N° 3503
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 février 2016.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Daniel GOLDBERG,
Député
——
La mission d’information sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement est composée de : M. Daniel Goldberg, président-rapporteur, Mme Brigitte Allain, Mme Audrey Linkenheld, M. Hervé Pellois et M. Jean-Marie Tétart.
SOMMAIRE
___
Pages
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 7
INTRODUCTION 11
PREMIÈRE PARTIE – LE PROBLÈME FONCIER : UNE HAUSSE EXORBITANTE DES PRIX ENTRETENUE PAR LES DYSFONCTIONNEMENTS D’UN MARCHÉ OPAQUE 15
I. UN CONSTAT PARTAGÉ : LE FONCIER PEU ET MAL MOBILISÉ EST UN DES FACTEURS ESSENTIELS DU LOGEMENT RARE ET CHER 15
A. LE FONCIER REPRÉSENTE UNE PART CROISSANTE DU COÛT DU LOGEMENT 15
1. Le renchérissement du coût du foncier 15
a. L’ensemble du territoire français est touché par la hausse du coût du foncier 15
b. Des prix élevés malgré l’abondance du foncier potentiellement disponible 18
2. Le foncier occupe désormais une part prépondérante dans l’achat d’un patrimoine immobilier 19
a. Les liens entre le prix du logement et le prix du foncier 20
b. Le patrimoine foncier pèse lourd dans le PIB national 21
3. La spéculation foncière non maîtrisée aggrave les hausses de prix du foncier 23
a. La construction projetée d’équipements publics est un vecteur privilégié de spéculation foncière qui demande à être maîtrisée 23
b. Les phénomènes encore plus localisés de bulle foncière 24
B. LE FONCIER PRIVÉ DISPONIBLE REQUIERT UN EFFORT D’IDENTIFICATION ACCRU 25
1. La majorité du foncier disponible se trouve aujourd’hui dans le diffus. 25
2. Le foncier « d’occasion » est le principal gisement de foncier privé disponible, mais il est plus cher à mobiliser que le foncier « neuf » 26
II. UN MARCHÉ FONCIER ENCORE INSUFFISAMMENT STRUCTURÉ ET TRANSPARENT 28
A. L’IDENTIFICATION DU FONCIER MOBILISABLE NÉCESSITE DES OUTILS ADAPTÉS 28
1. Le repérage des terrains disponibles est globalement satisfaisant 28
a. Les établissements publics fonciers couvrent une vaste portion du territoire 29
b. Les établissements publics fonciers, chevilles ouvrières de l’observation foncière 31
c. Les observatoires locaux du foncier 32
2. La connaissance de toutes les servitudes et contraintes d’urbanisme applicables à une parcelle reste problématique 33
3. La numérisation et le croisement des contraintes d’urbanisme via Géoportail doit être accélérée 34
B. L’OPACITÉ DU MARCHÉ FONCIER EST UNE SOURCE D’INFLATION DES PRIX 35
1. Les transactions foncières manquent de transparence et d’objectivité 35
2. Le manque de transparence peut inciter les propriétaires fonciers à surévaluer leurs biens 38
C. AMÉLIORER ET ÉLARGIR L’ACCÈS À L’INFORMATION SUR LES TRANSACTIONS FONCIÈRES 39
III. DES BLOCAGES D’ORDRE POLITIQUE ET SOCIAL 40
A. LES RÉTICENCES POLITIQUES ET SOCIALES AUTOUR DE LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS 40
1. Un discours hostile aux nouvelles constructions se développe dans certains territoires 40
2. Les communes bâtisseuses se heurtent au coût des équipements publics 41
a. Soutenir les communes bâtisseuses via des aides financières 42
b. Encourager et faciliter l’utilisation des projets urbains partenariaux (PUP) 42
3. L’État doit jouer un rôle de médiation ou de substitution face à certains blocages 43
B. LES RECOURS CONTENTIEUX : SOURCE DE BLOCAGE ET DE RENCHÉRISSEMENT DU COÛT DES OPÉRATIONS 44
1. L’incidence des recours abusifs et dilatoires sur les opérations de construction de logements 45
a. Les préconisations du rapport « Labetoulle » prises en compte par l’ordonnance du 18 juillet 2013 et par la loi dite Macron 45
b. Les efforts entrepris par la juridiction administrative sont à poursuivre 49
c. Le ressenti partagé par les acteurs de la construction dénote avec les faits 51
2. Écarter plus rapidement les recours abusifs et encadrer davantage l’intérêt à agir dans le respect du droit au recours 52
DEUXIÈME PARTIE – ALLIER L’URBANISME OPÉRATIONNEL ET LA FISCALITÉ POUR MOBILISER DU FONCIER CONSTRUCTIBLE 55
I. INSTAURER UNE FISCALITÉ PLUS INCITATIVE POUR UTILISER LES TERRAINS DANS UN OBJECTIF D’INTÉRÊT GÉNÉRAL 55
A. LE SYSTÈME FISCAL ACTUEL ENCOURAGE LA RÉTENTION DU FONCIER CONSTRUCTIBLE 55
1. Un déséquilibre marqué entre la taxation du stock et du flux 55
a. La taxe foncière sur les propriétés non bâties repose sur une assiette dépassée 55
b. Le régime d’imposition des plus-values immobilières n’incite pas les propriétaires à vendre 59
2. Les abattements exceptionnels destinés à créer un « choc d’offre » sont inefficaces 61
3. L’instabilité fiscale pousse les propriétaires fonciers à l’immobilisme 63
B. LA FISCALITÉ DU FONCIER DOIT FAIRE L’OBJET D’UNE REFONTE GLOBALE DANS LE CADRE D’UNE LOI FISCALE SPÉCIFIQUE 64
1. Fonder la taxe foncière sur les propriétés non bâties sur la valeur vénale des terrains 64
2. Baisser l’imposition des plus-values immobilières et la rendre neutre dans le temps 65
3. Généraliser les mécanismes d’exonération ou de report d’imposition en cas de réinvestissement dans la construction de logements 66
4. Réformer dans le cadre d’une loi de programmation relative à la fiscalité des terrains à bâtir 67
II. RENFORCER LE CARACTÈRE OPÉRATIONNEL DES DOCUMENTS D’URBANISME ET DES OUTILS FONCIERS 68
A. LES PLANS LOCAUX D’URBANISME NE SONT PAS DES DOCUMENTS SATISFAISANTS 68
1. Les PLU demeurent des documents limitatifs dont l’application est incertaine 68
2. Le PLU doit être plus exécutoire 70
a. Généraliser les règles minimales de densité 70
b. Créer des « zones de mobilisation foncière » 72
c. Favoriser la délivrance des permis de construire à l’échelle intercommunale 74
3. L’articulation entre le programme local de l’habitat et les plans locaux d’urbanisme doit être améliorée 75
a. Les objectifs du PLH sont rarement respectés 75
b. Permettre au PLH d’imposer des servitudes 77
c. Généraliser la fixation de plafonds de charges foncières dans le cadre des aides à la pierre 78
d. Assurer un contrôle plus strict et régulier de l’État 79
B. LES OUTILS FONCIERS À LA DISPOSITION DES COLLECTIVITÉS SONT NOMBREUX MAIS INSUFFISAMMENT UTILISÉS 79
1. La palette d’outils et de moyens juridiques permettant aux pouvoirs publics d’acquérir du foncier est large 79
2. L’utilisation de l’expropriation pour la construction de tous types de logements dans le diffus doit être facilitée 81
C. LES MÉCANISMES DE DISSOCIATION REPOSANT SUR UNE PROPRIÉTÉ PUBLIQUE DU FONCIER DOIVENT ÊTRE ENCOURAGÉS 81
1. La dissociation de la propriété du foncier et du bâti se heurte à la culture française de la propriété 81
2. Les projets de dissociation reposant sur une propriété publique permettent de sécuriser les aides en faveur du logement abordable 83
TROISIÈME PARTIE – UNE NOUVELLE AMBITION POUR MOBILISER LE FONCIER UTILE PORTÉE PAR UNE ÉVOLUTION DU DROIT ET DES PRATIQUES 87
CONCLUSION 93
TRAVAUX DE LA COMMISSION 95
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 105
LISTE DES DÉPLACEMENTS 108
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS
Identifier le foncier disponible et en finir avec un marché opaque
1. Systématiser les études foncières bien en amont des projets structurants, dans un périmètre suffisamment large autour de ces projets afin d’anticiper la hausse des prix et d’engager les outils permettant de partager la valeur ajoutée créée par des investissements publics. L’État doit veiller à ce que les collectivités territoriales s’engagent dans cette démarche.
2. Faciliter les procédures d’acquisition de parts de terrains indivis sans maître par les collectivités territoriales ou par leur délégataire.
3. Engager rapidement avec des collectivités volontaires la création d’associations foncières urbaines de projet (AFUP) issues de la loi ALUR et le lancement d’opérations de remembrement significatives par des AFU constituées d’office (AFUO).
4. Encourager les métropoles ou les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris à passer, en lieu et place des communes, des conventions avec les établissements publics fonciers existant sur leur territoire, afin d’optimiser et de rationaliser l’action de portage foncier au service du logement et de l’emploi.
5. Accélérer la mise en place de l’application « Géoportail de l’urbanisme » pour faciliter l’accès dématérialisé aux contraintes et servitudes d’urbanisme. S’assurer que toutes les contraintes d’urbanisme seront croisées à la parcelle afin de créer une véritable fiche d’identité des sols.
6. Rendre obligatoire la communication des motivations des évaluations du service des Domaines et instaurer des échanges réguliers entre les professionnels de l’expertise foncière et le service des Domaines.
7. Généraliser la création d’observatoires du foncier à l’échelle de la métropole, chargés d’analyser et de diffuser auprès du grand public les prix des transactions foncières à partir des données notariales et fiscales.
8. Instituer des médiateurs régionaux de la construction de logements, nommés par les préfets dans plusieurs régions tendues, notamment en
Provence-Alpes-Côte d’Azur.
9. Développer en régions la logique des opérations d’intérêt national (OIN) et des contrats d’intérêt national (CIN) en cas de projet structurant d’envergure nationale, de blocage manifeste des projets de construction et d’aménagement ou de désaccord persistant entre les différents niveaux de collectivités.
Améliorer le traitement des recours
10. Rendre obligatoire la cristallisation des moyens demandée par les parties à partir d’une date donnée et ouvrir l’initiative de cette procédure au juge.
11. Encadrer le délai de transmission par les parties des pièces demandées par le juge, sous peine de clôture de la procédure, et accorder de droit la fixation d’une date d’audience.
12. Obliger les tribunaux administratifs à informer les parties sur l’intérêt et l’objet de la médiation et à leur proposer d’y avoir recours avant de se lancer dans une procédure contentieuse. Encourager les tribunaux administratifs, les collectivités et les barreaux à conclure des chartes éthiques et des conventions organisant le règlement amiable.
Allier l’urbanisme opérationnel et la fiscalité pour mobiliser du foncier constructible
13. Avant toute évolution de la fiscalité immobilière, calculer le point de basculement qui rend le dispositif au minimum neutre pour les finances publiques.
14. Calculer la taxe foncière des terrains constructibles sur la base de leur valeur vénale, après avoir mis en place des observatoires locaux du foncier et des territoires d’expérimentation.
15. Baisser le taux d’imposition des plus-values immobilières de cessions de terrains à bâtir et appliquer des abattements fondés sur le seul taux d’inflation entre l’acquisition et la cession, à la fois sur l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux.
16. Généraliser l’exonération et le report d’imposition dans le cadre de réinvestissements pour la construction de logements.
17. Réformer la fiscalité des terrains à bâtir dans le cadre d’une loi de programmation fiscale spécifique et accompagner cette réforme d’un effort de pédagogie important.
18. Généraliser l’inscription dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) de règles minimales de densité, d’emprise au sol ou de hauteur pour les projets comportant des logements.
19. Permettre aux collectivités territoriales de mettre en place des « zones de mobilisation foncière » à l’intérieur desquelles sont recherchés les terrains constructibles sans occupant manifestement insuffisamment construits en vue d’utiliser, dans un certain délai, leurs possibilités à des fins d’intérêt public.
20. Obliger chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière de plan local d’urbanisme à créer un service mutualisé d’instruction des demandes de permis de construire au niveau intercommunal.
21. Permettre aux programmes locaux de l’habitat (PLH) d’imposer la création de servitudes de mixité sociale et d’emplacements réservés pour le logement dans les PLU.
22. Rendre obligatoire la fixation de plafonds de charges foncières en contrepartie des aides à la pierre en faveur du logement social.
23. Inciter les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État à utiliser davantage les zones d’aménagement différé (ZAD) et les déclarations d’utilité publique (DUP) « réserves foncières ».
24. Garantir, par la loi, la reconnaissance de l’utilité publique à toute opération de construction de logements répondant aux objectifs fixés par les PLH dans les zones tendues.
25. Encourager la création d’organismes de foncier solidaire dans toutes les zones tendues afin de pérenniser l’utilisation sociale des aides publiques en faveur de l’accession à la propriété.
26. Flécher une partie des fonds des contrats vie-génération vers les organismes de foncier solidaire ou toute autre société foncière pratiquant la dissociation.
Une nouvelle ambition portée par une évolution du droit et des pratiques
27. Inscrire le droit au logement dans la Constitution.
28. Ajouter dans le code de l’urbanisme le principe selon lequel la valeur créée par une collectivité déclarant un terrain constructible ou réalisant des équipements et infrastructures divers à proximité ne peut être entièrement captée par une personne privée.
29. Étendre le principe de la dation foncière aux relations entre un particulier et les collectivités, notamment pour le paiement des droits de mutation ou de la taxe forfaitaire sur les terrains devenus constructibles.
30. Engager un recensement national, dans les zones tendues, des quartiers anciens dégradés au foncier potentiellement mutable et lancer un appel à projet afin de recycler le foncier disponible dans des objectifs de mixité d’habitats.
« Le territoire français est le patrimoine commun de la Nation. »
Article L. 101-1 du code de l’urbanisme
« J’ai lentement découvert qu’il (le problème foncier) était le problème politique le plus significatif qui soit parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements. »
Edgard Pisani, Utopie foncière, 1977
L’oxymore de la « crise qui dure » dans le domaine du logement ne trouve pas son origine dans le seul coût du foncier. D’autres facteurs entrent aussi en jeu, en particulier les taux des crédits bas et les durées de remboursement allongées qui, paradoxalement, engendrent une hausse des prix sur la totalité des biens, mais aussi la superposition des normes de construction ou l’environnement économique général. Néanmoins, la rareté du foncier dans les zones tendues ainsi que le peu de maîtrise publique sur les prix des logements, cela tant dans l’accession à la propriété que dans le locatif, engendrent des phénomènes auto-entretenus : dans un sens, le logement doit être commercialisé cher car le prix du terrain est élevé et, dans l’autre sens, le terrain peut être acheté cher, car l’insuffisance de logements pour de nombreuses familles permet de vendre des biens à un prix élevé.
Dans son ouvrage Utopie foncière datant du milieu des années soixante-dix, et rappelant à plusieurs reprises l’analogie entre l’utilisation nécessaire des terres agricoles pour nourrir et la tout aussi nécessaire mobilisation du foncier pour construire, Edgard Pisani, fort de son passé professionnel et de sa double expérience de ministre de l’agriculture, puis de l’aménagement et du logement, nous mettait clairement en garde sur les phénomènes... que nous avons connus depuis : « À force d’être privative, la propriété devient négative. ».
Loin de la volonté de l’auteur de ce rapport de vouloir en finir avec le droit de propriété ! Il est essentiel à l’équilibre de notre société. Le sujet qui est posé ici est de savoir comment, sans spoliation aucune, lui mettre en regard un « droit à l’intérêt collectif » sur cet objet très particulier et auquel notre pays marque un attachement singulier, la terre.
De nombreuses études et rapports parlementaires ont déjà creusé cette question. À l’heure où le XXIe siècle semble se poser une nouvelle fois la question urbaine, de la place que chacun y trouve et occupe, les tensions de notre société sont le révélateur d’un débat qui sera sans doute le thème essentiel des échéances nationales de 2017 : voulons-nous, oui ou non, continuer de vivre ensemble, entre voisins, côte à côte avec nos différences sociales et culturelles, ou préférons-nous finalement un développement séparé des quartiers et de leurs habitants ?
La ghettoïsation de la société française « par le haut », qui trouve son ressort principal dans le domaine de l’habitat, n’est pas un phénomène nouveau (1). Mais ce phénomène prend aujourd’hui une résonance particulière par l’enchevêtrement d’inégalités qu’il produit : des inégalités à la fois intergénérationnelles où les jeunes ont un « pouvoir d’achat immobilier » divisé par deux en 15 ans, infra-générationnelles par la fragilité accrue des parcours professionnels, territoriales par des sentiments d’assignation à résidence dans certains quartiers, et enfin professionnelles par l’éloignement subi des lieux de vie et de travail et les difficultés de mobilité professionnelle induites. Cela dans le cadre d’une population française qui va continuer d’augmenter – et c’est un atout à moyen terme – et dont les besoins en logement par habitant augmentent eux aussi. Cette situation devrait inciter l’ensemble de notre pays et de ses responsables publics à décréter une mobilisation globale pour le logement.
En effet, le décrochage, depuis les années 2000, entre, d’une part, le prix des logements, dans l’accession comme dans la location, et, d’autre part, les revenus de nos concitoyens pèse sur les conditions de vie des ménages - pas uniquement les plus modestes – et met en difficulté de nombreuses entreprises de la filière du bâtiment. De plus, cette difficulté à se loger pour nombre d’habitants est un handicap pour la compétitivité de notre pays, en étant un frein à la mobilité professionnelle, une pression supplémentaire sur les salaires et les revenus des ménages et un manque de finances disponibles à injecter dans l’économie.
Engager une mobilisation effective pour construire en nombre des logements adaptés aux revenus des habitants est une priorité. Et cette priorité passe par une mise en mouvement du foncier constructible là où sont les besoins et en évitant tout étalement urbain anarchique. L’alternative est aisée à formaliser : se satisfaire ou, pire encore, encourager des phénomènes de repli sur soi, nuisibles à tous, qui amènent notamment à refuser toute construction dans certains quartiers, en particulier lorsqu’il s’agit de logements locatifs sociaux.
Construire des logements socialement accessibles au plus grand nombre et équitablement répartis sur le territoire est une nécessité, construire plus de logements, plus vite et moins cher, est un objectif réalisable. Devant l’éparpillement des responsabilités et la puissance financière de certaines activités à courte vue, seul l’État régulateur en lien avec des collectivités volontaires et matures, peut aujourd’hui tenir cette parole forte et déterminée. Dans le domaine du foncier, cela doit se traduire par une régulation d’un marché opaque et peu structuré, cause de bien des dysfonctionnements, et par une nouvelle organisation de l’action publique s’appuyant sur des moyens juridiques et financiers allant dans ce sens. L’objectif est de permettre un meilleur jeu des acteurs et une plus grande fluidité des transactions.
La mission a concentré ses travaux sur la mobilisation du foncier privé dans les parties de notre territoire qui connaissent un fort déséquilibre entre l’offre de logements disponibles et les possibilités financières des ménages d’y accéder. Les observations et préconisations qui figurent ici se limitent donc à ces zones très tendues qui doivent mériter une force d’action publique particulière et des moyens opérationnels différents de ceux applicables à l’ensemble du territoire national.
PREMIÈRE PARTIE
LE PROBLÈME FONCIER :
UNE HAUSSE EXORBITANTE DES PRIX ENTRETENUE PAR LES DYSFONCTIONNEMENTS D’UN MARCHÉ OPAQUE
I. UN CONSTAT PARTAGÉ : LE FONCIER PEU ET MAL MOBILISÉ EST UN DES FACTEURS ESSENTIELS DU LOGEMENT RARE ET CHER
A. LE FONCIER REPRÉSENTE UNE PART CROISSANTE DU COÛT DU LOGEMENT
Les enjeux de la question foncière sont doubles. Ils concernent, d’une part, la mise sur le marché, là où sont les besoins, de terrains en quantité suffisante pour répondre à la demande de construction de logements et, d’autre part, le maintien de prix compatibles avec le pouvoir d’achat des ménages. Or, depuis plus de dix ans, les évolutions des prix des terrains à bâtir dans les agglomérations sous tension pèsent de plus en plus sur le coût du logement et rendent la construction de logements abordables difficile.
1. Le renchérissement du coût du foncier
a. L’ensemble du territoire français est touché par la hausse du coût du foncier
Le prix des terrains, en particulier des terrains à bâtir, n’a cessé de croître ces dix dernières années, toutes régions confondues. Acheter un terrain en France devient de plus en plus onéreux et son prix peut être un facteur de renonciation pour un acheteur potentiel, qu’il s’agisse d’une personne privée par manque de moyens financiers ou d’un opérateur porteur d’un projet de construction par défaut de rentabilité.
Plusieurs enquêtes sur les prix du foncier ont mis en avant cette hausse des prix généralisée. L’enquête sur le prix des terrains à bâtir (EPTB) (2), menée par le Commissariat général au développement durable (CGDD) depuis 2006, permet d’appréhender la formation des prix et, en particulier, le partage entre le foncier et la construction dans le coût d’une opération immobilière. Un des apports de l’enquête est de démontrer que, sur la période 2006-2014, la hausse du coût du foncier est plus marquée que celle des coûts de construction. L’acquisition d’un terrain représente désormais environ un tiers de l’investissement immobilier.
Selon l’association CLCV (3), après exploitation des données de l’enquête sur le prix des terrains à bâtir, le coût du foncier augmente trois fois plus vite que le coût du logement. Le prix moyen d’un mètre carré de terrain en France s’est accru de 71 % entre 2006 et 2014, passant de 46 euros à 79 euros, quand le prix moyen du mètre carré bâti n’a augmenté « que » de 26 %, passant de 1 031 euros en 2006 à 1 306 euros en 2014 (4).
Les données étant recueillies à l’échelle régionale (sur la base des périmètres des régions existant avant le 1er janvier 2016), l’enquête démontre qu’il existe toutefois des disparités entre les territoires. Comme illustré dans le tableau ci-contre, la localisation du terrain reste un facteur déterminant du prix.
ÉVOLUTION DES PRIX DES TERRAINS ENTRE 2006 ET 2014
2006 |
2014 |
2006-2014 | |||||
Régions |
Surface moyenne du terrain en m2 |
Prix moyen du terrain en euros/m2 |
Prix moyen du terrain en euros |
Surface moyenne du terrain en m2 |
Prix moyen du terrain en euros / m2 |
Prix moyen du terrain en euros |
Évolution du prix moyen du terrain en euros / m2 |
Alsace |
862 |
88 |
75 635 |
778 |
118 |
91 599 |
+ 34 % |
Aquitaine |
1 799 |
31 |
55 727 |
1 235 |
63 |
77 715 |
+ 103 % |
Auvergne |
1 463 |
24 |
34 949 |
1 211 |
42 |
50 643 |
+ 75 % |
Basse-Normandie |
1 690 |
21 |
36 249 |
1 094 |
47 |
51 895 |
+ 123 % |
Bourgogne |
1 508 |
24 |
36 850 |
1 247 |
42 |
52 669 |
+ 103 % |
Bretagne |
1 080 |
42 |
44 946 |
719 |
78 |
56 362 |
+ 85 % |
Centre-Val de Loire |
1 357 |
33 |
44 944 |
988 |
60 |
59 182 |
+ 81 % |
Champagne-Ardenne |
1 193 |
33 |
38 961 |
1 038 |
53 |
54 610 |
+ 61 % |
Corse |
1 990 |
34 |
68 202 |
1 343 |
70 |
93 513 |
+ 105 % |
Franche-Comté |
1 379 |
29 |
39 395 |
1 128 |
52 |
58 340 |
+ 79 % |
Haute-Normandie |
1 463 |
32 |
46 625 |
1 147 |
54 |
62 191 |
+ 69 % |
Île-de-France |
871 |
177 |
153 829 |
669 |
218 |
145 836 |
+ 23 % |
Languedoc Roussillon |
943 |
93 |
87 621 |
705 |
127 |
89 254 |
+ 37 % |
Limousin |
2 075 |
12 |
25 344 |
1 743 |
20 |
34 814 |
+ 67 % |
Lorraine |
1 149 |
41 |
46 758 |
936 |
70 |
65 524 |
+ 70 % |
Midi-Pyrénées |
1 849 |
32 |
58 719 |
1 291 |
54 |
70 024 |
+ 69 % |
Nord-Pas-de-Calais |
1 186 |
47 |
56 155 |
823 |
84 |
69 235 |
+ 79 % |
Pays de la Loire |
1 043 |
45 |
46 985 |
755 |
81 |
60 946 |
+ 80 % |
Picardie |
1 208 |
41 |
49 344 |
919 |
65 |
59 440 |
+ 59 % |
Poitou-Charentes |
1 393 |
27 |
37 302 |
942 |
54 |
50 859 |
+ 100 % |
PACA |
1 528 |
97 |
147 840 |
1 089 |
136 |
148 677 |
+ 40 % |
Rhône-Alpes |
1 262 |
71 |
89 536 |
947 |
108 |
102 307 |
+52 % |
DOM |
1 287 |
75 |
95 906 |
837 |
113 |
94 214 |
+ 51 % |
France entière |
1 332 |
46 |
61 065 |
969 |
79 |
76 551 |
+ 76 % |
Source : MEEDDM/SOeS/Enquête EPTB.
Toutes les régions ont vu les prix au mètre carré des terrains augmenter entre 2006 et 2014 dans des proportions différentes : d’une hausse de « seulement » 23 % en Île-de-France (mais avec une valeur trois fois supérieure à la moyenne nationale), de 40 % en Provence–Alpes-Côte d’Azur, de 52 % en Rhône-Alpes, de 80 % dans le Nord-Pas-de-Calais et en allant jusqu’à 123 % en Basse-Normandie. De plus, cette augmentation est généralisée puisqu’elle concerne les zones tendues comme celles qui le sont moins, avec des écarts à la moyenne qui ont peu évolué.
Sans conteste, les disparités entre les types de territoires, urbains ou ruraux, sont également très marquées. Pour les particuliers ayant acheté un terrain en 2014 en vue de la construction d’une maison individuelle, le prix moyen du mètre carré de terrain s’établit à 79 euros, mais varie sur l’ensemble du territoire de 47 euros en zone rurale à 310 euros dans l’aire urbaine francilienne (5). Le coût du foncier explique l’essentiel de la différence dans les coûts totaux moyens des logements entre les régions les plus chères et les moins chères.
b. Des prix élevés malgré l’abondance du foncier potentiellement disponible
Une conclusion fréquente est que la hausse du prix du foncier est liée à la rareté du foncier disponible. Or, l’enjeu ne réside pas tant dans l’existence ou non de terrains, mais dans leur disponibilité effective sur le marché. En effet, comme le souligne Joseph Comby (6), la surface du territoire est une donnée qui ne diminue pas lorsque les prix montent et qui n’augmente pas quand ils baissent.
Le « marché de l’espace » n’est pas régi par le jeu de l’offre et de la demande. La valeur vénale d’un terrain ne dépend que de la compétition entre les acquéreurs potentiels. La valeur finale sera celle de l’acquéreur prêt à offrir le prix le plus élevé, qui est fonction de son usage futur.
Sans incitation publique, juridique ou fiscale, à céder son bien, et donc sans volonté de régulation publique au nom de l’intérêt général dans les zones où le besoin de construire des logements abordables est criant, le propriétaire foncier est placé dans une position dominante face à une multitude d’acquéreurs, actuels comme potentiels, à court comme à moyen termes. Dans une situation de forte demande, il choisira, et on ne peut l’en blâmer, l’acheteur le plus offrant. Cela peut entraîner à la fois un effet inflationniste sur les prix des logements (le porteur d’un projet de construction sera prêt à acheter cher un terrain tant qu’il pensera avoir un acquéreur du bien bâti), et, en même temps, un effet d’éviction des ménages à revenus moyens ou modestes de quartiers où le foncier a fortement augmenté.
Par ailleurs, cette position dominante incite un propriétaire à pratiquer une forme de rétention foncière. Un terrain étant un bien qui ne se dégrade pas ou très peu avec le temps et le portage de ce foncier étant jusqu’à présent peu coûteux, un propriétaire-vendeur peut toujours espérer que des acquéreurs seront prêts, dans un futur plus ou moins proche, à offrir un prix nettement plus élevé que ce qu’il peut obtenir aujourd’hui. À l’exception des zones les plus urbanisées, il peut donc exister un gisement foncier techniquement et juridiquement urbanisable que les propriétaires ne mettent cependant pas sur le marché.
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement moral sur une attitude patrimoniale de la part de propriétaires de terrains utiles qui, bien souvent, agissent « en bons pères de famille » dans la gestion de leurs biens. L’objectif de notre mission est justement de mettre en évidence les mécanismes individuels et collectifs en jeu et de proposer des politiques publiques adéquates là où se trouvent les besoins, cela afin d’inciter dans un but d’intérêt général à la libération de ce foncier potentiellement disponible.
2. Le foncier occupe désormais une part prépondérante dans l’achat d’un patrimoine immobilier
Toute opération immobilière implique un coût de réalisation qui se décline en plusieurs coûts incompressibles dont fait partie l’acquisition du terrain. Or, le foncier représente une part croissante des coûts de production des logements, allant jusqu’à plus de 45 % de ce coût dans certaines zones urbaines denses, comme l’Île-de-France ou la région PACA, comme l’illustre le tableau suivant.
PART DU FONCIER DANS LE COÛT TOTAL D’UNE ACQUISITION IMMOBILIÈRE EN 2014
Régions |
Surface moyenne du terrain en m2 |
Prix moyen du terrain en euros |
Surface moyenne de la maison en m2 |
Prix moyen de la maison en euros |
Coût total en euros |
Taux d’effort foncier (en %) |
Alsace |
778 |
91 599 |
154 |
222 575 |
314 174 |
29 |
Aquitaine |
1 235 |
77 715 |
121 |
153 408 |
231 123 |
34 |
Auvergne |
1 211 |
50 643 |
123 |
159 345 |
209 988 |
24 |
Basse-Normandie |
1 094 |
51 895 |
120 |
148 633 |
200 528 |
26 |
Bourgogne |
1 247 |
52 669 |
124 |
152 022 |
204 691 |
26 |
Bretagne |
719 |
56 362 |
121 |
159 420 |
215 782 |
26 |
Centre-Val de Loire |
988 |
59 182 |
123 |
143 579 |
202 761 |
29 |
Champagne-Ardenne |
1 038 |
54 610 |
129 |
158 750 |
213 360 |
26 |
Corse |
1 343 |
93 513 |
125 |
191 715 |
285 228 |
33 |
Franche-Comté |
1 128 |
58 340 |
131 |
182 428 |
240 768 |
24 |
Haute-Normandie |
1 147 |
62 191 |
121 |
143 989 |
206 180 |
30 |
Île-de-France |
669 |
145 836 |
127 |
178 341 |
324177 |
45 |
Languedoc Roussillon |
705 |
89 254 |
117 |
139 496 |
228 750 |
39 |
Limousin |
1 743 |
34 814 |
119 |
147 274 |
182 088 |
19 |
Lorraine |
936 |
65 524 |
140 |
179 999 |
245 523 |
27 |
Midi-Pyrénées |
1 291 |
70 024 |
120 |
152 182 |
222 206 |
32 |
Nord-Pas-de-Calais |
823 |
69 235 |
127 |
159 298 |
228 533 |
30 |
Pays de la Loire |
755 |
60 946 |
116 |
155 671 |
216 617 |
28 |
Picardie |
919 |
59 440 |
118 |
141 936 |
201 376 |
30 |
Poitou-Charentes |
942 |
50 859 |
116 |
146 825 |
197 684 |
26 |
PACA |
1 089 |
148 677 |
124 |
178 527 |
327 204 |
45 |
Rhône-Alpes |
947 |
102 307 |
125 |
177 772 |
280 079 |
37 |
DOM |
837 |
94 214 |
104 |
126 505 |
220719 |
43 |
France entière |
969 |
76 551 |
122 |
159 435 |
235986 |
32 |
Source : MEEDDM/SOeS/Enquête EPTB.
Néanmoins, le raisonnement selon lequel la hausse des prix du foncier entraîne la hausse des prix du logement est à nuancer. En réalité, le lien de cause à effet entre le prix du foncier et le prix du logement n’est pas à sens unique.
a. Les liens entre le prix du logement et le prix du foncier
Le lien entre le renchérissement du foncier et la hausse du prix des logements s’explique par la méthode dite du « compte à rebours » selon laquelle le prix des logements ne résulte pas du prix des terrains. C’est dans les faits la valeur de l’immobilier qui détermine le prix des terrains, avec un effet de levier ou un effet de cliquet.
LOGIQUE DU COMPTE À REBOURS (7)
Pour savoir si une opération immobilière est réalisable, l’acheteur-promoteur raisonne sous une forme de compte à rebours. Il estime en premier le prix de sortie de l’opération, soit le prix de vente espéré de la construction, puis évalue les différents coûts de réalisation :
– les coûts de structure et ses frais divers (techniques, financiers, commercialisation) ;
– les coûts de construction (matériaux et main-d’œuvre) ;
– la charge foncière, laquelle englobe le prix du terrain.
Le montant de la charge foncière acceptable est donc un résidu de la différence entre le prix de sortie et les autres coûts incompressibles. Une fois l’ensemble de ces postes déduits du prix de sortie espéré, le montant restant peut être consacré à l’acquisition du terrain.
À partir de cette logique, un effet de levier des prix de l’immobilier sur les prix du foncier peut être décelé. En phase ascendante du cycle, la hausse du prix du foncier est plus ample que celle de l’immobilier, du fait de la compétition qui se met en place sur les terrains potentiellement disponibles et du mécanisme du compte à rebours. A contrario, lorsque le prix de l’immobilier baisse, le prix du foncier baisse, mais dans une moindre mesure. En effet, les propriétaires fonciers acceptant rarement d’enregistrer une chute significative du prix de leur terrain, survient alors un effet de cliquet, sur les prix et même parfois sur l’effectivité des transactions. Le foncier joue donc à la fois le rôle d’accélérateur de la hausse des prix de l’immobilier lorsque le marché est en phase ascendante et de frein de la baisse des prix lorsque le marché est en phase descendante.
Ces effets peuvent toutefois être atténués par des politiques publiques volontaires, comme les servitudes de mixité sociale, visant à encadrer les prix de sortie des logements.
b. Le patrimoine foncier pèse lourd dans le PIB national
La hausse des valeurs foncières depuis le début des années 2000 s’observe dans les comptes de patrimoine publiés par l’INSEE. La valeur de l’ensemble du patrimoine foncier et, en particulier, la valeur des terrains bâtis ou aménagés, ont connu une augmentation exponentielle (8). En 2013, cette « bulle foncière » représentait 255 % du PIB alors qu’elle représentait moins de 50 % du PIB jusqu’en 1997.
Source : INSEE / Le logement malade du foncier, Joseph Comby.
Fin 2014 (9), le patrimoine national est essentiellement composé de biens immobiliers. En effet, les constructions et les terrains représentent 83 % des 13 000 milliards d’euros du patrimoine total, soit près de 11 000 milliards d’euros dont 4 100 milliards d’euros en logements et 4 800 milliards d’euros en terrains bâtis (10). Les ménages possèdent, à eux seuls, 3 400 milliards d’euros en logements et 3 000 milliards d’euros en terrains bâtis.
Parmi les biens immobiliers, la part du foncier a radicalement changé. Alors que la valeur globale du foncier bâti ne représentait que 17 % de la valeur de l’immobilier en 1998, cette part a bondi jusqu’à 50 % en 2006-2007 et n’a connu qu’une faible érosion depuis.
3. La spéculation foncière non maîtrisée aggrave les hausses de prix du foncier
a. La construction projetée d’équipements publics est un vecteur privilégié de spéculation foncière qui demande à être maîtrisée
La vente d’un terrain ne peut se réaliser que s’il y a une rencontre entre deux valeurs, celle que lui attribue le vendeur et celle qu’en entrevoit l’acquéreur (11). En effet, le vendeur perçoit une valeur du terrain correspondant à l’utilité ou les revenus, actuels et futurs, que lui procure ce dernier augmentée de ce qu’il aurait à verser, par exemple en loyers, pour remplir une fonction équivalente, et diminuée des frais et taxes afférents. De son côté, l’acquéreur en voit une valeur, différente, suivant le projet qu’il porte sur ce terrain, valeur déduite des coûts nécessaires à sa réalisation effective. Si la rencontre entre ces deux valeurs n’a pas lieu, le terrain n’a simplement pas de prix... puisqu’il n’est pas vendu ! Dans ce cas, il a au moins deux valeurs estimées assez différentes !
En plus de celles-ci, les acteurs se positionnent aussi suivant la prévision qu’ils font de la variation à la hausse ou à la baisse du prix de ces terrains. Cette spéculation sur les évolutions à venir dépend de faits objectifs permettant de prévoir une hausse ou une baisse, mais aussi du degré d’engagement des acteurs envers ces terrains. Si un propriétaire n’a pas la nécessité de vendre, il a un atout bien supérieur à l’acquéreur potentiel qui est souvent dans l’urgence d’acheter pour engager réellement son projet, obtenir le soutien des banques, mobiliser ses équipes et les sous-traitants nécessaires.
Dans ce cadre, la variation de la valeur d’un terrain au cours du temps est pour beaucoup dépendante de décisions publiques, la première d’entre-elles étant d’obtenir des droits à construire sur un terrain qui en était dépourvu précédemment. En outre, la construction, ou l’anticipation de construction d’équipements ou d’aménagements publics jouent à la hausse sur la valeur du terrain pour son propriétaire. Ce phénomène peut également se produire lors d’opérations privées d’aménagement si celles-ci amènent de la valeur ou des commodités dans le quartier, des opérations privées qui nécessitent généralement un accompagnement des pouvoirs publics. On observe ainsi presque systématiquement une hausse importante de la valeur attendue par un propriétaire lorsque, par exemple, est annoncée à proximité la création d’une gare, d’un nouveau réseau de transports ou d’un établissement scolaire. Cette anticipation à la hausse par le propriétaire peut engendrer une déconnexion avec la valeur établie par l’acheteur potentiel, lequel ne valorise pas de la même manière les aménagements à venir. Ce sujet pose donc la question de la captation par un particulier des retombées des investissements de la collectivité et donc la nécessité de maîtriser bien en amont les prix et de partager les évolutions parfois substantielles de la valeur ajoutée.
Ainsi toute opération d’aménagement devrait être précédée d’une étude foncière dans son environnement proche afin de limiter la spéculation à la hausse, comme cela a été fait en partie dans le cadre du futur réseau de transports Grand Paris. Cette logique devrait permettre alors d’agir par des outils publics adaptés, en lien avec des opérateurs privés, afin d’être dans un rapport « gagnant-gagnant » : gagnant pour le propriétaire d’un terrain peu ou pas construit qui verra la valeur de son bien augmenter par l’investissement de la collectivité, gagnant pour l’intérêt général afin de maîtriser l’intensification urbaine qui en découlera en termes de qualité des projets et de prix des logements.
Proposition : Systématiser les études foncières bien en amont des projets structurants, dans un périmètre suffisamment large autour de ces projets afin d’anticiper les évolutions à la hausse et d’engager les outils permettant de partager la valeur ajoutée créée par des investissements publics. L’État doit veiller à ce que les collectivités territoriales s’engagent dans cette démarche.
b. Les phénomènes encore plus localisés de bulle foncière
Dans certaines parties du territoire, en particulier dans les tissus urbains denses tels que les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte-d’Azur où le foncier disponible et constructible se fait rare, un phénomène aggravé de bulle foncière est également observé. Les prix pratiqués sur ces marchés sont totalement déconnectés de l’évolution des variables déterminantes de l’économie (prix, croissance, masse monétaire, revenus, taux d’intérêt).
Cet état de fait est relativement récent puisque pendant toute la seconde moitié du XXe siècle, les prix de l’immobilier, rapportés à ceux du revenu disponible des ménages, ont connu des oscillations assez bien contrôlées de l’ordre de 10 % autour d’une moyenne (12). Cette tendance, qualifiée par Jacques Friggit de « tunnel », encadrait, jusque dans les années 2000, le rapport entre les prix de l’immobilier et les revenus (13).
Le phénomène de bulle foncière est aggravé par des comportements mimétiques de la part d’acheteurs potentiels, lesquels anticipent la poursuite de la hausse des prix sans fondement rationnel. L’imperfection des marchés fonciers, notamment le manque d’information sur les terrains constructibles et les prix des transactions passées, alimente la bulle foncière.
Une amélioration du fonctionnement du marché foncier, en particulier par un accès à l’information, allant de pair avec une volonté de régulation dans le cadre d’objectifs d’intérêt général, permettra donc de minimiser les risques de spéculation et de bulle foncière.
B. LE FONCIER PRIVÉ DISPONIBLE REQUIERT UN EFFORT D’IDENTIFICATION ACCRU
1. La majorité du foncier disponible se trouve aujourd’hui dans le diffus.
Les gisements de foncier constructible dans les zones tendues se trouvent aujourd’hui essentiellement dans le secteur diffus dans la mesure où les stratégies de densification et de « construction de la ville sur la ville » sont privilégiées.
Même à Montpellier, ville confrontée à une forte croissance démographique, mais qui s’est aussi engagée de longue date dans une expansion urbaine maîtrisée, 50 % de la construction de logements se réalise dans le diffus, c’est-à-dire dans des secteurs déjà urbanisés où les parcelles de foncier mobilisables sont de petites tailles. Les 50 % restants sont construits dans le cadre de grandes opérations d’aménagement de type ZAC. Les opérations dans le diffus peuvent concerner à la fois des terrains nus en zone urbaine (de type « dents creuses ») ou des terrains bâtis pouvant faire l’objet d’une densification.
La mobilisation de foncier dans le diffus requiert dès lors un travail d’identification et de recensement à une échelle très fine. Ces terrains sont fréquemment morcelés, voire occupés, ce qui rend leur identification difficile.
Dans le secteur foncier diffus, les propriétaires de terrains et les promoteurs immobiliers doivent également régulièrement faire face au problème de l’indivision. Sur ces terrains indivis, plusieurs personnes sont collectivement propriétaires d’un même bien sûr lequel elles exercent des droits de même nature, sans avoir forcément la même stratégie patrimoniale et, même, parfois, au fil des successions, sans vraiment savoir qu’elles en sont propriétaires. Les opérateurs immobiliers constatent alors des blocages liés à l’acquisition de biens indivis, en l’absence d’accords des co-indivisaires ou d’identification des propriétaires. Les procédures à mettre en place, complexes, longues et parfois contentieuses, sont des obstacles supplémentaires à la disponibilité du foncier.
Pour désamorcer les situations complexes propres au secteur du foncier diffus, l’anticipation et l’identification foncière sont des conditions essentielles de la libération des terrains disponibles dans les zones tendues. Concernant les terrains indivis, la prise de décision à l’unanimité, hors exception, étant source de blocage, il conviendrait de simplifier la procédure d’acquisition des terrains sans maître et de permettre, en cas d’accord d’une majorité de co-indivisaires, d’autoriser la cession sans intervention du juge judiciaire, selon le Syndicat national des aménageurs lotisseurs (SNAL), auditionné par la mission.
Proposition : Faciliter les procédures d’acquisition de parts de terrains indivis sans maître par les collectivités territoriales ou par leur délégataire (Article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques).
2. Le foncier « d’occasion » est le principal gisement de foncier privé disponible, mais il est plus cher à mobiliser que le foncier « neuf »
Les politiques foncières locales actuelles privilégient le renouvellement et le recyclage urbains pour éviter la poursuite de l’étalement urbain. Depuis la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), de nombreuses dispositions législatives et réglementaires ont encouragé les opérations de renouvellement urbain et ont rendu plus difficile les zones d’aménagement en périphérie en l’absence d’étude d’impact pour endiguer l’étalement urbain. Selon le rapport du groupe de travail « Objectifs 500 000 » (14), la reconstitution d’un stock de foncier constructible est donc un enjeu majeur en milieu urbain où les terrains vacants, immédiatement aménageables, se font rares.
En Île-de-France, entre 1982 et 2012, 66 % des logements construits découlent ainsi de processus de densification et de recyclage foncier (15). Sur 100 hectares de terrains détenus aujourd’hui par l’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF), 10 hectares de terrains seulement sont agricoles et 90 hectares de terrains sont déjà urbanisés. Sur ces 90 hectares, seulement 20 hectares de terrains sont nus contre 70 hectares de terrains déjà bâtis. Dans cette région très tendue, le marché du terrain à bâtir est donc essentiellement du foncier diffus et « d’occasion », c’est-à-dire qui a déjà fait l’objet d’une construction. Il peut s’agir de friches industrielles, d’anciennes zones d’activité commerciale, d’entrepôts désaffectés de quartiers anciens dégradés ou de bâtis manifestement sous-denses.
Cette stratégie centrée sur le foncier d’occasion est également très fréquente en région, comme à Saint-Nazaire où la mission a effectué un déplacement. La commune a choisi de concentrer son action pour les dix prochaines années, sur le renouvellement urbain, notamment de l’habitat privé ancien de centre-ville, ce qui engendre un coût supérieur pour la collectivité à celui de l’extension urbaine.
La réalisation de projets sur des terrains déjà bâtis génère, en effet, des surcoûts importants. Le foncier d’occasion est souvent un foncier complexe, occupé et parfois pollué. Les coûts induits afin de rendre utilisables les terrains pour de nouvelles constructions, tels que les coûts et délais d’éviction et de relogement, de remembrement et de recomposition de l’unité foncière, de dépollution et de démolition, jouent donc sur la difficulté à mobiliser rapidement du foncier et à un coût compatible avec le pouvoir d’achat des ménages.
Cette remise en l’état des terrains d’occasion augmente le coût des opérations par rapport à une extension en site vierge et minore de fait le montant que l’opérateur peut proposer au propriétaire du terrain. L’augmentation des prix de l’immobilier, venant de l’effet de levier sur la valeur du foncier (voir supra), rentabilise alors les opérations de démolition-restructuration sur ces terrains.
Ainsi, pour avoir une chance de succès, une opération de recyclage urbain, du fait de la sous-évaluation du surcoût engendré, doit être génératrice d’une plus-value significativement supérieure à ce qu’elle serait pour un terrain nu. Le risque est donc d’une contradiction entre les politiques qui visent à freiner les prix de l’immobilier en milieu urbain et celles qui cherchent à favoriser la « reconstruction de la ville sur la ville » plutôt que de l’étendre vers la périphérie (16). Aujourd’hui, seul un prix du foncier élevé peut rentabiliser une opération de restructuration-densification du foncier existant.
Pour autant, la limitation de l’étalement urbain est une nécessité afin de permettre des stratégies urbaines de développement durable et soutenable, mais aussi pour ne pas subir les surcoûts induits, financiers et sociaux, tels que ceux liés aux déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Aussi, pour sortir de cet étau, il est d’autant plus nécessaire de mettre en place des stratégies publiques cohérentes et les outils opérationnels adéquats permettant de libérer effectivement le foncier utile et de maîtriser au mieux les prix.
Une des perspectives qui pourrait être mise en place pour mieux utiliser le foncier d’occasion disponible à un coût moindre serait d’engager de manière plus volontaire des opérations de remembrement urbain, à l’image de ce qui a été entrepris sur les terres agricoles afin d’adapter et d’aménager la structure des terrains en vue de leur meilleure utilisation. Les associations foncières urbaines (AFU), collectivités de propriétaires, sont des outils trop peu utilisés, notamment parce qu’elles requièrent l’accord de l’unanimité des propriétaires (AFU libre) ou d’une partie significative d’entre eux (AFU autorisée) pour leur création. Leur objet est de faciliter le remembrement, le regroupement de parcelles, l’entretien des ouvrages d’intérêt collectif et la restauration immobilière.
L’article 163 de loi ALUR du 24 mars 2014 a créé l’AFU de projet (AFUP) destinée à permettre aux collectivités territoriales de définir un périmètre de projet au sein duquel les propriétaires sont incités à se regrouper. Il est trop tôt pour mesurer la manière dont les acteurs se saisiront de l’AFUP. Néanmoins, force est de constater que la nécessité d’une impulsion des propriétaires, eux-mêmes peu au fait des AFU et des moyens disponibles, n’a pas permis le développement du remembrement urbain ou de la réorganisation foncière.
En ce sens, l’État pourrait engager, en lien avec des collectivités volontaires, des opérations de remembrement significatives par des AFU constituées d’office (AFUO), dans des secteurs où la restructuration urbaine est à la peine et entraîne mécaniquement une hausse des prix du logement et du foncier. Rappelons que, dans ces cas, les propriétaires ne sont bien sûr pas spoliés de leurs biens, mais que l’AFU est créée à l’initiative du préfet, notamment lorsque l’état du parcellaire compromet la réalisation d’un plan d’urbanisme prévoyant une discipline particulière pour l’implantation et le volume des constructions. L’AFUO ne fait alors qu’obliger à la discussion partenariale.
Alors que dans beaucoup de quartiers pavillonnaires, la division parcellaire est peu maîtrisée et s’organise sans prise en compte de l’intérêt général par un phénomène « BIMBY » (Build in my backyard) incitant à la hausse des prix des terrains, le remembrement urbain d’intérêt collectif, plus couramment pratiqué à l’étranger, notamment en Allemagne et au Japon, doit être développé dans notre pays.
Proposition : Engager rapidement avec des collectivités volontaires la création d’AFU de projet (AFUP) issues de la loi ALUR et le lancement d’opérations de remembrement significatives par des AFU constituées d’office (AFUO).
II. UN MARCHÉ FONCIER ENCORE INSUFFISAMMENT STRUCTURÉ ET TRANSPARENT
A. L’IDENTIFICATION DU FONCIER MOBILISABLE NÉCESSITE DES OUTILS ADAPTÉS
Le foncier disponible étant désormais localisé essentiellement dans le diffus et dans des zones déjà bâties, son identification est essentielle. Plus que sa localisation, c’est cependant davantage la connaissance de son potentiel de constructibilité qui s’avère difficile pour les porteurs de projet. Or, les servitudes et les contraintes d’urbanisme qui pèsent sur ces terrains doivent être connues avant de réaliser une transaction immobilière, car ce qui peut être construit détermine le prix qu’un acheteur peut proposer.
1. Le repérage des terrains disponibles est globalement satisfaisant
À l’issue des auditions, un consensus a émergé sur l’absence de difficultés techniques majeures pour identifier les terrains constructibles. Le travail d’identification est jugé plutôt satisfaisant grâce aux observatoires régionaux du foncier, aux établissements publics fonciers (EPF) et grâce au travail de prospection engagé par les promoteurs. Toutefois, deux réserves sont à émettre. D’une part, l’ensemble du territoire n’est pas doté d’un EPF ou d’un observatoire régional du foncier. D’autre part, la collecte d’informations qui est faite sur le foncier diffus représente un coût important pour les promoteurs privés. Ce coût se répercute sur celui de la construction et donc sur celui du logement, d’autant que chaque promoteur le fait pour son compte et que ce travail n’est pas mutualisé.
a. Les établissements publics fonciers couvrent une vaste portion du territoire
Avec 13 établissements publics fonciers d’État qui agissent à une échelle régionale ou départementale et 23 établissements publics fonciers locaux, l’ensemble du territoire national n’est cependant pas doté d’un EPF, assurant une activité d’identification et d’observation du foncier. Néanmoins, les EPF couvrent environ 50 % des communes et 60 % de la population française. Alors que les périmètres de compétences des EPF d’État couvrent de larges territoires (d’un département au minimum à une région dans sa globalité), les EPF locaux couvrent des territoires plus restreints, généralement à l’échelle d’une intercommunalité. Sur les périmètres régionaux, deux EPF peuvent coexister. Dans la région Pays de la Loire, l’EPFL de la Loire-Atlantique coexiste avec l’EPF d’État de Vendée. Actuellement, il n’existe qu’un seul cas de superposition d’un EPF d’État et d’un EPF local : entre l’EPF de Languedoc-Roussillon et l’EPF local de Perpignan.
Source : Association des EPFL.
Bien heureusement, le cas particulier de l’Île-de-France, où des contingences extérieures aux questions foncières avaient amené à créer la même année, en 2006, quatre EPF d’État aux périmètres superposés, a enfin été résolu par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles (MAPTAM). Depuis le 1er janvier 2016, la fusion des établissements existants a donné naissance au « Grand EPF »
d’Île-de-France, une structure qui sera encore mieux à même d’engager du portage foncier public afin de construire des logements.
De plus, l’évolution en 2015 de l’Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) en Grand Paris Aménagement et sa fusion engagée avec les établissements publics d’aménagement Plaine de France et Orly-Rungis-Seine Amont (ORSA), tout comme les missions d’aménagement portées par la Société du Grand Paris, donnent dorénavant à l’État et aux collectivités les outils publics nécessaires et adaptées aux enjeux de développement et d’aménagement de la région, en particulier de son aire agglomérée.
Par ailleurs, lors du comité interministériel sur le Grand Paris du 15 octobre dernier, le Gouvernement a confirmé la création de six nouvelles opérations d’intérêt national (OIN) et l’extension de périmètre de quatre existantes, ainsi que de sa volonté d’engager des discussions amenant à huit contrats d’intérêt national (CIN) signés avec les collectivités concernées pour formaliser le partenariat nécessaire à des opérations d’envergure. Tout cela va permettre d’asseoir l’État dans son rôle de stratège, de régulateur et de facilitateur qui doit être le sien dans la « région capitale ».
b. Les établissements publics fonciers, chevilles ouvrières de l’observation foncière
Par leur métier d’acquisition des terrains et de portage foncier, les EPF accompagnent les collectivités dans la définition d’un projet d’aménagement et favorisent l’optimisation et la connaissance du foncier (regroupement de parcelles, densité et qualité urbaine). Sur leur territoire d’intervention, les EPF possèdent une connaissance approfondie du foncier, en particulier par des actions d’identification du foncier (référentiel foncier, études de stratégie foncière) et de préparation du foncier (études environnementales, remise en état des biens).
Depuis la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), les missions des EPF locaux ont été mises en cohérence avec celles des EPF d’État. Ils sont chargés de « mettre en place des stratégies foncières afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable et la lutte contre l’étalement urbain ». Leur mission de mobilisation du foncier, en vue de la construction de logements, est ainsi clairement affirmée.
Néanmoins, l’action des EPF peut être entravée par la volonté ou non des villes et des EPCI de faire appel à leurs services et surtout par le contenu de la commande qui leur est alors passée par voie des conventions signées qui peuvent être disparates, voire malthusiennes. On pourrait donc imaginer que, dans le cadre des métropoles, les conventions soient signées, non par les communes mais par les métropoles elles-mêmes ou bien par les établissements publics territoriaux lorsqu’ils existent. Bien entendu, une déclinaison précise ville par ville du contenu de ces conventions serait alors précisée. Un autre exemple à suivre est sans doute celui de structures mixtes de portage foncier comme l’ont développé ensemble l’EPFIF et l’EPCI Plaine commune en Île-de-France.
Proposition : Encourager les métropoles ou les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris à passer, en lieu et place des communes, des conventions avec les établissements publics fonciers existant sur leur territoire, afin d’optimiser et de rationaliser l’action de portage foncier au service du logement et de l’emploi.
c. Les observatoires locaux du foncier
L’ensemble du territoire n’étant pas couvert par un établissement public foncier, notamment certaines zones tendues, l’action des EPF est complétée par celle des observatoires locaux du foncier qui peuvent :
– prendre la forme d’associations ad hoc ;
– s’inscrire dans le cadre des collectivités territoriales ou des services déconcentrés de l’État ;
– ou être créés par des agences d’urbanisme.
Les agences d’urbanisme, et les observatoires locaux du foncier créés en leur sein, sont des outils d’aide à la décision au service de l’État et des collectivités territoriales.
La loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a modifié l’article L. 121-3 du code de l’urbanisme confortant les missions des agences d’urbanisme :
« Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les collectivités territoriales peuvent créer avec l’État et les établissements publics ou d’autres organismes qui contribuent à l’aménagement et au développement de leur territoire des organismes de réflexion, et d’études et d’accompagnement des politiques publiques, appelés agences d’urbanisme. Ces agences d’ingénierie partenariale ont notamment pour missions :
« 1° De suivre les évolutions urbaines et de développer l’observation territoriale ;
« 2° De participer à la définition des politiques d’aménagement et de développement et à l’élaboration des documents d’urbanisme et de planification qui leur sont liés, notamment les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (…).
« Elles peuvent prendre la forme d’association ou de groupement d’intérêt public. »
À Lyon, où la mission s’est déplacée, ce sont les services de la métropole et de la ville, notamment l’Observatoire des transactions immobilières et foncières (OTIF) du Grand Lyon, qui assurent un rôle actif de veille, de diagnostic et d’outil pour la récupération de charges foncières sur le territoire de la métropole. En outre, dans un contexte d’artificialisation des espaces naturels et de recul des surfaces agricoles disponibles, certaines directions départementales des territoires se sont également dotées d’observatoires du foncier à l’instar de celle du Rhône. À Bordeaux, en l’absence d’établissement public foncier, ce sont l’observatoire foncier départemental de la Gironde et l’agence d’urbanisme de Bordeaux Métropole Aquitaine qui remplissent cette fonction.
Des structures locales ad hoc, comme l’Observatoire régional du foncier (ORF) d’Île-de-France, complètent ce travail d’observation foncière. Créé en 1987, il regroupe des professionnels de l’aménagement, des élus et les services de l’État et de la région. Ayant le statut d’association, il a pour objet de favoriser la connaissance et la diffusion de l’information foncière.
Pour sa part, et en lien avec l’ORF, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU IdF) mène un travail ambitieux d’amélioration de la connaissance du foncier dans le bassin parisien. En s’appuyant sur l’analyse de l’ensemble des documents d’urbanisme disponibles, une cartographie exhaustive du foncier est en cours de réalisation. De la densité bâtie au type de propriété, privée ou publique, en passant par le droit des sols, une connaissance fine des terrains disponibles sera prochainement mise à la disposition de l’ensemble des acteurs fonciers, via la mise en ligne des cartographies réalisées. Cela constitue un pas en avant important pour permettre des stratégies locales ambitieuses assises sur des connaissances précises du foncier.
2. La connaissance de toutes les servitudes et contraintes d’urbanisme applicables à une parcelle reste problématique
La valorisation objective d’un terrain dépend des droits à construire qui y sont attachés et des servitudes de toutes natures qui grèvent le terrain. Cette valorisation ne pourra donc intervenir qu’au prix d’une connaissance exhaustive des règles d’urbanisme applicables à un terrain.
Or l’identification des servitudes applicables à un terrain pose problème en raison de l’absence d’une base de données les référençant, parcelle par parcelle. Cette situation d’asymétrie d’information est source d’inégalités entre le propriétaire, lequel connaît, en principe, les servitudes grevant son terrain, et l’acquéreur potentiel. Elle est également source d’incertitudes tout au long du montage du projet.
Un travail de recensement est donc indispensable en zones tendues pour identifier les facteurs d’incertitudes (dépollution des sols, archéologie préventive, déplacement de réseaux,...) et réduire la période probatoire lors d’une promesse de vente en vue de réunir l’ensemble de ces informations. Un accès plus facile aux informations, permettrait de raccourcir les délais des transactions foncières ainsi que leurs coûts. La cartographie engagée par l’IAU IdF citée plus haut va dans le sens souhaité. Il faudrait sans doute aller encore plus loin dans l’objectif d’un open data des données d’urbanisme.
3. La numérisation et le croisement des contraintes d’urbanisme via Géoportail doit être accélérée
L’application « Géoportail de l’urbanisme » est l’outil actuellement mobilisé pour procéder à la numérisation de l’ensemble des documents d’urbanisme disponibles. Ce portail en ligne a été créé afin de favoriser la transmission et l’accès à l’information urbanistique pour le grand public. Il s’inscrit dans une démarche générale de dématérialisation et d’open data lancée par les collectivités publiques.
Focus : « Géoportail de l’urbanisme »
À la suite l’ordonnance du 19 décembre 2013 relative à l’amélioration des conditions d’accès aux documents d’urbanisme et aux servitudes d’utilité publique, un portail national de l’urbanisme (« Géoportail de l’urbanisme » faisant appel à l’infrastructure de Géoportail) a été mis en place pour permettre la consultation des informations relatives aux contraintes d’urbanisme par un point d’entrée unique (article L. 133-1 du code de l’urbanisme). Ce portail est actuellement encore dans une phase d’alimentation initiale.
Une fois qu’il sera opérationnel, ce portail unique permettra de consulter des documents d’urbanisme et les servitudes d’utilité publique, en superposition des référentiels nationaux de l’IGN et du cadastre.
Entre le 1er janvier 2016 et le 1er janvier 2020, les collectivités territoriales devront mettre en ligne les documents d’urbanisme couvrant leur territoire afin de les rendre publics, disponibles et accessibles à tous les citoyens. Cinq types de documents seront mis en ligne :
– les plans locaux d’urbanisme (PLU) ;
– les plans locaux d’occupation des sols (POS) ;
– les cartes communales (CC) ;
– les servitudes d’utilité publique (SUP) ;
– les schémas de cohérence territoriaux (SCOT).
À compter du 1er janvier 2020, l’obligation de publier le document d’urbanisme exécutoire dans un recueil administratif sera remplacée par celle de mettre en ligne le document sur le portail de l’urbanisme.
Le « Géoportail de l’urbanisme » est le bon outil pour doter rapidement les acteurs de la construction d’une vision d’ensemble des terrains effectivement utilisables et pour leur permettre de connaître l’intégralité des contraintes d’urbanisme. Son démarrage est cependant lent et il conviendrait d’accélérer son alimentation, en particulier dans les zones tendues.
Afin que cet outil soit le plus utile possible, deux éléments sont nécessaires :
– que toutes les servitudes d’utilité publique issues de différentes réglementations (loi sur l’eau, protection du patrimoine naturel ou historique, servitudes liées aux réseaux) soient croisées ;
– et que ces informations croisées soient présentées à l’échelle de la parcelle.
Proposition : Accélérer la mise en place de l’application « Géoportail de l’urbanisme » pour faciliter l’accès dématérialisé aux contraintes et servitudes d’urbanisme. S’assurer que toutes les contraintes d’urbanisme seront croisées à la parcelle afin de créer une véritable fiche d’identité des sols.
B. L’OPACITÉ DU MARCHÉ FONCIER EST UNE SOURCE D’INFLATION DES PRIX
1. Les transactions foncières manquent de transparence et d’objectivité
Contrairement à d’autres marchés de biens ou de services, le marché foncier a la particularité d’être peu structuré et peu transparent. Selon l’association CLCV, le marché foncier souffre de deux carences principales :
– l’absence de référence de prix par territoire, ce qui empêche les acheteurs d’avoir une idée du « bon prix » et facilite les hausses des prix. Un rapport rendu par la chambre régionale des comptes sur la gestion de l’EPFIF en 2013 soulignait que : « contrairement au marché immobilier, le marché foncier manque de transparence, car il n’est pas possible de recueillir des données sur les terrains faisant l’objet d’une transaction, exception faite des mutations intervenant sur les marchés agricoles, par l’intermédiaire de la Safer. » ;
– l’absence d’organisation du marché, qui n’est constitué que de relations bilatérales et de phénomènes de réseaux sans inclure de véritables lieux d’échange transparents et ouverts à tous.
Le marché des terrains à bâtir présente, par conséquent, les caractéristiques suivantes : non seulement le produit acheté est incertain du fait de l’aléa du permis de construire, mais il est, de plus, impossible de comparer l’ensemble des prix et des offres disponibles, cela dans un cadre où la rétention foncière peut conduire à la spéculation.
L’information sur le prix du foncier est naturellement connue par le ministère des finances lequel, pour des raisons fiscales, dispose des prix de l’ensemble des transactions foncières. Mais, un baromètre des prix du foncier par ville ou par agglomération n’a toujours pas été mis en place afin d’utiliser les données possédées par les services de l’État.
Le manque de données statistiques fines, tant en termes de disponibilité du foncier constructible que de prix, a pour effet d’opacifier le marché. Cette situation confère un pouvoir encore renforcé dans la négociation au propriétaire foncier, en plus de ce qui a déjà été signalé précédemment.
Certains outils visant à pallier cette méconnaissance des prix sur le marché du foncier existent pourtant. Mais ceux-ci se révèlent insuffisants ou d’un accès trop restreint.
Le service « Demande de valeurs foncières » (DVF) proposé par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) depuis juillet 2011 aux collectivités territoriales leur permet d’obtenir des données foncières relevant de leur périmètre géographique pour conduire leur politique foncière et d’aménagement. Pour chaque vente immobilière enregistrée par les services de la publicité foncière, les collectivités ont accès à la nature des biens, l’adresse, la superficie, la date de mutation et la valeur foncière déclarée. Cet outil est encore insuffisant pour assurer une transparence des prix du foncier, car destiné uniquement aux collectivités territoriales et non à l’ensemble des acteurs fonciers, limitant ainsi sa portée.
Parallèlement, la connaissance du marché immobilier par les professionnels et les experts n’a cessé de faire des progrès depuis une vingtaine d’années comme l’illustre la mise en place de la base de données PERVAL par le Conseil supérieur du notariat. Grâce à cette base de données, les prix médians au mètre carré sont publiés par divers producteurs d’informations immobilières. Toutefois, ces bases de données ne sont pas toujours accessibles au grand public, en particulier lorsqu’elles concernent les ventes de terrains à bâtir.
Présentation de la base de données PERVAL
Le logiciel PERVAL est une base des références immobilières mise en place en 1994 par les notaires. Cette base recense, grâce aux informations transmises par les notaires, les actes de vente des biens immobiliers (appartements neufs et anciens, maisons anciennes et terrains à bâtir) sur l’ensemble du territoire national et indique le prix réel des transactions, qui est un prix net vendeur.
La loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires a officialisé cette base de données et confié, en modifiant l’article 6 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat, une nouvelle mission de service public aux notaires qui « contribuent à la diffusion des informations relatives aux mutations d’immeubles à titre onéreux. Ils transmettent au Conseil supérieur du notariat les données nécessaires à l’exercice de cette mission de service public ». Depuis cette loi, ils ont obligation de transmettre des informations au Conseil supérieur du notariat pour toute mutation d’immeuble à titre onéreux ; il s’agit des informations relatives à l’acte de cession, au bien vendu et aux montants de la transaction (décret d’application du 5 septembre 2013).
La base de données compte aujourd’hui plus de 10 millions de références, augmentées en moyenne de 640 000 nouveaux enregistrements par an (les statistiques sont mises à jour chaque mois). Cette base permet de connaître :
– le profil des vendeurs ;
– les données de localisation ;
– la surface du terrain et/ou le nombre de pièces ;
– et le prix net vendeur du bien.
L’accès à ces données n’est toutefois pas entièrement public. Un site internet gratuit, Immoprix, permet à toute personne de disposer de références par commune. La qualité des informations relatives aux terrains à bâtir est toutefois bien moindre que celles relatives aux biens bâtis. D’une part, les prix ne sont affichés que dans des fourchettes de surface très larges et de nombreuses communes n’affichent pas de prix médians, faute de données suffisantes. D’autre part, ces prix ne sont pas mis en relation avec les droits à construire attachés à ces terrains ce qui réduit l’intérêt de l’information. Enfin, à l’inverse des prix sur les biens bâtis, aucune évolution des prix n’est indiquée. Ce site ne concerne pas, par ailleurs, l’Île-de-France dont l’accès à la base de données BIEN est entièrement payant.
Certaines données plus fines de PERVAL, comme la typologie des biens vendus, le profil des acquéreurs et des vendeurs ou l’historique des valeurs sont disponibles en accès payant. Elles sont destinées aux professionnels.
La différence de qualité et d’accessibilité de l’information est assez sensible par rapport à la connaissance du marché des biens immobiliers bâtis par tous les acteurs, professionnels comme particuliers, notamment grâce au développement des sites d’annonces (ouhabiter.com, seloger.com, leboncoin.fr) qui permettent à l’acquéreur, comme au vendeur, de se situer par rapport au marché, avec des valeurs moyennes et extrêmes dans des quartiers aux dimensions relativement réduites aujourd’hui.
Par ailleurs, l’opacité des prix sur le marché foncier peut être renforcée par l’intervention du service des Domaines dont les évaluations des prix des terrains, à l’occasion de préemptions par exemple, sont souvent mal comprises par les professionnels. À ce titre, votre rapporteur estime que la motivation des évaluations réalisées par les Domaines devrait être obligatoirement communiquée aux parties intéressées tandis que des échanges réguliers entre les professionnels de l’expertise foncière et les services des Domaines devraient être instaurés. De tels rapprochements pourraient être envisagés dans le cadre de la réforme de France Domaine, annoncé par le conseil des ministres du 20 janvier 2016.
Proposition : Rendre obligatoire la communication des motivations des évaluations du service des Domaines et instaurer des échanges réguliers entre les professionnels de l’expertise foncière et le service des Domaines.
2. Le manque de transparence peut inciter les propriétaires fonciers à surévaluer leurs biens
En dehors du fait qu’il est nuisible en soi, le manque de données statistiques accessibles à tous sur les transactions de fonciers constructibles encourage à la fois la spéculation, la rétention et la formation de bulles foncières. En effet, un propriétaire ignorant les valeurs de référence peut penser, par exemple, sans étude objective, que son bien augmentera « mécaniquement » d’ici les prochaines années et il peut être ainsi amené à le surcoter dès à présent, notamment en prévision d’aménagements à venir. La rareté des biens et l’état du marché du logement peuvent également le convaincre que son terrain possède dès aujourd’hui une valeur très importante et cela l’amènera à refuser les offres qui lui sont faites alors que la réalité du prix de marché est bien différente. Enfin, ces comportements individuels peuvent aboutir à la constitution d’une masse de terrains non vendus à l’échelle d’un quartier ou d’une ville qui, à un moment donné, pour des raisons extérieures, ne trouvent plus de preneurs et voient en masse leur valeur brusquement chuter.
En l’absence de connaissance partagée des prix, un vrai risque de surenchère sur un même terrain existe également entre les acheteurs potentiels du fait de la concurrence entre des acteurs n’ayant pas forcément le même degré d’information sur les prix et leur évolution possible.
L’ensemble de ces phénomènes à la fois individuels et collectifs, plaident pour une régulation commençant par une plus grande transparence sur les prix. Si des bases de données sur les transactions foncières existent pour un usage professionnel restreint, la priorité est désormais celle de l’ouverture de leur accès.
C. AMÉLIORER ET ÉLARGIR L’ACCÈS À L’INFORMATION SUR LES TRANSACTIONS FONCIÈRES
Comme nous l’avons vu, il n’existe pas en France de bases de données statistiques accessibles à tous, fournissant des informations sur le foncier constructible, sa localisation et surtout le prix de vente enregistré lors de transactions précédentes pour des terrains de qualité équivalente.
À ce jour, seules les collectivités territoriales, via le service DVF depuis 2011, et les professionnels de l’immobilier, grâce aux bases de données PERVAL et BIEN des notaires, disposent de l’information sur les transactions foncières. Si des fichiers recensant l’ensemble des transactions de terrains à bâtir existent bien, leur accès est payant et restreint, le grand public n’y ayant pas encore accès.
La publication régulière de données sur les prix du foncier ou, a minima, une consultation facilitée des fichiers existants, dans une logique d’open data, contribuerait à un meilleur fonctionnement des marchés fonciers. Il pourrait ainsi être envisagé de disposer d’un indice des prix fonciers, de la même façon qu’on dispose d’un indice des prix de l’immobilier bâti, publié régulièrement par l’INSEE et les notaires.
Néanmoins, une des difficultés pour disposer d’un indice fiable, tient à la non-standardisation des terrains constructibles. Chaque transaction est unique, en raison de la localisation et de la qualité des terrains et en fonction des droits à construire qui y sont attachés. Le calcul d’un indice des prix serait in fine imparfait avec un contenu informatif relativement limité. Le foncier a besoin d’un « marché expert », selon l’expression de M. Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobiliers, auditionné par la mission.
Les données sur les prix des transactions foncières doivent donc faire l’objet d’un traitement, puis d’une diffusion par une institution locale spécialisée, afin qu’elles soient exploitées le plus justement possible. Il en découlerait la définition des zones associées à des prix de référence par mètre carré de logement construit ou de droits à bâtir.
La création d’observatoires locaux des transactions foncières, recevant une mission de service public, est donc souhaitable. Votre rapporteur considère que la meilleure échelle pour ces observatoires serait l’échelle métropolitaine. Et il considère bien entendu que ces observatoires pourraient s’engager dans une dynamique d’observation fine et complète du marché du logement, incluant à termes les données liées aux rapports locatifs comme à l’accession à la propriété. Le Conseil supérieur du notariat pourrait être soumis à l’obligation de transmettre les données sur les transactions foncières aux observatoires métropolitains des transactions foncières ou leur assurer l’accès aux bases de données PERVAL et BIEN.
La généralisation de ces observatoires associant professionnels, associations œuvrant dans le domaine du logement et de l’aménagement, collectivités territoriales et services de l’État serait à la fois utiles aux citoyens et permettrait un pilotage précis et argumenté des politiques publiques à l’échelle locale.
Proposition : Généraliser la création d’observatoires du foncier à l’échelle de la métropole, chargés d’analyser et de diffuser auprès du grand public les prix des transactions foncières à partir des données notariales et fiscales.
III. DES BLOCAGES D’ORDRE POLITIQUE ET SOCIAL
A. LES RÉTICENCES POLITIQUES ET SOCIALES AUTOUR DE LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS
1. Un discours hostile aux nouvelles constructions se développe dans certains territoires
Il est devenu courant que les habitants d’un quartier manifestent de l’hostilité face à des programmes de logements nouveaux, quels que soient leur taille, leur forme ou leur mode d’occupation. Ce sentiment peut recouper des raisons compréhensibles comme la nécessité de lier des constructions supplémentaires à de nouveaux équipements publics ou à une refonte de la voirie et des plans de circulation. D’autres réticences, moins directement avouables quoique davantage revendiquées comme telles ces derniers temps, visent en réalité à empêcher l’arrivée de nouveaux habitants dans un quartier qui se vit comme « protégé ».
Il faut prendre en compte et répondre aux inquiétudes rationnelles liées à la crainte d’une perte de valeur d’un bien acquis par une famille y ayant consacré tous ses revenus. En ce sens, lors d’une opération d’intensification urbaine, un projet de construction doit aussi permettre une amélioration de la qualité de vie des habitants déjà présents pour être accepté.
En revanche, devant la crise d’un logement rare et cher dans les zones tendues, il n’est pas acceptable que la norme devienne celle du « dernier arrivé ferme la porte », visant à empêcher, par un consensus parfois auto-entretenu entre élus et habitants et par tous les moyens, toute nouvelle construction adaptée à la morphologie du quartier, conforme aux règles d’urbanisme et répondant au manque de logements dans la ville, en particulier, toute implantation de logements locatifs sociaux.
Les études montrent que si 60 % de personnes interrogées jugent que le nombre de logements neufs construits en France depuis dix ans est insuffisant, elles ne sont que 37 % à penser que c’est le cas dans leur commune (17).
Un discours local hostile à toute construction trouve parfois des résonances électorales dans la mesure où certains candidats promettent dans leur profession de foi de bloquer toute évolution de leur commune. Cette position, mortifère à terme pour une ville, trouve d’ailleurs bien souvent rapidement ses limites quand des jeunes cherchent à décohabiter près du domicile de leurs parents et ne trouvent pas de solution de logement conforme à leurs revenus. Il revient ici à l’État de porter plus fortement un discours clair sur la nécessité de construire en nombre suffisant des logements abordables au plus grand nombre et équitablement répartis, cela pour des raisons tant sociales pour celles et ceux qui ont des difficultés à se loger, économiques pour soutenir la filière du bâtiment, qu’en termes de compétitivité pour notre pays tant la « crise pérenne » du logement nuit à notre agilité économique.
Pour cela, les services décentralisés de l’État doivent avoir les moyens et la volonté de relayer ce message, en étant par exemple plus directifs dans les avis rendus lors de l’élaboration des documents de planification locale ou encore à l’occasion des financements croisés permettant des rénovations urbaines.
Pour changer la perception des projets de construction, il conviendrait d’adopter une démarche plus participative et inclusive pour la population locale. Le développement de la concertation et du dialogue en amont pour ajuster les projets de construction et d’aménagement doit systématiquement être encouragé. Les élus et les porteurs de projet doivent surtout démontrer que la construction de nouveaux logements, par extension de la ville ou densification, améliorera le quotidien des habitants déjà présents. Contrairement aux idées reçues sur des nuisances potentielles, l’arrivée de nouveaux voisins peut s’accompagner de nouveaux services pour tout le quartier, comme un nouvel essor de commerces de proximité ou un nouveau réseau de transports publics.
2. Les communes bâtisseuses se heurtent au coût des équipements publics
Tout projet de densification urbaine doit s’accompagner d’une politique d’offre d’équipements publics (crèches, écoles, transports en commun), ce qui représente un coût sur plusieurs années pour le budget de la collectivité, mais également un potentiel de valorisation du foncier disponible. Or, si de nombreuses collectivités ont une culture de la maîtrise foncière assez développée, notamment par la constitution de réserves foncières, celle-ci ne s’accompagne pas forcément d’une politique de développement urbain, du fait des surcoûts peu anticipés.
Cela est d’autant plus vrai que, à l’intérieur d’une commune, les dynamiques des quartiers en termes de peuplement évoluent fortement. De nombreux quartiers d’habitat social construits dans les années 1960 et 1970 voient leurs groupes scolaires se vider du fait des évolutions de la composition des familles, quand des quartiers plus pavillonnaires ou composés de petits immeubles, marqués par un rajeunissement des habitants ou une densification non maîtrisée, ont des difficultés à scolariser l’ensemble des enfants qui y résident. Il est toutefois souvent inenvisageable d’ajuster la carte scolaire pour que les enfants résidant dans les seconds types de quartiers fréquentent les écoles des premiers.
Dans un contexte de baisse des dotations budgétaires de l’État, les communes ont de plus en plus de mal à programmer le financement des équipements publics qui doivent accompagner tout projet de construction de logements. Cela conduit à une seconde source d’inégalités entre les communes : non seulement celles qui ont moins de moyens ont souvent des difficultés à attirer des constructions de logement valorisantes, mais elles peinent d’autant plus à financer les équipements nécessaires. La plupart des collectivités territoriales rencontrées par la mission avancent cet enjeu de financement comme un blocage de leur action.
a. Soutenir les communes bâtisseuses via des aides financières
Pour soutenir les communes participant à l’effort de construction de logements, le Gouvernement a créé un nouveau dispositif financier, communément appelé : « aide aux maires bâtisseurs ». Le décret du 24 juin 2015 prévoit ainsi une aide pour les communes situées en zones tendues afin de financer les équipements rendus nécessaires pour l’accueil des populations nouvelles. Chaque commune réalisant un effort de construction supérieur à 1 % du parc existant recevra environ 2 000 euros d’aide par logement. En complément, la région Île-de-France apporte jusqu’à présent une aide consacrée à l’accompagnement des territoires bâtisseurs, destinée à financer les équipements dans les quartiers des gares. L’aide régionale, fixée à 4 000 euros par logement réalisé, est attribuée aux territoires s’engageant dans un effort de construction annuel significatif, supérieur à 1 % du parc existant.
L’existence de ces aides soutient les collectivités territoriales dans le déploiement d’une politique d’offre d’équipements publics qui accompagne toute stratégie de développement du foncier. Leur niveau demeure toutefois inférieur aux besoins exprimés, et, surtout, n’a pas d’effet déclencheur auprès des élus pour engager, ou non, des opérations de construction. Malgré le sens positif de la démarche, il est peu probable que, sur l’ensemble du territoire, son effet permette de respecter les objectifs définis par les comités régionaux de l’habitat et de l’hébergement (CRHH) ou même simplement les objectifs contenus dans leur PLH.
b. Encourager et faciliter l’utilisation des projets urbains partenariaux (PUP)
En parallèle, le mécanisme de projet urbain partenarial (PUP), créé par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (dite loi MOLLE) semble être l’outil privilégié par les collectivités territoriales pour assurer le financement des équipements publics lorsque le projet de construction est majoritairement privé et situé en dehors d’une ZAC. Le PUP prévoit qu’une convention soit signée afin qu’une partie du financement des équipements publics soit portée par les propriétaires des terrains, les aménageurs ou les constructeurs, en échange d’une exonération de la taxe d’aménagement. Cet outil n’est toutefois pas suffisamment connu, notamment par les petites communes, tandis qu’une certaine souplesse pourrait lui être apportée. En effet, l’article L. 332-11-3 du code de l’urbanisme prévoit actuellement la présence obligatoire de l’EPCI lorsqu’il est compétent en matière de PLU alors que les équipements publics nécessaires ne relèvent pas de sa compétence, mais de celles des communes.
3. L’État doit jouer un rôle de médiation ou de substitution face à certains blocages
Depuis la décentralisation des compétences d’aménagement et d’urbanisme engagée dans les années 1980, l’État n’est plus en situation de piloter lui-même la mobilisation du foncier privé et la construction de logements. Son rôle devrait toutefois être de « faire faire » en veillant à ce que l’intérêt général soit préservé. L’État se doit ainsi d’être un régulateur et un facilitateur pour les projets de construction dans les territoires. Cela passe par les aides aux communes bâtisseuses, mais également par un travail de médiation et un effort de pédagogie à l’égard des élus locaux. L’État doit notamment démontrer aux collectivités territoriales que la construction de logements ne représente pas un coût, mais une source de revenus pérennes.
À ce titre, votre rapporteur salue la nomination, par le préfet de la région d’Île-de-France, le 1er décembre 2015, d’un médiateur régional de la construction de logements chargé de débloquer les projets de logements collectifs et de faciliter leur lancement effectif, dont votre rapporteur, avec plusieurs parlementaires, avait lui-même proposé la création. Ce type d’initiative pourrait être généralisé dans toutes les zones tendues.
Proposition : Instituer des médiateurs régionaux de la construction de logements, nommés par les préfets dans plusieurs régions tendues, notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Dans le cas où les projets de construction se heurtent à des réticences politiques locales insurmontables, l’État doit également utiliser tous les moyens dont il dispose pour que l’intérêt général prévale. L’outil des opérations d’intérêt national (OIN) grâce auquel le préfet récupère la compétence de délivrance des permis de construire est utile et permettra d’agir plus efficacement et rapidement. Son utilisation dans le cadre du futur réseau Grand Paris, sous la forme d’opérations d’intérêt national (OIN) multi-sites, est nécessaire pour surmonter le morcellement administratif et les réticences locales qui freineraient la réalisation de logements autour des nouvelles gares, d’autant que ces OIN s’accompagnent dans bien des cas de contrats d’intérêt national (CIN) associant les collectivités.
Proposition : Développer en régions la logique des opérations d’intérêt national (OIN) et des contrats d’intérêt national (CIN) en cas de projet structurant d’envergure nationale, de blocage manifeste des projets de construction et d’aménagement ou de désaccord persistant entre les différents niveaux de collectivités.
B. LES RECOURS CONTENTIEUX : SOURCE DE BLOCAGE ET DE RENCHÉRISSEMENT DU COÛT DES OPÉRATIONS
L’hostilité aux projets de construction de logements se traduit le plus souvent dans de nombreux recours contentieux contre les documents et autorisations d’urbanisme (permis de construire) qui constituent une source de blocage majeur de la mobilisation du foncier privé.
Le contentieux de l’urbanisme renvoie à une pluralité de litiges :
– le contentieux de l’excès de pouvoir : le juge administratif statue sur des recours dirigés contre les décisions administratives prises par les autorités compétentes dans le cadre de leurs attributions d’urbanisme ;
– le contentieux indemnitaire : litige dont l’objet est l’obtention par le requérant d’une somme d’argent en réparation du préjudice subi du fait des actes de ces mêmes autorités ;
– le contentieux de l’urgence, en cas d’imminence ou de début des travaux.
Pour engager un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme, le requérant doit justifier d’un intérêt lui donnant qualité à agir. Cet intérêt à agir doit être direct et certain selon les critères jurisprudentiels de droit commun. Interprété de façon libérale par le juge administratif, il peut faciliter la multiplication des recours dilatoires ou abusifs. Mais, plutôt qu’incriminer le recours possible à un juge ou le déroulement des procédures, c’est avant tout le droit de l’urbanisme et sa pratique qu’il faut faire évoluer.
Pour cela, en plus de l’amélioration des procédures et des propositions qui peuvent être faites en ce sens, il serait sans doute nécessaire de rendre le droit moins complexe, de ne pas juxtaposer des règles juridiques parfois sans lien entre elles et de les stabiliser dans la durée pour mieux les faire appliquer sur le terrain et les évaluer... avant de les modifier. L’intelligibilité de la loi est un impératif. Il permet aussi de tarir une source importante des contentieux dans laquelle les requérants les moins bien intentionnés se confortent. Une mission parlementaire se devait, elle aussi, de ne pas passer sous silence cette volonté exprimée par de nombreux acteurs !
L’enjeu central du contentieux de l’urbanisme est de trouver un équilibre entre les divers objectifs : d’une part, préserver l’accès au juge et le droit au recours tout en luttant contre les recours abusifs, d’autre part, sécuriser juridiquement les opérations de construction tout en facilitant leur réalisation lorsqu’elles ne contreviennent pas aux documents d’urbanisme et à l’intérêt général.
1. L’incidence des recours abusifs et dilatoires sur les opérations de construction de logements
Les recours à l’encontre des autorisations ou des documents d’urbanisme apparaissent toujours plus nombreux et handicapants aux yeux des acteurs fonciers. Le cas de figure le plus délétère pour les opérateurs étant celui d’un projet de construction, conforme au PLU et pour lequel le propriétaire a donné son accord, mais à l’encontre duquel des tiers ont toujours la possibilité de déposer un recours contre le permis de construire. Si on écarte les recours qui pourraient être qualifiés de « professionnels », voire de « mafieux » dans lesquels des individus s’organisent, de projet en projet, pour avoir des intérêts à agir, la plupart des recours sont le fait d’habitants s’estimant lésés par le projet.
L’objectif poursuivi par nombre de requérants peut être, soit de ralentir l’opération de construction de logements ou d’acquisition de terrains constructibles pour in fine la mettre en échec, soit de négocier une contrepartie financière, soit encore par une combinaison des deux, sous une forme de chantage visant à ralentir au plus l’opération, pour obtenir une meilleure compensation. L’épuisement des voies de recours retarde de facto le début des constructions attaquées. Selon les représentants de BNP Paribas Immobilier auditionnés, la multiplication des recours contentieux rallonge la procédure de trois ans environ, ce qui altère parfois fortement la possibilité même de les mener à bien.
La situation en France peut être perçue comme paradoxale du fait qu’une personne qui s’est déjà exprimée par une procédure publique en amont d’un projet de construction – par exemple lors de l’élaboration d’un PLU - ne perd pas son droit au recours, à l’inverse de ce qui se fait en Belgique notamment. Les tiers, pour lesquels l’intérêt pour agir est reconnu par le juge administratif, peuvent en effet déposer un recours à l’encontre d’un permis de construire à tout moment.
Des avancées réelles depuis les ordonnances de 2013, mais peu ressenties par les promoteurs et les collectivités.
a. Les préconisations du rapport « Labetoulle » (18) prises en compte par l’ordonnance du 18 juillet 2013 et par la loi dite Macron
L’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme vise à répondre à deux objectifs principaux : accélérer le règlement des litiges et prévenir les contestations dilatoires ou abusives. Elle résulte essentiellement des propositions formulées par le groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle.
Préconisations du groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle
Le groupe de travail constitué par M. Daniel Labetoulle avait pour objectif de « faciliter la réalisation de projets permettant la production de logements en sécurisant les opérations de construction et en luttant contre les recours regardés comme abusifs tout en préservant l’accès au juge ».
En respectant trois séries d’exigences :
1° Respecter le principe du droit au recours et trouver un équilibre entre la sécurité juridique des autorisations d’urbanisme et le principe de légalité ;
2° Éviter d’accentuer le particularisme, déjà très marqué, du contentieux de l’urbanisme ;
3° Éviter d’alourdir le travail des juridictions.
Sept mesures ont été préconisées :
1° Clarifier les règles de l’intérêt pour agir ;
2° Introduire une procédure de cristallisation des moyens ;
3° Organiser un mécanisme de régularisation en cours d’instance à l’initiative du juge ;
4° Permettre au défendeur à l’instance de présenter des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire ;
5° Encadrer le régime des transactions par lesquelles il est mis fin à l’instance ;
6° Recentrer l’action en démolition sur son objet premier ;
7° Donner aux cours administratives d’appel une compétence de premier et dernier ressort pour certains projets de construction de logements.
L’ordonnance de 2013, qui s’applique aux zones tendues, vise à réduire le nombre de recours contentieux à l’encontre les permis de construire en encadrant l’intérêt pour agir des tiers et en mettant en place un recours indemnitaire en cas de recours abusifs écartés par les juridictions administratives.
• Encadrement de l’intérêt pour agir des tiers
Jusqu’à l’ordonnance de 2013, le juge administratif avait eu une interprétation très libérale de la qualité à agir des tiers à l’encontre des autorisations de construction ou d’aménagement. Ainsi, l’intérêt pour agir du voisin découlait de la proximité de son habitation ou du terrain d’assiette de la construction projetée et non pas nécessairement de la construction elle-même. La jurisprudence avait seulement écarté l’intérêt pour agir d’un tiers qui ne pouvait se prévaloir que de sa seule qualité de résident de la commune. Cette interprétation souple et bienveillante de l’intérêt pour agir des tiers a été identifiée comme une des sources de la multiplication des recours de voisinage et/ou financiers à l’encontre des permis de construire.
L’ordonnance du 18 juillet 2013 a donc redéfini la notion d’intérêt pour agir des tiers à l’encontre des autorisations de construire ou de lotir. Hors personne publique ou association, les nouvelles dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme encadrent et limitent l’intérêt à agir d’un tiers pour les recours déposés à l’encontre d’une autorisation de construire après le 19 août 2013.
Désormais, un tiers n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une autorisation de construire ou de lotir que « si la construction, l’aménagement, ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ». L’introduction de cette définition légale de l’intérêt pour agir a été conçue comme un signal adressé aux juridictions pour les inviter à retenir une approche plus restrictive. Les requérants devront désormais prendre un soin particulier à démontrer et à caractériser leur intérêt à agir.
CE, 10 juin 2015, GINO BRUDEL
Le Conseil d’État apporte des précisions sur les modalités d’administration de la preuve de l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager (art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme), en indiquant quelles sont les obligations minimales pesant sur le demandeur :
« Sur l’intérêt à agir : il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un REP tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous les éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien (… ) »
La proximité géographique est vouée cependant à rester l’un des critères de la reconnaissance de l’intérêt pour agir (CAA Lyon, 5 novembre 2013 : en raison de la proximité immédiate de la propriété du requérant, les travaux d’extension d’une maison d’habitation étaient susceptibles d’affecter directement les conditions d’occupation de son bien).
L’intérêt doit être apprécié non plus à la date d’introduction du recours, mais à la date d’affichage de la demande du pétitionnaire en mairie, « sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières », afin d’empêcher la constitution artificielle d’un intérêt pour agir et un certain nombre de recours « mafieux » (nouvel article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme).
• Recours indemnitaire à l’encontre des recours abusifs
L’ordonnance du 18 juillet 2013 introduit, avec un nouvel article L. 600-7 du code de l’urbanisme, un recours indemnitaire à l’encontre des recours abusifs écartés par les juridictions administratives. Ce nouvel article confère au bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme qui a fait l’objet d’un recours qu’il estime dilatoire et abusif, la faculté de solliciter du juge administratif, par le biais d’un mémoire distinct, la condamnation du requérant à lui allouer des dommages et intérêts en raison de l’incidence de ce recours sur sa situation individuelle.
Cette nouvelle disposition vise à dissuader les recours abusifs, c’est-à-dire les recours formés non pas pour défendre un intérêt légitime, mais par opposition systématique, de nature politique ou autre, avec une volonté de nuire et surtout ceux déposés pour monnayer un désistement. Jusqu’à la création de ce nouveau dispositif, la seule arme des juridictions administratives face aux recours crapuleux était la condamnation à une amende, limitée à 3 000 euros, relevant d’un pouvoir propre du juge. Désormais, le juge administratif devrait aboutir à des condamnations indemnitaires plus élevées que la simple condamnation à une amende et s’avérer mieux adaptées aux enjeux qui s’attachent au dépôt d’un recours pour excès de pouvoir dans le cadre d’une opération de construction.
• Régularisation en cours d’instance et encadrement du régime des transactions
L’ordonnance de 2013 a également permis la traduction en droit de deux des recommandations du rapport. Les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme permettent dorénavant au juge de suspendre la procédure si une régularisation du permis de construire est envisageable. De même, le nouvel article L. 600-8 prévoit l’obligation d’enregistrer auprès de l’administration fiscale les transactions par lesquelles un requérant met fin à un contentieux, cela afin d’éviter des formes de chantage.
• Limitation de l’action en démolition aux zones protégées
La sécurisation des opérations de construction est un sujet majeur. Or, de nombreuses opérations étaient soumises à un risque d’insécurité juridique important en raison notamment de l’existence d’un recours permettant la démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire annulée par la justice administrative (article L. 480-13 du code de l’urbanisme).
La loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement avait déjà réduit le délai de ce recours à deux ans à compter de l’annulation du permis de construire. Suivant le rapport « Labetoulle » et afin de recentrer l’action en démolition sur son objectif premier, la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « Loi Macron ») a limité les possibilités de recourir à une action en démolition aux seules zones bénéficiant d’un régime de protection particulier.
Cette mesure a été contestée, notamment du fait que, hors zones protégées, il n’est plus possible d’obtenir la démolition d’une construction dans une zone couverte par d’un document d’urbanisme, y compris dans une zone naturelle non spécifiquement protégée, alors même que le permis de construire aurait été annulé. Force est de constater que précédemment, cette disposition était très peu suivie d’effets concrets, en particulier hors de ces zones protégées. Elle était cependant utilisée comme une « épée de Damoclès » pour les nombreux projets de construction, ce qui les freinait d’autant, car les banques, comme l’ensemble des acquéreurs potentiels des biens construits, refusaient de s’engager sur un projet soumis à un tel risque. Il sera nécessaire d’évaluer dans la durée la portée de cette modification et de quelle manière seront pris en compte les préjudices subis par des constructions engagées conformément à des permis de construire par la suite annulés.
b. Les efforts entrepris par la juridiction administrative sont à poursuivre
La juridiction administrative s’est efforcée ces dernières années à proportionner la durée des procédures aux enjeux réels des dossiers qui lui sont déférés en matière d’urbanisme et d’aménagement.
• Réduction du stock et des délais de traitement
La juridiction administrative veille à apurer son stock de contentieux, dont celui lié aux requêtes à l’encontre des permis de construire. Les stocks de contentieux en attente représentent entre un an et deux ans d’activité en fonction des territoires, la consigne de la juridiction administrative étant d’éliminer, en priorité, le stock de recours datant de plus de deux ans.
Ce pilotage plus fin du stock s’accompagne d’une réduction des délais de traitement des recours. La règle reste celle de l’absence de délais maximaux pour traiter les recours en matière d’urbanisme. Toutefois, le délai moyen au niveau national a été ramené à moins de deux ans (1 an et 11 mois). Au niveau du tribunal administratif de Montreuil, juridiction située en zone tendue, le délai de jugement est d’environ un an.
• Effets des réformes de 2013
Depuis 2012, le nombre de recours déposés contre des permis de construire accordés a connu une certaine baisse dans les juridictions administratives situées en zone tendue. En Île-de-France, par exemple, le nombre d’affaires enregistrées par les tribunaux administratifs du ressort de la cour administrative d’appel de Versailles (Hauts-de-Seine, Val d’Oise, Essonne, Yvelines et Seine-Saint-Denis) contre des permis de construire accordés a baissé de 25 % entre 2012 et 2014.
Nombre d’affaires enregistrées par les tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise, Montreuil et Versailles contre des permis de construire accordés
2012 |
2013 |
2014 | |
Nombre d’affaires enregistrées |
569 |
438 |
424 |
Source : Cour administrative d’appel de Versailles.
Par ailleurs, le décret du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme a supprimé à titre expérimental, du 1er décembre 2013 au 1er décembre 2018, l’appel en zone tendue. Afin d’accélérer le traitement des recours dans les communes souffrant d’un déficit de logements, les tribunaux administratifs statuent ainsi en premier et dernier ressort sur les recours dirigés contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement.
CE ref, 23 décembre 2013, n° 373468
Le juge des référés du Conseil d’État a rendu, le 23 décembre 2013, une ordonnance de rejet de la demande de suspension de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, issu des dispositions du décret du 1er octobre 2013 supprimant la voie d’appel dans le cadre des litiges relatifs aux permis de construire délivrés pour la construction de logements dans les communes situées en zone tendue.
Pour rejeter le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, le juge revient sur les motifs, sur l’étendue matérielle, spatiale et temporelle limitée de cette réforme et sur le dispositif spécifique de mesure de son impact prévu pendant la durée de sa mise en œuvre :
« Considérant que la suppression de la voie d’appel opérée par les dispositions contestées de l’article R. 811-1-1 du CJA vise à raccourcir les délais dans lesquels les décisions rendues sur les recours dirigés contre les décisions préparant ou autorisant la construction de bâtiments à usage d’habitation sont susceptibles de revêtir définitivement le caractère de chose jugée ; que les seules communes visées par ces dispositions sont celles qui connaissent un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant ».
Les chiffres transmis par la cour administrative d’appel de Versailles sur son activité et celle des tribunaux administratifs de son ressort illustrent les effets de la suppression de l’appel dans les zones tendues. Ainsi, au tribunal administratif de Montreuil, sur 59 jugements rendus en 2014 sur les autorisations d’urbanisme, seuls 8 pourvois en cassation ont été déposés soit près de 90 % de jugements définitifs en premier ressort.
c. Le ressenti partagé par les acteurs de la construction dénote avec les faits
Qu’ils soient promoteurs immobiliers, représentants des collectivités territoriales ou opérateurs fonciers, tous les acteurs auditionnés dans le cadre de la mission ont unanimement indiqué que le nombre de recours n’a pas diminué avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance et que les délais de construction sont toujours plus longs du fait de recours abusifs.
Or, les chiffres de la juridiction administrative contredisent le ressenti sur le terrain. Le nombre de recours déposés baisse et ne représente qu’une faible part du nombre de permis accordés tandis que la durée de traitement des recours est plus courte, notamment du fait de la systématisation de la négociation permettant d’éviter que les recours n’aboutissent à leur terme.
Sur ces trois dernières années, le nombre de requêtes déposées contre un permis de construire accordé sur l’ensemble du territoire est en baisse tendancielle comme l’illustre le tableau ci-dessous :
Nombre d’affaires enregistrées par les tribunaux administratifs de France contre des permis de construire accordés
2012 |
2013 |
2014 |
2015 (estimation) | |
Nombre d’affaires enregistrées |
4 166 |
3 884 |
3 529 |
3 500 |
Source : Conseil d’État.
Cette baisse, sans doute due à la réforme de la procédure contentieuse de 2013, est toutefois à corréler avec le ralentissement de l’activité dans le secteur de la construction qui entraîne une baisse mécanique du nombre de recours déposés.
Le nombre de recours déposés ne représente, par ailleurs, qu’une très faible proportion du nombre de permis de construire accordés. Selon les statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD), 245 174 permis de construire ont été accordés en 2014. Les recours à l’encontre des permis de construire ne représentent donc que 1,4 % du total des permis accordés en 2014, une proportion très faible comparée au ressenti des acteurs sur le terrain.
Néanmoins, ces chiffres sont à nuancer car ils ne tiennent pas compte du volume de construction de chaque permis de construire. Ces différences d’appréciation entre les acteurs de terrain et les autorités juridictionnelles nécessiteraient un rapprochement entre ceux-ci pour mesurer l’impact réel de ces recours en nombre de logements bloqués.
2. Écarter plus rapidement les recours abusifs et encadrer davantage l’intérêt à agir dans le respect du droit au recours
Alors que de nombreuses avancées ont été faites depuis 2013 pour encadrer l’intérêt à agir et dissuader les recours abusifs ou frauduleux, leurs effets doivent encore être stabilisés. Par ailleurs, d’autres mesures ont été souvent envisagées et avancées par certaines des personnes auditionnées par la mission.
Il s’agit notamment de la création d’un référé du pétitionnaire ou référé validité afin d’obtenir du juge des référés qu’il se prononce sur les moyens avancés par le requérant. La mission n’a pas retenu cette proposition, car, outre le travail que cela représenterait pour des tribunaux déjà surchargés, son caractère opérationnel pour limiter les recours abusifs semble peu certain. En effet, un tiers qui dépose un recours contre un permis de construire pour espérer le ralentir, voire l’annuler, ne mettra sûrement pas un terme à la procédure engagée tant que le recours n’aura pas été jugé au fond, quand bien même un jugement en référé sur le sérieux de ses moyens lui aura donné tort. Enfin, pour le porteur de projet et ses financeurs, la sécurité juridique du projet ne sera assurée qu’une fois l’ensemble des recours purgés.
• Cristallisation des moyens du requérant
Une piste restant encore à approfondir est celle de la cristallisation des moyens, à savoir l’impossibilité de soulever des moyens nouveaux, passée une certaine date.
Le rapport « Labetoulle » s’était déjà penché sur la question de la concentration dans le temps de l’expression des moyens soulevés à l’appui des recours contre les autorisations d’urbanisme. Le groupe de travail avait dénoncé le fait que « parmi les phénomènes qui concourent à l’allongement des délais d’instruction des recours contentieux devant le juge administratif figure la pratique qui consiste, pour leurs auteurs, à égrener les moyens qu’ils invoquent à l’appui de leurs conclusions d’annulation au fil des mois, plutôt que d’en faire d’emblée la présentation complète (19) ».
Si cette proposition laissait à craindre un « effet pervers » en incitant les requérants « à invoquer par précaution, à l’approche de la date fixée par le juge, des moyens dépourvus de consistance dans l’immédiat mais permettant de prendre date », la cristallisation des moyens a été mise en place par le décret du 1er octobre 2013. Celui-ci a créé l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme au terme duquel : « saisi d’une demande motivée en ce sens, le juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués ». Si le juge apprécie librement, au cas par cas, l’opportunité de la mesure et fixe, le cas échéant, la date à partir de laquelle aucun moyen nouveau, hormis ceux d’ordre public, ne peut être soulevé, l’initiative de la mesure appartient aux défendeurs à l’instance.
Comme jusqu’à présent le juge saisi d’une demande de cristallisation des moyens n’est pas dans une situation de compétence liée, votre rapporteur propose de la rendre obligatoire et de permettre au juge d’en être un des initiateurs avec la partie défenderesse.
Proposition : Rendre obligatoire la cristallisation des moyens demandés par les parties à partir d’une date donnée et ouvrir l’initiative de cette procédure au juge.
• Limiter la durée des procédures abusivement longues
Si la longueur des procédures est encore sujette à débat, chacun s’accorde à dire que les juges font avec les moyens dont ils disposent ! Pour éviter des procédures qui, par leur longueur et la mauvaise volonté de l’une des parties, durent plus que le temps nécessaire pour rendre le droit, une des propositions serait de fixer un délai maximal pour la transmission des pièces et mémoires demandés par le juge sous peine de clore l’instruction (20). De même, au bout d’un temps d’instruction à déterminer, si l’une des parties demande de manière formelle une date de fixation de l’audience, la partie adverse et le juge ne devraient pourvoir s’y opposer que par des arguments motivés.
Proposition : Encadrer le délai de transmission par les parties des pièces demandées par le juge, sous peine de clôture de la procédure, et accorder de droit la fixation d’une date d’audience.
• Encourager le recours à la médiation préalable
Afin de réduire le volume du contentieux et d’accélérer le règlement des différends lorsque le plaignant est de bonne foi, le recours à la médiation préalable devrait être encouragé. La médiation peut permettre avec l’aide d’un tiers, neutre, impartial et qualifié, qui n’a aucun pouvoir de décision, de rétablir une communication entre les parties pour qu’elles trouvent elles-mêmes un accord amiable. Le recours à une telle procédure est très rare dans le contentieux administratif, à l’inverse du contentieux civil pour lequel la procédure de médiation est formalisée par loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Pourtant, des expériences locales positives existent et se sont développées de manière conventionnelle. C’est notamment le cas à Grenoble où une charte éthique et une convention ont été conclues par le tribunal administratif, le département de l’Isère, la commune et le Barreau de Grenoble pour organiser le règlement amiable de certains litiges administratifs, notamment en matière d’urbanisme.
Ce type de démarche devrait être généralisé en obligeant les magistrats à informer les parties sur l’intérêt et l’objet de la médiation et à leur proposer d’y avoir recours avant de se lancer dans une procédure contentieuse, comme l’avait proposé la commission mixte Immobilier - Médiation du Barreau de Paris en novembre 2013.
Proposition : Obliger les tribunaux administratifs à informer les parties sur l’intérêt et l’objet de la médiation et à leur proposer d’y avoir recours avant de se lancer dans une procédure contentieuse.
Encourager les tribunaux administratifs, les collectivités et les barreaux à conclure des chartes éthiques et des conventions organisant le règlement amiable.
DEUXIÈME PARTIE
ALLIER L’URBANISME OPÉRATIONNEL ET LA FISCALITÉ POUR MOBILISER DU FONCIER CONSTRUCTIBLE
I. INSTAURER UNE FISCALITÉ PLUS INCITATIVE POUR UTILISER LES TERRAINS DANS UN OBJECTIF D’INTÉRÊT GÉNÉRAL
La fiscalité applicable aux terrains est un élément déterminant dans le fonctionnement du marché foncier. Les impositions relatives à la détention de foncier ou à sa mutation peuvent modifier les arbitrages d’un propriétaire et constituer des incitations puissantes à vendre un terrain constructible. Malgré de nombreuses tentatives de réforme depuis le début des années 2000, la fiscalité française actuelle encourage pourtant davantage la rétention des terrains que leur mise en vente. Les enseignements de ces échecs doivent aujourd’hui être tirés pour qu’une réforme d’ensemble de la fiscalité des terrains soit enfin mise en œuvre selon une nouvelle méthode.
A. LE SYSTÈME FISCAL ACTUEL ENCOURAGE LA RÉTENTION DU FONCIER CONSTRUCTIBLE
1. Un déséquilibre marqué entre la taxation du stock et du flux
La fiscalité des terrains en France repose sur deux impositions principales :
– l’imposition sur la propriété (taxation des stocks) via la taxe foncière sur les propriétés non bâties ;
– l’imposition sur les mutations (taxation des flux) via l’imposition des plus-values immobilières.
a. La taxe foncière sur les propriétés non bâties repose sur une assiette dépassée
La taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) est payée tous les ans par le propriétaire ou l’usufruitier d’un terrain, qu’il soit constructible ou non, et son produit est versé aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). La TFPNB est assise sur la valeur locative cadastrale des terrains, déterminée de manière forfaitaire par l’administration fiscale selon un tarif à l’hectare fixé par commune et par nature de propriété. Or, les valeurs locatives appliquées aujourd’hui sont extrêmement basses et ne correspondent plus à la réalité des valeurs de marché et à leurs évolutions. La cause de ce décalage est simple : ces valeurs locatives sont issues d’une révision générale des évaluations opérée en 1961. Ses résultats n’ont été actualisés qu’à deux reprises : en 1974 et en 1980. Depuis 1981, le tarif est simplement majoré chaque année à l’aide de coefficients forfaitaires fixés au niveau national par la loi de finances pour tenir compte de l’évolution des loyers.
C’est la raison pour laquelle, à la suite de ce qui a été entrepris par le Gouvernement pour réévaluer les valeurs locatives des locaux d’habitation de manière expérimentale dans cinq départements et, de manière généralisée, pour les locaux professionnels, votre rapporteur avait proposé par voie d’amendement au projet de loi de finances pour 2016 qu’une démarche similaire puisse avoir lieu concernant les valeurs locatives des terrains non bâtis. Cet amendement n’a pas reçu le soutien du Gouvernement, du fait de la mobilisation déjà substantielle des services du ministère des finances dans les chantiers ouverts précités, et n’a malheureusement pas été adopté.
Pour compenser la faiblesse de l’assiette de la TFPNB, les communes et les EPCI ont fixé des taux d’imposition très élevés. Si le taux d’imposition pour 2013 variait, selon les territoires, de 2 % à 228 %, il est en moyenne de 41,66 % pour les communes seules (21). Malgré ces taux très majoritairement élevés, la TFPNB constitue une recette marginale pour le bloc communal : environ 1,5 % des recettes fiscales (22).
Cette sous-évaluation est particulièrement marquée pour des terrains constructibles dans une zone urbaine ou péri-urbaine tendue, là où la ville a « rattrapé » des terres anciennement agricoles, aujourd’hui pas ou peu exploitées. Le montant de la TFPNB est faible alors que la valeur de marché, ou valeur vénale, de ces terrains est très importante en cas de vente pour un projet de construction. À titre d’exemple, pour une parcelle de 34 818 m² située dans l’Essonne (Île-de-France), la taxe foncière n’était que de 451 € en 2014 (23).
Cette situation renforce le faible coût de portage des terrains non bâtis. Un investissement dans un terrain nu est un investissement sûr et qui nécessite très peu de dépenses d’entretien. Le conserver plusieurs années supplémentaires en pariant que sa valeur vénale augmentera ne coûte donc presque rien. Tout encourage, par conséquent, le propriétaire d’un terrain à ne pas le mettre en vente et à pratiquer une forme de rétention foncière.
Pour corriger cette sous-évaluation particulièrement criante pour les terrains constructibles, le législateur a tenté, à plusieurs reprises depuis la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) de revaloriser l’assiette de cette taxe. L’article 54 de la loi SRU a ainsi permis aux communes de décider d’une revalorisation forfaitaire de la valeur locative cadastrale des terrains devenus constructibles en application d’une carte communale, d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan de sauvegarde ou de mise en valeur. Cette majoration était plafonnée à 5 francs/m², soit 0,76 €/m². La loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL) a augmenté le niveau de cette majoration optionnelle qui pouvait, à partir du 1er janvier 2007, aller de 0 à 3 €/m². Dans les deux cas, ces mesures ont été présentées comme une incitation à la mise en vente de ces terrains et un moyen de lutter contre la rétention foncière. Toutefois, seul un très faible nombre de communes ont utilisé cette possibilité : 267 en 2012. Par ailleurs, 66 % des communes qui ont adopté une délibération en ce sens ont majoré la valeur locative cadastrale des terrains à bâtir d’une valeur inférieure ou égale à 1 euro par mètre carré seulement. À un tel niveau, le caractère incitatif de la hausse de la TFPNB est très faible. Il semble donc que la raison principale ayant motivé les communes était une hausse de leurs recettes fiscales et non la volonté de déclencher des ventes de terrains à bâtir.
Constatant l’échec des majorations optionnelles depuis 2001, le législateur s’est engagé, depuis 2012, dans des mécanismes de majoration obligatoire dans les zones où le besoin de logements est le plus important. La loi du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 a d’abord instauré une majoration forfaitaire automatique de 5 €/m², à partir du 1er janvier 2014, puis de 10 €/m², à partir du 1er janvier 2016, pour les terrains constructibles situés dans une zone définie par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et du logement. Les communes conservaient toutefois un droit de veto et de modulation de cette majoration. La loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 a supprimé ce droit de veto et de modulation des communes tout en précisant que cette majoration obligatoire s’appliquerait dans les 28 agglomérations où s’applique la taxe sur les logements vacants (TLV). Reportée d’un an par la loi de finances pour 2014, du fait notamment qu’elle allait s’appliquer sur des terrains toujours agricoles même si actuellement non exploités, puis recentrée sur 727 communes (classées à la fois en zones A bis ou A et en zone TLV), cette majoration est entrée en vigueur pour les impositions dues au titre de 2015. Elle ne visait donc que les terrains classés constructibles, mais non construits et situés dans des zones en forte tension.
Mal calibrée dans son évolution (avec des augmentations de taxe parfois spectaculaires entre 2014 et 2015), insuffisamment expliquée à l’avance dans son objet alors que son principe avait été adopté deux ans avant, la mesure n’a bénéficié d’aucune forme d’information préalable. Un simple courrier en début d’année auprès des contribuables concernés leur aurait permis de connaître la somme qui leur serait réclamée à l’automne et aurait surtout pu les inciter à utiliser leur terrain ou à le vendre, puisque le but était bien celui-ci et non d’augmenter les recettes des collectivités. Mais cette démarche n’est pas dans notre pratique habituelle et force est de constater que les conditions du débat budgétaire au Parlement font qu’aucune évaluation préalable de la mesure sur des cas concrets n’avait été discutée.
L’entrée en vigueur de cette majoration a suscité un tollé chez de nombreux contribuables et élus... au moment où les avis d’imposition étaient communiqués. Bien que relevant d’un cas isolé, certains contribuables ont ainsi vu leur taxe foncière augmenter de 800 %, avec un paiement à effectuer dans le court délai habituel.
Devant ces contestations et ces imperfections objectives, la loi de finances pour 2016 a supprimé les majorations obligatoires de 5 €/m² et 10 €/m² et leur a substitué, à partir du 1er janvier 2017, une majoration de 3 €/m² qui peut être modulée par les communes de 1 €/m² à 5 €/m², en retenant un nombre entier. Le dispositif, d’une bien moindre portée, est donc de nouveau aux mains des collectivités territoriales.
Ces errements législatifs ont montré qu’il était devenu de plus en plus difficile de modifier un système devenu lui-même obsolète. Ils sont l’exemple d’un manque de lisibilité pour les citoyens de la volonté de l’État et du manque d’inscription dans la durée de celle-ci, alors que, par nature, les questions touchant à la propriété et à la terre en France sont souvent vécues comme intouchables et immuables.
Outre ses effets mal maîtrisés, cette tentative de réforme plusieurs fois reportée permet de tirer plusieurs enseignements :
– une évolution de la fiscalité est un acte politique fort qui se doit donc d’être réellement évaluée au préalable, puis portée politiquement et enfin être expliquée pratiquement, notamment auprès des contribuables concernés afin de leur permettre de se positionner différemment. Surtout, elle doit s’inscrire et être ressentie dans une démarche publique plus large, nécessairement pluriannuelle et mettant en œuvre d’autres outils que la fiscalité ;
– cette démarche a mis en évidence des montants de TFPNB jusqu’à présent spectaculairement… peu élevés, justifiant la nécessité, dans les zones tendues urbanisées, là où se trouve le logement rare et cher et où les besoins sont conséquents, de revoir effectivement les montants de cette taxe afin d’inciter réellement les propriétaires à mobiliser leurs terrains pour construire, plutôt que de connaître des situations de rente foncière ;
– ce débat a aussi mis en lumière des cas où les hausses étaient appliquées sur des terrains qui auraient dû en être exemptés si l’usage qui en était fait et le droit des sols d’un côté rencontraient, de l’autre, les règles fiscales ! Un verger, situé dans le Val d’Oise, montré comme l’exemple du mauvais calibrage de la réforme, se trouvait, par exemple, être une parcelle constructible non bâtie et non rattachée du point de vue du droit des sols à celle de la construction mitoyenne qui en a l’usage. De deux choses l’une, soit ce terrain est destiné à la construction et c’est bien la règle fiscale en question qui doit lui être appliquée, soit ses propriétaires et la commune qui, rappelons-le, établit le droit des sols et l’a classé constructible, souhaitent de concert le garder sous forme de verger et ce terrain devrait être déclaré non constructible et/ou rattaché au pavillon mitoyen. Il ne serait alors pas assujetti à la TFPNB ! De même, un autre terrain soumis à cette taxe était en fait une allée desservant plusieurs pavillons, alors que manifestement il n’est pas constructible au sens premier. Ces exemples démontrent qu’il y a donc lieu d’aller, particulièrement en zones tendues, vers des opérations de remembrement urbain (voir supra). De même, le fait pour la collectivité de conférer des droits à construire ne doit pas consister uniquement à donner artificiellement une valeur théorique très élevée à un terrain, mais devrait s’entendre comme la volonté, au moins à moyen terme, de voir ce terrain construit.
b. Le régime d’imposition des plus-values immobilières n’incite pas les propriétaires à vendre
À l’inverse de la détention, la mutation d’un terrain constructible, à l’occasion d’une vente ou d’une donation, fait l’objet d’une imposition importante. Mais celle-ci incite, elle aussi, à la rétention du foncier constructible.
Depuis 1963, les plus-values immobilières sont, en effet, taxées dans le cadre de l’impôt sur le revenu perçu par l’État. Elles sont soumises à un prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux à hauteur de 15,5 %. Depuis sa création, cette imposition fait l’objet d’abattements en fonction de la durée de détention du bien qui répondent à deux objectifs :
– prendre en compte l’érosion monétaire, c’est-à-dire l’inflation entre la date d’acquisition et la date de cession ;
– dissuader les comportements spéculatifs en taxant plus lourdement les plus-values immobilières de court terme.
La loi de finances rectificative du 19 septembre 2011 a encore élargi la portée ce régime d’abattement, sans que ces effets néfastes aient été mesurés. La durée de détention du bien permettant d’obtenir une exonération totale a en effet été doublée pour passer de quinze à trente ans tandis que le taux d’abattement annuel est devenu progressif. De 2 % entre la 6e et la 17e année, l’abattement passait ensuite à 4 % entre la 18e et la 24e année pour atteindre enfin le taux de 8 % entre la 25e et la 30e année. Ce dispositif, aux abattements considérables en fin de période, est très rapidement apparu comme encourageant la rétention foncière et l’attentisme dans un contexte économique incertain.
Depuis 2012, les tentatives de « neutralisation » du barème d’imposition de plus-values immobilières résultant de cessions de terrains à bâtir se sont multipliées. Le projet de loi de finances pour 2013 a tenté, une première fois, de corriger cette incitation à la rétention foncière en supprimant tout abattement en raison de la durée de détention. Censurée par le Conseil constitutionnel du fait de l’existence de « taux confiscatoires », cette réforme a été une nouvelle fois adoptée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 (24) a, de nouveau, censuré cette réforme. Il a, à cette occasion, fermé la porte à toute suppression des abattements pour durée de détention. Selon le Conseil, le fait de ne pas prendre en compte l’inflation peut, en effet, conduire à taxer, non pas la plus-value réelle (plus-value brute corrigée de l’inflation), mais une partie du capital initial si la plus-value réelle est inférieure à l’inflation.
Tirant les enseignements de ces échecs, la loi de finances pour 2015, faute de pouvoir une nouvelle fois supprimer le système d’abattement pour durée de détention, a fait le choix d’aligner le régime d’abattement des plus-values de cession de terrains à bâtir sur celui mis en place pour les terrains bâtis en 2014, afin de limiter les incitations à la rétention de foncier. Ce régime se caractérise par le retour d’un cadencement linéaire. Contrairement au système en vigueur depuis 2011, le taux d’abattement annuel pour l’impôt sur le revenu est constant (à 6 %) entre la 6e et la 21e année de détention et les plus-values sont totalement exonérées au bout de vingt-deux ans de détention contre trente ans auparavant. Toutefois, cet alignement des régimes d’imposition a maintenu des abattements progressifs en ce qui concerne les prélèvements sociaux. Entre la 6e et la 22e année de détention, l’abattement est, en effet, de 1,6 % pour les prélèvements sociaux alors qu’il est de 9 % entre la 23e et la 30e année. Ce choix de cadencement, qui continue d’encourager la rétention foncière, s’explique essentiellement, selon la rapporteure générale du budget (25), par des considérations budgétaires.
À l’issue de ces allers et retours législatifs, la fiscalité des plus-values immobilières incite donc toujours aujourd’hui à la rétention foncière. Un propriétaire d’un terrain constructible a intérêt à le conserver le plus longtemps possible avant de le mettre en vente. Plus il attendra, plus il bénéficiera d’abattements importants sur sa plus-value. Le taux d’abattement annuel (6 %) est bien plus élevé que celui de l’inflation (0 % en 2015 et 1,3 % en moyenne sur les dix dernières années). Par ailleurs, le dispositif actuel est peu compréhensible puisque les durées permettant des abattements et leur cadencement sont différents selon qu’il s’agit de l’impôt sur le revenu ou des prélèvements sociaux.
Enfin, à l’imposition des plus-values immobilières dans le cadre de l’impôt sur le revenu, s’ajoutent deux taxes complémentaires que le cédant doit acquitter dans certains cas :
– La taxe forfaitaire sur les terrains devenus constructibles (TFTC), créée par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL), peut être mise en place par une commune ou un EPCI compétent en matière de PLU. Elle s’applique lors de la première cession, à titre onéreux, de terrains nus ayant été rendus constructibles par le classement du PLU ou d’un document en tenant lieu. Le taux de la taxe est fixé à 10 %. Son assiette correspond à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition du terrain actualisé en fonction de l’indice des prix à la consommation. L’objectif de cette taxe est de permettre aux collectivités territoriales de bénéficier d’une partie de la plus-value à laquelle elles ont contribué en rendant le terrain constructible et de financer ainsi les équipements publics rendus nécessaires par l’extension de l’urbanisation. Seules 6 339 communes l’avaient toutefois instaurée en 2013.
– La taxe sur la cession à titre onéreux de terrains rendus constructibles, créée par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMA), peut se cumuler avec la précédente. Elle est due lors de la première cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles lorsque le prix est supérieur à 15 000 € et que la plus-value est supérieure à dix fois le prix d’acquisition. Son taux est de 5 % ou 10 % et l’assiette est la même que celle de la TFTC. Son produit est versé au profit d’un fonds pour l’installation des jeunes agriculteurs. Cette taxe constitue une forme de compensation agricole à la consommation des terres agricoles.
L’accumulation de ces différentes taxes, qui visent des objectifs multiples, pèse in fine fortement sur les cessions de terrains à bâtir et peut entraîner à la fois un effet inflationniste et un encouragement à la rétention de foncier.
2. Les abattements exceptionnels destinés à créer un « choc d’offre » sont inefficaces
Afin de relancer la construction de logements, le législateur a mis en place, parallèlement à la réforme des abattements pour durée de détention, un abattement exceptionnel de 30 % sur la plus-value taxable en faveur des promesses de ventes de terrains à bâtir qui ont été signées entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2015. Annoncé à l’été 2014 dans le cadre du plan de relance de la construction du Gouvernement, ce dispositif avait pour objectif de créer un « choc d’offre » de terrains constructibles. Son coût était estimé à 161 millions d’euros en année pleine. Il s’inspirait d’un abattement exceptionnel comparable de 25 % mis en place pour les immeubles bâtis dont les cessions intervenaient entre le 1er septembre 2013 et le 31 décembre 2014.
La loi de finances pour 2015 a également créé des exonérations temporaires de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) pour les donations de terrains à bâtir qui sont intervenues entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 (articles 790 H et 790 I du code général des impôts).
L’évaluation de l’efficacité de telles mesures exceptionnelles est difficile. À l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, et malgré les demandes de votre rapporteur, le Gouvernement n’a pas pu donner le moindre élément permettant de mesurer l’impact de ces dispositifs sur le volume des transactions de terrains à bâtir. Il ressort toutefois des auditions menées par la mission que de telles exonérations fiscales temporaires n’ont qu’un effet très limité sur le marché foncier. La plupart des acteurs locaux (promoteurs ou collectivités territoriales) nous ont, en effet, indiqué ne pas avoir ressenti de « choc d’offre » lié à ces mesures fiscales. C’est aussi la raison pour laquelle votre rapporteur avait proposé, lors des débats budgétaires récents et avec le soutien de la commission des affaires économiques, de créer des exonérations des plus-values immobilières plus incitatives, car s’étalant sur une durée de quatre ans avant de revenir à un système pérenne.
Les raisons de cet échec sont multiples :
– la durée des abattements exceptionnels (entre 1 an et 1 an et demi) est trop courte pour qu’ils puissent véritablement être un facteur déclencheur d’une vente. De telles durées ne correspondent pas à celles de l’aménagement ;
– cette durée est d’autant plus courte qu’un délai de plusieurs mois est généralement nécessaire avant que cette mesure soit connue et comprise par les acteurs locaux. Par exemple, l’instruction fiscale accompagnant l’abattement de 30 % prévu par la loi de finances pour 2015 n’est parue qu’en mai 2015 alors que le dispositif devait s’arrêter le 31 décembre de la même année ;
– les niveaux d’abattement sont, enfin, jugés trop faibles par rapport au droit commun pour qu’ils aient un effet psychologique sur les propriétaires.
Il apparaît donc que les mesures temporaires votées dans le cadre de la loi de finances pour 2015 n’ont constitué qu’un effet d’aubaine pour des projets de cession qui étaient déjà programmés avant la loi. Au mieux, ces mesures n’ont eu qu’un effet d’accélération sur certaines cessions, mais non un effet déclencheur. Le fait de présenter ces mesures comme « coûteuses » est, par ailleurs, révélateur du peu de confiance de leurs auteurs dans leur effet sur le volume de transactions. Si la baisse temporaire de la fiscalité permettait d’augmenter les ventes, le coût net devrait correspondre à la différence entre le surplus de recettes lié à une hausse des ventes et la moins-value théorique de recettes fiscales à fiscalité constante. Si la mesure était réellement efficace, c’est-à-dire si elle générait une hausse des ventes, elle ne devrait donc pas « coûter » aux finances publiques mais être a minima neutre.
Votre rapporteur estime, à ce titre, que le point de basculement (ou de rentabilité) à partir duquel les pertes de recettes fiscales liées à une baisse du taux d’imposition sont compensées par la hausse du volume des transactions, devrait être calculé par les services du ministère des finances avant toute nouvelle mesure en ce sens.
Proposition : Avant toute évolution de la fiscalité immobilière, calculer le point de basculement qui rend le dispositif au minimum neutre pour les finances publiques.
3. L’instabilité fiscale pousse les propriétaires fonciers à l’immobilisme
Le régime d’imposition des plus-values immobilières a fait l’objet d’annonces de réformes successives tous les ans depuis 2011 ! L’intégralité des acteurs rencontrés par la mission dénonce cette instabilité fiscale qui renforce l’attentisme des propriétaires de terrains et incite donc à la rétention foncière. En effet, dans un tel contexte d’incertitude permanente, il est rationnel pour des vendeurs ou des acheteurs... de ne rien faire et d’espérer qu’une nouvelle réforme dans un avenir proche leur soit plus profitable.
Les allers et retours successifs concernant la fiscalité des terrains à bâtir ont été amplifiés par des choix erratiques de certains élus locaux qui classent constructibles des terrains tout en revendiquant le fait que, grâce à eux, ils ne seront pas construits et par des décisions peu prévisibles du Conseil constitutionnel en 2012 et 2013. Ils ont entretenu un flou sur les intentions des pouvoirs publics dans lequel nos concitoyens comprennent surtout qu’il est urgent d’attendre !
Cette situation est, en outre, accentuée par la mise en place de dispositifs temporaires qui créent eux-mêmes l’instabilité nuisant à leur propre efficacité. Cela est particulièrement vrai des abattements « exceptionnels » décidés en 2013 et 2014, comme des dispositifs fiscaux qui sont bornés dans le temps et reconduits ou non tous les deux ans à l’occasion du projet de loi de finances.
Cela est, par exemple, le cas de l’exonération d’imposition des plus-values lorsqu’un bien est cédé en vue de la construction de logements sociaux (article 150 U du code général des impôts). Cette exonération existe depuis plus de dix ans : elle a été créée par la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Créée initialement pour une durée de deux ans, jusqu’au 31 décembre 2007, elle a ensuite été prorogée à quatre reprises ! La dernière prolongation en date, effectuée par la loi de finances pour 2016, n’a été décidée que pour une durée d’un an, jusqu’au 31 décembre 2016.
Ces prolongations répétées sont déraisonnables au sens premier du terme. Cela d’autant que, par un mouvement de « stop and go » nuisible au montage d’opérations, les acteurs arrêtent de s’y intéresser plusieurs mois avant sa fin programmée, puisqu’aucune information préalable tangible quant à sa reconduction n’est disponible. Celle-ci n’intervient qu’à la fin du mois de décembre par le vote définitif de la loi de finances. Par la suite, ces mêmes acteurs s’y intéressent à nouveau passé un délai substantiel.
Si la mesure est systématiquement reconduite, c’est qu’elle a prouvé son efficacité. L’exonération des plus-values immobilières de cessions en faveur du logement social permet, par exemple, aux bailleurs sociaux d’acquérir des immeubles ou des terrains à bâtir à moindre coût et d’être en cela plus compétitifs vis-à-vis du vendeur qu’un promoteur projetant de construire des logements à prix non réglementés. La différence de prix de vente est compensée, pour le vendeur, par l’exonération d’imposition de la plus-value. Ce type d’exonération doit donc être pérennisé, sans qu’une date d’expiration soit fixée ou, pour le moins, que sa prolongation soit au minimum de cinq années. Tous les deux ans, les acteurs s’interrogent sur sa persistance, tandis qu’à chaque prolongation, les modalités de l’exonération peuvent être modifiées. La communication sur ce type d’exonération est donc très périlleuse. Si votre rapporteur connaît les règles liées à l’annualité budgétaire, il sait aussi que l’instabilité de ces mesures nuit à leur efficacité, et donc à une bonne gestion des finances publiques.
Le logement devrait être le lieu du temps long et programmé, parce que des opérations de construction prennent du temps, entre le projet initial et sa livraison, et parce que, à chaque étape, une multitude d’intervenants sont à convaincre et à rassurer. Au contraire, trop dépendant d’incitations fiscales changeantes, cette accoutumance donne au secteur du logement des mouvements erratiques qui ne sont profitables ni aux particuliers, ni aux pouvoirs publics.
B. LA FISCALITÉ DU FONCIER DOIT FAIRE L’OBJET D’UNE REFONTE GLOBALE DANS LE CADRE D’UNE LOI FISCALE SPÉCIFIQUE
Les ajustements successifs du système fiscal, à l’occasion de chaque projet de loi de finances annuelle, n’ont pas permis ces dernières années de corriger les effets négatifs de la fiscalité sur la mobilisation de foncier constructible. Un changement de méthode est donc nécessaire. Afin que la fiscalité n’encourage plus à la rétention foncière, mais incite au contraire les propriétaires de terrains constructibles à les céder, une réforme d’ampleur visant à basculer l’imposition du flux vers le stock est aujourd’hui nécessaire. Cette réforme qui peut être engagée rapidement prendra du temps pour son application concrète. Pour qu’elle soit juste et efficace, elle doit faire l’objet d’une loi de programmation fiscale spécifique.
1. Fonder la taxe foncière sur les propriétés non bâties sur la valeur vénale des terrains
Le mode de calcul de la TFPNB est désuet. La valeur locative, qui en constitue l’assiette, n’est plus pertinente en particulier lorsqu’un terrain est constructible et que sa valeur à la vente a fortement augmenté depuis 1980, date de la dernière révision générale des valeurs cadastrales. Les tentatives de correction par la loi, entreprises au niveau national depuis 2012, ont échoué car elles n’étaient pas suffisamment progressives et différenciées en fonction des territoires. Les relèvements forfaitaires nationaux de valeurs déterminées en 1980 ne correspondent, en effet, pas à la réalité des territoires et à leurs évolutions.
Le principe d’une hausse de la taxation de la détention de foncier constructible doit être maintenu. Cette taxation doit être cependant fondée sur une nouvelle assiette. Votre rapporteur soutient donc une proposition déjà formulée par le groupe de travail « Objectifs 500 000 », par Vincent Renard, directeur de recherches au CNRS, ainsi que par la fondation Terra Nova (26), consistant à fonder la taxe foncière annuelle sur la valeur vénale des terrains constructibles et non plus sur leur valeur locative.
Un tel système de taxation de la propriété existe déjà dans de nombreux pays comme le Canada ou les États-Unis. La mise en place d’un tel système se heurte toutefois à une difficulté de taille : la définition et la révision régulière des valeurs vénales, qui peuvent évoluer rapidement en fonction de l’état du marché. Au Canada, des évaluateurs visitent, tous les trois ans, les terrains pour réviser leur valeur vénale. C’est la raison pour laquelle une telle réforme nécessite, au préalable, la création, en France, d’observatoires locaux du foncier qui puissent définir et suivre scientifiquement les prix des terrains constructibles à partir des transactions passées et des potentiels de constructibilité définis par les documents d’urbanisme.
Pour mettre en œuvre cette réforme, votre rapporteur propose que soient d’abord créés des territoires d’expérimentation où seraient calculées de manière théorique les valeurs vénales des terrains constructibles ainsi que la taxe foncière fondée sur elle. Si cette expérimentation démontre la faisabilité technique d’un tel système, le changement d’assiette et la hausse de la taxe foncière seraient ensuite appliqués de manière progressive afin de laisser le temps aux propriétaires, dûment informés, de vendre, s’ils le souhaitent, leur terrain avant que la hausse de la taxe foncière s’applique.
Une différenciation pourrait, par ailleurs, être faite selon que le propriétaire est une personne physique ou une personne morale. La hausse de la taxe foncière pourrait être plus importante pour les terrains détenus par des personnes morales, comme les friches industrielles. Celles-ci gèrent, en effet, leur patrimoine foncier selon des logiques principalement financières et seraient donc encore plus réactives à de telles incitations fiscales.
Proposition : Calculer la taxe foncière des terrains constructibles sur la base de leur valeur vénale, après avoir mis en place des observatoires locaux du foncier et des territoires d’expérimentation.
2. Baisser l’imposition des plus-values immobilières et la rendre neutre dans le temps
La contrepartie nécessaire à la hausse de la taxe foncière est une baisse de l’imposition des plus-values immobilières. La hausse de la taxation du stock doit, en effet, être compensée par une baisse de la taxation des flux afin que le système fiscal incite pleinement à la vente de terrains constructibles. Cette baisse permettrait également que le niveau global d’imposition demeure inchangé.
Votre rapporteur propose donc que le taux d’imposition des plus-values immobilières résultant de la cession d’un terrain à bâtir, actuellement de 19 %, diminue progressivement.
Parallèlement, afin que les incitations à la rétention foncière cessent, les abattements pour durée de détention doivent être définitivement supprimés. Seul un abattement correspondant au taux d’inflation, défini par décret, serait maintenu afin de respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision relative au projet de loi de finances pour 2014, celui-ci a, en effet, précisé que l’absence de prise en compte de l’inflation était le seul motif de sa censure. Dans son considérant 46, le Conseil a estimé qu’une imposition « sans que soit prise en compte l’érosion de la valeur de la monnaie ni que soit applicable aucun abattement sur le montant de la plus-value brute calculée (...) conduit à déterminer l’assiette de ces taxes dans des conditions qui méconnaissent l’exigence de prise en compte des facultés contributives des contribuables intéressés ».
Un tel abattement, fondé sur la seule inflation, s’appliquerait à la fois à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux alors que le régime d’abattement actuel, issu de la loi de finances pour 2015, distingue les deux impositions sans aucune raison apparente.
Proposition : Baisser le taux d’imposition des plus-values immobilières de cessions de terrains à bâtir et appliquer des abattements fondés sur le seul taux d’inflation entre l’acquisition et la cession, à la fois sur l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux.
3. Généraliser les mécanismes d’exonération ou de report d’imposition en cas de réinvestissement dans la construction de logements
Le 4° du II de l’article 150 U du code général des impôts exonère d’imposition les plus-values immobilières réalisées à la suite d’une cession d’immeubles pour lesquels une déclaration d’utilité publique (DUP) en vue d’une expropriation a été prononcée, « à condition qu’il soit procédé au remploi de l’intégralité de l’indemnité par l’acquisition, la construction, la reconstruction ou l’agrandissement d’un ou de plusieurs immeubles dans un délai de douze mois à compter de la date de perception de l’indemnité ».
Selon les aménageurs publics auditionnés par la mission, cette exonération fiscale est particulièrement efficace pour inciter des propriétaires à céder à l’amiable un terrain constructible avant même que l’expropriation en elle-même ne soit engagée. Cette « carotte » fiscale, permet d’accélérer la cession sans attendre que toute la procédure de l’expropriation (le « bâton ») aille à son terme. La déclaration d’utilité publique, prononcée par le préfet, reste toutefois longue à obtenir.
C’est la raison pour laquelle votre rapporteur estime que cette exonération pourrait être élargie à tous les cas d’acquisition de foncier par la puissance publique dans le cadre d’un projet d’intérêt général, sans qu’une DUP soit nécessaire et sans que ces terrains soient systématiquement rétrocédés pour y construire uniquement des logements sociaux, comme le prévoit déjà le 8° du II du même article.
Dans le même esprit, afin que les propriétaires soient pleinement incités à vendre leur terrain tout en continuant à participer au financement de la construction de logements, un mécanisme de report d’imposition de la plus-value immobilière pourrait être mis en place lorsque le produit de cette plus-value est intégralement réinvesti dans la construction de logements dans un délai de douze mois, y compris lorsque la construction a lieu sur le terrain qu’il vient de vendre. Un tel mécanisme permettrait que le vendeur ait un intéressement au projet. Cette disposition ne s’appliquerait que dans le cas où la construction des logements participe à la résolution des problèmes d’offre de logements abordables – en accession à la propriété comme dans le locatif - dans les zones tendues.
Proposition : Généraliser l’exonération et le report d’imposition dans le cadre de réinvestissements pour la construction de logements.
4. Réformer dans le cadre d’une loi de programmation relative à la fiscalité des terrains à bâtir
L’ensemble de ces mesures fiscales ne peuvent pas être adoptées et mises en œuvre à l’occasion d’un projet de loi de finances annuel classique. L’expérience a montré que le recours à la loi de finances annuelle était une source d’instabilité et qu’il empêchait qu’une communication préalable claire sur les objectifs de cette réforme soit effectuée.
C’est pourquoi votre rapporteur estime que la réforme fiscale globale de l’imposition du foncier, consistant principalement à alourdir la taxation de la détention tout en baissant celle de la mutation, doit faire l’objet d’une loi fiscale spécifique, indépendante de la loi de finances annuelle, et dont les dispositions seront pluriannuelles. Les recettes fiscales, à l’inverse des dépenses budgétaires, peuvent, en effet, faire l’objet d’une loi ordinaire conformément à l’article 34 de la Constitution. Cette méthode permettrait une programmation pluriannuelle stable et des entrées en vigueur progressives des différents volets de la réforme.
De telles modifications d’imposition créeront nécessairement des changements importants à court terme pour nos concitoyens. Elles devront donc faire place en premier lieu à des territoires d’expérimentation « à blanc » afin de bien en mesurer les effets concrets pour les contribuables. Cette réforme devra aussi être accompagnée d’une pédagogie et d’une communication importante de la part des pouvoirs publics. Ceux-ci devront insister sur le fait que cette réforme fiscale n’aura pas pour objectif d’accroître les recettes de l’État et des collectivités territoriales, mais bien d’inciter à la construction de logements abordables, dont le nombre insuffisant constitue un coût économique et social majeur pour notre pays et handicape fortement notre compétitivité.
Proposition : Réformer la fiscalité des terrains à bâtir dans le cadre d’une loi de programmation fiscale spécifique et accompagner cette réforme d’un effort de pédagogie important.
À défaut d’une telle réforme, dont votre rapporteur n’ignore ni l’ambition, ni la complexité, la révision des valeurs locatives cadastrales des terrains non bâtis, menée d’abord de façon expérimentale dans cinq départements à l’image de celle entreprise pour les locaux d’habitation, pourrait a minima être envisagée. Si l’expérimentation s’avère probante, la généralisation des révisions pourrait ensuite être engagée sur l’ensemble du territoire. Dans le même temps, cette révision pourrait être accompagnée de la mise en place d’abattements dégressifs sur les plus-values immobilières durant les trois années suivant le classement d’un terrain en zone constructible (50 % la première année, 30 % la deuxième et 15 % la troisième), tous les terrains étant déjà constructibles au moment de l’entrée en vigueur de ce dispositif étant concernés pour une durée de trois ans. Ces mesures, bien que moins efficaces en termes de fluidification du marché tout en restant lourdes à mettre en place, peuvent constituer une alternative face à une situation qui ne doit pas rester inchangée.
II. RENFORCER LE CARACTÈRE OPÉRATIONNEL DES DOCUMENTS D’URBANISME ET DES OUTILS FONCIERS
A. LES PLANS LOCAUX D’URBANISME NE SONT PAS DES DOCUMENTS SATISFAISANTS
1. Les PLU demeurent des documents limitatifs dont l’application est incertaine
Depuis la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, « l’urbanisme de projet » ou l’urbanisme opérationnel est encouragé par opposition à « l’urbanisme réglementaire ». Le plan local d’urbanisme (PLU) est censé traduire un projet de ville, via un diagnostic et un plan d’aménagement et de développement durables (PADD). Le PADD n’est cependant pas directement opposable aux tiers et aux permis de construire. Ses objectifs doivent être traduits dans le règlement écrit et graphique ainsi que dans les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) qui sont, eux, opposables.
Or le règlement écrit et graphique demeure avant tout une liste d’interdictions. Celui-ci se contente, en effet, le plus souvent de fixer des hauteurs ou des densités maximales dans les zones urbaines ou à urbaniser (U et AU). Ces hauteurs ou ces densités maximales ne doivent pas être dépassées pour qu’un permis de construire soit accordé, mais elles ne doivent pas non plus être nécessairement atteintes. Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.
Cela crée, dans le jeu des acteurs, une forme d’incertitude qui ne participe pas à la fluidité et à la rapidité des opérations. De son, côté, le promoteur ou le vendeur de terrain a évidemment intérêt à maximiser la densité de la construction, car l’opération sera d’autant plus rentable financièrement. Il cherche donc le plus souvent à proposer un projet qui utilise au maximum les droits à construire accordés par le PLU. Or, l’obtention d’un tel permis de construire est très souvent le résultat d’un échange sur des bases qui ne sont pas objectivées. En effet, en raison de l’hostilité fréquente des habitants à la densification et aux nouvelles constructions, mais aussi par la volonté des élus locaux de « garder la main » pour autoriser ou non un projet suivant son insertion dans la ville existante, il n’est pas rare qu’une opération de construction doive être revue à la baisse en termes de hauteur, et donc de mètres carrés bâtis, pour que soit délivré le permis de construire, quand bien même le projet initial était parfaitement conforme au PLU.
Cette situation amène à questionner le sens donné au contenu d’un PLU et donc à percevoir comme faussé ce qui devrait être aussi important que le document final lui-même : un nécessaire processus local participatif de co-élaboration. En effet, le PLU devrait être le résultat d’un échange approfondi entre élus, habitants et acteurs socio-économiques pour aboutir à un projet de ville, si ce n’est consensuel, au moins partagé dans son analyse de la situation et dans les objectifs concrets à réaliser.
Dans les faits, il n’existe pas de document d’urbanisme « dessinant » la ville telle qu’elle devrait être d’ici quelques années et exposant les moyens juridiques et opérationnels permettant d’y parvenir. On en reste à un document déclaratif – car définissant des intentions qui ne seront pas forcément mises en pratique, même à moyen terme – et uniquement limitatif quant aux morphologies des bâtiments possiblement construits. Paradoxalement, le PLU définit donc la ville du futur comme « l’ensemble de tout ce qu’elle ne doit pas être » (27), ce qui est largement insuffisant. Cela ouvre de plus la voie à des oppositions de principe à toute opération, puisque tout est discutable quand même cela aurait déjà été discuté !
Les adaptations des projets de construction se font à l’occasion de consultations préalables auprès des communes, qui se déroulent entre la promesse de vente d’un terrain constructible et le dépôt officiel de la demande de permis de construire. D’après les promoteurs auditionnés par la mission, ces consultations préalables se multiplient dans les territoires et sont une source d’allongement des délais d’obtention des permis de construire. Elles sont sans doute déjà un moyen, pour les communes, de contourner le délai maximal de cinq mois fixé récemment par le décret n° 2015-836 du 9 juillet 2015 relatif à la réduction des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme. Dans le Rhône par exemple, les promoteurs rencontrés par la mission ont indiqué que ces consultations préalables pouvaient durer jusqu’à neuf mois. Le délai entre une promesse de vente et l’obtention du permis de construire peut donc être de quinze mois. Durant cette période, le volume de droits à construire accordés peut varier, ce qui rend la transaction très incertaine.
Dans le cas où un PLU est intercommunal, ce qui devrait heureusement se généraliser afin d’envisager la ville sur son territoire réel, le bassin de vie, la délivrance des permis de construire reste de la compétence des maires. Ainsi, le fait que le PLU ne soit que limitatif et non prescriptif permet à certains d’entre eux d’imposer des projets dont la densité est très inférieure à ce que permet le règlement du PLU intercommunal. Cela rend possible, de fait, le contournement de la règle définie collectivement dans un sens d’intérêt général par des communes censées partager un même projet de développement.
Enfin, du point de vue du propriétaire d’un terrain situé en zone AU, le fait que le PLU ne soit pas prescriptif, mais qu’il se contente d’ouvrir des possibilités, lui permet d’attendre que les enchères montent, des années durant, avant de vendre son terrain dans les meilleures conditions.
2. Le PLU doit être plus exécutoire
La plupart des maires et des élus interrogés par la mission ont indiqué leur scepticisme vis-à-vis de PLU dont les règles seraient trop rigides. Un PLU pleinement exécutoire et prescriptif les empêcherait d’adapter chaque projet à son environnement particulier et aux circonstances qui l’entourent. Il est d’autant plus difficile de fixer des règles trop rigides, que la durée de vie d’un PLU est, en général, très longue : elle peut atteindre dix ou quinze ans.
Votre rapporteur estime toutefois que le caractère opérationnel et exécutoire du PLU pourrait être amélioré afin de favoriser la prévisibilité de son application ainsi qu’une meilleure utilisation des droits à construire.
a. Généraliser les règles minimales de densité
Des dispositifs incitatifs visant à ce que tous les droits à construire offerts par le PLU soient utilisés existent déjà. La loi de finances rectificative pour 2010 a, par exemple, permis aux collectivités territoriales de mettre en place un versement pour sous-densité (VSD). Ce dispositif, applicable depuis mars 2012, permet aux communes dotées d’un PLU, d’un plan d’occupation des sols (POS), ou à un EPCI compétent en matière de PLU, de taxer tout détenteur de permis de construire dont le projet immobilier n’atteint pas un seuil minimal de densité. Le VSD ne peut s’appliquer que dans les zones U ou AU des PLU ou des POS. Il est calculé par rapport à un seuil minimal de densité par secteur qui « ne peut être inférieur à la moitié ni supérieur aux trois quarts de la densité maximale autorisée par les règles définies dans le plan local d’urbanisme » (article L. 331-37 du code de l’urbanisme).
Selon les personnes auditionnées par la mission, ce mécanisme facultatif a été très peu utilisé par les collectivités territoriales depuis 2012. Une étude de juillet 2014 de l’Institut de l’économie pour le climat (ex – CDC Climat recherche) le confirme. Selon elle, le VSD n’avait, à cette époque, été mis en place que par une trentaine de communes dont la majorité étaient des communes de moins de 10 000 habitants. Les maires interrogés avaient déclaré avoir mis en place cet outil pour lutter contre l’étalement urbain, dégager des recettes fiscales supplémentaires ou financer les équipements publics liés à l’étalement urbain. L’impact du VSD n’en était pas moins jugé « sensible » sur l’augmentation de la densité des constructions même s’il générait un effet pervers : il incitait les promoteurs, cherchant à éviter de le payer, à se rabattre sur des terrains de petites tailles dont le prix au mètre carré augmentait fortement. Par ailleurs, les maires interrogés par la mission ont indiqué que la mise en œuvre du VSD se heurtait au manque de culture partagée entre les services fiscaux (chargés de son calcul) et les services de la planification urbaine des collectivités territoriales.
Devant l’échec relatif de ce type de dispositif, votre rapporteur estime que des mesures plus contraignantes et directement intégrées au PLU sont préférables. Si l’obligation d’utiliser intégralement les droits à construire semble irréaliste, la mise en place de « planchers » de densité pourrait, en revanche, être généralisée. Le principe de règles minimales d’emprise au sol et de hauteur existe déjà dans notre législation. Le 3° du III de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme prévoit que le règlement du PLU peut imposer une densité minimale de constructions dans certains secteurs, à condition qu’ils soient situés à proximité des transports collectifs. L’article R151-39 du code de l’urbanisme, créé par le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 relatif à la partie réglementaire du livre Ier du code de l’urbanisme et à la modernisation du contenu du plan local d’urbanisme, précise également que le règlement du PLU est autorisé à fixer des règles minimales d’emprise au sol et de hauteur dans certains secteurs, à condition que celles-ci traduisent « un objectif de densité minimale de construction qu’il justifie de façon circonstanciée ».
De telles règles de densité minimales peuvent, par ailleurs, être imposées aux PLU par le schéma de cohérence territoriale (SCoT). Le IX de l’article L. 122-1-5 du code de l’urbanisme dispose, en effet, que « le document d’orientation et d’objectifs [du SCoT] peut, sous réserve d’une justification particulière, définir des secteurs, situés à proximité des transports collectifs existants ou programmés, dans lesquels les plans locaux d’urbanisme doivent imposer une densité minimale de construction. ».
Afin de renforcer le caractère exécutoire du PLU, tout en favorisant des stratégies de densification, votre rapporteur estime que des règles minimales de densité, voire d’emprise au sol ou de hauteur, applicables aux projets comportant des logements devraient être systématiquement inscrites dans le PLU, au moins dans les zones tendues, sans qu’une justification particulière ne soit nécessaire. Ces « planchers » de densité seraient calculés par rapport aux règles maximales correspondantes sans pouvoir être inférieurs à la moitié de celles-ci, comme c’est le cas aujourd’hui pour le versement pour sous-densité. Le PLU donnerait ainsi systématiquement une indication plus claire de ce que serait la ville de demain, tout en apportant une garantie aux élus, comme aux promoteurs, que les droits à construire et leur utilisation seront pleinement encadrés. Cette règle générale pourrait s’appliquer en priorité dans les zones à urbaniser (AU). Bien entendu, ces règles minimales de densité ne s’appliqueraient que pour les constructions nouvelles, et non sur le bâti déjà existant.
Proposition : Généraliser l’inscription dans les PLU de règles minimales de densité, d’emprise au sol ou de hauteur pour les projets comportant des logements.
b. Créer des « zones de mobilisation foncière »
Le fait que les zones déclarées constructibles par un PLU ne fassent pas systématiquement l’objet de projets de construction dans un certain délai permet à des propriétaires misant sur la spéculation de pratiquer une forme de rétention foncière. Comme indiqué auparavant, le coût de portage des terrains à bâtir est très faible, d’autant que le montant de taxe foncière qui s’y applique est très bas. Lorsque le propriétaire d’un terrain bénéficie d’un classement en zone constructible, accordé par la commune ou l’EPCI, celui-ci a tout intérêt à attendre le plus longtemps possible avant de céder son terrain à un promoteur ou à un aménageur public. Le classement en zone constructible apparaît comme un « droit acquis ». Le propriétaire peut ensuite toujours espérer une hausse des prix, elle-même entretenue par la rétention foncière.
Pour que le PLU acquière une réelle force exécutoire, votre rapporteur estime donc que, dans certains secteurs délimités par la commune ou l’EPCI, le classement en zone constructible devrait être limité dans le temps. La loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a déjà permis une avancée en ce sens. L’article L. 123-13 du code de l’urbanisme dispose, en effet, qu’une zone à urbaniser n’ayant fait l’objet d’aucune urbanisation ou acquisition foncière significative de la part de la commune ou de l’EPCI compétent dans un délai de neuf ans suivant sa création ne peut plus faire l’objet d’une urbanisation à moins que le PLU soit à nouveau révisé. L’objectif principal de cette mesure est de lutter contre l’étalement urbain.
La généralisation de ce dispositif ou la réduction du délai de neuf ans pourrait cependant avoir un effet contre-productif. Cela risquerait de rendre des zones inconstructibles alors que l’objectif est que, dans les zones U ou AU, des logements soient effectivement construits.
Votre rapporteur propose donc que les communes ou les EPCI puissent créer, au sein des zones U ou AU, des « zones de mobilisation foncière » (MF) dans lesquelles, si aucune cession ou projet de construction sur des terrains sans occupant manifestement insuffisamment construits n’a été engagé au-delà d’un certain délai annoncé dans le PLU, les propriétaires seraient expropriés selon une procédure simplifiée, inspirée de la procédure de déclaration de parcelle en état manifeste d’abandon (article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales).
Une procédure comparable, définie par les articles L. 125-1 à L. 125-15 du code rural et de la pêche maritime, existe aujourd’hui pour les terres agricoles « incultes ou manifestement sous-exploitées ». Elle permet au préfet de confier l’exploitation d’une terre manifestement sous-exploitée à un autre agriculteur ou de procéder à sa vente par expropriation si le propriétaire ne met pas fin, dans un certain délai, à cette situation de sous-exploitation.
Cette mesure pourrait se décliner de la manière suivante, après des évolutions législatives créant un nouveau chapitre du code de l’urbanisme intitulé « Zone de mobilisation foncière » :
1° Lors de l’élaboration du PLU ou du PLUi, définition, à l’intérieur des zones U et AU, de zones MF (zones de mobilisation foncière) ;
2° Identification dans les six mois suivant le vote du PLU, par les services communaux ou intercommunaux, des parcelles constructibles situées dans les zones MF qui ne sont couvertes que par des friches ou des immeubles sans occupant à titre habituel représentant moins de 50 % du potentiel constructible ; recherche dans le fichier immobilier ou dans le livre foncier des propriétaires, des titulaires des droits réels et autres intéressés ;
3° Notification aux propriétaires que le terrain se situe dans une zone MF et qu’un délai de deux ans leur est conféré pour engager un projet de construction ;
4° Durant ce délai, une proposition d’accompagnement mettant à disposition un ou plusieurs opérateurs publics de portage foncier leur est faite afin d’utiliser au mieux les possibilités de construction dans une optique d’intérêt général ; Le propriétaire dispose d’un droit de délaissement (28) obligeant la commune, l’EPCI ou un opérateur choisi par eux (comme un EPF) à acquérir le bien ;
5° À l’issue de ce délai, si aucun projet réellement constitué n’a été entrepris, le maire ou le président de l’EPCI engage, à la demande de l’organe délibérant de la commune ou de l’intercommunalité compétente, la procédure de déclaration de la parcelle manifestement insuffisamment construite ; le maire ou le président de l’EPCI constate par procès-verbal notifié aux propriétaires que la parcelle est déclarée manifestement insuffisamment construite ;
6° Le maire ou le président de l’EPCI saisit le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’intercommunalité compétent afin d’engager l’expropriation au profit de la collectivité ou d’un organisme y ayant vocation en vue de la construction ou de la réhabilitation aux fins d’habitat ou en vue d’une opération d’intérêt collectif de rénovation ou d’aménagement ;
7° Si les propriétaires s’engagent à mettre fin à l’état d’insuffisance manifeste de construction, une convention est signée avec la commune ou l’EPCI précisant le délai de réalisation des travaux nécessaires, convention qui suspend la procédure. Si les travaux n’ont pas été réalisés à l’issue de ce délai, un procès-verbal d’abandon manifeste est dressé ;
8° Le maire ou le président de l’EPCI constitue un dossier présentant le projet simplifié d’acquisition publique ainsi que l’évaluation sommaire de son coût ; ce projet est déclaré d’utilité publique par le préfet du département qui détermine la collectivité ou l’organisme au profit duquel est poursuivie l’expropriation et fixe le montant de l’indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires, indemnité qui ne peut être inférieure à l’évaluation effectuée par le service chargé des Domaines. Comme pour la procédure de déclaration de parcelle en état manifeste d’abandon, telle que modifiée par la loi ALUR, cette déclaration d’utilité publique ne nécessiterait pas le recours à une enquête publique ;
9° Il serait ensuite procédé à l’expropriation selon la procédure de droit commun.
Proposition : Permettre aux collectivités territoriales de mettre en place des « zones de mobilisation foncière » à l’intérieur desquelles sont recherchés les terrains constructibles sans occupant manifestement insuffisamment construits en vue d’utiliser, dans un certain délai, leurs possibilités à des fins d’intérêt public.
c. Favoriser la délivrance des permis de construire à l’échelle intercommunale
Le PLU du fait son caractère purement limitatif peut être un moyen pour des communes hostiles à la construction de logements de rendre impossible toute mobilisation du foncier privé, alors même que la demande de logements dans l’agglomération est forte. Pour que le PLU permette de répondre aux besoins de logements, votre rapporteur considère que l’échelle pertinente est celle du bassin de vie et d’habitat, c’est-à-dire l’intercommunalité et non la commune. Dans bien des cas, la limite administrative de la commune ne correspond plus à la ville, telle qu’elle est vécue par ses habitants en termes de déplacements quotidiens et d’activités économiques ou sociales. Au sens premier, comme lieu d’émancipation et de relations sociales, comme lieu de travail, d’études ou de pratiques culturelles ou sportives, la ville, ce n’est plus la commune. Certaines communes peuvent donc élaborer, via leur PLU, des stratégies urbaines et d’habitat qui ne correspondent plus à l’intérêt général des habitants d’une agglomération.
La loi ALUR a déjà permis une avancée significative en faveur du PLU intercommunal. Le 27 mars 2017, la compétence en matière de PLU sera, en effet, transférée aux communautés d’agglomération ou aux communautés de communes à moins que 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population s’y opposent par délibérations. Cette compétence est déjà obligatoirement exercée à l’échelon intercommunal dans les communautés urbaines et dans les métropoles de droit commun. Si votre rapporteur considère que les dispositifs votés dans la loi ALUR sont un pas en avant lié à une recherche de consensus avec le Sénat, il souhaite une évaluation précise, dès 2017, de l’utilisation ou non de ces minorités de blocage, afin de voir si elle s’oppose de fait à la fixation de règles d’urbanisme modernes correspondant à l’intérêt général.
Mais, même dans le cas où le PLU est intercommunal, la compétence de délivrance des permis de construire relève toujours aujourd’hui du niveau communal. À terme, votre rapporteur considère que le transfert de cette compétence au niveau intercommunal se fera de manière naturelle. Ce niveau est plus pertinent pour que les pressions d’habitants hostiles à tout projet de construction soient moins fortes et pour que le PLU intercommunal soit le mieux appliqué possible. Ce changement, dont il connaît l’opposition résolue de nombreux élus aujourd’hui, ne sera possible qu’au moment où les élus intercommunaux auront une légitimité supplémentaire conférée par leur élection au suffrage universel, sur la base de projets intercommunaux.
À défaut de transfert de la délivrance des permis de construire à l’EPCI, des services mutualisés d’instruction des demandes de permis de construire au niveau intercommunal, comme il en existe déjà dans certaines métropoles, devraient obligatoirement être mis en place dans tous les EPCI compétents en matière de PLU.
Proposition : Obliger chaque EPCI compétent en matière de PLUi à créer un service mutualisé d’instruction des demandes de permis de construire au niveau intercommunal.
3. L’articulation entre le programme local de l’habitat et les plans locaux d’urbanisme doit être améliorée
a. Les objectifs du PLH sont rarement respectés
Le document chargé de programmer la construction de logements à l’échelle d’un bassin de vie est le programme local de l’habitat (PLH). Ce document, élaboré à l’échelle intercommunale, fixe les objectifs d’offre nouvelle de logements pour six ans ainsi que la typologie des logements à construire au regard de la demande de logements et de la situation économique et sociale des habitants. Depuis la loi SRU du 13 décembre 2000, les PLU et les cartes communales doivent obligatoirement être compatibles avec le PLH. Le PLU est donc censé, grâce aux règles qu’il édicte, permettre que les objectifs de construction de logements fixés à l’échelle intercommunale par le PLH soient atteints.
Force est de constater, toutefois, que les objectifs de construction de logements fixés par les PLH sont rarement respectés. Ce décalage entre les objectifs affichés et les réalisations peut avoir des raisons multiples selon les territoires. Votre rapporteur considère qu’il tient notamment au fait que le volet foncier des PLH est souvent trop succinct et que le lien entre les objectifs du PLH et les moyens opérationnels à mettre en œuvre pour les atteindre est trop imprécis.
Même si le PLU doit juridiquement être compatible avec le PLH, le défaut de caractère opérationnel et prescriptif du PLH peut permettre à une commune de ne pas appliquer les objectifs de construction de logements qui lui ont été assignés par le PLH intercommunal. Cette difficulté est levée lorsque le PLU intercommunal tient lieu de PLH comme le permet désormais la loi ALUR ou lorsque les deux documents sont élaborés parallèlement. Dans le cadre du PLUiH, la cohérence entre les objectifs du PLH et les moyens offerts par le PLU est naturellement assurée. Ce type de document devrait malheureusement demeurer une exception à moyen terme, excepté dans les métropoles de droit commun très intégrées.
Votre rapporteur estime donc que le caractère opérationnel et prescriptif du PLH doit être renforcé. L’article L. 302-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit aujourd’hui que le PLH comprend un « programme d’actions détaillé par commune et, le cas échéant, par secteur géographique ». Ce programme d’actions indique :
« – le nombre et les types de logements à réaliser ;
« – les moyens, notamment fonciers, à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs et principes fixés ;
« – l’échéancier prévisionnel de réalisation de logements et du lancement d’opérations d’aménagement de compétence communautaire. »
Le caractère opérationnel du PLH est donc, en théorie, déjà assuré.
Toutefois, s’agissant du contenu précis des différents PLU communaux, le PLH se contente de fixer des « orientations » peu contraignantes. L’avant-dernier alinéa de l’article L. 302-1 du code de la construction et de l’habitation dispose, en effet, que le programme d’actions du PLH ne fait qu’indiquer les orientations relatives aux majorations de constructibilité en faveur des projets comportant des logements sociaux ou des logements intermédiaires ainsi que celles relatives aux emplacements réservés en vue de la réalisation de programmes de logements.
b. Permettre au PLH d’imposer des servitudes
Pour que les objectifs du PLH aient une chance d’être atteints et respectés, le programme d’actions devrait être plus précis et prescriptif vis-à-vis du contenu des PLU. Le PLH pourrait notamment rendre obligatoire, si la demande de logements sociaux le justifie, la mise en place d’une servitude de mixité sociale dans certaines communes.
La servitude de mixité sociale est un outil créé par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL). Il permet à une commune ou à un EPCI de délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels, en cas de réalisation d’un programme de logements, un pourcentage de ce programme est affecté à des catégories de logements que le règlement du PLU définit dans le respect des objectifs de mixité sociale. En pratique, une telle servitude est généralement instituée par les communes afin de rendre obligatoire une part minimale de logements sociaux dans chaque programme de construction. À Lille, par exemple, une servitude de mixité sociale est en vigueur depuis 2009. Elle impose, dans un zonage très large couvrant plus des trois-quarts de la ville, que tout programme de construction de plus de 17 logements comprenne au moins 30 % de logements locatifs sociaux dont 25 % de logements locatifs très sociaux ou, dans certains secteurs, 30 % de logements en accession sociale à la propriété. Une telle servitude de mixité sociale existe également dans de nombreuses communes de l’agglomération de Montpellier. À Rennes, cette règle devrait être inscrite dans le futur plan local d’urbanisme, en cours d’élaboration, afin de favoriser l’émergence d’une offre de logements intermédiaires en locatif ou en accession régulée.
D’après les responsables de collectivités interrogés par la mission, cet outil est particulièrement efficace pour mobiliser le foncier privé dans le secteur diffus. À Lille, il a ainsi permis d’augmenter la production de logements locatifs sociaux de 28 % depuis 2009 tandis que 64 % de la production en accession sociale à la propriété est désormais réalisée dans les secteurs où s’applique la servitude. Les collectivités misent également sur cet outil afin de maîtriser les prix du foncier dans le diffus. Les prix de sortie des logements sociaux ou intermédiaires étant encadrés, l’application de la servitude de mixité sociale freine le phénomène de surenchère sur les prix du foncier.
Cet outil est également mis en œuvre à Cologne, en Allemagne, où la mission s’est rendue. Le conseil municipal de Cologne a, en effet, adopté, le 15 décembre 2013, une délibération instaurant un « usage coopératif du foncier » obligeant tout projet de construction à comprendre au moins 30 % de logements locatifs sociaux. Les élus locaux et les bailleurs misent sur cette règle pour dynamiser la production de logements sociaux tout en maîtrisant les prix du foncier dans le diffus. Les prix de sortie des logements étant partiellement encadrés sur tout le territoire de la commune, les stratégies de rétention foncière et de surenchère perdent en intérêt.
Dans le cas où le PLH fixe des objectifs de construction de logements sociaux ambitieux, son plan d’actions devrait donc permettre d’imposer à tous les PLU couverts par le PLH la création, à l’occasion de la mise en compatibilité du PLU au PLH dans un délai d’un an, de servitudes de mixité sociale.
Dans le même esprit, le PLH pourrait imposer aux PLU la création d’emplacements réservés pour le logement (ERL). La création d’ERL est aujourd’hui régulièrement recommandée par les PLH, sans pouvoir toutefois être directement imposée. Or les ERL sont la traduction logique des objectifs d’offre nouvelle fixés par le PLH si ceux-ci ont été déterminés sur la base du recensement des fonciers mobilisables en diffus.
Proposition : Permettre aux PLH d’imposer la création de servitudes de mixité sociale et d’emplacements réservés pour le logement dans les PLU.
c. Généraliser la fixation de plafonds de charges foncières dans le cadre des aides à la pierre
Pour maîtriser les prix du foncier et produire des logements sociaux aux loyers les plus bas possibles, certains EPCI ont fixé, dans leur PLH, des prix de vente plafond de charges foncières. Ces prix de vente doivent être respectés par les opérations réalisées sous la maîtrise d’ouvrage des bailleurs ou des promoteurs pour que celles-ci puissent bénéficier des aides à la pierre accordées par l’EPCI. C’est le cas notamment de la métropole de Montpellier qui est délégataire des aides à la pierre de l’État. Ces prix de vente plafond des charges foncières ont été fixés dans le programme de l’habitat après consultation des aménageurs, des promoteurs, des bailleurs et des architectes. Ces plafonds s’appliquent uniquement pour les logements locatifs PLAI et PLUS sur la base du zonage d’investissement locatif (zones A, B ou C).
La fixation de tels plafonds permet de s’assurer que l’effort financier de la collectivité ne génère aucun effet inflationniste sur les prix du foncier, améliore les équilibres financiers des opérations et rend donc possible l’atteinte des objectifs fixés par le PLH.
Votre rapporteur considère que la fixation de prix de vente plafond de charges foncières pour les opérations bénéficiant d’aides à la pierre devrait donc être généralisée dans le cadre des PLH des EPCI délégataires des aides à la pierre.
Proposition : Rendre obligatoire la fixation de plafonds de charges foncières en contrepartie des aides à la pierre en faveur du logement social.
d. Assurer un contrôle plus strict et régulier de l’État
Enfin, pour que les objectifs fixés par le PLH soient mieux respectés, un contrôle plus strict et régulier de l’État est nécessaire.
Ce contrôle doit, tout d’abord, s’effectuer au moment de l’élaboration du PLH. L’article L. 302-2 du code de la construction et de l’habitation octroie déjà de nombreux pouvoirs au préfet de département. Ceux-ci ont été renforcés par la loi ALUR si bien que le préfet, assisté du comité régional de l’habitat et de l’hébergement, dispose d’un véritable droit de veto s’il estime que le projet de PLH « ne répond pas aux objectifs de répartition équilibrée et diversifiée de l’offre de logements, de renouvellement du parc immobilier et d’accroissement du nombre de logements et de places d’hébergement nécessaires ». Votre rapporteur estime que les préfets devraient utiliser plus fréquemment ce pouvoir et qu’ils devraient, en particulier, s’attacher à contrôler que le plan d’actions du PLH comprend bien des moyens, notamment fonciers, permettant d’atteindre les objectifs fixés.
L’État, assisté du comité régional de l’habitat et de l’hébergement, devrait ensuite être plus attentif aux bilans annuels réalisés par l’EPCI afin de contrôler le respect des échéanciers prévisionnels de réalisation de logements élaborés par commune et, si besoin, émettre des demandes de modification des PLU. Un tel contrôle renforcé nécessite évidemment de préserver les effectifs des directions départementales des territoires (DDT), dont la perte de moyens et de compétences depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP) met en danger leur capacité à exercer leurs missions.
B. LES OUTILS FONCIERS À LA DISPOSITION DES COLLECTIVITÉS SONT NOMBREUX MAIS INSUFFISAMMENT UTILISÉS
1. La palette d’outils et de moyens juridiques permettant aux pouvoirs publics d’acquérir du foncier est large
Le meilleur moyen pour les collectivités territoriales ou l’État de mobiliser du foncier privé est de l’acquérir directement, si besoin contre l’avis du propriétaire. Pour cela, les collectivités territoriales et l’État disposent déjà d’un très grand nombre d’outils juridiques créés et adaptés au fil du temps : le droit de préemption urbain (DPU), les zones d’aménagement différé (ZAD) ou l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Selon la plupart des acteurs locaux et des juristes interrogés par la mission, ces outils sont aujourd’hui suffisants. Une collectivité territoriale, si elle a la volonté et les moyens financiers adaptés, peut mettre en place une politique foncière efficace.
La zone d’aménagement différé (ZAD), créée par la loi du 26 juillet 1962 relative au droit de préemption dans les zones à urbaniser en priorité et dans les zones d’aménagement différé, permet notamment aux collectivités territoriales, grâce un droit de préemption particulier, de s’assurer progressivement de la maîtrise foncière de terrains dans un secteur où il est prévu à terme une opération d’aménagement. Créée par l’État à l’initiative d’une commune ou d’un EPCI compétent, la ZAD permet à une collectivité territoriale ou à un établissement public (EPF, EPFL, SEM) de disposer d’un droit de préemption sur toutes les ventes de biens immobiliers dans un secteur défini, pour une durée de six ans renouvelable. La création d’une telle zone est un moyen, pour la collectivité, de s’opposer à la spéculation foncière et de prévenir la hausse des prix dans des zones exposées où un projet d’aménagement est envisagé. La ZAD est le plus souvent mise en place avant même que le projet soit annoncé pour éviter que celui-ci ne provoque une envolée des prix.
Cet outil est, de l’aveu des acteurs locaux, particulièrement efficace pour limiter la spéculation foncière et disposer de réserves foncières suffisantes pour conduire certains projets d’intérêt local. Il n’est cependant pas suffisamment connu et utilisé par les acteurs locaux qui peuvent, par ailleurs, se heurter à la complexité de sa procédure. Une première mesure de simplification a pourtant été adoptée dans le cadre de la loi ALUR : une ZAD peut désormais être créée directement par un EPCI titulaire du droit de préemption urbain, sans intervention de l’État.
Dans le cas où le propriétaire d’un terrain constructible est réticent à l’idée de vendre, l’arme la plus efficace pour une collectivité territoriale demeure l’expropriation pour cause d’utilité publique prononcée par l’État. Le plus souvent, la déclaration d’utilité publique qui précède l’expropriation, suffit à engager une négociation avec le propriétaire afin d’aboutir à une cession à l’amiable.
La déclaration d’utilité publique peut notamment être utilisée pour la constitution de réserves foncières depuis la loi du 30 décembre 1967 d’orientation foncière (article L. 221-1 du code de l’urbanisme). La DUP « réserves foncières » permet à l’État, aux collectivités territoriales ainsi qu’aux EPF d’acquérir des terrains bâtis ou non bâtis sans qu’un projet soit défini avec précision. Le Conseil d’État (CE, 21 mai 2014, n° 354804) a estimé que les personnes publiques à l’origine de cette DUP devaient simplement justifier, à la date à laquelle la procédure de DUP est engagée, de la réalité du projet d’action ou d’opération d’aménagement sans que les caractéristiques précises de ce projet ne soient encore arrêtées.
Comme l’ont indiqué les maires auditionnés par la mission, la DUP « réserves foncières » n’est malheureusement pas suffisamment utilisée par les collectivités territoriales. Il s’agit d’un outil méconnu et mal apprécié, y compris par les services de l’État (29). Un effort de pédagogie est donc nécessaire auprès des services de l’État et des collectivités territoriales pour rappeler l’existence et l’intérêt de cet outil, qui n’est pas une procédure dérogatoire mais bien une modalité normale de l’expropriation.
Proposition : Inciter les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État à utiliser davantage les ZAD et les DUP « réserves foncières ».
2. L’utilisation de l’expropriation pour la construction de tous types de logements dans le diffus doit être facilitée
Le domaine de l’expropriation pour cause d’utilité publique a été progressivement élargi par le législateur, de la loi du 15 février 1902, qui a autorisé les expropriations pour cause d’insalubrité, à celle du 30 décembre 1967.
Le juge administratif a notamment expressément reconnu que la construction de logements sociaux visant à respecter les obligations de l’article 55 de la loi SRU constituait en elle-même un intérêt public suffisant pour procéder à une expropriation (CAA Versailles, 9 juillet 2012, n° 11VE00389). L’obtention d’une déclaration d’utilité publique pour la construction de logements autres que des logements sociaux est, en revanche, beaucoup plus incertaine, en particulier lorsque la construction de tels logements se situe en dehors de grandes zones d’aménagement. La cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 30 janvier 2014, n° 13LY00299) a franchi un premier pas en reconnaissant que le respect des objectifs de logements fixés par le SCOT et le PLH contribuait à la reconnaissance d’un intérêt public.
Votre rapporteur estime que cette jurisprudence devrait être consolidée par la loi afin que la reconnaissance d’un intérêt public soit assurée à tous les projets de construction de logements qui participent, dans les zones tendues, à l’atteinte des objectifs fixés par le PLH.
Proposition : Garantir, par la loi, la reconnaissance de l’utilité publique à toute opération de construction de logements répondant aux objectifs fixés par les PLH dans les zones tendues.
C. LES MÉCANISMES DE DISSOCIATION REPOSANT SUR UNE PROPRIÉTÉ PUBLIQUE DU FONCIER DOIVENT ÊTRE ENCOURAGÉS
1. La dissociation de la propriété du foncier et du bâti se heurte à la culture française de la propriété
Dans de nombreux pays européens, notamment dans les pays anglo-saxons et scandinaves, la maîtrise des prix et de l’utilisation du foncier est permise grâce au mécanisme de dissociation de la propriété du foncier et du bâti. Un propriétaire, le plus souvent public, possède le terrain tandis qu’un autre, dans le cadre d’un bail de très longue durée, dispose du bâti. La ville de Stockholm (Suède) a, par exemple, été construite sur la base de baux emphytéotiques reposant sur une propriété publique du foncier. Aujourd’hui encore, près de 70 % du foncier de la ville appartient à la municipalité ou à l’État. En Angleterre et au Pays de Galles, la pratique de la dissociation en matière de logements, héritée de la féodalité, est également très courante.
Pour des raisons à la fois historiques et culturelles, la dissociation de la propriété du foncier et du bâti est une pratique très rare en France. Comme dans tous les pays de droit latin, ce type de montage ne correspond pas à la vision traditionnelle de la propriété en France où la propriété de la terre est aussi importante que celle du bâti. Pourtant, de nombreux urbanistes et hommes politiques, comme Edgar Pisani, dans Utopie foncière paru en 1977, ou des études, comme le « rapport Barton » du Conseil d’État en 1982, ont défendu le développement de montages similaires dans notre pays.
La dissociation de la propriété du foncier et du bâti est un outil qui peut, en effet, permettre de produire des logements locatifs ou en accession à un coût abordable, tout en contrôlant les évolutions du marché foncier. Pour le preneur du bail (propriétaire du bâti), ce type de montage permet d’acquérir un logement à un moindre coût, la redevance versée au bailleur (propriétaire du foncier) étant sans rapport avec le coût que représenterait l’acquisition du foncier. Pour le bailleur, la dissociation permet de garder le contrôle de l’usage de son terrain, de geler l’évolution du prix du foncier et d’interdire par là même l’appropriation privée des plus-values foncières (30).
Différents dispositifs juridiques permettant un partage de la propriété existent pourtant en France :
– le plus ancien et le plus répandu est le bail emphytéotique. Hérité du droit romain et régi aujourd’hui par l’article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime, le bail emphytéotique peut être consenti pour une durée qui ne peut être inférieure à dix-huit ans et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans. Il confère au preneur un droit réel contre le paiement d’une redevance. Mais le bail ne peut être prolongé par tacite reconduction. Le bail emphytéotique est l’outil qui est, par exemple, utilisé par les Hospices civiles de Lyon pour gérer des legs de terres et de bâtis qui étaient assortis d’une interdiction de revente. Certains EPF, comme l’EPF d’Île-de-France à Paris ou à Vincennes, utilisent ce bail de très longue durée pour baisser le coût du foncier des opérations de construction de logements sociaux ;
– le bail à construction a été créé en 1964 dans le but de contribuer à favoriser la construction de logements. Son mécanisme est très proche de celui du bail emphytéotique à la différence près que le preneur a l’obligation de construire sur le terrain donné à bail ;
– le bail à réhabilitation, quant à lui, est réservé à des organismes HLM, à des SEM ou à des collectivités territoriales qui s’engagent « à réaliser dans un délai déterminé des travaux d’amélioration sur l’immeuble du bailleur et à le conserver en bon état d’entretien et de réparations de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d’habitation pendant la durée du bail » (article L. 252-1 du code de la construction et de l’habitation).
Le bail emphytéotique et le bail à construction ne permettant pas d’encadrer la libre cession du bail, l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire a, par ailleurs, créé un nouveau bail de longue durée : le bail réel immobilier ou BRILO. Ce bail, d’une durée maximale de 99 ans, innove par rapport au bail emphytéotique dans la mesure où le preneur s’engage, sur toute la durée du bail, à ce que les occupants du bien construit ou réhabilité respectent des plafonds de ressources et des plafonds de loyers ou de vente. Ces plafonds ne peuvent être supérieurs à ceux du logement intermédiaire.
2. Les projets de dissociation reposant sur une propriété publique permettent de sécuriser les aides en faveur du logement abordable
Alors que des dispositifs juridiques existent, force est de constater que la dissociation de la propriété du foncier et du bâti demeure une pratique très marginale en France. Selon tous les acteurs auditionnés par la mission, la raison principale de cet échec relatif reste culturelle. Ces dispositifs sont mal compris par les bailleurs ou les preneurs potentiels qui sont attachés à la propriété conjointe du sol et du bâti. Par ailleurs, les montages reposant sur des baux de très longue durée avec une échéance fixe sont peu attractifs en fin de période du bail, le bien bâti subissant alors une très forte dévalorisation.
Pour les particuliers propriétaires de terrains constructibles, le fait de mettre à bail leurs terrains présente également peu d’intérêt, le profit résultant d’une vente étant bien plus intéressant que la perception d’une redevance sur une longue durée.
En revanche, le mécanisme de dissociation présente un intérêt majeur pour la puissance publique. La propriété du foncier peut, en effet, permettre à la collectivité de contrôler l’usage des sols et de sécuriser sur une très longue durée l’utilisation sociale de propriétés ayant bénéficié d’aides publiques.
À ce titre, votre rapporteur considère que les organismes de foncier solidaire (OFS), créés par la loi ALUR et consolidés par la loi dite Macron, constituent l’innovation la plus intéressante en termes de dissociation. Inspirés des community land trust américains, les OFS ont pour mission d’acquérir et de gérer des terrains (bâtis ou non) afin de permettre la production de logements destinés aux ménages éprouvant des difficultés particulières pour se loger, grâce au mécanisme de la dissociation. Celui-ci repose sur un nouveau bail : le bail réel solidaire (BRS) dont l’originalité tient au fait que le bail et sa durée peuvent être « rechargés » à chaque changement de preneur. Le risque de dévalorisation en fin de période du bail est donc écarté.
À Lille, où ce projet a été imaginé, l’OFS sera un outil au service de l’accession sociale à la propriété. Il permettra de neutraliser le coût très élevé du foncier en centre-ville tout en sécurisant dans la durée l’utilisation sociale des aides publiques en faveur de l’accession. Aujourd’hui, les aides publiques en faveur de l’accession sociale à la propriété (taux de TVA de 5,5 % appliqué dans et autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville et subventions directes des collectivités territoriales) ne sont pas pérennes. À chaque revente, et malgré l’inscription de clauses anti-spéculatives, le bien peut, en effet, repartir dans le marché libre. Le mécanisme de bail réel solidaire permet, au contraire, que l’OFS s’assure, à chaque revente du bien, que le nouveau preneur respectera les plafonds de ressources de l’accession sociale à la propriété.
Votre rapporteur soutient cette initiative et estime qu’elle devrait être généralisée dans le cadre de l’accession sociale à la propriété. L’attachement des aides publiques au foncier est, en effet, un moyen d’éviter que les nombreuses aides publiques, en particulier le taux réduit de TVA à 5,5 %, n’aient que des effets temporaires ou inflationnistes sur l’offre de logements abordables.
Ce modèle doit être promu et encouragé par l’État. À ce titre, votre rapporteur souhaite que l’ordonnance prévue à l’article 94 de la loi dite Macron, chargée de définir avec précision le fonctionnement du bail réel solidaire, ainsi que le décret d’application prévu par la loi ALUR, soient rapidement publiés puisque leur rédaction est achevée.
Proposition : Encourager la création d’organismes de foncier solidaire dans toutes les zones tendues afin de pérenniser l’utilisation sociale des aides publiques en faveur de l’accession à la propriété.
Pour que les organismes de foncier solidaire ou d’autres foncières pratiquant la dissociation se développent, des moyens financiers très importants sont nécessaires. Votre rapporteur considère que les OFS devraient notamment pouvoir avoir accès aux prêts fonciers de longue durée de la Caisse des dépôts et consignations.
De nombreux « fonds dormants », comme les dépôts dans des assurances-vie, pourraient également être fléchés vers ce type de placement dont le rendement est régulier et garanti dans le temps. À ce titre, votre rapporteur considère qu’une partie significative des fonds bénéficiant de l’avantage fiscal des contrats vie-génération pourraient être fléchés vers des OFS ou d’autres foncières pratiquants la dissociation. Aujourd’hui, les contrats doivent être investis au minimum à hauteur de 33 % dans des titres fléchés vers l’économie sociale et solidaire, les PME ou le logement social ou intermédiaire. Votre rapporteur estime qu’une part minimale de 15 % devrait être consacrée au logement social ou intermédiaire, ainsi qu’à des OFS ou toute autre société foncière pratiquant la dissociation.
Proposition : Flécher une partie des fonds des contrats vie-génération vers les organismes de foncier solidaire ou toute autre société foncière pratiquant la dissociation.
TROISIÈME PARTIE
UNE NOUVELLE AMBITION POUR MOBILISER LE FONCIER UTILE PORTÉE PAR UNE ÉVOLUTION DU DROIT ET DES PRATIQUES
L’étude menée dans le cadre de cette mission conforte votre rapporteur dans la nécessité, pour mobiliser le foncier urbain potentiellement disponible, de faire évoluer les bases de notre droit. En effet, le droit de propriété, reconnu par notre Constitution et qu’il faut bien entendu préserver, est parfois détourné de son objectif initial, alors que d’autres pays européens, qui protègent également ce droit fondamental, laissent plus de place aux nécessités d’intérêt général.
Dans nombre de cas concernant le logement, qu’il s’agisse de lutte contre l’habitat indigne, du fonctionnement des copropriétés ou, ici, de l’utilisation du foncier constructible dans les zones tendues, le droit de propriété est souvent vu comme figé et devant, par nature, s’opposer au droit au logement pour empêcher la collectivité d’agir. Cette conception vient pour beaucoup que le second n’a été reconnu dans notre bloc de constitutionnalité que par conséquence (31), à l’occasion d’une décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 qui a fait de « la possibilité de disposer d’un logement décent […] un objectif de valeur constitutionnelle » (32).
Comme nous l’avons vu, la hausse du prix du logement est liée dans les zones tendues à la hausse des prix du foncier par, un double effet « levier - cliquet ». Le jeu des acteurs est ainsi dominé par les propriétaires de terrains constructibles non utilisés, dans une forme de rente foncière dont on peut difficilement les blâmer puisque la puissance publique ne met souvent pas en œuvre les moyens pour les inciter à les libérer. De ce point de vue, notre attachement à la terre ne se retrouve pas seulement aujourd’hui que dans les territoires ruraux : il est bien présent dans les zones les plus urbanisées de notre pays.
De ce fait, porter une nouvelle ambition pour créer des logements abordables et libérer du foncier constructible là où sont les besoins nécessite de faire évoluer les bases de notre droit et de reconnaître le droit au logement au même niveau que le droit de propriété. D’autres pays européens, comme l’Espagne ou les Pays-Bas, l’ont inscrit dans leurs textes fondamentaux. Ce droit est également reconnu internationalement et figure en tant que tel dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (33).
Sur le plan pratique, la constitutionnalisation du droit au logement en France n’entraînerait pas nécessairement une garantie de sa plus grande effectivité. En tant qu’objectif de valeur constitutionnelle, le droit à un logement décent fait déjà partie de notre bloc de constitutionnalité et peut être invoqué par tout citoyen à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (34) (QPC). Toutefois, comme l’avait indiqué M. Jean-Philippe Brouant, maître de conférences en droit public, dans un article publié en 2012 (35), l’inscription du droit au logement dans la Constitution, outre sa forte portée symbolique, « permettrait au pouvoir constituant de se réapproprier un objectif dégagé par le juge » et de le définir de manière positive. Élargi à toutes les dimensions du droit au logement, et pas seulement à l’enjeu de la décence, un tel principe constitutionnel ne serait ainsi plus perçu comme une justification à une restriction ponctuelle du droit de propriété mais comme un principe fondamental de notre société obligeant tous les pouvoirs publics à agir.
Proposition : Inscrire le droit au logement dans la Constitution.
De même, pour répondre aux enjeux du moment, il serait sans soute utile de mettre plus en pratique le premier article du code de l’urbanisme qui prévoit que « Le territoire français est le patrimoine commun de la Nation. ».
Code de l’urbanisme
Article L. 101-1
Le territoire français est le patrimoine commun de la Nation. Les collectivités publiques en sont les gestionnaires et les garantes dans le cadre de leurs compétences. En vue de la réalisation des objectifs définis à l’article L. 101-2, elles harmonisent leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace dans le respect réciproque de leur autonomie.
Dans le respect des objectifs du développement durable, l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants :
1° L’équilibre entre :
a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ;
b) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ;
c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;
d) La sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables ;
e) Les besoins en matière de mobilité ;
2° La qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville ;
3° La diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l’habitat, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs de l’ensemble des modes d’habitat, d’activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d’intérêt général ainsi que d’équipements publics et d’équipement commercial, en tenant compte en particulier des objectifs de répartition géographiquement équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services, d’amélioration des performances énergétiques, de développement des communications électroniques, de diminution des obligations de déplacements motorisés et de développement des transports alternatifs à l’usage individuel de l’automobile ;
4° La sécurité et la salubrité publiques ;
5° La prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ;
6° La protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la qualité de l’air, de l’eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts ainsi que la création, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ;
7° La lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’économie des ressources fossiles, la maîtrise de l’énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables.
D’aucuns seraient tentés de reprocher à votre rapporteur une volonté inexistante de collectivisation du foncier ! Celui-ci estime néanmoins que la collectivité créée elle-même de la valeur par ses propres décisions (en classant un terrain comme constructible) ou ses propres investissements (création de lignes de transports, équipements publics, aménagements divers…). Force est de constater que la collectivité est assez « généreuse », une fois l’augmentation du foncier passée, pour accepter de payer une deuxième fois afin de financer des logements abordables, qu’ils soient sociaux, intermédiaires ou en vue d’investissements locatifs, de permettre aux familles de s’y loger par les aides à la personne, ou encore pour leur apporter des équipements publics supplémentaires (écoles, crèches…).
En ce sens, s’il est juste de reconnaître les efforts du propriétaire pour amener sur le marché un terrain constructible dans de bonnes conditions de qualité, on ne peut lui accorder le bénéfice d’une forme d’enrichissement sans cause. En effet, il paraît sensé de comparer la situation créée par la rétention de foncier constructible, puis par sa libération à un prix élevé aux principes du droit qui régissent l’enrichissement sans cause, à savoir qu’une personne (la collectivité) s’est appauvrie alors qu’une autre s’est enrichie (le propriétaire foncier), de par une causalité créée par l’absence de règlement du marché en situation de tension de l’offre de logements abordables, et cela sans raisons juridiques.
C’est le sens de plusieurs des propositions faites plus avant, notamment les nouvelles zones de mobilisations foncières qui pourraient être créées afin de recenser et de mobiliser des parcelles actuellement sous utilisées. Ce devrait être une ligne de conduite de l’action publique afin que le droit de propriété d’un terrain rencontre partout l’intérêt général s’il existe manifestement. Loger tous les citoyens de notre pays devrait être un objectif prioritaire, tant une forme permanente de déchéance d’urbanité pèse sur les situations personnelles et notre intérêt collectif.
Proposition : Ajouter dans le code de l’urbanisme le principe selon lequel la valeur créée par une collectivité déclarant un terrain constructible ou réalisant des équipements et infrastructures divers à proximité ne peut être entièrement captée par une personne privée.
De même, il pourrait être envisagé de développer, pour le versement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ou à titre gratuit (DMTG), lors de cessions ou de successions, la pratique des dations foncières. Basée sur les principes de l’échange dans le code civil (36), la dation peut déjà être utilisée entre un particulier et un promoteur lorsque le second prend en charge une partie des frais liés à l’amélioration du terrain ou à sa viabilisation en contrepartie du fait que le premier lui en cède une partie. Cette possibilité pourrait être étendue pour le versement de frais divers comme les DMTO ou la taxe forfaitaire sur les terrains devenus constructibles (TFTC) : au lieu de payer ces taxes, la collectivité pourrait proposer à l’acquéreur ou au vendeur de lui céder une partie du bien acquis.
Proposition : Étendre le principe de la dation foncière entre un particulier et les collectivités, notamment pour le paiement des droits de mutation ou de la TFTC.
On ne peut conclure ce rapport sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement en passant sous silence le gisement important de foncier d’occasion potentiellement mutable que constituent l’ensemble des quartiers anciens dégradés. Les nombreux immeubles qui y sont situés, que l’on peut estimer à environ 500 000, conjuguent des conditions de logement souvent déplorables, des appartements indécents ou très proches de l’être, des pratiques encore trop répandues de marchands de sommeil et des trafics en tous genres. Dernièrement, on a vu aussi comment ce type d’habitat pouvait aussi être le refuge d’activités parmi les plus dangereuses pour notre pays.
L’action de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) dans les quartiers anciens, menée tout d’abord dans le cadre du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), a pu avoir des résultats dans certains d’entre eux, certes limités à une trentaine, en termes de logement (subvention de l’ingénierie des OPAH-RU, requalifications des îlots d’habitat dégradé, reconstitution en logements locatifs sociaux du parc privé dégradé) et d’aménagement (voirie, aménagements publics de proximité, infrastructures). Pour ce qui la concerne, l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) est, depuis 2010, compétente pour mener des actions de recyclage foncier en appui des collectivités afin de lutter contre l’habitat indigne, par des opérations de réhabilitation lourde ou de démolition-reconstruction. Enfin, créé par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (MOLLE) du 25 mars 2009 et porté à la fois par l’ANRU et l’ANAH, le Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) n’a pas eu, pour le moins, l’ampleur auquel son titre pouvait laisser prétendre. Il est vrai qu’il se qualifiait dès l’origine lui-même « d’expérimental ».
Il est donc temps, aujourd’hui, d’agir vigoureusement, par un mouvement d’ensemble, pour modifier ces quartiers et améliorer les conditions de vie de leurs habitants. Cet objectif de transformation et d’amélioration des quartiers doit être concilié avec le fait de ne pas en chasser les familles pauvres qui ont souvent trouvé refuge dans des logements dégradés et au très faible confort, en raison du manque d’offre correspondant à leurs ressources.
Pour cela, il serait sans doute nécessaire, outre l’aspect essentiel de résorption de l’habitat indigne, de mettre plus en avant une volonté de mobilisation d’un foncier peu et mal exploité. Requalifier fortement des logements dégradés permet aussi de loger plus de familles que les seuls occupants actuels, ces derniers payant souvent cher des logements de médiocre qualité, soutenus en cela par les différentes aides à la personne.
Nous sommes face à un système auto-entretenu : le manque de logements abordables pour des foyers modestes les pousse vers cette forme de « logement social de fait » dans des logements anciens aux piètres qualités, peu économes en foncier et aux loyers pour la plupart non encadrés. La solvabilisation de ces ménages se fait par les aides au logement dont le coût a fortement augmenté ces dernières années, ce qui grève d’autant les moyens publics pour construire une offre de logement adapté.
C’est donc toute une logique qu’il faut inverser et il convient, en se limitant ici à la seule mobilisation du foncier, de se fixer des objectifs de reconquête urbaine dans ces quartiers par un véritable engagement national, mêlant financements publics et privés.
Proposition : Engager un recensement national, dans les zones tendues, des quartiers anciens dégradés au foncier potentiellement mutable et lancer un appel à projet afin de recycler le foncier disponible dans des objectifs de mixité d’habitats.
À l’issue des travaux de cette mission, votre rapporteur tient à souligner combien les différents acteurs rencontrés sont disponibles pour œuvrer concrètement et ensemble afin de mobiliser le foncier disponible ou mutable en zone tendue. Il tient d’ailleurs à les remercier pour le temps accordé et l’expertise concrète - la « connaissance en actes » - qu’ils ont chacun apportée.
Il manque sans doute aujourd’hui une mise en mouvement d’ensemble, un discours politique, au sens premier du terme et pleinement porté, affichant la nécessité pour notre pays de sortir de la forme d’impasse que nous connaissons depuis trop longtemps, celle du logement rare et cher, lié à un foncier qui ne trouve pas la fluidité nécessaire à sa pleine mobilisation. Cet état de fait, subi par de trop nombreux habitants de notre pays, est le symbole de nombre des blocages de notre société. Il en est aussi un des moteurs les plus puissants.
Cette mise en mouvement ne doit pas se restreindre à une seule parole publique, mais doit permettre un débat approfondi dans le pays pour aboutir à un constat partagé, afin de nous convaincre nous-mêmes que cet objectif est d’intérêt général et que, par-là, nous pouvons rejoindre l’intérêt individuel de chacun et l’intérêt collectif de tous.
Permettre de la transparence en structurant et en régulant le marché du foncier, allier urbanisme opérationnel et fiscalité dans une même logique de long terme en zone tendue, tout cela doit concourir, par un renforcement du droit et des pratiques, à une nouvelle ambition pour mobiliser le foncier privé utile.
Ce constat et les propositions avancées ne trouveront pas leurs débouchés, pour la plupart d’entre-elles, dans le cadre de cette législature. Malgré cela, votre rapporteur est pleinement convaincu que le statu quo ou les mouvements pendulaires, d’une année sur l’autre, des différents choix publics sont, en la matière, non seulement sans aucune efficacité, mais néfastes à toute mobilisation effective du foncier utile là où sont les besoins. Il souhaite donc que ces pages puissent être utiles dans les chantiers prioritaires qui s’ouvriront dès après les élections nationales de 2017, cela afin d’engager les réformes nécessaires dans la durée.
Le foncier et les choix publics y afférents doivent, en effet, être le lieu du temps long, de la permanence des objectifs, de la stabilité des règles et de leur évaluation partagée. Le défi est simple : celui de la confiance et de la responsabilité des acteurs, dans un cadre stable et connu de tous. C’est un chantier d’avenir.
Lors de sa réunion du 16 février 2016, la commission a examiné le rapport d’information sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement (M. Daniel Goldberg, rapporteur).
Mme la présidente Frédérique Massat. C’est le 24 juin 2015 que la mission d’information sur la mobilisation du foncier privé en faveur du logement a été créée par la Commission des affaires économiques. Je remercie notre rapporteur, Daniel Goldberg, pour le travail qu’il a effectué depuis – avec Mmes Brigitte Allain et Audrey Linkenheld et MM. Hervé Pellois et Jean-Marie Tétart – et qui a déjà débouché sur le bilan d’étape qu’il a présenté le 6 octobre 2015 devant notre commission.
L’objectif de la mission était d’identifier les causes de la hausse des prix du foncier dans les zones tendues et de formuler des propositions relevant à la fois des règles fiscales et d’urbanisme, pour permettre aux acteurs publics de mobiliser plus efficacement les terrains constructibles et faciliter ainsi la construction de logements abordables.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. La question de la mobilisation du foncier privé constructible en zone tendue a été discutée à plusieurs reprises dans le cadre de notre commission. Nous sommes, depuis des années, dans une situation paradoxale, puisque, alors que, par définition, une crise est transitoire, nous connaissons une crise du logement qui dure. Elle a des conséquences sociales pour ceux qui ont des difficultés à se loger, qu’ils soient issus de milieux défavorisés ou des classes moyennes, en Île-de-France ou dans de nombreuses régions. Il s’agit d’un enjeu économique pour toute la filière du bâtiment, mais aussi d’un enjeu de compétitivité pour notre pays, car les difficultés à se loger entraînent une agilité moindre du point de vue économique, lors de mutations professionnelles, par exemple.
Pour construire, il faut des terrains : il est donc indispensable que nous nous intéressions à la question foncière. Notre assemblée a d’ailleurs délibéré sur la mobilisation du foncier public à l’occasion de l’examen d’un projet de loi adopté en janvier 2013. M. Thierry Repentin, délégué interministériel à la mixité sociale dans l’habitat, travaille sur la question, dans le dessein de libérer du foncier propriété de l’État ou de différentes entreprises publiques. Mais la majeure partie du foncier disponible concerne sans doute des territoires privés et situés, de surcroît, dans le « diffus » : ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de grandes parcelles pouvant permettre des opérations d’importance.
Notre mission a donc essayé de comprendre comment mobiliser au mieux, dans le « diffus », ce que je qualifie de foncier « d’occasion » : des terrains déjà utilisés, où se dresse, par exemple, un entrepôt désaffecté ou un pavillon délabré non habité, et pour lesquels propriétaires et acquéreurs ne se sont pas rencontrés.
À l’issue d’une trentaine d’auditions et de déplacements en région, nous avons dressé un premier constat concernant l’état du marché du foncier. En ce qui concerne les terrains nus ou potentiellement mutables, le foncier est peu ou mal mobilisé et le marché est peu ou mal connu. Il est relativement opaque, tant du point de vue de l’équilibre des prix que de la connaissance fine des parcelles et des servitudes qui peuvent peser sur un certain nombre d’entre elles. Il est donc nécessaire de mieux identifier ce foncier.
Nous proposons d’aller vers une logique d’open data concernant la connaissance technique des terrains, leur existence, les éventuelles servitudes et l’identification de leur propriétaire. Dans le cas d’une transmission avec plusieurs héritiers, tous les propriétaires ne sont pas forcément identifiés : les promoteurs potentiels doivent alors les rechercher pour leur demander s’ils veulent bien vendre. Les prix sur le marché du logement sont relativement connus, grâce à des échelles assez fines de prix au mètre carré, mais ce n’est pas le cas pour le foncier.
Le rapport formule donc des propositions destinées à favoriser une plus grande transparence du marché. C’est d’autant plus important que, ces dernières années, la part du foncier dans une opération de construction a beaucoup augmenté : elle est de 45 % en Île-de-France, de 37 % en Rhône-Alpes et de 39 % en Languedoc-Roussillon, suivant l’ancien découpage des régions. Le marché suit une logique de compte à rebours : ce n’est pas le prix du foncier qui détermine le prix des logements, mais le prix auquel on peut vendre les biens bâtis qui fixe le prix du foncier. Aussi la part du foncier dans la richesse nationale, qui a beaucoup crû dans les années 2000, est-elle aujourd’hui considérable.
En outre, le prix du foncier d’un terrain non construit ou non utilisé augmente mécaniquement dès lors qu’il se trouve à proximité d’équipements construits ou faisant l’objet d’un projet de construction – gares du réseau de transports du Grand Paris en Île-de-France, équipements publics, comme les collèges, voire investissements privés, comme le siège social d’une entreprise. Ainsi, la puissance publique est parfois très généreuse : en finançant un équipement public, elle fait mécaniquement augmenter le prix du foncier aux alentours et doit ensuite elle-même payer plus cher lorsqu’elle veut se lancer dans la construction de logements ou dans l’investissement locatif à cet endroit. Il y a là une forme de captation sans cause de la richesse produite.
Une meilleure utilisation du foncier constructible se heurte souvent à des recours contentieux, qui grèvent les opérations de construction. Notre assemblée et le Gouvernement ont beaucoup travaillé sur la question. Une ordonnance a été prise en juillet 2013, suivie de décrets en octobre 2013. Mais les acteurs du logement que nous avons rencontrés considèrent qu’il faudrait aller plus loin. Des propositions sont faites dans le rapport pour limiter la durée des procédures contentieuses, car, lorsqu’il s’agit de construction de logements, le temps, c’est de l’argent, et le temps passé peut grever la réalisation de l’opération.
La première partie de notre rapport concerne donc la nécessité d’identifier le foncier disponible et d’en finir avec un marché opaque.
Dans la deuxième partie, nous avons essayé de réfléchir à ce qui contribuerait à une plus grande stabilité des décisions publiques et à une meilleure efficacité de chacun des acteurs. Il nous semble aujourd’hui nécessaire d’allier urbanisme opérationnel et fiscalité durable, au sens de la pérennité des décisions fiscales, pour mobiliser le foncier constructible.
Chaque fois que nous en avons débattu, nous avons regretté, sur tous les bancs, que les règles fiscales changent sans cesse. Depuis six ans, les règles d’imposition des plus-values immobilières ont été modifiées chaque année ou presque : les particuliers propriétaires de terrains ne savent plus ce qui les attend s’ils se décident à vendre, et les acteurs professionnels, eux aussi, ont du mal à s’y retrouver. Aujourd’hui, on taxe beaucoup plus ceux qui vendent un terrain que ceux qui le détiennent pendant de longues années. Au lieu de proposer une mesure de portée annuelle, nous sommes donc favorables, dans un objectif d’intérêt général, à l’instauration d’une fiscalité plus incitative, claire dans ses objectifs et pérenne pour tous les acteurs. Ainsi le rapport propose-t-il que soit débattue une loi de programmation fiscale, par nature pluriannuelle, plutôt que d’en rester à une logique de « choc d’offre » sur une année ou sur quelques mois, qui a prévalu dans certains exercices budgétaires récents et a donné très peu de résultats.
Nous recommandons un changement de logiciel fiscal, afin de taxer davantage la détention d’un terrain qui n’est pas utilisé et beaucoup moins le fait de le vendre. Cette logique fiscale a montré son efficacité dans d’autres pays. Les bases de notre imposition cadastrale, qui datent de 1961, ne correspondent plus à la réalité du marché. L’évolution de la fiscalité prendra du temps et devrait être un projet pour la prochaine majorité de l’Assemblée nationale, quelle qu’elle soit. La prochaine législature devrait s’emparer du projet, mener des expérimentations sur les territoires et prendre en compte les évolutions de la valeur vénale des terrains, ce qui n’a pas été fait depuis plus de cinquante ans.
Au-delà de l’évolution de la fiscalité, il faut que les outils de l’urbanisme opérationnel, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les programmes locaux de l’habitat (PLH) correspondent beaucoup plus à ce que souhaitent les élus qui les mettent en place. Aujourd’hui, ces documents sont essentiellement déclaratifs. Dans un PLU, on déclare par exemple qu’on ne veut pas construire plus d’un certain nombre d’étages. Les PLH sont aussi très déclaratifs en termes de nombre de logements construits, mais ils n’indiquent pas forcément les moyens qui permettront de construire ces logements dans un certain délai. Le rapport propose de rendre ces documents plus exécutoires, sans toutefois exiger qu’ils soient respectés à la ligne près. Ainsi, les PLH devraient pouvoir fixer des plafonds de charges foncières ou imposer des servitudes de mixité sociale dans les différents PLU. De même, lorsqu’une commune programme la construction de plusieurs centaines de logements en cinq ou six ans, le PLH devrait comporter la description précise de la partie du territoire communal sur laquelle ces logements seront construits.
Les terrains qui nous intéressent sont relativement nombreux, qu’ils soient situés dans le diffus ou qu’ils soient des terrains d’occasion : il est donc nécessaire de proposer aux communes de mettre en place des « zones de mobilisation foncière », à l’intérieur desquelles sont recherchés les terrains constructibles non habités, insuffisamment construits et insuffisamment utilisés dans les zones les plus tendues. Il faut permettre aux villes d’engager alors un processus de mobilisation effective de ces terrains, faute de quoi ils seront laissés au plus offrant, en dehors de toute organisation publique.
Enfin, il semble nécessaire de réfléchir à une évolution du droit et des pratiques, en inscrivant le droit au logement dans la Constitution – ce qui avait déjà été évoqué lors de l’examen de la loi instituant le droit au logement opposable –, afin que la puissance publique définisse clairement les objectifs qu’elle se fixe en termes de construction de logements, comme le réclamait le chercheur récemment décédé M. Jean-Philippe Brouant.
Nous avons réfléchi à cette question avec plusieurs collègues issus de tous les bancs de notre assemblée. Le Gouvernement a missionné M. Dominique Figeat pour travailler sur ce sujet : celui-ci rendra son rapport le mois prochain au ministre concerné.
Dans les années soixante-dix, M. Edgard Pisani a publié Utopie foncière : partant de sa double expérience de ministre du général de Gaulle – d’abord à l’agriculture, puis à l’équipement et au logement –, il y établit un parallèle entre deux impératifs, celui de nourrir les habitants de notre pays et celui de les loger. Plusieurs des propositions contenues dans ce rapport s’inspirent des réflexions d’Edgard Pisani et font le parallèle entre la crise du logement que nous connaissons aujourd’hui et les moyens mis en œuvre à la Libération pour mobiliser le foncier agricole non utilisé. Devant un logement rare et cher, il faut peut-être, en effet, que les villes s’inspirent des campagnes. Cela ne sera possible que si les règles du jeu sont fixées de manière pluriannuelle et si chaque acteur assume ses responsabilités. Ce cadre, stable et connu de tous, permettra enfin de mobiliser le foncier privé en faveur du logement.
M. François Pupponi. Ce rapport devrait faire date. Voilà des années que les acteurs du secteur de l’immobilier dénoncent des problèmes en matière de foncier. Nous avons essayé de résoudre ceux du foncier public, mais nous n’avons jamais réussi à régler ceux du foncier privé. Je suis donc très intéressé par les propositions contenues dans ce rapport.
Cependant, ne faudrait-il pas prévoir des modulations en fonction des territoires ? Il y a des endroits où il faut favoriser l’utilisation du foncier privé pour la construction de logements sociaux ; d’autres, au contraire, où il ne faut pas le faire, parce qu’il y en a déjà beaucoup. Sans doute faut-il mieux déterminer les zones, mais ne convient-il pas aussi de réfléchir à des fiscalités ou à des mesures différentes selon les territoires, la typologie et la forme de logements que l’on veut construire ?
M. Jean-Marie Tétart. Je tiens à féliciter monsieur Daniel Goldberg pour le travail très sérieux qu’il a effectué. Il dresse le constat de l’instabilité fiscale, réglementaire et législative qui, depuis quelques années, conduit à une crise de confiance et pousse les propriétaires fonciers à l’immobilisme. Je suis très heureux que ce soit un député de la majorité qui présente ces conclusions et non l’opposition qui, si elle l’avait fait, n’aurait pas eu le même impact !
La plupart des propositions contenues dans ce rapport sont bonnes, notamment celles qui concernent la fiscalité et le renforcement du caractère opérationnel des documents d’urbanisme. Comme M. François Pupponi, je considère qu’il faut peut-être des étapes intermédiaires. En tout état de cause, ces propositions, qui constituent un socle commun, devront être mises en œuvre dans une prochaine législature.
Nous constatons, depuis trois ou quatre ans, un déficit en matière de construction de logements. Compte tenu de la pression, un rattrapage serait nécessaire. Mais il faudrait prévoir de construire bien plus que 500 000 logements par an.
Si, dans ma région – qui n’est pas une zone tendue –, on compare le nombre de terrains constructibles inscrits dans les PLU, dont la révision sera achevée avant la fin 2017, au nombre d’emplois qu’il faudrait pour répondre aux besoins des actifs nouveaux, on se rend compte que l’on va être confronté à un grave problème. Lors de la prochaine législature, il faudra que le rattrapage de la production de logements s’accompagne de la certitude que nous créons bien des emplois au même endroit, pour que les actifs puissent y travailler, sinon nous irons vers de nouvelles zones ANRU, où les lettres « RU » signifieront cette fois « rural ».
M. Philippe Bies. Il manquait un plan d’action sur la mobilisation du foncier privé. Les trente propositions formulées par M. Daniel Goldberg nous donnent un plan de travail pour les prochains mois. J’espère seulement que l’inscription du droit au logement dans la Constitution ne sera pas l’arbre qui cache la richesse de la forêt que constitue ce rapport.
Effectivement, la crise dure. Il y a urgence. Ne serait-il pas intéressant de distinguer les propositions qui relèvent de la loi de celles qui relèvent du pouvoir réglementaire et d’une simple circulaire ? Ne pourrait-on pas transmettre aux préfets certaines de ces mesures en les ajustant aux territoires et à leurs particularités, afin qu’elles puissent être opérationnelles sans tarder ?
M. Lionel Tardy. Monsieur le rapporteur, je tiens à vous remercier pour le travail que vous avez effectué. Je salue votre proposition concernant l’application « Géoportail de l’urbanisme » qui s’inscrit dans une démarche générale de dématérialisation et d’open data lancée par les collectivités publiques. Il est urgent d’accélérer le développement de cette application afin de rattraper le retard pris dans ce domaine.
Vous parlez d’un discours hostile aux nouvelles constructions dans certains territoires. Il faut rappeler que ce discours n’exprime pas toujours une hostilité de principe, et qu’il peut répondre à des préoccupations environnementales. En Haute-Savoie, par exemple, certaines contraintes que vous ne mentionnez pas doivent être prises en compte, telles que la loi Littoral ou la loi Montagne.
Vous évoquez à juste titre la majoration absurde de la taxe sur le foncier non bâti, décidée en 2012. Au-delà de l’assiette que vous qualifiez de dépassée, cette majoration a montré qu’il fallait revoir la liste des zones tendues. Cette liste n’est pas très lisible pour les propriétaires, potentiels contribuables. De surcroît, elle devrait faire l’objet d’une révision régulière. En Haute-Savoie, certaines communes rurales ont été classées en zone tendue simplement parce qu’elles étaient situées à proximité d’une agglomération.
Mme la présidente Frédérique Massat. Monsieur Daniel Goldberg, votre rapport constituera une base solide pour nos travaux futurs. La rationalisation de l’utilisation du foncier doit être une préoccupation dans tous les territoires. Il serait nécessaire de définir un cadre fondateur, avec des règles différentes selon les zones. Comme vous l’avez dit, peut-être faudrait-il que les villes s’inspirent des campagnes. Cela dit, la pression exercée sur les terrains agricoles mérite qu’une réflexion d’ensemble soit engagée sur le foncier. J’ajoute que les pressions énormes auxquelles sont soumis les élus locaux lors de la révision des PLU et qui constituent un enjeu lors des élections municipales font que la réflexion sur la rationalisation du foncier est rarement dépassionnée.
M. le rapporteur. Je vous remercie pour les compliments que vous m’avez adressés. Ce sont les discussions que j’ai pu avoir avec les uns et les autres qui ont permis d’aboutir.
Monsieur François Pupponi, il doit en effet y avoir différenciation des règles suivant les territoires. Comme je l’ai dit en introduction, ce rapport se concentre sur les zones tendues, là où il y a un déficit clair entre l’offre et la demande, ce qui n’est pas le cas partout. Nous avons besoin de construire beaucoup de logements : ce discours, qui n’a pas été suffisamment porté lors des précédentes échéances nationales de 2012, sera au cœur de la prochaine campagne présidentielle. Voulons-nous continuer de vivre ensemble, côte à côte, dans le même quartier, avec nos différences sociales et culturelles ? Chacun sait que certaines positions politiques, qui rencontrent du reste un certain succès lors des élections, cassent les relations et la République au sens où nous l’entendons, tous ici, dans cette commission.
Il faut construire beaucoup de logements, parce que la population française va continuer de croître, ce qui est bon pour nos équilibres sociaux et notre dynamisme économique. Les besoins en nombre de mètres carrés de logement par habitant vont sans doute continuer d’augmenter du fait du nombre de célibataires, du vieillissement de la population, de la moindre stabilité des couples – la garde partagée des enfants nécessite deux fois plus de surface qu’à l’origine. C’est pourquoi je propose de garantir, par la loi, la reconnaissance de l’utilité publique à toute opération de construction de logements répondant aux objectifs fixés par les PLH dans les zones tendues, et non plus seulement aux opérations de construction de logements sociaux – c’est la proposition n° 24. Cette utilité publique devrait être davantage reconnue et portée par les différentes formations politiques. Dans mon rapport, je parle du « dernier arrivé qui ferme la porte », c’est-à-dire de la dernière personne arrivée dans un quartier qui ne souhaite pas que d’autres constructions puissent voir le jour. Vous avez raison, madame la présidente, il est parfois difficile pour les élus locaux de résister à une forme de pression. C’est pourquoi je suis favorable à un PLU intercommunal, ce qui permettrait de faire baisser la pression tout en restant dans le champ démocratique. De surcroît, les élus doivent dire clairement quel projet de ville ils proposent. Comme l’a dit M. Jean-Marie Tétart, il faut un socle commun.
Il a dénoncé l’instabilité fiscale, réglementaire et législative. Elle n’est pas propre à cette majorité et chacun a sa part de responsabilité. En ce qui me concerne, je la déplore. Les prochaines élections nationales pourraient être l’occasion de parvenir à un consensus sur la nécessité de construire et sur des règles qui pourraient être pérennes.
Je partage son analyse quant à la nécessité d’un lien entre l’emploi et le logement. J’y ajouterai le transport, puisque c’est ce dont souffre notre pays, peut-être plus que d’autres. Je me suis rendu en Allemagne, à Cologne, pour voir comment était pris en compte ce type de problématique. Évidemment, le dispositif n’est pas exactement le même.
Par ailleurs, il faut accepter une réalité : la ville, en France, ce n’est plus la commune. Ce n’est plus au sein de la seule commune que l’on peut à la fois se loger, aller à l’école, pratiquer des activités culturelles, sportives, et travailler. Aussi nos règles doivent-elles s’adapter.
Monsieur Philippe Bies a rappelé à juste titre ce qui relevait de la loi et des circulaires. J’ajouterai à cela les bonnes habitudes. Notre cadre législatif n’a pas nécessairement besoin d’évoluer sur tous les sujets abordés dans le rapport ; mieux vaut s’inscrire dans un principe de bonnes habitudes. Je me félicite, par exemple, de la décision du préfet de la région Île-de-France, M. Jean-François Carenco, qui a nommé il y a quelques semaines un médiateur pour la construction de logements dans cette région. De telles mesures pourraient voir le jour dans les régions extrêmement tendues en termes de construction de logement, là où l’on rencontre des blocages – je pense à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Je propose de généraliser la création d’observatoires du foncier afin de connaître la réalité du marché. Les livres fonciers qui existent dans l’est de la France, en Alsace et en Moselle, pourraient être étendus à l’ensemble du territoire dans une logique d’open data, c’est-à-dire de connaissance fine et diverse. Il ne s’agit pas de savoir que telle personne a vendu tel terrain à tel prix, mais de connaître de manière anonyme la réalité du marché.
Monsieur Lionel Tardy, vous avez raison, le rapport ne mentionne pas les contraintes environnementales liées à la loi Littoral et la loi Montagne. Les élus que nous avons rencontrés nous ont dit se préoccuper davantage des équipements – crèches, écoles, gymnases – qui sont liés à la création de logements que des règles environnementales. Mais, sur le fond, je partage votre analyse.
Vous souhaitez revoir la liste des zones tendues. Pourquoi pas ? De toute façon, elles sont fixées selon un déséquilibre entre l’offre et la demande. Il existe vingt-huit zones tendues. Mais elles ne sont pas toutes de mêmes importances, à la fois en termes de taille et d’effectivité de la crise du logement. Il faudrait également se diriger vers une forme de remembrement urbain. L’exemple le plus fréquemment cité au moment de la hausse de la taxe foncière sur les terrains non bâtis était celui d’un terrain constructible sur lequel ni le propriétaire, ni le maire de la commune ne veulent construire. La presse avait dévoilé un autre cas, celui d’une allée qui conduisait à trois pavillons, qui avait été qualifiée de terrain constructible parce qu’il s’agissait à l’origine d’un terrain constructible qui avait été divisé en plusieurs parcelles. Il faut sans doute faire évoluer les choses, prévoir une sorte de remembrement urbain pour bien qualifier ce qui est constructible, ce que la collectivité pense pouvoir être construit et ce qui est la résurgence de dispositions passées.
Nous nous sommes aperçus que, si l’augmentation de la taxe foncière sur les terrains non bâtis avait parfois été trop élevée, celle qui s’appliquait avant ne correspondait souvent en rien à la réalité de la valeur du bien. Quand on paie une taxe de quelques centaines d’euros pour un terrain de 30 000 mètres carrés constructible situé en zone tendue, on peut se dire que l’état de la taxation ne correspondait pas à la destination du terrain. C’est pourquoi il faut prendre le temps de réfléchir, revoir les valeurs cadastrales et changer de paradigme entre la taxation du stock et la taxation du flux.
Madame la présidente, vous avez indiqué que l’évolution de l’utilisation du foncier était différente suivant les territoires. Le but de cette mission était essentiellement de proposer des dispositifs nouveaux et des bonnes pratiques nouvelles en matière de foncier dans les zones les plus tendues. Tout le territoire national n’est pas concerné. Néanmoins, les problèmes que peuvent connaître les zones les moins tendues sont parfois la conséquence des difficultés à se loger à un prix abordable dans les territoires les plus tendus. Il faut prendre en compte cet effet domino lorsque l’on réfléchit à ces questions.
J’ai le sentiment que nombre d’acteurs sont aujourd’hui prêts à ces évolutions, considérant que, si nous ne voulons pas avoir la même discussion dans cinq ou dix ans, il faut engager une politique publique active en faveur de la construction de tous types de logements, agir pour les familles qui rencontrent des difficultés à se loger, pour la grande famille du bâtiment et de la construction, mais aussi pour faciliter l’agilité économique. Il faut en finir avec la « crise qui dure ».
Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie pour cet important travail. La ministre du logement, Mme Emmanuelle Cosse, devant être auditionnée par notre commission au mois de mars, nous serons amenés à aborder à nouveau tous ces sujets.
*
* *
La Commission autorise la publication du rapport d’information.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Assemblée des communautés de France (AdCF)
– Mme Corinne Casanova, vice-présidente de l’AdCF et vice-présidente de la communauté du Lac du Bourget (Savoie), déléguée à l’urbanisme et au foncier
– M. Nicolas Portier, délégué général
– M. Philippe Schmit, délégué général adjoint, chargé urbanisme
– Mme Montaine Blonsard, chargée des relations parlementaires
Association des établissements publics fonciers locaux (EPFL)
– M. Joseph Tyrode (EPFL du Doubs), président
– M. Philippe Vansteenkiste (EPFL de la Haute-Savoie), directeur
BNP Paribas Immobilier *
– M. Pascal Beaubois, directeur général de BNP Paribas Promotion Immobilier Résidentiel
– M. Olivier Bokobza, directeur général délégué de BNP Paribas Immobilier Promotion Résidentiel Île-de-France
Caisse des dépôts et consignations
– Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe du groupe Caisse des dépôts
– Mme Brigitte Laurent, directrice des relations institutionnelles
Conseil d’État et cour administrative d’appel de Versailles
– Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la cour administrative d’appel de Versailles
– Mme Laurence Helmlinger, conseillère d’État, rapporteure à la section du contentieux
Conseil supérieur du notariat (CSN)
– Me Brac de la Perrière, directeur des affaires juridiques
– Me Hervé Drouault, notaire à Paris
– Mme Christine Rey du Boissieu, administratrice en charge des affaires immobilières au CSN
Consommation, Logement et Cadre de vie (CLCV)
– M. François Carlier, délégué général
Département Sorbonne – Études et recherches en droit de l’environnement, de l’aménagement, de l’urbanisme et du tourisme (SERDEAUT), Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne
– M. Norbert Foulquier, professeur agrégé de droit public, directeur
– Mme Alice Fuchs-Cessot, maître de conférences
– M. Frédéric Rolin, professeur des universités
Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP)/Ministère du logement et de l’habitat durable
– M. Laurent Girometti, directeur
– M. François Bertrand, sous-directeur de l’aménagement durable
Établissement public foncier (EPF) Île-de-France
– M. Gilles Bouvelot, directeur général
Établissement public foncier (EPF) Provence-Alpes-Côte d’Azur
– Mme Claude Bertolino, directrice générale
Fédération des promoteurs immobiliers (FPI)
– Mme Alexandra François-Cuxac, présidente
– M. Guy Portmann, vice-président
– M. Jean-Michel Mangeot, délégué général
Grand Paris Aménagement *
– M. Christophe Canu, directeur des études, de l’ingénierie et du patrimoine
Groupe SNI (Société nationale immobilière)
– M. Yves Chazelle, directeur général
– M. Vincent Mahé, secrétaire général
Icade
– M. Denis Burckel, directeur de l’audit, des risques et du développement durable
– M. Hervé Manet, membre du comité exécutif, en charge du pôle promotion
Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) de la région Île-de-France
– Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale
Institut du management des services immobiliers (IMSI)
– M. Henry Buzy-Cazaux, président
Préfecture de Paris et d’Île-de-France
– M. Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris
SCP Fontaine, Roussel & associés, notaires
– M. Frédéric Roussel, notaire
Société Orus
– M. Jean-Loïc Burguière, président
– M. Jérôme Lecubin, directeur de la recherche et du développement
Syndicat national des aménageurs lotisseurs (SNAL)
– Mme Pascale Poirot, présidente
– M. Yann Le Corfec, responsable du service juridique
Union sociale pour l’habitat (USH)
– M. Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales
– M. Jean Nika, responsable du département « Urbanisme, aménagement, foncier » direction de la maîtrise d’ouvrage et du patrimoine
– M. Laurent Ghekiere, directeur des affaires européennes, représentant auprès de l’Union européenne
– Mme Francine Albert, conseillère pour les relations avec le Parlement
Ville de Lille
– Mme Audrey Linkenheld, députée, conseillère municipale de la ville de Lille déléguée au plan lillois de l’habitat
– Mme Caroline Lucats, directrice de l’habitat et des risques
Ville de Rennes
– Mme Nathalie Appéré, députée-maire de Rennes
Personnalités qualifiées
– M. Joseph Comby, urbaniste, directeur de la Revue foncière
– Mme Sandrine Levasseur, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
– M. Vincent Renard, économiste, directeur de recherche au CNRS (laboratoire d’économétrie de l’École polytechnique) et chercheur associé à l’Iddri-Sciences Po
– M. Bernard Vorms, économiste, président du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière (CNTGI)
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
Déplacement à Montpellier, le 24 septembre 2015
– Mme Stéphanie Jannin, deuxième adjointe au maire de Montpellier, déléguée à l’urbanisme et l’aménagement durable et troisième vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole
Déplacement à Saint-Nazaire, le 7 octobre 2015
– M. David Samzun, maire de Saint-Nazaire et président de la communauté d’agglomération de la région nazairienne (CARENE)
– Mme Lauriane Deniaud, adjointe au maire de Saint-Nazaire
Déplacement à Lyon, le 17 décembre 2015
– M. Louis Ziz, président de la chambre de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de Lyon et président du groupe Onyx Promotion Immobilière
– Mme Valérie Guilly, déléguée régionale de la chambre FPI de Lyon
– M. Michel Le Faou, adjoint au maire de Lyon et vice-président de la métropole de Lyon en charge de l’urbanisme et de l’habitat
– Mme Corinne Aubin-Vasselin, directrice de l’habitat et du logement de la métropole de Lyon
– Mme Marion Bazaille, directrice-adjointe à la direction départementale des territoires (DDT) du Rhône
Déplacement à Cologne (Allemagne), le 8 janvier 2016
– Mme Kathrin Möller, présidente-directrice-générale de la société communale d’habitation de Cologne (GAG)
– M. Jochen Mauel, directeur de la gestion du patrimoine de la GAG
– M. Josef Ludwig, directeur du service du logement de la ville de Cologne
– Mme Kirsten Jahn, présidente du groupe des Écologistes du conseil municipal de Cologne
– M. Michael Frenzel, membre du groupe des Sociaux-démocrates (SPD) du conseil municipal de Cologne, premier adjoint au président du comité de développement urbain
– M. Niklas Kienitz, directeur du groupe de l’Union des Chrétiens-démocrates (CDU) du conseil municipal de Cologne
1 () Le Ghetto français, Éric Maurin, 2004.
2 () Le champ de l’enquête porte sur les permis délivrés dans l’année N à des particuliers pour la construction d’une maison individuelle en secteur diffus. L’unité statistique enquêtée est donc le terrain à bâtir faisant l’objet d’un permis de construire pour une maison individuelle.
3 () Politique du foncier et logement : analyse, étude de cas et positions, Association Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV), septembre 2015.
4 () Il est à noter que d’une région à l’autre, les prix moyens des terrains n’ont pratiquement aucune relation avec leur taille moyenne, le prix moyen au mètre carré d’un terrain pour une maison individuelle n’a pas de signification véritable et peut même devenir trompeur quant au prix de vente final.
5 () L’enquête sur le prix des terrains à bâtir, Cédric Cailly, La revue foncière, janvier-février 2015.
6 () Les six marchés fonciers : une approche des logiques de formation de la valeur, L’Observateur de l’immobilier, janvier 2010.
7 () Éléments de réflexion sur le foncier et sa contribution au prix de l’immobilier, Sandrine Levasseur, Revue de l’OFCE, 2013/2 (n° 128), p. 365-394.
8 () 2014 : la bulle foncière en sursis, Joseph Comby, La revue foncière, janvier 2013, actualisation en février 2014.
9 () Le patrimoine économique national en 2014, Sylvain Humbertclaude et Fabienne Monteil, INSEE, décembre 2015.
10 () Le modèle de l’INSEE évalue séparément les logements proprement dits et les terrains sous-jacents à ces logements.
11 () Les valeurs d'un terrain, Joseph Comby.
12 () Immobilier : les prix en question, Éric Lagandré, Vincent Renard, Revue Projet 2015/1 (n° 344).
13 () Prix immobilier – Évolution à long terme, Jacques Friggit, CGDD.
14 () Rapport du groupe de travail 2, Mobiliser le foncier privé des secteurs urbanisés, Claude Bertolino, 21 février 2014.
15 () D’après l'Institut de l’aménagement et de l’urbanisme d’Île-de-France (IAU IdF).
16 () Les six marchés fonciers. Une approche des logiques de formation de la valeur, Joseph Comby, L’Observateur de l’immobilier, janvier 2010.
17 () Enquête CSA, Un maire bâtisseur se met-il nécessairement en danger ?, mars 2014.
18 () Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, rapport du groupe de travail présidé par Daniel Labetoulle, avril 2013.
19 () Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, rapport du groupe de travail présidé par Daniel Labetoulle, avril 2013.
20 () Publication et analyse du rapport Labetoulle sur les recours abusifs, Arnaud Gossement, mai 2013.
21 () Source : Direction générale des collectivités locales (DGCL).
22 () Rapport d’information de MM. François Pillet, René Vandierendonck, Yvon Collin et Philippe Dallier, Les outils fonciers des collectivités locales : comment renforcer des dispositifs encore trop méconnus ?, Sénat, octobre 2013.
23 () Source : Le Parisien, édition du 16 octobre 2015.
24 () http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2013/2013-685-dc/decision-n-2013-685-dc-du-29-decembre-2013.139024.html
25 () Rapport général n° 2260 de Mme Valérie Rabault, députée, sur le projet de loi de finances pour 2015.
26 () Terra Nova, Propositions pour une relance durable de la construction de logements, février 2015.
27 () J. Comby, Le règlement ne fait pas la ville, mai 2009.
28 () Le droit de délaissement, régi par l’article L. 230-1 du code de l’urbanisme, existe aujourd’hui dans le cadre des emplacements réservés ou des ZAC notamment.
29 () Rapport du groupe de travail n° 2 « Objectifs 500 000 », février 2014.
30 () Bernard Vorms, « Accession à la propriété : l’ingénierie juridique peut-elle neutraliser le coût du foncier ? », Politiques du logement, juin 2015.
31 () Articles 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. ».
32 () Décision n° 94-359 du 19 janvier 1995 concernant la loi n° 95-74 relative à la diversité de l’habitat.
33 () « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. », article 25, Déclaration universelle des droits de l’homme.
34 () Décision n° 2011-169 QPC du 30 septembre 2011.
35 () Jean-Philippe Brouant, « Faut-il constitutionnaliser le droit au logement ? », La Gazette des communes, décembre 2012.
36 () « L’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre. », article 1702, Code civil.
© Assemblée nationale