffre d’affaires du groupe, à travers notamment une clientèle internationale pour la fourniture de services et de produits de maintenance, de modernisation et d’extension de la durée d’exploitation des réacteurs en opération. Les clients sont des électriciens situés en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique, pour lesquels AREVA assure la maintenance et la modernisation de plus de 250 réacteurs à travers le monde. Le marché est tiré par le vieillissement des centrales et la prolongation de la durée d’exploitation : rien qu’en France, EDF envisage le démarrage du programme Grand carénage dès 2015 pour un montant total de près de 55 milliards d’euros.
Le groupe dispose de moyens industriels et humains uniques pour la fabrication d’équipements nucléaires lourds notamment à travers les usines du Creusot (production de pièces forgées et usinées) et de Chalon/Saint-Marcel (fabrication d’équipements nucléaires lourds). En dépit d’éventuelles défaillances sur la culture de qualité mises en avant par l’ASN, AREVA reste l’un des leaders du marché français dans le respect des standards de sûreté nucléaire et de niveau de qualité requis. Le maintien des compétences et du savoir-faire doit toutefois rester une priorité pour l’entreprise.
Une fois encore, les Rapporteurs spéciaux s’interrogent sur les risques induits par le transfert des activités de services à la base installée et de fabrication d’équipements nucléaires, constitués d’un carnet de commande international et principalement d’électriciens, sous le contrôle majoritaire d’EDF, dans un marché qui se caractérise par une concurrence internationale forte. Les Rapporteurs spéciaux rappellent qu’une majorité du chiffre d’affaires des activités concernées est effectuée à l’international, et qu’une partie du carnet de commandes pourrait basculer auprès de concurrents étrangers. Ils s’interrogent également sur le sens industriel de la mesure en termes de synergies : l’intégration des activités de services et d’équipementiers au sein d’EDF ne semble pas relever du cœur de métier de l’exploitant-ensemblier. Dès lors, l’intégration de ses activités sous le contrôle majoritaire d’EDF ne devra être réalisée que sous réserve de la conclusion préalable d’un accord de partenariat stratégique et industriel global entre AREVA et EDF.
Enfin, dans les activités relatives à la gestion du cycle du combustible, AREVA dispose déjà d’une offre commerciale des plus innovantes au monde pour laquelle les synergies potentielles avec EDF sont faibles voire inexistantes. Ces activités ne feront en conséquence pas l’objet d’un transfert vers EDF.
AREVA a lancé dès 2007 le renouvellement de ses principaux outils industriels dans le domaine de l’amont, notamment dans les domaines de la conversion et de l’enrichissement, avec la construction des usines de Comurhex II (conversion) et de Georges Besse II (enrichissement). L’objectif pour le nouvel AREVA sera de restaurer la rentabilité de la conversion en assurant avec succès la transition entre l’usine de Comurhex I vers Comurhex II, en s’appuyant sur les clients nationaux existants (principalement EDF) et sur la croissance du marché extérieur. AREVA dispose également d’un outil industriel unique au monde dans le domaine de l’aval qui apporte des solutions innovantes de recyclage des combustibles usés pour leur réutilisation comme combustible pour les réacteurs. L’activité recyclage s’appuie sur deux sites industriels uniques : La Hague (traitement et conditionnement des matières recyclables) et AREVA MELOX (fabrication de combustibles MOX).
2. Assurer une réponse adaptée et équitable aux besoins de financement de l’entreprise
La proposition mise en avant le 3 juin dernier doit également pérenniser l’avenir financier d’AREVA. Les Rapporteurs spéciaux rappellent que les besoins de financement du groupe se situeraient autour de 7 milliards d’euros pour les trois prochaines années. Pour parvenir à refinancer l’entreprise, plusieurs outils seront mobilisés : la mise en œuvre d’un plan de performance ambitieux – coûteux au départ mais dont les effets de long terme seront bénéfiques ; la maîtrise des dépenses d’investissements et des coûts de production ; une évaluation équitable du niveau de la participation financière d’EDF lors de la prise de contrôle d’AREVA NP ; un programme de cessions d’actifs supérieur aux annonces initiales ; et enfin, une augmentation de capital par l’État à la hauteur nécessaire.
a. Un partenariat renouvelé et équilibré entre EDF et AREVA pour une valorisation équitable d’AREVA NP
Quel que soit le périmètre industriel retenu pour restructurer la filière nucléaire et répondre aux besoins de refinancement à court terme d’AREVA, la solution proposée doit permettre une réelle refondation des relations entre EDF et AREVA. La relation avec EDF est en effet un sujet financier et économique incontournable : au 31 décembre 2014, 35 % du chiffre d’affaires d’AREVA provient de l’électricien public EDF, soit environ 3 milliards d’euros par an.
Les deux groupes ont par le passé connu des relations qualifiées de tendues voire conflictuelles nuisant à la constitution d’une véritable « équipe de France du nucléaire ». Les Rapporteurs spéciaux ont constaté que le dialogue entre les deux entreprises fonctionne désormais dans un climat apaisé et y voient un progrès substantiel. Des accords ont été récemment signés dans un certain nombre de domaines pour renforcer le dialogue entre les deux entreprises, à travers la constitution de trois groupes de travail :
– un groupe sur les produits avec la conception et la commercialisation d’un EPR-Nouveau modèle (EPR-NM) à l’horizon 2018 et la constitution d’un plateau commun d’une centaine d’ingénieurs ;
– un groupe sur les projets en cours notamment la réalisation du programme de grand carénage sur la période 2015-2025 et l’amélioration de la gestion industrielle du projet de l’EPR de Flamanville ;
– un groupe sur les relations commerciales, principalement le cycle du combustible de la conversion au retraitement, et sur les principaux désaccords commerciaux.
Toutefois, une refondation de long terme du partenariat passe désormais par de nouveaux sujets tels qu’une valorisation juste et équitable d’AREVA NP, par une réouverture des négociations sur les contrats relatifs au retraitement et à la conversion notamment pour les usines de La Hague et de Cormuhex II, et enfin par un partage équitable du risque financier pesant sur le chantier d’OL3.
EDF aurait présenté à l’État et à AREVA une offre de valorisation des activités qu’il envisage de reprendre. Le montant de la valorisation de l’entreprise ferait dès lors l’objet des négociations commerciales en cours. Au cours de l’audition du Président du conseil d’administration d’AREVA devant la commission des Affaires économiques, M. Philippe Varin a toutefois précisé que la valorisation actuelle du groupe dans l’offre proposée par EDF était jugée insuffisante à la fois en termes de valeur économique des activités destinées à intégrer la nouvelle filiale, mais aussi pour satisfaire les besoins de financement à court terme d’AREVA.
Afin de tenter de parvenir à un accord équitable entre les deux groupes, le conseil d’administration d’AREVA a annoncé la création d’un comité ad hoc – comme le Président du conseil d’administration d’EDF l’a fait dans le cadre de son offre, dont la mission principale sera d’apprécier le niveau de valorisation acceptable sur la base d’une anticipation de la valeur économique d’AREVA NP et des flux de trésorerie futurs. Il revient désormais à AREVA, EDF et à l’État de s’accorder autour d’une valorisation équitable pour les deux groupes. Si l’offre finale de rachat devra en fin de parcours être acceptée par la gouvernance des deux entreprises, les Rapporteurs spéciaux s’interrogent néanmoins sur la place et la position de l’État actionnaire, et sur une éventuelle abstention de ce dernier lors des votes, alors même qu’il devra in fine procéder à une recapitalisation dont le montant est partiellement fonction de la valorisation définitive d’AREVA NP.
Une réelle refondation des relations entre EDF et AREVA passe également par une réouverture des négociations sur les contrats relatifs au traitement-recyclage et à la conversion afin de permettre au nouvel AREVA recentré sur le cycle du nucléaire de dégager des rendements suffisant à assurer la viabilité économique de l’entreprise. Or le BG Amont a été touché au cours des dernières années par la diversification des fournisseurs d’EDF au détriment d’AREVA dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des approvisionnements de l’entreprise (via des appels d’offres). AREVA a ainsi inscrit en 2014 une perte de valeur de 599 millions d’euros sur les actifs de la nouvelle usine de Comurhex II en raison d’une révision à la baisse des perspectives d’évolution de l’offre de conversion d’uranium. Les Rapporteurs spéciaux estiment, dès lors, qu’AREVA doit restaurer la compétitivité de ses outils industriels dans l’amont pour permettre de répondre aux appels d’offres d’EDF dans des conditions économiquement avantageuses.
Dans le domaine de l’aval, les contreparties commerciales accordées par AREVA au groupe EDF sur les modalités de l’accord traitement-recyclage de la période 2013-2020 ont eu un impact négatif significatif sur les résultats opérationnels du BG, et ceci malgré une forte activité dans les installations de la Hague et MELOX et une maîtrise des coûts de production. Aussi, l’excédent brut d’exploitation (EBE) s’établit à 232 millions d’euros en 2014 contre 532 millions d’euros en 2013, soit une variation de près de – 56 % de la rentabilité de la branche en moins d’une année. La structure du marché dans laquelle les deux entreprises sont intrinsèquement dépendantes l’une de l’autre – un client pour un fournisseur – pèse en réalité sur les conditions économiques des contrats en la défaveur d’AREVA. Les Rapporteurs spéciaux estiment dès lors qu’une véritable refondation des relations entre les deux entreprises ne pourra voir lieu sans un climat de confiance et de transparence sur les coûts et la rentabilité des opérations menées dans les activités de l’aval. Il est impératif d’établir les bases d’un partage équitable entre d’une part, la nécessité pour EDF d’obtenir des assurances raisonnables sur la maîtrise des coûts de production, et d’autre part, les besoins pour AREVA d’assurer un plan de charge de long terme et la rentabilité de ses investissements industriels.
Le groupe AREVA a également confirmé que l’offre présentée par EDF n’incluait pas une reprise des actifs du chantier d’OL3. Pour autant, le risque arbitral pesant sur AREVA pour l’EPR finlandais est un sujet d’ordre financier non négligeable. La réclamation du Consortium AREVA – Siemens au titre de la réparation de son préjudice porte sur un montant total de 3,5 milliards d’euros pour les évènements se déroulant durant la période de construction jusqu’à juin 2011, tandis que la réclamation de TVO envers le Consortium s’élève au total à 2,3 milliards d’euros environ. Le tribunal arbitral devrait rendre une décision partielle en fin d’année 2015 ou début 2016 sur certains thèmes spécifiques sans pour autant donner de qualification juridique aux faits présentés et sans non plus se prononcer sur le quantum des demandes des parties. La sentence finale du tribunal n’est pas attendue avant fin 2017 ou début 2018. Les Rapporteurs spéciaux rappellent, conformément aux analyses opérées par les commissaires aux comptes, qu’aucune provision n’est actuellement constituée au titre de cette réclamation. En effet, le Consortium estime que les allégations de faute grave et intentionnelle exposées par TVO à son encontre sont dénuées de fondement et ne justifient en conséquence aucune provision préalable.
Dans la mesure où le Consortium est potentiellement redevable de 2,3 milliards d’euros actuellement non provisionnés, les Rapporteurs spéciaux estiment que toute restructuration envisagée doit prendre en compte les risques existants et qu’il est impératif de ne pas laisser la charge d’un tel aléa au seul AREVA recentré sur le cycle du combustible et diminué de plus de 50 % de son chiffre d’affaires. En effet, le nouvel AREVA ne sera pas en mesure de faire face aux éventuels coûts d’un dérapage financier supplémentaire d’OL3. Dans tous les cas, les Rapporteurs spéciaux sont défavorables à ce qu’une garantie de l’État soit apportée sur le passif lié au chantier d’OL3 : il revient à EDF et / ou à AREVA d’assurer le risque industriel de leurs activités.
Une partie de la solution réside enfin dans la capacité financière pour EDF de dégager les montants nécessaires à la prise de participation d’AREVA NP sans remettre en cause au-delà au raisonnable les capacités d’investissements et d’endettement du groupe. L’endettement financier net du groupe EDF s’établissait à 34,2 milliards d’euros au 31 décembre 2014, tandis que l’EBITDA (29) s’élevait à 17,4 milliards d’euros et le flux de trésorerie après investissements nets était négatif à – 1,4 milliard d’euros (près de 12 milliards d’investissements nets hors Linky et opérations stratégiques). Dans ce cadre financier, et après l’annonce d’un plan d’investissement de près de 55 milliards d’euros dans le cadre du programme de Grand carénage, les Rapporteurs spéciaux constatent que la capacité d’endettement du groupe EDF est également limitée. L’entrée au capital d’éventuels investisseurs tiers doit dès lors être envisagée, tout comme la nécessité pour l’État de tirer pleinement ses responsabilités en tant qu’actionnaire majoritaire des groupes AREVA et EDF. Toutefois, même si le montant de la transaction sera significatif pour EDF, les Rapporteurs spéciaux notent que la décision d’une agence d’évaluation financière (30) de placer sous revue négative la note de crédit d’EDF semble prématurée et infondée à la vue des capacités de financement du groupe.
b. L’intervention éventuelle d’investisseurs tiers au capital d’AREVA NP
L’apport de fonds extérieurs nationaux ou étrangers afin d’assurer le financement de l’entreprise n’est pas exceptionnel pour une entreprise dont 67 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger. En décembre 2010, AREVA avait déjà procédé à une augmentation de capital de 935 millions d’euros, dont 600 millions d’euros avaient été souscrits par Kuwait Investment Authority (KIA).
Une entrée au capital d’AREVA SA d’investisseurs tiers n’est cette fois-ci pas l’option retenue par le Gouvernement le 3 juin dernier qui privilégie une ouverture du capital d’AREVA NP. En effet, l’ouverture du capital d’AREVA SA est contrainte par la volonté de l’État stratège de conserver un contrôle exclusif de l’entreprise compte tenu du caractère particulièrement stratégique de la filière nucléaire.
Toutefois, l’ouverture de capital d’AREVA NP avec l’entrée de nouveaux investisseurs, désormais souhaitée tant par l’État que par les dirigeants, sera difficile à réaliser sans signes probants de redressement de l’entreprise ou sans contreparties en termes d’ouverture de marché ou de transfert de technologies. En cela, la réalisation du plan de compétitivité et de redressement de l’entreprise est un élément clé de l’ouverture à d’éventuels investisseurs extérieurs, notamment en termes de valorisation des actifs.
L’ouverture du capital à des partenaires tiers n’a pas uniquement une motivation financière, mais possède aussi des arguments de politique industrielle. L’arrivée d’investisseurs étrangers permettrait de conforter l’activité et les débouchés de la filiale. Parmi les nombreuses options possibles, une prise de participation chinoise serait de nature à garantir un meilleur accès au marché chinois (qui portera à l’avenir l’essentiel de la hausse d’activité du secteur nucléaire). AREVA a en effet fait de son développement en Chine l’une de ses priorités. Cependant les Rapporteurs spéciaux estiment qu’une participation trop importante d’investisseurs chinois dans la nouvelle structure pourrait conduire à un transfert massif de technologies et contribuer à renforcer un concurrent dans un contexte de concurrence accrue sur le marché du nucléaire. En effet, le gouvernement chinois a clairement affiché ses intentions de développer ses compétences nucléaires hors de Chine. À noter également que Mitsubishi Heavy Industries (MHI) considérerait sérieusement d’investir au sein du nouvel AREVA NP, ce qui pourrait avoir un sens industriellement puisque l’ATMEA1 serait également transféré vers la nouvelle filiale. Cette annonce n’est pas sans précédent puisque l’entreprise japonaise avait déjà proposé d’entrer au capital d’AREVA en 2010 au moment de la cession de T&D.
Le groupe énergétique Engie aurait également pour ambition d’effectuer une prise de participation au sein du nouvel AREVA NP mais uniquement dans le cadre des services de maintenance au nucléaire à l’international. Les Rapporteurs spéciaux soulignent néanmoins la difficulté de séparer les services aux réacteurs entre niveau national et international. Ils indiquent également que l’offre actuelle d’Engie est incompatible avec celle formulée par EDF, et qu’elle suppose préalablement un accord entre ces deux groupes aujourd’hui concurrents.
Enfin, les Rapporteurs spéciaux sont défavorables à une ouverture du capital d’AREVA Mines à des actionnaires minoritaires, en dépit de la filialisation de l’activité minière réalisé le 14 décembre 2011, dans la mesure où le cours particulièrement bas des cours de l’uranium et la situation actuelle de surcapacité du marché ne constituent pas des conditions favorables à la vente d’actifs miniers.
Telles sont les perspectives immédiates pour une consolidation des fonds propres d’AREVA. Cependant, rien n’interdit d’envisager à plus long terme des évolutions susceptibles de favoriser un renouvellement du « tour de table » et une « respiration » du capital du groupe.
c. La nécessité pour l’État actionnaire d’assurer pleinement ses responsabilités en participant au refinancement de l’entreprise
L’État n’a, par le passé, jamais véritablement tiré les conséquences stratégiques du modèle d’investissements expansionniste mené par AREVA au cours des années 2006 à 2011, et a dès lors régulièrement exigé du groupe la vente de certaines de ses participations afin de rétablir sa capacité de financement sans pour autant remettre en cause la pertinence du plan d’investissements mené. La cession de Transmission et Distribution (T&D) en 2010 illustre parfaitement ce dilemme : en cédant ces participations, AREVA a renoncé à des bénéfices réguliers compris entre 200 et 400 millions d’euros par an, et l’État a échappé à une augmentation de capital substantielle de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros pour assurer les besoins de financement du groupe. Or il n’est désormais plus possible de céder des actifs pour de tels montants sans remettre significativement en cause le cœur de métier d’AREVA.
La situation était d’autant plus contradictoire qu’AREVA versait sur la période d’importants dividendes à ses actionnaires : au titre des résultats des exercices 2006 à 2009, le groupe a distribué près de 1 040 millions d’euros entre 2007 et 2010, soit un taux de distribution moyen de 40,7 % du résultat net consolidé part du groupe. L’essentiel des dividendes ont été versés au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), actionnaire majoritaire sur la période, pour un montant total de 792 millions d’euros. Le groupe ne distribue plus de dividendes depuis 2010.
ÉVOLUTION DES DIVIDENDES VERSÉS PAR AREVA DEPUIS 2006
(en millions d’euros)
2006 |
2007 |
2008 |
2009 | |
Résultat net part du groupe |
649 |
743 |
589 |
552 |
Dividendes versés en année N+1 aux actionnaires société mère |
300 |
240 |
250 |
250 |
Taux de distribution |
46 % |
32 % |
42 % |
45 % |
Détentions du capital d’AREVA par le CEA |
78,96 % |
78,96 % |
78,96 % |
78,96 % |
Dividendes dus au CEA |
237 |
190 |
197 |
197 |
Détentions du capital d’AREVA par l’État |
5,19 % |
5,19 % |
5,19 % |
8,39 % |
Dividendes dus à l’État |
16 |
12 |
13 |
21 |
Note : les années 2010 à 2014 n’ont fait l’objet d’aucune distribution de dividendes.
Source : documents de référence du groupe AREVA de 2006 à 2014.
Aujourd’hui, la recapitalisation d’AREVA par l’État ne semble plus faire l’objet de divergences : le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique a rappelé lors de la séance des questions au Gouvernement du 13 mai 2015 que l’État prendra ses responsabilités en tant qu’actionnaire y compris jusqu’aux recapitalisations en temps voulu. Le ministre des Finances et des comptes publics a quant à lui confirmé que la recapitalisation d’AREVA sera financée exclusivement par des cessions d’actifs d’entreprises autres qu’AREVA dans lesquelles l’État est actionnaire, sans pour autant conduire à une accélération particulière du programme de cessions pour faire face aux obligations liées à AREVA. Les Rapporteurs spéciaux rappellent en effet que le Gouvernement avait annoncé en octobre 2014 qu’il prévoyait de céder de 5 à 10 milliards d’euros d’actifs au cours de 18 prochains mois.
Le montant de la recapitalisation envisagée dépend quant à lui de la valorisation effective d’AREVA NP (et donc du périmètre in fine transféré au sein de la nouvelle filiale), du programme de cessions d’actifs dont le contenu devrait être connu au moment de la présentation des comptes trimestriels, et de l’effectivité du redressement de l’entreprise. Elle sera nécessaire dans tous les cas afin de permettre une reconstitution des fonds propres consolidés aujourd’hui négatifs.
Dans tous les cas, une recapitalisation par l’État d’AREVA devra s’effectuer dans le cadre d’un investissement rationnel et avisé afin de ne pas s’apparenter à une aide d’État, au risque d’une annulation de l’opération par le juge européen.
Enfin, une dernière possibilité pourrait être pour AREVA l’émission de nouvelles obligations. Le groupe a précédemment réalisé une émission obligataire en mars 2014 pour un montant de 750 millions d’euros à neuf ans à un taux relativement bas de 3,125 %. Une telle solution ne sera néanmoins pas pérenne, et dépendra de la capacité du groupe à réaliser les efforts nécessaires pour convaincre de la pertinence du modèle économique et de la stratégie industrielle mise en œuvre.
3. Définir une place qui tienne compte de l’avenir de la filière et de la politique énergétique du pays
La solution retenue dans le cadre du plan de restructuration et de financement d’AREVA et de la filière nucléaire dans son ensemble doit également prendre en considération des enjeux de plus long terme, indépendamment des impératifs financiers de court terme, s’inscrivant dans une stratégie industrielle de long terme. Aussi la nouvelle structuration de la filière doit-elle être réalisée non seulement en cohérence avec les besoins induits par la mise en œuvre de la loi relative à la transition énergétique, mais également prendre en compte les impératifs liés au vieillissement et au renouvellement du parc nucléaire.
La structuration de la filière nucléaire est un domaine stratégique pour l’économie française et pose la question primordiale de la réponse à apporter aux besoins énergétiques de notre pays et à la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or le sort de la filière nucléaire est intimement lié à celui du groupe AREVA et à la solution qui sera retenue pour répondre aux difficultés de l’entreprise.
a. Des perspectives ouvertes par la loi relative à la transition énergétique non sans conséquences sur la valorisation du groupe et l’avenir de la filière
En tant que dépositaire des intérêts de la Nation, l’État défend des choix stratégiques en matière de politique énergétique qui dépassent les entreprises elles-mêmes et son rôle d’État actionnaire.
Dans ce domaine, l’article 1er du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte dispose que « la politique énergétique nationale a pour objectifs (…) de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ».
L’article 55 du projet, tel que rétabli en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale, renforce quant à lui significativement les instruments de pilotage du mix électrique dont dispose l’État, notamment concernant le pilotage de la production nucléaire. Dans la perspective d’une réduction de la part de l’énergie nucléaire, l’article pose les principes d’un plafonnement à son niveau actuel de la capacité de production nucléaire, soit 63,2 gigawatts (GW). Toute nouvelle autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité d’origine nucléaire au titre du code de l’énergie devra respecter ce plafond.
Aujourd’hui, le mix de production électrique français est globalement composé à 75 % d’énergie nucléaire et à 15 % d’énergies renouvelables. L’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 conduirait inexorablement, dans l’hypothèse d’une stagnation de la consommation d’électricité pour les prochaines années, à la fermeture de près d’une vingtaine de réacteurs en moins de dix ans, soit près de deux chaque année. À l’inverse, dans l’hypothèse d’une augmentation de la consommation d’électricité pour les prochaines années, il serait également possible qu’un tel objectif de politique énergétique ne conduise à aucune fermeture supplémentaire de réacteurs. Dans tous les cas, le renouvellement du parc nucléaire actuel est inévitable et nécessaire.
La mise en œuvre de la loi sur la transition énergétique aura des conséquences sur l’avenir des activités respectives d’AREVA et d’EDF, et donc sur la valorisation d’AREVA NP. En effet, selon les hypothèses retenues et les perspectives d’évolution de consommation d’électricité, une baisse de la production française d’origine nucléaire pourrait conduire à une diminution du nombre de réacteurs en service, et dès lors à une modification importante du modèle économique d’AREVA, en particulier si les réacteurs utilisant du combustible MOX font l’objet d’une fermeture anticipée.
Une fermeture anticipée du parc nucléaire français pourrait d’abord mettre en difficulté l’exploitant EDF, mais également la branche service de maintenance des réacteurs nucléaires. Elle aurait également un impact sur les besoins de modernisation et renouvellement du parc existant, et dès lors sur l’ensemble des activités d’AREVA NP, mis à part celles de démantèlement. Le nouvel AREVA ferait face également à des difficultés substantielles sur le cycle du nucléaire, en raison d’une nette diminution de la consommation d’uranium en France.
Les Rapporteurs spéciaux estiment dès lors qu’une attention toute particulière doit être apportée aux impacts de la loi relative à la transition énergétique tant sur la valorisation d’AREVA que sur la structuration de l’ensemble de la filière nucléaire. En effet, les objectifs posés par la loi et par la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) auront un impact sur l’évolution du parc nucléaire français et constituent un risque stratégique de long terme et une incertitude de marché tant pour AREVA et que pour EDF. Une telle incertitude de marché a nécessairement un impact sur la valorisation de l’entreprise car elle détermine sa viabilité économique dans un avenir proche (2025).
LES DIFFÉRENTS SCÉNARIOS D’ÉVOLUTION DU MIX ÉLECTRIQUE PAR RÉSEAU DE TRANSPORT D’ÉLECTRICITÉ
Réseau de transport d’électricité (RTE) a présenté dans son bilan prévisionnel 2014 plusieurs scénarios de mix électrique à l’horizon 2019 qui tiennent compte des incertitudes économiques et politiques sur l’évolution de l’équilibre offre-demande.
Les différents scénarios présentés par RTE prévoient une évolution de la demande d’électricité en 2030 entre 447,8 TWh et 545,8 TWh (contre 493,4 TWh en 2013).
Les hypothèses retenues du côté de l’offre prennent également en compte l’arrêt des deux groupes les plus anciens (Fessenheim) avant fin 2016, soit une réduction de la puissance installée de 1 760 MW. La production de la filière nucléaire baisserait temporairement avec la fermeture de Fessenheim avant de remonter progressivement avec l’arrivée de Flamanville 3. Aussi, la production du parc disponible devrait passer de 403,8 TWh en 2013 à entre 254,0 TWh et 423,2 TWh en 2030, soit entre 70 % à 50 % du mix de production.
Le scénario D « Nouveau mix » de Réseau de transport d’électricité (RTE) prend l’hypothèse d’une diversification des modes de production et d’une stagnation de la consommation d’électricité. Dans ce cadre, RTE anticipe une baisse de près de 37 % de la production nucléaire pour 2030, soit un ratio du nucléaire dans le mix de production de 50 %. Un tel scénario conduirait à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs.
Le scénario B « Consommation forte » de RTE prend l’hypothèse d’une diversification des modes de production et d’une augmentation sensible de la consommation d’électricité. Dans ce cadre, RTE anticipe un maintien, voire une légère augmentation, des capacités de production nucléaire. Un tel scénario n’impliquerait aucune fermeture de réacteurs.
b. Une solution qui réponde au renouvellement futur du parc nucléaire français et aux besoins énergétiques du pays
La solution proposée par le Gouvernement doit également prendre en considération les besoins futurs de renouvellement du parc nucléaire. Le projet de loi sur la transition énergétique prévoit le plafonnement de la capacité de production de la puissance nucléaire à son niveau actuel de capacité installée, soit 63,2 GWe. Le remplacement des capacités doit se faire par l’augmentation de l’efficacité énergétique et par le développement des énergies renouvelables. Néanmoins, afin de faire croître la part de l’électricité d’origine renouvelable sans accroître notre dépendance aux énergies fossiles, un socle de capacité de production d’énergie nucléaire solide doit être préservé, même à long terme.
Or, la construction du parc actuel de centrales nucléaires a été rapide puisque seulement 22 ans se sont écoulés entre le démarrage de Fessenheim 1 en 1977 et celui de Civaux 2 en 1999. Ce rythme a même été encore plus rapide sur la période 1979-1988 où des constructions de nouveau réacteur étaient démarrées en moyenne chaque année. Dans ces conditions, même avec une diminution importante de part du nucléaire dans le mix énergétique, arrêter tous les réacteurs du parc actuel après le même nombre d’années de fonctionnement s’avérera problématique sur le plan industriel et économique. Il est dès lors impératif de programmer et d’anticiper le prolongement et/ou le remplacement du parc nucléaire actuel, au risque de se heurter à « un mur de renouvellement » du parc.
En effet, même en prolongeant la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans et en diminuant la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, il sera nécessaire à terme d’anticiper la construction de l’ordre de 30 nouveaux réacteurs d’ici 2050. Par conséquent, de nouveaux chantiers devront nécessairement être mis en marche dès 2020, soit dans moins de cinq ans. De plus, il sera nécessaire d’anticiper également les besoins d’éventuels réacteurs utilisant du combustible MOX avant que les outils industriels de recyclage des déchets nucléaires puissent faire face à l’évolution future de la demande, dans le cadre d’un cycle de gestion du combustible qui est intrinsèquement long (temps de refroidissement des déchets). Une telle décision nécessite une véritable programmation des efforts financiers et industriels à réaliser.
Ainsi, il est nécessaire de faire émerger de nouveau en France une véritable filière nucléaire forte, portée non pas exclusivement par l’entretien du parc actuel et la construction de réacteur à l’international, mais également par un marché domestique dynamique. Le renouvellement du parc nucléaire français est une occasion unique pour renforcer les savoir-faire français et soutenir la filière nationale, tout en répondant aux besoins énergétiques futurs de notre pays.
De plus, l’absence de grands projets récents en France est, dans les conditions actuelles, un sujet de préoccupation pour garantir le maintien d’un savoir-faire français et démontrer la qualité de l’industrie française à l’international. La prolongation de la durée de vie des centrales, la mise en service de plusieurs EPR ou EPR-NM dans un avenir proche, et la poursuite des travaux de sécurisation post-Fukushima vont accroître le besoin de main-d’œuvre qualifiée, notamment dans l’ingénierie de conception et de fabrication. Le maintien et le développement d’un tel savoir-faire est non seulement un enjeu de politique énergétique, mais également de sûreté nucléaire. Il ne pourra se réaliser que si la France soutient cette filière d’excellence.
« Toute idée de démantèlement d’AREVA est fantaisiste. » (31) C’est dans ces termes que l’ancien Président du directoire d’AREVA qualifiait les rumeurs d’un éventuel démantèlement du groupe en janvier 2012. Trois ans plus tard, la gravité de la situation financière de l’entreprise, les conséquences de décisions de certains investissements malencontreux et les difficultés récurrentes sur la maîtrise des grands projets de construction de réacteurs ont fait de la rumeur d’une restructuration du groupe une réalité.
Le 3 juin 2015, le Président de la République a fixé une feuille de route qui prend acte de la nécessité de refonder la filière nucléaire française en mettant fin au modèle intégré défendu jusqu’ici par AREVA. Les activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’AREVA seront prochainement rapprochées dans une société dédiée, tandis qu’EDF doit devenir à terme l’actionnaire majoritaire d’AREVA NP, filiale qui rassemble les activités industrielles de construction de réacteurs, d’assemblage de combustible et de services à la base installée.
Les Rapporteurs spéciaux sont pleinement favorables au renforcement des synergies entre les deux groupes industriels dans les activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’AREVA. Il est donc impératif que les équipes d’ingénierie et de projet des deux groupes travaillent désormais en commun pour, d’une part, réduire les risques des grands projets en cours portés par AREVA NP, et d’autre part, développer une politique d’exportation ambitieuse à travers la constitution d’une véritable « équipe de France du nucléaire ».
Toutefois, les Rapporteurs spéciaux s’interrogent sur les conséquences d’une prise de participation majoritaire d’EDF au sein d’AREVA NP. Ils rappellent qu’une majorité du chiffre d’affaires des activités concernées est effectuée à l’international, et qu’une partie du carnet de commandes pourrait basculer auprès de concurrents étrangers. Ils s’interrogent également sur le sens industriel de la mesure en termes de synergies : les activités concernées ne semblent pas relever du cœur de métier d’un exploitant-ensemblier. Dès lors, l’intégration de ses activités sous le contrôle majoritaire d’EDF ne devra être réalisée que sous réserve de la conclusion préalable d’un accord de partenariat stratégique global entre AREVA et EDF qui devra donner un sens industriel à la mesure. Elle ne doit pas simplement avoir pour objectif de satisfaire à court terme les besoins de financement d’AREVA, et permettre corrélativement à l’État de se désengager de ses responsabilités d’actionnaire et d’une recapitalisation trop coûteuse.
Enfin, les Rapporteurs spéciaux doutent de la place des énergies renouvelables au sein du nouvel AREVA, alors même qu’il s’agit d’une activité fortement déficitaire. Supposées donner un second métier au groupe, les activités liées aux énergies renouvelables du groupe ont régulièrement eu un impact négatif sur les comptes du groupe, et ceci sans pour autant qu’une véritable stratégie de filière entre les différents acteurs ne se profile au niveau national.
Dans tous les cas, les Rapporteurs spéciaux estiment qu’une solution aux problèmes d’AREVA devra non seulement faire sens industriellement, mais également refonder sur des bases équitables la relation entre EDF et AREVA et résoudre les besoins de financement du groupe. Ils rappellent sur ce dernier point que les besoins de financement du groupe se situeraient autour de 7 milliards d’euros pour les trois prochaines années. Pour parvenir à refinancer l’entreprise, plusieurs outils devront être mobilisés : la réussite du plan de performance coûteux au départ mais dont les effets de long terme seront bénéfiques ; la maîtrise des dépenses d’investissement et des coûts de production ; une évaluation équitable du niveau de la participation financière d’EDF lors de la prise de contrôle d’AREVA NP ; un programme de cessions d’actifs supérieur aux annonces initiales ; des prises de participations, y compris par des investisseurs étrangers ; et enfin, une augmentation de capital par l’État à la hauteur nécessaire.
Une refondation de la filière devra également prendre en compte les besoins futurs de la politique énergétique de la France après du vote de la loi relative à la transition énergétique. Les Rapporteurs spéciaux estiment en effet qu’une attention toute particulière doit être apportée aux impacts de la loi tant sur la valorisation d’AREVA que sur la structuration de l’ensemble de la filière nucléaire. Le renouvellement du parc nucléaire à venir – environ 30 nouveaux réacteurs d’ici 2050 – est ainsi une occasion unique pour renforcer le savoir-faire français et soutenir la filière nationale, tout en répondant aux besoins énergétiques futurs de notre pays.
Enfin, les Rapporteurs spéciaux estiment que la refondation actuelle de la filière rend également nécessaire une réflexion sur le renforcement des instruments de supervision et d’impulsion dont dispose l’État stratège s’agissant des entreprises publiques stratégiques, comme de les adapter à une éventuelle évolution de la place de l’État.
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Lors de sa réunion du 8 juillet 2015, la Commission examine le rapport d’information sur les perspectives de développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire (MM. Marc Goua et Hervé Mariton, rapporteurs spéciaux).
Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Je rappelle qu’en septembre dernier, nos collègues Marc Goua, rapporteur spécial du programme Énergie, climat et après-mines, et Hervé Mariton, rapporteur spécial des programmes Prévention des risques et Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, ont déjà présenté à notre commission un rapport d’information sur le coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires, à travers l’exemple de Fessenheim.
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Marc Goua et moi avons pensé utile d’éclairer la représentation nationale sur la situation et les perspectives du groupe AREVA, qui a annoncé un résultat négatif de 4,8 milliards d’euros au 31 décembre 2014. Ce groupe occupe pourtant une place majeure dans notre filière nucléaire et, plus généralement, dans notre industrie ; il emploie plus de 40 000 salariés et, s’il a déjà connu des restructurations au cours des dernières années, celles qui sont aujourd’hui évoquées sont de plus grande ampleur. La période ouverte en 2001 avec la fusion de la COGEMA et de Framatome au sein d’AREVA arrive ainsi à son terme. Chacun connaît les relations tendues, voire conflictuelles, qu’AREVA et EDF entretenaient depuis cette période – et peut-être même depuis plus longtemps encore –, avec les conséquences que cela peut avoir sur le portage des candidatures françaises à l’étranger et sur les décisions, souvent difficiles, intéressant notre filière nucléaire.
L’évolution de cette dernière est par ailleurs conditionnée par la mise en œuvre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte – qu’il s’agisse des perspectives de la production nucléaire ou des conditions de lancement de nouveaux réacteurs – et se trouve ainsi soumise à un certain nombre d’incertitudes.
Fort logiquement, l’exécutif a pris des initiatives. Des orientations ont été annoncées à l’issue d’une réunion organisée sous l’autorité du Président de la République le 3 juin 2015 ; d’autres réunions se tiennent actuellement pour fixer ces orientations, dont la déclinaison détaillée prendra encore plusieurs semaines ou plusieurs mois. Aux termes du cap fixé par l’exécutif, les activités de conception et de construction des réacteurs, actuellement assurées par AREVA NP – Nuclear power –, seront sorties du périmètre d’AREVA pour être filialisées auprès d’EDF, de sorte que ce périmètre sera ramené, grosso modo, à celui de l’ancienne COGEMA. Cette nouvelle géométrie appelle plusieurs observations de notre part, tant sur les relations entre EDF et sa filiale que sur l’avenir du groupe AREVA.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. J’invite tous ceux qui s’intéressent au sujet à lire notre rapport dans son intégralité, car les gros titres parus dans la presse ne correspondent pas forcément à son contenu réel.
De fin 2011 à mars 2012 j’avais travaillé, avec Camille de Rocca Serra, à un premier rapport qui faisait suite au rachat d’UraMin par AREVA. Nous avions alors souligné la situation préoccupante du groupe et émettions quelques doutes sur la soutenabilité financière du plan « Action 2016 » alors engagé par le directoire. Trois ans plus tard, les résultats sont conformes à nos pronostics puisque le groupe a annoncé une perte de 4,8 milliards d’euros, laquelle ne tient pas uniquement aux résultats d’exploitation de 2014 mais également à des décisions prises depuis la création de la structure intégrée.
Notre rapport, qui présente un éclairage global et factuel, doit permettre à notre commission de se prononcer en toute connaissance de cause sur les lourds enjeux de la reconfiguration du groupe annoncée par le Président de la République le 3 juin 2015. Nous avons bien entendu interrogé le poids des décisions du passé, car elles pèsent sur la situation actuelle du groupe, comme celui de la conjoncture post-Fukushima.
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. L’exercice 2014 s’est traduit par un résultat net négatif de 4,8 milliards d’euros et par un chiffre d’affaires de 8,3 milliards – en baisse de 8 % –, soit un niveau inférieur à celui de 2009. Le groupe a été contraint d’inscrire dans ses comptes d’importantes provisions ou pertes additionnelles, notamment près de 1,5 milliard de pertes de valeurs d’actif au titre des activités nucléaires et un peu plus de 1 milliard de pertes additionnelles sur des projets nucléaires phares – EPR finlandais et réacteur Jules Horowitz. Enfin, le résultat financier s’établit à moins 400 millions d’euros, contre seulement moins 250 millions en 2013.
Sur les 4,8 milliards de pertes, 4,4 milliards proviennent d’écritures exceptionnelles. L’excédent brut d’exploitation reste positif – à hauteur de 710 millions d’euros –, mais il est en recul. Le carnet de commandes demeure solide, d’une valeur de plus de 47 milliards d’euros. Par ailleurs, la trésorerie permet la poursuite de l’exploitation à court terme et n’a pas subi de dégradation au cours du premier semestre.
Cela dit, AREVA doit faire face à un endettement croissant. Sa dette atteint en effet 5,8 milliards d’euros, contre 4,4 milliards en 2013. Les capitaux propres ont connu une baisse significative, jusqu’à devenir négatifs pour s’établir à moins 673 millions d’euros en 2014. Or, le groupe doit faire face à deux échéances de remboursement d’emprunt, d’un montant de 1,5 milliard d’euros en 2016 et d’un peu plus de 1 milliard en 2017. Comme l’a reconnu le président du conseil d’administration, M. Philippe Varin, les besoins de liquidités du groupe s’élèvent à quelque 7 milliards d’euros dans les trois prochaines années : aujourd’hui, le groupe n’est pas capable d’y faire face.
Des solutions durables doivent donc être recherchées ; elles passent par la mise en œuvre d’un plan de performance et de compétitivité, par une reconfiguration du périmètre, par un rapprochement avec EDF et par une recapitalisation qui mettra à contribution l’État mais aussi des investisseurs français et étrangers.
Jusqu’à présent les pouvoirs publics se sont surtout exprimés, comme les médias, sur le nouveau périmètre et moins sur la recapitalisation, que le groupe lui-même souhaite voir étudiée une fois redéfini ledit périmètre. Si cette redéfinition est sans doute une condition nécessaire au redressement du groupe, nous pensons qu’elle ne peut être une condition suffisante ; au reste, la reconfiguration de 2001 concernait déjà le périmètre. L’exercice qui consiste à désintégrer AREVA tout en intégrant une partie de ses activités au sein d’EDF peut être intelligent et nécessaire, mais il ne saurait se substituer à d’indispensables efforts en matière de compétitivité.
La situation financière du groupe est préoccupante ; elle appelle un traitement de fond dans un marché complexe. L’accident de Fukushima a bien entendu eu un impact sur la stratégie d’AREVA, fondée sur le réveil après l’hiver nucléaire consécutif à l’accident de Tchernobyl. Nous pensions, comme le président du directoire à l’époque, Luc Oursel, que le réveil japonais après Fukushima serait plus rapide : il semble seulement se profiler aujourd’hui, et de façon très progressive. La fermeture de réacteurs au Japon et en Allemagne a considérablement restreint l’activité de retraitement et pesé sur l’activité des services à la base installée. Or, ces activités sont essentielles au modèle développé par AREVA depuis sa création, le modèle dit « Nespresso », à savoir des marges faibles sur la construction des réacteurs et plus élevées sur l’approvisionnement en matières premières et sur les services à la base installée. Les décisions allemandes et le contexte post-Fukushima ont bien entendu bousculé ce modèle. L’activité tarde à redémarrer ; elle subit de surcroît, en France, les incertitudes liées au projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte.
De plus, AREVA peine à se positionner sur la nouvelle géographie du marché de la construction de réacteurs, un certain nombre de ses concurrents étant à même de proposer des cofinancements. AREVA ne le peut pas, que ce soit pour des raisons organisationnelles ou financières : cela pèse bien entendu sur ses perspectives de développement à l’international. On évoque souvent, par exemple, la construction de dizaines de réacteurs en Chine, dont les Chinois assureront eux-mêmes une bonne part ; mais la structuration des offres, sur laquelle AREVA est aujourd’hui à la peine, est aussi un enjeu important pour la conquête d’autres marchés.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. Il n’a été mis un frein aux choix délibérés d’un développement tous azimuts qu’une fois révélée l’ampleur des pertes accumulées. Cela nous conduit à deux conclusions. La première est que la stratégie d’investissement, fondée sur des anticipations légitimes – hausse continue du prix des matières premières et de l’uranium –, faisait l’impasse sur les besoins financiers. De 2007 à 2010, les investissements réalisés par le groupe représentaient ainsi plus de quatre fois sa capacité d’autofinancement. Autrement dit, la soutenabilité du plan d’investissement impliquait un endettement croissant et des cessions ponctuelles d’actifs, les liquidités ainsi générées restant au demeurant insuffisantes. On peut notamment penser à la vente, pour 4,1 milliards d’euros, d’AREVA T&D – Transmission et Distribution, cela dit, elle fonctionnait sur des cycles financiers courts – générant ainsi de la trésorerie –, alors que ceux de la filière nucléaire sont longs. À l’époque, rappelons-le aussi, l’État n’avait pas donné suite aux demandes insistantes de Mme Lauvergeon quant à une recapitalisation du groupe à la hauteur nécessaire.
La seconde conclusion est que le groupe s’est engagé dans des projets et des acquisitions malencontreux, dont le bien-fondé apparaît rétrospectivement douteux. Nombre d’investissements très coûteux semblent par ailleurs procéder d’une volonté de développement à tout prix. Ainsi, le bilan de la branche Réacteurs et Services, en charge de la construction de réacteurs et d’équipements nucléaires lourds, révèle la persistance de pertes financières sévères. Le montant des nouvelles pertes additionnelles et des provisions pour pertes à terminaison sur trois grands projets de construction nucléaire atteint, pour l’exercice 2014, 1,1 milliard d’euros, dont 720 millions au titre du seul projet de construction d’OL3 en Finlande, autrement dit l’EPR Olkiluoto 3. Le total des provisions inscrites pour pertes à terminaison sur ce projet se monterait aujourd’hui à 4,4 milliards d’euros. Le coût du réacteur devrait quant à lui atteindre, en l’absence de nouvelles modifications, près de 9 milliards d’euros, contre une estimation initiale de 3,9 milliards. Ces chiffres traduisent à eux seuls l’ampleur des difficultés qu’AREVA a pu rencontrer dans la réalisation de projets phares dont il assure la maîtrise d’ouvrage.
D’autre part, les investissements d’AREVA se caractérisent par un surdimensionnement des capacités de production et par des anticipations optimistes quant à la fin de l’hiver nucléaire.
Dans le secteur Mines, la gestion des actifs de la société UraMin continue de peser sur les comptes du groupe et de mettre en cause la pertinence de sa politique d’investissement. En 2014, l’actif minier de Trekkopje a encore subi une dépréciation de 75 millions d’euros. Le total des pertes résultant de l’acquisition de cette société canadienne – ayant son siège aux îles Vierges britanniques – s’établit ainsi à 2,1 milliards d’euros. Nous n’avons rencontré aucun élément nouveau sur l’affaire UraMin, mais celle-ci fait l’objet d’une procédure judiciaire engagée suite au rapport de la Cour des comptes : nous devrions donc bientôt avoir quelques précisions.
M. Charles de Courson. Les commissions, en tout cas, n’ont pas été perdues pour tout le monde !
M. Marc Goua, rapporteur spécial. Sans doute – mais peut-être aurons-nous quelques surprises.
Quoi qu’il en soit, un flou artistique entoure l’acquisition, pour laquelle l’Agence des participations de l’État – APE – avait donné son accord sous réserve d’une revente à 50 % à un consortium chinois et de la signature d’un contrat d’achat d’un tiers de la production ; or, il n’y a eu ni revente, ni contrat. D’abord rassurantes, les réponses du directoire de l’APE sont devenues dilatoires avant de reconnaître finalement l’absence de tout partenaire.
Le deuxième motif de reproche réside dans la poursuite, jusqu’en 2010, d’investissements assez lourds, et ce en toute méconnaissance de la rentabilité des sites. Ces investissements ont mobilisé quelque 720 millions d’euros alors que les études relatives à la teneur des gisements tardaient à être réalisées et communiquées : une usine de dessalement a ainsi été construite qu’AREVA tente de revendre.
Vos rapporteurs s’interrogent par ailleurs sur la poursuite de l’engagement du groupe dans le domaine des énergies renouvelables au regard des pertes financières croissantes et récurrentes enregistrées dans ce secteur. Par rapport à 2013, la branche fait état d’un fort recul du carnet de commandes – moins 30 % –, du chiffre d’affaires – moins 25 % –, ainsi que du résultat opérationnel – moins 10 %. À certains égards, le retrait esquissé par AREVA conduit à s’interroger sur la pertinence et la raison d’être des investissements réalisés dans ce domaine.
Les difficultés actuelles du groupe ne doivent cependant pas nous conduire à négliger ses atouts. AREVA demeure une belle entreprise, mais elle doit se remettre en cause, tant dans son organisation interne que dans son positionnement sur le marché de l’énergie nucléaire. Dans cette optique, elle a engagé un plan de compétitivité dont l’objectif est de générer 1 milliard d’euros de gains opérationnels par rapport à 2014. La crédibilité de ce plan a suscité des réactions assez diverses. Certains représentants des organisations syndicales nous ont ainsi fait part de leur scepticisme quant à la capacité du groupe à dégager de telles économies en trois ans, sachant que le plan similaire mis en œuvre par EDF a pour horizon 2025.
Le plan de compétitivité serait également accompagné d’importantes suppressions d’emplois en France. De notre point de vue, l’adaptation des effectifs et des conditions de travail est sans doute nécessaire dans les circonstances actuelles, mais il importe d’en mesurer l’impact exact, notamment pour la sécurité. L’emploi ne saurait en effet constituer la principale variable d’ajustement face aux difficultés présentes et passées.
Enfin, la situation du groupe soulève plus indirectement la question des instruments et des ressources du contrôle de l’État sur les entreprises publiques stratégiques, notamment dans le secteur de l’énergie. La plupart des personnes auditionnées s’accordent en effet à dire que l’État n’a pas rendu les arbitrages qui lui incombaient.
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Il faut donc trouver des solutions industrielles cohérentes et définir la bonne position pour notre filière nucléaire. L’État s’est engagé à recapitaliser AREVA SA à la hauteur nécessaire pour consolider ses fonds propres : cela paraît exclure l’arrivée d’investisseurs extérieurs, même si je ne suis pas sûr que cette position soit tenable dans la durée. Reste que l’on assiste à la fin du modèle intégré d’AREVA tel qu’il fut édifié en 2001. Nous devons veiller à ce que les impératifs financiers de court et moyen terme, ainsi que la limitation des moyens apportés par l’État, ne pénalisent pas les objectifs économiques et industriels de moyen et de long terme. Le modèle intégré n’est plus opérationnel. Comme l’a suggéré Marc Goua, nous ne remettons pas en cause la reconfiguration envisagée : nous observons seulement qu’elle comporte des risques qu’il convient d’apprécier. La filialisation d’AREVA NP au sein d’EDF, avec la contribution de partenaires extérieurs, est une formule tout à fait recevable ; mais encore faut-il choisir les bons partenariats. Ceux-ci peuvent être conclus avec des investisseurs étrangers – on a beaucoup évoqué, ces dernières semaines, des opérateurs chinois ou japonais –, mais l’on doit se garder de toute précipitation en la matière. La stratégie chinoise, en particulier, ne nous semble guère évidente. La Chine est un marché important pour AREVA NP, mais, compte tenu des transferts de compétences, la majorité des réacteurs construits dans ce pays le seront par les Chinois eux-mêmes. Nous n’ignorons pas non plus l’importance du marché japonais, pour le nouvel AREVA comme pour AREVA NP, notamment au regard des liens avec Mitsubishi Heavy Industries – MHI – pour les réacteurs ATMEA. La décision devra donc être mûrement réfléchie, et elle ne saurait être exclusive : d’autres investisseurs internationaux, et même français, peuvent s’associer à l’opération.
S’agissant précisément des investisseurs français, nous portons un regard défavorable sur la reprise par Engie de l’activité d’entretien de la base installée. Pour autant, nous ne sommes pas fermés à une autre forme d’intervention d’Engie, par exemple au niveau d’AREVA NP : une telle ouverture de capital, y compris à des concurrents d’EDF, pourrait même être une solution au problème que pose la position d’AREVA NP, filiale d’EDF, vis-à-vis de clients potentiels par ailleurs concurrents d’EDF.
J’ai déjà évoqué la fin, ou à tout le moins la limite du modèle dit « Nespresso ». Nous partageons le souci, exprimé par l’exécutif actuel comme par le précédent, d’un renforcement de « l’équipe de France » du nucléaire ; nous avons cependant appelé l’attention de nos interlocuteurs – qui abusent moins de ce discours désormais – sur le fait que l’alignement des intérêts entre un client et son fournisseur – en l’occurrence EDF et AREVA –, parfois dans un lien d’exclusivité, n’avait rien d’automatique et qu’elle ne saurait tenir lieu de stratégie. Un travail considérable reste à faire pour renforcer les synergies entre les deux groupes, en particulier sur la conception, la gestion de projets et la commercialisation des réacteurs : si la déclinaison opérationnelle a pu varier, le principe fait l’unanimité et se serait imposé même sans les difficultés actuelles.
Nous nous interrogeons aussi, je l’ai dit, sur les conséquences de la prise de participation majoritaire d’EDF au sein d’AREVA NP vis-à-vis de certains de ses concurrents également clients d’AREVA NP.
Nous doutons – pour reprendre la litote sur laquelle nous nous sommes accordés – de la place des énergies renouvelables au sein du nouvel AREVA. Dans ce secteur, le groupe s’est déjà partiellement désengagé, et ses investissements ne sont pas des succès. L’économie du secteur, en particulier l’éolien offshore, repose sur un modèle très dépendant de la contribution au service public de l’électricité – CSPE – , et qu’aucun acteur ne juge durable.
Nous soulignons l’importance d’une offre compétitive de produits et de services, du renforcement de l’offre commerciale des produits des deux groupes dans le cadre des restructurations et, au-delà, de la réduction des coûts et de l’effort de compétitivité. Toutefois, celui-ci ne doit pas passer prioritairement par des mesures d’effectifs dont nous comprenons par ailleurs la nécessité. Nous avons en tout cas obtenu d’AREVA l’engagement qu’aucun licenciement n’interviendrait en France, les entorses à ce principe paraissant imputables aux évolutions antérieures à la restructuration actuelle. Quoi qu’il en soit, la réduction des coûts est incontournable pour le groupe.
Nous appelons l’attention sur les incertitudes liées aux anomalies détectées sur la cuve de Flamanville, sur le site duquel Marc Goua et moi nous sommes rendus l’un et l’autre. La réorganisation envisagée et le bouclage financier ne pourront définitivement intervenir qu’une fois connues les conclusions sur le sujet. EDF et AREVA se disent confiantes ; l’Autorité de sûreté nucléaire – ASN –, de son côté, fait part des observations techniques qui relèvent de sa compétence. Si, comme on peut l’envisager, les cuves sont agréées au regard des normes de sûreté, les opérations organisationnelles et financières en cours pourront être bouclées ; si par malheur elles ne le sont pas – ce qui, a priori, n’est pas l’hypothèse la plus probable –, l’ensemble de l’exercice serait remis en cause, et notre filière nucléaire aborderait un autre continent. Il s’agit donc là, on l’aura compris, d’un élément d’incertitude majeur, tout comme les décisions de l’arbitrage qui pèsent sur l’OL3 en Finlande.
AREVA devra également poursuivre ses efforts dans les domaines des services à la base installée et de la fabrication et d’équipements nucléaires afin de fournir une offre compétitive de qualité : ce sera là le travail d’AREVA NP dans sa nouvelle configuration. Au cours des auditions, les conséquences de pertes ou de discontinuités de compétences, en particulier dans le domaine de la globalisation des cuves, ont souvent été évoquées. De fait, les irrégularités et les à-coups dans le programme nucléaire français ont généré des pertes de compétences : le constat fait l’unanimité lorsqu’il s’agit d’évaluer la situation d’AREVA NP et le problème des cuves. Il faudra donc y veiller à l’avenir, y compris dans le cadre de la mise en œuvre de la future loi de transition énergétique pour la croissance verte.
La valorisation d’AREVA NP est un exercice difficile : des chiffres ont été avancés, sur lesquels les partenaires ne s’accordent pas encore. L’État est à cet égard dans une position inconfortable puisqu’il est à la fois l’actionnaire d’AREVA et celui d’EDF : bien qu’il ait à arbitrer entre ces deux acteurs qui ont des discussions parfois rudes, il sera nécessairement conduit à s’abstenir lors des assemblées générales afin de ne pas se placer en situation de conflit d’intérêts.
La gouvernance d’AREVA a été mise en cause notamment lorsque Mme Lauvergeon assurait la présidence du directoire ; elle reconnaît publiquement sa responsabilité, et sans doute les relations entre le directoire, le conseil de surveillance, les instances de l’entreprise et la tutelle sont critiquables ; mais, s’il n’y a aucune raison d’exonérer la présidence de sa responsabilité prééminente, il serait un peu rapide de la rendre responsable de toutes les déconvenues industrielles du groupe. Les dysfonctionnements n’ont été possibles que parce que l’ensemble du directoire y a consenti. Les difficultés de relations avec le conseil de surveillance posent aussi question, de même que les relations avec l’APE, dont les signaux d’alerte n’ont pas été entendus ou pas suivis d’effets.
M. Charles de Courson. Pourquoi ?
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Nous n’avons pas approfondi la question. En tout état de cause l’actuel ministre de l’Économie, que nous souhaitions auditionner, n’a pas jugé utile de répondre à notre invitation.
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte introduit par ailleurs de grandes incertitudes, par exemple quant au nombre de réacteurs opérationnels en France dans cinq, dix ou quinze ans : cela ne facilite pas la valorisation d’AREVA NP et celle d’AREVA dans son ensemble.
L’État actionnaire doit assurer toutes ses responsabilités, que ce soit dans la gouvernance ou dans le refinancement de l’entreprise. La filialisation d’AREVA NP, la mobilisation d’EDF – qui n’est pas sans conséquences pour ce groupe – et l’entrée d’investisseurs extérieurs conduisent en effet à s’interroger sur la part de l’État dans le refinancement. Sous la contrainte financière, AREVA a cédé plusieurs de ses activités, comme celle de Transmission et de Distribution en 2010, si bien que le groupe ne possède plus, aujourd’hui, les marges dont il pouvait bénéficier.
Enfin, une fermeture anticipée du parc nucléaire français mettrait en difficulté l’exploitant – nous l’avions signalé dans notre précédent rapport –, mais aussi la branche service de maintenance aux réacteurs et la fourniture de combustible, bref, l’ensemble des activités d’AREVA. L’anticipation du prolongement et du remplacement du parc actuel est également essentielle au maintien des compétences. Il convient en particulier de programmer la construction de nouveaux réacteurs après la mise en service de l’EPR actuel ou des EPR nouveau modèle.
Il s’agit donc de faire émerger une filière nucléaire forte, qui ne serait pas seulement portée par l’entretien du parc actuel et la construction de réacteurs à l’international – à travers de nouveaux modes d’offre, une meilleure coordination entre les acteurs et un meilleur positionnement de l’offre française sur le financement comme sur la variété des produits –, mais aussi par le marché national, compte tenu des objectifs de sûreté nucléaire et des enjeux environnementaux comme économiques. L’exportation de cette filière d’excellence qu’est le nucléaire suppose également un soutien en France, d’autant que le nucléaire peut contribuer, grâce à la production d’une énergie faiblement carbonée, à l’atteinte des objectifs de la COP21.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. Le rapprochement des équipes d’EDF et d’AREVA est essentiel mais, dans chacun des deux groupes, des carences ont été constatées à la fois dans l’ingénierie, la mise en œuvre et le suivi des chantiers. Si AREVA connaît des déboires en Finlande, EDF en connaît à Flamanville. Bref, il faut éviter d’additionner les inconvénients en additionnant les équipes.
Au reste, les deux entreprises ont déjà commencé à travailler ensemble. Sans doute est-il nécessaire de diminuer le coût des EPR nouveau modèle, tout en veillant bien entendu à au maintien des standards de sûreté : même si l’expérience joue, nous ne pourrons, dans les conditions actuelles, être compétitifs sur les coûts par rapport à la Russie, au Japon et à la Chine.
Les besoins en capitaux pour le groupe sont estimés à 7 milliards d’euros pour les trois prochaines années ; les quelques cessions d’actifs ne les couvriront qu’à la marge. Aussi l’État devra-t-il intervenir de façon conséquente pour assurer la restructuration ; on peut également envisager des investisseurs extérieurs à condition de préserver les technologies et les marchés. En tout état de cause, même si nous n’avons pas auditionné le ministre, l’État a assuré qu’il jouerait son rôle d’actionnaire.
Se pose aussi la question de la gouvernance des entreprises publiques, dans le secteur de l’énergie comme dans d’autres, et du fonctionnement de l’APE. Le rôle du Parlement doit aussi être renforcé, moyennant une garantie de la confidentialité des informations fournies.
Sur les cuves de Flamanville, la réponse devrait intervenir au premier semestre 2016 : aucune décision définitive sur l’avenir de la filière ne pourra donc être prise avant. Sur cette question, nous avons perçu une différence d’appréciation entre l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – IRSN – et l’ASN, le premier paraissant plus optimiste que la seconde. Les normes ont changé mais l’on a entendu un peu tout et n’importe quoi à ce sujet. En réalité, si le problème – qui ne met au demeurant pas en cause la sécurité – a été découvert, c’est parce que le contrôle porte désormais sur l’ensemble de la cuve et non sur les parties les plus exposées.
AREVA emploie un peu plus de 40 000 personnes mais la filière nucléaire représente près de 240 000 emplois directs et indirects. On ne peut donc se permettre, dans le contexte actuel, de la mettre en difficulté : il nous faut au contraire trouver des solutions pour assurer sa qualité.
Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Merci pour cette présentation complète à deux voix.
Comment le carnet de commandes d’AREVA peut-il rester solide alors que, depuis l’accident de Fukushima, le Japon et l’Allemagne ont abandonné tout partenariat avec le groupe, dont ils étaient auparavant les principaux clients ?
Votre rapport évoque une augmentation sensible des stocks de combustible nucléaire usé. Où en est l’innovation dans le recyclage et le stockage de longue durée ? Une avancée en ce domaine pourrait offrir des perspectives industrielles.
La fin du modèle intégré est une réalité avec laquelle il faudra bien composer ; conjuguée aux effets de la loi sur la transition énergétique, elle conduit à s’interroger sur l’émergence d’un acteur unique du nucléaire. Au-delà du seul aspect économique, y a-t-il une volonté politique de traiter le problème ?
Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Je rejoins Marc Goua sur la gouvernance des participations de l’État. AREVA est devant Tokyo Electric Power Company – TEPCO – pour ce qui est du taux de distribution de dividendes, lequel atteint de 40 à 45 % selon les années. Notre commission n’aurait-elle pas intérêt à créer une mission d’information sur le sujet pour ce qui regarde les entreprises publiques ? Celles-ci ne peuvent à la fois investir et distribuer des dividendes.
Le nucléaire est une industrie intensive en termes de consommation de capital. Existe-t-il des comparaisons avec d’autres opérateurs internationaux ? Quelle est l’intensité capitalistique pour un euro de valeur ajoutée créée par une entreprise nucléaire ? La rentabilité a-t-elle pâti de l’intensité capitalistique des acquisitions ?
À la fin des années 1990 et au début des années 2000, la production de combustible MOX était présentée comme prometteuse pour le retraitement : d’où vient donc la baisse du plan de charge à Melox, à laquelle vous faites allusion dans votre rapport ?
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Le retraitement demeure un secteur d’activité important pour AREVA, même s’il n’a pas atteint l’ampleur que l’on pouvait espérer ; il offre des perspectives et fait l’objet de contrats, notamment avec la Chine.
Le niveau des dividendes a retenu notre attention, mais il ne vous a pas échappé que ceux-ci étaient en bonne partie versés au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – CEA –, qui, dès lors qu’il en perçoit moins, semble avoir besoin d’autres sources de financement, parmi lesquels les investissements d’avenir. Reste que nous sommes effectivement informés trop tard des dysfonctionnements des entreprises publiques.
Sur la politique de versement de dividendes, il existe par ailleurs un arrêté du ministère de l’économie. Les parlementaires se penchent trop peu sur cette question, liée à la gestion du patrimoine de l’État : nous pourrions par exemple, au-delà des débats budgétaires, y consacrer un débat annuel au moment du versement des dividendes, lequel permet d’examiner la situation de chaque entreprise.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. Le Trésor nous répond cependant que ces versements sont nécessaires pour assurer l’équilibre des comptes. Il faudrait donc un contrôle plus important du Parlement.
S’agissant de l’intensité capitalistique, madame la rapporteure générale, certains constructeurs sont des États. La plupart des constructeurs obtiennent, de la part de leur pays, des crédits dédiés au financement de la construction à des taux défiant toute concurrence, et qui éliminent donc la filière française. La France, elle, ne peut pratiquer la même politique.
Sur le stockage des déchets, j’admets que l’arrêt du surgénérateur fut une erreur. Je me rendrai dans les prochaines semaines à l’usine de La Hague, où des problèmes de vétusté se posent pour le stockage : des investissements seront donc nécessaires pour répondre aux besoins futurs.
M. Alain Fauré. Entre les investissements hasardeux dans les mines et les défauts de fabrication à répétition sur les cuves, il semble que nous soyons face à un emboîtement de poupées russes, chaque système révélant un problème jusqu’alors caché.
Le chiffre d’affaires du groupe, 8,3 milliards d’euros, est réalisé à 43 % en France, où sont aussi employés la majorité des 41 000 collaborateurs : sans doute faut-il multiplier ce chiffre par 3,5 pour avoir une idée du nombre de salariés touchés par les restructurations à venir.
Le 24 mars 2015, M. Philippe Knoche, directeur général du groupe, a été auditionné conjointement par la commission des Affaires économiques ; il connaît AREVA depuis longtemps, puisqu’il fut à la manœuvre pour le projet d’EPR en Finlande, avec le succès que l’on sait : il n’y a rien d’étonnant à ce que, arrivé à la direction générale du groupe, il l’ait conduit vers les mêmes succès. À la tête des entreprises publiques, l’« entre-soi » permet de cacher ce qui doit l’être, jusqu’à la réjouissante découverte du pot-aux-roses. Qui paiera ? Les Français via le prix du kilowattheure d’EDF, qui aura à assumer les coûts de la reprise d’AREVA NP.
Par ailleurs, quelles suggestions pouvez-vous faire sur la gouvernance ? L’entre-soi semble régner, constitué de gens issus des mêmes écoles : plutôt que du système « Nespresso », il faudrait parler de l’adage « Tout va très bien, madame la marquise ! » érigé en principe, ou du système Warren Buffett.
M. Jean-François Lamour. Le rapport évoque peu AREVA TA – Technicatome. Si sa problématique est éloignée d’AREVA NP sur le plan économique, il est, lui aussi, au cœur de la question stratégique des éventuelles pertes de compétences en matière de construction et de maintien en condition opérationnelle des réacteurs de propulsion nucléaire équipant nos sous-marins nucléaires d’attaque – SNA –, nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins
– SLNE – et notre porte-avions nucléaire – équipé du réacteur K15 –, sans oublier le réacteur d’essai Jules Horowitz et celui installé à Cadarache. Quelle sera la place d’AREVA TA dans la restructuration ? Le ministre de l’Économie m’avait indiqué qu’elle demeurerait inchangée, mais j’ai du mal à comprendre comment, dès lors qu’AREVA NP sera abrité par EDF. Vous avez évoqué l’arrivée d’investisseurs étrangers, en particulier chinois : ce genre d’opération me semble incompatible avec le maintien d’une forme d’indépendance et de sécurité en matière de propulsion nucléaire. Au-delà de l’aspect économique, la réflexion stratégique me semble donc indispensable.
M. Charles de Courson. L’EPR est-il un produit compétitif ? Votre rapport ne répond pas à cette question. Beaucoup d’observateurs estiment que ce réacteur sera le « Concorde » du nucléaire : trop petit pour les grands pays, et trop grand pour les petits pays ou les moyens. Ses coûts de revient paraissent de surcroît trop élevés : un réacteur incapable de produire de l’électricité à un prix compétitif ne peut trouver d’acheteur.
Par ailleurs, l’EPR finlandais sera-t-il réceptionné ? Beaucoup de spécialistes répondent par la négative, de sorte qu’AREVA et ses héritiers auront à rembourser les avances – de 2 à 3 milliards d’euros, de mémoire. Conformément à la théorie du coefficient Π, le coût final du réacteur sera 3,14 fois supérieur à celui annoncé en termes d’investissements. Vous ne dites rien sur le coût de fonctionnement, sur le montant duquel Mme Lauvergeon s’était engagée auprès des autorités finlandaises. Dès lors que ce coût sera dépassé, qui paiera le différentiel ?
S’agissant de l’EPR de Flamanville, le chantier, là encore, sera-t-il réceptionné par EDF ? La réponse sera assurément négative si l’ASN estime que les systèmes informatiques de régulation, notamment, ne correspondent pas aux normes internationales. Vous êtes-vous interrogés sur ce point ?
Vous ne parlez pas non plus des coûts de l’EPR de Taishan : observe-t-on des dérapages ? Le groupe commence-t-il à provisionner des sommes pour ce chantier ?
Où en est-on, par ailleurs, des projets d’Angra 3 et de Hinkley Point ?
Vous n’avez rien appris de nouveau sur UraMin, dites-vous. La société a été négociée à 235 millions de dollars en avril 2006, puis à 472 millions en octobre de la même année, avant d’être rachetée 2,5 milliards en 2007 : l’affaire ne vous paraît-elle pas étrange ? Vous êtes-vous intéressés aux commissions versées, pour un montant de 40 millions ? Qui a touché cet argent ? Ce sont là, je le rappelle, des éléments parus dans la presse.
Avez-vous une idée du montant des investissements nécessaire à la mise aux normes de l’usine de la Hague ?
Dernier aspect du désastre, sur lequel vous revenez longuement : la gouvernance du groupe. Sur ce point vous n’osez pas, me semble-t-il, poser la question ultime : l’État est-il capable d’exercer sa tutelle ? La réponse se déduit cependant de votre rapport : non. De jeunes fonctionnaires, aussi talentueux soient-ils, ont-ils selon vous une quelconque autorité face à Mme Lauvergeon qui, membre de la haute aristocratie d’État – que je connais pour en faire partie –, court-circuite la tutelle grâce à ses entrées dans les milieux politiques ? Il faut pousser l’analyse jusqu’au bout : nous sommes dans un système d’irresponsabilité totale, où de hauts fonctionnaires dépourvus de la moindre expérience industrielle sont parachutés à des postes où ils se prennent pour des capitaines d’industrie, et ce aux frais du contribuable. Les modestes fonctionnaires qui ont tiré la sonnette d’alarme depuis des années, eux, n’ont pas été entendus, sans évoquer le Parlement, qui fut totalement inexistant. Certains collègues abondaient même dans le sens de Mme Lauvergeon, applaudissant à ses discours sur le modèle intégré sans voir les nuages s’amonceler. Le silence était de mise, dans tous les groupes politiques. Comment peut-on ainsi faire perdre, non pas deux ou trois, mais une dizaine de milliards au peuple français ? J’aimerais donc que nos deux rapporteurs se mouillent un peu, d’autant que l’un d’eux appartient, lui aussi, à la haute aristocratie d’État – l’autre est plutôt issu de celle de province. De fait, la dernière partie du rapport ne me semble pas aller au cœur du sujet.
M. Éric Alauzet. AREVA évalue le montant de son carnet de commandes à quelque 40 milliards d’euros mais, d’après d’autres sources, il faudrait en réalité diviser cette somme par quatre. La différence ne tient-elle pas à une ambiguïté entre les commandes fermes et les commandes hypothétiques ?
La construction de quatre réacteurs ATMEA en Turquie – sur une zone sismique –, en partenariat avec Mitsubishi Heavy Industries – MHI –, sera la première du genre. Dotés d’une puissance de 1 000 mégawatts, ces réacteurs sont plus petits que les EPR ; mais EDF, qui deviendra un acteur influent autour de la table, en a une mauvaise opinion : quel est, dès lors, l’avenir du projet ?
Malgré des déclarations d’EDF qui relèvent de la méthode Coué, on est loin de la signature finale du contrat de livraison de deux réacteurs à Hinkley Point, dans lesquels AREVA ne peut plus investir les 10 % annoncés. Qu’en est-il de ce projet, dont la presse britannique et un nombre croissant de responsables politiques remettent en cause la pertinence à la suite des problèmes observés à Flamanville et en Finlande, et qui est visé par une procédure judiciaire engagée par l’Autriche ?
Quid de l’EPR nouveau modèle vanté par EDF et AREVA, et que l’on souhaite vendre à l’Arabie saoudite ? Dans quels délais sera-t-on capable de construire ne serait-ce qu’un prototype, sachant que les plans, qui n’existent même pas, sont par conséquent loin d’être validés par l’ASN ?
S’agissant de la cuve de l’EPR, le problème était connu depuis 2006 : je vous renvoie, sur ce point, à un article paru dans la presse ce matin. Combien d’autres cuves sont-elles concernées ? On fera le point à l’issue des expertises, nous dit l’un des deux rapporteurs : de qui se moque-t-on ? Le problème est connu depuis neuf ans ! Tout cela n’est pas très sérieux.
M. Jérôme Chartier. Il est affligeant de voir à quel point la stratégie d’AREVA était dénuée de sens, ce qui est très inquiétant pour une entreprise de cette taille. Il faut en particulier s’interroger sur la responsabilité de l’APE et sur son absence de réaction.
M. Charles de Courson. Et sur la responsabilité des ministres !
M. Jérôme Chartier. Certes, mais encore faudrait-il que l’APE les informe de l’absence de stratégie d’AREVA. C’est donc la chaîne de responsabilité qui est en cause.
Quel est, dans le rapport, le sens de l’adverbe « trop », dans la phrase : « […] les rapporteurs spéciaux estiment qu’une participation trop importante d’investisseurs chinois dans la nouvelle structure pourrait conduire à un transfert massif de technologies […] » ? Je suis favorable à une ouverture du capital, pour la simple raison que les débouchés sont à l’étranger et non en France. Ne pas associer la Chine, prochain marché majeur pour l’installation de réacteurs, serait donc une erreur stratégique ; mais la question est de savoir à quelle hauteur ouvrir le capital.
M. Jean-Louis Dumont. Qu’en sera-t-il de la gouvernance et des contrôles dans le cadre du nouveau périmètre ? De fait, la liste des personnes auditionnées par les rapporteurs spéciaux donne matière à réflexion sur les résultats.
Qu’en est-il du « low cost » et du micro-nucléaire ? Celui-ci a-t-il encore un avenir, sachant que les pays émergents s’orientent souvent vers le photovoltaïque et les énergies renouvelables ?
S’agissant des déchets nucléaires, AREVA semble avoir commis des erreurs. La gouvernance d’EDF, au vu de ce qu’elle a été dans le passé proche et même lointain, offre-t-elle cependant toutes les garanties ? Les problèmes qu’évoquait Charles de Courson ne manqueront pas de se poser. Doit-on laisser les déchets là où ils se trouvent, comme le souhaitait l’ancien patron d’EDF, afin d’investir ailleurs les milliards ainsi économisés, ou fera-t-on preuve d’une vraie responsabilité politique ? Esquiver le problème revendrait à se dégager de cette responsabilité.
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. La substitution d’un conseil d’administration au conseil de surveillance et directoire a été unanimement saluée comme un progrès pour la gouvernance : outre qu’elle s’inscrit dans une évolution « à la mode », elle est une réponse adaptée à la situation du groupe et à la répartition des responsabilités.
Les équipes de l’APE ne sont ni pléthoriques, ni chenues, mais, en général, elles savent lire et compter. Sans les exonérer de leurs responsabilités, force est de constater qu’elles ont envoyé à l’exécutif des signaux d’alerte qui n’ont pas été entendus ou pris en compte. Il faudrait procéder à d’autres auditions pour savoir pourquoi.
L’entre-soi supposé, monsieur Fauré, n’interdit pas de regarder les choses en face et de le dire ; c’est en tout cas ce à quoi je m’emploie.
Sur l’OL3 comme sur d’autres chantiers ayant pris du retard, les difficultés ne sont pas seulement d’ordre technique : elles tiennent aussi à des éléments qui pèsent lourdement sur l’entreprise.
AREVA NT est cité rapidement dans le rapport, monsieur Lamour. L’une des difficultés, qu’illustrent les annexes 2 et 3, est la double présentation du groupe, d’une part en organisation opérationnelle, de l’autre en filiales et en structures juridiques de différentes natures. Même si l’opération en cours est claire dans ses grandes lignes, elle ne l’est peut-être pas tout à fait dans les détails : il faudra donc s’y pencher de plus près.
Le chantier OL3, monsieur de Courson, monsieur Fauré, fait l’objet d’une procédure arbitrale. Les réclamations se chiffrent en milliards d’euros, mais le risque est limité par le fait qu’elles proviennent des deux parties.
Sur l’EPR de Flamanville, je rappelle que le risque est porté par l’opérateur. Devant l’ASN, le responsable de premier niveau, s’agissant de la sûreté nucléaire, n’est donc pas AREVA mais EDF – même si celui-ci peut se retourner contre AREVA.
M. Charles de Courson. L’opérateur n’est le premier responsable qu’après la réception des réacteurs !
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Non. Aucune des deux parties, à ma connaissance, ne conteste ce point, même si, je le répète, l’une peut se retourner contre l’autre.
Quant au projet de Hinkley Pojnt, il est contesté par certains mais ne semble pas fondamentalement mis en cause. Il se poursuit donc, comme celui de Taishan.
S’il nous est arrivé d’utiliser l’expression « low cost », monsieur Dumont, elle est vigoureusement contestée par la filière. On parle plutôt d’un EPR « nouveau modèle », dont l’expérience permet, en plus d’éviter certaines erreurs, de rendre la conception moins coûteuse à niveau de sûreté équivalent.
Sur l’Arabie saoudite, la remarque d’Éric Alauzet me fait penser à ce qu’observait M. Lacoste, ancien président de l’ASN : dans les pays qui ne disposent ni d’un réseau étoffé, ni d’une autorité de sûreté éprouvée, les projets demeurent virtuels.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. Sur UraMin, monsieur de Courson, j’ai été très étonné que le rapport que j’ai rédigé en 2012 avec Camille de Rocca Serra n’ait été suivi d’aucun effet. Peut-être n’avons-nous pas été assez loin ; mais nous ne pouvions confirmer les noms qui sortent aujourd’hui dans la presse. La Cour des comptes a engagé une action judiciaire, dans laquelle nous ne pouvons interférer ; mais elle provoquera sans doute quelques éclaboussures. Les chiffres que vous avez rappelés ne manquent pas, en effet, de susciter des questions.
Des études sont en cours sur l’EPR nouvelle génération : je ne puis me prononcer sur leur issue, mais le fait est que, nonobstant des améliorations obtenues grâce à l’expérience, le modèle actuel ne sera jamais compétitif. Un nouveau modèle est donc indispensable.
Nous avons indiqué que nous n’étions pas très sûrs de la rentabilité du projet de Taishan ; mais aucun dérapage financier n’a été observé à son sujet.
Par ailleurs, je souscris aux remarques qui ont été formulées sur la gouvernance.
EDF est l’un des principaux producteurs de déchets radioactifs : puisqu’il acquerra une partie d’AREVA, des accords très précis seront nécessaires, en particulier sur le coût du stockage. Quant au tarif de l’électricité, EDF, malgré son endettement, est capable de faire face : les éventuelles hausses devraient donc rester limitées. Avant même le projet d’acquisition dont nous parlons, d’ailleurs, le président de cette entreprise n’avait-il pas demandé une hausse du tarif de l’électricité par paliers vers 50 euros par mégawatheure ?
Je serai un peu moins catastrophiste que M. de Courson, qui annonce l’apocalypse… Construire un EPR en cinq ans, comme on l’avait annoncé en Finlande, était une gageure impossible, dès lors que les délais de livraison habituels étaient en moyenne de huit ans.
M. Jean-Louis Dumont. La vente d’AREVA T&D, à laquelle il n’est fait allusion que rapidement, avait suscité de nombreux débats car l’État, pour éviter une recapitalisation, avait laissé couler l’entreprise avant d’imposer sa revente. Cette générait pourtant, tous les ans, quelque 400 millions de liquidités pour le groupe.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. La situation s’est dégradée pour le groupe aujourd’hui.
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. Et, par définition, on vend ce qui rapporte…
M. Jean-Louis Dumont. C’est une façon de voir : la trésorerie issue de cette filiale aurait pu, au lieu de rémunérer les actionnaires, venir abonder les investissements du groupe.
M. Charles de Courson. La compétitivité de l’EPR est une question centrale. Quel sera, d’après vous, l’ordre de grandeur du coût de l’électricité des EPR construits en Finlande, en Chine et à Flamanville ?
Vous êtes-vous interrogés sur les conditions de négociation du contrat finlandais ? Qui faisait partie de la délégation ? La réponse à cette question explique beaucoup de choses. Mme Lauvergeon voulait absolument conclure ce contrat, et l’a fait contre l’avis de ses cadres supérieurs, qui le jugeaient irréaliste.
M. Marc Goua, rapporteur spécial. Le coût de l’électricité produite par l’EPR sera le double du coût actuel, soit un peu plus de 100 euros le mégawattheure.
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. C’est en effet le chiffre sur lequel nous sommes en mesure de nous prononcer. Les éléments publiés font état d’un coût supérieur à 70 euros.
En application de l’article 146 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport d’information relatif sur les perspectives de développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire.
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ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
Par ordre de rencontre
1. AREVA
– M. Philippe VARIN, président du conseil d’administration ;
– M. Jacques GÉRAULT, directeur des affaires publiques ;
– M. Guillaume RENAUD, responsable des relations institutionnelles.
2. COMMISSAIRES AUX COMPTES D’AREVA
– M. Jean BOUQUOT, Ernst & Young Audit ;
– M. Aymeric de LA MORANDIERE, Ernst & Young Audit ;
– M. Cédric HAASER, Mazars ;
– M. Jean-Louis SIMON, Mazars.
3. M. Bernard BIGOT, ancien Administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et ancien vice-président du conseil de surveillance d’AREVA.
4. AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ÉTAT (APE)
– M. Régis TURRINI, Directeur général ;
– M. Alexis ZAJDENWEBER, Directeur participations Énergie ;
– M. François ENGEL, Directeur participations adjoint ;
– M. Sylvain GARIEL, chargé de participation.
5. DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ÉNERGIE ET DU CLIMAT (DGEC)
– M. Laurent MICHEL, Directeur général de l’énergie et du climat ;
– M. Charles-Antoine LOUET, sous-directeur « Industrie nucléaire ».
6. COMMISSARIAT À L’ÉNERGIE ATOMIQUE ET AUX ÉNERGIES ALTERNATIVES (CEA) *
– M. Daniel VERWAERDE, administrateur général ;
– M. Christophe GEGOUT, directeur financier ;
– M. Jean-Pierre VIGOUROUX, chef du service des Affaires publiques.
7. ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF) *
– M. Jean-Bernard LEVY, président directeur général ;
– M. Bertrand LE THIEC, directeur des Affaires publiques.
8. M. Jean-Cyril SPINETTA, ancien Président du conseil de surveillance d’AREVA.
9. M. Pierre BLAYAU, ancien Président du conseil de surveillance d’AREVA.
10. Mme Anne LAUVERGEON, ancienne Présidente du directoire d’AREVA, et M. Julien MARTINEZ, directeur de la Stratégie d’ALP
11. M. Gérald ARBOLA, ancien Directeur général délégué (2006-2011) et ancien Vice-Président du conseil de surveillance de STMicroelectronics (2008-2011).
12. M. René RICOL, ancien membre du conseil de surveillance et ancien Président du comité d’audit d’AREVA (2010-2011).
13. M. Henri PROGLIO, ancien Président directeur général d’EDF.
14. AUTORITÉ DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE (ASN)
– M. Pierre-Franck CHEVET, Président ;
– M. Jean-Christophe NIEL, Directeur général ;
– M. Alain DELMESTRE, Directeur général adjoint.
15. ANCIENS COMMISSAIRES AUX COMPTES
– M. Patrick CHOQUET, cabinet Deloitte ;
– M. Pascal COLIN, cabinet Deloitte ;
– Mme Juliette DECOUX, cabinet Mazars,
– M. Jean-Luc BARLET, cabinet Mazars.
16. COUR DES COMPTES
– M. Guy PIOLÉ, Président de la deuxième chambre ;
– M. Christian DESCHEEMAEKER, Président de chambre ;
– M. Jean-Luc VIALLA, conseiller-maître, président de section ;
– M. Jean-François MONTEILS, Conseiller maître ;
17. AREVA
– M. Philippe KNOCHE, Directeur général délégué ;
– Mme Magali SMETS, Directrice de la stratégie ;
– M. Pierre-Jérôme ABRIC, Directeur juridique contentieux ;
– M. Guillaume RENAUD, responsable des relations institutionnelles.
18. M. Bruno BEZARD, ancien Directeur général de l’Agence des participations de l’État (APE), accompagné de Mme Astrid MILSAN, Directrice générale adjointe à l’APE ; M. Alexis ZAJDENWEBER, Directeur de participations et M. Sylvain GARIEL, chargé de participations.
19. TABLE RONDE SYNDICALE
– M. Jean-Pierre BACHMANN, CFDT ;
– M. Pascal EVARISTE, CGT ;
– M. François FOURNIER MONTGIEUX, secrétaire du comité de groupe France ;
– Mme Anne GUDEFIN, secrétaire du comité de groupe européen ;
– M. Christophe LAISNÉ, UNSA/SPAEN ;
– M. José MONTES, FO ;
– M. Cyrille VINCENT, CFE-CGC.
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* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
ANNEXE 2 : ORGANISATION OPÉRATIONNELLE DU GROUPE AREVA
ANNEXE 3 : ORGANISATION JURIDIQUE DU GROUPE AREVA
Source : document de référence d’AREVA pour l’année 2014.
1 () Cf. Jacques Percebois et Claude Mandil, « Rapport Énergies 2050 : les différents scénarios de politique énergétique pour la France », rapport remis en conclusion des travaux d’une commission installée par le ministre de l'Industrie, de l'énergie et de l'économie numérique en février 2012. Suivant une étude citée par ce rapport, la filière nucléaire civile (en incluant la construction et l’amont du cycle) employait en France, en 2012, près de 125 000 personnes. Le nombre des emplois indirects était évalué à 114 000.
2 () La trésorerie nette disponible s’élevait au 31 décembre 2014 à 1 062 millions d’euros, soit la trésorerie disponible à la clôture minorée des dettes financières courantes pour 2015.
3 () Excédent brut d’exploitation (EBE).
4 () Mesuré par le ratio EBE/chiffre d’affaires.
5 () Excédent brut d’exploitation (EBE).
6 () Excédent brut d’exploitation (EBE).
7 () Voir dans le domaine du stockage d’énergie, AREVA H2gen, coentreprise créée pour le développement de de l’activité de production d’hydrogène par électrolyse.
8 () Centrale réalisée en partenariat avec la société néerlandaise de génie civil Ballast Nedam Industriebouw et l’entreprise finlandaise Metso Power Oy, fournisseur de la chaudière.
9 () Signé le 6 février 2014, le premier accord jette les bases d’un partenariat stratégique visant à développer des solutions de stockage et de gestion de l’énergie basée sur la production d’hydrogène à pile combustible. Le second a pour objet le développement d’une nouvelle solution de stockage d’énergie utilisant la technologie « batterie à flux continue ».
10 () Suivant l’analyse livrée aux Rapporteurs spéciaux par les représentants de l’Agence des participations de l’État, ce partenariat, annoncé le 20 janvier 2014, consiste en la création d’une co-entreprise (avec prise de participation paritaire) dans le domaine de l’éolien en mer, GAMESA apportant l’expertise technique, le soutien des chaînes de fournisseurs et un cofinancement pour la croissance de l’activité.
11 () Le montant des pertes à terminaison et des dépréciations se décompose comme suit pour l’EPR finlandais : 576 millions d’euros, au titre de la réévaluation des coûts restant à engager et des risques résiduels sur le projet (principalement liés à l’achèvement de la construction du réacteur), étant noté que le client, TVO, n’a pas émis d’objection majeure au sujet du calendrier des travaux finalisé au second semestre 2014 ; 144 millions d’euros, correspondant à des coûts de période n’ayant pas participé efficacement à l’avancement du projet.
12 () L’usine est implantée sur les sites de Malvesi et du Tricastin.
13 () « EDF et AREVA : deux entreprises face aux nouveaux enjeux de la filière nucléaire », Rapport d'information déposé en application de l'article 146 du règlement, par la commission des Finances, de l'Économie générale et du Contrôle budgétaire relatif à la situation financière et aux perspectives d'Électricité de France et d'AREVA (rapport n° 4463), déposé le 7 mars 2012 par MM. Marc Goua et Camille de Rocca Serra.
14 () Au moment de sa vente, les valorisations obtenues d’AREVA T&D étaient voisines et toutes supérieures à quatre fois le prix d'acquisition de cette activité par AREVA cinq années auparavant.
15 () Chiffres actualisés datant d’octobre 2014 et mentionnés dans le document de référence d’AREVA (page 18).
16 () Suivant les chiffres communiqués par AREVA au cours de la visite du site.
17 () Audition de M. Philippe Varin, président du conseil d'administration d'AREVA, par la commission des Affaires économiques lors de sa réunion du mercredi 24 juin 2015.
18 () Marc Endeweld, « Pourquoi AREVA ne fait plus rêver », Marianne, édition de la semaine du 8 au 14 mai 2015.
19 () « EDF et AREVA : deux entreprises face aux nouveaux enjeux de la filière nucléaire », Rapport d'information déposé en application de l'article 146 du règlement, par la commission des Finances, de l'Économie générale et du Contrôle budgétaire relatif à la situation financière et aux perspectives d'Électricité de France et d'AREVA (rapport n° 4463), déposé le 7 mars 2012 par MM. Marc Goua et Camille de Rocca Serra, pp. 74 à 93.
20 () Le calendrier des négociations comportait deux phases : en premier lieu, la négociation d’un accord de méthode, organisant et structurant le dialogue social sur la période, et d’un accord-cadre sur la gestion triennale de l’emploi (du début mai à fin juin 2015) ; en second lieu, la mise en œuvre des procédures d’information-consultation des instances représentatives des différentes sociétés du groupe dans lesquelles un plan de départ volontaire s’avérerait nécessaire.
21 () On relèvera toutefois que les organisations syndicales se sont alarmées dans la presse de la possibilité de licenciements secs dont pourraient être victimes 50 salariés travaillant dans le secteur des énergies renouvelables (« Les syndicats dénoncent des licenciements secs chez AREVA », Le Monde.fr, 15 juin 2015).
22 () D’après le document de référence pour 2014, les dispositifs de rémunération collective de la performance ont donné lieu au versement d’un montant total de 122 millions d’euros à l’échelle du groupe au titre des résultats de 2013.
23 () Audition de M. Philippe Varin, président du conseil d'administration d'AREVA, par la commission des Affaires économiques lors de sa réunion du mercredi 24 juin 2015.
24 () « AREVA : l’Autorité de sûreté nucléaire alerte sur les risques de restructuration », Les Échos.fr, 12 juin 2015.
25 () Au 1er janvier 2015, en prenant en considération les participations du CEA (61,52 %), de BPI Groupe (3,32 %) et d’EdF (2,24 %).
26 () L’État est également représenté par le directeur général de Compétitivité et de l’Énergie (DGE) du ministère de l’Économie.
27 () Suivant les chiffres indiqués au cours de la table ronde des organisations syndicales, l’État aurait perçu 3 milliards d’euros de dividende de la part d’AREVA. D’après les travaux de la Cour des comptes auxquels les Rapporteurs ont pu avoir accès, une première politique de distribution des dividendes avait été fixée par le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie qui prévoyait, pour la période 2006-2011, un taux moyen de 40 % du résultat net consolidé-part du groupe. Des dividendes ont été versés jusqu’en 2010 (sur les résultats de 2009). Dans le cadre du plan de développement présenté lors du conseil de surveillance du 30 juin 2009, une nouvelle politique a été mise en place qui ramenait le taux de distribution des dividendes à 25 % du résultat net-part du groupe à verser en 2011 (sur les résultats de 2010). En 2010, aucun dividende n’a été versé en raison d’un résultat opérationnel négatif.
28 () La résilience est un indicateur de la capacité d’un matériau à résister à la propagation de fissures. Dans le cas de la cuve d’un réacteur, cette propriété est notamment importante en cas de choc thermique, par exemple à la suite d’une injection d’eau froide dans le circuit primaire du réacteur.
29 () Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (EBITDA).
30 () L'agence d'évaluation financière Moody's a indiqué le 8 juin 2015 que l'acquisition d'une participation majoritaire dans AREVA NP « pourrait potentiellement avoir un impact crédit négatif » pour la note de l'électricien EDF.
31 () « Areva n'a jamais commandé d’étude illégale, selon sa direction », LeMonde.fr, 17 janvier 2012.
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