N° 4154 - Rapport d'information de MM. Gilles Savary et Bertrand Pancher déposé en application de l'article 145-7 alinéa 1 du règlement, par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire sur la mise en application de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire




N° 4154

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 octobre 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

en application de l’article 145-7 du Règlement

sur la mise en application de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014
portant
réforme ferroviaire

et présenté par

M. Gilles SAVARY et M. Bertrand PANCHER

Députés

——

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LES OBJECTIFS DE LA RÉFORME DU 4 AOÛT 2014 11

I. RÉDUIRE LES FAIBLESSES ET LES DYSFONCTIONNEMENTS INTRINSÈQUES AU SYSTÈME FERROVIAIRE FRANÇAIS 11

A. UNE GOUVERNANCE AMBIGUË ET OBSOLÈTE 11

B. UNE DYNAMIQUE D’ENDETTEMENT NON SOUTENABLE 14

II. PARACHEVER LA LOI DU 8 DÉCEMBRE 2009 DANS LA PERSPECTIVE OUVERTE PAR LA DIRECTIVE « RECAST » ET LE QUATRIÈME « PAQUET FERROVIAIRE » EUROPÉEN 17

III. GENÈSE ET PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA RÉFORME DU 4 AOÛT 2014 27

DEUXIÈME PARTIE : LE CONTENU DE LA RÉFORME DU 4 AOÛT 2014 31

I. L’ÉTAT, STRATÈGE ET GARDIEN 31

II. LE CHOIX DE LA RECONSTITUTION D’UN GROUPE INTÉGRÉ « EUROCOMPATIBLE » 33

A. UN GROUPE DE TROIS E.P.I.C INÉDIT 33

1. L’E.P.I.C « de tête » SNCF 33

a. Ses missions et fonctions 33

b. Sa gouvernance 34

c. Ses ressources 35

2. Le gestionnaire d’infrastructure unifié : SNCF Réseau 36

a. Ses missions 36

b. Sa gouvernance 37

3. L’E.P.I.C opérateur de transport : SNCF Mobilités 37

4. Les transferts de biens, droits et obligations 38

B. LES GARES DE VOYAGEURS 41

1. Le maintien des gares de voyageurs dans SNCF Mobilités 41

2. Les contributions locales temporaires 43

3. Le rapport demandé au Gouvernement 44

C. UNE ASSOCIATION DES ACTEURS À LA GOUVERNANCE, PAR DEUX INSTANCES D’INFORMATION ET DE CONCERTATION 44

III. LA MISE EN PLACE DE GARANTIES PRUDENTIELLES DE GESTION FINANCIÈRE 46

A. TROIS E.P.I.C, TROIS CONTRATS 46

B. DES RÈGLES PRUDENTIELLES SPÉCIFIQUES APPLICABLES À SNCF RÉSEAU 48

1. Une « règle d’or » prudentielle 48

2. Couvrir le coût complet en dix ans : une définition, un objectif final et des objectifs intermédiaires 50

IV. LES DISPOSITIONS RELATIVES À L’AUTORITÉ DE RÉGULATION DES ACTIVITÉS FERROVIAIRES 53

A. DES COMPÉTENCES RENFORCÉES 53

B. LE DÉCRET D’APPLICATION RELATIF À L’ORGANISATION ET AU FONCTIONNEMENT DE L’AUTORITÉ 54

1. L’avis défavorable de l’Autorité sur le projet de décret 54

2. Les principales dispositions du décret n° 2015-843 du 10 juillet 2015 55

V. L’ÉLABORATION D’UN NOUVEAU CADRE SOCIAL 56

A. UNE CONVENTION COLLECTIVE POUR LA BRANCHE FERROVIAIRE… 56

B. … DONT UN DÉCRET FORME LE « SOCLE » ET DES ACCORDS D’ENTREPRISE, LES AMÉNAGEMENTS 57

VI. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA SÛRETÉ ET À LA SÉCURITÉ 60

A. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX MISSIONS DE L’E.P.S.F 60

B. LE DISPOSITIF DE SÛRETÉ 61

1. La « Suge » 61

2. Le libre accès aux trains pour les agents de police judiciaire 62

3. L’obligation, pour les entreprises ferroviaires, de faire état des actes de délinquance 62

VII. LES COMPÉTENCES ET LES PRÉROGATIVES DES RÉGIONS 64

A. UNE POSSIBILITÉ DE TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ DU DOMAINE PUBLIC FERROVIAIRE AU BÉNÉFICE DES RÉGIONS 64

B. UNE COMPÉTENCE DES RÉGIONS SUR DES LIGNES D’INTÉRÊT RÉGIONAL 64

C. DE NOUVELLES POSSIBILITÉS OUVERTES AUX RÉGIONS 64

D. UNE CONSULTATION DES AUTORITÉS RÉGIONALES SUR LES TRAVAUX DANS LES GARES D’INTÉRÊT NATIONAL 65

E. DES EXIGENCES RENFORCÉES DE TRANSPARENCE ET DE SÉPARATION COMPTABLE POUR LES LIGNES DE T.E.R 65

TROISIÈME PARTIE : UNE MISE EN œUVRE INABOUTIE DANS DES DOMAINES ESSENTIELS 67

I. L’UNIFICATION DU GROUPE : UN CHANTIER COLOSSAL RÉALISÉ DANS DES DÉLAIS REMARQUABLES 67

II. LES NÉGOCIATIONS SOCIALES ET LEURS RÉSULTATS 71

III. L’AFFIRMATION RAPIDE DU RÔLE DU RÉGULATEUR 76

A. L’EXERCICE PAR L’AUTORITÉ DE SES NOUVELLES COMPÉTENCES 76

B. LES COMPÉTENCES DE L’A.R.A.F, DEVENUE A.R.A.F.E.R, ONT CONTINUÉ DE S’ÉTENDRE… 78

C. … SANS S’ACCOMPAGNER IMMÉDIATEMENT D’UNE AUGMENTATION CORRESPONDANTE DE SES MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS 80

D. LE BILAN ÉTABLI PAR L’A.R.A.F.E.R DE LA MISE EN œUVRE DE LA RÉFORME FERROVIAIRE 82

IV. DES ATTENTES PRESSANTES À L’ÉGARD DE « L’ÉTAT STRATÈGE » 83

V. L’ÉVOLUTION DE LA SÉCURITÉ FERROVIAIRE 86

VI. L’ÉTAT DU RÉSEAU EXISTANT : DES EFFORTS CONSIDÉRABLES DE « RATTRAPAGE », QU’IL FAUDRA IMPÉRATIVEMENT POURSUIVRE 87

A. LA PÉRIODE 2008-2012 89

B. LA PÉRIODE 2013-2015 89

C. BILAN PAR CATÉGORIE DE LIGNES 90

D. UN ENJEU MAJEUR DU FUTUR CONTRAT DE PERFORMANCE DE SNCF RÉSEAU 91

QUATRIÈME PARTIE : LA « RÈGLE D’OR », GARDE-FOU CONTRE L’INSOUTENABILITÉ DE LA DETTE : RÉVOLUTION OU MIRAGE ? 93

I. LE FARDEAU D’UN ENDETTEMENT DÉMULTIPLIÉ PAR LA POLITIQUE DU « TOUT T.G.V » 93

II. LE CHOIX DU STATU QUO 100

III. DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTS À STABILISER L’ENDETTEMENT 104

IV. VERS UN « CONTOURNEMENT » DES DISPOSITIONS DE MAÎTRISE DE LA DETTE ? 110

CINQUIÈME PARTIE : LA SNCF FACE AUX DÉFIS DU XXIE SIÈCLE 113

I. PRÉPARER LA CONCURRENCE SUR LE RÉSEAU POUR RELEVER LES DÉFIS DES NOUVELLES MOBILITÉS 119

A. AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DU CHEMIN DE FER POUR FAIRE FACE AUX NOUVELLES CONCURRENCES 120

B. PARACHEVER LA RÉFORME EN VUE D’UNE EXPÉRIMENTATION DE LA CONCURRENCE 126

II. L’IMPÉRATIF D’UNE PROGRAMMATION PRÉVISIONNELLE DES INVESTISSEMENTS FERROVIAIRES 130

III. LE BESOIN INCOMPRESSIBLE D’UN NIVEAU SOUTENU DE FINANCEMENT PUBLIC DU RÉSEAU 137

A. UNE SITUATION CONFUSE… 137

B. … QUI A DEUX CONSÉQUENCES PRÉOCCUPANTES 139

C. UN BESOIN INCOMPRESSIBLE DE FINANCEMENTS PUBLICS 141

D. SÉCURISER LES RESSOURCES DE L’AGENCE DE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT DE FRANCE (A.F.I.T.F) 146

IV. FAIRE ÉVOLUER LE STATUT DES GARES 153

A. UNE GOUVERNANCE CONFUSE ET PRÉJUDICIABLE 153

B. LES AXES D’UNE RÉFORME 159

1. Au plan organique : transférer Gares & Connexions à SNCF Réseau 159

2. Au plan du modèle économique 160

3. Au plan statutaire : filialiser Gares & Connexions 161

4. Au plan de la gouvernance : créer une société anonyme 100 % publique, filiale de SNCF Réseau 162

V. APPROFONDIR LA RÉFORME POUR DONNER TOUTES SES CHANCES À LA SNCF DANS LE NOUVEAU PAYSAGE DE MOBILITÉ 164

A. DES INCERTITUDES À LEVER AU REGARD DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE 164

B. APPROFONDIR LA RÉGIONALISATION FERROVIAIRE 167

VI. NORMALISER LES RAPPORTS DES INDUSTRIES FERROVIAIRES AVEC LA SNCF 170

VII. LE CHEMIN DE FER FACE AUX NOUVEAUX USAGERS 176

A. FAIRE DES CHOIX POUR RELANCER LE FRET 177

B. L’ENSEIGNEMENT DES TRAINS EXPRESS RÉGIONAUX (T.E.R) OU LES VERTUS DE LA RÉGIONALISATION FERROVIAIRE 184

C. RECONSIDÉRER NOTRE POLITIQUE DES GRANDS PROJETS DE LIGNE À GRANDE VITESSE 192

D. ALIGNER LES PRIORITÉS DE RÉGÉNÉRATION DU RÉSEAU AVEC LES CHOIX POLITIQUES D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 194

CONCLUSION : RÉFORMER OR NOT RÉFORMER ? 199

TRAVAUX DE LA COMMISSION 207

I. AUDITION DE M. PATRICK JEANTET, CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DÉLÉGUÉE DU DIRECTOIRE DE LA SNCF 207

II. AUDITION DE M. BERNARD ROMAN, CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DE L’AUTORITÉ DE RÉGULATION DES ACTIVITÉS FERROVIAIRES ET ROUTIÈRES (A.R.A.F.E.R) 225

III. PRÉSENTATION DU RAPPORT DE LA MISSION D’INFORMATION SUR L’APPLICATION DE LA LOI N° 2014-872 DU 4 AOÛT 2014 PORTANT RÉFORME FERROVIAIRE 245

ANNEXE : LE FUTUR CERTIFICAT UNIQUE DE SÉCURITÉ EUROPÉEN (QUATRIÈME PAQUET FERROVIAIRE) 273

PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 275

INTRODUCTION

Déposé en application de l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale, le présent rapport a pour objet de dresser un bilan d’étape de l’application de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire.

La réforme générée par cette loi est allée dans le bon sens, mais n’est pas allée assez loin : face à cette appréciation exprimée de façon quasi-unanime par les acteurs du secteur ferroviaire auditionnés par vos Rapporteurs entre février et septembre 2016, il est apparu nécessaire d’élargir le propos du présent rapport. Un peu plus de deux ans après la promulgation de la loi, quinze mois après la constitution effective du « groupe public ferroviaire », quatre mois après la conclusion des dispositions principales de la future convention collective de branche, vos Rapporteurs ont rempli la mission que leur assignait le Règlement de l’Assemblée nationale – rappeler quels étaient les objectifs et les dispositions de la loi, faire état des textes réglementaires d’application publiés et signaler ceux qui n’ont pas encore été publiés – mais ont souhaité saisir cette occasion d’analyser le contexte et les problématiques du système ferroviaire français.

Le projet de loi de réforme ferroviaire qui a abouti à la loi du 4 août 2014 se présentait clairement, dès le départ, comme une étape, une réforme transitoire, et non comme « la » réforme unique et suffisante du système ferroviaire. Cette réforme était indispensable et ambitieuse ; sa mise en œuvre est complexe et inachevée, même si un certain nombre de « chantiers » d’application ont bien été menés à leur terme ou sont en voie de l’être, au moins au plan juridique ; cette mise en œuvre fait surgir de nouvelles questions, ou fait ressortir les « éléments manquants » de la réforme.

Sans complaisance, vos Rapporteurs tirent donc un bilan d’étape de la réforme pour en saluer les réussites et pour en souligner les défauts, en exprimant l’espoir que la démarche collective nationale – et en premier lieu, la démarche de changement menée par la SNCF elle-même – soit résolument poursuivie dans les années à venir, pour permettre à la France de subir sereinement les conséquences du « choc exogène » que va constituer, d’ici peu, l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.

PREMIÈRE PARTIE :
LES OBJECTIFS DE LA RÉFORME DU 4 AOÛT 2014

Les rapports parlementaires relatifs au projet de loi portant réforme ferroviaire, présentés par les rapporteurs de l’Assemblée et du Sénat en 2014, ont analysé de manière approfondie la démarche qui avait conduit le Gouvernement à présenter ce projet de loi. La présente partie a pour objet de rappeler très brièvement quelles étaient les justifications principales de la réforme, et donc ses objectifs.

I. RÉDUIRE LES FAIBLESSES ET LES DYSFONCTIONNEMENTS INTRINSÈQUES AU SYSTÈME FERROVIAIRE FRANÇAIS

A. UNE GOUVERNANCE AMBIGUË ET OBSOLÈTE

La loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs (« LOTI ») avait transformé la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) en un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). En créant un EPIC distinct, Réseau ferré de France (RFF), par la loi du 13 février 1997 (1), la France avait opéré une séparation juridique totale entre le gestionnaire d’infrastructure (RFF) et la compagnie nationale (SNCF), avec effet rétroactif au 1er janvier 1997.

Ce faisant, bien que cette séparation ait été opérée à la suite de l’adoption de la directive européenne 91/440 qui allait dans ce sens mais qui n’exigeait qu’une séparation organique et comptable (2), la loi de 1997 comportait une ambiguïté fondamentale : présenté comme résultant des règles européennes, RFF était en même temps conçu comme une structure essentiellement vouée au cantonnement d’environ deux tiers de la dette de la SNCF (environ 20,6 milliards d’euros sur une dette totale de 30,4 milliards). (3)

Aussi, la séparation entre RFF et la SNCF n’était-elle qu’« artificielle » : il a été convenu dès le départ que, essentiellement pour préserver « l’unité sociale » de la SNCF, RFF délèguerait à la SNCF (précisément à sa branche « SNCF Infra ») non seulement les tâches de développement, de maintenance et d’entretien de l’infrastructure, mais également les fonctions dites « essentielles » au sens du droit européen (voir encadré page 13).

La loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (dite « loi ORTF ») a procédé à une série d’aménagements organisationnels du système issu de la loi de 1997, en séparant de SNCF Infra la Direction de la circulation ferroviaire (DCF), chargée d’exercer une partie de la fonction essentielle d’attribution des sillons. La DCF devenait ainsi une direction de la SNCF distincte de SNCF Infra, avec un directeur nommé par décret et non par la hiérarchie du groupe. Elle assurait, pour le compte de RFF et avec un budget financé par RFF, les missions de gestion des trafics et des circulations.

Le « gestionnaire d’infrastructure », EPIC d’environ 1 500 agents, juridiquement responsable de la gestion du réseau, se trouvait ainsi totalement dépendant du « gestionnaire d’infrastructure délégué » qui en avait la responsabilité opérationnelle.

LA GESTION DÉLÉGUÉE DE L’INFRASTRUCTURE FERROVIAIRE
AVANT LA LOI DU 4 AOÛT 2014

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Il découlait de ces nouvelles dispositions une organisation du système ferroviaire français d’une rare confusion puisque, si la DCF attribuait juridiquement les sillons, elle le faisait dans le cadre de « contrats » de cadencements, de référentiels, de programmation de travaux et d’arbitrage des conflits qui étaient l’apanage de RFF, comme, d’ailleurs, la fixation des redevances d’accès. Ainsi, l’indépendance théoriquement garantie par la loi à la DCF au sein de la SNCF était démentie par le fait que la DCF ne disposait pas non plus de la plénitude de l’exercice des fonctions essentielles.

La notion de « fonctions essentielles du gestionnaire d’infrastructure ferroviaire »

L’annexe II de la directive 2001/12/CE du 26 février 2001 modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires énumère les quatre fonctions essentielles :

– la préparation et l’adoption des décisions concernant la délivrance de licences aux entreprises ferroviaires, y compris l’octroi de licences individuelles ;

– l’adoption des décisions concernant la répartition des sillons (c’est-à-dire des tranches horaires par ligne ferroviaire), y compris la définition et l’évaluation de la disponibilité, ainsi que l’attribution de sillons individuels ;

– l’adoption des décisions concernant la tarification de l’infrastructure ;

– le contrôle du respect des obligations de service public requises pour la fourniture de certains services.

L’article 6, paragraphe 3, de la directive dispose : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les fonctions essentielles en vue de garantir un accès équitable et non discriminatoire à l’infrastructure, qui sont énumérées à l’annexe II, sont confiées à des instances ou entreprises qui ne sont pas elles-mêmes fournisseurs de services de transport ferroviaire. Quelles que soient les structures organisationnelles, cet objectif doit être atteint d’une manière probante. »

Cette « vraie-fausse » séparation a été contestée par la Commission européenne, qui a saisi en décembre 2010 la Cour de Justice de l’Union européenne. La CJUE a donné raison à la Commission, par un arrêt du 18 avril 2013, en considérant que la France a manqué aux obligations lui incombant en vertu de la directive 91/440 en ne prenant pas les mesures nécessaires pour que RFF, à qui sont confiées les fonctions essentielles, soit indépendante de l’entreprise qui fournit les services de transport.

De plus, l’évolution du droit européen et les trois premières étapes de l’ouverture des frontières dans le domaine ferroviaire (le fret international en 2004, le fret national en 2007, le trafic voyageurs international en 2010) ont accru les exigences d’indépendance et de neutralité des gestionnaires d’infrastructure vis-à-vis des entreprises ferroviaires.

Il était impératif de mettre fin à la « vraie-fausse » séparation du gestionnaire d’infrastructure issue de la loi de 1997, à cette « double responsabilité » de la gestion du réseau, avec tout ce qu’elle avait créé et que l’État, autorité de tutelle, semblait impuissant à résoudre : les défaillances de gouvernance, les coûts de transaction, les dysfonctionnements opérationnels, le régime de propriété excessivement complexe du patrimoine, l’absence d’optimisation financière (4) et une relation de méfiance mutuelle, allant, selon les termes employés par le sénateur Michel Teston(5), jusqu’à « des conflits récurrents au sujet de la programmation des opérations de maintenance » et même « une véritable guerre ouverte au sujet de la convention de gestion de l’infrastructure » entre les deux EPIC.

B. UNE DYNAMIQUE D’ENDETTEMENT NON SOUTENABLE

En 1996, à la veille de la création de RFF, la dette de la SNCF représentait environ 30,4 milliards d’euros. Elle était devenue difficilement supportable pour l’entreprise, malgré son allègement à partir de 1991 grâce à la création du service annexe d’amortissement de la dette (SAAD). Selon le rapport d’évaluation de la réforme de 1997 présenté en 2001 par le Conseil supérieur du service public ferroviaire, « le poids des charges financières pesant sur la SNCF était devenu tel qu’il était évident pour tous les acteurs qu’aucune mesure relevant de la seule gestion interne n’était plus susceptible de permettre à la SNCF de revenir à l’équilibre et à la viabilité » (6). Près des deux tiers de cette dette ont été affectés à Réseau ferré de France à sa création.

« L’absence de reprise de la dette historique [par l’État] – contrairement à ce qui a été fait en Allemagne – et de mise en place d’un financement pérenne du réseau n’a pas permis au système ferroviaire de fonctionner autrement qu’en augmentant chaque année cette dette déjà importante. La dette était pourtant le principal enjeu de la réforme de 1997 » (7). La majeure partie de l’endettement s’est trouvée cantonnée dans RFF (8) alors que le réseau périclitait et nécessitait – et nécessite encore – des efforts d’investissement considérables. Cette opération a effectivement permis à la compagnie historique de rétablir l’équilibre de ses comptes, mais n’a pas du tout résolu la question de l’endettement du système ferroviaire dans son ensemble.

Après 1997, à la dette « historique » héritée s’est ajouté un endettement propre à RFF, lié au déficit d’exploitation du réseau, à ses charges financières et à ses investissements nouveaux.

RFF a dû financer jusqu’en 2003 des déficits d’exploitation couplés à des charges financières importantes, ce qui ne permettait pas de dégager une capacité d’autofinancement suffisante pour financer les programmes d’investissement. L’équilibre global de RFF était assuré par des dotations annuelles en capital. En 2004, l’État a créé une contribution budgétaire au désendettement de RFF (pour la part de dette liée à la prise en charge de la dette d’infrastructure héritée à sa création) et une subvention de régénération destinée aux travaux de renouvellement et de mise aux normes du réseau. Pour autant, l’activité opérationnelle a continué de générer un déficit structurel, l’endettement n’a pas été maîtrisé.

En novembre 2008, l’État et RFF ont signé un contrat de performance, qui fixait une trajectoire financière de référence pour RFF et prévoyait un retour progressif à l’équilibre de son modèle économique ; les objectifs de cette démarche tardive de contractualisation n’ont pas été atteints.

La dette de RFF n’a jamais cessé d’augmenter. En 2013, elle a atteint 37 milliards d’euros, avec une augmentation tendancielle de 2 à 3 milliards d’euros par an qui s’expliquait :

– pour moitié par le déficit structurel du réseau existant (les recettes d’exploitation étant insuffisantes pour couvrir à la fois les dépenses d’exploitation, la rémunération du capital et les opérations de rénovation du réseau) ;

– et pour moitié par l’endettement contracté pour financer les projets de développement du réseau (les CPER 2007-2013 et les quatre lignes à grande vitesse en cours de construction : LGV Tours-Bordeaux, deuxième phase de la LGV Est européenne, LGV Bretagne-Pays-de-la-Loire, et contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier).

L’ENDETTEMENT DU SYSTÈME FERROVIAIRE FRANÇAIS (1997-2014)

 

Dette de
SNCF puis

SNCF Mobilités
(Entreprise nette)

Service annexe d’amortissement de la dette (SAAD)

Dette de
RFF puis
SNCF Réseau

(normes françaises)

TOTAL

 

Encours moyen (*)

Taux de charge
(**)

Encours moyen (*)

Taux de charge

(**)

Encours moyen (*)

Taux de charge

(**)

Encours moyen

 

(en M€)

(en M€)

(en M€)

(en M€)

1997

5 732

6,86 %

8 483

6,87 %

20 661

6,70 %

34 876

1998

6 595

5,36 %

8 177

6,86 %

22 576

6,60 %

37 348

1999

6 295

5,04 %

9 009

7,02 %

25 930

6,07 %

41 234

2000

6 002

4,95 %

8 724

7,33 %

25 718

6,23 %

40 444

2001

6 145

4,12 %

8 930

7,42 %

26 061

6,28 %

41 136

2002

6 508

4,41 %

8 864

6,90 %

25 242

5,92 %

40 614

2003

7 463

4,66 %

7 907

5,86 %

25 234

5,40 %

40 604

2004

6 673

4,87 %

8 561

5,64 %

25 568

5,14 %

40 802

2005

6 421

4,68 %

9 141

5,34 %

25 613

4,84 %

41 175

2006

6 565

4,85 %

8 177

5,12 %

26 115

4,86 %

40 857

2007

6 519

4,84 %

(***)

 

26 021

5,09 %

32 540

2008

6 875

4,27 %

   

27 054

5,14 %

33 929

2009

8 655

3,30 %

   

28 031

4,20 %

36 686

2010

9 378

2,80 %

   

28 020

4,30 %

37 398

2011

9 517

2,86 %

   

28 300

4,45 %

37 817

2012

9 713

2,83 %

   

29 840

4,56 %

39 553

2013

9 700

2,59 %

   

32 605

4,13 %

42 305

2014

9 828

2,73 %

   

35 554

3,90 %

45 381

(*) Montant de la dette financière de long terme hors intérêts courus non échus.

(**) Le taux de charge est le rapport du montant des frais et charges financiers supportés au cours d’une année et du montant moyen de l’encours de la dette pendant ladite année.

(***) La dette portée par le Service annexe d’amortissement de la dette (SAAD), créé en 1991, est prise en charge par la Caisse de la dette publique depuis 2007.

Source : DGITM (ministère des transports)

Il convient de noter que, comme l’a fait remarquer à vos Rapporteurs le représentant de la Community of European Railways rencontré à Bruxelles, « les problèmes français ne sont pas que français » : la question de la priorité à donner aux investissements sur les réseaux existants – comme de nombreuses autres problématiques du système ferroviaire – ne se pose pas seulement dans notre pays, mais dans l’ensemble des pays européens. Par comparaison avec d’autres pays, le système français a réalisé tout de même de très lourds investissements sur le réseau existant – mais, comme par exemple l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie, il n’a pas assez investi compte tenu de l’état de dégradation de ce réseau.

Les problématiques du ferroviaire, abordées principalement sous l’angle de l’ouverture à la concurrence et de l’harmonisation des critères techniques, sont désormais très largement régies par le droit européen. Or, l’adoption, prochainement définitive, d’un « quatrième paquet » de textes européens sur le ferroviaire constitue un facteur majeur d’évolution pour les systèmes ferroviaires nationaux.

II. PARACHEVER LA LOI DU 8 DÉCEMBRE 2009 DANS LA PERSPECTIVE OUVERTE PAR LA DIRECTIVE « RECAST » ET LE QUATRIÈME « PAQUET FERROVIAIRE » EUROPÉEN

Après l’adoption de la loi du 13 février 1997, des évolutions législatives importantes ont eu lieu dans le domaine du transport ferroviaire, mais au niveau européen. La France a dû tirer les conséquences, dans son ordre juridique national, des trois premiers « paquets ferroviaires » (adoptés respectivement en 2001, en 2004 et en 2007). En particulier :

– la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a créé l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) et modifié la « LOTI » pour mettre fin au monopole de la SNCF sur le transport intérieur de marchandises ;

– la loi « ORTF » du 8 décembre 2009 précitée a transposé les dispositions relatives à l’ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs, et a créé l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

Mais ces deux lois n’ont pas réglé le problème des conditions d’impartialité et de transparence d’accès au réseau. La SNCF conservait en son sein les compétences d’entretien, de maintenance et de développement du réseau à travers sa direction « SNCF Infra », ainsi que celles d’attribution des sillons et d’accès aux capacités à travers la DCF. Par ailleurs, la loi du 8 décembre 2009, qui a créé la DCF, ne réglait pas clairement les conditions d’accès aux infrastructures essentielles : cours de marchandises, installations de service, centres de maintenance, gares…

L’expérience a montré que l’ouverture à la concurrence dans le secteur du fret ferroviaire n’a pas été suffisamment anticipée, ce qui a eu des conséquences catastrophiques pour la situation de ce secteur (voir infra).

Or, la directive dite « de refonte » (ou « recast ») (9), qui a réuni et révisé l’ensemble des dispositions de trois directives du premier paquet ferroviaire, a maintenu les principes fondateurs des précédentes directives, en particulier le principe d’indépendance entre la gestion de l’infrastructure ferroviaire et les services de transport ferroviaire, et le principe de séparation comptable et fonctionnelle entre ces deux activités.

Mais elle a aussi défini de nouvelles règles. Elle a imposé aux gestionnaires d’infrastructure des objectifs de performance visant à une utilisation optimale de l’infrastructure et à une réduction du niveau des redevances d’accès pour les utilisateurs du réseau. Elle a établi une liste des éléments constituant l’infrastructure ferroviaire, et comporte plusieurs autres dispositions visant à améliorer la transparence des conditions d’accès à cette infrastructure. Elle a renforcé le rôle et l’indépendance des organismes de contrôle et de régulation nationaux.

D’autre part, avec le quatrième « paquet ferroviaire » (10), dont les négociations ont commencé avant l’examen parlementaire de la loi du 4 août 2014, c’est une nouvelle étape d’ouverture du transport ferroviaire à la concurrence qui s’impose. Mais il a fallu, dans ces négociations, mettre fin au double-jeu français.

Depuis la directive fondatrice 91/440 du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires, la politique ferroviaire française n’a cessé de « jouer au chat et à la souris » avec le projet européen d’ouvrir à la concurrence les réseaux nationaux historiques des États membres de l’Union européenne, afin de créer une Europe du rail sans frontières capable de rivaliser avec les autres modes, notamment le routier.

Alors que, dès 1994, l’Allemagne prenait résolument le virage d’une réforme profonde de son système ferroviaire, caractérisée par la reprise de la dette ferroviaire par l’État et l’ouverture à la concurrence de ses trains régionaux, la France a opté pour une stratégie ambivalente de compétition active sur les marchés européens ouverts (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Autriche…) et de défense passive au plan national, où elle a longtemps refoulé la perspective, voire la transposition, des directives qu’elle approuvait à la table du Conseil européen.

Il en découle aujourd’hui une curieuse situation, qui n’est pas sans avantage, mais touche à son terme : la SNCF est très présente et très performante sur les marchés européens, à travers sa filiale Keolis notamment, mais elle a longtemps atermoyé sur l’ouverture à la concurrence du trafic voyageurs, en attendant le terme ultime des dates butoirs fixées par Bruxelles.

Une présence accrue des opérateurs français à l’international ces dernières années

Le groupe SNCF réalise désormais 33 % de son chiffre d’affaires à l’international (dans 120 pays) (en intégrant les opérations de périmètre en année pleine : OHL, Eurostar, Thalys, …), contre 15 % en 2007.

(Source : présentation résultats annuels 2015 du groupe SNCF – 11 mars 2016)

Plus spécifiquement Keolis, dont la SNCF est actionnaire de référence avec 70 % des parts, réalise 44 % de son chiffre d’affaires (contre 37,3 % en 2014) à l’étranger, grâce à sa présence dans 16 pays sur 4 continents (Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Chine, Danemark, Émirats Arabes Unis, États-Unis, France, Inde, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède). Il exploite 22 réseaux de tram et de métro automatique dans le monde. (Source : rapport financier de Keolis 2015-2016)

Présent dans 19 pays sur 5 continents, Transdev a réalisé 62 % de son chiffre d’affaires à l’étranger en 2015, selon la répartition suivante (Source : rapport financier 2015) :

Filiale de la RATP, RATP Dev, dont le chiffre d’affaires a connu une forte progression en 2015 (+ 25 %), est implantée dans 14 pays sur 4 continents (Afrique du Sud, Algérie, Arabie Saoudite, Brésil, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Maroc, Philippines, Royaume-Uni et Suisse). RATP Dev prévoit qu’à l’horizon 2020, l’international représentera 75 % d’un chiffre d’affaires qui s’établirait alors à 2 milliards d’euros

(Source : rapport financier 2015 de la RATP).

À l’issue de l’adoption du quatrième « paquet législatif » consacré au transport ferroviaire, l’Union européenne vient de fixer au 31 décembre 2019 la date limite de l’ouverture à la concurrence des trains commerciaux (TGV) et à 2023, celle des trains conventionnés (TER et TET), avec des modalités sensiblement différentes.

Entretemps, la France a dû quasi subrepticement ouvrir son marché du fret international en mars 2003, six mois avant le terme, en contrepartie d’un accommodement de la Commission européenne sur une aide d’État de 800 millions d’euros à Fret SNCF (11), et au 31 mars 2006 pour ce qui concerne les trafics nationaux de fret (12).

Ce n’est qu’à l’extrême limite de la période de préparation fixée par la Commission européenne, que la France a consenti à transposer les conditions juridiques minimales lui permettant cette ouverture du fret, qui fait aujourd’hui figure de contre-modèle.

Les dates parlent d’elles-mêmes : c’est par la loi précitée du 8 décembre 2009 (13), à l’initiative de M. Dominique Bussereau, ministre des transports de l’époque, qu’elle a instauré un régulateur, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), et libéralisé « l’international passagers » en vue de satisfaire à la date limite fixée par la Commission européenne au… 1er janvier 2010 !

Il a résulté de ces réformes improvisées une ouverture longtemps entravée par la SNCF sur le terrain. Ainsi, après cinq plans successifs de relance de fret entre 2003 et 2016 (14), les résultats parlent d’eux-mêmes :

● d’une part, une baisse continue des trafics de fret ferroviaire, qui s’élevaient à 57,7 milliards de tonnes-kilomètre en 2000, et qui tendent tout juste, après une légère reprise en 2014, à se stabiliser autour de 34,3 milliards de tonnes-kilomètre en 2015, grâce notamment au rebond du transport combiné ;

● d’autre part, un déclin rapide de la part de marché de Fret SNCF au profit de ses concurrents, malgré les entraves opérationnelles dont ils ne cessent de se plaindre.

ÉVOLUTION DU TRANSPORT INTÉRIEUR DE MARCHANDISES ENTRE 2000 ET 2014

(en milliards de tonnes-km)

 

2000

2005

2010

2014

Ferroviaire

Routier

Fluvial

57,7

277,4

7,3

40,7

315,0

7,9

30,0

301,2

8,1

32,2

288,5

7,8

Transport intérieur hors oléoducs

342,3

363,6

339,2

328,5

Oléoducs

21,7

20,9

17,6

11,1

Transport intérieur total

364,0

384,5

356,8

339,6

Source : SOeS, CCIN 2015.

TRANSPORT FERROVIAIRE DE MARCHANDISES PAR TYPE DE CONDITIONNEMENT

(en milliards de tonnes-km)

 

2008

2010

2012

2014

Combiné

Conteneurs

Semi-remorques

Conventionnel

9,2

7,0

2,2

31,2

7,2

5,7

1,4

22,8

8,1

7,2

0,9

24,5

9,1

8,0

1,1

23,1

Total

40,4

30,0

32,5

32,2

Source : SOeS, CCTN 2015.

CFTA Cargo a été le premier « nouvel entrant » à circuler en France, à partir de juin 2005. Son activité d’entreprise ferroviaire a été ensuite reprise par Veolia Cargo France. En fin d’année 2009, Europorte, filiale d’Eurotunnel, a repris les activités françaises de Veolia Cargo.

Une quinzaine d’entreprises ferroviaires autres que Fret SNCF circulent aujourd’hui sur le réseau ferré français. La part des nouveaux opérateurs qui concurrencent Fret SNCF a continué à croître en 2015. Ces opérateurs, dont les plus importants sont Euro Cargo Rail (groupe DB Schenker Rail), VFLI (groupe SNCF Mobilités), Europorte France (groupe Eurotunnel) et Colas Rail, représentent désormais 39 % du transport ferroviaire de marchandises mesurées en tonnes-kilomètre transportées, soit un niveau comparable à celui de l’Allemagne, de la Pologne ou de la Hongrie.

ÉVOLUTION DE LA PART DES NOUVEAUX OPÉRATEURS
DANS LE FRET FERROVIAIRE FRANÇAIS

Année

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Part de marché opérateurs alternatifs à Fret SNCF

<1%

4%

10 %

15 %

20 %

29 %

32 %

36%

37%

39%

PART (EN %) DES NOUVEAUX ENTRANTS ET DE L’OPÉRATEUR HISTORIQUE SUR LE MARCHÉ DU FRET FERROVIAIRE DANS QUELQUES ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE EN 2014

L’évolution de la situation financière du fret ferroviaire en France

1. La situation spécifique de l’opérateur historique : Fret SNCF

Compte tenu de la situation financière très difficile de Fret SNCF en 2003, qui présentait en particulier un résultat opérationnel courant négatif de 400 millions d’euros, un « plan fret » a été élaboré, qui avait pour objet d’interrompre le déclin de Fret SNCF, d’améliorer la qualité de service et de restaurer l’équilibre de son exploitation. Ce plan a été mis en œuvre entre 2004 et 2006 et a été approuvé par la Commission européenne en mars 2005. Il prévoyait le versement par l’État à SNCF Mobilités de quatre tranches de recapitalisation, d’un montant total de 800 millions d’euros, ainsi que d’un apport de SNCF Mobilités à Fret SNCF.

Dans les faits, 700 millions d’euros ont été versés par l’État, en trois tranches, auxquels il convient d’ajouter 700 millions d’euros de recapitalisation directement apportés par SNCF Mobilités à sa branche.

Ces capitaux ont essentiellement servi à renouveler le parc de locomotives avec l’achat d’un millier d’entre elles. Si le plan a permis de doter Fret SNCF d’une armature industrielle, il n’a toutefois pas permis d’atteindre les résultats économiques et la qualité de service escomptés, ce qui explique que la dernière tranche de 100 millions d’euros n’ait pas été versée par l’État. En 2007 et 2008, un nouveau programme d’actions en faveur du fret a été mis en œuvre.

Sur le plan qualitatif, un audit commandité par SNCF Mobilités à un prestataire indépendant a évalué, en 2009, les mesures de restructuration engagées (Plan Fret 2004-2006 et programme d’actions en 2007 et 2008) ; il en ressort que ces mesures ont permis :

- en 2003-2004, une réduction des pertes, mais un recul du chiffre d’affaires ;

- en 2005-2006, une période de stabilisation du chiffre d’affaires et des pertes ;

- en 2007 et début 2008, une amélioration des résultats du fait de la montée des prix de transport et d’une stabilité des volumes.

Ces mesures se sont avérées insuffisantes à partir du second semestre 2008, date des premiers effets de la crise économique, avec le recul, puis l’effondrement des produits et l’accroissement des pertes. Depuis 2009, la branche « marchandises » de SNCF Mobilités a mis en œuvre, à travers son schéma directeur, un programme d’actions visant à améliorer sa compétitivité et sa qualité de service (fiabilité, régularité…) et à proposer des services innovants, tout en réduisant l’écart de coûts avec les nouveaux entrants.

Le chiffre d’affaires de Fret SNCF continue à décroître sous les effets de la concurrence inter et intra-modale :

Année

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Chiffre d’affaires (M€)

1860

1824

1973

1914

1934

1698

1455

1275

1260

1163

1107

1079

1060

Marge opérationnelle (M€)

-188

-201

-88

-132

-108

-163

-367

-380

-299

-333

-179

-116

-86

Résultat net (M€)

-451

-382

-220

-260

-234

-344

-940

-606

-472

-450

-334

-255

-256

2. La situation de l’ensemble du secteur du fret ferroviaire

Si l’« engagement national pour le fret ferroviaire » lancé dans le cadre de la mise en œuvre du « Grenelle de l’environnement » a donné quelques résultats, il n’a pas permis de redresser la situation du fret. Depuis la fin de l’année 2008, la crise économique a entraîné une contraction de la demande de transport particulièrement sensible dans des secteurs d’activité fortement utilisateurs du fret ferroviaire, comme la sidérurgie et l’automobile. Les trafics de transport combiné et les acheminements de « wagons isolés » ont été particulièrement exposés à la concurrence routière. Entre 2008 et 2012, la baisse des volumes transportés par le mode ferroviaire a été de 20 %, passant de 40,7 milliards de tonnes-km à 32,6 milliards. Les volumes ont connu une évolution plus favorable ensuite (34,3 milliards de tonnes-km en 2015), mais la part de marché du mode ferroviaire s’est stabilisée à environ 10 % depuis 2012-2013.

Dans ce contexte, la montée en puissance rapide des nouvelles entreprises ferroviaires ne compense que partiellement le recul du chiffre d’affaires de Fret SNCF. En 2014, les résultats pour le total des quatre principales entreprises du secteur, Fret SNCF, Euro Cargo Rail (filiale de DB Schenker), VFLI (filiale de SNCF Mobilités) et Europorte France (filiale d’Eurotunnel), représentant environ 95 % de l’ensemble du marché du fret ferroviaire en France, sont :

 

Cumul des quatre principales entreprises ferroviaires en 2014

Chiffre d’affaires (M€)

1 483

Résultat d’exploitation (M€)

-118

Résultat net (M€)

-287

Par ailleurs, au plan du trafic international de voyageurs, six ans après la réforme, un seul nouvel opérateur « libéralisé » s’est positionné sur le marché français : Thello, filiale de Transdev qui opère des liaisons quotidiennes entre Paris-Venise et Marseille-Milan. L’essentiel du trafic international est assuré par des filiales « coopératives » de compagnies nationales en « monopole » sur des lignes transfrontalières comme le Thalys, Eurostar et Lyria, ou des coopérations transfrontalières croisées (dessertes Paris/Francfort par TGV et ICE).

Enfin, la question sociale restait pendante et subordonnée à un « gentlemen’s agreement » des nouveaux entrants, qui s’est conclu par une convention collective fret inaboutie en juin 2012.

Et surtout la séparation factice du gestionnaire du réseau, RFF, créé en 1997, et de la compagnie d’exploitation SNCF perdurait, puisque RFF déléguait l’intégralité des missions opérationnelles de gestion du réseau à l’opérateur historique (jusqu’en 2005, ensuite elles ont été découplées), pérennisant en cela un conflit d’intérêts patent, peu conforme aux dispositions européennes.

Cette ouverture bâclée du fret, associée au déclin des trafics, n’a pas manqué de conforter les préventions du corps social de la SNCF contre le principe même de l’ouverture du réseau français et de la construction de l’Europe du rail sans frontières.

C’est dans ce climat de « défense passive », sur fond de déclin du mode ferroviaire en matière de transport de marchandises au profit d’un mode routier ouvert et « euphorique » depuis 1993, et largement dérégulé, que la France, consentante à Bruxelles, mais résistante à Paris, a dû aborder les discussions européennes de la dernière phase d’ouverture, celle des trafics nationaux de voyageurs, au cœur du quatrième paquet ferroviaire.

Principales dispositions du quatrième « paquet ferroviaire »

Les 6 propositions législatives du quatrième paquet ferroviaire sont regroupées en deux « piliers » :

1/ Un pilier technique, qui porte sur la sécurité et l’interopérabilité ferroviaires. Très attendu par les acteurs du secteur, il permettra notamment de simplifier les procédures administratives d’accès aux réseaux nationaux des autres pays, et d’en réduire les coûts. Il renforce de manière significative les compétences de l’Agence ferroviaire européenne ;

2/ Un pilier politique, portant sur l’organisation du secteur ferroviaire et sur les modalités d’ouverture progressive des services de transport à la concurrence. Il impose en particulier aux États membres de créer des garanties fortes assurant un traitement équitable de tous les opérateurs. En ce qui concerne le calendrier d’ouverture à la concurrence des services ferroviaires de transport de voyageurs à l’intérieur des frontières de chaque État, il prévoit une double échéance :

– Pour les services commerciaux (en France il s’agit principalement des TGV), un principe d’open access, avec une ouverture à la concurrence des lignes nationales à partir de 2020, à condition de ne pas porter atteinte aux contrats de service public ;

– Pour les services conventionnés, qui représentent la plus grande partie du trafic voyageurs en France (TER, TET, Transilien), l’entrée en vigueur en 2023 d’un nouveau régime pour l’attribution des contrats de service public, posant le principe d’une attribution par mise en concurrence, mais assorti de dérogations permettant le recours à une procédure d’attribution directe. Une période de transition (jusqu’à fin 2023) permettra aux États de continuer pendant plusieurs années d’attribuer les contrats sans mise en concurrence, à condition que les contrats attribués pendant cette période ne durent pas plus de dix ans.

Le « pilier technique » du quatrième paquet a été définitivement adopté au printemps 2016 et est entré en vigueur au mois de juin. Les textes du « pilier politique » devraient être définitivement adoptés et publiés d’ici la fin de l’année 2016.

Il convient de souligner que, si les négociations sur le « pilier politique » ont soulevé plus de tensions et de controverses que celles du « pilier technique », ce dernier va avoir des conséquences au moins aussi importantes pour le système ferroviaire européen. On en trouvera l’illustration, dans le domaine de la sécurité ferroviaire, dans le schéma de présentation du futur « certificat de sécurité unique », annexé au présent rapport, présenté à vos Rapporteurs par l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF).

Le résultat final des négociations sur le quatrième paquet, au terme de trois ans et demi de discussions, est très éloigné des propositions initiales de la Commission européenne sur plusieurs points, comme l’ont indiqué à vos Rapporteurs les acteurs rencontrés pendant leur déplacement à Bruxelles.

Vos Rapporteurs notent que, si l’élaboration des six textes formant le « quatrième paquet » ferroviaire européen a commencé avant l’adoption de la loi du 4 août 2014, leur adoption définitive aura lieu plus de deux ans après celle-ci. Si la perspective d’ouverture à la concurrence a été implicitement prise en compte dans la loi du 4 août 2014, il est probable que plusieurs dispositions du « quatrième paquet » dans sa version finale nécessiteront de nouvelles modifications législatives, comme l’a signalé à vos Rapporteurs, M. Dominique Riquet, vice-président de la commission des transports du Parlement européen. (15)

III. GENÈSE ET PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA RÉFORME DU 4 AOÛT 2014

À l’initiative de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre chargée des transports, ont été convoquées, à l’automne 2011, des Assises du ferroviaire qui ont conclu :

– à la nécessité de transférer à RFF l’intégralité de ses prérogatives de gestion du réseau, assurées jusque-là par la SNCF, sans cependant conclure sur les gares ;

– à l’existence d’une dérive financière annuelle de l’ordre de 1 à 1,5 milliard d’euros, qui nourrissait la dette, déjà considérable en 2010, de 27,4 milliards d’euros portée par le réseau (et 5,1 milliards d’euros par l’opérateur SNCF), et la nécessité impérieuse de combler cette dérive (16) ;

– à la préconisation de créer une structure de filière représentative des intérêts industriels du rail, « Fer de France », installée en 2012 ;

– à la nécessité de préparer méthodiquement l’ouverture du trafic voyageurs par l’expérimentation d’une ouverture anticipée de lignes de TET, dont l’État est autorité organisatrice depuis 2011 (17).

C’est en partie sur la base de ces réflexions, issues de trois mois de travaux associant tous les acteurs du rail et des transports, que le gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault a ouvert le chantier de la réforme du rail français.

Pour préparer cette réforme, le ministre délégué chargé des transports, M. Frédéric Cuvillier, a confié à M. Jean-Louis Bianco, ancien ministre des transports, une mission de concertation sur l’organisation du système ferroviaire, son efficacité économique, sa pérennité financière, la construction d’un nouveau pacte social et la préparation de l’ouverture à la concurrence à l’horizon 2019. En parallèle, M. Jacques Auxiette, président de la commission « Infrastructures et transport » de l’Association des régions de France, a été chargé de recueillir et de présenter les attentes des régions en tant qu’autorités organisatrices des transports régionaux de voyageurs. Ils ont tous deux remis leurs conclusions en avril 2013.

En unissant ses efforts à ceux de l’Allemagne, la France a finalement obtenu de la Commission européenne qu’elle consente à revoir la copie initiale du quatrième paquet ferroviaire en renonçant à l’obligation de séparation totale du gestionnaire du réseau et de la compagnie historique, et en adoptant la possibilité d’opter pour le modèle allemand d’« entreprise verticalement intégrée », pourvu que le gestionnaire d’infrastructure dispose en son sein de toutes les garanties de compétence et d’indépendance dans ses prérogatives de gestion du réseau (travaux et accès à l’infrastructure).

Cette option visant à concilier respect des principes européens de gouvernance du système ferroviaire et maintien de l’intégrité industrielle de la SNCF, afin de lui préserver sa vocation de grand groupe ferroviaire de taille européenne, a été finalement choisie par le ministre délégué chargé des transports de l’époque, M. Frédéric Cuvillier.

Les principaux apports de la loi de réforme ferroviaire du 4 août 2014 découlent de ce choix politique :

● Elle distingue les prérogatives de l’État « stratège », flanqué d’un Haut comité du système de transport ferroviaire installé le 14 septembre 2016, et chargé de donner son avis sur le rapport stratégique d’orientation de la politique ferroviaire nationale, rédigé par le Gouvernement (18).

● Elle instaure un groupe public ferroviaire unifié qui met fin à l’indépendance statutaire de RFF en créant un groupe de trois EPIC, composé :

– d’un EPIC de tête, « SNCF », piloté par un conseil de surveillance ;

– d’un EPIC d’exploitation, SNCF Mobilités ;

– et d’un EPIC gestionnaire du réseau de plein exercice, SNCF Réseau, auquel sont transférés les personnels de SNCF Infra et de la Direction de la circulation ferroviaire, ainsi que le patrimoine fonctionnel, dans le respect scrupuleux des conditions d’indépendance formulées par le quatrième paquet ferroviaire.

● Elle renforce considérablement les pouvoirs du régulateur, en lui conférant un pouvoir de codécision (avis conformes) sur les questions d’accès au réseau, d’affectation des sillons, de tarification des accès aux infrastructures essentielles, et des avis simples sur la trajectoire financière du système ferroviaire avec une large capacité d’auto-saisine, ainsi que des prérogatives de règlement des contentieux. L’ARAF dispose en outre d’un droit de veto sur les nominations du président du conseil d’administration de SNCF Réseau afin de garantir son indépendance (19).

● Elle associe les nouveaux entrants à la gouvernance de l’accès au réseau à travers un comité des opérateurs du réseau (COPER), en charge notamment d’élaborer la charte du réseau.

● Elle prévoit la négociation d’une convention collective de branche et d’un accord d’entreprise au sein de la SNCF, en substitution du « RH077 » (20) qui encadrait les conditions de travail internes à la SNCF, l’intégrant désormais dans le droit commun de la négociation sociale.

● Elle met en place des contrats d’objectifs entre l’État et chacun des trois EPIC, visant à suivre les performances du système ferroviaire en fonction d’objectifs d’investissement et d’exploitation, auxquels s’ajoute une règle prudentielle dite « règle d’or » de financement visant à endiguer l’endettement du groupe ferroviaire.

● Par ailleurs, le texte intègre des dispositions importantes concernant la sécurité et le renforcement des prérogatives de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), la sûreté et le financement des gares (contribution locale temporaire).

● Enfin, elle renforce la compétence d’autorité organisatrice de transport des régions (TER) en les intégrant très largement dans la gouvernance du système ferroviaire (conseil de surveillance de l’EPIC de tête, conseil d’administration de SNCF Mobilités, Comité des opérateurs du réseau, Haut comité du système de transport ferroviaire) et surtout en leur attribuant la liberté tarifaire.

Une clause de rendez-vous assignait au Gouvernement la production, dans les deux ans à compter de la promulgation de la loi, de rapports d’intentions sur le traitement de la dette après sa requalification partielle en dette « maastrichtienne » (pour 10,2 milliards en 2014), ainsi que sur le statut des gares.

DEUXIÈME PARTIE :
LE CONTENU DE LA RÉFORME DU 4 AOÛT 2014

I. L’ÉTAT, STRATÈGE ET GARDIEN

En tête du dispositif législatif adopté, sont posées :

– une définition centrale, celle du « système de transport ferroviaire national » (article L. 2100-1 du code des transports), et une liste des objectifs qu’il doit permettre d’atteindre (service public ferroviaire, développement du transport ferroviaire, développement durable, aménagement des territoires, maintien et développement de la filière industrielle…) ;

– une responsabilité globale et essentielle : celle de l’État (article L. 2100-2).

Auparavant, l’État était, certes, l’actionnaire exclusif de la Société nationale des chemins de fer français et de Réseau ferré de France, et donc le garant de leur viabilité économique. Il était également le principal financeur du système de transport ferroviaire national, et devait donc s’assurer que les ressources publiques ainsi affectées étaient employées efficacement. Mais aucun article de loi ne définissait explicitement et globalement le rôle de l’État dans le système ferroviaire.

L’article premier de la loi du 4 août 2014 charge donc de manière précise l’État :

1° d’une responsabilité stratégique : l’État « veille à la cohérence et au bon fonctionnement du système de transport ferroviaire national. Il en fixe les priorités stratégiques nationales et internationales. » ;

2° d’un large ensemble de missions : l’État « assure ou veille à ce que soient assurés » pas moins de treize objectifs :

– la cohérence de l’offre proposée aux voyageurs ;

– la coordination des autorités organisatrices de transport (AOT) ferroviaires ;

– l’optimisation de la qualité de service fournie aux utilisateurs du système ferroviaire ;

– la permanence opérationnelle du système ;

– la gestion des situations de crise ayant un impact sur le fonctionnement du système ;

– la coordination nécessaire à la mise en œuvre des réquisitions dans le cadre de la défense nationale et en cas d’atteinte à la sûreté de l’État ;

– la préservation de la sûreté des personnes et des biens ;

– la préservation de la sécurité du réseau et des installations du système ferroviaire ;

– la prévention des actes qui pourraient dégrader les conditions de sûreté et de sécurité du fonctionnement du système ;

– l’organisation et le pilotage de la filière industrielle ferroviaire, notamment la conduite ou le soutien de programmes de R&D ;

– la programmation des investissements de développement et de renouvellement du réseau ferroviaire et des investissements relatifs aux infrastructures de service et aux interfaces intermodales ;

– la complémentarité entre les services de transport ferroviaire à grande vitesse (TGV), d’équilibre du territoire (TET) et d’intérêt régional (TER) ;

– l’amélioration de la qualité du service fourni aux chargeurs, dans un objectif de développement du fret ferroviaire et du report modal.

Bien entendu, celles de ces missions qui sont directement liées aux fonctions régaliennes de l’État relevaient déjà de lui (sûreté des personnes et des biens, coordination des réquisitions…). Les autres missions exigent que l’État demeure – ou plutôt devienne – un véritable « État stratège », qui délègue nécessairement aux opérateurs les activités « productives » (filière industrielle, production de sillons de qualité pour le fret, investissements…) mais en exerçant sur eux un contrôle étroit et en leur assignant des objectifs clairs et précis dans tous ces domaines.

Ces dispositions de la loi du 4 août 2014 ne sont pas, au plan juridique, véritablement contraignantes puisqu’il s’agit de « principes généraux », mais traduisent parfaitement la volonté du Gouvernement, auteur du projet de loi, et du Parlement de concevoir une réforme d’ensemble pour répondre au dysfonctionnement général du système.

II. LE CHOIX DE LA RECONSTITUTION D’UN GROUPE INTÉGRÉ « EUROCOMPATIBLE »

A. UN GROUPE DE TROIS E.P.I.C INÉDIT

La loi du 4 août 2014 a profondément remodelé l’organisation du système ferroviaire national en regroupant au sein d’une entité unique (SNCF Réseau) les fonctions de gestionnaire de l’infrastructure du réseau ferré national, jusqu’alors réparties entre Réseau Ferré de France (RFF), la branche « Infra » de l’opérateur historique SNCF et la Direction de la circulation ferroviaire (DCF). SNCF Réseau est, en outre, intégré verticalement au sein d’un « groupe public ferroviaire » composé de trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) : SNCF (EPIC de tête), SNCF Réseau, et SNCF Mobilités, l’exploitant historique des services ferroviaires sur le réseau ferré national.

L’article L. 2101-1 du code des transports résultant de cette loi dispose que les trois entités « ont un caractère indissociable et solidaire ». Sur le modèle d’un groupe de sociétés, l’EPIC SNCF et les EPIC SNCF Mobilités et SNCF Réseau sont assimilés par la loi respectivement à une société-mère et à des filiales (article L. 2102-4), chacun des trois EPIC pouvant également, à son tour, créer des filiales ou prendre des participations dans des sociétés.

1. L’E.P.I.C « de tête » SNCF

a. Ses missions et fonctions

Conformément à l’article L. 2102-1 du code des transports, l’EPIC de tête « SNCF » est en charge du contrôle et du pilotage stratégique du groupe public ferroviaire, de sa cohérence économique, de son intégration industrielle, de son unité et de sa cohésion sociale. Il assure dans ce cadre :

● des missions transversales, tournées vers l’extérieur du groupe public ferroviaire, exercées au bénéfice de l’ensemble du système de transport ferroviaire national ; la liste de ces missions, qui n’est pas exhaustive, comporte les missions du service de sûreté de la SNCF, la « Suge » (cf. infra), ainsi que des missions dans les domaines de la gestion des situations de crise, de la sécurité, et de l’accessibilité aux personnes handicapées ;

● des fonctions mutualisées au bénéfice de l’ensemble du groupe public ferroviaire, en particulier la gestion des parcours professionnels au sein du groupe, l’action sociale, la politique du logement, la gestion administrative des payes, l’audit... En ce qui concerne l’ensemble des fonctions mutualisées, les deux autres EPIC « recourent à la SNCF », en concluant des conventions avec l’EPIC de tête (article L. 2102-3).

L’EPIC de tête a pour mission générale de recréer une « logique système », qui s’était délitée, dans les domaines de la recherche, de la sécurité, dans les activités de gestion immobilière et foncière, dans l’animation des politiques sociales… « et plus généralement dans tous les domaines où les anciennes relations entre RFF et SNCF ont échoué » (21). L’EPIC de tête doit aussi regrouper dans son périmètre certaines fonctions supports (comptabilité, traitement des factures, architecture des systèmes d’information…) qu’il n’y avait aucun intérêt à dupliquer. C’est l’EPIC de tête qui détient, pour le compte du groupe public ferroviaire, les participations des filiales de conseil ou d’ingénierie ferroviaire à vocation transversale (article L. 2102-4).

L’article L. 2102-1 indique également les fonctions que l’EPIC de tête n’a pas le droit d’exercer :

– par renvoi à l’article L. 2111-9, l’EPIC de tête a interdiction d’intervenir dans les domaines exclusifs de SNCF Réseau (l’accès à l’infrastructure du réseau ferré national, la gestion opérationnelle des circulations, la maintenance du réseau, le développement du réseau, et la gestion des infrastructures de service dont SNCF Réseau est propriétaire) ;

– par renvoi à l’article L. 2141-1, l’EPIC de tête a interdiction d’exercer les trois missions propres à SNCF Mobilités (exploiter les services de transport ferroviaire, gérer les gares de voyageurs et percevoir à ce titre des redevances).

b. Sa gouvernance

L’EPIC de tête est doté d’un conseil de surveillance, et d’un directoire de deux membres : un président et un président délégué, nommés par décret. La nomination en qualité de président du directoire emporte nomination en qualité de président du conseil d’administration de l’EPIC SNCF Mobilités, et la nomination en qualité de président délégué du directoire emporte nomination en qualité de président du conseil d’administration de l’EPIC SNCF Réseau. Les deux membres du directoire ne sont pas membres du conseil de surveillance.

Le président du conseil de surveillance de l’EPIC SNCF est également nommé par décret ; il est désigné parmi les représentants de l’État au conseil de surveillance. Il ne peut être membre ni des organes dirigeants de SNCF Mobilités, ni des organes dirigeants de SNCF Réseau.

L’article L. 2102-12 fait du président du conseil de surveillance le « décideur » ultime : « toute décision du directoire est prise à l’unanimité. En cas de désaccord exprimé par l’un de ses membres, la décision est prise par le président du conseil de surveillance. »

Il a été précisé par décret que :

– la durée du mandat des membres du conseil de surveillance est de cinq ans, et qu’ils ne peuvent exercer plus de deux mandats consécutifs ;

– chacun des deux membres du directoire peut être révoqué par décret, sur proposition du conseil de surveillance.

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c. Ses ressources

Les articles L. 2102-19 et L. 2102-10 du code des transports attribuent à l’EPIC de tête cinq ressources financières, auxquels peuvent s’ajouter le cas échéant des ressources supplémentaires fixées par la loi :

– les rémunérations versées par les deux autres EPIC pour les prestations de l’EPIC de tête au titre des fonctions mutualisées ;

– les rémunérations versées à l’EPIC de tête par toutes les entreprises ferroviaires et par SNCF Réseau dans le cadre de l’exercice des « missions transversales » (notamment pour les prestations de la Suge) ;

– les dividendes sur les résultats des filiales de l’EPIC de tête ;

– un dividende sur le résultat de l’EPIC SNCF Mobilités (si ce résultat dégage un bénéfice distribuable), dont le montant doit recueillir l’accord de l’État ;

– les rémunérations perçues au titre de missions que lui confient par contrat l’État, une ou plusieurs collectivités territoriales (ou groupements de collectivités) ou le STIF.

2. Le gestionnaire d’infrastructure unifié : SNCF Réseau

a. Ses missions

L’article 6 de la loi dispose que SNCF Réseau « est le propriétaire unique de l’ensemble des lignes du réseau ferré national », et qu’il « est le gestionnaire du réseau ferré national ». Réseau ferré de France était lui aussi « le gestionnaire du réseau ferré national », mais à la différence de RFF, SNCF Réseau a la plénitude de ses compétences : l’article L. 2111-9 du code des transports modifié par la loi de 2014 ne prévoit plus de gestion déléguée d’une part de ces missions à SNCF Mobilités.

L’EPIC « Réseau » doit remplir 5 missions :

– assurer l’accès à l’infrastructure ferroviaire du réseau ferré national (répartition des capacités et tarification de cette infrastructure) ;

– assurer la gestion opérationnelle des circulations sur ce réseau ;

– réaliser la maintenance de l’infrastructure, ce qui comprend l’entretien et le renouvellement ;

– développer, aménager, assurer la cohérence et la mise en valeur du réseau ;

– gérer les infrastructures de service dont il est propriétaire et assurer leur mise en valeur.

Conformément à la réglementation européenne, SNCF Réseau n’a pas le droit de confier la première de ces missions à un autre acteur. En revanche, la loi prévoit qu’il peut confier par contrat certaines de ses autres missions pour des lignes à faible trafic et pour les infrastructures de service.

En conséquence de la création de SNCF Réseau, la loi du 4 août 2014 a abrogé les dispositions du code des transports relatives à la gestion des circulations par la Direction de la circulation ferroviaire (DCF).

b. Sa gouvernance

SNCF Réseau est doté d’un conseil d’administration, dont la composition est régie par l’article L. 2111-15. Comme pour le conseil de surveillance, la durée du mandat a été fixée à 5 ans par décret, avec interdiction d’exercer plus de deux mandats consécutifs. Des garanties d’indépendance très strictes s’appliquent aux dirigeants de SNCF Réseau (articles L. 2111-15, L. 2111-16, L. 2111-16-1 et L. 2111-16-2 créés par l’article 6 de la loi), et des exigences sont posées pour assurer l’exercice irréprochable des « fonctions essentielles » au sens du droit européen (articles L. 2111-16-3 et L. 2111-16-4).

Parmi les dispositions visant à garantir l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure, donc sa neutralité, la procédure de nomination, de renouvellement et de révocation du président du conseil d’administration est essentielle. Le président du conseil d’administration – qui est aussi membre du directoire du groupe – est nommé et, le cas échéant, révoqué, en suivant une procédure particulière, définie par l’article L. 2111-16. Le conseil de surveillance du groupe public ferroviaire doit tout d’abord informer l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) de l’identité de la personne pressentie ; l’ARAFER a alors trois semaines (délai qui a été précisé par décret) pour s’opposer à la nomination si elle estime que le respect par la personne proposée des conditions fixées à l’article L. 2111-16-1 du code des transports à compter de sa nomination ou de sa reconduction est insuffisamment garanti. Dans ce cas, elle notifie au président du conseil de surveillance et au ministre chargé des transports sa décision motivée.

3. L’E.P.I.C opérateur de transport : SNCF Mobilités

Le troisième EPIC du groupe public ferroviaire, SNCF Mobilités, correspond à l’ancienne « SNCF » amputée de deux de ses directions (la DCF et SNCF Infra) et a donc conservé toutes les activités de celle-ci sauf celles liées à la gestion de l’infrastructure du réseau ferré. Les trois activités de SNCF Mobilités sont ainsi définies par l’article L. 2141-1 du code des transports modifié par la loi du 4 août 2014 :

1° Exploiter selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire de personnes sur le réseau ferré national ;

2° Exploiter d’autres services de transport ferroviaire, y compris internationaux ;

3° Gérer, de façon transparente et non discriminatoire, les gares de voyageurs qui lui sont confiées par l’État ou d’autres personnes publiques, et percevoir à ce titre des redevances auprès des entreprises ferroviaires.

Le décret d’application a ajouté à ces missions une dimension multimodale qui n’est pas présente dans l’article législatif : l’EPIC « peut, en outre, offrir des services de mobilité et d’autres prestations complémentaires liées au transport » et prendre « toute initiative visant à développer l’usage du rail et des autres modes écologiquement responsables pour le transport des personnes et des biens ». En cela, le droit en vigueur prend en considération l’évolution constatée, dans les faits, des activités de l’opérateur historique.

Les articles du code des transports qui étaient relatifs à la gouvernance de la « Société nationale des chemins de fer français » avant la loi de 2014, et qui s’appliquent désormais à SNCF Mobilités, ont été globalement peu modifiés, sauf l’article L. 2141-3 qui a été réécrit pour substituer au « contrat de plan » passé entre l’État et la SNCF un contrat d’objectifs décennal (voir tableau page 46), et l’article L. 2141-6 relatif à la composition du conseil d’administration.

Le conseil d’administration de l’ancienne SNCF ne comportait que trois catégories de représentants : des représentants de l’État, des personnalités qualifiées, et des représentants élus du personnel. La composition du conseil d’administration de SNCF Mobilités, précisée par le décret d’application, comporte également trois catégories, mais elle est élargie :

– 4 représentants de l’État et 2 personnalités qualifiées choisies par le Gouvernement, dont au moins un représentant des usagers ;

– 5 représentants de l’EPIC de tête, dont le président du directoire du groupe (qui est automatiquement le président du conseil d’administration de SNCF Mobilités) et des représentants des salariés de l’EPIC de tête ;

– 6 représentants élus des salariés de SNCF Mobilités.

Chacune des trois catégories représente un tiers du nombre de membres du conseil d’administration (cette précision est une nouveauté introduite également par la loi du 4 août 2014). La durée de leur mandat est de cinq ans, et ils ne peuvent exercer plus de deux mandats consécutifs.

4. Les transferts de biens, droits et obligations

L’article 29 de la loi prévoit un transfert à SNCF Réseau des biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations de toute nature de SNCF Mobilités attachés à l’exercice des missions de SNCF Réseau. Cette transmission de patrimoine « en pleine propriété » permet la construction « matérielle et immatérielle » du gestionnaire d’infrastructure unifié ; elle ne donne lieu à aucun paiement. Les biens concernés appartenaient jusqu’alors soit à SNCF Mobilités, soit à l’État mais en étant gérés par SNCF Mobilités.

De la même façon, l’article 30 prévoit le transfert à l’EPIC de tête SNCF des biens, droits, obligations, etc. de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités attachés à l’exercice des missions confiées à cet EPIC de tête.

L’article 31 complète l’article 29 en prévoyant le transfert en pleine propriété à SNCF Réseau, selon une procédure distincte, des terminaux de marchandises inscrits à l’offre de référence pour le service horaire 2015 appartenant à l’État et gérés par SNCF Mobilités. Un accord doit au préalable être conclu entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités pour définir précisément le périmètre des installations transférées.

Enfin, l’article 36 transfère à SNCF Réseau la propriété des biens du domaine public de l’État confié à l’ex-SNCF (SNCF Mobilités) et nécessaires aux transports ferroviaires effectués pour les besoins de la défense nationale (installations recensées pour servir en cas de crise militaire majeure).

En revanche, aucun transfert n’est prévu s’agissant des gares de voyageurs, qui demeurent confiées à SNCF Mobilités.

Principaux textes réglementaires d’application publiés relatifs
au groupe public ferroviaire et aux trois EPIC qui le constituent

1/ Sur l’EPIC de tête

Le décret en Conseil d’État n° 2015-137 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de la SNCF et à la mission de contrôle économique et financier des transports a défini :

– les statuts et missions de la SNCF, EPIC de tête (articles L. 2102-1 et L. 2102-7 du code des transports) et les modalités d’exercice de ces missions ;

– les modalités de l’autorisation préalable de certaines opérations par le conseil de surveillance (article L. 2102-10) ;

– les modalités de déclassement et règles de gestion domaniale applicables à la SNCF (article L. 2102-17) ;

– les conditions du contrôle économique, financier et technique de l’État sur l’EPIC (article L. 2102-18) ;

– les conditions et délais dans lesquels l’ARAFER peut s’opposer à la nomination ou au renouvellement du président du conseil d’administration de SNCF Réseau (article L. 2111-16).

La composition initiale du conseil de surveillance de l’EPIC de tête a été fixée par décret du 29 juin 2015 ; le conseil comprend aujourd’hui 12 représentants de l’État, dont le président Frédéric Saint Geours, deux parlementaires (MM. Jean-Paul Chanteguet et Hervé Maurey), un représentant du STIF et un représentant des autres AOT régionales.

2/ Sur SNCF Réseau

Le décret en Conseil d’État n° 2015-140 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Réseau a défini notamment :

– les statuts de SNCF Réseau (article L. 2111-15 du code des transports) ;

– les conditions d’application de l’article L. 2111-10 du code des transports, relatif au contrat décennal État-SNCF Réseau ;

– s’agissant des projets d’investissement, le seuil au-delà duquel l’ARAFER émet un avis motivé sur le montant global des concours financiers devant être apportés à SNCF Réseau et sur la part contributive de l’EPIC (article L. 2111-10-1) ; ce seuil est fixé à 200 millions d’euros ;

– les conditions dans lesquelles la liste des emplois de dirigeant de SNCF Réseau est arrêtée par le conseil d’administration et communiquée à l’ARAFER ;

– les conditions matérielles garantissant l’indépendance des services responsables des missions mentionnées au 1° de l’article L. 2111-9 du code des transports, notamment en matière de sécurité d’accès aux locaux et aux systèmes d’information.

Ce décret n° 2015-140 procède aussi à l’adaptation du décret relatif à la sécurité des circulations pour prendre en compte le rattachement de la DCF et de SNCF Infra à SNCF Réseau.

Le décret en Conseil d’État n° 2015-139 du 10 février 2015 relatif à la confidentialité des données détenues par le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire et à la commission de déontologie du système de transport ferroviaire a notamment défini :

– la composition de la commission de déontologie (article L. 2111-16-2 du code des transports) ;

– la liste des informations d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la divulgation est de nature à porter atteinte aux règles d’une concurrence libre et loyale et de non-discrimination, auxquelles s’applique l’article 226-13 du code pénal ;

– l’obligation, pour SNCF Réseau, d’établir un plan de gestion des informations confidentielles et de prendre des mesures d’organisation interne pour assurer le respect, par son personnel, de l’interdiction de divulgation de ces informations (article L. 2122-4-2).

La composition initiale du conseil d’administration de SNCF Réseau a été fixée par décret du 13 juillet 2015.

Les membres de la commission de déontologie ont été nommés par arrêté du 7 avril 2016.

3/ Sur SNCF Mobilités

décret en Conseil d’État n° 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités, qui définit notamment les modalités de nomination ou d’élection des membres de son conseil d’administration (en application de l’article L. 2141-7 du code des transports) ;

● décret en Conseil d’État n° 2016-327 du 17 mars 2016 relatif à l’organisation du transport ferroviaire de voyageurs et portant diverses dispositions relatives à la gestion financière et comptable de SNCF Mobilités, qui définit notamment le contenu du rapport annuel mentionné à l’article L. 2141-11 ;

● arrêté du 17 mars 2016 listant les informations transmises annuellement par SNCF Mobilités aux autorités organisatrices régionales de transport ferroviaire.

La composition du conseil d’administration de SNCF Mobilités a été fixée par décret du 13 juillet 2015.

4/ Sur les transferts de droits, biens et obligations à l’EPIC de tête et à SNCF Réseau

● arrêté du 26 juin 2015 portant approbation des périmètres des transferts des biens, droits et obligations prévus par les articles 29 et 30 de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ;

● arrêté du 28 juin 2016 portant approbation du périmètre d’un transfert complémentaire de biens, droits et obligations réalisé en application de l’article 29 de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire.

B. LES GARES DE VOYAGEURS

1. Le maintien des gares de voyageurs dans SNCF Mobilités

Plusieurs dispositions relatives aux gares sont prévues par l’article 12 de la loi, notamment l’obligation d’établir un plan de stationnement sécurisé des vélos. Mais le rattachement des gares de voyageurs à SNCF Mobilités (branche Gares & Connexions) n’est pas remis en question, ni l’obligation imposée à SNCF Mobilités de séparer au plan comptable la gestion des gares de l’exploitation des services de transport. En revanche, cette comptabilité séparée doit concerner désormais aussi les autres infrastructures de service gérées par SNCF Mobilités.

Présentation de la branche Gares & Connexions

En 2009, le groupe constitué de la SNCF et de ses filiales a créé en son sein une cinquième branche, Gares & Connexions, dédiée à la gestion et au développement des 3 000 gares de voyageurs du réseau ferré national. Cette décision, prise à la demande de l’État, était une conséquence directe des recommandations du rapport remis par la sénatrice Fabienne Keller au Premier Ministre le 9 mars 2009, préconisant de séparer fonctionnellement les activités de transporteur et de gestionnaire de gares assurées par la SNCF.

La loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (dite « loi ORTF ») a ainsi introduit dans le droit national plusieurs dispositions, désormais codifiées, visant explicitement la gestion des gares de voyageurs par la SNCF (désormais SNCF Mobilités) :

– la gestion des gares doit être réalisée « de manière transparente et non discriminatoire » ;

– elle doit faire l’objet d’une comptabilité séparée au sein de SNCF Mobilités ;

– la nature des services offerts en gare aux entreprises ferroviaires ainsi que les principes de tarification sont précisés par un décret en Conseil d’État.

Le décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012 relatif aux gares de voyageurs et aux infrastructures de services du réseau ferroviaire (dit « décret gares ») a précisé les règles relatives à :

– l’autonomie de la branche Gares & Connexions, afin de répondre aux exigences communautaires ;

– un modèle économique des gares pérenne grâce à une tarification couvrant l’ensemble des charges ;

– la distinction entre les activités « régulées », soumises à un régime de service public, et les activités commerciales ;

– la transparence dans la relation financière avec les autorités organisatrices, permettant une gestion spécifique des gares affectées aux liaisons régionales ;

- l’unification de la gestion des gares.

Le décret n° 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités dispose que :

– le conseil d’administration de SNCF Mobilités fixe les redevances des gares, dans le respect du principe de séparation comptable ;

– le conseil d’administration nomme le directeur de Gares & Connexions, sur proposition du président de SNCF Mobilités après avis de l’ARAFER, et ne peut mettre fin de manière anticipée à ses fonctions qu’après consultation de l’ARAFER ;

– le directeur des gares ne peut pas être membre du conseil d’administration. Il « ne reçoit aucune instruction qui soit de nature à remettre en cause ou à fausser l’indépendance de sa direction et veille au caractère non discriminatoire des décisions prises pour l’exécution des missions de celle-ci ».

Gares & Connexions constitue aujourd’hui une direction autonome de SNCF Mobilités, intégrée au sein de l’activité « SNCF Voyageurs ». Les principales filiales de Gares & Connexions sont AREP Groupe (architecture et aménagement urbain) et le groupe Retail & Connexions (valorisation commerciale en gare). Au 31 décembre 2015, les effectifs de Gares & Connexions représentaient environ 3 500 personnes ; au 31 juin 2016, ces effectifs représentent 3 637 personnes.

Le modèle économique de la branche Gares & Connexions repose pour deux tiers de son chiffre d’affaires sur des activités régulées, et pour un tiers sur des activités non-régulées (location d’espaces et de concessions commerciales tarifées selon des prix de marché), pour un chiffre d’affaires 2015 s’élevant à 356 millions d’euros (chiffre d’affaires externe), en hausse de 82 millions d’euros par rapport à 2014. La hausse par rapport à l’année 2014 est essentiellement due à la progression de l’activité d’AREP à l’international et des redevances de concession en gare. Au premier semestre 2016, le chiffre d’affaires de Gares & Connexions a représenté 206 millions d’euros.

Les locations d’espaces de commerces en gares représentent 176,9 millions d’euros de chiffre d’affaires (dont 158,8 millions pour les gares d’intérêt national, dites « de catégorie A »), pour une offre commerciale s’étendant sur environ 200 000 m2 (sur une surface totale de 1,9 million de m2 gérés). Gares & Connexions prévoit, dans les années à venir, de continuer à approfondir les actions de dynamisation des commerces en gares et développer de nouvelles offres lorsque cela apparaît pertinent.

En 2014, Gares & Connexions a réalisé 168 millions d’euros d’investissements nets sur l’ensemble des gares de France (rénovation et mise aux normes des installations actuelles, déploiement de la politique de service, développement de l’accessibilité et de l’intermodalité, projets d’extension et de restructuration de gares…). En 2015, les investissements nets ont représenté 183 millions d’euros.

2. Les contributions locales temporaires

L’article 2 de la loi a abrogé la loi n° 866 du 15 septembre 1942 relative à la perception de surtaxes locales temporaires sur les chemins de fer d’intérêt général, les voies ferrées d’intérêt local, les voies ferrées des quais des ports maritimes ou fluviaux et les services de transports routiers en liaison avec les chemins de fer, et remplacé le régime de ces « surtaxes locales temporaires » par un nouveau dispositif : la possibilité d’instituer des « contributions locales temporaires » (CLT) à la charge des voyageurs pour financer les aménagements extérieurs des gares ferroviaires de voyageurs autres que les gares d’intérêt national (articles L. 2124-1 à L. 2124-6 du code des transports).

Une CLT peut ainsi être créée, pour dix ans au maximum, par une commune, un EPCI ou une région. La CLT est assise sur le prix des billets des voyageurs en provenance ou à destination de la gare concernée. Son taux ne peut dépasser 2 %, et son montant ne peut excéder 2 euros. Le produit de la CLT est affecté au financement des investissements « présentant un intérêt direct et certain pour les usagers du transport ferroviaire, destinés à améliorer l’insertion urbaine de la gare, l’accès de ses usagers aux services de transport public et de mobilité ou l’information multimodale (…) ».

Le décret en Conseil d’État n° 2016-268 du 4 mars 2016 relatif à la contribution locale temporaire en matière ferroviaire a défini les formalités à remplir par les entreprises ferroviaires et leurs intermédiaires et les justificatifs à fournir pour le versement de la contribution locale temporaire, ainsi que les pénalités correspondantes, et les modalités d’exercice des poursuites en cas d’infraction, pour le recouvrement de la contribution.

Le dispositif a été utilisé pour la première fois par la commune de Granville. (22)

3. Le rapport demandé au Gouvernement

L’article 29 de la loi prévoit que « dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet aux commissions permanentes du Parlement compétentes en matière ferroviaire un rapport relatif à la gestion des gares de voyageurs ainsi qu’aux modalités et à l’impact d’un transfert de celle-ci à SNCF Réseau ou à des autorités organisatrices de transport. Ce rapport étudie également la possibilité de créer un établissement public reprenant l’intégralité des missions de Gares & Connexions et qui serait intégré au sein du groupe public ferroviaire. »

Ce rapport n’a pas encore été transmis au Parlement.

C. UNE ASSOCIATION DES ACTEURS À LA GOUVERNANCE, PAR DEUX INSTANCES D’INFORMATION ET DE CONCERTATION

● L’article L. 2100-3 du code des transports (article 1er de la loi) crée le Haut Comité du système de transport ferroviaire, « instance d’information et de concertation des parties prenantes du système de transport ferroviaire national ». Le décret d’application est le décret n° 2015-499 du 30 avril 2015 relatif au Haut Comité du système de transport ferroviaire. Les 27 membres (23) de ce Haut Comité ont été nommés par arrêté du 10 décembre 2015

Le Haut Comité débat des grands enjeux, encourage la coopération entre les acteurs, et est obligatoirement consulté par le Gouvernement sur le « rapport stratégique d’orientation » que celui-ci doit présenter l’année précédant la conclusion ou l’actualisation des contrats liant l’État et chacun des trois EPIC du groupe public ferroviaire. D’autre part, s’agissant de SNCF Réseau, l’article L. 2111-10 du code des transports (article 6 de la loi) prévoit que le Haut Comité délibère chaque année sur des recommandations d’actions et des propositions d’évolution du contrat décennal État-SNCF Réseau.

La première réunion du Haut Comité a eu lieu le 14 septembre 2016, à l’occasion de la présentation, par le Gouvernement, du premier rapport stratégique d’orientation.

● L’article L. 2100-4, créé par le même article, prévoit l’institution auprès de SNCF Réseau d’un comité des opérateurs du réseau, « instance permanente de consultation et de concertation entre SNCF Réseau et ses membres ». Ce « COPER » doit réunir des représentants des entreprises ferroviaires, des gestionnaires d’infrastructure, des exploitants d’infrastructures de service, des autorités organisatrices de transport ferroviaire, et des acteurs autorisés à demander des sillons.

Le comité des opérateurs du réseau (COPER) est informé des choix stratégiques des gestionnaires d’infrastructure, reçoit pour information le contrat État-SNCF Réseau, doit élaborer une « charte du réseau », et peut être saisi des différends liés à l’interprétation et à l’application de cette charte pour tenter de régler ces différends à l’amiable.

Deux textes réglementaires d’application ont été publiés :

– le décret en Conseil d’État n° 2015-844 du 10 juillet 2015 relatif au comité des opérateurs de réseau ferré national et à la charte du réseau ;

– l’arrêté du 26 août 2016 portant approbation du règlement intérieur du comité des opérateurs du réseau.

Le COPER n’a pas encore, à ce stade, élaboré de charte du réseau.

● Lors des auditions organisées par vos Rapporteurs, peu d’acteurs ont manifesté de l’intérêt pour ces deux instances de concertation, essentiellement parce que beaucoup d’entre eux en ignoraient l’existence ou le rôle. Les représentants de la CFE-CGC se sont interrogés sur la manière dont les représentants des salariés au sein du Haut Comité avaient été choisis. Les représentants de LISEA ont regretté que la direction de SNCF Réseau ne fasse pas le nécessaire pour rendre le COPER véritablement actif. Seul le président de l’AFRA, auditionné fin avril 2016, a jugé prometteurs les premiers travaux de ce comité.

Vos Rapporteurs appellent les acteurs qui sont les interlocuteurs permanents de SNCF Réseau à « s’approprier » véritablement le COPER (24). Celui-ci a vocation à servir d’espace de dialogue permanent entre eux pour assurer une meilleure information, pour désamorcer à l’amiable d’éventuels litiges (par exemple sur des problèmes de circulation liés aux programmes de travaux, ou sur les tarifs des péages), et pour assurer une surveillance de l’indépendance décisionnelle de SNCF Réseau. Il pourrait être utile d’élargir la composition du COPER, par exemple pour y inclure des représentants des commissionnaires du secteur du fret ferroviaire.

III. LA MISE EN PLACE DE GARANTIES PRUDENTIELLES DE GESTION FINANCIÈRE

A. TROIS E.P.I.C, TROIS CONTRATS

L’un des changements majeurs introduits par la loi du 4 août 2014 est un « triptyque contractuel » : un triple dispositif contractuel, liant l’État à chacun des trois EPIC du groupe public ferroviaire, avec un dispositif « gigogne » intégrant au contrat de l’EPIC de tête les deux autres contrats. SNCF Réseau et l’État doivent ainsi conclure un contrat (article L. 2111-10 du code des transports), SNCF Mobilités et l’État doivent signer un contrat distinct (article L. 2141-3 du même code), et l’EPIC de tête SNCF doit conclure avec l’État un « contrat-cadre stratégique » pour l’ensemble du groupe (article L. 2102-5). Tous ces contrats ont la même durée (dix ans), et la même périodicité d’actualisation (tous les trois ans).

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
RELATIVES AUX TROIS CONTRATS

 

Contrat-cadre stratégique
de l’EPIC de tête SNCF

Contrat d’objectifs
de SNCF Mobilités

Contrat
de SNCF Réseau

Durée du contrat

10 ans

10 ans

10 ans

Actualisation

Tous les 3 ans pour une durée de 10 ans

Tous les 3 ans pour une durée de 10 ans

Tous les 3 ans pour une durée de 10 ans

Procédure de conclusion du contrat

– Le directoire négocie et conclut le contrat-cadre avec l’État, après approbation par le conseil de surveillance

– Le projet de contrat-cadre et les projets d’actualisation sont soumis pour avis à l’ARAFER, puis transmis au Parlement avec l’avis de l’ARAFER

Le conseil d’administration approuve le contrat d’objectifs

– Le projet de contrat et les projets d’actualisation sont soumis pour avis à l’ARAFER.

L’avis de l’ARAFER porte notamment sur :

1/ le niveau et la soutenabilité de l’évolution des redevances, et

2/ l’adéquation du niveau des recettes prévisionnelles avec celui des dépenses projetées, de façon à atteindre l’objectif de couverture du coût complet dans la période de 10 ans couverte par le premier contrat conclu.

– Le projet de contrat est transmis au Parlement avec l’avis de l’ARAFER.

– Le conseil d’administration approuve le contrat.

– Le contrat est transmis au Comité des opérateurs du réseau

Suivi de la mise en œuvre

– Le directoire met en œuvre le contrat.

– Le rapport annuel d’activité rend compte de la mise en œuvre du contrat. Il est soumis pour approbation au conseil de surveillance. Ce rapport est adressé au Parlement, à l’ARAFER et au Haut Comité du système de transport ferroviaire (HCSTF)

Le rapport annuel d’activité rend compte de la mise en œuvre du contrat. Ce rapport est adressé au Parlement, à l’ARAFER et au HCSTF

– Le rapport annuel d’activité rend compte de la mise en œuvre du contrat. Ce rapport est soumis à l’avis de l’ARAFER, et adressé au Parlement et au HCSTF.

– Le HCSTF délibère annuellement sur des propositions d’évolution du contrat, et ses délibérations sont rendues publiques

– L’ARAFER émet un avis conforme sur la fixation des redevances d’infrastructure au regard des dispositions du contrat

– L’ARAFER émet un avis sur le respect, par le budget annuel de SNCF Réseau, de la trajectoire financière fixée par le contrat

Contenu

● Loi : Le contrat-cadre, qui intègre les contrats opérationnels des deux autres EPIC, garantit la cohérence des objectifs et moyens de l’ensemble du groupe public ferroviaire.

Il détermine les objectifs assignés par l’État à l’EPIC de tête et au groupe en termes de qualité de service au profit de l’ensemble des entreprises ferroviaires, des AOT et des usagers.

Il consolide les trajectoires financières des deux autres contrats.

● Décret : outre le contenu prévu par la loi, le contrat-cadre complète les contrats opérationnels par « les grandes orientations assignées par l’État au groupe public ferroviaire en ce qui concerne » le développement durable et équilibré du mode ferroviaire « dans une perspective multimodale », la politique sociale du groupe, la trajectoire financière du groupe, la promotion de la recherche et de l’innovation, la contribution au développement de la filière industrielle française, la gestion du patrimoine foncier du groupe, le développement à l’international… Ces orientations sont « chaque fois que nécessaire, assorties d’indicateurs ».

● Loi : le contrat détermine « notamment les objectifs assignés à l’entreprise en matière de qualité de service, de trajectoire financière, de développement du service public ferroviaire et du fret ferroviaire, d’aménagement du territoire et de réponse aux besoins de transport de la population et des acteurs économiques » ;

● Décret : « le contrat d’objectifs (…) détermine les grandes orientations fixées par l’État à SNCF Mobilités, notamment en ce qui concerne » (outre les objectifs cités par la loi) la qualité de l’offre de service « dans une perspective multimodale », l’accessibilité aux services de transport ferroviaire, la contribution au développement durable et aux objectifs de transition énergétique. Ces orientations sont « chaque fois que nécessaire, assorties d’indicateurs ».

Les dispositions relatives au contenu de ce contrat sont beaucoup plus détaillées que celles relatives aux deux autres contrats.

● La loi dispose que le contrat détermine notamment « les objectifs de performance, de qualité et de sécurité du réseau ferré national », « les orientations en matière d’exploitation, d’entretien et de renouvellement » de ce réseau « et les indicateurs d’état et de productivité correspondants », la trajectoire financière de SNCF Réseau avec les moyens financiers alloués à chaque mission de l’EPIC, les principes applicables à la fixation annuelle des tarifs des redevances, l’évolution des différentes catégories de dépenses de gestion de l’infrastructure (exploitation / entretien / renouvellement / développement), les mesures prises pour maîtriser ses dépenses et les objectifs de productivité retenus, « la chronique de taux de couverture (…) du coût complet à atteindre annuellement », la trajectoire à respecter du rapport entre la dette nette et sa marge opérationnelle, les mesures correctives, et les conditions de renégociation du contrat.

● Le décret ajoute au contenu « les mesures d’incitation à la réduction des coûts », et prévoit que les orientations fixées sont « chaque fois que nécessaire, assorties d’indicateurs ».

B. DES RÈGLES PRUDENTIELLES SPÉCIFIQUES APPLICABLES À SNCF RÉSEAU

1. Une « règle d’or » prudentielle

Le texte réglementaire crucial qui manque encore à ce jour pour la mise en œuvre de la réforme ferroviaire n’a pas été prévu par la loi du 4 août 2014 mais par la loi dite « Macron » du 6 août 2015 : c’est le décret relatif à la « règle d’or ». Un projet de décret a été transmis par le Gouvernement courant octobre à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER).

La loi du 4 août 2014, complétée par la loi du 6 août 2015, a défini un ratio prudentiel (25) constituant une « règle d’or » dont l’objet est de n’autoriser, désormais, la contribution de SNCF Réseau au financement d’investissements de développement (hors investissements de maintenance, d’entretien ou de renouvellement) que dans la mesure où le ratio d’endettement de SNCF Réseau, défini comme le rapport « dette financière nette / marge opérationnelle », n’excède pas un plafond fixé à 18 (article L. 2111-10-1 du code des transports). Le contrat pluriannuel, prévu par l’article L. 2111-10, que SNCF Réseau et l’État doivent conclure tous les dix ans et actualiser tous les trois ans, doit fixer « la trajectoire à respecter du rapport entre la dette nette de SNCF Réseau et sa marge opérationnelle ».

La « règle d’or » créée par la loi du 4 août 2014
et modifiée par la loi du 6 août 2015

L’article L. 2111-10-1 du code des transports dispose :

« Les règles de financement des investissements de SNCF Réseau sont établies en vue de maîtriser sa dette, selon les principes suivants :

1° Les investissements de maintenance du réseau ferré national sont financés selon des modalités prévues par le contrat mentionné au premier alinéa de larticle L. 2111-10 [le contrat décennal conclu entre l’État et SNCF Réseau] ;

Les investissements de développement du réseau ferré national sont évalués au regard du ratio défini comme le rapport entre la dette financière nette et la marge opérationnelle de SNCF Réseau.

En cas de dépassement du niveau plafond de ce ratio, les projets d’investissements de développement sont financés par l’État, les collectivités territoriales ou tout autre demandeur.

En l’absence de dépassement du niveau plafond de ce ratio, les projets d’investissements de développement font l’objet, de la part de l’État, des collectivités territoriales ou de tout autre demandeur, de concours financiers propres à éviter toute conséquence négative sur les comptes de SNCF Réseau au terme de la période d’amortissement des investissements projetés.

Les règles de financement et le ratio mentionnés au premier alinéa et au 2° visent à garantir une répartition durable et soutenable du financement du système de transport ferroviaire entre gestionnaires d’infrastructure et entreprises ferroviaires, en prenant en compte les conditions de la concurrence intermodale.

(…) Les modalités d’application du présent article, notamment le mode de calcul des éléments du ratio mentionné au 2° et son niveau plafond, qui ne peut excéder 18, sont définies par décret. »

La « règle d’or » est respectueuse de la souveraineté des décisions politiques des pouvoirs publics, de l’État comme des régions, mais consiste à les contraindre à les financer (par le contribuable) au-delà du ratio de la règle d’or, sans en faire peser la part non recouvrable sur l’économie du système ferroviaire.

Elle introduit en quelque sorte un principe de responsabilité du type « qui décide, paye », visant à protéger le système ferroviaire de décisions politiques délibérément étrangères à toute considération de soutenabilité économique par le système ferroviaire.

Cette règle n’est pas une réelle nouveauté dans le droit français : on observera que les gouvernements successifs se sont discrètement affranchis d’un dispositif similaire, introduit par l’article 4 du décret de création de RFF en 1997 (26), en particulier pour le financement de la LGV Tours-Bordeaux, dont l’insuffisance a été prise en charge par la dette de SNCF Réseau. Le mécanisme dit « de l’article 4 » n’a pas permis à RFF de refuser d’investir dans un certain nombre de projets basés sur des prévisions de trafic trop optimistes.

La règle d’or vise à dissuader les pouvoirs publics de charger toujours plus SNCF Réseau de dettes nouvelles liées à des projets d’investissement déraisonnables en termes économiques. Pour autant, cette règle ne doit pas venir entraver les programmes d’investissements d’entretien et de rénovation du réseau existant. D’où la distinction, établie par l’article L. 2111-10-1, entre les investissements de maintenance et les investissements de développement.

2. Couvrir le coût complet en dix ans : une définition, un objectif final et des objectifs intermédiaires

L’article L. 2111-10 du code des transports (article 6 de la loi du 4 août 2014) :

– définit le « coût complet » du réseau ;

– impose d’atteindre l’objectif de couverture du coût complet par les ressources de SNCF Réseau « dans un délai de dix ans à compter de l’entrée en vigueur du premier contrat entre SNCF Réseau et l’État » ;

– et précise que les clauses dudit contrat comportent « la chronique de taux de couverture (…) du coût complet à atteindre annuellement ».

L’article L. 2111-25 ajoute que « tant que le coût complet du réseau n’est pas couvert par l’ensemble de ses ressources, SNCF Réseau conserve le bénéfice des gains de productivité qu’il réalise ».

Le coût complet qu’il s’agit de parvenir à couvrir grâce aux ressources de SNCF Réseau est défini comme, « pour un état donné du réseau, (…) l’ensemble des charges de toute nature supportées par SNCF Réseau liées à la construction, à l’exploitation, à la maintenance et à l’aménagement de l’infrastructure, y compris l’amortissement des investissements et la rémunération des capitaux investis par SNCF Réseau ». SNCF Réseau doit, au préalable, établir la méthode d’imputation du coût complet aux différentes catégories de services offerts aux entreprises ferroviaires, comme le prévoit la directive 2012/34/UE précitée, dite « directive recast ».

Les ressources propres à SNCF Réseau étant les péages (redevances versées par les utilisateurs du réseau ferré), atteindre l’objectif final et les objectifs intermédiaires annuels passe par la fixation des tarifs de ces péages à un niveau approprié, dans le respect des principes de tarification posés la directive « recast ».

Les principes de la tarification de l’infrastructure ferroviaire posés par la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen (refonte)

Article 29 – Établissement et recouvrement des redevances

« (…) Les États membres veillent à ce que les documents de référence du réseau contiennent le cadre de tarification et les règles de tarification ou renvoient à un site internet sur lequel le cadre de tarification et les règles de tarification sont publiés.

« Le gestionnaire de l’infrastructure détermine et perçoit la redevance pour l’utilisation de l’infrastructure conformément au cadre de tarification et aux règles de tarification établis. (…) le gestionnaire de l’infrastructure veille à ce que le système de tarification en vigueur soit fondé sur les mêmes principes sur l’ensemble de son réseau.

« Le gestionnaire de l’infrastructure s’assure que le système de tarification est appliqué de telle manière que les différentes entreprises ferroviaires effectuant des prestations de service de nature équivalente sur une partie similaire du marché soient soumises à des redevances équivalentes et non discriminatoires (…). »

Article 30 – Coût de l’infrastructure et comptabilité

« (…) Le gestionnaire de l’infrastructure, toute en respectant les exigences en matière de sécurité et en maintenant et améliorant la qualité de service de l’infrastructure, est encouragé par des mesures d’incitation à réduire les coûts de fourniture de l’infrastructure et le niveau des redevances d’accès. (…)

« Les gestionnaires de l’infrastructure établissent une méthode d’imputation des coûts aux différentes catégories de services offerts aux entreprises ferroviaires. (…) Cette méthode est mise à jour (…) sur la base des meilleures pratiques internationales. (…) »

Article 31 – Principes de tarification

« Les redevances d’utilisation de l’infrastructure et des installations de service sont versées respectivement au gestionnaire de l’infrastructure et à l’exploitant d’installation de service, qui les affectent au financement de leurs activités.

« Les États membres exigent du gestionnaire de l’infrastructure et de l’exploitant d’installation de service qu’ils fournissent à l’organisme de contrôle toute information nécessaire sur les redevances imposées afin de permettre à ce dernier d’assumer ses fonctions (…).

« Sans préjudice des paragraphes 4 et 5 du présent article [qui donnent la possibilité d’inclure dans les péages une redevance au titre de la rareté des capacités d’une section du réseau pendant les périodes de saturation, et la possibilité de modifier les tarifs des péages pour tenir compte du coût des effets de l’exploitation des trains sur l’environnement] ou de l’article 32 [exceptions aux principes de tarification], les redevances perçues pour l’ensemble des prestations minimales et pour l’accès à l’infrastructure reliant les installations de service sont égales au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire. (…) ».

Selon M. Alain Bonnafous, auditionné par vos Rapporteurs, en 2012 les péages versés à Réseau ferré de France (RFF) parvenaient à couvrir 83 % du coût complet du réseau national. Le professeur Bonnafous considère que cette proportion constituait un résultat très positif de la réforme de 1997 : après cette réforme, les péages versés par la SNCF à RFF avaient été établis forfaitairement au tiers environ de ce que RFF versait au gestionnaire d’infrastructure délégué, et représentaient moins de 20 % du coût complet des premiers exercices budgétaires de RFF. Parvenir à 83 % quinze ans après, grâce à une contribution considérablement accrue de la SNCF, a représenté un progrès considérable. Mais l’objectif de couverture du coût complet par la tarification des péages – principe explicitement retenu dans les réformes ferroviaires des années 1990 au Royaume-Uni et en Allemagne - est loin d’être atteint. Or, « un réseau qui ne couvre pas ses coûts est mécaniquement subventionné » (27).

*

* *

L’introduction de règles « vertueuses » dans la loi visait à donner les outils de la stabilisation de l’endettement de SNCF Réseau, par une limitation de la dette supplémentaire à venir. Mais quid de la dette accumulée avant l’adoption des lois de 2014 et 2015 ? L’article 11 de la loi du 4 août 2014 dispose que « dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet aux commissions permanentes du Parlement compétentes en matière ferroviaire et financière un rapport relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau et aux solutions qui pourraient être mises en œuvre afin de traiter l’évolution de la dette historique du système ferroviaire. Ce rapport examine les conditions de reprise de tout ou partie de cette dette par l’État ainsi que l’opportunité de créer une caisse d’amortissement de la dette ferroviaire. » Le rapport a été transmis aux présidents des deux assemblées avec quelques semaines de retard par rapport au délai prévu par la loi (voir encadré page 103).

IV. LES DISPOSITIONS RELATIVES À L’AUTORITÉ DE RÉGULATION DES ACTIVITÉS FERROVIAIRES

A. des compÉtences renforcÉes

Les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) ont été renforcées par la loi portant réforme ferroviaire, notamment s’agissant du modèle économique du système ferroviaire, avec l’extension de ses avis sur la tarification à l’ensemble des composantes de l’infrastructure ferroviaire (gares de voyageurs, cours de fret, station de distribution de combustible, voies de service, chantiers de transport combiné, etc.).

Désormais, l’ARAF – devenue ARAFER en 2015 – doit veiller au respect de la trajectoire budgétaire du gestionnaire de l’infrastructure, SNCF Réseau, et suivre les conditions de financement de ses projets d’investissements. En outre, la loi de 2014 donne plus de pouvoirs d’information à l’Autorité et étend à la fois son pouvoir de « codécision » (avis conformes) et sa compétence consultative (avis simples).

L’Autorité reçoit aussi une compétence en matière de contrôle du respect des règles relatives au cabotage ferroviaire (article 10 de la loi).

En ce qui concerne les documents devant être désormais communiqués à l’Autorité, il s’agit notamment de : la liste des emplois des dirigeants de SNCF Réseau ; tout projet de déclassement de biens situés à proximité de voies ferrées exploitées par la SNCF ; le rapport d’activité de la SNCF, EPIC de tête ; le rapport d’activité de SNCF Réseau ; et le rapport d’activité de SNCF Mobilités.

En ce qui concerne les avis conformes, juridiquement contraignants, les pouvoirs de l’Autorité ont été étendus. Elle conserve son pouvoir d’avis conforme sur la tarification de l’accès au réseau, et a désormais un pouvoir d’avis conforme sur la tarification de l’accès aux gares de voyageurs et aux autres infrastructures de service, ainsi qu’aux prestations régulées qui y sont fournies (cours de fret, stations gazole, etc.). Elle émet aussi un avis conforme sur la tarification des prestations de sûreté et elle peut s’opposer à la proposition de nomination, de renouvellement ou de révocation du président de SNCF Réseau.

Le champ des avis simples rendus par l’ARAF a également été étendu. En effet, désormais l’Autorité est obligatoirement consultée sur la charte du réseau et ses modifications, sur le projet de contrat-cadre conclu entre l’État et SNCF (et ses actualisations), sur le projet de contrat conclu entre l’État et SNCF Réseau (et ses actualisations), ainsi que sur le rapport annuel d’activité portant sur la mise en œuvre de ce contrat, sur le montant global des concours financiers devant être apportés à SNCF Réseau et sur la part contributive de SNCF Réseau pour les projets d’investissements dépassant un seuil fixé par le Parlement, sur les mesures internes d’organisation de SNCF Réseau dans l’objectif de prévenir toute discrimination, et sur le projet de budget de SNCF Réseau.

La composition du collège de l’Autorité a été modifiée, pour porter à trois le nombre de membres permanents (le président et deux vice-présidents(28)).

La commission des sanctions, indépendante du collège afin de séparer les fonctions d’instruction des fonctions de jugement, est composée d’un membre du Conseil d’État, d’un conseiller à la Cour de cassation et d’un magistrat de la Cour des comptes. Elle est chargée de prononcer les sanctions administratives prévues aux articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du code des transports (désormais recodifiés aux articles L. 1264-7 et L. 1264-8 par ordonnance du 29 janvier 2016).

B. LE DÉCRET D’APPLICATION RELATIF À L’ORGANISATION ET AU FONCTIONNEMENT DE L’AUTORITÉ

1. L’avis défavorable de l’Autorité sur le projet de décret

L’ARAF a rendu, le 13 mai 2015, un avis défavorable à propos du projet de décret d’application relatif à son organisation et à son fonctionnement (29). L’ARAF a formulé un certain nombre de recommandations afin de garder son indépendance vis-à-vis du Gouvernement, au même titre que les autres autorités administratives indépendantes de régulation (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, Commission de régulation de l’énergie).

En effet, le Gouvernement souhaitait soumettre l’ARAF à des contraintes ne pesant ni sur l’ARCEP, ni sur la CRE. Dans le cadre de la réforme ferroviaire, il avait été envisagé de nommer un commissaire du gouvernement pour assister aux séances du collège ; si cette idée a été abandonnée, l’ARAF doit en revanche consulter le Gouvernement avant de rendre une recommandation, un avis ou une décision (sauf en matière de règlement des différends et de sanctions). Dans son avis, l’ARAF émet la recommandation de ne transmettre au Gouvernement que le dossier dont elle est saisie, cette transmission excluant toute communication des analyses faites par l’Autorité. Par ailleurs, dans un souci d’indépendance, l’ARAF a souhaité que soit précisé le fait que le représentant du Gouvernement auditionné ne participe pas à la délibération du collège.

Par ailleurs, le projet de décret contenait un article portant sur le contenu du rapport annuel d’activité, alors que la loi ne renvoie nullement à un décret d’application sur ce point et qu’aucun texte réglementaire ne précise le contenu des rapports annuels des autres régulateurs, l’ARCEP et la CRE. Dans ces conditions, afin de garder la pleine maîtrise de la définition du contenu de son rapport annuel, l’ARAF a demandé la suppression de cet article.

Le dernier point sur lequel a porté l’avis défavorable de l’ARAF concernait les délais d’adoption de ses avis. L’ARAF dispose d’un délai de deux mois à compter de sa saisine pour rendre un avis. Or, le projet de décret envisageait l’application du principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation lorsque l’ARAF n’a pas rendu d’avis dans les deux mois. Sur ce point également, ni l’ARCEP ni la CRE ne se voient appliquer un délai pour rendre une décision.

2. Les principales dispositions du décret n° 2015-843 du 10 juillet 2015

Ce décret précise les conditions dans lesquelles le régulateur ferroviaire procède à la consultation du Gouvernement avant de rendre certains avis, décisions ou recommandations, afin d’en connaître les analyses, notamment en ce qui concerne les enjeux et les contraintes du système de transport ferroviaire national (en application de l’article L. 2132-8-1 du code des transports). L’Autorité transmet au ministère chargé des transports les dossiers dont elle est saisie, en respectant le secret des affaires et à l’exclusion des éléments d’analyse interne établis par les services de l’Autorité (sur ce point le Gouvernement a tenu compte des recommandations de l’Autorité). Le ministère a, en principe, un mois pour faire parvenir ses observations.

Le Gouvernement a également suivi la recommandation visant à ce que le représentant du ministère qui vient présenter au collège des observations orales ne puisse pas participer aux délibérations du collège.

Le décret du 10 juillet 2015 définit aussi les principales règles de fonctionnement de la commission des sanctions, créée au sein de l’ARAF par la loi de 2014. Cette commission ne peut délibérer que si deux de ses membres sont présents.

V. L’ÉLABORATION D’UN NOUVEAU CADRE SOCIAL

Avant la réforme de 2014, coexistaient deux réglementations sociales dans le secteur du transport ferroviaire : l’une applicable exclusivement à la SNCF (le « RH 0077 » (30)), basée sur le décret n° 99-1161 du 28 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la Société nationale des chemins de fer français, et l’autre applicable aux entreprises du secteur « fret » (décret n° 2010-404 du 27 avril 2010 relatif au régime de la durée du travail du personnel de certaines entreprises de transport ferroviaire).

Dans les deux cas, les règles ainsi posées par décret visaient à rendre possible une activité de transport 7 jours sur 7, de nuit comme de jour, avec une prise en compte des impératifs de sécurité (durée maximale des journées, temps de repos, temps maximum de conduite…). Mais il n’existait pas de convention collective pour l’ensemble du secteur.

A. UNE CONVENTION COLLECTIVE POUR LA BRANCHE FERROVIAIRE…

Avec la loi du 4 août 2014, le législateur n’a voulu en aucune façon se substituer a priori aux partenaires sociaux de la SNCF. Il s’est agi de provoquer une négociation paritaire (et d’encadrer ses conditions), pour tirer les leçons de l’impréparation notoire de l’ouverture du fret à la concurrence et de la nécessité de préparer la prochaine étape d’ouverture à la concurrence : celle des services de transport de voyageurs sur le territoire national.

La loi impose donc comme objectif une convention collective de la branche ferroviaire (article L. 2165-1 du code des transports, créé par l’article 17 de la loi), sans préjudice de la conclusion d’accords d’entreprise plus favorables. Cette convention de branche doit soumettre l’ensemble des entreprises et établissements entrant dans son champ (31) à un régime homogène en matière de durée du travail notamment. L’article 33 de la loi a laissé aux partenaires sociaux jusqu’au 30 juin 2016 pour conclure le chapitre « Organisation du travail » de la convention collective.

Le périmètre de cette convention collective recouvre l’ensemble constitué par :

– les salariés des trois EPIC du groupe public ferroviaire (SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités), y compris ceux « au statut » ;

– les salariés des entreprises « titulaires d’un certificat de sécurité ou d’une attestation de sécurité (…) dont l’activité principale est une activité de transport de marchandises ou de voyageurs » ;

– les salariés des entreprises « titulaires d’un agrément de sécurité ou d’une attestation de sécurité (…) dont l’activité principale est la gestion, l’exploitation ou la maintenance sous exploitation des lignes et installations fixes d’infrastructures ferroviaires » ;

– les salariés affectés aux activités de transport ferroviaire dans les entreprises titulaires d’un certificat de sécurité ou d’une attestation de sécurité, quelle que soit l’activité principale de ces entreprises ;

– les salariés affectés aux activités de gestion, d’exploitation ou de maintenance sous exploitation des lignes et installations fixes d’infrastructures ferroviaires dans les entreprises titulaires d’un certificat de sécurité ou d’une attestation de sécurité, quelle que soit l’activité principale de ces entreprises.

Selon les règles en vigueur en matière de droit du travail, le champ d’application d’une convention collective nationale ne peut pas couvrir un secteur déjà couvert par une autre convention collective nationale. Par conséquent, des salariés comme, par exemple, les personnels de la restauration ferroviaire (déjà couverts par une convention collective) sont exclus du périmètre de la convention de la branche ferroviaire, ainsi que les salariés relevant de la convention collective du BTP.

L’article 35 de la loi pose les critères d’identification des organisations syndicales représentatives qui peuvent participer aux travaux de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer la convention collective de branche. Leur représentativité est appréciée en retenant les résultats des dernières élections survenues dans l’ensemble des entreprises comprises dans le périmètre de la « branche » (32).

B. … DONT UN DÉCRET FORME LE « SOCLE » ET DES ACCORDS D’ENTREPRISE, LES AMÉNAGEMENTS

Mais la convention de branche, dont le périmètre englobe mais dépasse les personnels du groupe constitué par les trois EPIC, ne constitue pas à elle seule le cadre du futur nouveau régime juridique des métiers du ferroviaire. Un socle commun de règles en matière de durée du travail, pour garantir la sécurité des circulations et la continuité du service tout en assurant la sécurité des travailleurs, doit être défini par décret en Conseil d’État (« décret socle » prévu aux articles L. 2161-1 et L. 2161-2 du code des transports, également créés par l’article 17 de la loi). C’est par ce décret que doivent notamment être définis la durée journalière du temps de travail, l’encadrement du travail de nuit et les règles d’astreinte.

D’autre part, le diptyque « décret socle/convention collective » a vocation à être complété par autant d’accords d’entreprise qu’il y a d’entreprises dans la branche ferroviaire, pour adapter les règles générales à l’organisation du travail propre à chaque entreprise. La convention collective et les accords d’entreprise peuvent déroger aux dispositions du décret socle, mais uniquement dans un sens plus favorable aux salariés. Par ailleurs, tant la convention collective que les accords d’entreprise peuvent aborder des sujets non traités par le décret socle, c’est-à-dire des sujets autres que la durée du travail (par exemple la formation professionnelle, le droit syndical, la classification des emplois…).

En ce qui concerne spécifiquement les personnels des trois EPIC, les articles L. 2101-1 et L. 2101-2 (créés par l’article 1er de la loi) et l’article 32 de la loi posent des principes, importants pour les salariés du groupe :

– les trois EPIC « ont un caractère indissociable et solidaire » (ce qui n’implique pas que l’EPIC de tête soit l’employeur de tous les salariés du groupe) ;

– ils « emploient des salariés régis par un statut particulier », et « peuvent également employer des salariés sous le régime des conventions collectives » ;

– les salariés de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités « peuvent occuper tout emploi ouvert dans l’un des établissements publics constituant le groupe public ferroviaire, avec continuité de leur contrat de travail, ou dans leurs filiales » ;

– le principe de la poursuite des contrats de travail signés avant l’entrée en vigueur de la réforme : les contrats de travail des salariés de la Société nationale des chemins de fer français et de Réseau ferré de France se poursuivent sans changement avec leur nouvel employeur (SNCF Mobilités, SNCF Réseau ou la SNCF), tout comme les réglementations statutaires.

Un accord « de groupe » pluriannuel (négocié au niveau du groupe) doit fixer les modalités d’application des trois premiers de ces principes, en tenant compte d’une autre disposition, celle de l’article L. 2101-3, qui prévoit la possibilité, s’agissant exclusivement des personnels « au statut » d’élaborer un accord spécifiquement consacré à ceux-ci pour « compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les conditions d’application (…) ».

Les articles L. 2101-4 à L. 2101-6 (créés par l’article 1er de la loi) ont défini les instances représentatives du personnel pour l’ensemble du groupe public ferroviaire (comité central du groupe public ferroviaire, commun aux trois EPIC ; comité de groupe constitué entre les EPIC et leurs filiales) et les modalités de désignation des délégués syndicaux centraux.

Il est par ailleurs prévu (par l’article 27 de la loi) que les élections des représentants des salariés au conseil de surveillance de l’EPIC de tête et aux conseils d’administration de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités sont organisées simultanément dans l’ensemble des EPIC du groupe, dans les six mois suivant sa constitution (donc au second semestre 2015).

Dispositions applicables aux personnels et aux instances représentatives des personnels : principaux textes réglementaires d’application

● Conditions d’élaboration du statut particulier des salariés employés par la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités : décret en Conseil d’État n° 2015-141 du 10 février 2015 relatif à la commission du statut particulier mentionné à l’article L. 2101-2 du code des transports ;

● Conditions dans lesquelles les salariés issus de RFF qui remplissaient les conditions d’embauche au statut lors de leur recrutement peuvent opter pour le statut, dans les dix-huit mois suivant la constitution du groupe public ferroviaire : décret en Conseil d’État n° 2015-763 du 29 juin 2015 relatif aux conditions d’exercice du droit d’option des salariés issus de Réseau ferré de France pour le statut particulier mentionné à l’article L. 2101-2 du code des transports ;

● Adaptation des dispositions du code du travail relatives à la composition, à l’élection et au fonctionnement du comité central d’entreprise, pour le comité central du groupe public ferroviaire et les commissions consultatives de celui-ci : décret en Conseil d’État n° 2015-142 du 10 février 2015 relatif au comité central du groupe public ferroviaire et aux commissions consultatives ;

● Modalités de répartition des attributions du comité central d’entreprise entre le comité central du groupe public ferroviaire et les commissions consultatives (article L. 2101-5 du code des transports) : décret en Conseil d’État n° 2015-142 du 10 février 2015 relatif au comité central du groupe public ferroviaire et aux commissions consultatives.

● Règles relatives à la durée du travail communes aux 3 EPIC du groupe public ferroviaire, aux entreprises titulaires d’un certificat de sécurité ou d’une attestation de sécurité dont l’activité principale est le transport ferroviaire de marchandises ou de voyageurs, et aux entreprises titulaires d’un agrément de sécurité ou d’une attestation de sécurité dont l’activité principale est la gestion, l’exploitation ou la maintenance sous exploitation des lignes et installations fixes d’infrastructures ferroviaires (article L. 2161-1 du code des transports) : décret en Conseil d’État n° 2016-755 du 8 juin 2016 relatif au régime de la durée du travail des salariés des entreprises du secteur du transport ferroviaire et des salariés affectés à des activités ferroviaires au sens de l’article L. 2161-2 du code des transports (« décret socle »).

● Mesures d’adaptation des décrets relatifs aux régimes de prévoyance et de retraite pour prendre en compte la création du groupe public ferroviaire :

– décret n° 2016-1005 du 21 juillet 2016 relatif à la limite d’âge des agents du cadre permanent de la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités ;

– décret n° 2016-1006 du 21 juillet 2016 portant modification des dispositions relatives au régime spécial de la Société nationale des chemins de fer français.

VI. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA SÛRETÉ ET À LA SÉCURITÉ

A. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX MISSIONS DE L’E.P.S.F

Les missions de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), autorité indépendante créée par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, sont énumérées à l’article L. 2221-1 du code des transports et précisées par le décret n° 2006-369 du 28 mars 2006 relatif aux missions et aux statuts de l’EPSF. Ces missions incluent principalement :

– la délivrance, le renouvellement, la restriction, la suspension ou le retrait de toutes les autorisations requises pour l’exercice d’une activité ferroviaire (agréments de sécurité, certificats de sécurité, agréments des centres de formation…), ainsi que les inspections et audits permettant d’assurer le suivi et le contrôle de ces autorisations ;

– la délivrance, le renouvellement ou le retrait des licences de conducteur de trains ;

– le contrôle de la mise sur le marché des constituants d’interopérabilité ;

– la publication de documents techniques et de recommandations sur les exigences réglementaires relatives à la sécurité et à l’interopérabilité ferroviaires ;

– l’élaboration d’un rapport annuel sur la sécurité du transport ferroviaire ;

– la réponse aux consultations du ministre chargé des transports sur toute question relative à la sécurité et à l’interopérabilité ferroviaires, et la formulation de propositions d’évolution de la réglementation.

L’article 19 de la loi du 4 août 2014 a ajouté à cette liste une mission de promotion et de diffusion des bonnes pratiques en matière d’application de la réglementation de sécurité et d’interopérabilité ferroviaires.

L’article L. 2221-11 du code des transports (article 20 de la loi) impose une remontée à l’EPSF des évènements mettant en cause la sécurité ferroviaire, et donne à l’EPSF le pouvoir de sanctionner les manquements à cette obligation. L’EPSF peut ainsi sanctionner pécuniairement le non-respect des obligations en matière de déclaration d’accident et d’incident ferroviaire par les personnes titulaires d’une autorisation d’exercice délivrée par l’Établissement. D’autre part, l’article L. 2221-12 interdit toute sanction disciplinaire à l’encontre d’un individu qui a signalé un tel manquement.

Pour l’application de ces dispositions, le décret n° 2015-1757 du 24 décembre 2015 a apporté des modifications au décret n° 2006-369 du 28 mars 2006 relatif aux missions et aux statuts de l’Établissement public de sécurité ferroviaire et au décret n° 2006-1279 du 19 juin 2006 relatif à la sécurité des circulations ferroviaires et à l’interopérabilité du système ferroviaire.

D’autre part, le champ d’intervention de l’EPSF a évolué, du fait de la publication du décret n° 2015-84 du 28 janvier 2015 fixant la liste des réseaux ferroviaires présentant des caractéristiques d’exploitation comparables à celles du réseau ferré national : cette publication a entraîné l’application à ces réseaux des règles de sécurité en vigueur sur le réseau ferré national, et a donc étendu la compétence de l’EPSF, notamment, aux voies ferrées situées dans le périmètre des principaux ports maritimes et des ports autonomes de Paris et de Strasbourg.

Les ressources de l’EPSF représentent environ 18 millions d’euros par an. Elles sont assurées par un « droit de sécurité », taxe de 0,5 % du montant des péages versés par les entreprises ferroviaires. Cette ressource est complétée par les redevances payées à l’occasion de l’instruction de certains dossiers.

B. LE DISPOSITIF DE SÛRETÉ

1. La « Suge »

La Sûreté ferroviaire ou Surveillance générale (dite « Suge ») est le service de sûreté interne de la SNCF, dont la mission est de protéger, assister et sécuriser tant les voyageurs que le personnel et les biens sur l’ensemble du réseau et des emprises ferroviaires, et dans les véhicules affectés au transport ferroviaire. À la veille de la réforme, fin 2013, elle comptait 2 850 agents.

La Suge, malgré l’appellation parfois employée de « police du ferroviaire », n’est pas un service de police : même si ses agents sont armés, elle n’a ni le même statut, ni les mêmes prérogatives que les forces de l’ordre (qu’il s’agisse des gendarmes et policiers spécialisés de la police ferroviaire nationale, ou des agents de la sous-direction de police des transports de la préfecture de police de Paris compétents en Île-de-France).

L’article 23 de la loi du 4 août 2014 a rattaché la Suge à l’EPIC de tête (article L. 2251-1 du code des transports), et a étendu ses compétences à l’ensemble des entreprises ferroviaires, françaises comme étrangères, utilisatrices du réseau ferré national, afin qu’elles puissent recourir à ce service si elles le souhaitent (article L. 2251-1-1), avec obligation pour la Suge d’exercer ses prestations sans discrimination entre les entreprises ferroviaires et dans des conditions transparentes : « la sûreté dans les transports apparaît comme un bien commun indispensable pour tout le monde ferroviaire et qui ne peut être un élément de différenciation ou de concurrence entre les différents opérateurs. » (33). L’EPIC de tête a l’obligation de publier chaque année un document de référence et de tarification des prestations de la Suge, soumis à l’avis conforme de l’ARAFER (34).

La Suge fait donc toujours partie intégrante du groupe public ferroviaire, mais est à la disposition de toutes les entreprises ferroviaires, cette mise à disposition se faisant « dans un cadre formalisé » (article L. 2251-1-1), c’est-à-dire concrètement par le biais d’un contrat à titre onéreux entre la Suge et chaque exploitant qui le souhaite. En ce qui concerne l’activité de la Suge à l’intérieur du champ d’activité des deux EPIC « filles » du groupe public ferroviaire, elle peut mettre ses personnels à la fois à la disposition de SNCF Réseau, pour la surveillance des installations, et de SNCF Mobilités, pour les interventions à bord des trains.

L’article L. 2241-1 du même code, complété par l’article 21 de la loi, a habilité les agents de la Suge à établir des procès-verbaux pour constater les infractions aux dispositions relatives à la sécurité, ainsi que les contraventions prévues par les règlements relatifs à la police ou à la sûreté du transport et à la sécurité de l’exploitation des systèmes de transport ferroviaire ou guidé.

2. Le libre accès aux trains pour les agents de police judiciaire

L’article 21 comporte également des dispositions visant, dans la perspective de la présence accrue d’opérateurs privés, parfois étrangers, à adapter les méthodes policières de lutte contre l’insécurité. Le droit antérieur à 2014 permettait déjà aux forces de l’ordre d’exercer leur mission à bord des trains, mais la loi du 4 août 2014 pose une autorisation permanente de monter à bord pour l’accomplissement de leur mission. D’autre part, une sanction est prévue s’il est fait obstacle à ce droit d’accès (amende administrative).

3. L’obligation, pour les entreprises ferroviaires, de faire état des actes de délinquance

L’article L. 2241-9 du code des transports oblige les entreprises ferroviaires à porter à la connaissance des services du ministère de l’intérieur, dans les meilleurs délais, les « évènements graves, relatifs à des faits de délinquance ou à des troubles graves à l’ordre public survenus à bord de leurs trains. ». L’introduction de cette disposition a répondu à une demande répétée des forces de l’ordre.

Textes réglementaires d’application

● Sur les modalités d’application de l’article L. 2241-1-1 du code des transports, relatif à l’accès aux trains pour les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie : décret n° 2015-1759 du 24 décembre 2015 relatif à l’accès aux véhicules de transport ferroviaire ou guidé des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale dans l’exercice de leurs missions de sécurisation des personnes et des biens dans les transports en commun de voyageurs par voie ferrée ou guidée ;

Ce décret a été complété par un arrêté du 24 décembre 2015 précisant les conditions du libre accès aux véhicules de transport ferroviaire ou guidé des services ou unités de la police et de la gendarmerie nationales chargés de la sécurisation des transports en commun de voyageurs ;

● Sur les conditions d’application de l’article L. 2251-1-1 du code des transports, relatif au service interne de la sécurité de la SNCF : décret en Conseil d’État n° 2015-845 du 10 juillet 2015 relatif aux prestations de sûreté fournies par le service interne de sécurité de la SNCF.

Les dispositions applicables en matière de sûreté ont été considérablement enrichies après la loi du 4 août 2014, dans un contexte rendu extrêmement difficile par les attentats, par l’adoption de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Cette loi a notamment consolidé les prérogatives de la Suge au service de toutes les compagnies ferroviaires, et ses dispositions sont entrées en vigueur au 1er octobre 2016, deux décrets d’application de cette loi ayant été publiés en juillet et septembre 2016 (35).

VII. LES COMPÉTENCES ET LES PRÉROGATIVES DES RÉGIONS

A. UNE POSSIBILITÉ DE TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ DU DOMAINE PUBLIC FERROVIAIRE AU BÉNÉFICE DES RÉGIONS

La modification de l’article L. 3114-1 du code général de la propriété des personnes publiques par l’article 7 de la loi permet aux régions de racheter certaines petites lignes d’intérêt purement local, en créant la possibilité de transférer à une région, à la demande de son assemblée délibérante, la propriété d’infrastructures ferroviaires ou d’installations de services appartenant à l’État ou à l’un des EPIC du groupe ferroviaire. Il s’agit explicitement de lignes « que la région utilise ou envisage d’utiliser pour organiser les services de transport de personnes et qui sont séparées physiquement du reste du réseau ferré national », sous réserve des besoins de la défense du pays.

Cet article a de nouveau été modifié par la loi « Macron » du 6 août 2015, pour indiquer qu’il peut également s’agir de « lignes à faible trafic n’ayant pas été utilisées par des services de transport de personnes depuis plus de cinq ans ».

Le décret d’application de ces dispositions n’a pas encore été publié.

Dans une démarche similaire, l’article 9 de la loi a prévu la possibilité pour les ports de devenir propriétaires des voies ferrées portuaires situées dans leur périmètre.

B. UNE COMPÉTENCE DES RÉGIONS SUR DES LIGNES D’INTÉRÊT RÉGIONAL

L’article L. 2112-1-1 du code des transports créé par l’article 8 de la loi permet aux régions (à l’exception de l’Île-de-France et de la Corse) de créer ou d’exploiter des infrastructures de transport ferroviaire ou guidé d’intérêt régional. Cet article permet aux régions d’assurer la maîtrise d’ouvrage des opérations ferroviaires qu’elles portent, et leur permet par la suite d’exploiter ou de faire exploiter les lignes ainsi construites. Cette disposition est aussi nécessaire pour assurer l’effectivité des transferts des lignes mentionnés ci-dessus. La compétence des régions ainsi créée est facultative.

C. DE NOUVELLES POSSIBILITÉS OUVERTES AUX RÉGIONS

L’article 15 de la loi pose :

– un principe de liberté tarifaire : au lieu d’« [exercer] ses compétences en matière de tarifications dans le respect des principes du système tarifaire national », la région, désormais, « définit la politique tarifaire des services d’intérêt régional en vue d’obtenir la meilleure utilisation sur le plan économique et social du système de transport » ;

– l’obligation, pour SNCF Mobilités, pour chaque service de transport ferroviaire conventionné, d’ouvrir à l’autorité organisatrice régionale « l’ensemble des données qui décrivent ledit service, notamment les arrêts et horaires planifiés et temps de trajet réels des trains (…) » ;

– la possibilité de reprise par l’autorité organisatrice régionale des matériels roulants utilisés par SNCF Mobilités pour la poursuite exclusive des missions prévues par le contrat de service public, moyennant le versement d’une indemnité égale à la valeur nette comptable, nette des subventions versées par l’autorité organisatrice.

L’article 16 de la loi avait prévu la création d’un versement transport « interstitiel » au profit des régions, dédié au financement de leurs compétences en matière de transports. Mais cette disposition a été abrogée par la loi de finances pour 2015.

D. UNE CONSULTATION DES AUTORITÉS RÉGIONALES SUR LES TRAVAUX DANS LES GARES D’INTÉRÊT NATIONAL

L’article L. 2123-3 du code des transports, dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi, prévoit que « les autorités organisatrices de transport ferroviaire sont consultées, pour les gares d’intérêt national, sur les projets d’investissements de développement et de renouvellement dans les gares de voyageurs desservies dans le cadre de services de transport organisés par ces autorités. » Par ailleurs, le rôle de « chef de file » des régions en matière d’intermodalité est étendu à l’aménagement des gares (article 15 de la loi).

E. DES EXIGENCES RENFORCÉES DE TRANSPARENCE ET DE SÉPARATION COMPTABLE POUR LES LIGNES DE T.E.R

En réponse à une demande forte des régions, l’article L. 2141-11 du code des transports, qui impose à SNCF Mobilités une obligation de transparence des comptes d’exploitation des lignes conventionnées « TER », a été complété par l’article 14 de la loi pour que la transmission annuelle de ces informations aux AOT prenne la forme d’un rapport, que la décomposition ligne par ligne des comptes détaillés soit définie en accord avec l’ensemble des AOT, et qu’un décret fixe le contenu « socle » du rapport annuel. Les dispositions règlementaires correspondantes figurent à l’article 18 du décret n° 2016-327 précité du 17 mars 2016.

D’autre part, également pour répondre aux attentes des régions, l’article L. 2144-2 du même code a été modifié par l’article 15 de la loi. Cet article prévoyait déjà que les concours publics reçus par des entreprises ferroviaires au titre des missions de service public qui leur sont confiées pour le transport de voyageurs ne peuvent pas être affectés à d’autres activités et doivent figurer dans des comptes distincts. Il a été complété pour que ces comptes soient établis de manière séparée pour chaque contrat donnant lieu à des concours publics.

TROISIÈME PARTIE :
UNE MISE EN œUVRE INABOUTIE DANS DES DOMAINES ESSENTIELS

I. L’UNIFICATION DU GROUPE : UN CHANTIER COLOSSAL RÉALISÉ DANS DES DÉLAIS REMARQUABLES

Les décrets d’application permettant la constitution effective du groupe de trois EPIC sont entrés en vigueur au 1er juillet 2015. La première réunion du conseil de surveillance de l’EPIC de tête a eu lieu mi-septembre 2015, suivie des premières réunions des conseils d’administration des deux autres EPIC. L’intégration fiscale du groupe a été opérée.

Désormais, le groupe public ferroviaire se compose de l’EPIC de tête SNCF (10 000 salariés et 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires 2015), de SNCF Réseau (54 000 salariés et 6,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires 2015) et de SNCF Mobilités (196 000 salariés et 29,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires 2015) (36).

Fin mars 2016, au cours d’une audition au Sénat (37), M. Jacques Rapoport, alors en position de président démissionnaire de SNCF Réseau – ce qui lui donnait, de son propre aveu, une pleine liberté d’expression – a affirmé que le gestionnaire d’infrastructure unifié dont la France était, avant la réforme, l’un des seuls pays d’Europe à être dépourvu, existe et fonctionne en exerçant les fonctions essentielles de manière indépendante.

Il est probable que l’intégration et la réorganisation des structures des trois EPIC n’est pas encore complètement achevée. La question des systèmes informatiques, par exemple, se pose avec une acuité particulière pour l’EPIC de tête comme pour SNCF Réseau, les services devant procéder à des fusions entre des ERP (38) différents utilisés auparavant.

Entre février et septembre 2016, vos Rapporteurs ont auditionné des représentants de la quasi-totalité des organisations syndicales de la branche ferroviaire : l’UNSA, la CFDT Cheminots, le Syndicat du personnel d’encadrement ferroviaire (CFE-CGC), la CGT Cheminots et la CFDT Agents de conduite. Seul Sud-Rail n’a pas souhaité être entendu.

Lors de ces auditions, ont été exposés à vos Rapporteurs les éléments d’appréciation portée par ces syndicats sur le déroulement des élections professionnelles de novembre 2015, le ressenti des personnels pendant la période de transition, la constitution et les premiers mois de fonctionnement du groupe public ferroviaire et de ses instances représentatives du personnel, et bien sûr le déroulement des négociations portant sur le nouveau cadre social des professionnels du ferroviaire. La difficulté de l’analyse tenait au fait que la SNCF avait engagé une réforme interne parallèlement à l’élaboration de la loi de 2014, et que par conséquent l’impact exact des dispositions législatives nouvelles n’était pas aisé à mesurer parmi les évolutions constatées.

Au cours des auditions des syndicats et des autres auditions, vos Rapporteurs ont écouté avec beaucoup d’intérêt les présentations relatives à la perception, par les salariés comme par les acteurs extérieurs au groupe public ferroviaire, des changements fondamentaux causés par la réforme.

Cette perception est apparue, dans les premiers mois, souvent très négative. Certains ont fait état d’un « malaise » parmi les cadres du groupe public ferroviaire, d’une mauvaise transmission des savoir-faire, de suppressions de postes, d’un alourdissement de la charge de travail causé par ces changements structurels et organisationnels (changements qui ne sont pas uniquement liés à la réforme de 2014), des inquiétudes qui en résultent en termes de sécurité, de la confusion créée par les découpages territoriaux divergents entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau en ce qui concerne les périmètres géographiques ou sectoriels des comités d’établissement, des effectifs insuffisants chez SNCF Réseau pour réaliser l’ensemble des chantiers de travaux indispensables, d’un transfert encore incomplet des terminaux de marchandises à SNCF Réseau (dû à l’absence d’une cartographie complète de ces installations)...

D’autres ont plutôt souligné les progrès dans la diffusion des informations à l’intérieur de l’entreprise, le succès que constitue la reconnaissance par la loi du caractère socialement intégré du groupe public ferroviaire, le fait que placer la « Suge » au niveau de l’EPIC de tête est une garantie de cohérence de la « doctrine » en matière de sécurité dans l’ensemble du groupe…

Au fil des auditions, vos Rapporteurs ont constaté des évolutions positives. Par exemple, en février, il leur était indiqué que l’intégration des salariés de l’ex-RFF était loin d’être aisée, notamment en termes d’informations communiquées à ces personnels. Toutefois, la quasi-totalité des agents qui devaient être transférés d’un EPIC à un autre l’ont été, avec la continuité contractuelle prévue par la loi, au 1er juillet 2015. En particulier, quelque 50 000 personnes, auparavant salariés de la SNCF devenue SNCF Mobilités, ont été transférés soit à l’EPIC de tête, soit à SNCF Réseau, qui dispose désormais, grâce à eux, de la plénitude de ses attributions en réunissant 54 000 salariés, structurés géographiquement en 12 directions (une direction générale Île-de-France et 11 directions territoriales).

D’autre part, sans aller jusqu’à affirmer, comme le faisait M. Guillaume Pepy dès le 17 avril 2015, qu’« en quelques mois, les bisbilles et les conflits entre SNCF et RFF ont disparu » (39), de nombreuses personnes auditionnées (par exemple les représentants de LISEA) ont fait état d’un travail de terrain plus efficace en termes opérationnels. Les avantages de la réunification de l’activité de gestion de l’infrastructure ont été démontrés ; pour reprendre les termes employés par M. Frédéric Saint-Geours, président du conseil de surveillance, « auparavant, nous faisions tout deux fois. Par exemple, SNCF Infra et RFF intervenaient tous deux dans la maintenance des voies. Ils sont maintenant réunis au sein de SNCF Réseau » (40). Des résultats fonctionnels concrets, bien qu’encore largement perfectibles, ont été par exemple signalés à vos Rapporteurs en matière de qualité des sillons de fret.

En revanche, plusieurs acteurs ont signalé des « collusions malsaines » sur le terrain entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités, ou ont exprimé des doutes sur le caractère indépendant et impartial de la gestion des situations perturbées, qui, même si le pilotage et la coordination en la matière relèvent des fonctions transversales exercées par l’EPIC de tête, peut donner lieu à l’intervention, sur le terrain, de personnels de SNCF Réseau ou, parfois, de SNCF Mobilités. Ces doutes ont été particulièrement exprimés par les représentants de l’Association des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires indépendants (AGIFI).

Or, comme l’a notamment souligné devant vos Rapporteurs M. Alain Thauvette, ancien président de l’AFRA et d’Euro Cargo Rail, la gestion des situations de crise peut être une source de discrimination lorsqu’elle occasionne des suppressions de sillons. L’ancien président de l’ARAFER, M. Pierre Cardo, a exprimé des doutes sur la pertinence du placement de la mission « coordination de la gestion des crises » au niveau de l’EPIC de tête.

Vos Rapporteurs relèvent donc qu’il y a de réels progrès à faire pour rassurer les opérateurs autres que SNCF Mobilités sur le caractère effectif de l’impartialité de l’EPIC de tête et de l’indépendance de SNCF Réseau.

Audition de M. Guillaume Pepy, président directeur général de SNCF Mobilités,
et de M. Jacques Rapoport, président directeur général de SNCF Réseau,
par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat – 30 mars 2016
(extraits du compte-rendu)

M. Jacques Rapoport, président-directeur général de SNCF Réseau. – (…) Le fait que nous parlions de moins en moins de la réforme ferroviaire d’août 2014 est positif, car cela signifie qu’elle est mise en œuvre comme prévu. Les institutions ont été mises en place et fonctionnent ; le système ferroviaire a retrouvé une cohésion humaine, après dix-huit ans de « guerre des tranchées » ; entre le gestionnaire du réseau et l’opérateur historique, les fonctions essentielles sont assurées en toute indépendance ; nous avons dépassé les objectifs de productivité sur lesquels nous nous étions engagés ; nous progressons enfin sur la gestion du foncier et de l’immobilier, autrefois source d’insatisfactions, comme en témoigne la série de protocoles signés en Île-de-France. (…)

M. Guillaume Pepy, président-directeur général de SNCF Mobilités. - La promesse de la réforme était d’avoir un système ferroviaire plus simple, plus efficace, plus économe. L’exemple de la gestion de l’immobilier montre que nous commençons à réussir à simplifier, puisque l’an dernier, 26 cessions ont été réalisées au profit des collectivités, soit l’équivalent de 4 000 logements ; c’est deux fois plus que l’année précédente. Nous gagnons en efficacité avec la disparition des conflits entre les travaux sur le réseau et la circulation des trains, particulièrement visible en Île-de-France. (…) l’organisation du groupe doit être repensée sur le terrain pour que certains problèmes puissent y être réglés directement, au lieu d’être bloqués dans l’attente d’une décision provenant des échelons supérieurs. (…)

II. LES NÉGOCIATIONS SOCIALES ET LEURS RÉSULTATS

Les étapes préalables à la négociation étaient celles de la constitution du gestionnaire d’infrastructure unifié, et du groupe public ferroviaire. Ont donc trouvé à s’appliquer, dans un premier temps, les dispositions relatives à la mise en place des institutions représentatives du personnel des trois EPIC, avec la création d’un comité central du groupe public ferroviaire commun aux trois EPIC, chargé d’assurer la gestion des activités sociales à caractère national en direction de leurs personnels actifs et retraités et de leurs ayants droit (bibliothèques, restauration, billetterie, centres de loisirs sans hébergement…) (41).

Depuis janvier 2016, on compte :

– un comité central du groupe public ferroviaire (CCGPF) à l’échelon national, dont les élus sont issus des comités d’établissement ;

– 31 comités d’établissement (CE) :

● un comité d’établissement pour l’EPIC de tête ;

● 4 comités d’établissement nationaux (42) et un comité d’établissement pour la région Île-de-France pour SNCF Réseau ;

● 22 comités d’établissement régionaux (43) et 3 comités d’établissement nationaux de direction et d’activité (44) pour SNCF Mobilités.

Un « décret socle » devait suivre la promulgation de la loi pour poser les bases de la négociation. Les négociations d’élaboration très difficiles de la convention de branche, qui n’ont pu véritablement commencer qu’après les élections professionnelles de la SNCF en novembre 2015, ont retardé le processus, d’autant que plusieurs syndicats des personnels de la SNCF demandaient à avoir une visibilité complète sur tous les volets du nouveau dispositif (décret, convention collective, accord d’entreprise) pour se prononcer.

Le travail de négociation interne avec les personnels a commencé bien avant l’adoption de la loi du 4 août 2014. Lors de son audition à l’Assemblée nationale par la mission d’information sur le paritarisme, le 11 février 2016, le président de la commission mixte chargée d’élaborer la convention collective de branche du transport ferroviaire a indiqué qu’il avait reçu sa lettre de mission en septembre 2013. Un accord de méthode a été signé le 23 avril 2014 avec toutes les organisations syndicales.

Compte rendu de la réunion du 11 février 2016 de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le paritarisme – extraits

M. Jean Bessière, président de la commission des transports ferroviaires. Je préside la commission mixte chargée d’élaborer la convention collective de branche du transport ferroviaire. Cette mission trouve son origine dans la loi du 4 août 2014 (…). Cette commission mixte ne concerne pas seulement les nouveaux entrants, (…) mais l’ensemble de la branche professionnelle, certaines dispositions trouvant aussi à s’appliquer au groupe public ferroviaire.

Le deuxième point important de la loi du 4 août 2014 a trait aux questions d’organisation et de temps de travail, en prévoyant une articulation entre un décret « socle », dans lequel l’État doit définir les conditions essentielles de continuité et de sécurité du service, une négociation de branche et des négociations d’entreprise. S’agissant de l’articulation entre ces deux dernières, (…) la loi précitée prévoit expressément qu’un accord d’entreprise ou d’établissement ne peut comporter de stipulations moins favorables que celles d’une convention ou d’un accord de branche. La loi fixe, pour la conclusion des négociations, la date butoir du 30 juin 2016. (…)

Enfin, l’article 35 de la loi du 4 août 2014 prévoit que la négociation se déroule dans le cadre d’une commission mixte paritaire. C’est donc le législateur lui-même qui a décidé de la création d’une telle instance. (…) J’ai pour ma part reçu une lettre de mission des ministres chargé du travail et chargé des transports dès avant la publication de la loi, en septembre 2013. M’est confiée dans cette lettre l’animation de la commission mixte dans le cadre d’une présidence classique. Il m’y est aussi demandé de veiller à l’articulation entre la négociation collective de branche et les concertations qui auront lieu entre l’État et les partenaires sociaux pour l’élaboration du décret socle précité. (…) nous avons organisé une première réunion de commission mixte au mois de décembre 2013, quelques mois avant la publication de la loi.

Nous avons à ce jour [11 février 2016] tenu une vingtaine de réunions au terme desquelles les partenaires sociaux ont abouti à trois accords : l’un portant sur le champ d’application de la future convention collective, un autre, sur la désignation d’un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) et un autre encore, sur les méthodes et l’organisation du travail au sein de la commission mixte. Cette dernière comprend une seule organisation patronale, l’Union des transports publics et ferroviaires, qui a vocation à représenter et la SNCF et les nouveaux entrants. Du côté des salariés, sont présentes l’ensemble des organisations syndicales représentatives au niveau national : les cinq organisations habituelles ainsi que SUD et l’UNSA. La commission se réunit une fois par mois. Sans doute faudra-t-il accélérer ce rythme lorsque nous aborderons le sujet principal de la négociation : le temps de travail. (…) Jusqu’à ce jour, les partenaires sociaux ont jugé difficile d’entrer dans la négociation sans que soient précisées les modalités d’élaboration de ce décret. Est donc à l’ordre du jour de notre réunion du 18 février le cadrage de la négociation mais il n’est pas encore prévu d’entrer dans le vif de celle-ci, bien qu’elle doive être terminée au 30 juin de cette année. (…)

En mai 2015, a été signé l’accord sur le périmètre de la convention collective. Cet accord a notamment précisé que le champ d’application de la future convention devait inclure les salariés des entreprises ayant pour activité principale la maintenance (hors réparation) des matériels ferroviaires roulants, ou l’exercice des tâches et fonctions de sécurité ferroviaire. L’objectif était bien de faire apparaître un nouveau secteur professionnel en France : celui des activités ferroviaires.

En novembre 2015 ont eu lieu, au sein de la SNCF, les élections professionnelles anticipées prévues par la loi.

Résultats des élections professionnelles de la SNCF

Le 19 novembre 2015, les salariés du groupe public ferroviaire étaient appelés à élire les délégués du personnel, les membres des comités d’établissement, et les représentants des salariés aux conseils d’administration et au conseil de surveillance du groupe.

Pour ces élections, les salariés sont répartis en trois collèges électoraux : les agents d’exécution (50,7 % du personnel), les agents de maîtrise (29,8 %) et les cadres (19,5 %).

Taux de participation : 68,65 %

Résultats : CGT : 34,33 % ; UNSA : 23,86 % ; Sud Rail : 16,83 % ; CFDT : 15,15 % ; FO (CFE-CGC et First) : 9,16 % ; CFTC : 0,68 %.

Les précédentes élections professionnelles avaient eu lieu en mars 2014.

Le « décret socle » a été publié le 9 juin 2016 (45). Il abroge le décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la Société nationale des chemins de fer français (qui correspond au « RH 0077 ») et le décret n° 2010-404 du 27 avril 2010 relatif au régime de la durée du travail du personnel de certaines entreprises de transport ferroviaire (qui concernait le secteur du fret ferroviaire). Un projet de décret socle avait été présenté aux acteurs de la négociation le 18 février 2016, avant sa transmission au Conseil d’État.

Le décret socle fixe les règles relatives à la durée du travail de toutes les entreprises ferroviaires et de celles dont l’activité est directement liée à l’exploitation, à la gestion ou à la maintenance des infrastructures ferroviaires. Il établit les règles en matière de durée du travail au-dessous desquelles les entreprises ne peuvent descendre pour des raisons de protection et de sécurité des travailleurs. Constituant le socle minimal en matière de temps de travail, il avait vocation à servir de base pour la négociation des partenaires sociaux, afin qu’ils en améliorent et en complètent les dispositions dans un sens plus favorable aux salariés, par la conclusion de la convention collective de branche.

Quelques dispositions du « décret socle » comparées aux dispositions du décret « salariés du fret » qu’il a abrogé

En abrogeant le décret du 27 avril 2010 qui ne s’appliquait qu’aux salariés du secteur « transport ferroviaire de marchandises » (et à certains personnels roulants de services transfrontaliers), le décret du 8 juin 2016 a conservé, pour les étendre à l’ensemble des salariés du secteur ferroviaire, plusieurs de ses dispositions, par exemple :

– le droit au repos périodique et sa définition ;

– la communication aux salariés, à l’avance, d’un tableau de programmation des heures quotidiennes de travail et de repos (mais le décret socle ajoute que ce tableau doit désormais être communiqué au plus tard 7 jours calendaires avant sa mise en œuvre, et que les heures de prise et de fin de service sont, en principe, communiquées au plus tard 3 jours avant la journée concernée) ;

– la conservation, par l’employeur, des tableaux de programmation et des décomptes de la durée du travail de chaque salarié, pour qu’ils puissent être communiqués à l’inspection du travail et aux délégués du personnel, est portée d’un an à trois ans ;

Le nouveau décret comme l’ancien distinguent des dispositions communes applicables à l’ensemble des salariés, des dispositions spécifiques applicables au personnel roulant et d’autres dispositions spécifiques au personnel sédentaire.

Pour le personnel roulant, le décret socle fixe à 10 heures, en principe, la durée maximale de travail effectif par journée de service ; l’ancien décret « fret » définissait une limite de 12 heures en moyenne pour l’amplitude de la journée de travail sur une « grande période de travail » (intervalle entre deux repos périodiques consécutifs). Le décret « fret » ne comportait pas de disposition particulière pour les travailleurs de nuit ; le décret socle prévoit que pour ces travailleurs, une durée de travail supérieure à huit heures donne lieu à une période de repos au moins équivalente (ou à une compensation pécuniaire). De plus, le décret socle précise que la durée du temps de conduite ne peut dépasser 8 heures par journée de service (et ne peut pas comporter plus de 7 heures consécutives de conduite).

Sous le régime du décret « fret », le personnel roulant bénéficiait annuellement de 104 périodes de repos de 24 heures. Le décret socle impose désormais, pour ce personnel, 115 périodes de repos de 24 heures par an (46). La durée minimale du repos journalier hors résidence reste fixée à 9 heures consécutives, mais la durée minimale du repos journalier à la résidence passe de 12 heures consécutives à 13 heures.

Les principales dispositions de la convention collective de branche (dispositions générales, dispositions relatives aux contrats de travail et dispositions relatives à l’organisation du travail) et l’accord d’entreprise SNCF ont finalement été signés en juin 2016, juste avant l’échéance fixée par le législateur – le Gouvernement étant intervenu pour exiger que tous les accords soient signés la même semaine. Il a fallu l’arbitrage par l’État pour « boucler » l’accord d’entreprise qui reconduit, voire améliore, les conditions de travail des cheminots, pourtant très protégées par l’ex RH077. Sont notamment maintenus : la règle dite du « 19-6 », qui garantit aux cheminots de finir avant 19 heures avant un repos hebdomadaire, et de ne pas reprendre une semaine de travail avant 6 heures du matin ; les RTT, ainsi que 52 « repos doubles » par an, dont 22 avec un dimanche ; le statut de personnel roulant pour les contrôleurs ; la surcotisation T2 du régime de retraite des seuls cheminots statutaires de la SNCF.

En outre, le statut de « travailleur de nuit » est désormais conditionné à 300 heures pour les roulants (contre 330 dans le décret socle) et à 385 heures pour les sédentaires (contre 455). Des repos supplémentaires ont été accordés à certains agents sédentaires dont les journées de travail sont allongées.

III. L’AFFIRMATION RAPIDE DU RÔLE DU RÉGULATEUR

Le renforcement des capacités d’intervention de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) faisait partie des objectifs de la loi. Cette exigence n’est pas nouvelle : elle remonte au premier « paquet ferroviaire » européen qui exigeait l’indépendance des organismes de contrôle nationaux, ceux-ci devant être juridiquement distincts et indépendants au plan fonctionnel ; la loi du 8 décembre 2009 a, en conséquence, créé l’Autorité en lui donnant le statut d’autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Le délai entre la promulgation de cette loi et la constitution du collège (28 juillet 2010) a été long, et l’entrée en fonction effective de l’ARAF a dû être repoussée au 1er décembre 2010 (par la loi du 12 juillet 2010 (47)). La première demande de règlement d’un différend dont l’Autorité a été saisie a été déposée en février 2011.

L’ARAF est composée d’un collège et d’une commission des sanctions, créée par la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire.

A. L’EXERCICE PAR L’AUTORITÉ DE SES NOUVELLES COMPÉTENCES

Entre la date de promulgation de la loi du 4 août 2014 et la fin de l’année 2014, l’Autorité a émis 5 avis (48) et rendu 3 décisions (49).

En 2015, l’Autorité a émis 30 avis : 12 avis sur des projets de textes réglementaires dans le secteur ferroviaire (ordonnances, décrets et arrêtés) (50), deux avis sur des propositions de nomination (respectivement pour la présidence du conseil d’administration de SNCF Réseau (51) et celle du directeur des gares de SNCF Mobilités (52)), et 16 autres avis (notamment sur le projet de budget 2016 de SNCF Réseau, sur le Document de référence du réseau 2016 et sur la fixation des redevances d’infrastructure).

Elle a, d’autre part, rendu 14 décisions, dont 5 relatives au règlement de différends et 5 relatives au fonctionnement de l’Autorité elle-même (collecte de données, règlement intérieur, charte de déontologie…). Elle a enfin organisé plusieurs consultations publiques, notamment sur le projet de décret relatif au Comité des opérateurs du réseau.

La commission des sanctions, dont les trois membres ont été nommés par décret du 16 septembre 2015, n’a eu à connaître que d’une seule affaire à ce stade (décision du 9 septembre 2015 portant sur la saisine de SNCF Réseau demandant l’ouverture d’une procédure en manquement à l’encontre de Combiwest).

Vos Rapporteurs constatent que l’indépendance de l’Autorité de régulation est correctement garantie par les règles applicables, et que le collège de l’Autorité a fait preuve avec constance de son indépendance, tant à l’égard des acteurs du système ferroviaire qu’à l’égard du Gouvernement.

Cette indépendance se juge à l’aune de ses décisions : l’Autorité a rendu de nombreux avis négatifs (ou favorables mais assortis de réserves) sur les projets de décret qui lui étaient soumis par le Gouvernement, en particulier en novembre 2014 sur la première série de décrets d’application, concernant les missions et statuts des trois EPIC du groupe public ferroviaire ; elle s’est opposée, le 30 mars 2016, à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou à la présidence de SNCF Réseau. La fixation des tarifs des péages ferroviaires et l’élaboration du Document de référence du réseau (DRR) donnent lieu depuis plusieurs années à des contestations par l’Autorité, dans le cadre de son rôle d’« avis conforme » (53). Quant à SNCF Mobilités, l’Autorité a notamment critiqué le référentiel de séparation comptable de l’activité Fret SNCF (décision du 22 avril 2015), et la fixation des redevances pour les prestations de Gares & Connexions pour 2017 (avis du 12 avril 2016). Enfin, les tarifs des prestations de la Suge ont fait l’objet d’un avis défavorable, puis, sur la base d’une proposition modifiée, d’un avis favorable.

L’ARAFER et la tarification des prestations de la Suge
(avis du 12 juillet 2016 et du 18 septembre 2016)

L’article L. 2251-1-1 du code des transports prévoit que l’ARAFER émet un avis conforme sur la tarification des prestations fournies par le service interne de sécurité de la SNCF, la « Suge ». Les redevances et le détail des prestations que peut fournir la Suge à SNCF Réseau, à SNCF Mobilités et aux autres entreprises ferroviaires figurent dans un « document de référence et de tarification des prestations de sûreté » (DRS). Suite à la réforme du 4 août 2014, la SNCF a transmis à l’ARAFER un premier DRS couvrant la période du 1er septembre 2016 au 9 décembre 2017. L’ARAFER a émis un avis défavorable sur la tarification des prestations de sûreté établie par ce document (avis du 12 juillet 2016).

Par conséquent, la SNCF a dû présenter une version modifiée du DRS, le 1er septembre 2016, prenant en compte les critiques émises par l’ARAFER. En particulier, a été supprimée l’obligation, faite aux entreprises qui souhaiteraient faire appel à la Suge, de commander un volume minimal de 1 000 heures de prestations de sûreté. D’autre part, la SNCF a procédé à une révision à la baisse du total des coûts pris en compte pour construire les tarifs. Au final, en prenant en compte l’ensemble des modifications apportées au document initial, les taux horaires des prestations de sûreté affichés dans le DRS révisé s’établissent à 86,52 euros pour l’horaire de service 2016 (- 1,5 % par rapport au tarif qui figurait dans la version initiale) et de 87,07 euros pour l’horaire de service 2017 (- 3,2 %). L’Autorité a validé cette version modifiée, en émettant un avis favorable le 18 septembre 2016.

B. LES COMPÉTENCES DE L’A.R.A.F, DEVENUE A.R.A.F.E.R, ONT CONTINUÉ DE S’ÉTENDRE…

Le cadre juridique, et par voie de conséquence les missions et pouvoirs de l’Autorité, se sont considérablement étoffés depuis deux ans, avec la loi du 4 août 2014 de réforme ferroviaire, puis la « loi Macron » (54) du 6 août 2015 qui a transformé l’ARAF en « ARAFER » (55), régulateur bi-modal, loi qui a été complétée par une ordonnance du 29 janvier 2016 (56). D’autre part, la loi du 30 mai 2016 a ratifié l’accord bilatéral franco-britannique qui a transféré la compétence de régulation économique du tunnel sous la Manche aux deux organismes nationaux que sont l’ARAFER et son homologue britannique (57; l’ARAFER reçoit ainsi une compétence supplémentaire, avec l’ORR britannique avec laquelle elle a signé un accord de coopération le 16 mars 2016, pour contrôler ensemble les conditions d’accès et les tarifs des péages du tunnel.

Mais l’évolution du cadre juridique régissant l’ARAFER et lui permettant d’exercer ses missions n’est pas terminée :

Il manque encore des mesures d’application cruciales des lois de 2014 et 2015, en particulier les deux contrats opérationnels et le contrat-cadre stratégique décennaux qui doivent être négociés par l’État avec chacun des trois EPIC du groupe public ferroviaire, et le décret d’application du « ratio prudentiel » (ou « règle d’or ») qui va permettre à l’ARAFER d’exercer sa compétence de contrôle sur les dépenses d’investissement de SNCF Réseau en cas de dépassement du ratio. Comme l’a souligné devant vos Rapporteurs l’ancien président de l’Autorité, M. Pierre Cardo, auditionné en février 2016, près de deux ans après l’adoption de la loi l’ARAFER n’était toujours pas en mesure d’évaluer la trajectoire de ce ratio, la seule certitude étant que son niveau actuel se situe nettement au-dessus du plafond fixé par la loi.

D’autre part, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, un amendement du Gouvernement a été adopté pour compléter le dispositif de régulation, par l’ARAFER, des concessionnaires d’autoroutes afin de prendre en compte la réforme des règles de la commande publique intervenue en avril 2016 ; il s’agit en particulier de donner à l’ARAFER la possibilité de définir elle-même les informations qui doivent lui être transmises par les sociétés d’autoroutes et par les commissions des marchés. L’Assemblée nationale a conservé cet article en nouvelle lecture.

Enfin, le quatrième « paquet ferroviaire », qui va dans le sens d’un renforcement du rôle des régulateurs nationaux en Europe, devrait être adopté définitivement d’ici la fin de l’année 2016. Compte tenu des compétences, de l’indépendance fonctionnelle et des pouvoirs déjà étendus de l’ARAFER, il est peu probable que de nouvelles modifications législatives doivent être faites pour rendre « euro-compatible » le statut de l’Autorité (alors que certains États vont devoir certainement modifier le statut de leurs autorités de régulation, car le degré d’indépendance de celles-ci est très variable selon les pays) ; mais des dispositions législatives devront être prises pour transposer les autres volets du « paquet », ce qui pourra avoir des conséquences sur l’activité de l’Autorité.

Une compétence supplémentaire pour l’ARAFER :
la régulation partagée du tunnel sous la Manche

Le 18 mars 2015 a été signé, par les gouvernements français et britannique, un accord relatif à la régulation économique ferroviaire et au cadre de tarification applicables au tunnel sous la Manche. Cet accord a principalement pour objet de transférer aux deux régulateurs ferroviaires nationaux existants – l’ARAFER côté français et l’Office of Rail and Road (ORR) côté britannique – des compétences jusqu’alors exercées par la Commission intergouvernementale (CIG) créée par le Traité de Canterbury de 1986. Le traité chargeait la CIG de suivre, au nom des deux gouvernements et par délégation de ceux-ci, l’ensemble des questions liées à la construction et à l’exploitation de la liaison ferroviaire.

Le projet de loi de ratification de l’accord du 18 mars 2015 a été adopté par le Sénat le 15 mars 2016, et par l’Assemblée nationale le 19 mai 2016. L’accord avait déjà été ratifié au Royaume-Uni (en septembre 2015). L’ARAFER et l’ORR deviennent ainsi les co-régulateurs du tunnel sous la Manche, chacun d’eux étant compétent sur la partie de la liaison située sur le territoire de l’État dont il relève, et devront coopérer étroitement – ce que prévoit l’accord.

L’accord franco-britannique met ainsi le régime juridique du tunnel en conformité avec l’article 55 de la directive 2012/34/UE. La CIG conserve une fonction de supervision des questions liées à l’exploitation de la liaison, notamment en matière de sécurité et de sûreté.

L’ARAFER et l’ORR ont conclu le 16 mars 2015, par anticipation de l’application de l’accord intergouvernemental, un accord de coopération qui crée un processus décisionnel coordonné pour le contrôle des activités ferroviaires du tunnel. Le traitement des recours donnera lieu à une saisine simultanée des deux organismes.

Cet accord de coopération rappelle les missions conjointes de l’ARAFER et de l’ORR : ces deux autorités mettent notamment en œuvre « la surveillance de la concurrence sur les marchés des services concernés par la liaison », « le contrôle du DRR [document de référence du réseau], notamment la vérification de l’absence de clauses (…) de nature discriminatoire », « le contrôle de la conformité de la tarification avec la législation applicable », « le contrôle du respect des obligations de séparation comptable au sein du groupe Eurotunnel » et « l’instruction des recours et le suivi de leur exécution, y compris le prononcé de sanctions ».

On peut noter que l’Autorité de régulation des activités ferroviaires a reçu des compétences nouvelles dans le secteur du transport routier en 2015 (loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques), devenant ainsi « ARAFER », et que la même année, le régulateur ferroviaire britannique, l’Office of Rail Regulation, a également reçu des compétences « routières » pour devenir l’Office of Rail and Road.

C. … SANS S’ACCOMPAGNER IMMÉDIATEMENT D’UNE AUGMENTATION CORRESPONDANTE DE SES MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS

Le budget de l’ARAFER est aujourd’hui alimenté par trois recettes :

 un prélèvement sur les redevances d’utilisation du réseau ferroviaire, c’est-à-dire sur les péages versés à SNCF Réseau par les entreprises ferroviaires : le taux de ce prélèvement était de 3,7 millièmes en 2010-2015 et a été abaissé à 2,6 millièmes en 2016 ; cette recette a rapporté 11 millions d’euros à l’ARAFER en 2015, et devrait lui rapporter 8,3 millions d’euros en 2016 (le produit prévu s’élève à 10,1 millions, mais la part affectée à l’ARAFER est plafonnée à 8,3 millions) ;

2° la « taxe pour frais de contrôle sur les activités de transport public routier de personnes » : une contribution des entreprises de transport public routier de personnes, prévue par la loi de 2015 et créée par la loi de finances pour 2016 (58), assise sur le produit des ventes de billets, avec un taux de 2 ‰ ; son produit est estimé à 50 000 euros pour 2016 ;

 la « taxe annuelle pour frais de contrôle » due par les concessionnaires d’autoroutes (59), assise sur le chiffre d’affaires (après un abattement de 200 millions d’euros) avec un taux de 0,363 ‰ ; son produit est estimé à 2,6 millions d’euros pour 2016.

Le montant des amendes infligées par l’ARAFER n’est pas versé à celle-ci mais à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Au total, le montant des recettes de l’ARAFER pour l’année 2016 devrait atteindre 10,95 millions d’euros au total pour les trois secteurs sous son contrôle. Or, c’est quasiment le même montant que le budget 2015, qui était intégralement utilisé pour la régulation du secteur ferroviaire. Et les ressources affectées forment, dans le projet de loi de finances pour 2017, un total de 11 millions d’euros : le budget de l’ARAFER va donc demeurer quasiment identique en 2017.

En effet, le projet de loi de finances pour 2017 prévoit que :

– le droit dû par les entreprises ferroviaires procurera 8,3 millions d’euros à l’ARAFER par application du plafonnement en vigueur ;

– la taxe pour frais de contrôle sur les services de transport par autocar lui rapportera 100 000 euros ;

– et la taxe pour frais de contrôle due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes lui rapportera 2,6 millions d’euros.

En 2010, les effectifs de l’ARAFER comptaient 15 personnes ; en 2013, il y avait 36 personnes, puis 45 en 2014. En juillet 2015, juste avant la promulgation de la « loi Macron », le personnel de l’ARAFER se composait d’une cinquantaine de personnes.

Auditionné au Sénat le 21 juillet 2015, M. Pierre Cardo, président de l’ARAFER de juillet 2010 à juillet 2016, estimait que l’Autorité aurait besoin d’une trentaine de postes supplémentaires pour assurer l’exercice des nouvelles missions (secteur « autocars et gares routières » et secteur « autoroutes »). De plus, l’accord avec l’ORR signé en mars 2016 prévoit la mise en place d’un service permanent franco-britannique qui instruira les procédures de règlement des différends relatifs au tunnel sous la Manche.

La loi de finances pour 2016 a porté le plafond d’emplois à 68 ETP. En juin 2016, les effectifs de l’Autorité ont atteint ce plafond (60). L’article 36 du projet de loi de finances pour 2016 porte le plafond d’emplois à 75.

D. LE BILAN ÉTABLI PAR L’A.R.A.F.E.R DE LA MISE EN œUVRE DE LA RÉFORME FERROVIAIRE

L’ARAFER a publié en octobre 2016 une étude thématique sur la mise en œuvre de la réforme ferroviaire. Rappelant la teneur des principaux avis qu’elle a rendus sur les projets de décrets d’application, l’Autorité, tout en reconnaissant n’avoir qu’un an de recul par rapport à la création du groupe public ferroviaire (au 1er juillet 2015), a formulé de nombreuses critiques sur l’application de la loi du 4 août 2014 à ce stade, et a présenté les neuf recommandations suivantes :

1. Modifier la composition du conseil d’administration de SNCF Réseau pour renforcer les garanties d’indépendance ou, a minima, s’assurer que les représentants de la SNCF qui y siègent ne prennent pas part aux délibérations portant sur une fonction essentielle ;

2. Soumettre à un avis préalable de l’ARAFER la liste des emplois de dirigeant de SNCF Réseau ;

3. Étudier l’opportunité d’un transfert à SNCF Réseau de la coordination de la gestion des situations de crises, pour éliminer tout risque de traitement discriminatoire envers les entreprises ferroviaires ;

4. Compléter le décret du 10 février 2015 relatif aux missions et statuts de l’EPIC de tête, en posant le principe d’une tarification des prestations de la « Suge » sur la base des coûts d’un opérateur efficace ;

5. Finaliser dans les meilleurs délais le contrat entre l’État et SNCF Réseau ;

6. Publier au plus vite le décret explicitant la « règle d’or » ;

7. Inscrire dans la loi un principe de fixation de la tarification des prestations minimales dans un cadre pluriannuel ;

8. Garantir davantage l’indépendance organisationnelle et décisionnelle du gestionnaire des gares ;

9. Analyser les aspects de la structure actuelle du système ferroviaire qui peuvent constituer des obstacles à la mise en œuvre d’une concurrence effective (statut d’EPIC de SNCF Mobilités, cadre social des salariés du ferroviaire, problème de la reprise des personnels en cas de changement d’opérateur…).

Vos Rapporteurs partagent globalement l’analyse de l’ARAFER et le bilan mitigé qu’elle tire des premiers mois d’application de la réforme ferroviaire. Ils adhèrent à la démarche que le nouveau président de l’Autorité, M. Bernard Roman, a formulée ainsi dans cette étude thématique sur la mise en œuvre de la réforme ferroviaire : « La régulation ne se résume pas au contrôle voire à la sanction. C’est aussi être force de proposition indépendante, à l’appui d’un diagnostic objectif de la situation du secteur. » Ils saluent le travail considérable réalisé par l’Autorité, qui s’est pleinement approprié les nouveaux pouvoirs et les nouvelles missions que la loi de 2014 lui a conférées, ainsi que ceux qui lui ont été attribués par la suite.

IV. DES ATTENTES PRESSANTES À L’ÉGARD DE « L’ÉTAT STRATÈGE »

La gouvernance du système ferroviaire avant la loi du 4 août 2014 était loin d’être satisfaisante. Soumis à des injonctions contradictoires, RFF laissait enfler sa dette (bien que les redevances d’infrastructure aient atteint 84,4 % de ses charges d’exploitation en 2012). Bien trop focalisé sur le développement de nouvelles LGV, l’État avait négligé le maintien en état du réseau existant jusqu’à l’audit Rivier de 2005.

À partir de 2006, en réaction aux conclusions de celui-ci, les dotations visant à ralentir le vieillissement alarmant du réseau ont considérablement augmenté, passant de 900 millions d’euros en 2015 à 2,2 milliards en 2012. Le progrès est perceptible en termes de rythme de maintenance et de régénération du réseau existant ; encore faut-il que l’État stratège confirme et même accentue dans la durée cette démarche.

Un enjeu essentiel de la réforme de 2014 était de mettre en place une nouvelle gouvernance (notamment pour réunifier les métiers de l’infrastructure) assurant les conditions préalables à une rationalisation des choix publics dans le domaine ferroviaire et à une stabilisation de l’endettement du gestionnaire d’infrastructure. La concrétisation de ce double objectif dépend très largement de la clarification de la stratégie des pouvoirs publics. Mais la loi du 4 août 2014 posait au préalable, dès son article premier, l’État au cœur du système ferroviaire (avec une liste complète de missions figurant à l’article L. 2100-2 du code des transports).

Malheureusement, à ce stade, force est de constater la quasi-unanimité des personnes auditionnées par vos Rapporteurs entre février et septembre 2016 : selon eux, « l’État stratège » est aux abonnés absents. Tels les deux personnages de « En attendant Godot », à l’espoir toujours renouvelé mais toujours déçu, on attend que l’État stratège se manifeste de manière concrète, durable et cohérente, ne serait-ce que pour prouver son existence !

Outre une présence de représentants de l’État actionnaire dans les conseils d’administration et de surveillance des EPIC (61), la loi du 4 août 2014 offre à l’État plusieurs outils « sur mesure » pour formuler sa stratégie sur une durée pluriannuelle, l’actualiser, et la rendre publique, en toute transparence :

– les trois contrats pluriannuels, respectivement prévus par les articles L. 2102-5 (pour l’EPIC de tête), L. 2111-10 (pour SNCF Réseau) et L. 2141-3 (pour SNCF Mobilités) du code des transports ;

– le rapport stratégique d’orientation que le Gouvernement doit établir l’année précédant la conclusion ou l’actualisation de ces contrats, et qu’il doit adresser au Haut Comité du système de transport ferroviaire pour que celui-ci émette un avis, puis au Parlement, et qu’il doit rendre public ;

– un schéma national des services de transport, présenté au Parlement.

Le premier outil n’est toujours pas prêt, plus de deux ans après l’adoption de la loi. Le deuxième a bien été utilisé, ce qui est de bon augure. Le troisième est resté, à ce stade, virtuel. Vos Rapporteurs ne peuvent donc exprimer que l’espoir que la pièce trouve une conclusion plus positive que celle de Samuel Beckett... et ne soit pas rejouée chaque année.

Le rapport stratégique d’orientation, prévu par l’article L. 2100-3 du code des transports, a été présenté par le Gouvernement au Haut Comité du système de transport ferroviaire ; la présentation de ce rapport a été, d’ailleurs, l’objet de la première réunion du Haut Comité, le 14 septembre 2016.

Ce rapport présente les « priorités et ambitions du Gouvernement pour l’avenir du système de transport ferroviaire national », c’est-à-dire 5 priorités et… une vingtaine d’ambitions.

Les 5 priorités présentées sont :

– une « priorité absolue donnée à la sécurité ferroviaire » ;

– un objectif d’aménagement équilibré du territoire, grâce à un réseau ferré « en mesure de répondre à la demande de transport, tant en matière de desserte voyageurs, que pour le maintien du fret territorial » ;

– l’amélioration de la qualité de service « à tous les niveaux » ;

– la « reconquête de la compétitivité avec un cadre social rénové de haut niveau » ;

– la maîtrise de l’endettement du système ferroviaire.

Le nombre d’ambitions affirmées laissent vos Rapporteurs quelque peu dubitatifs, même si elles correspondent effectivement à des préoccupations tout à fait légitimes, exprimées par les acteurs auditionnés par vos Rapporteurs : la modernisation de la maintenance du réseau existant, la « renaissance des trains Intercités », une meilleure information des utilisateurs du réseau pour limiter les perturbations liées aux travaux, une priorité à donner à la rénovation des grands nœuds ferroviaires et au réseau le plus dense, l’amélioration de la desserte ferroviaires des ports pour le fret, la valorisation du patrimoine ferroviaire, un soutien de l’État à la recherche et à l’innovation dans le ferroviaire, une attention particulière aux nuisances sonores qui pourraient découler d’une augmentation des capacités offertes pour le fret, une proposition législative tendant à permettre des expérimentations locales de l’ouverture du trafic voyageurs à la concurrence...

L’ensemble de ces priorités et de ces ambitions forme incontestablement une stratégie globale qui répond aux souhaits de vos Rapporteurs et aux défis que doit affronter notre système ferroviaire, mais certaines priorités peuvent prêter à confusion : par exemple, dans la présentation de l’objectif de « poursuite raisonnée des projets de développement », une place de premier plan semble donnée au grand projet de tunnel ferroviaire du Lyon-Turin, ce qui est loin de faire consensus.

D’autre part, la stratégie présentée ne sera convaincante que si le contenu des trois contrats décennaux avec les EPIC décline des priorités et objectifs crédibles en considération des ressources financières mobilisables, de manière extrêmement précise et concrète, pour donner de la visibilité non seulement aux EPIC eux-mêmes, mais aussi à l’ensemble des autres acteurs du ferroviaire. Le contrat entre l’État et SNCF Réseau devrait prévoir une trajectoire d’investissement qui ne pourra être respectée qu’en ayant recours de manière significative à la sous-traitance.

Où en est l’élaboration des trois contrats ? Un choix politique a été fait, en octobre 2015 : celui de traiter le volet social de la mise en œuvre de la réforme (les négociations d’élaboration du décret-socle, de la convention collective et des accords d’entreprise) avant de traiter le volet économique (les trois contrats). Ceci explique pourquoi les contrats, que la loi permettait d’attendre pour la fin de l’année 2015, ne sont pas encore signés.

Selon les informations communiquées à vos Rapporteurs par les services du ministère des Transports et par les dirigeants des trois EPIC, les contrats étaient, fin septembre 2016, en voie de finalisation. Les projets de contrat devraient donc être très prochainement transmis à l’ARAFER, qui doit émettre un avis sur chacun d’eux (avis attendu dans le courant du mois de novembre 2016), préalablement à la transmission des trois projets au Parlement – qui devrait donc avoir lieu en décembre 2016. La signature des trois contrats est prévue pour début 2017.

Enfin, l’article 3 de la loi du 4 août 2014 prévoit l’élaboration d’un Schéma national des services de transport, actualisé et présenté au Parlement au moins une fois tous les cinq ans. Ce schéma devra fixer « les orientations de l’État concernant les services de transport ferroviaire de voyageurs d’intérêt national ». Il devra aussi déterminer, « dans un objectif d’aménagement et d’égalité des territoires », les services de transport ferroviaire de voyageurs conventionnés par l’État qui répondent aux besoins de transport, et « encadrer les conditions dans lesquelles SNCF Mobilités assure les services de transport ferroviaires non conventionnés d’intérêt national ». Vos Rapporteurs constatent que cet article de la loi est, à ce stade, resté lettre morte.

V. L’ÉVOLUTION DE LA SÉCURITÉ FERROVIAIRE

Les représentants de la FGAAC-CFDT auditionnés par vos Rapporteurs ont estimé que l’EPSF n’a pas de moyens suffisants pour remplir ses missions, et ont exprimé, comme plusieurs autres représentants syndicaux, des inquiétudes sur ce qu’ils perçoivent comme une prise en compte en baisse des impératifs de sécurité des circulations. Les accidents dramatiques de Brétigny-sur-Orge (2013), Denguin (2014) et Eckwersheim (2015) justifient largement ces inquiétudes.

Le directeur du BEATT (Bureau d’enquête sur les accidents de transport terrestre) a livré une appréciation plus nuancée, contestant une érosion réelle de la « culture de sécurité » dans le fonctionnement du système ferroviaire français, mais regrettant que la sécurité ne soit peut-être pas suffisamment considérée comme prioritaire.

Vos Rapporteurs ont auditionné la directrice générale de l’EPSF, qui leur a indiqué que, même si l’Établissement, dans le cadre du droit européen en vigueur, doit exercer à la fois des missions concernant la sécurité et des missions concernant l’interopérabilité, une priorité très claire est donnée aux premières par rapport aux secondes. Elle a constaté de réels progrès dans la remontée d’informations de la SNCF vers l’EPSF sur les évènements de sécurité. Pour permettre l’application effective des dispositions de la loi de 2014, l’EPSF a défini en concertation avec l’UTP une nomenclature des évènements de sécurité, qui a été validée par arrêté du 4 janvier 2016. Les services de l’EPSF travaillent à la construction d’une base de données plus complète, sur l’utilisation d’indicateurs de suivi plus fins, et sur une évolution des procédures de déclaration des évènements.

Le rapport d’activité 2015 de l’EPSF fait état de l’amélioration du système de suivi des évènements de sécurité ; ce suivi a concerné en 2015 la classification et l’analyse de près de 5 000 évènements survenus sur le réseau ferré national et transmis à l’EPSF par le gestionnaire des circulations ferroviaires.

Le rapport d’activité évoque également le développement de l’action de contrôle exercée par l’EPSF sur la maintenance des infrastructures (contrôles inopinés menés sur l’ensemble du réseau ferré national pour vérifier la mise en œuvre des prescriptions de maintenance et contrôler l’état réel d’un échantillon de composants de l’infrastructure).

En septembre 2014, afin de renforcer le suivi de la politique de sécurité du transport ferroviaire et de mobiliser tous les acteurs, le secrétaire d’État chargé des transports Alain Vidalies a créé un « Comité de suivi de la sécurité ferroviaire » pour passer en revue les actions menées, les résultats obtenus et analyser les progrès à réaliser. Ce Comité a notamment chargé la SNCF d’élaborer un socle commun de documents techniques de sécurité, que chaque entreprise ferroviaire pourra mettre en œuvre sous sa propre responsabilité. Ces entreprises n’auront donc pas besoin de développer leurs propres documents unilatéralement.

VI. L’ÉTAT DU RÉSEAU EXISTANT : DES EFFORTS CONSIDÉRABLES DE « RATTRAPAGE », QU’IL FAUDRA IMPÉRATIVEMENT POURSUIVRE

Le 30 mars 2016, M. Jacques Rapoport déclarait lors de son audition au Sénat : « Deux grands sujets restent à traiter. Le premier, beaucoup plus préoccupant que la situation financière, est l’état dégradé de notre réseau. (…) SNCF Réseau est le dépositaire d’un patrimoine national en danger. Je ne parle pas ici des lignes à grande vitesse ou des ouvertures de ligne, mais des 20 000 à 25 000 kilomètres qui n’ont pas bénéficié des investissements requis depuis 25 à 30 ans, sur notre réseau de 30 000 kilomètres. (…) il n’y a pas eu depuis trente ans de sous-entretien, il y a eu du sous-renouvellement. Ce n’est pas la même chose ! L’entretien a été régulièrement opéré mais les équipements ont vieilli. (…) la sécurité est assurée sur la totalité du réseau ferré. Pour assurer cette sécurité, nous sommes malheureusement parfois conduits, compte tenu de l’état de l’infrastructure, à dégrader la qualité à travers des ralentissements. On observe globalement une augmentation de 10 % par an du kilométrage ralenti. »

L’audit réalisé par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (« audit Rivier »), rendu public en septembre 2005, a mis en évidence un vieillissement accentué du réseau ferré national, résultant d’une longue période de sous-investissement dans le renouvellement des installations et composants arrivés en fin de vie.

Ce constat a conduit le Gouvernement à décider en mars 2006 d’engager le plan de rénovation du réseau 2006-2010. Accentuant l’effort engagé dans ce plan, le contrat de performance entre l’État et RFF, signé en novembre 2008, prévoyait de consacrer 7,3 milliards d’euros à la rénovation des infrastructures sur la période 2008-2012, première étape d’un programme plus vaste de 13 milliards d’euros sur la période 2008-2015.

Jusqu’au 30 juin 2015, l’entretien du réseau était assuré pour le compte de Réseau ferré de France (RFF) par la direction « Infrastructure » de la SNCF en tant que gestionnaire délégué, à travers un contrat d’entretien des infrastructures. Le renouvellement du réseau était, quant à lui, réalisé par mandats de maîtrise d’ouvrage, confiés principalement à la SNCF.

Depuis le 1er juillet 2015, c’est le gestionnaire d’infrastructure unifié (GIU), SNCF Réseau, regroupant notamment RFF et SNCF Infra, qui a la charge et la responsabilité de la maintenance du réseau ferré national.

Les indicateurs d’état du réseau, mis en place par RFF en lien avec son gestionnaire d’infrastructure délégué, permettent de constater les premiers effets positifs de ce plan ainsi que le ralentissement global du vieillissement du réseau, sans qu’il ne soit encore interrompu à ce stade. Ces effets positifs ont d’ailleurs été relevés dans le cadre de l’actualisation de l’audit de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, rendue publique en 2012, qui soulignent les efforts entrepris tout en encourageant leur poursuite.

L’indicateur ICV

L’indicateur de consistance de la voie (ICV) a été construit sur le réseau principal pour mesurer l’état de la voie (qui mobilise plus des deux tiers des dépenses de renouvellement de l’infrastructure) à partir d’un modèle d’évaluation de la substance des composants du réseau. Cet indicateur vaut 100 quand tous les composants de la voie (plate-forme, ballast, traverses, rails) sont neufs et 10 lorsqu’ils ont atteint leur date théorique de renouvellement. Dans un schéma de maintenance optimisé où les composants sont renouvelés avant leur fin de vie pour garantir la qualité de service, l’indicateur du réseau doit donc être supérieur à 50.

La classification « UIC » regroupe les lignes selon leur niveau de trafic : plus le numéro du groupe UIC est important, plus le tonnage du trafic supporté est faible.

ÉVOLUTION DE L’ICV

Source : DGITM.

Le plan intégré au contrat de performance de 2008 a été mis en œuvre, même si la montée en puissance des services affectés aux travaux sur l’infrastructure du gestionnaire d’infrastructure et son gestionnaire d’infrastructure délégué ainsi que des entreprises de travaux ferroviaires a été plus lente que prévu. Grâce à cet effort, environ 1 000 équivalents km de voies (y compris les appareils de voies) sont désormais renouvelés chaque année depuis 2010 sur l’intégralité du réseau contre 500 km avant 2006. En 2015, 1 052 GOPEQ (Grande Opération Programmée Équivalente) (62), dont plus de 80 % sur le réseau principal, auront été produits, prolongeant cette progression.

A. LA PÉRIODE 2008-2012

Les objectifs quantitatifs de réalisation des programmes de régénération des voies ont été fixés par le contrat de performance conclu par RFF avec l’État pour la période 2008-2012. Ce dernier a été globalement respecté avec une réalisation conforme aux objectifs :

Programme physique réalisé

2008

2009

2010

2011

2012

Total

2008-2012

2008-2012

Prévu contrat de Performance

LGV

28

69

89

111

111

408

410

UIC 2 à 4

261

303

237

348

360

1509

1745

UIC 5 à 6

185

194

285

365

319

1348

1090

UIC 7 à 9

150

388

439

185

157

1319

1108

Total Renouvellement Voies

624

955

1050

1009

975

4612

4353

Appareils de voies (AdV) (en nombre)

209

230

261

317

282

1299

1430

Source : DGITM

NB : Les chiffres sont en équivalents km de voie renouvelés, sauf pour les appareils de voies qui sont en nombre d’unités.

La régénération cumulée sur les lignes UIC 1 à 6 sur la période 2008-2012 a représenté 2857 GOPEQ de production physique (équivalents.km) pour un objectif de 2 835.

Pour les UIC 7 à 9, l’équivalent km de régénération s’est élevé à 1 319 par rapport à un objectif de 1 108 GOPEQ. Le programme de renouvellement de ces lignes a en effet été abondé par le plan de relance 2009-2010 et surtout par les plans rail Midi-Pyrénées, Limousin et Auvergne.

La réalisation du programme de renouvellement des appareils de voies (AdV) a été légèrement inférieure à l’objectif. En effet ces opérations ont concerné quasiment exclusivement des nœuds ferroviaires soumis à une circulation dense, opérations qui exigent techniquement des durées d’interception longues. Elles sont en général programmées en week-end ou sur plusieurs périodes consécutives de 8 heures de nuit. La nécessité de réduire au maximum l’impact sur les circulations explique le décalage constaté.

B. LA PÉRIODE 2013-2015

Pour la période 2013 à 2015, la trajectoire fixée par le contrat de performance d’environ 1 000 GOPEQ par an pour les seuls travaux de renouvellement de voie jusqu’en 2015, a également été tenue :

 

Nombre de GOPEQ

Budget (M€)

 

2013

2014

2015

Prévu 2016

2013

2014

2015

Prévu 2016

LGV

109

102

111

100

133

133

137

159

UIC 2 à 4

349

410

404

474

491

514

614

600

UIC 5 à 6

355

339

389

336

444

448

416

433

UIC 7 à 9

180

157

76

48

153

158

127

42

AdV en Gopeq

30

44

64

53

138

181

227

219

TOTAL

1023

1052

1 044

1 011

1 359

1 433

1 521

1 453

AdV en nombre

325

365

409

452

       

Source : DGITM

La période 2013-2015 est marquée par un rééquilibrage des interventions sur la partie du réseau la plus circulée (lignes UIC 2 à 4), ainsi que par le lancement en Île-de-France du programme Infra Haute Performance, qui cible les sections critiques, en termes de fiabilité et de disponibilité du réseau, et implique des interventions de rajeunissement ou d’amélioration de la robustesse.

S’agissant des AdV, l’amélioration des méthodes de programmation des travaux déployée depuis 2012, et surtout la mise en place en 2013 du programme Vigirail, ont permis de rattraper le retard, l’objectif étant d’atteindre 500 remplacements d’AdV en 2017. Malgré l’impact fort de ces opérations sur les circulations, il y a eu une montée en puissance significative du nombre de ces opérations avec 282 AdV renouvelés en 2012, 325 en 2013, 365 en 2014, 409 en 2015 et 214 AdV remplacés à fin juin 2016.

C. BILAN PAR CATÉGORIE DE LIGNES

Pour les LGV, l’ICV, dont l’évolution fait apparaître les « ressauts » liés aux mises en service de LGV (LGV Méditerranée en 2001, LGV Est en 2007 et LGV Rhin Rhône fin 2011), décroît naturellement. Ces lignes, mises en service depuis 1981, ont vieilli au fil des années. Une première vague d’opérations de renouvellement a déjà été engagée sur les lignes les plus anciennes.

Pour les lignes classiques les plus circulées (lignes des groupes UIC 1 à 4), après une phase de décroissance continue, le potentiel de vie est en phase de stabilisation, sur ces deux dernières années. Les politiques de renouvellement et d’entretien visent à en assurer la disponibilité et la pérennité, impliquant une politique de renouvellement robuste. Les performances des installations à leur niveau nominal doivent être maintenues pour éviter le vieillissement des installations incompatible avec un entretien et une surveillance industrialisés. Dans cette catégorie, la zone dense d’Île-de-France – qui compte les deux tiers des voyageurs sur le réseau – est traitée en priorité.

Les contraintes pesant sur les lignes des groupes UIC 5 et 6 en termes de circulations ferroviaires étant moindres, cela a eu comme conséquence de faciliter la mise en œuvre du programme de rénovation. L’amélioration de cette catégorie de ligne est notable depuis 2012.

Pour les lignes de desserte fine du territoire (groupes UIC 7 à 9), faiblement circulées, un tel indice n’est pas techniquement pertinent en raison de leur trop grande hétérogénéité. L’évolution de l’état de ces lignes est donc suivie grâce à un système de cotation mis à jour annuellement à la suite de campagnes de mesures. L’évolution de cette cotation permet notamment de préparer les programmes d’interventions sur ces lignes. La qualité de service de l’infrastructure peut être suivie également au travers du kilométrage de ralentissements mis en place pour assurer la sécurité des lignes UIC 7 à 9 avec voyageurs, qui augmentent régulièrement et sont ainsi passés de 1 660 km fin 2012 à 1 739 km actuellement.

D. UN ENJEU MAJEUR DU FUTUR CONTRAT DE PERFORMANCE DE SNCF RÉSEAU

L’unification du gestionnaire d’infrastructure suite à l’adoption de la loi du 4 août 2014 devait permettre la réalisation de gains d’efficacité, en particulier en supprimant les interfaces et les éventuels « doublons » entre RFF et SNCF Infra. Le pilotage des chantiers et le développement de démarches d’amélioration de la performance devraient être facilités : l’union d’entités anciennement séparées est un facteur de maîtrise des coûts et des délais des projets.

La trajectoire des travaux sur l’infrastructure est désormais subordonnée au contrat de performance que SNCF Réseau doit conclure avec l’État en application de l’article L. 2111-10 du code des transports pour une période de dix ans.

Les besoins du réseau restent considérables puisque l’ancien programme, s’il a freiné le vieillissement, n’a pas suffi à l’arrêter. Selon les informations communiquées à vos Rapporteurs au cours des auditions, cette trajectoire, en cours de finalisation, conservera le principe d’un effort soutenu, pour la régénération et la modernisation du réseau existant. Le Premier ministre a d’ailleurs annoncé, le 8 juin dernier, que la trajectoire de renouvellement de l’établissement augmentera de 100 millions d’euros par an jusqu’à atteindre 3 milliards d’euros courants en 2020 pour la voie et les autres constituants de l’infrastructure comme les caténaires.

Cette trajectoire devra permettre d’interrompre le vieillissement du réseau et de répondre aux enjeux de sa rénovation : garantir un très haut niveau de sécurité et améliorer la qualité de service, notamment dans la zone francilienne très dense. Pour répondre à ces enjeux, il s’agira notamment de réduire la longueur des voies hors d’âge du réseau structurant et de diminuer la longueur des ralentissements dont pâtit l’exploitation commerciale. Par ailleurs, l’effort de renouvellement des lignes à grande vitesse va progressivement atteindre, dans les années à venir, son niveau de long terme, la plupart des LGV arrivant à maturité.

*

* *

Au point d’étape où nous en sommes de la mise en œuvre de la réforme ferroviaire, le bilan apparaît en demi-teinte, avec d’incontestables succès, plébiscités par l’ensemble des acteurs (réintégration du groupe, constitution d’un SNCF Réseau disposant de la plénitude de ses compétences et de ses marges opérationnelles, rôle de l’ARAFER), mais aussi avec de grandes interrogations sur l’avenir, tenant à l’illisibilité de la stratégie de l’État, à la constitution très tardive du Haut Comité du système de transport ferroviaire, à une impression d’irrésolution sur des points cruciaux décisifs des équilibres financiers et sociaux nécessaires à l’assainissement financier du groupe et plus généralement du système ferroviaire, et à la faculté de la SNCF d’affronter efficacement la concurrence tout en améliorant la qualité d’exécution de ses missions essentielles de service public.

QUATRIÈME PARTIE :
LA « RÈGLE D’OR », GARDE-FOU CONTRE L’INSOUTENABILITÉ DE LA DETTE : RÉVOLUTION OU MIRAGE ?

Les débats parlementaires sur la loi de réforme ferroviaire, comme les mouvements sociaux qui l’ont accompagnée, n’ont pas manqué de manifester une vive préoccupation à l’égard de la dette accumulée par le système ferroviaire français.

Évaluée à 36,5 milliards d’euros à l’époque de la réforme (fin décembre 2013), la dette de SNCF Réseau dépasse désormais 39 milliards d’euros. La dette financière nette de l’ensemble du groupe public ferroviaire a atteint 50,16 milliards d’euros, selon le rapport d’activité de l’Agence des participations de l’État annexé au projet de loi de finances pour 2017 (63).

I. LE FARDEAU D’UN ENDETTEMENT DÉMULTIPLIÉ PAR LA POLITIQUE DU « TOUT T.G.V »

La dette ferroviaire a atteint ainsi au 30 juin 2016 :

● 40,8 milliards d’euros pour ce qui concerne SNCF Réseau (+ 1,5 milliard en six mois),

● et 8,2 milliards d’euros pour ce qui concerne SNCF Mobilités (+ 500 millions d’euros en un semestre) (64).

Source : Rapport du Gouvernement relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau et aux solutions qui pourraient être mises en œuvre afin de traiter l’évolution de la dette historique du système ferroviaire, août 2016.

Outre la dette historique de SNCF initialement transférée à RFF en 1997 de 20,5 milliards d’euros (65), la montée en charge des quatre grands programmes de la politique dite du « tout TGV », mise en œuvre à partir du Grenelle de l’environnement en 2009, a induit un décalage majeur entre les dépenses d’investissement et les ressources de financement de SNCF Réseau, qui explique l’essentiel de la dérive de la dette ferroviaire.

PROJETS DE LGV ACTUELLEMENT EN CONSTRUCTION

 

LGV-Est 2

Bretagne-Pays de Loire (BPL)

Contournement Nîmes-Montpellier (CNM)

Sud Europe Atlantique (SEA)

Total

Coût total (M€)

2 000

3 300

1 800

7 800

14 900

Longueur (km)

106

182

80

303

671

Coût/km (M€)

18,9

18,1

22,5

25,7

22,2

Crédits RFF (M€)

520

1 400

0

1 000

2 920

Crédits État (M€)

680

950

1 200

1 500

4 330

Crédits collectivités (M€)

640

950

600

1 500

3 690

Crédits UE + Luxembourg

160

0

0

0

160

Source : Rapport de la Cour des comptes « La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence » (octobre 2014), d’après les données de RFF.

Il est pourtant à noter que la subvention de l’État au réseau, de l’ordre de 500 millions d’euros par an il y a 15 ans, a connu un premier palier d’augmentation en 2011 pour atteindre un milliard d’euros et passer à 2,2 milliards d’euros actuellement sous l’impulsion du secrétaire d’État chargé des transports, M. Alain Vidalies.

CONCOURS DE L’ÉTAT À SNCF RÉSEAU DEPUIS 2007

(en M€ HT)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Prévision 2016

Prévision 2017

Concours de l’État à RFF puis à SNCF Réseau (LFI)

2 627

2 504

2 441

2 350

2 197

2 165

2 140

2 073

2 073

2 072

2 074

Source : Projet de loi de finances pour 2007 (projet annuel de performance, programme 203)

En 2015, SNCF Réseau a consacré à la régénération du réseau existant 2,7 milliards d’euros (+ 3 % par rapport à 2014), réalisant ainsi l’intégralité de son programme annuel de modernisation du réseau (66).

LES COMPTES DE RÉSEAU FERRÉ DE FRANCE (RFF) DE 1997 À 2007

(en millions d’euros – hors TVA)

 

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Produits d’exploitation (1), dont :

3 185

3 215

3 658

3 495

3 766

4 021

4 598

4 797

4 850

4 577

4 675

redevances d’infrastructure (2)

901

931

1 456

1 499

1 630

1 824

1 844

2 130

2 183

2 304

2 449

contribution de l’État aux charges d’infrastructures

1 802

1 802

1 648

1 633

1 606

1 406

1 385

1 110

1 038

979

828

production immobilisée

     

73

105

333

862

1 035

958

631

621

autres produits d’exploitation

482

482

553

290

425

458

507

522

672

663

777

Charges d’exploitation

Dont :

3 830

3 855

3 840

3 703

3 847

4 202

4 820

5 012

4 591

4 351

4 744

rémunération versée au gestionnaire d’infrastructure délégué

2 561

2 531

2 622

2 617

2 632

2 655

2 630

2 640

2 688

2 676

2 756

dotation aux amortissements du réseau ferré

844

869

749

784

860

918

961

954

508

592

630

travaux (3)

     

nd

10

259

781

952

880

549

621

autres charges d’exploitation

425

455

470

302

345

370

448

467

515

533

737

Résultat d’exploitation net

-645

-641

-183

-208

-80

-180

-222

-215

260

227

-69

Résultat financier

1 536

1 609

-1 438

-1 598

-1 593

-1 484

-1 270

-510

-510

-539

-657

Résultat net de l’exercice (EPIC) (4)

-2 149

-2 091

-1 580

-1 701

-1 647

-1 587

-1 422

-651

-126

-283

-796

Capacité d’autofinancement (5)

-1 220

-1 301

-809

-874

-784

-757

-615

220

114

86

-234

Investissements

2 027

1 856

1 586

1 492

1 307

1 607

2 207

2 521

2 347

2 330

2 462

Dette LT nette au 31 décembre

20 661

22 364

22 879

22 779

23 615

23 555

24 079

24 947

25 455

26 053

26 469

Sources : SNCF Réseau et Comptes des transports de la nation 2015

LES COMPTES DE RFF PUIS DE SNCF RÉSEAU DE 2008 AU 30 JUIN 2015

 

2008

2009(1)

2010(2)

2011

2012

2013

2014

2015

Produits d’exploitation (1),

dont :

4 990

7 007

6 909

7 149

7 390

7 214

6 791

9 173

redevances d’infrastructure (2)

2 676

3 996

4 205

4 514

5 085

5 228

5 579

5 806

contribution de l’État aux charges d’infrastructures

658

1 186

950

786

280

111

109

76

production immobilisée

876

890

832

893

908

786

650

0

autres produits d’exploitation

780

935

923

956

1 117

1 090

   

Charges d’exploitation,

dont

5 204

5 441

5 498

5 803

6 051

6 133

5 678

8 303

rémunération versée au gestionnaire d’infrastructure délégué

2 856

2 881

2 913

2 918

3 082

3 093

3 115

374

dotation aux amortissements du réseau ferré

821

983

992

1 130

1 258

1 332

1 580

1 908

travaux (3)

816

849

857

886

901

791

   

autres charges d’exploitation

711

728

736

869

810

917

   

Résultat d’exploitation net

-214

1 565

1 411

1 345

1 339

1 081

1 113

871

Résultat financier

-717

-1 172

-1 201

-1 262

-1 362

-1 347

-1 386

-1 444

Résultat net de l’exercice (EPIC) (4)

8 098

418

294

251

18

-140

-244

-10 073

Capacité d’autofinancement (5)

-160

1 057

2 147

2 120

2 002

1 924

2 048

2 048

Investissements

2 956

3 319

3 227

3 594

3 998

5 480

4 456

0

Dette LT nette au 31 décembre

27 423

28 573

29 714

30 984

33 372

36 088

38 363

40 649

(1) En 2009, dans le cadre d’un contrat de performance État-RFF, une unique enveloppe de subventions comptabilisée dorénavant en exploitation remplace les anciennes "contribution pour charges d’infrastructures", "contribution de désendettement", "subvention de régénération".

(2) Depuis 2010 et l’entrée en vigueur d’une nouvelle tarification, les AO (les Régions au titre des services régionaux de voyageurs et le STIF pour le Transilien en Île-de-France) paient une redevance d’accès (celle des Régions est payée par l’État), tandis que les opérateurs paient une redevance de réservation et une redevance de circulation. Les subventions que paie l’État pour les "trains classiques de voyageurs" et les "trains de fret" sont comptabilisées à partir de 2010 en lieu et place de la "contribution de l’État aux charges d’infrastructures", versée jusqu’en 2008. L’année 2009 est présentée au format 2010.

(3) Dont travaux réalisés en maîtrise d’ouvrage directe par RFF. Depuis 2010, ces travaux ne figurent plus dans le compte d’exploitation de RFF, ils sont réintégrés pour rester au format 2009.

(4) Le résultat net intègre également le résultat exceptionnel non retranscrit ici, ainsi que des reports de produits et charges non compris dans les résultats d’exploitation ou financier. En 2008 il est calculé non compris un crédit d’impôts de 3 811 M€ bénéficiant au groupe RFF (mais hors RFF en tant qu’EPIC).

(5) Depuis 2010, la capacité d’autofinancement (CAF) est calculée avant coût de la dette.

Malgré une augmentation très sensible des recettes de SNCF Réseau (du fait de la hausse des péages et des subventions), la dette n’a paradoxalement pas cessé d’augmenter.

L’explication de ce paradoxe par l’insuffisance incontestable de la productivité interne du groupe, pour ne pas être dépourvue de pertinence, n’est évidemment pas proportionnée au phénomène observé. Ce dernier s’explique principalement par des choix politiques d’investissements ferroviaires très majoritairement consacrés au développement de nouvelles lignes grande vitesse, dans un contexte d’altération progressive du modèle économique du TGV dû à trois facteurs :

– l’augmentation considérable du coût de développement de l’infrastructure (4,9 millions d’euros actuels du kilomètre pour Paris-Lyon en 1981, contre 23 millions sur Tours-Bordeaux en 2015) ;

– l’augmentation très sensible des péages qui en résulte, avec des difficultés croissantes à les répercuter sur les tarifs sans perte de clientèle, et donc de rentabilité ;

– l’affirmation de nouvelles préférences collectives, qui, dans un contexte de diversification des concurrences modales, privilégie la modicité tarifaire sur la vitesse et le recours à de nouveaux types de mobilité.

La montée en charge des quatre grands programmes de la politique dite du « tout TGV » mise en œuvre à partir du Grenelle de l’environnement en 2009, explique l’essentiel de la dérive de la dette ferroviaire. Et si l’augmentation substantielle des concours de l’État au réseau n’a pas d’impact sensible sur cet endettement, c’est qu’elle constitue une réponse encore insuffisante aux besoins de maintenance, de régénération et de sécurisation du réseau historique sacrifié au TGV.

COÛT DES OPÉRATIONS DE RÉGÉNÉRATION ET D’ENTRETIEN DU RÉSEAU FERRÉ
(DU POINT DE VUE DU CONTRIBUABLE)

 

Unité

2014

Réalisation

2015

Réalisation

2016

Prévision actualisée

2017

Prévision

2017

Cible

Coût kilométrique moyen des opérations de régénération

k€ courants par km

1 161

1 251

(provisoire)

1 295

1 285

<1 270

Coût kilométrique moyen des opérations d’entretien

k€ courants par km

45,8

49,1

(provisoire)

49

50

<47,5

Source : projet de loi de finances pour 2017 (projet annuel de performance – programme 203)

Pourtant, les audits de 2005 (67) et 2012 (68) de l’École polytechnique fédérale de Lausanne n’avaient pas manqué d’alerter les autorités françaises qui n’y ont véritablement réagi qu’à compter de 2012, puis de 2014 sous l’impulsion de M. Alain Vidalies.

Malgré l’accroissement majeur de ces investissements, 600 km supplémentaires de lignes ont dû être ralentis en 2015 pour des raisons de sécurité, portant à 4 000 km le réseau ralenti et traduisant le fait que les investissements actuels n’ont pas encore atteint le niveau d’inflexion du vieillissement et de la dégradation de notre réseau ferroviaire (l’âge moyen de la voie étant de 33 ans en France contre 17 ans en Allemagne) (69).

L’accident de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013 (7 morts et 61 blessés), puis celui de Denguin le 17 juillet 2014 (35 blessés), ainsi que la multiplication d’incidents de « déshuntage » (70), ont mis en lumière à la fois les risques inhérents à un réseau dégradé et un affaiblissement de la culture de sécurité au sein de l’entreprise SNCF.

Extrait du rapport stratégique d’orientation ferroviaire
présenté par le Gouvernement le 14 septembre 2016 au
Haut Comité du système de transport ferroviaire

« La vétusté du réseau est en effet un constat partagé : près de 20 % des voies moyennement fréquentées sont aujourd’hui hors d’âge. Ce constat tend à s’étendre aux voies où la circulation est plus élevée (UIC 2), dont 20 % sont hors d’âge en 2015 contre 7 % seulement en 2010. Aussi le nombre de kilomètres de ralentissement est-il passé de 1 000 km à 4 000 km en l’espace de quinze ans (dont 3 000 km sur le réseau d’intérêt régional), touchant à présent près de 10 % du réseau ferré. Pour rattraper le retard, les moyens ont été fortement augmentés depuis 2005 : le nombre de kilomètres de voie régénérée par an est ainsi passé de 500 km à 1 000 km entre 2005 et 2014, mais l’effort doit être poursuivi et augmenté. »

II. LE CHOIX DU STATU QUO

Le débat sur la dette ferroviaire trouve fondamentalement son origine dans l’équivoque politique qui a présidé en 1997 à la création de RFF.

Sensée répondre, en bon élève de l’Europe, à l’exigence d’indépendance du gestionnaire de réseau vis-à-vis de la compagnie ferroviaire historique, la France a adopté à cette époque la solution optiquement la plus acceptable par Bruxelles en créant ex nihilo l’établissement public « Réseau ferré de France » sous statut totalement indépendant de la SNCF. Il s’agissait officiellement, à l’instar de l’Allemagne, de séparer le réseau de l’entreprise ferroviaire historique, conformément au principe d’indépendance de sa gestion.

Ce faisant, elle « mystifiait » les principes de l’Union européenne à double titre :

1° d’une part, ce nouveau gestionnaire de réseau indépendant n’en était pas vraiment un, puisqu’il devait déléguer intégralement à la SNCF la gestion de l’infrastructure, qu’il s’agisse de la maîtrise d’œuvre des travaux de développement, d’entretien et de maintenance (SNCF Infra) ou de l’accès aux facilités essentielles – attribution des sillons (rôle partagé avec RFF) et fixation des péages – (Direction de la circulation ferroviaire de la SNCF).

Par cet artifice, la France s’affranchissait de fait de l’exigence d’indépendance du gestionnaire d’infrastructure, et la SNCF persistait dans le conflit d’intérêts qui lui permettait de contrôler discrètement l’accès au réseau.

En revanche, en pleine période de qualification pour intégrer la zone euro, le Gouvernement de l’époque s’appliquait aussi à dérober ses dettes publiques du champ de vision de Bruxelles. C’est ainsi que dès l’origine, SNCF Réseau s’est vue impartir le portage discret de la dette ferroviaire alors accumulée par la SNCF, à hauteur de 20,5 milliards d’euros.

L’artifice français consistait à créer un gestionnaire d’infrastructure de jure, qui n’a jamais compté plus de 1 500 agents et qui faisait office, de facto, de société de cantonnement de la dette.

En d’autres termes, RFF, présentée comme une réponse zélée aux préconisations de Bruxelles, n’était pas un gestionnaire d’infrastructure de plein exercice réellement indépendant et garant des conditions d’accès au réseau !

Le système ferroviaire français a vécu sur cette équivoque socialement et politiquement consensuelle jusqu’à la loi de réforme ferroviaire du 4 août 2014.

Il est à noter que dans le même temps, la plupart des grands réseaux européens, en particulier celui de l’Allemagne à travers sa réforme de 1994, se voyaient allégés de leur dette, reprise par l’État conformément à la directive européenne 91/440/CE, jamais appliquée en France et abrogée depuis par la directive 2012/34/UE (dite « recast ») qui établit un espace ferroviaire unique européen.

Il est donc légitime qu’à la faveur de la loi de réforme ferroviaire du 4 août 2014, la question de la dette se soit invitée au cœur du débat législatif et… social.

La loi du 8 décembre 2009, qui constituait une étape d’application des directives européennes, avait éludé cette question cruciale et laissé perdurer le porte-à-faux français.

En 2014, il y avait en revanche un très large consensus politique pour admettre que l’endettement de notre système ferroviaire avait atteint un stade critique et handicapant pour son avenir.

La reprise de la dette par l’État était d’ailleurs le mot d’ordre central des grèves qui ont accompagné le débat parlementaire, tandis que l’INSEE et Eurostat requalifiaient 10,2 milliards d’euros de cette dette en dette « maastrichtienne » (en dette d’État non recouvrable par les recettes du réseau) en mai 2014 et posaient crûment la question de son « statut ».

Devait-elle demeurer adossée au système ferroviaire, au prix de 1,5 milliard d’euros d’intérêts annuels (80 % de la marge nette) détournés des considérables besoins financiers des chantiers de régénération et de maintenance de l’infrastructure ? Ou l’État envisageait-il de la prendre à charge pour tout ou partie ?

Reclassement d’une partie de la dette de RFF (devenu SNCF Réseau) dans la dette des administrations publiques au sens européen (critères de Maastricht) (71)

En mai 2014, l’INSEE a révisé à la hausse la dette des administrations publiques prise en considération pour l’appréciation du respect par la France des « critères de Maastricht ». Dans la fiche méthodologique correspondante, l’INSEE explique :

« Le premier facteur de révision est le reclassement d’une partie de la dette de Réseau Ferré de France (RFF) dans la dette publique au sens de Maastricht.

« L’entité RFF en elle-même n’est pas intégrée au sein des administrations publiques en base 2010. La part de ses coûts de production couverts par des recettes marchandes restant supérieure à 50 %, l’Insee maintient, conformément au Système européen de comptes (SEC) 2010, le classement de RFF en société non financière (SNF). Toutefois, RFF ne dégage pas un résultat d’exploitation suffisant pour faire face à ses obligations sans l’appui permanent de l’État. Depuis sa création, l’équilibre financier de RFF repose donc sur des contributions publiques qui représentent une part importante, quoique minoritaire, de ses recettes. En base 2010, la dette de l’État est relevée d’un montant égal à une fraction de la dette de RFF. Cette part est liée à la proportion de concours publics dans les produits d’exploitation de RFF, au niveau des investissements de RFF et à celui des aides à l’investissement versées à RFF par l’État. Le surcroît de dette ainsi imputé à l’État, classé dans la catégorie des emprunts à long terme, s’élève à 9,9 milliards d’euros en 2010, puis 10,0 milliards d’euros en 2011 et 10,5 milliards d’euros en 2012.

« Avec ce nouveau traitement, la seule modification apportée au bilan de RFF concerne la structure de sa dette : une fraction de celle-ci est maintenant due à l’État. De son côté, l’État voit sa dette brute augmenter mais pas sa dette nette. Il est en effet considéré que l’État s’endette pour prêter à RFF les fonds nécessaires à ses investissements. Cette créance, équivalente à l’endettement supplémentaire, est enregistrée à l’actif de l’État. Le nouveau traitement de RFF ne modifie pas non plus le déficit public, le surcroît d’actifs équilibrant le surcroît d’endettement. »

Le Gouvernement, soucieux de contenir la dette publique de l’État et de satisfaire à ses engagements d’assainissement budgétaire devant ses partenaires européens, n’a pas souhaité traiter « à chaud » cette question, qui a donc été renvoyée à la production d’un rapport d’intention destiné au Parlement, dans les deux ans suivant la promulgation de la loi de réforme ferroviaire.

Incontestablement ce rapport, publié le 19 septembre 2016, traduit un infléchissement du discours gouvernemental en regard de la dette ferroviaire, entre l’époque des débats de la réforme ferroviaire et aujourd’hui, dans le sens d’une très nette dédramatisation.

Le Gouvernement considère que les conditions d’emprunt, mais aussi les différentes options envisageables de reprise de la dette par l’État, n’invitent pas actuellement à précipiter un « désendettement » volontariste du système ferroviaire, qu’il renvoie à une clause de rendez-vous ultérieure (3 ans après la signature du contrat à venir entre l’État et SNCF Réseau).

Il n’en demeure pas moins qu’au-delà du statut de la dette accumulée, l’un des objectifs majeurs de la loi du 4 août 2014 était de stabiliser l’endettement futur de SNCF Réseau.

Le rapport du Gouvernement relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau

L’article 11 de la loi du 4 août 2014 demandait au Gouvernement de remettre au Parlement, dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, un rapport « relatif à la trajectoire de la dette de SNCF Réseau et aux solutions qui pourraient être mises en œuvre afin de traiter l’évolution de la dette historique du système ferroviaire. Ce rapport examine les conditions de reprise de tout ou partie de cette dette par l’État ainsi que l’opportunité de créer une caisse d’amortissement de la dette ferroviaire ».

Ce rapport a bien été transmis au Parlement. Il rappelle que l’INSEE a, en mai 2014, reclassé en dette publique brute une partie de la dette de SNCF Réseau (9,9 milliards d’euros en 2010, puis 10 milliards d’euros en 2011 et 10,5 milliards en 2012) (72), mais que cette modification comptable n’emporte pas de flux financiers et « n’implique nullement une reprise effective de tout ou partie de cette dette par l’État ».

Le rapport fait valoir, pour exclure la reprise d’une partie de la dette de SNCF Réseau par l’État, les arguments suivants :

– SNCF Réseau est en mesure de mener une « gestion active de sa dette, qui lui permet de maîtriser le coût de son endettement », et a une signature de bonne qualité reconnue par les agences de notation ;

– SNCF Réseau se finance en partie sur des marchés qui ne sont pas exploités par l’Agence France Trésor, et une reprise de tout ou partie de sa dette par l’État « nuirait à la complémentarité des deux stratégies », augmentant « mécaniquement » la charge de la dette de l’État ;

– La dette du Service annexe d’amortissement de la dette (SAAD), qui avait été créé en 1991 pour cantonner, au sein de la SNCF, une partie de la dette de l’exploitant ferroviaire – et auquel l’État versait une dotation annuelle –, n’était pas adossée à l’actif que constitue le réseau ferré national ;

– Une reprise de tout ou partie de la dette de SNCF Réseau pèserait lourdement sur le déficit public et dégraderait la qualité de signature de l’État français ;

Le Gouvernement estime donc « qu’il n’est pas opportun d’envisager à ce stade un dispositif de reprise de la charge de la dette historique du gestionnaire d’infrastructure. ». Il indique toutefois que « la prochaine actualisation du [futur contrat entre l’État et SNCF Réseau], qui interviendra trois ans après sa signature, sera l’occasion de réexaminer les solutions mises en œuvre pour maîtriser et réduire l’endettement de SNCF Réseau ».

III. DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ NÉCESSAIRES MAIS INSUFFISANTS À STABILISER L’ENDETTEMENT

À cet égard, l’objectif de combler la dérive de l’époque (1,5 milliard par an) par les fameux « 3 fois 500 millions d’euros » d’amélioration de la productivité reste d’actualité, mais commence à manifester quelques résultats, toutes choses égales par ailleurs :

Le régime fiscal du groupe SNCF est désormais intégré et permet une forme de péréquation entre les recettes et les dépenses, sans prélèvement de dividendes sur SNCF Mobilités par l’État (73), après un ultime versement de 62,7 millions d’euros fixé par arrêté du 30 juin 2015(74);

Cependant tout indique que l’État, qui viserait à exiger de la TVA sur la « subvention de 1,7 milliard d’euros » (75) qu’il verse à SNCF Réseau pour alléger les péages des TER, serait tenté de reprendre d’une main ce qu’il a accordé de l’autre dans la loi de réforme ferroviaire.

De son côté, le groupe SNCF estime à 653 millions d’euros l’amélioration de productivité interne obtenue en 2015 :

Source : Résultats annuels 2015 du Groupe SNCF- 11 mars 2016

Cependant, outre l’extrême difficulté à vérifier de telles informations au sein d’un groupe particulièrement complexe, à la comptabilité difficilement pénétrable, vos Rapporteurs considèrent comme fragile, car exposée à de multiples aléas, la trajectoire d’amélioration de la productivité interne.

Elle est notamment tributaire d’un regain manifeste des conflits sociaux, qui ne sont pas sans rapport avec la compétition que se livrent les organisations syndicales au sein de la SNCF, mais aussi d’incessants aléas politiques ou économiques :

– la reprise partielle de l’exploitation déficitaire et des personnels du TGV Perpignan-Figueras, après la mise en liquidation judiciaire du concessionnaire, TP Ferro, prononcée par le tribunal de commerce de Gérone, le 15 septembre dernier ;

– l’arbitrage par l’État, en juin 2016, de l’accord d’entreprise qui reconduit, voire améliore, les conditions de travail des cheminots.

Certes, la SNCF est ainsi renvoyée au droit commun des négociations d’accords collectifs, et peut envisager de déroger à ces conditions de travail sous réserve de l’accord des syndicats signataires (UNSA, CFDT, CFTC notamment), mais à partir d’un socle très élevé de « droits acquis ».

L’étude du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur l’inflation des coûts d’infrastructures, rapportée en 2013 par MM. Michel Massoni, Pierre Garnier et Laurent Winter, impute les coûts à la rigidité de l’organisation du travail découlant du RH077 aboli par la loi de réforme ferroviaire, mais également au « paradoxe » d’effectifs en baisse très sensible (- 5 000 agents de 1999 à 2010) compensés par une quasi stabilité de la masse salariale du fait :

– d’une augmentation moyenne des salaires constamment supérieure à l’inflation, avec notamment 33 % d’augmentation des éléments variables de salaires de 2003 à 2012, dont plus de la moitié imputable à l’accélération des travaux de maintenance et d’entretien entre 2008 et 2010,

– et surtout d’une baisse des effectifs d’exécution au profit d’une augmentation sensible de l’encadrement (+ 14,3 % entre 2003 et 2013).

Sauf à réformer en profondeur les conditions de recrutement et de travail des agents, il y a là un poste d’autant moins rapidement compressible, que les effectifs d’ingénierie actuels de SNCF Réseau sont au taquet de leur emploi.

Particulièrement sollicitée par les dessertes des nouvelles LGV, cette saturation des effectifs a conduit SNCF Réseau à solliciter du secrétaire d’État chargé des transports un report de réalisation des projets de développement hors LGV programmés pour 2016 dans les contrats de plan.

Ainsi, s’il reste incontestablement des réserves de productivité à mobiliser au sein de la SNCF, et spécialement de SNCF Réseau, tout indique qu’elles seront progressives, et que l’on doit veiller à éviter une perte de substance opérationnelle au moment où les gigantesques chantiers de la régénération, de la maintenance et de l’entretien deviennent une priorité nationale à mener de front avec l’achèvement de quatre lignes à grande vitesse particulièrement exigeantes en main-d’œuvre qualifiée.

C’est donc plus sûrement dans la maîtrise des coûts d’investissement que réside la capacité à contenir l’aggravation, voire à réduire progressivement, la trajectoire d’endettement du groupe SNCF.

Pour ce qui concerne les travaux de maintenance et de régénération, le CGEDD plaide ardemment pour une planification stratégique des chantiers, qui suppose le plein consentement de la tutelle, ainsi qu’une sécurisation des plannings, c’est-à-dire des choix clairs et pérennes.

Sans ces conditions, la SNCF, partant d’une évolution spontanée (et non réductible) des coûts de SNCF Infra de 3,1 % par an (régime de retraite compris), table sur des gains de productivité de l’ordre de 700 millions d’euros par an d’ici 2020, soit 1,6 % par an d’augmentation nette des coûts, permettant d’en déduire une augmentation similaire des dépenses consacrées à la maintenance et aux travaux.

On observera que les économies de mutualisation liées aux services communs entre SNCF Infra et SNCF Réseau, localisés dans l’EPIC de tête SNCF, sont estimées à 100 millions d’euros sur cette période.

Pour ce qui concerne les investissements de développement de l’infrastructure, en particulier des LGV, le CGEDD met en évidence la conjonction de trois puissants facteurs d’inflation des coûts :

– l’augmentation des contraintes environnementales et des obligations de compensation environnementales, qui renchérissent mécaniquement le coût d’accès au foncier d’emprise ;

– l’augmentation, désormais stabilisée, des prix des matériels ferroviaires, par ailleurs affectés de variations difficilement prévisibles ;

– enfin, la dérive des programmes, qui découle à la fois des facteurs précédents et se traduit de plus en plus systématiquement par une sous-estimation des coûts conjuguée à une surestimation des trafics. Ainsi, en euros constants 2003, le coût d’investissement dans un kilomètre de LGV s’établissait à 4,9 millions d’euros pour Paris-Lyon, et à 9,5 millions d’euros pour Nord Europe. La LGV Est européenne expose un coût au kilomètre de 18,3 millions d’euros, la LGV Rhin Rhône de 21,7 millions d’euros et la LGV SEA se situe autour de 23 millions d’euros.

Tout indique que les nouvelles générations de LGV se situeront à un coût notoirement supérieur, le coût d’objectif annoncé pour les infrastructures d’accès au tunnel Lyon-Turin dans la partie française s’élevant à 53 millions d’euros du kilomètre.

Dès lors que l’on admet que ces coûts ne seront pas « répercutables » sur les tarifs, leur couverture ne peut s’envisager que par des niveaux de subventions publiques considérables, additionnels aux besoins de financements publics de la régénération et de la maintenance, ou plus probablement par un endettement supplémentaire du système ferroviaire, contradictoire avec l’objectif affiché de la réforme.

C’est donc bien dans la rationalisation des investissements (cf. Cinquième Partie du présent rapport), dans la nécessité de faire des choix sélectifs et de s’y tenir que réside la marge de manœuvre, très politique, permettant d’envisager raisonnablement un redressement progressif de la trajectoire financière du système ferroviaire.

IV. VERS UN « CONTOURNEMENT » DES DISPOSITIONS DE MAÎTRISE DE LA DETTE ?

C’est aujourd’hui un « gap » de 3,5 milliards d’euros annuels qui s’incrémente dans la dette ferroviaire, à des taux d’intérêt, il est vrai, particulièrement avantageux (proches de 0 %), essentiellement portée par le réseau, malgré les nécessités impérieuses d’investissement qui s’imposent à lui !

Notre système ferroviaire est donc placé sous l’épée de Damoclès d’une reprise de l’augmentation des taux d’intérêt qui constituerait une équation redoutable pour l’avenir du système ferroviaire français.

Au total, l’augmentation très sensible des dotations de l’État au gestionnaire d’infrastructure (qui n’arrivent toutefois pas au niveau des concours publics à Network Rail Outre-Manche) ne parvient pas à compenser les besoins d’investissement cumulés entre l’achèvement des programmes LGV du Gouvernement précédent, et les nouvelles priorités du Gouvernement actuel en matière de remise en état du réseau historique. Selon les experts, il manquerait à SNCF Réseau entre 1 et 2 milliards d’euros par an pour y faire face !

Par ailleurs, le co-financement du programme du tunnel Lyon – Turin, comme le lancement du projet Charles-de-Gaulle Express, ne permettent pas d’envisager une réduction significative de la dette à court terme, malgré le moratoire obtenu pour 2017 par M. Alain Vidalies, sur les projets de développement prévus dans les contrats de plan État-Région.

Ainsi, d’ardente obligation en 2014, inscrite dans l’impératif de gains de productivité du groupe SNCF associés à la réforme, la dette ferroviaire ne semble plus aujourd’hui faire l’objet du même impératif.

Sa trajectoire apparaît d’autant moins prédictible qu’elle est particulièrement soumise à l’aléa politique et à ses artifices.

À titre d’exemple, parmi d’autres, on retiendra le scénario surréaliste du financement de la LGV Tours-Bordeaux, dont le plan de financement, négocié par le Gouvernement de M. François Fillon, prévoyait, pour compléter les fonds propres apportés par le concessionnaire LISEA (3,8 milliards), une subvention publique de 3 milliards apportée par l’État, l’Union européenne et 57 collectivités locales, à laquelle s’ajoutait une contribution publique de RFF de l’ordre d’un milliard d’euros, afin d’éviter de charger cette dérive d’une dette irrécouvrable.

Le désengagement de plus d’une vingtaine de collectivités territoriales, sous l’effet de la crise des budgets publics, mais aussi la carence de l’État dans le versement de subventions à RFF, ont mécaniquement accru l’endettement de RFF de 795 millions d’euros.

La reprise des actifs de Perpignan-Figueras par les gestionnaires d’infrastructure français et espagnol, et de son exploitation déficitaire par SNCF Mobilités et Renfe, procède de cette méthode qui consiste à réaliser le projet à toute force sur la base de partenariats publics-privés (concessions, contrats de partenariats ou sociétés de projet), jusqu’à ce qu’il retombe dans le giron du système ferroviaire public. Au total, après faillite, c’est soit SNCF Mobilités (par la reprise des déficits d’exploitation), soit SNCF Réseau (par la baisse des péages en deçà de l’amortissement de l’investissement), qui paiera in fine les conséquences de l’impréparation initiale qui a entouré le projet.

Ce scénario illustre les craintes exprimées par M. Yves Crozet, professeur à l’Université de Lyon (Laboratoire aménagement économie transports) dans son article « La LGV Tours-Bordeaux échappera-t-elle à la malédiction des PPP ferroviaires ? », publié dans la revue « Transports » n° 494 de novembre-décembre 2015. Le professeur Yves Crozet y développe la thèse, prémonitoire pour ce qui concerne Perpignan-Figueras, selon laquelle les concessions de LGV à des investisseurs privés pourraient bien faire l’objet d’une stratégie des grandes entreprises de BTP, consistant à maximiser les marges sur les travaux publics, puis à se défaire ultérieurement de concessions non rentables sur le système ferroviaire public, transférant ainsi ex post en endettement ferroviaire public, un projet justifié ex ante par une prise de risque privée.

Dans le même ordre d’idée, le montage du projet de Charles-de-Gaulle Express pourrait bien faire école, en incitant les pouvoirs publics à isoler les grands projets d’infrastructures par la création de sociétés de projet ad hoc qui en disperseraient et en cloisonneraient les risques financiers en dehors de SNCF Réseau, mais avec de fortes probabilités de reprise ultérieure par l’entreprise publique SNCF Réseau en cas de faillite ou d’insolvabilité.

De la sorte, des projets délibérément hasardeux justifiés par des prévisions de trafics complaisantes alimenteraient in fine un endettement ferroviaire public supplémentaire échappant à la règle prudentielle voulue et adoptée par le Parlement.

Il devient de plus en plus soupçonnable, et ce point devra susciter une vigilance toute particulière de la part du Parlement, que d’autres montages financiers de cet ordre, basés sur des prévisions de trafic notoirement et ostensiblement surestimées (comme Perpignan-Figueras), s’affranchissent également à l’avenir de la « règle d’or » instaurée par la réforme ferroviaire pour éviter précisément qu’ils ne grèvent un peu plus notre système ferroviaire, sans pour autant priver les politiques de faire financer des infrastructures… par le contribuable.

À cet égard, c’est sous de mauvais auspices que l’État a inauguré la règle d’or en en exonérant le premier grand projet d’infrastructure qui devait y être soumis : la liaison ferroviaire à grande vitesse Charles-de-Gaulle Express (76).

Les contrats d’objectifs, comme la règle d’or, feront l’objet d’un suivi public de la part de l’ARAFER, à laquelle les dispositions de la loi du 4 août 2014 confient la responsabilité, non contraignante mais nouvelle, de surveiller la trajectoire économique du système ferroviaire et de formuler toute recommandation y afférant. Il va sans dire que l’ARAFER, comme le Parlement, devront exercer une vigilance particulière à l’égard de ce qui pourrait bien constituer le « cheval de Troie » d’une nouvelle fuite en avant de la dette ferroviaire.

Si cette stratégie d’« endettement balkanisé » devait s’affirmer, il conviendrait de procéder à une révision législative de la règle d’or afin qu’elle intègre les risques d’un retour de la dette dans le giron de la SNCF.

CINQUIÈME PARTIE :
LA SNCF FACE AUX DÉFIS DU XXIE SIÈCLE

Au-delà de l’analyse stricte de l’application de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, vos Rapporteurs ont souhaité inclure dans le cadre du présent rapport une présentation d’éléments de contexte, de lacunes de la réforme et d’attentes des professionnels du secteur ferroviaire face aux grands défis auxquels nos chemins de fer sont confrontés.

Cette cinquième partie, plus prospective qu’analytique, vise à présenter les grands défis que nos politiques de transport ont à relever pour que le chemin de fer retrouve toute sa place dans un environnement fondamentalement différent de celui qui a forgé sa culture d’entreprise héritée des siècles passés. Il s’agit d’identifier les enjeux pour notre politique ferroviaire en général, et pour la SNCF en particulier, et d’esquisser des propositions de « réforme de la réforme », ainsi que de politique générale touchant à notre système ferroviaire, propres à les surmonter.

Le chemin de fer est un progrès technologique majeur de la fin du XVIIIsiècle, qui a accompagné la révolution industrielle. Il est né avec elle et a connu, depuis, des développements considérables qui trouvent un regain d’actualité et de pertinence en regard des enjeux de mobilité et de croissance durable de notre époque, en particulier le réseau ferré électrifié.

Si les études les plus récentes démontrent que le chemin de fer n’est pas en soi définitivement plus vertueux que d’autres modes de transport qui ont engagé des évolutions technologiques et énergétiques spectaculaires au cours de ces dernières années, il conserve une grande pertinence, pourvu qu’on le projette dans l’avenir et dans les enjeux contemporains.

● De la révolution industrielle à la révolution urbaine

Le rail a hérité de ses deux âges d’or des vocations qui, pour ne pas être révolues, sont aujourd’hui « bousculées » par les évolutions contemporaines de nos sociétés développées :

Au XIXsiècle, le chemin de fer constituait le moyen de transport indispensable au développement des trafics de fret lourd induits par l’essor de l’industrie : transport du charbon et des minerais, des matériaux de construction, des produits de la sidérurgie et des industries métallurgiques, mécaniques ou chimiques, mais aussi des produits de l’agriculture.

Au XXsiècle, le transport de passagers a connu à son tour un essor considérable, avec les congés payés, dans une France encore rurale, peu mobile et faiblement motorisée, qui s’ouvrait au voyage dans les périodes estivales, puis avec le grand exode rural d’après-guerre qui a engendré, avant celle plus récente du tourisme international, la démocratisation des transports, et du rail en particulier.

Dans la seconde moitié du XXsiècle, le développement fulgurant de la route et de la motorisation des ménages a peu à peu libéré les transports de marchandises comme de personnes de leur dépendance exclusive au chemin de fer. Non seulement le transport routier s’est avéré mieux adapté aux évolutions de la logistique moderne (« just in time », gestion dynamique des stocks, « porte à porte ») pour ce qui concerne le transport de marchandises, mais il a bénéficié de l’essor considérable de la multi-motorisation des ménages pour ce qui concerne le transport de personnes.

Depuis les années 1950, le réseau ferré utilisé n’a ainsi cessé de se contracter au profit de la route, sans que les politiques publiques ne parviennent à infléchir significativement cette tendance, malgré des développements ferroviaires remarquables, principalement axés sur la technologie de la grande vitesse au service de grandes lignes nationales et internationales.

Depuis les années 1990, l’apparition de concurrences redoutables, comme les dessertes aériennes low cost sur les longues distances, ou encore le covoiturage, expression de l’économie collaborative dans le secteur des transports, a durement « défié » le rail, et a compromis l’efficacité des politiques incitatives de transfert modal, lancées par le Livre blanc de 2001 de la Commission européenne (77).

En matière de transports collectifs, la libéralisation des transports privés par autocar par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », comme l’utilisation croissante du car par les régions dans l’exercice de leurs compétences d’autorités organisatrices des transports express régionaux (TER), – 24 % de l’offre TER (78)– ont confirmé l’existence d’alternatives souples et moins coûteuses que le rail pour certaines liaisons.

Si la SNCF est encore un « monopole » du chemin de fer (au fret près), elle a perdu le monopole de la mobilité. Le chemin de fer est devenu un mode de transport parmi d’autres, particulièrement exposé à la concurrence intermodale, celle de la route et du trafic maritime pour ce qui concerne le fret, celle de la route et de l’aérien pour ce qui concerne le transport de personnes.

Il est soumis à un environnement modal redoutablement dynamique qui devrait conduire à réinterroger ses missions de service public, dans un paysage concurrentiel fondamentalement nouveau, tout autant que « spontané » c’est-à-dire extérieur au rail et aux politiques publiques de transport, qui peinent à s’y adapter et à le réguler.

La question stratégique fondamentale posée au rail dans ce nouvel environnement est de savoir où se situe aujourd’hui sa « zone de pertinence » dans notre société de mobilité digitalisée.

● L’avènement de l’usager connecté

À cet égard, on peut avancer que le chemin de fer du XXIsiècle, qui n’est plus tout à fait celui des siècles précédents, conserve de grands avantages stratégiques :

– Sur le marché de la mobilité des personnes, il reste inégalable, non « concurrençable », non substituable, et sans doute promis à un grand avenir en matière de « transport en commun » (mass transit), c’est-à-dire de trajets domicile-travail quotidiens, et d’accès aux cœurs d’agglomérations en proie à des congestions routières croissantes et difficilement compressibles. La région parisienne en constitue l’illustration la plus prégnante par la configuration urbaine et par la masse d’usagers concernés. Elle est la seule à acquitter le coût complet d’infrastructures.

Le rapport stratégique d’orientation, présenté le 14 septembre 2016 par le Gouvernement au Haut comité du système de transport ferroviaire, précise le niveau actuel du trafic voyageurs dans notre pays : « En ordre de grandeur, l’offre TER représente 7 500 trains quotidiens qui transportent environ 1 million de voyageurs par jour pour un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 4 milliards d’euros ; l’offre Transilien représente plus de 6 000 trains quotidiens qui transportent environ 3 millions de voyageurs pour un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 2,9 Md€ ; l’offre TET représente 300 trains quotidiens qui transportent environ 90 000 voyageurs pour un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 1 Md€ ; et l’offre TGV représente 800 trains quotidiens qui transportent environ 300 000 voyageurs pour un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 5 Md€. ».

Pour épouser une terminologie familière à ce secteur public, on peut avancer que le cœur de métier du transport ferroviaire de voyageurs se situe désormais dans ce défi contemporain, qui tend à concerner toutes les aires urbaines métropolisées du pays, au-delà de la seule région parisienne qui en constitue l’enjeu majeur.

Cet avantage « comparatif » du rail ne le disqualifie pas pour autant en matière de liaisons grande vitesse, entre les grands pôles démographiques nationaux et européens, ni de liaisons grandes lignes ou régionales d’aménagement du territoire. Cependant il suppose de les repositionner en fonction des nouvelles alternatives modales et des nouveaux services qui leur font concurrence à des coûts et à des prix d’accès souvent plus compétitifs, mais aussi en fonction des attentes individuelles et des préférences collectives manifestées par les usagers, notamment une préférence croissante pour le prix et la qualité de service plutôt que pour la vitesse et la performance technique.

– En matière de politiques publiques de transport, qu’il s’agisse du transport de fret ou du transport de personnes, le chemin de fer, par sa capacité de massification des flux, et en considération des sources d’énergie « propres » disponibles, demeure un secteur stratégique. Mais, industrie lourde à rendements croissants, sa compétitivité vis-à-vis de son concurrent routier reste dépendante de décisions fiscales et budgétaires susceptibles de réduire son handicap de prix relatif.

À cet égard, l’échec de l’« écotaxe poids lourds » en octobre 2014 a constitué une sérieuse déconvenue en matière de financement des infrastructures et de modification des prix relatifs rail/route au service d’une politique de transfert modal, même s’il reste surmontable par des mesures équivalentes.

Cependant, si le « mass transit » esquisse la principale vocation d’avenir du rail au XXIsiècle, les politiques publiques ne peuvent faire l’économie des nouveaux comportements et attentes de mobilités portés, non plus cette fois par une économie de l’offre, longtemps dominante et impulsée par les grands corps techniques de l’État et la décision politique, mais par les attentes émergentes d’un nouveau type d’usagers, plus exigeants et plus adaptatifs dans leurs comportements de mobilité.

Ces derniers sont désormais devenus une composante incontournable de la définition d’une stratégie ferroviaire pour le XXIsiècle, qui ne peut plus s’abstraire d’une demande de mobilité fondamentalement multimodale, particulièrement sensible au prix et exigeante sur la qualité de service.

En moins de vingt ans, la clientèle de la SNCF est ainsi passée d’usagers dociles, captifs de l’offre ferroviaire qui leur était proposée, à des clients exigeants et connectés disposant désormais de droits opposables aux transporteurs, et autonomisés dans leurs stratégies de mobilité par le recours à des applications numériques de plus en plus sophistiquées.

● L’ère de la multimodalité

Ces quelques considérations invitent à un changement de perspectives radical, tenant compte de l’essence même du service public dont les choix doivent privilégier l’accès du plus grand nombre aux services de mobilité les plus efficaces et à moindre coût (performance socio-économique), en considération de la configuration du territoire, tellement la géographie prédétermine les usages et les moyens de mobilité pertinents.

En d’autres termes, elles s’inscrivent dans une approche tendant à garantir un droit universel et équitable à la mobilité, plutôt que l’empilement non sélectif et inutilement coûteux d’offres ferroviaires, routières, aériennes ou maritimes cloisonnées.

Dans un tel contexte, force est d’admettre, indépendamment d’un niveau très élevé de maîtrise technique, qui constitue un atout national à valoriser, que la France, et en particulier nos chemins de fer, ont longtemps affiché un retard certain en matière de politiques intégrées de mobilité. 

Seules peut-être les agglomérations, par la force des choses et l’introduction des plans de déplacements urbains par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, dite « LOTI », font exception à ce constat général.

À titre d’exemple, on est encore très loin, en France, de proposer, comme en Suisse ou dans les Länder allemands, des titres uniques de transport intermodal permettant à l’usager de passer du train au métro ou au tramway, et au passage d’eau ou au car.

● L’ère du « low cost »

La mutation la plus spectaculaire et la plus lourde de conséquences en matière de comportement de mobilité tient incontestablement au développement de « solutions low cost » plébiscitées par des usagers dont la demande s’avère de plus en plus élastique au prix.

On a vu comment, en un temps très court, le modèle économique du low cost aérien, longtemps considéré comme une « niche » de marché par les prospectivistes les plus perspicaces, a contribué à une démocratisation fulgurante du transport aérien et à une connectivité inespérée de nombreux aéroports de seconde ou troisième catégorie.

De la même façon, les développements permis par l’Internet et les applications numériques ont imposé irrésistiblement des modèles low cost de transport routier de personnes qui font désormais une concurrence non négligeable aux modes de transport traditionnels, et en particulier au chemin de fer.

Ces nouveaux modèles économiques, qui répondent à des arbitrages de budgets domestiques contraints en faveur de l’accès à la mobilité, bousculent sans ménagement l’économie et donc la pérennité des économies modales traditionnelles.

Toutes les études de clientèle convergent vers une préférence pour le prix et la qualité de service sur la vitesse ou la performance technologique.

Si le chemin de fer a été le dernier mode de transport à en prendre conscience, les expériences de TGV low cost de la SNCF, ou encore les quelques trains d’occasion « reliftés » en mode Wi-Fi, en Europe démontrent qu’il existe bien une clientèle, notamment de jeunes et de retraités désormais connectés, mais aussi de cadres qui valorisent à moindre prix leur temps de déplacement.

Cette émergence d’un usager connecté, plus sensible au prix qu’à la vitesse, constitue probablement l’un des changements de marché les plus prometteurs et les plus novateurs du rail.

Il est particulièrement frappant de constater combien les politiques de mobilité des pouvoirs publics, et en particulier les politiques ferroviaires, demeurent hermétiques et même négatives à l’égard de ces évolutions qui, il est vrai, déstabilisent les vieilles certitudes.

Elles constituent pourtant un facteur d’optimisme pour l’avenir du rail, si l’on consent à l’intégrer pleinement dans une stratégie ferroviaire moderne.

D’une certaine façon, s’agissant des transports continentaux, c’est le chemin de fer qui accuse le plus grand retard d’adaptation, notamment à l’intermodalité qu’il a longtemps délibérément négligée et même parfois combattue, que ce soit pour le fret ou pour les passagers.

Ce constat de retard, si ce n’est de carence, de nos chemins de fer est certes regrettable, mais lui ouvre a contrario de formidables perspectives d’évolution et de modernisation qui doivent guider une stratégie partagée entre l’État, les pouvoirs locaux, les usagers et les entreprises ferroviaires, pourvu qu’ils acceptent de se convertir à une économie des besoins, plutôt qu’à une économie d’offre prédéterminée par des considérations déconnectées des préférences collectives des usagers.

I. PRÉPARER LA CONCURRENCE SUR LE RÉSEAU POUR RELEVER LES DÉFIS DES NOUVELLES MOBILITÉS

Avec la réforme ferroviaire du 4 août 2014, la France s’est enfin dotée, vingt-trois ans après l’adoption de la directive 91/440 précitée, d’une gouvernance ferroviaire « eurocompatible », prête à envisager l’ouverture à la concurrence, dont les échéances vont être fixées par le quatrième paquet ferroviaire.

À cet égard, la loi du 4 août 2014 constitue probablement la réforme la plus importante de notre système ferroviaire depuis celle de 1937 qui a créé la SNCF.

Pour autant, elle n’a pas dissipé complètement les résistances françaises à l’ouverture.

Il est théoriquement loisible à l’État, comme aux régions, en tant qu’autorités organisatrices au sens du règlement européen n° 1370/2007 du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, de devancer les échéances du quatrième paquet ferroviaire, à l’instar de la plupart des États membres de l’Union européenne. Mais une modification de la loi dite « LOTI » est nécessaire à la suppression formelle du monopole juridique de la SNCF, confirmé par la loi dite « SRU » (79) du 13 décembre 2000.

Article 126 de la loi « SRU »

« Après l’article 21 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 précitée, il est inséré un article 21-2 ainsi rédigé :

« Art. 21-2. - Dans le cadre des règles de sécurité fixées par l’État et pour garantir le développement équilibré des transports ferroviaires et l’égalité d’accès au service public, la Société nationale des chemins de fer français assure la cohérence d’ensemble des services ferroviaires intérieurs sur le réseau ferré national. »

Par ailleurs, et c’est très probablement le chaînon manquant le plus important à créer, l’ouverture à la concurrence nécessite des dispositions négociées encadrant les conditions de transfert des personnels entre opérateurs au même titre que celles qui prévalent couramment en matière de transport public collectif urbain.

Ces obstacles ultimes sont d’autant plus urgents à lever que l’échéance est désormais très proche, et surtout que le gouvernement de M. Manuel Valls a formellement accepté le principe d’expérimentation anticipée de la concurrence sur le réseau TER par les régions. Le caractère obligatoire de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire domestique de voyageurs est prévu par un règlement, et non pas une directive : il sera, par conséquent, directement applicable et opposable, sans mesure de transposition préalable en droit national. Il est donc juridiquement indispensable d’introduire dans notre droit les mesures législatives d’adaptation des règles nationales à cette nouvelle obligation.

Déclaration de M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports :

« Avec le quatrième paquet ferroviaire l’ouverture à la concurrence dans les TER n’est plus un débat, c’est un calendrier dont la décision sera à la disposition des régions qui pourront le faire, soit dans le cadre d’attribution directe sous réserve de certaines dispositions qui sont dans le paquet ferroviaire soit en faisant appel à la concurrence »

(Source : « Vidalies favorable pour tester la concurrence dans les TER en 2019-2020, LaTribune.fr, 16 septembre 2016)

Il est généralement convenu dans le monde ferroviaire qu’il faut un minimum de quatre ans de préparation pour aborder dans les meilleures conditions l’ouverture totale ou partielle d’un réseau.

La difficulté en est accrue par l’important différentiel de « statut » social existant entre les personnels à statut de la SNCF, pour ce qui concerne notamment la surcompensation T2 de leur régime de retraite acquittée par la SNCF, et les personnels non statutaires sous convention collective.

A. AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DU CHEMIN DE FER POUR FAIRE FACE AUX NOUVELLES CONCURRENCES

Si l’ouverture à la concurrence procède d’une obligation européenne attachée au projet d’Europe du rail sans frontières, elle ne doit pas être appréhendée exclusivement comme une contrainte juridique externe à laquelle il conviendrait de se soumettre bon gré mal gré.

Elle ne doit pas non plus procéder d’une approche théologique ou idéologique qui opposerait un déterminisme libéral à un déterminisme étatique.

Les enjeux de la concurrence sur le réseau sont à considérer en regard de la capacité du chemin de fer du XXIsiècle à relever les défis qui lui sont posés par l’évolution de la société et des comportements de mobilités.

Le premier enjeu est celui de la compétitivité de la SNCF dans un marché ferroviaire soumis à de redoutables concurrences modales, dont les développements les plus récents, appuyés sur le numérique et la révolution digitale, se caractérisent à la fois par leur rapidité fulgurante et par leur impact considérable sur les usages et les habitudes de mobilité.

La libéralisation du transport routier de marchandises, aiguillonnée par une dérégulation sociale sauvage et par d’incessantes avancées technologiques au plan environnemental et énergétique notamment, a considérablement stimulé le mode routier, surtout s’agissant du transport international de marchandises qui reste largement inégalable. À cela s’est ajouté le développement rapide du low cost aérien, puis des mobilités collaboratives comme le covoiturage ou l’auto-partage, et enfin des services privés de cars, qui constituent des menaces de déclassement du chemin de fer, s’il continue à s’enfermer dans une culture de monopole et de rente de situation illusoire.

PRIX MOYEN ET TEMPS DE TRAJET SUR 11 LIAISONS DE CARS PRIVÉS (HIVER 2015-2016)

Liaison

Distance

(en km)

Nombre de compagnies bus

Fréquence quotidienne bus

Prix au kilomètre (en euro)

Temps de trajet

Bus

(prix moyen)

Covoiturage

(prix moyen)

Train

(prix minimum)

Bus

Durée mini-maxi

Covoiturage

Train

Lyon-Grenoble

112

3

≈ 7

0,065

0,063

0,200

1h20-2h00

1h10

1h30

Nantes-Rennes

113

3

≈ 8

0,050

0,053

0,180

1h30-2h00

1h25

1h40

Amiens-Rouen

120

2

≈ 2

0,039

0,058

0,168

1h30-1h45

1h20

1h15

Paris-Rouen

132

3

≈ 12

0,046

0,068

0,098

1h45-2h55

1h45

1h10

Perpignan-Montpellier

157

1

≈ 2

0,031

0,064

0,096

2h45

1h40

1h40

Strasbourg-Nancy

160

4

≈ 7

0,063

0,063

0,094

2h00-2h30

1h45

1h25

Lille-Paris

225

6

≈ 25

0,045

0,067

0,067

2h20-3h45

2h20

1h15

Dijon-Strasbourg

330

2

≈ 2

0,053

0,061

0,061

4h15-5h45

3h10

2h00

Toulouse-Clermont-Fd

376

1

≈ 2

0,041

0,059

0,129

5h15

3h45

7h30

Lyon-Paris

456

6

≈ 32

0,038

0,062

0,064

5h30-7h00

4h15

2h10

Lyon-Bordeaux

555

3

≈ 8

0,036

0,065

0,092

7h00-9h00

5h10

6h20

Bordeaux-Nice

802

1

≈ 1

0,036

0,060

0,051

11h45

7h15

10h30

Moyenne

     

0,045

0,062

0,108

     

Source : France Stratégie, relevés de prix entre le 14 décembre 2015 et le 4 janvier 2016 pour des voyages compris entre le 20 décembre et le 11 janvier.

À cet égard, la concurrence intramodale sur le réseau ferré a déjà démontré qu’elle permettait d’envisager, sans préjudice pour la sécurité des circulations, de notables réductions des coûts de production, estimés à 30 % par le rapport (80) publié en 2011 par M. Francis Grignon, sénateur du Bas-Rhin, et aujourd’hui autour de 15 à 20 %, permettant d’améliorer sensiblement la compétitivité du rail par rapport à ses concurrents modaux.

Il est intéressant, en la matière, de faire référence à la situation en Allemagne, en se demandant pourquoi les AOT allemandes peuvent financer deux fois plus d’offre TER pour un budget donné. C’est l’objet d’une étude réalisée en 2015 par le cabinet Trans-missions pour le Cercle des Transports (81), dont est extrait le graphique suivant :

Source : Cercle des Transports

Par ailleurs, et malgré d’indéniables progrès dans la culture d’entreprise et dans le rapport commercial au client, la SNCF reste confrontée à de redoutables défis :

● des usagers de plus en plus exigeants sur la qualité de service, désormais protégés par des régimes de compensation et d’indemnisation coûteux, et qui se réfugient sur certaines lignes dans la fraude chronique ou la « grève » du titre de transport ;

● des modèles économiques de plus en plus dégradés et déficitaires en matière de fret ferroviaire, de TET et de TER, auxquels s’ajoutent désormais de fortes menaces sur le service totémique des TGV ;

● une équivoque croissante entre la SNCF et les régions, qui aspirent légitimement à des conventions TER plus équilibrées, plus transparentes en matière d’évaluation et de répercussion des coûts, et finalement plus autonomes en matière d’acquisition et de propriété des matériels.

Il est indiscutable qu’une ouverture maîtrisée à la concurrence sur le réseau serait de nature à constituer une épreuve de vérité particulièrement utile à la SNCF elle-même, en cela qu’elle permettrait un parangonnage de ses compétences et de ses missions, dont on peut penser qu’il serait stimulant dans sa quête de compétitivité et de productivité. Elle permettrait aussi de démystifier des dénigrements parfois excessifs en regard de contraintes incompressibles de l’exploitation ferroviaire (par exemple les retards dus à des exigences de sécurité ou à des travaux sur le réseau).

Enfin, si la SNCF a un intérêt évident, qu’elle a longtemps exorcisé, à se frotter à la concurrence d’autres grands opérateurs de services ferroviaires « voyageurs », c’est aussi et surtout l’intérêt du rail par rapport aux modes de transports alternatifs qui n’ont pas attendu l’interminable cheminement des directives ferroviaires européennes pour le soumettre à des concurrences redoutables, et prendre des positions difficilement réversibles.

Une récente étude de la direction générale Mobilité et transports (DG MOVE) de la Commission européenne s’alarme de cette situation en mettant clairement en évidence les handicaps, désormais très sensibles, des chemins de fer européens en matière de coûts de production comparés à ceux des autres modes (82).

La SNCF dispose de toutes les compétences et de tous les savoir-faire techniques pour relever ces défis et faire front à une concurrence au sein de laquelle elle devrait occuper une position dominante de leadership national et européen.

Mais il ne faut pas se cacher que l’obstacle le plus difficile à surmonter tient à la mauvaise qualité du dialogue social interne à l’entreprise, sur fond de compétition et de surenchères syndicales, de grèves récurrentes, et d’impréparation manifeste de son corps social aux nouveaux comportements de mobilité.

Sans sous-estimer les alertes et les objections, souvent fondées autant que négligées par les pouvoirs publics, exprimées ces dernières années par les organisations syndicales de la SNCF, on objectera que les « inquiétudes » qui entourent l’avenir du rail en général, et de la SNCF en particulier, surviennent dans un contexte où :

a) Notre système ferroviaire – et donc peu ou prou la SNCF – bénéficie bon an mal an, d’un soutien public (subventions) de l’État et des régions de l’ordre de 14 milliards d’euros (dont la surcompensation des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP), qui n’a pas subi de réduction significative au nom de l’ajustement budgétaire de ces dernières années ;

b) Contrairement à un préjugé largement répandu, la route, nonobstant l’échec de l’écotaxe poids lourds, a rapporté 6,6 milliards d’euros aux administrations publiques en 2015 (hors TICPE dans laquelle la route représente les 2/3 environ : 26,2 milliards d’euros), quand le chemin de fer ne leur a procuré que 350 millions d’euros environ (83).

En d’autres termes, vos Rapporteurs pensent qu’il est urgent d’impulser le changement du modèle ferroviaire et de la culture d’entreprise de la SNCF, afin d’inscrire dans une grande ambition d’avenir les compétences et le savoir-faire cheminot particulièrement précieux dont dispose encore notre pays. 

B. PARACHEVER LA RÉFORME EN VUE D’UNE EXPÉRIMENTATION DE LA CONCURRENCE

C’est précisément la raison pour laquelle la loi de réforme ferroviaire a opté pour un modèle verticalement intégré, susceptible de préserver la puissance et l’intégrité d’un grand groupe industriel et de services, dans un environnement de concurrence entre géants européens et mondiaux.

En un temps désormais très court, il appartient à la SNCF de se préparer à l’ouverture modale, dont on peut penser qu’après les élections régionales de 2015, elle sera anticipée sur un mode expérimental au moins par les nouvelles majorités politiques de certaines régions.

Eu égard aux enjeux pour le groupe SNCF, il apparaît hautement souhaitable que sa tutelle publique lui donne enfin les moyens d’affronter ces échéances sereinement et sans injonctions contradictoires. D’autant plus que le télescopage du mouvement social contre la « loi El Khomri » (84), d’une part, et l’ouverture des négociations de la convention collective de branche et de l’accord d’entreprise SNCF, d’autre part, au deuxième trimestre 2016, a finalement abouti à reconduire, voire à contraindre un peu plus (sur les horaires de nuit notamment) la rigidité des conditions de travail du RH077, en principe aboli.

La SNCF en sort notoirement handicapée, au plan de la compétitivité, à la fois vis-à-vis des nouveaux entrants ferroviaires, assignés à une convention collective de branche moins contraignante, mais aussi vis-à-vis de la route et de l’aérien.

Pour autant, il ne faut pas s’alarmer excessivement de cet écart de compétitivité sociale du fait :

● que la SNCF est désormais entrée dans le champ de la négociation sociale, en quittant celui de la rigidité réglementaire infiniment plus exposé aux blocages « politiques » ;

● que l’accord d’entreprise de la SNCF comporte une clause d’assouplissement négocié de l’accord, dès lors que l’âpreté de la concurrence le nécessiterait pour la survie de l’entreprise ;

● et que la loi du 4 août 2014 conserve pour le secteur ferroviaire la primauté de l’accord de branche, et prémunit la SNCF contre des concurrents qui adopteraient des accords d’entreprise socialement moins favorables, susceptibles de leur accorder un avantage de compétitivité supérieur encore à celui de l’accord de branche.

Par conséquent, la compétitivité « sociale » de la SNCF dépendra désormais de la qualité du dialogue social et du sens des responsabilités des organisations syndicales et des accords sociaux d’entreprise capables de s’adapter à une dégradation de sa position concurrentielle.

Il appartient aux pouvoirs publics de veiller à ce que les exigences de sécurité applicables à toutes les entreprises ferroviaires appelées à opérer sur le réseau ferré national, s’imposent pour tous les opérateurs à des conditions de concurrence qui ne sauraient se réduire à une « compétition sociale » à outrance. À cet égard, les dispositions de « reporting » (compte-rendu) des incidents auprès de l’EPSF, prévues par l’article 20 de la loi de réforme ferroviaire, sont essentielles au maintien du haut niveau de sécurité sur le réseau, sous réserve de son état et de sa maintenance. Et l’on ne peut que souscrire à la priorité absolue conférée à la sécurité des circulations par le rapport stratégique d’orientation produit en septembre 2016 par le Gouvernement.

Cependant, il apparaît que SNCF Mobilités, pour ce qui concerne l’exploitation des services ferroviaires, et SNCF Réseau, pour ce qui concerne la compétitivité intermodale, ne pourront faire l’économie de gains de productivité (sous condition d’exigences élevées de sécurité), qui renvoient à la nécessité impérieuse de priorités stratégiques et de choix politiques clairement définis et évaluables par l’État et le régulateur.

Pour autant, la question de la productivité interne n’est pas la seule à déterminer les conditions de concurrence modale et intermodale de la SNCF.

Une révision de la « LOTI », qui entre désormais clairement en contradiction avec les dispositions du quatrième paquet ferroviaire, s’imposera dès la prochaine législature :

1° Pour définir les conditions du renoncement au monopole de la SNCF, et par là même de l’ouverture à la concurrence modale en France : par ligne ? Par groupe de lignes ? Par open access (85) ? Par délégation de service public ?

2° Pour encadrer les conditions de transfert des personnels en cas de changement d’opérateur : à cet égard, il apparaît opportun d’envisager un transfert obligatoire, et non pas optionnel, afin de ne pas lester l’EPIC d’un personnel superflu. On pourra à cet effet se référer aux préconisations, dont l’actualité ne se dément pas, du rapport précité du sénateur Francis Grignon. À moins de quatre ans de l’échéance de l’ouverture à la concurrence, ce chantier sensible devra constituer une toute prochaine priorité. En particulier, il apparaît hautement souhaitable que ces dispositions soient négociées et arrêtées préalablement, et non postérieurement à toute expérimentation éventuelle. En effet, l’écart existant entre l’accord d’entreprise de la SNCF et la convention collective de branche constitue un problème potentiel d’acceptabilité par le corps social, qu’il convient de négocier avant toute ouverture à la concurrence.

3° Pour distinguer, le cas échéant, les modalités d’ouverture des lignes commerciales (TGV) de celles des lignes de service public (cahier des charges, compensations financières ; par lignes, par lots ? …). À cet égard, on ne peut que regretter que la France n’ait pas exigé de l’Europe une ouverture en open access des services TGV selon le principe du "droit des grands-pères", en vigueur dans le secteur aérien, au titre duquel seuls les sillons disponibles, nouveaux ou inutilisés, seraient ouverts aux nouveaux entrants selon la règle du "use it or lose it" (un sillon inutilisé est un sillon ouvert à la concurrence).

4° Parachever la régionalisation ferroviaire en donnant aux régions les moyens d’assumer pleinement leurs missions d’autorités organisatrices :

– en tenant à leur disposition une ingénierie compétente leur permettant de négocier d’égal à égal leurs appels d’offres ;

– en engageant une concertation spécifique sur le statut des gares TER ;

– en ouvrant la faculté de leur déléguer une partie du réseau, voire en créant un réseau ferroviaire régional ;

– en leur permettant d’acquérir et de gérer de façon autonome leurs matériels de transport, sur le modèle des ROSCO (86) par exemple ;

– en envisageant de leur transférer une recette dédiée à leurs compétences de transport et de mobilité renforcées par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe ».

De la sorte, les régions, qui disposent depuis la loi NOTRe de l’intégralité des missions de transports collectifs routiers, deviendront des autorités organisatrices de mobilité à part entière, particulièrement adaptées aux besoins des territoires.

Aux termes de l’article 10 de loi NOTRe et de l’article 6 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, cette compétence d’autorité organisatrice des transports de plein exercice doit s’inscrire dans un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, ainsi que dans un schéma régional de l’intermodalité, qui devraient contribuer à une décentralisation accrue des politiques publiques de mobilité au plus près des besoins.

II. L’IMPÉRATIF D’UNE PROGRAMMATION PRÉVISIONNELLE DES INVESTISSEMENTS FERROVIAIRES

Dans un contexte fondamentalement nouveau où les usages de la mobilité ont profondément changé et affichent une préférence pour des tarifs abordables, et un libre choix des consommateurs entre des moyens de déplacement nouveaux, alternatifs au train, la gouvernance essentiellement "politique" et centralisée de nos investissements ferroviaires devient un handicap difficilement surmontable pour notre système ferroviaire.

On a vu que si le train demeure un mode de transport indispensable aux déplacements du quotidien de millions de Français captifs de trajets domicile-travail, calibrés sur une heure de pointe de plus en plus exigeante de capacités disponibles, mais aussi en regard des objectifs climatiques et environnementaux, son modèle économique s’est considérablement dégradé.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES TGV PAR RAPPORT À LA FRÉQUENTATION

(en millions d’euros par milliards de voyageurs-km)

Pour autant, les grands choix d’investissement restent très largement déterminés par la gouvernance « colbertiste » traditionnelle du secteur public français, ainsi que les jeux d’influence politique et de lobbying économique (du BTP comme d’Alstom).

Il en découle une politique d’investissement surexposée à « l’aléa politique » aux dépens de la visibilité et de la stabilité qu’exige une industrie lourde aussi coûteuse en investissements que le chemin de fer !

La Cour des comptes a ainsi montré que la pression politique exercée par les territoires sur les gouvernements pour obtenir des liaisons TGV à multiples dessertes - à contre-emploi du concept de très grande vitesse pertinent pour des liaisons directes et sans arrêt de plus de 300 km entre des bassins de population de plus d’un million d’habitants – entrait pour partie dans la dégradation du modèle économique du TGV, surtout pour les nouvelles lignes qui sollicitent le financement des collectivités locales.

Extrait du rapport thématique de la Cour des comptes : « La grande vitesse ferroviaire, un modèle porté au-delà de sa pertinence », octobre 2014 (p. 18)

« Pour rester cohérents en termes de gain de temps autorisé par la grande vitesse, les arrêts intermédiaires devraient ainsi être aussi peu nombreux que possible sur les LGV, sauf exception justifiée par un large bassin de population. En comparaison, le Tokaïdo Shinkansen au Japon ne dessert que 17 gares tout en transportant 50 % de voyageurs de plus. »

Force est de constater que, tiraillée entre une volonté légitime de soutenir l’activité des travaux publics par la construction d’infrastructures d’avenir et la nécessité de rationaliser les investissements ferroviaires, la politique d’investissements poursuivie par les gouvernements successifs constitue le facteur majeur de déséquilibre économique et financier de notre système ferroviaire (cf. Quatrième partie du présent rapport).

Or, à l’inverse de la plupart des grands pays ferroviaires d’Europe, la France ne dispose pas d’un instrument de programmation prévisionnelle de ses investissements ferroviaires sur une durée permettant à l’entreprise d’adapter ses moyens à des objectifs stratégiques stables et pérennes.

Il serait donc particulièrement bienvenu que des améliorations sincères et véritables de la gouvernance publique accompagnent, en matière de choix d’investissements, les objectifs d’assainissement du modèle économique assignés au groupe public. En l’état actuel des choses, il s’agit d’une condition « externe » essentielle au succès de la réforme ferroviaire.

La loi du 4 août 2014 prévoit la conclusion de contrats d’objectifs (de performance) décennaux, mais ajustables tous les trois ans, avec les trois EPIC, par lesquels l’État décide et établit la programmation des investissements pour une durée intangible, permettant au groupe public ferroviaire de développer une stratégie stable et lisible à partir de ces objectifs (87).

Il importe évidemment que ces contrats d’objectifs ne se limitent pas à une batterie d’indicateurs de gestion désincarnés, mais rapportent ceux-ci à une trajectoire d’investissements précise, documentée et transparente.

Lors des auditions menées par vos Rapporteurs, il leur a été indiqué que les trois projets de contrat seront transmis au Parlement en décembre 2016. Dans l’attente de ces contrats, on ne peut que formuler le souhait qu’ils soient financièrement et fonctionnellement réalistes, avec pour objectif d’en revenir à l’essence du service public : investir prioritairement là où le maximum d’usagers est concerné, pour assurer un service fiable et au moindre coût ! Il s’agit donc de substituer des choix d’intérêt général à des choix trop exclusivement politiques, l’un n’excluant pas l’autre, pourvu qu’ils répondent à des exigences documentées et publiées d’optimum socio-économique.

À cet égard, les travaux les plus récents du Laboratoire Aménagement Économie des Transports de Lyon démontrent qu’il nous reste de fortes marges de progression en matière d’optimum collectif des choix d’investissement. Le professeur Alain Bonnafous, auditionné par vos Rapporteurs, a développé une méthodologie permettant de comparer différents programmes d’investissements nécessitant des financements publics dans le domaine des transports, sur la base d’un indicateur synthétique mesurant l’écart entre l’efficience d’un programme réalisé et la valeur qu’aurait eue une programmation optimale en termes socio-économiques (mesure de la perte de valeur). Ont ainsi été évalués un ensemble de 39 projets d’investissements ferroviaires de SNCF Réseau (ayant des dates de mise en service comprises entre 2010 et 2021), et les résultats mettent en évidence une perte de valeur considérable, pour la collectivité, d’une programmation sous-optimale des investissements (voir tableau ci-après).

INDICATEURS ÉCONOMIQUES DES 39 PROJETS FERROVIAIRES CONSIDÉRÉS

Légende : VAN : valeur actuelle nette d’un projet d’investissement ; COFP : coût d’opportunité des fonds publics ; TRE : taux de rentabilité externe ; Art. 4 : application du principe prudentiel prévu à l’article 4 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif à RFF

Source : communication du professeur Alain Bonnafous présentée en juillet 2016 à la World Conference on Transport Research.

À défaut de transparence sur les critères de choix des investissements, il peut être tentant pour l’État de conclure des contrats d’objectifs plus clientélistes que réalistes, à l’image de l’ancien Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), véritable corne d’abondance de promesses non financées et non finançables !

Le Schéma national des infrastructures de transport (SNIT)

Prévu par les articles 16 et 17 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le SNIT constitue une révision des décisions du comité interministériel de l’aménagement et du développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003.

L’avant-projet du schéma avait été présenté dans sa première version par le ministre de l’Écologie, M. Jean-Louis Borloo, et le secrétaire d’État aux Transports, M. Dominique Bussereau, le 12 juillet 2010, avec un budget de 170 milliards d’euros.

Après une consultation de l’Agence environnementale et du Comité national du développement durable et du Grenelle de l’environnement – dont les avis étaient assez cinglants – et un remaniement ministériel, la ministre de l’Écologie, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et son secrétaire d’État, M. Thierry Mariani, ont présenté une version consolidée le 26 janvier 2011, avec un budget de 245 milliards pour financer :

– 63 propositions de mesures destinées à mettre en œuvre le schéma au quotidien ;

– 28 projets de développement ferroviaires représentant un linéaire de l’ordre de 4 000 kilomètres de lignes nouvelles ;

– 11 projets de développement portuaires destinés à contribuer à la performance du transport maritime conformément à la loi de réforme portuaire de 2008 et également à développer, pour les pré- et post-acheminements, le report modal de la route vers la voie d’eau ou le rail ;

– 3 projets de voies d’eau à grand gabarit ;

– 28 projets routiers, dont 18 projets non déclarés d’utilité publique.

L’enveloppe de 245 milliards d’euros était répartie entre des dépenses de développement à hauteur de 140 milliards d’euros (57,2 %) et d’optimisation pour 105 milliards d’euros (42,8 %).

S’agissant des contributions, l’État devait intervenir à hauteur de 88 milliards d’euros (35,9 %), les collectivités locales pour 56 milliards d’euros (22,9 %), le reste étant pris en charge par les autres partenaires (gestionnaires publics d’infrastructures, concessionnaires, partenaires privés…).

On ne saurait trop insister sur l’importance stratégique primordiale d’une rationalisation des investissements dans le repositionnement de l’offre ferroviaire française, dans un contexte socio-économique en mutations profondes.

Le niveau d’endettement atteint, tout autant que la dépréciation récente de 12 milliards d’euros d’actifs ferroviaires essentiellement dictée par la dégradation du modèle économique du TGV, constituent des faits majeurs suffisamment convaincants de la nécessité d’une réorientation de notre politique d’investissement.

À cet égard, la nouvelle priorité de régénération et de maintenance du réseau historique, impulsée par le secrétaire d’État chargé des Transports, M. Alain Vidalies, va dans le bon sens, pourvu qu’elle dispose de la durée, des moyens et de la stabilité de ses ambitions. C’est le sens des annonces du Premier Ministre, à l’Assemblée Nationale, le 8 juin 2016 : « Concernant les infrastructures existantes, l’effort de renouvellement sera poursuivi et porté progressivement à 3 milliards d’euros par an. Dès 2017, ce seront 100 millions d’euros qui seront ajoutés ».

Elle suppose notamment une priorisation des choix en fonction d’évaluations socio-économiques sincères, transparentes et reconnues pour leur pertinence.

Les exigences de gains de productivité de la SNCF seront d’autant plus légitimes et admises que l’État assumera clairement ses responsabilités en matière d’orientations stratégiques essentielles de notre système ferroviaire.

Un récent rapport de la commission des finances du Sénat (88) propose un moratoire de 15 ans sur le financement de nouvelles lignes à grande vitesse, à l’instar des choix opérés par d’autres pays européens, pour stabiliser puis maîtriser l’endettement ferroviaire, et concentrer les financements sur les investissements de régénération, de maintenance et d’entretien de notre réseau ferroviaire.

Une telle décision permettrait, selon les sénateurs, de « dégager 1 à 2 milliards d’euros supplémentaires en faveur du renouvellement des lignes structurantes, afin de renforcer l’effort consenti par SNCF Réseau entre 3,5 et 4,5 milliards d’euros par ans pendant quinze ans ».

Vos Rapporteurs adhèrent sans nuance à cette proposition des sénateurs, pourvu qu’elle s’inscrive en toute transparence dans un programme pluriannuel d’investissements en cohérence avec le contrat d’objectifs à conclure entre l’État et SNCF Réseau, et qu’elle repose sur des indicateurs de « rendements socio-économiques ». Mais au-delà d’un tel moratoire, il apparaît que les investissements de développement devront porter prioritairement sur les lignes d’accessibilité aux centres d’agglomérations qui supportent, en Île-de-France, mais aussi désormais autour des grandes agglomérations de province, des trafics concurrents en augmentation, qu’elles n’auront plus à brève échéance la capacité d’absorber.

C’est donc vers la régénération des étoiles ferroviaires et des contournements d’agglomérations, par des investissements de capacités permis par l’évolution des technologies ferroviaires les plus avancées, que semble devoir porter l’effort principal des prochaines années, sans préjudice du maintien et de la modernisation de grandes lignes interurbaines structurantes, étroitement connectées aux autres modes.

À ce titre, les futurs schémas régionaux d’intermodalité doivent participer de façon décisive à la modernisation de notre offre ferroviaire.

Il serait donc hautement souhaitable que l’État s’assigne la discipline de l’élaboration, en cohérence avec les contrats d’objectifs conclus avec SNCF Réseau, d’un programme pluriannuel d’investissements ferroviaires, de type « Masterplan » allemand, autrichien ou suisse, formellement adopté et révisable par le Parlement, et appuyé sur des indicateurs socio-économiques par projet.

III. LE BESOIN INCOMPRESSIBLE D’UN NIVEAU SOUTENU DE FINANCEMENT PUBLIC DU RÉSEAU

A. UNE SITUATION CONFUSE…

Le modèle ferroviaire régulé introduit depuis une vingtaine d’années par l’Union européenne (en remplacement du modèle pyramidal, centralisé et intégré) est basé sur le principe audacieux selon lequel le ferroviaire doit autant que possible financer le ferroviaire.

Pour ce faire, dans un environnement concurrentiel, les entreprises ferroviaires doivent verser un péage kilométrique aux gestionnaires d’infrastructures, qui y trouvent la principale recette de financement de leurs investissements d’entretien, de maintenance et d’amortissement de leurs dettes de développement du réseau, sans préjudice d’éventuelles aides d’État.

Les recettes de péages de SNCF Réseau se situaient, ces cinq dernières années, entre 4,2 et 5,6 milliards d’euros pour un budget d’investissement annuel total de près de 4 milliards d’euros, qui culmine à 5,1 milliards en 2015 (6,2 milliards si l’on inclut la LGV Tours Bordeaux), dont plus de 50 % sur la régénération.

Par ricochet sur l’usager des chemins de fer, ces péages déterminent les tarifs du chemin de fer, aux dispositifs (non négligeables) de péréquation et de subventionnement près !

On observera que de l’absence de concurrence sur le réseau français en matière de transports de voyageurs, découle un modèle économique en circuit quasi-fermé au sein du groupe SNCF, entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités, son seul client (à l’exception près du fret ferroviaire).

Ce porte-à-faux du système ferroviaire français, progressivement configuré pour la concurrence mais sans concurrence effective, se traduit parfois par des aberrations cocasses, comme la taxe acquittée par l’ensemble des circulations ferroviaires commerciales sur le réseau français (taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires - TREF) pour financer les missions de service public des TET (par ailleurs déficitaires de 300 millions d’euros) et les tarifs sociaux et conventionnés : comme l’ensemble des circulations commerciales sur le réseau français se résume à celles de la SNCF, c’est la SNCF (ses TGV très précisément) qui acquitte une taxe pour les TET de la SNCF !

Le principe retenu par la Commission européenne en matière de fixation des tarifs de péage est celui du coût complet, éventuellement amendable par des tarifications de type Ramsey-Boiteux, c’est-à-dire que les péages doivent couvrir autant que faire se peut, et pas au-delà, le coût complet d’amortissement de l’infrastructure afin d’assurer le remboursement de l’emprunt qui l’a financée.

Ce principe n’est pas contestable dans un environnement concurrentiel car il permet, à l’inverse du coût marginal (coût d’exploitation) à la fois d’amortir l’infrastructure, mais également d’y faire contribuer les nouveaux entrants à part entière.

Mais dans un environnement de concurrences intermodales low cost, de plus en plus agressives, ce principe de péage au coût complet se heurte à des limites opérationnelles qui mériteraient d’être débattues à Bruxelles :

● D’une part, les péages ferroviaires répercutent mécaniquement la hausse considérable des coûts d’investissement en infrastructures observée ces dernières années aux dépens du mode ferroviaire par rapport à ses concurrents modaux. Face à des usagers particulièrement sensibles, si ce n’est réfractaires, à l’augmentation des tarifs, la SNCF est prise dans un effet de ciseau difficilement surmontable.

Les péripéties de la fixation contractuelle sur le long terme des péages de concessionnaires privés d’infrastructure, sur les LGV Perpignan-Figueras ou encore Tours-Bordeaux opérée par LISEA (une filiale de Vinci), en illustrent les contradictions kafkaïennes ! La variable d’ajustement de ces coûts est la fréquence des dessertes, c’est-à-dire la qualité du service fourni.

● D’autre part, un calcul de péage ne peut s’affranchir d’une évaluation précise des coûts, qui semble hors de portée de la comptabilité analytique actuelle de SNCF Réseau, ou du moins peu convaincante.

C’est précisément l’origine du différend qui a opposé SNCF Réseau au régulateur, l’ARAFER, sur la détermination précise du calcul des péages, le gestionnaire d’infrastructure ayant été sommé de revoir sa copie et de publier une nouvelle grille tarifaire (89).

B. … QUI A DEUX CONSÉQUENCES PRÉOCCUPANTES

D’une part, eu égard à la croissance très sensible des péages, qui ne sont plus une variable politique mais une donnée économique, l’État et les régions se voient contraints d’intervenir de plus en plus substantiellement en subventions publiques (aides d’État) pour alléger le coût des répercussions des péages sur les tarifs – qui sont, eux, une variable politique, et rendre ces derniers supportables ou simplement compétitifs par rapport aux autres modes de transport.

Évolution des subventions de l’État aux péages des différents trafics ferroviaires

Subventions pour l’utilisation de l’infrastructure

en millions d’euros

AE/CP 2014

AE/CP 2015

AE/CP 2016

AE/CP 2017

Évolution 2016/2017

Par les trains régionaux de voyageurs

1 711,1

1 661, 8

1 673,5

1 675,7

+0,1 %

Par les trains classiques de voyageurs

517, 5

525,2

528,9

529,4

+0,1 %

Par les trains de fret

323,6

290

274,6

251,9

-8,2 %

Total des transferts

2 552

2 477

2 477

2 457

-0,8 %

(Source : projet de loi de finances pour 2017 – programme 203)

On peut noter une très légère augmentation du concours de l’État en faveur des péages des TER pour 2017 (+ 0,1 %) inférieure à celle de 2016 (+ 0,7 %) et qui ne permet pas de retrouver le niveau de 2014. Les subventions aux péages des trains nationaux de voyageurs poursuivent leur tendance à la hausse, avec toutefois une légère décélération (+ 0,1 % contre + 0,7% en 2016, + 1,5 % en 2015 et + 9,7 % en 2014). En revanche, la prise en charge des péages « fret » par l’État enregistre à nouveau une forte baisse en 2016. L’enveloppe « péages fret » accuse ainsi une diminution de 100 millions d’euros en trois ans.

En d’autres termes, paradoxalement, cette règle européenne débouche sur un besoin accru de dépense publique au bénéfice des entreprises ferroviaires pour l’accomplissement de leurs objectifs de service public et de transfert modal écologique !

Elle suppose en particulier que les pouvoirs publics subventionnent les services ferroviaires qui entrent dans leurs priorités de service public.

C’est le cas pour le fret ferroviaire et le transport combiné, pourtant réputés commerciaux, qui, malgré un soutien financier public important, peinent à supporter la concurrence du transport routier de marchandises !

Évolution des transports intérieurs et part modale routière

C’est aussi le cas pour les TER, sauf pour ce qui concerne les RER de l’Île-de-France, eu égard à la masse d’usagers transportés quotidiennement dans cette région. L’État accorde ainsi une subvention de 1,7 milliard d’euros aux péages acquittables par les TER, prenant en charge une part substantielle du coût complet.

Quant à la LGV Tours-Bordeaux, comme rappelé précédemment, son financement n’a trouvé d’équilibre qu’au prix d’un endettement furtivement transféré à SNCF Réseau, au-delà de sa contribution financière théoriquement plafonnée par l’article 4 du décret fondateur de RFF. Le coût d’exploitation de la section Tours-Bordeaux sera accessoirement allégé par une baisse de « complaisance » des tarifs de péage acquittés à SNCF Réseau sur la section de LGV existante Tours-Bordeaux : bricolage à somme nulle, mais à endettement croissant pour SNCF Réseau.

2° En second lieu, et c’est l’effet pervers le plus contre-productif de ce système de péage, la SNCF tend naturellement à réduire le nombre de ses trains circulant sur le réseau, soit en en dégradant le cadencement, et donc la qualité de service, soit en multipliant les duplex, toujours aux dépens du cadencement.

Il en résulte une incitation rationnelle à la sous-utilisation du réseau, d’autant plus préjudiciable que l’offre ferroviaire doit précisément se distinguer de ses concurrents par son cadencement et sa fiabilité horaire.

Alors que le transport collectif d’accès aux centres d’agglomérations devient son principal atout compétitif et une nécessité politique en matière de mobilités péri-urbaines, la SNCF est incitée à la parcimonie des cadencements, et la puissance publique, à des subventionnements accrus.

C. UN BESOIN INCOMPRESSIBLE DE FINANCEMENTS PUBLICS

En matière de transport public, le financement se réduit à un arbitrage entre la part exigée de l’usager (le tarif) et la part consentie par le contribuable (la subvention publique), le remboursement de l’emprunt éventuel ne changeant rien aux termes de cet arbitrage binaire. Il peut s’arbitrer entre les contributions de l’usager futur et du contribuable futur.

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(Source : Ministère des Transports)

COÛT COMPLET DES PRESTATIONS MINIMALES (Y COMPRIS INSTALLATIONS DE TRACTION ÉLECTRIQUE) ET RECETTES ASSOCIÉES (Y COMPRIS RCE) CALCULÉS POUR CHAQUE UNITÉ DE TRAFIC DES ACTIVITÉS

Année 2017

Périmètre des prestations minimales

Coûts unitaires moyens

(€/train.km)

dont péages unitaires moyens
(€/train.km)
(uniquement prestations minimales)

Taux de couverture des coûts par les péages

Transilien

13,6

11,7

(9,2 sans RA)

86 %

(68 % sans RA)

TER

15

11,8

(3,8 sans RA)

79 %

(25 % sans RA)

TET & TGL

23

17,5

(5,1 sans RA)

75 %

(22 % sans RA)

TAGV

25

14,6

56 %

Fret

21,4

2,2
à la charge des entreprises ferroviaires

10 %

RCE : redevance complémentaire d’électricité

RA : redevance d’accès

TAGV : train apte à la grande vitesse.

Source : SNCF Réseau

Si ces considérations constituent un argument supplémentaire pour optimiser et rationnaliser les investissements ferroviaires, elles posent la question des choix de financement du système ferroviaire dans le cadre d’une politique intermodale volontariste.

Dès lors que le principe du coût complet risque de pénaliser les chemins de fer face à la concurrence d’autres modes dont l’accès à l’infrastructure est « gratuite » (mode routier) ou peu coûteuse (mode aérien), la relance du mode ferroviaire, quel que soit l’objectif d’intérêt public qu’on lui assigne (desserte de territoires enclavés, aménagement du territoire, réduction des émissions polluantes du transport), suppose la conjonction de plusieurs conditions :

– l’amélioration constante de la productivité, que ce soit en matière de travaux sur le réseau ou d’exploitation ferroviaire, dans le cadre incompressible d’un niveau très élevé d’exigences de sécurité. Des gains importants et constants sont envisageables, mais ils ne seront pas décisifs à eux seuls ;

– l’optimisation des investissements de développement comme de régénération, afin d’investir là où c’est le plus utile à l’intérêt du plus grand nombre d’usagers, de territoires, et de bassins d’activités. Elle passe à la fois par une politique d’investissement rationnelle établie sur des critères socio-économiques, évaluables et stables, mais aussi par la recherche du moindre coût à qualité égale. À cet égard, l’interrogation de l’École polytechnique fédérale de Lausanne sur l’opportunité d’abandonner certaines lignes ne saurait être durablement éludée, pas plus que le recours à des sous-traitants privés pour certains types de travaux ferroviaires ;

– l’ouverture à la concurrence, qui doit permettre, d’une part, de stimuler la compétitivité en matière de types et qualité de service proposés, et, d’autre part, de « décharger » la seule SNCF du financement du réseau grâce à l’acquittement de péages par les nouveaux entrants ;

– mais aussi, et peut-être surtout, il apparaît indispensable à la définition d’une politique ferroviaire digne de ce nom, dans le cadre d’une politique générale des mobilités, de trouver de nouvelles ressources dédiées afin d’affecter des subventions d’État aux services ferroviaires de service public ou d’aménagement du territoire jugés prioritaires : fret, TER, TET, etc.

À cet égard, le modèle économique de l’exploitation ferroviaire laisse le choix entre :

● un subventionnement indifférencié des travaux d’infrastructures, dont le niveau détermine celui des péages résiduels, auxquels s’ajustent les fréquences de circulations (cadencement plus ou moins rapide) ;

● et un subventionnement sélectif des services, c’est-à-dire des péages par type de circulation, qui permet à la puissance publique de privilégier tel ou tel type de train en fonction d’objectifs de politiques publiques. Dans ce cas, le principe de tarification est celui du coût complet, réduit par des subventions modulées selon les priorités de service.

Évidemment, toutes les combinaisons de ces deux options sont envisageables, mais l’une comme l’autre nécessitent des concours publics importants et croissants, dès lors que les coûts d’investissements augmentent plus rapidement que la tolérance tarifaire.

Il semble que la seconde option (coût complet associé à un subventionnement des services) soit la plus adéquate pour poursuivre des objectifs de politique ferroviaire ciblant des publics d’usagers, et agir très directement sur la concurrence intermodale.

Dans tous les cas, la condition primordiale pour réunir ces conditions de moyens tiendra, à l’avenir, à la nécessité de mieux maîtriser les coûts de production, qu’il s’agisse de travaux ou de l’exploitation ferroviaire.

Il est sans doute nécessaire de s’interroger sur l’affectation des plus de dix milliards de subventions publiques (nationales et régionales) dont bénéficie notre système ferroviaire chaque année, nonobstant les quatre milliards versés par l’État à la caisse de retraite des cheminots.

En effet, on observe que, malgré l’importance considérable de ces transferts, qui épousent des méandres administratifs inextricables, mais qui n’ont pas été affectés par les restrictions budgétaires de ces dernières années, le financement public du système ferroviaire ne donne pas de résultats éclatants. Les trois segments de trafic (« fret ferroviaire », « TET » et « TER ») restent en déficits chroniques, et le modèle du TGV, qui participait très significativement à leur financement, tend à s’essouffler inexorablement jusqu’à inquiéter pour son avenir.

Source : SNCF Réseau

Il y a donc nécessité d’associer à des efforts de productivité, une recette pérenne, si possible évolutive, pour assurer l’incontournable subventionnement public du rail.

On regrettera que la tentative avortée de l’écotaxe ait connu l’épilogue que l’on sait. Elle peut être en partie compensée par un prélèvement, à la discrétion du Gouvernement, sur la contribution climat–énergie (CCE) introduite dans la loi de finances pour 2014, dont l’augmentation se traduit par le relèvement progressif de points de TICPE au gré des budgets de l’État successifs jusqu’en 2020.

Mais la hausse de la taxe sur les carburants (ex TIPP) a déjà démontré qu’elle ne constituait pas une « assurance tous risques » illimitée pour le financement de notre politique de mobilité (90).

En outre, le passé nous a édifiés sur l’instabilité politique de la TIPP au gré de la fluctuation du cours du pétrole (TIPP flottante).

Vos Rapporteurs persistent à penser que c’est dans le transfert total ou partiel aux régions d’une recette nouvelle, de type Eurovignette à large base d’imposition (tous les véhicules consommateurs d’énergies fossiles), dédiée au financement de leur nouvelle compétence en matière de mobilité, que réside une part de la solution. La décision de M. Manuel Valls d’affecter une part de la TVA aux régions va dans le bon sens. Vos Rapporteurs considèrent que la piste d’une écotaxe poids lourds régionalisée, que plusieurs régions demandent, doit être sérieusement envisagée.

En tous les cas, il serait malencontreux de renoncer à toute réflexion de cet ordre au motif d’un refoulement politique de l’échec de l’écotaxe poids lourds.

D. SÉCURISER LES RESSOURCES DE L’AGENCE DE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT DE FRANCE (A.F.I.T.F)

Dès lors que la nécessité d’un soutien financier public conséquent s’avère indispensable au système ferroviaire, pour faire face à des concurrences modales qu’il ne peut soutenir, en l’absence d’un rééquilibrage massif des prix relatifs (taxation des autres modes et transfert de la ressource sur le système ferroviaire), le rôle comme le niveau de la dotation financière de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) apparaissent déterminants pour ce qui concerne le financement de l’infrastructure, sans préjudice des concours publics nécessaires à l’exploitation du système ferroviaire, en « subventionnant » les péages en fonction des priorités de services ferroviaires (TER, TET, fret…)

Les critiques récurrentes adressées à l’AFITF par la Cour des Comptes (91), qui la considère comme un « démembrement de l’État » sans objet (puisque l’AFITF ne peut décider des infrastructures que l’État entend financer) mais qui contrevient à la sacro-sainte règle d’universalité budgétaire, trouvent leurs limites dans la nécessité de sécuriser sur le long terme des recettes dédiées au financement des infrastructures (réseaux de transport public collectif, voies d’eau, routes, lignes ferroviaires…).

Certes, à raison, la Cour des comptes relève que l’AFITF n’a pas garanti l’objectif premier : « un pilotage pluriannuel des investissements de transport dans le cadre d’une trajectoire financière maîtrisée ainsi qu’une orientation des financements de l’État vers les projets les plus créateurs de valeur pour la société ». Elle dénonce aussi « une accumulation incontrôlée des besoins de paiement dont le financement n’est pas assuré à moyen terme », mais ce faisant, elle souligne les carences de la politique d’investissement et le défaut d’État stratège constant en matière de politique ferroviaire.

Le cantonnement de ces recettes dans une agence, fût-elle totalement contrôlée par l’État, et précisément pour cette raison (ministère des transports et ministère des Finances), n’en constitue pas moins une « protection » bienvenue de crédits publics affectés aux infrastructures de transport.

Il apparaît donc hautement nécessaire que l’État confirme ce mode original de gestion de financements dédiés à des investissements qui nécessitent, plus que d’autres, une sécurité et une stabilité de la ressource.

Le tableau suivant retrace l’évolution des recettes de l’AFITF de 2005 à 2015 :

Les recettes de l’AFITF sont constituées par différentes taxes affectées. Depuis 2015, elle ne reçoit plus de subvention d’équilibre de la part de l’État. Les taxes affectées à l’AFITF proviennent exclusivement du secteur routier :

– la redevance domaniale versée par les sociétés concessionnaires d’autoroutes (315 millions d’euros prévus en 2016) ;

– la taxe d’aménagement du territoire (TAT) prélevée par les concessionnaires d’autoroute (566 millions d’euros prévus en 2016) ;

– une partie du produit des amendes des radars automatiques du réseau routier national (230 millions d’euros prévus en 2016) ;

– une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE - 715 millions d’euros prévus en 2016), en remplacement de l’écotaxe poids lourds.

Suite au protocole d’accord conclu le 9 avril 2015 par le Gouvernement avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), l’AFITF perçoit également depuis cette date une contribution volontaire exceptionnelle des SCA pour un montant total de 1,2 milliard d’euros courants sur la durée des concessions autoroutières, réparti en fonction du trafic de chaque concession. Ainsi, 100 millions d’euros seront versés chaque année à l’AFITF de 2015 à 2017, puis le reliquat sera versé progressivement jusqu’en 2030.

Il est cependant à noter que le niveau atteint par ces crédits, notoirement accru ces dernières années jusqu’à représenter 2,4 milliards d’euros en 2015 après la hausse de quatre points de TIPCE (qui a rapporté 1,1 milliard d’euros à l’Agence en 2015 et 715 millions en 2016), n’est pas suffisant à effacer l’ardoise laissée par l’abandon de l’écotaxe (plus de 800 millions d’euros) et par les programmes envisagés, que ce soit en matière de régénération du réseau ferroviaire ou de nouveaux grands projets (comme le Lyon-Turin ou le Canal Seine-Nord par exemple).

Après un effort considérable de gestion de l’AFITF, qui a engagé au cours de ces trois dernières années la totalité de son fonds de roulement (92), une somme d’environ 11,85 milliards d’euros, concernant à 63 % le mode de transport ferroviaire, restait ainsi à mandater fin 2015, soit un montant correspondant à plus de six exercices au regard du budget actuel de l’AFITF.

Source : AFITF

À cela va s’ajouter, à compter de 2017, le paiement annuel des traites du contrat de partenariat du TGV Bretagne-Pays-de-Loire. L’AFITF prendra en effet en charge le « loyer » immobilier et les frais financiers dus par SNCF Réseau au contractant pendant la durée du contrat, correspondant à un étalement de la dépense de 2,15 milliards d’euros de 2017 à 2036.

FINANCEMENT DES LGV PAR L’AFITF

 

Date de la convention

principale AFITF

Engagement total

de l’AFITF sur l’opération

(M€)

Total payé

au 31/12/2015

Mode de réalisation par le bénéficiaire des concours de l’AFITF

LGV Est, 1re phase, y compris opérations d’accompagnement

(ligne mise en service)

31 mars 2005

1 663

1 605

Maîtrise d’ouvrage publique

Rhin-Rhône Est, branche Est

(ligne mise en service)

3 juillet 2006

858

856

Maîtrise d’ouvrage publique

LGV Perpignan-Figueras et installations ferroviaires terminales de Perpignan

7 mars 2005

412

408

Contrat de concession

LGV Est, 2e phase, y compris opérations d’accompagnement

1er sept 2009

785

486

Maîtrise d’ouvrage publique

Bretagne-Pays de Loire

13 juillet 2011

2 185

40

Contrat de partenariat

Sud Europe Atlantique

13 juillet 2011

1 706

928

Contrat de concession

Contournement Nîmes-Montpellier

25 avril 2012

2 414

46

Contrat de partenariat

Total en M€ courants

 

10 023

4 369

 

Au total, il apparaît un manque à financer de l’ordre de 800 millions à un milliard d’euros par an pour porter son budget annuel aux alentours des 3 milliards d’euros jugés nécessaires pour répondre à ses obligations.

Vos Rapporteurs notent par ailleurs que l’AFITF ne bénéficiera pas des dispositions prévues par l’article 21 du projet de loi de finances pour 2017 qui propose de relever, à hauteur de 10 millions d’euros, le plafond de recettes de la première section du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », qui abonde pourtant son budget annuel (230 millions d’euros en 2015 et 260 millions en 2016).

En l’état actuel des choses, dans un contexte de baisse des prix du pétrole, un nouveau relèvement de deux points de TICPE à destination de l’AFITF permettrait de parer aux besoins de financement d’ores et déjà connus et programmés, sans préjudice de la mise à l’étude d’une recette pérenne de type Eurovignette régionalisée.

LE « TRIANGLE FERROVIAIRE 2016 »

(montants en millions d’euros hors taxes – source : DGITM)

IV. FAIRE ÉVOLUER LE STATUT DES GARES

A. UNE GOUVERNANCE CONFUSE ET PRÉJUDICIABLE

De rapports d’experts en missions parlementaires jusqu’à la dernière publication de l’ARAFER sur le sujet (93), les gares ferroviaires sont un inépuisable objet d’études, d’analyses et de préconisations de tous ordres, tout autant que le principal « angle mort » de la réforme ferroviaire de 2014.

La question du positionnement des gares au sein de notre système ferroviaire se pose de façon récurrente depuis la loi de 1997.

Le sujet n’a pourtant pas manqué de s’inviter dans les débats parlementaires de la loi de réforme ferroviaire de 2014, dans la perspective, depuis lors connue, des dates butoirs d’ouverture à la concurrence des trains commerciaux (2020) et des trains conventionnés (2023) fixées par le quatrième paquet ferroviaire.

À l’époque de l’examen du projet de loi de réforme ferroviaire, malgré la tentation légitime du ministre délégué aux Transports, M. Frédéric Cuvillier, de transférer les gares à SNCF Réseau, les parlementaires, conscients de la complexité du sujet et de son impréparation, ont préféré fixer dans la loi (article 29) une clause de rendez-vous au Gouvernement, chargé de leur remettre d’ici à l’été 2016 un rapport d’intentions à concrétiser lors de la prochaine mandature.

Au moment où nous écrivons ces lignes, la publication du rapport gouvernemental, commandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et à la Direction du Trésor, est imminente.

Si un consensus politique, à défaut d’être partagé par le corps social de la SNCF, existe sur la nécessité de découpler le gestionnaire des gares (Gares & Connexions) de SNCF Mobilités, pour d’évidentes objections de conflits d’intérêts et donc de vulnérabilité juridique européenne, le sujet est plus ardu qu’il n’y paraît pour deux raisons essentielles :

D’une part, les 3 000 gares et haltes françaises constituent un ensemble très hétérogène, que ce soit en matière de fonctionnalités techniques, de besoins de financement, de niveau de trafics, de services essentiels offerts, et donc d’enjeux pour les circulations comme pour les finances publiques.

Une gare n’est rien moins qu’équivalente à une autre gare, quand il s’agit de la gare Saint-Lazare à Paris ou de celle de Neufchâteau dans les Vosges. Les années récentes, avec l’émergence de politiques intermodales (vis-à-vis desquelles la SNCF a longtemps opposé une résistance farouche), et de valorisation commerciale des grandes gares, ont plutôt creusé le fossé entre les différentes catégories de gares, qu’elles ne l’ont réduit.

À cette première difficulté d’envisager une loi « prêt-à-porter » pour des infrastructures aussi différentes, s’ajoute celle d’un patrimoine partagé entre plusieurs propriétaires, essentiellement SNCF Mobilités qui dispose des emprises et de l’immobilier, et SNCF Réseau qui est propriétaire des quais, mais continue à en déléguer très largement la gestion aux différentes entités de SNCF Mobilités.

Les enjeux patrimoniaux et sociaux d’un repositionnement des gares ne sont donc pas simples, et n’ont pas incité les parlementaires à improviser ; c’est la raison pour laquelle ils ont décidé d’interroger les intentions du Gouvernement en lui fixant la clause de rendez-vous précédemment mentionnée.

Enfin, la grande diversité des gares, dont la typologie a été éclairée par le rapport de référence de Mme Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin (94), se traduit par des modèles économiques très différents, pour ne pas dire divergents.

Un petit nombre de grandes gares (catégorie A) présente des enjeux d’intermodalité et surtout de valorisation commerciale et urbanistique, potentiellement générateurs de recettes nettes, quand l’immense majorité des autres gares (catégories B et C) s’apparentent à de simples infrastructures d’accès, répondent à des enjeux socio-économiques et d’aménagement du territoire, mais sont incapables de s’autofinancer significativement.

Toutes, pour autant, revêtent, dans la proche perspective de l’ouverture à la concurrence, la caractéristique et le statut juridique européen d’« infrastructures essentielles » à la disposition équitable et non discriminatoire de tout nouvel entrant ferroviaire sur le réseau.

La confusion et les manœuvres d’empêchement d’accès aux cours de marchandises et aux infrastructures de services fret (95), qui ont été sporadiquement opposées en France à l’ouverture des trafics de fret à la concurrence (trafic international en mars 2003, trafic national en mars 2006), ont suffisamment stigmatisé notre pays à Bruxelles et dans le monde ferroviaire européen, pour qu’il ne soit pas souhaitable de les reproduire à l’occasion de l’ouverture prochaine du trafic « national passagers ».

La France est donc au pied du mur, et ne pourra plus éluder longtemps la question des gares. L’histoire calamiteuse de l’ouverture improvisée du fret plaide pour que l’on s’y prépare incessamment et en bon ordre.

Afin d’en appréhender tous les enjeux (financiers, service public, aménagement du territoire), il convient d’avoir à l’esprit le « paysage » actuel des gares.

L’économie des 3 000 gares de France distingue les activités régulées, par l’ARAFER depuis la réforme ferroviaire de 2014, c’est-à-dire les infrastructures nécessaires aux circulations ferroviaires (quais, services essentiels) de celles non régulées ayant trait aux activités commerciales (espaces commerciaux, boutiques, parkings, souterrains, passerelles d’accès...).

Les premières sont censées être couvertes par des « redevances en gares », établies annuellement pour 170 « périmètres de gestion » identifiés (128 gares de catégorie A, 21 ensembles de gares régionales de catégorie B, et 21 ensembles de gares locales de catégorie C). Chacune de ces redevances en gares, étroitement contrôlées par l’ARAFER, comporte une redevance proprement dite, calculée en fonction de charges basées sur des références historiques, de charges prévisionnelles incompressibles (entretien, exploitation, amortissement et rémunération des capitaux engagés), et de charges communes « proratisées » entre activités régulées et non régulées. Ces recettes sont gérées et encaissées par Gares & Connexions, y compris pour ce qui concerne sa gestion déléguée des prérogatives et des emprises de SNCF Réseau.

À ces redevances, il convient d’ajouter une redevance de quai, assimilable à un péage, communément appelée « toucher de quai » et acquittée par les autorités organisatrices de transport à SNCF Réseau, via la gestion déléguée à Gares & Connexions. Ainsi, les régions acquittent des redevances de quai à Gares & Connexions pour leurs trafics TER, SNCF Mobilités pour ses trains commerciaux (TGV) et l’État pour les trains d’équilibre du territoire (TET).

Quant aux activités non régulées, leurs prix sont en principe librement déterminés par Gares & Connexions, et doivent faire l’objet d’une rétrocession de 50 % de leurs résultats positifs aux activités régulées sous la forme de déduction de charges.

C’est le document de référence des gares (DRG), élaboré par Gares & Connexions, qui estime les différentes catégories de charges à recouvrer et leurs clefs de répartition, au sein des périmètres de gestion, entre secteur régulé et non régulé.

Plusieurs éléments n’ont pas manqué d’alimenter les critiques et les procès en opacité :

1° La complexité de cette architecture tarifaire, appliquée à des activités et des types de gares très divers, pour partie en délégation de SNCF Réseau pour ce qui concerne directement les circulations ferroviaires et l’accès aux infrastructures ;

2° L’enchevêtrement de sous-traitances difficilement pénétrables, notamment via des filiales du vaste groupe SNCF. Par exemple :

– la gestion déléguée à EFFIA, filiale de Keolis, des parkings et services afférents, dans des conditions de dévolution des marchés difficilement contrôlables ;

– les relations financières internes opaques entre Gares & Connexions et les autres directions de SNCF Mobilités.

C’est en particulier au niveau de l’estimation des différentes catégories de charges qui fondent le calcul annuel des redevances en gares que se sont focalisées les incompréhensions.

Dans l’exercice de ses nouvelles prérogatives, l’ARAFER n’a pas manqué d’interpeller Gares & Connexions sur des points contestés, comme le niveau et l’affectation des charges communes qui déterminent la péréquation entre activités régulées et non régulées, mais également les redevances qu’acquittent les AOT autres que SNCF Mobilités (96). Le Conseil d’État a validé, le 3 octobre dernier, l’avis défavorable rendu par l’ARAFER sur le projet de redevances des prestations dans les gares pour 2017, en rejetant la requête de Gares & Connexions.

Par ailleurs, la large délégation de gestion consentie par SNCF Réseau à Gares & Connexions ne lui permet pas une connaissance fine des coûts d’exploitation de ses propres infrastructures.

Afin d’apporter des réponses à ces critiques, Gares & Connexions s’applique à refondre son système de tarification pour le rendre plus transparent et mieux contrôlable.

Indépendamment de toute perspective d’ouverture à la concurrence, cet imbroglio tarifaire, patrimonial et organisationnel plaide à lui seul pour une réforme de la gestion de nos gares ferroviaires.

En regard de l’ouverture prochaine à la concurrence, il apparaît difficilement défendable que des personnels de SNCF Mobilités restent en charge de la gestion courante des circulations en gare et de l’accès aux infrastructures, y compris de SNCF Réseau.

Cet état des choses est, en tout cas, contraire aux principes d’indépendance, d’absence de conflits d’intérêts, et de garanties d’équité et de non-discrimination des nouveaux entrants dans l’accès aux services en gare.

Indéniablement, le « sens de l’Histoire » est de mettre un terme à cette gouvernance excessivement confuse, peu conforme à l’esprit des directives européennes et à celui de la loi de réforme ferroviaire, et préjudiciable à tous les acteurs de notre système ferroviaire.

Pour autant, une réforme du « statut » des gares au sein de notre système ferroviaire doit absolument concilier plusieurs exigences :

Plutôt que de retoucher le système par un empilement de mesures bureaucratiques partielles ou circonstancielles « d’amélioration » de la gestion actuelle, il semble préférable à vos Rapporteurs d’envisager une réforme organique d’ensemble, simple et lisible, visant à clarifier les responsabilités et à améliorer la transparence et le contrôle du système.

Ιl faut, d’autre part, préserver une gestion dynamique des gares, susceptible d’en valoriser les dimensions multimodales, commerciales et urbanistiques, telle qu’engagée par SNCF Mobilités et Gares & Connexions, compatible avec leur dimension essentielle de service public et d’aménagement du territoire, au service des trains conventionnés notamment.

Sans prétendre épuiser le débat et dans l’attente des intentions du Gouvernement en la matière, le présent rapport s’en tiendra à préconiser quelques hypothèses de travail :

B. LES AXES D’UNE RÉFORME

1. Au plan organique : transférer Gares & Connexions à SNCF Réseau

Le rattachement actuel de Gares & Connexions à SNCF Mobilités, constitutif d’un conflit d’intérêts au moins formel au profit de la compagnie ferroviaire historique, ne paraît pas justifiable dans la perspective proche de l’ouverture à la concurrence du trafic voyageurs.

Il convient donc d’en anticiper les conclusions qui s’imposent, afin de les gérer sans rupture excessive de continuité opérationnelle, économique et sociale, en envisageant de séparer organiquement et fonctionnellement Gares & Connexions de SNCF Mobilités.

Une configuration idéale plaide pour que les infrastructures reviennent aux infrastructures, et par conséquent pour le transfert de Gares & Connexions à l’EPIC SNCF Réseau. C’est d’ailleurs le modèle le plus couramment observé en Europe (97).

Extrait de l’étude thématique sur la gestion des gares ferroviaires de voyageurs en France publiée par l’ARAFER en juillet 2016

« Concernant la propriété des gares de voyageurs en Europe, selon le 4e rapport de la Commission européenne sur l’évolution du marché ferroviaire, en Espagne, en Pologne, au Royaume-Uni et en Slovénie, les gares appartiennent au gestionnaire d’infrastructure alors qu’en Bulgarie, au Luxembourg, au Portugal et en Slovaquie, elles sont la propriété de l’État.

En Allemagne, les gares de voyageurs sont détenues, dans la plupart des cas, par DB Stations & Services, une filiale, depuis 1999, de Deutsche Bahn AG (DB AG) pilotée via la direction DB Netz 17. Toutefois, près de 900 gares sont détenues par 65 exploitants. La situation est similaire en Finlande, où les gares sont détenues par le gestionnaire d’infrastructure, par l’opérateur historique, par les collectivités locales ou par d’autres structures. De même, en Autriche, le gestionnaire d’infrastructure, ÖBB-Infrastruktur AG, est le propriétaire d’environ 1 100 gares alors qu’environ 300 sont détenues par des gestionnaires d’infrastructure verticalement intégrés à une entreprise ferroviaire.

Dans ce paysage, la situation patrimoniale des gares en Belgique et en France apparaît donc particulière. En Belgique, les gares de voyageurs sont la propriété de la SNCB, entreprise ferroviaire en monopole sur le marché des services de transport ferroviaire national. »

Par ailleurs, une telle option serait la seule à garantir une unification patrimoniale porteuse de simplification et d’économies administratives, tout autant que de transparence et de responsabilisation des acteurs.

Au prix d’un transfert des personnels et des actifs, SNCF Réseau serait seule responsable des conditions techniques et tarifaires d’accès aux gares, dans le prolongement logique de sa mission de gestion de l’accès à l’ensemble du réseau. Les régions comme l’État y gagneraient un interlocuteur unique. Et le comité des opérateurs du réseau (COPER) aurait logiquement à connaître des conditions d’accès aux gares, et des éventuels différends les concernant.

Par contre, il ne semble pas souhaitable à court terme, pour des raisons de coût et de cohérence opérationnelle, que la gestion du patrimoine du groupe SNCF, actuellement confiée à une direction de l’EPIC de tête, soit découpée entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités.

2. Au plan du modèle économique

En premier lieu, se pose la question d’une plus grande transparence comptable, en particulier des catégories de charges qui fondent la fixation des redevances acquittables à un interlocuteur unique.

Il convient de clarifier les « économies » respectives des activités régulées d’une part, et de celles non régulées d’autre part, afin de disposer d’informations analytiques, actuellement très défaillantes, sur la formation des coûts de production de l’exploitation ferroviaire.

Toutefois, cette nécessaire transparence, qui peut plaider pour une double comptabilité, ne doit pas déboucher sur un système de double caisse étanche, de sorte que les produits des valorisations commerciales puissent continuer à alléger les redevances d’exploitation ferroviaire, notamment des activités de service public régulées. Il faut conserver une possibilité de péréquation. En d’autres termes, vos Rapporteurs ne suggèrent pas de reproduire le modèle économique d’Aéroports de Paris. Pour autant, il ne faut pas renoncer à toute logique commerciale permettant de tirer le meilleur parti des potentialités des grandes gares.

3. Au plan statutaire : filialiser Gares & Connexions

La valorisation commerciale et urbanistique des gares, en tant qu’infrastructures publiques d’échanges, offre des perspectives de recettes annexes très appréciables qu’un pays comme la France a longtemps négligées en comparaison à d’autres nations ferroviaires.

Par ailleurs, les développements de l’intermodalité par effet de levier sur les trafics et les prestations de service permettent d’envisager une valorisation des effets externes positifs des gares au bénéfice des politiques locales de mobilité et de programmes d’urbanisme dédiés à des activités nouvelles, à l’instar de la taxe sur les bureaux en Île-de-France dédiée au financement du projet du Grand Paris Express.

La plus grande latitude doit être laissée aux pouvoirs locaux et à Gares & Connexions pour mener à bien de tels programmes coopératifs, cohérents avec les plans de déplacements urbains locaux, dans la mesure où ils préservent absolument les capacités d’exploitation et de développement ferroviaires.

Ce potentiel de recettes nouvelles, connexes au cœur de métier ferroviaire, est incontestablement un atout financier d’avenir pour notre système ferroviaire, que l’on ne saurait négliger dans un contexte de rareté des finances publiques.

Afin de disposer de toute la latitude nécessaire à une diversification « marchande », Gares & Connexions gagnerait en efficacité à disposer de la souplesse de gestion d’une entreprise marchande.

À cet effet, la suggestion de l’ARAFER d’en faire une filiale de SNCF Réseau avec un statut de société anonyme publique lui permettrait d’associer à son conseil d’administration des partenaires intéressés à la définition d’une stratégie moins contrainte par les règles d’un établissement public, tout en demeurant dans un périmètre contrôlé par la puissance publique.

Sans préjudice de la culture technique qui doit prévaloir en son sein, SNCF Réseau disposerait d’une filiale lui permettant de valoriser ses gares à fort potentiel commercial, au bénéfice direct, sans détours comptables et financiers, ni transactions administratives, du réseau ferré national.

4. Au plan de la gouvernance : créer une société anonyme 100 % publique, filiale de SNCF Réseau

La très grande hétérogénéité des gares nécessite d’engager une réflexion spécifique sur le financement des gares et des haltes de service public et d’aménagement du territoire, au-delà de leurs recettes d’accès intrinsèques, insuffisantes à en couvrir les coûts en l’absence d’opportunité significative de valorisation commerciale.

Deux options sont couramment évoquées :

1° soit transférer ces réseaux de gares (de catégories B et C) aux autorités organisatrices régionales dont elles desservent partiellement ou totalement les services du TER (voire de TET pour ceux qui seront « repris » par les régions). De la sorte, les régions disposeraient de la plénitude de leurs politiques de dessertes et en maîtriseraient directement les coûts et le choix des modes de gestion et de dévolution (délégation de service public, attributions directes conventionnées). Elles seraient en outre attributaires du régime des redevances d’accès sous contrôle de l’ARAFER, et par là même dispensées d’acquitter le « toucher de quai » pour leurs TER. Il est cependant douteux que cette « économie » suffise à couvrir le coût d’exploitation de leurs réseaux de gares de service public.

Cette option, qui suppose une réflexion approfondie sur le périmètre des gares transférées aux régions, constituerait une nouvelle étape de décentralisation ferroviaire, dont on imagine mal qu’elle ne soit pas assortie du transfert d’une recette robuste dédiée au financement de l’ensemble de leur compétence ferroviaire et de mobilité, telle qu’évoquée précédemment.

2° soit il conviendrait, à tout le moins, que Gares & Connexions dispose de l’intégralité de ses recettes commerciales, afin de préserver une péréquation financière au moins partielle entre ses gares commerciales et ses gares de service public et d’aménagement du territoire, sans préjudice de financements additionnels de développement apportés par SNCF Réseau, l’État et les collectivités locales dans les contrats de plan. Cette péréquation doit notamment faire l’objet d’un contrôle de l’ARAFER en toute transparence.

En tout état de cause, la montée en puissance des régions en matière de politique ferroviaire et de mobilité, ainsi que les développements de l’intermodalité confèrent aux gares une place stratégique dans les futures politiques de mobilité, en interface avec les gares routières, les services de covoiturage et d’auto-partage (Vélib’, Autolib’…), les systèmes d’information des voyageurs, les transports publics urbains collectifs et individuels (taxis, VTC), voire avec les aéroports, à l’instar de la Suisse.

Les gares s’affirmeraient, ainsi qu’on l’observe à l’étranger, comme de véritables pôles de développement urbain et de modalités intermodales qui ne pourront s’affranchir d’une collaboration étroite et puissante avec les collectivités et les pouvoirs locaux.

À cet égard, il convient de noter que, depuis le 1er avril 2016, en application de la loi du 4 août 2014, les communes, les EPCI à fiscalité propre ou la région (le STIF dans le cas de l’Île-de-France) peuvent recourir, pour une période maximale de dix ans, à une « contribution locale temporaire » pour financer les aménagements extérieurs des gares ferroviaires, à l’exception des gares d’intérêt national.

Par ailleurs, vos Rapporteurs encouragent Gares & Connexions à poursuivre ses efforts d’association des pouvoirs locaux (régions, agglomérations, métropoles) à la gouvernance des gares, via les instances régionales de concertations (IRC) (98).

Cette exigence rejoint celle de la création d’une entreprise publique sous statut de société anonyme pouvant associer, dans un conseil de surveillance, des représentants des organisations nationales représentatives des collectivités locales disposant de compétences en matière de mobilité : l’ARF, les métropoles, l’AMF.

Toutefois, cette représentation des collectivités locales dans les organes centraux de gouvernance de Gares & Connexions n’épuise pas le sujet des relations avec les collectivités locales, qui doivent aussi trouver leur expression opérationnelle sur le terrain.

Il n’est pas interdit d’envisager la participation de Gares & Connexions au sein d’instances locales ou régionales de concertation sur les politiques d’urbanisme et de mobilité, que ce soit pour l’élaboration des schémas régionaux de l’intermodalité, celle de schémas de cohérence territoriale, des plans locaux d’urbanisme ou des plans de déplacements urbains des agglomérations.

Au total, la gouvernance de nos gares est probablement à la veille d’une triple évolution vers :

− une plus grande autonomie de gestion, détachée de SNCF Mobilités ;

− une dualisation de leur culture d’entreprise, entre culture technique et culture de valorisation commerciale ;

− une plus étroite participation aux stratégies locales d’urbanisme et de mobilités intermodales.

V. APPROFONDIR LA RÉFORME POUR DONNER TOUTES SES CHANCES À LA SNCF DANS LE NOUVEAU PAYSAGE DE MOBILITÉ

Si l’outil juridique n’est pas le seul nécessaire à l’adaptation d’une entreprise de la taille de la SNCF à un environnement profondément bouleversé, il n’en reste pas moins indispensable pour créer les conditions essentielles à un changement maîtrisé !

L’entreprise elle-même a engagé un certain nombre d’évolutions majeures censées lui permettre de faire face aux mutations des transports de ce début de siècle.

Le législateur, parfaitement conscient que le projet de loi de réforme ferroviaire, malgré son ambition, ne satisfaisait pas à toutes les conditions d’une réforme pleinement aboutie, a posé des clauses de rendez-vous au Gouvernement : rapport stratégique d’orientation de la politique ferroviaire, contrats d’objectifs entre l’État et chacun des trois EPIC du groupe public ferroviaire, rapport sur le traitement de la dette, rapport sur le statut des gares…

Il a également mis en place des instruments de supervision de la politique de l’État en matière de trajectoire économique et financière du groupe.

Sans en attendre les échéances et les conclusions, il est possible d’identifier quelques points faibles de la loi de réforme ferroviaire.

A. DES INCERTITUDES À LEVER AU REGARD DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

L’article 38 de la loi a habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toutes les mesures de nature législative « propres à mettre en cohérence les dispositions législatives existantes avec les modifications apportées par la présente loi, à abroger les dispositions devenues sans objet à la suite de l’entrée en vigueur de la présente loi et à achever la transposition, engagée par la présente loi, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen (refonte) ». Cette ordonnance a bien été prise dans le délai prévu par cet article ; il s’agit de l’ordonnance n° 2015-855 du 15 juillet 2015.

Le projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé le 5 novembre 2015. Les dispositions de l’ordonnance opérant la transposition de dispositions de la directive « refonte » ont été complétées par le décret n° 2015-1040 du 20 août 2015 relatif à l’accès au réseau ferroviaire.

Il convient de signaler que les services de la Commission européenne, rencontrés par vos Rapporteurs à Bruxelles le 26 mai 2016, n’avaient pas encore, à cette date, reçu notification de tous les textes nécessaires pour que la transposition de la directive « recast » en droit français soit considérée comme achevée.

Au plan de la compatibilité européenne, la Commission européenne, et plus encore les concurrents européens de la SNCF, disposent encore de quelques « épées de Damoclès » de nature à affaiblir le pouvoir de négociation de notre groupe public ferroviaire et de notre Gouvernement au sein des instances européennes :

● Ainsi que l’enseigne l’arrêt du 3 avril 2014 de la Cour de Justice de l’Union européenne (99) à l’encontre de La Poste française, il est de doctrine constante à Bruxelles de considérer que le statut d’EPIC, au sein du marché intérieur, entre en contradiction avec le régime des aides d’État et de la concurrence.

L’arrêt « La Poste » de la Cour de Justice de l’Union européenne
(arrêt de la CJUE du 3 avril 2014 République française contre Commission européenne)

En application de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications, l’ancienne Direction générale de la poste et des télécommunications a été transformée, à compter du 1er janvier 1991, en deux personnes morales autonomes de droit public : France Telecom et La Poste. Cette loi a autorisé La Poste à développer, à côté de ses missions de service public, certaines activités ouvertes à la concurrence. Par arrêt du 18 janvier 2001, la Cour de cassation a retenu le principe selon lequel La Poste devait être assimilée à un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). La loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales a transformé La Poste en société anonyme.

En février 2010, la Commission européenne a considéré que, malgré cette transformation en société anonyme, l’entreprise publique La Poste jouit, du fait même de cette forme juridique d’EPIC, d’un double avantage sur le champ concurrentiel, ce qui pose problème au regard du droit européen relatif à la concurrence et aux aides d’État : puisque La Poste ne peut faire l’objet d’une liquidation judiciaire selon les règles du droit commun et que ses actifs sont insaisissables, elle ne peut pas faire faillite et bénéficie d’une garantie implicite de l’État français quant au règlement de ses créances.

La Commission européenne faisait valoir que cette double caractéristique assure, notamment, à l’EPIC La Poste de meilleures notations que les sociétés strictement privées de la part des établissements de crédit, et donc une capacité supérieure à lever des fonds et à se financer sur les marchés.

Contestée par la France, cette décision de la Commission a été validée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

La CJUE rappelle tout d’abord que la notion d’aides d’État recouvre « toutes les interventions d’État qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché ». Un emprunteur qui souscrit un prêt garanti par les autorités publiques obtient normalement un avantage, puisque le coût financier qu’il supporte est inférieur à celui qu’il aurait supporté s’il avait dû se procurer ce même financement aux prix du marché. La Cour a jugé qu’il existe « une présomption simple selon laquelle l’octroi d’une garantie implicite et illimitée de l’État en faveur d’une entreprise qui n’est pas soumise aux procédures ordinaires de redressement et de liquidation a pour conséquence une amélioration de sa situation financière par un allègement des charges qui, normalement, grèvent son budget. Par conséquent, (…) pour prouver l’avantage procuré par une telle garantie à l’entreprise bénéficiaire, il suffit à la Commission d’établir l’existence même de cette garantie sans devoir démontrer les effets réels produits par celle-ci (…). ».

Même si un arrêt du Tribunal de première instance de l’Union européenne est venu récemment remettre en question les modalités de la charge de la preuve en la matière (100), le Tribunal a réaffirmé à cette occasion que la garantie implicite et illimitée de l’État en faveur des EPIC est inhérente au statut de ces établissements. La jurisprudence « La Poste » de la CJUE menace juridiquement l’ensemble des EPIC qui exercent des activités dans un secteur ouvert à la concurrence, y compris l’EPIC SNCF Mobilités. Dès lors qu’il rattache organiquement l’entreprise à l’État, le statut d’EPIC est présumé offrir une « garantie universelle » et perpétuelle aux EPIC. En d’autres termes, l’établissement public est supposé bénéficier d’une garantie de financement public, qui peut être de nature à déséquilibrer la concurrence à son profit, et aux dépens d’entreprises commerciales exposées au risque financier, et donc à l’occurrence de faillite.

Il en est ainsi de SNCF Mobilités, dont le statut d’établissement public, en concurrence potentielle sur le réseau français, et en concurrence effective sur les réseaux européens avec de remarquables succès commerciaux, n’est pas franchement compatible avec le principe d’une concurrence équitable.

Il s’agit moins de dénier à l’entreprise SNCF Mobilités la possibilité d’exercer des missions de service public identifiées, et à ce titre finançables par des subventions publiques (aides d’État), que de considérer que la confusion organique existante entre l’État et l’EPIC peut permettre d’organiser des transferts financiers furtifs entre les activités de service public et les activités commerciales de l’EPIC, les premières pouvant financer, à travers les subventions publiques, une compétitivité factice des secondes sur les marchés ouverts à la concurrence. Ce reproche est d’ailleurs couramment exprimé à l’encontre de Keolis, filiale de la SNCF soupçonnée de dumping sur les marchés des transports collectifs urbains, sous la protection financière bienveillante et inépuisable du groupe public.

La fragilité juridique liée à la jurisprudence « La Poste » n’affecte que SNCF Mobilités, et non SNCF Réseau, car elle ne concerne que les EPIC exerçant, au moins pour une partie de leurs activités, des services commerciaux dans un secteur ouvert à la concurrence, et qui interviennent ainsi au-delà de leurs missions de service public.

● Cette insécurité juridique concerne avec une acuité toute particulière Fret SNCF, actuellement indistinct du groupe public ferroviaire, qui peut donc potentiellement et effectivement soutenir des « déficits » d’une ampleur inaccessible à ses concurrents, et par conséquent leur infliger une concurrence notoirement déloyale.

Il ne fait guère de doute que cette situation appellera un jour ou l’autre, probablement à l’occasion de l’ouverture du trafic passagers, une régularisation qu’il serait opportun d’anticiper.

En outre, il serait plus sain pour SNCF Mobilités et Fret SNCF de disposer d’une autonomie de gestion à la fois plus transparente (s’agissant de leurs coûts réels notamment), et plus conforme à la nature commerciale de leurs activités.

En particulier, la transformation de SNCF Mobilités en société anonyme à capitaux 100 % publics lui permettrait de disposer de règles de comptabilité plus efficientes pour le pilotage de l’entreprise, et d’un conseil d’administration plus ouvert aux intérêts de l’entreprise qu’à des hauts fonctionnaires « en mission », assignés à un devoir de réserve impératif.

La politique de SNCF Mobilités y retrouverait un statut qui était celui de l’entreprise nationalisée de 1937, et y gagnerait probablement une plus grande vélocité stratégique dans un monde en mutations rapides.

De la même façon, il semble inéluctable que Fret SNCF évolue vers une filialisation de SNCF Mobilités, selon le même statut de filiale à 100 % de capitaux publics ou un statut équivalent.

Sans préjudice de leurs missions fondamentales de service public et d’aménagement du territoire, l’une et l’autre resteraient ainsi sous tutelle publique, mais trouveraient l’occasion de se doter de la comptabilité analytique aboutie qui leur manque, mettant un terme à la contestation implicite de leurs concurrents sur les conditions de concurrence, ainsi qu’aux rapports orageux avec les régions.

B. APPROFONDIR LA RÉGIONALISATION FERROVIAIRE

Par ailleurs, comme évoqué précédemment, une forte aspiration se fait jour en faveur d’un aboutissement de plein exercice de la mission d’AOT ferroviaire des régions, auxquelles il manque à ce jour trois attributions essentielles pour accéder à ce statut :

– une liberté tarifaire : elle est, certes, prévue par l’article 15 de la loi du 4 août 2014, mais elle supposait notamment la mise en place d’une articulation claire des financements des missions de service public décidées, d’une part par l’État, d’autre part, par les régions. C’est précisément l’objet du décret n° 2016-327 du 17 mars 2016 relatif à l’organisation du transport ferroviaire de voyageurs et portant diverses dispositions relatives à la gestion financière et comptable de SNCF Mobilités ;

– une capacité à choisir librement leurs opérateurs ferroviaires, qui devrait intervenir au plus tard à épuisement de la phase de transition de mise en œuvre du « règlement OSP » (101) modifié par le quatrième paquet ferroviaire, avec les ajustements législatifs nationaux nécessaires à la détermination des conditions de transfert des personnels en cas de changement d’opérateur, et à l’abolition du principe du monopole de la SNCF sur le réseau ferré national ;

● la pleine capacité pour les régions à maîtriser leurs appels d’offres en matière d’achat de matériels et d’accéder à leur propriété pleine, soit individuellement, soit collectivement (groupement d’achat), soit à travers des sociétés de gestion de leurs matériels de type « Rolling stock companies » (ROSCO), à l’exemple du Royaume-Uni.

C’est dire qu’il y a encore un long chemin de concertation et d’ajustements juridiques à envisager d’ici fin 2019. Autrement dit, demain !

*

* *

Ces modifications de la loi de réforme ferroviaire, qui consisteront à « réformer la réforme » dès la prochaine mandature, devraient achever le processus engagé en 2014. Elle débouchera sur une nouvelle gouvernance ferroviaire, à la fois plus stratégique de la part de l’État, plus régulée par l’ARAFER et plus décentralisée au niveau régional.

De ce point de vue, le contrôle de la trajectoire économique et financière du système ferroviaire, confié à l’ARAFER par la loi de réforme ferroviaire, constitue l’un des apports majeurs de la réforme, et le respect de ses avis par l’État sera tout à fait décisif de l’avenir de notre système ferroviaire.

Par ailleurs trois autres chantiers plus ou moins engagés mériteront une attention particulière en vue de l’adaptation de notre système ferroviaire à son époque :

1° Le chantier de la rationalisation des investissements, qui devrait s’appuyer le plus systématiquement possible sur un document de programmation phasée avec les contrats d’objectifs, et sur des indicateurs publics de rendements économique et social, de la même façon que l’on calcule le taux de retour sur investissement (TRI) en matière d’investissements dans les réseaux de transports collectifs pour calibrer les aides d’État nécessaires à leur déploiement ;

Le chantier des normes ferroviaires, engagé par M. Alain Vidalies, dans le cadre des conférences pour la relance du fret initiées par son prédécesseur. Il vise à moduler les exigences normatives en fonction des types de trafic et des projets de relance du rail, afin de trouver des solutions de financement calibrées « sur mesure ».

La démarche du Gouvernement de relance des lignes capillaires de fret par une adaptation des normes de vitesse et de sécurité au niveau nécessaire (et non plus au niveau de l’ensemble du réseau ferré national) est à encourager, voire à généraliser. En effet, la rigidité normative de haut niveau qui s’impose à notre réseau ferré national s’avère exagérément exigeante et coûteuse pour des objectifs de trafics et de conditions d’utilisation qui peuvent s’avérer très différentes.

À cet égard, il conviendra d’évaluer les possibilités de transposition de ce travail à certains types de trafics voyageurs, et donc de lignes opérables pour le transport de passagers.

Le résultat de ces travaux constituera un test utile à d’autres applications éventuelles, aux systèmes ferrés des ports notamment.

3° Enfin, les exigences de notre époque en matière d’intégration multimodale des modes de transport au service d’une meilleure qualité de service et de mobilité des usagers font de l’open data un enjeu majeur pour le développement d’applications mieux adaptées aux différents publics et à leurs aspirations tarifaires notamment, ainsi que pour le développement de systèmes d’information-voyageurs.

Dans ce domaine, la voie est étroite entre publicité des données de trafics et protection des données commerciales, afin d’éviter de précieux transferts d’informations gratuites vers des fournisseurs de services qui disposent de positions dominantes sur le marché, à l’instar de Google ou d’Apple...

Peut-être qu’au pays des start-up, il ne serait pas inopportun d’envisager la création d’une université ou d’un cluster des mobilités intelligentes, orienté sur les usages et les modèles économiques digitalisés, permettant à la France et à ses opérateurs de transport de prétendre à une position dominante dans ce domaine hautement stratégique ?

Il demeure néanmoins que le climat social particulier qui prévaut au sein de la SNCF constitue un sérieux handicap de compréhension et de cohésion interne du groupe pour faciliter ces nécessaires évolutions. La SNCF s’efforce de surmonter cet obstacle – sur lequel la loi ou la simple volonté politique n’ont pas de prise – par des dispositions collatérales informelles, qui ne sont pas sans intérêt opérationnel.

Vos Rapporteurs pensent cependant qu’il serait infiniment plus satisfaisant et plus prometteur pour l’entreprise et son corps social qu’un dialogue social plus dynamique, moins politisé, plus fluide entre la base et le sommet, et plus ouvert aux réalités socio-économiques contemporaines, finisse par prévaloir au sein de la SNCF.

VI. NORMALISER LES RAPPORTS DES INDUSTRIES FERROVIAIRES AVEC LA SNCF

De l’ingénierie en passant par le génie civil, les équipements de voies et de contrôle commande, jusqu’au matériel ferroviaire et à l’exploitation, la France maîtrise toute la chaîne de la filière ferroviaire et accumule les succès à l’exportation dans un marché mondial particulièrement prometteur.

Pour autant, dans un environnement ferroviaire européen particulièrement balkanisé, des inquiétudes se font jour pour l’avenir de nos industries ferroviaires.

Insensiblement le marché européen suscite l’intérêt grandissant d’une concurrence asiatique de plus en plus concentrée, qui présente des prix particulièrement agressifs pour des matériels désormais au niveau technologique des Européens. Ainsi, les Chinois ont fusionné leurs deux grands industriels ferroviaires (China CNR et CSR) en un seul, qui représente déjà un chiffre d’affaires de 200 milliards de yuans (26,5 milliards d’euros) et a vocation à se déployer sur tous les marchés ferroviaires en développement.

Le groupe japonais Hitachi a pris le contrôle de l’Italien Ansaldo STS et AnsaldoBreda, et dispose d’outils de production au sein du marché intérieur européen, quand le remarquable équipementier français Faivelay a été cédé au groupe américain Wabtec pour 1,7 milliard d’euros.

Déjà, les transports publics de Stockholm ont été délégués à un gestionnaire chinois, et des trains opérés par la Deutsche Bahn et des opérateurs chinois ouvrent une « route de la soie ferroviaire » entre l’Asie centrale et l’Europe.

À l’évidence, l’Europe, et en particulier nos industries ferroviaires, doivent se préparer à la fois aux opportunités et à l’âpreté concurrentielles d’un marché mondial très prometteur.

Ce défi d’avenir pour l’un des plus sérieux atouts industriels de notre pays n’avait pas échappé aux Assises du ferroviaire. C’est pour le relever et pour coordonner la stratégie des différents éléments de la filière ferroviaire française qu’a été créé « Fer de France », à l’issue de ces Assises, en collaboration étroite avec la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF).

Alors que le marché français reste en fait très protégé derrière le « parapluie » d’appels d’offres quasi-fermés aux industries concurrentes, y compris européennes, nos sociétés d’ingénierie (Systra, Egis), nos exploitants de réseau (SNCF Mobilités, Keolis, Transdev, RATP Dev), et Alstom Transport pour le matériel ferroviaire, accumulent de très beaux succès sur les marchés extérieurs et sur tous les continents.

Pourtant, les perspectives peu dynamiques du carnet de commandes national d’Alstom ont conduit l’entreprise à faire, en septembre 2016, deux annonces apparemment contradictoires en une semaine : l’une se félicitant de l’obtention d’un marché de 2 milliards d’euros de matériel ferroviaire à grande vitesse pour le compte de la compagnie américaine Amtrak ; et l’autre annonçant la fermeture de son usine de Belfort.

Cette dernière annonce a d’autant plus surpris qu’Alstom Transport vient d’enregistrer deux années successives de record de commandes (10 milliards d’euros pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et 10,6 milliards d’euros pour la période du 1er avril 2015 au 31 mars 2016) pour un montant total de son plan de charge de 30,4 milliards d’euros, et un résultat net du groupe de 3 milliards d’euros (bénéficiant de la vente des activités Énergie à General Electric et après l’impact de dépréciations exceptionnelles principalement en France) !

Résultats financiers d’Alstom sur la période 2014-2016
(en millions d’euros)

Données publiées

2014/2015

2015/2016

% variation publiée

% variation organique

Carnet de commandes

28 394

30 363

7 %

14 %

Commandes reçues

10 046

10 636

6 %

7 %

Chiffre d’affaires

6 163

6 881

12 %

7 %

Résultat d’exploitation ajusté

298

366

23 %

 

Marge d’exploitation ajustée

4,8 %

5,3 %

   

Résultat net – part du groupe

(719)

3 001

   

Cash-flow libre

(429)

(2 614)

   

Trésorerie / (dette) nette

(3 143)

(203)

   

Source : http://www.alstom.com/fr/press-centre-francais/2016/5/des-resultats-solides-pour-alstom-en-201516/

Il y a, à cet apparent paradoxe, une explication simple liée à la stratégie industrielle d’Alstom, qui repose sur le principe d’une production dans les pays de commande, qui n’est pas toujours contrainte par des obligations législatives ! Ce découplage considérable entre l’appareil industriel national d’Alstom et ses productions à l’export a pour corollaire que l’activité des usines françaises d’Alstom se nourrit exclusivement de la commande publique de la SNCF.

Cette dernière n’est pas négligeable, mais connaît un infléchissement. Les marchés captifs à options des TGV ou des TER négociés par la SNCF jusqu’en 2019, soit 1 000 Régiolis pour Alstom et 860 Regio2R pour Bombardier, ne tiennent pas leurs promesses de levées d’options par des régions contraintes au plan budgétaire (102).

Quant à la SNCF, l’importance de son parc TGV est tel qu’elle n’a fait en 2013 qu’une commande de 40 TGV Duplex (pour 1,2 milliard d’euros) pour équiper ses nouvelles lignes à grande vitesse, dont Bordeaux-Paris à compter de 2017.

Enfin, la commande par l’État de 30 trains reconfigurés en trains Intercités vient de connaître un développement politique symptomatique, avec les commandes de 15 rames de TGV Duplex pour opérer des trains Intercités sur ligne classique.

En d’autres termes, les brillants succès d’Alstom à l’export ont trop peu de retombées effectives sur son appareil de production national. L’entreprise s’en remet sur le marché intérieur aux vieux usages du colbertisme français pour monopoliser quasiment tous les marchés publics de trains lourds, de trains régionaux et de tramways à des prix qu’elle impose faute d’être concurrencée.

À titre d’exemple caricatural, le récent marché des matériels roulants des RER B et C de l’Île-de-France illustre la débauche d’imagination et de contorsions juridiques nécessaires pour évincer des offres concurrentes nettement moins chères au profit d’Alstom, essentiellement, et de Bombardier, accessoirement.

On peut certes comprendre les ressorts protecteurs d’un tel recours au marché national, quitte à ce qu’ils soient artificiels. Force est de constater toutefois que cette stratégie grève indûment les finances publiques, à la fois par le renoncement à ouvrir les marchés français à des matériels équivalents mais moins chers, et par un suréquipement notoire de la SNCF qui se répercute sur la dépréciation de ses actifs.

Cette obligation faite à la SNCF par sa tutelle publique de soutenir la conjoncture nationale du matériel ferroviaire, en dehors de toute considération de santé financière et économique du groupe Alstom et des nécessités ferroviaires, est certes de bonne guerre. Elle est cependant peu stimulante pour son corps social à répondre aux injonctions qui lui sont faites de trouver des marges de productivité pour réduire ses coûts de production et le recours à l’emprunt. Par ailleurs, cette « assurance politique » d’Alstom ne l’a guère incité à produire des efforts d’adaptation de sa gamme aux besoins de la SNCF et des potentiels du marché européen.

On observera qu’Alstom produit et commercialise pour ses marchés à l’export une gamme de trains intermédiaires, visiblement incompatible avec notre politique de construction d’un réseau de LGV ex nihilo.

Ainsi, alors qu’il existe des trains grandes lignes « sur étagères » en Europe, la France n’en dispose pas de parfaitement adaptés à ses services de TET ou à des services grande vitesse moins coûteux que les TGV ! Cette grande nation ferroviaire n’a d’autre choix que de doter ses futurs TET, soit de trains Régiolis « gonflés » (Coradia), soit de rames TGV sous-utilisées, mais à 30 millions d’euros la rame !

Le modèle colbertiste s’épuise et, par « effet de rente », a distrait Alstom d’efforts d’adaptation de sa gamme et de ses prix, qui lui seront également préjudiciables à terme sur les marchés européens, moins enclins à la très grande vitesse que la France.

Ce désalignement progressif des intérêts français d’Alstom de ceux de la SNCF et de notre système ferroviaire devrait s’accentuer avec l’ouverture prochaine à la concurrence à des opérateurs européens qui pourraient être tentés d’importer leurs matériels sur notre réseau.

Il apparaît donc impératif que la France, et en particulier sa classe politique, pèse sur une réorientation stratégique de notre industrie ferroviaire, en l’incitant à adapter sa gamme et à réduire ses prix plutôt qu’en lui garantissant des achats publics « à convenance » !

Il est certes normal que la France cherche à protéger sa précieuse et brillante industrie nationale, mais elle doit désormais l’envisager à travers une politique industrielle de la filière ferroviaire plutôt qu’à travers une garantie d’achat et un protectionnisme peu stimulants. Ce faisant, elle rendrait service à la fois à la SNCF, en cohérence avec les progrès de productivité et de préparation à une concurrence imminente que l’on exige d’elle, et à Alstom, figure de proue de son industrie ferroviaire.

En particulier, on peut légitimement se demander si les activités d’Alstom à l’export ne doivent pas se répercuter plus significativement sur son appareil de production national, alors que l’on observe des transferts de charges de travail entre les usines étrangères du groupe !

Communiqué de presse : « Alstom produit le premier chaudron des trains péri-urbains destinés à PRASA, en Afrique du Sud » (novembre 2014) (103)

L’usine d’Alstom à Lapa au Brésil, a fabriqué dans les temps le premier chaudron intégral destiné aux vingt trains péri-urbains X’Trapolis Mega, actuellement en cours de production sur le site. Cette opération survient dans le cadre du contrat conclu avec la Passenger Rail Agency of South Africa (PRASA), portant sur la construction de 600 trains.

Sept mois après la signature du contrat de 4 milliards d’euros entre Alstom et PRASA, le projet est déjà bien avancé : la production évolue correctement et Gibela, la coentreprise locale créée pour mener à bien le contrat de PRASA, est opérationnelle.

Les 20 premiers trains sont en cours de fabrication dans l’usine Alstom à Lapa, au Brésil. Les effectifs sud-africains peuvent ainsi bénéficier d’une formation adaptée, avant l’ouverture d’une usine de production spécialisée à Dunnottar. Les fournisseurs sud-africains ont été impliqués dans la fabrication de ce premier chaudron.

La phase d’installation de ce premier chaudron en acier inoxydable est prête à être lancée. À l’issue de cette étape, à la fin de l’année 2015, le premier train PRASA complet sera expédié en Afrique du Sud, puis soumis à un programme de tests intensif, avant d’entrer en service d’ici le mois de juin 2016.

« Nous sommes fiers d’avoir franchi cette étape importante. En remettant ce chaudron dans les temps, nous avons prouvé que PRASA a eu raison de nous faire confiance. Les équipes de Gibela et d’Alstom sont déterminées à respecter les délais de livraison de ces trains et à assurer la pleine satisfaction de PRASA », affirme Marc Granger, PDG de Gibela.

« Dans les mois qui vont suivre, ces activités de production seront exécutées en Afrique du Sud par nos propres ingénieurs et artisans. Le développement d’une nouvelle génération d’artisans et d’ingénieurs ferroviaires fait également partie de notre projet. Nous concentrons notre énergie sur la création d’un service ferroviaire faisant partie intégrante du renouvellement du système de transport, afin de fournir des services de transport en commun efficaces et performants à l’ensemble des Sud-Africains », affirme Piet Sebola, Directeur du groupe de développement stratégique de PRASA.

Gibela emploie désormais 78 personnes. 16 ingénieurs ferroviaires sud-africains ont pratiquement réalisé la moitié de leur programme de formation de 18 mois, portant sur les technologies et la conception des trains, dans plusieurs usines Alstom en Europe.

Alstom fournit à PRASA le train X’Trapolis Mega, son nouveau modèle X’Trapolis spécialement adapté à l’écartement des voies en vigueur en Afrique du Sud (1 067 mm). De nombreuses usines Alstom sont impliquées dans le projet PRASA, notamment Sesto (Italie) pour les moteurs de traction, Le Creusot (France) pour les bogies, Reischoffen (France) pour les cabines de pilote, mais aussi les sites français d’Ornans, Tarbes, Villeurbanne et Saint-Ouen, ainsi que ceux du Brésil.

Une telle incitation, qui ne saurait pour autant se désintéresser du carnet de commandes et de l’emploi dans nos usines Alstom, passe probablement par des marchés publics plus « ouverts », en particulier dans les segments de gamme non satisfaits par la gamme Alstom actuelle, mais aussi par une consolidation européenne ou internationale de l’industrie particulièrement balkanisée du matériel roulant, au sein de laquelle Alstom Transport dispose de tous les atouts pour en être l’acteur de référence. Les concentrations asiatiques plaident incontestablement en ce sens.

On se souviendra à cet égard de l’effet singulièrement stimulant du contrat de commande de tramways urbains conclu par la Communauté de communes de Besançon avec l’équipementier CAF qui les produit en France. Cette commande a conduit Alstom à y réagir en quelques mois par la présentation d’un tramway moins coûteux pour « villes moyennes ».

Certes Alstom a pris soin de localiser ses usines françaises dans une grande diversité de régions qui lui garantissent ainsi de solides appuis politiques pour orienter la commande publique en sa faveur. Mais il est à craindre que ces protections ne soient plus suffisantes pour assurer l’avenir des usines françaises d’Alstom.

En effet, notre industrie ferroviaire a vécu un âge d’or du marché national qui s’est traduit à son profit exclusif par la conjonction :

– des développements exceptionnels du TGV grâce à la politique dite du « tout TGV » impulsée par le Gouvernement Fillon à compter du Grenelle de l’environnement ;

– d’une phase exceptionnelle du premier équipement des villes et agglomérations de province en tramways et transports collectifs urbains, sous l’effet de la loi SRU ;

– et d’un effort exceptionnel d’achat de nouveaux matériels TER par les régions à compter de leur accession à la qualité d’autorité organisatrice des transports express régionaux en 2000.

Il serait évidemment illusoire que notre industrie ferroviaire détermine sa stratégie, notamment celle de ses usines française, sur ces « vingt glorieuses » (1990-2015) du marché ferroviaire national, qui constituent une exception historique !

À l’évidence, le marché intérieur français, sauf à le contraindre à des surcoûts de complaisance, ne sera pas suffisant à brève échéance à supporter seul les cadences de production des usines françaises d’Alstom.

En particulier, tout prête à penser que le mode ferroviaire, dont la technologie n’a pas enregistré de « rupture » majeure depuis les années quatre-vingt, est à la veille d’une révolution technique qui sollicitera tout autant les secteurs des matériaux que de l’électronique, du numérique et de l’énergie.

Il apparaît impératif que la France, qui en a les moyens, en anticipe les évolutions, en créant les conditions d’un écosystème favorable à des programmes de recherche et développement ferroviaires pluridisciplinaires et plus orientés vers les nouveaux usages et comportements de mobilités que le seul programme du « TGV du futur ».

Une collaboration plus étroite et plus systématique des secteurs de l’automobile, de l’aviation, de l’électronique professionnelle et militaire, des matériaux, avec la filière ferroviaire constituée au sein de Fer de France, devrait être de nature à garantir à l’industrie ferroviaire française un leadership durable en matière de trains et de mobilités du futur.

Il y a donc un enjeu industriel et social de tout premier ordre, et désormais urgent, à ce que la France se départisse progressivement de ses vieilles assurances colbertistes pour doper la compétitivité de son industrie ferroviaire ; l’exemple d’Alstom n’en étant ici qu’une illustration anecdotique…

VII. LE CHEMIN DE FER FACE AUX NOUVEAUX USAGERS

Comme tous les modes de transport, le chemin de fer a généré une puissante culture technique et professionnelle qui se conjugue à l’histoire prestigieuse et parfois mythique des bienfaits qu’il a apportés aux communautés humaines et aux territoires les plus lointains.

C’est sans doute la raison pour laquelle il fait souvent l’objet d’approches plus passionnelles que rationnelles, désincarnées d’un environnement économique et social en évolution rapide qui affecte son modèle économique et sa vocation même.

Ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de transport, c’est à la fois sa rigidité fonctionnelle de mode de transport guidé, asservi à son infrastructure (le lien indissociable du rail et de la roue), mais aussi son modèle économique « d’industrie lourde » à rendements croissants, qui accroît mécaniquement ses coûts fixes au gré de sa « croissance ».

Le début de ce siècle se caractérise par un certain nombre de tendances lourdes, qui apparaissent a priori favorables au chemin de fer, et prêtent parfois à douter de son avenir :

– un bouleversement des modèles économiques par l’émergence irrésistible de l’économie digitale, qui n’épargne aucun secteur d’activité ;

– une tension sans doute durable sur des budgets publics de plus en plus sollicités par les dépenses sociales aux dépens de l’investissement, quand le chemin de fer nécessite encore un important soutien public, en l’absence de modification radicale des prix relatifs intermodaux ;

– une préférence de plus en plus affirmée pour le « low price » par des consommateurs indifférents aux coûts de production.

C’est en regard de ces évolutions récentes, plutôt qu’en référence à un passé révolu, qu’il faut évaluer nos politiques de mobilité, et en extraire si possible des priorités adaptées à la vocation contemporaine de chaque mode !

À cet égard, la loi de réforme ferroviaire, pour concerner essentiellement la gouvernance du système ferroviaire et sa préparation à l’ouverture à la concurrence du trafic passagers, s’est inscrite dans une inflexion de la politique ferroviaire du « tout TGV », impulsée par le Grenelle de l’environnement, aux « trains du quotidien » et à la régénération d’un réseau historique trop longtemps laissé pour compte.

Pour autant, ce changement affirmé de cap politique n’a pas échappé aux résistances de « l’imagerie politique et sociale » qui entoure le chemin de fer, et soumet les gouvernements successifs à des revendications et des pressions multiples en matière de nouvelles LGV, de dessertes grandes lignes, de redressement du fret ferroviaire, de développement de nouveaux services d’autoroutes ferroviaires, d’investissements accrus dans les gares et les réseaux régionaux, etc.

Au point que l’on peut s’interroger sur la possibilité de poursuivre de façon non sélective une telle diversité d’objectifs, pour un mode lourd et particulièrement coûteux en regard des nouvelles concurrences auxquelles il est exposé.

A. FAIRE DES CHOIX POUR RELANCER LE FRET

Le fret ferroviaire, en particulier aux yeux des cheminots, constitue l’identité fondamentale et originelle du rail. Il n’a pourtant pas cessé de céder du terrain depuis la révolution industrielle face au transport routier dont la libéralisation européenne en 1993, sur fond de déréglementation sociale sauvage, a irrésistiblement imposé sa compétitivité.

M. Jean-Claude Gayssot, alors ministre des transports, a voulu réagir à cette évolution, en lançant un premier plan de relance du fret ferroviaire en 2000 autour de l’objectif de 100 milliards de tonnes-kilomètres en 2010 contre 54 milliards en 1997.

16 ans, plusieurs plans de relance (cf. tableau ci-dessous), 4 conférences de relance du fret et une libéralisation totale plus tard, le trafic de fret, comme exposé précédemment, se situe péniblement autour de 34 milliards de tonnes-kilomètres, dont 39 % sont assurés par les nouveaux entrants (tous déficitaires au même titre que Fret SNCF).

LES QUATRE PREMIERS PLANS DE RELANCE DU FRET ET DE FRET SNCF

Plan

Financeur

Montants et Objectifs

Plan Véron (2003)

État/SNCF

Montant total : 1,5 milliard d’euros

Objectif : Le plan avait pour ambition d’améliorer la qualité de service et de restaurer l’équilibre d’exploitation de Fret SNCF à l’horizon 2006. Approuvé par la Commission européenne en mars 2005, il prévoyait le versement par l’État à la SNCF de quatre tranches de recapitalisation d’un montant maximum de 800 millions d’euros. Les conditions posées par la Commission portaient sur l’ouverture effective du marché du fret à la concurrence et sur l’interdiction de toute autre subvention pendant dix ans, sauf si l’activité fret était filialisée.

La SNCF s’était également engagée à investir 700 millions euros sur la période 2004-2006.

Plan Marembaud (2007)

SNCF

Objectif : augmenter la rentabilité du fret de 20 à 30 %, notamment via des changements dans les conditions d’emploi des salariés, mais cet aspect a été refusé par les syndicats

Plan Fret 2009

SNCF

Montant : 1 milliard à l’horizon 2015

Objectif : Retour de Fret SNCF à l’équilibre en 2013.

Engagement national pour le fret ferroviaire – ENFF (2009)

État

Montant : 7 milliards d’euros d’ici 2020

Objectif : Faire progresser la part modale du non-routier et du non-aérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022.

L’ENFF se décline en huit axes, qui visent à promouvoir tant des services de transport ferroviaire de marchandises innovants (les autoroutes ferroviaires par exemple) qu’à améliorer l’accès et la qualité du réseau ferré (suppression des goulets d’étranglement, mise en place d’accord qualité sillon).

Ce déclin du fret ferroviaire, encore trop peu significativement relayé par les premières autoroutes ferroviaires de plaine, est un phénomène aigu en France, et d’une ampleur quasi généralisée en Europe

Source : rapport d’Hervé de Tréglodé sur le soutien public au fret ferroviaire – CGEDD – juin 2015 (p. 10)

Pourtant, un certain nombre d’industries stratégiques ou lourdes (matériaux de construction, agriculture, automobile, sidérurgie…) ne peuvent se passer du transport de masse que constitue le train.

Il y a donc nécessité à ne pas baisser les bras, et à cibler une politique publique de relance du fret ferroviaire sur les points où elle est défaillante et détourne sa clientèle vers d’autres modes de transport.

a) La toute première priorité pour relancer le fret ferroviaire est d’améliorer et de stabiliser la qualité des sillons qui lui sont attribués, actuellement sacrifiés à un arbitrage favorable à la ponctualité des trains de voyageurs, et contraints par des conflits croissants de trafics aux abords des agglomérations du fait du succès des TER et RER.

Un rapport du CGEDD paru en juin 2015 va même jusqu’à affirmer qu’une augmentation significative de la qualité des sillons permettrait de réduire progressivement la contribution annuelle de l’État à SNCF Réseau pour l’activité fret (200 millions d’euros) à l’horizon 2025 sans que cela impacte négativement le trafic (104).

S’agissant de trafics qui impliquent des entreprises et leurs relations commerciales avec leurs clients, le transport de marchandises nécessite une fiabilité contractuelle irréprochable dont nos chemins de fer sont loin du compte, essentiellement pour des raisons de disponibilité de l’infrastructure et d’arbitrage des trafics.

Il convient de signaler que, dans sa décision du 18 novembre 2014, le régulateur ferroviaire a fixé des critères et objectifs chiffrés pour le taux de sillons-jours fermes pour le transport ferroviaire de fret : 81 % au moins en 2016, 83 % au moins en 2017 et 85 % au moins dans les années 2018 et suivantes, et a rappelé que les « levées de précarité » devaient survenir au moins deux mois avant les circulations prévues (105).

Vos Rapporteurs estiment par ailleurs que la relance du fret exige une grande sélectivité des priorités, qui devrait s’appuyer plus nettement sur la politique européenne des corridors et sur leur gouvernance.

Dans ce cadre, force est de constater l’absence, à horizon connu, de projets de contournement ferroviaire des agglomérations situées sur de grands corridors internationaux, alors même que des décisions de développement de lignes nouvelles (Lyon-Turin, GPSO) vont accentuer les goulets d’étranglement urbains aux dépens du fret ferroviaire.

b) En second lieu, la France doit absolument combler le déficit d’intermodalité rail-route qui la caractérise en Europe. En effet, tout indique que ce qui restera du transport ferroviaire de marchandises à l’avenir, devra s’inscrire résolument dans une politique volontariste de transport combiné, trop longtemps laissé pour compte en France, du fait d’une « corporatisation » excessive de nos politiques de transport par le passé.

On observera à cet égard que le « sursaut » modeste, mais encourageant de Fret SNCF en 2015, tient en partie à une politique d’intégration de valeur multimodale, appuyée notamment sur Géodis, et à une orientation logistique novatrice à la SNCF.

La nouvelle priorité affirmée par le Gouvernement en faveur de la mise à niveau des « étoiles ferroviaires » autour des agglomérations, ainsi que la desserte de nos grands ports maritimes, doit être confortée et doit s’inscrire résolument dans une stratégie de relance du fret.

c) En troisième lieu, une action urgente est nécessaire à la fidélisation ferroviaire de ce qu’il reste d’entreprises disposant encore d’installations terminales embranchées (ITE), afin de capter et massifier les trafics en wagon isolé, toujours indispensables à de nombreuses entreprises, et à leur implantation diffuse sur nos territoires.

La conférence pour la relance du fret mise en place le 18 septembre 2013 par M. Frédéric Cuvillier, alors ministre chargé des transports, et dynamisée par son successeur Alain Vidalies, aborde ce problème avec un pragmatisme bienvenu, et qui peut faire école pour d’autres types de trafics ferroviaires.

L’action consiste en particulier à revoir les normes de rénovation du réseau capillaire, dans le but d’en limiter les coûts au strict nécessaire des conditions techniques et de vitesse appropriées à de tels trafics.

Cette approche nouvelle du fret ferroviaire, à partir des besoins concrets des entreprises, constitue un réel esprit de reconquête ou de fidélisation de clients pour le rail.

Vos Rapporteurs se félicitent de la décision récente du Gouvernement d’attribuer une contribution financière de l’État supplémentaire, de 30 millions d’euros sur 3 ans (2018-2020), pour renouveler le réseau capillaire (106).

d) Enfin, au-delà des efforts considérables et donc sélectifs à accomplir en matière de reconquête de capacités de circulations fiables et de qualité sur l’infrastructure, le fret ferroviaire n’est pas en situation de faire face à la concurrence routière, s’il ne bénéficie pas de « coups de pouce » significatifs en matière d’exploitation.

Un plus grand réalisme de la Commission européenne, à l’égard d’un service ferroviaire qu’elle considère comme exclusivement commercial, et donc assujetti à des conditions très restrictives d’accès aux aides d’État, serait particulièrement bienvenu et de nature à surmonter l’échec récurrent depuis près de vingt ans de politiques de transfert modal de la route vers le rail.

Au plan national, deux conditions d’exploitation essentielles doivent être réunies pour redonner au fret ferroviaire toutes ses chances de redressement :

1° Les subventions aux péages fret, comme au transport combiné (aide à la pince), doivent absolument être maintenues à un niveau compatible avec l’« avantage de compétitivité » dont bénéficie le transport routier grâce notamment au renoncement à une taxe kilométrique (écotaxe), à l’autorisation des 44 tonnes, à la non répercussion intégrale de l’augmentation de TICPE en 2015 et à un dumping social irrésistible sur les lignes internationales qui cabotent en France.

À cet égard, l’annonce, le 8 juin 2016, par le Premier Ministre (et sa confirmation lors de la cinquième conférence « fret », le 6 octobre 2016, par le secrétaire d’État chargé des transports, M. Alain Vidalies) de la poursuite du plan d’action pour le fret ferroviaire pour les années à venir, avec notamment une subvention de l’État de 90 millions d’euros pour 2016, ainsi qu’une aide supplémentaire de 10 millions d’euros à partir de 2018 en faveur du report modal, vont dans le bon sens, et devraient être pérennisées ;

La grille tarifaire d’accès aux infrastructures essentielles et aux installations de service de SNCF Réseau doit être compatible avec les contraintes de compétitivité du fret ferroviaire par rapport à la route.

En particulier, il apparaît opportun d’accompagner les compagnies de transport ferroviaire, y compris et sans discrimination les compagnies privées et les opérateurs ferroviaires de proximité (OFP), à surmonter le contexte économique particulièrement difficile que traverse actuellement le fret ferroviaire.

Face aux résultats décevants des plans successifs de relance, la tentation peut être grande autant qu’implicite de laisser tomber le fret ferroviaire, qui évolue par ailleurs dans un environnement industriel où l’industrie lourde et les transports massifiés sont devenus l’exception.

Cependant, il faut considérer que le transport de marchandises par rail, s’il ne constitue pas en soi un modèle économique viable, reste un puissant levier de développement, décisif du maintien ou de l’implantation d’entreprises industrielles ou agricoles, et de compétitivité de nos grands ports de commerce. Il doit donc être appréhendé comme une activité stratégique, qui suppose des choix de politique et d’investissements publics, sélectifs mais volontaristes.

Car il ne fait guère de doute que l’irrémédiable accroissement des congestions autoroutières, tout autant que l’intolérance croissante pour le développement de nouvelles grandes infrastructures, ainsi que les impératifs liés à la lutte contre le changement climatique et les émissions polluantes, ouvriront à brève échéance de nouveaux horizons de pertinence au fret ferroviaire.

Il s’agit donc de ne pas lâcher prise pour ne pas insulter l’avenir.

La situation du transport ferroviaire de marchandises en Europe : le rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne (février 2016)

La promotion de modes de transport plus durables, et en particulier du fret ferroviaire, constitue depuis plus de vingt ans une politique de l’Union européenne, qui s’est traduite par des mesures législatives (visant principalement à ouvrir le marché et à garantir un accès non discriminatoire à celui-ci) et par des financements importants du budget européen apportés à des projets ferroviaires. La Cour des comptes de l’UE a mené un audit pour évaluer si l’Union est parvenue à développer le transport ferroviaire de marchandises, en examinant l’évolution du cadre réglementaire, la part modale et les volumes transportés, l’utilisation des fonds européens…

Les constatations de la Cour, adoptées en février 2016 et publiées en mai 2016, sont très négatives : globalement la performance du transport ferroviaire de marchandises reste insuffisante. La route reste le principal mode de transport de marchandises, et la position du transport routier s’est encore renforcée depuis 2000. La part modale du fret ferroviaire au niveau de l’UE a légèrement baissé depuis 2011 ; mais « l’étendue du problème n’est pas la même dans tous les pays de l’Union » : la part modale du rail a augmenté dans 10 États entre 2000 et 2013.

Part modale du fret ferroviaire dans l’UE

Part modale du fret ferroviaire en 2013

Tendance 2000-2013

Supérieure à 40 % :

Lettonie (60,4 %)

Estonie (44,1 %)

Autriche (42,1 %)

Lettonie : en baisse (73,5 % en 2000)

Estonie : en baisse

Autriche : en hausse (30,6 % en 2000)

Entre 30 et 40 % :

Suède (38,2 %)

Lituanie (33,6 %)

Suède : en hausse (35,3 % en 2000)

Lituanie : en baisse

Entre 20 et 30 % :

Finlande (27,8 %)

Allemagne (23,5 %)

Roumanie (21,9 %)

Slovaquie (21,4 %)

Hongrie (20,5 %)

République tchèque (20,3 %)

Finlande : en hausse (24 % en 2000)

Allemagne : en hausse (19,2 % en 2000)

Roumanie : en baisse

Slovaquie : en baisse

Hongrie : en baisse

République tchèque : en baisse (31,9 % en 2000)

Entre 10 et 20 % :

Slovénie (19,3 %)

Moyenne de l’UE (17,8 %)

Croatie (17,4 %)

Pologne (17 %)

Belgique (15,1 %)

France (15 %)

Royaume-Uni (13,2 %)

Danemark (13,2 %)

Italie (13 %)

Slovénie : en baisse

Moyenne de l’UE : en baisse (19,7 % en 2000)

Croatie : en baisse

Pologne : en baisse (42,5 % en 2000)

Belgique : en hausse (11,6 % en 2000)

France : en baisse (20,6 % en 2000)

Royaume-Uni : en hausse (9,8 % en 2000)

Danemark : en hausse

Italie : en hausse (11 % en 2000)

Inférieure à 10 % :

Bulgarie (9,1 %)

Portugal (5,9 %)

Pays-Bas (4,9 %)

Espagne (4,6 %)

Luxembourg (2,4 %)

Grèce (1,2 %)

Irlande (1,1 %)

Bulgarie : en baisse

Portugal : en baisse

Pays-Bas : en hausse

Espagne : en baisse (7,2 % en 2000)

Luxembourg : en baisse

Grèce : en baisse

Irlande : en baisse

Source : Cour des comptes UE, Eurostat

La libéralisation du marché n’a pas progressé de la même manière dans tous les États membres. En 2013, dans huit États membres la part de marché de l’opérateur historique était encore entre 90 et 100 % (Finlande, Slovaquie, Croatie…) ; cette part de marché était encore de 81 % en Espagne, et comprise entre 60 et 70 % en Allemagne, en France et en Pologne. La Cour note que l’opérateur historique allemand est devenu également le principal opérateur dans trois autres États membres (Danemark, Pays-Bas et Royaume-Uni) après avoir racheté des « nouveaux entrants ».

Le réseau ferroviaire de l’UE demeure un système composé de 26 réseaux ferroviaires distincts qui sont loin d’être pleinement interopérables et dont l’infrastructure est globalement vétuste. La vitesse commerciale moyenne des trains de marchandises dans l’UE est très faible, ce qui s’explique en partie par « le manque de coopération entre les gestionnaires de l’infrastructure nationaux ». En l’absence d’entretien approprié des voies, des limites de vitesse doivent être imposées et des lignes ferment progressivement.

Les procédures d’allocation des sillons et de gestion du trafic ne sont pas adaptées aux besoins du fret ferroviaire : les sillons doivent être réservés environ un an à l’avance, le système de sanctions est parfois asymétrique (par exemple, en République tchèque, la pénalité pour non-utilisation d’un sillon réservé est de 40 % plus élevée pour un train de fret que pour un train de voyageurs), la priorité est donnée au transport de voyageurs plutôt qu’au fret lorsque des trains doivent être reprogrammés ou arrêtés à cause de perturbations ou de travaux, les redevances d’accès (péages) sont en moyenne de 28 % inférieures pour les trains de voyageurs interurbains que pour les trains de marchandises…

La Cour note que « les contraintes administratives et techniques continuent à nuire à la compétitivité du fret ferroviaire » (lenteur des procédures d’autorisation des véhicules et d’émission des certificats de sécurité, absence d’écartement de voie standard européen…).

Principales recommandations de la Cour,
adressées aux États et à la Commission européenne :

– Faire en sorte que les organismes de contrôle nationaux aient les compétences, l’indépendance et les ressources nécessaires à l’exercice de leurs missions, « et qu’ils puissent en faire réellement usage », notamment pour empêcher les pratiques anticoncurrentielles ;

– Adapter les règles relatives à la gestion du trafic, appliquées par les gestionnaires d’infrastructure, aux besoins spécifiques du secteur du fret ;

– Rendre l’allocation de fonds européens plus cohérente par rapport aux objectifs politiques, en les ciblant effectivement vers le rail et non vers la route ;

– Les États devraient, par des plans d’activité, garantir le bon entretien du réseau ferroviaire (y compris les équipements pour le « dernier kilomètre »), et la Commission européenne devrait s’assurer de la mise en œuvre de ces stratégies par les États.

B. L’ENSEIGNEMENT DES TRAINS EXPRESS RÉGIONAUX (T.E.R) OU LES VERTUS DE LA RÉGIONALISATION FERROVIAIRE

De tous les services ferroviaires assurés par la SNCF, les TER sont ceux qui ont connu les développements les plus spectaculaires. De 1990 à 2014, le trafic des TER a plus que doublé, passant de 6,1 à 13,6 milliards de passagers-km annuels. Si l’on ajoute aux TER provinciaux, le trafic des « Transilien » de la région Île-de-France, ce sont près de 26 milliards de voyageurs-km en 2014 qui ont emprunté quotidiennement ces trains.

Ces quelques chiffres soulignent le poids considérable des liaisons de proximité dans l’ensemble du trafic ferroviaire (30 % des voyageurs transportés par la SNCF). Ils éclairent la vocation contemporaine du rail pour ce type de liaisons quotidiennes, absolument vitales pour des millions de ménages français.

À ces besoins considérables a répondu une offre particulièrement dynamique, dont l’inflexion majeure tient à la progressive montée en puissance des régions en qualité d’autorités organisatrices de transport, expérimentales à compter de 1997 et généralisées, par l’article 124 de la « loi SRU », à partir de 2002 (107).

Cette montée en puissance est due à l’effort financier particulièrement soutenu et substantiel qu’elles ont produit (en 2015, les budgets transports des conseils régionaux atteignent 7,5 milliards d’euros dont 4,5 milliards de fonctionnement et 3 milliards d’investissements), parfois au-delà de leurs compétences, à travers des conventions d’exploitation avec la SNCF, essentiellement consacrées au financement de l’exploitation et d’un renouvellement généralisé de la flotte de matériels pour le compte de la SNCF qui en reste ordonnatrice et propriétaire.

Mais cette dynamique spectaculaire du transport ferré régional tient aussi à l’écart croissant qui s’est progressivement installé entre son coût et sa tarification qui couvre en moyenne moins de 30 % de celui-ci (108) !

Cependant, malgré l’effort financier considérable des régions et de l’État à travers un subventionnement des péages, le réseau de l’Île-de-France, comme celui des TER, marquent le pas sous les effets conjugués :

● d’une dégradation de la qualité de service, essentiellement imputable à l’exploitation pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, quand il s’agit de ruptures de fiabilité dues à la multiplication des chantiers de régénération et d’entretien, lancés par le Gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault et accentués par celui de M. Manuel Valls, au titre de la réorientation des investissements du réseau au profit des trains du quotidien. Pour le pire, quand il s’agit des conflits sociaux chroniques et de la pénurie de conducteurs qui en affectent régulièrement la fiabilité horaire et suscitent de vives récriminations des usagers.

Source : Le Monde.fr

● de l’apparition de nouvelles concurrences, en particulier celle du covoiturage domicile-travail qui s’appuie et s’organise en périphérie des agglomérations à partir d’une multiplication rapides d’aires de covoiturage sollicitées des élus locaux et des compagnies autoroutières.

Derrière les chiffres gratifiants de ces dernières années pointe l’indice d’un palier d’attractivité du train, les trafics TER ayant régressé de 4,4 % depuis 2012 (109).

Il y a fort à penser que cette rupture de croissance des trafics TER connaîtra un terme à l’issue des importants travaux opérés sur le réseau.

Pour autant, un certain nombre de questions restent pendantes quant à l’avenir des TER :

D’abord, le problème de leur financement, alors que les politiques ferroviaires volontaristes des régions semblent parvenues au taquet de leurs possibilités financières.

Certes la loi concernant la réorganisation de la carte régionale (110), et la loi « NOTRe » (111) qui accroît très significativement les compétences des régions en matière de mobilité, sont de nature à en rebattre les cartes, à des échelles plus larges pour ce qui concerne les 7 nouvelles régions issues de fusions.

Il n’en demeure pas moins que, si la loi de réforme ferroviaire leur a octroyé la liberté tarifaire et une forte représentation au sein du nouveau groupe public ferroviaire et du Haut comité du système ferroviaire, elles ne disposent pas encore de la plénitude de leurs prérogatives d’AOT, en cela qu’elles ne peuvent choisir librement ni leurs exploitations, ni leurs matériels ferroviaires.

Il en découle un climat de perpétuelle équivoque entre leurs aspirations d’AOT de plein exercice et le monopole de la SNCF, sur la réalité et la sincérité des coûts de production de l’exploitation.

À moins de sept ans de l’ouverture obligatoire à la concurrence, les régions expriment le désir de l’expérimenter (112), ce qui apparaît d’autant plus opportun qu’elle nécessitera de leur part une montée en gamme de leurs compétences complexes d’AO d’un mode de transport qui ne l’est pas moins, et suppose malgré tout la coordination d’ensemble qui convient à l’exploitation d’un réseau de transport guidé.

En particulier, il convient de veiller scrupuleusement à ce que les investissements d’infrastructures de SNCF Réseau confortent les choix de dessertes opérés par les AO régionales.

Dans le même ordre d’idée, il est impératif que la question particulièrement sensible et délicate des modalités de transfert des actuels personnels d’exploitation de SNCF Mobilités aux nouveaux entrants soit négociée et réglée avec les partenaires sociaux préalablement à toute expérimentation.

En outre, il appartient à l’État et aux régions de mettre en place les conditions d’une pleine propriété des matériels ferroviaires financés par les régions.

Enfin, il n’est pas incongru d’envisager le transfert total ou partiel de certaines catégories du réseau ferré national actuel (UIC 7 à 9), et la constitution de réseaux ferrés régionaux, même si cette option n’est pas la plus urgente à envisager.

Il y a donc nécessité de réfléchir à une ultime étape législative de régionalisation ferroviaire à la faveur d’une adaptation de l’actuel code des transports à l’ouverture à la concurrence des trains conventionnés, impulsée par le règlement « OSP » précité (n° 1370/2007) révisé par le quatrième paquet ferroviaire.

Au plan des services ferroviaires, les préférences collectives qui se manifestent en faveur de trains du quotidien abordables et fiables, commandent une inflexion novatrice sur les liaisons péri-urbaines, et leur insertion dans l’ensemble des types de trafic qui se concentrent sur le réseau et convergent vers les métropoles et agglomérations de province.

En province, cette aspiration à de véritables « trains de banlieues » cadencés et sécurisés, notamment pour ce qui concerne les risques inhérents aux passages à niveau en zones péri-urbaines à forte croissance démographique, plaide pour devenir une priorité de tout premier rang en matière d’orientation des investissements du réseau.

À l’évidence, la plus urgente de ces priorités concerne la mise à niveau capacitaire du réseau de l’Île-de-France – qui représente seulement 10 % du réseau ferré national mais supporte 40 % des circulations ferroviaires et 70 % des voyageurs transportés - dont la dégradation, à l’instar du réseau ferré historique, a atteint une cote d’alerte en considération de la masse de voyageurs quotidiens concernés.

Le plan de modernisation du réseau, négocié entre le STIF, l’État et la SNCF, auquel s’ajoutent des financements du contrat de plan État-région, et des investissements conséquents de la SNCF, tant sur le réseau que sur les gares, a ouvert la voie à l’impératif d’une mise à niveau du réseau et des circulations dans la capitale et sa grande région. Ainsi, en 2015, 925 millions d’euros d’investissements ont été réalisés en Île-de-France, dont plus de 500 millions d’euros consacrés au renouvellement du réseau francilien.

Pour autant, cet objectif impérieux nécessite un effort financier supplémentaire, estimé à 800 millions d’euros de travaux par an, ainsi qu’un ciblage pertinent des investissements à réaliser, avec une priorité affirmée pour les investissements de capacités sans préjudice des exigences de sécurité des circulations.

Cette priorité première pour les trains péri-urbains d’accès aux cœurs d’agglomération ne contredit pas le déploiement de services de grandes lignes d’aménagement et de dessertes des territoires. Elle devrait même les faciliter, en dissipant les conflits de trafic sur le réseau ferré aux entrées d’agglomération entre TGV, TET, TER et trains de fret.

Alors que la programmation de nos investissements privilégie les lignes ferroviaires sur l’accès aux agglomérations, il semble difficile d’échapper à une réflexion sur d’éventuels contournements ferroviaires d’agglomération à tout le moins, dédiés aux trafics de fret, tant pour des raisons de libération des sillons que de sûreté environnementale (transport de matières dangereuses, nuisances sonores…).

Ce constat, qui s’inscrit dans la vocation contemporaine d’un chemin de fer de « mass transit », souligne un peu plus la nécessité d’une politique d’investissement raisonnée et sélective permettant d’atteindre le plus rapidement possible des résultats significatifs pour le plus grand nombre d’usagers captifs du rail.

LE TRANSPORT DES RÉGIONS EN 2014

 

Matériel roulant

Infrastructures

ferroviaires

Finances

Offre fer

(trains-km)

Offre route

(cars-km)

 

Parc 2014

Nombre de km

de lignes ferroviaires

Nombre de gares ferroviaires

Péages ferroviaires

(en M d’€)

Charges totales TER

en M d’€

Charges TER

en € par habitant

Grand Est

884

3 582

399

114,239

561,472

101,36

25 453 253

6 542 916

Alsace

395

632

159

45,768

214,940

115,57

10 214 142

1 690 893

Champagne-Ardenne

186

852

78

24,595

134,700

101,01

5 593 111

1 881 004

Lorraine

303

1 243

162

43,876

216,532

92,30

9 646 000

2 971 019

Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes

466

2 995

330

59,930

358,850

61,78

16 784 907

3 460 931

Aquitaine

280

1 500

170

35,910

209,380

63,72

8 930 831

1 288 572

Limousin

79

778

80

11,530

75,550

102,28

4 144 620

1 436 207

Poitou-Charentes

107

717

80

12,490

73,920

41,44

3 709 456

736 152

Auvergne – Rhône-Alpes

1 022

3 060

336

144,000

723,830

94,00

31 264 000

12 041 859

Auvergne

150

1 060

85

14,100

116,150

85,47

5 145 000

1 765 705

Rhône-Alpes

872

2 000

251

126,900

607,680

95,83

26 119 000

10 276 154

Bourgogne – Franche-Comté

499

1 833

200

66,168

295,722

104,88

14 782 409

3 393 589

Bourgogne

375

1 052

127

45,920

195,810

119,22

9 778 852

1 425 096

Franche-Comté

124

781

73

20,248

99,912

84,88

5 003 557

1 968 493

Bretagne

240

1 037

124

25,120

129,070

39,43

7 197 277

2 301 083

Centre – Val de Loire

389

1 343

159

51,784

244,459

95,01

10 070 000

2 801 739

Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées

605

2 409

273

56,721

325,131

58,09

14 482 342

7 697 411

Languedoc-Roussillon

306

924

126

28,041

135,872

50,89

6 110 712

1 686 541

Midi-Pyrénées

299

1 485

147

28,680

189,259

64,67

8 371 630

6 010 870

Hauts-de-France

891

2 453

363

108,707

559,450

93,87

22 391 166

3 021 180

Nord-Pas-de-Calais

476

1 212

204

61,967

299,102

74,12

12 684 395

300 576

Picardie

415

1 241

159

46,740

260,348

135,26

9 706 771

2 720 604

Normandie

464

1 248

117

26,600

167,376

50,25

8 439 354

1 975 558

Basse-Normandie

167

681

49

10,900

72,976

49,33

3 461 374

557 980

Haute-Normandie

297

567

68

15,700

94,400

50,97

3 775 442

1 417 578

Pays de la Loire

399

1 177

134

34,815

187,791

51,34

8 757 887

2 731 728

Provence-Alpes-Côte d’Azur

513

1 158

144

49,935

348,975

70,71

12 027 792

6 820 900

Source : La Vie du Rail / ARF et régions

C. RECONSIDÉRER NOTRE POLITIQUE DES GRANDS PROJETS DE LIGNE À GRANDE VITESSE

Longtemps fierté nationale et fleuron de notre technologie ferroviaire, le TGV n’est pas épargné par les évolutions contemporaines.

Si son modèle économique, longtemps triomphant, marque des signes d’essoufflement, ils ne sont pas de nature à le disqualifier et supposent un repositionnement stratégique !

D’une part, ses coûts d’investissement et d’exploitation s’avèrent de plus en plus sélectifs pour une clientèle qui peine à en payer le prix. Il en résulte un désalignement croissant et préoccupant des tarifs supportables par la clientèle, avec l’inflation des péages que nécessiterait la couverture du coût complet de ces trains commerciaux.

Consciente de ce problème, la SNCF y a réagi par la mise en place judicieuse de TGV low cost, de type « Ouigo », qui proposent des billets à partir de 10 euros, voire 5 euros pour les enfants de moins de 12 ans accompagnés d’un adulte.

Les « Ouigo » représentent désormais environ 7 % du trafic TGV, voire 15 % sur le Paris-Marseille, et permettent d’améliorer le taux de remplissage des trains (actuellement estimé à 64 % pour les TGV classiques contre 93 % pour les « Ouigo »), surtout aux heures creuses.

Mais la tendance dominante est de limiter les cadencements et les dessertes TGV, à l’exemple de la négociation tendue qui a opposé SNCF Mobilités à LISEA, le concessionnaire de la LGV Bordeaux-Paris.

« LGV 2017 : le bras de fer entre LISEA et SNCF se durcit »
Extrait de l’article de M. Jean-Bernard Gilles paru dans Sud-Ouest (4 avril 2015)

« […] Fin février, la SNCF qui dit que les péages réclamés par LISEA sont trop chers (environ 20 euros par km et par train) faisait ses propositions. Elle avance que la nouvelle ligne à grande vitesse sera déficitaire de 100 à 200 millions d’euros. Et propose un schéma de desserte qui a provoqué l’ire des élus locaux, dont les collectivités ont financé les travaux de manière significative : 13 allers et retours directs entre Bordeaux et Paris en à peine plus de deux heures, contre 11 aujourd’hui en plus de 3 heures. Ou encore 7 allers-retours entre Angoulême et Paris, moitié moins qu’aujourd’hui. Quant à la desserte de Libourne, la SNCF propose 3 allers-retours en 3 heures environ, contre une moyenne de 4,5 aujourd’hui à vitesse moyenne entre Tours et Bordeaux. […]

« Contre propositions de LISEA

« Pour sortir de l’impasse LISEA, qui a du mal à assumer publiquement son différend avec la SNCF, vient de faire d’autres propositions. Le concessionnaire, plus embarrassé qu’il ne l’avoue pour ce qui est de l’équilibre économique et financier de son contrat, propose 19 allers et retours directs entre Bordeaux et Paris qui lui permettraient d’être plus crédible dans son objectif de capter au moins 80 % du trafic de la navette Air France Mérignac-Paris.

« LISEA suggère aussi une desserte améliorée de Poitiers, avec une moyenne de 20 arrêts au lieu des 16 proposés, d’Angoulême avec 3 à 4 arrêts de plus que dans le schéma de desserte de la SNCF et une desserte de Libourne inchangée, avec 3 allers et retours, mais améliorée par de meilleures conditions tarifaires des TER vers Bordeaux. […] »

D’autre part, le TGV est aujourd’hui concurrencé sur la moyenne distance par le covoiturage (dont le trajet moyen s’élève à 320 kilomètres (113)) et sur la longue distance, notamment internationale, par le low cost aérien moins contraint par les coûts d’infrastructures.

Enfin, le modèle français du TGV privilégie des niveaux de vitesse et de performance technique particulièrement exigeants en matière de coûts d’exploitation, qui expliquent sa relative modestie à l’exportation au profit de trains pendulaires ou des trains classiques grande vitesse confortables de type RailJet, moins performants mais plus simples d’exploitation et moins coûteux.

Pour des raisons essentiellement industrielles, la France s’interdit cette option, quand l’Allemagne et l’ensemble de l’Europe centrale privilégient des technologies intermédiaires.

Rentabilité des LGV présentées par date de construction

 

Taux de rentabilité interne (TRI) à 20 ans

Économique

Socio-économique

A priori

A posteriori

A priori

A posteriori

LGV Lyon

16,5 %

15,2 %

28,0 %

nd

LGV Atlantique

12,0 %

8,5 %

23,6 %

12,0 %

LGV Nord

12,9 %

2,9 %

20,3 %

5,0 %

Interconnexion Ile-de-France

10,8 %

6,9 %

18,5 %

15,0 %

LGV Rhône-Alpes

10,4 %

6,1 %

15,4 %

10,6 %

LGV Méditerranée

8,0 %

4,1 %

12,2 %

8,1 %

Source : Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD)

La commission « Mobilité 21 », mise en place par le Gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault et sous la présidence de notre collègue Philippe Duron, député du Calvados, a clairement préconisé une pause dans la réalisation de lignes nouvelles, compte tenu des investissements considérables nécessaires à la régénération d’un réseau fortement dégradé et très sollicité.

À cet égard, le récent « rapport Mathieu » (114), sans récuser l’intérêt de la très grande vitesse, révèle le considérable potentiel de gains de temps de trajet accessibles sur les lignes classiques par des investissements appropriés et judicieusement ciblés.

Il ne s’agit pas d’abandonner la technologie de la grande vitesse, dont on rappellera que l’Europe la caractérise à compter de 250 km/h (contre 320 km/h pour les TGV français), mais de la repositionner en considération des nouvelles demandes sociales et du « gap » tarifaire difficilement compensable auquel elle semble condamnée.

De ce point de vue, on peut légitimement penser que l’adoption de la technologie pendulaire peut constituer, sur certaines lignes à forte dimension d’aménagement du territoire et de desserte d’agglomérations moyennes, une solution rapidement opératoire, à moindre frais, et à plus grand succès potentiel à l’exportation, à l’exemple du marché Amtrak conclu en août 2016 par Alstom aux États-Unis.

De la même façon, le programme « TGV du futur », à la fois plus capacitaire et plus économique, financé par le programme d’investissement d’avenir (PIA), n’est pas contestable, mais l’on peut s’étonner que la France se voue à un avenir « tout TGV » alors qu’elle manque d’une gamme de trains intermédiaires à l’avenir commercial plus assuré.

Alors que les expériences de financements publics-privés montrent clairement leurs limites en matière de LGV, et eu égard aux contraintes qui pèsent sur les budgets publics, il ne serait pas inopportun d’envisager, à l’instar de l’Allemagne, un moratoire daté sur les nouveaux grands projets ferroviaires, afin de donner à notre système ferroviaire la visibilité et la prévisibilité qui font actuellement défaut à la maîtrise de sa trajectoire financière.

D. ALIGNER LES PRIORITÉS DE RÉGÉNÉRATION DU RÉSEAU AVEC LES CHOIX POLITIQUES D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Placés sous l’autorité organisatrice de l’État, les TET constituent incontestablement le maillon faible de nos services ferroviaires.

Initialement très fréquentés par les conscrits et les étudiants dans leurs migrations hebdomadaires, les TET ont souffert de la perte de ces clients sous les effets conjugués de la fin de la conscription en 1997, de la motorisation croissante des étudiants et surtout de l’avènement du covoiturage.

Il reste à évaluer l’impact de la libéralisation du transport par autocar sur leur fréquentation, mais tout indique qu’il est négligeable, du fait essentiellement d’une très faible redondance des dessertes des TET et des nouvelles lignes de cars commerciaux. Sous réserve d’une évaluation précise du marché des « cars Macron », ces derniers semblent au contraire avoir trouvé un nouveau public par induction et révélation de besoins de mobilité low cost, plutôt que par une concurrence significative du rail !

Déficitaires de l’ordre de 300 millions d’euros, affectés d’une perte d’attractivité croissante, les TET ont fait l’objet d’une réorganisation profonde, annoncée le 21 juillet 2016 par le secrétaire d’État chargé des transports, M. Alain Vidalies, qui s’est traduite par :

● l’abandon, au 1er octobre 2016, des lignes de trains de nuit (fréquentation en baisse de 25 % depuis 2011 ; 25 % du déficit des TET, pour seulement 3 % des voyageurs transportés ; 100 euros de subventionnement public en moyenne par passager), à l’exception des lignes Paris-Briançon et Paris-Rodez/Latour, en raison de l’absence d’une offre alternative suffisante pour les territoires concernés ;

La ligne Paris-Tarbes-Hendaye sera toutefois maintenue jusqu’à la mise en service de la ligne nouvelle Sud Europe Atlantique (le 1er juillet 2017). La ligne Paris-Nice, dont l’interruption était prévue le 1er octobre 2016, sera maintenue jusqu’à la fin de la saison estivale 2017 (le 1er octobre 2017) ;

● le maintien de trois lignes de TET structurantes aux dessertes réaménagées via un schéma directeur : Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, Paris-Clermont-Ferrand, et Bordeaux-Toulouse-Marseille ;

● un plan de modernisation des matériels, dont la vétusté explique pour partie la désaffection du public. Le parc de matériel roulant des lignes TET structurantes sera entièrement renouvelé d’ici 2025, pour un montant d’investissement d’environ 1,5 milliard d’euros :

– sur les lignes Paris-Limoges-Toulouse, Paris-Clermont Ferrand, Transversale Sud Bordeaux-Toulouse-Marseille, un appel d’offres est lancé par SNCF Mobilités pour disposer de nouvelles rames d’ici à l’horizon 2020 ;

– sur la ligne Paris-Caen-Cherbourg, en concertation avec la région Normandie, le renouvellement pourrait prendre la forme d’une acquisition, dans le cadre du marché existant entre SNCF Mobilités et Bombardier, ou dans le cadre du nouvel appel d’offres ;

– 34 rames neuves, d’ores et déjà en cours d’acquisition pour un montant de 510 millions d’euros, seront déployées à partir de fin 2016, sur des lignes en partie non électrifiées ;

– 30 rames neuves supplémentaires, à un niveau, seront acquises dans le cadre du marché existant entre SNCF Mobilités et Alstom et seront déployées à partir de 2018. Cette commande pourra évoluer selon le résultat de la concertation engagée avec les régions ;

– enfin, le Gouvernement a annoncé le 4 octobre 2016 qu’il allait acheter 15 TGV Duplex destinés aux lignes Intercités Bordeaux-Marseille et Montpellier-Perpignan, pour un montant total d’environ 450 millions d’euros.

● un transfert à la nouvelle région Normandie, selon l’accord du 25 avril 2016, des lignes Paris-Caen-Cherbourg, Paris-Rouen-Le Havre, Paris-Granville, Caen-Le Mans-Tours et Paris-Serquigny, dont la région reprendra la gouvernance d’ici 2020, avec un effort sans précédent de l’État pour financer le renouvellement des matériels des lignes Paris-Caen-Cherbourg et Paris-Rouen-Le Havre, pour un montant de 720 millions d’euros.

Des échanges sont en cours avec les autres régions et devaient être formalisés d’ici le 15 octobre 2016.

Pour être incontestablement bienvenu, ce plan méritera une évaluation soigneuse, susceptible de livrer des enseignements sur l’avenir des trains d’aménagement du territoire.

Si ces trains grandes lignes, destinés à la desserte de territoires enclavés et d’un réseau de villes moyennes irrigant des zones à faible densité de population, s’inscrivent dans une mission de service public imprescriptible, deux conditions semblent essentielles à leur avenir :

La première est d’en réorganiser les lignes en considération des alternatives intermodales et intramodales à la disposition des territoires ciblés. En particulier, il convient d’éviter les redondances excessives avec les TER et les LGV et d’en articuler soigneusement l’horaire et les dessertes.

La seconde est de rehausser très significativement la qualité de service, tant en matière de confort et d’attractivité du matériel qui doit correspondre aux attentes de notre époque (Wi-Fi…), que de vitesse et de modularité de l’exploitation. Cette exigence suppose notamment que les priorités d’investissements sur le réseau historique participent de la relance de ce type de service !

*

* *

Notre politique ferroviaire est orpheline d’un grand débat national sur ses priorités.

Pour bienvenue et impérieuse qu’elle soit après les graves négligences de la politique du « tout TGV », la réorientation de la politique d’investissement ferroviaire en faveur de la régénération et de la maintenance du réseau ferré historique ne dissipe pas des interrogations fondamentales sur les choix de politique et de mobilité ferroviaires qu’elle s’assigne.

On observera notamment qu’elle reste empreinte d’une logique d’offre duale visant à juxtaposer d’un côté un réseau historique à vitesse limitée aux besoins quasi exclusifs des TER, et de l’autre un réseau de LGV financièrement très exigeant, en investissement comme en exploitation, aux dépens d’un niveau de régénération intermédiaire du réseau structurant.

Ce choix, distinct de celui de l’Allemagne, correspond certes à la gamme binaire des matériels roulants produits en France (Regiolis et TGV), mais peut être fait aux dépens de gains de temps et de qualité de service plus systématiques et mieux adaptés à des nécessités d’aménagement du territoire, de desserte de villes moyennes dans des conditions nettement améliorées, et aussi de répondre aux besoins d’un plus grand nombre d’usagers.

Faute de pouvoir offrir des trains à haut niveau de confort et à vitesse élevée (sans être supérieure à 220-250 km/h) sensiblement moins coûteux que des TGV centrés sur la région parisienne, il est à craindre que les liaisons transversales entre villes moyennes de province restent peu attractives par rapport à la route.

L’épisode du « sauvetage » de l’usine de Belfort d’Alstom par l’achat de 15 rames TGV à 30 millions d’euros pièce pour circuler sur un réseau limité à 200 km/h sur ses meilleures sections, alors qu’un train « grande ligne » comme le RailJet de Siemens (3 classes dont une classe affaire, Wi-Fi et 250 km/h) conquiert l’Europe centrale pour 11 à 12 millions d’euros la rame, est révélateur du déterminisme excessif qu’exerce encore notre industrie ferroviaire (logique d’offre) sur une politique ferroviaire qui court le risque de se découpler des besoins des usagers et de nos territoires de province.

On ne peut s’empêcher de penser que l’autonomisation croissante de l’usager, grâce à une palette de plus en plus large et souple de solutions de mobilité, commanderait que notre politique ferroviaire soit plus largement déterminée par des objectifs de service ferroviaire que par des options industrielles. C’est-à-dire que l’on substitue à l’actuel primat de l’offre technique une meilleure prise en compte des besoins de mobilité des usagers et de dessertes des territoires.

Il est probable qu’une telle réorientation stratégique de notre politique ferroviaire, en rupture avec les cloisonnements modaux, l’« hypercentralisme » politique et le primat de l’offre, devra déboucher sur une plus grande diversité d’offres commerciales ferroviaires, et par conséquent sur une plus grande modularité des normes et des gammes de travaux comme de matériels. Sans doute une nouvelle gouvernance mieux équilibrée entre nécessités nationales (gestion du réseau, notamment) et adaptabilité locale reste-t-elle à approfondir.

Une telle orientation serait probablement plus profitable à l’attractivité du rail et par conséquent à l’avenir de notre industrie et de sa gamme.

CONCLUSION : RÉFORMER OR NOT RÉFORMER ?

Préparés bien en amont auprès d’organisations syndicales précisément informées des intentions du Gouvernement, et dont la revendication d’une reconfiguration du groupe SNCF avait fait l’objet de longue date d’un lobbying réussi au-delà de toutes les espérances auprès de la Commission européenne, les débats parlementaires de la loi de réforme ferroviaire n’en ont pas moins provoqué une grève « dure » de 14 jours, émaillée d’incidents violents et de dégradations sur le matériel et dans les locaux de la SNCF.

Ainsi a-t-on assisté, en quelques jours, malgré de patients et pugnaces efforts du ministre chargé des transports de l’époque, M. Frédéric Cuvillier, pour obtenir, conjointement avec la Deutsche Bahn, un quatrième paquet ferroviaire conforme à son objectif concerté avec les syndicats de la SNCF de créer un « groupe » inédit et ad hoc de trois EPIC, sous tutelle directe de l’État, à une volte-face spectaculaire des syndicats soumis aux surenchères de leur compétition interne.

Nous avons pu observer, à la faveur de ce mouvement social, l’état préoccupant de sous-information chronique des personnels d’exécution sur l’environnement de leur entreprise et les évolutions rapides qui l’affectent.

Il est clair que ce « décalage » du corps social ainsi que l’âpre concurrence et les surenchères auxquelles se livrent les organisations syndicales posent un problème considérable et particulièrement préoccupant de cohésion sociale du groupe, de compréhension de ses enjeux et de mobilisation pour les surmonter.

Dans un tel contexte, qui tend à désaligner dangereusement l’état-major et les cadres de l’entreprise d’une base cheminote compétente indispensable à son bon fonctionnement et à ses performances techniques et commerciales, mais entretenue dans un conservatisme de plus en plus coupé des évolutions de la société et des nouveaux usages de la mobilité, on peut légitimement se demander si une réforme, qui produit toujours un effet catalyseur sur la compétition sociale au sein de l’entreprise, est préférable à l’évolution darwinienne de l’entreprise, certes plus douloureuse à terme, mais paradoxalement mieux tolérée par les organisations syndicales.

Cette question paraît cynique, mais mérite d’être exprimée à la lumière des déclenchements de grèves que suscite, à la SNCF, toute tentative ou annonce de réforme quelle qu’elle soit.

À cet égard, contrairement à une idée reçue largement répandue et fallacieusement entretenue, la direction de la SNCF déploie, à défaut de « l’État stratège », une stratégie informelle qui lui est propre pour adapter tant bien que mal l’entreprise aux incessants défis de son environnement, en louvoyant comme elle le peut au sein des injonctions contradictoires et des alternances de sa tutelle politique. Cette stratégie informelle de la SNCF, par définition ni formulée ni formulable, se déploie essentiellement dans trois directions :

● D’une part, l’état-major de la SNCF a pris la mesure des difficultés, souvent accentuées par un « principe de précaution politique » de l’État, à réformer la SNCF au rythme où son environnement économique et social évolue. Ainsi observe-t-on que dans la quasi-totalité des métiers du ferroviaire (fret, voyageurs, maintenance, entretien du réseau…), la SNCF a développé un réseau de filiales qui dédoublent souvent les missions de l’EPIC, mais aux conditions sociales et commerciales … du marché.

C’est ainsi que des filiales comme Keolis pour les trains de voyageurs, VFLI pour le transport de marchandises ou encore Sferis pour l’entretien technique et la maintenance du réseau (en sous-traitance de SNCF Réseau) sont clairement positionnées sur des activités théoriquement couvertes à titre principal par l’EPIC.

De la sorte, la SNCF s’est mise en position de répondre aux exigences et aux contradictions politiques, mais aussi de s’inscrire dans le jeu concurrentiel en veillant à ne rien céder à ses concurrents privés.

Ainsi, il y a fort à penser que Keolis sera le moment venu l’un des nouveaux entrants les mieux préparés à l’ouverture du réseau français à la concurrence des trains de voyageurs. Il disposera pour ce faire des arguments commerciaux et d’une culture sociale mieux adaptés que ceux de l’EPIC.

Par cette stratégie, faute de pouvoir réformer l’EPIC, la direction de la SNCF gère, à bas bruit et sans affrontement, la survie du groupe. En contrepartie, elle ne se déploie pas sans une savante opacité…

● D’autre part, la stratégie de la SNCF tient au développement d’un groupe multimodal qui l’éloigne de l’entreprise exclusivement ferroviaire des origines. Il s’agit d’une réorientation majeure et récente de la stratégie de la SNCF qui, au contraire, par excès de cloisonnement modal et de corporatisme, s’est longtemps refusée à toute stratégie intermodale, jusqu’à être en partie responsable d’un « retard français » en matière de dessertes ferroviaires de nos aéroports ou encore de nos grands ports (le trafic terrestre induit par le port du Havre ne s’effectue qu’à 5 % par le rail !).

Aujourd’hui la SNCF s’efforce de s’adapter aux nouveaux usages de la mobilité en développant des services dans tous les segments des mobilités nouvelles (cars, auto-partage, covoiturage, vélos…) ou plus anciennes (transport routier de marchandises). Son objectif est clairement de répondre aux évolutions des besoins et des comportements des usagers et, fusse au prix de positionnements non rentables, de faire en sorte qu’ils restent captifs de la SNCF, à défaut de le rester du rail.

Cette stratégie commerciale se traduit par une évolution délibérée vers un « groupe de mobilités », pour ce qui concerne les voyageurs, et de « logistique » pour ce qui concerne le transport de marchandises, rail, route ou combiné.

● Enfin, le troisième grand axe de la stratégie du groupe concerne son positionnement par rapport à l’ouverture du réseau à la concurrence.

Là encore, on observe un changement de ligne du groupe, en décalage avec, sinon les déclarations, du moins les « prudences » de sa tutelle politique.

La SNCF a en effet longtemps épousé le « double jeu » français : conciliante à Bruxelles sur la longue marche des quatre paquets législatifs ferroviaires vers l’ouverture à la concurrence ; mais adepte en France de la défense passive, de type « ligne Maginot », voire même (pour ce qui concerne les services d’exploitation de la SNCF) de quelques entraves caractérisées à l’encontre des nouveaux entrants sur le fret.

Cette position typique s’expliquait par la volonté de préserver le fragile équilibre consistant à ménager la susceptibilité explosive de son corps social et de ses organisations syndicales à l’égard de toute perspective d’ouverture à la concurrence, sans pour autant céder de terrain à ses grands concurrents européens sur les réseaux européens ouverts par anticipation.

Force est de constater qu’elle a longtemps excellé dans l’exercice de cette équivoque de connivence avec sa tutelle politique et les gouvernements successifs.

Les enjeux de l’ouverture du trafic voyageurs étant d’une tout autre ampleur que celle du fret ferroviaire, physiquement contraint par une qualité médiocre des sillons et des capacités qui lui sont attribués, l’état-major de la SNCF a réorienté sa stratégie à l’égard de la concurrence en inscrivant résolument la loi de réforme ferroviaire dans son anticipation et sa préparation rigoureuse.

Par ailleurs, l’aiguillon de plus en plus mordant des nouvelles concurrences intermodales apparues sur le marché de la mobilité, comme le changement de comportements et d’exigences des usagers, l’ont déterminé à adopter une attitude proactive en faveur d’une ouverture progressive et contrôlée de la concurrence passagers sur le réseau ferré national.

Il s’agit clairement de préparer la SNCF à encaisser le choc concurrentiel dans les meilleures conditions de compétitivité ; d’autant plus que les régions, qui s’y sont converties lors des États généraux du transport ferroviaire régional à Nantes en septembre 2011, ont manifesté l’intention d’en pousser les feux, à titre expérimental au moins, avec l’assentiment du Gouvernement de M. Manuel Valls.

Il est vrai que les professionnels du secteur estiment à quatre ans le temps nécessaire à la conversion d’un monopole historique aux défis d’une concurrence ouverte.

Au total, contrairement à un préjugé très largement répandu, la SNCF dispose bien d’une stratégie, au moins implicite, faute qu’elle soit totalement assumée par sa tutelle politique.

C’est donc plutôt la stratégie de « l’État stratège » qui pose problème au monde ferroviaire, tellement elle est émaillée d’injonctions contradictoires, de revirements politiques et de ruptures de continuité imprévisibles et difficiles à intégrer pour un groupe de la taille de la SNCF.

Pour autant, si la sphère politique semble la moins assurée de continuité et de cohérence stratégique, elle n’en laisse pas moins la SNCF déployer sa stratégie informelle, avec d’indéniables résultats en matière d’accompagnement du changement de la culture d’entreprise.

Au point qu’il pourrait être tentant de se demander si la SNCF ne se réforme pas plus sûrement en l’absence, qu’en présence de réforme.

À l’évidence, la réponse est non, tellement la SNCF est demeurée, depuis la guerre, une exception institutionnelle et politique, juridiquement taillée sur mesure, héritée d’une période aujourd’hui révolue, et tellement son adaptation au monde contemporain est cruciale pour un avenir dont elle peut gaspiller tous les atouts.

*

* *

Pour être perfectible, la réforme de 2014 constitue probablement pour notre système ferroviaire, la réforme la plus importante depuis celle de 1937 qui a créé la SNCF sur les décombres des compagnies privées qui ont développé l’infrastructure ferroviaire considérable dont dispose encore la France.

En particulier, elle a posé les conditions essentielles à une évolution de notre système ferroviaire d’une régulation colbertiste – centralisée et pyramidale, trop rigide et trop peu soucieuse d’équilibres économiques pour ne pas menacer à terme le formidable patrimoine de compétences et de savoir-faire, patiemment accumulés, qui constitue aujourd’hui son atout maître – vers une régulation concurrentielle qui exige d’abord que la tutelle étatique assume son imprescriptible mission stratégique.

Indéniablement, les points forts que révèle la réforme, deux ans seulement après sa promulgation, tiennent :

– à la performance managériale remarquable qui a conduit à transférer plus de 50 000 cheminots de SNCF Mobilités à SNCF Réseau, en bon ordre, avec des résultats déjà prometteurs en matière de gestion du réseau et de ses conditions d’accès, aux anicroches près émises par le présent rapport ;

– au renforcement très substantiel des compétences et des prérogatives du régulateur, dont la plus-value en matière de transparence et de correction des incohérences (tant de l’État que de la SNCF), s’est déjà signalée à plusieurs reprises ;

– à l’obligation faite à l’État de rationaliser ses choix publics, notamment d’investissement, à travers la mise en œuvre de contrats d’objectifs et de la règle d’or ;

– et malgré tout, au retour au droit commun des conditions de travail des cheminots de la SNCF, désormais assignés à des négociations de branche et d’entreprise adaptables à leur environnement, sans préjudice de leur statut.

S’il apparaît nécessaire à vos Rapporteurs de « réformer la réforme », c’est essentiellement sur des points accessoires, en considération du chemin parcouru, mais nécessairement indispensables à son complet achèvement, au service d’une SNCF repositionnée et conquérante dans sa vocation de grand groupe européen de mobilité.

Il serait particulièrement préjudiciable au groupe SNCF, et plus généralement aux chemins de fer, que l’on envisage, pour des raisons plus idéologiques et politiques que d’intérêt public, de remettre radicalement en cause une réforme récente qui n’a pas encore disposé du temps nécessaire à une évaluation sereine de ses effets et de ses résultats.

En particulier, les acteurs du ferroviaire en ont encore des appréciations contradictoires, les uns considérant que la suppression du gestionnaire d’infrastructure délégué et la création de SNCF Réseau ont notoirement amélioré la cohérence opérationnelle de gestion du réseau et clarifié les responsabilités ; d’autres retenant au contraire qu’il subsiste encore des connivences excessives entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités en matière d’accès au réseau.

De nombreux acteurs du secteur s’interrogent et émettent des réserves sur la multiplication des services transversaux logés au sein de l’EPIC de tête, et sur la porosité et les connivences possibles entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau, en contradiction avec les exigences d’indépendance et de non-discrimination du gestionnaire d’infrastructure.

Enfin, d’autres encore s’alarment d’un cloisonnement démesuré entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités, qui pourrait déboucher sur un désalignement excessif des intérêts de l’exploitation et du réseau. Cette dernière objection ne pourrait bien évidemment qu’être aggravée par une séparation totale, sans les synergies (et les économies) de groupe garanties par une structure en 3 EPIC.

Nous rappellerons simplement que l'expérience de séparation totale de RFF et de la SNCF a notamment conduit à de regrettables déconvenues politiques et financières :

– sur la nouvelle LGV Tours Bordeaux, où la SNCF (l'exploitant) a dû démentir des engagements conventionnels de RFF avec des collectivités locales et le concessionnaire privé, qui multipliaient les engagements de dessertes locales au mépris du modèle économique et de la vocation du TGV ;

– sur la ligne nouvelle de contournement de Montpellier, la nouvelle région vient d'interrompre ses financements d'un chantier de gare après en avoir constaté l’inutilité, cette gare apparaissant comme dénuée de toute desserte locale pertinente (pour un coût de l'ordre de 26 millions d'euros !).

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour éclairer ces appréciations, d’observations et d’informations suffisantes à fonder une évaluation parfaitement documentée d’une gouvernance encore en rodage.

Réforme de gouvernance et de stabilité économique, la loi du 4 août 2014 n’engage pas, à elle seule, l’avenir de la SNCF et de notre système ferroviaire, qui reste en attente de décisions politiques cruciales sur le traitement de la dette ferroviaire, sur les choix d’investissement et la stabilisation de leur programmation, sur le financement du système, sur l’amélioration et la fiabilisation des sillons de fret, sur le statut des gares, sur les interférences entre la SNCF et les industries ferroviaires.

À cet égard, les réorientations imprimées tant par M. Frédéric Cuvillier avec la loi de réforme ferroviaire, que par M. Alain Vidalies en faveur de la régénération et de la maintenance du réseau historique, vont indéniablement dans le bon sens, à condition qu’elles ne s’en écartent pas, et s’inscrivent dans une stratégie plus constante et plus rationnelle d’investissements.

Mais dans un secteur désormais âprement « mis au défi » par les autres modes de transport et les changements de comportements et d’attentes des usagers, la réforme reste encore trop exposée à « l’aléa politique » de court terme pour pouvoir prétendre donner sa pleine mesure.

En particulier, une inquiétude se fait jour à l’égard de symptômes, encore subreptices, de « déconstruction » de la réforme, à travers :

– le différentiel de conditions de travail reconduit entre l’accord de branche et l’accord d’entreprise SNCF, au détriment potentiel de cette dernière, dans la perspective de l’ouverture à la concurrence ;

– une nouvelle fuite en avant de grands projets d’investissements (hors du champ d’analyse de Mobilité 21), de nature très politique, de pertinence économique et sociale approximative, au risque hautement probable d’un nouveau dérapage de la dette ;

– la tentation manifeste de l’État de « contourner » la règle d’or sensée maîtriser l’endettement du système ferroviaire, en la défaisant par voie législative, projet par projet, avec un risque de retour dans le giron du système ferroviaire des projets les plus structurellement déficitaires.

Vos Rapporteurs ont, dans le présent rapport, esquissé les voies nouvelles qui procèdent plus d’ajustements particuliers sur tel ou tel point inabouti, que d’une tentation de reconsidérer de fond en comble l’architecture de la réforme. Elles leur apparaissent nécessaires à la relance du rail français et à son inscription dans les multiples enjeux, nationaux et internationaux, de son époque.

Nos chemins de fer disposent d’un capital d’expérience, de compétences, et de savoir-faire inestimable, qui les place dans une position particulièrement privilégiée pour épouser les évolutions des usages de mobilité, et en surmonter les multiples défis.

Mais notre politique ferroviaire reste encore trop empreinte d’un déterminisme de l’offre et de lobbying politique qui pèsent sur ses choix d’investissement et ses coûts de production, au risque d’une fracture croissante avec les préférences collectives exprimées par les nouveaux usagers, et les alternatives nouvelles que leur offrent les développements de l’économie numérique.

Malgré les efforts d’adaptation du groupe SNCF à ces évolutions sociétales, les choix politiques que lui assigne sa tutelle restent insuffisamment ouverts à une approche qui privilégie les attentes et les besoins du plus grand nombre d’usagers.

Dans le présent rapport, vos Rapporteurs ont proposé d’y pallier notamment par une politique d’investissement raisonnée, transparente, programmée et sécurisée, qui suppose des choix moins soumis à l’aléa politique, à ses incertitudes et à ses contradictions.

C’est la raison pour laquelle vos Rapporteurs pensent qu’il serait opportun d’ajouter aux mesures d’amélioration de la prise de décision politique et de la productivité/compétitivité de notre système ferroviaire, une structuration ambitieuse de la recherche appliquée à partir des travaux effectués par Railenium (l’institut de recherche technologique de la filière ferroviaire) et le programme européen Shift2rail, ainsi que l’organisation d’un grand débat national, ouvert aux attentes des citoyens et des usagers et non plus seulement à celles des industriels.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. PATRICK JEANTET, CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DÉLÉGUÉE DU DIRECTOIRE DE LA SNCF

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Patrick Jeantet, candidat à la présidence déléguée du directoire de la SNCF.

M. Jean-Paul Chanteguet. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et aux termes de l’article L. 2102-9 du code des transports et du décret n° 2015-137 du 10 février 2015, il nous appartient d’auditionner le candidat à la présidence déléguée du directoire de la SNCF, c’est-à-dire à la présidence du conseil d’administration de SNCF Réseau, pour succéder à M. Jacques Rapoport qui, pour raisons personnelles, a donné sa démission avant le terme de son mandat.

C’est la première fois que nous rencontrons M. Patrick Jeantet, actuellement directeur général délégué d’Aéroports de Paris.

J’indique que l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) a donné un avis favorable à sa nomination, le 11 mai dernier.

Je rappelle que le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

L’audition de cet après-midi sera donc suivie d’un vote à scrutin secret, pour lequel aucune délégation de vote n’est possible et qui sera effectué par appel nominal.

La Commission du développement durable du Sénat ayant déjà auditionné aujourd’hui M. Patrick Jeantet, le dépouillement aura lieu immédiatement après le vote.

Après vous être présenté, vous nous expliquerez ce qui justifie votre candidature et vous préciserez les orientations et les objectifs que vous poursuivrez dans le cadre de cette belle mission.

M. Patrick Jeantet. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c’est un grand honneur pour moi d’être devant vous pour cette audition qui s’inscrit dans le processus officiel de nomination du président délégué du directoire de la SNCF, qui emporte automatiquement la présidence et direction générale de SNCF Réseau. L’onction du Parlement me conférera une légitimité très précieuse dans le management de l’entreprise. La SNCF est d’abord un service public et SNCF Réseau est gestionnaire d’un patrimoine national, comme l’a souligné M. Jacques Rapoport.

Cette audition sera pour moi l’occasion de vous présenter mon parcours afin que vous puissiez donner un avis éclairé sur ma nomination.

Elle me permettra de vous dire dans quel état d’esprit j’aborde la mission qui pourrait m’être confiée si vous validez ma candidature et quels sont pour moi les grandes priorités et les grands enjeux qui me paraissent attendre le futur président délégué du directoire de la SNCF et le président-directeur-général de SNCF Réseau.

Enfin, elle me fournira la possibilité de recueillir vos commentaires et analyses sur le transport ferroviaire, et la SNCF en particulier.

Pendant les treize premières années de ma carrière, j’ai dirigé de grands projets d’infrastructure, successivement chez Bouygues puis chez Vinci, deux des plus grands groupes mondiaux du bâtiment et des travaux publics, deux grands succès français à l’international. Or SNCF Réseau, avec ses 30 000 kilomètres de voies, ses 600 000 poteaux caténaires, ses nombreux ouvrages d’art et ses tunnels, est d’abord un grand groupe d’infrastructures.

J’ai passé les dix-huit années suivantes dans les services publics : tout d’abord dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, puis dans les transports publics terrestres et enfin dans les services aéroportuaires, depuis deux ans et demi, chez Aéroports de Paris (ADP). Or le groupe SNCF est d’abord un grand service public.

En tant que directeur général de Keolis pour la France pendant trois ans, j’ai acquis une bonne connaissance de la délégation de service public à la française, modèle de partenariat entre les collectivités locales et les entreprises, sujet extrêmement important pour SNCF Réseau dans ses relations avec les régions. Par ailleurs, je connais bien le système ferroviaire : en tant que directeur général de Keolis en charge de l’international pendant six ans, j’ai eu l’occasion de développer et de superviser de nombreuses concessions ferroviaires, en particulier au Royaume-Uni et en Allemagne, qui ont des modèles un peu différents du nôtre.

SNCF Réseau est aussi un groupe d’ingénierie et j’ai eu l’occasion chez Aéroports de Paris de diriger et de réformer l’ingénierie. La volonté qui m’a guidé a été de projeter vers le futur l’ensemble des ingénieurs, des techniciens, des agents, lesquels ont parfois tendance à penser que l’âge d’or a eu lieu vingt ans auparavant.

Enfin, mes fonctions chez ADP m’ont conduit à entretenir quotidiennement des relations avec l’État, notamment à travers le contrat de régulation économique qui pourrait s’apparenter au contrat de performance que SNCF Réseau et l’État devraient signer. J’ai aussi pu mettre en place des standards 3 pour améliorer la sûreté dans les aéroports face à la menace terroriste. En outre, j’ai développé le projet CDG Express, dont je préside la société d’études.

Face aux défis auxquels SNCF Réseau fait face, ce qui me paraît le plus important, c’est la capacité à mener un groupe industriel. SNCF Réseau, ce sont 52 000 personnes qu’il faut convaincre, projeter vers l’avenir, 52 000 personnes desquelles dépend le succès de la rénovation et de la modernisation du réseau. J’ai su faire cela, sous la présidence de M. Michel Bleitrach, chez Keolis, fusion de deux groupes de transports publics, Cariane et VIA-GTI, structure qui se rapproche de SNCF Réseau qui procède de la réunion au sein d’une même entité de Réseau ferré de France (RFF), de SNCF Infra et de la direction de la circulation ferroviaire (DCF).

Avant d’aborder les grands enjeux auxquels sont confrontées la SNCF et SNCF Réseau, je voudrais dire quelques mots de la réforme ferroviaire du 4 août 2014. Je veux saluer ici l’implication de MM. Guillaume Pepy et Jacques Rapoport dans sa mise en œuvre, guidée par un triple objectif, tendre vers le plus simple, le plus efficace et le plus économe, triple objectif que je reprendrai bien évidemment à mon compte si vous confirmez ma nomination. Je saluerai aussi le travail qu’a entrepris M. Jacques Rapoport pour réunifier au sein de SNCF Réseau, RFF, SNCF Infra et la direction de la circulation ferroviaire, préalable indispensable pour retrouver une efficacité opérationnelle et par là, améliorer la qualité de service due aux clients. Un premier bilan de la mise en œuvre de la réforme sera prochainement établi par MM. Gilles Savary et Bertrand Pancher. Il nous éclairera utilement sur ce qui doit être amélioré.

Venons-en aux enjeux. La priorité absolue est bien évidemment la sécurité ferroviaire : c’est l’exigence première et la valeur cardinale de la SNCF, elle passe avant toute autre considération et nécessite un travail acharné et sans fin. Les drames de Brétigny et d’Eckwersheim montrent que tous les efforts doivent converger pour que le réseau ferroviaire français soit parmi les plus sûrs du monde. Cette sécurité du transport ferroviaire, nous la devons à nos clients qui ont placé en nous leur confiance quand ils montent dans nos trains, nous la devons aussi à nos employés, qui chaque jour travaillent à l’amélioration du service.

Concernant plus spécifiquement la fonction de président de SNCF Réseau, je voudrais profiter de ma présence devant vous pour vous faire part des grands axes prioritaires de mon mandat, si vous me permettez de l’exercer.

SNCF Réseau est une entreprise industrielle qui produit des sillons et assure des circulations pour que les entreprises ferroviaires clientes délivrent un service de qualité aux passagers. Pour atteindre un haut niveau de qualité, la priorité va d’abord aller à la maintenance et à la régénération du réseau. Comme vous le savez, l’état du réseau ferroviaire est préoccupant et ne garantit pas une qualité de service à la hauteur des exigences des autorités organisatrices et des passagers. De nombreux retards liés aux pannes de caténaires ou de signalisation suscitent un mécontentement légitime parmi les voyageurs. En tant qu’élus de la nation, j’imagine que vous avez souvent à entendre des récriminations sur les faiblesses et les failles du service ferroviaire. Soyez persuadés que j’y serai particulièrement attentif parce que la satisfaction des clients fait partie de ma culture professionnelle, nourrie par trente ans de carrière. Une chose est certaine : un réseau vieillissant ou en mauvais état ne permet pas d’assurer un service de qualité.

Citons quelques chiffres. L’âge moyen de la voie est de l’ordre de trente-deux ans en France contre seulement vingt ans en Allemagne. Sur 600 000 poteaux caténaires, 60 000 sont en mauvais état, 6 000 en très mauvais état. Les caténaires du RER C en Île-de-France ont quatre-vingt-dix ans, celles du RER D soixante-dix ans. Un tiers des tunnels se trouve dans un état médiocre, voire dégradé, sur le réseau ferré national.

Un réseau en bon état est le préalable à toute amélioration du service rendu et au développement du ferroviaire pour les voyageurs et le fret. Ce n’est pas qu’une question financière, c’est aussi un problème opérationnel et un problème de personnel. L’axe stratégique du projet d’entreprise « Réseau 2020 » est de moderniser l’outil industriel de SNCF Réseau. Nous ne devons plus faire des travaux au XXIe siècle comme on les faisait au XXe ou au XIXe siècles.

Cette transformation de la politique industrielle de SNCF Réseau repose sur deux piliers.

Le premier pilier consiste à améliorer voire à redéfinir nos process et à les automatiser. Cela n’est possible qu’en mettant en place des systèmes informatiques modernes et robustes et en profitant du formidable essor du numérique et des automatismes. Cela permettra de rendre les infrastructures plus productives mais aussi de mieux faire les travaux, notamment dans l’objectif d’en limiter l’impact sur le trafic.

Le second pilier est le recours accru aux partenariats industriels, pour aider en particulier à faire face à l’augmentation de la charge de travail liée à l’impérative modernisation du réseau. Cela amène deux défis : premièrement, organiser l’entreprise pour piloter ces partenariats – opération que j’avais lancée chez Aéroports de Paris, qui faisait face au même défi d’une augmentation importante des investissements –, ce qui nécessite d’adapter la gestion des emplois, des carrières et des compétences ; deuxièmement, créer une véritable filière industrielle privée pour externaliser une partie de ces travaux ferroviaires, œuvre de longue haleine car les partenaires privés ont besoin de visibilité à long terme pour procéder aux investissements humains et matériels qui s’imposent. C’est en particulier pour cela, et parce que SNCF Réseau est une entreprise industrielle, que la signature d’un contrat de performance avec l’État est absolument indispensable. Il est prévu par la loi et les discussions sont en cours avec l’État pour sa conclusion. Il est nécessaire que l’ensemble des personnels de se projeter dans l’avenir et de s’engager dans la réalisation du plan stratégique. De cet engagement dépendra le succès ou non de nos plans d’amélioration.

J’en viens aux enjeux financiers, qui sont au cœur des discussions autour du contrat de performance. La loi a prévu la présentation d’un rapport sur la dette de SNCF Réseau et le prochain décret sur la « règle d’or », que vous avez fixée, aidera à atteindre l’objectif de juguler progressivement l’endettement.

Pour SNCF Réseau, le levier principal pour minimiser la dette est sa productivité, sa capacité à s’améliorer. Si vous agréez ma candidature, je ferai mien l’engagement de M. Jacques Rapoport de dégager 500 millions d’euros d’économies en cinq ans, à l’horizon de 2020, grâce notamment à la performance des achats et à l’efficacité de cette nouvelle logique industrielle que je viens de vous décrire rapidement. Ma longue expérience de définition et de réalisation de plans d’amélioration, acquise tant chez Keolis que chez Aéroports de Paris, m’aidera à mener à bien cette politique.

Par ailleurs, pour mobiliser les équipes de SNCF Réseau, rien de tel qu’un transport ferroviaire en plein développement. C’est le cas aujourd’hui : quatre nouvelles lignes à grande vitesse, des contrats de plan en cours de négociation ou de finalisation. En tant qu’élus, vous êtes au cœur du système ferroviaire et je m’attacherai personnellement à nouer entre SNCF Réseau et les élus une relation de confiance, reposant sur une écoute attentive et une prise en compte de vos préoccupations. Mon expérience chez Keolis m’a notamment appris que cultiver ce lien est essentiel pour un fonctionnement harmonieux et performant des politiques de transport.

Concernant la tarification des péages, qui procure une partie substantielle des recettes de SNCF Réseau, j’ai conscience que le président de ce groupe occupe une place particulière et autonome dans le groupe SNCF, sous le contrôle de l’ARAFER. Ce dont je suis persuadé, c’est qu’il est absolument nécessaire de trouver des financements pour la remise en état et la modernisation du réseau ferroviaire. Je m’engage à ce que SNCF Réseau donne tout l’éclairage nécessaire à l’ARAFER, aux autorités organisatrices et à l’État pour que les autorités compétentes puissent trouver le juste point d’équilibre entre les péages et les subventions.

Pour finir, je souhaite aborder le thème de l’égalité d’accès des entreprises ferroviaires à l’infrastructure, condition impérative pour qu’une concurrence puisse s’exercer. Cette concurrence existe déjà pour le fret et pour le transport international de passagers et elle se précise pour l’ensemble du transport de passagers avec l’arrivée probable du quatrième paquet ferroviaire. Vous pouvez compter sur moi pour veiller à ce que SNCF Réseau traite de façon égale toutes les entreprises ferroviaires. Je peux me porter d’autant plus garant de cette indépendance dans l’attribution des sillons que l’ARAFER a donné un avis favorable à ma candidature et que vous avez voté une loi qui m’apporte toutes les garanties pour exercer cette fonction essentielle en toute indépendance.

En conclusion, permettez-moi de dire mon espoir que les grandes orientations du groupe SNCF que je viens d’évoquer, notamment celles de SNCF Réseau, seront de nature à améliorer la performance du service rendu. La SNCF participe au rayonnement de la France, SNCF Réseau est dépositaire d’un bien national précieux, l’infrastructure ferroviaire, élément du service public ferroviaire. Je suis certain que nous partageons tous une grande ambition pour le transport ferroviaire, pour ce magnifique service public auquel tous nos concitoyens sont profondément attachés et qui fait l’admiration de nombreux visiteurs étrangers.

Je me suis présenté devant vous aujourd’hui avec la volonté de servir cette ambition en tant que président délégué du directoire de la SNCF et président-directeur-général de SNCF Réseau.

Mesdames, messieurs les députés, je m’en remets à votre appréciation, vous remercie de votre attention et me tiens prêt à répondre à vos questions.

M. Jean-Paul Chanteguet. Je vais maintenant donner la parole à un orateur de chacun des groupes.

M. Rémi Pauvros. Monsieur Patrick Jeantet, nous sommes heureux de vous recevoir aujourd’hui. Vos fonctions à Keolis vous ont déjà donné une expérience de cette grande maison qu’est la SNCF. À titre personnel, je suis sensible au fait que vous ayez commencé votre carrière par une belle réussite, le tunnel sous la Manche, exemple que j’utilise souvent dans mes travaux sur le projet de canal Seine-Nord Europe.

Vous avez abordé la modernisation du réseau sans cacher les questions que soulève l’endettement de SNCF Réseau. Vous ne serez pas étonné que nous revenions sur ce sujet. Votre prédécesseur, M. Jacques Rapoport, à l’occasion de différentes auditions, n’a pas masqué son inquiétude devant la double charge que constituent la résorption de cette dette et le financement des dépenses rendues nécessaires par la rénovation d’un réseau ancien comme par l’entretien et la sécurisation des voies.

À la fin de l’année 2014, la dette de SNCF Réseau atteignait 36,8 milliards d’euros. Nous pouvons considérer globalement qu’elle s’élèvera à 50 milliards d’ici à 2020, en particulier du fait de l’impact des quatre lignes à grande vitesse, qui sera de 1,5 milliard à 3 milliards d’euros, selon les estimations de mon collègue Gilles Savary.

Ma première question est simple : vous reprenez à votre compte l’engagement de M. Jacques Rapoport de faire 500 millions d’euros d’économies sur cinq ans, comment comptez-vous assurer dans le même temps la rénovation des réseaux ?

Ma deuxième question porte sur la sécurité, enjeu qui nous préoccupe tous. Elle appelle non seulement une rénovation des réseaux mais aussi leur modernisation, particulièrement pour ce qui concerne la signalisation et l’information. Pourriez-vous nous donner des précisions ?

Enfin, j’aimerais en savoir plus sur votre approche des lignes de transport express régional (TER). Comment comptez-vous clarifier la situation, notamment dans vos relations avec les régions ? Qu’en est-il de l’application des préconisations du rapport de M. Philippe Duron sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire (TET) ?

Nous avons porté la loi du 4 août 2014 pour que sa nouvelle organisation permette à la SNCF d’être plus performante et de s’ouvrir aux perspectives du quatrième paquet ferroviaire. Nous vous souhaitons de relever avec succès le défi que vous vous êtes fixé.

M. Yves Albarello. Monsieur Patrick Jeantet, le Gouvernement a mis du temps avant de désigner un candidat à la succession de M. Jacques Rapoport. La mission qui vous sera confiée sera très compliquée. Vous devrez arbitrer entre le nécessaire besoin de sécurité et la création de nouvelles lignes.

SNCF Réseau, gestionnaire des infrastructures ferroviaires, est responsable de l’entretien et du bon fonctionnement de 30 000 kilomètres de lignes. L’accident de Brétigny a suscité une prise de conscience de la nécessité d’approfondir l’effort de régénération du réseau, qui est mené depuis plusieurs années mais qui s’est avéré insuffisant. En Île-de-France, le réseau va continuer de se dégrader, selon un rapport de la Cour des comptes qui qualifiait son état d’inquiétant du fait des risques qu’il comporte pour la sécurité. Vous héritez donc d’un réseau fragilisé dont vous devrez assumer la responsabilité.

Au mois de novembre dernier, M. Jacques Rapoport avait annoncé une série de décisions destinées à « remettre de la rigueur à tous les étages », tâche d’autant plus difficile que SNCF Réseau est le terminal du déficit structurel du système ferroviaire français. Son endettement, en hausse de 3 milliards d’euros l’an dernier, atteint désormais 42,3 milliards. Pour compliquer les choses, l’ARAFER vous demande de revoir de fond en comble, d’ici à 2018, les tarifs des péages ferroviaires. Ce sera une opération sans nul doute difficile, qui risquera d’entraîner une diminution de vos ressources puisque l’ARAFER a jugé « arbitraire et non conforme aux principes tarifaires prévus par la réglementation » votre projet de barème prévoyant un gel des redevances. De plus, vous ne pouvez rien attendre de l’État qui ne verse pas l’intégralité des subventions pourtant votées par notre assemblée, notamment celles qui concernent le fret.

En ma qualité d’administrateur du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), je ne peux m’empêcher de vous parler des lignes A et B du RER, les plus fréquentées du réseau avec chacune plus d’un million de passagers chaque jour. En matière de ponctualité, aucune de ces deux lignes n’atteint l’objectif contractuel de 94 % de trains arrivant avec moins de cinq minutes de retard : le taux est de 81 % pour le RER A et de 85,6 % pour le RER B. Dans la pratique, il ne se passe guère de semaines sans que les usagers n’aient à subir un retard ou une suppression de train, situation que l’on retrouve sur les lignes de trains de banlieue. Tous ces désagréments ont des conséquences financières pour votre établissement puisqu’entre 2010 et 2014, les malus versés au STIF par la SNCF en raison du non-respect des objectifs contractuels ont été multipliés par trois, passant de 6,3 millions d’euros à 19,5 millions d’euros. Même si des efforts ont été consentis depuis 2011, le retard pris est tel qu’il faudra probablement plus de dix ans pour que les voyageurs constatent une amélioration.

Devant cette situation qui n’a rien d’idyllique, comment envisagez-vous votre mission ? Quelles seront vos priorités ? Dans quel sens iront vos arbitrages ? Quelles seront vos propositions de tarification pour les péages ? Soutiendrez-vous le projet du CDG Express ? Enfin, aurez-vous les moyens de dire non à une commande qui vous paraîtrait non rentable pour l’avenir de la SNCF ?

Je vous remercie pour vos réponses et vous assure du soutien du groupe Les Républicains qui votera en faveur de votre nomination.

M. Bertrand Pancher. Monsieur Patrick Jeantet, les défis sont immenses pour notre pays dans le domaine ferroviaire. Le premier d’entre eux n’est pas technique, mais d’abord politique, c’est la responsabilité de l’État stratège et du Parlement : nous n’avons pas donné au réseau ferroviaire les moyens de son développement ces dernières années. Vous héritez d’infrastructures en mauvais état. Il revient à l’État de porter une stratégie et de fournir enfin des moyens financiers à la hauteur des enjeux. Les chiffres sont impressionnants, nous le savons. Le déploiement des réseaux de transport du Grand Paris exigerait 50 milliards d’euros dans les cinq ans qui viennent selon les estimations de la Cour des comptes, et les investissements nécessaires pour rénover le réseau existant réclameraient 2 milliards chaque année, alors qu’il n’y a pas un centime supplémentaire pour répondre aux promesses faites depuis des années.

Il faudra aux responsables de la SNCF tenir tête à l’État, en refusant de s’engager dans des dépenses qui n’auraient pas de contreparties financières précises, et assurer la résorption du déficit courant de la branche ferroviaire. Le groupe UDI a voté en faveur de la réforme ferroviaire parce qu’il a cru en la parole de M. Guillaume Pepy et de votre prédécesseur, M. Jacques Rapoport, s’agissant du déficit : sur ses 3 milliards annuels, 1,5 milliard serait consacré au remboursement de la dette, 500 millions d’euros d’économies seraient faits par SNCF Mobilités et 500 millions d’économies, par SNCF Réseau. Qu’en est- des prélèvements de l’État ? Où en est-on du plan d’économies de 500 millions sur cinq ans ?

Autre enjeu d’importance : le cadre social. Où en êtes-vous dans ces négociations difficiles ? Quelle est votre stratégie dans ce domaine ? Comptez-vous laisser pourrir la situation en laissant l’État prendre ses responsabilités ?

J’aimerais aussi vous interroger sur la transparence des comptes. Même si nous croyons dans la parole des dirigeants, nous préférerions disposer de chiffres précis, contrôlés par des organismes indépendants et auxquels nous aurions accès. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

La question des relations avec l’ARAFER n’est pas simple. Certains aimeraient, semble-t-il, pouvoir se passer de ses avis. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Enfin, quand le contrat de performance avec l’État sera-t-il signé ?

M. Jacques Krabal. Je vous souhaite tout simplement bon courage et bonne chance, monsieur Patrick Jeantet. (Sourires)

Si j’ai voté la loi de réforme ferroviaire, c’est que je pensais que la situation ne pouvait être pire. Or aujourd’hui, elle s’est fortement aggravée. Je ne m’étendrai pas sur les problèmes liés à la dette ou aux relations avec l’ARAFER, j’insisterai plutôt sur les problèmes de gouvernance. À aucun moment, je n’aurais pu imaginer que SNCF Réseau, SNCF Mobilités et SNCF seraient à ce point cloisonnées. Il n’est pas possible de continuer à fonctionner de la sorte.

Des logiques de lignes doivent être mises en place. La gestion de la gare de Château-Thierry relève de trois entités territoriales de la SNCF : avec dix interlocuteurs différents, personne ne sent responsable de quoi que ce soit alors que l’état des infrastructures est préoccupant – j’ai pu en faire moi-même le constat depuis le poste de conduite d’un train. Cela fait plus de deux ans que nous demandons que les arbres soient élagués, rien n’est fait, et pour la quatrième fois depuis le début de l’année, un arbre est tombé sur les caténaires. Depuis trois mois que je réclame la mise en place d’une table ronde, je me heurte au même silence, que je m’adresse aux responsables du TER « Vallée de la Marne » ou du Transilien. Comment allez-vous faire pour travailler en partenariat avec l’ensemble des acteurs afin qu’il y ait un responsable identifié ?

Ce qu’il faut d’abord, c’est rétablir la confiance. La ligne qui reliait La Ferté-Milon à Fismes a été fermée sans que quiconque soit prévenu, ce n’est pas concevable ! Au-delà des aspects financiers, les méthodes sont à revoir. Comme en politique, nos concitoyens n’y croient plus : ils savent quand ils partent, mais ils ne savent plus quand ils vont rentrer.

M. Christophe Bouillon. Monsieur Patrick Jeantet, vous allez avoir le bonheur d’occuper une belle fonction, à la tête d’une grande entreprise publique qui fait partie du patrimoine des Français. Les défis qui sont devant vous sont de taille et nous ne doutons pas que votre clairvoyance et votre expérience vous aideront à les relever.

Vous aurez l’occasion de rencontrer de nombreux élus, des élus heureux, d’autres moins, d’autres encore pas du tout. Élu normand, je suis à demi-heureux : heureux du projet de ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), que je soutiens dans sa globalité, mais pas du tout heureux de certains éléments de sa mise en œuvre. Je suis farouchement opposé à la réalisation d’un nouveau tronçon de 34 kilomètres pour la section prioritaire Rouen-Yvetot : absolument rien ne la justifie. Maintenir la ligne actuelle permettrait le gain de temps espéré sans sacrifier pour autant les terres agricoles et le cadre de vie des habitants sur un territoire quasiment saturé.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur Patrick Jeantet, on ne peut qu’admirer votre volonté de prendre les rênes de SNCF Réseau quand on sait les défis qui vous attendent. La démission de M. Jacques Rapoport aura permis de prendre la mesure des fragilités dont souffre la SNCF : les économies réalisées pendant trente ans sur les investissements de rénovation ont fragilisé le réseau ferroviaire français, lequel est aujourd’hui dans un triste état. Des problèmes de sécurité se posent, comme l’ont montré les accidents dramatiques que nous avons connus. À cela s’ajoute l’endettement de SNCF Réseau qui atteint des sommes colossales : plus de 40 milliards d’euros. Quant à la situation sociale, elle n’est guère reluisante : les grèves se succèdent alors que les réformes sociales sont attendues des Français. Ces mouvements sociaux mécontentent les usagers, déjà exaspérés par les tarifs trop élevés pratiqués par la SNCF qui les font parfois se détourner du train.

Nous soutenons votre candidature tout en formant le vœu que vous parviendrez à procéder aux réformes qui s’imposent dans ce contexte compliqué, un espoir qui nous semble permis compte tenu des réformes que vous avez réussi à mener à bien dans le cadre de vos précédentes fonctions.

M. Yannick Favennec. Que l’on s’adresse à des cheminots, à des usagers ou à des élus locaux, on se rend compte que l’un des principaux sujets qui fâchent en matière de transport ferroviaire, c’est l’état du réseau des TER, motif de bien des grèves depuis le début de l’année. Cette situation est liée pour partie à une pénurie de conducteurs, provoquée par une réduction de l’offre de la part de la SNCF. Cela provoque la colère des régions, qui financent ces trains, et celle des usagers qui les empruntent. Je le mesure régulièrement dans ma région des Pays de la Loire.

Les TER connaissent globalement un fort succès avec, sur 28 000 kilomètres de réseau, 4,3 millions d’usagers, soit 30 % du total des voyageurs transportés par la SNCF. J’aimerais connaître vos projets pour le réseau des TER, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la ponctualité des trains et la réduction des annulations.

M. Florent Boudié. J’évoquerai deux sujets sur lesquels il me semble important de connaître votre position même s’ils concernent moins SNCF Réseau que le groupe SNCF dans sa globalité.

Depuis plusieurs mois, le groupe Alstom s’inquiète de l’état des commandes du TGV du futur, ce qui dénote son extrême dépendance à l’égard de la SNCF. En la matière, l’État adopte une position contradictoire : d’un côté, il pousse à la rationalisation et au désendettement du groupe SNCF ; de l’autre, il incite le groupe à conclure de nouvelles commandes qui permettront de solvabiliser les sites français de production d’Alstom – je pense en particulier au site de La Rochelle.

Ma deuxième question porte sur le chantier de la gare Saint-Jean à Bordeaux : le chantier de rénovation vient d’être interrompu cet après-midi en raison de la découverte d’un taux trop élevé de plomb. Pensez-vous que cela aura une incidence sur le calendrier de mise en service de la nouvelle ligne à grande vitesse, dont l’inauguration est prévue en juillet 2017 ?

M. Gérard Menuel. Monsieur Patrick Jeantet, vous allez entrer dans une grande maison que vous connaissez déjà bien. Votre formation et votre parcours donnent une forte crédibilité à votre candidature. Mais que de défis devant vous alors que la dette atteint plus de 40 milliards d’euros et que le réseau est affecté par une forte dégradation. Je prendrai l’exemple du département de l’Aube. Les silos embranchés qui servent à stocker les plus de 2 millions de tonnes de blé à exporter chaque année sont connectés à un réseau capillaire en très mauvais état. Et sur la ligne Paris-Bâle, le tronçon Paris-Troyes n’est toujours pas électrifié malgré trente ans d’efforts financiers. Les opérateurs sont mis en position de devoir financer à la fois le transport et la remise en état des infrastructures Un problème de service public se pose pour tous les départements éloignés des grandes villes.

M. Stéphane Demilly. En 2013, le secteur des transports a contribué à hauteur de 27 % aux émissions de gaz à effet de serre en France, et parmi ces 27 %, ce ne sont pas moins de 92 % que l’on doit aux transports routiers. Il y a une marge de progression gigantesque pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports en France. Au-delà du travail mené pour développer les véhicules dits propres, c’est bien sûr sur les transports en commun que nous pouvons agir, en particulier le rail. Malheureusement, il existe deux terribles freins à son attractivité : le prix du billet pour les personnes voyageant seules et pour les publics n’entrant pas dans les catégories de tarif réduit, et surtout la fiabilité du réseau. C’est sur ce dernier point que je souhaiterais vous interroger.

Je ne doute pas de vos capacités à relever les nombreux défis qui vous attendent à la tête de SNCF Réseau. Il sera d’ailleurs intéressant que vous puissiez faire bénéficier la SNCF de votre expérience internationale, vous que la presse présente comme un « X-Ponts globe-trotter qui a travaillé aux quatre coins de la planète ».

Usager du rail moi-même et élu d’un territoire sur lequel les habitants sont nombreux à avoir besoin du train chaque jour pour aller travailler, je ne suis pas du tout satisfait de la situation actuelle. Le réseau ferroviaire est à bout de souffle et les incidents se répètent. Que ce soit sur la ligne Amiens-Lille qui traverse mon territoire ou sur la ligne Amiens-Paris, il ne se passe pas une journée sans qu’un train soit retardé ou, pire, annulé.

Je suis conscient que ces problèmes ne relèvent pas uniquement de SNCF Réseau mais la SNCF forme un tout pour nos concitoyens et en tant que candidat à la présidence délégué du directoire, je souhaite connaître votre plan d’action en ce domaine.

SNCF Réseau souffre d’une dette colossale. Selon des informations publiées dernièrement, elle atteindrait 43 milliards d’euros. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres et nous préciser votre stratégie pour revenir à l’équilibre financier dans les années qui viennent ?

M. Jean-Louis Bricout. Monsieur Patrick Jeantet, vous vous apprêtez à remplir une bien belle mission et je soutiendrai votre candidature. J’ai besoin toutefois d’être rassuré avant de me prononcer.

Vous aurez à résoudre une difficile équation : résorber 42 à 43 milliards d’euros de dette, rénover 30 000 kilomètres de réseau, effectuer 500 millions d’économies sur cinq ans. Cela imposera des arbitrages souvent douloureux, dont les territoires les plus éloignés, ruraux, d’accès difficile, feront les frais en tant que variable d’ajustement.

Élu de la Thiérache dans l’Aisne, je peux vous dire comme ce territoire enclavé dépourvu d’infrastructures routières a besoin d’investissements pour rénover et moderniser ses réseaux ferroviaires, en particulier les lignes TET, comme il a besoin aussi de gares entretenues, ouvertes et sûres.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les perspectives d’investissement ?

M. Julien Aubert. La situation de SNCF Réseau me fait penser à celle d’EDF : elle est à la veille d’un grand carénage qui va coûter plusieurs dizaines de milliards d’euros et l’on se demande où nous pourrons les trouver.

Conséquence du rapprochement des différentes entités, vous êtes questionné à la fois sur le réseau et sur les problèmes relevant des autres entités du groupe. Et en matière de problèmes, on peut dire que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est servie : des réfugiés montés à Nice pour occuper des TGV et mettre à sac des wagons ; des personnes rentrant dans les cabines de pilotage des TER pour y dormir et dont l’expulsion réclame le concours de la police – on se demande d’ailleurs pourquoi l’accès des cabines de pilotage n’est pas sécurisé alors que l’état d’urgence est décrété ; des retards multiples, particulièrement pour les TER, pour lesquels notre région détient le record de France.

Mais c’est sur le tunnel du Montgenèvre que j’aimerais plus particulièrement vous interroger. Quelle est votre position sur le projet de percement soutenu par la région PACA pour désengorger le fret ?

M. Guy Bailliart. En Normandie, nous aimons beaucoup la SNCF mais nous avons souvent le sentiment de ne pas être payés de retour. (Sourires) C’est vrai des lignes d’usage quotidien comme des grandes lignes, qui accumulent retards et inconforts.

Dans ces conditions, la ligne nouvelle Paris-Normandie a fait naître beaucoup d’espoirs. Elle a fait l’objet d’une concertation très longue et féconde. La conclusion assez largement partagée dans ce qui était encore la Basse-Normandie était qu’il convenait de privilégier le « Y » normand constitué d’une branche vers Le Havre, d’une autre vers Cherbourg via Lisieux et Caen. Sans faire de procès d’intention à quiconque, on ne peut ignorer les rumeurs récentes qui font état de délais et de choix inquiétants pour ce projet, particulièrement pour la branche Ouest. Qu’en est-il ?

Mme Marie Le Vern. J’aimerais connaître votre position sur plusieurs dossiers, monsieur Patrick Jeantet.

En tant qu’élue normande, je reviendrai tout d’abord sur la LNPN dont SNCF Réseau est le maître d’ouvrage. La décision finale pour le tracé sera prise en 2017 mais la concertation est d’ores et déjà lancée. Quelle sera votre politique de dialogue avec les élus locaux et les citoyens ?

S’agissant de la ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, il a été décidé, en 2011, de faire reposer son financement sur un partenariat public-privé contracté entre l’État, les collectivités, le consortium LISEA et SNCF Réseau à hauteur de 1 milliard d’euros. Ce choix a été source de difficultés : les banques se sont montrées réticentes à soutenir ce projet. Quel est, selon vous, l’avenir de ce mode de financement ?

Quelles sont les options à la disposition de SNCF Réseau pour l’entretien et le renouvellement des lignes classiques ? Sur lesquelles porterez-vous vos choix prioritairement ?

J’en viens à la dimension sociale de SNCF Réseau. L’EPIC comptait 52 000 employés au 1er janvier 2015. J’aimerais connaître la répartition des postes et savoir quelles évolutions des effectifs vous envisagez ? À quels recrutements procéderez-vous et à quel niveau de formation et de qualification ? Quel pourcentage représente le recours à la sous-traitance ?

Enfin, quelle est la situation sociale de SNCF Réseau ? Quelle est votre position sur l’évolution du statut ?

M. Gilles Savary. Monsieur Patrick Jeantet, je vous remercie de votre exposé préliminaire qui confirme notre conviction que vous êtes sans doute l’homme de la situation. Nous savons que cette proposition de nomination a mis du temps à émerger et il est très important que M. Jacques Rapoport soit rapidement remplacé. La fonction que vous êtes appelé à remplir sera sans doute l’une des plus compliquées à assumer dans les années à venir, compte tenu de la situation détestable qui prévaut aujourd’hui. La politique du tout-TGV menée pendant des années a abouti à une dégradation profonde du réseau, mise en évidence par l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Nous devons aujourd’hui être sur tous les fronts, avec des finances qui ne nous le permettent pas.

Votre prédécesseur disait qu’il était à court de moyens de production, autrement dit qu’il ne pouvait pas tout assumer. Il a d’ailleurs demandé au ministre de différer certaines opérations liées aux contrats de plan. Quel est votre sentiment sur les moyens de production dont vous disposez ? Comment comptez-vous faire face à tous les engagements qui ont été pris par vos prédécesseurs et surtout par l’État ?

Disposez-vous d’une comptabilité analytique suffisante pour calculer les péages ? La loi est claire : c’est le coût complet qui importe. Or l’ARAFER ne parvient pas à obtenir les informations sur sa constitution.

À quel niveau évaluez-vous l’effort supplémentaire de l’État – passé de 600 millions dans les années 2005-2006, à 1 milliard en 2011 pour atteindre 2,5 milliards aujourd’hui – pour assurer correctement l’ensemble des objectifs fixés ?

Je terminerai par la gouvernance. Non seulement notre réforme a eu le mérite de placer l’ensemble des cheminots s’occupant du réseau sous les ordres de SNCF Réseau mais elle a permis d’assurer son indépendance, qui se manifeste à travers les avis conformes de l’ARAFER. Cette indépendance se marque par rapport à SNCF Mobilités mais pas seulement. Pendant trop longtemps, le lien de subordination propre aux entreprises publiques a fait de la SNCF comme des autres entreprises publiques une boîte noire sur laquelle les parlementaires n’avaient aucune visibilité.

Un contrat de performance sera signé avec l’État, le décret fixant la règle d’or de financement sera bientôt publié. Nous aimerions assurer le suivi de l’ensemble de ces outils stratégiques. Nous ne voulons pas que SNCF Réseau connaisse la même dérive que le schéma national d’infrastructures de transport (SNIT), corne d’abondance de projets irréalisables, suscités par le souci du ministre en connivence avec ses subordonnés de SNCF Réseau de faire plaisir à tous les élus de France et de Navarre avec les conséquences que l’on sait.

M. Patrick Jeantet. Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour vos questions à travers lesquelles vous vous êtes fait l’écho des problèmes graves que rencontre SNCF Réseau.

Je commencerai par la sécurité, question primordiale soulevée par M. Rémi Pauvros. SNCF Réseau et le groupe SNCF ont mis en place deux programmes à la suite de l’accident de Brétigny : le programme Vigirail, qui concerne les infrastructures, en particulier les aiguillages, et leur remplacement ; le programme Prisme, de nature managériale, qui vise à ce que l’ensemble des acteurs de SNCF, du haut en bas de la pyramide, s’engage à assurer la sécurité. C’est ainsi que je serai moi-même formé à la sécurité ferroviaire dans le cadre d’un séminaire de deux jours, si vous confirmez ma nomination.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur mes priorités.

Elles iront tout d’abord à la rénovation, qui consiste à refaire des éléments de voie complets, et à la maintenance, qui consiste à réparer. Cela suppose d’agir dans deux domaines : le domaine financier – cette année, 4,9 milliards d’euros y seront consacrés – et le domaine des ressources humaines. L’expertise ne se crée pas en deux minutes, elle implique d’établir un plan de gestion prévisionnelle des compétences pour mener à bien un plan de maintenance prévisionnelle. À cet égard, le contrat de performance est indispensable pour disposer d’une vision de long terme.

Je me consacrerai aussi aux projets de développement, en me conformant bien sûr à la règle d’or que vous avez fixée pour juguler la pression sur l’endettement. Si la dette nette dépasse dix-huit fois la marge opérationnelle, tout nouveau projet de développement devra reposer sur des financements extérieurs à SNCF Réseau. Son rôle sera alors d’éclairer les choix techniques.

Nous accompagnerons les régions, qu’il s’agisse de la maintenance ou du développement. Les contrats de plan État-région sont en négociation. Cela supposera bien évidemment une concertation. En ce domaine, SNCF Réseau a une expérience, une expérience réussie à ma connaissance. Il est absolument vital de dialoguer avec les élus et si je constatais des problèmes, je m’y attaquerai prioritairement, fort de mon expérience chez Keolis où deux jours par semaine, je rencontrais des élus pour trouver avec eux les moyens de développer les transports publics.

Éclairer les choix des collectivités suppose d’établir une transparence des comptes, transparence à travers la comptabilité analytique nécessaire pour déterminer les tarifs de péages, mais aussi transparence des investissements. En France, nos grandes sociétés publiques n’ont pas de culture de la transparence, j’ai pu le constater chez ADP. Or pour avoir travaillé dans les pays anglo-saxons où cette culture est beaucoup plus forte, j’en connais les bienfaits. Je m’attacherai à faire changer les choses au sein de SNCF Réseau.

Sur le plan d’économies de 500 millions d’euros, monsieur Bertrand Pancher, je ne peux vous répondre car je ne dispose pas des éléments nécessaires pour vous apporter des précisions. Comme je fais mien cet objectif, sachez que je procéderai à des vérifications au plus vite car l’échéance de 2020 est proche.

Plusieurs questions ont porté sur le cadre social. Les négociations menées actuellement sont extrêmement importantes à plusieurs titres. Le décret-socle et la convention collective sont deux éléments fondamentaux pour poursuivre l’ouverture à la concurrence. Ces textes établiront les règles du jeu communes à l’ensemble des acteurs futurs et seront le gage d’une concurrence équitable. En ce qui concerne l’accord d’entreprise négocié au niveau de SNCF, il marque un important changement culturel avec le passage d’une gestion réglementaire du social à une gestion contractuelle, comme dans les entreprises privées. Dans des moments de remise à plat d’un système social, il est inévitable qu’il y ait des crispations et donc des grèves. Mais soyez assurés que toutes les équipes concernées sont mobilisées pour que les diverses négociations aboutissent le 1er juillet prochain.

Le projet du CDG Express vise à desserrer la contrainte aéroportuaire qui conditionne le développement du tourisme en France. Le maillon faible de notre organisation est l’accès à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. C’est le seul aéroport d’envergure mondiale à ne pas disposer d’une liaison directe avec le centre-ville. Ce projet est donc absolument nécessaire. Il est important de souligner que son financement sera exclusivement supporté par les passagers aériens, à travers le prix du billet et une taxe ; il ne pèsera en rien sur les Franciliens, qui profiteront de ses retombées économiques. Par ailleurs, 150 millions d’euros d’investissement sont consacrés à la sanctuarisation du trafic du RER B : en situation dégradée, il pourra circuler de manière optimale sur les voies du CDG Express, parallèles à celles qu’il emprunte habituellement.

Monsieur Jacques Krabal, j’ai bien compris comme les problèmes de la gare de Château-Thierry vous tenaient à cœur. Je m’engage à venir vous voir et à réunir les responsables locaux de SNCF Réseau et SNCF Mobilités afin que nous puissions aller dans le détail pour trouver des solutions.

S’agissant des gares en général, la loi que vous avez votée a considérablement amélioré leur gestion. Il n’existe aujourd’hui plus qu’une seule direction de l’immobilier au niveau de l’EPIC de tête, laquelle assure une gestion pour compte pour les deux EPIC opérationnels, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Autrement dit, il n’y a plus qu’un seul interlocuteur quand il y en avait deux auparavant. Il s’agit d’approfondir la mise en œuvre de cette réforme. Nous savons que des problèmes à Lille ont déjà pu être réglés.

Pour la Normandie, je ne connais pas non plus le détail des dossiers. Je me pencherai sur le tronçon Rouen-Yvetot pour vous fournir des précisions, monsieur Christophe Bouillon. Je me rendrai dans cette région comme dans toutes les régions de France pour rencontrer les élus régionaux, les directeurs régionaux de SNCF Réseau et leurs équipes.

Comment vivre avec l’ARAFER ? Dès lors que l’objectif est d’ouvrir à plus de concurrence, un régulateur est nécessaire pour arbitrer les questions essentielles que sont les tarifs des péages et l’attribution des sillons. Certes, aujourd’hui, SNCF Mobilités représente 97 % des péages, mais il est souhaitable de trouver le bon équilibre dès maintenant pour préparer les évolutions à venir que j’ai pu entrevoir au Royaume-Uni où le régulateur doit démêler des litiges fréquents entre opérateurs et gestionnaires d’infrastructures. Je ne méconnais la complexité des relations avec l’ARAFER. Il nous faut apprendre à vivre ensemble, il en va de la réussite de la réforme.

L’électrification de la ligne Paris-Troyes est un projet décidé par l’État, sous maîtrise d’ouvrage de SNCF Réseau. Je m’engage, monsieur Gérard Menuel, à ce qu’il soit mené à bien sans toutefois pouvoir vous donner de dates puisque je ne connais pas le détail du dossier.

Sur le tunnel du Montgenèvre, monsieur Julien Aubert, je reviendrai vers vous quand j’aurai une meilleure connaissance du projet.

Enfin, j’apprends en même temps que vous, monsieur Florent Boudié, les problèmes rencontrés à la gare Bordeaux-Saint Jean. Il est normal que le chantier soit arrêté si un niveau important de plomb a été détecté. Les équipes reprendront les travaux dès que possible après décontamination.

Quant à la question que vous avez posée sur Alstom, groupe industriel national et international qui constitue un acteur clef, elle relève de SNCF Mobilités. Il en va de même, monsieur Yannick Favennec, pour votre question sur les conducteurs de TER. Je ne manquerai pas d’en faire part au président de SNCF Mobilités, M. Guillaume Pepy.

J’en viens aux ressources humaines, madame Marie Le Vern. Je ne peux répondre précisément sur les perspectives de recrutement, le niveau de formation, le pourcentage de sous-traitance externalisé. Nous avons substantiellement augmenté les investissements destinés à la modernisation et la maintenance ces dernières années. Pour les mettre en œuvre, les moyens humains sont essentiels. La stratégie que SNCF Réseau a commencé à suivre est double. Elle consiste tout d’abord à moderniser le fonctionnement des équipes en interne, en développant la part de l’informatique et des automatismes, ce qui prendra du temps car cela nécessite de former nos personnels à de nouvelles technologies. Elle vise par ailleurs à recourir davantage à l’externalisation, ce qui suppose que la filière ferroviaire privée se développe en investissant dans les trains de maintenance, mais aussi dans l’expertise humaine, ce qui suppose une bonne visibilité. L’externalisation stimulera l’interne et permettra de faire face à l’augmentation des volumes des travaux de maintenance et de modernisation de la voie, des caténaires et de la signalisation.

Enfin, sur les grèves, notre point de vue est que la négociation sociale doit rapporter plus que la grève. La direction et le Gouvernement se consacrent chaque jour à la négociation.

Sur toutes les autres questions plus précises, je ne dispose pas des éléments nécessaires pour apporter des réponses mais je m’engage à le faire le plus rapidement possible, si vous voulez bien accepter ma nomination.

M. Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie.

*

Après le départ du candidat, il est procédé au vote sur la nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs étant Mme Marie Le Vern et M. Julien Aubert.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants 26

Bulletins blancs ou nuls 0

Abstention 1

Suffrages exprimés 25

Pour 25

Contre 0

II. AUDITION DE M. BERNARD ROMAN, CANDIDAT À LA PRÉSIDENCE DE L’AUTORITÉ DE RÉGULATION DES ACTIVITÉS FERROVIAIRES ET ROUTIÈRES (A.R.A.F.E.R)

Le mercredi 20 juillet 2016, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Bernard Roman, candidat à la présidence de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, et conformément à l’article L. 1261-5 du code des transports, il nous appartient d’auditionner M. Bernard Roman, que le Président de la République envisage de nommer président de l’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) pour succéder à M. Pierre Cardo, dont le mandat n’est pas renouvelable.

Dans sa rédaction actuelle, la loi organique du 23 juillet 2010 dresse la liste des quarante-sept emplois pourvus par le Président de la République : parmi ceux-ci, seize doivent faire l’objet d’un avis préalable de la commission. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

L’audition de ce matin, qui est publique, sera donc suivie d’un vote à scrutin secret, effectué par appel nominal et hors la présence de la personne auditionnée. Aucune délégation de vote n’est possible ; des bulletins vous seront distribués à cet effet.

La commission du développement durable du Sénat auditionnera M. Bernard Roman à onze heures et le dépouillement du scrutin aura donc lieu, immédiatement après le vote de nos collègues sénateurs, dans mon bureau, vers midi et demi.

Avant de passer la parole à Bernard Roman afin qu’il nous présente sa candidature à ce poste particulièrement important, je tiens à lui dire le grand plaisir que j’ai à l’accueillir ce matin et à lui adresser, au nom de tous, un message d’amitié et de soutien.

M. Bernard Roman. C’est avec humilité que je me présente à vous car j’ai conscience de m’exprimer devant la commission chargée de la question des transports et conscience qu’il y a parmi vous les meilleurs spécialistes de la question.

M. Martial Saddier. Ça commence bien.

M. Bernard Roman. Je le fais également avec une certaine solennité car je mesure que la proposition du Président de la République aux présidents des deux assemblées de me nommer à la présidence de l’ARAFER est un grand honneur. C’est parce que c’est une fonction qui relève de l’application de l’article 13 de la Constitution que je suis devant vous et parce que le pouvoir de nomination du Président de la République est encadré par votre décision. La solennité à laquelle j’ai fait allusion tient aussi à ce qu’il est ici question d’une autorité indépendante – il y en a peu – et que, de cette indépendance, je serai, si je suis nommé, le garant. Enfin, je mesure l’importance stratégique de cette fonction tant au niveau national qu’au niveau européen.

Je vous dois, en guise d’introduction, quelques mots de présentation. Je suis député depuis 1997 : j’ai siégé pendant dix-neuf ans à la commission des lois que j’ai eu l’honneur de présider de 2000 à 2002. Je suis actuellement questeur de l’Assemblée. Je ne suis pas, comme certains d’entre vous, un expert du monde des transports, même si j’ai pu, à travers l’exercice de mes mandats locaux, m’impliquer dans un certain nombre de dossiers touchant à ce secteur. J’ai, en effet, accompagné Pierre Mauroy durant vingt-cinq ans, d’abord comme adjoint au maire de Lille puis comme vice-président de la communauté urbaine de Lille ; j’ai participé à ses côtés, en tant que tel, aux négociations sur le tracé du TGV Nord avec la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), Réseau ferré de France (RFF) et l’État et, une fois adopté ce tracé, j’ai participé aux négociations relatives à la construction de la gare TGV et du quartier d’affaires Euralille qui entoure cette dernière, Euralille dont j’ai assumé la première vice-présidence pendant dix ans. J’ai en outre mené la négociation du surcoût généré par la modification du tracé, arbitrée à l’époque par le président Jacques Chirac. J’ai enfin eu à participer, comme premier vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, à trois reprises, à la renégociation de la convention Transport express régional (TER) avec la SNCF aux côtés de Daniel Percheron, président d’une région qui avait innové en la matière en créant les trains TER-GV (grande vitesse).

J’articulerai mon propos autour de trois thématiques. J’aborderai tout d’abord le cadre juridique et législatif, qui a fait considérablement évoluer les missions de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF, devenue ARAFER). J’évoquerai ensuite le bilan de Pierre Cardo et les problèmes auxquels il s’est heurté. J’en viendrai enfin aux perspectives pour les six ans à venir.

Le cadre juridique, premier point, s’est considérablement étoffé et n’a pas fini d’évoluer. Ce cadre a été défini par le premier paquet ferroviaire – nous en sommes au quatrième – qui date de 2001 et qui imposait aux États membres de l’Union européenne la création, dans chaque État, d’un organisme de régulation indépendant. Il définissait les fonctions essentielles et préparait la démarche d’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire des marchandises. La création de l’ARAF, en 2009, a constitué une première étape, puis il y eut la loi portant réforme ferroviaire du 4 août 2014, enfin la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, du 6 août 2015, qui a transformé l’ARAF en ARAFER, étendant les missions de l’agence au secteur de la route et des autoroutes. Des textes ont ensuite été adoptés dont l’un, en 2016, a donné compétence à l’ARAFER sur le contrôle des conditions d’accès des tarifs de péage du tunnel sous la Manche.

Le cadre juridique est défini, bien entendu, par les directives, par la loi mais aussi par les décrets d’application – or, tous ceux relatifs aux lois de 2014 et 2015 n’ont pas été pris, ce qui constitue un frein manifeste à l’action de l’ARAFER, ainsi que l’a dénoncé à de nombreuses reprises Pierre Cardo. C’est l’un des enjeux des mois à venir. Ainsi les trois contrats stratégiques décennaux avec les trois entités de la SNCF – SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités –, prévus par la loi de 2014, n’ont toujours pas été signés. Surtout, le décret d’application du ratio prudentiel – ce qu’on appelle la règle d’or – n’a pas été publié ; or il devrait permettre à l’ARAFER de jouer son rôle dans la maîtrise des dépenses et de l’endettement de SNCF Réseau.

J’ajoute que la loi dite Sapin, votée récemment, donne des moyens d’investigation supplémentaires à l’ARAFER, notamment en ce qui concerne ses missions sur le contrôle des sociétés concessionnaires des autoroutes.

Enfin, le quatrième paquet ferroviaire, « bouclé » au niveau européen, doit faire l’objet d’une transposition par chacun des pays membres de l’Union européenne. Il prévoit l’ouverture, à compter de décembre 2020, du trafic passager sur l’ensemble des réseaux européens et donc du réseau français.

L’extension des compétences de l’ARAFER n’a pas été accompagnée d’une augmentation significative de ses moyens, j’y reviendrai.

J’en viens à mon deuxième point : le bilan de M. Pierre Cardo et les difficultés qu’il a rencontrées.

Je voulais, par courtoisie, rencontrer le président en exercice, Pierre Cardo, lorsque le Président de la République a proposé ma nomination. Or, c’est lui-même qui m’a d’emblée contacté et nous nous sommes entretenus longuement. Évoquer le bilan de l’ARAFER, c’est d’abord rendre hommage à l’action de son premier président. Je tiens à rendre cet hommage sans fioritures donc avec beaucoup de sincérité. M. Pierre Cardo a su mettre sur pied, avec ténacité, une structure dotée de services performants, dirigés par des experts qui couvrent tous les domaines du transport, de l’action juridique et de l’analyse financière. Il a affirmé et renforcé l’indépendance de cette autorité face, certes, aux opérateurs, au premier rang desquels la SNCF, mais encore face au Gouvernement – et parfois de manière spectaculaire. Il a su fédérer le collège de l’autorité dont toutes les décisions importantes ont été prises à l’unanimité depuis sa création !

En ce qui me concerne, si je suis nommé à la présidence de l’ARAFER, c’est dans ses pas que j’avancerai et non en rupture avec ce que je considère être un formidable bilan.

Ce bilan concerne d’abord les missions historiques de l’Autorité en matière ferroviaire. Leur accomplissement a permis de mieux assurer l’accès au réseau par les opérateurs autres que la SNCF et de participer ainsi à l’amélioration du fonctionnement du secteur, cela à travers différents outils comme les avis formulés sur le document de référence du réseau (DRR), conformes en ce qui concerne les tarifs, non conformes en ce qui concerne les autres observations. Mais aussi à travers les décisions de règlement des différends, ou encore à travers l’exercice d’un pouvoir réglementaire supplétif – qui parfois provoque l’irritation des cabinets ministériels –, enfin à travers la régulation du cabotage intérieur sur les lignes internationales – je pense évidemment à Thello, l’opérateur étranger qui dispose du plus grand nombre de lignes nationales à travers la France.

Ces missions historiques sont toujours d’actualité et il est à noter que les régions, en tant qu’autorités organisatrices de transports (AOT), tendent à prendre le relais des entreprises ferroviaires pour pousser à la maîtrise de l’évolution des redevances. La mission historique de l’accès au réseau va prendre de l’ampleur avec la poursuite de l’ouverture du marché à la concurrence que j’évoquais avec le quatrième paquet ferroviaire.

Le législateur a étoffé les missions de l’ARAFER dans le domaine ferroviaire avec la loi du 4 août 2014, en lui octroyant des pouvoirs supplémentaires en matière de contrôle sur l’accès au réseau, avec l’extension de l’avis concernant non plus seulement le sillon mais les installations de service, les gares, les ateliers, les installations des fournisseurs d’énergie… Cela pose d’ailleurs des problèmes parce que certaines sont gérées aujourd’hui par SNCF Mobilités. Un rôle nouveau a été confié à l’Agence en matière de rétablissement des équilibres financiers du système de transport ferroviaire avec notamment les avis qu’elle doit formuler sur les projets de contrats entre l’État et les établissements de la SNCF – et notamment SNCF Réseau. Une grande inquiétude subsiste sur l’évolution économique et financière du secteur ferroviaire et notamment sur la question de la dette de la SNCF qui semble hors de maîtrise.

Parmi les nouvelles missions assignées au régulateur, figure le suivi des marchés de services de transport ferroviaire, en particulier le suivi de la situation de la concurrence, qui a conduit à la création d’un observatoire des marchés, multimodal depuis qu’il prend en compte le secteur de l’autocar. Cet observatoire est un outil au service et de l’exécutif et du législateur pour tout ce qui concerne les décisions en matière de politique de transport.

Après la loi de 2014, la loi Macron de 2015 a ouvert à l’ARAFER un nouveau champ de compétences en matière de régulation de transport routier de voyageurs, avec les missions que vous connaissez : accompagnement de la libéralisation pour les lignes de moins de 100 kilomètres – il s’agit d’éviter toute concurrence déloyale avec les services concédés et, notamment, les TER – ; suivi du marché avec la publication d’un rapport annuel – on sait ainsi qu’entre le dernier trimestre 2015 et le premier trimestre 2016, la fréquentation des lignes d’autocars mises en place a connu une augmentation de 80 % – ; enfin, régulation des gares routières – sujet essentiel si l’on veut assurer l’égal accès de tous les opérateurs autocaristes au réseau routier. Or, la réglementation en la matière date de l’ordonnance de 1945 ; autrement dit, le statut des gares routières n’a été modifié depuis ni par la loi ni par décret. Il a donc été décidé d’ouvrir un registre des gares routières, gares dont l’accès est contrôlé par l’ARAFER.

Enfin, en ce qui concerne la régulation du secteur autoroutier, l’ARAFER a pris des décisions pour contester la composition des marchés de sociétés concessionnaires d’autoroutes. Pour ce qui est du suivi économique et financier des contrats de concession, l’Autorité rend un avis simple sur les nouveaux projets, sur les avenants de contrats quand ils ont un impact, sur la tarification ou sur la durée des contrats, et publie des rapports annuels sur les comptes des concessionnaires et leur rentabilité, ce qui évitera la réitération des mauvaises surprises de 2015, lorsque nous avons pris connaissance du rapport de la Cour des comptes et de l’Autorité de la concurrence sur les marges dégagées par certaines sociétés d’autoroute.

M. Pierre Cardo m’a fait part de deux catégories de difficultés. La première concerne les moyens : entre 2015 et 2016, alors que toutes les compétences nouvelles prévues par la loi Macron ont été assumées par l’ARAFER, ni le budget – 11,1 millions d’euros – ni les moyens en personnels – 68 équivalents temps plein, à savoir une petite structure, ce qui ne retranche rien à sa qualité – n’ont été augmentés. Aussi le président Pierre Cardo a-t-il demandé que l’effectif théorique soit porté à 77 équivalents temps plein. Le Gouvernement s’est engagé à apporter une réponse dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017. Or, comme ce n’est pas le Gouvernement mais le Parlement qui fait le budget, ce dernier sera sans doute attentif à ce que ces engagements soient tenus.

M. Martial Saddier. Vous savez que nous nous heurterons à l’article 40 de la Constitution et que nous ne pourrons rien faire.

M. Bernard Roman. Le second frein évoqué par Pierre Cardo est essentiel : il s’agit des limites de l’accès aux données destiné à renforcer l’expertise du régulateur. Pour la pertinence de ses analyses, par conséquent de ses décisions, le régulateur a un besoin crucial de données sur les marchés qu’il régule. Si tout a très bien fonctionné dans le domaine routier, l’opérateur historique dans le secteur ferroviaire – la SNCF – a manifesté des réticences à la collecte de données qui relèveraient du secret commercial. La loi a, depuis peu, réaffirmé le droit d’accès du régulateur à ces informations en renforçant la base juridique de la transmission des données et en l’assortissant d’un pouvoir de sanction. Il restera à faire en sorte que la SNCF joue le jeu, comme les autocaristes le jouent pour leur part depuis octobre 2015 et, surtout, depuis janvier 2016.

Troisième point : quelles seront les missions du président et du collège de l’ARAFER pour les mois et les années qui viennent ?

Dans un premier temps, il s’agira de poursuivre un certain nombre de chantiers engagés par Pierre Cardo et les équipes de l’ARAFER depuis six ans. Le premier chantier qui me semble essentiel consiste à réaffirmer sans cesse l’indépendance de l’ARAFER : c’est sa raison d’être. Dans les différents pays de l’Union européenne, toutes les autorités n’ont pas le même degré d’indépendance vis-à-vis de leur gouvernement. Mais, si l’ARAFER a réussi, c’est bien grâce à son indépendance – qui se juge à l’aune de ses décisions. L’autorité a rendu de nombreux avis négatifs sur un certain nombre de projets de décrets qui lui étaient soumis dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme ferroviaire, notamment sur les missions et les statuts des trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) du groupe ferroviaire. Elle s’est en outre opposée – spectaculairement –, en mars dernier, à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou à la présidence de SNCF Réseau. Elle a émis des réserves ou des avis négatifs sur la fixation des tarifs des péages ferroviaires, sur l’élaboration du document de référence du réseau, qui donne lieu, depuis plusieurs années, à des contestations par l’ARAFER dans le cadre de son avis conforme. Quant à SNCF Mobilités, l’ARAFER a critiqué le référentiel de séparation comptable de l’activité fret SNCF et la fixation des redevances pour les prestations de Gares et Connexions pour 2017. Cette question devra de nouveau être examinée d’ici à la fin de l’année dans le cadre de l’élaboration du document de référence du réseau pour 2018.

Reste qu’il n’y a pas d’indépendance sans indépendance financière. J’ai déjà évoqué le fait que le budget était demeuré au même niveau en 2015 et en 2016. Il est essentiellement consacré aux ressources humaines de l’ARAFER qui a besoin de l’expertise de ses personnels pour mener à bien ses missions.

J’en viens aux interactions de l’ARAFER. On ne peut pas être un régulateur si l’on n’est pas en interaction permanente avec tous les acteurs du transport tant au niveau national qu’au niveau européen. Grâce à des rendez-vous réguliers, que ce soit avec les services du ministère ou avec les différents opérateurs, désormais avec les régions – devenues des acteurs essentiels de l’organisation du transport sur le plan national –, Pierre Cardo a permis de « densifier » les prises de décision de l’ARAFER. Il en va de même au plan européen puisqu’existe un dispositif fédérateur de l’ensemble des régulateurs européens : le réseau Independent Regulators Group-Rail (IRG-Rail). On doit compter également avec des relations bilatérales, la plus notable étant celle qui lie la France et la Grande-Bretagne – à cet égard, d’ailleurs, le Brexit posera quelques problèmes sur les conditions d’accès au tunnel sous la Manche. Je me propose de poursuivre, sinon d’amplifier l’interaction entre l’ARAFER et les différents acteurs du transport en ce qu’elle est essentielle, j’y insiste, pour éclairer toutes les décisions qui doivent être prises.

Enfin, j’entends poursuivre l’action de Pierre Cardo en matière de transparence. On n’imagine pas ce que serait l’état de la connaissance du secteur des transports si l’ARAFER n’existait pas. Elle s’est en effet, depuis peu, au-delà de ses pouvoirs d’investigation, de contrôle, de sanction, assigné une mission de « fournisseur de transparence », si l’on peut dire, dans les trois secteurs d’activité qu’elle régule, cela à travers l’instauration de l’observatoire du marché des transports. Cet observatoire donne d’utiles éclairages sur l’évolution de l’organisation du transport en France. L’ARAFER a également pour obligation de fournir des rapports au Parlement et elle publie systématiquement ses avis. Tout cela contribue à l’enrichissement de la réflexion, à l’amélioration du fonctionnement de ces marchés. Bref, elle est un outil remarquable au service des décideurs, qu’il s’agisse du Gouvernement ou du Parlement.

Second temps, après la poursuite d’un certain nombre d’actions, il convient d’aborder les rendez-vous programmés. J’ai déjà évoqué la refonte de la tarification de l’utilisation du réseau, à la suite des recommandations publiées au début de l’année par l’ARAFER, avec une échéance pour l’horaire de service qui est le DRR 2018. J’ai appris – comme je vous l’ai indiqué, je ne suis pas un spécialiste de cette question, même si j’espère le devenir – que l’on devait donner un avis conforme sur le DRR 2018 à la fin 2016. Il s’agira donc de discuter, d’ici à la fin de l’année, de l’ensemble des avis de l’ARAFER sur la tarification des sillons, sur les gares, sur la nécessité de modifier les conditions de calcul des redevances – calcul devant porter non plus sur des lignes mais sur des morceaux de ligne cohérents. Il s’agira en outre d’examiner la refonte de la tarification de l’utilisation du réseau, le suivi de l’exécution du contrat qui sera – très rapidement je l’espère – conclu entre l’État et SNCF Réseau – cet enjeu est capital pour l’avenir : ce contrat doit porter sur dix ans ; or c’est sur la durée que l’on peut gérer l’équilibre financier, ou plutôt, ici, le déséquilibre financier puisque nous en sommes à 40 milliards d’euros de dettes ! Il faudra donc examiner la question de savoir comment, dans la décennie à venir, gérer les gains de productivité annoncés de SNCF Réseau.

J’en viens à la refonte du modèle économique et tarifaire des gares des voyageurs et au statut de ces dernières. Vous savez que les gares ont, schématiquement, deux propriétaires : SNCF Réseau pour les quais et Gares et connexions, une direction de SNCF Mobilités, pour le reste et qui est le plus rentable.

M. Martial Saddier. Ce sont les collectivités qui paient.

M. Bernard Roman. Pas toujours, il existe de nombreux modèles pour les quelque 3 000 gares françaises. Reste que le statut de ces gares est en débat. Pour garantir l’égal accès au réseau, il paraît clair qu’elles ne pourront pas rester dans le champ de compétence de SNCF Mobilités. L’ARAFER souhaite que ce soit une filiale de SNCF Réseau qui les prenne en charge, certains évoquant la création d’un quatrième EPIC – pourquoi pas ? –, d’autres évoquant les régions.

M. Martial Saddier. En effet !

M. Gilles Savary. Mais les régions n’en veulent pas !

M. Bernard Roman. Je ne fais qu’exposer les problèmes auxquels nous allons être confrontés.

Le deuxième rendez-vous concerne l’achèvement de l’ouverture du marché à la concurrence. Le quatrième paquet ferroviaire prévoit en effet l’ouverture des lignes non concédées au 1er décembre 2020, la possibilité d’ouvrir les lignes concédées à partir de 2023 et une obligation d’appel d’offres à partir de 2024. Nous devons nous y préparer. Il ne revient pas à l’ARAFER d’y procéder mais elle a pour mission, grâce à sa connaissance du marché, des acteurs, des enjeux, d’éclairer le Gouvernement et le Parlement sur la définition du cadre devant assurer la réussite de la libéralisation. L’ARAFER doit par conséquent être, de ce point de vue, une force de proposition. Elle devra veiller à l’indépendance de SNCF Réseau, à préserver cette « muraille de Chine » évoquée tant de fois au sein de la présente commission à l’occasion de la discussion du projet de loi de 2014 portant réforme ferroviaire. Surtout, l’ARAFER devra vérifier que le contrôle des règles de séparation comptable de SNCF Mobilités soit réellement effectué.

Enfin, troisième et dernier rendez-vous, il conviendra d’exercer au mieux les nouvelles compétences prévues par la loi Macron en ce qui concerne les gares routières pour le transport des passagers ; surtout, il faudra assurer une vigilance de tous les instants sur l’évolution du secteur autoroutier ainsi que sur le bilan annuel des concessions et, en la matière, vérifier le juste partage des risques entre le public et le privé.

Pour conclure, le renforcement des missions de l’ARAF, avec la création de l’ARAFER, témoigne à la fois de la confiance placée dans un régulateur indépendant, et de la réussite de l’affirmation de cette indépendance, cruciale pour l’accomplissement des tâches que le législateur lui a confiées. C’est ce défi que j’ai totalement conscience de devoir relever en me présentant à vous.

M. Rémi Pauvros. Monsieur Bernard Roman, votre intervention liminaire démontre votre parfaite connaissance de ces sujets.

L’ARAFER est une autorité publique indépendante qui a pour mission de veiller au bon fonctionnement du marché ferroviaire. Véritable régulateur du transport multimodal, en particulier depuis que son domaine d’intervention a été étendu aux autoroutes, aux lignes d’autocar et au tunnel sous la Manche, elle émet des avis contraignants et peut, par sa commission ad hoc, prononcer des sanctions. Si je rappelle ses compétences, c’est pour mieux conforter le choix du Président de la République.

Vous êtes en effet, monsieur Bernard Roman, totalement engagé au service de l’intérêt général et du service public. En témoignent votre carrière professionnelle – vous avez été enseignant, haut fonctionnaire territorial, avocat – et vos mandats électifs, qui vous ont permis de devenir un spécialiste du droit public et de la gestion des ressources humaines. Premier adjoint au maire de Lille chargé des finances et du personnel de 1983 à 2004, premier vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais chargé des finances de 2004 à 2012, vous avez eu à connaître des négociations entre la SNCF et RFF. Vous avez également présidé la commission des lois de notre assemblée, dont vous êtes le premier questeur depuis 2012. Autant d’expériences qui vous permettront d’assumer sans difficultés votre nouvelle mission – ce dont, je le sais, aucun de nos collègues ne doute.

Le premier président de l’ARAF puis de l’ARAFER, Pierre Cardo, à qui je veux rendre hommage, a donné toute sa dimension à cette institution et a su affirmer son indépendance. Je sais qu’il en sera de même pour vous, car je connais votre capacité à résister aux pressions, qu’elles soient amicales ou non, surtout lorsqu’il s’agit de défendre les principes fondamentaux qui fondent votre engagement au service de la population. M. Pierre Cardo a élaboré une doctrine dont l’objectif était de permettre à tous de comprendre la logique qui préside aux décisions de l’ARAFER. Souhaitez-vous vous inscrire dans cette démarche en écrivant de nouvelles pages de cette doctrine ?

L’ARAFER, dont les missions ont été étendues, est une institution en pleine croissance. À preuve, le nombre d’avis et de décisions qu’elle a rendus a doublé entre 2014 et 2015 et plus que triplé par rapport à l’an dernier, puisqu’elle a produit 85 textes au cours des six premiers mois de cette année, contre 44 en 2015. Vous avez évoqué la problématique des moyens financiers et humains ; nous serons amenés à y revenir au cours des prochaines années. Malgré l’élargissement de ses missions, l’autorité a continué à exercer ses pouvoirs de police, de poursuite et d’investigation. Souhaitez-vous poursuivre dans cette voie ou envisagez-vous d’externaliser ces pouvoirs ?

En ce qui concerne l’état du réseau et la dette de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau, votre prédécesseur a souligné la contradiction qui existe entre la nécessité de rénover le réseau et la construction de nouvelles lignes à grande vitesse. Quelle est votre approche de cette question importante ?

L’entrée en vigueur du quatrième paquet ferroviaire et l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires internationaux de voyageurs en 2020 pour les grandes lignes et en 2026 pour les lignes régionales constitueront une part importante de votre mission. Comment entendez-vous garantir l’accès de tous les opérateurs au réseau ferroviaire national ? Comment appréhendez-vous la « tentative de reprise en main », dixit votre prédécesseur, de l’appareil d’État sur la nécessité d’assurer une régulation indépendante, indispensable pour l’ouverture du trafic et pour le prix des péages, puisque l’on a assuré la refonte de l’utilisation du réseau, et la clarification, à travers un contrat éventuel, des rapports entre l’État et la SNCF Réseau ?

Votre prédécesseur a beaucoup insisté sur la nécessité de modifier la gestion des gares et de moderniser les systèmes de gestion des sillons, aujourd’hui assurée par le logiciel Thor créé en 1982 et devenu complètement obsolète.

Vous avez largement évoqué la nouvelle compétence confiée à l’ARAFER concernant les autocars ; je n’y reviens donc pas. Je confirme cependant que votre rôle consistera à assurer un équilibre et à éviter une concurrence, dans chaque territoire concerné, avec les TER et les trains d’équilibre du territoire.

S’agissant du secteur autoroutier, votre rôle sera relatif. Il doit néanmoins vous conduire à vérifier les taux de rentabilité interne de chaque concession. Comment comptez-vous aborder ce qui sera un autre de vos chantiers majeurs ?

En conclusion, je réaffirme le soutien total du groupe socialiste, écologiste et républicain à la proposition de vous nommer à la présidence de l’ARAFER. Dans un monde ouvert et décentralisé, vous saurez, j’en suis convaincu, positionner au mieux le service public ferroviaire dans un environnement concurrentiel et réguler les différents acteurs routiers et autoroutiers.

M. Jean-Marie Sermier. L’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence exigeait la création d’une autorité indépendante chargée de garantir la loyauté et la transparence de cette concurrence. Une loi du 8 décembre 2009 a ainsi créé l’ARAF, devenue l’ARAFER avec l’extension de son champ de compétence au transport routier interurbain, aux autoroutes concédées et au tunnel sous la Manche. Cette autorité a été présidée par l’un de nos anciens collègues, Pierre Cardo, dont je salue les qualités ; elles lui ont permis d’accomplir, en dépit d’un budget contraint, sa mission et la tâche ardue qui consiste à présider une structure nouvelle. Ainsi l’ARAFER produit aujourd’hui quatre à cinq fois plus de documents qu’il y a cinq ans, parmi lesquels des avis qui éclairent le Parlement et le Gouvernement.

Le mandat de Pierre Cardo, qui arrive à son terme, ne peut être renouvelé et le Président de la République envisage, monsieur Bernard Roman, de vous confier sa succession. Vous êtes, en tant qu’élu, une personnalité politique ; votre nomination est donc politique, comme le fut celle de M. Pierre Cardo. (Murmures)

Mes collègues du groupe Les Républicains vous interrogeront donc sans doute sur votre conception de l’indépendance du président de l’ARAFER vis-à-vis du Gouvernement, quelle que soit la majorité dont celui-ci est issu. Mais sachez qu’à titre personnel, je préfère une nomination politique assumée à celle d’un collaborateur d’un ministre à la recherche d’un point de chute…

Plusieurs députés. On ne comprend pas à quoi vous faites référence. (Rires)

M. Jean-Marie Sermier. En tout état de cause, vous avez su faire preuve, dans les fonctions qui ont été les vôtres, de qualités professionnelles et humaines et vous êtes apprécié du plus grand nombre, au-delà des clivages politiques.

Comment concevez-vous votre rôle dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, qui permettra notamment à des entreprises étrangères d’exercer leur activité sur le territoire français. Est-ce, selon vous, une bonne ou une mauvaise chose ? Les emplois des entreprises françaises ne risquent-ils pas d’être affectés par cette évolution ? Comment contrôler la trajectoire financière de la SNCF, dont on sait qu’elle est en grande difficulté ? Comment contrôler le financement des sociétés autoroutières, dont un certain nombre de collègues ont amplement critiqué les ressources, et vérifier qu’il est conforme à l’intérêt général ? Enfin, la loi Macron a ouvert à la concurrence le transport routier, notamment sur les lignes de moins de 100 kilomètres. Quelle est votre réflexion sur la concurrence entre le train et l’autocar ?

Je dirai, pour conclure, que si le fait de vous connaître nous rassure, nous avons néanmoins quelques inquiétudes quant à l’indépendance de l’autorité, ce qui conduira sans doute un certain nombre de membres du groupe Les Républicains à choisir une abstention bienveillante. (Murmures sur divers bancs)

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci pour vos propos, monsieur Sermier.

M. Bertrand Pancher. Je rappelle, en préambule, que le groupe Union des démocrates et indépendants a voté la réforme ferroviaire. Celle-ci a notamment confié un véritable rôle à l’ARAFER, à l’indépendance de laquelle nous sommes très attachés. Cette autorité a vu ses compétences étendues notamment aux autoroutes. S’agissant de la tarification autoroutière, nous avons refusé de jeter de l’huile sur le feu, souhaitant que les contrats soient soumis à un regard extérieur afin d’apaiser la vive controverse dont ils ont fait l’objet. Nous avons donc besoin d’un régulateur équilibré. Tel ne serait pas le cas, du reste, si nous avions un véritable ministre des transports – on a parfois le sentiment que M. Guillaume Pepy est secrétaire d’État – et si le Parlement disposait de moyens d’expertise à même de nous permettre de nous forger une opinion sur la situation complexe du système ferroviaire français.

Ce régulateur doit avoir à sa tête un président compétent. Compétent, vous l’êtes, cher collègue, même si les conditions de votre nomination ont suscité des interrogations, dont je me suis fait l’écho dans un communiqué de presse assez vif. Non pas que nous pensions qu’il ne faut pas nommer des personnalités politiques à la tête de tels organismes, au contraire : cela peut parfois permettre à ces derniers de jouer davantage leur rôle. Mais nous aurions préféré que nous soit proposée la nomination d’un expert plus confirmé des politiques de transport, qu’il appartienne ou non à cette assemblée. Cependant, vous avez l’image d’une personnalité compétente, engagée, intègre, et cela nous rassure.

L’ARAFER est un organisme de contrôle mais aussi de proposition, et c’est à ce point que je souhaiterais consacrer la fin de mon intervention. S’agissant de l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, nous souhaitons que l’on fasse preuve de prudence. Non pas que nous soyons opposés à l’ouverture à la concurrence, mais il faut prendre garde de ne pas casser cette grande machine qu’est la SNCF. Des phases expérimentales sont prévues. Que pensez-vous d’un éventuel renforcement du rôle de l’opérateur et des nouvelles missions qui pourraient être confiées aux régions ?

Par ailleurs, nous souhaitons que l’EPIC de tête de la SNCF joue réellement son rôle d’arbitre et de coordinateur, rôle qui doit être renforcé. Quelle est votre approche de ce sujet ? S’agissant des conditions d’équilibre des investissements futurs, non seulement la règle d’or n’a pas été d’application immédiate, mais les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés : on repousse sans cesse à demain de nouveaux déficits. Quel regard portez-vous sur cette question ?

Enfin, nous souhaiterions sortir par le haut du problème de la tarification autoroutière. Il faut reconnaître que l’État n’a pas été très clair sur ce point. Nous attendons donc davantage de transparence, notamment grâce à des communications et à des informations très claires de l’ARAFER.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il est vrai que nous aimerions pouvoir prendre connaissance du protocole d’accord, conclu en avril 2015, entre les sociétés d’autoroutes et l’État. Peut-être le futur président de l’ARAFER pourra-t-il obtenir, s’il le demande, communication de ce document…

M. Martial Saddier. Le groupe Les Républicains a contesté une partie du contenu de la réforme ferroviaire, notamment la création de l’EPIC de tête. Cette réforme comportait néanmoins une note d’espoir : la création de l’ARAFER, dont nous avons souhaité conforter l’indépendance et les prérogatives. Je vous remercie, monsieur Bernard Roman, d’avoir salué Pierre Cardo, qui fut en effet un président d’exception pendant cette période de mise en œuvre de la réforme. Il a fait preuve d’indépendance, de lucidité et de courage en prenant des décisions qui ont permis que la réforme ferroviaire ne parte pas à la dérive au cours des premiers mois de son application.

Vous avez été amené, tout au long de votre parcours, à exercer vos compétences en matière de gestion financière ; vous en aurez bien besoin, compte tenu de la situation. Par ailleurs, vous ne vous êtes pas étendu sur la question des autoroutes, qui est très importante pour l’aménagement du territoire et le développement économique du pays. Pouvez-vous revenir sur ces enjeux ?

Enfin, si le statut des gares n’a pas évolué dans la réforme ferroviaire, ce n’est pas à cause du Parlement. Nous avions en effet déposé une cinquantaine d’amendements sur le rôle des collectivités territoriales, et pas uniquement le conseil régional, ainsi que sur le devenir du matériel roulant une fois qu’il est amorti. Hélas, le Gouvernement nous avait alors opposé une fin de non-recevoir.

M. Yannick Favennec. M. Pierre Cardo, à qui vous avez rendu un hommage auquel nous nous associons, a dressé un constat assez sombre de la situation du ferroviaire en France, se disant très préoccupé pour les prochaines années. Il est vrai que la dette de SNCF Réseau a encore augmenté de 3 milliards d’euros l’an dernier. M. Pierre Cardo s’est également interrogé sur l’opportunité de lancer des études sur de futures lignes à grande vitesse qui ne verront peut-être jamais le jour alors qu’il faut travailler sur la rénovation du réseau et sur les nœuds ferroviaires : Paris, Bordeaux, Lyon, notamment. Selon lui, SNCF Réseau n’a pas les moyens financiers et humains nécessaires et les efforts sont insuffisants face à la dégradation rapide du réseau. Je souhaiterais donc savoir si vous partagez ce constat et comment vous envisagez de traiter ce problème si vous êtes nommé à la tête de l’ARAFER.

M. Gilles Savary. Je veux tout d’abord dire à notre collègue Bernard Roman combien j’ai été impressionné par son exposé préliminaire, qui correspond à ce que l’on peut attendre de ce type d’exercice. Je n’en suis pas étonné. Je suis de ceux qui souhaitaient qu’à cette étape du développement de l’ARAFER, qui a encore besoin de faire ses preuves, on nomme à sa tête un politique plutôt qu’un fonctionnaire qui aurait éventuellement terminé sa carrière dans son corps d’origine et dont l’état de dépendance aurait été forcément plus fort.

Le système ferroviaire et autoroutier est très opaque ; il est géré jusqu’à présent par la raison d’État et par des personnes soumises à une certaine discipline dès lors qu’elles sont nommées par décret. S’agissant des autoroutes, un protocole d’accord a été négocié par des députés qui n’y ont pas eu accès le jour où il a été signé ; il y a donc bien des dysfonctionnements considérables de l’État. Quant à notre système ferroviaire, il a à relever d’immenses défis. M. Pierre Cardo s’est efforcé d’assurer un minimum de transparence afin que nous puissions être informés de ce qui se passe dans cette boîte noire gérée par les cabinets, la haute administration et le ministre. Il est en effet très important que l’on puisse prendre conscience de l’état du système ferroviaire, ce qui n’est pas le cas de tous les acteurs, y compris des acteurs syndicaux, qui parfois le bloquent. L’autorité de régulation doit donc être suffisamment forte, sans se prendre pour l’État ou pour l’opérateur ferroviaire, pour assurer une surveillance intransigeante.

Vous devrez contrôler la trajectoire financière de la SNCF, dont la dette n’est pas de 40 milliards mais de 51 milliards si l’on ajoute à celle de SNCF Réseau celle de SNCF Mobilités. Au lieu d’être réduite de 1,5 milliard comme cela était prévu lors de la réforme ferroviaire, elle a augmenté de 3 milliards, pour des raisons qui tiennent au lancement de quatre lignes à grande vitesse. Nous allons donc dans le mur ! Pour le moment, le faible niveau des taux d’intérêt l’éloigne un peu, mais une augmentation de ces derniers pourrait provoquer très rapidement un collapsus du système ferroviaire français qui est l’un des plus brillants d’Europe au plan technique.

Vous devrez également être intransigeant sur la mise en œuvre de la règle d’or, dont on dit qu’elle serait tripatouillée pour que puissent être acceptées de nouvelles voies LGV, alors que le modèle économique des LGV se dégrade de manière très préoccupante et que l’on souhaite, par ailleurs, développer les trains du quotidien.

Vous aurez, bien entendu, à surveiller la crédibilité des contrats d’objectifs, très importants dans la réforme ferroviaire puisqu’ils doivent conduire l’État à afficher un plan d’investissement crédible qui ne pénalise pas le système ferroviaire. Ils doivent permettre de le rénover et de le relancer, sans pour autant s’apparenter, comme ce fut le cas avec le SNIT (Schéma national des infrastructures de transport), à une corne d’abondance permettant de financer tous les projets de France.

Par ailleurs, comment mesurer la productivité du système en l’absence de comptabilité analytique ? Il y a deux ans, on nous disait, dans le cadre de la réforme ferroviaire, que des économies seraient réalisées à hauteur de trois fois 500 millions. Aujourd’hui, on nous dit que ces économies sont pratiquement atteintes : comment s’en assurer ? Nous sommes là dans le domaine de la prestidigitation…

Enfin, il faudra gérer l’ouverture du rail à la concurrence. En la matière l’ARAFER devra être non seulement une autorité de la concurrence, mais aussi une autorité du ferroviaire, attentive aux grands équilibres. S’agissant de la route, de nouveaux champs vont s’ouvrir, qu’il s’agisse du transport particulier de personnes, dans lequel l’État a du mal à jouer un rôle de régulateur, ou des poids lourds.

En tout état de cause, je voterai sans aucune difficulté en faveur de votre candidature, car il s’agit d’une bonne candidature. Pour être tout à fait honnête, ce n’est peut-être pas l’avenir du système ferroviaire qui l’a motivée, mais celui-ci n’aura pas à s’en plaindre. (Rires)

M. David Douillet. L’ARAFER agit sur les règles de fonctionnement encadrant le système ferroviaire et routier. Elle doit notamment faire preuve de bienveillance sur des marchés auparavant liés à des secteurs nationalisés et désormais ouverts au secteur privé. Or – n’y voyez pas une pique de ma part – votre parcours, très impressionnant, est limité au secteur public. J’espère que vous aurez néanmoins la sagesse d’accorder la même considération aux acteurs privés et publics lorsqu’il s’agira de réguler ces marchés qui manipulent des sommes colossales, dans le secteur ferroviaire comme dans le secteur autoroutier. Mais, au vu de la longueur et de la qualité de votre curriculum vitae, la sagesse devrait l’emporter, comme ce fut le cas chez Pierre Cardo.

J’espère également que vous veillerez scrupuleusement à ce que les investissements nécessaires à la qualité des rails et du transport ferroviaire en général, qui ont fait défaut jusqu’à présent, soient au rendez-vous, notamment en Île-de-France, pour garantir la sécurité des voyageurs.

Je souhaite que vous soyez tout aussi vigilant vis-à-vis des gares, autant de sas où la sécurité est essentielle dans le contexte actuel. Il vous appartiendra de vous prononcer sur la tarification des prestations de sécurité ferroviaire. Cette compétence sera-t-elle étendue à la sécurité de nos concitoyens dans les gares, laquelle doit être garantie à tout moment ?

M. Lionel Tardy. Monsieur le premier questeur, je ne fais pas partie des députés qui considèrent comme un problème la nomination à la tête de l’ARAFER d’un politique – lequel est censé pouvoir traiter tous les sujets. Le mandat de Pierre Cardo, ancien député, n’a-t-il pas été unanimement salué, notamment pour avoir permis de favoriser l’indépendance de cette autorité administrative ?

On a toutefois pu lire ici ou là que votre nomination relevait d’un jeu de billard interne au parti socialiste, destiné à libérer votre circonscription en vue des prochaines élections législatives. Ce ne serait pas étonnant : M. François Hollande a l’habitude de ce genre de cuisine (Exclamations de désapprobation), qui finira sans doute par favoriser l’abstention et les extrêmes plutôt que François Lamy, appelé à vous succéder en 2017 dans la première circonscription du Nord. (Exclamations sur les bancs du groupe Socialiste, écologiste et républicain.) La semaine dernière, en commission des affaires économiques, nous avons vu le même procédé à l’œuvre avec la proposition de nomination à la tête de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Philippe Mauguin, directeur de cabinet du ministre de l’agriculture. Tout cela, bien éloigné de la « République exemplaire », inspire une grande lassitude. J’espère que votre mandat à la tête de l’ARAFER n’en sera pas entaché.

Comme bien des parlementaires de l’opposition, M. Pierre Cardo regrette que la réforme ferroviaire de 2014 n’ait pas fourni l’occasion d’ouvrir le rail à la concurrence. Qu’en pensez-vous ? M. Pierre Cardo regrette également que le contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, attendu depuis deux ans, ne soit toujours pas signé. Que comptez-vous faire pour hâter sa conclusion ?

Êtes-vous préoccupé par l’état du réseau ferroviaire français ?

M. Guillaume Chevrollier. Vous avez parlé d’« humilité » et d’« honneur », mais la proposition de vous nommer est très politique. Vous l’avez dit vous-même : vous avez peu d’expérience du domaine ferroviaire et routier. En revanche, votre curriculum vitae, très transparent et détaillé, fait état d’une riche expérience politique et les mots « parti socialiste » y reviennent toutes les trois lignes… Dès lors, comment pouvez-vous nous garantir que vous ferez preuve d’indépendance vis-à-vis du gouvernement actuel dans l’exercice de votre mission ?

Cette mission s’annonce difficile à l’heure où la compétence de l’ARAFER évolue pour s’étendre au transport par autocar et au secteur autoroutier, où se joue l’ouverture à la concurrence et où les déficits s’accumulent – vous avez parlé de 40 milliards d’euros de dette. M. Pierre Cardo, votre prédécesseur, se dit inquiet quant à l’avenir du réseau ferré français. Qu’en pensez-vous ? Dans ce contexte, qu’est-ce qui vous incite à accepter le poste et comment comptez-vous redresser la situation, notamment financière ?

M. Gérard Menuel. Je salue moi aussi le travail de Pierre Cardo, mais également la qualité de votre présentation, monsieur Bernard Roman. Vous avez devant vous un chantier colossal, dans le secteur autoroutier comme dans le secteur ferré, où vous devrez faire face à l’ouverture à la concurrence et à une dette considérable qui atteint 40, voire 50 milliards d’euros.

Or le budget dont vous disposerez ne dépasse pas quelque 11 millions d’euros et le nombre de vos collaborateurs est assez faible au regard de la mission dont vous serez chargé. Comment pensez-vous faire évoluer la source de financement de l’autorité pour rendre celle-ci moins dépendante de la SNCF, qui ne lui apporte aujourd’hui pas moins de 8 millions d’euros ?

M. Bernard Roman. Il est un peu frustrant de ne pas avoir plus de temps pour vous répondre, mais je dois bientôt vous quitter pour être auditionné par vos homologues du Sénat. Je vais donc m’efforcer de traiter de manière synthétique les différentes questions que vous avez soulevées, en vous livrant un point de vue par définition subjectif qui vous éclairera sur l’état d’esprit dans lequel je prendrai mes fonctions, si les deux commissions de l’Assemblée et du Sénat n’y opposent pas leur veto.

Je tiens à vous remercier de la tonalité générale de vos interventions. J’ai trop de respect pour la démocratie, celle-ci est trop belle à mes yeux pour que je ne respecte pas aussi la diversité des opinions. Il est normal, conforme à notre mission, que nous défendions chacun notre point de vue, mais j’ai toujours respecté mes adversaires politiques – ou plutôt mes concurrents, un terme que j’ai préféré utiliser lors de toutes les campagnes électorales auxquelles j’ai pris part. Je le dis d’autant plus volontiers que, si je suis nommé, je ne serai plus candidat dans aucune élection. Je viens d’entendre, chose rare, des compliments, venus qui plus est des députés de l’opposition ; j’y ai été très sensible et je les en remercie.

Pour moi, l’indépendance est au cœur de ce qui fait la force de l’ARAFER. En France, il existe six ou sept autorités indépendantes. Permettez au juriste que je suis de rappeler que la première d’entre elles, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), est née en 1978 de l’émotion qu’avaient manifesté, quatre ans plus tôt, des parlementaires et l’opinion publique face à la proposition de créer un fichier administratif national. Sans la CNIL, je doute que nos libertés auraient été préservées comme elles l’ont été malgré le développement de l’informatique. Le domaine qui nous occupe aujourd’hui n’est pas du tout le même, mais la problématique est identique : l’autorité indépendante doit permettre l’exercice de certaines fonctions et missions.

Sachez que je ne suis pas l’auteur du curriculum vitae qui vous a été distribué : il a été établi par Europresse et transmis par mon secrétariat à celui de la commission. Il comporte au demeurant quelques erreurs. Par ailleurs, il ne précise pas que j’ai été chargé du développement économique de la métropole lilloise, comme vice-président, et de la ville de Lille, comme adjoint au maire, ni que j’ai présidé une société de développement économique, Euralille, qui a construit en une dizaine d’années l’un des plus grands centres d’affaires autour d’une gare TGV qui existe dans notre pays. À ce titre, j’ai entretenu des relations avec le monde libéral, et non avec les seules administrations.

Que nos collègues du groupe Les Républicains et de l’Union des démocrates et indépendants qui m’ont interrogé à ce sujet soient rassurés : mes collègues socialistes ici présents pourront témoigner de l’indépendance dont j’ai su faire preuve sur différents sujets qui me tenaient à cœur, y compris au cours de l’actuelle législature, vis-à-vis du Gouvernement comme du Président de la République, alors même que je suis considéré comme un proche à la fois de celui-ci et du Premier ministre. L’indépendance, c’est sacré : c’est ce qui fait que l’on peut se regarder dans la glace tous les matins, parce que l’on est soi-même. Je serai moi-même, je serai indépendant et j’affirmerai, comme l’a fait Pierre Cardo, l’indépendance de l’ARAFER.

J’en viens, plus prosaïquement, à la question de la dette. J’ai évoqué celle du réseau, mais M. Gilles Savary a raison de dire que celle des deux entités cumulées dépasse 50 milliards d’euros. La dette de SNCF Réseau, qui atteignait 37 milliards en 2014, a augmenté de quelque 3 milliards pour dépasser les 40 milliards. Surtout, elle semble hors de contrôle. Sans être encore entré dans la logique du travail de l’ARAFER – je m’en suis bien gardé, n’étant rien vis-à-vis d’elle, et ce jusqu’à la signature du décret présidentiel –, je ne crois pas que l’autorité pourra se dispenser de formuler des propositions structurantes en vue de sortir de cette situation. Si nous n’en sommes pas sortis, c’est parce que la dette n’est pas maastrichtienne. Cela vaut pour tous les gouvernements, de droite comme de gauche. Si la dette avait été maastrichtienne, elle n’aurait pas été considérée ni traitée de la même manière.

Cette dette se compose de deux éléments. Premièrement, la dette historique, qui date de la création de RFF et était portée par la SNCF ; elle représentait à l’époque 163 milliards de francs, soit environ 20 milliards d’euros. Aujourd’hui, nombre des acteurs et des observateurs du monde ferroviaire s’interrogent : est-ce vraiment à eux de la porter ? Ne doit-elle pas être prise en charge par l’État ? La question mérite d’être posée. Cette dette génère chaque année – dans un contexte de taux faibles – 500 à 700 millions d’intérêts qui doivent être déboursés par SNCF Réseau et rejaillissent donc sur les tarifs et sur les droits de péage.

Deuxièmement, la dette engagée ensuite par la SNCF, puis par SNCF Réseau, pour financer les investissements. Pendant six ou sept ans – corrigez-moi si je me trompe –, la SNCF a consacré l’ensemble de ses moyens humains et financiers aux lignes à grande vitesse, et les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont délaissé les travaux indispensables à la sécurité du réseau et tout simplement à son entretien. D’où le chantier colossal de rénovation des voies, dont le coût est actuellement estimé à une trentaine de milliards d’euros. Peut-on faire des lignes à grande vitesse tout en assurant cet entretien ? C’est, là aussi, une véritable question. L’ARAFER n’aura pas à y répondre, mais nous rappellerons que la règle d’or devra être strictement mise en œuvre dès que le décret d’application – que l’ARAFER a toute compétence pour contester – sera disponible. En d’autres termes, aucun investissement nouveau supérieur à 200 millions d’euros ne sera possible si son équilibre n’est pas assuré par des apports extérieurs à ceux de SNCF Réseau qui pourraient être amortis par les droits de péage.

À terme – en dix ans, quinze ans, vingt ans –, il faut envisager de sortir de cette situation. À cette fin, le contrat de l’État avec les trois EPIC, en particulier avec SNCF Réseau, doit fixer une trajectoire financière. Car si les déficits se creusent de 3 milliards d’euros chaque année parce que l’on investit 3 milliards par an dans les lignes sans savoir comment financer ces investissements, l’on en arrivera à 60 ou 70 milliards de dette. Certains ne l’excluent pas. En ce qui me concerne, à supposer que je sois nommé à la tête de l’autorité indépendante, je m’y refuse.

Les travaux de rénovation des voies sont indispensables. Sur 30 000 kilomètres de voies ferrées en France, 20 000 sont essentielles au bon fonctionnement de notre réseau ferroviaire ; elles doivent être rénovées dans le strict respect des conditions de sécurité et de circulation requises. Il y faudra 30 milliards, à raison de 3 milliards par an. Comment financer cet investissement ? Comment l’amortir ? C’est aussi à l’ARAFER qu’il appartiendra d’indiquer à SNCF Réseau, au regard du contrat d’objectifs qui doit être signé avec l’État, comment parvenir à l’équilibre.

En région parisienne, cette rénovation sera bien plus compliquée et demandera beaucoup plus d’efforts qu’ailleurs, car l’interruption du trafic, pendant laquelle les travaux peuvent avoir lieu, ne dure que de minuit ou une heure du matin jusqu’à cinq heures, alors que sur la ligne Paris-Lille, par exemple, la circulation s’arrête dès vingt-trois heures dix. Dès lors, peut-on fermer des lignes ? Sinon, comment mener à bien des chantiers indispensables ? Ces questions vont se poser à SNCF Réseau, mais aussi à l’ensemble des autorités organisatrices de transport et des élus. De ce point de vue, les contacts permanents de l’ARAFER avec tous les acteurs sont essentiels.

En ce qui concerne les moyens, j’ai entendu citer l’article 40, non sans raison ; mais un budget se prépare en amont, avec les ministères. Ainsi Pierre Cardo a-t-il déjà écrit à Bercy et au ministère des transports afin de leur indiquer ses besoins impératifs pour 2017. On peut toujours externaliser certaines tâches, par exemple d’expertise et d’audit ; M. Rémi Pauvros y a fait allusion, à juste titre. Toutefois, si j’ai quelque difficulté à me prononcer sur ce point faute d’être entré dans les services de l’ARAFER, j’ai pu constater que celle-ci possédait des services d’audit performants et il me semble que ses agents assermentés, habilités à aller consulter les pièces comptables des entreprises, des opérateurs, des sociétés d’autoroutes, ne peuvent qu’être plus efficaces que des auditeurs extérieurs.

J’en viens aux autoroutes. Je découvre que les parlementaires n’ont pas été informés de la teneur du protocole entre l’État et les sociétés d’autoroutes, et j’en suis choqué. Afin de préparer mon intervention – que j’ai tenu à écrire moi-même –, j’ai lu depuis dix jours des centaines de pages pour comprendre la situation, et j’ai pris la mesure de plusieurs problèmes. En 2015, le président Jean-Paul Chanteguet a adressé au Premier ministre une lettre – à laquelle je me suis associé, comme bien d’autres députés – pour dénoncer les bénéfices des sociétés d’autoroutes, alors estimés à quelque 24 % annuels par l’Autorité de la concurrence, et préconiser en conséquence une nationalisation ou un rachat. Le Gouvernement a répondu en substance que le rachat nécessiterait 50 milliards d’euros et qu’il fallait donc trouver une autre solution. D’où le protocole, qui a tout de même conduit les sociétés concessionnaires d’autoroutes à mettre un milliard d’euros sur la table, à s’engager sur un plan pluriannuel et à accepter le plafonnement à 7 ou 8 % de leur taux de rentabilité interne (TRI). Voilà qui a permis d’esquisser le cadre du travail de l’ARAFER : lorsque celle-ci contrôlera les résultats de ces sociétés, comme la loi lui permet de le faire annuellement, elle ne saurait accepter un TRI supérieur à ce plafond. Quoi qu’il en soit, il serait pour le moins logique que les parlementaires soient officiellement informés du contenu du protocole.

Le budget que l’État consacre aux transports ne dépasse pas 3 milliards d’euros. Sur cette somme, 2,2 milliards vont au rail, notamment afin de compenser le coût réel du passage des trains sur les voies par les péages autorisés : on estime qu’un tiers environ de ce coût est pris en charge par l’État, que l’opérateur soit étranger ou français. La somme se décompose comme suit : 200 millions pour le fret, 2 milliards pour le transport de voyageurs. Rapportés aux 2 200 milliards de PIB de notre pays, ces montants ne sont pas considérables ; mais ils ne sont pas non plus négligeables. Or, chaque fois que des propositions de financement déséquilibrées sont formulées, cela se répercute sur les droits de péage et les recettes de SNCF Réseau ou sur la participation de l’État destinée à compenser le déficit affectant ces recettes. Nous devrons en tenir compte lors de l’examen du contrat d’objectifs, dont je souhaite qu’il soit fourni à la représentation nationale et à l’ARAFER, au moins pour avis, le plus rapidement possible et, je l’espère, avant la fin 2016. Car, sans vision pluriannuelle, nous ne pourrons formuler aucune proposition, alors même que cette situation financière est très problématique. C’est pourtant ce à quoi l’ARAFER est tenue au titre des avis conformes qu’elle doit émettre sur la tarification, de sa mission de vérification des séparations comptables et de son avis sur le contrat d’objectifs lui-même.

On m’a demandé ce que je pensais de l’ouverture du marché à la concurrence. Je nʼai pas à en penser quoi que ce soit, car c’est une réalité : le 1er décembre 2020, sur toutes les lignes à grande vitesse, tous les opérateurs européens pourront demander des sillons, et la mission de l’ARAFER consistera à leur permettre d’y accéder dans les mêmes conditions que l’opérateur historique français. Comment s’y préparer ? En fournissant toutes les informations nécessaires, en se montrant aussi transparente que possible et aussi exigeante en matière de cohérence des tarifications proposées, afin que les sociétés ferroviaires elles-mêmes, SNCF en tête, puissent se préparer dans les meilleures conditions.

J’ai entendu l’irritation de M. Bernard Pancher concernant telle ou telle personnalité du monde du transport. Quoi qu’il arrive, c’est le Gouvernement qui décidera, non l’ARAFER ; mais celle-ci doit jouer pleinement son rôle, en mettant tous les éléments – des éléments transparents et lisibles – sur la table. Si, depuis trois ans, l’ARAFER dénonce l’opacité de certains aspects de la tarification, c’est bien pour parvenir à plus de transparence. Tous les opérateurs doivent connaître les conditions d’accès qui leur seront faites le 1er décembre 2020 – et même avant, du moins je l’espère.

J’espère également qu’en 2020, le réseau aura été en bonne partie rénové. Comme l’a dit l’un d’entre vous, la grande vitesse est l’un de nos fleurons et notre réseau à grande vitesse est très performant, mais l’on ne peut accepter, gouvernement après gouvernement, que les transports du quotidien en pâtissent. C’est un point de vue politique, au bon sens du terme. L’ARAFER a pour mission de fournir tous les éléments permettant aux responsables de prendre les bonnes décisions.

Même sans être un spécialiste du secteur, je mesure combien le poste auquel il est proposé de me nommer est essentiel à l’avenir du transport et des modes de transport dans notre pays. Je ne renâcle pas devant la tâche. Je vous l’ai dit, depuis dix jours, j’ai lu et annoté en vue de cette audition des centaines de pages de documents et de notes, et je trouve passionnant ce travail consistant à essayer de mieux comprendre un secteur que l’on découvre. « Ne t’inquiète pas », m’a dit Pierre Cardo : « quand j’ai été nommé, j’ai bien dit que je ne connaissais que les trains électriques ! ». J’en connais pour ma part un peu plus. Surtout, j’ai tellement envie de réussir dans cette mission que je me réfère, comme toujours en pareil cas, à Sénèque, qui disait : « On se lasse de tout, excepté d’apprendre. »

Merci encore de votre accueil.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je me souviens en effet de l’audition de Pierre Cardo. Vous en savez beaucoup ; vous avez beaucoup lu, dites-vous. J’ajouterai simplement que SNCF Réseau innove en fermant l’importante ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse plusieurs week-ends par an, afin de réaliser des travaux lourds : les choses évoluent donc.

Je vous remercie de cet échange de qualité, de l’enthousiasme avec lequel vous avez appris, découvert le secteur, et avec lequel vous nous avez transmis analyses et informations.

(Applaudissements)

*

Après le départ du candidat, il est procédé au vote sur la nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs étant MM. Guillaume Chevrollier et Laurent Grandguillaume.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants 29

Bulletins blancs ou nuls 0

Abstention 3

Suffrages exprimés 26

Pour 25

Contre 1

III. PRÉSENTATION DU RAPPORT DE LA MISSION D’INFORMATION SUR L’APPLICATION DE LA LOI N° 2014-872 DU 4 AOÛT 2014 PORTANT RÉFORME FERROVIAIRE

Le mercredi 19 octobre 2016, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport de la mission d’information sur l’application de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire (MM. Gilles Savary et Bertrand Pancher, rapporteurs).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entendre la présentation du rapport sur l’application de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire.

En application de l’article 145-7 du Règlement, notre commission a désigné comme rapporteurs M. Gilles Savary, du groupe Socialiste écologiste et républicain, et M. Bertrand Pancher, du groupe Union des démocrates et indépendants. À l’issue de leurs travaux, il me paraît important qu’ils présentent leurs conclusions.

Cet exercice permet de dresser le bilan de l’application de la loi et de présenter les décrets pris par le Gouvernement depuis deux ans. Il s’agit également de faire le point sur un certain nombre de sujets liés à l’avenir du système ferroviaire français : la dette du système ferroviaire, sa gouvernance, l’avenir économique et statutaire des gares, l’approche de l’ouverture à la concurrence, les financements publics, ainsi que les capacités industrielles ferroviaires.

M. Bertrand Pancher, corapporteur. Ce rapport constitue le fruit d’un travail de longue haleine, pour lequel nous avons entendu un grand nombre d’acteurs, français comme européens ; il constitue désormais un document de référence pour quiconque voudrait avoir une bonne connaissance de la question ferroviaire en France. La convergence de vues entre M. Gilles Savary et moi-même au sujet du bilan de l’application de la loi du 4 août 2014 comme sur les mesures à prendre, est totale.

Dans cette présentation, je me bornerai à exposer les raisons ayant conduit le Gouvernement à présenter ce projet de loi et à livrer mon analyse des points forts et des points faibles de sa mise en œuvre. De son côté, M. Gilles Savary remettra l’ensemble de la question en perspective et formulera un certain nombre de propositions.

L’objet de la réforme ferroviaire était la réduction des faiblesses et dysfonctionnements de notre système. La gouvernance était devenue ambiguë et obsolète, singulièrement du fait de la fausse séparation créée entre la SNCF et Réseau ferré de France (RFF). RFF a été créé en 1997 pour récupérer une partie de la dette de la SNCF. La structure était par ailleurs privée des moyens d’exploiter le réseau, puisqu’elle déléguait à la SNCF les tâches de développement, de maintenance et d’entretien de l’infrastructure.

La raison d’être de RFF était la reprise d’une partie de la dette de la SNCF afin de satisfaire aux dispositions du traité de Maastricht. À la veille de la création de cet organisme, la dette de la SNCF s’élevait à 30 milliards d’euros, dont près des deux tiers ont été repris par RFF. Cette opération a permis à la SNCF de rétablir ses comptes, sans pour autant résoudre l’ensemble du problème de la dette de notre système ferroviaire, ce qui aurait nécessité des investissements considérables.

À partir de 1997, à cette dette historique est venu s’ajouter l’endettement propre de RFF, lié aux investissements réalisés dans le système ferroviaire ainsi qu’au remboursement des dettes passées. Ainsi, la dette de RFF n’a cessé de croître, pour atteindre 37 milliards d’euros en 2013, avant l’adoption de la loi ; elle connaît depuis lors une progression de 3 à 4 milliards d’euros par an.

Avec 170 jours annuels de repos pour le personnel roulant de la SNCF et 129 jours pour le personnel de droit privé, la SNCF connaît des problèmes de compétitivité ; je rappelle que 80 % des frais de fonctionnement de l’entreprise sont constitués par la masse salariale. Par ailleurs, des investissements massifs ont été réalisés en dehors de toute réflexion sur leur financement. En l’absence de tout payeur clairement identifié, ces investissements se poursuivent sans que soit posée la question de savoir qui paiera à terme.

Le projet de loi a été présenté en parallèle de la négociation du quatrième « paquet ferroviaire », ultime élément de la politique européenne des transports ferroviaires, consacré à l’ouverture à la concurrence du marché du transport des passagers. Cette ouverture a été adoptée dès 1994 en Allemagne, alors que la France s’est montrée ambivalente et frileuse, jouant à la fois la carte de la compétition active sur les marchés européens et celle de la défense passive au plan national.

Le groupe SNCF, qui réalise le tiers de son chiffre d’affaires à l’international, n’a eu de cesse de freiner des quatre fers cette ouverture à la concurrence, dans laquelle son activité de fret n’est entrée qu’au tout dernier moment. De ces atermoiements et de ces lenteurs ont découlé des réformes improvisées, et le résultat aujourd’hui est une baisse continue du trafic du fret ferroviaire ainsi qu’un déclin rapide du marché du fret ferroviaire de la SNCF et de ses concurrents.

La réforme de 2014 prévoyait la constitution d’un groupe ferroviaire unifié comportant trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), ce qui était de bon sens. Étaient prévus : un EPIC « de tête » regroupant toutes les fonctions générales ; SNCF Mobilités, EPIC d’exploitation ; SNCF Réseau, gestionnaire du réseau de plein exercice. Cette réforme est totalement compatible avec les règles européennes.

Un Haut Comité du système de transport ferroviaire (HCSTF) a été institué, qui participera à la définition de la stratégie, ainsi qu’un comité des opérateurs de réseau, chargé d’élaborer la charte du réseau. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) voit ses pouvoirs renforcés, notamment son pouvoir de codécision, elle émet aussi des avis simples et dispose d’un pouvoir de règlement des contentieux.

Un nouveau cadre social commun à l’ensemble du secteur ferroviaire a été posé ; il préserve le statut des cheminots, mais abroge le décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la Société nationale des chemins de fer français, dit « RH 77 », ce qui constitue une harmonisation progressive de l’ensemble des statuts.

Des contrats d’objectifs seront passés entre l’État et chacun des trois EPIC, avec une règle prudentielle, dite « règle d’or » — que nous devons à M. Gilles Savary —, ayant pour objet d’endiguer la dette du groupe. Aucun nouvel investissement ne sera réalisé s’il n’est pas pris en charge par le contribuable ou l’usager.

Des dispositions importantes ont été prises pour la sûreté, la sécurité et le financement des gares.

En outre, le législateur a ajouté des dispositions fixant au Gouvernement des clauses de rendez-vous dans les domaines du statut des gares et du traitement de la dette ferroviaire.

Souvenons-nous que, lors de nos débats le président Guillaume Pepy a indiqué que, sur 3,5 milliards d’euros d’endettement, un milliard et demi représente le remboursement de la dette des engagements passés, et un autre milliard et demi le déficit courant. Il a annoncé que la SNCF s’engageait à ramener ce milliard et demi à zéro par 3 fois 500 millions d’économies : un tiers grâce à des économies dans la branche infrastructures, un tiers dans la branche commerciale, un tiers en « cadeau de l’État », celui-ci n’ayant plus d’impôts à prélever sur un système déficitaire. En contrepartie de ce cadeau, l’État devait s’engager à reprendre une partie de la dette, comme dans le modèle allemand.

Le bilan de la réforme est ambivalent, en ce qu’il présente des sujets de satisfaction, mais aussi des sujets d’insatisfaction, voire d’inquiétude certaine.

Au titre des satisfactions, je citerai la publication de la quasi-totalité des décrets, la réorganisation du groupe ferroviaire, qui est effective depuis le 1er janvier 2015, et le cadre social, qui a été posé.

L’unification du groupe a constitué une démarche très complexe, car la mise en place des trois EPIC était difficile. Le délai du 1er juillet 2015 a été tenu, et il faut saluer une performance managériale remarquable, car 50 000 cheminots relevant de SNCF Mobilités ont été transférés à SNCF Réseau, avec une continuité contractuelle prévue par la loi.

D’importants gains de productivité ont été réalisés : 680 millions d’euros ont été annoncés pour 2015.

L’affirmation du rôle du régulateur est une bonne chose pour la transparence et la correction des incohérences du système ferroviaire ; le rapport salue d’ailleurs le travail de l’autorité de régulation, qui s’est pleinement approprié ses nouveaux pouvoirs et ses nouvelles missions. Toutefois, nous constatons un manque de moyens humains et financiers ; on ne saurait disposer d’organismes indépendants s’ils sont en permanence contraints à des efforts de réduction de dépenses.

Enfin, le retour au droit commun des conditions de travail des cheminots constitue, lui aussi, un point très positif.

Au titre des motifs d’inquiétude figure en premier lieu la réforme sociale qui reste à traiter : quand bien même le cadre a été fixé, le statut des cheminots est figé alors qu’il devait évoluer. Nous ne pouvons que déplorer cette situation, qui fragilisera le groupe lors de l’entrée dans la concurrence.

Il y a encore lieu de s’inquiéter de signes annonciateurs de déconstruction de la réforme : l’État ne se comporte pas en stratège dans ses choix, s’écartant du rôle que la loi lui a assigné, qui est de planifier à nouveau ses engagements en contrepartie des efforts consentis. A contrario, on assiste à une fuite en avant dans les investissements ; l’État est ainsi tenté de contourner par la loi la règle d’or devant garantir la maîtrise de l’endettement du système ferroviaire. C’est le cas pour le projet Charles-de-Gaulle Express, où tout recommence comme avant. C’est aussi le cas pour la reprise des réseaux déficitaires : la ligne Perpignan-Figueras, mal configurée au départ, en est un exemple flagrant.

Enfin, la réflexion sur la dette n’a pas évolué. Son montant s’élève aujourd’hui à 40 milliards d’euros, et l’on annonce sans sourciller qu’il serait possible de continuer ainsi jusqu’à 70 milliards d’euros pour financer les investissements de demain – tout cela sans s’interroger sur les conséquences sur le fonctionnement de nos EPIC ni de qui paiera.

M. Gilles Savary, corapporteur. Le rapport que nous présentons aujourd’hui est ambitieux ; de façon quelque peu hétérodoxe pour une évaluation, il ouvre des perspectives sur ce qu’il faudrait encore réformer pour aboutir à un système ferroviaire parfaitement assuré de son avenir dans notre époque.

Nous avons tendance à penser le système ferroviaire comme dans les années 1960, 1970 ou 1980. Ce mode de transport connaît des contraintes particulières, est très intense en capital et très coûteux. Il ne parvient à s’équilibrer qu’en remplissant ses trains, sans bénéficier de la souplesse des autres modes de transport : celle de l’avion, dont les coûts d’infrastructure, en comparaison, sont faibles, ou celle de la route, dont les frais d’infrastructure sont intégralement financés par le contribuable.

La question de l’avenir du transport ferroviaire est posée dans un environnement profondément bouleversé, très urbanisé par rapport à la fin du XIXe siècle, époque à laquelle le réseau a été conçu : à l’usage du fret tout d’abord, puis pour les passagers en congés payés. Aujourd’hui, tout le monde possède une automobile, et la question de la pertinence du train et de sa vocation est posée, quand bien même chacun voudrait qu’il desserve son village. Ce qui importe, c’est de savoir où et comment rendre le meilleur service au plus grand nombre d’usagers. C’est là la question du service public.

Le monde du transport a été fracassé en très peu de temps, et aujourd’hui seuls les cheminots croient détenir un monopole, alors qu’ils sont soumis à la concurrence des vols low cost. Lorsqu’il s’agit de parcourir 500 ou 600 kilomètres, un vol low cost est souvent moins cher et plus rapide. Ainsi, la construction d’une ligne TGV Bordeaux-Madrid serait-elle très coûteuse : il faudrait franchir la montagne, alors que le vol low cost coûte entre 30 et 100 euros.

Existe aussi BlaBlaCar, dont le trajet moyen représente 300 kilomètres, et qui participe de l’économie collaborative : cela revient à dire qu’aujourd’hui l’usager se défend des « offreurs ». Or, depuis toujours, l’offre de transport ferroviaire a été conçue soit par les ingénieurs, soit par les politiques. Mais l’usager, résilient, contourne cette espèce de déterminisme de l’offre en exprimant de nouveaux besoins.

Ces nouveaux besoins sont invasifs et constituent une nouvelle concurrence : encore une fois, seul le cheminot pense être en situation de monopole. Les concurrences sont redoutables, et l’économie de nos systèmes ferroviaires s’est d’ailleurs considérablement dégradée. Elle n’a fonctionné qu’au prix d’un endettement mis sous le tapis de façon permanente, en mettant en place des projets caractérisés par des contraintes nouvelles : augmentation faramineuse des coûts de construction des nouvelles lignes, intolérance des usagers aux tarifs.

Aujourd’hui les usagers du train express régional (TER) se plaignent des tarifs alors qu’ils acquittent 28 % du coût réel de la prestation : ils sont tous convaincus que c’est trop cher ! S’il fallait répercuter sur l’usager de la ligne Bordeaux-Paris le coût réel, le prix de l’aller simple atteindrait 200 euros. Aussi le système est-il subventionné, et cela coûte 14 milliards d’euros par an. Certes, dans cette somme figurent 4 milliards d’euros au titre du régime de retraite et du régime social. Les cheminots se plaignent beaucoup, mais aucune régulation budgétaire n’est intervenue, ni sous le Gouvernement actuel ni sous les Gouvernements précédents. On objectera qu’il s’agit du service public, mais les budgets publics n’en sont pas moins toujours contraints.

Le système est donc très subventionné et, à mes yeux, souffre aujourd’hui de deux très grands problèmes.

Le premier, j’y insiste, est l’inconséquence de l’État dans ses programmes d’investissement, qui sont dictés par des influences politiques et non par l’intérêt de l’usager – cela au plus haut niveau et depuis longtemps. (Applaudissements sur les bancs des députés Les Républicains et murmures)

Le programme « tout-TGV » a mis à plat le réseau classique : 4 000 kilomètres de lignes structurantes ont été ainsi été ralentis par le programme tout-TGV commandé par messieurs Bussereau et Borloo. L’abandon du réseau classique rend, à chaque jour qui passe, plus chère la régénération. Aujourd’hui, même si des orientations budgétaires non négligeables ont été prises en faveur de la régénération, de l’entretien et de la maintenance, nous demeurons dans une indécision qui fait que, bien que disposant d’un très grand réseau, nous n’avons pas de programme pluriannuel public débattu.

Aussi est-ce, un matin, tel ou tel politique qui décide que l’on fera telle ou telle ligne. Et la SNCF, dont le corps social est ultra-conservateur et conflictuel, éprouve les plus grandes difficultés à mobiliser celui-ci pour améliorer la productivité interne.

C’est là le second problème que je souhaite évoquer. Lorsque l’on enjoint à la SNCF de réaliser des gains de productivité interne en travaillant plus, et que l’on fait rouler sur des lignes classiques des TGV, qui coûtent 200 % plus cher que partout en Europe et dont les coûts d’exploitation sont de 30 % supérieurs à ceux des trains Intercités, comment voudrait-on mobiliser le corps social ?

Notre rapport n’est pas dans l’air du temps, mais j’ai tenu à ce qu’il soit objectif et honore l’Assemblée nationale dans sa capacité à éclairer l’avenir du système ferroviaire, y compris en ne tenant pas compte de la conjoncture précise, et des influences des uns et des autres pesant sur lui. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Quelles sont nos recommandations ?

La première est de préparer l’arrivée de la concurrence sur le réseau, car nous n’avons pas le choix : le 1er janvier 2020, les TGV y seront soumis ; le 1er janvier 2023 ce seront les autres trains intérieurs, TER et trains d’équilibre du territoire (TET).

La France n’a pas résisté à la tentation : je suis allé à Bruxelles, où j’ai constaté qu’elle s’y montrait favorable à la mise en concurrence devant le Conseil européen, pour y être défavorable dès que le ministre avait franchi le Quiévrain… Nous avons toujours été pour la concurrence, parce que nous sommes Européens et créons l’Europe du rail, et que nous représentons un très grand acteur de la concurrence à l’étranger.

La SNCF est partout : en Grande-Bretagne, en Allemagne, mais des compagnies ferroviaires françaises très brillantes, comme Transdev ou la RATP, opérateurs de transport à l’étranger, sont interdites de train chez nous ! Notre pays dispose dans le domaine du transport d’un très grand potentiel de développement, pour peu qu’il ne s’égare pas dans des replis nationaux désuets. Une grande partie du monde s’éveille au transport, nous sommes forts dans le domaine aérien, dans le domaine automobile, ainsi que dans le ferroviaire, secteur très compliqué qui comporte beaucoup d’ingénierie ; nous ne devons pas avoir peur car, sinon, les Chinois prendront la place.

La concurrence arrive, nous devons nous y adapter. Ne répétons pas les erreurs commises pour le fret, alors que nous avons commis des textes de loi furtifs sans négocier en amont les conditions sociales, et que nous atteignions en 2000 de 57 millions de tonnes-kilomètre. Aujourd’hui, après cinq plans de relance du fret qui ont coûté des milliards, nous n’avons plus que de 34 millions de tonnes-kilomètre, parce que nous n’avons pas construit les infrastructures nécessaires, que nous avons abandonné le wagon isolé et que nous avons négligé de passer une convention collective. Dans la crise du fret, la plus importante est celle qui concerne le fret SNCF, « biberonné » par l’entreprise et qui commence à rencontrer des difficultés avec ses concurrents, lesquels ont formé des recours à l’encontre de cette pratique devant l’Autorité de la concurrence ou à Bruxelles.

Ainsi le constat est-il le suivant : un trafic ralenti sur 4 000 kilomètres de voies, une régénération qui prendra quinze à vingt ans, un rapport sénatorial préconisant, tous bords politiques confondus, un moratoire sur les nouvelles lignes à grande vitesse pendant au moins quinze ans afin de pouvoir remettre en état le système ferroviaire.

Nous proposons donc, en premier lieu, d’autoriser les expérimentations en région, et, en second lieu, que, préalablement à toute expérimentation, le cadre social des transferts de personnel soit négocié. Chacun connaît les transports collectifs urbains : lorsque l’on change de délégataire de service public, les personnels sont repris par le nouveau prestataire ; or rien de tel n’est prévu actuellement pour les chemins de fer.

La négociation doit avoir lieu avant le transfert. C’est difficile, car il y a un gap social et un certain nombre de cheminots pourraient préférer rester à la SNCF, si bien que l’entreprise sombrerait. Il faut cependant souligner que la SNCF a beaucoup évolué au sujet de la concurrence, car elle se rend compte qu’elle a besoin d’un aiguillon pour se comparer et mettre en œuvre une meilleure productivité.

Il n’y a pas de fatalité à ce que les coûts des chemins de fer français soient 30 % plus élevés, en exploitation comme en travaux, que ceux de l’ensemble des autres systèmes ferroviaires, et ce indépendamment de la sécurité de l’emploi, car nombre de ces systèmes sont également régis par des statuts. Ce surcoût pèse sur l’usager ou sur le contribuable, car il y a toujours une victime de ces situations. Mais il n’y a pas de fatalité : nous devons renouer avec la productivité, et je reconnais qu’un effort considérable a été fourni par les cheminots, dont les effectifs n’ont cessé de baisser sans que les trains cessent de rouler.

La plus grande carence a surtout porté sur les choix et les investissements de l’État, singulièrement sur l’état du réseau, qui est calamiteux, bien au-delà de ce que nous pensions, tandis que nous avons construit un deuxième réseau, dont je ne nie pas l’utilité, mais qui coûte très cher et dont le coût kilométrique est en constante augmentation. C’est l’un des plus chers du monde en termes de coûts.

La question posée à notre politique ferroviaire est de savoir si nous fonctionnons uniquement avec un réseau TGV, ce qui reviendrait à abandonner de nombreux territoires, ou si, au contraire, nous choisissons le rééquilibrage. Un virage extrêmement sensible a été pris par ce Gouvernement, mais les priorités n’apparaissent pas encore clairement, car elles sont insuffisamment ciblées. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut établir une programmation prévisionnelle des investissements ferroviaires ; les Gouvernements doivent avoir le courage de dire ce qu’ils prévoient de faire à terme de dix ans, avec d’éventuelles révisions trisannuelles, en l’affichant très clairement.

Un député. On peut dire cela quand les TGV arrivent à Bordeaux mais qu’ils ne vont pas au-delà…

M. Gilles Savary, rapporteur. On ne peut attendre de la SNCF des performances si celles-ci ne sont pas liées à des choix politiques stables, transparents, raisonnables et, qui plus est, financés. Aujourd’hui, rien de tout cela n’est garanti, et je pense que notre collègue Philippe Duron interviendra pour évoquer la situation de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Cela signifie qu’il faudra modifier la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, dite « LOTI », qui continue d’asseoir le monopole de la SNCF en France. En tout état de cause, sa modification est rendue nécessaire par l’ouverture du marché à la concurrence en 2020 ; nous devons anticiper afin de ne pas renouveler la catastrophe de l’ouverture du fret à la concurrence pour le transport de voyageurs.

Nous considérons qu’il nous revient de nous y préparer, laisser l’initiative de l’expérimentation aux régions, qui doivent bénéficier d’un appui dans le domaine de l’ingénierie – j’ai bien entendu M. Christian Estrosi, ainsi que d’autres à droite comme à gauche, mais cela ne s’improvise pas. De fait, ouvrir la concurrence dans le secteur ferroviaire est tout différent du secteur automobile : il faut connaître les normes techniques et ne pas se laisser abuser sur les coûts. Il s’agit d’une industrie lourde, dans laquelle la roue est toujours dépendante du rail. Il n’est pas possible d’ouvrir la concurrence sans disposer d’une parfaite connaissance des normes du réseau afin d’apporter les bonnes réponses ; c’est pourquoi nous demandons la création d’une cellule nationale de soutien à l’ingénierie pour les régions souhaitant expérimenter.

À l’échelon national, nous disposons d’ingénieurs qualifiés pour ce travail, ce qui n’est pas le cas à l’échelon régional ; au risque de ne pas être très populaire auprès des présidents de conseil régional, je considère que les régions n’ont pas la capacité d’établir un cahier des charges aussi technique, et surtout de ne pas se faire abuser par des répondants.

Par ailleurs, le chemin de fer suppose des financements publics incompressibles et élevés, et il convient, dans le domaine de l’infrastructure particulièrement, de se garder du mirage des partenariats public-privé (PPP). En effet, ce système permet de mobiliser de l’argent dont on ne dispose pas aujourd’hui, mais qui finit toujours par être remboursé par de l’argent public, car le seul investissement financier susceptible de connaître un remboursement intergénérationnel est la dépense publique. Les scandales de Suez, de Panama et d’Eurotunnel sont présents à tous les esprits : on a vendu à des gens l’illusion qu’une infrastructure séculaire pouvait être amortie pendant la durée de vie d’un petit porteur. Bien évidemment, ils ont tous été ruinés, car Eurotunnel ne commencera – peut-être – à être très rentable qu’après quatre-vingts ans de service.

Les lignes ferroviaires nécessitent donc un niveau très important de financements publics : pour la maintenance et l’entretien, mais aussi pour l’investissement. C’est pourquoi nous considérons qu’il faut absolument stabiliser les recettes de l’AFITF, et sur ce point nous nous sommes en désaccord avec la Cour des comptes qui considère que le financement de l’Agence est contraire au principe d’universalité de l’impôt, ce que nous pouvons cependant entendre.

Toutefois, notre système ferroviaire est soumis à ce que j’appelle l’aléa politique, qui fait que l’on change constamment de priorité, que l’on va de réforme en contre-réforme, que l’on cède à la moindre pression d’un président de conseil régional ou élu local, en promettant un TGV à une ville moyenne. Si les fonds publics ne sont pas cantonnés afin de gérer les infrastructures, le système risque de s’effondrer. À cet égard, je considère que l’AFITF a procédé d’une bonne réforme, et il convient qu’elle dispose désormais d’une recette pérenne.

Nous proposons en outre la création, avec ou sans portiques, d’une Eurovignette, recette écologique pour les transports ; nous considérons par ailleurs que son produit devrait être partagé entre l’AFITF et les régions, car celles-ci doivent être responsables de leurs infrastructures. Je n’oublie pas que la Bretagne considère que les nids-de-poule sont gratuits chez elle, et qu’elle n’avait donc pas besoin d’écotaxe. Si les routes bretonnes ne se dégradent pas, ou si leur remise en état est gratuite, tant mieux pour les Bretons, qui n’auront pas besoin de mettre en place la recette. Mais si d’aventure cela doit coûter, ils institueront l’écotaxe en pleine responsabilité… Je suis pour une fiscalité responsable : on ne peut sempiternellement « refiler le bébé » à l’État ou à d’autres.

Plusieurs députés Les Républicains. De toute façon, il y a déjà les portiques ! (Rires)

M. Gilles Savary, rapporteur. S’agissant de l’évolution du groupe SNCF lui-même, nous formulons trois propositions.

Premièrement, filialiser Fret SNCF, ce qui, par la force des choses, devrait être réalisé rapidement, faute de quoi cet EPIC fera subir au groupe tout entier des pénalités très importantes. Fret SNCF a les moyens d’être compétitif, un redressement est d’ailleurs amorcé. Cette filialisation passerait par la création d’une société anonyme (SA) publique à 100 %.

Deuxièmement, filialiser à terme SNCF Mobilités en en faisant une SA, elle aussi publique à 100 %. En effet, la SNCF doit être dotée d’un vrai conseil d’administration : ce n’est pas qu’elle en ait un faux, mais il s’agit d’un conseil d’administration d’EPIC, comprenant des hauts fonctionnaires astreints au devoir de réserve et qui, de fait, ne peuvent pas délibérer des affaires courantes, faute de consignes de leur ministre ou faute d’être autorisés à exprimer une opinion personnelle.

Par ailleurs, l’industrie n’y est pas présente ; en dernière analyse, il s’agit d’un face-à-face entre les syndicats, la direction et quelques personnalités extérieures, relativement sous-informées. Or, je considère que, pour ce qui regarde SNCF Mobilités, il faut une entreprise publique, chargée d’une mission de service public, sous contrôle de l’État et des régions. Elle doit toutefois avoir la flexibilité et la rapidité de réaction d’une entreprise confrontée à toutes les concurrences, y compris intermodales.

L’évocation d’une SA publique à 100 % a fait monter les syndicats au créneau, ceux-ci oublient un peu vite que c’est ainsi que le Front populaire a créé la SNCF, elle n’avait pas la structure d’un EPIC à l’époque ; nationalisée, elle était publique à 100 % ! Il est curieux de voir les syndicats renier ainsi leur passé, mais ils comprendront très vite l’intérêt de cette transformation.

Telles sont les modifications que nous proposons pour que le groupe soit plus mobile et efficace sur le plan interne.

S’agissant des gares, nous proposons de les filialiser de façon autonome auprès de SNCF Réseau. Elles constituent un élément de l’infrastructure, qui doit garantir une totale indépendance afin d’accueillir de nouveaux entrants. Aussi imagine-t-on mal qu’elles puissent demeurer dans le giron de SNCF Mobilités le jour où la Deutsche Bahn (DB) ou l’une de ses filiales, par exemple, arrivera : il ne sera pas concevable de dire : « tel quai n’est pas libre » ou « vous ne pouvez pas installer votre guichet ici »… Ce serait fort mal vu par l’Europe, et ne manquerait pas d’être source de contentieux.

La SNCF, certes, préférerait la création d’un quatrième EPIC, mais la filialisation que nous proposons permettrait une unification patrimoniale. Aujourd’hui, une partie de ce patrimoine appartient à SNCF Réseau, l’autre à SNCF Mobilités, ce qui est souvent très complexe pour les élus locaux et les opérateurs lorsque la gare et le quai relèvent d’entités différentes. Je rappelle que M. Frédéric Cuvillier partageait, à l’époque, l’idée de cette filialisation.

Les régions pourraient alors être intéressées par la dévolution de certains éléments du réseau : il existera peut-être un réseau régional et des gares régionales. En tout état de cause, il importe de conserver la péréquation existant aujourd’hui entre les gares qui rapportent de l’argent et celles qui en perdent.

Le rapport consacre également un chapitre à l’industrie ferroviaire, qui suscitera probablement des réactions. Aujourd’hui, une grande partie de notre industrie ferroviaire est déterminée, non par les usagers, mais par les trains produits. Or la gamme est pauvre, puisque deux modèles de train seulement sont fabriqués : les TER Régiolis, et les TGV —  la « Rolls ». Cela nous conduit à acheter à l’étranger nos trains Intercités, qui coûtent 11 millions d’euros et roulent à 250 kilomètres à l’heure. Sinon, nous recourrons au TGV qui coûte 30 millions d’euros par rame, en le limitant à 200 kilomètres à l’heure.

C’est la démarche qui a été adoptée afin de faire fonctionner notre industrie, ce qui n’est pas illégitime, mais ne doit pas se constituer en rente de situation : nos rames de TER sont plus chères que celles qui ont été mises en concurrence. Au cours des vingt-cinq dernières années, que j’appellerai les « vingt-cinq glorieuses », notre industrie a profité de ce système : toutes les villes se sont équipées en tramways, ce qui a fait travailler Alstom. Toutes les régions se sont équipées en TER fabriqués par Alstom ou Bombardier, sur la base de contrats à échéance de dix ans. De son côté le « tout-TGV » a conduit à acheter beaucoup de rames de ce modèle.

Aujourd’hui, Alstom connaît une incontestable baisse de charge ; cette entreprise doit désormais trouver des contrats à l’étranger, où elle connaît de beaux succès, car il ne s’agit pas que d’industrie ferroviaire. Elle doit aussi être incitée à fabriquer des trains correspondant aux besoins de nos usagers. Or il n’a jamais été envisagé de renouveler notre réseau de circulation à 250 kilomètres à l’heure, ce qui coûterait infiniment moins cher que les lignes TGV. Ainsi, pour la liaison entre Bordeaux et la frontière espagnole, seulement huit minutes seraient-elles perdues par rapport à une ligne à grande vitesse (LGV), tandis que des milliards d’euros seraient économisés.

La situation actuelle est absurde : nous ne vendons nos TGV qu’à la France, car aucun autre pays n’en achète ! C’est comme si l’on avait intimé à Air France l’ordre de n’acheter que des Concorde.

Les relations avec notre industrie doivent être normalisées ; nous ne pouvons faire ce que tous ont fait en pipant éternellement les marchés publics. À cet égard, il me semble que lorsque les régions, confrontées à des usagers peu désireux d’acquitter le prix réel, seront propriétaires de leur matériel, elles y regarderont à deux fois.

L’industrie ferroviaire ne doit pas être celle qui fait l’offre : elle doit s’adapter aux besoins des usagers.

Enfin, il faut conserver à l’esprit que la SNCF, elle, conduit une stratégie, même si celle-ci est obscure, singulièrement dans le domaine des comptes – et je ne souhaite pas que nous en restions là.

La première des stratégies possibles consiste en la transformation en groupe multimodal, et la SNCF a raison de privilégier cette orientation, car elle souhaite, dans un contexte mouvant, conserver sa clientèle. La seconde stratégie – que j’appellerai celle du Titanic, puisque l’EPIC, en proie à des conservatismes sociaux radicaux, se veut immuable – consiste à doubler l’EPIC de filiales. Si l’EPIC venait à sombrer, le paquebot serait alors sauvé par ses canots de sauvetage, c’est-à-dire les filiales.

Si la SNCF ne craint pas la concurrence ferroviaire, c’est probablement parce que l’entreprise susceptible de lui prendre le plus de parts de marché sera sa propre filiale Keolis. Paralysée par son statut d’EPIC, la SNCF a en effet multiplié les filiales : Sferis, qui opère à moindre coût dans le secteur des travaux ; Voies ferrées locales et industrielles (VFLI) pour le fret, dont le chiffre d’affaires est en croissance constante.

Il ne faut donc pas laisser l’EPIC mourir, même si le propos n’est guère populaire, mais il doit se réformer, et l’ensemble des propositions que nous formulons aujourd’hui constitue des pistes de réforme de la SNCF. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Rémi Pauvros. Il me semble que nous sommes réunis ce matin pour entendre un rapport de la mission d’information sur l’application de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire. Si je rappelle ce titre, c’est qu’en écoutant M. Gilles Savary je me suis demandé si nous ne nous étions pas trompés de sujet.

En revanche, je remercie M. Bertrand Pancher pour avoir souligné combien cette loi, que nous avons adoptée à une large majorité a porté ses fruits, a été opportune et efficace. Elle constituait une étape : c’est ainsi qu’avec M. Gilles Savary, alors rapporteur, nous l’avions considérée. Il s’agissait de prendre les mesures d’urgence afin d’adapter notre service public à l’ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires européens, telle que prévue dans le calendrier comme dans les textes.

Cette réforme a été appliquée, et je rappelle qu’elle a fait l’objet d’un ample débat, particulièrement sur les aspects sociaux, alors que d’aucuns considéraient qu’elle ne répondrait pas aux impératifs de la mise en concurrence. D’autres redoutaient la remise en cause du statut des cheminots ; à cet égard, je rappelle que le groupe socialiste s’est prononcé très fermement en faveur de la préservation du statut ainsi que du mode de fonctionnement managérial de la SNCF. Je le dis avec force : nous avons su passer ce cap, tout en conservant l’ensemble des acquis.

Depuis le 1er janvier 2015, la réorganisation du groupe en trois EPIC est effective, les instances de concertation se sont réunies, et, non sans quelques difficultés, la négociation sociale a abouti le 21 juin dernier.

Cette réforme a été source de progrès : gains de productivité, plus-value en matière de transparence et de correction des incohérences du système ferroviaire. En revanche, un outil prévu par la loi manque encore, car les contrats de performance devant être passés entre la SNCF et l’État ne sont toujours pas signés. C’est sans nul doute ce qui manque le plus aujourd’hui pour pouvoir se tourner vers l’avenir, comme vient de le faire M. Gilles Savary : disposer du document de référence et avoir le débat que nous avions souhaité au sein de l’Assemblée nationale.

L’ARAFER a bien été installée, et j’aurai l’occasion d’y revenir puisque, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2017, j’ai entendu son président hier. Une nouvelle étape doit être franchie afin de garantir l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure, rétablir l’équilibre financier du système, renforcer la compétitivité du rail.

Je souhaiterais maintenant évoquer quelques points très précis.

Vous avez évoqué, messieurs les rapporteurs, la nécessaire mise en conformité de notre droit avec les dispositions du quatrième paquet ferroviaire : pourriez-vous apporter quelques précisions à ce sujet ?

La transformation de SNCF Mobilités en société anonyme constitue-t-elle la seule forme juridique que vous avez envisagée ? D’autres formes juridiques sont-elles envisageables ?

S’agissant du parachèvement de la régionalisation du ferroviaire, dont nous sommes encore loin car beaucoup de négociations avec les régions sont encore en cours, serait-il possible d’aller plus loin dans le transfert des compétences, en imaginant le transfert d’une partie du réseau ? La question est posée avec de plus en plus d’insistance.

Vous avez évoqué la nécessiter de créer un outil pour les gares, par le truchement d’un EPIC. Quel calendrier vous paraît-il souhaitable ? Les gares sont en effet devenues des aménagements urbains à part entière, des projets économiques ; c’est une dimension qu’il convient d’intégrer dans la zone urbaine, et l’outil juridique à créer doit répondre à cette exigence.

Vous avez encore mentionné l’impératif de mettre en adéquation la commande publique avec l’attente des usagers, et la création d’un outil particulier pour les trains de proximité sera nécessaire. Ce sujet ne manquera pas de s’inscrire dans un débat beaucoup plus large : le tout-TGV ayant fait la preuve de ses limites, il est temps de créer une véritable filière ferroviaire.

La question de la règle d’or reviendra au cours du débat budgétaire. C’est elle qui pèse le plus sur notre système, et nous devons agir avec détermination, car nous ne saurions ignorer plus avant l’endettement considérable de la SNCF. Dans ce contexte, avez-vous réfléchi à de nouveaux moyens de financement ? Quels moyens pourraient-ils être mis en œuvre pour éviter de nouveaux contournements de la règle d’or ?

Il faut réaffirmer que cette loi est venue au bon moment, elle a été indispensable au passage d’un cap ; elle ne représente toutefois qu’une étape, et le débat devra à nouveau être engagé à l’avenir.

M. Jean-Marie Sermier. Je tiens à remercier les rapporteurs pour le travail considérable qu’ils ont fourni sur ce sujet d’une grande complexité.

En écoutant notre collègue Gilles Savary, j’avais l’impression d’entendre à nouveau M. Martial Saddier dans l’hémicycle lors de la discussion de cette loi que nous avons tant critiquée, et que nous n’avons pas votée, la majorité ne nous ayant pas écoutés. Toutefois, chacun peut faire son chemin de Damas et il me semble que les derniers convertis font souvent les meilleurs croyants. (Sourires)

Je constate, messieurs les rapporteurs, que vous avez posé les bonnes questions au terme de vos interventions respectives. Vous avez ainsi évoqué la dette, les subventions, le manque de cohérence de l’État, le low cost, etc. Malheureusement, on ne retrouve pas ces éléments dans le corps du rapport.

Je pense par ailleurs qu’il faut cesser de s’excuser d’avoir eu raison au bon moment : aujourd’hui, le TGV demeure un outil exceptionnel d’aménagement du territoire en France. Les autres pays nous envient cet équipement ; chez nos amis allemands, sur lesquels nous prenons tant d’exemples, il faut six à sept heures pour rallier la capitale à partir de la vallée du Rhin. Or, en France, en trois ou quatre heures, on peut franchir de grandes distances. Le TGV a bien fonctionné, il n’y a pas lieu de l’opposer au TER, et il serait malvenu de lui faire porter les défauts actuels de notre système ferroviaire ; il a davantage constitué un moyen de développement économique pour bien des régions qu’il n’a créé de la dette.

Le groupe Les Républicains partage nombre des questions que vous avez posées. À ce titre, il déplore d’avoir été écarté au moment de la constitution de la mission d’information, dont nous avions souhaité faire partie. C’est d’autant plus regrettable que, sur de tels sujets, un consensus peut au moins se dégager sur le constat.

Pour autant, la réforme ne règle en rien le problème de la dette, dont je rappelle qu’elle s’élève à 44 milliards d’euros et continue de se creuser d’un milliard et demi d’euros chaque année. Il était d’ailleurs prévu que le Gouvernement présente un rapport à ce sujet au Parlement deux ans après l’entrée en vigueur de la loi. On voit bien votre souci de faire progresser le dossier, mais vous n’en reportez pas moins sa solution à plus tard.

M. Stéphane Demilly. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je tiens à remercier nos deux collègues pour la qualité de leur rapport. Je salue aussi leur franchise pédagogique sur un sujet d’une importance primordiale pour des millions de nos concitoyens usagers du rail, comme je le suis moi-même. M. Gilles Savary a véritablement jeté un pavé dans la mare.

Ce rapport a le mérite de dresser un constat constructif de l’application de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ; il formule un certain nombre de propositions qui sont en phase avec les attentes exprimées par tous.

J’aborderai tout d’abord la question de la règle d’or, non appliquée à ce jour, puis celle de la place des collectivités locales, et plus particulièrement des régions, dans le dispositif ferroviaire français.

La règle d’or devait constituer un garde-fou contre la dette, en garantissant une rentabilité satisfaisante des projets.

C’est avec raison que les rapporteurs ont intitulé la quatrième partie de leur rapport : « Révolution ou mirage ? » La dette de SNCF Réseau s’élevait à 40,8 milliards d’euros au 30 juin dernier, celle de SNCF Mobilités à 8,2 milliards ; le fardeau de l’endettement devient ainsi toujours plus lourd à porter pour notre système ferroviaire.

Force est de constater que, le décret d’application n’ayant toujours pas été pris, la règle d’or est inexistante aujourd’hui. Et l’État a choisi de la contourner en exonérant le premier grand projet d’infrastructure, qui devait y être soumis : la liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle Express, projet que nous soutenons par ailleurs.

Après la loi du 4 août 2014, nous aurions besoin d’une « nuit du 4 août » abolissant le privilège d’investir sans savoir qui paiera, pour reprendre les propos de M. Bertrand Pancher, ou pour parer à l’inconséquence de l’État, pour reprendre ceux de M. Gilles Savary.

Ma question sera simple et provocatrice à la fois : l’État est-il réellement en mesure d’appliquer la règle d’or ? Les considérations liées à l’intérêt général que revêt un grand projet d’infrastructure en termes d’aménagement du territoire et de service rendu à la population, et, si possible à beaucoup de nos concitoyens, ne peuvent-elles parfois être supérieures à celles portant sur sa seule rentabilité ?

C’est en tout cas ce que nombre de responsables politiques peuvent être tentés de penser, à l’heure où des choix stratégiques doivent être opérés. Même si nous sommes convaincus que cette règle d’or est une nécessité au regard de la dette et de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. Après le travail que vous avez mené, je souhaiterais donc connaître votre sentiment à ce sujet.

La régionalisation ferroviaire, que les rapporteurs proposent de parachever, constitue un sujet très sensible dans toutes les collectivités. Nous avons tous conscience que les relations sont très tendues — et c’est un doux euphémisme — entre nos régions et la SNCF dans les négociations conduites au sujet des conventions portant sur le TER. La dernière en date est le bras de fer engagé entre la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) et la SNCF, le président du conseil régional ayant annoncé la rupture des négociations.

Dans ma propre région, les Hauts-de-France, je constate que le dialogue est souvent particulièrement musclé. Les élus régionaux se font ainsi les relais légitimes d’usagers du rail exaspérés par des trains retardés ou annulés. Aussi, les clauses de régularité, assorties de sanctions financières en cas de non-respect des engagements, ont-elles fleuri dans les conventions TER au cours des dernières années.

La première chose à faire, pour parachever vraiment la régionalisation ferroviaire, serait à mes yeux d’assainir les relations entre les régions et la SNCF. Pour cela, des leviers politiques et financiers doivent être actionnés, comme les recettes dédiées ou la gestion des matériels de transport.

À la lumière des propositions qu’ils ont formulées au sujet de la régionalisation ferroviaire, je souhaiterais donc connaître l’avis de nos rapporteurs sur cette question des relations conflictuelles.

M. Jacques Krabal. Il ne me paraît pas utile de revenir sur les quatre points qui ont motivé la réforme de 2014 : les relations entre RFF et la SNCF ; l’absence de maîtrise des coûts ; le cadre social éclaté ; la préparation de notre système ferroviaire à l’entrée dans la concurrence.

L’objet de la loi du 4 août 2014 était de rassembler dans un même groupe SNCF Réseau et SNCF Mobilités, ce qui devait garantir une meilleure coordination entre ceux qui programment les travaux et ceux qui font circuler les trains. Il était ainsi question de mieux prendre en compte les besoins des usagers ainsi que les impératifs de circulation des trains.

J’ai rencontré quelques ingénieurs de la SNCF qui m’ont assuré que la chaîne de décision avait été raccourcie, mais surtout pour l’Île-de-France, pas encore pour les autres régions. Ce qui est attendu c’est une meilleure coordination des trains ainsi qu’une régularité et une ponctualité améliorées. Certes, la réforme ne date que de deux ans, et, au regard des problèmes évoqués, on ne peut pas, d’un coup de baguette magique, résoudre toutes les difficultés.

Au demeurant, une aggravation de la situation a été constatée, particulièrement pour les trains du quotidien : il faut avoir conscience de ce qui se passe ! Même si disposer de trains à grande vitesse constitue un confort, le TGV a été mis en place au détriment des trains du quotidien.

À cet égard, la présentation ex abrupto du programme d’investissement de la SNCF, sans information particulière, mais accompagné d’une carte imposée, constitue une provocation. Rien n’est prévu pour la ligne TER de la vallée de la Marne, rien n’est prévu pour la gare de Château-Thierry ; cela pose le problème de la méthode de gestion des trains du quotidien. C’est pourquoi je souscris à la proposition consistant à établir une programmation qui permette de prévoir les investissements et de les faire valider d’un point de vue politique. On ne peut pas continuer comme ça !

Le rapport ne souligne pas assez la nécessité que la SNCF et les autorités organisatrices travaillent davantage de concert au sujet des investissements, afin de prendre en compte les besoins des usagers dans leurs déplacements. Il faut raisonner sur chaque ligne dans son entier : il n’est pas concevable que plusieurs gestionnaires de réseau différents aient la responsabilité d’une même ligne.

Je ne reviendrai ni sur la dette, ni sur le contrat de performance entre l’État et la SNCF, ni sur la règle d’or. Les propositions des rapporteurs me semblent positives en ce qu’elles complètent la réforme, et si nous souhaitons que celle-ci aboutisse, nous devons, garder à l’esprit ce qu’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le renard et le bouc : « En toute chose il faut considérer la fin. »

Je conclurai donc par cette simple question : comment vos propositions vont-elles être mises en œuvre afin de donner toutes ses chances à cette réforme que nous voulons dans l’intérêt de nos concitoyens et du transport du quotidien ?

M. Christophe Bouillon. Le travail qui nous est présenté n’est pas de complaisance, il honore cette fonction de contrôle qui est celle du Parlement, car il ne suffit pas de faire la loi, mais il faut aussi de veiller à sa bonne application. Par ailleurs, les propositions formulées peuvent permettre de rectifier le tir si nécessaire.

Si Milan Kundera a écrit L’Insoutenable légèreté de l’être, nos collègues se sont faits les Kundera du fer en évoquant l’insoutenable lourdeur de la dette… À cet égard, l’obsession est souvent de transformer le plomb en or, et voilà que depuis quelque temps c’est plutôt l’inverse qui se produit.

Ma question sera donc la suivante : à quoi sert-il de vouloir s’obstiner à réaliser de nouveaux tronçons, pour des gains de temps assez faibles, dans le cadre de projets de ligne à grande vitesse (LGV), alors que nous ne disposons pas des moyens de les financer ? Je prendrai pour exemple la ligne nouvelle Paris-Normandie, pour laquelle la SNCF souhaite construire un tronçon entre Yvetot et Rouen, malgré un gain de temps faible.

M. Jacques Kossowski. Le 30 mars dernier, le patron de SNCF Réseau, M. Jacques Rapoport, a lancé au Sénat un véritable cri d’alarme au sujet de notre réseau ferré ; étant en fin de mandat, il a pu s’exprimer avec plus de liberté. Lors de son audition devant le Sénat, il a évoqué avec une vive inquiétude les quelque 20 000 à 25 000 kilomètres de lignes qui, pendant trente ans, n’ont pas bénéficié d’investissements de renouvellement.

Il a notamment rappelé que nos voies étaient en moyenne âgées de trente-trois ans, soit deux fois plus qu’en Allemagne. Cette situation, qui oblige nos trains à rouler au ralenti sur 4 000 kilomètres, nous fait, selon M. Jacques Rapoport, courir un risque permanent. La catastrophe de Brétigny en 2013 est présente dans toutes les mémoires et, récemment encore, l’émission Envoyé spécial soulignait un certain nombre de défauts de maintenance, susceptibles d’avoir des conséquences graves sur la sécurité des voyageurs.

Je souhaiterais donc savoir quel sera l’impact de la réforme ferroviaire sur cette importante question.

M. Philippe Duron. Je souhaite remercier les rapporteurs pour leur travail ainsi que pour m’avoir accueilli à certaines de leurs auditions, qui étaient ouvertes à tous les membres de notre commission et auxquelles M. Jean-Marie Sermier aurait pu assister s’il avait été disponible… (Sourires)

Réformer est difficile, et réformer le ferroviaire l’est plus encore, car les Français sont attachés aux trains, aux lignes, aux services les plus modestes, mais aussi parce que les cheminots se pensent comme les garants du service public ferroviaire. Or le système ferroviaire est complexe et très lourd, il appelle une réforme s’inscrivant dans la durée.

À cet égard, la loi du 4 août 2014 représente un moment important dans la réorganisation et la réunification de ce système, car elle a renforcé l’outil SNCF. Au cours de la législature qui s’achève, le Gouvernement a mis en place des priorités, et il est faux de prétendre qu’il n’y ait pas de stratégie. Deux priorités ont été dégagées : le transport du quotidien ainsi que la sécurité, l’entretien et la régénération du réseau, pour lesquels les moyens mis en œuvre ont été doublés.

Certes, comme toujours lorsqu’il s’agit de règle, il y a eu des exceptions, notamment pour la programmation de la nouvelle LGV Bordeaux-Toulouse, mais cette création avait été recommandée par la commission Mobilité 21, que j’ai présidée, dans son rapport remis au ministre des transports le 7 juin 2013. Il faut, en effet, conserver la maîtrise de la technologie, car Toulouse est une grande métropole, où le transfert modal est possible.

La question du modèle économique du ferroviaire n’a pas été abordée convenablement par la SNCF : c’est une maison d’ingénieurs qui fait de très beaux trains, les TGV, mais a négligé les autres. Elle a laissé en déshérence les autres systèmes, qu’il s’agisse des trains régionaux, qu’il a fallu transférer aux régions afin qu’elles apportent les compléments de financement, ou des TET, qui sont également confiés aux régions, ou des trains de nuit, qui sont en voie de disparition.

Le rapport met bien en évidence la question des coûts de production et de la productivité du système. Une occasion a été manquée lors de la négociation collective, le conflit déclenché par le projet de loi sur le travail lui ayant été en quelque sorte fatal. Toutefois, le besoin de polyvalence et de modernisation des méthodes de travail de la SNCF est patent.

S’agissant de l’investissement et de son financement, nous savons tous que le ferroviaire coûte infiniment plus cher que la route, mais s’amortit sur des durées bien plus longues, et il s’agit d’un service public. Il y a quelques années existait le schéma national d’infrastructures de transport (SNIT), représentant 175 projets, et quelque 245 milliards d’euros de financement à trouver. Cela s’est révélé impossible ; la commission Mobilité 21 a réduit le projet à 2,5 milliards d’euros d’investissements par an, portant, non sur le seul ferroviaire, mais sur l’ensemble des grands projets de l’État.

Or, aujourd’hui ces 2,5 milliards d’euros ne sont plus suffisants : ce sont 3 milliards d’euros qui sont nécessaires, et il est impérieux de trouver les recettes correspondantes, que ce soit par l’Eurovignette ou par la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), dans le cadre de la convergence entre l’essence et le diesel.

Vous avez formulé une proposition, que la commission Mobilité 21 avait également évoquée, relative à la planification et à la programmation des infrastructures de transport. Ces infrastructures lourdes doivent être pensées à l’horizon de vingt ou trente ans, et priorisées dans le temps. Le système allemand bénéficie d’une planification à quinze ans et d’une programmation à cinq ans ; un tel système serait très efficace en France.

M. Gilles Savary a évoqué la question du chaînon manquant dans notre gamme de trains. Lors de la réflexion sur la réforme des TET, nous avions suggéré à Alstom de fournir à la SNCF des trains Pendolino, qui sont aujourd’hui sa propriété, en les fabriquant à Reichshoffen. Alstom avait considéré qu’il serait trop coûteux de transférer une ligne de production en France. Il n’empêche que le contrat emporté par Alstom aux États-Unis prévoit que 95 % du matériel roulant concerné sera construit outre-Atlantique.

Il y a ainsi des choses qui nous paraissent mystérieuses et inexplicables.