N° 4384 - Rapport d'information de M. Jean Glavany déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 27 avril 2016 sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb




N
° 
4384

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 janvier 2017

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 27 avril 2016

sur

sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb

Président

M. Guy Teissier

Rapporteur

M. Jean glavany

Députés

La mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb est composée de : M. Guy Teissier, président ; M. Jean Glavany, rapporteur ; Mme Nicole Ameline, M. François Asensi, Mme Valérie Fourneyron, M. François Rochebloine et M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. LE MAGHREB: UNE DES RÉGIONS LES MOINS INTÉGRÉES AU MONDE MALGRÉ DES PROXIMITÉS EVIDENTES ENTRE LES PAYS QUI LA COMPOSENT 10

A. DES ENJEUX COMMUNS QUI EN FONT UN ESPACE POLITIQUE PLUS COHÉRENT QU’IL N’Y PARAÎT 10

1. Une même urgence économique et sociale, une même exigence de dignité de la population : les facteurs des soulèvements de 2011 n’ont pas disparu 10

a. La permanence des problèmes économiques et sociaux alimente la colère populaire 10

b. Des sociétés qui se désolidarisent de leurs élites et vivent les mêmes questionnements mémoriels et identitaires 12

2. Une même vulnérabilité au risque terroriste 15

a. Un phénomène qui n’est pas nouveau 15

b. Maroc 16

c. Algérie 16

d. Tunisie 17

e. Libye 18

f. Mauritanie 18

g. Les combattants étrangers originaires du Maghreb 19

3. La même recherche d’un compromis historique entre islam et démocratie pluraliste 19

a. L’articulation entre islam politique et démocratie pluraliste s’invente aujourd’hui au Maghreb 19

b. Des modèles nationaux distincts 20

B. UN ESPACE POURTANT POLITIQUEMENT MORCELÉ, ÉCONOMIQUEMENT INEXISTANT, ET DIPLOMATIQUEMENT DIVISÉ 24

1. Une quasi-absence d’intégration régionale 24

a. Un terme géographique qui n’a pas trouvé de traduction politique 24

b. L’UMA : une réalité incertaine 26

c. Le conflit du Sahara occidental, une entrave majeure à toute tentative de construction régionale maghrébine 26

2. Des trajectoires nationales bien distinctes 28

a. Tunisie 28

b. Algérie 32

c. Maroc 36

d. Mauritanie 40

e. Libye 45

C. DES PAYS QUI S’EFFORCENT DE SORTIR DU TÊTE À TÊTE AVEC L’UNION EUROPÉENNE 50

1. Le poids réel des États-Unis 50

2. Un Maghreb qui renoue avec le continent africain 52

3. Les relations du Maghreb avec la Chine et l’Inde : une menace pour les relations euro-maghreb ? 54

II. LE PARTENARIAT EURO-MAGHRÉBIN FACE AUX MUTATIONS DE LA RÉGION 57

A. UNE MULTITUDE D’INSTRUMENTS ET UN EFFORT FINANCIER CONSIDÉRABLE : LA QUESTION N’EST PAS CELLE DES MOYENS NI DES INSTITUTIONS 58

1. Les premiers accords d’association: accent porté sur le libre échange 59

2. La politique de voisinage, principal outil de coopération avec les pays du Maghreb, révisé après 2011 60

3. L’UpM : l’unique enceinte de coopération régionale euro-méditerranéenne 64

4. Le Dialogue 5+5 : une instance de concertation informelle qui a fait la preuve de son efficacité 65

B. DES AMBITIONS IMMENSES QUI SE HEURTENT À DES PROBLÈMES STRUCTURELS MAJEURS 66

1. Malgré un potentiel important, des résultats encore limités 66

2. Un faible tropisme maghrébin au sein des Etats membres de l’Union européenne 67

3. Un manque de vision stratégique et de suivi politique à haut niveau 68

4. Une absence de priorités politiques partagées 68

C. QUELLES PRIORITÉS POUR LE DIALOGUE ENTRE L’EUROPE ET LE MAGHREB ? 70

1. L’urgence : renforcer les économies et rétablir des liens altérés par la crise de 2008 70

a. L’immense enjeu commercial 70

b. Remédier aux fragilités mises à jour par la crise économique de 2008 73

c. Promouvoir le rôle de l’AFD dans le dialogue avec l’Union européenne et l’identification des priorités stratégiques de l’Europe dans la zone 77

2. Le non moins urgent : alerter nos partenaires sur les immenses enjeux de sécurité au voisinage sud de l’Europe 78

3. Dialogue politique : comment construire l’espace de « paix et de justice » invoqué par la conférence de Barcelone? 83

4. Le renforcement de l’intégration sub-régionale : des efforts qui doivent être poursuivis pour favoriser une intégration régionale à géométrie variable 88

D. QUELLES LIGNES D’ACTION POUR LA FRANCE ? 90

1. Dialogue politique : rééquilibrer les termes de l’échange 90

a. Mieux connaître le Maghreb : un sous-investissement intellectuel dans la région fortement préjudiciable à la France 90

b. Sortir d’une relation centre-périphérie et apaiser les questions mémorielles, notamment liées à l’Algérie 91

c. La relation France – Algérie – Maroc : l’impossible équilibre ? 92

d. Une sensibilité commune à la question des visas et à la liberté de déplacement 93

2. Dialogue culturel et sociétal : notre premier outil d’influence dans la région, qu’il faut se donner les moyens de préserver 95

a. La coopération culturelle et scientifique : des crédits qui doivent impérativement être préservés 95

b. La francophonie : un enjeu dont l’importance ne doit pas être sous-estimée 100

3. Dialogue économique : la France doit soutenir le Maghreb dans sa transition économique 105

a. Notre coopération avec le Maghreb s’appuie sur de solides liens économiques. 105

b. Adopter une démarche globale et se concentrer sur quelques priorités stratégiques 106

c. Développer des partenariats structurants dans des secteurs d’avenir : l’exemple de l’économie durable au Maroc 109

d. Favoriser l’intégration régionale : l’AFD peut ici jouer un rôle important 110

4. La coopération en matière de sécurité : assurer la stabilité pour garantir des transitions politiques réussies 112

a. Poursuivre les efforts de coopération de sécurité et de défense au niveau bilatéral, notamment en matière de lutte contre le terrorisme 112

b. Au niveau régional : les enjeux de la présidence française du 5+5 Défense 116

CONCLUSION 119

EXAMEN EN COMMISSION 121

RÉSUMÉ DU RAPPORT ET DE SES PRÉCONISATIONS 141

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES VISITES EFFECTUÉES 151

ANNEXES 155

PIB ET POPULATIONS DES CINQ PAYS DU MAGHREB 157

ANNEXE N° 1 : CARTE DE LA TUNISIE 159

ANNEXE N° 2 : CARTE DU MAROC 161

ANNEXE N° 3 : CARTE DE L’ALGERIE 163

ANNEXE N° 4 : CARTE DE LA MAURITANIE 165

ANNEXE N° 5 : CARTE DE LA LIBYE 167

INTRODUCTION

En 2011, des soulèvements populaires dans le Maghreb et au Proche-Orient, sans leader et sans assise idéologique affichée, portés par les frustrations des classes moyennes et la colère d’une jeunesse exclue du jeu politique et économique, ont mis fin à des régimes autoritaires que l’on croyait solidement implantés. Cette déflagration a surpris les capitales européennes et ses meilleurs spécialistes.

Ainsi le Maghreb, qui avait été occulté dans nos medias, mais aussi dans nos recherches académiques, par le Moyen-Orient, a de nouveau fait irruption dans l’histoire. Comme l’a souligné la chercheure Khadija Mohsen-Finan, les États de la rive Nord de la Méditerranée « avaient oublié les sociétés », qui se sont violemment rappelées à son souvenir.

Les commentateurs des soulèvements de 2011 s’étaient émus que ni les responsables politiques, ni les diplomates, ni les chercheurs n’aient venu venir l’étincelle tunisienne. A-t-on fait des efforts depuis pour mieux comprendre les sociétés maghrébines ? « La France pense que notre histoire partagée suffit à garder le lien, il n’en est rien » (1). Ces liens existent, évidemment, ils sont forts.

Mais en réalité la France connaît moins bien le Maghreb qu’auparavant. Le Maghreb est une des régions les plus mal loties dans la formation et la recherche française – il ne reste qu’un seul professeur titulaire spécialiste de l’histoire du Maghreb en France, les langues maghrébines ne sont pas enseignées, aucun think tank français ne travaille spécifiquement sur cette région, selon certains, « la connaissance du Moyen-Orient a remplacé celle de l’Afrique du nord ». Or si nous ne faisons pas l’effort de nous y réinvestir intellectuellement, notre « capital historique » pourrait irrémédiablement se perdre.

Ce rapport vise donc d’abord à comprendre les mutations intervenues depuis 2011 dans cette région, les défis auxquelles elle doit faire face, au plan sécuritaire, politique et économique. Enfin, il vise à analyser sans indulgence la manière dont la France, avec l’Union européenne, a répondu au défi de l’irruption de cette nouvelle donne.

La mission a fait le choix de s’intéresser aux cinq pays – Algérie Libye Tunisie Maroc et Mauritanie – qui forment le Grand Maghreb. Ce qui est aujourd’hui principalement un concept géographique - sinon une réalité politique - marque la spécificité d’une région qu’on pourrait qualifier d’insulaire, bordée au nord par l’arc latin et la méditerranée, au sud le Sahara et la porte de l’Afrique noire, à l’est le désert égyptien et le Soudan, à l’est l’Atlantique.

Certes selon ses frontières actuelles, c’est une construction récente, qui date du XXème siècle. Mais cet ensemble géographique est aussi culturellement cohérent et distinct au sein du Grand-Moyen-Orient dans lequel les Américains l’englobent. On y retrouve des traits communs, notamment d’avoir été façonnés par les mêmes passages et les mêmes conquêtes, et s’y fondent en un ensemble culturel et linguistique cohérent les influences berbère, romaine, arabe ou encore africaine. Surtout, leurs problématiques politiques et économiques sont proches par-delà les particularismes nationaux.

Des travaux de la mission on retiendra en effet que les pays du Maghreb, bien qu’ils ne soient pas unis par la communauté politique que devrait être l’Union du Maghreb Arabe, aujourd’hui rangée au rang d’utopie, partagent des enjeux communs fondamentaux :

– tous les pays connaissent des situations de transition politique. L’articulation entre islam et démocratie pluraliste y sera crucial dans les années à venir, elle se pose dans chacun des pays de la zone. C’est au Maghreb que s’invente en effet l’articulation de l’islam et de la démocratie pluraliste ;

– il existe une société maghrébine, de mieux en mieux informée et ancrée dans la mondialisation. Les nouvelles technologies ont transformé les relations entre le peuple et ses dirigeants dans la région. La société se désolidarise de plus en plus de ses dirigeants, que ce soit au plan économique, avec le développement exponentiel de l’économie informelle, ou au plan politique (faible participation aux élections, multiplication des manifestations de colère sociale). Sans avoir toujours une idéologie clairement affirmée, la société réclame une plus grande responsabilité des dirigeants et un respect des libertés publiques ;

– les facteurs principaux du soulèvement de 2011 n’ont pas disparu, au contraire. Il y a 6 ans, la population est descendue dans la rue pour protester contre le chômage, la pauvreté, l’injustice, l’absence de libertés publiques. Les indicateurs socio-économiques sont toujours au rouge.

La crise économique n’a pas épargné les pays du Maghreb, notamment en raison de leur forte dépendance à l’égard de l’économie européenne, qui absorbe en moyenne près de 80 % de leurs exportations. De plus, ces pays sont directement concurrencés par les pays de l’Est, ou les pays asiatiques. La faiblesse des projections de croissance dans les années à venir devrait inciter ces pays à diversifier leurs partenariats et investir dans des secteurs créateurs d’emploi. Il faut souligner également la polarisation des économies de la région autour de secteurs peu créateurs d’emploi, qui explique un taux de chômage qui avoisine les 30% et le développement de l’économie informelle.

L’intégration régionale, qui pourtant permettrait de gagner des points de croissance, est au point mort, principalement du fait du différend qui oppose l’Algérie et le Maroc autour de la question du Sahara occidental ;

La mission a ensuite souhaité porter l’accent sur la réponse européenne aux révolutions de 2011 et plus généralement l’état du partenariat Euro-Maghreb aujourd’hui.

En la matière, il est d’usage de célébrer la profondeur historique de nos relations tumultueuses mais toujours passionnées, la richesse des échanges culturels, l’amitié des peuples, le potentiel économique, les enjeux stratégiques communs, et bien sûr, la paix en Méditerranée. Autant d’objectifs ambitieux qui figuraient dans le processus de Barcelone de 1995 et qui sont encore valables aujourd’hui.

C’est en réalité le lieu de toutes les asymétries (économiques, politiques, migratoires) et, en même temps, d’une grande proximité qui fait que les enjeux sont communs. La tentation européenne de traiter son sud avec les mêmes exigences que son voisinage, sans lui offrir la perspective d’une intégration européenne, que ces pays ne souhaiteraient d’ailleurs probablement pas à l’heure actuelle, rend le dialogue parfois difficile. De plus, depuis 2011, le partenariat Euro-Maghrébin est entré dans une nouvelle phase historique. Il se pose en des termes différents : la question de la légitimité politique, qui était auparavant reléguée au second plan, est aujourd’hui par exemple placée au cœur du dialogue entre Europe et Maghreb.

Certains critiquent une forme d’ambiguïté dans les intentions de l’Union européenne. Les relations Euro-Maghreb doivent-elles s’analyser en termes d’instauration d’un espace démocratique à l’échelle européenne, ou de la construction d’un espace de libre-échange, voire même d’une intégration à terme au sein du marché intérieur ? S’agit-il d’assurer la stabilité de la zone et de protéger ses citoyens ?

Le partenariat Euro-Maghreb semble aujourd’hui susciter peu d’enthousiasme et beaucoup de questions. Pourtant l’Europe, compte tenu de sa proximité géographique et de son poids économique, va rester le partenaire principal du Maghreb. Ce rapport propose à tout le moins d’identifier les difficultés qui freinent un partenariat qui devrait être à la hauteur de notre voisinage Est étant donné son caractère stratégique pour l’Europe (énergies, croissance, questions sécuritaires, migrations).

Pour la France, à travers l’Europe, l’enjeu est de conserver les relations d’exception qui sont les nôtres avec le Maghreb. La certitude d’occuper une place à part dans cette région pourrait faire oublier à Paris que, pour être privilégiée, sa position n’est pas acquise – la francophonie recule, nos parts de marché également, la France a été supplantée par d’autres acteurs dans l’attribution de quelques grands contrats, cette relation passe aussi et de plus en plus par l’Europe. L’enjeu est aussi « intérieur »: le destin de la France et du Maghreb sont mêlés, qu’on le veuille ou non, ne serait-ce que par l’intensité des échanges humains entre nos deux continents, les bi-nationaux, la langue commune, l’histoire partagée avant que la France ne redevienne hexagonale. Promouvoir une politique maghrébine ambitieuse serait enfin pour la France le moyen de renouer les deux fils des grands projets diplomatiques portés par Paris depuis la seconde guerre mondiale : le Sud et l’Union européenne.

I. LE MAGHREB: UNE DES RÉGIONS LES MOINS INTÉGRÉES AU MONDE MALGRÉ DES PROXIMITÉS EVIDENTES ENTRE LES PAYS QUI LA COMPOSENT

A. DES ENJEUX COMMUNS QUI EN FONT UN ESPACE POLITIQUE PLUS COHÉRENT QU’IL N’Y PARAÎT

Il ne s’agit pas de s’illusionner sur l’efficacité actuelle de l’Union du Maghreb et les perspectives à court terme de l’intégration régionale. Néanmoins, certaines problématiques obligent à considérer la région dans sa globalité. Au premier rang, la menace terroriste, qui ne connaît pas de frontière.

1. Une même urgence économique et sociale, une même exigence de dignité de la population : les facteurs des soulèvements de 2011 n’ont pas disparu

a. La permanence des problèmes économiques et sociaux alimente la colère populaire

Selon le chercheur Luiz Martinez (2), on peut craindre les conséquences d’une aggravation des tendances actuelles, en tout point explosives : développement de l’économie informelle, consolidation d’un chômage de masse, notamment des diplômés, développement des projets migratoires, augmentation du taux de pauvreté (qui avait reculé de 21 à 13%).

Tout d’abord, la consolidation d’un chômage de masse. La population du Maghreb a été multipliée par 3,3 en 50 ans, la tranche d’âge des 30-40 ans représente 36% de la population totale, même si ce pourcentage est amené à baisser du fait du déclin du taux de natalité (passé de 7-8 enfants par femmes en 1970 à 3 en 2000). Cette tranche d’âge est confrontée à un chômage de masse, en raison de l’incapacité de l’économie à absorber leur arrivée sur le marché du travail. Compte tenu du niveau de chômage actuel au Maghreb, il leur faudrait (3) créer non moins de 22 millions d’emplois au cours des deux prochaines décennies pour occuper les chômeurs et les nouveaux entrants.

Les inégalités sociales et territoriales se maintiennent. Au plan social, la concentration des richesses et l’hégémonie économique de certains acteurs politiques ont été dénoncées par les soulèvements de 2011. Cette mainmise avait atteint des proportions inégalées avec M. Khadafi, mais aussi le clan des Trabelsi en Tunisie.

Au plan territorial, les inégalités ne sont pas moins grandes. Près de la moitié de la population maghrébine vit à la campagne. Mais le secteur agricole ne parvient pas à assurer la sécurité alimentaire des pays, son accès aux infrastructures est très réduit, 56% de la population a accès à l’eau potable au Maroc, 60 % en Tunisie. La population rurale connaît encore des situations de pauvreté et de départ forcé vers la ville.

L’économie informelle se développe de façon inquiétante au Maghreb, dans certains secteurs comme le bâtiment ou l’agriculture. Les femmes y sont d’ailleurs surreprésentées, dans les fonctions d’aides et travailleuses à domiciles ou travailleuses agricoles. En Algérie il serait passé de 25% en 1985 à 40% en 2001. Au Maroc, il représenterait 17 % de la production de la richesse nationale selon les chiffres officiels.

Pour les dirigeants maghrébins, les défis sont similaires, il s’agit notamment d’accorder la priorité à :

l’emploi, une des conditions de la stabilité sociale. Le Maghreb doit réussir à obtenir une croissance plus riche en emplois. L’enjeu est la décrue du chômage des jeunes urbains et la poursuite d’une meilleure répartition des richesses pour éviter les phénomènes de paupérisation urbaine ;

l’éducation, face au constat unanime de la faiblesse du système éducatif et de l’inadaptation de la formation. La productivité de l’économie en pâtit hypothéquant le potentiel de croissance ;

– l’environnement des affaires et la poursuite de l’ouverture économique, condition indispensable pour accueillir les investisseurs ;

l’émergence d’un secteur privé compétitif ne doit pas se cantonner à quelques zones franches efficientes mais irradier tout le territoire, gage d’un développement économique équilibré.

Face aux difficultés économiques et sociales, les mouvements sociaux se multiplient dans la région.

La Tunisie a connu en janvier 2016 le plus grand mouvement social depuis 2011. Parti de Kasserine, il a gagné tous les grandes villes du pays. Depuis décembre 2015, les chômeurs de Sidi Bouzid manifestent devant le ministère du travail ; de même qu’à l’usine Petrofac de Kerkennah depuis janvier 2016. Les scandales de corruption dans le domaine de la santé ont aussi nourri le mécontentement populaire.

En Algérie, on pourra citer la révolte d’In Salah, dans le Sud algérien, entre les anti-gaz de schiste et les autorités algériennes après des violences survenues les 1er et 2 mars 2015, qui ont fait de nombreux blessés et dégâts matériels. Les émeutiers condamnent l’abandon par les pouvoirs publics de leur région et l’exploitation de leurs ressources. Il faut noter cependant qu’en dépit des centaines de manifestations qui ont eu lieu, aucune se transforme en mouvement de masse, ou n’est dirigé contre le président algérien. La population est trop épuisée par la guerre civile pour se lancer dans la révolte. Pour l’heure, le gouvernement consacre une part importante de la rente pétrolière aux transferts sociaux. L’éventualité d’une révision du régime des subventions aux prix des produits de première nécessité (qui représentent 13% du PIB selon le FMI, 26% en incluant l’ensemble des transferts sociaux) à des fins de consolidation budgétaire n’est pas à exclure en 2017. Elle alimenterait le cas échéant les tensions inflationnistes et les risques sociaux qui y sont généralement associés.

Le Maroc, lui aussi confronté au ralentissement économiques, a connu de nombreux mouvements sociaux, bien qu’ils demeurent localisés ou sectorisés. Cependant, pour l’heure, ils ne s’agrègent pas. Ils sont peu encadrés (division et faiblesse des syndicats) et mal relayés par les formations politiques (déclin de la gauche et tropisme libéral du PJD). La société civile est dynamique mais se mobilise en ordre dispersé. Le mouvement contestataire du 20 février étant à bout de souffle.

Le plus frappant est surtout le décrochage qui semble croissant sinon complet entre les institutions de la sphère sociale et les mouvements contestataires.

Le cas de la Tunisie est éloquent. Les mouvements sociaux sont de plus en plus « désocialisés » menés spontanément par des franges de la population éclatées et non encadrées, hétéroclites et indépendantes des syndicats sectoriels de l’UGTT : se côtoient ainsi les jeunes chômeurs diplômés, mais aussi les jeunes déscolarisés (100 000 Tunisiens quittent le système scolaire sans diplôme), des mères de famille, des entrepreneurs contrariés, des ouvriers de chantier embauchés par l’Etat et qui touchent moins que le salaire minimum tunisien (130 euros). Metlaoui, cité minière du gouvernorat de Gafsa, menace d’un retrait des emplois fictifs créés par la compagnie des phosphates de Gafsa, diplômés chômeurs, clivages tribaux.

Les institutions syndicales, partisanes, dans une moindre mesure associatives, ont du mal à capter, canaliser et porter ce mécontentement social. Même les unions de diplômés chômeurs peuvent être marginalisés au sein de leur propre mouvement, les mécanismes traditionnels du dialogue social sont court-circuités, signes d’une perte de confiance inquiétante dans toute forme d’institution, d’une perte de crédibilité de certains responsables locaux, syndicaux et politiques.

b. Des sociétés qui se désolidarisent de leurs élites et vivent les mêmes questionnements mémoriels et identitaires

De nombreux interlocuteurs de la mission ont insisté sur les changements radicaux intervenus au sein des sociétés maghrébines ces dernières décennies, dans leur morphologie sociale, dans leur culture, leur démographie, leurs valeurs et leur rapport à la modernité qu’elle soit politique ou sociétale. 

L’Europe n’aurait pas pris la mesure des changements à la fois politiques et sociétaux dont la complexité dépasse le simple clivage « libéraux contre islamistes », ou « modernes contre conservateurs », et où les clivages économiques, sociaux, territoriaux, générationnels se croisent. 

● Au plan politique, un tournant historique indéniable (place de l’Etat, questions générationnelles, disparition des forces traditionnelles)

Tout d’abord, élément mis en exergue par nombre d’interlocuteurs de la mission, l’idée de la toute-puissance de l’Etat central s’effrite. Peut-être d’ailleurs l’idée d’Etat n’avait pas été suffisamment appropriée par les populations, d’où le sursaut de 2011.

Selon Benjamin Stora, on assiste aujourd’hui à des remises en cause des Etats nations partout au Maghreb. Partout, les nationalismes politiques centralisateurs créés pour les indépendances s’épuisent et les jeunes générations qui sont nourries désormais par la culture du monde, ne peuvent se satisfaire d’une histoire purement nationaliste. L’arrivée d’une nouvelle génération de dirigeants, qui n’a pas connu les indépendances, est un défi mais peut être aussi une chance pour les relations entre l’Europe et le Maghreb. L’idée d’un gouvernement omniprésent pourrait faire place à une société civile plus vivante. 

Cette tendance est à mettre en relation avec celle, observée par exemple au Maroc et en Tunisie, d’un tournant historique qui voit la disparition des partis traditionnels. Au Maroc, on l’a vu, les dernières élections ont acté la marginalisation des partis nationalistes, une bipolarisation naissante entre deux formations neuves, le PJD et le PAM (même si ce dernier est encore une coalition de tendance hétéroclites) et la quasi disparition des partis de gauche. 

La liberté de parole et la conscience politique sont fortes, les sociétés ne sont pas prêtes à abandonner leurs revendications de justice et de dignité, mais il existe aussi des forces conservatrices puissantes et ancrées. Dans tous les cas, une simple restauration de régimes autoritaires semble impossible, même si le chaos libyen peut accoucher d’une inconnue en la matière…

La chercheuse Khadija Mohsen-Finan, entendue par la mission évoque quant à elle la coupure croissante entre les pouvoirs et leur population au Maghreb, selon elle « un système coupé de ses citoyens est faible par essence, et l’appui dont il peut bénéficier de l’extérieur ne peut pallier cette carence. »

Enfin et de manière générale, 2011 a aussi vu l’émergence d’un acteur politique trop longtemps éludé : la jeunesse. Elle a été le fer de lance des révolutions en Tunisie, en Egypte et en Libye, étant porteuse d’une forte exigence démocratique et d’un rejet des cadres d’autorité, y compris au plan religieux, ce qui ne signifie pas qu’elle ait basculé dans l’athéisme, bien au contraire. Elle a joué un rôle de précurseur, avant que les acteurs sociaux et politiques ne jettent eux aussi leurs forces dans la bataille.

Il faut y voir bien sûr aussi l’effet de l’accroissement massif de la part des 14-25 ans au sein de la population, phénomène que Jean-Pierre Filiu appelle « effet chebab ». En 2009, entre 45 et 60 % de la population avait ainsi moins de 25 ans dans la zone. Au plan politique, ceux qui ont connu la période de l’émancipation à l’égard des puissances occidentales, ou qui peuvent éprouver une forme de reconnaissance à l’égard des anciens régimes, pour des raisons sociales ou économiques, sont désormais minoritaires.

● Par ailleurs, une dialectique complexe entre tradition et modernité travaille les sociétés maghrébines.

Si les évolutions sont contrastées au plan national, les travaux de la mission font ressortir plusieurs mouvements de fond qui travaillent les sociétés maghrébines, et qui ne sont pas exempts de contradictions, mais lourdes de tensions.

Les sociétés ont achevé en peu de temps leur transition démographique, les femmes tunisiennes font autant d’enfants que les femmes françaises.

Elle se traduit par une baisse du taux de fécondité à partir du milieu des années 1960 en Tunisie, depuis 1975 au Maroc, et depuis 1985 en Libye. Le nombre d’enfants par femme est globalement passé de 6 ou 7 à 2 ou 3 dans l’ensemble de la zone, malgré des variations locales : en 2005, il était à peu près égal à 2 en Tunisie, proche de 2,5 en Algérie et au Maroc, voisin de 3,5 en Libye. Selon le démographe Youssef Courbage, cette évolution ne serait d’ailleurs pas étrangère aux mouvements migratoires qui relient le Maghreb à l’Europe.

La réduction de la taille des familles, conjuguée à la baisse du taux d’endogamie,  une émancipation de l’individu par rapport au groupe. La remise en cause des structures traditionnelles de la famille impacte évidemment l’ensemble de la société. Il n’est pas besoin de rappeler l’effet qu’a produit le « Baby Boom » dans les sociétés occidentales à la fin des années 1960.

Le Maghreb est aussi en train, selon le chercheur Pierre Vermeren, reçu par la mission, d’effectuer sa « décolonisation culturelle » après la « décolonisation politique » à l’œuvre dans les années 1950 et 1960.

Car depuis les années 1980, parmi les fortes tendances qui animent les sociétés maghrébines se trouve la tension entre modernité et fondamentalisme. L’idéologie arabo-islamique est dans ce contexte, face à la modernité de la rive Nord, à la fois identitaire et réactionnaire. Pour Pierre Vermeren, les analyses d’Olivier Roy s’appliquent aussi à l’Afrique Nord, où la radicalisation islamique peut être le signe d’un « temps de confrontation avec une modernité qui s’est imposée en forçant les frontières de la culture et de la religion ». Par ailleurs, ce n’est pas le moindre des paradoxes, souligné par quelques interlocuteurs de la mission, que depuis les années 1980, la modernisation de la vie politique ait été accompagnée d’une forme d’islamisation des sociétés.

De ce point de vue, les attentats du 11 septembre 2001, mais surtout l’invasion américaine de l’Irak ont exacerbé des tensions latentes dans la société maghrébine. Peu après, le Maroc a notamment été touché par des attentats qui ont créé un traumatisme d’autant plus profond que les responsables étaient tous des enfants du Grand Casablanca. Ainsi la démocratisation doit-elle se concilier avec une lutte parfois acharnée avec le terrorisme.

Enfin, point soulevé par la chercheure Béatrice Hibou devant la mission, les élites changent, de même que leurs paradigmes politiques. Elle a notamment évoqué l’évolution des élites marocaines. Ces dernières sont beaucoup plus arabophones. Elles sont issus des politiques d’ascension de la courte période faste des années 1960-1970, qui ont adopté un rapport différent à l’économie, au social, et à la France. Cette évolution des élites peut se traduire par des tendances difficilement classables, comme celle d’une modernisation conservatrice : une partie de ces nouvelles élites sont dans la modernité mais portent des valeurs conservatrices, lignée incarnée par le PJD marocain. 

2. Une même vulnérabilité au risque terroriste

a. Un phénomène qui n’est pas nouveau

Apparue dans les années 1990 en Algérie, la menace terroriste de type djihadiste s’est étendue à l’ensemble du Maghreb.

Les différents groupes armés terroristes (GAT) possèdent généralement des agendas régionaux voire locaux. Certains, pour des raisons de rayonnement médiatique et de quête d’influence, prêtent allégeances aux organisations à vocation mondiale que sont al-Qaïda et plus récemment Daech. Les Etats de la région parviennent difficilement à lutter contre ses organisations qui profitent de facteurs favorables dans la région. Le retour des combattants du Levant est susceptible de renforcer la menace.

Formé en Algérie en 1992, le Groupe islamique armé (GIA), constitué en partie de vétérans de la guerre en Afghanistan, est la première organisation islamiste recourant au terrorisme dans la région depuis la guerre d’Algérie. Le groupe, qui vise le renversement de l’Etat algérien, a été efficacement réprimé et contenu par l’action des forces de sécurité.

L’apparition du phénomène al-Qaïda au début des années 2000 offre un second souffle aux reliquats du GIA. En 2007, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) prête allégeance à l’organisation qaïdiste et devient al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

A partir des zones désertiques du sud de l’Algérie, le groupe rayonne sur une sous-région favorable à son évolution (perméabilité des frontières, trafics d’armes, de drogue et de migrants). Il étend sa menace au Sahel, via différents intermédiaires (al-Mourabitoune, Ansar Eddine) et cible à la fois les forces de sécurité locales et les occidentaux.

Enfin, l’émergence des « Printemps arabes » à partir de 2010 déstabilise les Etats de la région. La chute du régime libyen en 2011 renforce l’instabilité régionale et le vide sécuritaire et la dissémination des stocks d’armes libyens contribuent au renforcement des groupes terroristes existants et à l’émergence de nouveaux (Ansar al-Charia).

A l’instar du phénomène qaïdiste, la montée en puissance de Daech, symbolisé le 29 juin 2014 par la proclamation du califat par Abou Bakr Al Baghdadi, constitue un facteur supplémentaire de développement du djihadisme. De nombreux groupes, notamment en Libye, prêtent allégeance à l’organisation levantine, espérant ainsi profiter du rayonnement médiatique et du soutien logistique de Daech.

Le terrorisme de type djihadiste constitue donc toujours un enjeu de sécurité majeur pour les Etats du Maghreb, ainsi que pour l’Europe dont les intérêts sont directement menacés.

b. Maroc

Daech cherche à étendre son influence au Maroc. Les Forces armées royales (FAR) ont directement été menacées dans plusieurs vidéos diffusées le 16 avril par Daech, en raison de l’aide militaire apportée par le Maroc aux monarchies du Golfe. Dans un communiqué publié le 3 mai, Adnan Abou Walid Sahraoui, chef de la branche de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), a appelé les musulmans du Maroc et du Sahara occidental à soutenir Daech, à combattre le régime marocain et à viser les intérêts occidentaux ainsi que les forces de la Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental (MINURSO). La menace terroriste est essentiellement endogène et émane de cellules locales auto-radicalisées. Si les premières cellules démantelées étaient consacrées au recrutement au profit du Levant, les arrestations ont mis à jour des cellules plus opérationnelles, vouées à la préparation d’actions terroristes sur le territoire marocain. Depuis juin 2016, les autorités marocaines ont procédé à l’arrestation de près de 80 individus constitués en cellules ayant pour objectif la préparation d’attentats et la constitution d’une filière de Daech au Maroc.

c. Algérie

Les autorités parviennent dans l’ensemble, comme au Maroc, à contenir les différents groupes qui opèrent sur son territoire.

Le tissu logistique d’AQMI est fragilisé depuis janvier 2016 par les opérations de l’armée contre la katiba al-Fath al-Moubine, nerf de l’approvisionnement d’AQMI à la frontière algéro-tunisienne. De nombreux membres et facilitateurs de la cellule ont été neutralisés ou arrêtés récemment.

Avec l’action des autorités algériennes et la difficulté qu’ont les groupes affiliés à Daech à se coordonner, les cellules pro-Daech peinent à développer des capacités opérationnelles en Algérie (4). La neutralisation de nombreux membres de Jund al-Khilafa par les autorités aurait rendu la cellule inopérante. Bien que d’autres groupes mènent des opérations contre les forces de sécurité, en particulier al-Ghuraba, la tendance pro-Daech se voit privée de son noyau dur. Depuis début 2016, il semblerait qu’on observe l’émergence sporadique de cellules terroristes en milieu urbain qui cherchent à viser les intérêts occidentaux.

L’armée algérienne se montre enfin particulièrement attentive d’une part, au phénomène des combattants étrangers, par lequel elle n’est pas épargnée, et d’autre part, aux signaux de déplacements d’éléments de groupes terroristes à la frontière libyenne. Il faut redouter en effet le risque d’attaque terroriste dans le Sud et le Sud-Est, notamment sur les sites énergétiques, comme cela s’est produit dans le passé.

d. Tunisie

La Tunisie a été le pays le plus touché par les attaques terroristes ces dernières années.

Malgré des défections au profit du courant pro-Daech, la katiba OIN reste le principal groupe terroriste actif en Tunisie. Présente dans les régions montagneuses du Nord-Ouest du pays, dans les gouvernorats de Kasserine, du Kef et de Jendouba, elle bénéficie d’un soutien logistique d’AQMI. En dépit des opérations de ratissage menées par les forces de sécurité, elle dispose encore d’une quarantaine de combattants. La katiba OIN mène principalement des attaques contre les forces tunisiennes, en représailles aux opérations qui la visent, et exerce une pression constante sur la population par des actes de pillage et des assassinats.

Ayant prêté allégeance à Daech fin 2014, le Jund al-Khilafa Tunisie (JAK-T) est constitué de dissidents de la katiba OIN rejoints par un nombre croissant de candidats tunisiens au djihad. Ce groupe serait implanté dans le gouvernorat de Kasserine, compterait également des cellules dormantes dans plusieurs villes du pays, et bénéficierait de la profondeur stratégique offerte par le territoire libyen, notamment dans la région de Sabratah. Les autorités tunisiennes craignent à raison un renforcement du courant pro-Daech avec le retour des combattants tunisiens de Libye et du Levant (effectif estimé entre 3 000 et 5 000 hommes).

La construction d’un système de protection le long de la frontière tuniso-libyenne ne permet toujours pas de garantir l’intégrité de cette dernière contre les incursions de groupes armés terroristes. L’attaque du 7 mars 2016 de la ville de Ben Gerdane, menée depuis le territoire libyen, a démontré la nécessité pour la Tunisie d’intégrer pleinement les mutations de la situation sécuritaire libyenne dans la réorganisation de son dispositif de surveillance. Le recul de Daech en Libye fait craindre de nouvelles incursions à la frontière tunisienne.

e. Libye

La Libye est devenue le principal théâtre d’expansion d’AQMI en Afrique du Nord, mais aussi de Daech, hors Syrie et Irak.

Ansar al-Charia, rallié à AQMI à l’été 2013, était le principal groupe djihadiste libyen postrévolutionnaire. La mort de son émir, Mohamed al-Zahawi, et la défection de certaines de ses branches au profit de Daech/Libye l’ont affaibli. Il reste toutefois actif au sein de coalitions regroupant des milices révolutionnaires extrémistes, notamment à Benghazi et à Derna. Le CCRB constitue une coalition de milices révolutionnaires extrémistes de Benghazi, associées à Ansar al-Charia. Composé d’environ 300 combattants, essentiellement libyens, ce groupe se positionne en marge du champ politique et s’oppose aux autorités de Tobrouk comme à celles du gouvernement.

S’y ajoute aujourd’hui Daech/Libye, groupe né en novembre 2014 à Derna, Syrte et Benghazi du ralliement d’une partie d’Ansar al-Charia et de combattants libyens de retour du Levant, qui s’oppose à l’ensemble des autres parties libyennes. A Syrte, l’offensive des forces gouvernementales semble en venir à bout.

Mais l’opération a provoqué une dissémination des combattants de Daech/Libye. Profitant de l’absence d’Etat central, les combattants de Daech se regroupent en plusieurs points du centre du pays, dans les zones permissives de Tripolitaine et du Fezzan. Des zones de regroupement sont également observées près des frontières tunisienne et soudanaise. Les combattants continueront à se déplacer entre des pays voisins, tels la Tunisie, le Soudan ou l’Algérie, les pays du Sahel. Ils représenteront un facteur de déstabilisation des régions frontalières de ces pays.

f. Mauritanie

Le dispositif frontalier est efficace. Le pays lutte par ailleurs fermement contre la radicalisation et assure un contrôle strict de la vie religieuse. Ainsi en septembre 2016, onze personnes ont été arrêtées pour propagande pro-Daech.

Le nord-est du pays est une zone de transit privilégiée pour le trafic de drogue. Ce flux illégal s’accompagne d’une résurgence de tensions sécuritaires qui profitent, en partie, aux groupes terroristes. Les forces de sécurité mènent périodiquement des opérations contre les narcotrafics.

Des groupes radicalisés adaptent leurs discours en jouant sur les frustrations socioéconomiques des communautés marginalisées, dont les jeunesses désœuvrées constituent un terreau de recrutement. Les éléments du Front de libération du Massina (FLM), qui opèrent au Mali, trouvent refuge dans la forêt de Ouagadou, située sur la frontière malienne. Mal considérées socialement, les communautés noires de Mauritanie et les réfugiés situés dans les environs peuvent renforcer les rangs du FLM, seule alternative possible à une situation très précaire.

g. Les combattants étrangers originaires du Maghreb

L’Afrique du Nord a été le premier fournisseur de combattants étrangers dans les rangs de Daech et de Jabhat an-Nusrah. La région a fourni les départs les plus précoces et les plus nombreux (environ 8 000 combattants algériens, marocains, tunisiens et libyens sont impliqués dans le phénomène).

Si la majorité des volontaires étrangers combat au sein de Daech, l’allégeance des Nordafricains aux organisations djihadistes est partagée. Les Tunisiens combattent majoritairement pour la mise en place du « Califat » alors que les Marocains ont constitué un vaste contingent de combattants aguerris pour le JaN dès 2012 avant que plusieurs centaines d’entre eux ne s’engagent au sein de Harakat Sham al-Islam, crée par le Marocain Ibrahim Benchekroun, ancien détenu de Guantanamo.

Les Algériens, Marocains et Libyens sont reconnus par les organisations djihadistes pour leurs implications dans d’autres conflits (Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie). Le contingent tunisien, plus nombreux que les autres, ne dispose cependant pas d’une expérience opérationnelle aussi importante.

Ces combattants resteront dans les territoires aux mains de Daech jusqu’au retour à la stabilité en Irak et en Syrie, à la différence notable des Libyens, qui retourneront en Libye pour renforcer des groupes djihadistes locaux.

3. La même recherche d’un compromis historique entre islam et démocratie pluraliste 

a. L’articulation entre islam politique et démocratie pluraliste s’invente aujourd’hui au Maghreb

Selon le chercheur Pierre Vermeren, auditionné par la mission, le centre de gravité social de l’islamisme se trouve aujourd’hui parmi les classes populaires certes, mais aussi les classes moyennes des grandes métropoles, pas seulement au sein des classes les plus défavorisées. Leurs partisans se rencontrent aussi bien chez des pères de famille que chez des étudiants, des femmes.

Si l’on estime le poids des islamistes à près de la moitié des électeurs dans nombre de pays de la zone, il devient évident que leur intégration au jeu politique est inévitable.

L’« expérience Morsi » a montré qu’on ne pouvait pas imposer un agenda sociétal à une société qui attendait un programme social (bien noté par le PJD notamment). Selon un interlocuteur de la mission, il est clair que « l’agenda éradicateur ne fonctionne pas, il faut tenter l’agenda pluraliste ».

La question qui se pose aujourd’hui aux pouvoirs maghrébins, et aux islamistes est comment ? La voie est étroite entre la tentation de l’éradication et l’acceptation mutuelle, mais tous les pays du Maghreb, chacun à leur manière et parfois avec succès, semblent avoir emprunté la voie de l’inclusion. Ainsi avec la disparition de l’Irak et de la Syrie de l’échiquier politique international, et l’évolution autoritariste de la Turquie d’Erdogan, c’est très certainement dans cette région, plus particulièrement en Tunisie, au Maroc et en Algérie, que se réinvente aujourd’hui l’islam politique et son articulation avec la démocratie pluraliste.

Cette tentative d’intégration connaît cependant des limites. La première réside dans la capacité de la tête des mouvances islamiques à faire accepter leurs compromis politique à la base. Il faut aussi que les partis islamiques acquièrent suffisamment de poids pour entraîner avec eux la plus grande partie des franges islamistes. Il faut donc que les leaders islamiques dits « modérés » puissent gagner en légitimité et crédibilité auprès du plus grand nombre. Il faut aussi avoir à l’esprit l’évolution des sociétés: il est difficile de passer des compromis avec la frange islamiste quand elle menace vos libertés. Il y a de fait un décalage entre une élite francisée et libérale, et une société plus conservatrice, mais les pays du Maghreb devront marcher sur leurs deux pieds. Il y a enfin un problème grave de légitimité des pouvoirs politiques dans des pays où la situation économique s’aggrave. Face à des pouvoirs politiques qui ont parfois déserté la question sociale, l’islam apporte un soutien spirituel certes, mais aussi pratique.

b. Des modèles nationaux distincts

Il y a aujourd’hui trois modèles. La Tunisie a fait le choix d’une alliance à 360° entre les deux principaux mouvements politiques, incluant le parti islamiste Enahdda. Le Maroc de Mohamed VI semble lui aussi engagé dans la recherche d’un compromis historique avec les islamistes. L’Algérie, où les années 1990 ont tant marqué le pays qu’il a amené les parties à trouver un modus vivendi opérationnel.

En Tunisie se joue la capacité d’un parti islamiste, Enahda, à jouer pacifiquement le jeu de la démocratie pluraliste. Le parti Enahdda est aujourd’hui incontestablement la première force politique du pays (depuis 206, c’est le premier groupe au Parlement, et par conséquent un allié incontournable dans la mise en œuvre des réformes nécessaires au pays. C’est aussi la force politique la plus structurée, alors que l’alliance Nida Tounes s’effrite. C’est enfin la mieux implantée localement, notamment dans les régions défavorisées.

Le modèle qui a été choisi au moment où la Tunisie menaçait de basculer dans la guerre civile, fut celui d’une alliance entre les deux principaux mouvements politiques. Il faut reconnaître une certaine habileté tactique au dirigeant du parti, Rached Ghannouchi. Celui-ci a tenu dès février 2011 un discours de modération, en faveur de la démocratie. S’y ajoute l’aggiornamento doctrinal du mouvement, dont les effets ne peuvent être encore prédit, mais qui est attribuable à plusieurs facteurs : l’échec politique des Frères musulmans en Egypte et les vives critiques opposées à sa pratique gouvernementale en 2012-2013, accusées à raison d’entraîner la Tunisie dans une polarisation extrême portant le risque d’un regain de violences. Ainsi, lors du dernier congrès du parti, en mai 2016, il a été acté non pas une sortie de l’islam politique, mais plutôt une « spécialisation » du parti sur l’action politique (les activités de prédication étant dévolues à une organisation extérieure au parti). De plus, Enahdda s’est clairement prononcé en faveur de la lutte du gouvernement contre Daech et toute forme de terrorisme.

Evidemment, l’abandon d’une logique « d’islam contestataire » pour entrer de plein pied dans la démocratie pluraliste ne fait pas l’unanimité au sein du parti Enahdda. La participation du parti à l’exercice du pouvoir tend à modifier son image et sa ligne, ce qui peut porter en germe une dislocation du mouvement et une désolidarisation de la part la plus intransigeante de sa base.

L’hégémonie d’Ennahda sur le champ politico-religieux marque par ailleurs la fin de l’islam traditionnel insufflé par l’université Zitouna et apparaît paradoxalement comme une conséquence de la modernité bourguibienne. Ainsi, une politique visant à exclure la religion du champ politique – comme celle menée dès 1956 par Habib Bourguiba – aboutit in fine à concéder un monopole à un parti religieux sur un pan entier de l’espace politique tunisien et par là même à exclure tout retour à un islam traditionnel, certes plus empreint d’archaïsme mais moins invasif sur le corps social notamment en ce qui concerne les droits des femmes dans la cité.

Au Maroc, où le champ religieux a mieux résisté à la période du protectorat et aux assauts de la modernité semble toutefois lui aussi engagé dans la recherche d’un compromis historique avec les islamistes. Le PJD, comme l’ont monté les résultats des dernières élections législatives, mais également des élections locales de 2015, renforce son emprise au Maroc, dans la société, mais aussi dans les régions. Par ailleurs, le parti, par sa force de mobilisation et de rassemblement en cas de tension, a fait la preuve de son caractère incontournable dans l’agenda de réformes du Royaume. Cependant, il faut noter que, partant d’une contestation systématique des institutions et du système politique marocain, le PJD est entré dans le costume du responsable politique depuis 2012. La pratique gouvernementale l’a amené à apprendre l’art du compromis. La solution marocaine n’aboutit donc pas à laisser le champ politico-religieux aux partis islamistes et à essayer seulement de les contenir. Le Commanderie des croyants leur oppose un « islam du juste milieu » capable de les concurrencer sur leur terrain même. Cette stratégie semble en définitive porteuse.

Cette transition progressive doit évidemment beaucoup à la personnalité et à l’intelligence politique du Roi Mohamed VI. La monarchie incarne encore la centralité du pouvoir et l’unité du Royaume et se pose aussi en garant du succès de la transition politique amorcée après 2011. On se souviendra par exemple que lors du dernier discours du Trône, à la veille des élections législatives, le Roi du Maroc a rappelé à l’ordre le chef du gouvernement en critiquant vertement les pratiques politiques « préjudiciables à la réputation du Maroc », faisant références aux discours du PJD fustigeant l’existence d’un « État parallèle » au Maroc. Enfin, on pourra également rappeler qu’assumant son rôle de Commandeur des croyants, le Roi du Maroc a pris récemment des positions courageuses contre toute forme de radicalisme justifié par la religion. Il a ainsi démontré que les liens entre politique et religieux ne sont pas le seul apanage des terroristes islamistes.

Le discours du Roi du Maroc du 20 août 2016

Pour la première fois lors de son discours du 20 août 2016 prononcé à Rabat lors du 63ème anniversaire de la « Révolution du Roi et du peuple », le Roi du Maroc, « Commandeur des croyants », s’est opposé à toute forme de terrorisme perpétrée au nom de l’Islam. Ce discours s’adresse à la fois aux Marocains vivant dans le royaume mais aussi, fait peu commun, à ceux établis dans les pays étrangers, soit 5 millions d’individus. Donner une portée internationale à son discours répond à la volonté du roi de réagir face à la participation de certains nationaux ou binationaux marocains à des activités terroristes en Europe et au Moyen-Orient.

Cette prise de position courageuse marque un tournant majeur dans le discours de l’autorité religieuse marocaine. Aucune autorité sunnite de cette envergure n’avait jusque-là, du moins dans un discours officiel, condamné aussi fermement le terrorisme djihadiste.

Outre le précédent que constitue cette déclaration, c’est la justification théologique du rejet du djihadisme qui renforce son caractère unique. Mohammed VI renie ainsi la dimension religieuse de tout acte de violence à l’égard d’un individu, qu’il soit musulman ou non. Les terroriste n’agissent pas au nom de l’Islam et n’ont aucun lien avec cette religion. Il parle ainsi de « mécréance » lorsqu’il évoque le mensonge de certains individus justifiant les actes de violence, ou le suicide, au nom de Dieu. Le djihad répond à des conditions rigoureuses et ne constitue en aucun cas une promotion de la violence à l’égard d’autrui.

Mohammed VI rappelle que les jeunes sont la cible de la radicalisation, notamment en Europe. Cette radicalisation est portée par des apologistes du terrorisme qui instrumentalisent « leur méconnaissance de la langue arabe et de l’Islam » afin de justifier des attaques contre des sociétés imprégnées de valeurs de liberté et d’ouverture.

Le Roi veut ainsi promouvoir l’Islam comme une religion de paix, qui n’encourage en aucun cas l’agression ou le meurtre. La religion musulmane doit être selon lui un vecteur de tolérance. Il appelle enfin à l’union des croyants, qu’ils soient juifs, musulmans ou chrétiens, face à l’obscurantisme et au repli sur soi. « L’interaction et la coexistence religieuses » doivent être promues afin de générer des sociétés civilisés et ouvertes.

Enfin, prise entre la révolution démocratique tunisienne et les réformes constitutionnelles marocaines, l’Algérie cherche elle aussi sa voie.

Au sortir des années noires, la stratégie de réconciliation mise en place par le Président Bouteflika semble avoir eu pour effet d’affaiblir la base politique des partis islamistes. C’est d’ailleurs cette attitude inclusive qui est prônée par le pouvoir algérien dans la crise libyenne ou dans son soutien au gouvernement tunisien. Les lois d’amnistie de 1995 et de concorde civile de 1995, qui ont abouti à la Charte de la paix et de la réconciliation nationale de 2005, a permis de réintégrer les représentants de l’islam politique dans le système algérien. Le choix de l’inclusion et de la réconciliation s’est cependant accompagné du maintien de l’interdiction du FIS et des partis à références explicitement religieuses. La participation des partis islamistes au pouvoir a eu pour effet de les placer dans une position paradoxale d’opposants cooptés par le régime, et par conséquent de neutraliser en partie leur force contestataire.

Il est vrai aussi que selon certains interlocuteurs de la mission, le poids de l’islam s’est considérablement renforcé au sein de la société algérienne. Le conservatisme religieux irrigue l’opinion publique algérienne et pèse par conséquent sur les autorités. Certains estiment que les islamistes ont « perdu la guerre politique » mais « gagné la société », comme l’ont montré les fortes polémiques liées aux projets de réforme du système éducatif (enseignement de la langue algérienne en sus de l’arabe).

Mais la mouvance islamiste est aujourd’hui divisée. D’un côté, les partis légalistes entrés dans le jeu politique – s’y trouvent inclus le Mouvement de la Société pour la Paix proche des Frères musulmans, le Front de la Justice et du développement, doctrinalement proche du premier, enfin une mouvance se réclamant de l’Association des Oulémas au sein du FLN. De l’autre, les mouvances interdites ou se maintenant volontairement hors du jeu politique. On y compte les anciens membres du Front islamique du salut, qui semblent évoquer de plus en plus leur retour en politique, ce à quoi les autorités répondent par un mélange de répression et de tolérance relative ; un courant salafiste existe également en Algérie, aujourd’hui non violent et pro-étatique, qui a notamment accueilli des anciens du FIS et des repentis des groupes islamiques armés et du groupe salafiste pour la prédication et le combat.

Cependant, il reste difficile d’évaluer le poids des formations qui ont refusé ce compromis politique et plus globalement l’audience réelle de l’islam politique dans le pays.

Conscient des risques à moyen terme, l’État s’efforce de rétablir son influence sur la pratique religieuse, par la voie d’un ministère des affaires religieuses  qui prône un retour à l’islam de Cordoue et à la tradition malékite algérienne, contre la tendance wahhabite qui a gagné du terrain en Algérie. Il est cependant difficile, dans un contexte de déconnexion croissante entre le pouvoir politique et la population et d’absence de résultats probants sur le terrain social, de savoir si cette politique portera ses fruits.

B. UN ESPACE POURTANT POLITIQUEMENT MORCELÉ, ÉCONOMIQUEMENT INEXISTANT, ET DIPLOMATIQUEMENT DIVISÉ

1. Une quasi-absence d’intégration régionale

a. Un terme géographique qui n’a pas trouvé de traduction politique

Le Maghreb est un terme géographique qui n’a pas encore trouvé de traduction politique. Les pays du Maghreb ne sont pas parvenus après les indépendances à construire une unité politique permettant à cet ensemble de sortir de son relatif isolement.

Pourtant, il existe des tendances unificatrices au Maghreb : l’islam de rite malékite, qui constitue la religion de 95 % de la population, sans les schismes que connaît aujourd’hui l’orient; la langue et la culture arabe, mais aussi berbère…et française, car les pays du Maghreb ont aussi hérité d’une histoire coloniale commune, et des mêmes interrogations sur leur identité et leur relation à la modernité.

De plus, le combat pour l’émancipation aurait pu se traduire par la construction d’un espace politique intégré maghrébin. Des liens de solidarité avaient en effet été noués entre partis nationalistes, que ce soit le soutien algérien aux insurgés du rif dans les années 1920, la création au Caire en 1948 du comité de libération du Maghreb arabe, ou de la conférence de Tanger de 1958 qui réunit l’Istiqlal marocain, le FLN et le Néo-Destour, l’installation à Tunis du gouvernement provisoire de la république algérienne.

Mais le souci d’affirmer la souveraineté d’États forts a conduit dès les indépendances à des conflits qui ont altéré les solidarités maghrébines.

Le cycle des indépendances s’achève en juillet 1962 avec l’Algérie. La Libye avait obtenu son indépendance en décembre 1954, la Tunisie et le Maroc, en mars 1956, la Mauritanie en novembre 1960. La volonté d’unité n’a hélas pas résisté à la construction des États nations : les relations se sont progressivement voilées voire rompues dans les années 1970-1980.

Dès les indépendances, des problèmes territoriaux font obstacle à l’intégration de la région : le premier sujet de discorde porte sur la Mauritanie, territoire revendiqué par le Maroc. Il est clos en 1969, par l’invitation de Makhtar Ould Daddah au sommet islamique de Rabat.

Bien plus grave, la guerre des sables oppose le Maroc et l’Algérie dès octobre 1963. Bien que la Charte de l’Organisation africaine pose le principe, en mai 1963, de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, le pouvoir marocain revendique une partie des zones sahariennes algériennes quand l’Algérie estime avoir payé le prix du sang pour ce territoire, et la montée des tensions débouche sur un conflit armé entre les deux pays. Il ne sera résolu que par étapes, avec un accord des chefs d’Etats signé en juin 1972 et ratifié en 1973 par l’Algérie et en 1989 par le Maroc. Viendra s’y ajouter la question du Sahara occidental dont il sera question plus loin dans le rapport.

Ainsi au plan politique, l’intégration est au point mort, la frontière est fermée entre les deux grands voisins et leur rivalité freine toute velléité d’union régionale.

Il n’existe pas le plus petit début d’intégration économique.

Certes, dans les années 1960 fut créé un « conseil permanent consultatif maghrébin », pour traiter de questions telles que la politique douanière commune, le développement des échanges intermaghrébins, la politique industrielle coordonnée ou l’harmonisation de la politique de négociation avec la CEE. Mais dès la fin des années 1960, le conflit du Sahara occidental et des désaccords entre les pays – notamment le retrait de la Libye avec l’accession du colonel Kadhafi au pouvoir, mettent fin aux activités de ce conseil.

Une étude effectuée en 2006 par la Banque mondiale a estimé que les pertes dues à la faible intégration des échanges commerciaux étaient égales à 2 ou 3 % du produit interne brut annuel du Maghreb. Le rapport appelait au renforcement des capacités institutionnelles à travers le Maghreb, par le biais d’un partage de connaissances et d’expertises entre les pays, ainsi qu’à la réalisation d’investissements dans les infrastructures de base permettant de créer des corridors d’échanges régis par des accords internationaux sur les douanes et les régulations afin de faciliter les traversées transfrontalières. Ces efforts permettraient le développement d’une autre source importante de croissance économique et viendraient compléter plutôt que de concurrencer les échanges actuels avec l’Union Européenne, en permettant au Maghreb de mettre en place ses propres chaînes logistiques et à ses exports d’accroître leur valeur ajoutée. Comme il a été démontré par les pays d’Amérique Centrale, qui réalisent 17% du total de leurs échanges au sein de leur zone, l’intégration économique constitue un complément aux échanges avec les grands marchés de proximité comme dans le cas des Etats-Unis et du Mexique. 

Pourtant, les échanges commerciaux entre les pays du Maghreb comptaient pour moins de 3 % du total des échanges de la région en 2008. En revanche, les échanges à l’intérieur de l’Union Européenne au cours de la même période, comptaient pour 63,6 % du total des échanges de cette région, pour 24,6 % au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-est et pour 15% au sein du Marché commun d’Amérique Latine. Ces bas niveaux d’échanges à l’intérieur du Maghreb persistent malgré l’existence de plusieurs cadres institutionnels pour l’intégration régionale, tels que l’Union du Maghreb Arabe et la Zone de Libre-Echange Arabe.

b. L’UMA : une réalité incertaine

La deuxième moitié des années 1980 a montré une relance notable de l’intégration régionale. La Mauritanie et le Maroc ont rétabli en 1985 des relations diplomatiques rompues en 1981, les représentants des partis nationalistes se réunissent à Alger en 1986. En 1987, Hassan II et le président algérien Chadli se rencontrent, un an avant que les deux pays ne rétablissent eux aussi leurs liens diplomatiques. L’accession au pouvoir de Ben Ali permet de normaliser les relations entre la Tunisie et la Libye. Les cinq chefs d’État maghrébins sont, pour la première fois depuis les indépendances, tous réunis en juin 1988.

En février 1989, au Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie, Maroc et Algérie signent le traité portant création de l’Union du Maghreb arabe (UMA), et il semble qu’une volonté politique sérieuse anime ses membres fondateurs. Ses objectifs sont de :

– renforcer les liens de fraternité qui unissent les Etats membres et leurs peuples ;

œuvrer au progrès et à la prospérité des sociétés qui les composent et à la défense de leurs droits ;

– contribuer à la préservation de la paix fondée sur la justice et l’équité

– favoriser progressivement la libre circulation des personnes des services des marchandises et des capitaux.

Cependant, l’Union du Maghreb arabe est aujourd’hui hélas une coquille vide. Certains incriminent les divergences, sinon les incompatibilités entre les différents régimes des pays du Maghreb, d’autres la rivalité Algérie-Maroc, d’autres enfin les déficits de démocratisation sur la rive sud, et la conception « patrimoniale » de l’Etat, peu propice au cessions de souveraineté qu’impliquerait une intégration régionale plus poussée.

Lors de sa rencontre avec M. Taïeb Baccouche, ancien ministre des affaires étrangères tunisien et nouveau Secrétariat général de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), ce dernier lui a confié que l’UMA pouvait sembler, de l’extérieur, « en hibernation ».

c. Le conflit du Sahara occidental, une entrave majeure à toute tentative de construction régionale maghrébine

Ce conflit qui entrave depuis des décennies toute tentative de construction régionale maghrébine, est complexe et multiforme. Sans revenir en détail sur l’historique du conflit, rappelons que le conflit au Sahara occidental a commencé en 1975. Le 16 avril, la Cour internationale de justice (CIJ), saisie pour avis par le Maroc et la Mauritanie, juge que les « liens juridiques d’allégeance » de certaines tribus sahraouies avec le Sultan marocain ne peuvent suffire à établir des droits territoriaux sur le Sahara occidental et affirme le droit des Sahraouis à l’autodétermination. A cette décision, le Roi Hassan II répond en lançant la « Marche verte » le 6 novembre 1975 et l’annexion du territoire, qui est partagé en 3 régions au sein du Royaume. Depuis cette date, aucune avancée substantielle n’a été effectuée et les positions des parties semblent irréconciliables, sur fond de rivalité entre Maroc et Algérie, qui soutient le Polisario.

Le 30 août 1988, un accord de principe est trouvé entre le Maroc et le Polisario sur la base d’une proposition conjointe de l’ONU et de l’OUA. En 1990, un « plan de règlement » est approuvé par le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’année suivante est créée la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). En raison de l’incapacité des deux parties à s’entendre sur le corps électoral, le Polisario voulant à l’inverse du Maroc un corps restreint limité au recensement de 1974 qui l’avantageait, le SGNU a opté pour une autre approche : la recherche d’une solution politique. Il a nommé en 1997 M. James Baker (Etats-Unis) en tant qu’Envoyé personnel.

Le plan Baker I de 2001 prévoit quant à lui une large autonomie au bénéfice de la population sahraouie et des compétences exclusives pour Rabat dans le domaine régalien. Il est rejeté par le Polisario. Le plan Baker II en 2003, qui prévoit une autonomie pendant cinq ans suivie d’un référendum d’autodétermination comprenant l’option de l’indépendance, est lui rejeté par le Maroc. La mission de bons offices a été reprise à compter de 2009 par l’Américain Christopher Ross, mais la situation est tendue.

Début mars, la tournée en Afrique du Nord du Secrétaire général des Nations Unies (SGNU) a provoqué une crise ouverte entre le Maroc et le Secrétariat. Des mesures de rétorsions ont été décidées par le Royaume à l’encontre de la MINURSO, à savoir le départ sous trois jours de l’intégralité de son personnel civil international, soit 73 agents, devenu effectif au 20 mars.

En réalité, les points de vue semblent aujourd’hui inconciliables, le Polisario, soutenu notamment par l’Algérie, invoque le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le Maroc fait référence lui à ses provinces du sud en parlant du Sahara occidental.

Ce différend a de plus des répercussions sur l’Afrique toute entière. On pourra notamment citer la décision de la République arabe sahraouie démocratique de siéger au sommet de l’organisation des Etats africains de novembre 1984, qui entraîna le départ du Zaïre et du Maroc de l’organisation. Le Maroc a d’ailleurs annoncé récemment sa volonté de réintégrer l’Union africaine : celle-ci pourrait avoir à jouer un rôle croissant dans le règlement du conflit.

Cette situation doit être prise très au sérieux. La région n’a pas besoin d’une crise ouverte supplémentaire. Sur le fond, notre position est constante et inchangée : la France soutient la recherche d’une solution juste, durable et mutuellement agréée sous l’égide des Nations Unies. Le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 constitue une base sérieuse de négociation, encore faut-il que le dialogue reprenne véritablement.

2. Des trajectoires nationales bien distinctes 

Depuis 2011 et l’onde de choc des « révolutions arabes », chaque pays tente de trouver sa voie en répondant aux attentes de la population tout en maintenant une certaine stabilité. En Algérie prédomine l’incertitude, à la fois sur la succession du président et le devenir économique du pays. En Libye plane la menace d’une replongée dans la guerre civile. La Tunisie, symbole du printemps arabe, voit sa transition démocratique fragilisée par un contexte économique et social très dégradé. Au Maroc, si le choix de la réforme semble avoir porté ses fruits, la situation économique et sociale pourrait être source d’instabilité. Enfin, en Mauritanie, l’apparente stabilité au plan sécuritaire recouvre des difficultés économiques majeures et une forte polarisation de la société.

a. Tunisie

● La Tunisie a achevé le premier temps de sa transition, mais sa démocratie reste fragile

Le gouvernement dirigé par Habib Essid, proche du président mais privé de soutiens parfois au sein de sa propre coalition, a fini par être remplacé à l’été 2016. Un nouveau gouvernement dirigé par Youssef Chahed a été désigné, au sein duquel l’UGTT et la gauche ont fait leur entrée, et où Ennahda a obtenu des postes importants bien que non régaliens (avec l’économie, le commerce et le numérique, ils seront en charge des secteurs qui représentent près de 60% du PIB tunisien). Le parti Ennahda, devenu la première force politique au Parlement et dans le pays, demeure le principal soutien du gouvernement et participe à la coalition gouvernementale, même s’il persiste dans sa stratégie de visibilité limitée.

Ces réajustements partisans ne peuvent palier à l’effritement de Nida Tounes et son effacement au profit d’Ennahda. Cette coalition de circonstance, a été fragilisée par la scission des partisans de Mohsen Marzouk, ce qui n’est pas sans risque pour la stabilité gouvernementale. Le président, très pris par un agenda diplomatique chargé, ne s’est pas véritablement impliqué dans la mise en œuvre des réformes, si ce n’est pour faire adopter une « réconciliation économique » controversée en faveur des hommes d’affaires et hauts fonctionnaires impliqués dans le régime de Ben Ali. Surtout, Hafedh Caid Essebsi, le fils du président, et Ridha Belhaj, ancien directeur de cabinet, constituent les personnalités mises en avant dans la nouvelle « majorité présidentielle », alors que leur légitimité est contestée au sein de la majorité.

● Les revendications de dignité et de justice n’ont pas trouvé de satisfaction et beaucoup de Tunisiens ont vu leurs conditions de vie se dégrader depuis 2011.

La stagnation économique alimente un chômage de masse, qui touche en particulier les jeunes. S’y ajoutent d’importantes inégalités territoriales. En Tunisie, par exemple, le bassin minier de Gafsa, à la frontière algérienne, connaissait des taux de chômage compris entre 30 et 40 %, contre 14 % en moyenne nationale, lorsqu’une révolte s’y est déroulée, pendant six mois, au cours de l’année 2008 (24). En décembre 2010, c’est à Sidi Bouzid, territoire défavorisé au centre de la Tunisie, que se produit l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, à l’origine de la vague de contestation qui gagne l’ensemble de la zone. Pour l’heure, l’effort de gestion démocratique des forces sécuritaires, constaté en janvier 2016, mais surtout la réinstauration de l’état d’urgence fin 2015, ont permis de contenir les manifestations du mécontentement populaire.

Le risque est grand de nouvelles éruptions sociales dans un contexte de « désocialisation » croissante de la colère populaire. Le FTDES, rencontré en Tunisie par la mission, se montre très pessimiste sur le contexte social. En janvier 2016, le plus grand mouvement social depuis la révolution, parti de Kasserine, a essaimé dans toutes les régions intérieures, s’est accompagné de violences contre les symboles de l’État, notamment la police, qui a répondu avec retenue.

Après la pause qui avait suivi les promesses gouvernementales faites en janvier 2016, les mouvements sociaux ont repris au printemps, avec non moins de 987 mouvements collectifs différents dénombrés en avril, puis à nouveau en septembre. Les régions les plus marginales sont les plus touchées, car à la fracture sociale s’ajoute la fracture territoriale : la région centrale de Gabes au Kef en passant par Gafsa et Kasserine. Depuis décembre 2015, les chômeurs de Sidi Bouzid manifestent devant le ministère du travail; de même qu’à l’usine Petrofac de Kerkennah depuis janvier 2016. Les scandales de corruption dans le domaine de la santé ont aussi nourri le mécontentement populaire.

● Les autorités tunisiennes peinent à apporter une réponse rapide et efficace aux besoins de la population

L’arrivée au pouvoir de Béji Caid Essebsi, appuyé par une très large majorité au Parlement incluant Ennahda, avait suscité l’espoir d’une dynamique réformatrice doublée d’un redressement économique. Mais les autorités affichent un bilan mitigé.

Ce qui est analysé selon certains comme une forme d’inertie des structures d’État et du gouvernement concourent à alimenter la colère populaire. Les réponses tardent : le Dialogue National sur l’Emploi présenté fin mars, s’est révélé à maints égards décevant et le gouvernement a des difficultés à gérer les conflits sociaux, quand il ne refuse pas le dialogue. Le plan quinquennal censé présenter au public et partenaires internationaux les grandes orientations stratégiques du pays n’a été publié qu’en septembre 2016.

Aux attentes de la population s’ajoutent les réformes économiques attendues par les bailleurs internationaux (code des investissements, réforme fiscale, assainissement budgétaire) tardent à être mis en œuvre et le sont sans ordonnancement stratégique.

Le nouveau gouvernement a repris à son compte, en tant que cadre cohérent d’intervention, le plan de développement 2016-2020 élaboré par l’équipe sortante. Le plan, qui propose une inflexion du modèle économique privilégiant la reprise de l’investissement a été promu auprès des investisseurs et des bailleurs lors d’une conférence internationale qui s’est tenue fin novembre à Tunis.

Il faudrait accélérer les réformes. Le programme pluriannuel (2016-2020) négocié avec le FMI et approuvé en mai 2016, qui prévoit de mobiliser près de 3 milliards de dollars de concours sur l’ensemble de la période est, avec le plan 2016-2020, un outil de définition et de priorisation des réformes à adopter en vue d’une mise en œuvre effective et efficace. Ce programme est un catalyseur pour affermir l’action des bailleurs multilatéraux et bilatéraux qui, en dépit de décaissements lents, notamment pour ce qui concerne l’aide-projet, restent très mobilisés pour accompagner la Tunisie dans sa transition économique. Le décaissement de la seconde tranche du programme FMI, prévu initialement pour le début de l’automne, a cependant été reporté du fait du dérapage des finances publiques et de l’absence de mesures prises par le gouvernement tunisien pour contenir la masse salariale de la fonction publique. Quelques concessions faites par le gouvernement dans ces deux domaines lors d’une mission du FMI qui s’est tenue à la fin du mois de septembre ouvrent néanmoins la possibilité d’un décaissement de la seconde tranche du programme avant la fin de l’année.

L’amélioration de l’environnement des affaires est un impératif pour restaurer la compétitivité et l’attractivité de l’économie tunisienne. L’adoption d’une loi sur les investissements visant à moderniser et à rationaliser le cadre juridique est un signe encourageant. Il importe que les réformes envisagées qui seront adoptées soient effectivement appliquées et s’appuient sur une concertation avec les partenaires sociaux et plus largement la société civile. La reprise de l’investissement public qui s’accompagne d’une demande adressée aux membres du G7 d’un effort financier exceptionnel suppose une rapide et profonde évolution de la gouvernance économique qui peut être soutenue par des programmes de mise à disposition d’experts, notamment au sein des administrations les plus vulnérables. C’est le sens de la priorité du nouveau programme du FMI fortement axé sur la réforme de l’administration. Le mécanisme de coordination dans le domaine économique mis en place conjointement entre le gouvernement tunisien et les pays du G7 peut aussi être un facteur d’accélération des réformes.

● Au plan sécuritaire : des menaces de déstabilisation majeures, et un équilibre fragile entre sécurité et transition démocratique

Les risques de déstabilisation de la Tunisie sont élevés, que ce soit par le terrorisme, qui a frappé par trois fois en 2015 et à nouveau en 2016, par les effets de crise libyenne, ou par le retour des combattants tunisiens de Syrie et d’Irak. Les trois attentats qui ont marqué l’année 2015 en Tunisie et l’attaque de Ben Gerdane en mars 2016 montrent que la situation est encore fragile.

Il existe encore des maquis dans le Centre-ouest du pays. La katiba algéro-tunisienne d’AQMI « Okba Ibn Nafaa », tout comme le groupe Jund al-Khilafah, composé de membres dissidents attirés par le message de l’Etat islamique, voient leur action cantonnée dans les zones montagneuses de la frontière avec l’Algérie et leur potentiel provisoirement réduit du fait de l’action des forces armées et de sécurité, qui prennent plus souvent l’initiative grâce à un meilleur rendement du renseignement et à une amélioration des capacités d’action.

Mais la menace prend davantage le visage d’un terrorisme urbain, interagissant avec le djihadisme international et de plus en plus aligné sur la stratégie de l’Etat islamique. La présence de cellules dormantes, réparties principalement autour des centres urbains, constitue la menace la plus structurée et la plus sérieuse. La tentative de prise de la ville de Ben Gerdane par un groupe affilié à Daech semblait avoir été préparée de longue date. Si elle a pu être repoussée par les forces de l’ordre tunisiennes, aidées par une partie de la population, c’est peut-être parce que son lancement aurait été précipité par le bombardement par l’aviation américaine, le 19 février, d’un camp de Daech à Sabratha, à 100 km de la frontière libyenne. Selon un interlocuteur de la mission, il est « évident que les terroristes veulent voir le modèle tunisien tomber, il faut donc s’attendre à ce que les menaces s’accroissent ».

S’y ajoutent les répercussions de la crise libyenne, qui inquiètent à raison les autorités tunisiennes. Celles- ci ont entrepris de creuser une tranchée de 450 km le long de la frontière. De plus, ils ont fait appel aux américains et aux allemands pour l’achat d’équipements de surveillance.

Enfin, la présence de quelques 1500 djihadistes tunisiens en Libye et la perspective du retour de milliers d’autres en Syrie ou en Irak est un sujet de préoccupation majeur. S’y ajoute la résilience de maquis d’AQMI dans les montagnes proches de l’Algérie, et la persistance de cellules de soutien en zone urbaine et péri-urbaine démentelée régulièrement. Certes, la violence reste de basse intensité et les services de sécurité s’efforcent d’en maîtriser les manifestations. Mais ce sont non moins de 90 membres de forces armées et de sécurité qui ont été tués depuis décembre 2012.

Les forces de sécurité, malgré un effort conséquent de mise à niveau, n’ont pas toujours les capacités ou l’organisation adaptée pour répondre aux menaces terroristes et contrôler leur frontière avec la Libye. Les autorités tunisiennes recherchent donc de nombreux soutiens, à commencer par celui de l’Algérie, avec laquelle une coordination satisfaisante est en place pour le contrôle de leur frontière mutuelle. La Tunisie place également beaucoup d’espoir dans un partenariat revitalisé avec les Etats-Unis, à la faveur de sa désignation comme allié majeur hors OTAN, et avec les pays européens et l’Union européenne. Tous sont réunis au sein du groupe G7+3 créé à l’été 2015 afin de mieux coordonner l’assistance sécuritaire des pays occidentaux et qui a effectivement permis de faire progresser la coopération, tant au plan quantitatif que qualitatif, en matière de protection des sites touristiques et sensibles, de lutte contre le terrorisme, de protection des frontières et de sécurité des aéroports.

Les problèmes de sécurité fragilisent de plus la transition démocratique tunisienne. Tout d’abord en faisant regretter à certain « l’ordre » qui régnait sous Ben Ali. En effet délinquance et la criminalité ordinaires, dont le niveau était relativement faible jusqu’à la révolution, ont considérablement augmenté du fait de l’incapacité des forces de l’ordre, durablement démotivées et mal considérées, mais aussi de la libération ou de l’évasion de milliers de criminels de droit commun en janvier et février 2011, à quoi s’ajoutent peut-être les effets d’un climat général plus permissif depuis la chute de Ben Ali. En revanche, jusqu’au dernier assassinat commis au mois de juillet, les violences politiques dont s’était accompagnée la polarisation de la vie politique tendaient finalement à décroître par rapport au niveau atteint à la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013. Mais certains groupes qui se sont notamment signalés par des agressions contre des partis de l’opposition, des syndicalistes de l’UGTT et des journalistes, ont été créés dans la foulée de la révolution en 2011, existent toujours.

Par ailleurs, le Parlement a adopté en juillet 2015 une loi de lutte contre le terrorisme qui prévoit la levée du moratoire sur la peine de mort observé depuis 1991. 200 individus ont été déférés à la justice sous des chefs d’inculpation relevant de cette loi. L’état d’urgence, rétabli par le président en novembre 2015, a été prolongé jusqu’à aujourd’hui. Il ne faudrait pas que la lutte contre le terrorisme ne se traduise pas un retour des pratiques abolies par la révolution de 2011.

b. Algérie

● Une succession à haut risque.

Bien que physiquement affaibli, Abdelaziz Bouteflika a été réélu le 17 avril 2014 dès le premier tour, avec 81,5% des suffrages face à son ancien Premier ministre de 2000 à 2003, Ali Benflis crédité de 12,2% de voix. Le scrutin s’est déroulé dans le calme, sauf en Kabylie où des incidents ont eu lieu. Le Président algérien a prêté serment le 27 avril, effectuant son premier et dernier discours public depuis 2012.

Aussitôt renommé pour appliquer le programme présidentiel, le Premier ministre Abdelmalek Sellal est chargé de mener à bien le projet de réforme constitutionnelle. Des consultations se sont tenues en juin 2014 sous l’égide d’Ahmed Ouyahia, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) et directeur de cabinet de la présidence, mais ont été rejetées par les partis d’opposition. Un avant-projet a toutefois été présenté début janvier 2016 par le gouvernement et a été validé par le Parlement le 7 février 2016.

Ce texte marque certaines avancées, dont la reconnaissance du tamazight comme langue officielle, mais a suscité des critiques de la part de l’opposition, avec notamment le maintien des larges prérogatives présidentielles et l’interdiction faite aux binationaux d’exercer certaines fonctions de souveraineté. Ce dernier point a été particulièrement critiqué par le Secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) de l’époque, Amar Saadani, et a cristallisé son antagonisme avec Ahmed Ouyahia.

L’opposition tente de s’organiser en fédérant les voix qui se sont élevées contre le quatrième mandat. Prolongeant les initiatives du Front du boycott créé lors de l’élection présidentielle, l’opposition a formé la Coordination nationale pour les libertés démocratiques et la transition (CNLDT) afin de rassembler pour la première fois un spectre très large de partis et de personnalités nationales d'obédiences diverses (front du boycott auquel s'est joint le FFS, opposants de longues dates, anciens PM et responsables du FIS). Depuis la création de son parti Talaiou El Houriat (Les avant-gardes des libertés) en février 2015, Ali Benflis, opposant de Bouteflika à la présidentielle d’avril 2014, prend régulièrement la parole pour critiquer la politique économique et la gestion du pouvoir par les autorités algériennes.

De nombreux mouvements internes ont lieu dans les milieux administratifs, militaires et économiques, vraisemblablement pour préparer la succession du chef de l’État algérien. Les autorités ont effectué de nombreux remaniements depuis le mois de mai 2015, avec le remplacement du général Médiène (chef du DRS depuis sa création en 1990) et le remaniement de plusieurs portefeuilles ministériels (dont l’intérieur, le commerce, les finances, l’énergie ou les transports). Plus récemment, le Président Bouteflika a procédé à la dissolution du DRS remplacé par une nouvelle structure, la Coordination des services de sécurité, directement rattachée à la Présidence de la république et sortie ainsi du giron de l’armée.

Ces mouvements sont cependant aujourd’hui difficiles à interpréter tant leur finalité demeure opaque.

●  Une société traversée par des forces centrifuges

L’Algérie a connu durant l’année 2014 et une partie de l’année 2015, avec les affrontements de Ghardaïa, des incidents importants. Ces affrontements ont opposé une partie de la population mozabites de rite ibadite aux habitants chaanba de rite malékite et se sont soldés par la mort de 23 personnes pour la seule journée du 8 juillet 2015.

Ces heurts, ainsi que la méfiance persistance d’une partie de la population de Kabylie, sont le signe d’une défiance grandissante de pans de plus en plus larges de la population, non seulement à l’égard du pouvoir mais aujourd’hui également à l’égard de l’État et ses représentants. Cette résistance peut également se mener de manière non-violente comme en témoigne l’occupation de la place centrale d’In Salah contre l’exploration du gaz de schiste malgré les médiations des autorités gouvernementales mais aussi des notables tribaux.

● La question sécuritaire

Alors que l’insécurité avait été ramenée à un niveau de basse intensité depuis la fin de la guerre civile, des groupuscules terroristes exercent une pression accrue du fait de l’instabilité régionale.

En effet, dès son élection en 1999, le Président Bouteflika a mis en œuvre une politique de réconciliation nationale, et fait adopter par référendum en septembre 2005 une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », qui a permis la libération d’islamistes tel Ali Belhadj, leader du FIS dans les années 1990.

Le terrorisme a baissé jusqu’à un niveau sans commune mesure avec les années 1993-1998. Les crises régionales actuelles risquent cependant d’en raviver la menace. Le groupe Al Mourabitoune (faction dissidente d’AQMI), entré par la frontière libyenne, a attaqué le 16 janvier 2013 le site gazier d’In Amenas faisant 67 morts (37 étrangers, 1 Algérien et 29 assaillants), avant d’être neutralisé par l’armée algérienne.

Cependant, Daech et ses importants succès militaires en Irak et en Syrie, attire certaines branches dissidentes d’AQMI, ce qui risque d’introduire une logique de surenchère entre les différents groupes terroristes. L’enlèvement le 21 septembre 2014 du ressortissant français Hervé Gourdel en Haute Kabylie, puis son assassinat le 24 septembre, confirment cette tendance. Ces actes ont été perpétrés par le groupuscule Jound el Khilafa, branche dissidente d’AQMI ayant prêté allégeance à Daech le 14 septembre 2014. L’armée algérienne a annoncé, le 22 décembre 2014, l’élimination d’Abdelmalek Gouri, chef de la cellule terroriste. Plus récemment, c’est le site gazier de Krechba, dans la wilaya de Tamanrasset, qui a été visé par des éléments armés le 18 mars 2016 sans faire de victime. Une riposte immédiate de l’armée algérienne a permis de repousser les assaillants.

L’armée algérienne a également fait de la surveillance des frontières une priorité afin d’éviter l’importation des conflits extérieurs. Elle a érigé un mur à la frontière algéro-marocaine et récemment des tranchées à ses frontières avec la Tunisie et la Libye.

● L’économie rentière : une fragilité criante

La baisse du prix du pétrole met en danger le modèle d’économie de rente qui avait, avec le souvenir de la guerre civile, contribué – grâce à une redistribution tout azimut notamment en direction des jeunes – à prémunir l’Algérie contre la vague de soulèvements populaires de 2011.

Le « printemps arabe » s’est traduit en Algérie par l’expression d’un malaise social. Les émeutes de janvier 2011, qui ont secoué l’ensemble des grandes villes du pays et ont fait cinq morts, n’ont pas pris de caractère politique et ne se sont pas propagées au-delà de la jeunesse urbaine. En réaction, le gouvernement a opéré un relèvement du SMIC, du minimum retraite et des primes aux fonctionnaires ainsi qu’une augmentation des subventions et des aides sociales.

La demande sociale reste néanmoins importante, particulièrement chez les jeunes. Le mécontentement se traduit par de nombreuses manifestations, dans la santé et l’éducation, et parmi les chômeurs. La dernière illustration de cette situation est le mouvement d’In-Salah (Sud algérien) qui s’est opposé début 2015 à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Si la contestation n’a pas atteint le Nord du pays, le mouvement est venu rappeler la demande récurrente d’un plan de développement pour le Sud algérien.

Depuis 2014, l’Algérie est frappée par le choc lié à la baisse durable du prix du pétrole. Ce choc pétrolier entraine une pression importante sur les finances publiques, dont l’équilibre était calculé pour 2015 sur la base d’un baril à 100$ (actuellement sous la barre des 40$) ainsi qu’un déclin des exportations d’hydrocarbures, du fait d’une forte hausse de la consommation domestique et faute d’investissements suffisants. Le prix actuel du pétrole implique aussi que l’exploitation du gaz de schiste algérien n’est pas rentable à court terme.

En outre, le rythme de la croissance reste trop faible pour permettre au chômage de se résorber (3,7% en 2015). Son taux de chômage est passé de 30% en 1999 à 10,8% en 2014 mais il s’élève à 16,6% pour les femmes et 29,9% pour les jeunes (de 16 à 24 ans). La croissance est encore appelé à ralentir si le prix du pétrole ne remonte pas et que le secteur privé demeure aussi chétif.

Malgré les discours du Gouvernement sur la diversification, les contraintes administratives continuent de peser sur le secteur privé en Algérie. Celui-ci reste peu développé, rendant difficile l’émergence d’une classe moyenne financièrement émancipée. L’émergence de cette classe moyenne est contrecarrée par un certain conservatisme qui prétend maintenir la société sous le joug de l’État par le biais de la redistribution exclusive de la rente. À terme, avec l’amenuisement de celle-ci, l’État risque d’être contraint de laisser des marges de manœuvre au secteur privé tout en gardant le monopole sur ce qui reste de la rente. Un modèle à chinoise n’est pas à exclure, avec un État dirigé par un pouvoir de plus en plus distinct d’une société émergente.

● Un retour sur la scène régionale qui en fait un partenaire incontournable, notamment sur les sujets du Sahel et de la résolution de la crise libyenne

Sur le plan multilatéral, Alger exerce un rôle prédominant au sein de la région, et même du continent africain, si l’on tient compte de son influence décisive au sein de l’Union africaine.

Au Sahel, son rôle d’équilibre et de médiation dépasse le dialogue habituel avec ses seuls voisins (Niger, Libye, Mauritanie). L’Algérie a joué, et continue de jouer un rôle crucial dans les négociations inter-maliennes, la signature de l’accord conclu à Alger en juin 2015, et le suivi de sa mise en œuvre. Autre illustration de son implication en faveur de la stabilité régionale, le soutien substantiel que le pays apporte à son voisin tunisien en matière de sécurité. L’Algérie porte également la mise en place d’une Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (CARIC). Enfin, il convient de ne pas oublier le rôle constructif d’Alger dans la résolution de la crise libyenne : les autorités algériennes ont avec constance promu une solution politique, respectueuse de l’intégrité territoriale du pays et de la souveraineté des Libyens.

Si l’on y ajoute son implication accrue au sein de l’UpM, la création en 2011 d’un mécanisme de dialogue politique/droits de l’Homme, l’ambition de s’engager dans la politique européenne de voisinage, ou la reprise depuis 2008 des négociations d’adhésion à l’OMC,

c. Maroc

● « Une révolution du Roi et du Peuple » : le pari de la réforme politique.

Comme en Tunisie et en Libye, le Maroc traverse une phase de mobilisation très intense en 2011. La plateforme militante du « Mouvement du 20 février » lance ainsi, par le biais des médias sociaux, un appel à manifester qui ne réunit que 50 000 personnes sur l’ensemble du territoire, mais qui est suivi dans de nombreuses villes. Comme ailleurs, les participants sont essentiellement des jeunes, mais ils bénéficient rapidement d’un soutien apporté par des partis de gauche ou encore par l’Association marocaine des droits de l’homme. Les manifestants réclament plus de démocratie, dénoncent la corruption et le clientélisme, sans appeler à la fin de la monarchie. Il faut souligner d’ailleurs sur ce point que l’institution monarchique demeure centrale au Maroc, se nourrissant tout autant d’une légitimité religieuse, historique, que de la popularité personnelle du Roi.

Le Palais réagit rapidement : dès le 9 mars, soit trois semaines après le début des manifestations, le Roi prononce un discours solennel qui annonce sa volonté de réviser la Constitution afin de rééquilibrer les pouvoirs. On peut voir là une forme de continuité avec les débuts d’ouverture engagés à la fin du règne d’Hassan II. Cependant, l’adoption par le Maroc d’une nouvelle Constitution dès le 1er juillet 2011 marque un véritable tournant dans la dynamique de réforme des institutions: elle prévoit en effet la désignation d’un chef de Gouvernement issu de la formation politique arrivée en tête des élections législative.

La réforme des institutions judiciaires tient également une place centrale dans cette dynamique : parmi les mesures phares annoncées, plusieurs lois organiques relevant du domaine de la justice ont été adoptées – une loi organique a entériné la transformation de la Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême en Cour Constitutionnelle à part entière, tout en lui conférant de nouvelles attributions comme les recours pour exception d’inconstitutionnalité – ou ont passé l’étape du Conseil des ministres – réforme du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et loi organique sur le statut des magistrats.

Enfin, le Maroc fait la preuve de son implication croissante dans les mécanismes des Nations unies en faveur de la protection des droits humains. En novembre 2014, le Maroc a déposé les instruments de ratification du Protocole facultatif à la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, après son adoption en Conseil du gouvernement, le 26 mai 2011 et en Conseil des ministres, le 9 septembre de la même année, avant même qu’il ne soit approuvé par le Parlement. Selon M. Driss El Yazami, le président du CNDH, rencontré à Rabat par la mission, il s’agit d’un « tournant historique dans le processus de réformes engagé par le Royaume dans le domaine des droits de l’Homme ».

L’ouverture se poursuit avec l’organisation d’élections législatives anticipées, en novembre 2011, remportées par le parti islamiste Justice et développement (PJD). C’est Abdelilah Benkirane qui est nommé premier ministre.

Les élections du 7 octobre 2016 marqueraient-elles un nouveau tournant avec l’introduction d’une forme de bipartisme opposant des formations relativement neuves ?

Ces élections se sont traduites par une nette victoire du parti Justice et développement (PJD). Il remporte en effet 125 sièges contre 107 en 2011. C’est aussi une victoire personnelle pour l’actuel chef du gouvernement, Abdelilah Benkiran. Comme pour le parti Ennahda en Tunisie, ce succès confirme le profond enracinement électoral du PJD, notamment dans les grandes villes où il a souvent remporté la majorité des sièges. Le parti devra cependant soit reconduire son alliance avec le Rassemblement national des indépendants, soit renouer avec l’Istiqlal, qui était son principal allié en 2011. Il aura besoin d’au moins trois forces d’appoint pour constituer une majorité gouvernementale, certainement le PPS et le MP.

Le PAM s’impose quant à lui comme la deuxième force politique du pays en remportant 102 sièges, soit plus du double qu’en 2011. C’est l’alternative la plus crédible au PJD et c’est cette formation, même si elle demeure une coalition hétéroclite, qui sera le futur pivot de l’opposition, son porte-parole Khalid Adennoun ayant d’emblée écarté toute forme d’alliance avec ce dernier.

Ainsi s’oriente-t-on peut être vers une bipolarisation de la vie politique autour de ces deux formations. Il faut souligner en effet qu’hormis le PJD et le PAM (qui totalisent 57% des sièges), les autres partis sont distancés : l’Istqlal perd du terrain en passant de 60 sièges à 46, le parti libéral RNI passe de 52 à 37 sièges, le Mouvement populaire passe de 32 à 27 sièges et les partis de la gauche historiques qui avaient porté la première alternance de la fin des années 1990 ressortent affaiblis de ce scrutin (l’USFP passe de 39 à 20 sièges, et le PPS, ex-communiste, de 18 à 12 sièges).

Enfin, il faut le souligner, le taux de participation (43 %) est en recul par rapport à 2011, la faiblesse de la participation touchant davantage les campagnes. Le taux d’inscription sur les listes électorales (62 %) a connu lui aussi une baisse sensible ces dernières années. Ainsi ce sont seulement 6,75 millions d’électeurs sur une population de près de 34 millions d’habitants (le corps électoral est évalué entre 22 et 25 millions) qui ont voté en octobre dernier.

● Une situation économique et sociale encore fragile malgré les efforts entamés depuis le début du règne de Mohammed VI

Comme pour tous les pays de la zone étudiée, la dimension sociale et sociétale des manifestations de 2011 ne doivent pas être oubliées. Car si sur le volet institutionnel la réponse a été rapide et menée avec succès, sur le terrain social, les demandes d’accès à la justice sociale, à l’éducation, à l’emploi, à la dignité et à la liberté n’ont pas toutes trouvé satisfaction. C’est donc le défi premier du Maroc aujourd’hui.

Depuis l’avènement au pouvoir de Mohammed VI, le Maroc a fait de l’amélioration de la situation sociale, parfois négligée sous le règne précédent, une de ses priorités. Des avancées importantes ont été obtenues, dans le cadre notamment de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) lancée en 2005 : recul de la pauvreté ramené de 15% en 2001 à 4% en 2014 ; baisse du taux d’analphabétisme, passé de 43% en 2004 à 32% en 2014 ; nette amélioration de la couverture santé, 63% de la population en bénéficiant en 2015 contre 15% à peine en 2005 ; relogement de plus de la moitié des habitants des bidonvilles.

Cependant, les problèmes sociaux demeurent importants. Le pays reste classé au 126ème rang de l’Indice de développement humain du PNUD, et peine encore sur le chemin de l’émergence, même si il a connu des mutations. Les inégalités sociales demeurent fortes. Une large frange de la classe moyenne reste en situation de vulnérabilité économique et les inégalités sont encore prégnantes. Le système public d’éducation souffre de carences profondes, dont l’attrait des lycées français est parfois le reflet, et l’université produit trop de « jeunes diplômés chômeurs ». C’est le secteur informel, qui représente la moitié des emplois du pays, qui joue le rôle d’amortisseur social, ainsi que l’aide internationale européenne, mais aussi des pays du Golfe.

Pour maintenir une situation politique et sociale apaisée, le Maroc doit mener de front plusieurs réformes. Comme ailleurs au Maghreb, des efforts sont nécessaires, et entrepris avec plus ou moins de succès, pour améliorer le climat des affaires et la sécurisation des investissements, mais aussi répondre au problème de financement de l’économie, régler les difficultés liés au foncier, ou encore renforcer la formation du capital humain.

Les autorités marocaines affichent une forte volonté politique de résoudre cette fracture sociale. Mais les effets des réformes sont encore contrastés. La politique de rénovation urbaine, de transport et de logement, nécessaires pour faire face à l’exode rural, semble donner des résultats encourageants (lutte contre les bidonvilles, extension du tramway à Rabat). Les efforts commencent à porter leurs fruits sur l’alphabétisation et l’extension de la protection sociale. En revanche, le système éducatif est encore marqué par les inégalités ; les écarts de développement entre les régions n’ont pas encore été comblés par la politique de décentralisation lancée en 2008, enfin la politique d’industrialisation et l’encouragement du tourisme n’ont pas créé les emplois attendus.

A la persistance de problèmes sociaux s’ajoute la fatigue de la population à l’égard de la corruption et des abus de pouvoir : l’immolation par le feu, en 2016, d’un jeune vendeur après confiscation de sa marchandise a rencontré un vif écho dans le pays. En octobre 2016, à Al-Hoceima, dans le nord du pays, où le drame a eu lieu, mais aussi à Tétouan, Casablanca, Marrakech ou encore Rabat, la capitale, des milliers de Marocains sont descendus dans les rues, dimanche 30 octobre. Ils exprimaient leur colère à la suite de la mort d’un jeune vendeur de poisson, écrasé dans une benne à ordures après que des policiers ont confisqué sa marchandise. Or, comme ailleurs au Maghreb, la colère sociale n’est plus toujours canalisée par les partis ou syndicats de gauche. La contestation obéit à sa propre loi et part bien souvent de la rue, comme en 2015 à Tanger.

● Au plan extérieur, la diplomatie marocaine est entièrement mobilisée, sinon accaparée, par la question du Sahara occidental

Cette question non réglée depuis 1975 fait obstacle on l’a vu, à toute intégration du Maghreb, car elle nourrit et se nourrit de la rivalité des deux grands voisins que sont le Maroc et l’Algérie. Elle ne nuit pas seulement d’ailleurs qu’aux relations maghrébines, mais provoque des crises régulières qui fragilisent les relations du Maroc avec ses partenaires internationaux : on pourra citer en 2016 le grave différend entre le Maroc et les Nations-Unies qui a suivi les déclarations de son secrétaire général à Rabat, ou l’effet de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne relatif à l’application de l’accord agricole et de la pêche liant l’Europe au Maroc.

Autre trait saillant de la politique étrangère marocaine, Rabat cherche à trouver une profondeur stratégique en développant une diplomatie africaine de plus en plus active, comme l’a montré la grande tournée régionale du Roi en mai-juin 2016, de Dakar à Libreville. L’influence du Royaume y est à la fois :

– religieuse : fort de la légitimité que lui confère le statut du Roi comme Commandeur des croyants, le Maroc propose des formations aux imams africains depuis 2013;

– économique : les entreprises marocaines de télécom ou les banques se déploient dans tous les grands centres africains, le Maroc est le second investisseur sur le continent et le premier en Afrique de l’Ouest ;

– militaire : l’Académie Royale Militaire de Meknes a ouvert ses portes aux premiers Sénégalais dès 1969 et le pays est de plus en plus impliqué dans la lutte contre le terrorisme en Afrique. Le Maroc s’impose de plus en plus comme un acteur régional de sécurité de premier plan: la présence de groupes terroristes dans la région, l’instabilité de la zone sahélo-saharienne, la question du Sahara occidental qui attise la rivalité entre Algérie et Maroc, les échos des conflits libyen syrien, ou encore la crise migratoire, sont autant de menaces pour le pays ;

– politique : le Maroc dispose de solides alliances sur tout le continent africain, comme l’a montré l’annonce spectaculaire du retour du Maroc au sein de l’Union africaine (5). Aux alliés traditionnels de l’Ouest africain se sont joints le Gabon ou le Congo. Il est difficile de mesurer les conséquences du retour du Maroc dans l’Union africaine, mais le risque existe, en raison à nouveau de la question du Sahara occidental, d’une paralysie de l’organisation en raison de la rivalité avec l’Algérie qui tient la Commission Paix et Sécurité.

d. Mauritanie

● Une situation sécuritaire stabilisée

La Mauritanie a été le premier pays sahélien touché par le terrorisme et particulièrement par les attentats touchant les touristes européens. En effet, l’attaque terroriste qui a coûté la vie à quatre de nos compatriotes le 24 décembre 2007 près d’Aleg a marqué le début d’une ère d’enlèvements ou d’assassinats de touristes ou d’expatriés européens au Mali, au Niger et aujourd’hui jusqu’au Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sans oublier la véritable guerre que livre le groupe Boko Haram au Nigéria et au Cameroun.

En revanche, après plusieurs attaques, la Mauritanie a su rapidement réorganiser ses forces de sécurité et de renseignement qui apparaissent aujourd’hui comme parmi la plus efficaces de la sous-région. En effet, le pays n’a pas connu d’attaques d’envergure à tel point que le président Aziz a estimé au cours de l’entretien qu’il a accordé à la délégation française que « la situation avait pu être rétablie ».

Cependant, l’environnement régional de la Mauritanie étant toujours porteur de risques, la Mauritanie a cherché à limiter au maximum le départ de ses citoyens vers des zones de conflits comme la Libye ou la zone syro-irakienne. Pour cela, elle a mis en place un nouvel état civil plus sécurisé, état civil qui n’est pas sans poser de problème en obligeant une part importante de la population négro-mauritanienne du sud du pays et issu de la communauté harratin à devoir prouver sa mauritanité.

En tout état de cause, la sécurité intérieure participe grandement à la légitimité du pouvoir mauritanien qui peut ainsi être avantageusement comparé au Mali voisin. Il s’agit de ce fait de la première préoccupation des autorités du pays. Les responsables du pays s’enorgueillissent d’avoir été les premiers à prendre la mesure de la menace terroriste alors que les autres pays de la région « n’avaient pas compris ».

Plus largement et toujours sur le registre sécuritaire, le président Aziz a estimé que la contribution de la France avait été décisive au Mali et dans l’ensemble de la sous-région. La coopération entre la Mauritanie et la France a été qualifiée d’ « excellente » sur l’ensemble de la chaîne sécuritaire allant du renseignement à la formation des cadres. Un reproche est cependant fait quant à la situation politique et sécuritaire de la Libye, « pays démantelé sans préparation de l’après ». Cette situation fait peser un risque terroriste majeur requérant une vigilance des forces de sécurité dont le niveau d’exigence doit être maintenu.

Enfin, le G5 Sahel (voir encadré) regroupant autour de la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso est un outil certes perfectible mais essentiel pour assurer la sécurité dans la région. La coopération entre les États est en effet le seul moyen de juguler un phénomène par essence transnational comme le montre la coopération efficace entre le Nigéria, le Cameroun, le Niger et le Tchad contre Boko Haram.

Le G5 Sahel : un outil au service de la sécurité et du développement à encourager

Créé en 2014 par les chefs d’État du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, le G5 Sahel vise à coordonner et à développer la coopération régionale en matière de sécurité et de développement. Il est doté d’un secrétariat permanent basé à Nouackhott et dirigé par le Nigérien Mohamed Najim.

La géographie du G5 correspond à celle de l’opération militaire Barkhane (6) , à nos partenaires bilatéraux clés au cœur du Sahel en matière de développement (cinq pays pauvres prioritaires) ainsi qu’à celle de la stratégie Sahel de l’Union européenne.

Cette initiative régionale est soutenue par la France. Elle fait écho à notre volonté de dépasser une approche strictement bilatérale dans la zone. Elle est pleinement portée et animée par les pays du Sahel, et fait prévaloir la logique géographique et des intérêts partagés sur une approche institutionnelle (seuls trois des cinq pays sont membres de la CEDEAO). Elle s’est imposée comme la plus politique et la plus dynamique des institutions qui œuvrent actuellement sur la priorité Sahel.

Plusieurs rencontres ont eu lieu depuis un an entre la Haute Représentante, le secrétaire permanent du G5 et les ministres des Affaires étrangères de l’organisation. Une feuille de route de l’UE pour le renforcement du dialogue et de la coopération entre le G5 Sahel et l’UE a été établie. Le Représentant Spécial de l’Union européenne pour le Sahel, Angel Losada, est en contact régulier avec le secrétariat du G5 et les pays de la région, et anime la mise en œuvre de cette feuille de route.

● Une économie de rente trop fragile

La chute durable des cours du secteur extractif notamment du fer, ont provoqué une forte attrition des revenus issus du secteur minier. Ces revenus, en l’absence de réelle stratégie de diversification menée durant les années fastes, représentaient encore environ 3/4 des exportations, ¼ du PIB et 1/3 des ressources de l’État en 2013 et sont générés par un nombre restreint d’opérateurs : la SNIM, entreprise minière d’État et quelques opérateurs étrangers.

Leur baisse a interrompu la période de forte croissance 2010-2014 (5,6% par an en moyenne) : l’année 2015 s’est achevée sur une croissance de 1,9% contre plus de 5% initialement prévu. Le secteur non extractif peine à prendre le relais (baisse de la croissance du PIB non extractif de 6,6% en 2014 à 3,1% en 2015). La baisse des cours du pétrole, la dépréciation de l’euro et les revenus issus de l’accord de pêche avec l’UE et de soutiens extérieurs atténuent cependant l’impact de la chute des cours du fer. Les perspectives négatives pesant sur les cours du fer sont amenées à perdurer, dans un contexte de surcapacités de production concentrées dans quelques pays (la Mauritanie n’est que le 10e producteur mondial de fer, les 5 premiers représentant plus de 85% de l’offre mondiale), de concurrence internationale accrue et de demande atone de la Chine, qui capte les trois quarts des exportations mauritaniennes de fer.

Malgré les fragilités de l’économie rentière, les autorités mauritaniennes n’ont pas engagé de diversification sérieuse de leur économie. Certes quelques tentatives ont vu le jour, comme en témoigne la zone franche de Nouadhibou, mais elles restent marginales et ne profitent pour l’instant qu’à quelques proches du pouvoir et à quelques firmes étrangères notamment espagnoles. La diversification pleine et entière, notamment par le biais d’une levée des obstacles administratifs et fiscaux, ferait prendre le risque d’autonomiser la société à l’égard du pouvoir, ce qui explique la difficulté de celui-ci à s’engager pleinement dans cette voie.

En attendant une diversification toujours repoussée, le pouvoir mauritanien compte sur des appuis extérieurs pour éviter une trop violente consolidation budgétaire. Cet appui financier provient bien évidemment des pays du Golfe, comme pour d’autres pays et en premier lieu l’Égypte, et a pour conséquence une dépendance diplomatique évidente vis-à-vis notamment de l’Arabie Saoudite.

Les modalités d’un appui financier massif des pays du Golfe en 2015 délivré sous des termes non concessionnels, suscitent des interrogations concernant son impact sur une situation d’endettement déjà critique. La Mauritanie a reçu 400 MUSD de l’Arabie saoudite, dont 300 MUSD versé à la Banque Centrale de Mauritanie, sous forme d’avance remboursable sur 7 ans au taux de 3% assorti d’un délai de grâce de 3 ans. Le FADES (Fonds Arabe de Développement Economique et Social) basé à Koweït a également octroyé un crédit à la banque centrale de 50 MEUR, au taux de 2% sur 7 ans et demi assorti d’un délai de grâce de 2 ans et demi, destiné à faciliter l’accès des PME au crédit. Cette aide, qui représente plus de 8% du PIB mauritanien, permet d’atténuer dans l’immédiat les tensions sur la situation budgétaire et courante de 2015-2016 les réserves de change remontent à 820 MUSD soit 7,7 mois d’importations en 2015 et rendent moins pressante la conclusion d’un nouveau programme FMI.

● La cohésion nationale toujours en question

La question de l’esclavage et de ses séquelles et plus largement la question identitaire est une des questions essentielles qui agitent la société et la classe politique mauritanienne. Elle polarise encore la société entre Beidhan, tribus maures d’origine arabo-berbères et qui parlent l’arabe hassanya, Harratin, descendants d’esclaves noirs et qui parlent également l’arabe hassanya et populations négro – mauritaniennes, peuls, soninké ou wolofs parlant leur langue et/ou le français.

Les interactions entre les trois groupes déterminent très souvent le climat politique et social du pays et la fracture a semblé grandissante entre la communauté Beidhan et les sous-ensembles noirs avec le risque que représente pour la première, une « alliance » des Harratin et des négro-mauritaniens contre ce que certains fustigent comme la domination politique, économique et sociale des Beidhan.

Les autorités mauritaniennes sont très soucieuses de répondre à ces critiques. Les reproches qui leur sont adressés par les ONG sur la question leur paraissent d’autant plus injustes qu’elles estiment que d’une part, les précédents gouvernements mauritaniens n’avaient rien fait pour améliorer la situation - et n’avaient jamais fait l’objet de condamnation par la communauté internationale-, et que, d’autre part, le pouvoir actuel a au contraire criminalisé l’esclavage en faisant voter une loi dans ce sens – deux familles ont été pour la première fois condamnées pour pratique esclavagiste – et s’était attelé à résorber « les séquelles » de l’esclavage. Pour le président Aziz, la réponse devait être avant tout économique, ces séquelles se traduisant principalement par la pauvreté des familles. L’action gouvernementale se concentre sur le développement des régions les plus densément habitées par les populations harratin, dans le sud du pays.

Au contraire, des associations estiment que la loi de criminalisation de l’esclavage n’est pas appliquée avec toute la rigueur requise eu égard à la persistance du phénomène et que parallèlement les harratin sont toujours lourdement condamnés lorsqu’ils apparaissent comme une menace pour l’ordre social beidhan.

On peut légitimement s’inquiéter de la fracture grandissante entre les communautés. Le risque qu’elle fait courir rapproche pourtant la Mauritanie du Mali où la division entre populations du sud et Touareg du nord a provoqué l’instabilité que l’on connaît depuis 2012, instabilité encore accentuée par les risques récents de « sécession » des Peuls du Macina.

Ce risque est encore accentué par le phénomène qui s’empare du système éducatif en pleine déliquescence. Il est souvent le fait de familles pauvres, harratines ou négro-mauritanienne – contre l’Islam traditionnel maure, garant selon eux de la maintenance du système de domination.

● Une diplomatie maghrébine prudente

La Mauritanie est un membre fondateur de l’Union du Maghreb Arabe, créée à Marrakech en 1989 et a quitté la Cédéao en 2000, officialisant son appartenance exclusive à l’ensemble arabe au détriment de sa réalité africaine.

Ce choix stratégique, sur lequel les successeurs du président Ould Taya, sont un peu revenus sans pour autant adhérer à nouveau à l’ensemble ouest africain est une conséquence de la sociologie des élites politiques et économiques sans pour autant que la Mauritanie tire un avantage particulier à être considéré comme une périphérie du monde arabe.

En effet, depuis 1978 et son retrait du Sahara occidental, la Mauritanie essaie d’adopter une attitude de stricte neutralité dans la rivalité qui oppose ses « frères » algériens et marocains. D’un côté, les autorités mauritaniennes se méfient de l’Algérie et de son soutien au front Polisario qui a mené des attaques jusqu’à Nouakchott lors de la guerre qui les a opposé durant les années 1970 et qui a amené au premier coup d’État qu’a connu le pays avec le renversement du premier président Mokhtar ould Daddah. De l’autre côté, un certain Maroc n’a jamais réellement renoncé à faire de la Mauritanie, une « chasse gardée » de leur pays après avoir reconnu ce pays qu’en 1969, soit 9 ans après son indépendance.

e. Libye

Cinq ans après les premières révoltes en Libye et la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye est encore plongée dans des difficultés sécuritaires et politiques particulièrement préoccupantes. Actuellement, la résolution de la crise politique canalise toutes les attentions et la plupart des énergies sont consacrées à établir l’autorité des institutions issues de l’accord de Skhirat : Conseil Présidentiel (CP) et Gouvernement d’Entente Nationale (GEN).

● Les accords de Skhirat ont eu la vertu d’acter la solution politique et le retour du gouvernement à Tripoli, mais celui-ci peine à affirmer son autorité sur l’ensemble du pays

Il faut saluer le retour du gouvernement de Fayez Sarraj à Tripoli en mars 2016. La reconquête de Syrte grâce aux brigades de Misrata et aux frappes américaines, ont permis à M. Sarraj et à l’Ouest de consolider leur légitimité. Cependant, le gouvernement d’entente nationale peine à affirmer son autorité sur le reste du pays.

Le Parlement réuni à Tobrouk, sous la présidence de M. Saleh (qui fait l’objet de sanction de l’Union européenne depuis le 1er avril 2016), a à nouveau rejeté la liste du gouvernement d’entente nationale. Fayez Sarraj a réagi en déclarant qu’il était ouvert à la poursuite des discussions avec le Parlement. Il est pourtant essentiel de parvenir au plus vite à un vote positif du Parlement de l’Est, car il ouvrira la voie à une recomposition du Conseil présidentiel qui inclurait de nouvelles personnalités de Cyrénaïque.

Surtout, une offensive menée mi-septembre par le général Khalifa Haftar a détrôné Jadran et lui a permis de prendre possession des champs pétroliers, et de reprendre la main politiquement. Il est indéniable que M. Hafter sort renforcé politiquement de la reprise du croissant pétrolier : il a en effet fait le preuve qu’il avait un projet pour la nation en remettant les clés des infrastructures à la Compagnie pétrolière nationale. Fayez Sarraj doit faire la preuve de sa capacité à trouver un accord avec Khalifa Hafter qui ne semble pas prêt à partager le pouvoir. Tout l’enjeu de la négociation est donc moins d’être pour ou contre Khalifa Hafter, que de trouver une solution pratique permettant d’accorder une place à ses forces, tout en veillant à ce qu’il soit maintenu sous l’autorité d’un gouvernement civil. C’est d’ailleurs tout le sens de la déclaration en P3+3 (Italie, Espagne, Allemagne) qui a suivi l’offensive d’Hafter en septembre.

Ce véritable coup politique a désarçonné le Conseil présidentiel et mis à nouveau en exergue les divisions profondes du pays, notamment entre Est et Ouest, et forces de Khalifa Hafter et de Misrata. On assiste à la dangereuse (re) constitution de deux camps, Est et Ouest: les deux autorités rivales sont à moins de 200 km l’une de l’autre. Fragilisées par leur lutte contre Daech à Syrte, les Misrati ne sont pas en mesure de défier Khalifa Hafter et l’inquiétude prédomine, et ceux qui, à l’Ouest et au Centre du pays, ne reconnaissent pas le Conseil présidentiel, notamment quelques milices à Tripoli et Misrata, poussent à une riposte armée. De leur côté, les milices de Zintan, ville proche de Tripoli, et alliées à Haftar, pourraient tenter de reprendre la capitale.

L’opposition Est-Ouest ne résume d’ailleurs pas les fragmentations à l’œuvre dans le pays, qui sont multiples, et où les fractures et identités locales prédominent. L’affirmation clanique et la prédation économique conduisent chaque groupe à chercher à étendre son influence à partir de son territoire (par exemple la ville de Misrata impose sa vision sur le sud de la Libye en contrôlant l’oasis central dans la région de Jouffra en passant par Sebah, les tribus de l’Est veulent quant à elles régner jusqu’à Syrte). Ainsi se développe ce que certains nomment une véritable « géographie de la haine » selon le chercheur tunisien Rafaa Tabib, dont la violence pourrait réactiver des cycles de vengeance qui plongeraient le pays dans la guerre civile (des familles de Misrati ont ainsi été chassées de Benghazi, des actions ont été inversement menées par des Misrati contre la ville de Bani Walid, ancien fief khadafiste). Une histoire partagée est à reconstruire, de même que l’Etat, qui n’a jamais eu de véritable existence.

Enfin, ramener l’opposition entre ces deux camps rivaux à un clivage entre islamistes et libéraux serait une erreur – l’ensemble du pays est très conservateur – car l’affrontement entre ces groupes n’est pas de nature idéologique mais porte sur la maîtrise des ressources et du contrôle de l’État libyen. On retrouve la même fragmentation au plan religieux, avec une concurrence à la fois entre islam traditionnel de tendance malékite, et un courant salafiste, qu’il soit quiétiste à tendance wahabite ou djihadiste, enfin entre courants politiques au sein d’un même mouvement, comme les Frères musulmans. Cette fragmentation recouvre aussi les divisions politiques et territoriales du pays: ainsi, les réseaux islamistes proches des Frères musulmans sont parcourus de tensions internes, et survivent grâce aux soutiens locaux, comme Misrata. Les anciens cadres du GICL sont eux aussi divisés entre ceux qui ont rejoint le processus politique, et qui s’appuient sur leur « légitimité » révolutionnaire pour se tailler une part importante dans le partage du pouvoir et des ressources, et l’autre frange a rejoint des brigades djihadistes ou terroristes. Enfin, les salafistes « quiétistes » montent en puissance en Libye. Retenons surtout qu’en l’absence d’Etat les réseaux clientélistes et claniques ont un impact important sur les réseaux islamistes libyens, qui cherchent à exister.

Au plan politique, il est donc crucial que la France continue d’appeler au compromis politique entre les forces de Khalifa Hafter, sous l’autorité du Conseil présidentiel, et Fayez Serraj, et à la reprise d’un véritable dialogue entre Est et Ouest.

Il faut aussi soutenir les deux seuls ferments d’unité nationale que sont d’une part, les pouvoirs locaux, les municipalités et la société civile, et, d’autre part, les grandes institutions nationales, (Banque Centrale de Libye, Libyan Investment Authority et National Oil Corporation), dont il faut à tout prix préserver l’unité et la neutralité, sous l’autorité du gouvernement d’entente nationale.

Il convient également de maintenir l’ensemble des forces du pays sous l’autorité des institutions civiles. A cet égard, la position de la communauté internationale à l’égard des évènements survenus à l’Est du pays, notamment la nomination d’un gouverneur militaire et le remplacement de conseil municipaux élus par des gouverneurs militaires locaux à Benghazi, Koufra ou en Ajdabiya, qui selon certains interlocuteurs de la mission, serait le symptôme d’une dangereuse militarisation du pays. Certains Libyens reprochent également à la communauté internationale sa frilosité dans la lutte contre le terrorisme à Benghazi.

Il faut enfin être ferme avec les parrains régionaux car la voie politique est la seule possible. La tentation militaire existe et nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux affrontements armés entre Est et Ouest et entre les troupes de Khalifa Hafter et de Misrata. La mission suggère que la France, avec ses partenaires européens les plus impliqués dans le dossier, notamment l’Italie et l’Allemagne, soit à l’initiative dans l’association des partenaires et voisins de la Libye au processus de réconciliation. Il est essentiel de maintenir une concertation étroite avec l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, pour lesquels la crise libyenne est une question vitale. Par ailleurs, la dissémination des terroristes menace la stabilité de l’ensemble du voisinage : il convient donc en la matière de coordonner notre action également avec le Niger, le Nigéria, ou le Tchad.

● Au plan sécuritaire, selon le ministère de la défense, la « Libye n’est certes pas encore la Syrie, mais l’enjeu de sa stabilisation est énorme ».

Les forces du Gouvernement d’entente nationale sont sur le point d’éradiquer Daech à Syrte, où il ne resterait qu’une centaine de combattants encerclées dans le centre-ville. Les forces de Misrata, qui y interviennent sous l’égide du gouvernement d’union nationale, ont essuyé de très lourdes pertes humaines. Maintenant que les combats touchent à leur fin, la stabilisation de cette zone sera un test de crédibilité pour le gouvernement d’entente nationale. Il faudra en effet veiller à réconcilier toutes les forces en présence: Misrata, ville révolutionnaire, alliée au gouvernement, et Syrte, bastion de l’ancien régime, marginalisée depuis 2011, également liée à Khalifa Hafter par le biais de la tribu Fargeani.

Comme l’a rappelé le président de la République lors de la visite du Premier ministre Sarraj à Paris le 27 septembre dernier, la France ne ménagera aucun effort pour soutenir ce gouvernement : elle se tient prête à répondre à ses demandes d’aide pour le soin des blessés dans la lutte contre Daech, pour rétablir la sécurité, pour lutter contre le terrorisme et renforcer le contrôle des frontières.

Mais la victoire durable contre le terrorisme passe par l’union de toutes les forces libyennes sous l’autorité civile du Premier ministre Fayez Sarraj. Il est urgent de trouver une structure nationale de sécurité qui accorde une place à Khalifa Hafter dans un dispositif militaire acceptable par toutes les parties.

Il faut surtout éteindre cette menace sans quoi sa dissémination va également affecter les voisins de la Libye, en particulier la Tunisie: il semble ainsi qu’on observe un retour des djihadistes à Sabratha, où leur camps avait été détruit par des frappes américaines. Or cette ville est située à 100km de la frontière tunisienne.

Enfin, la question migratoire demeure particulièrement préoccupante et loin d’être réglée. Avec la fermeture de la route turque, la Libye est redevenue depuis avril 2016 le premier pays de départ des migrants vers l’Europe. Durant la première moitié de l’année 2016, près de 100 000 migrants sont arrivés sur les côtes italiennes, principalement de Gambie, Erythrée, Nigéria et Guinée, et plus de 2000 personnes ont perdu la vie en tenant de traverser la Méditerranée.

Au-delà du fait que l’on peut s’interroger sur la pertinence d’une mobilisation de nos outils militaires pour réaliser des opérations de simple sauvetage en mer, un premier bilan de cette opération révèle que la politique européenne s’avère contre-productive : en l’absence d’accord des autorités libyennes, l’opération Sofia n’est en effet pas autorisée à intervenir dans les eaux territoriales de Libye. Depuis son lancement, les trafics auraient, selon un interlocuteur de la mission chargé de cette question à Médecins sans Frontières, des « proportions industrielles »: les « trafiquants se contentent de faire payer les migrants avant de les envoyer en mer, étant assurés qu’ils seront secourus par l’Union européenne ».

● Au plan économique et social, la situation est particulièrement critique

La Banque mondiale, dans un communiqué d’octobre 2016, va jusqu’à parler de véritable « effondrement de l’économie libyenne ». La population est évidemment la première victime de cette récession : l’été a été marqué par des coupures d’eau et d’électricité dans la capitale. La crise de liquidité est sans précédent. Par ailleurs, le chômage touche environ 30% de la population active et affecte particulièrement les jeunes.

L’économie libyenne se caractérise par sa grande dépendance vis-à-vis du secteur des hydrocarbures, majoritairement du pétrole, entièrement contrôlé par l’Etat (le secteur des hydrocarbures représente près de 95% des revenus de l’Etat central et de la valeur des exportations). Or, depuis la révolution en 2011, la situation sécuritaire perturbe considérablement l'activité dans le secteur, entrainant de fortes variations de la production (affrontements entre les différentes factions dans les zones de production, de transit et d’exportation ; offensives de Daech sur les installations ; dégradation des infrastructures). L’effondrement du prix du baril sur les marchés internationaux entre la fin du premier semestre 2014 et début 2016 (baisse supérieure à 75 %, passant de 105 $ à 25 $ le baril) a également considérablement réduit les revenus du pays issus du pétrole. L’ajustement observé depuis février 2016 (le cours du baril se situant autour de 50 $) n’a eu qu’un impact marginal.

Sous l’hypothèse d’un maintien de la situation, les dernières prévisions du Fonds Monétaire International (FMI) tablent sur une récession de 3,5 % en 2016. Les déficits budgétaire (55% du PIB en 2015) et commercial (-60% du PIB en 205) s’accroissent. Ils ont été financés sur les réserves souveraines accumulées par la Libye avant 2011. Cependant, ces réserves s’amenuisent rapidement : elles ont été divisées par deux entre 2010 et 2015, passant de 78 à 37 mois d’importations. Dans ce contexte, où les déficits sont élevés et dans un système où le taux de change est fixe, cela se traduit par des tensions croissantes sur les réserves.

La reprise de l’économie libyenne sera largement conditionnée par la remise sur pied du secteur pétrolier. En plus des blocages, les installations pétrolières ont subi des dommages qui nécessiteront des travaux importants. Compte tenu de l’état des installations (dommages et vétusté) et du temps nécessaire pour leur remise en état, le redémarrage du secteur prendra plusieurs mois.

Enfin, le contexte politique rend impossible la mise en œuvre des réformes nécessaires à la reprise de l’activité économique.

Un enjeu de taille, on l’a déjà dit, demeure la réconciliation des principales institutions économiques (Banque Centrale de Libye, Libyan Investment Authority et National Oil Corporation), elles aussi scindées en deux suite aux élections législatives de 2014.

Concernant le soutien de la communauté internationale, les autorités libyennes ne sont pas en demande d’une aide financière extérieure compte tenu du niveau de richesse du pays (pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure selon la banque mondiale). Elles sont cependant ouvertes à des propositions d’assistance technique. Les Nations Unies, à travers la MANUL (Mission d’Appui des Nations Unies en Libye), proposent de jouer un rôle d’appui technique à la transition démocratique qui devrait se poursuivre dans le cadre des principales échéances électorales. L’Union européenne a entamé une négociation pour un protocole d’accord sur l’instrument de coopération et de voisinage et mis en place une mission d'assistance aux frontières (EUBAM). Le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale fournissent une assistance en matière de gestion des finances publiques.

C. DES PAYS QUI S’EFFORCENT DE SORTIR DU TÊTE À TÊTE AVEC L’UNION EUROPÉENNE 

1. Le poids réel des États-Unis

Il faut évoquer notamment le poids important des Etats-Unis, dont les relations avec la région sont anciennes. On rappellera que le Maroc a été le premier pays, en 1787, à reconnaître les Etats-Unis. La Tunisie a envoyé le premier ambassadeur arabe à Washington en 1805. On pourra également citer le rôle des États-Unis dans l’appui aux mouvements indépendantistes et la rencontre de Roosevelt avec le futur Mohamed V en 1943, ou le discours de Kennedy devant le Sénat en faveur de l’indépendance algérienne. 

La région présente un intérêt stratégique pour la puissance américaine. Par sa position géographique d’abord à l’extrémité occidentale du monde arabo-musulman. Sur le plan maritime, c’est l’extension la plus occidentale de la Méditerranée. S’y trouvent en outre des menaces liées au développement du terrorisme ; enfin, des richesses des ressources et opportunités économiques. L’approche américaine du Maghreb hésite entre rattachement à l’Afrique et au monde arabophone.

Les enjeux pris en compte par les États-Unis sont : 

– la lutte contre le terrorisme (ici, l’idée des États-Unis est que la sécurité dure pour reprendre le vocabulaire de l’OTAN (qui d’ailleurs étend son influence dans la région par le biais de son partenariat méditerranéen), et la sécurité molle - relative aux différents domaines de la société civile (développement économique et respect des droits de l’homme) vont de pair. Dans les faits, tous les pays de la zone coopèrent en matière d’échanges de renseignements et d’action policière et militaire avec les Etats-Unis ;

– les hydrocarbures : l’Algérie et la Libye ont permis aux Etats-Unis de diversifier leurs approvisionnements en gaz et en pétrole, c’est un marché que les Etats-Unis veulent conserver dans le futur;

– les relations politiques: l’intérêt pour la région est d’abord subordonné aux liens du Maghreb avec le grand Moyen-Orient, où ses intérêts sont vitaux (par exemple le rôle de méditation du Maroc ou encore de la Tunisie en soutien des tentatives américaines de faire la paix au Proche-Orient sont précieux) ; la promotion de la démocratie est aussi essentielle pour les Américains, même si le soutien de l’administration américaine aux révolutions de 2011 n’a pas été dénué d’ambiguïtés; l’islam est aussi une composante importante de l’intérêt américain pour la région, et les États-Unis sont séduits par l’islam « modéré » dont le Maghreb se fait le défenseur ; enfin la question du Sahara occidental tient une place importante. 

Le Maroc entretient des relations anciennes et particulièrement privilégiées avec les États-Unis : soutien d’Hassan II aux Américains durant la guerre du Golfe, accueil du Shah d’Iran et condamnation de la révolution iranienne en 1979, accueil de la rencontre entre Moshe Dayan et Ahmed al Touhami en 1977 pour préparer la réconciliation Israël-Egypte, grande commémoration après les attentats du 11 septembre à Casablanca, participe activement au partenariat transsaharien contre AQMI, qualifié par les Etats Unis de pays allié non OTAN. Pour le Maroc, cette alliance permet de maintenir une relation triangulaire avec la France, de garder son autonomie au sein du monde arabe, de jouer le rôle de relai vers l’Afrique, de gagner en performances économiques. Les deux pays ont signé un accord de libre-échange en 2005, qui fait l’un des pôles, avec la Jordanie, d’une zone de libre échange qui pourrait englober l’ensemble du monde arabe. des aides financières substantielles sont accordées au Maroc pour développer son tissu économique. Le soutien des Marocains est en outre appréciable pour les Etats-Unis en Afrique, en échange de quoi ils soutiennent la proposition d’autonomisation marocaine pour le Sahara occidental. 

Les rapports avec l’Algérie sont loin d’être aussi harmonieux, mais ils n’en sont pas moins étroits eux aussi. A partir des années 1960, l’Algérie emprunte une voie qui l’éloigne de Washington, avec son rapprochement avec l’URSS, le soutien à Nord-Vietnam, le voyage de Ben Bella à la Havane en 1962, enfin la rupture des liens diplomatiques après la guerre des six jours en 1967. Mais par sa situation géographique et ses moyens militaires, c’est la pierre angulaire du Maghreb et les Etats Unis ne peuvent s’en désintéresser. La rupture des liens diplomatiques n’empêche pas par exemple la Sonatrach de signer un accord avec la compagnie américaine El Paso, portant sur l’achat de gaz sur 10 ans, accord qui sera prolongé et étendu par la suite. La guerre de 1973 puis le soutien algérien à la cause palestinienne vont cependant gripper régulièrement cette relation. Aujourd’hui, et depuis l’arrivée au pouvoir de Bouteflikha en 1999, c’est la sécurité, et non l’énergie, qui est devenue la pierre de touche de leurs relations. (en 2008-2009, l’Algérie a reçu entre 2 et 3 milliards de dollars d’équipements militaires américains).

Si « les relations avec le Maroc sont étroites et importantes, les relations avec l’Algérie importantes mais non étroites, les relations avec la Tunisie sont étroites mais peu importantes », selon John Damis en 1993. Ses tergiversations politiques (opposition à al guerre du Golfe et à l’intervention américaine en Irak en 2003) et la disparition de son libéralisme politique sous Ben Ali ont, avant 2011, fait perdre de l’intérêt à la Tunisie pour les Américains. On observe cependant un regain d’attention pour la jeune démocratie tunisienne depuis 2011, dont la trajectoire correspond à leur souhait d’un grand Moyen-Orient démocratique. La récente polémique relative à la présence de drones américains en Tunisie montre également le dynamisme de la coopération en matière de sécurité.

La Libye a quant à elle depuis longtemps entretenu des rapports stratégiques avec les États-Unis - les rives de Tripoli ne sont-elles pas évoquées dans le chant des Marines? L’arrivée au pouvoir de Kadhafi en 1969 devrait se traduire (nationalisation des compagnies pétrolières, saccage de l’ambassade américaine par les foules, soutien au terrorisme, fermeture de la base aérienne de Wheelus, programme nucléaire). Les relations vont cependant s’améliorer à la fin des années 1990, la Libye va notamment renoncer à son programme d’armement nucléaire, chimiques et biologiques, et autoriser le retour des compagnies pétrolières américaines sur son sol. 

2. Un Maghreb qui renoue avec le continent africain 

La projection maghrébine en Afrique s’opère d’abord sur le plan économique.

C’est surtout la crise européenne de 2008 qui a rappelé à la Tunisie l’intérêt économique du continent africain, au point de commencer à rattraper son retard sur le Maroc. En témoigne l’accélération du calendrier des accords de libre-échange avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ou l’organisation d’un Forum économique tuniso-africain en 2010. Les exportations vers l’Afrique ont ainsi augmenté de 15% en 2010 quand celles vers l’Europe baissaient. Les relations avec le Mali, la Cote d’Ivoire, le Burkina, le Cameroun surtout, se resserrent. « Un examen attentif de cette stratégie indique qu’il y aura bientît des zones de compétition avec le grand rival marocain », dans le secteur des services notamment (STEG s’occupe de l’électrification du Rwanda ou du Burkina) (Le Maghreb et son Sud, Abdelmalek Alaoui). 

Le Maroc entretient des liens pluriséculaires avec l’Afrique, l’aura religieuse du Royaume lui permet également d’asseoir son influence sur le continent. Surtout, le Maroc y développe depuis la fin des années 1990 une diplomatie économique faite de promotion des champions nationaux dans les télécoms, la finance, le BTP, l’énergie et l’assainissement. Il joue la carte de la proximité géographique et culturelle, mais s’appuie aussi sur de solides réseaux (toute une nouvelle génération de décideurs africains a fait ses études au Maroc). Que ce soit à travers des prises de participation au capital ou le montage de filiales, tous les secteurs sont concernés et certaines entreprises enregistrent de beaux succès (le développement de la fibre optique en Afrique de l’Ouest suit en fait la pénétration territoriale du continent par Maroc Telecom). 

L’Algérie, à la différence du Maroc et de la Tunisie, n’investit que dans un nombre limité de projets, principalement dans l’énergie et les infrastructures, très rarement sous la forme de participations directes. Elle mise encore sur les hydrocarbures pour déployer sa stratégie en Afrique. La Sonatrach a investi dans la prospection pétrolière au Mali et en Mauritanie, et l’Algérie s’est engagée dans quelques « méga-projets » comme le Nigal (gazoduc devant relier le Nigeria à l’Algérie) et le pipeline transsaharien. Pour le reste, l’Algérie se projette peu au plan économique en Afrique. En cause, un marché intérieur peu propice à l’émergence de grands champions, une législation peu favorable à la projection d’entreprises algériennes à l’étranger. 

Il faut enfin évoquer la rivalité entre Algérie et Maroc, qui porter un potentiel de discorde, car elle oblige parfois les pays africains à déterminer leurs liens économiques avec l’un ou l’autre en fonction de leur position sur le Sahara occidental. 

La dimension sahélienne et la coopération en matière de sécurité.

Dans le voisinage méridional immédiat des pays du Maghreb, la zone sahélienne comprend tous les pays au sud du Sahara. La Mauritanie est d’ailleurs un pays charnière entre les deux espaces

La région, qui faisait office d’interface commerciale entre le nord et le sud, s’est vue progressivement marginalisée par la littoralisation des économies d’Afrique de l’Ouest, pour devenir une « marge enclavée » de sous-développement, ou « zone grise » marquée aujourd’hui par le développement de trafics divers, des dissidences multiples et la faiblesse des Etats, une hausse de l’économie informelle, la présence de djihadistes, des pans entiers de territoires non contrôlés et une grande pauvreté des populations (7) .

Les échanges, en particuliers illicites, sont aujourd’hui croissants avec le Maghreb, et participent à réinsérer (même si c’est pas la voie de trafics) ces Etats dans l’économie régionale : dans le Nord-est du Mali, l’essentiel des produits de subsistance provient de l’Algérie voisine. En Mauritanie, la route Nouakchott-Nouadhibou, inaugurée en 2006, et qui constitue le dernier tronçon de l’axe Tanger-Dakar, a accéléré les relations avec le Maroc. « Les pays maghrébins voient se développer à leur frontière sud des Etats-entrepôts », dont l’économie repose sur le transit de produits illicites. Bien que moins spéctaculaire que le terrorisme, le trafic de drogue par exemple, est un élément de corosion des Etats particulièrement inquiétant dans la région (on estime que 40 tonnes de cocaïne transitent vers l’Europe, soit près de 1,4 milliards) ». 

Face à la recrudescence de ces menaces, la réaction des pays du Maghreb manque de coordination. En 2005, ils rejoignent pour la première fois un programme anti-terroriste américain, le TSCTI - qui propose une démarche régionale et préventive pour combattre le terrorisme, englobant tous les pays de la zone et prévoyant des moyens accrus (2007, Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership. En dépit de ce programme, dont le vaste champ d’action inclue notamment des échanges d’information, des exercices militaires conjoints, les pays maghrébins, notamment l’Algérie et le Maroc, ne se sont pas « fondamentalement rapprochés » face au risques en provenance de leur frontière sahélienne. 

Encore une fois, la rivalité entre Algérie et Maroc freine la mise en œuvre d’une politique coordonnée du Maghreb vers son voisinage sud. L’Algérie a une grande sensibilité aux fragilités de sa frontière sud, immense territoire dont la population est très liée aux Touaregs maliens et nigériens. Alger entend devenir le leader régional de la lutte contre le terrorisme et s’inquiète régulièrement des influences étrangères, notamment libyenne et française dans la zone. En 2004 a été créé à Alger le centre panafricain de lutte contre le terrorisme, qui ne s’est pas illustré par une grande activité depuis. Un comité d’état-major opérationnel conjoint a été mis en place entre l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali pour coordonner la lutte contre AQMI aux frontières. Mais là aussi, les ambitions sont grandes mais peu suivies d’effets. 

En matière de coopération sécuritaire, le Maroc émerge peu à peu lui aussi comme « puissance africaine de sécurité » (plusieurs rencontres organisées depuis 2010 sur les questions de sécuité en Afrique et sécurité au Sahel). Rabat fournit une assistance en matière de formation, équipements et renseignements à ses partenaires, notamment avec la Mauritanie et le Mali. Son analyse de la zone rejoint celle des Américains (et dans une certaine mesure de la France): la bande sahélienne est la composante occidentale d’un axe de crise plus vaste, qui part du Pakistan et passe par l’Irak. La question du « sud » au Maroc est par ailleurs, et surtout, très « parasitée par le filtre saharien ». Dès lors la problématique du terrorisme dans la zone a tendance à être ramenée à une hypothétique transformation du Front Polisario en mouvement islamiste radical – des liens existeraient en effet entre certains éléments de la jeunesse sahraouie et AQMI. 

3. Les relations du Maghreb avec la Chine et l’Inde : une menace pour les relations euro-maghreb ?

La présence chinoise ou indienne en Afrique subsaharienne est très commentée et documentée, c’est moins le cas au Maghreb. 

Pourtant, les échanges économiques ont augmenté de façon spectaculaire en peu de temps depuis le début des années 2000. Les importations de produits chinois sont en très forte hausse depuis 2003, date d’adhésion de la Chine à l’OMC, c’est le cas aussi pour les produits indiens, même si la hausse est moins rapide. Or, c’est le plus important, ces échanges sont asymétriques: l’Inde et la Chine importent des matières premières non transformées et exportent des produits manufacturés et les économies maghrébines sont dans l’ensemble déficitaires à l’égard des deux géants asiatiques. Enfin, le dynamisme récent de ces échanges ne doit pas éluder le caractère prépondérant des échanges avec l’Europe, qui demeure le premier partenaire commercial du Maghreb. La Chine et l’Inde ne sont encore des marchés d’exportation de premier plan, sauf peut être pour le Maroc. Inversement, les pays du Maghreb demeurent des partenaires économiques marginaux pour la Chine. 

Au plan des investissements, l’évolution est similaire à celle des échanges commerciaux : malgré une augmentation notable des montants investis ces dernières années, l’Afrique du Nord n’est pas une priorité des économies indienne ou chinoise. Sans négliger la présence croissante de ces deux pays dans la zone, il faut donc nuancer les discours alarmistes sur la mainmise des grands groupes chinois et indiens au Maghreb. Sa part dans l’ensemble des IDE chinois est marginale en Afrique (12%), à égalité avec le seul Nigéria, et loin derrière l’Afrique du Sud (25%). De plus, c’est l’Algérie qui concentre le gros des investissements chinois dans la région. Il en est de même pour les investissements indiens (5% du total des IDE indiens en Afrique s’effectuent au Maghreb, cette fois le Maroc est en tête). En réalité, la Chine et l’Inde sont derrière l’Europe, les pays du Golfe et les Etats-Unis en matière d’investissements.

Il faut aussi préciser que les investissements se concentrent sur quelques grands secteurs : les grandes compagnies pétrolières chinoises sont présentes en Algérie, en Tunisie, en Libye et au Maroc, les entreprises indiennes en Libye et en Egypte. De grands groupes miniers chinois ont aussi investi dans des mines de zinc ou d’or en Algérie. Les Indiens sont présents dans le secteur des phosphates au Maroc. En dehors du secteur prépondérant de l’énergie et des ressources naturelles, la Chine et l’Inde sont présentes dans les secteurs du textile, de l’autombile, du tourisme. La Chine est prépondérante dans les services de télécommunication, ais aussi d’équipements électriques et électroniques et de la construction (en Algérie, les derniers grands chantiers de construction ont été rafflés par des entreprises chinoises du BTP), l’Inde dominante dans les activités de services et ingénirie.

Cette concentration sectorielle des investissements révèle les intentions de l’Inde et de la Chine dans la région. il s’agit en effet principalement: de sécuriser un accès aux ressources naturelles; de garantir un accès au marché local; d’utiliser ces pays comme base d’exportation de leurs produits en Europe, aux Etats-Unis, ou en Afrique subsaharienne. 

Enfin, si la présence chinoise et indienne peut être une chance en termes de développement, elle comporte des risques. Pour le Maghreb, celui d’une mise en concurrence accrue des pays de la zone, alors que l’intégration régionale est au point mort. Il est encore tôt pour mesurer les effets de la pénétration économique de la Chine ou de l’Inde au Maghreb, notamment en matière de création d’emplois ou d’impact sur le tissu industriel, mais il n’est pas évident (les investisssement dans le BTP en Algérie ne se sont pas traduits par une hausse de l’emploi par exemple, faible appel à la sous-traitance locale). Enfin, en matière de transferts de technologie, il n’est pas certain que les partenaires du Sud soient plus allants que les « vieux » partenaires de la rive Nord. 

Pour l’Europe, les investissements chinois et indiens ne sont pas de nature à remettre en question sa position prépondérante, mais cette situation pourrait changer : la dynamique de gain de parts de marché est évidente et la menace grandissante dans les secteurs du BTP, des télécommunications, de l’automobile, du textile. Les investissements pétroliers chinois sont aussi à surveiller. Dans le secteur du bâtiment et des télécommunications, les entreprises européennes ont d’ores et déjà perdu du terrain. Autre exemple, en implantant des unités d’assemblage en Algérie, les entreprises chinoises pourraient menacer à terme les constructeurs français. Enfin, les Chinois pourraient tenter de contourner les restrictions aux importations en Europe depuis la Chine en utilisant le relais du Maghreb. 

II. LE PARTENARIAT EURO-MAGHRÉBIN FACE AUX MUTATIONS DE LA RÉGION 

Les travaux de la mission font ici ressortir deux constats fondamentaux :

il faut admettre que le partenariat ne suscite pas grand enthousiasme aujourd’hui, ni chez les élites des deux rives, ni au sein de la population, ce qui s’explique par un faisceau de facteurs : ce partenariat souffre de la crise économique qui affaiblit l’ensemble de la région Euro-Maghreb depuis 2008 ; au plan politique, la tentation du repli est forte sur les deux rives, et la majorité de nos partenaires européens s’intéressent d’avantage à l’Est qu’au Sud ; enfin le partenariat Euro-Maghreb a eu du mal à s’adapter aux changements intervenus au Sud en 2011.

Cependant, l’Europe, compte tenu de sa proximité géographique, de son poids économique, va rester le partenaire principal du Maghreb. Toute la question est de savoir comment réformer la politique européenne vis-à-vis de son voisinage Sud ;

la région est entrée, qu’on le veuille ou non, dans une nouvelle phase historique depuis 2011. Le partenariat se pose en des termes différents. L’Union européenne a jusqu’ici beaucoup axé son partenariat au sud sur l’économie et la sécurité. L’agenda euro-maghrébin a été très marqué par la question libre-échange et des politiques migratoires. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en question la mise en œuvre de ces politiques, car la région a besoin de stabilité.

Mais si stabilité il doit y avoir sur le long terme, l’Union européenne doit s’interroger sur les fondamentaux de sa politique au Maghreb : la question de la légitimité politique, qui était auparavant reléguée au second plan, est aujourd’hui placée au cœur du dialogue entre Europe et Maghreb ; 2011 a aussi démontré que les questions sociétales et culturelles, les aspirations à la liberté d’une jeunesse marginalisée, elle aussi parfois reléguée au second plan, étaient fondamentales ; enfin, l’Europe ne peut plus désormais prétendre ignorer l’urgence économique et sociale

Les relations Euro-Maghreb doivent-elles s’analyser en termes d’instauration d’un espace démocratique à l’échelle européenne, ou de la construction d’un espace de libre-échange, voire même d’une intégration à terme au sein du marché intérieur ? Quel sens particulier faut-il donner à la relation entre les deux régions ? Quid de l’appropriation par la population du processus européen ? Quels sont les objectifs affichés de cette politique ?

Or l’Union européenne semble peu sûre d’elle dans la réponse à apporter à ces questions. La réforme de la politique de voisinage fait la part belle à la conditionnalité démocratique, mais se trouve aussi aux prises avec les questions sécuritaires.

A. UNE MULTITUDE D’INSTRUMENTS ET UN EFFORT FINANCIER CONSIDÉRABLE : LA QUESTION N’EST PAS CELLE DES MOYENS NI DES INSTITUTIONS

La relation préférentielle entre l’Europe et le Maghreb est presque aussi ancienne que la création du Marché commun(8).

On peut distinguer trois étapes successives : les accords d’association initiaux (1969-1995), puis le processus de Barcelone qui a lancé la coopération EUROMED (1995-2004) et plus récemment la politique européenne de voisinage (depuis 2004, y compris les révisions effectuées en 2011 et 2015). On pourrait ajouter que s’ouvre aujourd’hui la quatrième phase du partenariat maghrébin, qui annonce les premières réformes de la politique de voisinage, et qui reste encore à inventer. 

La politique euromaghrébine a d’abord suivi la voie d’accords bilatéraux signés avec les pays du voisinage avant de promouvoir une approche plus régionale. Progressivement, l’action de l’Union dans la région s’est considérablement élargie et diversifiée en direction des pays du Maghreb et plus spécifiquement du Maroc et de la Tunisie – l’Algérie, la Mauritanie et la Libye restant en retrait. 

Entre 1998 et 2006, dans le cadre du partenariat dit « processus de Barcelone », l’Union européenne a conclu des accords euro-méditerranéens établissant une association (AEMEA) avec sept pays du sud de la Méditerranée, dont la Tunisie en 1998 ; le Maroc en 2000 ; l’Algérie en 2005. Le lancement de la politique de voisinage, suite à l’élargissement de l’Union européenne, est venu encadrer la coopération bilatérale. 

L’Union européenne a, sur la base des accords bilatéraux d’association signés avec les pays de son voisinage sud, établi des « plans d’action » avec l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée, à l’exception notable de l’Algérie, de la Libye et de la Syrie.

En 2008, dans la continuité du processus de Barcelone, a été lancée l’Union pour la Méditerranée (UpM). Elle réunit 43 pays membres de l’Union européenne et de la Méditerranée dans un cadre intergouvernemental. L’UpM est parvenu à maintenir un dialogue politique en s’appuyant sur une « Méditerranée des projets ». 

À cela s’ajoute un cadre non-communautaire dynamique, mais dont les orientations ne s’articulent pas toujours parfaitement avec les instances du cadre communautaire. 

Le « Partenariat de Deauville » a été lancé en 2011 par la présidence française du G8, en vue de soutenir économiquement la transition politique de cinq pays partenaires que sont la Tunisie, l’Égypte, le Maroc, la Jordanie et la Libye. Il faut cependant souligner que la promesse de « Plan Marshall » en faveur de ces pays, notamment de la Tunisie, n’a pas été tenue. 

Citons enfin le « Dialogue en Méditerranée occidentale », dit « 5+5 », qui réunit la France, l’Espagne, l’Italie, Malte et le Portugal, au nord, l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie au sud. Ce dernier est aujourd’hui considéré comme le véritable noyau dur de la coopération euro-méditerranéenne.

La question n’est donc pas celle de l’architecture institutionnelle, suffisamment pourvue, ni des moyens, il faut admettre que l’effort financier de l’Union européenne demeure conséquent, mais des voies et objectifs de cette politique.

1. Les premiers accords d’association: accent porté sur le libre échange 

Dès les années 1960, le développement du Marché commun implique de reprendre le legs des relations commerciales préférentielles que la France avait avec le Maghreb. Le premier accord commercial est ainsi signé avec le Maroc en 1969, suivi de la conclusion d’accords d’association avec les trois pays sur lesquels s’est concentrée la coopération euro-maghreb – la Tunisie, le Maroc, et, dans une moindre mesure, l’Algérie. Ces accords qui ont pour principal objectif l’établissement progressif d’une zone de libre-échange en Méditerranée, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoyaient :

– l’ouverture du marché communautaire aux produits manufacturés du Maghreb sans obligation de réciprocité ;

– la transposition dans le cadre communautaire des préférences agricoles acquises en bilatéral (avec la France pour le Maghreb) : réductions tarifaires, ouverture de quotas et de calendriers d’exportation ;

– l’extension de la politique européenne d’aide au développement (orientée principalement à l’époque vers le groupe ACP via le FED) au profit des PSEM, en leur offrant l’accès à des protocoles financiers.

Bien que principalement axés sur la libéralisation des échanges dans les faits, les accords bilatéraux d’association ont pour objectif de promouvoir :

– le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux ;

– le dialogue régulier en matière politique et sécuritaire, afin de favoriser la compréhension mutuelle, la coopération et les initiatives communes ;

– la coopération économique, commerciale et financière, visant notamment la libéralisation progressive des échanges, le développement durable de la région et les investissements ;

– la coopération sociale, culturelle et en matière d’éducation, particulièrement à travers le dialogue interculturel, l’organisation d’une migration circulaire, le développement des qualifications, la promotion du droit du travail ou l’égalité hommes-femmes.

Il faut distinguer ici le cas de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie, avec lesquels le partenariat a débuté dès les années 1970, et ceux de la Mauritanie et de la Libye, plus récents (9). 

Au début des années 1990, la fin de la guerre froide crée un contexte totalement nouveau. Face à la volonté de rapprochement des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et à leurs demandes d’adhésion, les PSEM réclament une relance de la coopération inter-méditerranéenne.

Elle est approuvée au cours d’une réunion UE/PSEM sous présidence espagnole tenue à Barcelone en novembre 1995, qui lance le nouveau partenariat euro-méditerranéen (EUROMED) élargissant la coopération aux nouveaux domaines de compétence de l’UE et favorisant un dialogue politique, en prévoyant :

– un appui aux réformes économiques, engagement de tous les participants en faveur de l’économie de marché ;

– un désarmement douanier, avec l’objectif du libre-échange en 2010 (en fait, des réductions tarifaires qui tardent à se concrétiser, l’Algérie ne comptant y parvenir qu’en 2020) ;

– une extension du champ de la coopération à des secteurs comme l’environnement, les transports, la coopération transfrontalière, qui concernent plus particulièrement le Maghreb.

Parmi les retombées concrètes de ce partenariat figurent par exemple l’établissement d’un plan EUROMED des grandes infrastructures de transport, en complément de la politique européenne des réseaux transeuropéens ; un plan de dépollution de la Méditerranée d’ici 2020, suivant les objectifs du Plan bleu ou encore la participation du Maghreb à la politique maritime intégrée.

Par contre, les promesses de coopération politique et d’essor de la démocratie ne se sont pas concrétisées. 

2. La politique de voisinage, principal outil de coopération avec les pays du Maghreb, révisé après 2011

Au début des années 2000, la perspective d’intégration de nouveaux Etats membres pose, à nouveau, la question de la politique à adopter vis à vis du voisinage sud de l’Europe.

À cet effet, l’Union européenne propose à 16 pays de la périphérie européenne (6 ex-républiques soviétiques et 10 PSEM) une nouvelle politique dite de voisinage (PEV). Elle leur offre de reprendre la plus grande partie de l’acquis communautaire, mais sans perspective d’adhésion : « tout sauf les institutions », selon la formule devenu célèbre de Romano Prodi. En fait l’ouverture est restrictive, puisqu’il n’est pas question de libre circulation des personnes (à cause des problèmes migratoires) ou d’allouer aux pays éligibles des aides aussi massives que celles offertes aux pays candidats.

Après 2011, la politique de voisinage au sud a été révisée afin de « soutenir les partenaires qui engagent des réformes en faveur de la démocratie, de la primauté du droit et des droits de l’homme, de contribuer à leur développement économique inclusif et de promouvoir un partenariat avec les sociétés parallèlement aux relations avec les gouvernements ». 

Le président de la Commission avait chargé le Commissaire Hahn, en charge du voisinage et des négociations d’élargissement, de conduire, d’ici à la fin 2015 et en lien avec la Haute représentante, une revue de la politique européenne de voisinage, prenant la forme d’une communication conjointe. 

La communication conjointe de la Commission et du SEAE se définit par un maître-mot : celui de la stabilisation du voisinage. La nouvelle politique de voisinage, qui s’inscrit dans le cadre de l’approche globale, a pour objectif de répondre aux causes profondes de l’instabilité, prenant avant tout en compte les besoins des partenaires. 

La nouvelle Politique Européenne de Voisinage (PEV) se décline autour de cinq piliers : 

– développement économique et création d’emplois : trois domaines sont prioritaires : le commerce, les PME et l’environnement des affaires, l’employabilité, et la promotion des partenariats pour la croissance (rassemblant secteurs public et privé) ;

– coopération énergétique : la communication rappelle les objectifs européens en matière d’efficacité énergétique, de diversification des sources d’approvisionnement, de promotion des énergies durables, de sécurité et de prévisibilité énergétique ;

– sécurité : la dimension sécuritaire constitue une innovation, l’objectif de la communication étant de définir des pistes permettant  de prévenir et gérer les crises, tout en renforçant les capacités des pays du voisinage. Les pistes évoquées sont la concentration des actions la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, la cybercriminalité, la lutte contre la criminalité organisée; la coopération en matière de politique de défense et la gestion des crises ;

– migrations : les propositions qui sont faites reprennent largement celles faites lors du sommet de La Valette (migrations circulaires, lutte contre les réseaux de trafiquants, réflexion sur l’ouverture des voies légales de migrations),  tout en proposant quelques avancées plus concrètes (annonce d’une révision de la directive sur la carte bleue européenne, mise en place de régimes préférentiels pour les pays du voisinage, création d’un nouveau fond de lancement fournissant des capitaux pour promouvoir la circulation des cerveaux) ;

– voisins des voisins : sans être très claire, la communication propose une approche au cas par cas dans les différents secteurs : économie, transports, énergie, tout en proposant de mettre en place des fora de dialogue (sous forme de réunions ad hoc). S’agissant de la dimension régionale, la mention des voisins des voisins est aussi mise en avant, notamment s’agissant de la Turquie, la Russie et des organisations régionales. La communication insiste sur la nécessité de renforcer l’intégration sud-sud et est-est et rappelle l’importance du cadre que constitue le Partenariat oriental. 

Des conclusions sur la PEV, qui reprennent en grande partie les positions de la France, ont été adoptées lors du CAE du 14 décembre 2015 et insistent notamment sur : 

– l’objectif de stabilisation du voisinage immédiat de l’UE ; 

– la préservation de l’unicité de la PEV, basée sur une plus grande différenciation et l’importance de son appropriation par les partenaires de l’UE; 

– l’importance du volet sécurité avec la reconnaissance du rôle joué par la fondation Anna Lindh en matière de dialogue interculturel, pour lutter contre la radicalisation ; 

–  la reconnaissance du rôle positif joué par l’UpM en matière de mis en œuvre de projets concrets dans des secteurs prioritaires ;

– la préservation dans le volet financier de la continuité et de la prévisibilité de notre assistance, qui sont les garanties implicites du maintien des équilibres financiers historiques (2/3 – 1/3). 

L’objectif de la nouvelle PEV, qui s’inscrit pleinement dans le cadre de la stratégie globale, est de répondre aux causes profondes de l’instabilité, en prenant avant tout en compte les besoins des partenaires. Les piliers identifiés que sont le développement économique et la création d’emplois, la coopération énergétique, la sécurité, les migrations doivent permettre à cette PEV renouvelée de répondre aux défis du voisinage, en particulier au Maghreb. 

La France a veillé dans le cadre de la revue de la PEV à ce que des principes essentiels soient préservés : unicité de cette politique avec deux sous-dimensions, est et sud, différenciationréactivité prise en compte des dimensions transversales (sécurité, migrations, lutte contre le terrorisme), maintien de l’équilibre budgétaire historique (2/3 sud 1/3 est)

De fait, au plan financier enfin, l’effort est substantiel. La programmation budgétaire 2014-2020 marquait déjà un accroissement de l’effort en faveur des pays du voisinage du Sud, 1,2 milliards d’euros ont ainsi été ajoutés aux 12 milliards engagés sur l’IEV sur la période 2007-2013. 

La Banque européenne d’investissement a accru sa capacité d’investissement pour le voisinage sud d’un milliard d’euros et la Banque européenne de reconstruction et de développement, dont le mandat se limitait à l’Europe de l’Est, a modifié ses statuts pour pouvoir effectuer des prêts au sud. 

Depuis la révolution  de 2011, l’aide accordée à la Tunisie, qui était déjà l’un des premiers bénéficiaires de l’aide européenne, a doublé. Le pays a bénéficié en outre d’un premier prêt de l’UE de 300 millions d’euros d’assistance macro-financière et un deuxième prêt de 500 millions d’euros cette fois a été annoncé au printemps dernier. La Communication conjointe de la Commission européenne et de la HR sur le renforcement du soutien de l’UE à la Tunisie et publiée le 29 septembre 2016 annonce le quasi doublement de l’enveloppe financière bilatérale de l’Instrument européen de voisinage (IEV) en 2017 qui atteindra 300 millions d’euros (contre 186 millions d’euros en 2016) et l’engagement à maintenir ce niveau d’ambition financière jusqu’en 2020, afin de soutenir les priorités tunisiennes du plan gouvernemental quinquennal. 

De son côté, le Maroc est  le premier bénéficiaire de la PEV. En 2015, des programmes ambitieux ont été mis en place par l’UE pour un montant de 218 millions d’euros. Ils visent à soutenir les secteurs de la santé (90 millions d’euros) et de la justice (70 millions d’euros). Le budget indicatif pour la période 2014-2017 se situe à près de 890 millions d’euros.

Depuis son lancement en 2004, la PEV a ainsi permis de financer des projets structurants au Maroc et en Tunisie, qui sont de véritables succès : on peut citer, en matière d’énergie renouvelables, le financement de la première phase de la construction de la centrale solaire de Ouarzazate (38 millions d’euros) ; en matière de transports, celui du réseau de tramway de Rabat (8 millions d’euros) ou encore celui du Réseau Ferroviaire Rapide de Tunis (28 millions d’euros).

En comparaison, l’Algérie ne bénéficie que peu des crédits européens (1,7 euros par an et par habitant programmés au titre de la période 2011-2013, soit quatre fois moins que pour le Maroc et sept fois moins que pour la Tunisie). Pour 2014-2020, les crédits IEV devraient s’élever entre 221 à 270 millions d’euros, dont 121 à 148 millions d’euros pour la période 2014-2017. L’essentiel de ces crédits (60%) devraient être consacrés à des programmes socio-économiques (réforme du marché du travail et création d’emplois, soutien à la gestion et diversification de l’économie).

3. L’UpM : l’unique enceinte de coopération régionale euro-méditerranéenne

L’Union pour la Méditerranée est aujourd’hui l’unique enceinte de coopération régionale euro-méditerranéenne. 

Lancée le 13 juillet 2008 dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, l’UpM avait pour objectif de donner un nouveau souffle au Partenariat euro-méditerranéen (Euromed), également connu sous le nom de Processus de Barcelone (établi en 1995), dont elle a repris les principaux acquis. L’UpM compte 43 membres: les 28 Etats membres de l’Union européenne et 15 Etats riverains de la Méditerranée.

Sous l’impulsion de son Secrétaire général, l’UpM a évolué pour devenir une véritable « agence de projets ». Lors du lancement de l’UpM, les chefs d’Etat et de gouvernement ont défini six domaines prioritaires

– la dépollution de la Méditerranée, 

– les autoroutes de la mer et les autoroutes terrestres, 

– la protection civile, 

– les énergies renouvelables, 

– l’enseignement supérieur et la recherche, 

– l’initiative méditerranéenne de développement des entreprises. 

Le Secrétariat de l’UpM a pour mission de mettre en œuvre des projets concrets dans ces domaines en visant à favoriser l’intégration régionale. Ces projets peuvent n’engager que certains pays (principe de géométrie variable) mais tous doivent bénéficier de l’approbation des 43 pays (principe de co-appropriation). 

47 projets ont été, à ce jour, « labellisés » par l’UpM dans les domaines de l’eau, des transports, de l’énergie, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’appui aux PME et de la société civile, représentant en volume près de 5 milliards d’euros.

La dernière réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UpM s’est tenue à Barcelone le 26 novembre 2015, à l’occasion des 20 ans du processus de Barcelone. Cette réunion, qui a été fortement marquée par les problématiques actuelles, au premier rang desquelles le terrorisme et les migrations, a permis de dégager un consensus sur la nécessité de pouvoir continuer à se réunir au niveau politique dans le cadre de l’UpM chaque année. Le Secrétaire général de l’UpM a par ailleurs été chargé d’élaborer une feuille de route pour l’UpM pour les années à venir, qui a fait l’objet d’un premier examen par les Etats membres début avril. 

Une conférence des ministres des Affaires étrangères de l’UpM devrait se tenir le 13 janvier 2017 à Barcelone. Une telle réunion pourrait permettre de faire le point sur les priorités politiques à se donner dans les années à venir.

4. Le Dialogue 5+5 : une instance de concertation informelle qui a fait la preuve de son efficacité

Le Dialogue 5+5 est le plus ancien cadre de rencontre entre pays du bassin méditerranéen. Ce cercle informel qui regroupe les pays de la Méditerranée occidentale (10) est aujourd’hui particulièrement apprécié de nos partenaires au sud. Initiative d’origine française, le Dialogue 5+5 a été lancé officiellement à Rome en 1990 avec l’objectif de favoriser la concertation intermaghrébine en contournant le blocage algéro-marocain, et de renforcer la concertation entre les deux rives de la Méditerranée occidentale

Deux co-présidents, choisis pour une période de 2 ans, organisent les travaux du dialogue 5+5 : pour la rive sud : le Maroc (jusqu’à la réunion de Marseille) ; pour la rive nord : la France (jusqu’à fin 2017)

Le Dialogue 5+5 a connu une nouvelle dynamique depuis la pause marquée lors des évènements de 2011. Les Ministres des Affaires étrangères du 5+5 se réunissent, depuis une dizaine d’années, sur une base annuelle. La France a pris le relais, lors de la réunion ministérielle des MAE tenue à Tanger le 7 octobre 2015, du Portugal à la co-présidence nord du Dialogue 5+5 (pour 2015-2017). Elle partagera pendant un an la coprésidence avec l’Algérie, qui a succédé au Maroc   le 28 octobre dernier. 

Les coopérations sectorielles du dialogue 5+5 concernent de nombreux domaines : défense, transports, éducation, enseignement supérieur et recherche, tourisme, agriculture, sécurité civile, environnement (eau), énergies. La co-présidence française aura pour ambition de développer un volet économique (commerce, finances), alors que le Maroc organisera la première ministérielle Santé. La Tunisie propose pour sa part de lancer cette année le 5+5 culture.

La France a co-présidé le 28 octobre dernier avec le Maroc, la 13ème réunion  du dialogue des ministres des affaires étrangères du 5+5 à Marseille. Les crises régionales et la lutte contre le terrorisme et la radicalisation ont été au cœur de cette réunion. La France a en particulier : 

– marqué sa détermination à agir collectivement pour faire face aux défis de la région, et au premier chef le terrorisme et la radicalisation;

– échangé sur les différentes crises régionales et marqué le besoin d’un renforcement du dialogue sur les enjeux sécuritaires; 

– mis l’accent sur la nécessité de répondre aux attentes de la jeunesse, en particulier en matière de formation et d’insertion professionnelle ;

– réaffirmé son ambition, à la veille de la COP 22 à Marrakech, de construire en Méditerranée un modèle de développement durable et créateur d’emplois ;

– marqué sa volonté de rechercher des pistes communes de réponse à la crise migratoire;

En vue de contribuer à stabiliser la région, les ministres ont fait le point sur les différentes crises régionales, et en particulier les crises libyenne et syrienne, l’Irak, le Sahel mais aussi le suivi de l’initiative française sur le processus de paix au Proche-Orient.

De manière générale, ce format de discussion est particulièrement prisé par l’ensemble de nos partenaires au sud, son caractère informel et politique permet de traiter des sujets qui ne pourraient l’être dans le cadre du dialogue bilatéral de chaque pays avec l’Union européenne.

B. DES AMBITIONS IMMENSES QUI SE HEURTENT À DES PROBLÈMES STRUCTURELS MAJEURS

1. Malgré un potentiel important, des résultats encore limités 

Après une décennie de mise en œuvre, et en dépit de son fort potentiel, la PEV a débouché sur des résultats plus limités que prévu. Certains vont jusqu’à souligner la « démesure » du projet, qui associe modernisation des économies, démocratisation des régimes et promotion de la paix dans la stabilité, sans priorisation des objectifs.

La politique de voisinage a débouché sur une diversification plus qu’une intensification de notre coopération. Elle englobe des thèmes de plus en plus nombreux, chaque Direction générale de la Commission ayant maintenant un « volet externe » de mise en œuvre de ses politiques dans les pays du voisinage. 

Même si le volet économique est celui qui a le plus avancé depuis le début du partenariat Euro-Maghreb, il n’a pas entraîné de modification en profondeur des relations économiques (faible progression du libre-échange) ni de forte croissance des flux budgétaires et financiers vers les pays éligibles. Les afflux des capitaux européens ont augmenté, mais pas aux niveaux observés dans les pays candidats d’Europe centrale ; surtout, les effets attendus de l’ouverture en termes de créations d’emplois sont lents à se concrétiser.

Enfin, le dialogue politique reste le parent pauvre de ce partenariat. Il faut y voir l’effet des « réticences de certains États membres à une intensification de la coopération sur des questions controversées (ouverture du marché européen à des produits dit « sensibles », gestion difficile des migrations) et de l’insuffisance des performances démocratiques dans les pays éligibles ». 

Sur les questions migratoires, la gestion de la PEV a tourné au marchandage : l’UE a accepté de libéraliser le régime de visas en échange d’accords de réadmission des immigrants illégaux, le Maghreb étant dans une situation particulièrement critique du fait de sa position géographique (transit de beaucoup d’immigrants illégaux) et de l’existence d’un courant migratoire soutenu vers la France et quelques autres pays de l’UE.

2. Un faible tropisme maghrébin au sein des Etats membres de l’Union européenne

Au sein de l’Union européenne, l’attention portée au Maghreb est variable et demeure largement tributaire de l’histoire et la géographie.

La France occupe une position particulière en raison de ses liens historiques, avec la région, ce qui est à la fois une chance et un handicap. Les autres États membres sont relativement méfiants : ils craignent un assujettissement de l’action communautaire à des objectifs purement français. On se souviendra en effet qu’Angela Merkel, soutenue par les États membres non méditerranéens, a combattu avec succès la tentative française d’une Union pour la Méditerranée (UPM) limitée aux pays riverains pour la faire rentrer dans le giron des politiques communautaires. 

Le « tropisme maghrébin » français est partagé par ses deux grands voisins méditerranéens (Espagne et Italie), qui ont d’importants intérêts économiques et commerciaux et des relations de proximité, l’une avec le Maroc, l’autre avec la Tunisie. Mais pour être des alliés de la France dans la promotion d’une politique volontariste de l’Europe au sud, l’Italie et l’Espagne n’en sont pas moins des concurents, notamment au plan économique. Le Maghreb est aussi dans une moindre mesure un enjeu pour le Portugal et Malte. La Belgique et les Pays-Bas ont aussi un intérêt, dans la mesure où une forte proportion de leur population immigrée est d’origine marocaine (400000 en Belgique, 460000 aux Pays-Bas).

L’Allemagne n’a pas de relation historique privilégiée avec le Maghreb, mais elle est son troisième partenaire commercial (après la France et l’Italie). Elle pèse on l’a dit, en faveur d’une « communautarisation » des relations qui favorise ses échanges avec la région.

Quant aux autres pays de l’Union européenne, ils n’accordent pas d’attention particulière aux pays maghrébins, et sont peu sensibles aux enjeux du sud, si ce n’est sous le prisme des migrations et questions sécuritaires. A la faveur de l’élargissement, leur poids au sein de la nouvelle Union à 28 s’est accru, et entraîné une nette préférence de la politique étrangère pour l’Europe orientale. 

3. Un manque de vision stratégique et de suivi politique à haut niveau 

Selon un certain nombre d’interlocuteurs de la mission, le suivi politique de la Politique de voisinage sud n’est pas toujours assuré au plus haut niveau. Une réunion informelle des ministres des affaires étrangères des Vingt-Huit et des huit pays partenaires du voisinage Sud actifs s’est tenue le 13 avril 2015 à Barcelone : cette réunion était la première sous ce format depuis 2008 et aucune déclaration conjointe finale n’a été formulée, par crainte d’un échec des discussions. Il est regrettable que ce type de réunion ne soit pas organisé à un rythme plus régulier et selon un agenda politique clarifié.

On observe de plus une perception inégale des problèmes maghrébins dans les instances européennes : le Parlement européen (PE) est plus sensible aux questions de principe (les droits de l’homme, la démocratie) que le Conseil (plus porté au réalisme). La Commission agit de manière diversifiée suivant ses politiques, où le Maghreb occupe une place variable. Il faut aussi compter avec la concurrence entre les 28 États membres, qui ont des priorités géographiques divergentes : chacun soutient les pays avec lequel il a les liens les plus intenses.

Enfin, le groupe des pays du Maghreb s’est constitué par soustraction, à la suite des élargissements successifs de l’Union européenne. Evidemment, cela tient au défaut d’intégration de la région évoqué en première partie, mais le format de la coopération élude la spécificité et la cohérence de cette région, tour à tour assimilée à la politique méditerranéenne de l’Union, ou à sa politique Moyen-Orientale.

Le succès du format 5+5 - dont il faut conserver le caractère informel - montre pourtant l’opportunité d’un format de coopération proprement euro-maghrébin au sein de la politique de voisinage par exemple. Ce cadre pourrait être adapté aux besoins spécifiques du Maghreb et à ses relations privilégiées avec l’Europe.  

4. Une absence de priorités politiques partagées

La notion d’espace euro-méditerranéen existe dans les discours, mais elle peine à s’incarner, principalement par manque de priorités politiques partagées par nos partenaires du sud.  

La principale critique de nos partenaires maghrébins vis-à-vis de la politique européenne au sud, est qu’elle se bornerait trop souvent à la projection des acquis internes. (11)

Les interventions communautaires fonctionnent suivant une logique très « européocentrique  », particulièrement affirmée dans la PEV du fait de sa parenté avec la négociation d’adhésion.

D’une part, la politique européenne est la projection des acquis internes (là où il existe une compétence communautaire) sur les pays tiers. D’autre part, l’approche « à la carte », qui implique la digestion d’une bonne partie de l’acquis communautaire, pose des problèmes d’adaptabilité et de gestion aux administrations des pays du voisinage, chargées de les appliquer. Il en résulte une capacité de mise en œuvre inégale : dans les documents de stratégie, les pays du Maghreb prennent un assez grand nombre d’engagements, dont la concrétisation se fait parfois attendre.

Tout en proposant à tous une reprise de l’acquis communautaire, l’Union a suivi une politique asymétrique : elle a offert l’union douanière, puis une perspective d’adhésion à un État en grande partie asiatique, la Turquie, tandis que les pays du Maghreb réputés non-européens n’ont pas vocation à rejoindre l’Union européenne.

Coté Maghreb, le dilemme semble devoir être pour l’heure entre plus ou moins de coopération avec l’UE. Malgré leurs efforts pour diversifier leurs partenariats, ces pays n’ont pas encore les moyens de s’écarter d’une orientation préférentiellement paneuropéenne. Pour les dirigeants, il s’agit d’exploiter au mieux les avantages de ce mariage de raison en termes économiques, mais aussi de légitimation symbolique. 

Le partenariat se heurte enfin à des obstacles structurels au sein des pays maghrébins, soulignés par le chercheur Jean-François Drevet. (12)

Tout d’abord, des obstacles qui tiennent à l’histoire et aux mentalités. Ainsi, par exemple, les initiatives en matière de sécurité sont perçus de façon ambivalente, comme en témoignent les craintes suscitées par les opérations Eurofor et Euromarfor ou récemment Sophia, la méfiance à l’égard de politiques soupçonnées de néo-colonialisme, et à la fois l’appétence pour une coopération accrue en matière de lutte contre le terrorisme. 

Les obstacles sont aussi d’ordre politique. Le volet politique du dialogue euro-maghrébin répond aux aspirations d’une partie de la population, selon Beatrice Hibou. « Mais son application réelle et complète aurait pour effet l’autonomisation d’acteurs économiques, la démocratisation et la baisse des inégalités qui pourrait remettre en question la monopolisation historique du pouvoir. »

Enfin, contrairement aux projets nationalistes des années cinquante et soixante ou même au projet régional des années quatre-vingt (construction de l'UMA) qui rencontraient une véritable adhésion populaire, le Partenariat euro- maghrébin et les accords d'association sont perçus comme un projet étatiste et élitiste. D'ailleurs, les populations n'ont en général qu'une très mauvaise connaissance de ce projet »

C. QUELLES PRIORITÉS POUR LE DIALOGUE ENTRE L’EUROPE ET LE MAGHREB ? 

1. L’urgence : renforcer les économies et rétablir des liens altérés par la crise de 2008

a. L’immense enjeu commercial

Depuis le début des révolutions arabes, la France a plaidé pour que l’Union européenne lance rapidement des négociations commerciales approfondies avec la Tunisie et le Maroc, visant à la consolidation des réformes conduites dans ces pays et à leur « arrimage » au marché intérieur européen.

Les propositions françaises ont débouché sur l’adoption par le Conseil de l’UE, le 14 décembre 2011, de mandats de négociation en vue d’accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA) avec quatre pays : le Maroc, la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte. La portée de ces mandats dépasse celle des accords de libre-échange (ALE) classiques, notamment du volet commercial des accords d’association conclus avec les pays de la région dans le cadre du processus de Barcelone (dit processus « Euromed ») (13), en visant un rapprochement des cadres juridiques locaux avec l’acquis communautaire, de manière similaire à ce qui est proposé aux pays du Partenariat oriental, dans le cadre de la politique européenne de voisinage. En cela, les ALECA doivent contribuer à l’intégration euro-méditerranéenne autant qu’à l’intégration régionale, à terme, entre les pays de la rive Sud de la Méditerranée.

L’option soutenue par la France, et qui a été retenue par la Commission, a toutefois été de négocier ces accords de façon distincte, plutôt que d’adopter un mandat « régional » décliné ensuite pays par pays, comme c’est le cas par exemple avec les pays de l’ASEAN. En effet, cela n’aurait pas été adapté à une réalité politique et commerciale hétérogène. Ces pays sont très différents : par leur taille, par leur démographie, par la structure de leurs économies et de leur commerce extérieur, par leurs priorités et leurs stratégies de développement. Des mandats « sur mesure », différenciés, étaient donc nécessaires, afin de montrer que l’Union européenne prend en compte les spécificités, attentes et besoins de chacun.

Quatre priorités ont été identifiées :

– un accent marqué sur les règles (concurrence, marchés publics, propriété intellectuelle, standards et normes sanitaires et phytosanitaires) ;

– un volet sur la promotion et la protection réciproque des investissements : conclure sur ce volet, dans le cadre de la nouvelle compétence de l’UE en matière d’investissement direct étranger (IDE) issue du traité de Lisbonne et selon le nouveau modèle promu par l’UE (Investment Court System, ICS), donnerait des garanties aux investisseurs des deux côtés de la Méditerranée. Il existe un intérêt évident à lancer de telles négociations avec des Etats qui ont déjà signé une vingtaine d’accords bilatéraux de protection des investissements (API) avec des Etats membres de l’UE. Un accord européen aurait l’avantage d’uniformiser les règles, sans préjudice du droit des parties de mener des politiques d’intérêt général (« droit à réguler »), notamment en matière sociale, environnementale et culturelle ;

– sur les services, l’UE a de forts intérêts offensifs, au vu du potentiel de développement, dans les pays de la rive Sud, de son offre notamment en matière de transports, de services financiers, de services postaux, de télécommunications ou de services de construction. Certains de ces pays ouvriraient pour la première fois leur secteur des services à des opérateurs étrangers (cas de la Tunisie par exemple). En retour, l’UE doit notamment s’attendre à des demandes sur les mouvements de personnes physiques prestataires de services (« mode 4 »), sujet sur lequel les négociations seront difficiles ;

– sur l’industrie, les ALECA sont l’occasion d’accélérer les négociations des accords sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels (ACAA) et d’aider à la création de filières industrielles euro-méditerranéennes fondées sur l'innovation.

Les négociations avec le Maroc ont été les premières à avoir été lancées, le 1er mars 2013. Un 4ème cycle de négociation a eu lieu en juillet 2014, dans un contexte de montée des contestations contre le projet d’accord dans le secteur privé. Les négociations ont depuis lors été momentanément suspendues et le 5ème round ne s’est toujours pas tenu. Le Maroc a lancé cinq études d’accompagnement, afin d’identifier les secteurs dans lesquels il souhaite reprendre l’acquis communautaire et préciser ses demandes d’assistance technique. La France a insisté auprès des autorités marocaines sur la nécessité de bien communiquer sur ces études (à ce stade, seuls leurs résultats ont été présentés à la Commission, à Rabat le 18 mai 2015) et de ne pas les présenter comme justifiant un gel ou une suspension des négociations.

L’Union européenne et le Maroc ont par ailleurs déjà conclu un accord agricole, entré en vigueur en octobre 2012, un accord de pêche, entré en vigueur en juillet 2014, et un accord sur la protection des indications géographiques (IG), conclu en janvier 2015, non encore mis en œuvre (14) .

Dans le contexte issu de l’arrêt du Tribunal de l’UE (TUE) du 10 décembre 2015 sur la non-application de l’accord agricole au Sahara occidental, il est peu probable que la 5ème session de négociation de l’ALECA se tienne à brève échéance (même si le Conseil de l’UE a fait appel de cet arrêt le 18 février 2016, en demandant une procédure accélérée, permettant un rétablissement des contacts UE-Maroc en mars 2016).

Les négociations avec la Tunisie ont été lancées le 13 octobre. La première session formelle de négociation, qui s’est tenue du 18 au 22 avril 2016, à Tunis, a permis d’entrer dans la substance. Elle a porté sur tous les domaines de négociation (à l’exception de l’énergie, en l’absence de l’expert tunisien). L’ambition affichée du côté tunisien est une conclusion d’un accord en deux ou trois ans, alors même que cette négociation suscite de fortes réticences au sein de la population et du secteur privé. C’est pourquoi l’objectif exprimé du côté européen est d’aboutir à une « démarche progressive, asymétrique et ambitieuse », selon les termes de Mme Sofia Munoz, négociatrice en chef (DG Commerce).

La deuxième session de négociation, initialement prévue en décembre, a été reportée sine die, à la demande de la partie tunisienne. Cette dernière souhaite notamment attendre les résultats de l’étude ex-post sur le volet commercial de l’accord d’association, ainsi que l’étude ex-ante sur l’ALECA, plus particulièrement sur les services et l’agriculture.

Parallèlement, l’UE a accordé à la Tunisie, à la suite des attaques terroristes de Tunis (18 mars 2015) et de Sousse (26 juin 2015), des mesures commerciales autonomes d’urgence, consistant en l’octroi unilatéral d’un contingent supplémentaire (15) de 35.000 tonnes d’huile d’olive à droit nul, pour une période de deux ans (du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017). Ce dispositif, adopté le 13 avril 2016, prévoit une clause de revue à mi-parcours et la possibilité de recourir à des mesures correctives.

Le SEAE et la Commission ont publié, le 29 septembre 2016, une communication conjointe proposant différentes mesures afin de « Renforcer le soutien de l’UE à la Tunisie » (programmes sectoriels pour contribuer à la mise en œuvre de l’ALECA, entrée en vigueur anticipée des concessions agricoles, ainsi que des règles d'origine préférentielles paneuro-méditerranéennes, octroi d’une dérogation limitée dans le temps pour certains produits, notamment).

De telles négociations ne sont pas envisagées avec l’Algérie. L’Union et l’Algérie ont conclu un accord d’association en 2002, dont la mise en œuvre par l’Algérie est problématique. Cette dernière a en effet adopté en loi de finances pour 2014, puis à nouveau en loi de finances pour 2016, des mesures contraires à l’accord. Elle a ainsi introduit, mi-janvier 2016, des obligations de licences d’importation dans plusieurs secteurs (automobile, ciment, agro-alimentaire). Les exportateurs européens manquent de visibilité, notamment dans le secteur automobile (16) . Alger souhaite par ailleurs rouvrir les discussions sur l’accès au marché agricole suite à l’adhésion de la Croatie à l’UE, ce qui n’est pas acceptable par l’UE. Plus largement, l’Algérie demande une évaluation générale de l’accord, faisant le constat que celui-ci serait très défavorable aux intérêts algériens.

Par ailleurs, l’Union européenne et l’Algérie négocient actuellement les modalités d’accession de l’Algérie à l’OMC. Ces négociations sont très difficiles, notamment parce qu’Alger refuse d’abandonner les plafonds de participations à l’investissement étranger (equity caps), qui constituent des barrières à l’investissement (aucune entreprise étrangère ne peut détenir plus de 49 % du capital d’une entreprise algérienne). Alger a toutefois adopté un plan national de lutte contre la contrefaçon et le piratage, qui constitue un signal positif en vue de son adhésion à l’accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC).

La mission suggère que la France s’efforce, au niveau européen, de :

favoriser la reprise des négociations des ALECA, en vue de la conclusion d’un accord ambitieux. La France doit aussi être capable de faire comprendre à ses partenaires européens qu’un minimum de souplesse est nécessaire dans la négociation de ces accords, compte-tenu de la situation économique des pays en question. Elle peut aussi soutenir la Tunisie dans la négociation d’un accord de libre-échange complet et approfondis ambitieux. Alors que le processus est lancé avec la Tunisie, la France ne doit pas ménager ses efforts pour qu’il puisse aller à son terme avec le Maroc. Ces deux accords formeront en effet les piliers de l’ouverture commerciale de l’UE aux pays de la rive Sud.

promouvoir l’idée que l’intégration Nord-Sud (ALECA, ACAA, convention pan-euro-med) doit s’accompagner de celle en format Sud-Sud via les différents instruments disponibles (accord d’Agadir, UMA).

b. Remédier aux fragilités mises à jour par la crise économique de 2008

La dépendance des économies du Maghreb à l’égard de l’Europe est très forte. Pour ne donner qu’un exemple parlant, l’Union européenne absorbe 78 % des exportations du pays, fournit 73% des investissements directs étrangers et assure 90 % des transferts de revenus vers la Tunisie. En somme, l’équivalent de deux-tiers du PIB tunisien dépend directement de l’Europe. 

Depuis 2008, la crise européenne et son impact au sud ont révélé cette dépendance mais aussi les problèmes structurels de chacun des pays du Maghreb, ainsi que le défaut d’interdépendance au niveau intra-régional.

Jusqu’en janvier 2011, les économies d’Afrique du Nord ont plutôt bien résisté à la crise.

C’est du moins ce qu’indiquent des taux de croissance en 2010 (3,7 % pour l’Algérie, 3,2 % au Maroc, 4 % en Tunisie). L’inflation a aussi été contenue, ainsi que l’endettement public, dans un contexte où celle-ci s’accélerait dans une Europe en stagnation, voire en récession. La crise financière a été quant à elle quasi indolore, en raison de l’absence de connexion des grandes places boursières internationales avec les marchés financiers maghrébins, mais aussi de l’absence de dérégulation des contrôles des changes. 

Il n’en reste pas moins que la crise européenne a eu des conséquences notables sur l’économie maghrébine.

Tout d’abord, elle a réduit les capacités d’endettement de la Tunisie et du Maroc en raison d’une difficulté d’accès aux financements étrangers (le cas du projet Renault-Tanger, à qui le retrait de Nissan a manqué d’être fatal en est une illustration)

La propagation de la crise européenne a de plus incité les banques au statu quo et renforcé les défauts des systèmes bancaires du Maghreb: difficulté d’accès au crédit et peu d’accompagnement des entrepreneurs. Enfin, la crise a reposé la question de la solvabilité de certains pays, notamment l’Algérie, dont la majorité des avoirs extérieurs sont placés en Bons du Trésor américains. Certains plaident ainsi pour une diversification des réserves et la création d’un fonds souverain.

Enfin, alors que les analystes saluaient la résilience du Maghreb face à la crise, peu d’attention a été porté aux signaux sociaux, à l’exclusion et aux inégalités qui ont pourtant en partie conduit aux soulèvements de 2011. Preuve que les indicateurs utilisés n’étaient pas assez représentatifs de la situation réelle des pays. 

La crise européenne a aussi affecté le dialogue euro-maghrébin, en révélant les faiblesses économiques de chacun, et en provoquant des réactions protectionnistes. 

En Algérie, la crise a révélé les difficultés d’une économie dépendante à la fois des hydrocarbures et de l’Europe. En effet, le ralentissement de l’économie mondiale a entraîné une baisse des exportations d’hydrocarbures pour l’Algérie, ce qui peut expliquer la tentation de freiner les importations pour limiter la baisse de l’excédent commercial. Le pays a cependant pu amortir les effets de la crise grâce à d’importantes réserves de change, qui ont notamment financé des investissements, mais surtout d’importants programmes sociaux (prêts préférentiels pour les jeunes notamment). Mais la réduction de ces réserves, alors même que les prix du pétrole ne remontent pas, pourrait poser à nouveau la question du modèle de développement et d’un diversification dans l’industrie et les services, souvent annoncées, jamais concrétisée.

La réaction pour l’heure est plutôt celle du protectionnisme: en 2009, la loi de finance remet en question l’ouverture initiée en 1995 (interdiction du crédit à la consommation, obligation de s’associer à un partenaire algérien propriétaire à 51% du capital de l’entreprise, obligation pour les importateurs de payer leurs fournisseurs en lettres de crédits). Afin de limiter la dégradation du déficit commercial, les autorités ont par ailleurs mis en place des mesures de restriction aux importations depuis le printemps 2015. Un régime de licence a été introduit en janvier dernier pour les véhicules (avec un quota de 83 000 unités, pour un marché de 405 000 véhicules en 2014, ce qui impacte fortement nos opérateurs), les ronds à béton, le ciment et les produits agricoles et agroalimentaires (à ce jour non assortis pour ces derniers de contingents quantitatifs). Les engagements extérieurs des banques ont été limités à 100% de leurs fonds propres, afin de limiter leurs émissions de lettres de crédit. L’Algérie a en parallèle demandé une réévaluation de l’Accord d’association signé avec l’UE, en vigueur depuis 2005 et déjà renégocié en 2010, tandis que son processus d’adhésion à l’OMC semble avoir été mis en sommeil. Si ces mesures ont eu une efficacité limitée sur les volumes importés (-6,4% en 2015 et -6,7% prévu en 2016 selon le FMI), elles ont en revanche largement contribué à détériorer le climat des affaires. L’Algérie a ainsi perdu 9 places au classement Doing Business entre 2015 et 2016, se situant au 163ème rang/189 (et 176ème/189 en matière de commerce international, contre 131ème en 2015).

En Tunisie et au Maroc, les exportations, le tourisme, les IDE, et les transferts venus d’Europe représentent les trois quart de l’activité économique, et sont autant de vecteurs de crise depuis 2008. Les exportations ont baissé de 20% entre 2008 et 2010, les recettes touristiques ont baissé de 10%. Pour ces deux pays, la crise a montré l’étroitesse du marché intérieur, qui n’a pu absorber la baisse des exportations. Le Maroc a tenté cependant de soutenir cette demande par une baisse de l’impôt sur le revenu et une revalorisation des salaires ou de l’accès au crédit à la consommation. La Tunisie a quant à elle fait appel à l’implantation d’entreprises étrangères, en tentant d’exporter des produits ou services à haute valeur ajoutée. Ces deux pays ont enfin, comme l’Algérie, été marqués par la baisse des transferts des migrants. 

La France pourrait ici orienter l’action européenne dans la région sur les axes suivants :

– approfondir la réflexion sur le changement de modèle de développement, ce qui doit passer par : un accroissement de la création d’emplois par remontée dans l’échelle de la spécialisation économique à l’échelle mondiale, par une diversification de l’économie, par un investissement massif dans les secteurs sinistrés de l’éducation et dans l’enseignement supérieur et la recherche, cela passe aussi par des mesures d’amélioration de la compétitivité.

La situation de l’emploi est particulièrement préoccupante, avec un secteur public qui demeure le principal pourvoyeur de travail, une augmentation du secteur informel qui représente parfois près de la moitié de l’économie, un nombre croissant de diplômés chômeurs et une paupérisation des salariés et des classes moyennes. 

L’accent mériterait d’être porté sur quelques points précis : la réforme fiscale et budgétaire ; nouvelle stratégie d’ajustement extérieur face à l’accroissement du déficit de la balance commerciale (politiques d’augmentation des exportations et pour attirer les investissements extérieurs, politique de colocalisation, mais aussi lutte contre la corruption) ;

– continuer d’apporter un soutien financier substantiel aux pays du sud : on observe l’accentuation d’une tendance au rééquilibrage vers l’est des financements qui remet en question la « règle » des 1/3 de financement pour l’est, 2/3 pour le sud.

En effet, le règlement de l’instrument de politique voisinage (IEV) ne prévoit pas de répartition financière entre l’Est et le Sud. Celle-ci dépend des priorités (thématiques) de l’UE figurant en annexe II du budget. Toutefois lors d’un COREPER dédié à la préparation du budget 2014-2020, la France a réussi à imposer un équilibre entre Est (1/3) et Sud (2/3).

Durant la négociation, en cours d’achèvement, du Plan d’investissement externe de l’UE (PIE), la Présidence slovaque a tenté de modifier l’équilibre au profit de sa zone d’influence. La France réussi, avec l’appui d’autres Etats membres, à faire prévaloir une formulation de compromis qui ne remette pas en cause cette répartition, s’appuyant notamment sur la situation des pays du Sud particulièrement affectés par la crise.

Il faudra toutefois être particulièrement vigilant et s’assurer du maintien de la règle du 2/3 1/3 après 2020.

– régler le problème des décaissements : l’Union européenne dépense des sommes importantes dans la région (on l’a vu, le Maroc est le premier bénéficiaire de l’instrument de voisinage, mais cela dit, ce n’est pas une question de moyens, mais un problème d’absorption et d’utilisation des crédits, qui est dû à des difficultés de l’administration, en expertise et en effectifs. 

L’exemple de la Tunisie est souvent cité. En 2014, au moins dix projets d’investissement avaient été identifiés, qui n’ont toujours pas vu le jour. Par exemple, le projet de Gafsa de construction d’un hôpital doit faire face à des pesanteurs dans l’administration : l’argent est prêt à être décaissé, mais le projet n’avance qu’à petits pas.  Il faut donc à tout prix régler le problème des décaissements, c’est-à-dire la capacité d’absorption par la Tunisie des sommes avancées par les bailleurs internationaux.

c. Promouvoir le rôle de l’AFD dans le dialogue avec l’Union européenne et l’identification des priorités stratégiques de l’Europe dans la zone

L’AFD a une collaboration étroite avec l’Union européenne d’une manière générale. Cette orientation a été réaffirmée lors du CICID du 30 novembre. Les liens sont établis à plusieurs niveaux.

Tout d’abord à un niveau stratégique, l’AFD étant un des principaux bailleurs européens, elle discute avec la Commission des orientations stratégiques et instrumentales.

Le principal interlocuteur de l’AFD pour le Maghreb est la DG NEAR, à l’exception de la Mauritanie qui est rattachée à la DG DEVCO. L’AFD a donc des échanges réguliers avec les services de Bruxelles pour discuter des priorités stratégiques pour la région, échanger sur les modalités techniques et contractuelles de collaboration et participer à la coordination entre bailleurs européens, sous l’égide de la Commission. Dans ce cadre pour cette sous-région, l‘AFD est par exemple très active pour favoriser une accentuation des interventions en matière de développement régional et municipal, enjeu majeur pour le développement équilibré et la stabilité de ces pays.

L’AFD a aussi une collaboration très opérationnelle avec les services de la Commission. En effet, étant accréditée par cette dernière, elle a la capacité de gérer des fonds pour son compte. En pratique, elle a géré globalement plus d’un milliard d’euros de subvention de l’Union européenne depuis 2008 et cette tendance s’accentue. Cette collaboration est particulièrement étroite au Maghreb.

L’AFD a une coopération particulièrement active avec l’Union européenne en Tunisie, au Maroc et en Mauritanie. La Commission européenne délègue un volume croissant de fonds à l’AFD pour financer des projets, volume qui dépasse très largement celui des ressources en don mises à disposition de l’AFD pour cette région par le gouvernement français. Cette délégation peut relever d’une logique de cofinancement ou de mixage prêt-don à travers les facilités régionales (FIV et AFIF).

En Mauritanie, l’AFD coopère et gère des fonds de la Commission dans les secteurs de l’eau, de l’assainissement et de l’énergie. En Tunisie et au Maroc, les fonds délégués à l’AFD portent sur une grande diversité de secteurs : assainissement, transports et aménagement urbains, appui au secteur privé ou encore formation professionnelle.

La mobilisation de dons de l’Union européenne permet d’apporter des financements plus concessionnels pour des projets d’ampleur mais aussi de renforcer les ambitions où la qualité de certains projets en mobilisant d’avantage d’expertise grâce à ces dons ou en présentant un caractère incitatif plus important pour la mise en oeuvre de mesures vertueuses.

Quelques exemples : programme de réhabilitation des quartiers populaires en Tunisie (délégation de de près de 60 M€ en don à l’AFD avec un ciblage plus volontariste sur les régions de l’intérieur) ; financement du tramway de Rabat (délégation de 5 M€ à l’AFD pour la mobilisation d’une assistance technique internationale garantissant la qualité du projet) ; soutien à l’adduction d’eau et à l’assainissement en milieu rural en Mauritanie (délégation de 11 M€ à l’AFD pour permettre une meilleure soutenabilité du projet et cibler les zones défavorisées).

Par ailleurs, l’AFD explore la possibilité d’une reprise de son activité de prêts en Algérie. Elle a donc un dialogue avec l’Union européenne pour envisager le moment venu des interventions conjointes. Enfin compte tenu du contexte, l’AFD n’intervient pas en Lybie à ce stade. A terme, elle pourrait envisager des interventions post conflit en mobilisant des ressources de l’Union européenne comme elle le fait au Moyen-Orient dans les pays limitrophes de la Syrie.

L’AFD travaille en effet sur une initiative « crise régionale syrienne » pour faire face au choc induit par l’afflux massif de réfugiés (4,8 millions dans tout le pourtour syrien) et préserver la cohésion sociale entre les différentes communautés affectées par les vastes mouvements de populations. Cette initiative assurera la transition entre l’action humanitaire et les projets de développement. Elle mobilisera des prêts concessionnels ainsi que des dons provenant de la Facilité pour l’atténuation des vulnérabilités et la réponse aux crises décidée par le CICID du 30 novembre, ainsi que des fonds de l’Union Européenne dédiés à la crise des réfugiés (fonds Madad et Facility for Refugees in Turkey). Les pays affectés refusent en effet de s’endetter pour financer des projets situés dans des régions avec une forte proportion de réfugiés, ou alors en dernier recours avec un mixage prêts-dons favorable.

2. Le non moins urgent : alerter nos partenaires sur les immenses enjeux de sécurité au voisinage sud de l’Europe

Récemment, les questions de sécurité n’ont cessé de monter en puissance : d’abord l’immigration, puis le crime organisé et maintenant le terrorisme. La multiplication des crises dans le voisinage sud de l’Union européenne, la détérioration de la situation au Sahel ou en Libye plaident pour le renforcement du volet stratégique de la Politique de voisinage dans cette direction, volet aujourd’hui quasi-absent.

a.  Lutte contre le terrorisme et résolution des crises

Comme l’a souligné la Haute représentante de l’Union européenne dès décembre 2015 devant les ministres des Affaires étrangères, « la menace grandit, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'UE ». La question des combattants terroristes étrangers devient « un énorme problème dans la majeure partie de la région Afrique du Nord / Moyen-Orient ». Six pays sont mis en avant comme représentants un risque majeur, dont les pays du Maghreb. Des mesures ont déjà été prises telles que :

– l’envoi d’experts sur place : dix experts sécurité ont été déployés dans les délégations européennes ; c'est déjà le cas en Tunisie (2 experts) au Maroc, ainsi qu’en Algérie.

– le dialogue politique national : le premier dialogue a commencé en Tunisie en septembre 2015, et a déjà permis de dégager un paquet de 23 millions d'euros pour un programme de réforme du secteur de sécurité. 

la coopération avec les organisations régionales : les pays de la Ligue arabe et l'UE se sont mis d'accord pour mettre en place un groupe de travail sur le contre terrorisme et institutionnaliser des rencontres bi-annuelles. Le dialogue stratégique entre l'UE et la Ligue arabe a été lancé le 25 novembre dernier. Parallèlement, un protocole d'accord a été conclu avec l'Organisation de coopération Islamique, incluant la sécurité et le contre terrorisme.

Ces efforts vont dans le bon sens, ils doivent être poursuivis et complétés par quelques améliorations :

le dispositif des sanctions pourrait « être amélioré, en réduisant le délai » entre l'adoption des listes noires de l'ONU et leur mise en œuvre dans le droit communautaire. Il faudrait surtout créer un cadre européen pour un « mécanisme de sanctions autonomes ».

– la mission estime également que la Libye doit être inscrite en haut de l’agenda politique. La politique de lutte contre le terrorisme devrait y être introduite dans la planification européenne.

– enfin, les efforts de prévention contre radicalisation en Afrique et de lutte contre la propagande en Europe et en Méditerranée mériteraient d’être intensifiés. Le Trust Fund Afrique pourrait être utilisé pour faire face aux facteurs de radicalisation et renforcer la coopération en matière de contre-terrorisme avec le Nord de l'Afrique. Ces fonds pourraient aussi financer des actions de déradicalisation.

Par ailleurs, pour lutter contre l'extrémisme violent, Federica Mogherini répète son intention de nommer un Conseiller en communication arabe pour toute la région afin de s'assurer que les positions européennes soient « correctement retransmises dans les médias arabophones de la région ». Elle table également sur un projet européen de contre-discours en coopération avec le Maroc, la Tunisie et le Liban. 

b.  Migrations 

Le Maghreb demeure un espace d’émigration tourné vers l’Europe, malgré une politique restrictive des visas à partir des années 1980. Cette polarité de l’espace européen est particulièrement forte pour les Algériens et les Marocains, un peu moins pour les Tunisiens (qui étaient nombreux en Libye) et pas du tout pour les Mauritaniens qui se sont dirigés en grande partie vers l’Afrique de l’ouest. Il faut noter cependant que la France n’est plus la principale destination, elle a été remplacée par l’Italie et l’Espagne.

Mais le Maghreb est surtout devenu pour les arrivants de l’Afrique subsaharienne une région d’immigration, qu’elle soit de transit, comme au Maroc ou en Mauritanie ou définitive, comme en Libye.

Le Maroc reçoit un petit nombre d’immigrants (80 000 résidents réguliers en 2012) et un nombre bien plus important de clandestins originaires d’Afrique subsaharienne, en grande partie en transit vers l’Espagne. C’est pourquoi il occupe une position-clé dans la régulation des migrations vers l’UE.

L’Algérie reçoit des immigrants réguliers, chinois dans la construction et indiens dans l’industrie métallurgique. Ceux de l’Afrique subsaharienne sont des irréguliers (72 000 sont refoulés chaque année aux points de passage avec le Mali et le Niger), mais le nombre des personnes installées est inconnu.

La Tunisie a attiré des immigrants africains (étudiants, employés de la Banque africaine de développement lors de son transfert d’Abidjan à Tunis) et reçoit une partie des migrants de l’Afrique subsaharienne qui ont transité à travers la Libye. La majorité d’entre eux souhaite continuer vers l’Europe et cherche à passer en Italie. En 2011, s’y est ajouté une population importante de Tunisiens candidats à l’émigration irrégulière vers l’UE.

Pays d’immigration depuis les découvertes pétrolières, la Libye a connu une politique assez fluctuante (avec des phases d’expulsions brutales), qui n’a pas été sans conséquence sur les pays voisins, sans compter les effets de sa situation chaotique actuelle.

Après avoir été au cours des années 2000 un pays de transit pour les immigrants illégaux désireux d’entrer dans l’UE par les Canaries, la Mauritanie accueille actuellement une importante population de réfugiés chassés des pays voisins par les conflits.

Au cours des dernières années, notamment à partir de 2008, la gestion des flux migratoires a pris une importance croissante dans la gestion de la politique de voisinage. Elle a pris la forme d’un « partenariat pour la mobilité », qui sert de support à des accords bilatéraux (conclu avec le Maroc en 2013 puis avec la Tunisie la même année). La réforme de la politique de voisinage de 2011 a introduit l’attribution d’un nombre accru de visas, notamment pour les courts séjours, aux ressortissants des pays de départ ou de transit, en échange de la signature et de la mise en œuvre d’accords de réadmission des migrants illégaux (de leurs nationaux, mais aussi des migrants en transit). En 2000, dans les accords de Cotonou (qui s’appliquent à la Mauritanie), une clause de maîtrise des flux migratoires a été introduite.

En tant que zone d’émigration polarisée vers l’Europe, le Maghreb est particulièrement concerné par l’évolution de cette politique.

Cette politique a eu pour effet de changer fondamentalement la politique migratoire des pays maghrébins qui s’y sont adapté en « tournant le dos à l’Afrique sub-saharienne ». La mission a ainsi rencontré en Mauritanie la secrétaire d’Etat aux affaires étrangères qui a insisté sur les difficultés diplomatiques rencontrées par son pays avec ses voisins du fait de cette politique migratoire impulsée par l’Europe.

Par ailleurs, le Maghreb, qui était un espace de transit pour les migrants subsahariens cherchant à atteindre l’Europe, a cessé de l’être dans sa partie occidentale. En réalité, les flux n’ont pas disparu, mais ils se sont déplacés, ce qui ne fait pas la preuve de l’efficacité de notre politique européenne (à partir de 2009, le nombre de migrants débarquant dans le sud de l’Italie a doublé en quelques années). Seule la Libye est aujourd’hui un point de départ de migrants, mais la voie occidentale, de Gibraltar et des Canaries, s’est tarie.

La mission souhaite souligner ici que la crise migratoire en Méditerranée ne connaîtra pas de réponse durable sans stabilisation de la Libye – on constate en effet que les pics de migration ont correspondu en 2014 et 2015 à l’aggravation du conflit civil – ce qui suppose a minima l’existence d’un gouvernement libyen légitime, doté des moyens de contrôler son territoire et ses frontières. Même si le passage à la phase 3 de l’opération Sophia est approuvé par les autorités libyennes légitimes, il faudra s’appuyer sur les autorités locales des côtes libyennes pour éviter les trafics, notamment en Tripolitaine où les conseils locaux sont les seules autorités disposant d’un semblant de légitimité et d’autorité.

Par ailleurs, les routes du Niger et de l’Afrique occidentale transitent pour la plupart par les zones de peuplements Touaregs et Toubous (17). Les frontières sont si étendues que les communautés qui vivent aux frontières de la Libye n’abandonneront leur source de revenu que s’ils ont une alternative. Une association plus étroite de ces derniers au processus de décision politique constituerait un levier efficace dans la lutte contre les trafics d’êtres humains.

Surtout, à long terme, il faut réfléchir à une politique euro-africaine visant à favoriser les mobilités dans le bassin sahélo-saharien. La crise migratoire à laquelle l’Europe peine aujourd’hui à faire face ne trouvera pas sa réponse dans la fermeture de la frontière méditerranéenne, devenue la plus meurtrière au monde, Elle ne sera pas non plus résolue par une simple externalisation des politiques migratoires aux pays de transit – qui pose non seulement des problèmes humanitaires, mais ne garantit en rien la stabilité des flux, l’augmentation des départs de Libye avec sa déstabilisation l’a montré.

Les chiffres montrent en effet que la simple politique d’endiguement des flux est coûteuse et inefficace. Le tarissement des flux migratoires en Méditerranée orientale (Maroc-Espagne) a généré leur déplacement progressif vers la voie médiane (Libye-Italie-Malte).

Ces politiques sécuritaires ont un coût, qui augmente avec leur renforcement récent. Mais elles se sont accompagnées d’une hausse continue de la mortalité sur la frontière méditerranéenne.

Il faut au contraire comprendre les déterminants des migrations économiques pour y apporter une réponse efficace. L’Europe n’est qu’une destination par défaut, qu’un choix de second rang pour la majorité des migrants qui pourtant risquent leur vie pour rejoindre les côtes européennes.

Par conséquent, la stabilisation de la Libye, pays riche au demeurant et habitué à accueillir une nombreuse main d’œuvre étrangère, participerait du règlement de la crise migratoire. Surtout, si des possibilités de circulation régionale sont rétablies, les flux ne se dirigeront plus prioritairement vers l’Europe.

Selon Karim Ben Cheïkh, chargé de mission au CAPS, la séquence politique qui s’est ouverte au sommet de la Valette, les 11 et 12 novembre 2015, offre l’occasion de porter des propositions plus ambitieuses et une réponse plus crédible à la crise migratoire.

Le bassin sahélo-saharien doit redevenir un espace de mobilités et d’échanges économiques. Ce que nous nommons aujourd’hui la bande sahélo-saharienne était autrefois un point névralgique des échanges africains. Les pays sahéliens ont perdu ce rôle central depuis que les pays du Maghreb se sont plutôt tournés vers l’Europe, ce qui a entraîné la marginalisation et les difficultés politiques du Niger ou du Mali. Il serait possible de rétablir un espace de libre circulation légal entre le Maghreb et le bassin sahélo-saharien, et de réinvestir les anciennes routes de l’échange par de l’économie formelle, pour enfin redonner au Sahel sa position centrale dans une zone partagée entre deux ensembles institutionnels sous-régionaux que sont la CEDEAO et l’UMA.

c.  La montée en puissance des dimensions atlantique et saharienne en matière de sécurité

Par rapport à la vision classique méditerranéenne du Maghreb, l’évolution récente fait émerger une conception plus large, qui englobe une grande partie des 5 pays du « grand Maghreb » et donne une importance grandissante à leurs dimensions atlantique et saharienne.

● La dimension atlantique

Si la France, l’Espagne et le Portugal n’ont jamais perdu de vue que le Maroc avait une façade atlantique, l’Union européenne a parfois considéré le Maghreb comme uniquement tourné sur le bassin méditerranéen.

Au niveau européen, les sujets atlantiques sont traités en liaison avec les régions qualifiées d’ultrapériphériques – les archipels ibéro-atlantiques (Açores, Madère et Canaries) et les territoires d’outres mer français. Pourtant, ces territoires sont proches de l’Afrique de l’Ouest et en lien avec les pays du Maghreb. Cette proximité est aussi bien source d’opportunités économiques (exploitation des ZEE, pêche, avec la signature d’accords avec le Maroc et la Mauritanie) que de problèmes tels que l’émigration clandestine, les trafics de drogue ou le terrorisme.  

Il est essentiel que ces dimensions soient prises en compte dans le dialogue de l’Union européenne et des pays du Maghreb.

● La dimension saharienne

Il faut enfin relier la coopération en matière de sécurité avec le Maghreb aux enjeux de son propre sud, dont l’impact sur la sécurité de l’Europe peut être considérable. Tous les responsables politiques rencontrés par la mission ont exprimé leurs plus grandes inquiétudes quant à la situation de la bande sahélo-saharienne.

En 2011, le Service européen d’action extérieure (SEAE) a publié une communication en vue de la mise au point d’une stratégie globale pour accroître la sécurité et le développement du Sahel, qui couvre à la fois les questions de développement économique, de gouvernance, de réponse aux problèmes communs que sont le développement exponentiel des trafics et la menace terroriste.

Cela va dans le bon sens, mais les moyens ne sont pas suffisants et l’appui politique trop prudent. Compte tenu de l’ampleur des menaces, il y aurait avantage à impliquer les pays du Maghreb à la stratégie européenne de stabilisation du Sahel, point sur lequel la France doit impérativement mobiliser ses partenaires européens.

3. Dialogue politique : comment construire l’espace de « paix et de justice » invoqué par la conférence de Barcelone? 

Au plan politique, le dialogue de l’Europe et du Maghreb se caractérise par une succession d’initiatives du Nord vers le Sud, en fonction des impératifs géostratégiques et domestiques du moment : accords économiques bilatéraux après les indépendances ; processus de Barcelone après la fin de la guerre froide, politique de voisinage après l’élargissement de 2004 ; révision de cette politique et accent porté sur la sécurité et les migrations aujourd’hui.

Les pays du sud, n’étant jamais à l’initiative, semblent avoir « du mal à se définir comme des partenaires à même de participer aux processus de décision et d’élaborer, en collaboration avec les pays européens, les éléments d’un projet commun ».

De plus, la position de l’Union européenne n’est pas dénuée d’ambiguïtés. Longtemps, la politique étrangère de l’Union européenne s’est accommodée d’un dialogue avec les régimes autoritaires au nom du principe de non-ingérence et de stabilité de son voisinage. Cet état de fait a changé à partir de 2011. Sont en effet apparus au grand jour les potentiels désavantages de cette position (pauvreté de masse, soulèvements politiques, migration illégale, trafics mafieux,).

Si le soutien de l’Union européenne à la démocratisation du Maghreb a pu souvent sembler rhétorique et appliqué à géométrie variable, les évènements de 2011 pourraient infléchir le cours de l’histoire. On peut de plus faire valoir que le souhait affiché par l’Europe de mettre en place une zone de libre-échange avec son voisinage sud ne se fera pas sans la consolidation de l’état de droit avec la reconnaissance d’une forme de liberté économique, ou encore le respect de la propriété privée. 

On l’a vu, au lendemain des événements qui ont secoué le monde arabe en 2011, deux documents ont été publiés par la Commission européenne en mars et mai de la même année, afin de refonder les relations de l’Union avec la Méditerranée, qui prennent en compte cette exigence démocratique. Les critères de Copenhague sont de plus en souvent repris dans les documents de coopération, bien que les pays ne soient pas candidats à l’Union européenne. Leur rappel a longtemps été sans grande conséquence, mais depuis 2001, ils ont pris une importance nouvelle.

L’introduction d’une forme de différenciation au sein de la politique de voisinage, en fonction de l’avancement des pays, va aussi dans ce sens. À cet effet, la Commission a proposé un « soutien ciblé à la mutation démocratique », « un partenariat étroit avec la population », notamment un appui à la société civile, que les régimes déchus avaient découragée, en offrant un supplément à l’existant (« more for more »). 

L’attitude des pays maghrébins à l’égard du dialogue politique est variable: le Maroc a entrepris des démarches actives en faveur de la démocratisation et de la modernisation de la société avec l’appui de l’Union européenne, on pourra notamment citer la levée des réserves sur un certain nombre de conventions sur les droits de l’homme ou la réforme du code de la famille en 2004, la lutte contre la torture, la Tunisie est également engagées dans un dialogue politique plus intense avec l’Union européenne, l’Algérie dans une moindre mesure. 

Le principe du « more for more » (18) , ou conditionnalité renforcée, à laquelle certain de nos partenaires portent un attachement légitime, peut être perçu par nos partenaires au sud comme infantilisant et s’avérer contre-productif. Enfin, si la Méditerranée des projets doit être consolidée et soutenue, elle ne peut faire office de politique euro-méditerranéenne. 

La mission estime judicieux d’insister sur la conditionnalité et la différenciation des pays, tout en ayant une démarche pragmatique, qui permette à chaque pays de mener des réformes selon le rythme qui est lui est propre. Le statut de partenaire avancé du Maroc et de la Tunisie est particulièrement propice au renforcement du dialogue politique. Il en fait progressivement des partenaires aussi proches de l’UE que l’est actuellement la Turquie. Cette voie doit aussi rester ouverte pour les autres pays de la région. 

Certes, la coordination dans la lutte contre le terrorisme, la stabilisation politique en Afrique du Nord et au Proche-Orient, la gestion des flux illégaux de migrants en provenance des pays du voisinage Sud ou transitant par leur territoire sont des questions cruciales.

Mais l’Union européenne aurait tort de croire pouvoir imposer son seul agenda à des pays confrontés à des défis qui leur sont propres et qui ont noué des partenariats solides avec d’autres acteurs tels que la Chine ou les pays du Golfe. L’expérience tunisienne montre que, en plus d’être appuyée sur des moyens budgétaires crédibles, la Politique de voisinage doit reposer sur une approche globale des besoins – éducatifs, économiques et sociaux – des populations.

Enfin, le dialogue culturel et sociétal mériterait d’être intensifié. La puissance ne se mesure pas seulement à l’aune des moyens économiques ou militaires, elle est aussi fonction du poids idéologique. La validité du modèle européen est aujourd’hui de plus en plus questionnée sur la rive Sud, avec la montée des mouvements populistes et xénophobes partout en Europe.

Il faut aussi mobiliser tous les acteurs du changement : les sociétés civiles et les collectivités locales n’ont pas été assez être consultées dans leurs diverses composantes, ni associées à la mise en œuvre de la PEV, alors même qu’elles peuvent jouer un rôle moteur dans les transitions politiques soutenues par l’Union européenne.

Il faut ici insister sur l’importance de consolider et valoriser l’action de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures (voir encadré).

La Fondation Anna Lindh

Créée en 2005 à Alexandrie dans le cadre du troisième volet du processus de Barcelone, « social, culturel et humain », la Fondation Anna Lindh (FAL) pour le dialogue des cultures a pour mission de promouvoir le dialogue interculturel et le respect de la diversité, en vue de favoriser la compréhension mutuelle. Elle doit servir de catalyseur pour promouvoir les échanges, la coopération et la mobilité des personnes à tous les niveaux, en visant plus particulièrement les jeunes et leurs activités. Cette fondation, qui rassemble 42 Etats euro-méditerranéens, intervient ainsi dans les domaines de l'éducation, de la culture, de la science et de la communication, ainsi que sur des thèmes transversaux tels que les droits de l'Homme, le développement durable, les femmes, l’égalité des sexes et la jeunesse.

La FAL a pris une importance accrue depuis la création de l'Union pour la Méditerranée (UpM) dont elle est devenue l'opérateur culturel, et s'efforce, dans cette nouvelle fonction, de réduire le fossé culturel et humain qui s'est creusé entre l'Europe et les pays du Sud de la Méditerranée.  Elle s'appuie pour fonctionner sur un réseau de « réseaux nationaux » de 4 000 organismes, la plupart issus de la société civile (57% ONG, 8% des institutions publiques, 11% des fondations, 4% des sociétés privées).

Le réseau français compte 246 organisations, parmi lesquelles l’Institut du Monde Arabe, l’EHESS, la Fondation René Seydoux, la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, l’Académie des Sciences, ou encore le Musée des Civilisations de l’Europe et la Méditerranée.

Organisation intergouvernementale, la Fondation Anna Lindh est cofinancée par la Commission européenne et par les Etats de l’Union pour la Méditerranée. Sur la période 2005-2014, ces derniers ont ainsi versé 16,6 millions d’euros, la Commission contribuant à hauteur de 21,2 millions d’euros, pour un budget total de 37,9 millions d’euros.

Trois axes principaux d’action pour la Fondation ont été définis :

– accroître la visibilité de la FAL et sa participation à tous les événements et travaux qui, à travers son réseau, peuvent aider à lutter contre les discours de haine et la tentation du repli identitaire.

– développer des partenariats : cela est déjà le cas avec l’OSCE, l'Unesco, l'Union pour la Méditerranée, le Club de Madrid, l'Institut français, le British Council et le Conseil de l'Europe.

– prendre des initiatives au sein de la FAL, fondées sur l’expertise et le savoir-faire de la Fondation.

Plusieurs projets ambitieux ont été lancés par la Fondation :

– lutte contre la radicalisation / produire et diffuser un contre-discours face aux extrémistes : le programme Young Arab Voices, conduit depuis 2011 avec le British Council, a directement impliqué près de 13 000 jeunes (90 000 indirectement) dans des activités de dialogue et de formation au débat. Ce réseau est aujourd’hui le mieux positionné pour produire un contre-discours positif, constructif et crédible sur ce qui unit le Nord et le Sud de la Méditerranée. La Fondation prévoit d’investir davantage dans la formation de ces jeunes ambassadeurs du dialogue (avec le soutien renouvelé du Foreign Office britannique, qui apportera près d’un million d’euros à partir d’avril 2016), et d’utiliser davantage internet et les réseaux sociaux pour véhiculer ce contre-discours.

– projet d’Erasmus des associations : présenté fin janvier au président de la Commission européenne, ce projet vise à promouvoir la mobilité des jeunes qui se sont impliqués dans le dialogue régional et mobilisés dans l'action  associative (permettre aux jeunes du Sud de se rendre dans les associations du Nord, et inversement). Cela implique non seulement de faciliter l’obtention de visas pour ces jeunes, mais aussi de leur octroyer des bourses. La Commission européenne pourrait ici avoir un rôle à jouer.

– conférence sur la promotion de la traduction (Slovénie en juin 2016) : partant du constat que la pensée arabe est trop peu connue en Europe, il s’agit de rassembler les éditeurs intéressés et créer des liens entre les institutions chargées de la traduction. Cette conférence se situe dans la lignée d'un vaste projet sur la traduction que la FAL mène depuis 2011, auquel nous avons fortement contribué et que nous avons initié.

– forum triennal à Malte (octobre 2016), qui a porté sur quatre problématiques : comment mieux comprendre les fondamentaux culturels, comment développer l’égalité des genres, comment bâtir un développement durable, incluant la protection de la planète, et favorisant l'emploi des jeunes et des femmes, par le biais notamment de l'entrepreneuriat social, comment améliorer la mobilité entre les deux rives de la Méditerranée.

Cependant, les moyens de la Fondation ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le budget pour la phase IV (2015-2017) s’élève à 13 millions d’euros (soit environ 4,3 millions d’euros par an).

La France, qui est le quatrième plus important contributeur au budget de la Fondation (500 000 euros pour 2005-2011 et 750 000 euros pour 2011-2014, soit 250 000 euros par an) – doit mobiliser ses partenaires européens pour y remédier.

4. Le renforcement de l’intégration sub-régionale : des efforts qui doivent être poursuivis pour favoriser une intégration régionale à géométrie variable

La mission s’est entretenue au Maroc avec M. Taïeb Baccouche, secrétariat général de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Il a reconnu que l’UMA pouvait sembler, de l’extérieur, « en hibernation ». Il reconnaissait les difficultés de sa tâche, mais il identifiait également des opportunités importantes.

Selon son secrétaire général, l’objectif de l’UMA demeure le même : favoriser l’intégration maghrébine. Il était conscient du problème persistant du Sahara, qui demeurait du ressort des Nations Unies et des relations bilatérales entre États. Toutefois, il y avait des chantiers importants à lancer. M. Baccouche souhaitait s’inspirer de l’expérience européenne, en commençant par les questions économiques. L’économie, l’éducation et l’enseignement, le domaine culturel et la lutte contre le terrorisme constitueraient ses priorités. Dans ce dernier domaine, le SG a souligné l’importance d’établir une stratégie commune au niveau du 5+5, telle que l’UMA l’avait proposé lors du dernier 5+5 Affaires étrangères à Tanger, en octobre 2015, et qui avait suscité peu de réactions de soutien de la part des délégations.

S’il ne faut pas s’illusionner sur les perspectives d’une intégration régionale plus poussée, il n’est pas interdit d’y travailler. A ce titre, plusieurs pistes peuvent être étudiées :

– rehausser les relations de l’UMA et de l’UE, insuffisantes à ce stade. M. Baccouche a regretté, à cet égard, que l’UMA n’ait pas été invitée au dernier sommet européen ;

– utiliser le levier de la conditionnalité mise en place à l’occasion de la réforme de la politique de voisinage pour favoriser l’intégration régionale. Interrogés par les députés, les chefs de service de la DUE à Rabat, comme dans les autres capitales européennes, ont confirmé leur difficulté à travailler dans un format régional avec les pays du Maghreb, en raison de leur manque d’intégration. Le Maroc était davantage demandeur de coopération triangulaire avec l’UE et les pays de l’Afrique occidentale ;

soutenir la montée en puissance de l’UpM comme opérateur principal de la politique de voisinage au sud. La France doit convaincre ses partenaires européens de l’intérêt de faire de l’UpM le bras armé de sa politique régionale au sud, mais d’ores et déjà la communication précise que « l’UE accordera la priorité à l’UpM, chaque fois que les conditions s’y prêteront, dans le cadre de ses efforts de coopération régionale », ce qui constitue une accroche minimale. En revanche, rien ne figure sur la nécessité de doter le SG de l’UpM des moyens lui permettant de devenir une agence de projets ou de délégation de la gestion des crédits IEV ;

il faut s’interroger sur les potentialités d’une intensification des relations dans le bassin occidental de la Méditerranée, dans un cadre à privilégier, qui regrouperait les pays les plus motivés sur des projets à dimension territoriale et sécuritaire. Si cette coopération devait s’accroître, faudrait-il l’insérer dans le cadre communautaire, en tant qu’espace privilégié de coopération transnationale, avec des perspectives qui ne seraient pas offertes aux autres PSEM ? Le caractère informel du dialogue 5+5 doit être conservé, mais il pourrait être judicieux d’isoler les pays du Maghreb au sein de la politique de voisinage pour prendre en compte leurs besoins spécifiques.

D. QUELLES LIGNES D’ACTION POUR LA FRANCE ?

Au-delà de la relance des relations Euro-Maghreb, où la France a vocation à jouer un rôle central, la mission souhaite insister sur quelques points d’importance dans nos relations bilatérales avec les pays du Maghreb.

1. Dialogue politique : rééquilibrer les termes de l’échange

a. Mieux connaître le Maghreb : un sous-investissement intellectuel dans la région fortement préjudiciable à la France

Selon Hubert Védrine, entendu par la mission, « il faut se garder de l’idée que nous savons tout sur le Maghreb. Notre degré de connaissance du Maghreb a considérablement baissé depuis les indépendances, nous avons vécu sur un stock de connaissances qui n’ont pas toutes été réactualisées. »

Selon nombre d’interlocuteurs de la mission, nous ne connaissons que la partie de la société qui est connectée à la France, et plus largement au monde occidental, qui n’est pas représentative de l’ensemble de leurs sociétés, mais notre analyse de la société en profondeur a perdu de son acuité.

Il faudrait donc fournir un effort de réinvestissement intellectuel du Maghreb. Gilles Kepel fustige ainsi « la politique désinvolte de destruction des études sur le monde arabe et musulman - la fermeture, par Sciences-Po en décembre 2010, le mois où Mohamed Bouazizi s’immole par le feu à Sidi Bouzid, du programme spécialisé sur ces questions est l’exemple le plus consternant : ont été éradiqués des pans entiers de la connaissance »

Le réseau d’écoles et de chercheurs français, en France et à l’étranger, sont un trésor de science et de connaissance qu’il faut préserver, car ils sont les dépositaires de notre légitimité dans cette région. Comme évoqué en introduction, la création de chaires spécialisées dans les universités, le financement de laboratoires de recherche ou encore de think tank spécialisés dans les questions maghrébines sont autant d’efforts dont nous ne pouvons faire l’économie.

Il faut aussi plaider pour que dans l’attribution des bourses, les moyens des Alliances et des lycées français, mais aussi la coopération et les échanges culturels et universitaires, la spécificité du Maghreb soit entendue.

Enfin, les diasporas constituent un précieux trait d’union entre nos sociétés, ainsi qu’un levier d’influence pour la France, notoirement sous-exploité. 

Il faut ici rappeler la force et l’ancienneté des liens humains qui unissent le Maghreb et la France. Ainsi, la communauté française au Maroc compte 48 800 personnes établies de façon permanente – dont 49 % de binationaux. Près de 20 000 y résident une partie de l’année. La communauté marocaine en France compte 1 500 000  personnes (dont 670 000 binationaux). 34 000 étudiants marocains sont inscrits en France, ce qui représente le premier contingent d’étudiants étrangers dans notre pays. Enfin, fin septembre 2014, le Maroc a reçu près de 8,1 millions de touristes dont plus de 2 millions de Français, soit le premier contingent. 

Les binationaux sont des acteurs à prendre en compte dans notre diplomatie. Cette population jeune et dynamique ne souhaite pas se laisser enfermer dans une identité unique, mais veut vivre pleinement sa double appartenance, garder un lien avec la France, tout en contribuant au développement de son deuxième pays. Cette diaspora doit être mobilisée par notre politique étrangère. 

b. Sortir d’une relation centre-périphérie et apaiser les questions mémorielles, notamment liées à l’Algérie

Les relations de la France avec les pays du Maghreb notamment les trois pays du Maghreb central – Algérie, Maroc, Tunisie – sont depuis les indépendances empruntes d’une grande sensibilité. Les symboles y comptent autant, si ce n’est plus, que la réalité.

Cette sensibilité est principalement due à la persistance de relations vécues comme asymétriques par nos partenaires du sud. En effet, chacun des pays du Maghreb trouve en la France son principal partenaire humain, culturel et commercial alors que la France est perçue comme plus préoccupée par son environnement européen que par sa dimension méditerranéenne. D’où le sentiment d’une relation liant un centre unique et à des périphéries multiples et non fondamentales. Ce sentiment vieux de plusieurs décennies est encore exacerbé par les sujets tels que l’immigration ou la place de l’islam qui agitent ces dernières années le débat politique et qui donnent le sentiment à nos partenaires maghrébins que la France n’assume plus tout à fait son histoire ni sa géographie. Ceci ne donne toutefois pas lieu à des réactions univoques de rejet de l’ancienne puissance coloniale mais plutôt à une relation d’amour-haine, instable par essence, surtout avec l’Algérie mais aussi avec le Maroc.

S’y ajoutent des questions mémorielles non encore apaisées, surtout avec l’Algérie.

Dès son élection, le président de la République, M. François Hollande, a reconnu : « avec lucidité » que le 17 octobre 1961, « les Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués dans une sanglante répression » et a rendu hommage « à la mémoire des victimes » de cette « tragédie ». Quelques semaines plus tard, il a reconnu lors de son déplacement à Alger les « souffrances » infligées au peuple algérien durant la colonisation.

Si l’ensemble des questions liées à la période coloniale de la France en Algérie n’a pas été complétement apurée – mais le sera-t-elle à jamais ? – le mandat de l’actuel président de la République n’a été marqué par une crise liée à la mémoire comme ce fut le cas lors des précédents mandats.

Par ailleurs, la loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 a permis la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Cette date ne fait pas l’unanimité en France. En effet, si elle marque l’anniversaire du cessez le feu suite aux accords d’Évian signé entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), elle ne signifie pas la fin des violences de parts et d’autres. Différents groupes considèrent par conséquent que la date du 19 mars revient à nier leur souffrance. Il ne s’agit bien évidemment pas de nier la souffrance de quelque groupe que ce soit puisque le président de la République a rendu plusieurs fois hommage aux Harkis et à leurs descendants ainsi qu’aux autres rapatriés.

En dépit de ces avancées, ces questions continuent d’agiter des groupes constitués des deux côtés de la Méditerranée. En effet, aux termes de l’historien Benjamin Stora, « la question des imaginaires n’est pas une question achevée » et elle est susceptible de ressortir à chaque occasion – prise de parole publique, sortie d’une œuvre cinématographique, commémoration – et les autorités doivent continuer à être vigilants afin que rien n’obère la construction d’un avenir commun.

L’écriture d’une histoire commune de la France et de l’Algérie, à l’instar de ce qui s’est fait pour l’histoire franco-allemande reste encore à écrire. La mission estime qu’il est nécessaire d’encourager les historiens dans cette voie sans se substituer à eux.

c. La relation France – Algérie – Maroc : l’impossible équilibre ?

Du fait de la mésentente entre l’Algérie et le Maroc, la relation triangulaire se caractérise en fait par deux relations bilatérales France – Algérie d’un côté et France – Maroc de l’autre sur laquelle plane l’ombre du troisième partenaire absent. Lorsqu’une des deux relations se réchauffe, l’autre se refroidit presque automatiquement. La séquence qui s’est ouverte en 2012 témoigne parfaitement de cet état de fait.

En 2012, le rapprochement de la France et de l’Algérie impulsé par la visite d’État du Président de la République François Hollande en décembre 2012 et qui a été le départ d’une coopération économique mais aussi sécuritaire exemplaire durant plus de deux ans s’est accompagné d’une détérioration des relations franco-marocaines avec comme fait unique depuis 1956, la suspension de toute coopération dans les domaines de la justice et de la sécurité. À compter de 2014, le rétablissement des relations entre le Royaume du Maroc et la France s’est traduit par la survenance de quelques crises avec l’Algérie.

La France n’est pas le seul pays à se trouver « otage » de cet antagonisme. Les deux pays prennent des positions diplomatiques quasiment toujours antagonistes. Quand le Maroc est soutenu par l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe et va jusqu’à participer à la coalition arabe au Yémen, l’Algérie apparaît plus proche de l’Iran sur cette question comme sur la crise syrienne. Les relations des deux pays avec l’Égypte connaissent les mêmes balancements que celles de l’Algérie et du Maroc avec la France sans parler de la quête de soutiens africains dans la perspective du retour du Maroc au sein de l’Union africaine avec comme point de fixation le gel de la participation ou non aux travaux de cette organisation de la République arabe saharaouie démocratique (RASD). Ce balancement est seulement plus ample du fait des relations humaines, économiques et diplomatiques anciennes des deux pays avec la France.

In fine, les relations de la France avec les pays maghrébins se doivent de sortir de l’impasse que constitue ce balancement permanent entre le Maroc et l’Algérie à mesure des alternances politiques à Paris ou des priorités du moment.

Au-delà du préjudice que cause cet antagonisme algéro-marocain aux intéressés eux-mêmes, la France, comme l’ensemble des pays souhaitant développer une coopération avec le Maghreb se trouve confrontée à la difficulté de devoir « choisir » entre une approche marocaine ou une approche algérienne.

La France, si elle veut enfin recouvrir toute sa dimension méditerranéenne et africaine face à une Allemagne, qui n’est plus handicapée depuis un quart de siècle par sa division et l’existence du « rideau de fer », doit faire de l’intégration maghrébine et du rapprochement algéro-marocain  l’une des priorités de sa diplomatie et cesser de « jouer à l’équilibriste » entre les deux voisins.

Pour cela, plusieurs actes forts peuvent être posés :

– tout d’abord, assumer l’ensemble de son histoire avec ces pays et notamment avec l’Algérie, pays avec qui l’histoire est la plus tragique, afin que celle-ci ne soit plus convoquée à chaque difficulté politique ou diplomatique ;

– cesser de prêter le flanc à des critiques de soutien à tel ou tel régime. La France doit affirmer clairement qu’elle n’est pas partie prenante, ni arbitre des différends algéro-marocain, qu’elle soutient seulement la plus grande intégration possible d’un ensemble humain cohérent qui a vocation à constituer un espace de plus de 100 millions d’habitants et avec qui son sort est lié.

d. Une sensibilité commune à la question des visas et à la liberté de déplacement

S’il est une question qui est abordée avec l’ensemble des autorités des pays maghrébins à chacune de leur rencontre avec leurs homologues français, c’est bien celle de la libre circulation des personnes et la question des visas.

Actuellement, les ressortissants de l’ensemble des pays maghrébins sont soumis à l’obligation de visas pour entrer sur le territoire français qui doit être sollicité avant le départ auprès de l’ambassade ou du consulat de France compétent dans le pays de résidence du demandeur et ce depuis 1986.

Les accords de Schengen du 14 juin 1985 avaient déjà établi la liste des États dont les ressortissants devaient être soumis au visa. Les pays maghrébins y figuraient.

Sur la base du principe de l’égalité de traitement, les autorités algériennes ont été informées par lettre du 11 octobre 1986 l’instauration d’un visa devant être demandé avant le départ auprès du consulat algérien de résidence pour les ressortissants français désirant se rendre en Algérie. La Mauritanie a également institué un visa mais celui-ci peut être délivré à l’arrivée sur le territoire mauritanien. En revanche, le Maroc et la Tunisie n’ont pas appliqué de principe de réciprocité du fait de l’importance de leur industrie touristique.

Ces deux derniers pays sont d’autant plus sensibles au traitement qui est réservé à leurs ressortissants lorsqu’ils voyagent en Europe et particulièrement en France comme en témoigne l’émoi qu’a suscité la fouille de plusieurs ministres marocains en transit dans les aéroports parisiens en 2014 et 2015. Le rapporteur estime bien évidemment nécessaire de maintenir, dans le contexte sécuritaire et migratoire actuel, l’obligation de visa pour les ressortissants maghrébins mais il appelle à ce que les procédures soient les plus transparentes possibles, à ce que les motifs de refus soient spécifiés aux intéressés et bien évidemment à ce que le paiement du prix du visa ne soit effectif qu’une fois le visa accordé et non pas au moment de la demande.

Ces préconisations concernent également les deux pays – Algérie et Mauritanie – qui ont instauré un visa pour les ressortissants français. Des efforts ont été enregistrés ces dernières années : ouverture du consulat d’Oran, suppression de l’obligation de rendez-vous, réduction du délai d’attente. Concernant la Mauritanie, au cours de son déplacement, la mission s’est inquiétée du prix très élevé du visa – 120 euros – à même de décourager le tourisme que le pays souhaitait développer. Il a été répondu par les autorités mauritaniennes que ce prix correspondait au pouvoir d’achat européen et que « les Mauritaniens désireux de se rendre en France devait payer une somme bien plus élevée au regard de leur pouvoir d’achat et était soumis en plus à des tracasseries administratives au niveau du consulat de France à Nouakchott ». Cet exemple montre à quel point la question de la libre circulation des personnes est centrale dans la perception de l’asymétrie de la relation entre la France et les pays maghrébins.

Il faut souligner les efforts réciproques réalisés en la matière ces dernières années. Le nombre de visas délivrés par la France a atteint 320 000 en 2014 (contre 57.000 en 1997) avec un taux d’acceptation d’environ 75 %. Les conditions d’instruction et de délivrance des visas se sont améliorées, avec le passage à la biométrie et la gestion extérieure des rendez-vous et du recueil des dossiers, ainsi que la normalisation du dispositif consulaire français. En octobre 2015 un accord d’échange de jeunes actifs permettant d’envoyer des volontaires internationaux en entreprises en Algérie a été signé.

Dans le même temps, des améliorations ont été demandées aux autorités algériennes pour favoriser l’entrée et le séjour en Algérie des ressortissants français. Les autorités algériennes ont également déployé d’importants efforts pour l’amélioration de la délivrance de laissez-passer consulaires (LPC), leur taux de délivrance s’étant élevé à 45% en 2014 contre 39% en 2003.

2. Dialogue culturel et sociétal : notre premier outil d’influence dans la région, qu’il faut se donner les moyens de préserver

a. La coopération culturelle et scientifique : des crédits qui doivent impérativement être préservés

La coopération culturelle et audio-visuelle, mais aussi éducative et universitaire, sont des instruments fondamentaux de l’influence française, mais permettent aussi de maintenir un dialogue vivant entre nos sociétés.

Cette coopération est ancienne, elle est particulièrement riche. Ses moyens doivent impérativement être préservés dans les années à venir.

Une attention toute particulière doit être accordée à la Tunisie, où la coopération culturelle s’efforce de répondre aux nouvelles attentes de la société civile, notamment de la jeunesse.

Dans le contexte post-Printemps arabe et après les attentats au Musée du Bardo, notre coopération culturelle et audiovisuelle en Tunisie a orienté en priorité son action en direction de la jeunesse et des nouveaux publics de la société civile. Ses actions constituent un appui important dans le cadre du contre-discours à la radicalisation des jeunes :

– le développement des échanges artistiques, la professionnalisation des secteurs culturels tunisiens, l’accompagnement des nouvelles générations d’artistes (temps fort au MUCEM consacré à la jeune création tunisienne « Traces, fragments d’une Tunisie contemporaine »), la décentralisation de l’offre culturelle sont mis en oeuvre par le nouvel Institut Français de Tunisie, appelé à devenir l’outil culturel de la jeunesse tunisienne. Au total, environ 800.000 euros sont consacrés annuellement à la coopération culturelle franco-tunisienne ;

– l’ouverture de la jeunesse tunisienne est au centre des programmations : débats d’idées avec la participation, aux côtés de l’Institut Français et de l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC) basé à Tunis, des grandes institutions françaises (Collège de France, Académie des sciences, Instituts et Grandes Ecoles, Cité des Sciences…), organisation de Forums Jeunesse (l’édition 2016 décentralisée à Gafsa a réuni plusieurs centaines de jeunes acteurs des sociétés civiles d’une dizaine de pays méditerranéens), Programme SafirLab, lancé en 2012, au bénéfice des jeunes engagés dans des projets professionnels sur les questions de citoyenneté, des medias et de la gouvernance (l’édition 2016 est consacrée aux enjeux de gouvernance locale et des medias numériques) ;

– l’accord de principe d’une Saison tunisienne en France en 2021, célébrant le 10ème anniversaire de la Révolution de Jasmin (déclaration d’intention signée en avril 2015 par les deux Ministres de la Culture à l’occasion de la visite en France du Président Essebsi ;

– l’appui à la préservation et à la valorisation des patrimoines tunisiens (forte coopération entre les Musées du Bardo et du Louvre : chantier-école, formation des conservateurs, expertise, restauration…) accompagne les actions en faveur de la relance du tourisme culturel ;

La Tunisie occupe également une place stratégique pour nos medias, qui mesurent leur rôle important dans le cadre de la libéralisation du nouveau paysage audiovisuel: l’Agence française de coopération medias (CFI) soutient les acteurs du secteur en Tunisie (appui aux medias en ligne, accompagnement des clubs de journalistes citoyens, soutien aux radios de jeunes, plans de formation pour journalistes et techniciens des nouvelles radios privées et des medias publics…) ; CFI et France Media Monde ont répondu à l’avis de marché de service « Assistance technique principale pour le programme d’appui aux medias tunisiens » lancé par la DUE-Tunis (6,2 M. d’euros sur 4 ans ; réponse à l’automne 2016).

Dans le domaine de la coopération scientifique, de l’innovation et des transferts technologiques, la France est aussi le premier partenaire de la Tunisie. Elle doit avoir les moyens de le rester.

Du côté français rares sont les universités et les centres de recherche qui ne développent pas de programmes avec leurs homologues tunisiens: l’existence des 241 doubles diplômes de niveau ingénieur et master montre la densité des relations entre nos établissements. Il faudrait y ajouter les 66 licences et les 3 masters co-construits avec les branches professionnelles des deux pays dans une logique de rapprochement université/secteur économique.

Dans ce paysage de coopération scientifique franco-tunisienne volontairement orienté vers l’international et les enjeux de développement du pays, la recherche appliquée, les objectifs opérationnels en matière de R&D et d’innovation visent le développement de projets de recherche de haut niveau, appuyés sur l’émergence de partenariats et de réseaux d’excellence scientifique.

Ces fortes collaborations de haut niveau, ancrées dans la réalité des entreprises, ont fait l’objet de signatures de nombreux accords-cadres entre le CNRS et le ministère tunisien et entre les grands organismes de recherche des 2 pays dans les domaines de la recherche halieutique et des sciences marines, du nucléaire civil, de l’analyse et du contrôle de qualité, de la recherche agronomique, des nouvelles technologies, de la biotechnologie, des énergies renouvelables, de l’eau et de l’environnement.

Avec le soutien inconditionnel de la France, tant au niveau technique que politique, la candidature de la Tunisie a été retenue pour participer aux projets du Programme-cadre de recherche « Horizon 2020 » financé par l’Union Européenne. L’obtention du statut d’Etat associé permet aux chercheurs tunisiens de bénéficier des mêmes conditions de financements que leurs homologues des Etats membres de l’U.E. (plus de 110 projets de recherche pour un montant de 14,7 M. d’euros au cours du programme précédent).

La France est prête à répondre aux priorités exprimées par la Tunisie, plus particulièrement en faveur des grands secteurs suivants, dont certains ont été évoqués dans le cadre de la dernière Commission Mixte de Coopération Universitaire (Monastir, 5 et 6 octobre 2016) ou qui ont fait l’objet d’accords ou de déclarations d’intention entre les ministères techniques concernés en 2014:

– l’insertion professionnelle des jeunes diplômés : en renforçant le lien « formation-emploi » (rapprochement des jeunes docteurs avec le secteur économique privé) et en intégrant l’outil numérique au service de la formation du plus grand nombre (coopération entre l’Université virtuelle de Tunisie et les Universités Numériques Thématiques en France, le CNAM et le réseau des IUT français, notamment en faveur de la formation des cadres intermédiaires) ;

– le renforcement des liens « recherche-innovation-entreprises » : en soutenant la création de start-up, le portage de projets de recherche (« H2020 »), la création d’un incubateur/accélérateur d’entreprises, d’un réseau de R&D adossé aux pôles de compétitivité identifiés, et d’un réseau de recherche national à l’image de nos grands organismes de recherche (CNRS, IRD…) ;

– l’accompagnement de la volonté politique de modernisation et d’adaptation du système éducatif et universitaire tunisien : notamment dans les domaines de la gouvernance des établissements (expertise des grands organismes de recherche installés en Tunisie, comme le CNRS et l’IRD), de l’organisation administrative territoriale et de la décentralisation, de la formation initiale et continue des cadres des systèmes éducatifs (en favorisant notamment de nouveaux partenariats académiques : 5 vont être signés dans les prochains mois) ;

La densité de la coopération bilatérale entre nos pays se traduit enfin par une forte mobilité étudiante tunisienne vers la France. Nos établissements Supérieurs accueillent 65% des étudiants tunisiens en mobilité internationale (environ 5.500 entrées annuelles pour 15.000 étudiants présents en France). Ce mouvement est favorisé par notre Ambassade qui délivre environ 1.000 bourses d’études annuelles (pour un montant de 2,1 M. d’euros ; de son côté, la Tunisie soutient ses programmes boursiers à hauteur de 5,8 M. d’euros).

La coopération en matière culturelle et éducative est aussi particulièrement active au Maroc. Rappelons que durant la crise diplomatique que nos deux pays ont récemment traversée, ce dialogue culturel n’a jamais été rompu.

La coopération en matière éducative et universitaire s’appuie sur un réseau sans équivalent dans le monde, qui témoigne de la volonté française de rester le partenaire de référence du Maroc. L’Institut français du Maroc, créé le 1er janvier 2012, compte douze sites (Rabat, Agadir, Casablanca, El Jadida, Essaouira, Fès, Kenitra, Marrakech, Meknès, Oujda, Tanger, Tétouan), abrite trois espaces Campus-France (Rabat, Casablanca, Marrakech) et entretient un partenariat étroit avec l’Alliance française de Safi.

Le premier poste de dépense de notre diplomatie d’influence au Maroc est celui de l’enseignement supérieur et de la recherche qui permet d’accompagner :

– la mobilité des étudiants marocains vers notre pays

– l’implantation de nos établissements d’enseignement supérieur au Maroc, qui prend une ampleur significative avec, notamment, l’installation d’un INSA et d’une Ecole centrale en 2015, l'ouverture d'un site délocalisé de l'ESSEC en 2016.

– le développement des échanges scientifiques avec la France ; le Programme Hubert Curien local (le programme «Toubkal ») associe en 2015 plus de 400 équipes de recherche.

– les actions de recherche pour le développement en lien étroit avec le monde de l'entreprise ; ces actions se concrétisent par un appel à projets Recherche en direction des écoles doctorales marocaines, le lancement du programme « UNIVERS » (Universités, Entreprises et Recherche Scientifique), la coopération avec l’IRESEN pour les énergies renouvelables, l’appui au Laboratoire international associé (LIA) du CNRS sur les inégalités au Maroc, le développement de bourses de doctorat international avec l’Institut Pasteur, l’appui aux programmes de coopération du CNES au Maroc et le soutien au lancement d’un programme CIFRE Maroc (placement de doctorants dans des entreprises).

– la diffusion de la culture scientifique, l’activité de colloques et conférences; des manifestations comme « ma thèse en 180s », un colloque « Ingénieur- docteur 2016 » destiné à rapprocher recherche académique et recherche & développement, un colloque RUN 2016 consacré à la conversion au numérique des universités, un cycle de conférences sur les "nouvelles frontières" de la recherche avec l’académie des sciences et le soutien à des manifestations sur le climat dans la perspective de la COP22 au Maroc en 2016.

En matière culturelle et audiovisuelle, les trois expositions du Louvre, du MuCEM et de l’Institut du monde arabe consacrées au Maroc (mars 2014 – février 2015) ont rencontré un grand succès. L’exposition « Maroc médiéval » du Louvre a été inaugurée au Musée Mohammed VI de Rabat le 3 mars et le Ministre a lancé, le 9 mars, la saison culturelle France-Maroc 2015 qui prévoit plus de 300 évènements culturels tout au long de l’année au Maroc et mettra à l’honneur la Comédie-Française.

L’Ambassade continue de proposer, à travers son opérateur l'Institut français du Maroc, une saison culturelle française dans le royaume. Vitrine de la présence française, cette saison sera marquée par l’exposition Giacometti, première manifestation de dimension internationale organisée par un musée au Maroc, le lancement, avec Unifrance, d’un rendez-vous annuel autour du cinéma français, le renforcement du débat d’idées avec une extension des Nuits des Philosophes, après Rabat et Casablanca, à Marrakech et Agadir et la création d’une Fête de la Science à Fes et à Kenitra.

Avec l’Algérie enfin, notre coopération culturelle, scientifique et culturelle ne cesse de s’intensifier.

Notre coopération culturelle, scientifique et technique s’inscrit dans le cadre de la Convention de partenariat signée en décembre 2007 et du Document Cadre de Partenariat (DCP), qui a été renouvelé pour cinq ans (2013-2017) lors de la visite d’Etat avec, pour priorité, la formation des jeunes algériens. Le DCP définit trois grands axes de coopération : le renforcement du capital humain ; l’appui au développement socio-économique et au secteur productif ; l’appui à la gouvernance démocratique, à l’affermissement de l’Etat de droit et à la modernisation du fonctionnement de l’administration. L’Algérie est l’un des principaux bénéficiaires des crédits de coopération français (environ 7,1 M€ pour 2015).

Notre coopération universitaire s’attache à accompagner la réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) avec la mise en place de masters professionnels ; à la formation des enseignants-chercheurs ; à la mise en place de pôles d’excellence (Ecole supérieure algérienne des Affaires, classes préparatoires, création d’un réseau d’Instituts de Technologie) ; à l’amélioration du système éducatif et de la formation professionnelle. La réforme du programme de bourse PROFAS a été finalisée, sur la base de la parité de financement (1,2 millions d’euros par an, 650 boursiers) et deux instituts de technologie ont ouvert en septembre 2014.

Le dispositif Campus France Algérie est parmi les plus importants au monde : 18 326 dossiers de demandes d’études en France enregistrées en 2013/2014 et 3 367 visas pour études. En 2014-2015, les étudiants en provenance d’Algérie étaient près de 23 000 à poursuivre leurs études en France, ce qui représente plus de 7% des étudiants internationaux et le 3ème groupe d’étudiants étrangers après le Maroc et la Chine. La majorité des étudiants partent en mobilité non-encadrée et sur leurs fonds personnels.

L’enseignement du et en français est également au cœur de notre action : aide à l’amélioration de la formation initiale et continue des enseignants de français dans le secondaire et le supérieur ; appui aux doctorants de français ; soutien à la mise en place de centres d’enseignement intensif des langues dans les 35 universités du pays. Le réseau scolaire français en Algérie est concentré à Alger. L’ouverture de nouvelles écoles à Oran et Annaba vient d’être annoncée. L’ouverture du site oranais est prévue dès 2017, dans des locaux temporaires, pour la rentrée prochaine. L’aide de nos partenaires algériens a été déterminante pour l’avancement de ce dossier.

Notre coopération s’appuie sur un réseau culturel français redéployé depuis 2000 (cinq instituts culturels à Alger, Annaba, Oran, Constantine et Tlemcen). La réouverture de l’institut français de Tizi Ouzou est à ce stade refusée par les Algériens pour des raisons sécuritaires. Le lycée-collège international Alexandre Dumas à Alger, rouvert en 2002, scolarise plus de 1000 élèves, une autre école primaire à Alger en scolarisant 500. Des projets d’ouverture d’écoles françaises à Oran et Annaba ont été conclus lors du dernier CIHN.

La coopération institutionnelle vise à appuyer les efforts de modernisation algériens : appui à la réforme de la justice, à la modernisation de l’administration, de la police nationale et des services de la protection civile. Des programmes de coopération existent également dans l’agriculture, les transports, les travaux publics ou l’aménagement du territoire. Enfin, notre action vise à encourager la coopération décentralisée et à soutenir la société civile.

b. La francophonie : un enjeu dont l’importance ne doit pas être sous-estimée

Un chercheur auditionné par la mission a relevé que « pour les Français, il était évident que l’ensemble des Maghrébins parlaient leur langue ». Cette erreur de jugement était pour lui attribuable au fait que « l’interface des Français avec le Maghreb était constitué d’une classe sociale privilégiée et minoritaire ».

Le français serait mieux diffusé, mais à un niveau plus faible, la politique d’arabisation scolaire lancée dans les années 1970 ayant produit ses effets. D’autres référents auraient remplacé les medias français (le tirage de journaux francophones a considérablement chuté, les chaines françaises sont concurrencées par les chaînes Proche-orientale). En réalité, le tableau linguistique est très contrasté selon les régions – ainsi on parle moins par exemple le français à mesure que l’on s’éloigne des villes, les classes sociales ou encore le niveau d’éducation.

S’y ajoute une question générationnelle. Selon la chercheuse Béatrice Hibou, auditionnée par la mission, les relations avec la France devraient être affectées par l’arabisation des sociétés maghrébines. Ainsi, selon elle, « au Maroc comme en Tunisie, les sociétés s’arabisent de plus en plus, que ce soit à travers les médias ou les débats politiques. La langue française a donc perdu de ses capacités à rassembler les deux rives ».

Cette perte de liens serait « renforcée par le renouvellement des élites au Maroc et en Tunisie, issues de générations qui n’ont pas connu la présence française ». Ce renouvellement étiole les relais qu’il peut exister avec les autorités, et va nécessairement amorcer une nouvelle séquence pour les relations franco-maghrébines. La promotion de la francophonie est pour cette raison non pas une lubie culturelle ou linguistique, mais un enjeu politique crucial, qu’il faut savoir relever.

La francophonie n’est pas acquise au Maghreb, et la France doit poursuivre ses efforts pour en soutenir la diffusion. Il faut donc impérativement préserver les crédits qui sont affectés à l’enseignement et à la diffusion du français. Par ailleurs, selon certains interlocuteurs de la mission, il conviendrait de développer une coopération scolaire et universitaire allant au-delà des élites, et toucher en particulier les régions et les quartiers qui font face à d’importantes lacunes en matière d’éducation, même s’il est évident que les lycées français n’ont pas vocation à pallier les carences des systèmes éducatifs nationaux.

La France est particulièrement active sur ce terrain. La mission souhaite d’ailleurs rendre hommage au travail et à l’engagement des équipes qui sur place, font vivre cette francophonie au quotidien.

Le Maroc est en la matière un partenaire incontournable de la France. Bien que le français ne soit pas la langue officielle, il demeure la deuxième langue d’enseignement à l’école et celle de la plupart des enseignements à l’université ; près d’un tiers de la population marocaine est francophone. Surtout, une politique active s’est traduite par des avancées indéniables :

– le maintien d’un réseau d’enseignement du français au Maroc qui est le plus grand réseau d’enseignement à l’étranger. Plus de 31 500 élèves sont répartis sur quatre réseaux : l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (son plus grand réseau dans le monde avec 22 établissements, 18 900 élèves dont 47 % marocains) ; l’Office scolaire et universitaire avec 9 établissements, 7 600 élèves (dont 90 % marocains) ; l’Alliance israélite universelle et ses 3 établissements de Casablanca qui scolarisent ensemble des jeunes juifs et des jeunes musulmans ; et les 4 établissements privés marocains simplement homologués.

– le développement des sections internationales francophones dans les lycées marocains. Après avoir fait l’objet d’une expérimentation dans six lycées du Royaume en 2013-2014, près de 200 lycées accueillent les sections internationales francophones à la rentrée 2014-2015, s’adressant à environ 12 000 élèves (19).

– la formation des enseignants de français de l'Education nationale marocaine. Nous continuerons d'appuyer la formation des professeurs qui enseignent notre langue dans le primaire et le secondaire, en intervenant à la fois sur le niveau de langue et les méthodes d'apprentissage.

– les colocalisations (20). Elles permettent d’établir des programmes débouchant sur des formations et des diplômes reconnus par les deux parties. Cela permet d’étoffer l’offre de formation d’excellence au Maroc alors que les Marocains constituent le premier contingent d’étudiants étrangers en France et sont très présents dans les écoles les plus prestigieuses.

– le développement de l'apprentissage en ligne du français. Un nouveau portail de l'Institut français du Maroc verra le jour qui permettra aux élèves de l'établissement, aux étudiants, aux enseignants des écoles publiques et privées d'accéder à des outils d'apprentissage du français ainsi qu'à des préparations aux certifications de langue française, accompagnés de tutorat.

– l'appui à la recherche et à l’enseignement supérieur en matière de langue française. Le poste continuera de soutenir le développement des formations de didactique du français de niveau master et doctorat, en particulier par un dispositif de bourses, afin de renouveler le vivier de spécialistes de haut niveau de notre langue.

– la promotion de la francophonie. Le poste soutiendra les associations d'enseignants et les réseaux d'écoles qui concourent de façon particulièrement active au développement de notre langue et participera à l'organisation de la fête de la francophonie au Maroc.

Le Maroc est un membre actif de la Francophonie depuis le début des années 1980. En outre, son dialogue avec les pays d’Afrique subsaharienne passe essentiellement par l’appartenance commune à l’OIF au sein duquel il jouit d’un poids important (vice-présidence de la Commission économique de la Francophonie, actions de coopération en matière éducative, dans les industries culturelles). Le Maroc joue également un rôle important au sein des opérateurs de la Francophonie et des réseaux professionnels francophones. (21)

La francophonie en Algérie a bien sûr un statut différent. A la veille de la politique d’arabisation scolaire, le pays était le plus francophone – et francophile ? – de la région, donnant raison au grand écrivain Kateb Yacine pour qui le français était un « butin de guerre ».

La question de l’enseignement et de la diffusion du français est sensible – l’Algérie, contrairement à ses voisins marocain et tunisien, a le simple statut d’observateur à l’OIF. Pourtant, le pays dispose d’un réseau francophone développé : l’Institut Français d’Algérie est implanté dans six villes : Alger, Annaba, Constantine, Oran, Tlemcen et Tizi-Ouzou. Il y a 13 689 inscrits aux cours de français de l’Institut Français d’Algérie en 2014 dont 40 % à l’antenne d’Alger – la mission a pu constater le succès croissant de ces cours lors de sa visite du centre culturel. Il existe par ailleurs cinq bureaux Campus France à Alger, Annaba, Constantine, Oran, Tlemcen.

L’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger dispose de deux établissements (1 795 élèves dont 892 français à la rentrée scolaire 2014-2015). Le pourcentage d’élèves français tend à augmenter chaque année car plusieurs entreprises autorisent à nouveau l’expatriation en famille.

En outre, un accord a été signé récemment, le 10 avril 2016, qui marque une avancée importante, avec l’ouverture de deux écoles françaises à Oran et à Annaba. L’école d’Oran devrait pouvoir ouvrir à la rentrée 2017.

Alger et Oran rejoindront par ailleurs au cours des prochaines semaines le réseau de l’Association internationale des maires francophones

Enfin, bien que non membre de la francophonie, l’Algérie va participer au « Grand Tour » 2017, placé sous le haut patronage du Président de la République, qui se veut une invitation internationale à découvrir toute la richesse culturelle et la vitalité artistique de la francophonie durant une année. Il faut saluer ce désir d’implication au sein de l’Organisation. En Algérie, deux rendez-vous culturels seront particulièrement ciblés dans le cadre de ce « Grand tour » : les Rencontres cinématographiques de Béjaïa (9-15 septembre). Le cinéma francophone y est très largement représenté : films africains, français et algériens composent la programmation de cette manifestation populaire et très appréciée des professionnels ; le Salon international du livre d’Alger. La manifestation culturelle est la plus importante du pays. Pour sa vingtième édition, le salon a accueilli 1,5 million de visiteurs sur plus de 900 stands. Les deux langues prépondérantes y sont l’arabe et le français. La France avait été l’invitée d’honneur en 2015.

Enfin, en Tunisie, l’attrait croissant de l’anglais, la politique d’arabisation et l’insuffisance des formations d’enseignants de français ont fragilisé la position de la langue française.

Le renforcement de l’influence du français en Tunisie est l’une de nos priorités pour le développement de nombreux domaines d’excellence de la coopération franco-tunisienne :

– le français comme atout supplémentaire pour l’accès à l’emploi (insertion des jeunes diplômés ; français à visée professionnelle ; 12.000 étudiants annuels à l’Institut français) ;

– la recherche scientifique (la France est le 1er partenaire de la Tunisie : environ 1.400 co-publications scientifiques annuelles, soit 30% des publications tunisiennes) ;

– les partenariats universitaires (241 doubles diplômes aux niveaux master et ingénieur, 66 Licences) ;

– la mobilité étudiante (la France accueille 65% des étudiants tunisiens en mobilité internationale) ;

– la modernisation des administrations (où l’arabe est langue officielle, et le français toléré dans les correspondances administratives) ;

– l’ouverture de la jeunesse et de la société civile (appui aux nouvelles générations d’artistes ; accord de principe d’une Saison tunisienne en France en 2021 ; valorisation des patrimoines tunisiens) ;

– la place stratégique pour nos médias (France Media Monde, CFI).

Le retour du français sera également favorisé par le retour de la Tunisie au sein de l’OIF après la « Révolution du Jasmin » avec un discours remarqué du président lors du Sommet de la Francophonie de Kinshasa en octobre 2012.

La Tunisie pourra bénéficier des apports de plusieurs autres organisations francophones : l’Agence universitaire de la Francophonie qui compte 17 établissements d’enseignement supérieur affiliés et 1 Campus numérique francophone au sein de l’université de Tunis ; l’Association internationale des Maires francophones qui regroupe 9 Municipalités tunisiennes et qui a accueilli en octobre 2015 la 35ème Assemblée générale ; le « Signal » de TV5 Monde pour lequel l’audience tunisienne est parmi l’une des plus fortes ; l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) dans lequel le Parlement tunisien est représenté. La Tunisie a été désignée pour accueillir le XV ème Congrès mondial des professeurs de français en 2020 à Nabeul : événement fédérateur et fortement mobilisateur, le 1er Congrès mondial de la Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF) à se tenir dans un pays de la zone ANMO devrait contribuer à renforcer la présence du français en Tunisie.

La Tunisie sera enfin également associée à l’évènement « Le Grand Tour 2017 ». Il s’agit d’un voyage d’un an à travers l’espace francophone pour en découvrir la richesse culturelle et la vitalité artistique. Deux étapes se dérouleront dans le pays. En avril 2017, il s’agira d’un festival de danse « Tunis, capitale de la danse 2017 » tandis qu’en novembre 2017 prendra place le festival cinématographique « Journées cinématographiques de Carthage ».

3. Dialogue économique : la France doit soutenir le Maghreb dans sa transition économique

a. Notre coopération avec le Maghreb s’appuie sur de solides liens économiques.

Avec 15% des IDE entrants, la France est le premier fournisseur d’investissements étrangers en Tunisie, avec 1 300 implantations qui pourvoient 135 000 emplois en Tunisie. Malgré le contexte peu favorable, les IDE entrants (hors énergie) ont augmenté de plus de 60% au premier semestre 2016 par rapport à la même période en 2015 (passant de 129 millions d’euros à 206 millions d’euros), principalement sous la forme d’extension. Malgré une baisse des exportations au cours des huit premiers mois de 2016 (2,1 milliards d’euros en aout, contre 2,5 milliards d’euros sur la même période en 2015), la France reste donc le premier fournisseur de la Tunisie. La France est de loin le premier client de la Tunisie avec 4 milliards d’euros en 2015, soit près de 30% des exportations tunisiennes.

La France est aussi le premier partenaire commercial du Maroc, son premier client et son deuxième fournisseur après l’Espagne. Les exportations de la France vers le Maroc s’élèvent à 2,5 milliards d’euros. Les importations françaises depuis le Maroc s’élèvent quant à elles à 2 milliards d’euros. La France est aussi de loin le premier investisseur étranger avec un stock d’IDE de 11,9 milliards d’euros en 2014, soit près de la moitié des IDE dans le pays. Plus de 750 filiales d’entreprises françaises sont implantées au Maroc (dont 36 du CAC 40) employant plus de 120 000 personnes. La France est enfin le premier bailleur de fonds bilatéral du Maroc, qui est le premier bénéficiaire des interventions de l’Agence française pour le Développement. Une capacité d’engagement de 600 millions d’euros sur la période 2014-2016 a été destinée à la poursuite de l’appui aux politiques publiques et à l’accompagnement des opérateurs marocains en Afrique subsaharienne.

Avec l’Algérie, les relations économiques et commerciales ont progressé de manière rapide depuis 1999. La France reste le second fournisseur de l’Algérie, avec une part de marché de 10,87% en 2014. Les échanges entre France et Algérie ont triplé en douze ans. En 2014 le montant des exportations est de 6,16 milliards d’euros (hausse de 6,16%) et des importations de 2,02 Mds € (baisse de 8,8 %). L’Algérie est le premier partenaire commercial de la France en Afrique, et le troisième débouché pour les exportations françaises hors OCDE, après la Chine et la Russie. La moitié de nos exportations est réalisée par des PME.

Les investissements français (2ème en Algérie, 1er hors-hydrocarbures) sont importants, comparés à la modestie des IDE d’autres nationalités. En 2015, 500 filiales d’entreprises françaises opéraient sur le marché algérien, soit quatre fois plus qu’en 2005, employant près de 40 000 personnes et près de 100 000 indirectement.

b. Adopter une démarche globale et se concentrer sur quelques priorités stratégiques

En matière de soutien au développement économique, l’effort financier de la France est important, dans tous les pays du Maghreb. La question n’est donc pas tant d’augmenter les montants en question que d’adopter une démarche globale, d’améliorer les capacités d’absorption de l’aide financière et de se concentrer sur quelques axes d’action stratégiques.

A ce titre, l’exemple de la Tunisie est particulièrement intéressant, et la démarche adoptée par la France va dans le bon sens.

En premier lieu, la France a coparrainé la conférence d’appui à l’économie et à la promotion des investissements en Tunisie qui a eu lieu fin novembre 2016. Véritable succès diplomatique : elle s'est achevée sous le signe de la confiance, avec une levée de 34 milliards de dinars (15 milliards de dollars) répartis entre prêts, dons et reconversion de la dette, reste maintenant à transformer les engagements en changements tangibles pour la population.

Paris s’est engagé à mettre en place un plan d’assistance d’un milliards d’euros, auquel s’ajoute l’annonce d’un financement de 250 millions supplémentaires par l’AFD. De son côté, la banque européenne d’investissement s’est engagé à débloquer 2,5 milliards d’euros d’ici 2020 également, afin de financer des projets de développement durable. De nombreuses autres déclarations de pays européens, arabes et asiatiques ont abondé dans le sens d’un financement étranger accru en Tunisie.

La France devra maintenant suivre au plus près le calendrier de mise en œuvre des réformes visant à améliorer l’efficacité de l’administration tunisienne, et le cadre légal des investissements afin de gagner la confiance des investisseurs privés quant au climat des affaires en Tunisie.

La conférence d’appui à l’économie et à la promotion des investissements

« Tunisia 2020 »

La conférence d’appui à l’économie et à la promotion des investissements « Tunisia 2020 » s’est tenu à Tunis les 29 et 30 novembre 2016. Il s’agit de la deuxième initiative de ce type organisé en Tunisie, après le succès relatif en 2014 de la conférence « Investir en Tunisie, start-up democracy ». Elle répond aux importants besoins de la Tunisie en matière de financement depuis la révolution, nécessaires à la relance de son économie.

Cette conférence a réuni plus d’un millier d’entreprises locales et internationales engagées dans le développement économique tunisien. Elle a été suivie au plus haut niveau. Les représentants des principales institutions internationales (Banque mondiale, banque européenne d’investissement, banque africaine de développement) et de la société civile tunisienne, ainsi que des fonds d’investissements étrangers étaient également présents.

Son principal objectif était de mobiliser l’investissement international public et privé sur les grands projets structurants du plan quinquennal 2016-2020, qui a été présenté à cette occasion. Le plan a pour objectif d’atteindre un rythme de croissance de 4% d’ici 2020. Au total, une soixantaine de grands projets ont été proposés. La réalisation de ce plan nécessite un levé de fonds de 25 milliards d’euros par les investisseurs étrangers.

La conférence était composée de quatre demi-journées :

1/ présentation par le Président tunisien du plan de développement 2016-2020, et de l’agenda des réformes, suivi de l’annonce des soutiens aux différents projets.

2/ atelier dédié à la réduction des inégalités régionales. Seront évoquées les nécessités en infrastructures pour désenclaver les régions isolées, l’amélioration des services publics, des capacités de construction, et seront mis en exergue les secteurs présentant un intérêt pour les investisseurs en région.

3/ atelier sur « une économie verte pour un développement durable » qui traitera des opportunités dans le secteur des énergies renouvelables, de l’agriculture et de la gestion de l’eau, et dans la collecte et le recyclage des déchets.

4/ discussion autour du sujet « La Tunisie, un hub économique régional pour l’exportation de biens et services à haute valeur ajoutée ». Cet atelier présentera les projets appartenant aux secteurs historiques de l’économie tunisienne (tourisme, santé et textile), aux industries de transformation (automobile et aérospatiale) et aux secteurs innovants (logiciels et composants électroniques).

Par ailleurs, la France a fait le choix d’une démarche globale dans son soutien au développement tunisien : la mise en œuvre par la France du Plan de soutien à la Tunisie d’1 milliard d’euros sur 5 ans va constituer le « bras armé » de notre coopération pour accompagner la démocratie tunisienne. Dans cette perspective, toutes les forces de l’Agence Française de Développement (AFD) sont mobilisées autour des champs d’intervention prioritaires identifiés en concertation étroite avec la partie tunisienne : l’emploi des jeunes, le développement des régions enclavées et défavorisées, l’amélioration de l’absorption de l’aide internationale et la relance du tourisme.

Le Plan de soutien est accompagné par la mise en œuvre des programmations annuelles (environ 5 millions d’euros, soit la 5ème enveloppe de coopération dans le monde) pilotées par le dispositif de coopération auprès de notre Ambassade, avec le soutien de nombreux partenaires (Expertise France dont la Tunisie est le 1er partenaire, les ministères concernés par les projets, parmi lesquels le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, 37 Collectivités territoriales françaises, de nombreuses ONG des deux pays associées pour la réalisation d’environ 140 projets depuis 2011.

Cette stratégie de « coopération globale » entre la France et la Tunisie, totalement réorientée après le Printemps arabe tunisien, constitue l’un des « modèles » les plus aboutis en ce qui concerne la coopération internationale française.

Cette approche globale doit se doubler d’une programmation qui épouse au mieux les besoins et attentes spécifiques des pays. En Tunisie par exemple, un effort important sera consacré en faveur de domaines jugés vitaux pour l’avenir du pays, en privilégiant la société civile, la jeunesse et les populations des zones déshéritées.

Enfin, la France peut faire valoir son expertise dans certains domaines stratégiques. Sans que la liste soit exhaustive, la France pourrait concentrer ses efforts sur l’accompagnement des pays du Maghreb face à trois défis : 

– l’emploi, une des conditions de la stabilité sociale. Le Maghreb doit réussir à obtenir une croissance plus riche en emplois. L’enjeu est la décrue du chômage des jeunes urbains et la poursuite d’une meilleure répartition des richesses pour éviter les phénomènes de paupérisation urbaine. Il s’agit aussi de mener une politique industrielle plus riche en emplois ;

– l’éducation, face au constat unanime de la faiblesse du système éducatif et de l’inadaptation de la formation. La productivité de l’économie en pâtit hypothéquant le potentiel de croissance. Ici aussi, la France a une expertise à apporter ;

– l’environnement des affaires et la poursuite de l’ouverture économique, condition indispensable  pour que le Maghreb soit accueillant pour les investisseurs. Le climat des affaires reste largement perfectible. Les négociations avec l’Union Européenne portant sur un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), ambitieuses, sont à l’arrêt. Il existe des goulots d’étranglement (retards de paiements, l’exécution de certaines décisions de justice). Des efforts dans la gouvernance des PME seront la condition préalable au développement d’un financement sain de l’économie. Pour autant, l’émergence d’un secteur compétitif ne doit pas se cantonner à quelques zones franches efficientes qui mais irradier tout le territoire, gage d’un développement économique équilibré ;

– les investissements : deux tendances sont désormais à encourager. Tout d’abord, les investissements orientés vers le développement du marché intérieur tunisien, étant entendu que le modèle d’accords avec des partenaires locaux par exemple via des importateurs ou des franchises (comme c’est le cas dans le secteur de la distribution : automobiles, grande distribution) peut venir renforcer le rôle des IDE et les développements conjoints vers les marchés tiers. D’autre part, il faudrait les développements conjoints vers les marchés tiers. A titre d’exemple, l’alliance franco-tunisienne pour le numérique prévoit des colocalisations pour satisfaire les marchés développés conformément aux objectifs de la politique tunisienne dans ce domaine ; le développement sur le marché local ; enfin la conquête de marchés tiers et notamment l’Afrique et le Moyen Orient.

c. Développer des partenariats structurants dans des secteurs d’avenir : l’exemple de l’économie durable au Maroc

Ici la France doit se positionner en proposant des solutions concrètes dans des secteurs ciblés, notamment, la protection de la biodiversité, la conservation des espaces naturels ou encore, peut-être surtout, la ville durable.

Pour ne prendre qu’un exemple, la coopération en matière d’économie durable avec le Maroc mériterait, dans le sillage des COP21 et COP22, d’être intensifiée.

Cette coopération a déjà produit des résultats plus qu’encourageants.

Ainsi, lancé en 2009, le plan solaire marocain prévoit l’installation, entre 2015 et 2019, d’une capacité de 2 000 MW pour un coût estimé à 6,2 milliards d’euros avec cinq sites : Ouarzazate, Ain Bni Mathar, Foum Al Oued, Boujdour et Sebkhat Tah. La centrale thermo-solaire Noor de Ouarzazate (800 MW) a été inaugurée le 4 février 2016 par le Roi Mohammed VI, en présence de la ministre Mme Ségolène Royal. Elle a bénéficié d’un financement AFD à hauteur de 150 millions d’euros

Autre exemple, la coopération en matière  de formation sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique pour répondre aux compétences recherchées par les entreprises du secteur et améliorer l’employabilité des candidats aux 50 000 emplois estimés d’ici à 2020. Le ministère de l’éducation et de la formation professionnelle a prévu la mise en place de trois Instituts de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (IFMEREE) à Oujda, Ouarzazate et Tanger. L’institut d’Oujda a ouvert en 2015. Celui de Tanger, qui a été inauguré par le Président de la République et le Roi du Maroc en septembre 2015, devrait être opérationnel en 2017.

D’autres domaines de coopération mériteraient d’être renforcés. Le Maroc s’est fortement mobilisé sur les secteurs que la France avait mis en avant lors de la COP21 en lançant de nouvelles initiatives ou en faisant avancer celles existantes :

agriculture : Lancement de l’initiative sur l’adaptation de l’agriculture en Afrique (« AAA ») par le ministre de l’agriculture marocain en mai 2016. 

forêt : le Maroc a lancé le 8 novembre dernier une initiative sur les forêts, AFMS, qui vise à établir des synergies avec les initiatives existantes et qui porte largement sur l’adaptation (grande muraille verte par exemple).

– eau : le pays a lancé l’initiative « Water for Africa » le 9 novembre dernier à l’occasion de la journée Eau, qui vise à améliorer la gestion de l'eau pour les populations vulnérables en Afrique. La veille, sa ministre de l’eau avait lancé une coalition pour l’eau « COALMA » en présence des ministres de l’eau du Tchad, du Burkina Faso.

– transport : le 10 novembre dernier a été annoncé que l’un des 2 premiers pays bénéficiaires de l’annonce MobiliseYourCity est le Maroc aux côtés du Cameroun et de 4 villes dont Casablanca. 

– bâtiment : Le ministre marocain de l’habitat a annoncé le 11 novembre dernier l’organisation d’une conférence internationale sur bâtiment et climat au Maroc en 2017. La France qui porte l’Alliance bâtiment pourrait y participer.

– océan : lancement d’une nouvelle initiative marocaine portant sur la résilience des zones côtières et la pêche durable intitulée « Ceinture Bleue ». 

d. Favoriser l’intégration régionale : l’AFD peut ici jouer un rôle important

En l’absence de véritables projets transnationaux, l’AFD se concentre sur des activités permettant de traiter des enjeux conjoints et de favoriser la convergence des stratégies de développement. Elle soutient aussi les initiatives portées par des ONG et par la société civile mises en œuvre à l’échelle régionale.

La mission juge essentiel de renforcer la dimension interrégionale des intervention de l’AFD au Maghreb, notamment en poursuivant et en élargissant les partenariats d’ores et déjà développés avec :

– le Centre pour l’intégration en Méditerranée (CMI). Le CMI est une plateforme multipartenaires réunissant des organismes de développement, des États, des collectivités locales et la société civile de l’ensemble du pourtour méditerranéen dans le but de partager des connaissances, d’entretenir un dialogue sur les politiques publiques et d’identifier des solutions aux défis de la région.

L’AFD est chef de file de trois des programmes du CMI (gestion de l’eau, transports urbains, emploi et formation professionnelle), qui concernent des enjeux majeurs pour la Méditerranée, recouvrent la majeure partie des secteurs que l’Agence finance dans la région et représentent une part significative de la production de connaissances de son département Méditerranée et Moyen Orient.

– le Plan Bleu, association française de la loi de 1901, qui est l’un des six centres d’activités régionales du Plan d’Action pour la Méditerranée du programme alimentaire mondial financé en partie par la France. Il assure les fonctions d’observatoire des tendances et indicateurs du développement durable en Méditerranée et contribue à l’analyse des liens entre développement et environnement, ainsi qu’à l’élaboration de scénarios de prospective et à la production de recommandations stratégique. Les axes de travail de cette coopération tournent autour des questions de gestion de l’eau, du tourisme et de la gestion intégrée des zones côtières ;

– le programme MedNC, mis en oeuvre par l’Office de Coopération Economique pour la Méditerranée et l’Orient, conçu pour appuyer l’adaptation et la diffusion du modèle français des écoles de la seconde chance (E2C) dans les pays du Sud de la Méditerranée. Il combine un accompagnement personnalisé des jeunes sur un socle de compétences de base (mise à niveau des connaissances scolaires et travail sur les attitudes et comportements), une formation technique assortie d’une expérience en entreprise, selon le principe de l’alternance, et l’appui à la construction d’un projet professionnel.

Au Maroc, l’implication de l’Office Chérifien des Phosphates, à travers son dispositif de formation OCP Skills, très structuré et doté de moyens importants, permettra de réaliser dans les trois villes moyennes de Khouribga, Safi et El Jadida des actions impliquant à terme plusieurs milliers de jeunes ;

En Algérie, un partenariat entre Danone Djurdjura (Danone étant une référence internationale en matière de RSE) et la CACI (Chambre Algérienne de Commerce et d'Industrie) a débouché sur la mise en place de l’école de vente Miftah Ennajah ; après Alger, le dispositif doit s’étendre à Oran et Constantine ;

En Tunisie, l’implication de l’ISCAE (Institut Supérieur de Comptabilité et d’Administration des Entreprises) de l’Université de Tunis lui permet de proposer à ses licenciés de suivre un programme accéléré (formations, coaching, stages) de 6 mois en vue de déboucher sur un emploi. Deux autres établissements universitaires ont prévu de se joindre au programme.

– enfin l’AFD finance par subvention directe des projets qui portent sur la gouvernance, l’appui à la société civile et la défense des droits humains (appui aux TPE et au développement solidaire au Maghreb ; appui aux entrepreneurs du Maroc, de Tunisie ; actions concertés sur les oasis au Maghreb et en Afrique Subsaharienne (Mauritanie, Tchad, Niger) ; abolition de la peine de mort au Maghreb et en Mauritanie ; défense des droits des migrants au Maghreb et en Afrique de l’Ouest ; éducation des enfants en situation de handicap ; appui à Reporters Sans Frontières ; programme de santé pour les populations vulnérables à travers des structures publiques et associatives).

4. La coopération en matière de sécurité : assurer la stabilité pour garantir des transitions politiques réussies

a. Poursuivre les efforts de coopération de sécurité et de défense au niveau bilatéral, notamment en matière de lutte contre le terrorisme

La France est très attendue sur les sujets de sécurité et de stabilisation de la région.

Au-delà du rôle politique qui lui revient, et qu’elle entend assumer, dans le règlement des crises de la région, particulièrement en Libye, la France doit maintenir un haut niveau de coopération sécuritaire avec chacun des pays du Maghreb.

La France doit ainsi poursuivre son appui aux pays du Maghreb, en se fixant des priorités thématiques et géographiques. Au plan géographique, la priorité doit être accordée à la stabilisation de la Tunisie, soumise à des risques qui dépassent ses capacités. Au plan thématique, la coopération doit se concentrer sur la réforme des secteurs de sécurité dans ces pays, ainsi que la lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, et encore une fois, la mission considère que tous nos efforts doivent être conjugués pour garantir la stabilité de la Tunisie.

Depuis la série d’attentats survenus en 2015, la coopération de sécurité et de défense avec la Tunisie a été significativement renforcée afin d’aider à l’accélération de la modernisation des forces tunisiennes de sécurité intérieure, toutes composantes confondues, dont la réactivité et le regain d’efficacité ont été démontrés en mars 2016 face à l’attaque de Ben Guerdane, puis de nouveau en mai 2016 lors de l’opération antiterroriste menée simultanément dans la banlieue de Tunis et les alentours de Tataouine.

En matière de défense, la coopération avec la Tunisie représente un budget d’environ 1,6 million d’euros pour 2016, l’un des plus élevés du monde arabe. Les actions de coopération s’articulent autour de trois projets principaux : enseignement militaire supérieur, appui aux forces spéciales, et appui à la gestion des ressources humaines.

En matière de sécurité intérieure, une coopération, qui n’a démarré qu’en 2012, a rapidement évolué depuis les attentats de 2015. Le renforcement capacitaire s’est poursuivi en 2016 avec plusieurs missions d'expertise dédiées à l’appui à la lutte contre le terrorisme. Ce projet s’est articulé autour de quatre axes principaux : renforcement des capacités de déminage, formation des personnels, prévention de la menace, et appui à la réforme du système d’alerte et à l’intervention des services spécialisés. 

En matière de protection civile, l’école nationale tunisienne de protection civile (ENPC) a ouvert ses portes cette année et accueille sa première promotion d’élèves. Pour faire suite au fonds de solidarité prioritaire (FSP) pour la modernisation de la protection civile tunisienne, qui avait été doté de 800 000 euros et qui est arrivé à échéance en juillet 2016, et aider le partenaire à acquérir son autonomie, un projet de convention a été proposé et se trouve en cours de validation par la partie tunisienne.

A partir de 2017, l’accent devrait être porté sur la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre du plan d’action de lutte contre la radicalisation et le terrorisme, la coopération sera placée dans la continuité des années précédentes en vue de renforcer l’état de droit et de moderniser les services de sécurité. La priorité concernera la thématique transverse de la lutte contre le terrorisme (coopération anti-terroriste, fraude documentaire, sûreté aéroportuaire).

En outre, le ministère de la défense réfléchit à la fondation d’une école nationale à vocation régionale dans le domaine de la gestion des espaces frontaliers. Localiser un tel centre en Tunisie correspond à une prise en compte du tracé des routes migratoires qui traversent la région. La récente infiltration de terroristes de Daech dans les faubourgs sud de la ville frontalière de Ben Guerdane, et les conséquences pour la Tunisie d’une éventuelle nouvelle intervention internationale en Libye, devraient inciter les autorités tunisiennes à s’impliquer dans ce projet. En outre, il parait judicieux de choisir un pays engagé dans un processus démocratique de consolidation de l’état de droit.

En matière de sécurité dans la région, l’Algérie est incontournable, et notre coopération, si elle n’est, pour des raisons historiques évidentes, pas toujours aussi fluide que nous le souhaiterions, est néanmoins essentielle et doit être poursuivie.

Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, l’implication algérienne au sein de conférences internationales sur la lutte contre le terrorisme s’est manifestée à plusieurs reprises : en juillet 2015 la conférence qu’elle organise met en valeur l’importance de l’isolation des détenus fondamentalistes et en octobre 2016 Alger accueille une conférence sur la cybercriminalité, puis sur la « place de la démocratie dans la déradicalisation ». Par ailleurs, elle copréside avec le Canada le groupe de travail sur le Sahel pour le Forum global de lutte contre le terrorisme (réunion fin novembre 2016). Enfin, l’Algérie a appelé au sein de l’ONU et de l’Union africaine à criminaliser le versement de rançons aux groupes terroristes. 

En terme de coopération bilatérale, nos liens dans ce domaine sont anciens et étroits avec l’Algérie. Alger a été à l’origine d’informations cruciales pour prévenir des tentatives d'attentats en France et progresser dans les enquêtes sur les attaques récentes. L’Algérie apporte enfin un soutien logistique aux forces françaises engagées dans  l’opération Barkhane de lutte contre le terrorisme dans la bande saharo-sahélienne.

Une coopération a également été lancée en matière de formation des imams.

Le ministre français de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, et le ministre algérien des affaires religieuses, M. Mohamed Aïssa, ont signé une déclaration d’intention le 18 décembre 2014. Elle met l’accent sur la formation linguistique (exigence d’obtention d’un niveau B1 en Français pour les candidats), mais aussi civique et sociétale des futurs imams détachés algériens en France. La déclaration d’intention met en place un groupe de travail chargé d’examiner les questions de la formation des imams en France. La seconde session de ce groupe devrait se tenir à Paris à la fin de l’année 2016.

La première promotion de 57 imams détachés est arrivée en France entre les mois de septembre et novembre 2016. Ils suivent une formation à leur arrivée composée d’un test linguistique d’évaluation (qui a confirmé le niveau B1 en Français), d’une formation sur les institutions françaises et la vie en France, la laïcité et le fait religieux ainsi que l’histoire de l’islam en France, ses institutions et ses enjeux. Cela est complété par la création de diplômes universitaires (D.U.) de formation civile et civique pour compléter la formation des futurs imams par des enseignements de sociologie, de droit et d’histoire de la laïcité.

Enfin, au Maroc, la stratégie en matière de prévention de la radicalisation et de lutte contre le terrorisme s’articule autour de deux axes principaux :

– la réforme du secteur de la sécurité ;

– un travail social de fond destiné à agir sur les facteurs de la radicalisation, entrepris dès  les attentats de Casablanca en 2003. Dans ce cadre, le Maroc avait lancé récemment, avec le soutien des Etats-Unis, un programme ambitieux d’amélioration des conditions de vie dans les prisons. 

Le Maroc participe à la réflexion active sur la promotion d’un islam tolérant. Il a par exemple organisé en janvier 2016 une conférence internationale d’oulémas sur les « droits des minorités religieuses en terre d’islam ».

Le Maroc et la France coopèrent également sur la formation des imams. La déclaration conjointe sur la formation des imams a été signée le 19 septembre 2015 par M. Ahmed Toufik, ministre des Habous et des affaires islamiques, et M. Laurent Fabius. Le premier comité bilatéral s’est tenu le 8 décembre 2015 dans un excellent climat de confiance. Cette avancée dans notre coopération religieuse est une première étape significative. 

L’institut Mohammed VI est un acteur majeur dans la formation des imams marocains et étrangers. La promotion des élèves français de l’institut a augmenté en passant de 18 élèves en 2015 à 30 élèves en 2016. Suite à une formation de plus d’un an, une première promotion d’imams maliens a pu repartir au Mali en juin 2016 officier sur le terrain. L’institut charge une commission de déceler des signes de radicalisme chez les nouveaux étudiants. Lors de la dernière réunion de travail du comité franco-marocain, le 22 septembre 2016, la délégation marocaine a marqué sa disposition à enrichir le programme d’enseignements de sciences humaines liées à l’histoire de France.

Le Maroc s’est enfin engagé financièrement pour les mosquées de France, les fédérations de mosquées et les grandes mosquées indépendantes. Le Maroc finance par le biais de l’Union des mosquées de France les mosquées de d’Evry, de Blois, de Saint-Etienne (5 millions d’euros du Maroc pour la construction et couverture des frais de fonctionnement à hauteur de 700 000 euros/an), de Strasbourg (Grande Mosquée : 3,9 millions d’euros pour la construction, 800 000 euros de frais de fonctionnement).

Avec la Libye, la relance formelle de nos activités de coopération de défense, gelées depuis la fermeture de notre ambassade en juillet 2014, reste subordonnée à un certain nombre de conditions : mise en place d’institutions nationales et inclusives (notamment dans le domaine sécuritaire), garanties quant à l’unité des forces libyennes et respect du régime de sanctions et de vérification établi par le Conseil de sécurité des NU.

Pour rappel, la coopération bilatérale de défense s’est fortement développée de 2011 à 2014, notamment dans le domaine maritime et aérien, avant d’être gelée à l’été 2014 par la formation de deux gouvernements concurrents.  Nous devons nous tenir prêts à étudier toute demande des autorités libyennes.

Enfin, la France est redevenue un partenaire prioritaire en Mauritanie et notre relation bilatérale de défense est bonne. Après une rupture en 1999, notre coopération a discrètement repris en 2008 en se concentrant sur l’assistance à la lutte antiterroriste. 

Elle s’appuie sur cadre juridique perfectible qui comporte une convention intergouvernementale pour la formation militaire (1976), des arrangements techniques temporaires pour l’entrainement des forces spéciales et un document conjoint de procédure sur le statut du détachement d’Atar. Un SOFA est en cours de discussion depuis octobre 2014 afin d’offrir une protection juridique pleinement satisfaisante aux forces déployées dans le cadre de la régionalisation des opérations. 

Coopération structurelle mise en œuvre par la DCSD : 13 coopérants permanents, dont deux coopérants placés directement auprès des structures du G5, pour un budget de 2M€ en 2015 (en baisse en 2016). Cette coopération s’accompagne de missions d’expertise et d’action de formation de stagiaires en France et dans les ENVR.

Coopération opérationnelle essentiellement mise en œuvre par les Éléments français au Sénégal (EFS) : huit DIO au profit des forces armées mauritaniennes en 2015, six depuis janvier 206. Cette action complète celle du Détachement d’assistance militaire opérationnel (DAMO) mis en place à Atar en janvier 2014 dans le cadre du partenariat Barkhane. À noter : il devrait être mis fin au DAMO d’Atar cette année à la demande des autorités mauritaniennes.  

b. Au niveau régional : les enjeux de la présidence française du 5+5 Défense

L’Initiative 5+5 Défense a été créée en 2004, sous l’impulsion de la France. Elle n’a pas vocation à être le cadre décisionnel d’un engagement opérationnel dans les crises régionales. Elle est un instrument visant à renforcer le dialogue et la compréhension mutuelle des États membres par la promotion d’activités pratiques de coopération et le partage des expériences. Elle doit notamment être utilisée pour faciliter le développement d’une réflexion portant sur les enjeux stratégiques communs. Sa réussite repose sur le respect de quelques principes auxquels l’ensemble des partenaires est particulièrement attaché : approche pragmatique, volontariat pour participer et organiser les activités, décision par consensus, économie des moyens. 

Depuis 12 ans, l’Initiative 5+5 s’est imposée comme une enceinte particulièrement active en matière de coopération multilatérale de sécurité (45 activités ont été planifiées en 2015 et 40 en 2016). Les activités s’organisent en 4 domaines : surveillance maritime, sûreté aérienne, contribution des forces armées à la protection civile, formation – recherche). Dans ce dernier domaine, le Collège 5+5 Défense a assuré la formation de près de 500 auditeurs des dix États membres et le centre euromaghrébin de recherche et d’études stratégiques (CEMRES) a mené 6 travaux de recherche.  

La dernière déclaration conjointe des ministres de la défense de l’Initiative, signée le 10 décembre 2015, a confirmé les défis liés au terrorisme, à l’immigration illégale, au crime organisé et en exprimant le souhait de voir se dessiner une solution à la crise libyenne. Par ailleurs, l’appel à favoriser « l’échange de renseignement » est apparu comme une évolution du discours limité jusqu’alors à l’échange d’informations.

Lors de leur réunion, les ministres ont validé le plan d’action 2016. Celui-ci comprend 40 activités. L’Algérie, qui préside l’initiative en 2016, est en charge de l’organisation des réunions de haut-niveau ; elle a, par ailleurs, accueilli le un module de préparation opérationnelle du CCPO (centre non-permanent de coordination et de planification opératif). Le Maroc pilote le travail de recherche du CEMRES dont le thème est : « Daech : facteurs d’expansion de l’espace 5+5 ». L’Italie a organisé l’exercice naval annuel Sea Border avec l’Algérie et le Portugal. La France a organisé, entre avril et juin 2016, une activité de formation de niveau intermédiaire dans le cadre du Collège 5+5 Défense intitulée « coordination des acteurs militaires et humanitaires lors d’une catastrophe naturelle » et accueillera un séminaire « sûreté aérienne » à Salon-de-Provence le 3 novembre 2016. 

Le comité pédagogique du Collège 5+5 Défense, qui s’est réuni les 19 et 20 septembre 2016 à Alger, a permis de proposer un calendrier de formation sur les 3 niveaux (initial, intermédiaire et supérieur) jusqu’à l’été 2019. Un cycle de formation sera dédié entre l’été 2018 et l’été 2019 aux enjeux sécuritaires liés aux changements climatiques.

La France prendra la présidence de l’Initiative 5+5 le 1er janvier 2017. Elle sera chargée d’organiser la réunion des ministres de la défense (en décembre) ; les deux réunions du comité directeur (en mars et en novembre) et la réunion des CEMA (en octobre). Par ailleurs, elle pilotera les travaux de recherche du CEMRES. Le sujet sera validé lors du  prochain comité directeur. Le comité de pilotage du CEMRES a proposé le sujet suivant : « « Les enjeux de sécurité liés aux changements climatiques dans l’espace 5+5 : quelles implications pour les politiques de défense ».

De plus, elle organisera l’exercice Sea Border en partenariat avec le Maroc et un module (marine) du niveau initial du Collège 5+5 Défense. 

Enfin, elle accueillera un (ou deux) comité pédagogique du Collège 5+5 Défense.

L’Initiative 5+5 est un outil efficace dont il convient de préserver le dynamisme. À ce titre, la présidence française devra participer à sa consolidation dans un esprit de continuité des présidences tunisienne et algérienne. Elle devra :

– veiller au respect de l’esprit de l’Initiative :

– s’assurer du respect des grands principes de l’Initiative : approche pragmatique, volontariat pour participer et organiser les activités, décision par consensus, économie des moyens ;

– encourager dans la programmation d’activités la bonne prise en compte des 4 domaines de l’Initiative (surveillance maritime, sûreté aérienne, contribution des forces armées à la protection civile, formation – recherche) ;

– favoriser les échanges d’analyse et de connaissance lors des différentes réunions organisées en France. L’aspect formel de l’accueil et l’ouverture à la dimension culturelle (visite) sont, en outre, des éléments fondamentaux ;

– renforcer les mécanismes existants :

– promouvoir le rayonnement de l’Initiative (par son site internet notamment) ;

– proposer un système d’archivage des documents de l’Initiative ;

– consolider le fonctionnement du Collège 5+5 Défense (encourager la validation d’un règlement intérieur de son comité pédagogique) ;

– influencer les thématiques de recherche et de formation en fonction des priorités nationales.

CONCLUSION

Malgré des défis partagés, les pays du Grand Maghreb peinent à trouver une unité sur les plans diplomatiques ou économiques, tant l’intégration régionale se heurte à des situations internes hétérogènes ainsi qu’à des rivalités historiques entre les pays qui la composent.

L’urgence de la question sociale, les évolutions sociétales qui sont intervenues depuis 2011, la recherche d’un compromis historique entre islam politique et démocratie pluraliste, ou encore la réémergence de la menace terroriste, posent néanmoins la nécessite d’un dialogue régional renouvelé, que l’Union européenne, et la France, doivent impulser.

C’est dans ce contexte, faisant état à la fois des difficultés transversales au Maghreb mais aussi d’un fort potentiel politique et économique qu’il s’agit de mettre en valeur, que cette mission d’information s’est essayée à analyser les grandes orientations de la politique européenne dans cette région.

Démesurément ambitieuse selon les uns, en manque de traductions concrètes selon les autres, il est clair en tout cas que la relation euromaghrébine a pris un nouveau tournant historique depuis 2011. La France ne doit pas ménager ses efforts, au niveau européen, pour convaincre ses partenaires qui ne partagent pas son « tropisme maghrébin », du caractère stratégique de cette région pour le développement économique de l’Europe, sa sécurité, ou encore ses relations stratégiques avec le continent africain.

Enfin, le rapport fait état des quelques lignes d’actions qui pourraient être empruntées par la France pour conserver les relations d’exception qu’elle entretient avec le Maghreb. Au premier rang des préconisations de la mission figure ici le nécessaire réinvestissement intellectuel d’une région que notre pays ne peut plus se targuer de connaître aussi bien que par le passé. L’apprentissage des langues, la création de laboratoires de recherches spécialisés sur le Maghreb et plus largement le monde arabophone et musulman, la mise en place de think tank et la valorisation des bi-nationaux comme traits d’union entre nos deux rives, sont autant d’efforts que nos autorités doivent consentir pour garantir la solidité de nos liens dans le futur.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 18 janvier 2017.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. L’ordre du jour appelle l’examen du rapport de la mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb présidée par M. Guy Teissier et dont le rapporteur est M. Jean Glavany.

M. Guy Teissier, président de la mission d’information. Madame la Présidente,

Mes chers collègues,

En 2011, des soulèvements populaires dans le Maghreb et au Proche-Orient ont mis fin à des régimes que l’on croyait solidement implantés. Cette déflagration avait alors surpris les capitales européennes et ses meilleurs spécialistes, elle avait pour un temps, attiré l’attention des médias sur une région parfois délaissée au profit du Levant.

Il a nous a semblé judicieux de faire le point, cinq ans après, sur chacun des pays qui forment ce qu’on appelle le Grand Maghreb, soit le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, mais aussi la Libye et la Mauritanie.

Tout d’abord en raison du caractère stratégique de cette région pour l’Europe, trop souvent oubliée par nos partenaires européens. L’actualité de cette région est parfois éludée par celle du Proche et du Moyen-Orient, ou de l’Afrique subsaharienne, mais les pays d’Afrique du Nord représentent un intérêt vital pour l’Union européenne. Au plan économique tout d’abord : les trois pays qui forment le petit Maghreb sont des pays émergents, qui constituent un espace de croissance potentielle vitale pour l’Europe ; c’est aussi une région où se joue son approvisionnement énergétique. Au plan politique ensuite : les pays du Maghreb, s’affirment de plus en plus sur la scène internationale, mais surtout, ils forment la porte de l’Afrique et sont donc incontournables dans nos relations avec ce continent. Enfin au plan sécuritaire : que ce soit la menace terroriste ou les crises migratoires ou encore le conflit libyen, la sécurité de l’Union européenne se joue au sud et avec les pays du Maghreb. Ce qui fait le caractère d’exception de cette région n’est pas assez intégré par la politique européenne dans la zone, alors que d’autres acteurs internationaux, notamment les Etats-Unis, ou encore la Chine ne s’y sont pas trompés et ont intensifié leur partenariat avec le Maghreb ces dernières années.

Mais l’accent a aussi porté sur les cinq pays qui forment le Grand Maghreb, en raison des liens d’exceptions qui unissent la France à chacun d’entre eux. Cependant, les travaux de la mission ont révélé deux éléments importants : notre connaissance de ces pays n’est plus aussi intime qu’autrefois, faute notamment d’un véritable investissement intellectuel ici, en France. Par ailleurs, il serait hasardeux de croire qu’un héritage historique, certes riche, suffit à préserver les relations privilégiées que notre pays entretient avec le Maghreb. Comme l’indiquait un interlocuteur de la mission, « la France pense que notre histoire partagée suffit à garder le lien, il n’en est rien ».

Nous nous sommes donc rendus en septembre dernier à Rabat et Casablanca, Nouakchott, Tunis et enfin Alger, où nous avons pu rencontrer un grand nombre de responsables politiques, mais aussi de représentants des milieux économiques et de la société civile.

Je laisserai M. Glavany insister sur ce qui fait la cohérence de cet espace géographique insulaire, qui n’a pas encore trouvé de traduction politique, pour me concentrer sur ce qui fait la spécificité de chaque trajectoire nationale. Depuis 2011 et l’onde de choc des « révolutions arabes », chaque pays tente en effet de trouver une voie qui lui est propre en répondant aux attentes de la population, tout en maintenant une certaine stabilité.

Je débuterai par les trois pays qui forment le cœur du Maghreb, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, avant d’évoquer rapidement la Mauritanie et la Libye.

La Tunisie tout d’abord, devenue le symbole des révolutions arabes. Il nous a semblé que si le pays a achevé le premier temps de sa transition, sa démocratie reste fragile, au plan social, politique et sécuritaire :

Tout d’abord, les revendications de dignité et de justice n’ont en grande partie pas trouvé satisfaction et beaucoup de Tunisiens ont vu leurs conditions de vie se dégrader depuis 2011.

Selon de nombreux interlocuteurs de la mission, le risque est grand de nouvelles éruptions sociales dans un contexte de « désocialisation » croissante de la colère populaire, et de chômage de masse des jeunes. En janvier 2016, le plus grand mouvement social depuis la révolution, parti de Kasserine, a essaimé dans toutes les régions intérieures, s’est accompagné de violences contre les symboles de l’État, notamment la police. Depuis décembre 2015, les chômeurs de Sidi Bouzid manifestent devant le ministère du travail; de même qu’à l’usine Petrofac de Kerkennah depuis janvier 2016. Les scandales de corruption dans le domaine de la santé ont aussi nourri le mécontentement populaire.

Or les autorités tunisiennes peinent à apporter une réponse rapide et efficace aux besoins de la population : le dialogue national sur l’emploi présenté fin mars n’a pas encore rempli toutes ses promesses, et le plan quinquennal censé présenter au public et partenaires internationaux les grandes orientations stratégiques du pays n’a été publié qu’en septembre 2016. Aux attentes de la population s’ajoutent les réformes économiques attendues par les bailleurs internationaux (code des investissements, réforme fiscale, assainissement budgétaire, amélioration de l’environnement des affaires) qui tardent à être mises en œuvre et le sont parfois sans ordonnancement stratégique selon certains. L’adoption d’une loi sur les investissements visant à moderniser et à rationaliser le cadre juridique est cependant un signe encourageant. De même que le véritable succès de la conférence Tunisie 2020 organisée en novembre dernier.

Au plan politique, le pays connaît aussi des fragilités : un nouveau gouvernement dirigé par Youssef Chahed a été désigné, au sein duquel l’UGTT et la gauche ont fait leur entrée, et où Ennahda a obtenu des postes importants bien que non régaliens (avec l’économie, le commerce et le numérique, ils seront en charge des secteurs qui représentent près de 60 % du PIB tunisien). Le parti Ennahda, qui demeure le principal soutien du gouvernement, est sans nul doute devenu la première force politique au Parlement et dans le pays, notamment avec l’effritement du « parti » Nida Tounès. Cette coalition de circonstance a été fragilisée par la scission des partisans de Mohsen Marzouk. Or ceci n’est pas sans risque pour la stabilité gouvernementale, alors même que le pays a besoin d’une majorité forte pour mener des réformes urgentes...

Au plan sécuritaire, les risques de déstabilisation de la Tunisie sont très élevés : les trois attentats qui ont marqué l’année 2015 en Tunisie, dont certains préparés en Libye et l’attaque de Ben Gerdane en mars 2016, montrent que la situation est encore fragile. Il existe encore des maquis dans le Centre-ouest du pays. Mais la menace prend davantage le visage d’un terrorisme urbain, interagissant avec le djihadisme international et de plus en plus aligné sur la stratégie de l’Etat islamique. La tentative de prise de la ville de Ben Gerdane par un groupe affilié à Daech, préparée de longue date, l’a montré. Enfin, la présence de quelques 1500 djihadistes tunisiens en Libye et la perspective du retour de milliers d’autres en Syrie ou en Irak est un sujet de préoccupation majeur. Les forces de sécurité, malgré un effort de mise à niveau, n’ont pas toujours les capacités ou l’organisation adaptée pour répondre aux menaces terroristes et contrôler leur frontière.

Il est évident que les terroristes veulent voir le modèle tunisien tomber, il faut donc s’attendre à ce que les menaces s’accroissent et il faut accorder un soutien prioritaire au pays.

La mission s’est aussi rendue au Maroc, où la situation est bien différente. Le Roi a dès 2011 fait le pari de la réforme politique, qui s’est avéré gagnant. On peut voir là une forme de continuité avec le début d’ouverture engagé à la fin du règne d’Hassan II. Il reste que l’adoption par le Maroc d’une nouvelle Constitution dès le 1er juillet 2011, suivie d’élections législatives anticipées remportées par le parti PJD, marque un vrai tournant dans la dynamique de réforme des institutions.

Selon nos interlocuteurs, les élections du 7 octobre 2016 ont marqué un nouveau changement avec l’introduction d’une forme de bipartisme opposant des formations relativement neuves : ces élections se sont traduites par une nette victoire du PJD. Comme pour le parti Ennahda en Tunisie, ce succès confirme le profond enracinement électoral du PJD dans le pays. C’est aussi une victoire personnelle pour l’actuel chef du gouvernement, Abdelilah Benkiran, avec lequel nous nous sommes longuement entretenus. Le parti PAM s’impose quant à lui comme la deuxième force politique du pays : cette formation, même si elle demeure une coalition hétéroclite, sera le futur pivot de l’opposition.

Si sur le volet institutionnel la réponse a été rapide et menée avec succès, sur le terrain social, les demandes d’accès à la justice sociale, à l’éducation, à l’emploi, à la dignité et à la liberté n’ont pas toutes trouvé satisfaction, ce malgré des efforts qu’il faut saluer de la part des autorités marocaines. C’est à nos yeux le défi premier du Maroc aujourd’hui.

Depuis son avènement au pouvoir, Mohammed VI en a fait sa priorité. Des avancées importantes ont été obtenues : recul de la pauvreté ; baisse du taux d’analphabétisme ; nette amélioration de la couverture santé ; relogement de plus de la moitié des habitants des bidonvilles.

Cependant, les problèmes sociaux demeurent importants. Les inégalités sociales demeurent fortes. Une large frange de la classe moyenne reste en situation de vulnérabilité économique. Le système public d’éducation souffre de carences profondes, dont l’attrait des lycées français est parfois le reflet, et l’université produit trop de « jeunes diplômés chômeurs ». C’est le secteur informel, qui représente la moitié des emplois du pays, qui joue le rôle d’amortisseur social, ainsi que l’aide internationale de l’Europe, mais aussi des pays du Golfe.

Au final le Maroc semble bien engagé sur la voie des réformes.

La mission s’est rendue en Algérie, où, au plan politique, la question qui occupe tous les esprits est celle de la succession d’Abdelaziz Bouteflika, réélu le 17 avril 2014 dès le premier tour, avec 81,5% des suffrages, face à son ancien Premier ministre. De nombreux mouvements internes ont lieu dans les milieux administratifs, militaires et économiques, vraisemblablement pour préparer la succession du chef de l’État algérien. Les autorités ont effectué de nombreux remaniements depuis le mois de mai 2015, avec le remplacement très commenté du général Médiène et le remaniement de plusieurs portefeuilles ministériels. Plus récemment, le Président Bouteflika a procédé à la dissolution du DRS remplacé par une nouvelle structure, directement rattachée à la Présidence de la république.

Certains de nos interlocuteurs ont évoqué la possibilité que l’actuel Chef d’État-Major succède au Président. En réalité, tous ces mouvements sont aujourd’hui difficiles à interpréter tant leur finalité demeure opaque.

Autre élément d’incertitude, et non des moindres, la situation économique et sociale. La baisse du prix du pétrole met en danger le modèle d’économie de rente qui avait, avec le souvenir de la guerre civile, contribué – grâce à une redistribution notamment en direction des jeunes – à prémunir l’Algérie contre la vague de soulèvements populaires de 2011. Le gouvernement avait en effet répondu par un relèvement du SMIC, du minimum retraite et des primes aux fonctionnaires ainsi qu’une augmentation des subventions et des aides sociales.

Le choc pétrolier qui pèse sur l’Algérie depuis 2014 prive le gouvernement de cet amortisseur social. Comme dans tous les autres pays du Maghreb, le rythme de la croissance reste trop faible pour permettre au chômage de se résorber. Malgré les discours du gouvernement sur la diversification, les contraintes administratives continuent de peser sur le secteur privé en Algérie.

Au plan sécuritaire, le terrorisme a baissé jusqu’à un niveau sans commune mesure avec les années 1993-1998 et la situation semble aujourd’hui sous contrôle. En effet, dès son élection en 1999, le Président Bouteflika a mis en œuvre une politique de réconciliation nationale, et fait adopter par référendum en 2005 une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », qui a permis de rétablir la paix dans le pays. Mais les crises régionales pourraient raviver la menace. Le groupe Al Mourabitoune (faction dissidente d’AQMI), entré par la frontière libyenne, a attaqué le 16 janvier 2013 le site gazier d’In Amenas faisant 67 morts avant d’être neutralisé par l’armée algérienne. Enfin, Daech attire certaines branches dissidentes d’AQMI, ce qui risque d’introduire une logique de surenchère entre les différents groupes terroristes. L’assassinat du français Hervé Gourdel à Tizi Ouzou confirme cette tendance.

La mission a aussi fait le choix de se rendre en Mauritanie, pays souvent négligé au sein du Grand Maghreb, mais qui a une importance stratégique capitale, étant à la fois ouvert sur le Maghreb et le Sahel, où la France est engagée.

Au plan sécuritaire, la Mauritanie a été le premier pays sahélien touché par le terrorisme. Le pays a su rapidement réorganiser ses forces de sécurité et de renseignement qui apparaissent aujourd’hui comme parmi les plus efficaces de la sous-région. Le président Aziz, que nous avons rencontré, a estimé que la contribution de la France avait été décisive au Mali et dans l’ensemble de la sous-région. Enfin, le G5 Sahel regroupant autour de la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso est un outil certes perfectible mais essentiel pour assurer la sécurité dans la région, que la France doit encourager.

Si au plan sécuritaire, la situation est stabilisée, les fragilités de la Mauritanie résident plutôt au plan économique et sociétal et ne doivent pas être sous-estimées.

La chute durable des cours du secteur extractif notamment du fer, ont provoqué une forte diminution des revenus issus du secteur minier. Les autorités mauritaniennes n’ont pas engagé de diversification sérieuse de leur économie. Certes quelques tentatives ont vu le jour, comme en témoigne la zone franche de Nouadhibou, mais elles restent marginales et ne profitent pour l’instant qu’à quelques proches du pouvoir et à quelques firmes étrangères notamment espagnoles. En attendant, le pouvoir mauritanien compte beaucoup sur des appuis extérieurs, notamment des pays du Golfe, qui a pour conséquence une dépendance diplomatique inquiétante vis-à-vis notamment de l’Arabie Saoudite.

Enfin et surtout, la cohésion nationale est toujours en question. La question de l’esclavage et de ses séquelles et plus largement la question identitaire est une des questions essentielles qui agitent la société et la classe politique mauritanienne. Elle polarise encore la société entre Beidhan, tribus maures d’origine arabo-berbères, Harratin, descendants d’esclaves noirs et populations noires – mauritaniennes, peuls, soninké ou wolofs.

On peut légitimement s’inquiéter de la fracture grandissante entre les communautés. Le risque qu’elle fait courir rapproche la Mauritanie du Mali où la division entre populations du sud et Touareg du nord a provoqué l’instabilité que l’on connaît depuis 2012, instabilité encore accentuée par les risques récents de « sécession » des Peuls du Macina.

Enfin, je dirai quelques mots de la Libye.

Cinq ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye est encore plongée dans des difficultés sécuritaires et politiques particulièrement préoccupantes.

Les accords de Skhirat ont eu la vertu d’acter la solution politique et le retour du gouvernement à Tripoli. La reconquête de Syrte grâce aux brigades de Misrata et aux frappes américaines, a permis également à M. Sarraj et à l’Ouest de consolider leur légitimité. Mais celui-ci peine à affirmer son autorité sur l’ensemble du pays, comme en témoigne récemment la tentative de prise de plusieurs ministères par des groupes armés.

Le Parlement réuni à Tobrouk, sous la présidence de M. Saleh a, à trois reprises, rejeté la liste du gouvernement d’entente nationale. Surtout, une offensive menée mi-septembre par le général Khalifa Haftar a détrôné Jadran et lui a permis de prendre possession des champs pétroliers, et de reprendre la main politiquement. Il a fait la preuve qu’il avait un projet pour la nation en remettant les clés des infrastructures à la Compagnie pétrolière nationale. Tout l’enjeu de la négociation est donc moins d’être pour ou contre Khalifa Hafter, que de trouver une solution pratique permettant d’accorder une place à ses forces, tout en veillant à ce qu’il soit maintenu sous l’autorité d’un gouvernement civil.

Il est d’autant plus urgent de trouver un accord que les divisions profondes du pays s’accroissent, de même que les risques sécuritaires. On assiste à la dangereuse (re) constitution de deux camps, Est et Ouest, Hafter contre Misrata : les deux autorités rivales sont à moins de 200 km l’une de l’autre. S’y ajoutent les affirmations claniques et la prédation économique qui conduisent chaque groupe à chercher à étendre son influence à partir de son territoire. Enfin, le risque terroriste est bien présent. Certes, les forces de Daech ont été éradiquées à Syrte. Mais on observe un retour des djihadistes à Sabratha, où leur camp avait été détruit par des frappes américaines. Or cette ville est située à 100km de la frontière tunisienne. Une implosion du pays répercuterait sur ses voisins, mais aussi l’Europe, je rappelle en effet que la question migratoire est loin d’être réglée : avec la fermeture de la route turque, la Libye est redevenue depuis avril 2016 le premier pays de départ des migrants vers l’Europe. Il y a donc urgence à stabiliser ce pays.

La situation de chacun des pays du Maghreb est donc bien différente, et il convient que notre diplomatie tienne compte de ces spécificités au plan bilatéral. Il n’en demeure pas moins que ces pays partagent des enjeux communs, qui appellent une réponse globale, et sur lesquels Jean Glavany va davantage insister.

M. Jean Glavany, rapporteur de la mission d’information. D’abord je voudrais dire le grand intérêt que j’ai porté à ce travail pendant six mois. C’était un voyage intellectuel dans le Maghreb contemporain véritablement passionnant.

Je commencerai par une formule toute faite, « le Maghreb existe mais nous ne l’avons pas rencontré ». L’UMA, l’Union du Maghreb arabe qui avait été créée à la fin des années 1980, est une réalité politique évanescente, sans aucune espèce de contenu politique, la faute à la sempiternelle cassure entre le Maroc et l’Algérie sur le dossier du Sahara occidental. Le Maghreb est une réalité géographique, mais nullement politique et à peine économique.

Pour introduire ce débat, je me contenterais de faire quelques réflexions.

Premier préalable, partout où nous sommes allés, dans tous les pays du Maghreb, on nous a dit : « l’Europe regarde trop à l’est, et pas assez au sud ». C’est vrai. Nos efforts ne sont pas assez entraînants vis-à-vis du Maghreb. Une des questions qui doit nous obséder, et sur laquelle le rapport insiste, est celle de la nécessité de faire mieux en direction du sud. Il faut reconnaître que seul le dispositif 5+5, fonctionne et demeure à enrichir, mais sur les autres volets de notre politique euromaghrébine, nous pouvons encore faire des propositions.

Deuxième préalable, la France ne connaît plus le Maghreb. Elle a longtemps vécu sur l’acquis et l’idée que l’on connaissait bien ces anciens pays de notre espace colonial, où beaucoup de Français avaient vécu (vécu qui alimentait les connaissances intellectuelles françaises). Cet acquis est épuisé et dépassé. L’enseignement supérieur et la recherche en matière de Maghreb décline en France, parfois d’une manière alarmante comme l’illustre la suppression de certaines chaires à Sciences Po notamment. Il n’y a aucun think-tank qui soit exclusivement consacré au Maghreb. Il est urgent et indispensable de réinvestir intellectuellement dans les relations France-Maghreb, et que ce sujet redevienne une obsession pour les politiques de demain.

Pourtant, ces cinq pays ont énormément de choses en commun, au-delà de la géographie. Ce sont nos premiers voisins du sud, et ils sont plus que jamais la porte d’entrée de l’Europe vers l’Afrique, certains parlent même de « hub ». Ce sont aussi les voisins du nord de la zone sahélienne, de tous les dangers, dans laquelle nous avons investi et investissons toujours sur le plan militaire. Dès lors, d’un point de vue stratégique, ces premiers voisins qui sont à la fois à nos portes et entre nous et l’Afrique, ne peuvent pas être autre chose qu’une priorité de la diplomatie française et européenne.

Deuxième point commun, ils sont au cœur d’une double instabilité politique et sécuritaire. Si l’on met à part la Mauritanie (satisfaisant d’un point de vue politique et sécuritaire, et avec laquelle notre coopération se passe bien) et la Libye (nous avons fait un rapport avec Nicole Ameline il y a deux ans intitulé « L’urgence libyenne », on devrait parler aujourd’hui de « l’extrême-urgence libyenne », plus préoccupante que jamais) et que l’on se focalise sur la trilogie Algérie-Tunisie-Maroc, on découvre cette double fragilité politique et sécuritaire. Je suis frappé de voir à quel point tout tourne parfois autour des hommes et de leurs fragilités : en Tunisie, le pouvoir exercé par Nidaa Tounes et par Béji Caïd Essebsi qui a atteint un âge avancé ; Abdelaziz Bouteflika en Algérie ; et au Maroc un roi courageux, moderne, visionnaire à certains égards. Pendant notre mission, j’ai notamment été frappé par le courage de cet homme dans un discours qui date du 20 août où, s’exprimant comme chef des croyants, il dénonçait avec une virulence extrême l’islamisme radical, dans des termes qu’aucun chef occidental n’aurait osé employer – et d’ailleurs je suis étonné que les médias français en aient fait si peu d’écho. Mais cet homme est un roi malade. Je ne suis pas porteur de secret médical, mais chacun sait qu’il est atteint d’une maladie à évolution lente, soignée à la cortisone. Lui aussi représente des pouvoirs personnels qui sont d’une grande fragilité, et sur lesquels pèsent de nombreuses interrogations.

Cette position stratégique des pays du Maghreb, à la fois entre la Méditerranée et la bande sahélienne, fait que la lutte antiterroriste est une œuvre quotidienne des forces de sécurité et de renseignement de ces trois pays. J’ai été très marqué par des propos entendus dans les trois pays. Intellectuels, politiques, journalistes ou syndicalistes nous disaient : « vous êtes bien naïfs et bien gentils face au terrorisme en France, quand on voit les critiques adressées à certaines lois adoptées ici ». Cette double fragilité politique et sécuritaire est un enjeu majeur.

Troisième point commun : ils sont aussi aux prises avec le même défi démocratique face à l’emprise de l’islam sur la société, et aux risques de radicalisation. Nous nous sommes promenés dans les rues d’Alger ; sans faire d’allusion à notre actualité, on ne voit plus de femmes à la terrasse des bistrots en Algérie, comme d’ailleurs dans tous les pays du Maghreb. Cette emprise d’un islam qui peut être radical sur les sociétés se conjugue avec des expériences politiques qui sont menées au plan gouvernemental et parlementaire à partir du constat – que je ne fais pas forcément mien – que l’éradication ayant échoué, il convient de tenter l’assimilation démocratique. Ces forces politiques vont du parti PJD au Maroc – à ce propos, le Premier ministre marocain nous a accordé un long entretien sur le lien entre démocratie et islam où il nous a fait un numéro de charme très séduisant intellectuellement–, à l’Algérie, qui s’efforce d’exercer une forme de contrôle sur les imams et leur prédication, notamment le ministre des cultes – sans qu’il soit aisé d’en mesurer l’effectivité –, en passant par la Tunisie avec Ennahdha, qui a échoué au pouvoir avant d’être battu puis associé au gouvernement par Nidaa Tounes, dans le cadre d’un compromis peut-être historique mais qui pourrait potentiellement être source de dangers et de toutes les évolutions possibles. Ces pays au cœur du Maghreb ont ce même défi démocratique puissant, poignant, d’une radicalisation d’une partie de la société, et d’une traduction politique pour l’instant chancelante, que nous devons observer avec grande attention.

Dernier point commun, une grande fragilité économique assortie de troubles sociaux sous-jacents au quotidien, avec peut-être un petit bémol pour le Maroc, dont nous avons vu le boom autour de Rabat et Casablanca. Nous avons à ce titre visité une zone d’activité internationale. La chambre de commerce franco-marocaine a investi dans le foncier à l’aide des pouvoirs publics, ce qui donne une zone économique de plusieurs milliers d’hectares. C’est très encourageant pour le Maroc. Mais quoi qu’il en soit dans les trois pays subsiste ce même défi économique, qui fait que les troubles sociaux sont latents, et qu’à tout moment, ce que l’on a appelé pour d’autres pays la « révolution des ventres », pourrait s’exprimer.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup chers collègues, monsieur le président, monsieur le rapporteur. C’était un exposé tout à fait passionnant qui approfondit encore notre analyse en complétant celles des missions précédentes. Je voudrais juste faire deux remarques car vous savez à quel point je suis liée personnellement à ces pays – et pas seulement au Maroc où je suis née et où j’ai vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans. La première de ces remarques est la suivante : nous avons un lien avec ces pays, en particulier l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc, lien qui est d’une part historique avec la proximité géographique et d’autre part surtout humain et culturel. Cela reste encore aujourd’hui un atout alors que ces pays redécouvrent dans leur enseignement l’usage du français qui a longtemps été minoré ou même mis à l’écart. C’est également un lien qu’il nous faut revivifier et je suis, comme vous, inquiète de la baisse – ou plutôt de l’insuffisance - des moyens face aux besoins qui sont exprimés en direction de nos instituts et de nos établissements d’enseignement – François Loncle a notamment fait plusieurs rapports là-dessus.

Nous devons absolument entraîner davantage les Européens et d’autres aussi dans cette entreprise. De ce point de vue, la conférence de Tunis a été un succès. Mais soyons par ailleurs attentifs au fait que nous devons entrainer les Européens non seulement vers le Maghreb mais en ayant bien présent à l’esprit que les pays en question sont de plus en plus – c’est surtout vrai du Maroc – un pont vers l’Afrique, et notamment l’Afrique subsaharienne. Cela serait donc pour la France et pour l’Europe un atout considérable, à condition que nous ayons la volonté de définir un nouveau partenariat qui tourne évidemment le dos à toute forme de néocolonialisme.

Enfin, je remercie le rapporteur d’avoir mentionné l’existence de la fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures que j’ai le privilège et l’honneur de présider depuis un an et demi. Elle a été créée dans le périmètre de l’Union pour la Méditerranée et regroupe près de 5000 ONG. Cette fondation est par ailleurs représentée dans chacun de ces pays par environ 250 ONG, qui vont dans les profondeurs des villes et des territoires ruraux afin de rassembler principalement des jeunes qui continuent de se tourner vers ces valeurs communes de l’humanité que nous partageons.

Il y a donc des fragilités mais nous avons nous aussi des points d’appui très importants que nous aurions intérêt à davantage faire connaître et valoriser.

Je passe tout de suite la parole à Guy-Michel Chauveau.

M. Guy-Michel Chauveau. Je voudrais féliciter le travail qui a été fait par nos rapporteurs et insister particulièrement sur votre dernière intervention Madame la présidente. Tout le monde peut constater que la crise ukrainienne et l’agression de Poutine ont renforcé les réactions des pays baltes et de la Pologne et, qu’au final au sein des institutions européennes, ce sont ces pays dont on parle le plus et pas forcément de nos amis de l’Europe du sud. Ceci dit, il y a une ouverture depuis quelques années avec la politique de voisinage ce qui est une excellente chose. Mais on aurait dû penser auparavant aux voisins des voisins, ce qui nous aurait permis de discuter avec d’autres en amont, sur la crise ukrainienne par exemple. Cette ouverture qui est faite par l’Union Européenne sur les voisins des voisins, pas forcément financière, consiste à mobiliser les 5+5+5 et notamment l’Afrique subsaharienne. Cela est un avantage considérable pour la France et une opportunité pour que l’Union Européenne s’occupe aussi de l’Afrique.

Cela permet aussi d’amplifier le travail réalisé au sein du 5+5 autour de la Méditerranée, travail dont Michel Vauzelle nous parle souvent. Il est important d’évoquer les thématiques autour desquelles on peut réunir ceux qui ne se fréquentent pas ou peu, que ce soit sur l’éducation, la culture et la sécurité. Ma question concerne donc ces thématiques avec bien sûr le problème du Sahara occidental. J’ai cru comprendre à propos de la régionalisation au Maroc que les moyens ne suivaient peut-être pas la politique de décentralisation. Est-ce que cette thématique de la régionalisation pourrait être étudiée par exemple dans nos relations avec l’Algérie ?

Ma troisième question concerne enfin nos entreprises qui travaillent en Algérie dans une confidentialité assez extraordinaire.

M. Didier Quentin. Qu’en est-il de l’évolution de la Francophonie et des moyens mis à sa disposition ? Ma deuxième question concerne les ambitions du Maroc. Est-ce que la métaphore du pont entre l’Union Européenne, le Maroc et l’Afrique subsaharienne se traduit en une réalité concrète ? Troisièmement, s’agissant de l’Algérie dont la proportion de jeunes est sans doute l’une des plus élevées au monde, quel peut être l’espoir donné à ces populations ? Enfin, dernière question, le Maroc fait office de zone de transit pour les migrants venant d’Afrique subsaharienne, notamment via les enclaves de Ceuta et Melilla, quelle est donc la politique de coopération que l’Union Européenne doit conduire en liaison avec les autorités marocaines afin de mieux contrôler ces flux migratoires ?

M. Philippe Baumel. J’ai envie d’être davantage concret encore à propos des pistes à travailler entre les pays de la région, la France et l’Europe. Je me demande ainsi s’il ne faudrait pas envisager de prioriser notre relation en termes de développement sur les questions, par exemple, d’infrastructure. Au Maroc en particulier, à Casablanca ou à Tanger, les infrastructures essentielles ont été positionnées afin de permettre d’irriguer la totalité du pays. Ne faudrait-il pas – peut-être la France pourrait-elle pendre une initiative avec l’Union Européenne – envisager la création de nouveaux ports en eaux profondes ? Je pense notamment ici à l’Algérie. Ne faudrait-il pas également revoir la carte du ferroviaire ? On note que le Maroc a pris une longueur d’avance dans ce domaine. Par ailleurs, comment se fait-il que l’Algérie, qui a notamment une capacité de pénétration vers le Sahel, ne puisse pas être à l’origine de nouveaux réseaux ferroviaires qui permettraient de faire remonter vers l’Europe et donc vers les consommateurs un certain nombre de productions venant du Sahel ? Il s’agit là d’enjeux du 21ème siècle et la question est de savoir si nous sommes réellement en capacité de tracer des pistes sur ces enjeux-là. On voit venir la potentialité de révolutions du « ventre » comme vous l’avez signalé mais il s’agit avant tout d’un manque d’espoir, et pour faire renaître l’espoir il faut avoir des capacités de développement.

Mme Nicole Ameline. Je voudrais vous remercier Madame la présidente et féliciter les rapporteurs car, non seulement ce rapport est tout à fait passionnant mais il s’agit également d’un sujet d’une urgence absolue. Je pense qu’il faudrait vraiment que la priorité de la stabilité en Méditerranée devienne un thème politique majeur en France et en Europe. Ce rapport a donc une grande utilité et il doit avoir une vocation à la fois nationale et européenne. Il faudrait d’ailleurs qu’il débouche sur une feuille de route qui puisse valoriser cette approche globale : sécurité, développement, gouvernance à l’échelle régionale. Nous voyons bien que la question de la sécurité est devenue la plus importante ; cela doit se traduire concrètement à l’avenir car il n’y a pas de sécurité pour le sud et même l’Europe entière sans sécurité dans cette région. Je pense donc que nous pourrions vraiment contribuer à cette prise de conscience nécessaire et le partenariat stratégique Europe-Méditerranée est ainsi une absolue nécessité.

Ma question plus précise concerne donc la partie sécuritaire. On remarque que le retour des djihadistes de Syrie se fait en grande majorité vers la Tunisie et la Libye actuellement. Est-ce que nous pourrions par exemple reformater l’opération Barkhane ? De plus, comment voyez-vous les missions d’assistance technique notamment de l’OTAN – ou plutôt des pays de l’OTAN si je peux apporter cette nuance – afin que cette région puisse faire face au défi terroriste qui reste aujourd’hui la préoccupation majeure ?

Mme Marylise Lebranchu. Merci pour ce travail. Je reviens sur ce qui a été dit par Jean Glavany en ce qui concerne la médiatisation du discours du roi du Maroc. Il avait été organisé récemment une réunion des parlements de la Méditerranée à Marseille en présence de Martin Schulz et de votre mission. On y avait remarqué l’absence totale de médias français et l’absence d’intérêts pour ces coopérations qui se faisaient dans une ambiance difficile compte tenu du contexte. Je crois qu’il existe donc un vrai déficit d’appréciation et d’appropriation du sujet et j’espère que ce rapport sera lu au-delà des murs de notre commission.

Ma deuxième remarque concerne notre déficit de représentation. Je suis allé en Algérie lorsque je faisais partie du gouvernement afin de discuter de coopérations. Au sein d’une petite ville dont le nom m’échappe, j’ai trouvé un directeur de musée allemand, une représentation allemande et j’ai donc pu voir que la représentation allemande était forte, contrairement à la nôtre.

M. Jacques Myard. Je crois que, s’il y a un point central à retenir de ce rapport, c’est la méconnaissance du Maghreb et nous devons donc en tirer toutes les conséquences. Il faut une prise de conscience du fait qu’il se passe certaines choses et que nous devons en faire véritablement la priorité des priorités. A cette fin, je crains qu’il ne manque quelque chose dans votre rapport, à savoir l’explosion démographique de tous ces pays qui s’en trouvent complètement déstabilisés. Je l’ai vu personnellement en Algérie dans les années 80. Les autorités ne prenaient absolument pas conscience du fait que cette explosion démographique allait entrainer des troubles. Je me souviendrai toujours que le PNUD était venu leur dire qu’il fallait être vigilant à ce sujet. Les autorités algériennes avaient écouté les représentants du PNUD puis les avaient reconduits à l’aéroport.

Deuxièmement, l’unité du Maghreb est un mythe. Il est donc nécessaire d’adopter une politique ciblée vis-à-vis de chacun de ces pays et de ne pas considérer le Maghreb comme un tout. Il faut donc faire du bilatéral. On ne peut pas s’adresser globalement à l’ensemble de cette région. Nous devons avoir une politique véritablement ciblée et propre à chaque cas en montrant qu’on est aussi amis avec les autres pays, cela va de soi.

Pour ce qui est de l’Algérie, Guy Teissier a employé une formule « je t’aime moi non plus » mais cela est totalement de notre faute car nous avons eu une attitude de mea culpa permanent vis-à-vis de l’Algérie. C’est la seule chose qu’il ne faut pas faire avec l’Algérie. S’ils prennent certaines mesures, c’est de leur responsabilité mais nous ne sommes pas d’accord et on va donc prendre des mesures en retour – ou des contre-mesures. De fait, à force d’être entrés dans une politique de repentance permanente vis-à-vis de ce pays, on en arrive à la situation de blocage d’aujourd’hui.

Je voudrais terminer par un point. Jean Glavany a dit tout à l’heure qu’il n’y avait plus de femmes dans les cafés en Algérie. Une source extrêmement fiable m’a rapporté cette anecdote : une journaliste couvrait une réunion politique dans une ville française des Yvelines, alors qu’elle terminait son papier dans la salle, le gardien vint la voir et lui dit « Madame, je vais fermer la salle ». La journaliste indiqua vouloir terminer son papier dans un café. Le gardien lui rétorqua que les femmes n’allaient pas au café dans cette ville. Telle est la réalité et je crois que, malheureusement, cette montée de l’islam va durer et nous devrons la traiter comme telle et n’avoir aucune faiblesse vis-à-vis de ce genre d’attitudes y compris chez nous.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, spécialement dans la ville d’Aubervilliers, des femmes de culture musulmane ont pris en main cette question et ont décidé d’investir les cafés de la ville, notamment dans le quartier des Quatre chemins.

M. Jacques Myard. Bravo !

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Elles le font et elles réussissent.

M. Jacques Myard. Je l’espère !

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Jean Glavany a eu parfaitement raison de rappeler que des personnes, quel que soit leur niveau social, de culture musulmane, affirment leurs droits dans la société qui est la nôtre et que le Roi du Maroc, commandeur des croyants ce qui a une portée politique et religieuse fondamentale, dans son discours remarquable du 20 août, a réaffirmé ce qu’était l’Islam et pas l’islamisme radical. Je pense qu’il ne faut pas toujours tout noircir.

M. Jacques Myard. Il faut regarder la réalité en face.

M. Pierre Lellouche. Je voudrais d’abord remercier Guy Teissier et Jean Glavany pour leur grande lucidité et leur grande précision dans l’analyse. Je souhaiterais comme Mme Lebranchu que ce rapport ait la plus grande visibilité possible, parce que cette analyse conditionne notre sécurité. Jacques Bainville racontait il y a longtemps la fable suivante, que je cite dans mon dernier livre : une femme dans le désert mange son repas et jette des noyaux de dattes, quand un génie arrive et lui dit que l’un de ses fils a reçu un noyau dans l’œil et va mourir et que donc elle doit payer. Les peuples prennent des décisions, les jettent dans le vent de l’histoire et les payent bien plus tard. Quand je vois ce qui est en train de se passer au Maghreb j’en veux terriblement à tous ceux qui nous ont engagés dans cette aventure, de la Restauration à Napoléon III en passant par Jules Ferry : la fameuse mission civilisatrice. Elle se termine aujourd’hui par des régimes tenus par des gouvernements – disons les choses gentiment – autoritaires, souvent kleptocrates, qui ont raté les expériences postcoloniales d’indépendance et dont le seul avenir pour les enfants une fois diplômés est de partir ou bien de s’engager dans le terrorisme, comme en témoigne le nombre calamiteux d’engagements de plusieurs milliers de jeunes Tunisiens ou Algériens dans Daech et chez Al - Qaida. C’est juste terrible pour l’avenir de ces nations. Alors qu’est-ce qu’on fait ?

D’abord je note qu’il y a des pays qui ne s’en occupent pas. Les pays du Golfe ne s’en occupent absolument pas et il n’y a pas l’ombre d’un investissement dans des pays où ils pourraient faire la différence en dehors de construire des mosquées. Donc tout repose sur nous les Français et les Européens. Deuxièmement, Mme Guigou a dit que le Maghreb est un pont vers le Sahel, mais je crains que l’on ait un pont du Sahel vers l’Europe et pas l’inverse, avec la pression migratoire qui est derrière. Il y aura bientôt 200 millions de Sahéliens et on va avoir un problème migratoire majeur avec le Sahel et l’Afrique du Nord, qui va conditionner la sécurité et le devenir de nos pays. Depuis quarante ans au moins 5 millions de musulmans sont venus pour l’essentiel d’Afrique du Nord et cela continue à s’accroître tous les ans. Cela pose des problèmes de cohésion sociale, de sécurité publique et cela devient une urgence nationale. Cela devrait d’ailleurs nous amener à réfléchir davantage au rôle de la langue française qui pour ces jeunes est souvent le seul passeport possible vers un avenir. Est-on sûr que la stratégie de la francophonie est dans l’intérêt du pays ? C’est une question que je pose.

J’aurai quatre questions précises. Comment gèrent-ils les retours de djihadistes et avons-nous des relations sérieuses de coopération contre le terrorisme avec ces gouvernements ? Quid du cannabis qui tient l’économie du Maroc et en partie de l’Algérie. Pierre Vermeren, que je respecte beaucoup, a écrit un article sur l’économie du cannabis. C’est dommage que cette législature se termine car c’est un vrai sujet pour notre commission de savoir, au-delà des débats nationaux sur la pénalisation ou dépénalisation, comment gérer toute une économie de trafic liée à l’immigration et au terrorisme, qui commence dans le Rif et se termine à Anvers. Qu’en est-il des accords de réadmission ? On a publié hier des chiffres sur la baisse des reconduites, qui s’explique par le fait que ces pays, une fois qu’ils ont exporté leurs jeunes, ne veulent plus les reprendre. Quid donc des accords de réadmission et de leurs liens avec la politique d’aide au développement européenne ? Enfin, quid de la politique de natalité ? Le seul pays qui a eu une politique de contrôle des naissances est la Tunisie de Bourguiba, ce qui se voit dans les chiffres de la croissance, et pas les autres.

Voilà trois-quatre sujets prioritaires. Je ne vois pas cela en termes de mission civilisatrice ou même de politique d’influence, je vois ce voisinage comme un problème majeur pour la sécurité nationale dans les années qui viennent. C’est un problème majeur et on a intérêt à le regarder sous cet angle de la sécurité nationale et d’arrêter de se payer de mots. L’analyse de Jean Glavany passant en revue Essebsi, Bouteflika et Mohammed VI, la maladie, l’âge, en somme la faiblesse des gouvernants de ces pays est éclairante. Nous ne pouvons pas apporter de solutions. Il n’y a pas de solution localement. Cela veut dire que les conséquences sécuritaires pour nous sont considérables. Je vous remercie pour votre travail. Sur ces sujets on ne peut qu’avoir un consensus bipartisan, mais il y a un vrai problème pour la sécurité de notre pays.

Mme Chantal Guittet. On avait parlé en 2011 du réveil des sociétés civiles dans ces pays, y voyant un réel espoir. Qu’en est-il aujourd’hui ? Leur liberté d’expression a-t-elle été étouffée ou ont-elles toujours un rôle ? Ma deuxième question concerne la francophonie. Vous parlez d’un redémarrage du français dans ces pays, ce qui est une bonne nouvelle. L’Algérie refuse toujours d’intégrer la Francophonie, ce qui est un vrai problème. Une députée algérienne me disait qu’on était très sévère à l’égard des étudiants algériens, puisque ce sont pratiquement les seuls quand ils viennent en France à ne pas avoir automatiquement un droit au travail. Cela date d’accord anciens, mais chaque député algérien rencontré me parle de cette discrimination. Peut-être pourrait-on trouver un moyen de régler cette situation et ainsi peut-être les inciter à rentrer dans la Francophonie ?

M. Jean-Claude Guibal. Merci à Guy Teissier et Jean Glavany car c’est tout à fait passionnant sur un sujet éminemment stratégique. Tout a été dit sur cette relation majeure à établir entre le Maghreb et la Méditerranée occidentale. Nous avons fait avec Philippe Baumel un rapport sur l’Afrique francophone. Nous avions notamment entendu et découvert que nous n’avions plus d’africanistes en France, ce qui révèle un vrai effondrement de l’intérêt porté à ce continent, à ses cultures et ceux qui y habitent, au niveau de l’université et de la recherche. Vous nous dites qu’il en est de même pour le Maghreb. On ne s’intéresse plus au Maghreb. On se replie sur soi, on se regarde le nombril et même nos voisins immédiats, avec qui on a eu des relations historiques, culturelles et affectives aussi nourries, on ne s’en occupe pas.

Il me semble, dans la suite de ce qui a été dit sur la dimension culturelle, que les relations entre l’Europe et la rive sud de la Méditerranée ne doivent pas passer principalement par l’économie ni par les infrastructures, le problème n’est pas là. Le problème est surtout culturel, le « je t’aime moi non plus » né de l’Histoire et des mauvaises consciences partagées de part et d’autres, de la préférence culturelle des Méditerranéens, qu’ils soient du Nord ou du Sud, pour la confrontation plutôt que pour le consensus. Ce n’est pas un hasard s’il n’y a pas d’union des pays du Maghreb, de la même manière qu’il n’y a pas d’association de défense d’intérêt commun entre l’Espagne l’Italie, la France et la Grèce. En Méditerranée, le consensus est un concept étranger, anglo-saxon. Il faut trouver d’autres biais pour régler les problèmes. C’est le multi-bilatéralisme. C’est une dimension culturelle pour laquelle il me semble que la France a un rôle éminent à jouer pour retisser des liens avec les pays du Maghreb et ne pas laisser l’Europe avec son rouleau compresseur rationalisateur essayer de régler ces problèmes .

Ma question était : quel est le bilan de l’Union pour la Méditerranée ? Y a-t-il encore quelque chose à tirer de cette idée qui me semblait pertinente et féconde. J’ai l’impression que tout ceci est dissous. Quelle trace reste-t-il de cette approche au Maghreb ?

M. Jean-Pierre Dufau. Chantal Guittet a amorcé la question que je voulais poser. Elle concerne la francophonie que vous évoquez dans le rapport comme pouvant jouer un rôle dans le rapprochement des principaux pays du Maghreb. Je confirme que les Algériens n’ont toujours pas accepté de faire partie de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Comment plus concrètement voyez-vous le rôle que peut jouer la francophonie et sommes-nous prêts en France à mieux développer l’enseignement de l’arabe ?

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Le nombre des observations et questions montre à quel point ce sujet nous passionne et démontre naturellement la richesse de votre rapport. Avant de vous passer la parole, je ferai juste une remarque pour faire suite à l’intervention de Pierre Lellouche. On a un défi de sécurité majeur commun. Je crois qu’un des défis fondamentaux que nous allons devoir affronter avec ces pays du Maghreb et avec l’Afrique, c’est comment concilier sécurité et mobilité. Bien sûr qu’il faut contrôler davantage nos frontières extérieures, coopérer en matière de renseignements, mais si nous ne trouvons pas une route nouvelle, légale, d’échanges et de mobilités, avec les populations de ces pays, ce n’est même plus la peine de parler d’influence culturelle. Les jeunes vont maintenant faire leurs études en Inde, en Chine, au Canada, depuis longtemps aux Etats-Unis… Je travaille beaucoup sur ces questions avec la Fondation Anna Lindh. C’est pour cela que je propose un Erasmus des associations. Il y a un vivier dans les sociétés civiles qui regarde vers l’Europe, qui partage nos valeurs et dont on ne parle pas assez car on parle surtout de ce qui ne va pas. La France a cette responsabilité-là et celle d’entrainer les Européens avec nous.

M. Guy Teissier. Jean-Michel Chauveau a raison à propos du tropisme français et européen vers l’Est. Cette perception est d’ailleurs partagée par d’autres de nos partenaires. Je me souviens ainsi avoir entendu des Turcs, lors d’une réception à notre ambassade en Turquie, s’étonner de ce que nous faisions encore en Afrique et nous inviter à plutôt investir chez eux.

S’agissant des coopérations, les choses sont effectivement compliquées par l’écart entre ce que nos partenaires veulent et ce qu’ils nous laissent faire. La question du néo-colonialisme est toujours présente de manière sous-jacente. C’est particulièrement le cas en Algérie lorsque l’on est dans les cercles gouvernementaux.

Par ailleurs, les investisseurs, qui arrivent souvent avec des idées généreuses, connaissent de fortes déceptions du fait du caractère tatillon de l’administration. En Algérie du moins, il reste très compliqué pour les entreprises de s’implanter. Je le vois bien dans ma ville de Marseille, il y a un foisonnement d’associations, de débats, de rencontres, mais il est très difficile de passer des engagements et des promesses à la mise en œuvre pour toutes sortes de raisons. Le résultat est que nous laissons la place à d’autres, comme les Etats-Unis et la Chine ; cette dernière est maintenant très présente alors qu’elle a été longtemps totalement absente.

La régionalisation est un fait, au moins au Maroc et en Algérie. Nous avons par exemple beaucoup de coopérations directes avec le port de Tanger, qui est un port remarquable et d’ailleurs un futur concurrent du port de Marseille auquel nous devrions prêter attention.

La francophonie est en recul, mais il y aussi une demande forte. La Tunisie demeure le pays le plus francophone, devant le Maroc, puis l’Algérie. Le problème est que tous ces pays, à moment ou à un autre, ont supprimé l’enseignement du français, ce qui était catastrophique. Il y a une revendication générale d’utilisation du français comme langue vernaculaire. Au parlement algérien, un député, un médecin, a évoqué avec nostalgie le temps de sa jeunesse, où toutes les communautés cohabitaient et où il allait à l’école avec Roger Hanin.

Pour Philippe Baumel, j’indique que les infrastructures se développent de manière remarquable au Maroc. Le TGV est en cours de construction et le pays a aussi développé la plus grande ferme solaire en Afrique ; le soleil est leur or noir. Nous avons aussi à Marseille des partenariats sur la gestion de l’eau. S’agissant de la Tunisie, la conférence de Tunis a récemment retenu dix grands projets.

Nicole Ameline a raison de mettre en avant le triptyque sécurité-développement-gouvernance. Nous avons avec ces pays de multiples coopérations, notamment administratives. Par exemple, nous avons rencontré un administrateur de l’Assemblée nationale en mission de coopération au parlement tunisien ; il est très bien accueilli même si son travail est parfois difficile. La coopération militaire est un sujet plus délicat. Avec le Maroc, elle est réduite et fonctionne surtout pour les armées de l’air, mais l’armée marocaine est très solide, bien équipée, présente sur de nombreux théâtres. En outre, il y a tous les ans une manœuvre commune et les états-majors se parlent régulièrement, grâce notamment au partage de la langue française. La Tunisie est en demande de coopération sur le Renseignement, mais il est plus dur d’avancer. Avec l’Algérie, c’est beaucoup plus compliqué ; la coopération n’existe pas car les Algériens n’en veulent pas.

Jean-Claude Guibal a évoqué la complexité de notre relation avec les pays du Maghreb qui est affectueuse, voire passionnelle. Il y a aussi le problème du fossé culturel qui sépare, dans ces pays, le « vieil homme » et l’« homme nouveau ». Le premier est tourné vers les préceptes du passé et le second vers la culture mondialisée et il est très difficile de passer d’une culture à l’autre, c’est un frein réel au développement. Pour autant, les progrès continuent, notamment en matière de maîtrise de la démographie.

Les pays du Maghreb sont nos voisins les plus proches et notre avenir passe par leur développement. Nous devons donc intensifier nos coopérations avec eux.

M. Jean Glavany. A propos de la francophonie, je dirais que je suis plutôt optimiste car il y a une prise de conscience dans les pays du Maghreb concernant le fait que l’arabisation excessive de l’enseignement a entrainé un appauvrissement culturel. On note cependant un certain changement. Un accord a été récemment trouvé entre les pouvoirs publics algérien et français pour l’ouverture de deux nouvelles écoles en Algérie à la rentrée prochaine, à Annaba et Oran. Cela ne s’est pas fait depuis des années. Aussi, pour entrer dans la logique des organisations de la francophonie, les villes d’Alger et d’Oran ont accepté d’adhérer à la fédération internationale des villes francophones. Par ailleurs, et ce même si l’Algérie n’est pas membre de l’organisation mondiale de la Francophonie, elle a accepté un tour de la francophonie afin de faire vivre la francophonie pendant un an de la richesse culturelle etc. Cela montre donc que les lignes sont en train de bouger.

J’ajoute comme souvenir de cette mission la visite que nous avons faite dans le cœur d’Alger à l’Institut français qui était rempli de jeunes Algériens faisant la queue pour s’inscrire à des cours de français. Il s’agit donc d’un établissement français au cœur d’Alger au rayonnement exceptionnel avec une bibliothèque extraordinaire. Ces jeunes Algériens viennent par centaines chaque jour d’après des responsables sur place. J’ai donc l’impression que des choses bougent et que tout n’est pas si négatif.

Pour le reste, notamment la politique de voisinage, l’une des leçons à retenir concernant l’Union Pour la Méditerranée est que « trop embrasse mal étreint ». Le fait de s’exposer aux conflits du Proche Orient a en particulier rendu la chose inopérante. L’idée de recentrer la diplomatie française et européenne autour de la Méditerranée occidentale à travers le 5+5+5, et avec la politique de voisinage, nous parait être le bon vecteur afin d’approfondir ces relations.

Sur les problèmes d’infrastructure il est vrai que le Maroc a fait et fait d’énormes efforts, non seulement d’un point de vue ferroviaire mais également au niveau autoroutier avec, par exemple, la déviation de Casablanca qui représente un immense chantier. En Tunisie, à travers la conférence des financeurs qui a eu lieu à la fin du mois de novembre où nous nous sommes rendus avec le président de l’Assemblée Nationale et la présidente de la Commission, l’idée du gouvernement tunisien a été de présenter aux financeurs un programme très infrastructurel qui s’avère donc plutôt positif.

Nous n’avons pas les mêmes informations que Jacques Myard. Il n’y a pas d’explosion démographique dans la région ou plus précisément en Algérie. Au contraire, la transition démographique – le fait pour des pays en développement de revenir à des taux de fécondité et de reproduction comparable à des pays développés - de ces pays est quasiment achevée.

M. Jacques Myard. On n’est pas d’accord ! Il faut prendre en compte le poids de la religion.

M. Jean Glavany. Il y a certes le poids de la religion dans les zones rurales mais on a rencontré un certain nombre de personnes, y compris des démographes, qui font le même constat.

Concernant la sécurité, le retour des djihadistes est une question centrale notamment pour la Tunisie pour laquelle on évoque le chiffre de 6000 djihadistes même si cela reste difficile à confirmer. Il s’agit donc d’un sujet de grande vigilance pour les forces de sécurité tout comme en Algérie où on se souvient du rôle des Afghans dans l’offensive radicale des années 1990. Je mettrais cependant un bémol aux propos de M. Tessier au sujet de la coopération entre les services de renseignement de ces pays avec la France. Cela n’est jamais facile mais je vais vous donner un exemple concernant la lutte contre le terrorisme au Sahel et la poursuite de bandes terroristes dans la bande sahélienne. Il peut parfois exister un problème de numéro de téléphone car il arrive que lorsqu’on essaye de prévenir les services algériens, ils ne répondent pas. Je veux simplement dire qu’il y a une coopération, probablement est-elle meilleure que jamais, mais elle reste tout de même insuffisante. Concernant une vision plus globale de cette thématique, la coopération est très bonne avec la Mauritanie, voire plutôt très bonne avec le Maroc, bonne mais avec les limites que je viens d’indiquer pour ce qui est de l’Algérie, assez bonne mais avec les limites qui sont liées à l’exposition de la Tunisie. On peut considérer que le bilan global est donc relativement bon.

Enfin, en ce qui concerne les flux migratoires, il faut noter qu’il n’y a quasiment plus de migrations du Maghreb vers l’Europe. Il s’agit simplement d’une zone de transition de ces flux migratoires depuis l’Afrique subsaharienne en particulier. Ces zones de transit sont mouvantes. Il a été fait allusion aux enclaves espagnoles, or il n’y a quasiment plus d’incidents aujourd’hui alors qu’on se rappelle de ces images épouvantables de ces centaines de personnes accrochées aux barbelés des centres de Ceuta et Melilla essayant de fuir. Il reste cependant le problème de la Libye et il existe des accords migratoires que l’Union Européenne passe avec ces pays et qui touchent notamment les problèmes de réadmission. Un accord de ce type a été signé avec le Maroc ou la Tunisie par exemple, mais pas avec l’Algérie à ma connaissance.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Il s’agit d’un rapport absolument passionnant à lire. Je vous remercie chers collègues d’être intervenus avec autant d’intérêt dans ce débat et je vous fais remarquer qu’il est important de donner le maximum de visibilité à ce rapport.

La commission autorise la publication du rapport d’information à l’unanimité.

RÉSUMÉ DU RAPPORT ET DE SES PRÉCONISATIONS

La commission des affaires étrangères a créé une mission d’information sur le Maghreb pour deux raisons principales :

– en raison de son évident caractère stratégique pour l’Europe, trop souvent oublié par nos partenaires. Leur actualité est parfois éludée par celle du Proche et du Moyen-Orient, ou de l’Afrique subsaharienne, mais les pays d’Afrique du Nord représentent un intérêt vital pour l’Union européenne que ce soit au plan économique (espace de croissance potentielle, approvisionnement énergétique), politique (le Maghreb, porte de l’Afrique, est incontournable dans nos relations au continent) ou sécuritaire (menace terroriste, crise migratoire). Ce qui fait l’unicité et le caractère d’exception de cette région n’est pas assez intégré par la politique européenne dans la zone ;

l’accent a aussi été porté sur les cinq pays (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie) qui forment le Grand Maghreb, en raison des liens d’exceptions qui unissent la France à chacun d’entre eux. Cependant, les travaux de la mission ont révélé deux éléments importants : notre connaissance de ces pays n’est plus aussi intime qu’autrefois, faute notamment d’un véritable investissement intellectuel ici, en France. Par ailleurs, il serait hasardeux de croire qu’un « héritage historique », certes riche, suffit à préserver des relations privilégiées avec le Maghreb.

La mission visait donc à essayer d’identifier les principales mutations à l’œuvre dans les pays du Maghreb, leurs effets sur le partenariat Euro-Maghrébin, et les quelques lignes d’action à en tirer pour l’Union européenne et la France en particulier.

Le Maghreb est un terme géographique qui n’a pas encore trouvé de traduction politique.

Il existe certes des tendances unificatrices fortes, une culture partagée, un passé de lutte commune pour les indépendances, la création de ce qui aurait pu être un instrument de dialogue politique avec l’Union du Maghreb arabe à la fin des années 1980.

Pourtant, il n’y a aujourd’hui entre les pays du Grand Maghreb pas le plus petit début d’intégration économique et le dialogue politique est freiné par le différend entre l’Algérie et le Maroc autour du Sahara occidental. 

Tunisie, Maroc, Algérie, Libye, et Mauritanie partagent pourtant des enjeux communs qui en font un espace politiquement cohérent.

● Le Maghreb est d’abord dans un état de transition au plan sociétal et de fragilité au plan économique et social. 

De nombreux interlocuteurs de la mission ont insisté sur les changements radicaux intervenus au sein des sociétés maghrébines ces dernières décennies, dans leur morphologie sociale, dans leur culture, leur démographie, leurs valeurs et leur rapport à la modernité qu’elle soit politique ou sociétale

L’Europe n’aurait pas pris la mesure des changements à la fois politiques et sociétaux dont la complexité dépasse le simple clivage « libéraux contre islamistes », ou « modernes contre conservateurs », et où les clivages économiques, sociaux, territoriaux, générationnels se croisent. 

Surtout, la stagnation socio-économique et le maintien d’importantes inégalités sociales et territoriales représentent un risque majeur pour la cohésion des sociétés maghrébines. La dégradation des conditions socio-économiques depuis 2011 alimentent la colère et l’impatience de la population et altèrent le contrat social entre la population et les élites.

● Par ailleurs, il semblerait que les trois pays qui constituent le cœur du Maghreb, – le Maroc, l’Algérie et la Tunisie – , s’efforcent de trouver un compromis historique entre islam politique et démocratie pluraliste.

Chaque pays à sa manière – par le choix de la réforme et la transition vers le bipartisme au Maroc, par l’alliance du parti Nida Tounes avec Ennahda, qui opère sa mue idéologique en Tunisie, par la réconciliation et la participation politique contrôlée en Algérie – tente d’inventer une voie vers la démocratie qui inclue les mouvances islamiques. 

Si l’on estime le poids des islamistes à environ 40 % des électeurs, et que l’on tient compte du fait que dans deux grands pays maghrébins, le Maroc et la Tunisie, le PJD et Ennahda participent à la direction du pays, il devient évident que leur intégration au jeu politique est inévitable. L’« expérience Morsi » a montré qu’on ne pouvait imposer un agenda sociétal à une société qui attendait un programme social. Selon un interlocuteur de la mission, il est clair que « l’agenda éradicateur ne fonctionne pas, il faut tenter l’agenda pluraliste ». 

● Les défis sécuritaires sont aussi communs aux pays du Maghreb.

La crise libyenne, le risque terroriste, les questions migratoires, la montée en puissance des trafics, sont autant de menaces qui pèsent sur l’ensemble des pays du Maghreb.

Les pays maghrébins sont des partenaires indispensables à la stabilité à la fois de leur frontière Nord, la Méditerranée, et de leur frontière sud, la bande sahélo-saharienne, mais ils sont aussi des alliés incontournables dans la lutte contre un terrorisme, qui, lui, ne connaît pas de frontières et touche sans discrimination tous les pays de la région. 

Le caractère stratégique de cette région est pourtant peu souligné, non plus que la nécessité et d’un soutien plus ferme de l’Union européenne et d’une meilleure concertation avec les pays qui assument  aujourd’hui une partie de la sécurité de l’Europe.

● Tous les pays de la zone cherchent, parfois avec succès, à diversifier leurs partenariats économiques et politiques.

Les États-Unis, la Chine ou l’Inde, sont devenus des partenaires importants des pays maghrébins, que ce soit au plan économique ou sécuritaire. Bien qu’elle occupe un rôle prépondérant, notamment en tant que premier partenaire commercial et premier investisseur, mais aussi premier bailleur international et allié politique de premier plan, l’Europe doit bien mesurer qu’elle n’est pas seule au Maghreb.

Quel partenariat Euro-Maghreb après 2011 ?

● La relation préférentielle entre l’Europe et le Maghreb est presque aussi ancienne que la création du Marché commun.

On peut distinguer trois étapes successives : les accords d’association initiaux (1969-1995), puis le processus de Barcelone qui a lancé la coopération Euromed (1995-2004) et plus récemment la politique européenne de voisinage (depuis 2004). On pourrait ajouter que s’ouvre aujourd’hui la quatrième phase du partenariat maghrébin, qu’annoncent les premières réformes de la politique de voisinage, et qui reste encore à inventer. À cela s’ajoute un cadre non-communautaire dynamique (« Dialogue en Méditerranée occidentale », dit « 5+5 »), mais dont les orientations ne s’articulent pas toujours parfaitement avec les instances du cadre communautaire. 

La question n’est donc pas celle de l’architecture institutionnelle, suffisamment pourvue, ni des moyens, car l’effort financier de l’Union européenne est conséquent, mais des voies et objectifs de cette politique.

● Après une décennie de mise en œuvre, et en dépit de son fort potentiel, la politique de voisinage a débouché sur des résultats plus limités que prévu.

La politique de voisinage a débouché sur une diversification plus qu’une intensification de notre coopération. Elle englobe des thèmes de plus en plus nombreux. 

Même si le volet économique est celui qui a le plus avancé, les afflux des capitaux européens ont augmenté, mais pas aux niveaux observés dans les pays candidats d’Europe centrale ; surtout, les effets attendus de l’ouverture en termes de créations d’emplois sont lents à se concrétiser.

Le dialogue politique reste le parent pauvre de ce partenariat. Il faut y voir l’effet des « réticences de certains États membres à une intensification de la coopération sur des questions controversées (ouverture du marché européen à des produits dit « sensibles », gestion difficile des migrations) et de l’insuffisance des performances démocratiques dans les pays éligibles ». 

Sur les questions migratoires, la gestion de la politique de voisinage a parfois trop tourné au marchandage : l’Union européenne a accepté de libéraliser le régime de visas en échange d’accords de réadmission des immigrants illégaux, le Maghreb étant dans une situation particulièrement critique du fait de sa position géographique (transit de beaucoup d’immigrants illégaux) et de l’existence d’un courant migratoire soutenu vers la France et quelques autres pays de l’Union.

● Les difficultés qui font aujourd’hui obstacle au dialogue Euro-Maghreb et expliquent le manque d’enthousiasme qu’il suscite

La principale critique de nos partenaires maghrébins vis-à-vis de la politique européenne au sud, est qu’elle se bornerait trop souvent à la projection des acquis internes. On observe de plus une perception inégale des problèmes maghrébins dans les instances européennes et un manque de mobilisation de nos partenaires qui ne partagent pas le « tropisme maghrébin » de la France. En outre, selon un certain nombre d’interlocuteurs de la mission, le suivi politique de la Politique de voisinage sud n’est pas toujours assuré au plus haut niveau. La crise européenne a enfin affecté le dialogue euro-maghrébin, en révélant les faiblesses économiques de chacun, et en provoquant des réactions protectionnistes. 

La région est aussi entrée, qu’on le veuille ou non, dans une nouvelle phase historique depuis 2011. Le partenariat se pose en des termes différents. L’Union européenne, qui avait jusqu’ici beaucoup axé son partenariat au sud sur l’économie et la sécurité, semble moins sûre d’elle : la réforme de la politique de voisinage fait la part belle à la conditionnalité démocratique, mais se trouve aussi aux prises avec les questions sécuritaires et la nécessité de stabiliser la zone.

Enfin, la puissance ne se mesure pas seulement à l’aune des moyens économiques ou militaires, elle est aussi fonction du poids idéologique. La validité du modèle européen est aujourd’hui de plus en plus questionnée sur la rive Sud, avec la montée des mouvements populistes et xénophobes partout en Europe. 

Le partenariat se heurte également à des obstacles structurels au sein des pays maghrébins, qui tiennent à l’histoire et aux mentalités (par exemple, les initiatives en matière de sécurité sont perçues de façon ambivalente), mais aussi au manque de véritable adhésion populaire (le Partenariat euro- maghrébin et les accords d'association sont perçus comme un projet étatiste et élitiste.)

De plus, le groupe des pays du Maghreb s’est constitué par soustraction, à la suite des élargissements successifs de l’Union européenne. Cela tient au défaut d’intégration de la région, mais le format de la coopération élude la spécificité et la cohérence du Maghreb, tour à tour assimilée à la politique méditerranéenne de l’Union, ou à sa politique Moyen-Orientale. Le succès du format 5+5 démontre pourtant l’opportunité d’un format de coopération proprement Euro-Maghrébin au sein de la politique de voisinage par exemple.

● Quelles lignes d’action pour l’Europe au Maghreb ?

Au plan économique, la mission suggère de :

favoriser la reprise des négociations des ALECA, en vue de la conclusion d’accords ambitieux, satisfaisant les besoins de toutes les parties, notamment avec la Tunisie et le Maroc. La France doit être capable de faire comprendre à ses partenaires européens qu’un minimum de souplesse est nécessaire dans la négociation de ces accords, compte-tenu de la situation économique des pays en question. Elle peut aussi soutenir la Tunisie dans la négociation d’un accord de libre-échange complet et approfondi ambitieux. Alors que le processus est lancé avec la Tunisie, la France ne doit pas ménager ses efforts pour qu’il puisse aller à son terme avec le Maroc. Ces deux accords formeront en effet les piliers de l’ouverture commerciale de l’UE aux pays de la rive Sud. 

– promouvoir l’idée que l’intégration Nord-Sud (ALECA, ACAA, convention pan-euro-med) doit s’accompagner de celle en format Sud-Sud via les différents instruments disponibles (accord d’Agadir, UMA).

remédier aux fragilités structurelles des économies maghrébines : approfondir la réflexion sur le changement de modèle de développement ; continuer d’apporter un soutien financier substantiel aux pays du sud (on observe l’accentuation d’une tendance au rééquilibrage vers l’est des financements qui remet en question la « règle » des 1/3 de financement pour l’est, 2/3 pour le sud) ; et régler le problème des décaissements (problème d’absorption et d’utilisation des crédits, qui est dû à des difficultés de l’administration, en expertise et en effectifs.) 

Au plan sécuritaire, la mission estime que :

– la Libye doit être inscrite en haut de l’agenda politique. La politique de lutte contre le terrorisme devrait y être introduite dans la planification européenne ;

– la multiplication des crises dans le voisinage sud de l’Union européenne, la détérioration de la situation au Sahel ou en Libye, la crise migratoire, le terrorisme plaident pour le renforcement du volet stratégique de la Politique de voisinage dans cette direction, volet aujourd’hui quasi-inexistant.

Cette réflexion stratégique doit inclure la dimension atlantique et la dimension sahélo-saharienne des enjeux de sécurité (il faut notamment impliquer les pays du Maghreb à la stratégie européenne de stabilisation du Sahel, point sur lequel la France doit impérativement mobiliser ses partenaires européens) ;

– les efforts de prévention contre la radicalisation en Afrique et de lutte contre la propagande en Europe et en Méditerranée mériteraient d’être intensifiés. Le Trust Fund Afrique pourrait être utilisé pour faire face aux facteurs de radicalisation et renforcer la coopération en matière de contre-terrorisme avec le Nord de l'Afrique. Ces fonds pourraient aussi financer des actions de déradicalisation. 

Au plan politique enfin, il faut changer d’approche et lever certaines ambigüités : 

– le dialogue de l’Europe et du Maghreb se caractérise par une succession d’initiatives du Nord vers le Sud, en fonction des impératifs géostratégiques et domestiques du moment : accords économiques bilatéraux après les indépendances ; processus de Barcelone après la fin de la guerre froide, politique de voisinage après l’élargissement de 2004 ; révision de cette politique et accent porté sur la sécurité et les migrations aujourd’hui. 

Le principe du « more for more », ou conditionnalité renforcée, à laquelle certain de nos partenaires portent un attachement légitime, peut être perçu par nos partenaires au sud comme infantilisant et s’avérer contre-productif.

Mais l’Union européenne aurait tort de croire pouvoir imposer son seul agenda à des pays confrontés à des défis qui leur sont propres et qui ont noué des partenariats solides avec d’autres acteurs tels que la Chine ou les pays du Golfe. L’expérience tunisienne montre que, en plus d’être appuyée sur des moyens budgétaires crédibles, la Politique de voisinage doit reposer sur une approche globale des besoins – éducatifs, économiques et sociaux – des populations

– le dialogue politique doit sortir de l’ambiguïté. Longtemps, la politique étrangère de l’Union européenne s’est accommodée d’un dialogue avec les régimes autoritaires au nom du principe de non-ingérence et de stabilité de son voisinage. Cet état de fait a changé à partir de 2011, et la politique européenne semble insister désormais davantage sur la conditionnalité.

La mission estime important que le principe de conditionnalité soit appliqué en lien avec le principe de différenciation, qui est désormais au cœur de la politique de voisinage : il faut défendre nos valeurs avec cohérence, tout en ayant une démarche pragmatique, qui permette à chaque pays de mener des réformes selon le rythme qui est lui est propre. L’application de la conditionnalité ne doit pas accabler les pays du Maghreb avec la reprise formelle de standards définis au Nord, mais accompagner les réformes entreprises dans chacun d’entre eux en matière d’ouverture politique ou de progression de l’état de droit (le Maroc et la Tunisie méritent à ce titre d’être davantage soutenus). 

– le dialogue culturel et sociétal mériterait d’être intensifié.

Il faut aussi mobiliser tous les acteurs du changement : les sociétés civiles et les collectivités locales n’ont pas été assez consultées dans leurs diverses composantes, ni associées à la mise en œuvre de la politique de voisinage, alors même qu’elles peuvent jouer un rôle moteur dans les transitions politiques soutenues par l’Union européenne. Il faudrait sur ce point consolider et valoriser l’action de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures.

– le dialogue européen doit favoriser l’intégration régionale : s’il ne faut pas s’illusionner sur les perspectives d’une intégration régionale plus poussée, il n’est pas interdit d’y travailler. A ce titre, plusieurs pistes peuvent être étudiées : rehausser le niveau de dialogue entre Union européenne et Union du Maghreb arabe sur des projets concrets, utiliser le levier de la conditionnalité mise en place à l’occasion de la réforme de la politique de voisinage pour favoriser l’intégration régionale ; soutenir la montée en puissance de l’UpM comme opérateur principal de la politique de voisinage au sud et responsable délégué de la gestion des crédits afférents ;

– il faut s’interroger sur les potentialités d’une intensification des relations dans le bassin occidental de la Méditerranée, dans un cadre à privilégier, qui regrouperait les pays les plus motivés sur des projets à dimension territoriale et sécuritaire.

Quelles priorités pour la France ? 

● La France ne connaît plus le Maghreb : un nécessaire effort de réinvestissement intellectuel de la zone

De l’avis quasi-unanime des interlocuteurs de la mission, la France ne connaît pas le Maghreb aussi bien qu’autrefois. 

Il n’existe pas de think-tank français dont l’étude ne porte que sur le Maghreb, seul un professeur d’histoire est habilité à diriger des thèses sur le sujet, l’enseignement de l’arabe lacunaire, celui du berbère quasi anecdotique. Les publications sont souvent focalisées sur la colonisation et les guerres coloniales, en particulier le traumatisme algérien, tout comme la société française est obnubilée par l’islam de France, héritage éminent de cette période, mais de Maghreb point. Pour reprendre l’expression employée par le chercheur Pierre Vermeren, « l’Afrique du nord reste un vaste désert arrosé de soleil où l’on mange du couscous en buvant du thé à la menthe ».

Il y a peu de débats sur la politique maghrébine de la France, hormis les crises bilatérales qui émaillent de temps à autre une relation souvent comparée à celle d’un « vieux couple ». Ainsi, si une partie des processus profonds à l’œuvre au sein des sociétés maghrébines ayant conduit aux soulèvements de 2011 a échappé aux dirigeants politiques et principaux analystes, c’est aussi parce que la France a perdu le fil en n’ayant pour interface qu’une partie des élites qui ne sont pas représentatifs de la société. 

Inversement, on observe une forte sensibilité des Maghrébins au débat public français, dont ils ont une connaissance profonde et avisée, nombreux étant ceux qui au sein des élites, ont fait tout ou partie de leurs études en France, en parlent parfaitement la langue et maîtrisent l’histoire et les codes politiques. Le traitement réservé à l’islam en France est notamment une question sensible pour nos partenaires.

Il faut donc « rééquilibrer les termes de l’échange culturel » entre le Maghreb et la France. Pour cela, la mission insiste sur la nécessité de préserver les crédits alloués au dialogue culturel et à la coopération: ils ne sont pas de simples leviers d’influence, mais l’instrument d’un dialogue qui ne doit pas s’éteindre.

● Apaiser les questions mémorielles

Aux termes de l’historien Benjamin Stora, « la question des imaginaires n’est pas une question achevée ». Elle est susceptible de ressortir à chaque occasion – prise de parole publique, sortie d’une œuvre cinématographique, commémoration – et les autorités doivent continuer à être vigilants afin que rien n’obère la construction d’un avenir commun. Le récit d’une histoire commune de la France et de l’Algérie, à l’instar de ce qui s’est fait pour l’histoire franco-allemande reste encore à écrire. La mission estime qu’il est nécessaire d’encourager les historiens dans cette voie sans se substituer à eux.

● Sortir de l’écueil du « choix » qu’il y aurait à faire entre l’Algérie et le Maroc

Par ailleurs, la France doit pouvoir sortir de l’écueil du « choix » qu’il y aurait à faire entre l’Algérie et le Maroc, qui constitue le sous-texte de nombreuses crises qui ont nui à nos relations diplomatiques. Au-delà du préjudice que cause cet antagonisme aux intéressés eux-mêmes, la France, comme l’ensemble des pays souhaitant développer une coopération avec le Maghreb notamment le continent africain, se trouve confrontée à la difficulté de devoir « choisir » entre une approche marocaine ou une approche algérienne. Paris devrait faire de l’intégration maghrébine l’une des priorités de sa diplomatie.

● Catalyser une politique européenne plus ambitieuse au Maghreb

Au plan européen, le caractère d’exception des relations de la France au Maghreb sont à la fois une chance et une malédiction. Tout projet lié à la région éveille l’indifférence sinon les soupçons (cf. la réaction allemande à la proposition d’Union pour la Méditerranée). Il lui faut donc s’efforcer de mobiliser les partenaires qui partagent son « tropisme maghrébin », notoirement les pays du 5+5 qui forment la Méditerranée occidentale, et poursuivre par des avancées concrètes une politique plus ambitieuse : 

– former un espace économique cohérent entre l’Europe et l’Afrique, où le Maghreb jouerait un rôle de hub intermédiaire. La mission juge qu’il serait pertinent de mener des projets concrets avec les pays les plus impliqués (le projet d’une Union énergétique de la Méditerranée occidentale mériterait d’être mis à l’étude) ; 

– construire un espace de paix entre les deux rives en apportant des réponses durables aussi bien à la crise migratoire qu’au fléau terroriste, qui ne sont que les deux faces du même sous-développement; 

– accompagner les transitions politique dans un esprit d’équilibre, de respect des libertés publiques, et de concorde, dont la fragile démocratie tunisienne s’efforce de tracer le chemin. La France ne doit pas ménager ses efforts pour soutenir une approche inclusive en Tunisie car un échec de la transition tunisienne, et de son esprit de concorde, marquerait la fin des espoirs soulevés par la révolution du jasmin ; 

– favoriser enfin un dialogue culturel aujourd’hui déséquilibré, quand il n’est pas déficient, dialogue qui passe aussi par la communauté d’une langue, le français. 

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES VISITES EFFECTUÉES

1) A Paris

– M. Jean-Marie Safa, sous-directeur de l’Afrique du Nord, accompagné de M. Nicolas Suran, sous directeur en charge de l'Union Européenne (mercredi 8 juin 2016) 

– Son Excellence M. Amar Bendjama, ambassadeur d’Algérie en France, accompagné de M. Saïd Moussi, Ministre-Conseiller auprès de l'Ambassade (mercredi 8 juin 2016) 

– M. Pierre Vermeren, historien, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, spécialiste du Maghreb et des mondes arabo-berbères (mercredi 8 juin 2016) 

– Son Excellence M. Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France, accompagné de M. Souhail Bouslikhane, conseiller politique (mercredi 15 juin 2016) 

– M. Luis Martinez, directeur de recherche, Sciences Po, Politiste et spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient, directeur de recherche au CERI (mardi 28 juin 2016) 

– Son Excellence Mme Aichetou M. M’haiham, ambassadeur de Mauritanie en France (mercredi 29 juin 2016) 

– Son Excellence M. Ali Chihi, ambassadeur de Tunisie en France, accompagné de M. Lotfi Mellouli, ministre conseiller (jeudi 18 juin 2015) 

– Son Excellence Dr. Alshiabani Mansour Abuhamoud, ambassadeur de Libye en France (mercredi 14 septembre 2016)

– M. Hubert Védrine, ancien ministre (mardi 11 octobre 2016) 

– Mme Khadija Mohsen Finan, chercheure (mercredi 12 octobre 2016)

– M. Jérôme Bonnafont, directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient au Ministère des affaires étrangères et du développement international, accompagné de M. Jean-Marie Safa, sous-directeur Afrique du Nord (mercredi 12 octobre 2016)

– Mme Khadija Mohsen Finan, chercheure (mercredi 12 octobre 2016)

– GBA Jean-Marie Clament, chef du service des questions régionales, et Mme Morgane Tersiguel, chargée de mission au département Afrique du Nord – Moyen-Orient (mercredi 12 octobre 2016)

– Mme Béatrice Hibou, chercheure (mercredi 19 octobre 2016)

Monsieur Frédéric Journès, directeur des affaires internationales stratégiques et technologiques du SGDSN, accompagné du Colonel Philippe Susnjara, sous-directeur des affaires internationales et Monsieur Pierre Le Goff, chef du pôle Afrique du Nord, Moyen-Orient (mercredi 19 octobre 2016)

M. Bernard Bajolet, directeur général des renseignements extérieurs (mardi 25 octobre 2016)

Mme Sandrine Gaudin, chef du service des affaires bilatérales et de l'internationalisation des entreprises de la direction générale du Trésor, sous l'autorité conjointe du ministère des Finances et des Comptes publics et du ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique (mercredi 16 novembre 2016)

2) A l’occasion du déplacement au Maroc de M. Guy Teissier et M. Jean Glavany (du 5 au 7 septembre 2016)

Lundi 5 septembre 2016 :

– M. Chafiq Rachadi, Vice-Président de la Chambre des Représentants

– M. Mehdi Bensaïd, Président de la Commission des Affaires Etrangères à la Chambre des Représentants

– M. Benchamach, Président de la Chambre des Conseillers

Mardi 6 septembre 2016 :

– S.E.M. Jean-François Girault, Ambassadeur de France au Maroc

– M. Nasser Bourita, Ministre délégué auprès du Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération

– M. Abdelilah Benkirane, Chef du Gouvernement

– M. Driss El Yazami, Président du CNDH

– M. Taïeb Baccouche, Secrétaire Général de l’UMA

– M. Nizar Baraka, Président du Conseil Economique, Social et Environnemental

– Délégation avec des représentants de think-tanks et du monde économique spécialisés sur l’Afrique

Mercredi 7 septembre 2016 :

– Rencontre sur la diplomatie économique avec la Chambre Française de Commerce et d’Industrie au Maroc et les représentants des industriels agroalimentaires français au Maroc

– M. Mustapha Bakkoury, président du directoire de MASEN (Agence Marocaine de l’Energie Solaire) et président de la région Casablanca-Settat

– M. Yann Lebeau, Président Directeur Général de l’entreprise de France Export Céréales

– M. Ahmed Ghayet, Président de l’association Marocains Pluriels

3) A l’occasion du déplacement en Mauritanie de M. Guy Teissier et M. Jean Glavany (du 7 au 9 septembre 2016)

– S.E.M. Joël Meyer, Ambassadeur de France à Nouakchott

– S.E Mohamed Abdel Aziz, Président de la République

M. Noueigued, Président Directeur Général Banque Nationale de Mauritanie.

M. Mohamed Ould Boilil, Président de l’Assemblée nationale

– M. Mohamed Ould Ayé, Président de la Commission des relations extérieures de l’Assemblée nationale

– M. Najim El Hadj, secrétaire permanent du G5 Sahel

– M. Mohamedou Ould Abdallah, ancien envoyé spécial des Nations Unies

– M. Isselkou Ahmed Izid Bih, Neye, ministre des affaires étrangères et de la coopération

– Mme Khadijetou M’Bareck Fall, ministre déléguée auprès du ministère des affaires étrangères et de la coopération

– M. Patrick Vernet, directeur de la Société Générale Mauritanie

– M. Hacena Ould Ely, directeur général de Port Autonome

4) A l’occasion du déplacement en Tunisie de M. Guy Teissier et M. Jean Glavany (du 18 au 21 septembre 2016)

– M. Abada Kefi, président de la Commission permanence des droits, libertés et relations extérieures ; M. Jalel Ghedira, président de la commission permanente de l’organisation de l’administration et des affaires des forces armées ; M. Lotfi Nabli, président de la commission spéciale de la sécurité et de la défense, en présence du président du groupe d’amitié Tunisie-France, M. Houcine Jaziri

– S.E.M. Olivier Poivre d’Arvor, Ambassadeur de France en Tunisie

– Table ronde avec des représentants de la société civile tunisienne

– M. Hocine Abbassi, Secrétaire général de l’UGTT

– M. Radhouane Ayari, Secrétaire d’Etat à l’immigration et Tunisiens à l’étranger

– Mme Lobna Jribi, ancienne députée, présidente de Solidar Tunisie, perception des négociations de l’ALECA par la société civile

– M. Paulo Serra, conseiller sécurité du RSSG, et M. Anwar Darkazalli, adjoint au chef de la section politique de la MANUL

– M. Patrice Bergaminile chef de délégation de l’UE

– M. Patrick Flot, Conseiller de coopération et d’action culturelle, sur la politique culturelle de la France en Tunisie

5) A l’occasion du déplacement à Alger de M. Guy Teissier et M. Jean Glavany (les 5 et 6 octobre 2016)

Mercredi 5 octobre 2016 :

– S. E.M. Bernard Emié, ambassadeur de France en Algérie.

– M. Nourredine Belmedah, président de la Commission des Affaires étrangères

– M. Rachid Bougherbal, président de la Commission des Affaires étrangères du Conseil de la Nation

– M. Abderrahman Arar, Président de NADA, réseau algérien pour la défense des droits de l’enfant ; M. Kamel Berereksi, Président de l’Association Santé Sidi El Houari ; Mme Hind Benmiloud, avocate agréée à la Cour Suprême et au Conseil d’Etat ; Mme Fatima-Zohra Bouchemla, avocate, ancienne ministre de la Communauté algérienne à l’étranger ; Mouloud Salhi, président de l’Association Etoile d’Akbou (Bejaïa)

– M. Hassen Rabehi, secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères,

– M. John O’Rourke, chef de la délégation de l’Union européenne

– M. Amara Benyounes, ancien ministre du Commerce ; M. Issab Rebrab, PDG du groupe CEVITAL, Slim Othmani, Directeur général des Nouvelles conserveries algériennes ; Laid BENAMOR, Président de la Chambre algérienne du Commerce et de l’Industrie (à confirmer) ; Abdelkader Taieb-Ezzraimi, PDG du groupe SIM (semoulerie industrielle de la Mitidja); ainsi que John O’Rourke, Chef de la délégation de l’Union européenne

Jeudi 6 octobre 2016 :

– M. Bachir Chiki, Direction générale des impôts ; M. Jean-Paul Fideli, Organisme nationale de contrôle des travaux publics et des ouvrages d’art ; Mme Nathalie Burette, Cour des Comptes ; M. François Harel, Innovation industrielle ; M. Bruno Clement-Petremann, Direction générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion ; M. Philippe Decesse, Appellation d’origine ; M. Benoît Willot, chef de projet PAJE et chargé de mission – Pôle Emploi Algérie

– M. Bakhti Belaib, Ministre du Commerce

– M. Outoudert Abrous, directeur de publication du journal Liberté, M. Omar Belhouchet, directeur de publication du journal Al-Watan, M. Kamel Djouzi, directeur de publication du journal El-Khabar

ANNEXES

PIB ET POPULATIONS DES CINQ PAYS DU MAGHREB

2015

PIB (en milliards de dollars courants)

(sources FMI et BM)

Population (en millions d’habitants)

(source BM)

Algérie

214,00

40,40

Libye

29,72

6,28

Maroc

97,10

33,80

Mauritanie

5,44

4,07

Tunisie

43,02

11,10

Sources : MAE/FMI-BM

ANNEXE N° 1 : CARTE DE LA TUNISIE

ANNEXE N° 2 : CARTE DU MAROC

ANNEXE N° 3 : CARTE DE L’ALGERIE

ANNEXE N° 4 : CARTE DE LA MAURITANIE

ANNEXE N° 5 : CARTE DE LA LIBYE

1 () François-Aissa Touazi, Pourquoi la France ne comprend plus le Maghreb.

2 () Injustices sociales et contestations politiques au Maghreb, Luis Martinez.

3 () Ibid.

4 () Le groupe Jund al-Khilafa avait été le premier à prêter son allégeance à Daech à travers la mise à mort d’Hervé Gourdel, en septembre 2014.

5 () Organisation qu’il avait quittée en 1984 en réaction à l’admission de la « République arabe sahraouie démocratique » par l’OUA.

6 () C’est dans le cadre de ce partenariat que sont menées les opérations militaires conjointes transfrontalières qui amènent les armées du Sahel à coopérer à leurs frontières communes, où elles effectuent notamment du contrôle de zone et des actions civilo-militaires.

7 () Voir sur ce point Alain Antil, « Le Shael, une zone grise aux portes du Maghreb », in Le Maghreb dans les relations internationales.

8 () Voir pour cette partie l’excellente étude de Jean-François Drevet, « Le Maghreb et l’Union européenne », Diploweb.

9 () Abdallah Saaf Le partenariat euro-maghrébin, in Le Maghreb dans les relations internationales

10 () Le Dialogue regroupe cinq pays de la rive nord de la Méditerranée (Espagne, France, Italie, Malte et Portugal) et les cinq pays du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie).

11 () Voir sur ce point Abdallah Saaf « Le partenariat euro-maghrébin », in Le Maghreb dans les relations internationales

12 () Jean-François Drevet, le Maghreb et l’Union européenne, diploweb.

13 () Les accords d’association avec l’UE ont été signés respectivement par la Tunisie (juillet 1995, entrée en vigueur en mars 1998), Israël (novembre 1995, entrée en vigueur en juin 2000), le Maroc (février 1996, entrée en vigueur en mars 2000), les Territoires palestiniens (février 1997, entrée en vigueur d’un accord intérimaire en juillet 1997), la Jordanie (novembre 1997, entrée en vigueur en mai 2002), l’Egypte (juin 2001, entrée en vigueur en juin 2004), l’Algérie (avril 2002, entrée en vigueur en septembre 2005), le Liban (juin 2002, entrée en vigueur en avril 2006) et la Syrie (paraphe seulement, en décembre 2008).

14 () 3 200 IG européennes sont concernées, dont 720 IG françaises (191 IG agroalimentaires, 451 vins et 78 spiritueux). Côté marocain, 30 IG seront protégées (14 IG agroalimentaires et 16 vins).

15 () Par rapport à celui de 56 700 tonnes par an à droit nul dont la Tunisie bénéficie dans le cadre de l’accord d’association.

16 () Le quota dans ce secteur est passé de 400 000 en juillet 2015 à 152 000 en janvier 2016, puis à 83 000 en avril 2016.

17 () Même si elles ont été quelque peu modifiées par la fermeture des frontières algérienne et égyptienne, le tracé des routes migratoires et leurs points d'étapes sont les mêmes que sous le régime de Kadhafi : en tripolitaine prédominent le triangle formé par les villes des Sabrata, Zliten et Zuwara, et au sud, les villes de Koufra et de Seba, dans le sahara libyen, jouent un rôle de plaques tournantes de l’émigration africaine. C'est au Sud que le passage de la frontière est le plus difficile, et l'afflux le plus important, dans les deux triangles sensibles entre Algérie Niger Tchad et Égypte Soudan Tchad.

18 () Idée portée lors de la dernière réforme de la politique de voisinage que l’Union européenne aiderait davantage, y compris au plan financier, les pays qui font des efforts en matière de pluralisme politique ou de soutien à l’état de droit.

19 () A noter : l'organisation de 24 stages régionaux pour les enseignants de science, la mise à disposition de jeunes retraités français pour accompagner les professeurs, la livraison de ressources pédagogiques aux 50 délégations régionales du ministère de l'Education, la mobilisation des partenariats inter-académiques, la création d'une formule de partenariat spéciale pour les écoles privées ayant fait le choix de l'enseignement bilingue, etc.

20 () Huit projets de colocalisations universitaires sont programmés pour les années à venir. L’école d’architecture de l’Université internationale de Rabat (UIR) a été créée en 2013 ; l’implantation d’un Institut national des sciences appliquées (INSA) au sein de l’Université euro-méditerranéenne de Fès, lancée en septembre 2014, bénéficiera d’une forte visibilité. Comme l’École centrale de Casablanca, elle ouvrira ses portes à la rentrée 2015. Les autres projets portent sur la création d’un Institut Méditerranéen de la logistique et du transport à Tanger, d’un établissement de formation tout au long de la vie (CNAM) à Temesna, d’une faculté de médecine à Agadir et d’un IUT international à Rabat. Mais d’autres grands établissements d’enseignement supérieur français, comme l’Ecole des Mines, les Ponts-et-Chaussées, l’Ecole polytechnique, HEC s’intéressent au Maroc comme plateforme pour la formation des élites du continent africain.

21 () 28 universités et instituts de recherche marocains sont membres de l’Agence universitaire de la Francophonie. M. Abdellatif Miraoui, Président de l’université Cadi Ayyad de Marrakech a été élu en 2013 pour un mandat de quatre ans à la présidence de l’AUF. Le bureau régional de l’AUF pour le Maghreb, créé en 2012, est à Rabat, ainsi que depuis 2014 le siège de la Conférence maghrébine des responsables des établissements membres de l’AUF (COMARES). La France a agréé la proposition du président Miraoui de tenir la prochaine Assemblée Générale quadriennale de l’AUF (mai 2017) à Marrakech. L’Association internationale des maires francophones compte huit villes marocaines parmi ses membres (Agadir, Casablanca, Essaouira, Fès, Marrakech, Meknès, Rabat et Tanger). L’AIMF porte au Maroc des projets de modernisation des services de l’état civil (Rabat), de valorisation du patrimoine (Marrakech) et de gestion informatisée (Tanger). La plupart des régions marocaines sont membres de l’Association internationale des Régions francophones. Un groupe des ambassadeurs francophones, se réunit régulièrement au Maroc, relais utile pour la promotion des valeurs de la Francophonie et du multilinguisme. Le Maroc assure par ailleurs la présidence du GAF auprès des organisations internationales de Vienne.


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