N° 776 N° 420
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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE 2012 - 2013
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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat
le 7 mars 2013 le 7 mars 2013
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
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QUELLES CONCLUSIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES TIRER DES ASSISES DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE ?
Compte rendu de l’audition publique du 4 décembre 2012
Par MM. Bruno SIDO, sénateur, et Jean-Yves LE DÉAUT, député
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Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Bruno SIDO,
Premier Vice-président de l'Office Président de l’Office
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Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Président
M. Bruno SIDO, sénateur
Premier Vice-président
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député
Vice-présidents
M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur
Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Marcel DENEUX, sénateur
M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Virginie KLÈS, sénatrice
DÉputés |
SÉnateurs |
M. Christian BATAILLE M. Denis BAUPIN M. Alain CLAEYS M. Claude de GANAY Mme Anne GROMMERCH Mme Françoise GUEGOT M. Patrick HETZEL M. Laurent KALINOWSKI Mme Anne-Yvonne LE DAIN M. Jean-Yves LE DEAUT M. Alain MARTY Mme Corinne NARASSIGUIN M. Philippe NAUCHE Mme Maud OLIVIER Mme Dominique ORLIAC M. Bertrand PANCHER M. Jean-Louis TOURAINE M. Jean-Sébastien VIALATTE |
M. Gilbert BARBIER Mme Delphine BATAILLE M. Michel BERSON Mme Corinne BOUCHOUX M. Marcel-Pierre CLÉACH M. Roland COURTEAU Mme Michèle DEMISSINE M. Marcel DENEUX Mme Chantal JOUANNO Mme Fabienne KELLER Mme Virginie KLES M. Jean-Pierre LELEUX M. Jean-Claude LENOIR M. Gérard MIQUEL M. Christian NAMY M. Jean-Marc PASTOR Mme Catherine PROCACCIA M. Bruno SIDO |
SOMMAIRE
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Pages
PROPOS INTRODUCTIFS 9
M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST 9
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST 10
M. Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012 11
Mme Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité de pilotage des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, prix Nobel de médecine 2008 13
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche 14
PREMIÈRE TABLE RONDE : GOUVERNANCE ET AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS (présidence de M. Alain Claeys, député) 19
EXPOSÉ INTRODUCTIF : 20
M. Roger Fougères, ancien vice-président du conseil régional Rhône-Alpes, membre du comité de pilotage des Assises 20
INTERVENANTS : 23
Mme Hélène Duffuler-Vialle, Confédération des jeunes chercheurs 23
M. Stéphane Tassel, secrétaire général du SNESUP-FSU 23
Mme Christine Noille, présidente de l’association « Sauvons l’université » (SLU) 23
M. Marc Neveu, SNESUP 24
M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA 24
M. Laurent Batsch, président de l’université de Paris-Dauphine 24
M. Patrick Montfort, secrétaire général du SNCS-FSU 25
Mme Lucie Guesné, secrétaire générale de Promotion et défense des étudiants 26
M. Yannis Burgat, responsable des questions universitaires au bureau national de l’UNEF 26
M. Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d’université (CPU) 27
M. Georges Gouriten, président de l’Association des doctorants de ParisTech 27
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises 28
M. Florian Turc, président de la conférence nationale des étudiants vice-présidents d’université (EVPU) 28
M. Daniel Steinmetz, secrétaire général du SNTRS-CGT 28
M. Corentin Le Fur, chercheur à l’université Paris VII 29
M. Nicolas Soler, vice-président de la Confédération des jeunes chercheurs 29
M. Olivier Nay, vice-président du Conseil national des universités (CNU) 29
Mme Heidi Charvin (SNESUP-FSU) 29
Mme Michelle Lauton, SNESUP 30
M. Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles (CGE) 30
Mme Isabelle This-Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France et vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF) 30
M. Joël Bertrand, directeur général délégué du CNRS 31
M. Jean-Paul Caverni, ancien président du PRES d’Aix-Marseille 31
M. Bernard Saint-Giron, président du PRES Paris-Est 31
M. Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France 32
M. Rémy Mosseri, membre du comité de pilotage des Assises 32
M. Jean-Tristan Brandebourg, Agir pour les doctorants et les jeunes doctorants de l’université Paris-Sud 32
M. Joan Cortinas-Munoz, Coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de recherche 33
M. Denis Roynard, SAGES 33
M. Henri Audier, SNCS-FSU 33
M. Youssouf Touré, président d’université 34
Mme Pauline Scholler, INSERM 34
DEUXIÈME TABLE RONDE : « L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, LA RECHERCHE ET LES TERRITOIRES » (présidence de Mme Fabienne Keller, sénatrice) 35
EXPOSÉ INTRODUCTIF : 36
M. Dominique Le Quéau, rapporteur territorial de la région Midi-Pyrénées aux Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche 36
INTERVENANTS : 38
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises 38
M. Patrick Montfort, secrétaire général du SNCS-FSU 38
M. Jean-Philippe Cassar, SGEN-CFDT 39
Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Île-de–France et vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF) 39
M. Marc Neveu, SNESUP 40
M. Yannis Burgat, responsable des questions universitaires au bureau national de l’UNEF 40
M. Michel Eddi, directeur général de l’INRA 40
M. Bruno Revellin-Falcoz, président de l’Académie des sciences et technologies 41
M. Roger Fougères, membre du comité de pilotage des Assises 41
Mme Sophie Jullian, directrice scientifique de l’IFPEN 42
M. Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris XIII Nord et président de la commission des moyens de la CPU 42
Mme Simone Cassette, CGT Thalès 42
M. Jean-François Girard, président du PRES Sorbonne Paris Cité 43
M. Henri Audier, SNCS-FSU 43
Mme Claudie Haigneré, présidente d’Universcience 44
Mme Élodie Derdaele, maître de conférences de droit public à l’Université de Lorraine et adjointe au maire de Bar-le-Duc 44
M. Bernard Saint-Giron, président du PRES de l’université de Paris Est 45
M. Joël Bertrand, directeur général délégué à la science au CNRS 45
M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA 46
M. Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France 46
M. Stéphane Tassel, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur 46
M. Louis Vogel, président de la CPU 47
M. Jean-Marie Maillard, Sauvons l’université (SLU) 47
Mme Marie-Bernadette Albert, SUD Recherche EPST 48
M. Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine 48
Un représentant de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) 49
Mme Michelle Lauton, secrétaire générale adjointe du SNESUP-FSU 49
M. Gilles Dowek, chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA). 50
TROISIÈME TABLE RONDE : LA RÉUSSITE DES ÉTUDIANTS (présidence de Mme Dominique Gillot, sénatrice) 52
EXPOSÉS INTRODUCTIFS : 53
M. Jean-Baptiste Prévost, membre du Comité de pilotage des Assises 53
Mme Claire Guichet, membre du Comité de pilotage des Assises 54
INTERVENANTS : 56
M. Dominique Le Quéau, rapporteur territorial de la région Midi-Pyrénées aux Assises 56
M. Azwaw Djebara, vice-président de l’UNEF 56
Mme Michèle Lauton, SNESUP 57
M. Bernard Jégou, INSERM 58
M. Julien Blanchet, président de la FAGE 58
Mme Simone Cassette, UGICT-CGT 59
M. Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France 60
Mme Christelle Dormoy, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 60
Melle Lucie Guesné, secrétaire générale de Promotion et défense des étudiants 61
M. Denis Roynard, président du SAGES 62
M. Julien Robert-Grandjean, FAGE 62
Mme Artemisa Flores Espinola, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 62
Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France et vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF) 63
M. Gilles Roussel, président de l’université de Paris Est Marne-la-Vallée 63
M. Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris-XIII Nord 64
M. Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles (CGE) 64
M. Jean-Philippe Cassar, SGEN-CFDT 65
M. Olivier Nay, CP-CNU 65
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises 66
M. Jean-Baptiste Prévost, membre du Comité de pilotage des Assises 66
M. Nicolas Schapira, SLU 67
M. François Bonaccorsi, directeur du CNOUS 68
M. Ado Yakonba, Confédération étudiante 68
M. Thibault Delavenne, Confédération des jeunes chercheurs 69
Mme Élodie Derdaele, maître de conférence de droit public 69
M. Pierre Ceccaldi, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 70
Mme Valérie Baduel, ministère de l’Agriculture 70
Mme Heidi Charvin, SNESUP-FSU 71
M. Sylvain Bordiec, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 71
Mme Claire Guichet, membre du Comité de pilotage 72
QUATRIÈME TABLE RONDE : ACTEURS DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE, FINANCEMENT, ÉVALUATION (présidence de Mme Anne-Yvonne Le Dain et M. Jean-Louis Touraine, députés) 73
EXPOSÉ INTRODUCTIF : 73
M. Pierre Tambourin, directeur du génopôle, membre du comité de pilotage des Assises 73
POINT DE VUE : 77
M. Patrick Bloche, député, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale 77
INTERVENANTS : 80
M. Jean-Paul Caverni, PRES Aix-Marseille 80
M. Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU 80
M. Olivier Teytaud, INRIA 81
M. Alain Menant, rapporteur territorial Haute-Normandie, ancien directeur à l’AERES 81
M. Rémy Mosseri, membre du comité de pilotage 82
Mme Valérie Vilmont, Confédération des jeunes chercheurs 82
Mme Carole Chapin, Confédération des jeunes chercheurs 82
M. Jean-Louis Fournel, professeur à l’Université Paris VIII, membre de l’association SLU « Sauvons l’université ». 83
M. Michel Pierre, SNTRS-CGT. 83
M. Gilles Dowek, INRIA 84
Mme Laure Villate, coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 84
M. Jacques Drouet, SNPTES-UNSA 85
M. Romain Gallet, coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 85
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises 86
Mme Marie-Bernadette Albert, Sud recherche EPST 86
M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA 87
M. Henri Audier, SNCS-FSU 87
Mme Heidi Charvin, SNESUP-FSU 87
M. Jean-Luc Antonucci, FERC Sup CGT 88
M. Joan Cortinas Munoz, Coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 88
M. Guillaume Robert, Coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche 89
M. Jean Orloff, vice-président de la CP-CNU 89
Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France, vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF) 90
M. Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS, directeur à l’INSERM 91
M. Jean-Louis Touraine. 91
M. Marc Neveu, SNESUP 91
M. Philippe Gambette, maître de conférences à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée 92
Une doctorante 92
M. Pierre Tapie, président de la conférence des grandes écoles 93
M. Georges Gouriten, membre du conseil d’administration de l’Institut Mines Télécom 93
M. Patrick Monfort, SNCS-FSU 93
ALLOCUTIONS DE CLÔTURE 95
M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’OPECST 95
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche 99
M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale 106
ANNEXES 111
Annexe 1 : Audition de M. Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, sur les critiques émises par l’Académie à l’encontre de l’Agence nationale d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche (AERES), le 21 novembre 2012 113
Annexe 2 : Audition de M. Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement (AERES), le 21 novembre 2012 119
Annexe 3 : Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, le 5 février 2013 127
Annexe 4 : Présentation par M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Opecst, de son rapport au premier ministre du 15 janvier 2013 sur la réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche 145
M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST. Cette audition publique sera centrée sur la recherche universitaire, sa gouvernance, son insertion dans les territoires et son rapport avec les autres acteurs de la recherche. Le sujet est d’importance. Mon collègue Jean-Yves Le Déaut, qui a été chargé par la ministre d’une mission sur ces questions, vous exposera le déroulement de cette audition.
Pour ma part, en tant que président de l’OPECST, je vais vous exposer l’action de l’Office en ce domaine depuis l’adoption de la loi de programme pour la recherche de 2006.
Celle-ci a mis en place divers organismes dont la vocation principale était d’améliorer le fonctionnement de notre recherche – la qualité de ses travaux n’était, dans son ensemble, pas en cause.
Dans une économie mondialisée de la connaissance, tous les segments de la chaîne de recherche participent de la compétitivité. Ainsi, la récente démonstration du théorème des quatre couleurs, en mathématique fondamentale, offre d’importantes perspectives pratiques dans le domaine du numérique.
Le décloisonnement, le renforcement de la coordination, le rapprochement des acteurs, la mise en cohérence des systèmes de recherche imposaient de moderniser les structures et d’infléchir certaines habitudes.
L’Agence nationale de la recherche (ANR), qui joue maintenant un rôle d’appui presque comparable à celui de la Deutsche Forschung Gesellschaft (DFG) en Allemagne, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) qui, assistée par des évaluateurs internationaux, formule des appréciations sur les organismes, le Haut conseil pour la science et la technologie qui aide le Gouvernement à définir les thématiques prioritaires, les Alliances de recherche qui rapprochent les universités et les organismes de recherche, les Instituts Carnot, qui interviennent dans le développement technologique de base et la recherche appliquée, tous ces organismes constituent, à des titres divers, des novations essentielles pour l’avenir de notre recherche.
Qu’a fait l’Office ? Organisant des auditions publiques, comme celles sur les Alliances ou sur la valorisation de la recherche, auditionnant les responsables des organismes créés par la loi LRU, entretenant des rapports suivis avec les grands organismes de recherche – nous avons entendu récemment les responsables de l’INRA et de l’INRIA et entendrons prochainement ceux du CNRS et de l’INSERM –, il a cherché à dresser un premier bilan de l’application de la loi de 2006.
Ce bilan semble plutôt satisfaisant. Cela n’exclut pas que des corrections et des améliorations puissent être apportées. Des confrontations de points de vue sont intéressantes, comme celle ayant eu lieu entre l’AERES et l’Académie des sciences, cette dernière ne réclamant rien moins que la suppression de la première !
Nous n’avons pas assez mesuré comment les nouvelles structures étaient perçues par la recherche universitaire, sinon par le biais des rencontres régulières que nous avons avec notre conseil scientifique et avec l’Académie des sciences, ce qui n’est pas suffisant.
Si des adaptations sont souhaitables, des corrections de trajectoire nécessaires, le législateur doit se garder de deux délices bien français, le mécano institutionnel et la superposition de structures, deux points sur lesquels nous sommes allés aux limites de l’épure.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. Je suis particulièrement heureux d’ouvrir, avec Bruno Sido, cette audition publique. J’interviendrai tout au long de cette journée en tant que rapporteur de nos débats, afin de faire un lien entre les Assises de la recherche et de l’enseignement supérieur, ouvertes depuis plus de deux mois, et la future loi sur l’enseignement supérieur et la recherche.
Le Premier ministre m’ayant confié la mission de tirer les conséquences législatives des débats des Assises, j’ai souhaité, en tant que premier vice-président de l’OPECST, que l’Office participe à cette réflexion en facilitant le dialogue entre les parlementaires et les principaux acteurs qui se sont mobilisés au niveau régional et national.
Notre objectif est de participer activement à la préparation du prochain projet de loi. La méthode est originale : en effet, les projets de loi sont d’ordinaire élaborés par le pouvoir exécutif seul, après le plus souvent une longue phase de coordination interministérielle. Celui-ci le sera, lui, après une période d’intenses discussions au sein d’Assises régionales puis nationales, et un dialogue que nous lançons aujourd’hui entre participants à ces Assises, membres de la communauté scientifique et parlementaires.
Comme il est de tradition à l’OPECST, nous travaillons en amont du débat législatif. Notre réflexion est ouverte, puisque les choix définitifs n’ont pas encore été arrêtés sur les sujets qui font le plus débat. Nos intervenants représentent les diverses sensibilités politiques. Nous ne craignons pas les prises de position contradictoires, tout en souhaitant déboucher sur des propositions constructives.
Le cadre de notre réflexion a été tracé par les interventions du Président de la République, alors qu’il n’était encore que candidat, à Nancy, en mars 2012, et du Premier ministre la semaine dernière lors de l’ouverture des Assises nationales. Leur ambition conjointe, que nous partageons, est de prendre des décisions qui marqueront l’avenir de notre système d’enseignement supérieur et de recherche, en dépit de la difficulté du contexte, marqué par les contraintes budgétaires et le poids de plus en plus lourd de la mondialisation dans notre environnement.
Malgré cela, plusieurs choix sont possibles. Des marges de manœuvre existent, y compris pour résoudre les problèmes les plus difficiles. Je pense tout particulièrement à la situation des personnels précaires de la recherche, que nous avons tenus à inviter aujourd’hui et à qui nous donnerons la possibilité d’exposer leurs difficultés et leurs attentes.
Après les propos introductifs de Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012, et de Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008, nous entendrons Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises, qui a accompli un travail considérable.
Puis nous dialoguerons lors de quatre tables rondes axées sur quatre thèmes : la gouvernance et l’autonomie des établissements ; le rôle des territoires en matière d’enseignement supérieur et de recherche ; les conditions nécessaires à la réussite des étudiants ; la situation des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, le financement du système et la problématique de son évaluation.
Chacune de ces tables rondes sera présidée par un parlementaire, député ou sénateur. Un seul intervenant y rendra compte brièvement des débats des Assises sur le sujet. Puis la parole sera donnée à la salle, chacun disposant de deux minutes pour présenter un témoignage, poser une question ou faire une proposition. Nous souhaitons que le plus grand nombre possible d’entre vous puisse s’exprimer. Cette règle, qui peut paraître contraignante, vise à rendre notre débat plus participatif que celui des colloques traditionnels.
M. Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012. Je suis ému de m’adresser pour la première fois à un auditoire comme celui-ci. Je m’en tiendrai à quelques propos généraux sur la recherche et sur ce qu’attendent les chercheurs de ces Assises.
Il est très important de faire évoluer le cadre de la recherche scientifique à un moment où, dans le monde entier, des problèmes fondamentaux urgents se posent, que seule la science peut résoudre. Il ne saurait en effet y avoir de recherche appliquée sans recherche fondamentale préalable.
Il faut améliorer la situation des chercheurs en général, des jeunes chercheurs en particulier. Le système doit reposer davantage sur la confiance. La recherche a besoin de temps long. Ce sont aujourd’hui de confiance et de temps dont manquent le plus nos chercheurs.
Les problèmes sont connus. Tout d’abord, la superposition des structures qui complique inutilement leur travail : le système est si complexe que même ses acteurs discernent mal comment s’agencent les différentes structures et quelles sont leurs responsabilités respectives. Il faut revenir à des structures plus simples, de façon que les chercheurs n’aient qu’un seul interlocuteur, leur laboratoire de recherche, en général associé à une université ou un organisme de recherche comme le CNRS ou l’INSERM. D’une manière générale, les superstructures, quand on ne peut s’en passer, devraient être intégrées au point d’être invisibles. Les chercheurs ne devraient pas avoir à s’adresser à plusieurs interlocuteurs, dont les exigences multiples diffèrent parfois au point qu’ils sont obligés de reprendre leur travail – quand ces exigences ne sont tout simplement pas contradictoires !
Puisque l’on a donné leur autonomie aux universités, il faut leur faire confiance, notamment pour l’évaluation de la recherche. Les chercheurs devraient être évalués de manière plus souple par des structures plus proches d’eux. Les agences nationales d’évaluation devraient, quant à elles, se concentrer sur l’évaluation conduite au niveau local par les universités en s’assurant qu’elles respectent bien les règles éthiques exigées sur le plan international.
Il faudrait rééquilibrer les crédits de recherche récurrents et les crédits sur contrats. Les recherches sont de plus en plus financées sur contrat à court terme, ce qui ne permet pas aux jeunes chercheurs d’engager leurs travaux dans un climat de confiance, alors qu’ils se lancent souvent dans des projets ambitieux qui demandent du temps. On ne peut exiger d’eux des résultats au bout d’un an, ou même de deux ou trois ans. Dans les recherches sur contrat, le plus souvent présentées comme des recherches finalisées, on demande aux chercheurs ce qu’ils auront obtenu à un horizon proche et ils doivent ensuite se justifier s’ils ne suivent pas les étapes prévues. Ce n’est pas ainsi que doit marcher la recherche fondamentale. Les crédits récurrents devraient être plus importants.
Il faudrait aussi améliorer la carrière des jeunes chercheurs. Leur rémunération de départ est inadmissible : 1 700 euros nets à bac + 10 ou 12, c’est indécent. Les chercheurs sont certes passionnés par leur métier, mais il n’est pas moral de profiter à ce point de leur passion. Les salaires de milieu et de fin de carrière sont corrects, mais du fait des difficultés d’avancement, les chercheurs restent très longtemps à un niveau de rémunération faible, qui ne leur permet pas, au moment où en général ils fondent une famille, d’avoir l’esprit libre comme il le faudrait pour faire de la recherche.
Je suis défavorable au recrutement des jeunes chercheurs sur contrat précaire lorsque ce contrat n’est pas sous leur propre responsabilité. Lorsque le détenteur d’un contrat du type ANR engage un jeune chercheur pour trois ans, il prend une responsabilité morale et il faut que le débouché soit ensuite raisonnablement assuré. Dans les pays voisins, les universités font confiance aux jeunes chercheurs, les engagent sur contrat à durée déterminée en les invitant à obtenir eux-mêmes un contrat de recherche sous leur responsabilité et à montrer pendant ce temps qu’ils sont aptes à faire de la recherche. Lorsque le chercheur est asservi à un contrat dont il n’est pas responsable, la situation est totalement différente. Il faudrait regarder ce qui se fait à l’étranger, à la fois pour s’en inspirer et se garder de certains travers.
En conclusion, je reconnais qu’il est facile de poser les problèmes, il l’est beaucoup moins de trouver des solutions – surtout quand les avis divergent ! Je vous souhaite donc bon courage. Les maîtres mots devraient être simplification, confiance et temps suffisant. Alors que partout dans le monde, les vocations pour la carrière scientifique se faisaient plus rares, du fait notamment de la concurrence avec des carrières beaucoup mieux rémunérées, la crise offre l’opportunité d’attirer de nouveau des jeunes vers la science, la recherche fondamentale mais aussi les sciences de l’ingénieur. Nos ingénieurs, issus des grandes écoles, se voyaient jusqu’à présent offrir des carrières plus intéressantes dans le management ou la finance, ce qui les détournait des carrières techniques. Or, dans les années qui viennent, nous en aurons besoin dans quantité de domaines pour résoudre les problèmes liés à l’évolution du climat, trouver de nouvelles sources d’énergie… Il faut donc que plus d’entre eux s’orientent vers les métiers techniques. Il faut aussi décloisonner recherche publique et recherche privée, recherche fondamentale et recherche appliquée. Ces cloisonnements sont l’un des handicaps du système français. Les doctorats obtenus dans la recherche publique ne sont que très faiblement valorisés dans le privé. Il faudrait rendre le système plus fluide, de façon à nous rapprocher de pays concurrents comme l’Allemagne. Des mesures législatives devraient être prises pour que les doctorats soient davantage reconnus dans l’administration, ce qui encouragerait le secteur privé à les reconnaître de la même façon.
Mme Françoise Barré-Sinoussi, présidente du comité de pilotage des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, prix Nobel de médecine 2008 (en vidéo). Je tiens tout d’abord à m’excuser de ne pouvoir être parmi vous ce matin, mais un déplacement prévu de longue date m’en empêche. J’ai tenu néanmoins à ce que ce message vidéo vous soit adressé pour vous encourager dans vos travaux.
Une consultation nationale très large a été engagée en juillet dernier à la demande de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Plus d’une centaine d’auditions ont eu lieu, des Assises territoriales ont été organisées par les territoires et ont fait l’objet d’un rapport remis au comité de pilotage des Assises. Nous avons aussi reçu quelque 1 300 contributions écrites.
De là, 121 propositions ont été faites, qui ont été débattues lors des Assises nationales qui se sont tenues les 26 et 27 novembre derniers. Elles concernent la réussite des étudiants, la nouvelle ambition à donner à la recherche française, la gouvernance de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Certaines sont assez consensuelles comme celles qui touchent à l’amélioration des conditions de vie et d’études des étudiants dans notre pays ou bien encore l’accueil des étudiants étrangers. Chacun s’accorde aussi à reconnaître qu’il faudrait améliorer la lisibilité de l’enseignement supérieur pour les étudiants de premier cycle, les liens entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, et instaurer une spécialisation progressive afin de limiter l’échec en premier cycle et orienter les étudiants vers des filières pour lesquelles ils ont à la fois des motivations et des compétences.
Il est proposé aussi de rééquilibrer les financements récurrents de la recherche et les financements sur projets comme ceux de l’ANR.
En matière de carrière des enseignants-chercheurs, il faudrait faciliter la mobilité entre enseignement et recherche, entre secteur public et secteur privé, ainsi que la mobilité à l’international.
Il faudrait aussi régler la situation des précaires. Après des années de CDD, les « post-docs » devraient pouvoir être titularisés.
En matière de gouvernance, il est proposé de transformer les pôles d’enseignement supérieur et de recherche (PRES) en grandes universités fédérales – l’appellation exacte reste à trouver.
En matière d’évaluation, sujet qui fait débat, on se demande s’il faut supprimer l’AERES ou la réformer en profondeur.
Nous attendons beaucoup des échanges d’aujourd’hui. A leur lumière, nous affinerons encore les propositions des Assises qui feront l’objet d’un rapport de synthèse remis prochainement au Président de la République.
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je ne reviens pas sur la méthodologie des Assises, rappelée par Mme Barré-Sinoussi, non plus que sur l’articulation entre les Assises territoriales et les Assises nationales. L’objectif de ces Assises était de renouer le dialogue et de rétablir la confiance avec le monde de la recherche.
J’ai rappelé lors des Assises nationales l’importance de l’enseignement supérieur et de la recherche pour notre économie. Ils préparent l’insertion de nos jeunes dans la vie professionnelle. Grâce à l’innovation, ils stimulent le dynamisme de nos entreprises et contribuent à leur compétitivité. Mais au-delà, il y va de l’émancipation des individus par le savoir, du renforcement du lien social par la connaissance, la culture et l’humanisme. L’université est le lieu où se diffuse et se partage le sens critique, sans lequel il ne saurait y avoir de morale et de politique. Avec le sens critique, c’est de la démocratie dont il s’agit, celle-ci exigeant l’appréhension par le plus grand nombre de phénomènes complexes qu’il faut essayer de faire comprendre de tous.
L’enjeu de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est donc rien moins que la démocratie elle-même. L’importance qu’une nation leur accorde lui permet d’afficher un cap de civilisation.
Je n’entrerai pas dans le détail des 121 propositions des Assises.
Beaucoup concernent la coopération entre les acteurs : entre les lycées et l’université pour faciliter la transition entre enseignement secondaire et supérieur ; entre l’enseignement supérieur et la recherche et les entreprises ; entre les organismes de recherche et les universités ; entre les universités et les grandes écoles ; entre les universités elles-mêmes ; entre les différents ministères concernés – ce n’est pas le plus facile ! D’un mot, il faut simplifier le « mikado » institutionnel et mieux faire entrer en synergie tous les acteurs.
Plusieurs propositions tournent autour de la responsabilité sociale de l’enseignement supérieur et de la recherche. Tout d’abord, vis-à-vis des étudiants – orientation, logement, santé, allocations, démocratisation de l’enseignement supérieur. Ensuite, vis-à-vis des personnels – personnels précaires, personnels en situation de handicap et personnels féminins. Enfin, vis-à-vis de la société en général – diffusion des sciences et techniques mais aussi partage actif des connaissances avec tous.
Pour améliorer la réussite des étudiants, nous avons proposé un élargissement disciplinaire de la licence par grands domaines, de façon à permettre une orientation progressive. Ce serait un moyen de réduire l’échec à l’université. Nous avons également proposé de mieux orienter les bacheliers technologiques et professionnels respectivement dans les STS (sections de techniciens supérieurs) et les IUT (instituts universitaires de technologie) : le titulaire d’un bac professionnel n’a aujourd’hui que 2 % de chances d’obtenir sa licence en trois ans et 4 % en quatre ans.
Un autre sujet a suscité un vif intérêt : l’émergence du numérique. Nouvel outil pédagogique, il bouleverse également notre rapport au savoir. Des cours sont aujourd’hui suivis en ligne par plus d’un million d’étudiants. Il sera vraisemblablement possible dans quelques années à un étudiant français de suivre en ligne les cours d’une université américaine, de faire des stages ou des travaux pratiques organisés par cette université près de chez lui, de passer des examens en présentiel chez lui, et d’obtenir in fine le diplôme de cette université sans jamais avoir quitté sa ville. Nous ne pouvons rester indifférents à cette révolution. Il peut en aller de l’indépendance même de la nation. La France doit dire si elle entend ou non maîtriser l’enseignement supérieur de ses enfants.
Marquant une rupture dans les méthodes pédagogiques, le numérique révolutionne notre rapport au savoir, renouvelant par exemple totalement le rôle du professeur. Nous demandons qu’on mobilise d’importantes forces de recherche sur ces sujets, en particulier dans le domaine des sciences humaines.
Nous avons également fait des propositions sur l’encadrement et l’insertion professionnelle des doctorants. Le doctorat devrait être mieux reconnu dans les grilles de la fonction publique et les conventions collectives. La France est le seul pays au monde où ce diplôme ne l’est pas à sa juste valeur. Aucun des PDG du CAC 40 n’est docteur. Sans doute n’est-ce pas un hasard !
En ce qui concerne les thématiques de recherche, nous avons proposé l’élaboration d’un agenda stratégique fondé sur les grands problèmes à l’horizon 2020, à laquelle participeront les Alliances.
Nous avons aussi proposé d’accroître le soutien de base à la recherche, comme le demande la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet, on est allé beaucoup trop loin dans le financement sur projets. Il est contre-productif de rémunérer des personnels sans leur donner les moyens de travailler.
Beaucoup de propositions concernent l’ANR. Il faudrait des projets plus longs, moins nombreux, moins lourds en procédure.
D’autres, nombreuses également, ont trait à la sincérité budgétaire. Il est impératif d’y voir clair dans les financements au niveau des sites, des universités, des régions. Il est aujourd’hui difficile de savoir par exemple combien on dépense au total pour la recherche ici ou là car il faut additionner l’effort des organismes de recherche, des universités, des écoles, mais aussi les crédits extra-budgétaires, pas faciles à appréhender. Il faudrait savoir quelle est la dépense exacte pour un étudiant de licence par exemple. Il est faux de dire, comme on peut le lire dans la presse, qu’on dépense 11 000 euros. Ce montant est obtenu en divisant le budget total des universités par le nombre d’étudiants. Or, il faudrait retirer ce qui est dépensé pour la recherche et pour les masters, et ne diviser ce qui reste que par le nombre d’étudiants en licence. On trouverait alors un montant de trois à quatre fois inférieur, différent selon les disciplines et les régions. Il ne peut y avoir de sincérité politique sans sincérité budgétaire.
Nous avons « revisité » la loi LRU en profondeur. La centralisation des pouvoirs autour du président et du conseil d’administration qu’elle a instituée présente des inconvénients. Nous avons fait des propositions pour corriger les dysfonctionnements pouvant en résulter et aller dans le sens à la fois d’une plus grande collégialité et d’une plus grande démocratie.
Les Assises territoriales ont proposé de fédérer les universités en grandes universités – fédérales ou régionales, le terme n’est pas encore choisi – et de démocratiser les PRES, la loi de 2006 n’ayant pas permis que leur gouvernance soit vraiment démocratique.
Le rôle des régions dans le pilotage a également été un grand sujet de discussion.
Nous avons fait des propositions pour simplifier le système en demandant d’abord que ne soient plus créées de nouvelles structures ni de nouvelles personnalités morales. Nous avons même proposé de supprimer la personnalité morale des initiatives d’excellence (IDEX). La structure de base de la recherche, c’est l’unité mixte de recherche. Nous proposons la mise en place d’un outil tout simple, le groupement de coopération scientifique. Cela serait beaucoup plus compréhensible que l’empilement actuel de structures… et d’acronymes.
Nous alertons sur la situation des personnels précaires : post-doctorants qui enchaînent parfois plusieurs « post-docs », ce qui les porte à un âge où il leur est difficile d’être recrutés que ce soit dans le secteur privé ou dans le milieu académique, mais aussi personnels non enseignants des organismes de recherche et des universités. Pour ceux-ci, les solutions dépendent de leur corps.
Nous avons également abordé les sujets de la résorption du décalage grade/fonction, de la carrière et de l’évaluation des enseignants-chercheurs. L’évaluation est un sujet sensible : il faut faire retomber les passions pour ouvrir un débat plus serein.
M. Jean-Yves Le Déaut. Merci infiniment pour tout ce travail préparatoire qui servira de base aujourd’hui à nos discussions.
PREMIÈRE TABLE RONDE :
GOUVERNANCE ET AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS
Présidence de M. Alain Claeys, député
M. Alain Claeys, député. N’oublions pas aujourd’hui le débat qui avait eu lieu au moment de l’examen de la loi LRU. Il faut rétablir la confiance des étudiants dans le système d’enseignement supérieur et de recherche et la confiance des chercheurs, comme l’a dit Serge Haroche.
En matière d’enseignement supérieur et de recherche, le terme autonomie n’a pas le même sens en France que dans d’autres pays. Nous sommes et restons dans un cadre national. Il n’y aura pas d’autonomie ni de responsabilité des établissements si l’État ne joue pas en amont son rôle d’État-stratège. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit être remis au centre.
Le commissariat général à l’investissement a aujourd’hui un rôle considérable dans le financement de la recherche au travers du programme des investissements d’avenir. Mais l’État joue-t-il vraiment son rôle de stratège au niveau de l’ANR ? Le préalable serait qu’il détermine la stratégie en matière d’enseignement supérieur et de recherche au travers du ministère. C’est dans le cadre de cette stratégie que les établissements pourront acquérir leur autonomie.
Bien que celle-ci soit inscrite dans la loi, je ne suis pas convaincu que les établissements l’aient acquise dans les faits. La moitié des universités connaissent aujourd’hui des difficultés financières importantes. On pourrait parler aussi des compétences humaines : lors de l’élaboration du plan Campus, on a vu les difficultés rencontrées pour les montages juridiques et financiers. Bref, le combat pour l’autonomie n’est pas gagné.
S’agissant des relations entre les universités et l’État, la notion de contrat doit prévaloir. C’est indispensable pour concilier autonomie des établissements et définition de la stratégie par l’État.
En ce qui concerne la démocratisation de la gouvernance, les propositions des Assises répondent aux attentes. Je ne pense pas qu’il sera difficile pour le législateur de concilier équipe présidentielle forte et fonctionnement démocratique avec l’ensemble des composantes de l’université. Il peut y avoir des problèmes spécifiques comme avec les IUT, mais on trouvera des solutions.
Un mot sur les PRES. Le législateur ne les a pas définis, ne créant qu’une coquille vide, si bien qu’on ne sait pas aujourd’hui quelle est leur légitimité. Cela n’a pas empêché qu’ils soient utilisés dans le plan Campus pour engager des regroupements et des restructurations. Le rôle du législateur serait aujourd’hui de trouver une légitimité aux PRES : il faut y réfléchir dans le cadre du futur projet de loi.
Un dernier mot sur le trio État-collectivités-universités. Il n’est pas question de passer d’un système totalement centralisé à des universités régionalisées. Ce serait une faute traduisant une incompréhension totale de la décentralisation dans ce domaine. La politique universitaire se détermine au sein des établissements. Ni les régions ni les autres collectivités ne s’en occupent. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas aujourd’hui préciser sur nos territoires les rapports entre l’État, les collectivités et les universités. Les missions de chacun doivent être précisément définies par contrat. C’est d’autant plus important que certains rapprochements dépassent le cadre institutionnel des régions.
En conclusion, réaffirmons le rôle central du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui, à un moment où beaucoup de décisions sont interministérielles et où des arbitrages sont donc nécessaires, doit être codécideur. Précisons le rôle respectif du ministère et du commissariat général à l’investissement. Redéfinissons la place de l’État au sein de l’ANR : il doit pouvoir y fixer les grandes orientations. Enfin, regardons de très près et avec objectivité l’état financier de nos universités, qui est préoccupant. Un état des lieux précis s’impose. Des erreurs ont été commises. Repousser le traitement du problème pourrait créer de graves difficultés.
M. Jean-Yves Le Déaut. Définir l’autonomie, c’est d’abord clarifier le partage des compétences entre l’État et les établissements. Il faut réaffirmer avant toutes choses les responsabilités qui doivent demeurer celles de l’État : financement de l’enseignement supérieur et de la recherche, maintien d’un statut national pour ses personnels, maintien d’un cadre national pour les formations et les diplômes… La peur d’une régionalisation est finalement peut-être ce qui gêne pour avancer sur la voie d’une véritable autonomie.
La responsabilité de l’État doit être exercée de façon cohérente. La tutelle est aujourd’hui morcelée entre plusieurs ministères, il faut mettre fin à cette dispersion.
La situation financière des établissements est en effet difficile. La question devra être abordée. Quid de l’actualisation nécessaire des dotations ?
M. Roger Fougères, ancien vice-président du conseil régional Rhône-Alpes, membre du comité de pilotage des Assises. Les sujets traités dans la présente table ronde font écho à l’atelier n° 3 des Assises nationales, plus particulièrement au thème de la réforme de l’institution universitaire. Celui-ci a donné lieu à une trentaine de propositions de la part du comité de pilotage. La moitié d’entre elles ont fait l’objet de débats approfondis au cours des Assises nationales. Les autres y ont été peu abordées : elles résultent des auditions que nous avons menées et des Assises territoriales.
Ces propositions visent à introduire une meilleure coordination interministérielle de la politique de l’État en matière d’enseignement supérieur et de recherche ; une plus grande collégialité dans la gestion des établissements : une plus grande démocratie à l’université avec un pouvoir moins centralisé. Elles cherchent à simplifier les outils de coopération universitaire et scientifique, tout en proposant un cadre à cette coopération. Elles visent également à rééquilibrer les moyens entre l’ensemble des sites universitaires en France afin d’éviter que ne se creusent les inégalités dans l’accès à une société de la connaissance. Enfin, elles cherchent à ouvrir l’enseignement supérieur et la recherche à la fois vers les territoires et à l’international.
S’agissant de l’organisation des tutelles, il est proposé que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ait la cotutelle de tous les établissements afin de décloisonner la politique de l’État. Le cas échéant, lui seraient également confiés le rôle de chef de file lors de la négociation des politiques contractuelles de l’État avec ses partenaires, le pilotage et la coordination interministérielle de la politique internationale en matière d’enseignement supérieur et de recherche et le rôle de référent pour le réseau diplomatique.
En ce qui concerne la collégialité universitaire, il est proposé d’attribuer au conseil scientifique (CS) et au conseil des études et de la vie universitaire (CEVU), sous l’autorité de vice-présidents, le pouvoir de décision pour tout ce qui concerne la mise en œuvre des politiques de recherche et la pédagogie, définies dans un cadre stratégique et budgétaire précis fixé par le conseil d’administration. Cela concernerait notamment le recrutement et la gestion des personnels enseignants, dont le droit de veto, ainsi que l’attribution des primes. Si cette proposition est retenue, il faudra veiller à l’équilibre des pouvoirs entre le président et ces deux conseils.
Pour renforcer la démocratie à l’université, il est proposé de créer un statut de l’élu dans les différents conseils pour les personnels et les étudiants, avec des décharges horaires et des dispenses d’assiduité aux cours, un droit à la formation et un droit à l’accès à toute information nécessaire à l’exercice du mandat, et d’assurer une meilleure représentation des étudiants et des personnels BIATSS (personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé) par une augmentation du nombre d’administrateurs, ne risquant toutefois pas d’altérer la qualité des délibérations. Les organismes de recherche, quant à eux, pourraient être représentés dans les conseils d’administration en fonction de leur présence au sein des établissements.
Le renforcement de la démocratie au sein des conseils passe par une réduction de la prime majoritaire ou l’instauration du scrutin proportionnel au plus fort reste, ces deux options, peu discutées lors des Assises, n’ayant pas été tranchées. Ne l’a pas été non plus le périmètre du corps électoral pour l’élection du président. Enfin, si nul l’a contesté la présence de personnalités extérieures dans les conseils, leur participation à l’élection du président fait débat. Certains y sont opposés au nom d’une vision stricte de l’autonomie universitaire. D’autres au contraire y sont favorables, y voyant un symbole fort d’ouverture – à condition toutefois que le mode de désignation de ces personnalités évite toute conflit d’intérêt.
En matière de coopération universitaire et scientifique, la principale proposition consiste à créer une « université fédérale » sur chacun des principaux sites français, en remplacement des PRES actuels. Il s’agit de proposer un cadre souple, permettant à des universités, des écoles et des organismes de recherche associés, de coopérer en mutualisant des politiques et des moyens et en appliquant le principe de subsidiarité. Cette « université fédérale » serait dotée, à l’instar des universités classiques, d’une gouvernance démocratique avec des conseils où les représentants des personnels et des étudiants seraient élus au suffrage direct et où seraient représentées des personnalités extérieures. Enfin, cette université contractualiserait avec l’État et les collectivités locales. Le principe d’une telle université fait, semble-t-il, l’objet d’un accord.
Afin de simplifier le paysage de la recherche dans notre pays, il est proposé qu’au sein de ces nouvelles entités se constituent des groupements de coopération scientifique, structures légères sans personnalité morale, dans lesquelles seraient regroupés les outils actuels tels que les laboratoires d’excellence (LABEX), les équipements d’excellence (EQUIPEX), les réseaux thématiques de recherches avancées (RTRA), les réseaux thématiques de recherches et de soins (RTRS), les groupements d’intérêt scientifique (GIS)… Ces groupements de coopération scientifique seraient de simples programmes de coopération d’équipes et d’unités de recherche. Il a également été proposé de supprimer la personnalité morale des IDEX ainsi que leur périmètre d’excellence.
L’idée de rééquilibrer l’attribution des moyens sur l’ensemble des sites a fait l’unanimité, pour autant que soient clairement définis les critères et les procédures.
Enfin, le souci d’ouverture des établissements et des organismes sur leur territoire de proximité a conduit à proposer de rendre obligatoire l’élaboration de schémas régionaux de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (SRESRI), co-construits avec les milieux scientifiques et universitaires, l’État et les forces vives locales. Ces schémas seraient déclinés sous forme d’un contrat avec les collectivités. Cette proposition n’a pas soulevé d’objection majeure. En revanche, l’idée d’un contrat tripartite unique entre l’État, les établissements et les collectivités n’a pas, elle, fait l’unanimité, c’est le moins qu’on puisse dire. La solution de deux contrats séparés, élaborés de façon concomitante avec des phases successives, pourrait être une solution.
M. Jean-Yves Le Déaut. Nous en venons aux questions de la salle.
Mme Hélène Duffuler-Vialle, Confédération des jeunes chercheurs. Depuis le début des Assises, nous essayons de nous faire entendre sur la représentation des jeunes chercheurs au sein des conseils des universités, qui est aujourd’hui éclatée. Nous ne comprenons pas pourquoi personne ne nous répond. Il y va pourtant d’une gouvernance plus démocratique des universités qui faisait l’objet d’une promesse de campagne de François Hollande, relayée par Vincent Peillon.
M. Stéphane Tassel, secrétaire général du SNESUP-FSU. La communauté universitaire attend de vrais changements en matière de gouvernance et d’autonomie des établissements.
Comme cela a été souligné lors des mobilisations de 2009, les libertés données aux universités par la loi LRU sont des libertés de gestion – gestion, soit dit au passage, de la pénurie – alors que leur liberté scientifique et de recherche demeure entravée. La liberté scientifique et pédagogique des établissements devrait être garantie, avec en parallèle un cadrage national, vecteur d’égalité.
La question de la régulation nationale et du rôle du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) n’a été que peu abordée lors des Assises nationales. Qui régule ? Qui veille à l’articulation des différents échelons ?
Faut-il augmenter le nombre de membres des conseils d’administration ? Faut-il introduire la proportionnelle pour éviter les travers induits par la prime majoritaire et la sectorisation ? Ces questions restent ouvertes.
Deux nouveaux conseils en sus du conseil d’administration ont été suggérés lors des Assises, l’un lié à la formation, un autre à la recherche. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est exprimée immédiatement après les Assises sur les sénats académiques. Quelles sont les positions adoptées à ce sujet ?
Mme Christine Noille, présidente de l’association « Sauvons l’université » (SLU). La future loi devra s’accompagner de moyens budgétaires plus importants. Il est essentiel, comme l’a dit M. Claeys, que l’État se comporte en stratège, vu l’importance des financements extra-budgétaires de l’enseignement supérieur et de la recherche, surtout après la mise en place du commissariat général à l’investissement. Avec la création des IDEX et des EQUIPEX, non seulement le « mikado » institutionnel s’est complexifié, mais des pans entiers de l’enseignement supérieur et de recherche échappent désormais à la tutelle du ministère. Le rapporteur spécial de la commission des finances pour l’enseignement supérieur et la vie étudiante, Thierry Mandon, a bien pointé dans son rapport sur le budget 2013 les multiples dysfonctionnements qui en résultent.
M. Marc Neveu, SNESUP. La démocratie au sein des établissements est un sujet auquel nos collègues sont très sensibles. Le travail au sein des divers conseils est devenu beaucoup plus difficile pour tous. La prime majoritaire a un effet extrêmement nocif, des comportements et des votes de groupe empêchant certains débats d’avoir lieu au profit de stratégies huilées d’avance. Il faut, au niveau des conseils, rapprocher les structures des personnels et des étudiants. Cela va à l’encontre des politiques de fusion qui aboutissent à la création de grands ensembles, qui éloignent les centres de décision des personnels.
Pour que l’État joue son rôle de stratège, pourquoi ne pas s’appuyer sur le CNESER, aujourd’hui laissé de côté ? Il faudrait lui redonner les moyens nécessaires pour qu’il puisse effectivement remplir l’ensemble de ses missions, notamment celles qui ont trait à la recherche, au maillage territorial et à l’harmonisation des formations. Les moyens lui font aujourd’hui cruellement défaut.
M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA. Pour nous, l’État ne peut pas laisser les établissements passés aux RCE (responsabilités et compétences élargies) se débrouiller seuls avec leur masse salariale. Le pilotage national des statuts, l’adoption de certaines dispositions législatives, comme le report de l’âge légal de la retraite qui a eu des effets importants sur le GVT, exigent que le ministère fasse évoluer les budgets récurrents en conséquent afin d’éviter de compromettre l’avenir même des établissements. En contrepartie, les établissements devraient respecter certains critères d’encadrement afin d’éviter les dérapages budgétaires comme on a pu en connaître ici ou là sur les heures complémentaires.
S’agissant de la démocratisation de la gouvernance, il faut plus de collégialité, au profit notamment des personnels BIATSS et des étudiants. Le principe que nous défendons de cinq collèges de sept personnes est équilibré et éviterait une trop forte augmentation du nombre d’administrateurs. Les quatre collèges électifs devraient être élus de la même façon, à la proportionnelle à la plus forte moyenne, et le nombre de vice-présidents être limité selon la taille des établissements. Enfin, le principe de subsidiarité entre les conseils devrait toujours prévaloir.
M. Laurent Batsch, président de l’université de Paris-Dauphine. Oui à un État stratège, mais la première chose serait de dire pour quelle stratégie. Je suis intimement convaincu que si l’on n’avait pas confié le pilotage des investissements d’avenir à un commissariat général indépendant, la stratégie ne se serait pas déployée. Si on considère que redonner à l’État son rôle de stratège, c’est redonner un rôle central au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, on en revient à la tutelle. Cela ne fait pas une stratégie. Comment concilier cela avec le principe d’autonomie ?
S’agissant des PRES, vous avez dit, monsieur Claeys, qu’ils n’ont pas de légitimité. Allez le dire aux responsables et aux équipes ! Ils ont la légitimité de leur projet pédagogique et scientifique. La question des structures y est subordonnée. Bridera-t-on le développement des projets en remettant la question des structures au centre ? Je prends un exemple : l’université que je dirige fait partie d’un PRES qui compte 18 établissements dont chacun a sa gouvernance. Cela signifie 18 consultations de comités techniques, 18 consultations de conseils d’administration sur le même texte pour aboutir à un même statut. Soit un an de travail ! Le projet est-il de faire basculer les établissements dans un nouveau statut et de repartir pour un nouveau round bureaucratique ? Au nom de la démocratie ?
On évoque la nécessité d’une représentation directe des personnels et des catégories. Mais comment faire pour qu’une catégorie ou un établissement n’écrase pas les autres ? Le suffrage universel direct est-il le mieux adapté ? On ferait bien de s’inspirer de l’exemple des confédérations syndicales ouvrières, dont le comité confédéral national n’est pas élu au suffrage universel direct des adhérents mais par les représentants des unions départementales et des fédérations. Une démocratie indirecte de ce type est infiniment plus représentative et efficace que la démocratie directe qui se prête à toutes sortes de manipulations. Avec le suffrage direct, il faudrait inévitablement créer des collèges et des sous-collèges.
M. Alain Claeys. Chacun s’accorde à reconnaître l’extrême complexité du système actuel. Chacun pourrait donc s’accorder sur la nécessité de le rendre plus fluide. Lorsque je demande que l’État joue son rôle de stratège et que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ait un rôle central, il ne s’agit pas de rétablir une tutelle sur les établissements. Mais pour que l’autonomie – telle que nous la concevons en France – fonctionne, il faut que les établissements aient un interlocuteur unique rassemblant l’ensemble des initiatives de l’État.
S’agissant des PRES, ce n’est pas d’eux que je fais le procès, mais du législateur qui ne les a pas assez précisément définis. Il y a eu dans le plan Campus des initiatives qui ont permis de leur donner du contenu. Le législateur aurait tout intérêt à mieux les définir afin d’éviter tout conflit entre eux et les conseils d’administration, et ainsi à les sécuriser.
M. Patrick Montfort, secrétaire général du SNCS-FSU. Il faut faire confiance aux établissements et à l’ensemble de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les strates se sont multipliées, si bien que les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche se sont vu retirer des missions que la loi leur avait pourtant confiées. Il faut les leur redonner. Dans la recherche, l’unité de base, c’est le laboratoire, à partir duquel tout le reste doit être organisé. Il est fondamental que les IDEX n’aient plus la personnalité morale. Aucun périmètre ne doit exclure une partie de la communauté.
Oui, l’État a un rôle de stratège mais il faut savoir qui définit la stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI). Si celle-ci n’est pas fondée sur les réflexions des instances scientifiques, le risque est que l’État-stratège ne reprenne que de grandes stratégies redéclinées à l’international, sans réfléchir sur le fond.
Mme Lucie Guesné, secrétaire générale de Promotion et défense des étudiants. Le modèle actuel de financement des établissements favorise la recherche. Or, la mission première de l’université est la formation. D’autres critères devraient être pris en compte, comme ceux concernant la pédagogie.
Nous sommes défavorables à l’idée de contrats tripartites entre les établissements, l’État et les collectivités, qui introduiraient des inégalités entre les régions, toutes ne disposant pas des mêmes moyens financiers.
Il faudrait renforcer les liens entre les conseils au sein des UFR, afin de créer de véritables liens entre l’administration, les étudiants et les professeurs, et consulter ces conseils chaque fois que nécessaire.
Depuis la loi LRU, la représentation des étudiants dans les conseils d’administration a été réduite : nous demandons qu’elle passe à 25 %. Nous demandons également que le CS et le CEVU retrouvent leur pouvoir décisionnel sur les sujets relevant de leurs compétences.
Enfin, nous serions favorables au regroupement de tous les établissements sous la tutelle d’un même ministère.
M. Yannis Burgat, responsable des questions universitaires au bureau national de l’UNEF. Les étudiants, qui ont été durant plusieurs années exclus des discussions et des décisions, souhaitent reprendre la main sur les questions d’enseignement supérieur. Celui-ci s’est éloigné de ses missions de service public, se concentrant davantage sur la gestion et la concurrence. Que les étudiants soient de nouveau impliqués, notamment dans les conseils d’université, est la garantie que la pédagogie, les formations, la réussite seront bien au cœur des décisions.
L’organisation de la gouvernance et la démocratie au sein des conseils sont des questions essentielles aux yeux des étudiants. Il faut à la fois assurer une meilleure représentation des étudiants dans les conseils d’administration et redonner du poids aux autres conseils. C’est un moyen de garantir que les formations seront adaptées aux besoins des étudiants.
Pour l’UNEF, l’État doit être le garant de la carte des formations sur l’ensemble du territoire, de l’égalité d’accès à ces formations, de leur qualité, du cadre national des diplômes et de la pérennité des moyens. Quant à la situation financière des établissements, elle nous inquiète et nous demandons l’augmentation des budgets.
Enfin, l’UNEF juge indispensable un cadrage national du statut des PRES, de leurs missions, de leur périmètre géographique et de leurs compétences.
M. Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d’université (CPU). Je partage l’idée d’Alain Claeys sur la nécessité d’un État-stratège qui doit avoir ses propres objectifs, répondant aux défis européens et internationaux.
L’État devrait s’assigner quelques objectifs prioritaires. Tout d’abord, la remise à niveau financière des universités. Leur masse salariale doit absolument être actualisée : nous ne pouvons pas gérer correctement nos universités si chaque année nous devons dépenser une énergie considérable et perdre un temps fou à simplement obtenir les sommes nécessaires pour payer les personnels !
Deuxième objectif : la reconstruction du système universitaire autour de l’université, en y associant les organismes de recherche et les grandes écoles, afin d’avoir des universités fortes.
Enfin, l’adoption d’une loi améliorant la situation des étudiants, des chercheurs et des enseignants-chercheurs étrangers qu’il faut attirer dans notre pays.
Pour conduire cette politique, il faut des interlocuteurs forts. Je conteste que depuis la loi LRU, les présidents d’université soient devenus des despotes. Pour rétablir la confiance, il faut rationaliser le travail des différents conseils – la stratégie et le budget relevant du conseil d’administration et du président, les autres conseils ayant leurs propres responsabilités.
Je suis favorable à l’idée de contrats. Il faut un cadre unique, décliné localement selon les disciplines, avec des aménagements possibles selon le type et la taille de l’université.
Dans un contexte de moyens financiers contraints, les deux principaux gisements d’économies résident dans la suppression du millefeuille existant et la mutualisation des moyens entre universités. Il existe aujourd’hui quantité d’organes de mutualisation. L’État devrait avoir un interlocuteur unique qui serait la CPU, chargée de mutualiser.
M. Georges Gouriten, président de l’Association des doctorants de ParisTech. En ces temps de contraintes budgétaires, la multiplication des conseils coûte cher. Il serait donc particulièrement opportun de simplifier les structures et de réduire les frais de fonctionnement. Il faut remettre les étudiants, les chercheurs et les enseignants-chercheurs au cœur des décisions prises et leur donner plus de poids dans chacun des conseils.
Les doctorants, qui représentent un pourcentage important des effectifs des établissements, devraient être représentés dans les structures de gouvernance. Le problème les concernant est bien connu : doivent-ils être considérés comme encore des étudiants ou déjà des chercheurs ? Il a été reconnu qu’ils étaient des professionnels de la recherche. Reste maintenant à ce qu’ils participent en tant que membres du personnel aux conseils d’administration et à ce qu’ils soient impliqués dans les processus décisionnels. Il serait important d’associer également les post-doctorants, eux aussi très nombreux et qui ne sont pas non plus représentés aujourd’hui. Pourquoi ne pas créer un collège des personnels de recherche non permanents ?
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises. Les étudiants et les personnels BIATSS souhaiteraient être mieux représentés dans les conseils d’administration. Les personnels de recherche non permanents souhaiteraient y faire leur entrée. On reparle du rôle et de la place des personnalités extérieures. Le problème est que jusqu’à présent, on a réfléchi à toutes ces questions de façon morcelée. Or, c’est globalement qu’il faudrait réfléchir à la composition du conseil d’administration. Les enseignants-chercheurs peuvent-ils en constituer la moitié, au risque de contrevenir au principe d’indépendance ? La question n’est pas tranchée.
S’agissant des doctorants, la situation est compliquée car il y en a différents types. Leurs problèmes sont plutôt communs avec ceux des étudiants – encadrement, insertion professionnelle… Il n’est pas possible de les tenir pour des personnels comme les autres.
M. Florian Turc, président de la conférence nationale des étudiants vice-présidents d’université (EVPU). La loi LRU a permis une grande avancée en reconnaissant ce qu’on appelle les vice-présidents étudiants (VPE) – lesquels existaient depuis longtemps. Il faut non seulement que les étudiants soient mieux représentés dans les conseils mais que de véritables missions leur soient confiées et qu’ils aient les moyens d’agir pour être de véritables acteurs de l’enseignement supérieur et de recherche. L’actuel Gouvernement poursuivra-t-il dans cette voie ?
M. Daniel Steinmetz, secrétaire général du SNTRS-CGT. L’État a un rôle global d’orientation en matière de recherche mais une fois les grands choix effectués, qui a la responsabilité de leur mise en œuvre ? Ce n’est pas à l’ANR de conduire la politique de recherche, mais aux grands organismes comme le CNRS, l’INSERM et d’autres plus spécialisés. Reste ensuite à trouver la bonne articulation avec les universités qui connaissent bien elles aussi la réalité du terrain et sont les mieux placées pour détecter les nouveaux talents… Tous ces sujets devront être abordés dans la future loi.
M. Alain Claeys. Je suis d’accord avec vous. Que l’État soit le stratège ne signifie pas qu’il doive tout faire. Il a intérêt à tirer parti de toutes les compétences, notamment celles des organismes de recherche. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, quant à lui, devrait s’appuyer sur les Alliances, dont la mise en place a été un élément essentiel pour la structuration de la recherche – à la réserve près toutefois qu’elles ne deviennent pas des structures supplémentaires mais au contraire gardent leur souplesse.
M. Corentin Le Fur, chercheur à l’université Paris VII. Si aucun PDG du CAC 40 n’est docteur, c’est parce qu’on est obsédé par la compétitivité et la recherche du profit et que le chercheur aujourd’hui n’est pas tenu pour un vecteur de profit. On ne valorise pas assez le profit intellectuel par rapport au profit financier. L’État stratège devrait s’attacher à dissiper les préjugés qui prévalent encore sur la recherche et les chercheurs, et convaincre la société civile que les chercheurs font un travail indispensable et qu’un laboratoire de recherche ne fonctionne pas comme une entreprise.
M. Nicolas Soler, vice-président de la Confédération des jeunes chercheurs. Les jeunes chercheurs sont les doctorants et les post-doctorants
– nous préférons appeler ces derniers chercheurs en CDD. Les doctorants sont clairement des personnels contractuels et non des étudiants, avec lesquels ils n’ont que peu de points communs. Ils représentent, avec les post-doctorants, près de la moitié des chercheurs en France. Il est donc très important qu’ils soient représentés dans les universités et les organismes de recherche et que leur voix y soit entendue. Ce serait un des moyens de donner la parole aux personnels précaires de la recherche qui n’ont aujourd’hui d’autre moyen pour s’exprimer que de descendre dans la rue.
M. Olivier Nay, vice-président du Conseil national des universités (CNU). Le conseil national des universités, qui intervient dans le recrutement des enseignants-chercheurs, est inquiet de la proposition qui circule de supprimer le volet national de la procédure de recrutement. Celui-ci s’opère aujourd’hui en deux temps, avec une procédure de qualification au niveau national, suivie du recrutement lui-même au niveau local. La disparition de la phase nationale aurait de graves conséquences sur le statut national des enseignants-chercheurs. Cette procédure est la garantie de leur indépendance intellectuelle et de l’unité de leur statut. Quelle est la position du Gouvernement ? Quel rôle envisage-t-on pour le CNU dans les années à venir ? Nous pensons qu’il devrait être, au même titre que la CPU, un interlocuteur central du ministère – et des collectivités.
Mme Heidi Charvin (SNESUP-FSU). Les Assises préconisent de redonner du pouvoir au CS et au CEVU. Elles ne disent rien en revanche du comité technique (CT) qui donne son avis sur la gestion des ressources humaines. J’appelle l’attention du Parlement sur les conditions de travail des personnels et des étudiants qui se dégradent. Les cas de burn out sont de plus en plus fréquents et le nombre de suicides augmente. Nous souhaiterions que le CT soit pris en considération dans la réattribution des fonctions.
Mme Michelle Lauton, SNESUP. La situation financière des universités est préoccupante. De nombreux emplois ont dû être gelés, des enseignements supprimés, les effectifs des cours augmentés. La qualité de l’enseignement se dégrade au moment où chacun se déclare pourtant soucieux de la réussite des étudiants. Pour remédier à cette situation, il faudrait revenir à une gestion nationale des personnels, affecter d’autres crédits aux établissements avec une autre clé de répartition. Un autre moyen serait de supprimer totalement le crédit d’impôt recherche.
Le SNESUP est favorable à la suppression de l’ANR et de l’AERES. Il demande l’augmentation des crédits récurrents pour la recherche comme pour les formations. Ces crédits devraient être attribués au travers d’un mécanisme de répartition nationale transparent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui avec SYMPA (Système de répartition des moyens à la performance et à l’activité).
Enfin, le SNESUP considère qu’il faudrait revenir sur la politique des IDEX, cette politique dite d’excellence qui n’a fait qu’exacerber la concurrence entre les établissements et les personnels, alors qu’il faudrait promouvoir l’excellence pour tous.
M. Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles (CGE). Cinq points nous paraissent essentiels concernant la gouvernance des établissements. Premièrement, la stabilité stratégique : le vote d’un seul membre du conseil d’administration ne doit pas pouvoir faire basculer l’établissement vers un autre horizon que celui qu’il disait viser auparavant. Deuxièmement, la responsabilité vis-à-vis des personnes : parmi les projets qui circulent, certains diminueraient cette responsabilité de la part des dirigeants institutionnels, ce qui ne nous paraît pas une bonne orientation. Troisièmement, la collégialité, à laquelle nous sommes très attachés. On assimile souvent, à tort, collégialité et démocratisation. Il y a de nombreuses manières de pratiquer la collégialité, notamment par le biais de sénats académiques, qui ne sont pas la démocratisation attendue de la pratique du scrutin de liste. Quatrièmement, les enjeux de marque : la marque n’est pas superposée à la structure et il serait le plus souvent nécessaire de créer des marques puissantes avant de créer des structures. Cinquièmement, la diversité. Lors de la création des PRES, le législateur avait ouvert à une diversité des modèles. Nous nous réjouissons que la proposition 108 prévoie une telle diversité qui seule permet de s’adapter aux réalités hétérogènes du terrain.
Mme Isabelle This-Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France et vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF). Je ne reviens pas sur la nécessité d’un État-stratège non plus que sur la nécessité de contrats entre les établissements, l’État et les collectivités, en particulier les régions.
Les regroupements d’établissements, que je préfère personnellement appeler pôles universitaires, doivent viser à la mutualisation des moyens, ce qui permettra des économies d’échelle, et une plus grande coopération en matière scientifique et pédagogique. Ce double objectif ne doit jamais être perdu de vue.
Il faudra aussi veiller à ce que les nouveaux regroupements puissent poursuivre les coopérations scientifiques et pédagogiques qui existent déjà à l’échelon des territoires, comme en Ile-de-France où nous comptons huit PRES.
M. Joël Bertrand, directeur général délégué du CNRS. Nous devons nous-mêmes valoriser le diplôme du doctorat. Aucun PDG du CAC 40 n’est docteur, a-t-il été dit tout à l’heure. Ce n’est pas tout à fait vrai. Thomas Enders, président d’EADS, possède un doctorat, mais un doctorat américain (PhD). Les Assises ont proposé de valoriser le doctorat dans les conventions collectives et dans les grilles de la fonction publique. Faisons-le sans plus tarder. La riche expérience qu’il confère peut être utilisée ailleurs qu’en recherche. On dit parfois que si le doctorat n’est pas mieux reconnu en France, c’est parce qu’il existe les grandes écoles à côté des universités. Je ne suis pas certain que c’en soit la raison.
Quant au « post-doc », ce n’est pas une tradition française. Certaines disciplines y recourent peu. Une uniformisation est difficile. Nous préconisons, nous, un recrutement au plus près de la thèse et même qu’un chercheur puisse effectuer un « post-doc » après son recrutement. C’est ainsi qu’on donnerait confiance à nos jeunes chercheurs.
M. Jean-Paul Caverni, ancien président du PRES d’Aix-Marseille. Toutes les IDEX n’ont pas la personnalité morale. Certaines, comme à Aix-Marseille, se trouvent au sein des universités.
Il faudrait que les étudiants soient représentés aussi dans les commissions pédagogiques de diplômes, au plus près de leurs études.
Je rejoins tout à fait Louis Vogel : les universités doivent être fortes. Il ne doit donc pas y avoir de dissensions entre les différents conseils. Tout en préservant la démocratie nécessaire, les universités doivent rester gouvernables. Le mode électoral qui sera choisi est déterminant pour qu’elles remplissent dans notre pays le rôle qu’on attend d’elles.
M. Bernard Saint-Giron, président du PRES Paris-Est. Le PRES que je préside présente la particularité d’associer des établissements aux statuts les plus divers et relevant de la tutelle de plusieurs ministères – enseignement supérieur et recherche, culture, agriculture, développement durable… Je suis donc particulièrement sensible à la nécessité de mettre de la cohérence. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit être le chef de file. Divers ajustement techniques sont nécessaires : aujourd’hui par exemple, les contrats d’objectifs et les contrats d’université n’ont pas la même durée et ne figurent pas sur le même agenda.
Je suis d’accord pour que les PRES soient mieux définis, tout en conservant une souplesse suffisante s’agissant des compétences qui leur sont déléguées et la manière dont elles s’exerceront. C’est indispensable pour permettre la continuité avec les projets existants, que Mme This-Saint-Jean appelle de ses vœux.
En ce qui concerne les doctorats, il est vrai qu’un ingénieur diplômé d’une grande école est davantage incité à prendre un emploi qu’à engager un travail de recherche qui ne facilitera en rien son insertion professionnelle ultérieure. Pour que le doctorat soit mieux valorisé, il faudrait sans doute en revoir la conception même. À côté du doctorat traditionnel obtenu en formation initiale, pourquoi ne pas imaginer un doctorat obtenu sur travaux ou par validation des acquis de l’expérience ? À condition que la qualité du diplôme soit garantie, ce pourrait être une piste intéressante.
M. Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France. Aujourd’hui, 10 % des étudiants sont apprentis ou suivent une formation en alternance, et passent donc la moitié de leur temps en entreprise. Ils sont une source de financement pour les universités. Pourtant, ils ne sont pas représentés dans les conseils d’administration. Nous souhaiterions qu’ils le soient. Nous demandons de même qu’ils soient autorisés à quitter leur entreprise une demi-journée pour pouvoir voter à toutes ces instances.
M. Rémy Mosseri, membre du comité de pilotage des Assises. Pourquoi avons-nous proposé de supprimer la procédure de qualification des enseignants-chercheurs ? Il n’y a là nulle attaque du Conseil national des universités, auquel nous donnerions volontiers une place plus importante dans l’évaluation des unités de recherche au travers de l’évaluation des enseignants-chercheurs. Mais nous nous sommes demandé à quoi servait vraiment la qualification. Ce n’est pas un pré-requis de qualité : j’en veux pour preuve que dans les concours de recrutement des organismes de recherche, qui ne sont pas moins sélectifs, le doctorat suffit. C’est en revanche une procédure coûteuse et chronophage. L’ensemble des procédures de qualification coûte vraisemblablement plusieurs millions d’euros par an et représente plusieurs dizaines d’années-homme. Si certaines disciplines sont très attachées à cette procédure, c’est pour lutter contre le localisme de certains recrutements. On pourrait sans doute y parvenir par des moyens plus économes en temps et en argent.
M. Jean-Tristan Brandebourg, Agir pour les doctorants et les jeunes doctorants de l’université Paris-Sud. Comment améliorer la gestion des ressources humaines dans l’enseignement supérieur et de recherche ? L’Union européenne a adopté une charte et un code de bonne conduite pour le recrutement des chercheurs. Bien que presque tous les établissements aient signé cette charte contraignante, celle-ci n’est pas respectée. Il y a pourtant tant à faire. Il faudrait traiter la question des personnels précaires, des doctorants non financés, des vacataires…
M. Joan Cortinas-Munoz, Coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de recherche. La représentation des jeunes chercheurs dans les instances de décision des universités et des organismes de recherche est très importante. Ce sont en effet les maillons les plus fragiles du système actuel. Parmi les jeunes chercheurs, il n’y a pas que des post-doctorants en CDD. Certains alternent des contrats avec des périodes de chômage, d’autres sont vacataires, c’est-à-dire n’ont pas droit aux allocations chômage à l’issue de leur contrat, d’autres font un doctorat sans être financés – c’est fréquent en sciences humaines.
M. Denis Roynard, SAGES. Le syndicat que je représente regroupe essentiellement les PRAG et les PRCE, professeurs agrégés et professeurs certifiés travaillant dans le supérieur.
J’ai noté une préoccupation légitime de rééquilibrage et d’apaisement dans la gouvernance des établissements. Je me félicite que la procédure d’impeachment transposée à l’enseignement supérieur fasse partie des propositions des Assises – je l’avais moi-même proposé. Tous les conflits ne pourront pas pour autant être réglés a priori par l’organisation de la gouvernance. Il faudrait prévoir des mécanismes plus adaptés de règlement des différends, comme il en existe par exemple au Canada – j’avais transmis au comité de pilotage le règlement de l’université d’Ottawa. Aujourd’hui, soit les conflits ne sont pas réglés, ce qui conduit certains à se désinvestir, ce qui est dommage. Soit ils sont portés devant une instance disciplinaire. Avant d’en arriver là, il serait utile de prévoir des médiations.
M. Henri Audier, SNCS-FSU. Le rapport de M. Berger est courageux sur plusieurs points comme les IDEX, la nécessité de remettre les laboratoires de recherche au centre… Il fait en revanche l’impasse totale sur les problèmes financiers. Une légende veut que notre pays consacre 1 % de son PIB à la recherche publique. Or, nous en sommes loin. Il faudrait déduire en effet la recherche militaire, très importante, les recherches menées dans le cadre de l’héritage des grands programmes technologiques – que les autres pays ne classent pas dans la recherche publique. Si on ne tient compte que de la recherche effectuée dans les universités, les organismes de recherche et les agences, nous n’en sommes qu’à 0,55 % du PIB. C’est dire qu’il faudrait presque doubler en dix ans l’effort de recherche publique pour atteindre l’objectif affiché. À périmètre comparable, l’effort de l’Allemagne représente 0,75 % de son PIB.
On pourrait certes faire des économies en supprimant quantité de structures inutiles créées ces cinq dernières années mais on ne pourra pas résoudre les problèmes qui se posent, notamment celui de l’attractivité des carrières de la recherche, sans porter l’effort réel de recherche à 1 % du PIB.
M. Youssouf Touré, président d’université. La mission des PRES avait été définie par le législateur. Mais c’est un peu comme si on avait voulu enfoncer des clous avec une clé à molette et trouvant que cela ne marche pas bien, on jette maintenant cette clé. Pour clouer, c’est un marteau qu’il faut ! Définissons ce qui est vraiment nécessaire plutôt que de jeter l’outil ! Les PRES, conçus en 2004, ne peuvent être adaptés à la réalité de 2012. D’une manière générale, lors de la mise en place de nouveaux outils, il faudrait être plus attentif à la façon dont ils pourront évoluer. Un vieil outil peut difficilement être adapté à de nouvelles ambitions.
De même, j’ai l’impression qu’avec l’AERES, on voudrait casser le thermomètre pour faire baisser la température. L’AERES a été créée pour tenter d’homogénéiser les procédures d’évaluation et donner des outils de pilotage en interne. Ce n’est pas elle qui est un problème, mais l’utilisation qui en a été faite.
Mme Pauline Scholler, INSERM. Ingénieur, je suis actuellement doctorante. Lors des entretiens d’embauche, on me demande systématiquement pourquoi je fais un doctorat alors que j’ai un diplôme d’ingénieur. La situation changerait peut-être si les industriels étaient associés davantage à la gouvernance des universités et à la définition des formations. Ils connaissent mal aujourd’hui les capacités des diplômés de l’université – dont les formations, il faut le reconnaître, ne sont pas toujours adaptées à leurs attentes.
M. Vincent Berger. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté au sujet du CNESER. Nous avons clairement réaffirmé la volonté d’un cadre national pour les diplômes et d’un socle commun de connaissances… À cet égard, le CNESER a un rôle central à jouer. La crainte de sa disparition est infondée.
M. Roger Fougères. Du débat de ce matin, ressortent sensiblement les mêmes thèmes que des Assises. L’accent a été mis sur trois points particuliers. Tout d’abord, la nécessité d’un État stratège et chef de file avec un besoin de cohérence dans ses relations avec les établissements et une déclinaison locale. Ensuite, la précarité de la situation de certains personnels, à laquelle il faudrait remédier. Enfin, de nouvelles demandes de représentation. Je retiens aussi tout particulièrement l’idée que le « post-doc » puisse être effectué après recrutement, ce qui permettrait de résoudre à long terme la question de la précarité.
Les membres du comité de pilotage ont pris bonne note de toutes les questions et de toutes les remarques, et en tiendront le plus grand compte lors de l’élaboration du rapport final.
DEUXIÈME TABLE RONDE :
« L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR, LA RECHERCHE ET LES TERRITOIRES »
Présidence de Mme Fabienne Keller, sénatrice
Mme Fabienne Keller, sénatrice. Je suis très honorée d’ouvrir cette table ronde tant votre engagement et votre excellence nourrissent la réputation de notre pays. Le rayonnement de son université et de sa recherche est l’un des facteurs de la compétitivité de notre pays.
Comment tirer parti de la richesse de notre histoire et de notre culture universitaires, ainsi que de la diversité des structures qui se sont créées dans ce domaine au fil des siècles ? Il existe, parallèlement à l’université, des écoles d’ingénieurs, de médecine et de commerce dont l’organisation, les statuts et les modes de financement et de gestion sont extrêmement divers.
Il va de soi que l’enseignement supérieur et la recherche sont complémentaires et que leur avenir est lié. La plupart des établissements sont d’ailleurs dotés d’unités mixtes et la coopération s’intensifie, mais elle est plus forte dans d’autres pays qu’en France.
De nouvelles grandes universités se sont créées dont celle de Strasbourg, premier établissement de ce type, qui a réunifié les trois universités strasbourgeoises. L’accouchement fut douloureux et j’ai souvenir que la première réunion fondatrice de l’établissement en présence de la ministre Valérie Pécresse fut difficile. Cependant, des éléments très positifs se dégagent de cette réforme. Pour ma part, je fonde beaucoup d’espoir dans la transversalité et le regroupement des disciplines, que favorise celui des universités. Pour développer ces regroupements, convient-il de fixer des règles uniformes ou des règles plus souples sont-elles préférables ? Si nous réfléchissons à un nouveau projet de loi, ne remettons pas en cause les acquis des lois précédentes et ne cassons pas la dynamique à l’œuvre ! La loi de juillet 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités a permis des avancées : tirons-en les leçons.
Étant donné les difficultés budgétaires de l’État, comment répondre aux besoins financiers considérables des universités ? Comment coopérer avec les régions et les métropoles ? Comment s’assurer que les projets des universités répondent aux critères de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et des appels à projet de recherche internationaux ? Quelles leçons tirer de l’expérience des investissements d’avenir, retenus au terme d’un processus de sélection rigoureux, et de celle, parfois difficile, du plan Campus ?
La question des relations entre les différentes structures, l’État, les régions, les métropoles et les départements se pose également. Nous avons l’habitude de telles coopérations, comme ce fut le cas récemment avec le plan Campus et, auparavant, les contrats de projet et le plan « Université du troisième millénaire », dans le cadre duquel nous avions construit une belle programmation pour l’université de Strasbourg. Tous les niveaux de collectivité sont conscients de la chance que représente l’université, lieu d’accueil des jeunes, de créativité et de culture qui dynamise nos métropoles.
Pour ce qui est de la coopération internationale, l’Alsace par exemple a établi une coopération transfrontalière entre Mulhouse-Strasbourg et Fribourg, Karlsruhe et Bâle, au profit de 1 000 étudiants par an, étudiant en trois langues : le français, l’allemand et l’anglais.
Comme aura sans doute l’occasion de nous le redire ici Claudie Haigneré, l’appétence des filles pour les sciences reste encore très en retrait.
Enfin, je terminerai par deux cris du cœur. Puissent toutes les universités de France se regrouper de manière interdisciplinaire et proposer des catalogues de formations permettant aux étudiants de s’initier à d’autres disciplines que celles de leur majeure. Puissions-nous trouver le moyen de remédier au gâchis que constitue l’échec si massif des étudiants en première et deuxième années à l’université et mettre en place un système universitaire plus constructif auquel ils auraient envie de participer en personnes responsables.
M. Dominique Le Quéau, rapporteur territorial de la région Midi-Pyrénées aux Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mon intervention portera sur le territoire midi-pyrénéen, dont plus de 90 % du potentiel de recherche, du potentiel économique et d’enseignement supérieur sont concentrés dans la métropole toulousaine. D’autres villes de la région aspirent pourtant à une présence forte de l’enseignement supérieur sur leur territoire, comme l’ont montré de nombreux débats au cours des Assises territoriales.
L’enseignement supérieur de proximité est bénéfique à plusieurs titres pour les territoires infrarégionaux. Premièrement, il contribue au développement de la démocratie et à la lutte contre la fracture éducative – il facilite l’accès à l’enseignement supérieur et favorise la réussite des étudiants en licence –, contre la fracture sociale – le nombre de boursiers est plus important dans les cellules universitaires locales, rattachées aux universités de la métropole – et contre la fracture politique - les étudiants y sont mieux intégrés aux structures de recherche. Deuxièmement, cet enseignement supérieur de proximité apporte des facilités dans le domaine économique : il favorise l’innovation dans les petites et moyennes entreprises locales et rapproche les cultures académique et entrepreneuriale, surtout s’il s’appuie sur l’apprentissage et la formation en alternance. Il permet en particulier de trouver des cadres pour reprendre de très petites entreprises (TPE) qui sinon disparaissent bien souvent avec leur fondateur. Troisièmement, l’activité que suscite cet enseignement supérieur de proximité a un effet très positif sur la culture scientifique et technique, sur l’attractivité du territoire et donc son solde démographique.
Des difficultés demeurent néanmoins. Tout d’abord, le pourcentage du PIB consacré à la recherche publique en général, et à l’enseignement supérieur en particulier, est-il assez important pour qu’on l’utilise à des fins d’aménagement du territoire ? Faire de la recherche en partenariat entre industries et universités ou instituts universitaires technologiques (IUT) exige de créer des plateformes mutualisées, dont non seulement la constitution mais aussi le fonctionnement ultérieur coûte cher. On gagnerait donc à lier le bénéfice du crédit d’impôt recherche au développement d’activités mutualisées. Ensuite, les enseignants-chercheurs mais aussi les personnels BIATSS travaillant dans des structures déconcentrées rencontrent des difficultés de promotion. En effet, comme le dit l’adage, « loin des yeux, loin du cœur ». En outre, même si l’on développe l’interdisciplinarité, il est impossible de proposer partout toutes les disciplines. La spécialisation disciplinaire est donc indispensable et le nombre d’étudiants de master ou de doctorat dans certaines disciplines peut être faible. Enfin, la formation des enseignants, centralisée au niveau de la métropole régionale, n’est que peu présente sur le reste du territoire régional.
Quelles peuvent être les solutions ?
Premièrement, il faut développer des plateformes mutualisées qui ancrent l’enseignement supérieur dans nos territoires. Deuxièmement, la recherche amont doit s’articuler avec les spécialisations locales. Par exemple, un grand cluster d’industries mécaniques se trouve implanté au nord de la région Midi-Pyrénées. La recherche pourrait donc s’y spécialiser dans ce domaine. De même, les enjeux environnementaux – tels que les risques naturels ou les questions agricoles – sont spécifiques aux différents territoires et pourraient bénéficier d’équipes ou de laboratoires de recherche dédiés. Troisièmement, il faut mieux structurer la recherche technologique – laquelle, en termes de maturité, se situe au-dessus de la recherche amont et en dessous de la recherche industrielle – à l’échelon local, dans les établissements universitaires déconcentrés. Enfin, pour faire de la recherche, surtout au niveau international, il faut être visible : les universités fédérales sont à même d’assurer la visibilité nécessaire. Quant aux organismes publics de recherche nationaux, il leur revient de coordonner dans la même perspective l’activité de leurs réseaux sur l’ensemble du territoire.
M. Jean-Yves Le Déaut. Notre cadre juridique est mal adapté au puissant mouvement de reconfiguration des établissements qui s’opère au niveau territorial. Ainsi l’université de Lorraine a-t-elle dû opter pour le statut de grand établissement pour pouvoir regrouper des universités et des écoles d’ingénieurs. Une loi définissant un statut national unique est-elle adaptée à toute la diversité des situations locales ? Face à cette diversité, trois types de statuts ont été proposés – les fusions, les fédérations et les confédérations d’établissements. Pour ma part, je privilégie la notion de communauté d’universités qui, dans le système confédéral, consiste en la mise en commun de compétences, comme le font dans d’autres domaines les communautés d’agglomération et de communes.
Quant aux investissements d’avenir, certains les ont loués, d’autres les ont fortement critiqués …
Mme Fabienne Keller. Selon que leur établissement avait été ou non retenu !
M. Jean-Yves Le Déaut. Nous souhaitons davantage d’égalité sur le territoire. Nous ne refusons pas le développement de l’excellence dans les universités, mais force est de reconnaître que les inégalités se sont creusées entre les établissements des métropoles et les sites universitaires plus éloignés.
Enfin, l’implication des collectivités territoriales est source de malentendus et suscite la méfiance. Certains craignent une régionalisation des universités, porteuse d’inégalités. La future loi et l’acte III de la décentralisation devront donc définir ce qui relève de la compétence de l’État et de celle des collectivités territoriales, ainsi que le contenu de l’autonomie des établissements. Le rapporteur général du comité de pilotage des Assises a laissé ouvert le choix entre un contrat unique tripartite et plusieurs contrats. En tant que premier vice-président d’une région dont les financements représentent 30% des dépenses de fonctionnement des universités de la région hors personnel, j’estime que les régions doivent être associées, non tant d’ailleurs parce qu’elles sont financeurs que du fait de leur rôle en matière économique et d’aménagement du territoire. Il ne s’agit bien entendu pas pour autant de confisquer l’autonomie accordée aux établissements.
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises. Lors des Assises nationales, les syndicats étudiants, les syndicats de personnels et la CPU ont exprimé ensemble – fait rare ! – la même crainte d’une régionalisation des universités.
Mme Fabienne Keller. Qu’en pensent ceux qui sont à l’extérieur – les citoyens, les entreprises et les organisations sociales – et qui ont également un avis sur l’université ?
M. Patrick Montfort, secrétaire général du SNCS-FSU. Le « mikado » actuel s’écroulera tout seul, même si l’on n’y touche pas. Nous devons donc réformer cet empilement de structures qui nous étouffent.
Le dispositif des investissements d’avenir a abouti à une mise en concurrence de l’ensemble des établissements à tous les niveaux. Les fonds ont été distribués sans aucun souci de politique territoriale. Des sites universitaires importants ont été écartés de la distribution et des déserts se sont formés. Ce dispositif aussi doit donc être réformé.
Il est normal que les régions aient leur mot à dire en matière d’enseignement supérieur et de recherche dans la mesure où elles contribuent à leur financement. Pour autant, elles ne peuvent être le pilote et le système ne peut pas être réorganisé à leur niveau. La politique de recherche doit être définie par l’État et relever d’organismes nationaux, les régions n’étant que des partenaires. Elles ne doivent pas introduire de contraintes supplémentaires.
M. Jean-Philippe Cassar, SGEN-CFDT. Que les universités soient autonomes ne signifie pas qu’elles sont isolées : elles doivent prendre en compte leur environnement régional ainsi que leurs partenaires. Les contrats de financement des universités autonomes doivent être élaborés de façon coordonnée, ce qui suppose de synchroniser les calendriers de l’ensemble des acteurs concernés et d’associer ces acteurs à une discussion unique portant sur la politique régionale de recherche. Il conviendrait également de faire évoluer l’implantation régionale des organismes de recherche et le rôle qu’ils peuvent jouer dans ces discussions.
La définition de cartes régionales des formations est une autre responsabilité essentielle des régions. Il faut y associer non seulement l’enseignement supérieur et la recherche mais aussi l’enseignement secondaire.
Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Île-de–France et vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF). Lors des Assises, l’ARF n’a absolument pas revendiqué la régionalisation de l’enseignement supérieur ! Dans sa présentation, le rapporteur a rappelé le caractère national du statut des personnels et des établissements ainsi que le cadre national des diplômes. Il n’en reste pas moins que les régions sont devenues des financeurs substantiels de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. En 2011, elles y ont contribué à hauteur d’un milliard d’euros. J’entends bien que ce n’est pas parce qu’elles sont financeurs qu’elles sont fondées à intervenir en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Leur action en ce domaine se justifie par leur proximité. Plus proches, elles sont mieux à même que l’Etat d’assurer la réussite des étudiants, la valorisation économique de la recherche et la mise en place d’un dialogue entre la science et la société. Elles sont en outre des aménageurs du territoire. Or, la dimension de l’aménagement du territoire est essentielle pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, y compris au sein d’une même région – c’est tout particulièrement vrai en Île-de-France. C’est pourquoi les collectivités régionales ont demandé que leur intervention soit prise en compte et qu’un contrat puisse être conclu entre la région, l’État reconnu comme stratège et éventuellement, les établissements concernés.
M. Marc Neveu, SNESUP. Les investissements d’avenir et les initiatives d’excellence (IDEX) visaient à la restructuration du territoire en matière d’enseignement supérieur et de recherche, même si, dans les faits, les pôles d’excellence ainsi créés se sont superposés à ceux identifiés dans le cadre du plan Campus. Cette restructuration fut, hélas, exclusivement fondée sur une concurrence, délétère, entre pôles, établissements, unités et équipes au sein de ces unités, alors que c’est la coopération qui devrait prévaloir en matière de formation et de recherche. Cette concurrence a fait éclater les équipes pédagogiques et les ensembles de base que sont les unités, et entraîné la paupérisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le maillage territorial des formations a été mis à mal par cette organisation en pôles d’excellence, quantité d’étudiants, de la licence au doctorat, se trouvant exclus des formations dites d’excellence. Il faut en finir avec cette concentration de moyens sur des portions de territoires qui s’est opérée au détriment de la diversité des équipes et rééquilibrer la répartition des financements afin d’éviter la constitution de déserts scientifiques. Une loi d’orientation devra définir le statut des nouvelles entités et une loi de programmation les priorités en termes de ressources et de postes nécessaires à la constitution d’un maillage cohérent sur l’ensemble du territoire national.
M. Yannis Burgat, responsable des questions universitaires au bureau national de l’UNEF. L’enseignement supérieur a connu de profondes mutations du fait des regroupements universitaires qui ont été opérés – à Strasbourg, en Lorraine, à Aix-Marseille – dans la logique concurrentielle du plan Campus et des investissements d’avenir, sans que le moindre débat national n’ait eu lieu au préalable sur la pertinence et l’utilité de ces regroupements. Ce processus de regroupement se poursuit aujourd’hui.
Nous sommes favorables à la mutualisation et à la coopération entre établissements mais leur fusion pose problème lorsqu’elle n’est pas décidée dans un cadre démocratique et que les étudiants se sentent perdus dans ces mastodontes universitaires où leur représentation est insuffisante.
Les moyens financiers accordés aux universités doivent être rééquilibrés, les investissements d’avenir et les IDEX ayant creusé les inégalités entre les établissements et entre les étudiants. Dans les établissements sélectionnés au titre de ces programmes, le plus souvent seule une poignée d’étudiants bénéficiait au final des moyens supplémentaires.
M. Michel Eddi, directeur général de l’INRA. Les établissements publics nationaux de recherche contribuent à la dimension territoriale de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est tout particulièrement le cas pour l’INRA qui est, certes, un établissement public national, mais aussi est implanté dans une centaine de lieux sur tous les territoires et dans toutes les régions de France. La stratégie nationale d’un établissement lui permet de jouer son rôle d’opérateur de l’État dans le jeu de la compétition internationale. La dimension partenariale de son activité de recherche et les relations contractuelles fortes qu’il noue avec d’autres partenaires académiques ou avec des collectivités sont essentielles à la mise en œuvre de cette stratégie.
L’INRA étant un opérateur de l’État, sa gouvernance doit rester nationale et le seul contrat global qu’il puisse conclure est avec l’État. Mais la contractualisation sur projet existe déjà entre notre établissement, les régions et d’autres partenaires : elle nous permet de savoir ce que nous partageons, de mieux coordonner nos activités et de finaliser les opérations que nous souhaitons conduire ensemble. Ce type de contrat doit préciser les thèmes concernés et la contribution financière des différentes parties. Dans ces conditions, les établissements nationaux pourront contribuer à la régionalisation et à la territorialisation de la politique d’enseignement supérieur et de recherche.
M. Bruno Revellin-Falcoz, président de l’Académie des sciences et technologies. Il y a deux ans, nous avons conduit une étude avec la DATAR et le Conseil d’analyse économique, dont les conclusions ont confirmé que les conditions nécessaires à la créativité et à l’innovation – qui s’entend comme l’industrialisation de l’invention – dans les territoires tiennent un peu à leur niveau technique et scientifique mais beaucoup aux facteurs humains et à l’environnement.
Afin d’améliorer notre compétitivité, la recherche technologique doit être bien prise en compte par le législateur.
Pour ce qui est de la coopération européenne, dans le cadre de l’Institut européen d’innovation et de technologie, des entités juridiques ont été créées sous forme de communautés de l’innovation et de la communication (CIC), regroupant des chercheurs, des centres de recherche et des industriels. Ces chercheurs y reçoivent une formation à l’entrepreneuriat. Ce modèle intéressant fait l’objet de discussions entre le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et la commissaire européenne compétente.
M. Roger Fougères, membre du comité de pilotage des Assises. J’ai animé avec Mme Frédérique Pallez l’atelier n° 3 de ces Assises, consacré à la question de l’université et des territoires : un certain nombre de points y ont fait consensus.
Tout d’abord, les schémas régionaux de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qu’il conviendrait de rendre obligatoires, tout en conservant le rôle stratège de l’État : les diplômes et les statuts des personnels doivent demeurer nationaux et l’État doit définir des politiques nationales, ensuite déclinées dans les territoires.
Ensuite, les collectivités, notamment les régions, devraient pouvoir passer des contrats avec les établissements et les organismes sur leur territoire. La nécessité d’une coopération entre ces trois partenaires fait consensus. La question porte sur son outil. Le contrat unique tripartite proposé par notre comité, et qui pourrait prévenir les dérives de la régionalisation, a suscité de vifs débats et a été rejeté par la plupart des participants aux Assises nationales. Si l’on opte pour des contrats séparés, il conviendra d’assurer une coordination entre les actions de l’État, des collectivités et des établissements, sur un territoire donné.
Mme Sophie Jullian, directrice scientifique de l’IFPEN. Les régions jouent un rôle important en matière de transferts technologiques car elles connaissent le tissu d’emploi et de développement économique de leur territoire. Ce sont elles les mieux placées pour s’assurer que le circuit est fluide entre apports de la recherche fondamentale et création de valeur économique. Ne perdons jamais de vue que si l’on forme des jeunes, c’est bien pour qu’ils trouvent un emploi.
M. Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris XIII Nord et président de la commission des moyens de la CPU. Henri Audier a eu raison d’affirmer tout à l’heure que le problème des moyens est peu abordé ! Une bonne vingtaine des propositions des Assises supposent l’allocation de moyens supplémentaires – dans un contexte budgétaire contraint. La CPU a proposé que la taxe d’apprentissage, obligatoire pour les entreprises et aujourd’hui collectée par des organismes collecteurs, puisse l’être par les universités puisque dans certaines d’entre elles, 25 % des étudiants sont en apprentissage.
Mme Simone Cassette, CGT Thalès. Notre industrie innove trop peu. Censées favoriser la recherche et l’innovation et améliorer la compétitivité de nos entreprises, les mesures prises ces dernières années ont été mises à profit par les entreprises pour dégager des marges plus élevées, pas pour développer l’emploi scientifique : les centres de recherche industrielle ont vu leurs effectifs décroître quand ils n’ont pas fermé ! En réalité, le crédit impôt recherche (CIR) n’a pas été utilisé par les grands groupes pour développer leur recherche-développement. La CGT demande donc que son attribution soit réservée aux PME qui n’ont pas les moyens de soutenir un effort de recherche sur le long terme et que les sommes ainsi économisées sur cette dépense fiscale soient allouées à la recherche publique.
Le soutien à la recherche devrait permettre d’augmenter le nombre de doctorants, plus faible en France qu’en moyenne en Europe, de recruter des docteurs et d’augmenter le nombre de femmes hautement qualifiées dans les entreprises. Il conviendrait également de rapprocher les écoles doctorales des entreprises et d’apporter aux doctorants l’aide de réseaux équivalents à ceux des écoles d’ingénieurs.
La recherche doit contribuer à notre redressement productif et répondre aux besoins de la société future. Nous devons donc promouvoir la constitution de filières industrielles, allant de la recherche fondamentale à la production, en passant par la recherche technologique – et ce, notamment dans les domaines de l’énergie, de la santé, des biotechnologies et de la mécanique, dans lesquelles la France possède des atouts. Les pôles de compétitivité n’ayant pas permis d’y parvenir, il faut les transformer en pôles de coopération et de développement territorial et faire en sorte que l’activité de recherche repose sur une collaboration équilibrée et des rapports de confiance à long terme.
M. Jean-François Girard, président du PRES Sorbonne Paris Cité. En Île-de-France, les principes sont les mêmes qu’ailleurs, qu’il s’agisse du rapprochement entre grandes écoles, universités, enseignement et recherche, ou encore de l’omnidisciplinarité. Nous sommes d’autant plus astreints à une obligation de résultat que nous avons les moyens de mettre en œuvre ces principes.
En revanche, les enjeux d’aménagement du territoire y sont différents. Il peut être pertinent de constituer un ensemble intra et extra muros dans notre région qui accueille 40 % de nos forces scientifiques nationales. C’est un héritage que l’on peut certes considérer comme une anomalie mais dont il faut tenir compte dans le cadre de la restructuration et de la valorisation académique et économique de notre territoire, même si bien entendu doit s’appliquer le principe de subsidiarité. Ce serait une erreur que de ne pas tenir compte de la particularité de la région parisienne, où il existe aujourd’hui huit PRES. Ceux-ci doivent s’organiser entre eux et coopérer, mais on ne peut pas faire ce qui a été fait à Strasbourg…
Mme Fabienne Keller. L’Île-de-France peut néanmoins faire des efforts de regroupement et de transversalité !
M. Henri Audier, SNCS-FSU. J’ai beaucoup apprécié l’intervention du représentant de la CGT qui, quasiment pour la première fois dans ce débat, a abordé la relation entre recherche industrielle et recherche publique. Dans le système actuel, l’intérêt des régions en matière de recherche se justifie par leur rôle économique. Dès lors, va-t-on continuer à gérer l’aide à l’innovation des PME de manière centralisée ou la décentraliser ? Comment les programmes nationaux à finalité économique ou sociale seront-ils déclinés au niveau régional ? Les 20 milliards d’euros du crédit d’impôt compétitivité emploi doivent servir à valoriser la productivité de la recherche industrielle. Sinon ils seront inutiles ! Chimiste, je suis bien entendu très favorable aux liens entre recherche publique et recherche privée, dont je sais tout l’intérêt.
Depuis 2007, le montant du crédit d’impôt recherche a triplé. Or, la France ne consacre que de 1,35 à 1,4 % de son PIB à la recherche industrielle. Dans tous les autres pays de l’OCDE – qui n’ont pas mis en place de crédit d’impôt ou en ont un qui représente trois fois moins que le nôtre –, ce pourcentage a augmenté beaucoup plus vite que chez nous. La question n’est donc pas tant celle des moyens mis à disposition que de leur utilisation. Si nous ne développons pas une politique de l’offre et de l’innovation et si nous ne rénovons pas complètement notre recherche industrielle afin d’innover davantage, nous allons dans une impasse. Notre débat sur l’enseignement supérieur et la recherche risque alors de demeurer bien incompris du grand public !
Mme Claudie Haigneré, présidente d’Universcience. Je rappelle en introduction que notre débat porte sur un enjeu interministériel et recoupe trois projets de loi : celui sur l’école, celui sur l’acte III de la décentralisation et celui sur l’enseignement supérieur et la recherche. Dans la perspective de l’examen de ces textes, je souhaiterais aborder quatre points.
Premier point : le thème de l’enseignement supérieur et de la recherche doit s’articuler avec celui de l’éducation des plus jeunes. Afin de susciter davantage d’enthousiasme pour les sciences et techniques, peut-être faut-il organiser un partenariat entre les acteurs de l’éducation informelle et de l’école, renforcer la connaissance des métiers scientifiques – de l’école à l’université – grâce aux orientations guidées et lancer une campagne nationale pour susciter l’intérêt des jeunes filles à l’égard des sciences dures.
Deuxième point : la culture scientifique et technique doit être accessible à tous. Les chaînes de télévision publique ont un rôle à jouer en ce domaine. Il y a dix ans, un Science Media Centre a été créé à Londres afin de mettre en lien les journalistes et les scientifiques. Nous pourrions nous en inspirer. On dit toujours que les médias sauront mieux parler de la science lorsque les scientifiques sauront mieux parler aux médias : il s’agit donc d’un apprentissage commun. Nous devons inciter les universités et les organismes de recherche à favoriser cette accessibilité ainsi qu’une professionnalisation de la médiation scientifique. Il s’agit de mieux diffuser et partager les savoirs scientifiques et techniques.
Troisième point : nous devons structurer nos réseaux scientifiques sur tout le territoire en y déclinant les objectifs de notre stratégie nationale. La proximité jouera comme effet de levier.
Enfin, quatrième point : il convient de recréer les conditions d’un débat sur la science et les technologies afin de sortir du face-à-face entre le pouvoir et les experts et de faire participer notre société à l’élaboration de nos décisions ainsi qu’à leur suivi.
Mme Élodie Derdaele, maître de conférences de droit public à l’Université de Lorraine et adjointe au maire de Bar-le-Duc. Je partage le propos tenu sur la pertinence de l’État stratège. Le statut d’enseignant-chercheur doit rester national. Cela dit, les collectivités locales pourraient exercer des compétences d’appui afin d’aider les universités et les centres de recherche. Par exemple, la région Lorraine souffre d’une fracture territoriale : elle comprend deux grandes métropoles, Nancy et Metz, ce qui est une chance, mais aussi deux départements ruraux, les Vosges et la Meuse, qui attirent moins de jeunes que les territoires urbains. Il importe donc que les villes promeuvent l’enseignement supérieur et la recherche, et en renforcent la visibilité dans les territoires.
Mme Haigneré parlait à juste titre de la nécessité de susciter des vocations. Lorsque nous traiterons de la refondation de l’école de la République, nous aborderons notamment la question des activités périscolaires. Les villes, même de moyenne importance, peuvent elles aussi être à l’initiative d’actions de promotion des sciences et des technologies, y compris auprès des filles – lesquelles s’intéressent autant à ces sujets que les garçons à l’école primaire.
Enfin, dans le cadre de l’acte III de la décentralisation, il conviendra de clarifier les compétences des différents acteurs et de décider si la région sera ou non le chef de file des collectivités territoriales. Quoi qu’il en soit, la clause générale de compétence devra être respectée afin de permettre aux villes de s’associer à l’enseignement supérieur et à la recherche.
M. Bernard Saint-Giron, président du PRES de l’université de Paris Est. La représentation nationale se prononcera prochainement sur trois lois, parmi lesquelles la loi sur l’école et celle sur l’enseignement supérieur. Il pourrait être utile de les corréler au lieu de les traiter successivement de façon indépendante.
Il est logique que les résultats de la sélection pour les IDEX ne répondent pas aux préoccupations d’aménagement du territoire puisque les jurys n’avaient pas à prendre en compte la dimension territoriale dans leurs choix. L’excellence existe aussi en-dehors des IDEX. Comment faire en sorte que les IDEX ne se comportent pas en citadelles mais s’intègrent à un réseau scientifique irrigant l’ensemble du territoire pour faire face à l’ouverture internationale ?
Pour ce qui est du rôle à attribuer aux régions, je rappelle qu’il existe des domaines dans lesquels l’État légifère et fixe les règles ; d’autres dans lesquels il fixe les principes, et d’autres enfin, dans lesquels il a intérêt à déléguer des responsabilités. Quel est le bon périmètre en la matière ? D’aucuns ont évoqué la possibilité d’élaborer des schémas directeurs et de recourir à la valorisation. Étant donné les déséquilibres entre les régions, une péréquation sera nécessaire.
M. Joël Bertrand, directeur général délégué à la science au CNRS. J’ai entendu critiquer nos grands groupes qui n’investiraient pas assez, dans l’innovation notamment. Tous ne sont pas des voyous, tant s’en faut. La plupart sont extrêmement vertueux et réalisent des opérations importantes pour notre pays.
Les termes de « technologie », « innovation », « transfert » et « valorisation », qu’il faut bien distinguer, sont importants pour la recherche scientifique dans notre pays. Une entreprise doit avoir à son service, non pas seulement les universités ou les organismes présents dans sa région, mais tout le système universitaire et de recherche français. Inversement, une université implantée dans une région, même quand elle ne fait pas partie d’un pôle IDEX, doit s’adresser à toutes les entreprises situées en France car les questions industrielles se traduisent souvent en termes scientifiques et inversement. Nous devons tirer parti autant que possible de l’ensemble des compétences mises en commun.
M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA. Le concept d’université fédérale demeure virtuel et flou car les situations sont complexes et diffèrent d’une région à une autre. Le cadre juridique doit nécessairement rester national et identique pour tous. Pourquoi ne pas reprendre le modèle du bloc communal, doté de compétences obligatoires et facultatives et l’appliquer aux structures universitaires existantes ?
Les conventions créant les plateformes de mutualisation doivent être conclues entre tous les types d’établissements d’enseignement supérieur – écoles, instituts, universités – et d’organismes de recherche. Mais ces plateformes doivent-elles être mises en place dans un cadre institutionnel tel que celui, actuel ou futur, des PRES, ou bien tout simplement entre établissements ? La deuxième solution serait plus simple, permettant de conserver de la lisibilité, tant au niveau local pour les étudiants qu’aux niveaux national et international.
Les collectivités territoriales, en premier lieu les régions, mais aussi les métropoles urbaines, sans oublier les territoires ruraux, apportent beaucoup à l’enseignement supérieur et à la recherche, non seulement par la voie financière mais également en contribuant à la vie universitaire.
M. Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France. Pour les apprentis et les étudiants en alternance, les régions sont les premiers financeurs, et donc les premiers partenaires. Or, certaines d’entre elles exercent un chantage financier en finançant des formations en alternance débouchant directement sur une insertion professionnelle, ce qui empêche les étudiants de poursuivre leurs études comme ils pourraient le souhaiter parfois. Il faut ruser pour contourner l’obligation.
Il conviendra de bien faire le lien entre les différentes lois qui seront votées l’an prochain en matière d’enseignement : la loi sur l’enseignement supérieur, la loi sur l’école et la loi sur la formation professionnelle.
Enfin, nous sommes favorables à ce que les universités collectent la taxe d’apprentissage, à condition que les fonds collectés reviennent aux premiers concernés.
M. Stéphane Tassel, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur. Nous assistons à une recomposition profonde du tissu universitaire. La situation de l’université de Strasbourg n’est absolument pas comparable à celles de Nancy, d’Aix-Marseille ou du PRES Paris Est ! Unifier le service public ne signifie en aucun cas l’uniformiser. Il n’empêche qu’un même cadre législatif doit s’appliquer à tous les établissements et inclure les situations particulières. La création d’universités fédérales soulève des interrogations : comment les éléments plus petits s’intègrent-ils dans l’ensemble ? Ainsi, dans le cas de la grande université unifiée de Strasbourg, quel est l’avenir pour l’université de Mulhouse ?
Nous craignons que la procédure d’habilitation des masters sanctionnant la formation des enseignants ne constitue un galop d’essai pour remettre en question le cadre national des diplômes de master et de doctorat.
Pour ce qui est de la procédure nationale de qualification des enseignants chercheurs, dont le statut doit demeurer national, nous proposons, afin d’alléger la tâche, que certains emplois soient regroupés dans des périmètres qui pourraient être à peu près ceux de PRES.
Enfin, la loi d’orientation pour l’enseignement supérieur, la loi d’orientation et de programmation pour l’école et l’acte III de la décentralisation devront bien entendu s’articuler avec la programmation des moyens accordés à la recherche et à l’enseignement supérieur.
M. Louis Vogel, président de la CPU. C’est avec un État stratège, un État fort, que les universités doivent conclure des contrats déclinant des politiques nationales sur un territoire. À cet égard, la notion de « compétence d’appui », déjà évoquée, est tout à fait pertinente. Une université doit bien sûr travailler en étroite collaboration avec les différents niveaux de collectivités du territoire sur lequel elle se trouve, tant pour l’insertion que pour la formation et les programmes de recherche. Mais les politiques demeurent nationales !
Par ailleurs, l’excellence existant partout sur notre territoire, nous devons éviter toute rupture entre les pôles IDEX et les structures de recherche de rang inférieur, car ce sont les chercheurs de ces structures qui rejoindront ensuite les pôles. La mise en place des IDEX ne doit pas porter préjudice aux structures telles que les Labex et les Équipex, dont l’un des buts est précisément de rééquilibrer les choses.
Enfin, la future loi devra préserver la cohérence du système en favorisant la contractualisation avec l’État et l’élaboration de schémas territoriaux, non seulement en matière de recherche mais aussi de formation et de vie étudiante.
M. Jean-Marie Maillard, Sauvons l’université (SLU). Lors des Assises territoriales, dont les chercheurs, les enseignants-chercheurs et a fortiori les BIATSS ont été exclus au profit des présidents et vice-présidents de structures
– il semble qu’il fallait au minimum être recteur pour avoir voix au chapitre ! –, il a tellement été dénié qu’il s’agisse de régionalisation ou de territorialisation de l’enseignement supérieur et de la recherche que nous finissons par penser que c’est bien de cela dont il s’agit.
Cette territorialisation risque d’entraîner une rupture d’égalité entre les territoires, une concurrence entre les blocs régionaux et l’émergence de véritables baronnies universitaires remettant en cause le caractère démocratique du système. Il ne s’agit pas là d’un procès d’intention, mais d’un jugement porté a posteriori à partir des pratiques constatées. Ainsi, dans le PRES de Paris VI, le processus de sélection de l’IDEX s’est déroulé dans l’opacité la plus totale : les élus des différents conseils, qui avaient demandé à avoir connaissance du projet, n’y sont jamais parvenus. Les membres du sénat académique du PRES eux-mêmes ont été tenus à l’écart.
Mme Marie-Bernadette Albert, SUD Recherche EPST. Le syndicat au nom duquel je m’exprime représente les personnels, titulaires ou précaires, des organismes de recherche : chercheurs, mais aussi ingénieurs ou techniciens, ces grands absents des Assises.
Les Assises n’ont pas été un modèle de démocratie, étant donné le poids qui y a été donné aux institutions ! En outre, plusieurs sujets importants avaient été réglés en amont : qu’il s’agisse du budget 2013 ou du crédit impôt recherche, le débat était verrouillé. Pour nous, ces questions restent donc ouvertes.
Oui à un État stratège, mais quelle stratégie l’État peut-il mettre en place si les organismes nationaux, qui constituent normalement ses bras armés, consacrent près de 90 % de leurs dotations budgétaires à la masse salariale, n’ont plus de moyens pour faire de l’évaluation et de la programmation et sont réduits à n’être que des hôtels à projets, les financeurs décidant seuls des orientations de recherche ? Il importe de restaurer les capacités de financement, de programmation et d’évaluation des organismes de recherche. Les régions peuvent certes être des partenaires mais il ne faut pas qu’elles contribuent comme aujourd’hui à la précarité en finançant des projets avec CDD à la clé, ni ne déstabilisent les salaires en rémunérant chacune à leur guise doctorants et post-doctorants, ce qui aboutit à d’importantes disparités.
M. Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine. Le cadre national de notre système n’a pas empêché les différenciations et les inégalités. Au contraire, les établissements ne se battent jamais mieux que lorsque les régions les soutiennent et n’ont jamais été aussi d’aussi bons gestionnaires – y compris de leur masse salariale insuffisante ! – que depuis qu’ils sont autonomes. La première question est de savoir si l’on veut renforcer ou atténuer la régionalisation et l’autonomie des universités. J’estime pour ma part qu’il faut renforcer les deux.
Quant au bilan qui a été dressé du programme des investissements d’avenir, il a été quelque peu expéditif, presque gênant pour les équipes qui y ont tant travaillé. D’aucuns dénoncent les inégalités créées par la mise en place des IDEX mais l’excellence y a été reconnue sous des formes très diverses. Il ne suffit pas d’en appeler à un État stratège, il faut définir la stratégie que l’on souhaite. Car si l’État a fixé le but pour les IDEX, il a laissé le choix des moyens aux acteurs et certaines équipes et certains établissements se sont choisis. Je suis toujours surpris que les mêmes qui invoquent la cause des personnels et la démocratie veuillent leur imposer un modèle unique.
Certains PRES d’Île-de-France ont choisi des modèles d’organisation dont l’élaboration et la mise en œuvre leur ont demandé beaucoup de temps et d’énergie. Les statuts qui en résultent peuvent être ceux d’une fondation de coopération scientifique. Allons-nous devoir tout recommencer à zéro ? Va-t-on nous forcer à entrer dans le moule unique de cette université fédérale, confédérale ou que sais-je ? L’imposition d’un tel modèle ne semble motivée que par la phobie que suscite le grand établissement Université de Lorraine.
Un représentant de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE). On craint que les formations ne soient régionalisées. Elles le sont déjà dans le secteur sanitaire et social. Or, bien que ces formations soient habilitées par les agences régionales de santé, on constate d’importantes disparités dans leur qualité.
Le rôle des régions, des autres collectivités et des entreprises implantées sur nos territoires est important, notamment au sein des conseils de perfectionnement – lesquels devraient être développés comme le propose le comité de suivi de la licence. C’est néanmoins l’État stratège qui doit définir la carte des formations comme prévu par la loi. Celle-ci, hélas, n’est pas appliquée. Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), qui a la mission de veiller à la carte des formations, n’est pas en mesure de le faire pour diverses raisons, dont l’une est tout simplement que les intitulés des formations sont illisibles – ce à quoi le comité de suivi de la licence propose de remédier. La rationalisation des formations devra se faire non pas au niveau de la licence, qui doit rester un niveau de proximité, mais sans doute du master et nécessitera l’attribution d’aides à la mobilité intra-nationale, de façon à inciter les étudiants à aller là où se trouve l’excellence. Jusqu’à il y a peu, il semblait plus facile de bénéficier d’une aide à la mobilité internationale qu’intra-nationale !
Mme Michelle Lauton, secrétaire générale adjointe du SNESUP-FSU. J’aborderai trois points. Tout d’abord, lors de la constitution des PRES, on a permis le regroupement d’établissements privés ou consulaires, ce qui peut poser problème, puisque la loi autorise les PRES ayant opté pour le statut d’EPCS (établissement public de coopération scientifique) à délivrer des diplômes nationaux. La conjugaison de ces deux possibilités remet en cause le monopole universitaire de la collation des grades.
Ensuite, les formations doivent être réparties sur l’ensemble des territoires afin que certaines d’entre elles puissent continuer à exister – en grec, en génie mécanique, etc.
Enfin, il importe d’attirer davantage de filles et de femmes vers les études scientifiques. Comme l’a mis en évidence un rapport récent, le problème se pose même dans des disciplines où l’on ne s’y attendait pas, comme les mathématiques. Il faut de même remédier à la sous-représentation des femmes parmi les professeurs d’université et d’une manière générale, dans les postes à responsabilité.
M. Gilles Dowek, chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA). Nulle part dans le monde, sur aucun continent, je n’ai vu de petite faculté qui soit une bonne faculté. Les petites facultés qui se trouvent sur de grands campus ou à quelques kilomètres seulement d’une grande université tirent leur épingle du jeu car elles ont la chance de bénéficier des avantages de la vie universitaire de ces établissements dont la masse critique garantit la qualité de la recherche et de l’enseignement. Mais en France, nombre de ces facultés de petite taille sont situées à une centaine de kilomètres d’un grand pôle universitaire. Or, notre pays a sans doute la capacité d’accueillir douze à quinze pôles de ce type mais pas cent ni même cinquante ! Ces petites facultés gagneraient à être fermées et regroupées au sein d’un pôle universitaire régional. Cela pose bien sûr un problème d’égalité d’accès pour les étudiants qui n’habitent pas dans une métropole régionale mais la solution n’est pas d’ouvrir partout des facultés, comme on le ferait pour les écoles maternelles. Mieux vaut aider les étudiants à rejoindre une grande métropole en leur attribuant des bourses et des chambres en cité universitaire. Ils y auraient accès à une véritable vie étudiante et à une offre importante d’enseignements, de séminaires et d’activités scientifiques, éléments déterminants de la réussite.
Mme Fabienne Keller. Je vous remercie tous pour votre contribution à ce débat. Jean-Yves Le Déaut a la tâche redoutable de synthétiser les éléments pouvant être repris dans une loi. Cela étant, la loi ne fait pas tout. Elle doit s’en tenir à fixer des principes sans être bavarde. Elle doit laisser de la place pour le dialogue.
Il a été intéressant d’entendre les critiques formulées à l’encontre des IDEX. Mais lorsqu’on recherche l’excellence, des choix douloureux sont inévitables. Pour ce qui est des autres dispositifs évoqués, si leur méthodologie mérite d’être analysée en détail et peut-être amendée, ils ne doivent pas être supprimés.
Il importe de développer le savoir des jeunes en formation mais aussi leur curiosité, leur esprit critique, et leur envie d’entreprendre et de devenir acteurs de notre société. Travaillons tous ensemble à la réussite de nos étudiants !
M. Jean-Yves Le Déaut. Les conclusions des Assises n’étaient pas fixées d’avance ! Preuve en est que c’est à leur issue que le rapporteur général a formulé des propositions, dont nous débattons ici. Il est très rare que nous ayons l’occasion de débattre en amont de l’élaboration d’une loi.
Les élus nationaux que nous sommes ne sont pas favorables à la régionalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche ni à ce que les universités soient enfermées dans un carcan unique. Nous cherchons simplement à faire évoluer notre système universitaire afin que la France de demain soit plus forte.
En tant que chefs de file dans le domaine économique, les régions doivent bien évidemment jouer un rôle en matière d’innovation. En lien avec Universcience, elles sont bien placées pour diffuser la culture scientifique et technique. Compétentes en matière de formation professionnelle, elles peuvent contribuer à la promotion de l’alternance, de la formation tout au long de la vie et des formations professionnalisantes dans les universités. Mais elles n’ont aucun intérêt à devenir seules compétentes.
TROISIÈME TABLE RONDE :
LA RÉUSSITE DES ÉTUDIANTS
Présidence de Mme Dominique Gillot, sénatrice
M. Jean-Yves Le Déaut. Nous nous situons dans la suite du processus des Assises, après les conclusions rendues la semaine dernière par Vincent Berger, avec le Comité de pilotage des Assises et tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’agit aujourd’hui de se focaliser sur la traduction législative et réglementaire des mesures proposées.
Mme Dominique Gillot, sénatrice. Cette troisième table ronde porte sur la réussite des étudiants. Je souhaiterais quant à moi qu’on élargisse le débat en engageant une réflexion sur l’évolution de l’accueil des étudiants étrangers. Cela me semble indispensable après le recul qui a été opéré ces dernières années et la mauvaise image de notre pays qui a ainsi été renvoyée. Il est également nécessaire de relancer l’attractivité de la France au bénéfice de nos universités.
Désignée par le Sénat au conseil d’administration de Campus France, j’ai pu constater un certain nombre de dysfonctionnements, que le président, qui a démissionné la semaine dernière, avait lui aussi dénoncés. Il importe donc de repenser le fonctionnement de Campus France pour l’orienter clairement vers une mission de service public et de coopération internationale dans lequel le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche prendra toute sa place aux côtés du ministère des affaires étrangères, indépendamment de toute hiérarchie. Il convient de redonner une dimension humaine à l’accueil, en s’appuyant sur l’expertise et la proximité des CROUS. Par ailleurs, et je prépare une proposition de loi en ce sens, il faut repenser notre politique d’admission au séjour sur le territoire français. Les questions de visa et de durée de séjour doivent être examinées, pour les étudiants, dans le cadre de la politique de rayonnement universitaire de la France et non pas dans celui de la politique migratoire. Il en découlera une nouvelle culture dans nos pratiques administratives à l’égard des étudiants étrangers.
En outre, ce thème n’est pas complètement étranger au sujet qui nous occupe car les problématiques sont communes à tous les étudiants s’agissant de la santé, du logement, de l’accueil, de l’accompagnement, de l’appui à la réussite. C’est un enjeu important pour le rayonnement de notre pays, son influence dans le monde, l’attractivité de nos universités. Dans la période actuelle, l’accueil des étudiants étrangers serait même un élément fort du redressement de la France.
M. Jean-Baptiste Prévost, membre du Comité de pilotage des Assises. Nous allons nous intéresser aux 2,4 millions d’étudiants, qui sont majoritaires dans notre système d’enseignement supérieur. Si le Gouvernement a souhaité faire de la réussite des étudiants une priorité, c’est que cette question n’avait pas été au cœur des politiques universitaires depuis très longtemps. La démocratisation des publics universitaires, depuis une vingtaine d’années, n’avait pas ainsi profondément bouleversé la structuration de notre paysage universitaire, les modes d’enseignement et l’architecture globale de notre système.
Après avoir parlé de gouvernance, de gestion, d’attractivité internationale, il est donc temps de se pencher sur l’une des plus grosses difficultés de l’enseignement supérieur : l’échec massif des étudiants en premier cycle. Cette problématique intéresse d’ailleurs toute la société. Car, au-delà des parents, c’est toute la société qui a intérêt à ce que le système d’enseignement supérieur public ne gâche pas l’avenir de ses jeunes. L’avenir de l’enseignement supérieur est une question bien trop sérieuse pour être laissée entre les seules mains des universitaires, des présidents d’université et même des étudiants. Il appartient au Parlement de faire en sorte que ce débat sur l’enseignement supérieur sorte du simple face à face entre acteurs.
Sur le fond, notre pays manque de diplômés du supérieur – la comparaison avec l’Allemagne en atteste. Ce constat doit mobiliser les politiques en faveur d’une augmentation du nombre de diplômés. Les Assises ont fait, à cet égard, plusieurs propositions, que je vais brièvement développer.
Premièrement, un relatif consensus est apparu sur la nécessité de penser la formation comme un continuum avant et après l’entrée à l’université. Cela revient à s’attaquer aux problèmes d’orientation, en faisant en sorte que celle-ci soit plus fluide, reste maîtrisée par le jeune, mais aussi en prévoyant que les procédures – notamment admission post-bac ou orientation active – puissent donner lieu à de vrais rendez-vous avec les intéressés. Elles ne doivent pas servir uniquement à décourager ceux dont on estime qu’ils ne peuvent pas réussir. Il faut également veiller à ce que les lycéens puissent découvrir des disciplines dont ils ignorent tout – le droit, par exemple – et qui constitueront leur enseignement dans le supérieur. Il importe encore d’apprendre à travailler en groupe, et de manière autonome, dans les dernières années de lycée.
Penser la formation comme un continuum, c’est aussi réformer la licence. Dans son discours d’introduction des Assises, le Premier ministre a fixé la feuille de route – la même d’ailleurs qui a animé les propositions du Comité de pilotage. Il s’agit d’instaurer une licence plus pluridisciplinaire dans les premières années, par grands domaines de formation, une licence plus lisible et qui permette une spécialisation progressive, une licence qui n’enferme pas, dès la première année, dans des parcours dont on aura du mal à se sortir et qui freineront les réorientations.
Deuxièmement, la pédagogie – qui n’est pas un gros mot à l’université. Nous ne pouvons que nous réjouir que ceux qui s’en préoccupent soient de plus en plus nombreux. Il est vrai que les publics sont très hétérogènes. Il peut être nécessaire de prévoir des parcours renforcés pour ceux qui ont besoin de se remettre à niveau, de privilégier l’enseignement par petits groupes aux cours en amphithéâtre, ce qui soulève la question des moyens. Il faut faire de l’enseignement une activité à laquelle les enseignants-chercheurs seront formés – cela relèvera des futures ESP – et sur laquelle ils seront évalués. Nous proposons ainsi que l’ensemble des enseignants-chercheurs puisse avoir un temps de leur service d’enseignement en premier cycle afin de revaloriser cette mission. Il faudra pour cela mettre des moyens dans le cadre notamment des ESP ou de la formation continue.
Troisièmement, la vie étudiante. Je m’en tiendrai essentiellement aux conditions de vie des étudiants. On est loin de l’image de jeunes privilégiés vivant d’amour et d’eau fraîche dans la cour de la Sorbonne. La situation sociale des étudiants est en effet alarmante. La part des dépenses publiques en faveur de l’aide directe aux étudiants est plus faible en France que chez certains de nos voisins. Notre pays n’a toujours pas tranché entre un système d’aide directe à l’étudiant et un système en direction de la famille. La dépense fiscale pour les familles les plus aisées au titre de la demi-part fiscale par enfant étudiant est même plus élevée – 1,7 milliard – que celle destinée aux bourses – 1,4 milliard. Ne faudrait-il pas réformer le système et tout réaffecter aux aides directes aux étudiants ? Je rappellerai simplement que les quelque 50 000 étudiants bénéficiaires d’une bourse échelon 6 ne perçoivent que 3 500 euros par an, soit moins que le RSA.
Les CROUS souhaitent également que leur mission soit stabilisée et consolidée dans la loi.
Dernier point, enfin, la politique d’accueil des étudiants étrangers, via Campus France, doit effectivement être repensée. Priorité doit être donnée aux objectifs universitaires. Le droit au séjour pour études doit être préservé et amélioré. À cet égard, la loi CESEDA de 2006 avait prévu un titre de séjour pluriannuel par cycle d’études, qui n’est toujours pas en vigueur. Des textes réglementaires sont sans doute nécessaires.
Mme Claire Guichet, membre du Comité de pilotage des Assises. S’agissant de la spécialisation progressive de la licence, je tiens à insister sur l’axe de la lisibilité, dont il a déjà été question ce matin. La lisibilité des formations en premier cycle ne saurait se limiter à un énième site internet regroupant l’ensemble de ces formations. Si les étudiants et leur famille, voire les professionnels de l’orientation, ne s’y retrouvent pas, c’est parce qu’il n’y a pas de quoi s’y retrouver. Il importe d’améliorer la compréhension du système pour faciliter l’information. À cet égard, la spécialisation progressive de la licence devrait permettre de diminuer le nombre d’intitulés de licence.
Le Comité de pilotage a également souhaité que soit discutée aux Assises nationales la proposition visant à réserver des places aux étudiants issus de bacs techno et professionnels dans les IUT et les sections de techniciens supérieurs. On a débattu au sein de l’atelier de l’opportunité de mettre en place un tel système à l’échelle nationale. Mais la majorité des participants a considéré qu’il valait mieux fixer de tels objectifs à l’échelle régionale, pertinente pour avoir une bonne connaissance, d’une part, du type de formations qui existe dans les BTS et IUT, et, d’autre part, du nombre d’étudiants issus des bacs techno et pro. Vincent Berger a rappelé ce matin les taux des bacs pro en licence : même avec des réformes pédagogiques et des places réservées en BTS et en IUT, il importe de développer les expérimentations de cursus spécifiques de renforcement afin de donner toutes leurs chances dans l’enseignement supérieur aux étudiants issus des bacs pro. N’oublions pas que, depuis des années, l’augmentation du nombre de bacheliers ne se fait que sur le bac pro. Pour atteindre l’objectif de 50 % d’une classe d’âge diplômée d’un diplôme de l’enseignement supérieur, il faudra donc améliorer l’accueil des bacheliers professionnels dans le supérieur.
La lisibilité des formations nous renvoie à la question de la cotutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’ensemble des formations. Je rappelle que certaines formations ne relèvent parfois que d’un autre ministère – la formation sanitaire et sociale, des formations en architecture ou en agriculture, par exemple. Or cela pose d’énormes problèmes. D’abord pour les étudiants. Ensuite, et surtout, en termes de stratégie. Comment considérer qu’un État est stratège lorsque son ministère de l’enseignement supérieur ne peut pas, dans certains domaines, intervenir sur la qualité des formations supérieures ? Il faut donc avancer sur la question de l’intégration des filières extérieures au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela passe notamment par le rapprochement avec l’université.
La lisibilité nous renvoie encore à la question des opérateurs de la vie étudiante. Jean-Baptiste Prévost a évoqué la nécessité d’intégrer dans la loi les missions des CROUS. Il semble également essentiel que les CROUS soient de plus en plus confortés dans leur action de guichet unique pour l’ensemble des bourses, quel que soit le ministère actuel de gestion, et pour le logement – dans le parc social mais aussi privé.
Deux autres points ont émergé au sein de l’atelier. Le premier porte sur la santé des étudiants. Au-delà des actions menées par Campus France, pourquoi ne pas généraliser le chèque santé à l’ensemble du territoire français ? Une réflexion doit être conduite sur l’information des étudiants sur leur système de soins. Le second concerne la vie associative et la vie culturelle. J’ai été surprise de constater à quel point les étudiants se sont mobilisés – parfois au-delà des organisations sollicitées pour apporter leur contribution – pour exprimer leur volonté d’être acteur de leur campus. Ils souhaitent que leurs engagements soient pris en considération pour améliorer l’université et recréer un lien de confiance entre eux et le reste de la communauté universitaire.
M. Jean-Yves Le Déaut. Ces exposés introductifs ont parfaitement cadré le débat. Peut-être peut-on ajouter la question de la formation continue, la formation tout au long de la vie, les formations en alternance, en apprentissage dans les universités. Nous avons peu de contributions en la matière. Or tout le monde s’accorde à dire que c’est un point majeur.
Sur l’orientation, il est clair que celle-ci doit permettre à un jeune bachelier de connaître toutes les possibilités qui s’offrent à lui, compte tenu de ses résultats, de sa filière d’origine et de la formation qu’il a choisie. Il doit savoir quelles sont ses chances de réussir et les débouchés professionnels qu’il peut escompter. Tel est l’objectif que nous devons atteindre.
Enfin, je partage les remarques concernant les aides aux étudiants. Nous n’avons effectivement pas choisi entre le système redistributif – les bourses – et le système anti-redistributif – la demi-part fiscale. Dans le rapport que je remettrai au Premier ministre, j’aborderai cette question, qui n’est pas simple à résoudre car elle suppose une modification de notre fiscalité.
M. Dominique Le Quéau, rapporteur territorial de la région Midi-Pyrénées aux Assises. Une remarque tout d’abord sur la réussite en licence. Pour s’adapter à la diversité des publics étudiants, il faut prévoir des pratiques et des équipes pédagogiques appropriées. Par ailleurs, puisque la pédagogie est importante, elle doit être reconnue, y compris dans la carrière des enseignants-chercheurs. Cela suppose que les universités soient organisées pour mettre en évidence ce rôle pédagogique. Peut-être faut-il que les composantes des universités soient modifiées dans le sens d’une vision matricielle entre recherche, formation et pédagogie. Enfin, sur l’alternance et l’apprentissage, nous avons souhaité insister sur le fait que cette formation ne visait pas seulement les métiers de niveau un, deux ou trois. En matière de formation des cadres, c’est un bon moyen de rapprocher la philosophie de l’entreprise de celle de l’académie.
Mme Dominique Gillot. Nous avons précisément constaté une interaction entre les formations et les pratiques des entreprises, ce qui est bénéfique pour tout le monde.
M. Azwaw Djebara, vice-président de l’UNEF. C’est avec beaucoup de plaisir que nous intervenons dans le cadre de ces Assises. Nous considérons que la future loi doit avoir pour objectif de réaffirmer fortement le principe de qualification de 50 % d’une classe d’âge. À cet égard, les réponses pédagogiques et éducatives qui doivent être apportées ont été particulièrement bien balisées par le Premier ministre lors de l’ouverture des Assises.
Nous souscrivons pour notre part à trois principes. Le premier est celui de la pluridisciplinarité car cela répondra aux attentes des étudiants qui souhaitent intégrer des parcours de spécialisation progressive, garantissant des possibilités de réorientation sans retour à la case départ. Le deuxième porte sur l’évaluation, qui doit être au service de la progression. Il faut être en mesure de diversifier les formes d’évaluation afin de bien sanctionner les savoirs et savoir-faire acquis par les étudiants. Le troisième concerne l’accompagnement et la proximité qui nécessitent un recrutement massif d’enseignants-chercheurs et de personnel BIATSS pour pallier le sous-encadrement actuel, cause principale de l’échec à l’université. Les étudiants à l’université envient beaucoup ceux des classes préparatoires aux grandes écoles qui bénéficient de taux d’encadrement particulièrement élevés. Nous espérons que la nation saura se montrer bienveillante avec les nombreux étudiants des filières générales.
Il importe également de prendre en compte un autre élément important : l’accompagnement social des étudiants par l’État. Il est nécessaire d’investir financièrement afin de garantir une allocation d’autonomie universelle pour reconnaître le droit à l’autonomie des étudiants. La dette éducative qui nous guette sera bien plus grave que la dette financière. Il faut des réponses politiques, un investissement financier conséquent et un geste particulier pour permettre la relance de la démocratisation.
Mme Dominique Gillot. Il importe également de valoriser l’accompagnement par les pairs. Ce point est important dans le cadre de la valorisation de l’investissement des étudiants. Cela peut être un appui pour la réussite.
Mme Michèle Lauton, SNESUP. Comme le souligne un rapport du Conseil économique, social et environnemental, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur est une nécessité. Il convient également de rapprocher l’ensemble des filières. Pour cela, il faudrait au moins aligner les moyens des premiers cycles des universités sur ceux des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE).
Pour améliorer le taux de réussite des étudiants, des conditions multiples sont à réunir. La première doit viser à maintenir le lien entre l’enseignement et la recherche en premier cycle. La deuxième à diversifier les filières, notamment pour pouvoir accueillir et former les bacs techno et pro qui ne doivent pas être cantonnés aux seuls BTS ou IUT. Il importe aussi de faire progresser les conditions de vie et d’études. Pour le SNESUP, les étudiants ne doivent pas travailler pendant leurs études : cela implique l’instauration d’une allocation d’autonomie pour tous, qui passera par une réforme de la fiscalité. Il convient encore de mettre en place une articulation entre le secondaire et le supérieur, y compris en termes de programmes. Cela signifie des méthodes pédagogiques renouvelées, des méthodes d’évaluation des étudiants diversifiées. Une formation à la pédagogie des enseignants-chercheurs sera donc nécessaire. Enfin, il faut développer la formation continue et la formation tout au long de la vie. Mais tout cela ne peut se faire sans moyen.
M. Bernard Jégou, INSERM. La formation est capitale et doit être traitée dans toutes ses facettes mais aussi en articulation avec l’emploi : ces deux points sont indissociables. Peut-être n’avons-nous pas assez insisté sur la crise des vocations et son ampleur dans de nombreuses filières scientifiques. Or elle hypothèque nos capacités de rebond.
Sur les nouveaux métiers, la révolution technologique, dans nombre de secteurs de la recherche, pose la question de la formation à ces métiers qui, souvent, correspondent à des profils interdisciplinaires. Cela recouvre en outre un enjeu fondamental de compétitivité.
La formation est l’affaire, bien entendu, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche mais c’est aussi un très vaste chantier qui devrait réunir les établissements d’enseignement supérieur et ceux de recherche. Rappelons-le, à la sortie de la Deuxième guerre mondiale, l’association du CNRS et des grands établissements universitaires avait joué un rôle capital pour la prise en compte des besoins de notre pays en matière d’économie et de société de la connaissance.
Sur l’emploi, il serait illusoire de croire que, si l’on ne prend pas en compte cet aspect des choses, on pourra réduire l’échec dans les filières universitaires. Les perspectives d’emploi dans le public et dans le privé sont capitales. Elles constituent sans doute le levier principal dans la lutte contre l’échec. La crise très aiguë que nous traversons combine une insuffisance des recrutements et les conséquences sociales qui résultent de la loi du 12 mars 2012, dite loi Sauvadet. Je ne m’étendrai pas sur le problème de la pyramide des âges ; je soulignerai simplement le déficit de recrutement de jeunes professionnels dans les métiers de la recherche. Il faudrait également aborder la question de la parité.
Vu l’ampleur des défis et des problèmes, une fois le cadre de la nouvelle loi posé, il sera utile d’organiser une conférence nationale sur la formation et l’emploi scientifiques au niveau ministériel et interministériel. Il importe de rappeler que c’est un élément fondamental de la société de la connaissance mais qui compte aussi pour la compétitivité de notre pays, et même du continent européen.
M. Julien Blanchet, président de la FAGE. Nous nous réjouissons de plusieurs propositions, et notamment de celle qui vise à faire en sorte qu’un étudiant issu d’un bac techno ou pro n’aura pas à faire un choix par défaut. Il est important que les IUT retrouvent leur place et accueillent des élèves titulaires de bacs techno. Cela évitera que ces instituts ne se transforment en classes préparatoires : telle n’est pas leur mission.
Nous nous félicitons qu’on parle enfin de formation à la pédagogie des enseignants : une formation initiale et une formation continue. Cela doit aller de pair avec une démarche qualité, ce qui signifie l’évaluation des enseignements, le recours à des organes indépendants pour évaluer la pédagogie, celle-ci devant être prise en compte dans le recrutement.
La question de la réduction des inégalités est liée à celle de la place qu’on donne à l’université. Il importe d’intégrer à cette dernière l’ensemble des formations d’enseignement supérieur de manière que l’accès à cet enseignement soit le plus égalitaire – et non égalitariste – possible. On a évoqué les formations sanitaires et sociales mais il faut également parler des CPGE, des grandes écoles, de l’adossement à la recherche. Nous nous réjouissons à cet égard que toutes les organisations étudiantes représentatives des formations sanitaires et sociales demandent l’intégration universitaire de leurs formations.
Sur les aides sociales étudiantes, remettre de la justice sociale, c’est mettre en place l’aide globale d’indépendance. Une aide refondue – avec la demi-part fiscale – et sur critères de ressources car il ne s’agit pas de faire de l’égalitarisme à outrance. Il faut donner en fonction des besoins de chacun de manière à répondre à cette préoccupation de justice sociale non prise en compte jusqu’à présent.
Mme Simone Cassette, UGICT-CGT. Mon intervention portera sur la place des bacheliers de l’enseignement technique et professionnel dans l’enseignement supérieur, en particulier sur le fléchage vers les IUT des bacs technologiques. Depuis qu’ils ont perdu leur autonomie budgétaire, les moyens des IUT ont considérablement diminué. Dans ces conditions, comment pourront-ils accueillir des étudiants dont le niveau pose problème au sein de l’université ?
L’encadrement plus important dans les IUT est remis en cause par le déficit financier actuel. Il y a donc contradiction entre le souhait de former ces jeunes dans des domaines technologiques, ce qui impose des coûts plus élevés que pour les licences classiques, et la situation présente des IUT. L’enseignement dans ces établissements repose, dans de nombreux secteurs, sur des enseignants-chercheurs, ce qui maintient un très bon niveau en particulier dans les domaines scientifiques. Si l’on ne veut pas abaisser ce niveau, reconnu dans les entreprises, il importe de travailler en concertation avec l’enseignement secondaire.
Dans un premier temps, il s’avère nécessaire de conforter la place des IUT dans l’université. Par ailleurs, le développement de licences technologiques IUT-Université, devrait permettre d’orienter les étudiants à la fin de leur deuxième année de licence vers un parcours plus pratique, plus professionnalisant, avec possibilité d’intégrer la vie active mais aussi avec la reconnaissance de ce niveau de qualification dans les conventions collectives – ce n’est pas le cas aujourd’hui – ou de reprendre des études avec un master technologique, dans le cadre par exemple d’alternance.
M. Morgan Marietti, président de l’Association nationale des apprentis de France. Le Premier ministre et la ministre de l’enseignement supérieur souhaitent doubler le nombre d’apprentis au sein de l’enseignement supérieur. Soit. Mais comment y parvenir ? Nous n’arriverons pas à accroître le nombre d’apprentis au sein de l’enseignement supérieur – et même en général – si nous ne prenons pas en compte le problème de l’accompagnement du jeune au sein de l’entreprise. Je ne citerai que deux chiffres : 14 % de ruptures de contrat dans l’enseignement supérieur, 25 % en général. Trois études financées respectivement par le CEREQ, la CGPME et la région Île-de-France aboutissent aux mêmes conclusions : le développement de l’apprentissage est lié à l’accompagnement des jeunes dans l’entreprise. Cet accompagnement est assuré par les enseignants-chercheurs, qui doivent cependant être spécifiquement formés au travail avec les entreprises. Cette tâche doit être valorisée dans leur carrière et ne doit plus être laissée à d’autres structures professionnelles.
Sur l’accompagnement au sein de l’entreprise, il faut reconnaître le travail effectué par les tuteurs.
S’agissant de la formation tout au long de la vie, nous considérons que cette mission doit être inscrite dans la politique générale des établissements universitaires.
Je terminerai par les étudiants étrangers qui souhaitent effectuer leur contrat d’apprentissage en France. Aujourd’hui, le droit de travail sur le territoire est accordé à la tête du client, en fonction du pays d’origine et des préfectures sollicitées. Nous demandons donc qu’une procédure claire et nette soit définie au niveau national afin de permettre à ces jeunes de travailler et d’assurer leur formation en alternance.
Mme Christelle Dormoy, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce matin, nous avons souligné que les doctorants n’étaient pas des personnels tout à fait comme les autres : ce sont aussi des étudiants pas tout à fait comme les autres. Il faut dénoncer le problème de financement des doctorats, notamment en sciences humaines et sociales : 40 % seulement des doctorants étant financés, la durée moyenne du doctorat est de six ans. Comme nous ne sommes financés que trois ans, au mieux, nous nous retrouvons plongés dans une précarité qui tend à se prolonger. Ce problème de financement pose celui des vocations. Aucun de mes étudiants n’ose ainsi envisager une carrière dans l’enseignement ou la recherche. Il pose aussi le problème du turn over trop important des équipes pédagogiques censées encadrer les étudiants de première année. C’est préjudiciable à la mise en place de pratiques pédagogiques innovantes et à la présentation de bilans permettant de vérifier ce qui a le mieux fonctionné.
Nous demandons donc une augmentation du nombre de financements des doctorats, notamment en SHS, et la possibilité de leur prolongation selon l’état d’avancement et sur avis collégial.
Melle Lucie Guesné, secrétaire générale de Promotion et défense des étudiants. En matière de réussite, nombre d’actions concrètes sont à mettre en place. Il est important tout d’abord de renforcer les liens entre les enseignements secondaire et supérieur. Pour cela, il faut sensibiliser les lycéens via d’anciens camarades entrés à l’université et qui pourraient apporter leurs témoignages dans leur ancien établissement ; il faut également organiser des séminaires de découverte à l’université. Il importe aussi de présenter les différentes formations avec des chiffres concrets pour permettre aux lycéens d’apprécier les débouchés et les taux d’insertion professionnelle. Il faut assurer un nombre suffisant de places en BTS aux bacs pro.
Par ailleurs, les formations doivent suivre les évolutions techniques. Il convient de mettre en place le contrôle continu, d’encourager la formation tout au long de la vie et de prévoir une véritable semestrialisation pour permettre aux étudiants de bénéficier plus facilement des passerelles et de faire des échanges à l’étranger.
S’agissant de l’insertion pro, il faut renforcer le rôle des BAIP, les bureaux d’aide à l’insertion professionnelle, et assurer un véritable suivi en commençant l’étude dès les premiers six mois. On pourrait ainsi vérifier si l’emploi correspond à la qualification de l’étudiant. Ce travail pourrait être effectué par les associations d’anciens élèves, qui sont précisément en lien avec les diplômés.
Concernant les conditions de vie, il faut prévoir la linéarisation des bourses pour éviter les effets de seuils. Pour le logement, il importe de généraliser le cautionnement solidaire et de faire en sorte que la ministre concrétise ses engagements au niveau du plan Anciaux. Pour la santé, 80 % des étudiants bénéficient aujourd’hui d’une complémentaire santé : PDE demande que le couplage de l’aide à la complémentaire santé soit fait avec le dossier social étudiant. Pour finir, il faut sanctuariser le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) dans la loi et faire en sorte que la vie étudiante soit la quatrième mission de l’enseignement supérieur.
Mme Dominique Gillot. Nous avons un petit désaccord sur le pourcentage d’étudiants bénéficiaires d’une complémentaire santé. Nous n’avons pas les mêmes chiffres.
M. Denis Roynard, président du SAGES. Si l’on veut améliorer la réussite des étudiants, il faut améliorer leur préparation à suivre avec profit des études supérieures. Il importe ainsi de cesser de demander aux enseignants du supérieur de s’adapter aux étudiants qui arrivent. Il faut donc éviter de trop différer la véritable confrontation avec les exigences propres à une discipline donnée et à l’enseignement supérieur. À cet égard, un professeur agrégé de math est mieux à même de savoir quelles sont les exigences propres à une première année de licence qu’un proviseur issu d’une discipline non scientifique. En conséquence, il faudrait prioritairement affecter les professeurs agrégés aux années de terminale des lycées pour mieux préparer les jeunes à l’enseignement supérieur, ce qui devrait conduire à une sorte de limitation du pouvoir des chefs d’établissement en la matière. Il s’agit de privilégier la préparation des élèves.
M. Julien Robert-Grandjean, FAGE. Pour en revenir aux préoccupations législatives de M. Le Déaut, il semble que nombre de mesures nécessaires pour améliorer la réussite en licence pourrait prendre place dans le cadre de l’arrêté de 2011, qui a demandé un an de travail et qui n’est pas encore complètement appliqué puisque les référentiels de compétences en licence ne sont pas encore finalisés. Il serait bon de ne pas décourager les différents acteurs actuellement au travail, et de ne pas chambouler les réflexions du comité de suivi de la licence. Si des adaptations sont nécessaires, c’est sans doute davantage pour les autres formations de premier cycle, comme les BTS et les IUT. Comme on l’a dit, des expérimentations tendent à rendre modulaires les BTS, ce qui facilitera les passerelles vers la licence.
Les adaptations législatives doivent porter sur les conditions de vie étudiante et les dernières propositions du Comité de pilotage sur les aides sociales, qui doivent être plus redistributives en prenant en compte les ressources de l’étudiant et de sa famille. L’aide ne doit pas être la même pour tous. Il faudra donc revoir le système de la demi-part fiscale.
Sur l’accueil des étudiants étrangers, des modifications d’ordre législatif ou réglementaire seront nécessaires pour réduire la somme demandée aujourd’hui à ces étudiants pour venir en France et bénéficier d’une carte de séjour.
Mme Artemisa Flores Espinola, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je m’en tiendrai à la situation des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ce matin, nous avons évoqué les politiques menées pour attirer les jeunes filles vers la recherche, les mathématiques, l’ingénierie. Ces mesures sont bonnes car la réalité des chiffres est parlante. Les femmes représentent ainsi 40 % des doctorants ; elles ne sont que 30 % dans l’enseignement supérieur et la recherche, pourcentage bien inférieur à celui des autres pays. Et si les femmes constituent la moitié des doctorants, cette proportion ne se traduit pas dans les postes de décision et de responsabilité. Pour supprimer ce plafond de verre, qui maintient les femmes dans les fonctions les moins payées, il faut prendre des mesures correctrices des inégalités, appelées par certaines mesures de discrimination positive. De telles dispositions sont-elles prévues ?
Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France et vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF). Autant pour les deux tables rondes précédentes, les régions étaient très prudentes, autant sur les conditions de vie et d’études, sur l’international et l’articulation entre l’orientation, la formation et l’emploi, elles ont une vraie ambition et la volonté d’accompagner les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’enjeu est fondamental pour nous car tous ces facteurs sont déterminants pour la réussite des jeunes. Les régions souhaitent une reconnaissance pleine et entière dans les trois domaines que je viens de citer. Elles jouent déjà un rôle important en matière de logement et de conditions de vie. La région que je représente a ainsi mis en place la complémentaire santé, construit des logements étudiants – 4 000 par an –, des maisons de l’étudiant, des bibliothèques, agi en faveur de la vie culturelle dans les universités. Si nous sommes pleinement efficaces à ce niveau, c’est que nous avons la double caractéristique de la proximité et de la capacité d’aménagement du territoire. Il serait donc dans l’intérêt de tous qu’une place importante soit accordée aux régions dans ces domaines, qu’elles sont prêtes à prendre.
Mme Dominique Gillot. Il y a là sans doute un travail à faire dans le milieu universitaire, qui ignore vraisemblablement les compétences et les responsabilités des régions en ces matières. La contractualisation à laquelle vous aspirez pourra ainsi se développer au bénéfice de la vie étudiante.
M. Gilles Roussel, président de l’université de Paris Est Marne-la-Vallée. Je m’exprime également au nom de la CPU, dont je préside la commission de la formation et de l’insertion professionnelle. Premièrement, pour nous, le lien entre le lycée et l’université est essentiel mais ne doit pas conduire à une secondarisation des premiers cycles universitaires. Les enseignants-chercheurs, voire les chercheurs, doivent pouvoir intervenir à ce niveau.
Deuxièmement, il importe que la lisibilité des formations de l’enseignement supérieur soit améliorée, et pas seulement en licence. Il nous semble nécessaire d’instaurer un pilotage de toutes les formations du supérieur par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, en coopération avec les autres ministères, et de travailler sur les schémas territoriaux, avec les régions et les CROUS, s’agissant de l’information et de la vie étudiante.
Troisièmement, il faut revoir complètement le cycle L. L’échec n’est pas simplement en licence : il est dans toutes les formations post-bac. La solution des quotas n’est pas suffisante. Il faut aussi s’attaquer au problème de la sélection et de l’orientation, en levant les tabous dans certaines filières. Il importe par ailleurs de réfléchir à la rénovation des filières, en prévoyant des schémas de formation plus ouverts, de renforcer la pédagogie et la formation des enseignants.
Quatrièmement, il faut cesser de taire la question de la sélection en M2. Il faut la déplacer en M1 – on n’a jamais vu une sélection en milieu de cursus.
Cinquièmement, il faut faire reconnaître l’université comme un acteur de la formation professionnelle et de l’apprentissage. On a parlé ce matin de la taxe d’apprentissage : les universités doivent être des acteurs majeurs en la matière.
Sixièmement, il faut une stratégie nationale pour la politique internationale.
Enfin, il faut des moyens.
M. Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris-XIII Nord. Je suis également président de la commission des moyens à la CPU mais comme je ne souhaite pas plaider pour ma chapelle, je réclamerai des moyens pour d’autres structures que les universités. J’ai évoqué la taxe d’apprentissage, ce matin. J’ajouterai ici que, pour faire des économies, le ministère a sorti les apprentis du système de financement à la performance des universités. J’appelle également votre attention sur les bibliothèques, qui sont essentielles à la vie étudiante. Or le prix galopant de la documentation en ligne fait que les bibliothèques universitaires n’ont plus les moyens d’acheter de vrais livres. Le mode de financement est tel que les universités sont même obligées d’arbitrer pour la documentation en ligne et contre les vrais livres. Il importe donc d’agir.
Il est essentiel aussi d’améliorer la vie de campus. Les CROUS sont des acteurs majeurs, à cet égard. Ils doivent être renforcés, et leurs moyens augmentés pour le logement étudiant, la restauration, le fonds national d’aide d’urgence. Il faut en finir avec la paupérisation des étudiants.
Sur les étudiants étrangers, je rejoins Mme Gillot : un étudiant n’est pas un travailleur immigré déguisé. Nous touchons là à l’attractivité internationale de notre pays.
Mme Dominique Gillot. Il faudra revenir sur la prise en charge des apprentis. En la matière, les entreprises ont une lourde responsabilité.
M. Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles (CGE). Je ferai quatre propositions concrètes. La première concerne le logement étudiant. Une mesure législative devrait viser à exclure explicitement les logements étudiants de la loi relative aux baux des meublés, dont l’application depuis 2009 conduit à des déficits chroniques en freinant les investisseurs.
Deuxièmement, nous sommes très favorables au développement de l’accueil des étudiants étrangers, dans lequel nous voyons un élément de rayonnement international pour la France. Il nous semble cependant que, pour qu’il puisse s’effectuer à une grande échelle, il faut laisser aux établissements le droit de fixer le montant des frais de scolarité demandés aux étudiants étrangers non européens.
Troisièmement, nous constatons qu’en matière d’alternance, un certain nombre de conseils régionaux se trouvent dans l’obligation d’arbitrer entre les crédits qu’ils allouent à l’apprentissage dans le supérieur et le secondaire. Dans la mesure où, dans le secondaire, de plus en plus de formations se développent par ce biais en prenant autant de places à l’éducation nationale, on pourrait envisager que des crédits soient réorientés de la part de l’éducation nationale pour soutenir l’apprentissage dans le secondaire et en libérer ainsi dans le supérieur.
Enfin – et cette remarque se rapproche de celle de la CPU à propos du droit des établissements à exercer leurs responsabilités quant aux choix de certains étudiants, dans certaines filières –, nous observons qu’il n’y a pas de relation entre le taux d’accès aux études supérieures et le taux moyen de chômage des jeunes dans les différents pays de l’OCDE. En France, on compte ainsi 60 % d’accès dans le supérieur et 23 % de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans ; pour la Suisse ces pourcentages sont de 38 % et 5 % ; pour l’Allemagne, ils sont de 33 % et de 10 %. Si nous ne nous posons pas la question de la finalité de nos formations – cultiver et éduquer, ou préparer à la liberté économique que donne l’autonomie de l’emploi – nous aurons oublié un point essentiel.
M. Jean-Philippe Cassar, SGEN-CFDT. Mon intervention portera sur la formation tout au long de la vie. Si l’expression est souvent utilisée, le concept est en général peu développé. En nous focalisant sur la réussite des étudiants, nous risquons de passer à côté d’autres enjeux. L’objectif visé n’est pas la réussite aux diplômes : c’est l’insertion professionnelle des étudiants, et donc l’évolution du rapport emploi/études. Il a peu été question des étudiants salariés. On peut considérer que cette situation est anormale mais elle existe et devrait être prise en compte dans l’organisation des universités.
La formation doit être vue comme un élément essentiel du parcours professionnel. L’enseignement supérieur doit être positionné comme un acteur de la sécurisation des parcours professionnels par son intervention sur la formation. Tel est le principe de la formation tout au long de la vie, qui oblige à revoir nos modalités pédagogiques qui profiteront à l’ensemble des étudiants, quelles que soient leurs origines. Il oblige aussi à revoir les modes d’orientation : on ne présentera plus simplement des formations mais des formations et des parcours professionnels.
M. Olivier Nay, CP-CNU. Je souhaite appeler l’attention des parlementaires sur une situation particulièrement alarmante au sein de l’université : celle des disciplines en voie de disparition. C’est une conséquence indirecte et involontaire de la loi sur l’autonomie des universités. Avant cette dernière, le ministère disposait de leviers pour pérenniser un certain nombre de disciplines à faibles effectifs mais qui représentent un enjeu capital dans le champ de la connaissance et de la transmission des savoirs. Aujourd’hui, les universités ne peuvent pas prendre en charge l’ensemble des disciplines, et notamment celles où il y a peu d’étudiants. Elles ferment donc des filières de formation dans des disciplines sans utilité sociale ou économique immédiate : les humanités, à savoir les langues, à l’exception du chinois et de l’anglais, et dans le champ des sciences humaines et sociales, l’épistémologie, la philosophie des sciences et des pans entiers de disciplines historiques, notamment l’histoire médiévale.
Au CNU, nous avons donc constitué un groupe de travail sur les disciplines en danger. L’enquête que nous avons conduite est particulièrement alarmante. Il faut donc mener une politique nationale en la matière. Il convient de poursuivre l’observation et de permettre au ministère de créer des postes dans ces disciplines que les universités sont amenées à déserter pour des questions budgétaires. Le CNU représente cinquante-deux disciplines et est prêt à collaborer avec le ministère pour parvenir à des solutions visant à pérenniser ces disciplines.
Mme Dominique Gillot. Les nouvelles modalités d’enseignement devraient permettre de mutualiser et de définir des postes délocalisés afin que plusieurs étudiants, rattachés par réseaux, puissent bénéficier d’un enseignement rare.
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises. Ce point a appelé notre attention. Peut-être serait-il bon que le CNU travaille avec la CPU et le Comité national sur ce sujet. Pour l’archéologie, par exemple, il faut prendre en compte les effectifs au CNRS. En outre, comment définir ce qu’est une discipline ? Doit-on s’en tenir aux sections du CNU ? Certaines sous-disciplines, néanmoins très intéressantes, peuvent disparaître. Il faut parvenir à les identifier.
M. Jean-Baptiste Prévost, membre du Comité de pilotage des Assises. Sur la question de la licence et de sa réforme, il y a un arrêté : nombre de questions doivent donc être traitées dans le cadre réglementaire. Néanmoins, la loi LRU fixe de grands domaines de formation pour des raisons électorales. La loi pourrait donc définir de manière un peu précise ces grands domaines qui pourraient déterminer les noms de domaine des licences. Les spécialités et les mentions relèveraient ensuite soit de l’établissement soit d’une liste nationale. Cela permettrait, sur la question des intitulés, d’avoir au minimum un peu plus de cadrage puisque le comité de licence rappelle qu’il y a 6 000 intitulés de licence, ce qui rend le tableau illisible pour les étudiants et leur famille, et pour les employeurs. Peut-être pourrait-on régler par la loi le problème de la définition de grands secteurs pluridisciplinaires.
Par ailleurs, la loi LRU fixe une mission d’insertion professionnelle. En 2007, la CPU, notamment, estimait qu’il fallait plutôt parler de préparation à l’insertion professionnelle. En effet, les universités ne sont pas des agences de placement. Si l’insertion professionnelle doit relever de leur mission, elles ne sont néanmoins pas responsables du chômage et de la situation du marché de l’emploi. Préparer à l’insertion professionnelle permet peut-être de regrouper des responsabilités plus en phase avec ce que doivent réellement faire les universités.
Sur les stages, la loi Cherpion est une loi à trous. En effet, elle interdit théoriquement les stages hors cursus, les stages de plus de six mois… C’est une loi passoire du fait des nombreuses exceptions qu’elle prévoit. Un bilan permettrait peut-être de déterminer les évolutions législatives et réglementaires nécessaires.
Sur les missions des CEVU, le fait que le Conseil soit présent au niveau de la gouvernance des universités aurait l’intérêt de décharger le CA et de faire des enjeux de formation un sujet politique dans les établissements. La loi doit donc garantir les missions des CEVU.
Sur les IUT, enfin, on a testé la formule de l’incitation pour conduire les instituts à accueillir plus de bacheliers technologiques. Le précédent gouvernement avait ainsi mis sur la table une enveloppe de 5 millions d’euros. Mais cela n’a pas eu l’effet escompté. Il nous semble donc difficile, si l’on ne passe pas par la contrainte, avec quotas de places réservées et intervention des recteurs en amont sur la question de l’orientation, d’atteindre des objectifs en la matière. Or c’est la mission de service public des IUT. Certes, certains de leurs moyens sont mis en cause par le budget global, mais on ne peut pas accepter que des publics en difficultés ne soient plus accueillis et que ces structures se transforment en classes préparatoires universitaires. L’incitation n’a pas marché ; nous sommes maintenant au pied du mur et la loi devra être ambitieuse sur ce point.
M. Nicolas Schapira, SLU. Tout le monde semble considérer qu’accroître la pluridisciplinarité améliorerait l’accueil des étudiants et leur insertion professionnelle. Or cette idée suscite une certaine inquiétude au sein de l’université. Je rappelle que la pluridisciplinarité est déjà prévue par la nouvelle licence. Un certain nombre de formations sont ainsi déjà construites sur ce modèle. Or on peut faire trois constats.
Tout d’abord, une réforme intégrant beaucoup de pluridisciplinarité à moyens constants fait courir le risque d’un saupoudrage avec des contenus d’enseignement très légers.
Ensuite, les étudiants qui se débrouillent le mieux dans ce type de formation sont les meilleurs. En quoi l’accroissement de la pluridisciplinarité favoriserait-il l’accueil des étudiants en difficulté ? C’est le contraire qui se produira. La pluridisciplinarité suppose en effet que l’étudiant saura construire son parcours, ce qui relève d’une compétence sociale. Il s’agit en réalité du modèle des classes préparatoires, qui implique une sélection et des moyens supplémentaires. Dans un budget contraint, cela signifierait de lever le verrou de l’augmentation des frais d’inscription. Je comprends mal, dans ces conditions, comment la revendication de la pluridisciplinarité peut être portée si fortement par les syndicats étudiants qui, par ailleurs, sont fort légitimement hostiles à toute augmentation des frais d’inscription.
Enfin, la pluridisciplinarité pose le problème du suivi des étudiants dans le cadre des équipes pédagogiques. Ce qui pénalisera, là encore, les plus en difficulté.
Mme Dominique Gillot. Les compétences sociales, cela s’acquiert. Ce n’est pas inné.
M. François Bonaccorsi, directeur du CNOUS. Je tiens tout d’abord à remercier M. Jean-Loup Salzmann pour la confiance qu’il a témoignée au réseau des œuvres universitaires.
Sur la refonte des aides sociales aux étudiants, je rappellerai que l’ensemble de ces aides, directes ou indirectes, dépasse les 5 milliards d’euros. Mais cette somme ne prend pas en compte les soutiens apportés par les collectivités, sous forme d’investissements ou d’aides directes. Il a beaucoup été question de la demi-part fiscale, il faudrait également parler des aides au logement. Celles-ci s’élèvent en effet à 1,4 milliard d’euros pour 700 000 bénéficiaires. Il serait temps de faire un bilan complet de tout ce que les acteurs de la nation apportent aux étudiants.
Par ailleurs, le réseau des œuvres universitaires est apte et prêt à jouer pleinement son rôle de guichet unique pour l’ensemble des aides qu’on peut apporter aux étudiants.
Enfin, sur l’accueil international, les récents développements montrent que nous avons perdu un savoir-faire et une qualité de relation humaine. Nous sommes prêts à rediscuter de nouveaux projets à l’avenir.
M. Ado Yakonba, Confédération étudiante. Je m’étonne d’entendre dire que l’insertion professionnelle ne doit pas faire partie des missions de l’université. Je rappelle qu’en 2007, un certain nombre d’organisations syndicales étudiantes, au sein notamment de la Confédération, se sont précisément battues pour qu’on confie à l’université la mission relative à l’orientation et à l’insertion professionnelle. Je suis choqué qu’on sépare la question de la réussite de celle de l’orientation et de l’insertion professionnelle. Cette dernière est une préoccupation essentielle pour les étudiants. Les bureaux d’aide à l’insertion professionnelle mis en place dans de nombreuses universités ont une grande utilité : ils manquent malheureusement de moyens. La réussite ne peut pas être qu’académique : elle doit déboucher sur un emploi.
Sur les étudiants salariés, je signale que, dans certaines académies, un étudiant boursier ne peut pas être salarié. Ce qui pose un problème car avec une bourse d’un montant de 460 euros, par exemple, vous ne pouvez pas payer votre loyer à Paris. Les étudiants sont donc parfois obligés de travailler.
M. Thibault Delavenne, Confédération des jeunes chercheurs. Nous voulons revenir sur une pratique qui nuit à la pédagogie, à la qualité des enseignements, et qui renforce la précarité : la multiplication des vacations. Celle-ci se fait toujours au détriment des doctorants, notamment ceux qui ne sont pas financés par un contrat doctoral. Nous préconisons donc la contractualisation de tous les doctorants que l’université souhaite recruter. Légalement, nous sommes déjà reconnus comme des professionnels de la recherche dans le code de l’éducation – le décret de 2009 peut du reste être amélioré sur ces points. Il faut agir au niveau national.
En tout état de cause, pour contrebalancer cette dérive de l’utilisation des vacations, nous suggérons d’augmenter le tarif de ces dernières à un niveau tel qu’il ne sera plus intéressant pour les universités de payer des vacations pour dispenser les enseignements qu’elles doivent assurer.
Mme Élodie Derdaele, maître de conférence de droit public. J’enseigne une matière qui est dispensée en première année, le droit constitutionnel, c’est dire si j’ai beaucoup d’étudiants en face de moi ! C’est un public très hétérogène. Dans la carrière universitaire, on privilégie beaucoup la recherche et pas suffisamment la pédagogie. Or c’est fort dommage car, dans les faits, ce sont souvent les mêmes enseignants qui s’y impliquent beaucoup et qui ne sont pas assez reconnus par leurs pairs. Nombre de grands professeurs dédaignent même de dispenser des cours en première année ! Puisqu’il est possible d’obtenir des détachements à des fins scientifiques, pourquoi ne pas envisager d’accorder également des détachements temporaires à des enseignants pour leur permettre d’accomplir des missions, éventuellement dans le cadre des ESP. Les IUFM forment à la philosophie, à l’histoire… Mais le droit, par exemple, n’est pas enseigné dans les filières secondaires. Et il serait bon que les professionnels du secondaire et du supérieur connaissent leurs différentes méthodologies.
Le baccalauréat est censé être le premier diplôme universitaire : il n’en est rien. Les jeunes bacheliers ne sont pas du tout préparés au monde universitaire. En outre, en dix ans, j’ai noté qu’ils avaient beaucoup évolué, s’agissant notamment de leur apprentissage. Ils sont à l’ère du numérique et il est difficile, pour les enseignants de L1, de s’accommoder de cette nouvelle sociologie estudiantine.
Puisqu’il faut favoriser l’insertion professionnelle, je propose également que les enseignants qui s’impliquent particulièrement dans l’alternance et l’apprentissage puissent avoir des heures de détachement sans être sanctionnés dans leur évolution de carrière.
M. Jean-Yves Le Déaut. Cela pose la question de l’évaluation de l’enseignement. Toutes les missions doivent être évaluées : la recherche, l’enseignement, le transfert de technologie, l’innovation, la médiation scientifique… Mais comment doit-on procéder ? Qu’en pense le CNU ? Faut-il évaluer les enseignements ? Sur quels critères ? Les étudiants seront-ils consultés ?
M. Pierre Ceccaldi, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. Joël Bertrand a proposé ce matin que les recrutements de chercheurs se fassent au plus près de la thèse. Cette proposition constituerait une réponse forte à la crise des vocations que tous les partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche déplorent. Nous ne pouvons qu’y être favorables. Elle aurait selon nous deux bénéfices essentiels : tout d’abord, la revalorisation du diplôme de doctorat. En donnant l’exemple, l’État enverrait, en effet, un signal fort aux entreprises ; ensuite, cela contribuerait – au moins en partie – à résorber la précarité dont souffrent beaucoup d’agents contractuels de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Cependant, le recrutement au plus près de la thèse suppose, par définition, une augmentation significative du nombre de postes ouverts au concours externe. La coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche réclame donc la mise en place d’un plan pluriannuel de recrutement de personnels statutaires, chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens, à hauteur de 5 000 postes par an pendant cinq ans. Les besoins sont réels. La question des recrutements est d’abord politique et sociale avant d’être financière.
Mme Valérie Baduel, ministère de l’Agriculture. Je voudrais tout d’abord revenir sur la notion d’État stratège, importante à mes yeux, car il faut placer la question des enjeux de société au cœur de nos préoccupations. Il s’agit aujourd’hui, en effet, d’adapter notre système pour qu’il soit plus en mesure de produire les compétences et les connaissances au service de ces enjeux. Au ministère de l’agriculture, nous devons en relever un grand nombre qui dépasse largement la France : la sécurité alimentaire, la prévention des pandémies infectieuses…Dans ce cadre, il faut associer la société civile et les opérateurs socio-économiques à la réflexion sur la détermination des priorités, voire à la gouvernance des établissements comme c’est souvent le cas.
Par ailleurs, il est très important d’assurer la démocratisation et la diversification des accès dans l’enseignement supérieur. Nous avons, quant à nous, plusieurs sortes de concours pour rentrer dans nos écoles : concours post-BTS, licence, classes préparatoires. Mais il faut aller encore plus loin. À cet égard, les réflexions en cours sur la licence, qui tendent à retarder la spécialisation et à accroître la pluridisciplinarité, me semblent porteuses de germes de création d’une plateforme qui pourrait, à terme, constituer une voie d’accès très diversifiée vers plusieurs filières.
Enfin, sur la pédagogie, je signale qu’au ministère de l’agriculture, nous recrutons déjà les enseignants-chercheurs en incluant dans le concours une leçon. Nous prévoyons également la prise en compte de la pédagogie dans leur évaluation. Nous assurons aussi une formation de ces enseignants tout au long de leur exercice. La pédagogie doit être un élément majeur. Mais il est vrai que cela requiert des moyens.
Mme Heidi Charvin, SNESUP-FSU. La réussite des étudiants, et au-delà la reconnaissance des diplômes par des employeurs futurs, nécessite une formation de qualité. Or, depuis la LRU et les modifications diverses et variées qui ont été apportées, je ne suis pas sûre que la formation soit restée une priorité au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche. Tout d’abord, le système SYMPA, mais aussi l’indexation des budgets des établissements sur le taux de publiants pousse à survaloriser la recherche au détriment de la formation. Ensuite, la carrière des enseignants-chercheurs est elle-même indexée sur la publication et la recherche. Par ailleurs, les initiatives d’excellence qui concentrent un périmètre limité de chaque établissement, et qui sont du reste essentiellement organisées autour de la recherche, entraînent une diminution des moyens des établissements hors périmètre. Enfin, les difficultés budgétaires actuelles de plus d’un tiers des établissements ont tendance à conduire ces établissements à rechercher des ressources en réduisant les offres de formation et les heures complémentaires.
Voilà pourquoi je souhaite que, dans la future loi d’orientation, on cherche à rééquilibrer les objectifs des universités, qui ne doivent pas être simplement des agences de recherche. Le législateur devra prendre en considération le fait qu’une offre de formation large et locale en direction d’étudiants fortement implantés familialement réduit le risque de turn over dans les entreprises, ce qui n’est pas sans enjeu sur le plan territorial.
M. Sylvain Bordiec, Collectif national des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’axerai mon propos sur les vacations, en relation avec les grandes ambitions affichées pour la recherche depuis les Assises, et la condition étudiante. Pour fonctionner, les universités ont aujourd’hui massivement recours aux vacataires. Ces derniers peuvent avoir, ou non, un contrat de travail principal à côté, ceux qui n’en ont pas ont la possibilité, pour donner leurs vacations, de prendre le statut d’auto-entrepreneur. Quand on est en doctorat ou en post-doctorat, on est encouragé à faire des vacations. Quand on n’a pas de contrat doctoral ou post-doctoral, on n’a pas le choix parfois. Le problème, lorsqu’on est vacataire, c’est qu’on est payé au mieux à la fin du semestre, qu’on n’a pas droit au chômage, qu’on ne cotise pas pour les congés payés. Et il y a ainsi en France des dizaines de milliers de personnes qui vivotent en faisant de vacations, de fac en fac, de ville en ville, les transports restant évidemment à leur charge. Or ce système complique le travail administratif dans les facs et rend impossible, pour les intéressés, le suivi d’investissement dans les équipes pédagogiques. N’y a-t-il pas une contradiction entre les grandes ambitions affichées pour l’université lors des Assises et cette insécurité imposée aux vacataires ? Outre que les universités ne pourraient pas fonctionner sans eux, les étudiants paient également un très lourd tribu à cette précarisation du corps enseignant.
Mme Claire Guichet, membre du Comité de pilotage. Dans la période de crise actuelle, même si les étudiants ne sont pas complètement épargnés, le diplôme reste malgré tout le meilleur rempart contre le chômage. Dans ce cadre, ceux qui ne se posent pas le problème de l’insertion professionnelle sont ceux qui passent par toutes les voies de contournement créées dans notre système d’enseignement supérieur, dont je constate qu’il en regorge. Je suis très surprise d’entendre que travailler sur la simplification du premier cycle pour faire en sorte que des jeunes issus de familles moins favorisées, non seulement financièrement mais également socio-culturellement et qui donc n’ont pas les codes culturels pour faire face à une orientation aussi illisible, est sans rapport avec la réussite et l’insertion professionnelle. Je ne comprends pas comment on peut prétendre que cela n’est pas connecté au fait d’accéder, un jour, aux meilleurs masters, même si l’on n’a pas eu les mêmes opportunités à la sortie du lycée. L’insertion professionnelle ne se résume pas à des stages dans les maquettes. Certes, il en faut. Mais tant que nous n’aurons pas compris que le système actuel, du fait de son illisibilité, de sa construction et de sa participation à la reproduction des inégalités sociales, ne permet pas aux jeunes de s’insérer professionnellement de manière équitable, nous n’aurons rien fait. C’est dans la cohérence des parcours que se construit l’égalité des chances. Voilà pourquoi il faut améliorer la lisibilité, favoriser les réorientations et permettre aux étudiants d’avoir une meilleure connaissance des métiers et des possibilités.
Sur l’évaluation, il importera que soit prise en compte l’évaluation des enseignements au niveau de l’établissement, et la valorisation des missions d’enseignement dans les carrières. Il est illogique que des professionnels de l’enseignement supérieur et de la recherche qui choisissent de déléguer une grande part de leur temps de service à la réussite des étudiants se trouvent, au final, moins valorisés que d’autres. On doit donc permettre à ces professionnels de valoriser le temps qu’ils passent sur les missions d’enseignement, sur l’innovation pédagogique, sur la création de maquettes tout autant que celui qu’ils consacrent la recherche dans les laboratoires.
Sur les aides directes et indirectes, c’est une avancée notable d’avoir pu aller aussi loin dans la discussion sur la question de la demi-part fiscale. Un grand choix de société reste à faire : doit-on considérer que l’étudiant est totalement indépendant ou doit-on prendre en compte les inégalités familiales ?
M. Jean-Yves Le Déaut. Je remercie tous les participants de cette première table ronde de l’après-midi.
QUATRIÈME TABLE RONDE :
ACTEURS DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE, FINANCEMENT, ÉVALUATION
Présidence de Mme Anne-Yvonne Le Dain et de M. Jean-Louis Touraine, députés.
M. Jean-Yves Le Déaut. Je remercie Anne-Yvonne Le Dain, députée de l’Hérault, et Jean-Louis Touraine, député du Rhône, d’avoir accepté de présider cette quatrième table ronde. Je salue également la présence de Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, compétente en matière d’enseignement supérieur et de recherche, et je cède sans plus attendre la parole à Pierre Tambourin, membre du comité de pilotage des Assises, qui va rapporter sur le thème : « Acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, financement, évaluation ».
M. Pierre Tambourin, directeur du génopôle, membre du comité de pilotage des Assises. Il m’a été demandé de présenter en quelques minutes des thèmes particulièrement lourds, qu’il s’agisse de l’ANR, de l’AERES, du dossier des précaires et de quelques autres points sur lesquels j’appuierai mon propos.
D’abord, il a été réaffirmé de manière unanime que l’unité était la brique constitutive de la recherche, à l’exclusion de toute autre structure, même si elle pouvait prendre des formes diverses : unité propre, unité d’accueil, unité mixte de recherche, unité mixte de recherche internationale, unité de service. A côté de cela, il serait question d’installer des groupements de coopération scientifique et de se débarrasser de tout un ensemble de labels, en les privant de surcroît de la personnalité morale lorsque cela est manifestement inutile.
Le deuxième point sur lequel s’est dégagée une certaine unanimité, c’est l’importance du soutien de base, qui pose un problème de financement dont Henri Audier a fort légitimement souligné l’ampleur ce matin.
S’agissant de l’ANR, des propos assez contradictoires ont été tenus. Beaucoup considèrent que l’ANR n’a pas à jouer un rôle stratégique et qu’elle doit se contenter d’être un opérateur stratégique. Cela suppose que les stratégies nationales soient établies ailleurs mais encore faut-il définir cet « ailleurs ». L’ANR a aussi été accusée d’être à l’origine de très nombreux CDD mais chacun doit balayer devant sa porte car ceux qui recrutent, ce sont les établissements et non l’agence.
Plusieurs éléments ont cependant été portés au crédit de l’ANR, avec, notamment, une demande d’augmentation des programmes blancs. Du côté des industriels, il a aussi été souligné que l’agence avait contribué à l’établissement de liens positifs entre la recherche et l’industrie, en particulier pour ce qui concerne les jeunes entreprises innovantes.
En matière de stratégie, chacun s’accorde sur la nécessité de simplifier un système devenu illisible et quasiment incompréhensible de l’extérieur. La complexité n’est pas forcément un handicap mais il faut veiller à la cohérence et à la non redondance des dispositifs. Las, à toutes nos propositions de simplification ont été opposés des arguments tendant à maintenir le statu quo…
Où la stratégie devrait-elle s’élaborer ? Nous appelons de nos vœux la création d’un Haut-conseil de la science et de la technologie, placé auprès du Président de la République et travaillant en liaison étroite avec l’OPECST. Pour donner plus de cohérence à l’ensemble, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche devrait en outre assurer la cotutelle de tous les établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
S’agissant des carrières, beaucoup a été dit ce matin et je ne reviens sur l’analyse de Rémy Mosseri que pour relever quelques contradictions : on ne peut pas dire que le doctorat doit être revalorisé pour que les industriels le prennent en compte, et, en même temps, qu’il faut une qualification pour s’assurer que ce diplôme est bon. Deuxième contradiction, on ne peut pas revendiquer l’autonomie des universités et demander qu’une instance supérieure vérifie la qualité de leur action. On ressent une certaine volonté, sans doute minoritaire mais bien réelle, de maintenir la qualification. Quant à l’habilitation à diriger des recherches (HDR), certains souhaitent la maintenir alors que d’autres la considèrent comme un diplôme inutile, présent dans très peu de pays et posant de ce fait des problèmes particuliers aux chercheurs étrangers qui souhaitent venir travailler chez nous.
J’en viens à la précarité : il s’agit d’un vrai problème, qui monte en puissance puisqu’il concerne 20 000 à 40 000 jeunes. La nature des difficultés est du reste très variable selon les intervenants. Du côté des BIATSS et des ITA
– qu’il ne faut pas oublier –, la question semble assez bien cernée. En gros, la population est connue et ne pose pas de problème pour répondre aux critères fixés dans la loi du 12 mars 2012. Par contre, du côté des chercheurs, le périmètre englobe les doctorants sans financement, les post-doctorants et les post-doctorants qui accomplissent plusieurs CDD successifs dans le même laboratoire tout en étant payés par des établissements différents. Là, on évoque le besoin de 5 000 postes pendant 5 ans, ce qui correspond à un peu plus de 1 milliard d’euros en cumulé. Les Assises ont cependant mis en évidence que si l’on réalisait cet objectif – ce qui paraît souhaitable, au moins en partie –, cela aurait pour effet direct de bloquer le recrutement de la nouvelle génération, au risque de reposer le même problème dans quelques années pour ceux qui seraient venus gonfler la file d’attente. Les difficultés politiques et financières que cela pose ne sont donc pas minces.
Le temps me manque pour aborder le débat science-société – science-entreprise, science-citoyen, expertise… – et je renvoie sur ce point à l’excellent rapport coordonné par Jean-Pierre Bourguignon au titre des Assises régionales d’Ile-de-France.
En matière d’évaluation, un certain nombre de points d’accord ont émergé sur les critères et sur le dossier à produire pour être évalué. Il n’en va pas de même pour les structures et l’on s’est rapidement focalisé sur l’AERES. Des propos très forts ont été tenus, certains souhaitant sa mort immédiate – ou programmée – alors que d’autres saluaient l’apport de cette structure en termes de méthodes d’évaluation, en particulier pour les entités qui n’étaient pas entrées jusque-là dans le champ de l’évaluation. Par contre, le fait de conduire des évaluations qui se succèdent dans le temps à un rythme rapproché et le risque que certaines structures internes de grande qualité ne soient ignorées ont mis en évidence la nécessité d’apporter rapidement de la clarté dans ce dispositif. Il n’y a pas eu consensus sur ce point et je me bornerai donc à évoquer les quelques grands principes qui nous ont réunis.
D’abord, il faut en terminer avec l’évaluation sanction. L’évaluation doit être un moment privilégié de dialogue constructif visant à améliorer les systèmes évalués. À cet égard, la notation fait l’objet de vives critiques. Celui qui n’obtient pas « A » ou « A+ » semble condamné à un sort peu enviable !
Ensuite, l’évaluation doit être indépendante. À ce titre, le processus d’évaluation doit être très professionnalisé. Un cahier des charges sur lequel chacun puisse tomber d’accord doit être mis au point et prendre en compte les critères européens. En tout état de cause, nous ne souhaitons pas que la France soit considérée comme un pays où l’évaluation n’est pas de qualité.
Bien entendu, il ne faut pas dupliquer les évaluations de manière non concertée car chacun sait que trop d’évaluation tue l’évaluation.
Enfin, il a été reconnu qu’était nécessaire une structure nationale procédant elle-même à assez peu d’évaluation mais chargée de veiller au respect du cahier des charges que je viens d’évoquer. Chaque fois que cela est possible, l’évaluation doit être effectuée par les opérateurs classiques, à l’instar du Comité national – qui modifierait cependant ses méthodes pour répondre au cahier des charges –, du CNU ou des autres instances présentes à l’INSERM et dans les autres EPST.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Je me félicite que nous abordions des sujets stratégiques d’avenir, importants pour la vie quotidienne des unités d’enseignement supérieur et de recherche françaises. Et je redis à dessein « enseignement supérieur et recherche ». La place des unités de recherche, fédératives ou unitaires, doit être précisée par rapport aux doctorants, et, de plus en plus, aux niveaux « M2 » voire « M1 ». Chacun sait que les chercheurs sont en quête d’étudiants de qualité pour aller jusqu’au doctorat et même au-delà.
Le financement doit-il être récurrent ou sur projet ? Le financement sur projet a été mis en place depuis de nombreuses années. Il aboutit à la multiplication de CDD de différents statuts. On en arrive à des systèmes étonnants où ce sont les personnels statutaires qui restent responsables des personnes employées sur projet et non ceux qui travaillent directement avec elles. Il faut donc travailler sur l’écart entre ce qui doit être incitatif – ou sur projet – et récurrent, en vue d’apporter des garanties, notamment si l’on poursuit dans la voie d’une contractualisation quinquennale. Si l’on reste dans un système à cinq ans plutôt qu’annuel, il faut bien que chaque acteur écrive son projet pour cinq ans plutôt que de se réengager dans une négociation annuelle comme cela était le cas il y a quinze ou vingt ans.
L’évaluation fait partie de la contractualisation et conditionne les assurances données aux opérateurs. La question de la temporalité est donc essentielle car elle a vocation à donner une lisibilité et une sécurité aux personnes qui contribuent à la création de savoirs et de connaissances, notamment les statutaires – pour lesquels se pose la question importante de la charge d’enseignement. La temporalité est à mettre en relation avec l’origine et la responsabilité de la gestion des fonds. Qui est responsable de quoi, sachant que les scientifiques sont submergés par les charges de gestion, d’élaboration des contrats ou de reporting, que cela soit pour l’ANR, pour l’Union européenne ou pour les nombreuses institutions impliquées dans le pilotage de la recherche ? En outre, les systèmes d’information constituent un véritable casse-tête et se révèlent excessivement chronophages. A l’extrême, cela pourrait donner le sentiment que placer les administratifs à la tête des unités de recherche serait une bonne solution !
Dans ces conditions, je crains et je crois qu’il faut que les scientifiques aient le temps d’absorber les fonctions administratives et de s’en occuper, quitte à se décharger par ailleurs. On ne peut pas réduire les scientifiques à des demandeurs d’argent par rapport aux administratifs. C’est un sujet particulièrement délicat.
En matière d’évaluation, Pierre Tambourin a évoqué la révolution suscitée par la création de l’AERES. Il reste que nombre d’institutions ont conservé leur propre système d’évaluation. Le fait d’utiliser la notation – à laquelle je précise que je ne suis pas favorable à titre personnel – dans les critères de sélection a posteriori par le ministère pour l’attribution des dotations de base et des dotations récurrentes a été piégeux pour tout le monde. Il faut éviter de prendre le thermomètre pour la mesure. Sur le fond, la fin du système de notation « A, B, C, D » m’apparaîtrait plutôt comme une bonne chose.
La question la plus épineuse reste celle de la précarité, avec des masses de financement « précaires » non récurrentes. Il est donc inexorable de raisonner sur cinq ans pour donner des perspectives et de la lisibilité à l’ensemble du système.
M. Jean-Louis Touraine, député. Plusieurs d’entre vous semblaient découvrir le PRES. À présent que c’est chose faite, utilisez-le car c’est un organisme d’interface utile entre le monde scientifique et le monde politique et administratif. Cela peut être utile à chacun pour faire évoluer les choses.
Nous devons tout mettre en œuvre pour renforcer le pouvoir d’attraction des carrières scientifiques. Les nouvelles générations ne sont pas assez attirées par elles et tout ce qui pourra inverser la tendance sera bénéfique à l’avenir de la recherche.
Il me semble indispensable d’accroître les références et les réflexions de nature internationale pour ce qui concerne l’organisation et la structuration. Je suis frappé de l’écart entre la très grande importance donnée à la coopération internationale entre scientifiques et les très faibles rapprochements qui s’opèrent à l’échelle mondiale en matière d’organisation des structures de recherche et d’enseignement.
Enfin, la recherche ne peut se développer valablement que sur un
a priori de confiance. L’évaluation ne doit donc intervenir qu’a posteriori.
Tels sont les principes de base et les idées générales qu’il me semblait utile de rappeler dans le temps de parole qui m’a été imparti.
M. Patrick Bloche, député, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. Dans leurs grandes fonctions et qualités, comme on dit dans les cérémonies patriotiques, je remercie chaleureusement Jean-Yves Le Déaut et Bruno Sido pour leur excellente initiative d’avoir organisé cette journée. Je n’ai malheureusement pas pu être des vôtres ce matin et j’en suis désolé, même si je conseille à tous de visiter Le Louvre Lens !
Je sais combien tous ceux qui se sont exprimés aujourd’hui partagent la conviction que le moment que nous vivons collectivement est crucial, s’agissant de l’avenir du modèle français d’enseignement supérieur et de recherche. En ma qualité de président de la commission qui, à l’Assemblée nationale, sera saisie au fond des réformes législatives attendues et d’ores et déjà annoncées, je mesure la responsabilité qui est la nôtre à l’issue de la concertation menée dans le cadre des Assises territoriales et nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche.
S’il est sans doute un peu tôt pour tirer les conclusions législatives des Assises, il nous faut à tout le moins, nous, parlementaires, nous montrer à la hauteur de l’enjeu qui se dessine au travers des multiples prises de parole et des contributions qui nourrissent vos travaux, aujourd’hui encore, dans le cadre de cette audition publique. J’en ai du reste pris la mesure au Collège de France, il y a quelques jours.
Le législateur devra être vigilant sur le processus qui s’ouvre à présent pour l’élaboration des mesures de nature législative. D’expérience, chacun sait que la concertation qui va s’engager sur la base des travaux des Assises sera menée par le Gouvernement et je compte sur Mme la ministre pour vous communiquer dès la fin de cette journée un premier calendrier indicatif. Bien entendu, le législateur ne sera saisi que lorsque le Gouvernement aura procédé aux arbitrages entre les choix prioritaires pour l’avenir.
C’est alors que nous devrons veiller à récolter les fruits des Assises territoriales et nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche afin d’éviter ce phénomène trop bien connu – et je tenais à vous alerter collectivement sur ce point – d’évaporation des idées novatrices au fil des « rabotages » successifs intervenant dans l’élaboration des textes législatifs. Je pense notamment au processus de « l’interministériel »… Le message des Assises devra porter tout au long de la réforme, y compris et peut-être surtout au Parlement, lorsque le débat interviendra dans quelques mois. Il ne doit pas s’arrêter aux portes du travail gouvernemental et nous prendrons des engagements en ce sens. Au reste, le cas échéant, nous utiliserons pleinement le droit d’amendement que nous reconnaît la Constitution.
Nous avons suffisamment confiance dans le Gouvernement, que nous soutenons, pour envisager dès à présent la meilleure coopération possible en vue d’aboutir à un texte de loi ambitieux et novateur, comme en témoigne la mission confiée par le Premier ministre à Jean-Yves Le Déaut. Il s’agit d’un heureux présage qui nous conforte dans l’idée que nous serons associés le plus en amont possible. Cette méthode d’écoute et de concertation, dont le Gouvernement a fait sa marque depuis son installation, vaut aussi pour la refondation de l’école ou, entre autres domaines, pour l’acte II de l’exception culturelle française.
Sur tous ces sujets, il ne s’agit ni d’attentisme ni d’indécision de la part de la puissance publique mais de la prise en compte nécessaire des attentes et des bonnes idées de la société civile. Lorsque les choix sont faits, c’est à la lumière de la concertation et tous les acteurs doivent être informés des arbitrages qui s’opèrent.
Que de changement par rapport à ces dernières années ! Les Assises ont permis de prendre la mesure des dégâts de la politique conduite dans la dernière décennie : absence de considération des femmes et des hommes qui sont tellement fiers de leur implication dans l’œuvre de recherche et d’enseignement, approche purement gestionnaire rivée sur les indicateurs et les critères de performance, décisions unilatérales coupées de la réalité, qu’il s’agisse de la réforme des universités, de l’évolution des modes de financement de la recherche ou de la multiplication des appels à projets liés au grand emprunt… Et je ne parle pas de celles et ceux qui se sont gargarisés du plan Campus sans qu’aucun mètre carré supplémentaire ne soit effectivement réalisé. Mais vous connaissez tout cela mieux que moi puisque vous l’avez vécu !
Je ne m’attarde pas davantage sur ce bilan que les Assises ont très bien dressé. Je préfère me féliciter des convergences qui vont faciliter certaines des réformes à mettre en œuvre. Ainsi en est-il justement de la réorientation du plan Campus, avec l’abandon des projets de partenariat public-privé lorsqu’ils ne sont pas pertinents, ou bien de la révision des modes de financement de la recherche pour mettre fin au gâchis de temps et de compétences lié aux appels à projets.
D’autres points restent à finaliser et la table ronde qui va démarrer ouvrira encore de nouvelles pistes. La question des moyens sera bien sûr centrale, mais les décisions que nous serons amenés à prendre ne seront comprises que si on leur donne du sens en joignant les actes à la parole.
Il faut appréhender le grand large de manière positive. L’environnement de l’enseignement supérieur et de la recherche est désormais mondialisé. Cette réalité devenue banale, nous ne devons pas l’envisager de manière défensive par rapport à des classements du type de celui de Shanghai ou par rapport à des fantasmes sur la pression migratoire des étudiants étrangers. Cela doit nous pousser à privilégier une démarche scientifique et non « marketing » dans la définition des formations et des priorités de recherche, pour que la France garde son rang et son pouvoir d’attraction.
Je tiens aussi à insister sur la grande attente des élus que nous sommes vis-à-vis du rôle de l’enseignement supérieur et de la recherche dans l’évolution du niveau général de formation des jeunes générations. Les objectifs auxquels nous avons souscrit dans le cadre européen nous imposent de traiter la question de la réussite des étudiants au niveau global. Nous ne réussirons pas à transformer en profondeur les ressorts de la société française si nous ne tenons pas les deux bouts d’une même chaine, celui des étudiants de licence et celui des doctorants.
Soyez convaincus que tout ce qui touche à la précarité nous préoccupe au plus haut point, notamment au sein de la commission que j’ai l’honneur de présider. La massification de l’université a provoqué nombre de modifications structurelles qui ont affecté les bases du système et nous avons aujourd’hui entre les mains les clés pour ouvrir ensemble un avenir conforme aux promesses de la démocratisation de l’enseignement supérieur.
Enfin, je souhaite ardemment que le débat ne se cristallise pas trop sur les questions d’architecture et d’organisation des instances et des établissements. Je n’en méconnais pas la portée. Je sais que la gouvernance des universités et l’évaluation doivent être remises sur le métier. Pour autant, les défis que nous avons à relever dépassent ce que Vincent Berger a très justement appelé le « mikado institutionnel ». Une chose est de constater que l’autonomie des universités n’est pas aboutie ; une autre est de consolider une dynamique en faveur de la réussite globale de notre enseignement supérieur.
Tel est, brièvement résumé, l’état d’esprit dans lequel nous aborderons la phase parlementaire de la réforme, dont nous attendons à présent les grandes lignes avec beaucoup d’impatience. Nous sommes en tout cas convaincus que le chemin que vous avez pris est, sans conteste, le bon.
M. Jean-Yves Le Déaut. Avec Françoise Barré-Sinoussi et Vincent Berger, nous avons voulu mobiliser les parlementaires sur un sujet qui n’était pas toujours considéré comme prioritaire à l’Assemblée nationale et les Assises nous ont beaucoup aidés dans cette démarche.
Je cède sans plus tarder la parole à la salle.
M. Jean-Paul Caverni, PRES Aix-Marseille. L’AERES a été créée pour séparer l’évaluation de la décision et mettre le ministère au cœur du système d’enseignement supérieur et de recherche. Qu’évalue-t-on ? Des unités de recherche, des diplômes, des établissements. L’AERES a-t-elle bien fonctionné ? Nous y reviendrons. Ce matin, j’ai entendu le président de la CPU déclarer qu’il fallait des universités fortes ; soit, mais qui en réclame des faibles ? Tous les opérateurs doivent avoir une égale dignité et travailler dans un esprit de partenariat équilibré. Pierre Tambourin a parlé d’indépendance : pour moi, la structure doit être indépendante des opérateurs. C’est le point à approfondir car je conçois mal une université forte dont l’évaluation des unités dépendrait d’un organisme avec lequel elle est dans une relation de contractualisation. Il faut de la parité dans le partage des responsabilités.
M. Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU. L’AERES n’a pas été créée ex nihilo : l’évaluation existait et elle ne devait pas être si mauvaise puisque la France fait partie des plus grands pays de la recherche. Si l’agence a posé problème, c’est parce qu’elle a cassé un système qui fonctionnait, sans pour autant inventer grand-chose puisqu’elle a repris les comités d’évaluation créés par le CNRS dans le cadre du Comité national. Elle s’est donc bornée à modifier un mode de fonctionnement. La loi portant création de l’AERES prévoit – et cela avait été une bataille de l’obtenir – que l’agence puisse déléguer ses prérogatives aux instances d’évaluation des organismes. Las, l’AERES n’a jamais voulu appliquer cette disposition. Si nous sommes aujourd’hui dans l’impasse, c’est donc bien que l’AERES s’est coupée de la communauté scientifique, bien que l’on puisse considérer comme un point positif qu’elle ait fait entrer de l’évaluation dans des domaines qui ne la pratiquaient pas.
L’AERES répond aussi à une vision libérale de l’évaluation qui s’inspire des processus d’évaluation industriels fondés sur l’assurance qualité. Or chacun s’accorde sur le fait que l’évaluation ne doit pas être uniformisée ni s’appliquer de la même façon à toutes les disciplines ou à tous les systèmes. Nous attendons par conséquent du législateur qu’il rende aux organismes de recherche la mission d’évaluation dont ils ont été privés.
M. Olivier Teytaud, INRIA. Je tiens à m’exprimer sur l’évaluation individuelle, en particulier sur les primes qui ont un impact assez important dans les EPST. Nombre de chercheurs considèrent que l’évaluation individuelle a été mal conçue, dans ses principes comme dans sa mise en œuvre. Elle crée beaucoup de paperasse et pas mal de démotivation. La rumeur indique que le maintien de la prime d’excellence est souhaité par la nouvelle ministre, alors que les chercheurs proposaient que le système soit modifié pour améliorer le salaire des nouveaux entrants.
S’agissant des critères d’attribution, j’observe que si l’on doit trouver des chercheurs qui ne sont pas excellents, on les trouvera plus du côté des primés que des non primés puisque le fait d’être primé implique de s’être focalisé sur l’obtention de cette prime d’excellence.
Enfin, les chercheurs dans leur ensemble sont très preneurs d’évaluation et ouverts à toutes les remarques sur leurs travaux, sans que cela soit lié à l’obtention d’une quelconque prime, fût-elle d’excellence.
M. Alain Menant, rapporteur territorial Haute-Normandie, ancien directeur à l’AERES. Pourquoi l’AERES n’a-t-elle pas utilisé la possibilité qui lui était offerte par la loi de déléguer l’évaluation des unités de recherche aux organismes ? L’agence a été créée en 2007, dans un contexte – qui s’est encore affirmé depuis – de recentrage de l’enseignement supérieur et de la recherche autour de l’Université. Pour être resté pendant quatre ans à la direction de l’AERES, je puis témoigner que cette faculté de déléguer l’évaluation aux organismes était bien réelle. Cependant, si nous en avions usé, cela aurait freiné cette évolution, que ni la gauche ni la droite ne contestent, de recentrage de l’enseignement supérieur et de la recherche autour des universités. Nous nous sommes inspirés des modèles existants comme les comités de visite et cette évaluation indépendante des opérateurs de recherche a été menée au service de tous. Nous avons forcément commis des erreurs, mais je reste convaincu qu’il faut continuer dans cette voie, en s’appuyant sans doute plus fortement sur les établissements et sur les universités mais sans revenir en arrière.
M. Rémy Mosseri, membre du comité de pilotage. S’agissant de l’évaluation, la question qui est le plus souvent remontée était de savoir s’il fallait ou non maintenir l’AERES. Plutôt que de s’enfermer dans ce débat, nous avons préféré déconstruire le dispositif d’évaluation et reposer ses fondations. Dans sa période triomphante, l’ancienne AERES était probablement la seule à ne pas entendre les critiques du milieu scientifique, en particulier sur son caractère chronophage et bureaucratique. Une certaine défiance a pu s’installer du fait de la distance mise entre le nouveau processus et les instances d’évaluation dans lesquelles les chercheurs avaient confiance depuis longtemps.
Que faut-il évaluer ? Le nouveau système a créé une disjonction très dommageable entre l’évaluation des unités et celle des personnels. Le vrai hiatus est le suivant : faut-il une évaluation à des fins de pilotage et de dévolution des moyens ou bien une évaluation visant en priorité l’amélioration de l’activité des personnes évaluées et de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Cela pose la question de la notation, laquelle peut servir mais produit aussi des effets délétères extrêmes. Item par item de l’évaluation, nous nous sommes efforcés de voir où celle-ci pourrait se faire le mieux possible et cela conduit à s’interroger sur la place d’une agence nationale. Parmi les pistes évoquées par Pierre Tambourin, j’ai noté la proposition d’une agence dont le premier rôle ne serait pas d’évaluer mais de fournir une méthodologie aux structures directes d’évaluation, tout en veillant à ce que s’appliquent les meilleures pratiques validées à l’échelle internationale.
Mme Valérie Vilmont, Confédération des jeunes chercheurs. Je suis une chercheure étrangère d’origine mauricienne et je tiens à témoigner de mon indignation. Cette année, je suis allée en préfecture pour faire une demande de renouvellement de ma carte de séjour avec la mention « scientifique » et la chef de bureau compétente m’a affirmé que ce type de carte ne pouvait être renouvelé que quatre fois. Ayant été malade, j’ai dû m’inscrire cinq fois en thèse, ce qui ne me permet plus, aux yeux de l’administration, d’entrer dans aucune case. On a balayé les dix ans d’études et tout ce que j’ai pu accomplir ici, alors même que mon excellence m’avait permis d’obtenir la bourse du ministère. Je demande par conséquent aux parlementaires ce qui va être mis en place pour corriger ce manque de communication entre les universités et les personnes qui accueillent les étudiants étrangers dans les préfectures. Les conditions d’accueil sont inadmissibles et je me trouve contrainte de faire une demande de régularisation sans même avoir fini mon doctorat. Il est aberrant d’en arriver là pour un chercheur étranger qui a fait toutes ses études en France.
Mme Carole Chapin, Confédération des jeunes chercheurs. En ce qui concerne l’évaluation, il me semble souhaitable d’utiliser les outils qui existent déjà, notamment en matière de ressources humaines au niveau européen. Ont été en effet mis au point une charte et un code de recrutement des chercheurs, lesquels permettent d’obtenir un label d’excellence qui s’inscrit dans une véritable stratégie de ressources humaines. S’inspirer des bonnes pratiques qui ont cours ailleurs permettrait de répondre à l’exigence d’amélioration de la situation des personnels, tout en participant à la réflexion générale sur l’évaluation.
M. Jean-Louis Fournel, professeur à l’Université Paris VIII, membre de l’association SLU « Sauvons l’université ». S’agissant de l’AERES, qu’il me soit permis de dire de manière un peu provocatrice que l’on ne tire pas sur une ambulance ! Cependant, la plupart des collègues ne sont pas d’accord avec les modes de fonctionnement de l’agence. Pour la notation, nous avons à faire à des gens qui sont nommés dans des processus de cooptation dont l’opacité le dispute à la non transparence et qui fonctionnent sans critères précis, sur la base de quotas. L’idée d’une agence chargée de fournir une méthode et des critères me semble donc de salubrité publique.
Comme cela a été dit, l’ANR fabrique de la bureaucratie. Cette
re-bureaucratisation est particulièrement chronophage, avec la constitution de structures dont la seule nécessité nous semble être, à certains moments au moins, de perpétuer dans leur être. Nous avons fabriqué un corps d’évaluateurs dont c’est la mission principale et qui, à terme, ne sauront plus faire que cela.
J’observe enfin que l’argent dévolu à l’ANR n’est pas mis ailleurs, de même que celui du crédit impôt-recherche – qui ne figure malheureusement pas au programme de cette table ronde.
Les meilleures intentions du monde n’aboutiront à rien si nous n’avons pas une vision globale. Il convient notamment de ne pas laisser perdurer la distinction entre l’université de premier cycle et l’université masters doctorats à partir du bloc -3/+3. Cela pose la question de la nature de l’université et du moment où elle démarre vraiment.
M. Michel Pierre, SNTRS-CGT. La résorption de la précarité est une question centrale pour l’avenir du système de recherche français. Les différents rapporteurs des Assises ont mis en évidence l’existence d’un lien très clair entre la montée du mode de financement par contrats et la précarité, chaque contrat étant assorti de CDD. Si l’on veut vraiment s’attaquer à la précarité, le Parlement va devoir faire un choix entre le financement par contrat et le mode récurrent.
Ce n’est pas une question d’argent mais un problème essentiellement politique. Pour en avoir discuté avec Mme la ministre, on voit bien la difficulté pour les gouvernements successifs d’accepter l’idée de titulariser les titulaires de doctorat. Mme Fioraso nous l’a encore refusé il y a une semaine.
Persister dans cette voie serait extrêmement grave pour la recherche car l’on voit fleurir des idées comme le contrat de mission, que le MEDEF appelle plus clairement le contrat de chantier ! Ce n’est pas un CDI mais un CDD à durée variable, ce qui permet de pérenniser la précarité à long terme. Comme la plupart des organisations syndicales, la CGT refuse cette évolution qui serait très préjudiciable au statut de fonctionnaire.
Nous demandons que ceux qui sont éligibles à la loi puissent être titularisés, notamment les docteurs, et que le recrutement se fasse au plus près de la thèse de manière à ne pas reconstituer des viviers de non titulaires. Enfin, on ne liquidera pas la précarité si le Gouvernement ne conduit pas un plan de développement de l’emploi scientifique décliné sur plusieurs années.
M. Gilles Dowek, INRIA. Beaucoup se demandent s’il faut supprimer ou maintenir les agences d’évaluation, ne garder que l’une ou l’autre, etc. Je suggère de prendre un peu de recul en se posant la question centrale de ce qu’on évalue. Il y a deux réponses possibles : soit on évalue la recherche effectuée – par exemple dans les quatre dernières années –, soit on évalue l’intention de recherche dans les quatre ans qui viennent, comme cela se pratique avec l’ANR. De mon point de vue, l’évaluation des intentions n’a aucune valeur. Il me semble important de garder en tête que la seule chose que l’on peut valablement évaluer, quel que soit le mode d’organisation retenu, ce sont des faits.
Mme Laure Villate, coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je précise que notre coordination ne représente pas que les chercheurs, car il y a aussi des ITA précaires, et pas seulement les jeunes puisqu’il y a malheureusement aussi des précaires plus âgés. La précarité est souvent qualifiée à juste titre de problème majeur dans l’enseignement supérieur et dans la recherche et elle est enfin présente aujourd’hui dans les débats. Depuis le début de notre mouvement et récemment encore aux Assises, nous sommes surpris de constater que la situation reste cependant sous-évaluée. Il est par contre admis qu’elle pose des problèmes dramatiques et que les solutions ne sont pas simples. Cette compassion nous touche beaucoup mais vous comprendrez bien que nous avons surtout besoin de solutions concrètes. Il nous est répété à l’envi que les précaires paient les pots cassés de la gestion des générations précédentes et que l’on ne peut pas trop les aider car cela pourrait nuire à la génération suivante… C’est pourquoi nous sommes souvent désignés sous la jolie expression de « bourrelets », ce qui est parfaitement inadmissible. Nous nous considérons plutôt comme une génération sacrifiée et il est temps que chacun prenne ses responsabilités.
Nous demandons par conséquent la création de 5 000 postes par an sur cinq ans car nous savons que l’argent est là et qu’il s’agit avant tout d’une question de priorités. Nous demandons aussi l’application de la loi Sauvadet pour tous les agents qui y sont éligibles, sans bien sûr que les postes ainsi ouverts ne soient prélevés ailleurs. Nous demandons une augmentation du financement des doctorants en SHS. Enfin, des mesures d’urgence doivent être prises pour stopper immédiatement le « dégraissage » massif des CDD qui a lieu quotidiennement dans les laboratoires, au profit d’une reconduction des contrats de tous les agents qui possèdent un financement.
M. Jacques Drouet, SNPTES-UNSA. L’emploi scientifique est en danger et cela entraine des pertes de compétences et de savoirs faire absolument dramatiques. Cette situation résulte de plusieurs facteurs. D’abord, le taux d’encadrement en personnels ingénieurs et techniciens est trop faible. Ensuite, nous sommes confrontés à des départs en retraite massifs de personnels porteurs de compétences pointues et spécifiques. Quant au recours à l’emploi précaire, il a augmenté dans des proportions inacceptables, à la fois pour compenser le déficit en personnel d’encadrement technique et pour s’inscrire dans la logique des contrats ANR. Enfin, comme l’ont souligné Serge Haroche et Jean-Louis Touraine, l’emploi scientifique souffre aussi d’une image négative et d’un défaut d’attractivité.
Nous proposons d’améliorer le taux d’encadrement des personnels techniques pour l’amener au niveau des standards internationaux, ce qui nécessite un plan de recrutement ambitieux et novateur. Parallèlement, il convient de renforcer une formation continue de haut niveau associant universités et EPST. La formation continue diplômante avec accès au doctorat doit également être favorisée, via notamment une meilleure VAE. Les statuts doivent être revisités pour rendre les carrières plus attrayantes et les passerelles entre universités et organismes de recherche facilitées. Enfin, il est important de susciter l’intérêt des lycéens et étudiants pour les carrières scientifiques en renforçant l’information de ces publics grâce à l’implication directe des personnels de la recherche.
M. Romain Gallet, coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. En biologie, la loi Sauvadet n’a permis de « CDIser » qu’une soixantaine de personnes sur un total de 50 000, puisque c’est bien de 50 000 précaires qu’il s’agit et nous tenons à votre disposition tous les chiffres nécessaires pour en attester. Si l’efficacité de cette loi a été pour le moins limitée, ses conséquences ont été désastreuses dans la mesure où elle crée plus de précarité qu’elle n’en résorbe. Non contents de ne pas avoir « CDIsé » leurs personnels précaires, les EPST tels que l’INRA ou le CNRS ont sur-réagi en diffusant une circulaire limitant leur contrat à trois ans, ce qui représente un temps beaucoup trop court pour être titularisé, même si l’on prône aujourd’hui la titularisation au plus près de la thèse. S’allongeant chaque année, l’âge moyen de recrutement au CNRS est aujourd’hui de 34 ans.
Le choix d’une durée de trois ans semble en outre assez arbitraire car si les EPST voulaient se protéger de la « CDIsation », ils nous bloqueraient à 5 ans et 11 mois plutôt qu’à 3 ans. Nous demandons par conséquent officiellement aux EPST de justifier cette politique de blocage des contrats. Le paradoxe est d’aller vers des carrières de plus en plus longues alors que les contrats sont limités à trois ans. Il est donc impossible de résoudre cette équation. Serge Haroche a rappelé ce matin qu’il fallait laisser du temps à la recherche. Laissez-nous le temps de développer nos carrières et de constituer le dossier nécessaire pour être titularisés.
La situation actuelle est intenable et constitue un véritable gâchis pour l’ensemble du monde de la recherche. C’est toute une génération que l’on est en train de sacrifier. C’est pourquoi nous demandons que les circulaires soient retirées et que les contrats financés soient reconduits.
M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises. Je tiens à réagir aux propos qui ont été tenus sur la loi du 12 mars 2012. Ce qui manque, c’est son financement et ce qui a été obtenu récemment par le Gouvernement, soit la possibilité de financer la grande majorité des personnels éligibles au dispositif sur quatre ans, constitue une véritable avancée. Le processus de titularisation ou de « CDIsation » se joue sur quatre ans et il est donc trop tôt pour en dresser le bilan. La ministre a obtenu la possibilité de titulariser 2 000 personnes par an sur quatre ans et cela correspond à un très bon résultat. Je ne puis par conséquent laisser dire que la loi du 12 mars n’est pas mise en œuvre et qu’elle restera sans résultats. Par ailleurs, demander plusieurs années pour se constituer un dossier complet entre en contradiction avec la revendication du recrutement au plus près de la thèse. Le sujet est compliqué et je trouve qu’il n’est pas résolu par ces observations.
Mme Marie-Bernadette Albert, Sud recherche EPST. Pour résoudre la précarité qui s’est accumulée au cours des années, il convient d’accomplir un gros effort en termes de postes, sinon l’on n’y arrivera pas. Je m’inscris en faux contre ce qui a été dit : sans postes supplémentaires, la loi Sauvadet n’est pas applicable et l’on va sacrifier soit les titularisations soit le remplacement des départs. Chacun sait qu’il manque aussi de la masse salariale pour recruter, dans les organismes comme dans les universités. Il y a aujourd’hui des emplois fictifs non financés dans les organismes et dans les universités, ce qui est proprement scandaleux. Au-delà, il faut créer des emplois pour ne pas reconstituer la précarité que nous connaissons aujourd’hui sur le long terme.
Le financement sur projet doit être supprimé car il n’y a aucune raison que les CDD soient soumis à un turn-over excessif. Nous avons besoin de leurs compétences au-delà de la durée de tel ou tel projet et, dans la mesure où ils font le même travail, ils doivent accéder au même statut que les titulaires. Toute forme de discrimination envers les plus jeunes est inadmissible et l’idée de limiter à 30 % le nombre de CDD au titre de l’ANR est pour nous inacceptable. Cela revient à dire que l’on pourrait se satisfaire d’avoir en permanence 30 % de précaires dans la recherche. Il faut en terminer avec le paiement à l’acte et renoncer à l’artifice du financement sur projet. Tous les crédits – CIR, ANR… – doivent repasser dans le budget des organismes et des établissements d’enseignement supérieur pour pouvoir financer des emplois de titulaires.
M. Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES-UNSA. Bien que cela n’ait été qu’effleuré, les Assises doivent être l’occasion de repenser les statuts des personnels. S’agissant des BIATSS, nous sommes confrontés à des choix qui ne peuvent plus être différés. Veut-on de grandes filières interministérielles dans lesquelles nos métiers spécifiques – documentation, administration, ingénierie, technicité – soient noyés dans une masse indifférenciée ? A l’inverse, nous proposons une filière unique enseignement supérieur et recherche, sur le modèle du statut ITA des EPST. Cela permettrait de passer de 25 corps à 4 dans l’enseignement supérieur. Quant à la gestion des ressources humaines, elle doit rester du ressort des établissements.
Toutes ces propositions ont déjà été émises, dans le cadre du colloque de la CPU de 2003 ou du rapport Schwartz de 2007. Il est temps d’organiser cette unicité de statut et la proposition n° 97 du Comité de pilotage doit passer du questionnement à l’affirmation.
M. Henri Audier, SNCS-FSU. Il y a dans le très bon rapport de Vincent Berger un magnifique tour de passe-passe qui consiste à assimiler le financement sur projet à l’ANR. Au vrai, on a besoin de financements sur projet et on n’a pas besoin d’ANR. Le financement sur projet a ses lettres de noblesse. Il a permis de créer des disciplines entières dans les années 1960. Les programmes interdisciplinaires de recherche du CNRS et le Fonds national de recherche technologique ont fait coopérer des laboratoires publics et des laboratoires privés. Il importe de savoir pourquoi l’on crée des financements sur projet. On n’a pas besoin de projets blancs. Les bons projets, les projets originaux sortent de bonnes équipes, bien évaluées. Sinon, on tombe dans l’effet de mode et l’on s’expose à des dérives. Déposez un projet risqué et vous êtes sûr d’être refusé ! Se posent aussi toutes les questions liées aux enjeux sociétaux – santé, urbanisme, etc. En ces matières, la représentation nationale doit décider, puis il appartient aux scientifiques de se donner les voies et moyens d’atteindre les objectifs fixés. Il faut un certain nombre de programmes, puis les organismes et les universités sont capables de les gérer ensemble sans que l’on ait besoin d’ANR. On a par contre besoin d’un instrument de dialogue entre le politique et le scientifique. Enfin, nombre de programmes industriels associent des firmes privées et des laboratoires.
J’insiste sur le fait que le Comité national n’est pas une instance du CNRS mais une instance ministérielle où il y a autant de chercheurs que d’enseignants-chercheurs.
Il n’y a pas identité entre financement sur projet et CDD. À preuve, entre 1997 et 2002, la gauche avait interdit de recruter des CDD sur les contrats publics. C’est donc après que la précarité a commencé de se développer.
Mme Heidi Charvin, SNESUP-FSU. Mon intervention portera sur la recherche en SHS. Nombre de responsables politiques et de chercheurs estiment que la recherche en SHS n’apporte rien sur le plan économique, dans la mesure où l’on ne produit pas de brevets ou d’éléments quantifiables. S’agissant des recherches sur la maladie d’Alzheimer portant sur les aspects psychologiques et comportementaux, nous œuvrons cependant à retarder l’entrée à l’hôpital ; or un an d’hospitalisation pour une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer coûte 55 000 euros et à l’échelle de 880 000 patients, ce sont 4,5 milliards d’économisés en santé publique et privée. Je pourrais parler aussi du tourisme, du cinéma, de la littérature, qui produisent également, au plan économique et social, des ressources non négligeables pour notre pays.
À l’origine, l’ANR ne consacrait que 2 % de son budget aux SHS ; aujourd’hui, cela n’a que très peu évolué puisque l’on a inséré dans les projets blancs les nanotechnologies et d’autres domaines de recherche en vue de gonfler artificiellement l’enveloppe. Nous nous battons par conséquent pour des financements pérennes, importants tant pour les SHS que pour la recherche fondamentale. Les 4,7 milliards du CIR vont à la recherche appliquée, de même qu’une bonne part des crédits ANR. Aujourd’hui encore, il n’est question que de reverser 73 millions vers les financements pérennes, ce qui est largement insuffisant.
M. Jean-Luc Antonucci, FERC Sup CGT. Si l’on en croit tout ce qui s’est dit au cours de la journée, il semble bien qu’il faille que le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur soit placé au cœur du dispositif qui va être construit. Au-delà des Assises, il faudra donc que le ministère accepte d’engager des négociations directes avec les organisations syndicales pour faire le bilan des conséquences de la loi LRU et de l’accession aux responsabilités des personnels, titulaires et précaires. Du fait de l’élargissement des compétences attendues, la gestion de la masse salariale est une question centrale. Cela représente aujourd’hui la seule marge de manœuvre des universités pour rester maîtresses de leur politique financière. Le mot d’ordre unique de réduction de la masse salariale vise à réaliser des économies d’échelle, à travers les politiques de regroupement tous azimuts. On parle de fusion, d’universités fédérales et confédérales ou même de communautés d’universités. Même si la loi LRU, avec l’éclatement du système, fait que le mouvement est diffus et difficilement perceptible, c’est bien un plan social d’ampleur nationale qui est aujourd’hui à l’œuvre. Cela entraine des situations de travail pathogènes dont les syndicats sont les témoins dans nos établissements. Bien que l’on en parle peu, le malaise et la souffrance au travail tendent à s’accentuer et l’on a même eu à déplorer tout récemment un suicide, à Rennes. C’est pourquoi nous interpellons la représentation nationale. Derrière toutes les restructurations que vous allez imaginer et mettre en œuvre, n’oubliez pas que ce sont des femmes et des hommes qui sont concernés et que tout doit être fait pour qu’ils ne soient pas broyés par le système.
M. Joan Cortinas Munoz, Coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je me permets de rebondir sur les propos de M. Berger car ils me donnent à penser que nous n’avons pas assez précisé nos revendications. Pour nous, la loi Sauvadet existe et elle doit être appliquée. Parallèlement, nous demandons la création de 5 000 postes de titulaires toutes catégories confondues pendant 5 ans, ainsi qu’une augmentation des financements pour les doctorats en SHS. C’est une question de choix politique plutôt que de moyens puisque l’on a financé jusqu’à 6 000 CDD par an alors que nous demandons la création de 5 000 postes, ce qui coûterait 250 à 300 millions d’euros par an. Parmi toutes les ressources potentielles, n’oublions pas non plus les 5 milliards du CIR.
M. Guillaume Robert, Coordination nationale des précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche. Comme cela a été dit précédemment, nous en sommes arrivés à une situation ubuesque où, après trois ans de contrat, les agents des laboratoires ne peuvent avoir ni CDD, ni CDI, ni poste de titulaire compte tenu du nombre très restreint de postes ouverts au concours – trois dans ma spécialité au niveau national. La non reconduction de nos contrats survient alors même que l’argent est disponible et que les directeurs de laboratoire sont pleinement satisfaits de nos travaux. Serge Haroche parlait ce matin de confiance : nos chefs d’unité ont confiance en nous, pourquoi n’en est-il pas de même de la part des autres acteurs ? Quel est le message qui nous est envoyé, à nous, chercheurs, ITA et étudiants de laboratoires, au travers de politiques d’établissement qui ignorent nos problèmes ? Après dix ans de bons et loyaux services, la seule solution qui nous est souvent proposée est de nous mettre au chômage. L’État doit se montrer exemplaire au travers de ses EPST. On ne peut pas fustiger les entreprises en leur reprochant de licencier massivement alors que l’État lui-même est prêt à livrer à leur sort 50 000 précaires dans les établissements. C’est une catastrophe et un gâchis, tant pour les personnels hautement qualifiés de plus de 35 ans que pour les étudiants que nous encadrons. Il est évident qu’il faut favoriser la réussite des étudiants mais cela consiste-t-il à les envoyer dans l’impasse ? Pour nous, la réussite passe aussi par l’accès à l’emploi.
M. Jean Orloff, vice-président de la CP-CNU. Mon intervention porte sur l’évaluation récurrente des enseignants-chercheurs, au sujet de laquelle nous avons organisé une large concertation au sein des 52 sections qui composent le CNU. 1 300 représentants des 48 000 enseignants chercheurs y ont activement participé et le CNU s’est prononcé contre l’évaluation individuelle, systématique et récurrente. Cette prise de position n’est pas due à une quelconque incapacité du CNU de mener une telle évaluation ni à un refus des enseignants-chercheurs de s’y soumettre. Au reste, les évaluations à finalité bien définie ne nous posent pas problème. Ce qui est rejeté, c’est l’évaluation pour l’évaluation, dans une logique de contrôle des personnes, et, peut-être, de la masse salariale, en lien avec le décret statut de 2009. Je mets en garde contre la méfiance qui subsiste chez les enseignants-chercheurs vis-à-vis de l’évaluation sans finalité.
Vincent Berger a parlé de sincérité dans son introduction. Si les finalités de l’évaluation récurrente sont de soutenir et d’aider les personnels, ces évaluations doivent être à l’initiative des enseignants-chercheurs car nous refusons toute forme d’évaluation sanction.
L’évaluation pourrait par exemple avoir lieu à l’occasion d’une demande de congé sabbatique. Actuellement, les enseignants-chercheurs peuvent prendre une année sabbatique en moyenne tous les 400 ans, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas abusif !
M. Jean-Yves Le Déaut. Sans rouvrir le débat, je vous fais observer que nombre d’enseignants-chercheurs ont regretté que l’évaluation ne se fasse que sur la recherche. Vous êtes enseignant-chercheur et, finalement, toute votre carrière est évaluée sur votre activité de recherche. Depuis le premier rapport sur le sujet que j’ai fait avec Pierre Cohen, tous ont demandé que l’on puisse évaluer la totalité des missions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Alors que les étudiants le souhaitent, ainsi qu’un certain nombre d’organisations, comment peut-on dire que l’on n’évalue pas l’enseignement tout en demandant que cette activité soit prise en compte dans l’évaluation globale du scientifique ? On ne peut pas dire ce que vous dîtes et demander en même temps l’évaluation de toutes les missions de la recherche.
Mme Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France, vice-présidente de l’Association des régions de France (ARF). Je reviens sur la simplification : nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut plus de financements récurrents et que les financements sur projet doivent être clarifiés et simplifiés. Cela ne signifie pas qu’il faille aller vers un guichet unique – même si le terme n’était pas tabou en 2004 – mais plutôt vers une coordination des guichets. L’épuisement du milieu de la recherche tient aux faits que le financement intervient sur projet et que les projets déposés obéissent à des contraintes administratives à chaque fois extrêmement lourdes et à chaque fois différentes. Qu’il s’agisse de ceux de l’ANR ou de ceux des régions – qui veillent, je l’indique au passage, à la préservation de la qualité de l’emploi scientifique et à la maîtrise de la précarité –, les guichets doivent être articulés. Il faut aussi prendre en compte le guichet européen. Alors que nous traversons une période relativement « contrainte » pour les deniers publics, la ministre a rappelé que nous restions dans une sous-capacité d’aller chercher des financements européens. Il est urgent de s’organiser collectivement pour essayer d’être plus efficaces quant aux financements européens.
Je reviens d’un mot sur l’évaluation. Les régions financent la recherche par des appels d’offres et il faut leur demander d’être elles aussi exemplaires en termes d’évaluation. Elles doivent mettre en place un conseil scientifique régional, les procédures doivent être transparentes et il faut installer des instances de concertation avec le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il ne faut plus confondre les fonctions comme on le fait actuellement.
M. Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS, directeur à l’INSERM. J’insiste sur un mot : la cohérence. Nous avons aujourd’hui le pire des systèmes bureaucratiques avec un mille-feuille bien à la française de tous les systèmes, sans même les avantages d’un système néo-libéral dans lequel on se contenterait de recenser les publications et de répartir les crédits en fonction.
Il est inexact, monsieur Touraine, de dire que les métiers de la recherche ne sont pas attrayants. S’ils ne l’étaient pas, nous n’aurions pas de 20 000 à 50 000 précaires ! En outre, nos laboratoires attirent beaucoup de chercheurs étrangers, doctorants et post-doctorants. Nous publions dans les meilleures revues internationales, notre recherche est de haut niveau et notre pouvoir d’attraction est intact.
Et puis, pas de déni de réalité. Il est des lieux où l’AERES pouvait avoir son utilité parce que l’évaluation y était mal faite. Dans d’autres, comme dans certains instituts prestigieux, l’AERES n’est vouée qu’à jouer un rôle d’accréditation et de validation. Il faut respecter les différents secteurs de la recherche : la biologie ne fonctionne pas comme les mathématiques ni les SHS comme la biomédecine. Les différents niveaux de l’évaluation des différents acteurs doivent aussi être respectés. L’ensemble doit être appréhendé comme un système cohérent et non comme l’empilement du pire de chaque bribe de systèmes empruntés ailleurs.
M. Jean-Louis Touraine. Un mot pour lever toute confusion. Lorsque je parle de défaut d’attractivité des carrières scientifiques, je m’appuie sur des chiffres. La proportion des lycéens de haut niveau qui se destinent aux filières scientifiques diminue depuis plusieurs années et l’organisation même des carrières scientifiques est devenue moins attrayante. Cela ne signifie pas pour autant que ces carrières soient délaissées et vous avez eu raison de rappeler qu’un trop grand nombre de personnes se retrouvaient dans des situations de précarité.
M. Marc Neveu, SNESUP. Ce matin, les premiers mots de M. Haroche ont été « temps long » et « confiance ». Et ce sont en effet les éléments qui militent pour les soutiens de base comme sources de financement principales de l’activité de recherche, les financements sur projet ne pouvant venir qu’en complément dans le cadre d’une stratégie nationale de recherche élaborée démocratiquement avec la communauté scientifique.
Isabelle This Saint-Jean se déclare en accord avec l’idée de crédits de base, la question étant de savoir quelle proportion des fonds dévolus à l’ANR revenait vers la Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES). S’il s’agit seulement des 73 millions inscrits dans le PLF pour cette année, c’est bien évidemment insuffisant et le curseur doit aller beaucoup plus loin puisque les crédits de base doivent constituer la source de financement principale. Ce ne sont donc pas 10 % des crédits affectés à l’ANR qui doivent passer à la MIRES mais leur quasi-totalité.
Je ne reviens pas sur le débat entre « programmes blancs » ou pas. Il faut des financements récurrents suffisants pour qu’il y ait recherche fondamentale. À l’ANR, nombre de financements étaient accordés sur des projets qui existaient déjà et avaient fait leurs preuves, l’innovation risquant de passer à la trappe.
Pour ce qui concerne l’évaluation a posteriori, il est bien évident que l’activité de l’AERES ne nous satisfait pas. La communauté scientifique fait confiance aux instances légitimes que sont le Comité national et le CNU, car celles-ci sont majoritairement composées d’élus totalement indépendants des pouvoirs locaux – qu’il s’agisse des universités ou des organismes – et du gouvernement. Nous demandons par conséquent que l’évaluation soit menée par une structure issue du Comité national et du CNU.
M. Philippe Gambette, maître de conférences à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée. Mon intervention porte sur l’accueil des chercheurs étrangers non européens non permanents dans nos laboratoires, lequel doit être selon moi amélioré par la voie législative. Ces chercheurs apportent manifestement beaucoup : leur ouverture, leur curiosité, les compétences acquises dans leur pays, leurs réseaux scientifiques, enfin, mais seulement s’ils ont été satisfaits de leur accueil en France. L’objectif n’est pas forcément d’accueillir beaucoup de jeunes chercheurs étrangers mais de leur offrir de bonnes conditions de travail. La procédure « scientifique chercheur » mise en place en France en 1998 et en Europe depuis 2005 présente aujourd’hui encore des biais d’attractivité. S’il consulte les sites Internet des ambassades ou des préfectures, un jeune chercheur souhaitant faire une thèse en France ne trouve aucune information sur cette carte de séjour. En outre, s’il vient en France, il doit la faire renouveler annuellement, même s’il dispose d’un contrat de trois ans. Enfin, le dernier jour de son contrat de travail coïncide avec le dernier jour de validité de sa carte de séjour. Il se voit donc prié de quitter la France à ce moment-là alors que, avec d’autres cartes de séjour, il est possible de rester en France pour chercher son emploi suivant. Au surplus, les cotisations qu’il a acquittées pendant trois ans ne lui ouvrent aucun droit à l’allocation au retour à l’emploi. Il convient donc de réformer le code de l’entrée et du séjour des étrangers et le code du travail pour améliorer cette situation.
Une doctorante. Au risque de passer pour le mouton noir, je tiens à porter témoignage de la situation d’une doctorante en train d’achever son doctorat. Même si je souhaite de tout mon cœur travailler dans la recherche fondamentale publique, je ne puis que constater que les postes disponibles ne suffiront pas pour absorber tous les doctorants qui vont être diplômés et je trouve très dommage que la recherche privée n’ait pas été associée aux Assises car elle offre aussi des débouchés. Il faut renforcer les liens entre les universités et les entreprises, tant pour résorber la précarité que pour doter la France d’une recherche encore plus performante.
M. Pierre Tapie, président de la conférence des grandes écoles. Dans cet atelier, nous avons parlé longuement de statut, de précarité, d’organisation et d’évaluation. Je voudrais aborder très rapidement la question macro. S’agissant des grandes écoles, nous avons le sentiment que la France décroche. Entre 2000 et 2010, la France n’a consacré que 2,2 % de son PIB à l’effort de recherche, cependant que la Finlande passait de 3,3 % à 3,9 %, la Corée de 2,4 % à 4 % - et elle annonce qu’elle va passer à 7 % ! - et les États-Unis de 2 % à environ 3 %. Notre investissement par étudiant nous place au 15ème rang des pays de l’OCDE et, comme le rappelait ce matin Serge Haroche, le salaire mensuel net d’embauche d’un maitre-assistant à l’université ou celui d’un CR2 est équivalent à celui du titulaire d’un CAP dans un secteur en tension, soit 1 700 euros. La question est donc simple : où seront, dans trente ans, les médailles Fields et les prix Nobel ?
Beaucoup d’étudiants brillants quittent le territoire et c’est la raison pour laquelle la Conférence des grandes écoles considère que la France peut investir un point de plus de son PIB en dix ans, en investissant chaque année un pour mille supplémentaire de son PIB. Un pour mille, cela signifie qu’une famille disposant de 4 000 euros mensuels accepte de détourner 4 euros de son pouvoir d’achat. Le financement du 1 % de PIB supplémentaire pourrait être réparti entre l’État, les entreprises, les étudiants étrangers et les diplômés français. Nous avons fait des propositions très précises à ce sujet et je dis un peu solennellement à la représentation nationale que si l’on ne se saisit pas de ces questions, la recherche et l’enseignement supérieur français ne seront pas demain ce qu’ils sont aujourd’hui.
M. Georges Gouriten, membre du conseil d’administration de l’Institut Mines Télécom. Le débat sur l’évaluation est peut-être mal posé et je considère qu’il serait plus constructif de parler d’accompagnement du changement dans nombre d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche français. Comme le disait l’orateur précédent, beaucoup de profils brillants quittent le pays, et ce n’est pas seulement une question de salaire. Entrent aussi en ligne de compte l’ambiance et l’atmosphère de travail.
S’agissant de l’évaluation du contenu de la recherche, il existe des outils très précis comme le système de publications internationales, censé valider la qualité des travaux. Dès lors, est-il besoin de recréer un nouveau dispositif ? L’évaluation répond à de vrais besoins organisationnels et en termes de gestion. Il faut aider les établissements à s’adapter aux nouvelles pratiques de gestion et aux évolutions de capacités. Les étudiants sont-ils satisfaits de leur formation ? Les enseignants-chercheurs ont-ils de bonnes conditions de travail ? Telles sont les questions concrètes qu’il faut se poser en vue d’accompagner les structures dans leur démarche d’amélioration.
M. Patrick Monfort, SNCS-FSU. Je rebondis sur ce qui a été dit à propos de l’investissement dans la recherche en proportion du PIB. Si le processus parlementaire qui va s’engager ne conduit pas à une loi de programmation, nous irons dans le mur quelles que soient les réformes envisagées. La précarité met en cause toute la problématique de l’emploi scientifique. Nous allons perdre de l’emploi scientifique car, pour résorber la précarité, on ne prévoit pas d’augmenter le nombre d’emplois mais de diminuer les CDD, ce que, du reste, tout le monde souhaite. Et il ne suffit pas de transférer les fonds de l’ANR pour garantir des financements récurrents. Ce qui est essentiel, c’est d’augmenter le budget global de la recherche. Nous ne demandons pas la suppression de la recherche sur projet car elle a son utilité mais il ne faut pas qu’elle prenne le pas sur les financements à partir de fonds récurrents. Une loi de programmation doit accompagner la réforme qui vient. À défaut, nous n’aurons aucun moyen de l’appliquer.
M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’OPECST. Je tiens à vous remercier d’avoir participé à ce débat très intéressant, qui témoigne d’une démarche originale. Nous avons en effet tenté, après la tenue des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, de relever les points de consensus et les points sur lesquels il conviendrait, dans le cadre d’une loi d’orientation, de modifier notre législation. Aujourd’hui, se sont exprimés huit représentants des Assises, dont son rapporteur général et sa présidente, onze parlementaires et 130 intervenants. Sur 294 personnes inscrites, 245 se sont déplacées.
Il était important d’intégrer une mission parlementaire à la discussion. On nous reproche souvent que les lois ne soient pas suffisamment discutées en amont du processus législatif, qu’elles soient imposées et discutées au niveau parlementaire, et que les réunions de commissions soient trop brèves. Le temps de la recherche n’est pas suffisamment long, a dit l’un d’entre vous. Mais le temps parlementaire est lui-même très court.
Vous avez indiqué que, dans notre pays, le système de l’enseignement supérieur et de la recherche était complexe, au point d’en devenir opaque et illisible. Plusieurs réformes ont cherché à y remédier. Mais leur efficacité prête à débats car les choix ont parfois été trop tranchés, trop inspirés d’exemples étrangers ne correspondant pas à notre culture – par exemple, transposer en France des modèles de financement anglo-saxons n’est pas toujours possible ni souhaitable. On n’a pas choisi entre les systèmes, on les a additionnés. Il en résulte des incohérences. La France a ainsi inventé la « géologie politique », consistant à accumuler de nouvelles strates législatives et réglementaires sans leur donner la cohérence souhaitable avec les textes précédemment votés.
Les décisions passées ont non seulement conduit à un « mikado institutionnel », selon l’expression utilisée lors des Assises territoriales d’Alsace et reprise par Vincent Berger, mais elles ont aussi créé, dans certains domaines, de véritables bombes à retardement. Je pense en particulier à la situation des personnels précaires. Soyons lucides, on ne pourra pas résoudre le problème en créant pour eux 5 000 postes par an. Reste que nous allons devoir nous attaquer à certaines situations d’urgence.
Il nous faut répondre à des inquiétudes légitimes, comme celles qui se sont exprimées tout à l’heure sur le contenu de l’autonomie des universités – je vous ferai une ou deux propositions à ce sujet. Il nous faut lever les malentendus. Ainsi, au cours des Assises territoriales, certains ont affirmé que tout était déjà bouclé. Or ce n’est pas le cas, comme l’a dit Vincent Berger. C’est la discussion qui nous permettra de trouver ensemble des solutions.
Les travaux des Assises ont révélé une convergence d’idées autour de plusieurs grands principes – l’État stratège, la démocratisation et la diversification de l’accès à l’enseignement supérieur. Si nous arrivions à les décliner, nous pourrions déjà progresser. Mais le cadre général étant tracé, je voudrais reprendre quelques-uns des points soulevés aujourd’hui à l’occasion de ces quatre tables rondes : la répartition des compétences entre l’État, les régions et les établissements ; l’exercice de la tutelle ; la démocratisation de la gouvernance, le contenu de l’autonomie et son financement.
Premièrement, les compétences peuvent être réparties de manière différente, mais il faudra partir d’une redéfinition des compétences de l’État. Si j’en crois plusieurs déclarations, certains craignent que l’État ne veuille se débarrasser de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais il n’en est pas question. Nous souhaitons que l’enseignement supérieur et la recherche – et à travers elle, l’innovation et la création de nouvelles filières – restent une compétence nationale et que l’État en fasse sa première priorité. Nous devons l’expliquer à la classe politique française.
Il n’y a pas de régionalisation rampante de l’enseignement supérieur et de la recherche, ni d’agenda caché. Les régions ne le souhaitent pas. Elles n’en auraient d’ailleurs pas les moyens et cela les placerait dans une situation d’inégalité les unes par rapport aux autres.
Deuxièmement, la tutelle devra être réformée. Notre système est en effet complexe. Mais quand on parle d’État stratège, on sous-entend qu’il y ait un pilote. Le pilote de l’enseignement supérieur et de la recherche doit être le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, même si d’autres ministères ont un rôle important à jouer, notamment en matière de formation. Je pense aux ministères de la santé, du travail, de l’agriculture et de la défense. Nous devons réussir à piloter ensemble.
Troisièmement, la loi LRU a profondément transformé la vie de nos universités. Malheureusement, la façon dont elle a été appliquée n’a pas permis d’aller au bout de ce que devait être l’autonomie. On a délégué tous les pouvoirs au président et au conseil d’administration, au détriment du conseil scientifique et du conseil de la vie universitaire.
(M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’OPECST, accueille Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale.)
Le quatrième et dernier point que j’aborderai est celui de la gouvernance. Les étudiants veulent être mieux représentés, les doctorants et les post-doctorants veulent l’être. Mais il me semble également important que les grands organismes de recherche, quand ils sont présents dans les universités, soient représentés dans les conseils d’université, ainsi que l’État, les personnalités extérieures, les régions et les collectivités territoriales, à partir du moment où elles jouent un rôle dans l’enseignement supérieur.
Certains souhaitent que les personnalités extérieures ne votent pas. Il est évident que si c’est le président qui nomme les personnalités extérieures, il peut organiser son élection ; si c’est l’ancien président qui les nomme, il peut organiser les élections de son successeur. Mais comme ces personnalités doivent être issues du monde patronal, syndical et des universités étrangères, ne pourrait-on pas demander aux comités économiques et sociaux régionaux de se prononcer, à partir d’une liste établie par le conseil d’administration de l’université ? Ce serait le moyen de régler un problème politiquement sensible. En tout cas, je vous suggère d’y réfléchir.
Certains ne souhaitent pas la conclusion de contrats tripartites entre l’État, les régions, et les universités autonomes. Il n’empêche qu’aujourd’hui, hors frais de personnel, 30 % des frais de fonctionnement de l’université et de la recherche sont couverts par les régions et les collectivités territoriales.
Nous avons choisi de parler de ce qui relevait de la compétence de l’État et de l’acte III de la décentralisation, dont nous allons discuter à l’Assemblée nationale. Nous avons dit que nous ne souhaitions pas régionaliser l’enseignement supérieur, mais que les régions devaient exercer, en tant que chefs de file économiques, un rôle dans plusieurs domaines : l’innovation et le développement de nouvelles filières, la formation tout au long de la vie, l’apprentissage et la diffusion de la culture scientifique et technique – cela me semblerait particulièrement utile pour combler le fossé que l’on observe aujourd’hui entre science et société. Je pense que l’État sera d’accord pour donner et déléguer aux régions certaines compétences.
Je ne vais pas développer les thèmes abordés par les autres tables rondes – dont Monsieur le Président de l’Assemblée nationale et Madame la Ministre pourront prendre connaissance. Je remarque malgré tout que le problème des précaires est revenu sur le devant de sa scène. Ceux-ci se sont exprimés, certains ont fait des propositions qui seraient difficiles à tenir aujourd’hui. Reste que, dans un certain nombre de cas, il y a urgence et qu’on ne pourra pas mener à bien une réforme de l’enseignement supérieur sans traiter de leur situation.
Comme tout le monde le reconnaît aujourd’hui, l’enseignement supérieur et la recherche sont une priorité nationale. Ce n’en était pas une il y a vingt ans. Pourtant, l’enseignement supérieur et la recherche préparent l’avenir. Et si c’est là une priorité nationale, nous devons faire, pour l’enseignement supérieur et la recherche, ce que nous faisons pour la défense.
D’abord, il faut mener une réflexion stratégique, pour déterminer les grandes orientations de l’enseignement supérieur et de la recherche. Certains ont souhaité que le Parlement prenne une place plus importante dans cette réflexion. Des propositions ont été faites en ce sens.
Ensuite, il nous faut une loi d’orientation, parce que nous aurons à régler des problèmes d’ordre financier, et parce que la recherche et l’enseignement supérieur doivent s’appréhender sur le long terme. D’où l’idée d’un Livre blanc, qui a été reprise par plusieurs intervenants.
Cette loi devra préciser au moins une quinzaine de points, à partir du travail réalisé par les Assises :
- la définition des compétences régaliennes de l’État et ce qui doit être traité au niveau des territoires ;
- le contenu de l’autonomie des universités ;
- la création de nouvelles structures de regroupement d’université et d’écoles, ainsi que la suppression des structures qui ne se justifient plus. Unité ne signifie pas uniformisation ;
- les contrats de site ;
- la répartition entre financements pérennes et financements sur projets ;
- la refondation et la clarification des méthodes d’évaluation ;
- l’affectation des sommes disponibles après les investissements d’avenir ;
- la réforme pédagogique et la rénovation de la licence ;
- la création de passerelles entre formations ;
- l’insertion professionnelle ;
- la résorption de la précarité ;
- la refonte des aides sociale aux étudiants, à laquelle il faut réfléchir sur le long terme ;
- la revalorisation du doctorat, demandée de toute part ;
- la coopération européenne et internationale, l’internationalisation des cursus et le renforcement des coopérations avec les pays du Sud ;
- les rapports entre la science et la société et l’impact du principe de précaution sur la stratégie de recherche et d’innovation.
La tâche du Parlement et celle de l’OPECST sont loin d’être terminées. Aujourd’hui, nous avons essayé d’écouter. Comment ne pas s’enthousiasmer pour une réforme résultant d’une approche originale et s’appuyant sur le travail croisé de la communauté scientifique, du Parlement et du Gouvernement ?
Je remercie Mme la ministre d’avoir développé ce processus des Assises. Nous avons travaillé en amont du travail législatif. Nous aurons demain à discuter la loi. Nous pourrons tous dire, dans quelques années : voici ce qui résulte des travaux auxquels nous avons participé. Ce fut fascinant pour vous, acteurs des Assises, ainsi que pour les parlementaires qui se sont approprié ce sujet avec passion.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Merci à Jean-Yves Le Déaut d’avoir organisé cette journée. Merci à vous tous de vous être mobilisés. On a coutume de dire que l’enseignement supérieur et la recherche ne déplacent pas les foules : vous êtes la preuve du contraire. Je suis très contente de l’intérêt suscité par un sujet un peu à part qui, à en croire d’aucuns, serait monopolisé par quelques parlementaires socialistes. Mais la situation est en train de changer. L’Office – tout comme certains parlementaires passionnés – a sûrement joué un grand rôle dans cette évolution.
Le processus des Assises, dont le rapporteur général était Vincent Berger, et dont Françoise Barré-Sinoussi présidait le comité de pilotage, vient de s’achever. Mais pas le dialogue. Le rapport de synthèse sera remis au Président de la République, en présence du comité de pilotage, par le professeur Barré-Sinoussi. Le chef de l’État a tenu à montrer ainsi son soutien et son adhésion à la démarche qui a été menée et, surtout, à reconnaître toute la place qui est due à l’enseignement supérieur et à la recherche dans le développement et le redressement de notre pays. Cela va de pair avec la priorité que nous accordons à la jeunesse.
Au cours de ces Assises, nous avons pu rétablir le dialogue avec l’ensemble des acteurs, avec toutes les parties prenantes de la recherche et de l’enseignement supérieur. Ce dialogue, parfois animé, a duré cinq mois et a mobilisé près de 20 000 participants sur tous les territoires. 1 300 contributions ont été écrites, 26 rapports territoriaux ont été déposés, une centaine d’auditions nationales ont été réalisées par le comité de pilotage, et une vingtaine de séminaires thématiques ont eu lieu sur les territoires et à leur initiative.
Au cours de cette journée d’audition, vous avez pu reprendre ce dialogue et en mesurer les implications politiques, économiques et sociales. Je n’éluderai aucun sujet, même quand les solutions ne sont pas immédiatement envisageables. Pour autant, de véritables transformations sont en cours. Elles touchent toutes les dimensions du changement que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche souhaite conduire : l’apport de la recherche à la compétitivité de notre pays ; la réussite étudiante, qui est une priorité dans notre ministère ; l’apport primordial des universités, des écoles et des organismes de recherche à l’élévation de la qualification de notre population, à l’emploi, au redressement de notre pays ; l’ouverture des établissements d’enseignement supérieur, des organismes de recherche sur les écosystèmes territoriaux et sur l’Europe, où nous sommes insuffisamment présents, et moins présents qu’auparavant – peut-être à cause de l’avalanche des appels d’offre qui se sont abattus sur les directeurs de laboratoires et les responsables de projets. Il nous faut revenir à l’Europe si nous voulons acquérir la masse critique nous assurant une meilleure visibilité à l’international.
Face à l’urgence, j’ai lancé plusieurs actions visant à améliorer l’orientation, notamment celle des bacheliers professionnels et technologiques. Les responsables des filières sections de techniciens du supérieur (STS) et des IUT auxquels je me suis adressée ont été quelque peu surpris, voire déstabilisés. Mais comment accepter que des bacheliers professionnels ou technologiques se retrouvent à l’université, non pas par choix mais par défaut, parce qu’ils n’ont pas pu intégrer les filières STS et les filières des IUT ? De fait, un bachelier professionnel court sept fois plus de risques de connaître un échec en licence qu’un bachelier d’un bac généraliste.
Il était essentiel que nous retrouvions en amont cette orientation vertueuse, garante de la réussite pour tous, d’autant que nous savons que, parmi les bacheliers des filières technologiques, et surtout parmi ceux des filières professionnelles, il y a davantage de jeunes issus des catégories les plus modestes. Il ne s’agit pas de les cantonner dans les filières courtes. Nous avons d’ailleurs proposé de multiplier les passerelles, après l’obtention d’un DUT ou d’un BTS, pour que ceux qui le souhaitent et le peuvent rejoignent des filières plus longues.
J’ai engagé un rééquilibrage entre les financements récurrents et les financements sur appels à projet. La nouvelle programmation adoptée le 14 novembre dernier par le conseil d’administration de l’ANR en témoigne. Là aussi, les habitudes ont été modifiées. J’ai voulu envoyer un signal fort, à savoir que nous voulions respecter le rythme d’une partie de la recherche, qui a besoin d’un temps long et qui a besoin d’être préservée de l’éternelle course aux financements. Il faut sanctuariser la recherche fondamentale, parce qu’elle est à l’origine de tous les ressourcements de la recherche et de toutes les innovations de rupture. Ces dernières, non seulement améliorent notre vie sur la planète, mais ont un retour sur investissement en termes d’emplois bien plus important que les innovations incrémentales, suscitées davantage par les recherches partenariales et les recherches technologiques.
Il convenait de redonner confiance et sérénité à la recherche fondamentale, d’autant que ses chercheurs se trouvaient confrontés à des appels d’offre pour lesquels ils devaient définir des livrables, en réalité impossibles à prédire. Il m’a semblé important de protéger et de reconnaître l’originalité de cette recherche fondamentale, aussi bien dans le domaine des sciences exactes que dans celui des sciences humaines et sociales.
J’ai également engagé un plan de résorption de la précarité dans les universités, grâce à des dotations complémentaires. Le budget, qui était programmé en baisse de 3,5 % à la fin du mois de juin, a pu bénéficier d’une augmentation de 2,2 % et de la création de 1 000 postes par an pendant cinq ans. Par ailleurs, un arbitrage interministériel favorable, rendu il y a une dizaine de jours, permettra de titulariser 2 000 vacataires ou emplois dits « précaires » par an pendant quatre ans, grâce au déblocage du Compte d’Affectation Spéciale (CAS). Cela devrait nous permettre de résorber une bonne partie de la précarité.
Des mesures ont été prises pour que cette précarité ne soit pas encouragée par un apport régulier. Les contrats prévus par l’ANR s’étaleront sur davantage d’années – je remercie son conseil d’administration d’avoir accepté cette modification. Nous avons ainsi rétabli une vision de moyen et de long terme, qui avait été mise à mal pendant le dernier quinquennat.
Ce plan ne réussira que si nous mettons en place une véritable régulation pour les CDD, notamment pour les jeunes chercheurs qui ont bien du mal à s’insérer dans les organismes de recherche. La part consacrée à ces CDD sera réduite à 30 %. Mais nous avons demandé que l’on agisse avec discernement : elle pourra être inférieure, ce qui serait encore mieux, mais également un peu supérieure, notamment en sciences de la vie.
Plusieurs chantiers sont déjà ouverts. Nous avons relancé les plans « Campus », dont pas une pierre n’avait été posée, et pour lesquels pas un permis de construire n’avait été déposé cinq ans après leur annonce. Une seule convention avait été signée en juillet dernier. La raison en est simple : les collectivités territoriales, notamment les régions, avaient été oubliées dans le tour de table. Pourtant, elles financent un milliard des plans « Campus ».
Non seulement les collectivités territoriales financent, mais elles s’engagent dans tous les projets structurants et ont des compétences en termes de vie étudiante et d’aménagement des campus. De fait, les plans « Campus » ne servent pas qu’à construire des bâtiments ou à développer des programmes scientifiques. Ils contribuent à améliorer les conditions de la vie étudiante, à relier les campus au territoire et à l’ensemble de l’écosystème, et à les ouvrir aux partenariats avec les entreprises.
Nous avons simplifié les procédures et fait prendre un décret en Conseil d’État, qui permet à des sociétés de réalisation intégrant la Caisse des dépôts et consignations, les collectivités territoriales, les établissements de recherche et les établissements universitaires, de mener rapidement des projets à bien.
Nous avons par ailleurs ouvert, au niveau interministériel, un dialogue avec les étudiants – que nous allons intensifier après les Assises – pour examiner l’ensemble des aides sociales, la question de la demi-part fiscale et celle des aides au logement. Il s’agit d’améliorer les conditions de vie des étudiants, qui sont encore trop nombreux à devoir travailler au-delà du raisonnable pour financer leurs études.
Conformément à la feuille de route adressée par le Président de la République, nous nous sommes engagés à programmer la construction de 40 000 logements au cours du quinquennat. C’est un objectif très ambitieux. Il faut savoir que le dernier plan, le plan Anciaux, qui portait sur la construction de 40 000 logements au cours des huit dernières années, n’a permis que la construction de 23 000 logements et la réhabilitation de la moitié du nombre prévu. Pour ce faire, nous avons remis les collectivités territoriales dans le tour de table. Celles-ci sont en effet très engagées et volontaristes. En les oubliant, nous nous priverions de l’opportunité d’accélérer la construction de ces logements.
Nous allons également profiter de la loi sur le logement social
– notamment de la mise à disposition de foncier par l’État – qui va très prochainement entrer en vigueur, en y intégrant les logements étudiants. Nous menons un travail en ce sens avec ma collègue Cécile Duflot.
En région parisienne, le logement peut représenter jusqu'à 70 % du budget d’un étudiant. Nous avons augmenté de façon significative notre dotation à l’opérateur national, le CNOUS, en la faisant passer de 71 à 91 millions d’euros tout au long du quinquennat. Nous préconisons que l’on favorise la colocation, que l’on crée des services mutualisés et de véritables lieux de vie, comme j’ai pu en voir à Paris Diderot et comme cela existe, par exemple, au Canada. Le logement étudiant peut être convivial et attractif. Les étudiants ne doivent pas être conduits à s’entasser à sept ou huit dans un appartement, faisant ainsi fuir les familles nombreuses des centres ville des villes universitaires et contribuant à la spéculation immobilière. Il faut revenir à un système plus vertueux, qui favorise la réussite étudiante.
Nous avons pris immédiatement des mesures pour le transfert. Car si notre recherche fondamentale et notre recherche générale sont de grande qualité, nous nous laissons parfois intimider par des classements anglo-saxons, totalement inadaptés à la culture de nos systèmes universitaires. Nous devons nous débarrasser de nos complexes et faire comme nos voisins allemands, qui ont développé le système U-Multirank. Celui-ci tient compte du nombre d’étudiants accueillis, de l’ancrage territorial, des relations avec les écosystèmes, du nombre d’étudiants qui sortent avec un diplôme et prend en compte les sciences humaines et sociales – ce qui n’est pas suffisamment le cas dans les classements anglo-saxons. Un tel système permet de qualifier un site universitaire, de façon beaucoup plus cohérente et nuancée qu’un classement établi sur des critères inadaptés et très réducteurs.
Nous nous sommes donné les moyens d’accompagner la réussite en premier cycle – 1 000 postes par an pendant cinq ans, avec un budget en augmentation. Je suis consciente des difficultés que rencontrent aujourd’hui les universités et les organismes de recherche. Au moment du passage à l’autonomie, le transfert a été dans bien des cas sous-estimé. Nous avons assisté à une aggravation de la précarité, liée pour partie à la multiplication d’appels d’offre sur des périodes trop courtes. L’insertion des jeunes doctorants, en particulier dans certaines disciplines, est trop longue.
Un travail a été engagé pour résorber progressivement la précarité et favoriser l’insertion des docteurs. J’ai voulu donner l’exemple en faisant en sorte que la haute fonction publique d’État intègre les docteurs et les reconnaisse. Je pensais, assez naïvement, que ce serait facile, mais je me suis aperçue qu’il nous faudrait négocier avec chaque corps. La négociation a débuté et j’ai déjà reçu des réponses encourageantes de la part de deux d’entre eux. Certes, nous aurons besoin de faire preuve de ténacité et de détermination. Mais cette intégration des docteurs sera un moyen d’apporter une culture transversale dans des milieux souvent monopolisés par des corps, et je compte bien réussir.
J’ai rencontré les employeurs, la CGPME et le MEDEF. J’ai reçu un accueil très favorable de la CGPME et nous avons lancé un travail partenarial pour l’insertion des docteurs. J’ai par ailleurs voulu conforter le travail mené par l’ANRT autour des conventions CIFRE, que l’on pourrait qualifier de « doctorats en alternance ». Moi-même, quand je travaillais dans une start-up, j’en avais bénéficié. D’ailleurs, l’adaptation se fait si bien qu’il faut veiller que les bénéficiaires de ces conventions aillent au bout de leur thèse.
Je reconnais toutefois qu’il y a un point faible dans notre chaîne de recherche : le transfert et la diffusion de cette recherche dans l’industrie, comme dans les administrations publiques et les collectivités. J’ai été assez longtemps élue d’une intercommunalité et je sais que lorsqu’on réfléchit à la mobilité durable, à des modes d’énergie moins émetteurs de gaz à effet de serre, à de nouveaux usages ou à de nouveaux comportements, à la sécurité, à l’insertion, etc., on a besoin de s’appuyer sur des travaux universitaires de grande qualité. Or ce n’est pas suffisamment le cas. Rapprocher les doctorants des collectivités territoriales nous permettrait de répondre plus utilement et plus efficacement aux enjeux sociétaux auxquels nous sommes confrontés. De fait, le tissu de l’écosystème est concerné par une meilleure insertion des doctorants et une meilleure diffusion de la recherche.
Les Assises ont mobilisé toutes les énergies. Cette mobilisation doit être utilisée au service du pays, de son redressement et de son rayonnement international. Le dialogue a été vraiment riche et approfondi. Nous savons aujourd’hui quelles propositions font l’objet d’un consensus. Celles-ci, qui sont nombreuses, ont été listées par Vincent Berger et rappelées aujourd’hui, notamment par Jean-Yves Le Déaut, que je tiens à remercier. De son côté, le ministère prendra ses responsabilités.
J’ai entendu parler du mode d’élection des présidents d’université, de la représentation et du mode de désignation des personnalités extérieures. Je vous le dis à titre personnel, je suis gênée à l’idée que des administrateurs de deux régimes différents siègent autour d’une table. Reste que les personnalités extérieures, pour être mieux acceptées, pourraient être désignées de façon plus collégiale et plus collective, ce qui leur assurerait un statut égal à celui des autres membres du conseil d’administration. Mais tout cela n’est pas tranché.
J’ai également entendu parler de la différenciation, au sein de l’université, entre les fonctions pédagogiques et scientifiques d’une part, et les fonctions de mutualisation de services et de rayonnement à l’international d’autre part. Nous allons voir comment il est possible de l’organiser, avec l’accord des établissements autonomes – car rien ne se fera sous la contrainte. Dans les semaines qui nous restent, nous allons donc ouvrir le dialogue.
Un équilibre est à trouver entre l’initiative girondine et la stratégie globale jacobine – débat éternel dans notre pays. Merci de nous avoir laissé trancher. Nous le ferons dans le souci de servir l’intérêt général. La question concerne les étudiants, les résultats de la recherche, les conditions d’intégration des jeunes chercheurs et, plus généralement, la place à accorder dans notre société à la recherche et à l’enseignement supérieur.
Sur la réussite des étudiants, beaucoup a été dit. Nous travaillons déjà, avec Vincent Peillon, à assurer une continuité entre le lycée et l’enseignement supérieur, bénéfique aussi bien à l’orientation des élèves qu’à l’harmonisation des pédagogies. Je pense développer davantage le numérique et l’alternance, car ce sont des innovations pédagogiques qui accompagnent utilement les étudiants.
Nous souhaitons simplifier et donner davantage de lisibilité à l’offre de formation et de recherche, en partant des grands enjeux sociétaux. Ce sera le moyen de rétablir un dialogue, non seulement avec les politiques, les institutionnels et les collectivités, mais aussi avec les citoyens. Ces derniers, face à des acronymes, ont du mal à comprendre à quoi sert la recherche – en dehors du domaine médical, qu’ils appréhendent plus facilement.
Si l’on met en exergue les grands enjeux sociétaux et qu’on y englobe les nombreux intitulés de formation développés dans les universités, tout le monde y gagnera : les étudiants, les familles, la société toute entière, et les employeurs, qu’ils soient publics, privés ou associatifs. Il y a aujourd’hui 3 300 intitulés de licence et 6 600 intitulés de master. Sans décodeur, comment s’y retrouver ? Il faut pouvoir qualifier l’offre de formation des établissements, tout en lui redonnant de la lisibilité.
L’ouverture de nos établissements de recherche et d’enseignement supérieur est essentielle pour rétablir la confiance. Les établissements doivent s’ouvrir à l’Europe, à l’international, à leurs écosystèmes et engager un dialogue avec les citoyens. Cela passe par la culture scientifique et par l’innovation qui, jusqu'à présent, n’ont pas été suffisamment prises en compte dans les grands projets structurants. Lors du précédent quinquennat, la diminution des crédits du CGI s’était répercutée sur la culture scientifique et technique. Ce fut bien dommage.
Il nous faut renouveler le débat public sur la recherche, la technologie, l’innovation et les grands défis sociétaux. Certains, au cours des Assises, ont même demandé que ces enjeux sociétaux et ce dialogue entre la société et la science, entendue au sens large, soient inscrits dans la loi. Les grands défis sociétaux donneront lieu à un agenda de la recherche qui sera précisé, y compris dans la loi.
Par ailleurs, Vincent Berger rendra son rapport le 17 décembre. Jean-Yves Le Déaut nous transmettra le sien, dont nous aimerions disposer avant les vacances. Nous ne voulons plus recourir systématiquement à la procédure de l’urgence – comme ce fut le cas pendant le précédent quinquennat – car elle ne permet pas de prendre le temps de débattre et d’anticiper. Un dialogue sera donc engagé avec l’ensemble des acteurs. Cela nous amènera à discuter d’une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche au cours du premier semestre 2013, à la voter avant le mois de juin, pour pouvoir la mettre en place dès la rentrée 2014. Ce calendrier peut vous paraître serré. Mais il faut marquer le changement. Cinq ans, ce n’est pas si long, d’autant que nous avons souhaité privilégier le dialogue tout au long du processus que nous avons engagé.
Enfin, la notion de contrats de site a été évoquée à de nombreuses reprises. S’agira-t-il de contrats tripartites ? La question n’est pas tranchée. S’agira-t-il de contrats bilatéraux avec des passerelles ? Nous essaierons de faire dans la simplicité et l’efficacité, et de reconnaître la place des uns et des autres, notamment celle des territoires, dans ces contrats. Autonomie ne signifie pas isolement ni indépendance totale. Nous voulons renouer avec la contractualisation, avec la mise en place d’objectifs communs et avec la réussite.
Pour cela, il nous faut simplifier. Chacun le souhaite d’ailleurs – même s’il faut reconnaître que l’on a tendance à proposer plutôt la simplification de la structure d’à côté que de la sienne propre. En globalisant avec des grands enjeux, il devrait être possible de regrouper différentes structures poursuivant les mêmes objectifs et de mettre de l’ordre dans les différentes couches qui se sont accumulées au cours du précédent quinquennat. C’est absolument indispensable. Les contrats de sites avec les établissements d’enseignement supérieur et de recherche contribueront à donner une meilleure visibilité.
Ces objectifs ne sont pas faciles à atteindre. Lors des rencontres que j’ai eues avec les uns et les autres, je n’ai jamais minimisé les obstacles qu’il nous faudrait surmonter. Mais nous avons travaillé dans un esprit constructif.
Tout cela doit être intégré dans la loi. Celle-ci ne sera pas qu’un document technique. Elle nous donnera un élan vers l’avenir. Dans une période où tout nous pousse à la morosité, c’est un privilège. Nous avons, vous avez cette chance d’avoir choisi les voies de l’avenir.
Le ministère que je dirige se voit investi d’une responsabilité particulière, mais exaltante. Je vous remercie du fond du coeur d’avoir joué sincèrement le jeu, malgré les difficultés et les sollicitations dont vous avez parfois été l’objet de façon répétée au cours du dernier quinquennat.
Nous essaierons d’être à la hauteur de l’importance de ces enjeux. Sinon, notre pays n’offrirait plus demain la même la qualité de vie ni la même qualité de réflexion, et perdrait son caractère universel. C’est ce qui m’a décidé, dès mon arrivée, à supprimer l’« infâme » circulaire Guéant. Mais tout n’est pas résolu pour autant. Nous devons encore améliorer l’accueil des jeunes chercheurs et des étudiants venus de l’étranger, en particulier ceux du Maghreb, d’Afrique et d’Asie. 41 % de nos docteurs viennent aujourd’hui de l’étranger. Heureusement, nos droits d’inscription ne sont pas prohibitifs. Mais cela ne nous dispense pas de recevoir dignement ces étudiants, qui sont notre richesse et constituent une chance : au niveau culturel, pour les Droits de l’homme, mais aussi au niveau économique. Car ces étudiants seront de merveilleux ambassadeurs de notre pays dans le monde. Nous devons non seulement conserver, mais encore renforcer ce caractère universel.
Je compte sur vous. Je connais vos talents, votre énergie. Nous essaierons de répondre le plus efficacement et le plus honnêtement possible aux défis qui sont les nôtres. Certes, le contexte budgétaire est contraint, mais nous avons déjà contribué à renverser la tendance et nous continuerons à agir en ce sens dans les mois et dans les années qui viennent. Merci à tous.
M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale. Il est toujours difficile d’intervenir le dernier, à l’issue d’une bien longue journée. Mais je tenais à vous remercier d’avoir participé à ce grand moment.
Le Parlement a pour mission de voter la loi. Comme le précise l’article 24 de la Constitution, il est aussi en charge de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques.
Cette mission d’évaluation des politiques publiques est fondamentale car comment bien légiférer si on n’évalue pas ? C’est dans ce but qu’a été créé l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont nous nous apprêtons à fêter le trentième anniversaire. Cet Office est remarquable dans ses modalités de fonctionnement : commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, doté d’un conseil scientifique qui concrétise le lien avec le monde de la recherche, il contribue à faire du Parlement un lieu de débat sur les grandes orientations de la politique scientifique et technologique et un lieu d’évaluation de ses politiques.
Je voudrais saluer ici la qualité des travaux de l’Office et dire mon souhait qu’il soit au cœur des débats d’actualité, notamment ceux qui s’engagent sur la transition énergétique.
Je le dis souvent, cette législature est la législature de l’entre-deux : celle qui prépare l’Assemblée du non-cumul. Et par la force des choses, je suis le Président chargé de façonner ce que sera le député du XXIe siècle.
Le député du XXIe siècle devra légiférer, bien sûr, et même mieux légiférer. Mais il devra aussi, davantage que nous le faisons aujourd’hui, débattre des grandes questions de société et évaluer l’action du Gouvernement. Or je fais le constat que depuis de trop nombreuses années, s’est développée en France une pratique regrettable qui consiste à créer, auprès de l’exécutif, des « comités Théodule », chargés d’étudier une question ou d’évaluer une politique, plutôt que de confier ce rôle à la représentation nationale. Ces comités, qui se révèlent parfois incapables de remplir leur mission, dépossèdent le Parlement de certaines de ses missions essentielles ou, à tout le moins, diluent la pertinence et la visibilité de ses travaux. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé au Président de la République et au Gouvernement qu’au cours de cette législature on diminue de 30 % le nombre des « comités Théodule », pour que l’on puisse réintégrer leur mission au sein du Parlement, sous le contrôle du suffrage universel. Je fais ainsi le vœu, et vous comprenez pourquoi je suis venu vous observer, que nous ayons demain d’autres offices parlementaires d’évaluation, fonctionnant sur le même modèle que le vôtre. Pourquoi pas un office parlementaire d’évaluation des politiques d’immigration et d’intégration, en remplacement du Haut conseil à l’intégration aujourd’hui bien moribond ?
Mais j’en viens à notre sujet, celui qui vous préoccupe et vous passionne : l’enseignement supérieur et la recherche.
Cette audition publique qui s’achève est la courroie de transmission entre la très large concertation qui vient de se dérouler, qui s’est conclue la semaine dernière par les Assises, et le travail parlementaire qui va démarrer dans les prochaines semaines.
C’est une des caractéristiques de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques que de se placer à l’articulation entre le monde de la recherche et le Parlement. Cette journée en est une concrétisation très directe, puisqu’elle porte sur l’avenir même de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.
Jean-Yves Le Déaut, qui nous accueille aujourd’hui, incarne depuis de nombreuses années, avec son acolyte Bruno Sido, cet Office, et je l’en remercie. En guise de consécration, il a d’ailleurs été nommé par le Premier ministre parlementaire en mission, afin de tirer les conséquences législatives des débats ayant eu lieu lors des Assises.
Mme la ministre nous a donné à l’instant les premières clés du « comment faire » pour revaloriser les métiers de l’université. Laissez-moi vous parler en quelques instants du « pourquoi faire ».
Le Président de la République a placé la jeunesse au centre des préoccupations de la puissance publique. Donner un avenir à la jeunesse, savoir l’orienter et la diriger vers l’emploi font partie des priorités de notre nouvelle majorité.
L’université, de par les liens qu’elle doit tisser avec l’enseignement secondaire, mais aussi avec la société civile et le monde économique, joue un rôle fondamental dans la réussite de cette ambition. Je vous le dis en tant qu’ancien président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis.
Le nombre d’étudiants a été multiplié par huit en cinquante ans, pour atteindre près de 2,5 millions aujourd’hui. C’est donc une responsabilité importante qui vous incombe, qui nous incombe, pour conduire le changement. L’enseignement, en particulier l’enseignement supérieur, assure l’émancipation des individus par le savoir et donc leur intégration. Il faut aider les plus défavorisés, les plus éloignés du monde académique à s’en approcher et à le connaître. Pour réussir, il faut améliorer la visibilité des parcours.
Dans certains cas, comme vous l’avez relevé, l’échec atteint des proportions importantes. Les grands oubliés de l’enseignement supérieur sont les titulaires de bacs professionnels. Un étudiant issu d’un lycée professionnel a seulement 2 % de chances d’obtenir une licence générale en trois ans. Savoir les accueillir dans les filières qui ont été conçues pour eux est un des défis de la réforme qui vous occupe aujourd’hui. Mais l’université doit être le lieu de la deuxième chance. Encourager le décloisonnement entre le monde du travail et l’enseignement supérieur – à travers la validation des acquis de l’expérience, les reprises d’études après une première expérience professionnelle ou la formation tout au long de la vie – sont des réponses aux accidents des parcours.
L’autre priorité de ce quinquennat est l’emploi. La recherche est un levier économique considérable, à condition de réussir à mettre en place des coopérations fructueuses entre les acteurs du monde académique et ceux du monde économique. Notre recherche peut contribuer à la compétitivité des entreprises et, par là, à l’ensemble de notre modèle social.
La recherche nous guide dans la compréhension du monde, mais nous permet aussi de dessiner l’avenir. La transition énergétique, les biotechnologies, la santé, le vieillissement, le réchauffement climatique sont autant de défis auxquels notre société doit pouvoir répondre dans les prochaines années, grâce au soutien et aux éclairages fournis par la recherche.
Nous avons la chance d’avoir dans ce pays un potentiel de recherche tout à fait exceptionnel. Chaque année, dans des disciplines très variées, un ou plusieurs chercheurs français se voient récompensés d’un prix Nobel. Il faut faire rayonner cette compétence. Il faut privilégier la coopération au travers de grandes universités soutenues par les collectivités territoriales et, notamment, les régions. Il faut développer les passerelles entre le monde du public et celui du privé, les relations bilatérales entre les établissements et les PME, notamment au sein des pôles de compétitivité. Mme la ministre a annoncé le financement, par l’Agence nationale de la recherche, du renforcement de ses initiatives autour des laboratoires communs public/privé. C’est une très bonne nouvelle.
Professeurs, enseignants, chercheurs, étudiants, doctorants, collectivités territoriales, personnels des universités et de l’administration, organisations syndicales, vous avez travaillé durant cinq mois pour dessiner un avenir à l’enseignement supérieur et à la recherche. Aujourd’hui, vous avez commencé à écrire le cadre juridique et réglementaire qui permettra d’engager le changement. Vous jouez un rôle stratégique dans la reconstruction de notre pays. Donner un avenir à la jeunesse, faciliter l’intégration, stimuler l’emploi et la compétitivité : votre fonction sociale et économique est multiple.
Je souhaite de tout cœur que les grandes ambitions qui nous animent aujourd’hui soient récompensées par le succès à court, moyen et long terme. Et j’espère que le débat parlementaire qui va s’engager maintenant sera à la hauteur des travaux qui ont été les vôtres. En tout cas, merci.
M. Jean-Yves Le Déaut. Merci à toutes et à tous.
ANNEXE 1 :
AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS BACH, SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES, SUR LES CRITIQUES ÉMISES PAR L’ACADÉMIE À L’ENCONTRE DE L’AGENCE NATIONALE D’ÉVALUATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE (AERES), LE 21 NOVEMBRE 2012
« M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST. - Nous allons maintenant recevoir successivement, M. Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie de sciences et M. Didier Houssin, président de l’AERES.
Ces auditions, dont le principe a été acté lors d’une précédente réunion de notre Délégation, sont justifiées par la publication, au mois de septembre dernier, par l’Académie des sciences de « remarques et propositions sur les structures de la recherche publique en France », dans le cadre des réflexions qui accompagnent les « Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ».
L’Office avait entendu, au mois de mars 2011, le président de l’AERES d’alors, M. Jean-François Dhainaut, poursuivant ainsi la démarche entreprise par MM. Claude Birraux et Henri Revol, de faire un premier bilan des institutions nouvelles mises en place par la loi Goulard de 2006. Cette audition a montré qu’en dépit de la novation qu’elle constituait, l’action de l’AERES, qui s’appuyait notamment sur une expertise internationale d’évaluation, comme le fait depuis longtemps l’Institut Max Planck en Allemagne, était peu à peu acceptée.
Dans son opuscule que je viens de citer, l’Académie fait part d’une opinion divergente et beaucoup plus tranchée puisqu’elle propose de supprimer l’AERES, au motif – je cite – « qu’elle a fait la quasi-unanimité contre elle ».
Monsieur le secrétaire perpétuel, pouvez-vous contribuer à nous éclairer sur ce jugement ?
M. Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. - C’est avec un certain regret que je me trouve dans cette position de critique de l’AERES, que je connais bien et où j’ai siégé encore récemment pour l’évaluation du CNRS. J’apprécie la compétence de son directeur, M. Houssin, et de ses collaborateurs. L’Académie a rendu un avis très tranché en raison de la complexification, au cours des années récentes, du système français de recherche. Hubert Curien disait que lorsqu’on veut modifier une structure, si l’on ajoute une commission, il faut en supprimer deux autres. Or ce n’est pas ce qui s’est produit en France : le nombre de structures s’est multiplié, entraînant une charge de travail administratif insupportable pour les chercheurs.
Il ne faut pas comprendre les remarques de l’Académie comme des réserves à l’égard de l’évaluation. Nous avons rendu deux rapports sur l’évaluation : l’un sur la bibliométrie en janvier 2011 ; l’autre sur l’évaluation individuelle des chercheurs en juillet 2009. Cette évaluation individuelle ne relève pas de l’AERES mais, d’une part, de commissions au sein des organismes de recherche, et, d’autre part, du Conseil national des universités (CNU) pour les enseignants chercheurs. L’évaluation individuelle et celle des équipes sont néanmoins très connexes.
L’Académie a peut-être été un peu trop brutale dans la forme. Mais on en est arrivé à une situation insupportable pour les chercheurs, qui se plaignent de la lourdeur des tâches qu’ils doivent accomplir au détriment de leurs travaux de recherche, pour répondre aux demandes de l’AERES et d’autres organes administratifs. Ceux-ci n’ont pas toujours conscience du temps qui est requis pour apporter les réponses demandées.
La tâche assignée à l’AERES est en outre considérable, étant entendu, au surplus, que les règles d’évaluation doivent être adaptées discipline par discipline. En conséquence, l’AERES n’a pas pu remplir l’ensemble de ses missions. La tâche de validation des règles de procédure de l’évaluation des personnels n’a pas été réalisée de façon satisfaisante : l’évaluation par le CNU aurait, par exemple, besoin de s’inscrire dans un cadre mieux défini. Néanmoins, les évaluations menées par l’AERES ont généralement été satisfaisantes.
Que proposons-nous ? Le groupe de travail de l’Académie des sciences, puis l’Académie elle-même, se sont prononcés à la quasi-unanimité en faveur des orientations suivantes.
L’évaluation des équipes, regroupées dans les mêmes lieux, doit être faite par des comités ad hoc de site. Nous ne souhaitons pas que l’évaluation relève à nouveau de commissions au sein des organismes de recherche ou du CNU, comme ce fut le cas avant la création de l’AERES. En effet, ces commissions comprenaient des élus syndicaux. Or il nous semble que l’évaluation doit être fondée sur le seul critère d’excellence, indépendamment de toute appartenance syndicale.
Nous souhaitons néanmoins que ces comités ad hoc respectent des procédures définies par une nouvelle structure d’évaluation et fonctionnent en pratique sur les moyens des organismes évalués, comme cela se fait à l’étranger. Les modalités administratives de l’évaluation (remboursements de frais, ...) en seraient simplifiées.
Nous souhaitons par ailleurs que le cœur de fonctionnement de l’AERES soit regroupé avec le Haut Comité de la science et de la technologie (HCST) et le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT), au sein d’une nouvelle structure qui, outre la mission de définir les procédures d’évaluation, se verrait confier un rôle de réflexion transdisciplinaire sur la stratégie nationale de recherche.
M. Bruno Sido. – Je vous remercie.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Chargé de la traduction législative des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche en tant que parlementaire en mission, j’ai pris connaissance de la position de l’Académie des Sciences qui propose la suppression de l’AERES. Je remarque qu’aujourd’hui vous ne parlez plus de suppression, mais de l’évolution de ses missions. Dans un tel système, comment pourrait-on simplifier et parvenir à une moindre multiplicité des procédures d’évaluation, ce qui est notamment le cas de la recherche contre le cancer où il y a au moins, avec l’INRA, l’ANR, l’INSERM, le ministère de la Santé, l’AERES, cinq systèmes d’évaluation différents entre l’octroi des financements et l’évaluation proprement dite, au point qu’on pourrait parler de la République des évaluateurs ? Pourriez-vous préciser le rôle du Haut Comité de la science et de la technologie (HCST) qui résulte de la loi de 2006 et qui est maintenant placé auprès du Premier ministre, après avoir été chargé de conseiller le Président de la République sur les grandes questions scientifiques ? Comment pourrait-il combiner cette fonction de conseil avec celle d’évaluation ?
M. Jean-François Bach. - Les structures actuelles forment un millefeuille, ce qui a notamment conduit l’INSERM à mettre en place un groupe de réflexion qui propose une réunification des structures de recherche et d’évaluation en France.
Il faut distinguer plusieurs niveaux d’évaluation : l’évaluation des individus qui permet de les recruter et de les promouvoir ; l’évaluation des équipes, des laboratoires qu’il faudrait opérer de manière uniforme, pas forcément unique, mais sur une base commune, en établissant des règles qui n’existent pas actuellement.
Une bonne évaluation repose sur trois éléments : la compétence, la disponibilité et l’absence de conflits d’intérêts.
Or, actuellement beaucoup des meilleurs scientifiques refusent de siéger dans les comités d’évaluation par manque de temps, alors qu’on pourrait imaginer des règles simples, une fréquence raisonnable des évaluations afin d’éviter de devoir les mobiliser trop souvent.
Le HCST a été peu sollicité jusqu’à présent, alors qu’il y a des problèmes majeurs qui concernent l’équilibre des moyens entre les disciplines (il faut tenir compte des sciences émergentes) et les principes devant guider les procédures d’évaluation. Il pourrait être chargé de constituer des groupes de travail pour réfléchir sur ces problèmes, en faisant appel à des scientifiques de renom à qui on demanderait un temps d’investissement raisonnable.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Lorsque plusieurs ministères sont concernés, et c’est notamment le cas pour la santé, et particulièrement pour la recherche clinique, ne faudrait-il pas une cotutelle, qui permettrait d’aboutir à un meilleur pilotage des formations notamment ?
M. Jean-François Bach. - Dans le cas de la santé, l’INSERM qui rend compte au ministère de la recherche comme au ministère de la santé, s’adresse en fait davantage au ministère de la recherche. La double tutelle est nécessaire car il y a des finalités distinctes à respecter. Pour la recherche clinique, la demande de placement sous l’égide du ministère de la Recherche est ancienne. Les professeurs de médecine ont revendiqué de longue date une prise en compte de cette activité par l’INSERM. La création du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) s’est faite sous l’égide du ministère de la santé, alors que l’INSERM devrait couvrir l’ensemble de la recherche clinique. Il n’est pas bon qu’il poursuive ses propres programmes de recherche clinique et que le PHRC fasse la même chose de son côté ; l’effort devrait être conjoint.
M. Michel Berson, sénateur. - En tant que membre du Conseil de l’AERES, j’ai été choqué par le contenu du rapport de l’Académie des sciences sur l’AERES, car il s’agit d’un document à charge qui ne contient pas de points positifs. Ses démonstrations sont fondées sur des éléments erronés. L’AERES ne procède plus à une notation d’ensemble et a maintenant une notation multicritères. Elle n’utilise pas les mêmes grilles pour évaluer des structures de nature différente. Il est pour le moins contestable de dire qu’une quasi-unanimité s’est faite sur sa suppression. Pourquoi l’Académie a-t-elle émis un avis aussi critique ? L’apport de l’AERES depuis cinq ans est une avancée, en termes de garantie d’indépendance, d’impartialité, et d’homogénéité de l’évaluation. Pourquoi ne pas l’avoir souligné ? N’y a-t-il pas un risque de retour en arrière vers une notation dépendante des universités et des organismes de recherche ? Pourquoi faudrait-il confier l’évaluation à ceux qui financent et distribuent des postes ?
M. Jean-François Bach. - L’Académie a procédé de manière simple. Les membres de l’Académie ont été invités à exprimer par écrit leur opinion sur une dizaine de sujets d’actualité, dont la réforme éventuelle de l’AERES. L’Assemblée générale a corroboré leur opinion qui, dans la forme, est sans doute trop brutale, comme l’est le terme de « suppression ».
Nous ne proposons pas le retour à la situation initiale. C’est la critique de cette situation qui avait conduit à la création de l’AERES, afin de retirer aux organismes la possibilité de s’autoévaluer. Nous demandons par contre la création de comités ad hoc qui seraient gérés par les organismes au niveau matériel, ce qui se fait dans beaucoup de pays, et je connais personnellement le cas de l’université d’Oxford.
L’AERES a bien fonctionné. Le fait que ses évaluations aient été rendues publiques a pu poser problème. La critique porte aussi sur l’organisation, la lourdeur de l’administration, mais la qualité du travail lui-même n’est pas remise en cause. Il y a eu certes une évolution depuis quelques mois sous l’impulsion de M. Didier Houssin.
L’utilisation des notes données par l’AERES est un point préoccupant. Il n’en est presque pas tenu compte. Ce n’est pas du fait de l’AERES, mais il n’y a pratiquement plus de moyens à donner aux laboratoires. Il en résulte que, pour les équipes, les conséquences pratiques de l’évaluation sont faibles. Les décisions financières importantes sont prises par l’ANR, par les structures des investissements d’avenir, et les retombées du travail de l’AERES ne sont pas à la hauteur de l’effort qu‘implique l’évaluation.
L’Académie est très sensible aux comparaisons internationales. Or à l’étranger, il n’existe pas d’organisation de ce type. L’évolution que propose l’Académie pourrait être faite de manière simple. Ses critiques ne doivent pas être prises ad hominem, car les responsables de l’AERES n’ont fait qu’accomplir leur mission.
M. Jean- Yves Le Déaut. - L’AERES est une autorité administrative indépendante dont la mission est l’évaluation ; elle a la possibilité de s’appuyer sur des organismes pour évaluer les diplômes, elle a reçu mission de valider les procédures d’évaluation des personnes. La loi de 2006 évoque les missions d’évaluation de la recherche, un peu celle de l’enseignement. Ne pensez-vous pas que la mission d’évaluation doit aussi porter sur les enseignants et englober d’autres missions non prises en compte jusqu’à présent, comme l’innovation, les transferts de technologie, l’ouverture à l’international, la médiation scientifique, la contribution aux rapports sciences/société ? Cela ne devrait-il pas entrer en ligne de compte, au moins dans l’évaluation des hommes ?
M. Jean-François Bach. - Ma réponse est oui. Nous avons insisté sur les points évoqués notamment pour les enseignants-chercheurs. Cependant, il est plus compliqué d’évaluer un enseignant qu’une recherche : sur quoi se fonder : la participation aux tâches collectives, les résultats des étudiants, etc. ? Ce n’est pas simple et il faut distinguer l’évaluation des individus, dévolue au Conseil national des universités (CNU) et aux commissions d’organismes, de celle des laboratoires, qui concernent parfois les mêmes questions, sous des aspects différents, avec pour enjeu l’affectation des moyens. Il est nécessaire de séparer ces missions très différentes. Quant à l’évaluation des institutions, c’est une tâche difficile qui a ses limites, comme l’illustre le cas de l’évaluation du CNRS qui s’est déroulée en une semaine sous l’égide de Philippe Busquin, ancien commissaire européen à la recherche. Qu’en sera-t-il le jour où il faudra évaluer une université dans son ensemble ? Pour autant, c’est un exercice plus pertinent que le classement de Shanghai, qui est trop abrupt.
M. Bruno Sido. - Je poserai deux questions quelque peu iconoclastes : les évaluateurs sont-ils eux-mêmes évalués ? Lorsque l’on écoute les chercheurs se plaindre de la lourdeur des contrôles, du temps passé à l’évaluation, de son coût, on se demande comment ils peuvent rester efficaces en tant que chercheurs s’ils doivent passer leur temps à remplir des formulaires. Si on les mobilise la moitié du temps à cela, quand peuvent-ils chercher ?
M. Jean-François Bach. - Cette question est au centre de notre rapport, c’est devenu intolérable pour les chercheurs, car même si ce problème se pose aussi à l’étranger, il se trouve accentué en France du fait de l’existence d’un mille-feuille administratif et de la multiplicité des structures. Il faut donc mettre fin à cela. La nouvelle instance que nous préconisons devrait veiller à la mise en œuvre de cette simplification.
Les évaluateurs sont eux aussi évalués : un chercheur de qualité se doit d’évaluer de temps en temps les travaux des autres ; s’il refuse trop souvent de participer à un comité ou d’évaluer un article, il risque de se voir lui-même refuser des articles. Les évaluateurs sont également évalués quand ils soumettent des projets à l’ANR ou les présentent devant des instances de financement internationales. Ainsi, les chercheurs sont-ils en permanence évalués et évaluateurs.
M. Bruno Sido. - Je vous remercie beaucoup pour vos réponses. »
ANNEXE 2 :
AUDITION DE M. DIDIER HOUSSIN, PRÉSIDENT DE L’AGENCE D’ÉVALUATION DE LA RECHERCHE ET DE L’ENSEIGNEMENT (AERES), LE 21 NOVEMBRE 2012
« M. Didier Houssin, président de l’AERES. – Monsieur le Président, Monsieur le Premier vice-président, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, permettez-moi d’abord de vous remercier d’avoir voulu auditionner l’AERES. Je voudrais vous présenter les trois personnes qui m’accompagnent : Madame Laurence Pinson, secrétaire générale de l’AERES, le professeur Philippe Tchamitchian, directeur de la section des établissements (universités, écoles, organismes de recherche), le professeur Pierre Glaudes, directeur de la section des unités de recherche.
Dans cet exposé liminaire, je vais aborder les acquis liés au rôle de l’AERES, puis les critiques formulées vis-à-vis de l’AERES, dans le contexte des Assises, et les propositions que l’AERES formule.
Ce n’est pas devant l’Office parlementaire d’évaluation que je vais vanter les mérites de l’évaluation comme levier de progrès, comme moyen partagé d’aide à la décision, ou comme méthode structurée d’information.
Depuis son installation en 2007, en à peine cinq ans, l’AERES a accompli un cycle complet d’évaluation (plus de 4 000 programmes de formation, plus de 3 200 unités de recherche, 250 établissements ou organismes), de façon homogène, et en combinant auto-évaluation et évaluation externe collégiale par les pairs. Des entités dans le champ de la culture (diplômes des écoles d’art ou d’architecture) ou de la santé (diplômes d’infirmières) ont aussi été évaluées pour la première fois. Cela explique sans doute pourquoi, dans sa contribution aux Assises, le ministère de la Culture et de la Communication a souligné le rôle important de l’AERES.
Égalité de traitement entre les entités évaluées ; impartialité des évaluations grâce au statut d’indépendance de l’AERES ; transparence des résultats des évaluations. Voilà trois acquis très importants ! Dans un rapport de 2009, l’Académie des sciences estimait d’ailleurs que l’AERES avait beaucoup apporté en termes d’éthique, de transparence et d’impartialité de l’évaluation.
Un acquis important est aussi que l’AERES est reconnue au niveau européen, comme compétente et comme indépendante. Cela veut dire que les étudiants et les chercheurs européens, et l’ensemble des observateurs étrangers disposent d’une garantie quant à la qualité des évaluations faites en France. Cela veut dire que les résultats des évaluations faites en France sont crédibles. Ceci est crucial en termes d’attractivité de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. De nombreux pays sollicitent l’AERES pour évaluer des programmes ou des institutions, ou pour aider à la mise en place d’un dispositif d’évaluation. Encore cette semaine, avant-hier, l’Algérie, hier, l’Italie.
Un acquis essentiel, enfin, est que l’AERES a la possibilité, du fait de ses missions, d’évaluer la qualité du lien entre formation et recherche. Cette possibilité est jugée très intéressante à l’étranger. Hier, j’étais invité par l’agence italienne créée récemment et qui s’inspire fortement de l’agence française sur ce point.
S’agissant des critiques et des propositions, sans vouloir faire un plaidoyer pro domo, je voudrais dire deux choses : la première est que l’AERES n’a pas attendu les Assises pour écouter les critiques et y répondre. Chaque année, nous organisons un retour d’expérience et, à plusieurs reprises, l’AERES a déjà fait évoluer sa méthode, justement pour tenir compte des critiques. À la fin de 2011, nous avons en particulier entendu les critiques de la notation globale des unités de recherche ou de la prise en compte insuffisante de la recherche finalisée. Nous avons supprimé la note globale et nous avons modifié le référentiel de recherche, afin d’affiner les critères d’évaluation des activités de recherche.
Le second point est que les critiques sont parfois contradictoires entre elles. Premier exemple : certaines entités évaluées n’apprécient pas la notation, fût-elle multicritères. En revanche, les décideurs, qui s’efforcent en particulier de « financer à la performance », n’apprécieront pas de ne plus disposer de la notation qui les aide dans leurs décisions.
Second exemple : certains personnels des entités évaluées reprochent à l’AERES de recueillir des données de nature individuelle. Les décideurs, qui souhaitent « financer à l’activité », n’apprécieront pas que l’AERES cesse de leur fournir des informations actualisées sur les effectifs. En effet, en raison de la complexité du dispositif de recherche français, ces décideurs ne disposent en général pas d’une vision d’ensemble sur ces effectifs.
J’en viens maintenant aux critiques exprimées dans le cadre des Assises. Elles concernent avant tout une des trois missions principales de l’AERES, l’évaluation des unités de recherche. Je vais évoquer les cinq critiques principales et les propositions que l’AERES a soumises au débat en vue des Assises nationales.
La première critique porte sur la complexité du fonctionnement de l’AERES. Il me faut d’abord rappeler que l’AERES n’est pas responsable de la complexité du dispositif français d’enseignement supérieur et de recherche : universités et grandes écoles ; établissements d’enseignement supérieur et de recherche et organismes nationaux de recherche ; universités devenues plus autonomes, mais coexistant avec des entités nationales d’évaluation comme le Conseil national des universités (CNU) et le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS)… ; chercheurs et enseignants-chercheurs).
Dans ce paysage complexe, l’AERES est en fait une « complexité simple ». Elle est même un facteur d’unité et de décloisonnement, grâce à sa méthode homogène d’évaluation, et surtout à la possibilité d’évaluer la qualité du lien entre formation et recherche.
Il ne faut pas non plus surestimer le poids que représente l’évaluation conduite par l’AERES, une fois tous les cinq ans. Cette charge est faible par rapport à la charge administrative liée à la quête des financements sur projet auprès de l’ANR, de l’Europe, des Régions, des grandes associations, des industriels, etc., avec, dans chaque cas, des procédures annuelles, différentes, de reporting des résultats et de suivi budgétaire.
Néanmoins, l’AERES fait une proposition de simplification : la réduction de moitié, dès cette année, de son dossier d’évaluation.
La deuxième critique porte sur la transparence. L’évaluation faite par l’AERES est beaucoup plus transparente que ce qui se faisait avant. Toutefois, il y a des marges de progrès, concernant le recrutement des délégués scientifiques de l’AERES, la composition des comités d’experts et la signature des rapports d’évaluation. Sur ces trois points l’AERES est prête à améliorer et clarifier ses procédures.
La troisième critique concerne l’articulation insuffisante entre évaluation individuelle et évaluation collective. L’AERES n’a pas de responsabilité d’évaluation individuelle des chercheurs ou des enseignants-chercheurs. Elle souhaite cependant mieux s’articuler à l’avenir avec les instances qui sont justement un rôle dans l’évaluation individuelle, par exemple le CoNRS, le CNU ou les universités.
La quatrième critique concerne la portée des évaluations de l’AERES, jugée parfois trop large. L’AERES a songé à centrer son action sur l’évaluation ex post, donc à ne plus évaluer le projet à cinq ans des entités de recherche. Il ne faudrait cependant pas que cette simplification, cet allègement, conduise à accroître la complexité du dispositif d’évaluation, d’autres instances se mettant à faire l’évaluation du projet à cinq ans. Il ne faudrait pas non plus que cela crée une inégalité de traitement entre les entités de recherche évaluées.
Il est demandé aussi que l’AERES s’appuie plus sur les instances nationales des grands organismes de recherche, voire délègue l’évaluation aux conseils scientifiques dont se sont dotées certaines unités de recherche de ces organismes. Là encore, ceci mérite d’être étudié, en étant conscient des deux risques, évoqués plus haut, de complexifier l’évaluation, d’un côté, de créer des inégalités de traitement entre unités de recherche, de l’autre.
La cinquième critique concerne la question des élus. L’AERES est attachée à ce que le choix des chercheurs ou enseignants-chercheurs sollicités pour les comités d’évaluation ne repose pas sur la seule élection, mais je précise que des experts sollicités pour faire partie des comités d’experts sont parfois, déjà aujourd’hui, des élus. L’AERES ne verrait pas d’inconvénient à ce que son Conseil, instance chargée de missions en termes de politique d’évaluation, comporte des élus émanant de la communauté scientifique. D’ailleurs, je rappelle que ce Conseil a la chance d’avoir en son sein deux élus du peuple.
Enfin, l’AERES n’a pas de fixation sur la notation. Le choix ou non de la notation nous semble devoir être déterminé avant tout par la politique de financement. S’il y a une part de financement à la performance, la notation multicritères mise en place par une agence indépendante comme l’AERES est certainement préférable à un dispositif de notation découplé de l’évaluation, et qui serait mis en place de façon hétérogène par les différents décideurs. S’il n’y a plus aucun financement à la performance, on pourrait très bien se passer de la notation.
Concernant la recommandation de l’Académie des sciences de supprimer l’AERES, je répondrai qu’elle est peu argumentée. De plus, certains des rares arguments avancés sont faux. En particulier, il est erroné de dire que l’AERES fait l’unanimité contre elle. Il est donc illogique d’avancer que, pour cette raison, il faudrait la supprimer.
Éliminer l’AERES, ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain et ignorer que les grands enjeux liés à l’existence de l’AERES sont la qualité, la crédibilité de la qualité, et donc l’attractivité, de notre système d’enseignement supérieur et de recherche sur la scène européenne et internationale, mais aussi la capacité à faire le lien entre formation et recherche.
C’est d’ailleurs sans doute pour cela que le ministère des Affaires étrangères, dans sa contribution aux Assises, a écrit en septembre que « l’AERES est un des vecteurs essentiels de notre compétitivité », et que, « grâce à sa dynamique d’internationalisation, l’AERES illustre notre capacité d’expertise et renforce notre image d’excellence ».
Monsieur le Président, Monsieur le Premier vice-président, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs, l’AERES fait l’objet de critiques, ce qui est normal, et elle est prête à évoluer pour mieux répondre aux attentes, et pour trouver des solutions de compromis, lorsque ces attentes sont contradictoires.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Je vais poser des questions assez pratiques.
Vous dites que l’évaluation par l’AERES est peu coûteuse, mais quel est votre budget ? Est-il suffisant ?
Vous considérez que l’évaluation par l’AERES n’est pas une charge excessive, mais alors, que penser de l’impression créée d’une démultiplication des évaluations ?
Pensez-vous que l’on peut continuer avec ce système ; à défaut, comment envisagez-vous son évolution ?
Concernant les quatre missions que la loi vous confie, vous avez la possibilité de vous appuyer sur les organismes, cela-a-t-il été suffisamment fait ? Vous n’évaluez pas les hommes, mais faut-il avoir d’autres formes d’évaluation, évaluation de l’innovation, évaluation de l’enseignement ? La loi vous donne la mission de valider les procédures d’évaluation et de donner un avis sur les conditions de son application, cela a-t-il été fait ?
Enfin, le secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, que l’on a reçu juste avant vous, a proposé de fusionner l’AERES avec le HCST pour lui donner une mission plus large de stratégie, qu’en pensez-vous ?
Monsieur Didier Houssin. - Notre budget est de 15 à 16 millions d’euros. Il nous permet de remplir correctement nos missions. Le « coût » pour évaluer une unité de recherche est actuellement d’environ 6 700 euros.
L’impression de multiplicité des évaluations est réelle et provient sans doute de la multiplicité des sources de financement et de la diversité des méthodes de reporting. Il faut avancer vers la création d’un guichet unique et l’harmonisation des dossiers.
L’évaluation est au cœur du métier de chercheur et elle n’est donc pas externalisable.
Concernant la possibilité de s’appuyer sur les organismes, l’indépendance joue un rôle crucial pour la sincérité de l’évaluation. On peut tout de même avoir l’ambition de recentrer l’AERES sur la validation des procédures. Néanmoins, je pense qu’il n’est pas possible de le faire tout de suite en France. Il faut en outre éviter le piège du conflit d’intérêt des évaluateurs, mais l’expérimentation est possible malgré un risque d’inégalité.
Sur l’évaluation des formations on peut sans doute aller vers quelque chose de moins fin.
Sur la question de notre mission sur la validation des procédures d’évaluation, nous avons avancé mais lentement. En 2011 nous avons réalisé une première enquête. Il en ressort que les évaluations mises en place sont sans doute incomplètes, imparfaites et à évaluer. En outre, nous travaillons sur un cadre des bonnes pratiques. Nous pensons qu’il faut une évolution de la loi : il ne faut plus que notre mission soit de valider les procédures mais d’évaluer celles-ci.
Enfin, en ce qui concerne la fusion de l’AERES avec le HCST, il faut distinguer deux choses : l’évaluation des politiques publiques et l’évaluation du fonctionnement du système. Je considère que ce n’est peut-être pas une très bonne idée de mélanger les deux.
M. Michel Berson. - Les recommandations de l’AERES, son expérience sont-elles prises en compte par les organismes de recherche et par les universités ? Y a-t-il un suivi de leur mise en œuvre ? La procédure contradictoire peut-elle être améliorée ? Y a-t-il une différence de degré entre ce que font la Cour des comptes et l’AERES, étant donné que leurs champs d’investigation ne sont pas les mêmes ?
M. Didier Houssin. - Il est difficile de mesurer l’impact de l’évaluation. Les évaluations de l’AERES ont un effet sur la mise en place de procédures d’assurance qualité, et sur l’autoévaluation. Il est possible de le juger du fait du caractère périodique des évaluations : le deuxième cycle d’évaluation qui débute actuellement montre des évolutions incontestables. Il est néanmoins difficile de mesurer les résultats finaux sur la qualité de la formation pour les étudiants.
Certains disent que l’AERES est une Cour des comptes de deuxième classe. Sa procédure n’est certes pas aussi élaborée que celle de la Cour, mais les évalués ont la possibilité de répondre, ce qu’ils font parfois de manière assez vive.
M. Philippe Tchamitchian, directeur de la section des établissements. - le processus d’évaluation des établissements est en deux temps, le premier relevant de la responsabilité des établissements qui font un rapport d’autoévaluation de leurs actions au cours des quatre ou cinq dernières années. Il en résulte une vraie dimension d’autoanalyse.
En ce qui concerne le lien entre évaluation et contractualisation, il faut que l’évaluation précède la contractualisation. L’évaluation a en effet la vertu d’objectiver les constats et de fournir une base à la négociation contractuelle.
M. Jean-Yves Le Déaut. – J’ai bien noté que vous souhaitiez rester une autorité administrative indépendante, dotée d’une mission d’évaluation, et non de validation, des procédures d’évaluation des personnes. Mais concernant l’évaluation des procédures et la possibilité de vous appuyer sur des organismes d’évaluation interne, est-ce qu’en dehors des instances du Comité nationale de la recherche scientifique (CoNRS) et du Conseil national des universités (CNU), il existe d’autres comités sur lesquels l’AERES pourrait s’appuyer et, si c’est le cas, lesquels ? Comment comptez-vous organiser l’évaluation difficile des unités mixtes de recherche ? Comment ferez-vous participer le personnel élu à l’évaluation maintenant que des décrets ont supprimé la possibilité d’évaluer les équipes, pour les comités du CNRS et de l’INSERM, au profit d’une évaluation par l’AERES ?
M. Didier Houssin. – Effectivement, s’agissant de l’évaluation des personnels, il serait plus pertinent pour l’AERES d’évaluer, et non pas de valider, les procédures. Quant à la capacité à s’appuyer sur les comités d’évaluation interne, on se heurte à la complexité du dispositif. Si l’on s’appuie sur les comités spécialisés du CNRS ou de l’INSERM, comment cela se passera-t-il avec le CEA, l’INRA ou les universités, car on entre alors dans une complexité difficile à gérer. Pour l’évaluation des unités mixtes de recherche et à titre expérimental, on pourrait imaginer de s’appuyer sur un Scientific Advisory Board (SAB). J’ai eu l’occasion d’évoquer cette piste avec l’administrateur du Collège de France, M. Serge Haroche.
Concernant les élus, nous ne sommes pas favorables à ce qu’ils soient, en tant que tels, membres de comités d’évaluation. Cependant, deux élus représentant la communauté scientifique pourraient siéger au Conseil de l’AERES, instance politique où siègent déjà deux parlementaires, afin d’accroître la participation aux travaux de l’AERES.
S’agissant des textes, il subsiste des ambiguïtés sur le rôle de chacun et il faudrait clarifier cela. Je ferai une proposition fonctionnelle, à savoir mettre en place un groupe de concertation associant responsables de l’évaluation collective et de l’évaluation individuelle.
L’AERES, indépendante, est restée isolée. Elle pourrait tout à fait travailler en partenariat avec d’autres instances en préservant son indépendance.
M. Bruno Sido. - L’AERES est une instance d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, mais est-ce que vous vous autoévaluez ? En conclusion, pourriez-vous nous donner quelques pistes d’évolution, notamment suite aux observations faites dans le cadre des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Comment devenir plus performant dans l’évaluation tout en allégeant autant que possible les charges pesant sur les chercheurs, qui doivent disposer de temps pour leurs recherches ?
M. Didier Houssin. - En préambule, je voudrais préciser que l’AERES s’autoévalue et qu’elle a même été évaluée au niveau européen, puisqu’elle est inscrite au registre européen des agences qualité.
Je peux distinguer quatre pistes d’amélioration de nos procédures :
- mettre de plus en plus l’accent sur l’autoévaluation, pour prendre une certaine distance, pour que l’évaluation externe soit un complément,
- simplifier, travailler à un grain un peu moins fin maintenant que nous avons l’expérience, mais sans perdre le contact avec le terrain,
- essayer de mieux appréhender la mesure des effets de l’évaluation, en vue d’optimiser son impact,
- renforcer notre assise européenne. L’agence française a la chance d’évaluer à la fois les organes de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il faudrait faire en sorte que ce modèle se généralise.
M. Jean-Yves Le Déaut. - La loi a décidé de confier l’évaluation des organes de recherche et d’enseignement supérieur à une autorité indépendante. Cela n’interdit pas pour autant le contrôle du Parlement. Ne serait-il pas utile que vous puissiez être auditionné devant le Parlement chaque année, comme c’est le cas pour l’Autorité de sûreté nucléaire ou d’autres organismes ?
M. Didier Houssin. - J’en serais enchanté. Un des dangers qui menace une structure comme la nôtre, c’est de perdre les contacts. Nous sommes contrôlés par la Cour des comptes, mais ce serait très utile aussi d’avoir régulièrement des contacts avec le Parlement. »
ANNEXE 3 :
AUDITION DE MME GENEVIÈVE FIORASO, MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE, LE 5 FÉVRIER 2013
« M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST. Je remercie Madame la Ministre Geneviève Fioraso, que l’on connaît bien ici, d’être venue devant l’OPECST pour nous informer sur la loi en préparation sur l’enseignement supérieur et la recherche. Je pense qu’au-delà des prises de position de nature politique, la loi de 2006 a été une avancée salutaire. J’espère donc que nous ne jetterons pas le bébé avec l’eau du bain.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. Je remercie aussi Madame la Ministre non seulement pour sa venue à l’OPECST mais aussi pour tout le support qu’elle m’a apporté dans ma récente mission [Rédaction du rapport intitulé « Refonder l’Université, Dynamiser la recherche : mieux coopérer pour réussir »].
Je dois tout d’abord souligner que vous avez mis en place une très bonne méthode. Les Assises nationales ont permis de consulter très largement le monde scientifique et d’associer le Parlement très en amont de la loi.
Notre travail est de compléter les lois sur l’enseignement supérieur et la recherche. Il faut simplifier, mieux organiser le système, revoir la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) mais sans remettre en cause l’autonomie. La réussite des étudiants est aussi un de nos objectifs principaux.
Le travail engagé me semble aller dans le bon sens, néanmoins un point m’inquiète : on a dit qu’il fallait une cohérence pour l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais dans les versions du projet de loi que j’ai vues, la notion de co-tutelle a disparu. J’imagine que dans les réunions interministérielles, il y a eu quelques réactions, des freinages mais il me semble qu’il s’agit là d’une notion fondamentale.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Merci Monsieur le Président et Monsieur le Premier vice-président. Comme Bruno Sido l’a dit, je connais en effet assez bien l’OPECST pour en avoir été membre durant cinq années. Au cours de cette période, j’ai notamment fait un rapport sur la biologie de synthèse qui a été une expérience particulièrement enrichissante.
Dans ce projet de loi, ma volonté est d’aller vers un large consensus. La méthode que nous avons adoptée est celle du dialogue. Le ministère que je dirige a la particularité de voir son budget être exécuté à environ 90 % par des opérateurs extérieurs.
Le second ministère en ce qui concerne la délégation de son budget à des opérateurs extérieurs est la culture, mais il ne délègue que 50 % de son budget.
La loi LRU a marqué la communauté académique ; il faut la réformer. Pourtant, il ne faut pas revenir sur la notion d’autonomie. Cette notion remonte à loin. Depuis la loi Faure de 1968, en passant par la loi Savary de 1984, les différentes lois sur l’enseignement supérieur et la recherche ont renforcé cette belle notion qu’est l’autonomie, il faut qu’elle soit totalement appropriée. Néanmoins, sa mise en œuvre devait être revue car le dialogue et la confiance devait être rétablis.
Sans vouloir faire de polémique, je pense que le discours du Président Sarkozy de janvier 2008 a laissé chez les chercheurs un goût amer qui s’est traduit par des mouvements importants dans les universités.
Par le biais des Assises, nous avons voulu réengager le dialogue. Certains étaient sceptiques sur la méthode. Néanmoins, plusieurs dizaines de séminaires dans les territoires, l’implication des recteurs, des préfets, des équipes de recherches et de la communauté académique dans son ensemble ont fait la réussite de ces Assises. Elles ont été encadrées au niveau national par un Comité de pilotage indépendant qui a procédé à plus de 110 auditions.
Le Premier ministre a voulu accompagner tout cela d’un regard transverse. Ce fût, également, la mission de Jean-Yves Le Déaut, au titre de l’OPECST et du Parlement.
Il a donc reçu cette mission d’établir les bases du projet de loi ; il a finalement presque réalisé un livre blanc de l’enseignement supérieur et de la recherche. Son rapport est la source d’une très grande richesse d’informations et d’analyses.
Le rapporteur national des Assises, Vincent Berger, a su faire une synthèse des 1 300 contributions que le comité de pilotage a reçues et de tout ce qui s’est dit sur le territoire.
De tout cela, je dois faire un projet de loi. La loi ne traitera pas tous les sujets abordés par les Assises et le rapport Le Déaut car la loi ne constitue pas toute la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet, tout ne relève pas de la loi et, par ailleurs, le Président de la République a voulu un projet de loi sobre qui ne puisse pas être retoqué.
Pour la première fois, nous proposons un projet qui regroupe l’enseignement supérieur et la recherche.
Dans un monde en mutation, nous devons nous adapter. Il faut repenser l’économie de la connaissance qui est devenue extrêmement compétitive. Les pays émergents l’ont compris et se lancent massivement dans la compétition. Nous les avons rencontrés et ils veulent massivement investir. Pour eux, c’est un moyen de développement ; pour nous, c’est le levier du redressement de notre pays.
Nous ne sommes pas en avance. Ainsi, moins de 30 % d’une tranche d’âge atteint le niveau bac +3. Le Danemark est à 44 % et nos voisins proches autour de 40 %.
Nous avons une recherche de qualité qui reçoit de nombreuses récompenses et jouit d’une grande reconnaissance internationale. Cependant, deux points faibles ressortent, mis en avant notamment par le rapport de Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut intitulé « L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques » : la recherche technologique et le transfert de technologie.
Notre projet de loi veut remédier aux dysfonctionnements identifiés lors des Assises ; notamment améliorer la réussite des étudiants, sanctuariser la recherche fondamentale en revoyant les obligations de comptes-rendus intermédiaires, qui sont une vraie perte de temps, et qui ne sont pas vraiment adaptés à la notion même de recherche fondamentale.
Nous allons par ailleurs demander à l’ANR de laisser des temps de recherche plus longs qui s’inscrivent dans de grands projets européens à horizon 2020.
La réussite des étudiants sera au centre du projet, notamment en direction de ceux qui échouent le plus en premier cycle : les lauréats d’un baccalauréat professionnel ou technologique (ils représentent désormais la majorité des bacheliers). Naturellement, ces bacheliers devraient se diriger vers les BTS et IUT. En conséquence d’une évolution malheureuse, ils se dirigent par défaut vers l’université alors qu’ils ont sept fois plus de « chances » d’y échouer.
C’est la traduction d’un problème d’orientation qu’on n’a pas voulu ou pu affronter. Les IUT sont devenus des filières très sélectives vues par les étudiants comme une voie d’accès à des études plus longues, et non plus comme des filières courtes à vocation professionnelle.
Les étudiants que j’ai pu rencontrer m’ont notamment dit qu’ils vont dans ces filières car ils sont plus encadrés – c’est plus rassurant à la fois pour eux et leurs parents – mais aussi car les formations et leurs intitulés y sont plus lisibles.
Je souhaite engager une réforme forte pour les bacheliers technologiques et professionnels. Nous devons faire évoluer les filières d’origine des étudiants en IUT et BTS. 10 à 15 % devront être titulaires d’un baccalauréat professionnel ou technologique. Il s’agit là d’une évolution forte mais qui n’est pas à même de dénaturer ou « casser » la qualité de ces formations.
Le premier cycle universitaire est devenu un parcours assez erratique pour une importante part des étudiants. Il dure souvent quatre ou cinq ans. Or, ceci pénalise essentiellement les plus modestes. La réouverture des possibilités au profit des bacheliers professionnels et technologiques vise à répondre à ce problème. Mais nous avons aussi engagé un travail plus large avec Vincent Peillon sur ce que nous appelons le Bac-3 - Bac+3. Ce que nous visons, c’est que les élèves de lycée bénéficient tous d’une présentation de l’université et de ses méthodes pédagogiques par des maîtres de conférences et des professeurs d’université. Cette nouvelle pratique doit aussi permettre de faire intervenir des professionnels non académiques pour mieux présenter le monde professionnel.
Pour le premier cycle universitaire, nous souhaitons mettre en place une spécialisation plus progressive, non pas pour casser les disciplines mais pour favoriser les passerelles et ainsi améliorer la réussite des étudiants.
L’intégration des ESPE (Écoles Supérieures du Professorat et de l’Enseignement) doit aussi être l’occasion d’introduire des innovations pédagogiques, notamment en ce qui concerne le numérique. Mais je tiens à souligner que ce dernier ne devra pas être intégré comme un simple gadget. Les étudiants sont désormais ce que l’on appelle des « digital natives ». En cours, ils vérifient directement en ligne, en temps réel, si ce qui est dit par le professeur est juste. Quand, dans leur rapport, MM. Le Déaut et Birraux ont évalué la perception du risque suivant l’âge, ils ont constaté que les jeunes considèrent comme le risque le plus important celui de voir leur ordinateur piraté. Dans le dialogue que l’on a avec eux, en cours, leur relation au numérique change profondément le lien entre enseignants et étudiants ; cela écrase la hiérarchie. On ne peut plus enseigner de la même façon, il y a des choses à apprendre de ce côté. Il faut revoir notre façon d’apprendre et de dialoguer.
De la même façon, je veux multiplier l’alternance par deux. En Allemagne, plus de 40 % des jeunes sont formés ainsi. En France, ils sont 8 % et seulement 4 % dans les universités. Quand on observe cela de plus près, ce sont surtout les universités des villes nouvelles (Marne-la-vallée...) qui portent l’alternance dans le supérieur ; le poids académique y est sûrement moins fort car elles doivent se tourner vers leur environnement immédiat.
Il nous faut aussi améliorer la visibilité de notre offre de formation. Si on compte uniquement les spécialités de masters, sans compter les masters des écoles, elles sont plus de 7 800 aujourd’hui : est-ce bien sérieux ? Qui peut s’y retrouver ? Personne, ni les étudiants, ni leurs familles, et surtout pas, encore une fois, les plus modestes. Les employeurs n’arrivent plus à identifier les formations et les compétences acquises : comment voulez-vous qu’ils recrutent des jeunes diplômés de l’université ? Ces spécialités, 5 800 pour les masters, seront supprimées. Ça ne veut pas dire que l’on va appauvrir l’offre, car les masters pourront toujours se différencier les uns des autres, mais on rendra ainsi cette formation lisible par tous. Il en est de même pour les licences où l’on dénombre environ 3 300 intitulés. On va diviser ce chiffre par dix. Un certain nombre de ces formations sont le fruit de négociations avec les acteurs économiques locaux qui, par conséquent, les connaissent, notamment parmi les filières dites professionnelles. Nous n’y toucherons pas, car ce travail de simplification se fera toujours en dialogue, jamais de façon péremptoire. Ce sera fait en un an ou deux en appréciant l’offre à la hauteur de la qualité des enseignements dispensés.
Nous voulons avancer sur la reconnaissance des doctorats. Le constat est simple, les entreprises et l’administration ne reconnaissent pas assez les doctorats. Il s’agit d’un combat de longue haleine pour que la haute administration publique reconnaisse cette formation. Les qualités acquises par les doctorants sont pourtant des qualités dont on a besoin, surtout dans des domaines monopolisés par certaines formations, les doctorants se caractérisant souvent par beaucoup de créativité et de transversalité.
Le deuxième grand point de ce projet sera le décloisonnement du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Si nous voulons assumer la vocation à l’universalité de notre enseignement supérieur et de notre recherche, il faut être plus clair et plus visible à l’international. Cependant, nous sommes face à une accumulation de strates dans lesquelles il est difficile de se retrouver.
Nous voulons donc abattre les barrières entre ces strates mais également entre entreprises et recherche, entre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et université. L’inscription à l’université sera donc obligatoire en CPGE. Les accusations du risque de destruction du système sont infondées. Nous voulons rapprocher sans uniformiser, nous voulons aussi protéger ceux qui réussissent le moins. Les frais ne seront que de 180 euros pour les non-boursiers, et nuls pour les boursiers.
Nous voulons également décloisonner à l’intérieur même des universités. Il faut les ouvrir aux personnalités extérieures et instaurer la parité. Seulement 8 % des présidents d’université sont des femmes, alors que l’université est la structure qui produit le plus d’études sur la parité. Les personnalités extérieures doivent être des administrateurs à part entière, et devront ainsi participer à l’élection du président. Ils viendront d’organismes de recherche associés, des collectivités locales et du milieu socio-économique, et leurs nominations devront donc être incontestables.
Nous voulons également regrouper, sur la base du volontariat, la multitude des acteurs de l’enseignement supérieur sur un même site sans remettre en cause les statuts particuliers des uns et des autres. Nous voulons laisser de l’autonomie sur ces sujets. Peu importe le moyen : regroupement, fédération, confédération, rattachement… du moment que la structure globale devienne claire et visible.
Le dernier grand point sera la recherche. Elle souffre aussi de la complexité des structures. Elle souffre également d’un manque de lisibilité. Par exemple, le Grenelle de l’environnement a fait émerger 19 pistes de recherche ! Ce n’est pas réaliste pour un pays de la taille de la France.
La recherche française doit devenir plus européenne. Au cours des dernières années, on a vu une baisse de 5 % des lauréats européens ; elle est certainement imputable à la concurrence des appels à projets nationaux.
Nous allons introduire un agenda stratégique de la recherche qui associera l’OPECST très en amont. Cet agenda permettra à la recherche française d’être plus lisible par le grand public. Cet agenda s’appuiera sur les alliances et un conseil stratégique associé au Premier ministre. Ce conseil viendra en remplacement d’au moins deux conseils. L’OPECST viendra, comme je l’ai dit, en amont mais aussi en aval ; il permettra ainsi au Parlement d’assurer sa mission de contrôle.
Nous allons pousser la recherche stratégique avec les instituts Carnot et les CEA tech.
La résorption de la précarité est aussi un point important pour l’avenir de la recherche publique française. Cela ne se fera pas par la loi, car ce problème ne relève pas de son domaine. Néanmoins, le travail est déjà engagé avec 8 000 titularisations programmées pour les années à venir. Nous devons aussi mener une action de fond pour éviter de renouveler cette situation. On doit ainsi limiter à 30 % la quantité de CDD dans les appels d’offre de l’ANR.
Enfin, j’ai été heureuse de lire dans le rapport Gallois qu’il faut sanctuariser l’enseignement supérieur et la recherche et d’entendre le Président de la République, hier, dire qu’il s’engage à sanctuariser le budget durant le quinquennat sur une base sincère et lisible.
M. Bruno Sido. Merci, Madame la Ministre, pour cet exposé. Je souhaite vous poser plusieurs questions.
Premièrement, il y a une inquiétude qui monte du côté des grandes écoles et des classes préparatoires, notamment en raison des spécificités des enseignements qu’elles dispensent. Elles souhaitent être assurées de garder pleinement leur indépendance, qu’en dites-vous ?
Concernant la stimulation de la recherche fondamentale, il faudra prendre garde à ne pas complètement abandonner la culture de projet, qui permet entre autres le regroupement pluridisciplinaire et la logique partenariale.
Nos chercheurs, que nous rencontrons dans le cadre des travaux de l’Office, se plaignent de la croissance de leurs charges de gestion. Qu’en pensez-vous et que proposez-vous ? Où en êtes-vous de votre projet d’harmonisation des dossiers d’appel d’offre ?
Aujourd’hui, dans la recherche publique, la part de la masse salariale dans le budget est de 80 % et pèse donc sur les marges de manœuvre des organismes publics de recherche. Comment y remédier ? Envisagez-vous un second grand emprunt ?
Mme Geneviève Fioraso. Toutes les inquiétudes s’expriment. C’est normal dans un contexte de présentation d’un avant-projet de loi. Dans la presse, on dit que le ministère recule et ce n’est pas vrai. Il y a débat et nous sommes dans une démarche de dialogue et de consultation. La controverse est donc nécessaire.
Les classes préparatoires ont depuis longtemps des conventions avec les universités au bénéfice de tous les acteurs. Il faut mettre encore plus de fluidité. C’est bien d’avoir des éclairages sur les métiers de la recherche aussi quand on est en classe préparatoire. Trop peu d’étudiants des grandes écoles, d’ailleurs, font des thèses. Les passerelles jouent un rôle important pour ainsi diversifier la culture et en finir avec ce système trop dual. C’est exactement ce que dit le Président François Hollande : « Rapprocher sans confondre ». Pas de crainte à avoir, donc, d’être confondu, ni d’être fondu.
Concernant le rééquilibrage des crédits, nous sommes confrontés, comme vous le dites très justement, à une course permanente aux crédits. Il devient nécessaire de revenir à un équilibre en donnant une vision à moyen terme à la recherche. Probablement que l’ANR devra aligner ses appels à projet sur ceux de l’Union européenne, pour que les chercheurs s’occupent plus de ce qu’ils sont habilités à faire. Il faut aussi équiper les petits laboratoires.
L’interdisciplinarité, c’est justement ce qu’on cherche lorsqu’on préconise de se spécialiser moins rapidement. Aussi favorisons-nous le dialogue entre les disciplines ainsi que la création de nombreuses passerelles. Les temps s’accélèrent, l’accès à la connaissance a changé et il existe de moins en moins de disciplines monolithiques. Nous encourageons par ailleurs les grands projets structurants de recherche à s’accrocher au niveau européen pour ainsi avoir plus de visibilité.
Pour ce qui est de la part des dépenses salariales, vous le savez, la recherche, c’est avant tout de la matière grise. Et la matière grise s’incarne dans des personnes. Il faut organiser la résorption de la précarité, il faut mettre fin à la précarisation présente, mais il faut aussi maintenir, par ailleurs, un flux d’entrants. On doit pouvoir aussi compter sur la recherche privée et la haute administration. Il faut pour cela diversifier les débouchés et assurer l’accompagnement de la mobilité des chercheurs.
On arrive au bout du Grand Emprunt, mais tout n’est pas encore dépensé. Deux tiers des sommes ont été affectés à l’enseignement supérieur et à la recherche. Ils ont été, par exemple, affectés au renforcement des instituts Carnot et des IED. Néanmoins, les premiers IED ne démarrent pas, et ce, depuis quatre ans ! Alors, est-il pertinent de maintenir ces projets ? Avant de lancer un nouvel emprunt, on peut peut-être penser à reconvertir les montants non encore utilisés du premier Grand Emprunt.
M. Jean-Yves Le Déaut. Madame la Ministre, je vais vous demander de préciser plusieurs points, mais je voulais tout d’abord vous remercier pour votre présentation. Je suis très heureux que le rôle stratégique de la recherche ait été souligné et que l’OPECST puisse participer à la définition de cette stratégie. Je voudrais que vous précisiez les conditions de l’orientation en première et deuxième années de santé, et les modalités d’organisation des études médicales. Deuxièmement, la question de la co-tutelle a disparu des derniers projets que j’ai vus. Pour moi, comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un point important de la loi à venir. La question de la reconnaissance des doctorats, notamment dans la haute administration, est aussi un enjeu important ; le Parlement, via l’OPECST mais aussi les commissions, a par le passé pris position en faveur de mesures plus volontaires que les premières rédactions du projet de loi. Y aura-t-il plus de volontarisme ? En tous cas, le Parlement y veillera, notamment par voie d’amendements. Sur le Grand Emprunt, en effet, tout n’a pas été distribué ; certaines villes y sont restées en marge. Comment va-t-on les aider ?
Mme Geneviève Fioraso. En effet, je n’avais pas répondu à votre interrogation initiale concernant les cotutelles. Ce mot de co-tutelle a fait très peur à certains ministères. Ce qui est important, c’est que l’offre de formation fasse l’objet d’une harmonisation et d’une coordination. Certains établissements ont dit craindre une « atteinte » à leur culture s’ils passaient sous la tutelle du MESR. Nous avons donc décidé de changer de formulation pour pouvoir aboutir. Désormais, le projet prévoit que le MESR coordonne l’ensemble des formations et nous sommes assez déterminés sur ce sujet.
Concernant les doctorats, nous sommes extrêmement volontaristes. Cependant, il faut admettre que nous nous sommes montrés un peu naïfs au départ en pensant que les négociations avec les grands corps de l’État seraient aisées et pourraient se faire en bloc. En fait, il faudra négocier corps par corps. La solution à ce problème n’est pas forcément de légiférer. Nous en sommes donc au stade de la négociation avec, encore une fois, beaucoup de détermination. Ce sont des « montagnes » mais l’objectif final est juste. Nous avons besoin de diversifier l’accès aux concours.
Dans le domaine des études de santé, il y a des expérimentations en cours. Trois universités parisiennes ont instauré des passerelles ; les licenciés de biologie peuvent désormais entrer dans les filières de médecine sans passer le concours de première année. La loi se propose d’envisager la généralisation de ces expérimentations ; c’est un travail mené en collaboration avec le ministère de la Santé. Nous sommes par ailleurs en train de travailler sur les modalités du concours d’entrée, qui ne convient plus vraiment ; nous sommes ainsi les seuls en Europe, et même au-delà de l’Europe, à sélectionner nos médecins par QCM, et même à faire passer un QCM pour vérifier les connaissances en sciences humaines et sociales. Croyez-moi, des améliorations à cet égard permettront de répondre à un besoin, notamment avec le vieillissement de la population.
M. Alain Claeys, député. Madame, ce premier sujet qui m’apparaît essentiel pour votre ministère est le crédit d’impôt recherche (CIR). Je pense que, d’ici trois ans, il risque d’y avoir télescopage entre ce dispositif et les crédits courants, et nécessité d’un arbitrage entre le coût du CIR et votre propre budget.
Deuxièmement, s’agissant des communautés d’université, si je comprends bien, la loi va supprimer les PRES. Je me pose la question de la légitimité des conseils de ces communautés face aux conseils des universités. Par ailleurs, n’y a-t-il pas un risque de régionalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Quelle légitimité vont avoir ces communautés pour négocier les contrats de site ?
En ce qui concerne le conseil stratégique de la recherche, je dois dire que je ne comprends pas grand-chose. Je suis favorable à une coordination au niveau du MESR, mais quel rôle aura ce conseil face à Louis Gallois ? On nous dit en effet qu’il est responsable de la réflexion stratégique. Par ailleurs, je m’interroge sur le pilotage de l’ANR : est-elle le bras séculier de l’État ? Va-t-il y avoir une évolution de sa gouvernance ?
Enfin, un mot sur l’évaluation, je ne crois pas trop que l’enjeu soit le changement de nom de l’AERES…
M. Michel Berson, sénateur. Madame la Ministre, je voudrais vous poser cinq questions dont trois portent sur le cœur du projet de loi.
Tout d’abord, je voudrai prolonger l’intervention de mon collègue Claeys. Le CIR pose à la fois un problème financier et une question de fond. La dernière réforme du CIR a conduit à faire passer son budget de 2,5 milliards d’euros à 6 milliards. Le budget de l’ESR va quant à lui suivre l’inflation durant les trois prochaines années. On doit donc réfléchir à l’évolution du CIR pour le réorienter en partie vers la recherche publique. Deux mesures simples pourraient rapidement être mises en œuvre : bonifier le recrutement de docteurs par les entreprises ; favoriser la sous-traitance à des organismes publics d’une partie de la recherche des entreprises.
Ma deuxième question porte sur le problème des vacataires et des contractuels. Vous avez annoncé le chiffre de 8 000 précaires régularisés en quatre ans ; cela fait 2 000 régularisations par an. Or on dénombre jusqu’à 50 000 contractuels et vacataires ; je dis bien en comptant les vacataires, ce qui fait grimper les chiffres. On a multiplié par quatre leur nombre au cours des années passées, alors qu’au-delà d’une part de 20 % de l’effectif, on peut considérer qu’il y a des abus.
Troisièmement, je reviens sur la lancinante question de la gestion de la masse salariale. Il y a, c’est vrai, des dérapages mais pas seulement. De plus, il y a la question de l’avenir : comment garantir que l’État prévoira les ressources nécessaires notamment pour financer le GVT ?
Plus particulièrement sur le projet de loi, deux questions me taraudent : la gouvernance de ces nouveaux objets que sont les communautés d’universités et l’évaluation.
Vous avez parlé de souplesse, c’est une très bonne chose. Mais il y a la question du conseil d’administration et de sa composition. Si les ratios de représentation retenus sont ceux figurant dans le projet de texte, il risque d’y avoir des problèmes.
Je dois dire que l’évaluation est une chose que je ne connaissais pas il y a quelques années. Je pense aujourd’hui que ce serait contre-performant de remplacer un organisme qui commence à être connu par quelque chose qui lui ressemble fort. Ce serait injuste car ça ne tiendrait pas compte de l’évolution importante des deux dernières années. Et c’est dommage car l’AERES a acquis une certaine notoriété aussi bien au niveau national qu’international. De plus, elle a permis d’améliorer sensiblement la lisibilité du système.
Mme Geneviève Fioraso. Tout d’abord sur le CIR. C’est en effet un sujet que je n’ai pas abordé. C’est un sujet, et c’est le choix du Premier ministre, qui a été abordé dans le budget et plutôt sous son angle financier, et ce, même s’il concerne directement le financement de la recherche. Mais je vais faire quelques remarques rapides. Le pourcentage de PIB dépensé pour la recherche plafonne à 2,2/2,3 % – loin de l’objectif des 3 % – alors que l’Allemagne est à 2,8 %. Si l’on compare la structure des dépenses, en Allemagne, c’est la part privée qui est plus grande ; la part publique est en effet à peu près la même qu’en France. Quand on regarde plus finement, à structure industrielle équivalente, on est à peu près au même niveau. C’est un peu l’œuf ou la poule vous me direz, mais le problème, c’est qu’on a perdu des emplois industriels, et si on les a perdus, c’est parce qu’ils n’étaient pas suffisamment haut de gamme, et parce qu’ils n’étaient pas suffisamment irrigués par la recherche. On ferait bien de s’interroger sur cette cohérence et ne pas en rester à une analyse théorique. Si on crée des exonérations fiscales et sociales, et que ça ne se traduit pas en emplois, c’est donc que la méthode est à corriger. Je ne pense pas qu’il faille diminuer l’effort financier sur le CIR, car en matière fiscale, notamment en période difficile pour les entreprises, il n’y a rien de pire que l’inconstance. Pour autant, les résultats doivent être au rendez-vous.
Concernant les communautés d’universités, je me suis posé les même questions que vous. Mais, en même temps, on sent bien que l’objectif partagé, c’est d’avoir plus de lisibilité tout en laissant beaucoup de flexibilité et sans sacrifier des sites qui se considèrent comme oubliés par les grands pôles. Cette idée des communautés d’université répond aux remontées des Assises quant au manque de crédibilité des PRES, quant au manque d’ouverture sur leur milieu et quant au manque de représentation des personnels. Tous les établissements, quel que soit leur statut préexistant, auront intérêt à avoir une réflexion stratégique commune. C’est ce que l’on veut. Les représentants des personnels seront davantage impliqués et cela permettra d’améliorer la communication. Ce ne sera pas pour autant ingérable. Les CA ont pour le moment un tiers d’élus ; dans le dispositif préconisé par la nouvelle loi, on en aura au maximum 40 %. Par ailleurs, elles ne porteront vraisemblablement pas le nom de « communauté » ; elles s’appelleront, par exemple, Université de Bordeaux, Université de Toulouse… Le terme de « communauté » a été retenu pour faire une sorte de parallélisme avec les communautés de communes qui mutualisent un certain nombre de missions.
M. Alain Claeys. Madame la Ministre, permettez-moi d’intervenir à ce propos. Je comprends bien Université de Bordeaux, Université de Toulouse. Mais il peut y avoir des formes différentes d’universités et de regroupement. Comment prendre cela en compte ?
Mme Geneviève Fioraso. C’est vrai. C’est pourquoi nous avons bien pris la précaution de prévoir que ces communautés ne se feront pas sur une base régionale. Nous avons voulu éviter de tomber face au problème que vous avez soulevé, c’est pourquoi elles se feront sur une base académique ou inter-académique ; on a essayé d’ouvrir le champ des possibilités, et ce, sans interférer a priori avec une loi qui viendra plus tard, qui est l’acte 3 de la décentralisation.
M. Alain Claeys. On ne peut pas aller en aveugle comme ça. Il ne faudrait pas que les lois de décentralisation interviennent après pour refermer le jeu. Il faut que cet arbitrage gouvernemental intervienne au moment de la loi sur l’ESR.
Mme Geneviève Fioraso. Bien sûr, mais c’est compliqué car, de fait, on doit fixer le cadre avant la nouvelle loi de décentralisation. On a tout de même intérêt à passer avant, et à baser notre loi sur l’académie et l’inter-académique. Comme ça, on se met à l’abri des choix qui seront faits plus tard ; les collectivités s’organiseront ensuite.
Concernant la composition du conseil d’administration de ces communautés, 20 % seront des représentants des membres et 30 % seront des personnalités extérieures, parce que nous pensons que les sites doivent être davantage ouverts sur leurs écosystèmes. Par ailleurs, s’il y a plus de quinze membres, il peut y avoir une dérogation pour avoir jusqu’à 40 % de représentants des membres.
M. Alain Claeys. Ces communautés d’universités contractualiseront-elles ? Si oui, sur la base de quoi ?
Mme Geneviève Fioraso. Oui, sur la base d’un contrat de site et sur la base de compétences qu’elles auront choisi de mettre en commun. Tout s’adaptera en fonction du degré de fédération des sites.
M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai discuté aujourd’hui avec le représentant de l’Association des Régions de France (ARF) qui suit l’ESR, et il m’a dit que l’ARF aimerait que l’on fixe les choses dès cette loi, et que les arbitrages soient faits. Car il est évident que l’acte 3 de la décentralisation en matière d’ESR va poser toutes ces questions. À mon sens, il ne faut pas laisser les questions de décentralisation en matière d’ESR entre les seules mains des spécialistes du droit des collectivités territoriales. Sans aller jusqu’au détail, il faut tout de même réfléchir en amont à cette question.
Mme Geneviève Fioraso. Pour l’AERES, il ne s’agit pas de remplacer un organisme par son jumeau. Si nous supprimons l’AERES, c’est pour changer profondément les missions qu’elle remplit. C’est vrai qu’il y a eu des évolutions au cours des derniers mois, mais les dysfonctionnements étaient trop importants pour être ignorés. Cela ne met pas en cause l’expertise des gens, ni des équipes. Par exemple, j’ai entendu en audition, ici à l’Office, les responsables de l’AERES dire qu’ils ne savaient pas évaluer un projet pluridisciplinaire ; en économie, notamment, ils avaient eu de grosses difficultés. La conception des missions du Haut Conseil est radicalement différente : il va habiliter des procédures, c'est-à-dire qu’il ne va évaluer lui-même que par défaut, lorsque ce sera demandé par les équipes ou les établissements. C’est en fait ce qui se fait un peu partout dans le monde.
Concernant la stratégie de la recherche, nous voulons rétablir le rôle de l’État par rapport à l’ANR ; celle-ci était devenue stratège par défaut, en fait. Il y avait bien la SNRI (Stratégie nationale de recherche et d’innovation), mais c’était quand même un peu vague, et on ne savait pas réellement qui était stratège. La création des Alliances était une bonne initiative. Dans notre schéma, c’est l’État qui coordonnera avec un conseil d’expertise. Le Commissariat général aux investissements (CGI) a, quant à lui, sa propre vocation dans le cadre du Pacte de croissance. Nous travaillerons avec lui, mais il n’a certainement pas vocation à se substituer au ministère.
Mme Maud Olivier, députée. Ma première question porte sur le rapprochement des sites. J’ai rencontré le directeur de la fondation de coopération scientifique de Saclay, qui m’a annoncé l’ouverture du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay au 1er janvier 2014. J’ai compris que l’État sera très présent avec les contrats de site, mais j’aimerais savoir comment les collectivités vont être associées car, pour le moment, elles sont un peu oubliées ?
Mme Geneviève Fioraso. Saclay, comme les autres sites, va faire évoluer le PRES vers une communauté basée sur un statut d’Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Les collectivités seront associées à ces établissements.
Mme Maud Olivier. Mon deuxième point concerne la formation tout au long de la vie. A l’heure actuelle, dans la grande majorité des cas, on est diplômé à 25 ans, et on fait le même métier toute sa vie sur la base de ce diplôme. Comment faire en sorte que les savoirs de ces diplômés soient au moins mis à niveau régulièrement, et que la formation tout au long de la vie se développe ?
Ma troisième question porte sur la diffusion de la culture scientifique et technique. Je voudrais savoir si elle sera du ressort du MESR ? Pourrait-il donner quelques pistes de stratégie ? Car, pour l’instant, il y a une délégation régionale donnée à beaucoup d’associations ; mais je crois qu’il y a une demande pour des objectifs et des pistes de stratégie clarifiés.
Enfin, une dernière question sur les grands défis des années à venir, sur l’énergie, la santé ou les NTIC, par exemple. Je crois qu’il serait bien d’en fixer les contours au niveau du conseil stratégique de la recherche. Mais je crois aussi qu’il faudrait des retours d’informations vers les acteurs de terrain concernés sur les territoires, pour que cette stratégie de recherche soit clairement définie et partagée.
M. Patrick Hetzel, député. L’OPECST est de toute évidence un organisme un peu particulier puisque je voudrais simplement dire que je rejoins M. Berson sur l’AERES, et que je partage ce qu’a dit M. Claeys concernant notamment les risques qui pourraient être liés à une régionalisation de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. Il n’y a pas là des problématiques nouvelles. Et je crois que c’est intéressant de voir que ces préoccupations transcendent nos mouvements politiques.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur quelques points précis.
Que vont devenir les fondations de coopération scientifique ? En l’occurrence, quand je lis le projet de loi, et plus précisément ce qui concerne les sections 1, 2 et 3 du Chapitre 4 du Titre 4 du Livre 3 du Code de la recherche, il y a un certain nombre de points où l’on supprime des structures qui existaient. Pouvez-vous en tout cas confirmer que leurs missions seront maintenues ?
Deuxièmement, il est prévu une forme de bicamérisme entre le Conseil d’administration et le Conseil académique. Ce n’est pas ici que je vais poser la question de l’utilité que peut parfois avoir un tel système, mais comment peut-on éviter les risques de blocage institutionnel ? Notamment, est-il envisageable de restreindre les compétences du Conseil académique à un rôle consultatif ?
Le projet actuel prévoit une nomination par le recteur des personnalités extérieures dans les conseils d’administration. Or vous venez d’envoyer un courrier à destination de la CPU dans lequel vous évoquez plusieurs formules alternatives. Y-a-t-il une évolution ou souhaitez-vous maintenir ce processus de nomination par les recteurs ?
Quatrième question, comment sera-t-il possible de consolider progressivement, et de façon cohérente, les structures de regroupement si les PRES disparaissent et leurs remplaçants sont d’emblée réorientés vers un schéma de contrat unique ? Je pense à certains PRES qui regroupent des institutions historiques comme l’ENS ou le Collège de France, par exemple. Je ne suis pas sûr que tout ceci soit aujourd’hui miscible. Comment faire en sorte que l’autonomie de gestion du Collège de France ou de l’ENS d’Ulm soit maintenue à l’intérieur de ces structures de regroupement ?
Dernier point, vous prévoyez une représentation très faible des chefs d’établissement aux conseils d’administration de ces communautés d’universités. On voit bien, du coup, que peut se poser la question de la garantie de leur représentation. Il faut assurer un mécanisme de lien et d’échange avec ces chefs d’établissements. Comment auront-ils finalement la légitimité requise pour convaincre leur communauté d’enseignement, s’ils ne participent pas eux-mêmes aux votes ?
Voilà quelques questions, il y en aurait d’autres, mais je pense que nous aurons dans les mois à venir de nouvelles occasions d’échanger plus avant sur ces sujets.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Merci, Madame la Ministre, de cet exposé très dense et, en tout cas, très précis. Je vais essayer de compléter ou plutôt d’aller sur d’autres chemins que mes collègues pour aborder un certain nombre de points très concrets.
Actuellement, comme chaque année, des universités et des laboratoires préparent leur plan quadriennal avec la perspective d’une évaluation par l’AERES et d’une contractualisation l’année prochaine. Qu’en sera-t-il pour ceux qui doivent déposer leur dossier cette année ?
Ensuite, sur le titre de doctorat, question que vous avez soulevée et qui est essentielle, vous avez souligné à quel point les différents corps d’état au sein de l’institution nationale qu’est l’État français sont des montagnes. Vous me permettrez une incidente, chaque corps est une montagne et vous êtes Sainte-Geneviève [le MESR est situé au bout de la rue de la montagne Sainte-Geneviève]. C’est un euphémisme de formuler les choses ainsi. Je ne prends pas de copyright, reprenez-le car je salue vraiment votre courage et votre vaillance. Mais ne serait-il pas plus simple et moins complexe de travailler sur les conventions collectives avec le monde industriel ? Il y a deux conventions collectives qui sont presque les mêmes, celles de la chimie et de la pharmacie, qui reconnaissent le doctorat. Ce sont les seules, mais par équivalence de forme, ne pourrait-on pas aller dans le même sens avec d’autres conventions collectives ? Je crois, pour l’avoir entendu récemment d’un certain nombre de collègues universitaires, que ce serait formidable pour le devenir de leurs étudiants car tous n’iront pas dans des grands corps de l’État, et tous ne sont pas formés dans des grandes écoles parisiennes. Ce qui m’amène à mon troisième point.
Est-il inenvisageable de se demander si, finalement, certaines grandes écoles parisiennes et franciliennes, je pense par exemple à l’ENS, et en tout cas à celles qui sont sous tutelle de l’État et pas de droit privé, ne pourraient pas avoir vocation à contractualiser de manière intelligente et spécifique, pour des temps donnés, avec des universités en région pour éviter que Paris soit la France et le reste la Province ? Ceci a été malheureusement un peu la tendance et c’est aussi le problème du plateau de Saclay. C’est un peu abrupt, j’en conviens, mais on est ici à l’Assemblée nationale. Si on ne le dit pas ici, où est-ce qu’on le dit ?
M. Bruno Sido. Merci d’avoir posé cette question.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. C’est un chemin, mais quand on ne commence pas par poser les premiers pas sur un chemin, on ne va nulle part, et ce, même si le chemin peut parfois changer de forme. C’est une question essentielle, car il y a ailleurs en France des écoles puissantes et, finalement, la manière pour les écoles de rayonner sur tout le territoire, est une question qui s’est posée de la même façon pour les organismes de recherche. Raisonner aussi avec cette force-là, dans une logique de contractualisation sur la qualité des diplômes et la reconnaissance de la qualité des étudiants, me paraîtrait essentielle. Au bout du compte, ce qui me parait primordial, c’est qu’on forme les étudiants, qu’ils soient pertinents, fiables, stables et efficaces pour le devenir de l’industrie française et de l’économie française. C’est essentiel et fondamental.
Mon quatrième point n’attend pas de réponse, Madame la Ministre, mais c’est un problème que je pose. La fusion des concours médecine, pharmacie, sage-femme, etc. n’est pas du tout facile à vivre pour les étudiants car cela veut dire : qui n’est pas médecin devient, par exemple, sage-femme. Avant, on choisissait un métier, maintenant on passe un concours commun et, par défaut, on devient sage-femme. Au lieu de considérer des métiers différents dans le monde de l’hôpital et de la médecine, on a créé des vassalités dans l’empire de la santé ; on a hiérarchisé de fait les métiers.
Les Sociétés d’accélération du transfert des technologies (SATT) sont des outils qui ont été voulus, créés, dotés, et qui doivent avoir des trajectoires. À mon sens, ces trajectoires ne peuvent pas être de les restreindre à l’espace territorial dans lequel elles s’inscrivent, ce qui leur interdirait d’avoir des ambitions internationales. C’est un point qui n’est pas anodin car, pour l’instant, elles sont contingentées à 90 % ou 95 % sur leur territoire régional et seulement à 5 % à l’extérieur. Peut-être faudrait-il travailler, dans un horizon plus lointain, à la levée de cette contrainte.
J’ai un dernier point qui est la question des stages sur laquelle, il me semble, il y aurait peut-être matière à ce que nous travaillions. En effet, beaucoup de nos élèves et étudiants sont employés très tard dans leur vie, même s’ils ont des diplômes de niveau L ou Bac, car ils sont en permanence en stage, ce qui est permis par le fait qu’ils peuvent s’inscrire en permanence et de façon illimitée à l’université, et que le monde économique se sert énormément de cette facilité. Ce point mériterait plus d’attention, car la « stagiairisation » de la jeunesse est un vrai problème.
Mme Geneviève Fioraso. S’agissant du devenir des fondations, on ne supprime rien. Simplement, on demande une seule fondation abritante. Il s’agit là aussi de faciliter la lisibilité et d’avoir un seul interlocuteur.
En ce qui concerne les conseils académiques et leur cantonnement à un rôle consultatif, on est déjà, en France, un peu en deçà par rapport à ce qui se fait ailleurs, où l’on assume le fait qu’il y a vraiment deux fonctions différentes. Ce n’est pas notre culture en France, donc on n’a pas voulu parler de « Sénat académique ». L’idée, avec un « conseil académique », c’est quand même de responsabiliser et de permettre un vrai travail, sans pour autant, contrairement à ce que j’ai pu entendre, déstabiliser la fonction du CA et la fonction de président. Dans le texte finalement proposé, qui sera en fait stabilisé d’ici début mars avec l’envoi au Conseil d’État et le passage en conseil des ministres qui, lui, devrait intervenir à la mi-mars, le président du CA et le CA fixent dans les statuts de l’établissement les modalités de désignation à la présidence du conseil académique. Ils décideront s’il s’agit du même président, d’un vice-président par délégation ou d’une personnalité extérieure. Au début, on avait été un peu plus radical ; on avait dit que ce serait une personnalité extérieure. L’idée, c’est quand même bien de distinguer ces compétences. Les limites imposées au conseil académique, c’est que chaque décision qu’il prendra engageant les finances, le budget ou la stratégie de l’établissement, devra être validée par le conseil d’administration de façon à ce que les deux fonctions ne se confondent pas. Donc il aura une mission plus que consultative mais pas stratégique.
Les difficultés financières des universités ne relèvent pas de la loi, mais sont traitées à travers un accompagnement spécifique. Les conditions de transfert n’ont pas forcément été les meilleures, mais le GVT a vocation à être intégré dans le budget des universités, comme c’est le cas pour les organismes. Merci à Michel Berson d’avoir reconnu que certaines universités ont un peu poussé les règles à l’époque en saturant leur plafond d’emploi notamment avec des postes contractuels de catégorie A ; c’est du coup une situation assez difficile à gérer pour les présidents qui suivent.
Les structures de regroupement n’ont pas vocation à faire disparaître les écoles qui intégreront les communautés d’université. Il n’y a pas de dogme là-dessus. Les membres qui se regrouperont dans les communautés d’universités choisiront eux-mêmes le type de regroupement et le niveau d’intégration auquel ils voudront consentir. C’est assez ouvert et ça permet donc de s’adapter aux différents sites.
Il n’a jamais été dit que le recteur proposerait les personnalités extérieures à nommer. Il aura pour rôle de rassembler les noms des personnes proposées suivant des règles prévues dans les statuts des établissements. Ce sont les collectivités, les organismes partenaires et les autres institutions qui désigneront des représentants et personnalités qualifiées. Cette idée a suscité une certaine opposition, non sans paradoxe, car ceux qui nous demandent d’être moins régionalistes et davantage régaliens se méfient quand l’État, représenté par le recteur en région, reprend les choses en main… Je vous laisse méditer là-dessus car ce fut une source d’étonnement pour moi. On s’est adapté, et on désignera donc ces personnes de manière à ce que ce soit irréfutable.
Il y avait aussi une inquiétude sur la place accordée aux représentants de composantes, ce que vous appelez les chefs d’établissements. Non seulement ils pourront constituer jusqu’à 40 % du CA des communautés d’universités lorsque celles-ci comporteront plus de quinze membres, mais, en plus, on donne la possibilité de créer un conseil des composantes de façon à ce qu’ils soient bien intégrés. J’ai trop vécu au niveau local, là aussi, un certain paradoxe entre une demande forte de collégialité et un vrai problème pour faire redescendre l’information dans les universités. Donc plus les composantes seront présentes, plus l’information circulera ensuite.
La culture scientifique et technique est un sujet qui n’est pas dans la loi, car il dépend aussi du ministère de la Culture. C’est un sujet sur lequel nous travaillons conjointement et, dans les réunions interministérielles, nous soutenons qu’il est nécessaire, en ce domaine, d’être au plus près du terrain. Nous pensons donc que la décentralisation est une bonne chose pour l’animation du réseau des Centres de la culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI). Pour autant, nous maintiendrons un dispositif national, peut-être UniverScience avec quelques évolutions. Mais nous ne voulons pas que perdure ce qui se passe aujourd’hui, c'est-à-dire que les expositions viennent de Paris, sont revendues aux CCSTI, qui sont elles-mêmes financées par les régions, ce qui aboutit à un montage financier un peu improbable. Par ailleurs, nous croyons au tissu associatif, « La main à la pâte » ou « Les petits débrouillards », par exemple. Il faut donc laisser la place aux initiatives locales, et cela participera ainsi de cette culture de progrès à laquelle nous tenons. Dans mes cartes de vœux, j’ai choisi de mettre en exergue cette phrase de Marie Curie : « Rien n’est à craindre, tout est à comprendre ». Je crois que la culture scientifique et technique doit s’inspirer de cette phrase.
Sur le quadriennal, tant que la loi n’est pas votée et mise en application, c’est le règlement actuel qui s’applique. Donc, accueillez bien l’AERES ; il n’y a pas de raison de leur dire : « Vous allez être supprimés, donc on ne vous écoute plus ». Je sais que cela arrive, et que c’est une souffrance pour les personnels de l’AERES. Je peux le comprendre.
En ce qui concerne l’insertion des docteurs, on travaille sur les deux fronts : conventions collectives et corps d’État. J’ai reçu le MEDEF et la CGPME, mais on veut aussi que l’État soit exemplaire. Je crois aussi que, pour avoir souffert en tant que députée de cette stérilisation induite par une certaine forme de pensée unique, introduire de la transversalité dans les grands domaines est une bonne chose ; il faut que l’énergie ne soit plus le domaine réservé de tel corps ou l’industrie celui de tel autre corps…
Je suis d’accord avec vous sur les problèmes soulevés par les stages et c’est pour cela que l’on veut favoriser l’alternance. Celle-ci permet de mieux favoriser l’insertion professionnelle. Nous sommes donc en train d’en discuter avec Thierry Repentin ; mais elle peut avoir des effets pervers, qui justifient les inquiétudes de Michel Sapin et Thierry Repentin : si l’on encourage l’alternance, des responsables d’entreprises préfèrent en priorité travailler avec des jeunes de niveau supérieur au baccalauréat plutôt qu’avec des jeunes de niveau V ; or ce sont ces derniers qui constituent aujourd’hui le noyau dur du chômage des jeunes. Il faut donc trouver un équilibre. Je vais revoir prochainement Thierry Repentin là-dessus.
Enfin, je ne vois pas comment les SATT ne pourraient s’intéresser qu’au niveau régional. Si elles aident des start-up, celles-ci se situent sur des marchés de niches qui sont forcément de niveau international. Je pense qu’il faut éviter que les SATT deviennent des usines à gaz et s’étoffent en emplois. Il ne faut pas non plus qu’elles se focalisent sur une rentabilité à court terme, car elles abandonneraient finalement la recherche fondamentale qui est plus risquée que la petite innovation au fil de l’eau, et ça ne justifierait pas alors d’avoir des SATT partout.
Je crois que j’ai à peu près tout dit. Dans les communautés d’universités, les éléments spécifiques, comme le budget de tel ou tel établissement, s’il est décidé de ne pas procéder à une fusion, seront intégrés tels quels dans le contrat voté par le conseil d’administration.
M. Bruno Sido. Merci Madame la Ministre. Je vais me risquer en disant que l’enseignement supérieur et la recherche étant les deux mamelles de l’Office parlementaire, il est normal que les débats aient été riches et les questions nombreuses et pertinentes, et les réponses non moins riches et pertinentes. Merci à toutes et à tous et merci à Madame la Ministre d’avoir répondu à toutes nos questions. »
ANNEXE 4 :
PRÉSENTATION, PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE L’OPECST, DE SON RAPPORT AU PREMIER MINISTRE DU 15 JANVIER 2013 SUR LA RÉFORME DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
« Refonder l’Université, dynamiser la recherche :
mieux coopérer pour réussir »
Présentation le 30 janvier 2013 lors de la journée à l’Assemblée nationale
du Partenariat avec l’Académie des sciences (1)
Ce rapport s’est inscrit dans une démarche d’adaptation législative tout à fait inédite, consistant à associer le Parlement en amont de l’élaboration du texte gouvernemental, contrairement à la pratique courante l’impliquant seulement à partir du dépôt du projet de loi sur le bureau de l’une ou l’autre des deux chambres. Cette implication anticipée a reposé d’une part sur ma nomination comme parlementaire en mission et d’autre part sur l’implication de l’OPECST pour organiser un échange sur les conclusions des Assises entre les acteurs concernés et les parlementaires. Je profite de cette occasion pour remercier une nouvelle fois Bruno Sido d’avoir permis cet exercice originale et d’avoir ainsi donné l’occasion à tous les parlementaires présents de s’approprier par avance les principaux éléments de débat, et ainsi d’en valider l’importance.
Ma nomination s’est faite parallèlement au lancement d’une vaste consultation régionale et nationale qui devait permettre d’identifier les principaux enjeux d’adaptation. Il s’agit des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Geneviève Fioraso a lancée. De nombreuses personnes y ont participé, et leur succès peut être en partie mesuré par le nombre et la qualité des contributions et des rencontres qu’elles ont permis : presque 1 500 contributions écrites, 20 000 participants sur tout le territoire. Mais surtout, au-delà des chiffres, il y a eu un esprit, un style qui a largement tenu à la manière dont a été conçu le comité de pilotage. Faire présider ce comité par Mme Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine, confier la tâche de rapporteur général à M. Vincent Berger, président d’une grande université française, le composer de personnalités représentatives, leur demander de s’exprimer librement, ne pas imposer de position prédéterminée, voilà tout un ensemble d’éléments d’organisation qui ont permis une approche collective dépassant l’expression ou la confrontation des positions des grandes institutions. Il en est résulté un dialogue particulièrement fructueux.
De ces Assises, 135 propositions ont été retenues dans le rapport final de Vincent Berger qui a été remis au Président de la République fin décembre 2012. Mon apport a été, à partir de ces conclusions, d’identifier les axes de réforme et les moyens pour la mener à bien. Mon travail s’est bien évidemment inscrit dans le contexte actuel et historique de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. La principale conclusion, assez unanimement partagée, est que le système français d’enseignement supérieur et de recherche est trop complexe, au point de devenir opaque et illisible.
Plusieurs réformes antérieures ont cherché à le transformer, et de nouvelles lois ont été adoptées par le passé.
Je rappellerai la loi Faure de 1968, la loi Savary de 1984, la loi du 15 juillet 1982 d’orientation et de programmation de la recherche, les lois du 23 décembre 1985, et du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche.
Plus récemment, la loi du 18 avril 2006 de programme pour la recherche n’était pas encore en place qu’elle entrait déjà en collision avec la loi sur l’autonomie des universités du 10 août 2007. Dans la foulée, toute la communauté scientifique et universitaire était sollicitée par les travaux du Grenelle de l’environnement, avant d’être invitée à participer en 2009 aux larges consultations (sur plusieurs mois) visant à l’élaboration de la Stratégie nationale de recherche et d’innovation. Parallèlement, le dispositif des Alliances se mettait en place, avec de nouvelles procédures de concertation entre les partenaires membres. À partir de janvier 2010, la création du Commissariat général aux investissements a ouvert une phase intense de mobilisation autour des deux vagues d’appel à projets appuyées sur le Grand emprunt, en 2011, puis en 2012. Enfin, la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire dans la fonction publique a modifié directement les conditions d’emploi des chercheurs sous contrat.
Les choix ont été parfois trop tranchés, parfois trop inspirés par des exemples étrangers ne correspondant pas toujours à notre culture. Ainsi l’idée de la loi de 2006 de transposer en France les modes de financements anglo-saxons n’est pas toujours possible ni souhaitable. On n’a pas choisi entre les systèmes mais on les a additionnés. De nombreuses structures sont venues s’intercaler dans le paysage institutionnel (PRES, RTRA, CTRS, Equipex, Labex, Idex, IRT, Alliances). Il en est résulté des incohérences. La France a ainsi inventé la géologie politique consistant à accumuler de nouvelles strates législatives et réglementaires sans leur donner la cohérence souhaitable avec les textes précédemment votés.
Ces changements accélérés ont conduit non seulement à un “mikado institutionnel”, pour retenir l’expression qui découle des assises territoriales d’Alsace et qu’a reprise Vincent Berger, mais ont aussi créé des bombes à retardement, comme celle des personnels précaires.
Une autre politique est possible. Elle doit être basée sur la coopération et la mutualisation, la contractualisation, le volontariat et la simplification. Elle doit être enfin lisible non seulement au niveau national mais aussi international.
Partant de ce constat, mon travail m’a permis d’identifier de nombreuses propositions ; celles-ci pouvant être de nature législative, réglementaire ou simplement relever de la pratique des acteurs. Elles touchent à des aspects très divers de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles font émerger plusieurs concepts venant délibérément se substituer, et non se surimposer, à des éléments du contexte actuel : l’AUTEURE, le Livre blanc, les communautés d’université, la démocratie de la gouvernance, le Conseil stratégique de la recherche et de l’enseignement supérieur, les contrats de site, l’interdépendance entre formation et recherche.
Mais elles me semblent pouvoir se structurer autour de trois idées directrices correspondant à une démarche d’adaptation raisonnée aux données du contexte mondial actuel, à l’aulne duquel toute réforme d’ensemble sera inévitablement jugée, notamment parce qu’elle devra contribuer au regain de compétitivité voulu le Président de la République.
Ces trois idées sont le repositionnement de l’université au cœur de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’amélioration de la performance par un effort de coopération à tous les niveaux, et enfin l’accroissement de la crédibilité internationale par la consolidation de l’ancrage régional.
Le repositionnement de l’université au cœur du système d’enseignement supérieur et de recherche est rendu nécessaire par l’essoufflement du processus de rattrapage, qui a donné durant des décennies tout son sens au fort développement des écoles d’ingénieurs et des organismes de recherche appliquée. Aujourd’hui l’économie française ne peut plus seulement compter pour sa croissance sur la mise en œuvre intelligente de technologies venues d’ailleurs ; elle doit aussi maintenant se projeter le plus souvent possible en première ligne à la frontière de l’innovation. Dès lors, à côté de l’apprentissage rapide des savoirs, la formation par la recherche devient un atout stratégique pour le pays. C’est justement à l’université qu’incombe la mission de diffuser les connaissances les plus poussées pour nourrir les recherches les plus audacieuses. Il faut donc que l’université retrouve un rôle central dans le dispositif d’enseignement supérieur et de recherche, et les nouvelles modalités de regroupement des établissements que je propose doivent leur en donner l’occasion.
Dans mon rapport, je fais un certain nombre de propositions en faveur d’un plus large éclectisme du parcours des étudiants. Ces propositions vont également dans ce sens. Qu’il s’agisse de l’amélioration de l’orientation combinée à une spécialisation plus tardive, de la multiplication des passerelles facilitant les rebonds, ou de la pluralité des voies d’accès préservant toute la valeur des cheminements indirects, souvent enrichissants ; toutes ces propositions visent à remettre l’Université au premier plan de l’enseignement supérieur et à assurer la réussite de tous les étudiants.
Dans ce contexte de repositionnement de l’université, son autonomie n’est pas un mal en soi, au contraire. Mais encore faut-il la définir clairement et la faire fonctionner dans de bonnes conditions.
Définir l’autonomie, c’est d’abord clarifier le partage des compétences entre l’État et les établissements. Les vagues de réformes qui se sont succédées au cours de la période récente ont brouillé les lignes. Comme l’ont montré les Assises, il faut réaffirmer avant toutes choses les responsabilités qui doivent demeurer celles de l’État. Je milite ainsi pour que le pouvoir central demeure pleinement en charge des fonctions touchant à la cohésion nationale :
- d’une part, l’État doit continuer à garantir le niveau des diplômes et le statut des personnels ;
- d’autre part, l’État doit renforcer son rôle de pilotage stratégique.
À cet égard, la programmation prospective de la recherche proposée par le Conseil stratégique de la science et de la technologie, ainsi que les perspectives quinquennales tracées par chaque Livre blanc pour l’enseignement supérieur et la recherche, devraient permettre à tous les acteurs de mieux se situer dans le moyen terme.
La responsabilité de l’État doit en outre être exercée de façon cohérente. La tutelle est aujourd’hui morcelée entre plusieurs ministères ; il faut mettre fin à cette dispersion. Le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit se voir explicitement doté d’un rôle de coordination sur l’ensemble de l’enseignement supérieur post-baccalauréat. Il doit en particulier être associé étroitement au pilotage des établissements spécialisés relevant d’autres ministères, via l’instauration d’une tutelle conjointe. C’est une proposition forte des Assises, qu’il faudra inscrire dans la loi.
Je ne saurai trop rappeler l’importance de la coopération pour atteindre la performance. Cela correspond là aussi à une démarche d’adaptation raisonnée au contexte mondial, car l’importation d’un modèle de concurrence généralisée n’est pas pertinente dans un pays de taille moyenne comme la France, où les ressources sont comptées. L’excellence par la compétition convient aux grands pays où l’on peut supporter les coûts implicites induits par la rivalité entre les universités, et la course entre les laboratoires. En France, il faut certes essayer d’orienter les soutiens disponibles vers les projets présentant les meilleures chances, en organisant des jurys, car c’est une bonne pratique internationale qui prend d’ailleurs plus de sens encore en période de forte contrainte budgétaire ; mais il faut aussi regrouper autant que possible les forces et les motivations, au niveau disciplinaire et pluridisciplinaire, ne serait-ce que pour essayer d’atteindre la taille critique indispensable aux percées scientifiques.
Revendication majeure issue des Assises, la simplification s’inscrit pleinement dans la logique de la coopération, car elle en est à la fois un préalable et un effet. Car la clarification du paysage institutionnel facilite de toute évidence les rapprochements, et c’est pourquoi je propose la disparition des structures complexes qui n’ont pas fait leurs preuves comme les RTRA. À l’inverse, la coopération permet aussi la simplification, car elle peut d’emblée se traduire par des regroupements autour de compétences bien définies.
On assiste ainsi depuis plusieurs années à un puissant mouvement de reconfiguration des établissements au niveau des territoires, via des regroupements dont la forme et l’intensité varient, allant de la fusion à une démarche plus restreinte de coopération au sein de « Pôles d’enseignement supérieur et de recherche » (PRES).
Ce mouvement répond à une ambition politique majeure. Toutefois, il n’existe pas vraiment de cadre juridique adapté. L’Université de Lorraine, que je connais bien, a dû recourir au statut dérogatoire de « Grand Établissement », formule qui n’est pas satisfaisante.
Dans mon rapport, je propose plusieurs évolutions permettant de créer un continuum entre les différents niveaux de coopération. Ce continuum s’étendra d’une coopération assez souple à une fusion complète de plusieurs établissements. Je propose ainsi la création de communautés d’universités, basées sur le modèle bien connu des communautés de communes, c'est-à-dire basées sur la volonté de gérer en commun un noyau de compétences. Ces communautés d’universités permettront de regrouper des établissements sous divers statuts juridiques qui conserveront leur personnalité morale. Je propose aussi de faire évoluer les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel pour leur permettre d’adopter une structure adapté à la taille de chacun, notamment les plus grands issus de fusions.
Ces évolutions permettront de définir une gouvernance efficace, démocratique et collégiale, aussi bien au sein des EPCSCP que des communautés d’université. Les grandes lignes d’une gouvernance renouvelée que je propose sont une représentation renforcée des étudiants et des personnels BIATTS, un Conseil d’administration (CA) recentré sur son rôle stratégique, une revalorisation du rôle du Conseil scientifique et du Conseil de la vie universitaire (CEVU).
Je pense par ailleurs que l’on ne pourra pas renforcer la crédibilité internationale de notre système d’enseignement supérieur et de recherche sans lui donner un ancrage régional solide. Dans ce domaine, comme maints exemples étrangers l’ont montré, les projets qui réussissent sont ceux qui se construisent en étroit partenariat avec les collectivités locales et les entreprises ; les premières fournissent les infrastructures, les secondes les emplois, et toutes profitent des retombées liées au rayonnement scientifique et technologique qui attire les meilleurs professeurs et les meilleurs chercheurs.
Néanmoins, la question du rôle des collectivités territoriales est un sujet sensible, car la communauté universitaire redoute une « régionalisation » de l’enseignement supérieur. De leur côté, les collectivités locales, qui sont des acteurs très concernés par l’enseignement supérieur et de la recherche, et qui investissent des moyens importants dans ce domaine, souhaitent à juste titre que leur rôle soit reconnu.
La région est sans doute mieux placée que l’État pour remplir une fonction de coordination au niveau local, et mes propositions s’inscrivent à cet égard dans la continuité de la création de la Banque publique d’investissement, et dans la logique du prochain acte III de la décentralisation.
Je souhaite que l’autonomie des établissements aille au-delà d’une simple autonomie de gestion, et prenne la forme d’une vraie liberté de décision et de choix stratégique. Mais cette évolution passe par une relation contractuelle renouvelée avec l’État et surtout avec les collectivités locales.
C’est pourquoi je propose que des contrats de sites soient mis en place. Ceux-ci viendront se substituer aux contrats d’établissement et pourront reprendre une partie des CPER. Ces contrats permettront d’associer tous les partenaires nationaux et locaux et permettront de garantir la cohérence de l’effort en matière d’enseignement supérieur et de recherche, aussi bien au niveau national que régional.
Enfin les débats concernant les acteurs de la recherche, que ce soit à propos de l’évaluation des organismes et des personnels, les conditions de gestion du statut des personnels ou le devenir des docteurs, ont été parmi les plus passionnés des Assises. Ces problématiques suscitent à juste titre un vif intérêt, car elles sont primordiales pour l’avenir de notre pays. Dans mon rapport, je propose de remplacer l’AERES par une autorité administrative indépendante appelée Autorité de l’évaluation des universités, de la recherche et des établissements (AUTEURE). Au-delà d’un simple changement de nom, il s’agit d’être plus ambitieux et de redéfinir les objectifs d’une nouvelle autorité, de réconcilier la communauté scientifique et universitaire avec l’évaluation et de corriger des défauts assez unanimement dénoncés. Il s’agira de recentrer la nouvelle autorité sur une mission de garant de la qualité des évaluations et non plus de lui demander de procéder elle-même aux évaluations.
Un des apports essentiels de mon rapport concerne la précarité, qui a explosé au cours de la dernière décennie. Elle touche aussi bien des personnels menant des activités d’enseignement ou de recherche que des personnels chargés des tâches ’administratives ou techniques, pour un total de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Dans mon rapport, je propose plusieurs solutions à cette bombe à retardement ; certaines ont pour objet d’avoir un effet immédiat, d’autres visent à ce que la situation ne se répète pas dans le futur.
Enfin, je considère que notre pays ne forme pas suffisamment de docteurs, ce qui est lié au fait qu’on leur réserve souvent un sort peu enviable. Le doctorat est en effet trop peu valorisé en dehors de la recherche publique, et cela aussi bien dans le secteur privé que dans les administrations. Je propose donc de renforcer le statut des doctorants et d’améliorer leur poursuite de carrière, notamment en dehors de l’enseignement supérieur et de la recherche publique. Pour cela, je propose d’ouvrir des concours spécifiques d’accès à la haute fonction publique, de faire reconnaître le doctorat dans les conventions collectives et de renforcer l’incitation des entreprises à recruter des docteurs, notamment grâce à une réforme du crédit impôt recherche.
En conclusion, le sujet de ce rapport est vaste et passionnant. Je l’ai remis au Premier ministre le 15 janvier dernier et il a été assez bien accueilli par la communauté. Tout ne sera pas dans la loi. Il marque néanmoins un point d’étape important et propose un certain nombre d’éléments de réflexion. La prochaine étape pour le Parlement sera l’examen du texte de loi. Celui-ci a déjà été présenté par la ministre aux syndicats et devrait être présenté en conseil des ministres au cours du mois prochain. »
1 () En présence de MM. Philippe Taquet, président de l’Académie des sciences, Bernard Meunier, vice-président, et Mme Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuel.
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