N° 1352 - Rapport de MM. Bruno Sido et Jean-Yves Le Déaut, établi au nom de cet office, sur la transition énergétique à l'aune de l'innovation et de la décentralisation



LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE À L’AUNE DE L’INNOVATION ET DE LA DÉCENTRALISATION

Par MM. Bruno SIDO, sénateur, et Jean-Yves LE DÉAUT, député

__________ __________

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Bruno SIDO,

Premier Vice-président de l'Office Président de l’Office

________________________________________________________________________

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Bruno SIDO, sénateur

Premier Vice-président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Marcel DENEUX, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Virginie KLÈS, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Anne GROMMERCH

Mme Françoise GUEGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Corinne BOUCHOUX

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

Mme Michèle DEMESSINE

M. Marcel DENEUX

Mme Chantal JOUANNO

Mme Fabienne KELLER

Mme Virginie KLÈS

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Jean-Claude LENOIR

Mme Marie-Noëlle LIENEMANN

M. Christian NAMY

M. Jean-Marc PASTOR

Mme Catherine PROCACCIA

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

SAISINE 7

INTRODUCTION 9

I. LA RÉPARTITION DE L’EFFORT DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 15

A. LE COMPORTEMENT DIFFÉRENCIÉ DES ACTEURS 15

1. Des personnes morales entre obéissance et adhésion 15

2. Des personnes physiques entre bonne volonté et attente d’aides 17

B. UN BESOIN DE FINANCEMENT LOURD POUR L'ÉCONOMIE 18

1. Des montants cumulés colossaux 19

2. Un schéma de réallocation forcée des ressources 20

C. LE JOKER ÉVENTUEL DES GISEMENTS NON CONVENTIONNELS D’HYDROCARBURES 22

1. Des incertitudes fortes 22

2. Une source de financement de la transition énergétique ? 23

II. LE SOUTIEN AUX PROCESSUS D’INNOVATION DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 25

A. L'IDENTIFICATION DES POINTS DE BLOCAGE 26

1. Des phases amont déjà soutenues 26

2. Des phases aval plus problématiques 29

3. L’horizon funeste de la « vallée de la mort » 31

B. LES CONDITIONS DU MAINTIEN DU DYNAMISME DE L'INNOVATION 32

1. La part des perceptions culturelles en matière de risques 33

2. Le socle indispensable d’une économie dynamique 35

3. La proposition d'une « trajectoire raisonnée » 36

4. Les enjeux de la vitesse de retrait de l'énergie nucléaire 37

5. Il faut de l'énergie pour produire de l'énergie 38

III. LA PLACE INCONTOURNABLE DES INITIATIVES LOCALES 41

A. L'EFFET D'UNE MOBILISATION AUTOUR DES ATOUTS TERRITORIAUX 41

1. Des projets couvrant un éventail large 41

2. Une mise en valeur de ressources spécifiques 43

3. La pérennité probable des initiatives locales 43

B. L’IMPACT SUR L’ORGANISATION DU SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE 45

1. Le lien avec les réseaux « intelligents » 45

2. Les enjeux du développement des réseaux de chaleur 46

3. La piste technologique du stockage d'énergie 47

CONCLUSION 49

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE 51

ANNEXES 69

ANNEXE N° 1 : Compte rendu de l’audition publique, ouverte à la presse, sur « Économies d’énergie dans les bâtiments : comment passer à la vitesse supérieure ? », le 4 avril 2013 71

ANNEXE N° 2 : Compte rendu des auditions consacrées aux énergies de la mer, le 23 avril 2013 131

ANNEXE N° 3 : Compte rendu de l’audition publique, ouverte à la presse, sur « Recherche et innovation au service de la transition énergétique : quelle place pour les énergies renouvelables? », le 6 juin 2013 143

ANNEXE N° 4 : Discours d’ouverture du Président de la République, M. François Hollande, prononcé le 20 septembre 2013 à l’occasion de la Conférence environnementale pour la transition écologique 2013 249

ANNEXE N° 5 : Discours de clôture du Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, prononcé le 21 septembre 2013 à l’occasion de la Conférence environnementale pour la transition écologique 2013 263

ANNEXE N° 6 : Synthèse des travaux du débat national sur la transition énergétique de la France, présentée par le Conseil national du débat,
juillet 2013
273

SAISINE

EXTRAIT DE L'ALLOCUTION DE M. CLAUDE BARTOLONE, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE,

en conclusion de l'audition publique organisée par l'OPECST,
le 4 décembre 2012, sur le thème :
Quelles conclusions législatives et réglementaires tirer des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ?

« Le Parlement a pour mission de voter la loi. Comme le précise l’article 24 de la Constitution, il est aussi en charge de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques.

Cette mission d’évaluation des politiques publiques est fondamentale car comment bien légiférer si on n’évalue pas ? C’est dans ce but qu’a été créé l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont nous nous apprêtons à fêter le trentième anniversaire. Cet Office est remarquable dans ses modalités de fonctionnement : commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, doté d’un conseil scientifique qui concrétise le lien avec le monde de la recherche, il contribue à faire du Parlement un lieu de débat sur les grandes orientations de la politique scientifique et technologique et un lieu d’évaluation de ses politiques.

Je voudrais saluer ici la qualité des travaux de l’Office et dire mon souhait qu’il soit au cœur des débats d’actualité, notamment ceux qui s’engagent sur la transition énergétique. »

INTRODUCTION

Un grand débat national sur la politique de l’énergie a été lancé, depuis janvier 2013, sous l’égide du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. Il doit déboucher en 2014 sur un projet de loi de programmation pour la « transition énergétique ».

La transition énergétique renvoie à l’idée du passage d’une société fondée sur la consommation d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz, mais aussi uranium), dont les premières sont fortement émettrices de gaz à effet de serre, vers une société énergétiquement plus sobre, intégrant une part croissante d’énergies renouvelables dans son bouquet énergétique.

Ainsi, depuis 1973, en France, si la consommation d’énergie a reculé dans l’industrie, elle a augmenté d’un quart dans le secteur résidentiel-tertiaire et a même doublé dans les transports. Le secteur des transports notamment reste dépendant à 93 % des produits pétroliers.

Par conséquent, telle que définie dans ses grandes lignes, la question de la transition énergétique ne peut que faire consensus. Les enjeux énoncés en sont triples :

- écologiques : réduire les émissions de gaz à effet de serre et contribuer à la protection de l’environnement ;

- économiques : réduire la dépendance énergétique, gagner en compétitivité et créer des emplois ;

- sociaux : maîtriser le prix de l’énergie, lutter contre la précarité énergétique.

Cette vaste consultation nationale sur la transition énergétique succède à trois grands moments encore récents de réflexion nationale sur l’énergie : celle ouverte en janvier 2003 par le « Débat national sur les énergies », qui s’est achevée avec le rapport sur le « facteur 4 » en août 2006, et la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique ; celle ouverte en juillet 2007 par le Grenelle de l’environnement, qui a abouti aux deux lois du 3 août 2009 et du 12 juillet 2010. Un troisième moment de réflexion nationale sur l’énergie a été ouvert par l'accident de Fukushima en 2011, l'OPECST en particulier ayant été dûment mandaté par les autorités de l'Assemblée nationale et du Sénat pour conduire une mission sur l'avenir de la filière nucléaire.

L’OPECST ne pouvait donc pas manquer d’apporter sa contribution au nouveau débat lancé sur la transition énergétique. Cette contribution s’appuie sur des études en cours, complétées par quelques démarches spécifiques.

L’Office a déjà conduit plusieurs travaux se rattachant au débat sur la transition énergétique.

On peut ainsi rappeler que le rapport de décembre 2011 sur « L’avenir de la filière nucléaire en France », dont Bruno Sido a été, avec Christian Bataille, le rapporteur, a proposé une « trajectoire raisonnée » de décroissance progressive, jusqu'à la fin du siècle, de la part de l'électricité d'origine nucléaire, afin de laisser le temps nécessaire à la maturation des technologies de stockage d'énergie, indispensables pour compenser la variabilité des énergies éolienne et solaire.

Une étude de MM. Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski sur les usages énergétiques de l'hydrogène, engagée à la demande de la commission des Affaires économiques du Sénat, s'attache à évaluer le rôle que ce vecteur énergétique pourrait jouer en liaison avec ces énergies renouvelables variables.

Une étude de Mme Fabienne Keller et de M. Denis Baupin sur les nouvelles mobilités sereines et durables, faisant suite à une saisine de la commission du Développement durable de l'Assemblée nationale, examine les évolutions des véhicules individuels et de leurs usages.

L’OPECST est par ailleurs chargé, en vertu de la loi du 28 juin 2006, d’évaluer le troisième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGNDR). Bien entendu, la question des déchets radioactifs reste, pour l'essentiel, distincte des choix à venir sur l'évolution de la filière nucléaire, puisqu'il sera, dans tous les cas, nécessaire d'assurer leur gestion. Mais le sujet intègre les développements en cours sur les réacteurs nucléaires du futur. Cette nouvelle génération de réacteurs, plus sûrs, pourrait permettre tout à la fois d'exploiter le potentiel énergétique considérable de nos réserves d'uranium appauvri et de plutonium, et de réduire les éléments radioactifs les plus nocifs.

Ce sont des questions que nous suivons de près.

Une étude vient de nous être demandée par le bureau de l’Assemblée nationale sur l’apport de l’innovation technologique aux économies d’énergie dans le secteur du bâtiment. Nous avions anticipé cette demande par une audition publique du jeudi 4 avril dernier. Chacun sait que les économies d’énergie sont une dimension cruciale de la transition énergétique. L’OPECST va s’attacher, à travers l’étude de MM. Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux, d’évaluer l’effort qui pourra être réellement fait dans ce domaine au-delà des performances virtuelles annoncées.

Les gaz de schiste, ou plutôt les hydrocarbures de gisements non conventionnels, ont fait irruption dans le débat énergétique des derniers mois. Leur disponibilité potentielle ou réelle modifierait évidemment le contexte d’exploitation des autres sources d’énergie. Les deux rapporteurs de l’OPECST sur ce sujet, MM. Christian Bataille et Jean-Claude Lenoir, ont présenté un rapport d’étape le 5 juin dernier.

Sans préjuger des conclusions finales, qui seront discutées collectivement, tous ces travaux éclairent d’une manière ou d’une autre, au niveau des principes tout au moins, la présente contribution.

Par ailleurs, une audition publique du 6 juin 2013 à l’Assemblée nationale s’est donnée pour objet d’analyser les enjeux de la maturation des technologies et des processus d’innovation dans le cadre des réflexions sur les modalités possibles de la transition énergétique.

L’OPECST ayant déjà entendu le 23 avril 2013 des acteurs français des énergies de la mer, l’IFP-EN et la DCNS, ancienne direction des constructions navales qui en a fait l’un de ses principaux axes stratégiques de développement, cette audition publique du 6 juin 2013 a été spécialement conçue pour faire ressortir les initiatives locales et les innovations des PME dans d’autres domaines des nouvelles technologies de l’énergie.

Au terme des échanges de cette journée fructueuse, qui mobilisait de nombreux acteurs de terrain, ainsi que les interlocuteurs institutionnels chargés de leur apporter un soutien, les conditions de déploiement des innovations sont apparues déterminantes.

Sans développer tous les aspects de la question, cette contribution s’attache à montrer quelle forme peut prendre la transition énergétique, autour de la « trajectoire raisonnée » précédemment évoquée pour la filière nucléaire, laquelle reste compatible avec les lignes directrices fixées par le Président de la République, si l’on tient compte des contraintes incontournables propres à l’innovation.

*

* *

Comme mentionné précédemment, le concept de « transition énergétique » renvoie à l’idée d’une évolution, d’un passage d’une situation à une autre. Or, trop fréquemment, les réflexions suscitées par l’idée de « transition énergétique » se focalisent sur ce que pourrait être la situation d’arrivée, sans prendre toujours en compte les conditions dans lesquelles va se dérouler cette « transition ».

Pourtant les conditions de la « transition » sont essentielles dans la détermination du champ des possibles pour la situation d’arrivée. Au moins trois dimensions sont à prendre en considération à cet égard.

En premier lieu, il faut intégrer la difficulté liée au fait que la mise en évidence d’un intérêt collectif, même universellement reconnu, ne suffit pas en soi à infléchir les comportements individuels. À côté des porteurs du message de l’intérêt public, les acteurs privés de la transition, à savoir les entreprises et les ménages, réagissent prioritairement aux événements en fonction de leurs intérêts individuels ; ces intérêts individuels suscitent un comportement d’adaptation d’autant moins sensible aux considérations collectives qu’ils concernent des besoins vitaux. Ainsi, il paraît difficile de reprocher à un ménage vivant dans la précarité de lutter contre le froid en choisissant une solution qui n’est pas optimale du point de vue des émissions de CO2, si cette solution est vraiment moins chère en termes d’investissement. Ce mécanisme assez irrésistible d'arbitrage économique individuel constitue un obstacle majeur à la mobilisation collective pour la lutte contre le changement climatique. Il va inévitablement imposer un rythme graduel dans la politique de la transition énergétique, et mieux vaut intégrer d'emblée cette dimension réaliste dans les stratégies à conduire.

En second lieu, les solutions techniques effectivement disponibles à l’échéance de la transition dépendent des possibilités déjà explorées au début de la transition, et du temps nécessaire pour passer d’une idée technique à une exploitation économique en condition de marché, c’est-à-dire sans la béquille permanente des subventions. La démarche initiale de mise au point jusqu’au stade du prototype, puis du pilote industriel, reste toujours tributaire des aléas de la technologie et de l’approvisionnement en composants essentiels. Une fois le procédé disponible, on peut certes en réaliser un déploiement partiel en mobilisant des ressources publiques. Mais une technologie nouvelle ne rentre véritablement dans l’éventail des solutions disponibles que lorsqu’un acteur économique accepte spontanément d’en supporter l’investissement dans la perspective des gains que procurera son exploitation. Là encore, le réalisme invite à envisager la nécessaire diffusion des solutions technologiques de la transition énergétique comme un processus continu graduel, pouvant être dans une certaine mesure accompagné, mais essentiellement tributaire de la vitesse du passage de relais aux forces du marché.

Enfin, les schémas d’évolution du système énergétique doivent prendre en compte les capacités d’investissement des acteurs privés comme des acteurs publics, c’est-à-dire leurs contraintes de solvabilité, voire, à plus court terme, de liquidité. Ces contraintes peuvent dépasser le niveau de l’autofinancement grâce au recours à l’endettement, mais la capacité d’endettement se trouve elle-même limitée, et il est clair aujourd’hui que les contraintes de solvabilité des acteurs publics en Europe en général, et en France en particulier, laissent peu de marges de manœuvre pour des investissements massifs de substitution à l’initiative privée. Les ressources publiques peuvent être ciblées sur des aides transitoires de déblocage des décisions d’investissement, en faisant jouer un effet de levier ; mais elles ne sauraient assurer une prise en charge totale et durable.

Sur ces bases, il convient de concevoir la transition énergétique plus comme un processus d’accompagnement et de guidage des initiatives déjà en cours que comme une démarche volontariste de construction a priori d’un système énergétique conçu in abstracto.

Cela conduit d’abord à prendre la mesure des conditions dans lesquelles les ménages pourront effectivement participer à l’indispensable effort de rénovation du parc immobilier et du parc automobile au cœur de la diminution des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre.

Cela amène ensuite à s’interroger sur les possibilités d’aider les entreprises à accélérer les processus d’innovation à l’œuvre pour diversifier la palette des solutions technologiques permettant de réduire la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et de l’énergie nucléaire.

Cela porte enfin à évaluer la part qui va immanquablement revenir aux initiatives locales dans la transformation du système énergétique, compte tenu de la nature décentralisée de la plupart des nouvelles technologies de l’énergie et de l’importante motivation de nombre d’acteurs de terrain pour valoriser leurs atouts territoriaux.

I. LA RÉPARTITION DE L’EFFORT DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Le lancement d’une réflexion collective sur la transition énergétique vise évidemment à déclencher une mobilisation générale de la population, la plus large possible, pour obtenir sa participation spontanée à cette transition.

Cependant, si la sensibilité aux questions climatiques a fait d’incontestables progrès dans l'opinion publique au cours des dernières années, cela concerne le plus souvent une adhésion de principe qui ne se prolonge pas en évolution substantielle des comportements économiques individuels. L’habitude des « bons gestes », par exemple marcher ou circuler à bicyclette plutôt que recourir à une voiture sur les courtes distances, se développe tant que ceux-ci restent occasionnels, symboliques et gratuits, mais la réalité tangible des prix et des coûts continue à s’imposer, sans autre considération éthique, au niveau des principaux arbitrages de consommation et d’investissement. La meilleure preuve en est toute l’importance accordée aux mesures d’incitation ou d’obligation par les parties prenantes au débat national sur la transition énergétique.

Ce constat invite à s’en tenir à un certain gradualisme dans la projection des évolutions possibles, d’autant plus que les masses financières à mobiliser pour tenter de contrer l'inertie individuelle, qu'on pourrait même qualifier d'inertie « individualiste » dans la mesure où elle relègue au second plan l'intérêt collectif, sont très conséquentes.

A. LE COMPORTEMENT DIFFÉRENCIÉ DES ACTEURS

Lorsqu’on sépare l’ensemble des consommateurs d’énergie selon les trois catégories d'acteurs, ménages, entreprises et administrations publiques, on perçoit immédiatement que la réaction de chacune de ces catégories à une impulsion politique majeure en vue d’accélérer la transition énergétique répond à des déterminants différents.

1. Des personnes morales entre obéissance et adhésion

Pour les administrations publiques, c’est-à-dire l’ensemble des établissements relevant peu ou prou de l’autorité de l’État ou des collectivités locales, il est tout à fait crédible d’envisager des objectifs contraignants, notamment s’agissant de la mise à niveau du parc immobilier en matière d’économies d’énergie, comme l’ont prévu la loi Grenelle I du 3 août 2009, et plus récemment, la directive européenne du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique. L’action des administrations publiques s’inscrit en effet dans un cadre d’obligations fortement contrôlées. Le respect des obligations dépend alors uniquement du réalisme de l’effort financier à engager en regard des ressources dont disposent collectivement les administrations publiques. Pour évaluer ces ressources, il convient de tenir compte des transferts qu’elles peuvent opérer entre elles, la directive européenne du 25 octobre 2012 rappelant dans ses considérants 49 et 51 que des ressources européennes peuvent même être mobilisées à cet effet (fonds structurels, fonds de cohésion, Banque européenne d’investissement, Banque européenne pour la reconstruction et le développement). Les transferts au bénéfice des collectivités territoriales, si elles élargissent les possibilités d’intervention au niveau local, présentent notamment un caractère limité.

Pour les entreprises, qui relèvent pour leur plus grand nombre du secteur privé, une participation contrainte à l’effort de transition énergétique, notamment pour l’amélioration de l’efficacité énergétique, ne peut concerner que quelques aspects annexes de leur activité, sauf à remettre en cause le principe de la liberté du commerce et de l’industrie sur lequel repose l’économie de marché. En outre, du fait de l’ouverture des frontières, un État qui imposerait unilatéralement des contraintes fortes à ses entreprises les pénaliserait immédiatement en termes de concurrence internationale, avec les effets rapides et inéluctables qui en résulteraient sous forme de destruction d’emplois. En conséquence, les obligations concernant les entreprises en matière d’efficacité énergétique se limitent essentiellement, pour toutes, au respect des normes imposées aux constructions nouvelles et, pour les plus grandes d’entre elles, à la publication, dans leur rapport annuel de gestion, d’informations à caractère environnemental eu égard notamment à « la consommation d'énergie, les mesures prises pour améliorer l'efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables » (décret
du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale).

Cependant, les mêmes principes qui préservent la liberté des entreprises en économie de marché ouverte à la mondialisation les conduisent, sous la pression de la concurrence, à engager un effort spontané de contribution à la transition énergétique, afin d’anticiper au mieux les attentes des consommateurs pour améliorer leurs ventes. Par ailleurs, la même pression concurrentielle les incite à accroître spontanément l’efficacité énergétique des conditions de production pour diminuer leurs coûts. En particulier, les entreprises sont en mesure de recourir au pouvoir de subordination inhérent au contrat de travail pour obtenir de leurs employés le respect des consignes maximisant la performance des dispositifs d’économie d’énergie (par exemple, l’interdiction d'ouvrir à contretemps les fenêtres, dans les bâtiments très bien isolés et équipés d'une ventilation à double flux).

Au total, une impulsion gouvernementale déterminée en faveur de la transition énergétique, en orientant le comportement des consommateurs, peut avoir un effet d’entraînement non négligeable sur les entreprises, incitées à accentuer leurs efforts d’économies d’énergie et de basculement vers les énergies renouvelables pour mieux axer leurs investissements de communication sur la lutte contre l’intensification de l’effet de serre.

2. Des personnes physiques entre bonne volonté et attente d’aides

Pour les ménages, il s'agit bien plus d'orienter progressivement les comportements que de les changer d’un coup du tout au tout, car les deux stratégies possibles de l’incitation et de l’obligation rencontrent des limites.

En effet, les biens d’investissement, soumis aux arbitrages d'achat des ménages, qui mettent ceux-ci en contact direct avec la problématique de la transition énergétique, immeuble à basse consommation ou véhicule à moteur économe, ont un prix supérieur à celui des biens classiques de même usage, comme c’est le cas pour tous les produits émergents, en phase de déploiement, et de ce fait amortis sur des volumes de vente encore réduits.

Dès lors, les effets d’entraînement d’une politique de mobilisation en faveur de la transition énergétique se heurtent aux contraintes de liquidité et de solvabilité des ménages, qui ne peuvent s’écarter de leurs arbitrages habituels de consommation et d’investissement que dans une certaine mesure, selon leur niveau de revenu et de richesse, et leur degré de mobilisation personnelle pour la lutte contre le changement climatique.

Les ménages à faible revenu ayant des difficultés pour faire face à leurs besoins de base ne peuvent a fortiori participer à la transition énergétique qu’au travers des politiques de soutien dont ils bénéficient : notamment, toute extension du parc des logements sociaux constitue pour eux l’occasion d’accéder aux avantages en termes de facture d’énergie réduite et de confort de vie accru qui sont associés, en principe, à l’habitation dans un immeuble à basse consommation.

De leur côté, les ménages aisés, qui auraient en théorie les moyens de se situer à l’avant-garde de l’achat des biens constitutifs d’un effort de participation à la transition énergétique, continuent à arbitrer en faveur des biens de haut de gamme offrant un surcroît quantitatif ou qualitatif de services, au lieu de s’orienter délibérément vers les biens optimaux du point de vue de la lutte contre l’effet de serre ou l’effort d’économie d’énergie. S’agissant des bâtiments à basse consommation, l’audition publique de l’OPECST du 4 avril 2013 a ainsi fait ressortir que le mouvement d’adhésion spontanée liée à la valorisation de la performance énergétique comme facteur de qualité supérieure monnayable à la revente, nettement identifié par M. Christian Bataille lors d'une visite à Fribourg-sur-le-Main en 2009 dans le cadre de l'étude qu'il a conduite cette année-là, avec M. Claude Birraux, sur la performance énergétique des bâtiments, n’en est, en France, qu’à ses prémices. S’agissant des véhicules à faible impact écologique, l’étude en cours de l’OPECST sur les véhicules écologiques de M. Denis Baupin et Mme Fabienne Keller a confirmé, notamment à l'occasion de l'audition publique du 5 juin relative à la typologie des besoins et des comportements, qu’il n’est pas encore possible de compter sur la clientèle fortunée des grosses cylindrées pour asseoir, par un déplacement spontané de leurs préférences, le décollage économique des véhicules dotés d’une motorisation radicalement innovante. La dimension écologique du véhicule demeure en effet, pour cette catégorie d’acheteurs à fort pouvoir d’achat privilégiant le prestige, un argument de vente par surcroît, à service et prix équivalents.

Les ménages aisés ne s’orientent en fait vers la consommation des biens émergents de la transition énergétique que lorsqu’une politique d’incitation fiscale les y invite. L’effet d’imitation qui pousse classiquement les classes moyennes à essayer de reproduire les pratiques de consommation des ménages les plus aisés joue donc peu en faveur de la transition énergétique. Et les classes moyennes ne réagissent elle-même à l’offre nouvelle des biens émergents de la transition énergétique qu’en fonction des aides fiscales, du type « prime à la casse ».

Au total, la mobilisation des ménages en faveur de la transition énergétique dépend crucialement des incitations financières, c’est-à-dire d’un effort de finances publiques, bien plus que d’un effet d’entraînement social. C'est le constat fait également lors de l'audition publique du 4 avril dernier par M. Olivier Sidler, représentant de l'association Negawatt, qui justifie dès lors l'effort de finances publiques par la responsabilité de l’État dans la gestion des « externalités », enjeux supérieurs dépassant l'individu, les « externalités » en l'occurrence étant constituées des risques associés au changement climatique.

Quant à l’implication des ménages à travers un renforcement des obligations sans compensation publique d’aucune sorte, elle ne pourrait s'envisager qu'avec prudence, car elle constituerait, quelles qu’en soient les modalités pratiques, l’équivalent d’un prélèvement sur les ressources des ménages, potentiellement préjudiciable à la consommation, donc à la croissance et à l’emploi.

B. UN BESOIN DE FINANCEMENT LOURD POUR L'ÉCONOMIE

D’ores et déjà, depuis le 1er janvier 2013, les foyers engagés dans la construction d’une maison sont confrontés au surcoût de l’ordre de 10 à 15 % qu’imposent les normes de la nouvelle réglementation thermique, surcoût induit, à tout le moins, par un manque d'effet d'apprentissage. Si les propriétaires des trente millions de bâtiments anciens étaient tenus d’effectuer une rénovation thermique d'ici 2050, pour des travaux dont le montant serait alors inévitablement de l’ordre de plusieurs milliers d’euros dans chaque cas, les déplacements de pouvoir d’achat vers la rénovation technique à laquelle serait confrontée la consommation française atteindraient mécaniquement plusieurs centaines de milliards d’euros sur la période considérée. Il faut donc réfléchir à des scénarios qui créent des emplois pour que « déplacement » ne signifie pas « soustraction », que le bilan net reste positif à l’échelle de l’ensemble de l’économie.

1. Des montants cumulés colossaux

Ce chiffre de plusieurs centaines de milliards d’euros à mobiliser sur les quatre décennies à venir d'ici 2050 ressort de manière cohérente des éléments fournis par les intervenants de l'audition publique du 4 avril sur les économies d'énergie dans le bâtiment, au cours de laquelle des montants de l'ordre de 15 à 18 milliards par an ont été évoqués. Il est clair, en particulier, que la mise à niveau en performance énergétique des deux tiers du parc construit avant 1974 devrait tirer vers le haut le coût moyen de 300 euros par mètre carré évoqué au cours de la même audition du 4 avril, qui situe déjà ainsi le coût global moyen de rénovation par logement (d'une surface moyenne de 100 mètres carrés) vers 30 000 euros.

Des estimations du même ordre sont mentionnées par le rapport du groupe de travail 4 du débat national concernant les coûts et le financement de la transition énergétique. L'effort d'investissement annuel dans la performance énergétique des bâtiments résidentiels y est estimé aujourd'hui à 15 milliards d'euros par an, et les scénarios les plus volontaristes en matière de sobriété énergétique (ceux de l'Ademe et de Negawatt) considèrent qu'il devrait passer à 22 voire 23 milliards d'euros par an, ce qui correspond à un effort supplémentaire de 50 %, en plus de la réorientation vers plus de performance de l'effort actuel. Pour les bâtiments du secteur tertiaire, l'effort d'investissement passerait de 6 à 11 milliards pour ces mêmes scénarios, soit un quasi-doublement. Au total, l'effort supplémentaire demandé atteindrait 13 milliards d'euros par an d'ici 2050, en plus des 21 milliards déjà mobilisés.

Plus globalement, ce même rapport montre (p. 18 et 19) que les efforts cumulés en matière de performance énergétique pour l'ensemble des secteurs concernés, c'est-à-dire non seulement le bâtiment, mais aussi les transports, l'industrie, l'énergie (en tant que secteur de production) et l'agriculture atteignent actuellement 37 milliards d'euros par an (en comptant un effort quasi nul pour le transport). Ce montant devrait être porté à un niveau de 47 à 76 milliards selon les différents scénarios envisagés pour atteindre les objectifs de la transition énergétique, ce qui correspond à un effort supplémentaire de 11 à 40 milliards d'euros par an.

Pour les ménages, l'effort principal concernant le bâtiment s'accompagnera d'un effort pour le renouvellement de leurs véhicules de transport, pour un montant estimé de l'ordre de 2 milliards d'euros par an sur la période, avec une contribution plus forte avant 2030, et moins forte ensuite jusqu'en 2050, du fait d'une convergence probable des coûts des différentes formes de motorisation vers 2030 (cf. p. 72 du rapport du groupe 4).

2. Un schéma de réallocation forcée des ressources

Toutes les dépenses publiques, soit qu'elles concernent les infrastructures, les bâtiments ou le parc automobile des administrations publiques, soit qu'elles concernent les aides aux ménages ou aux entreprises, sont finalement financées par l’impôt, y compris indirectement à travers la charge de la dette. Ce sont donc in fine les ménages et les entreprises qui devront dégager l’intégralité de ce besoin de financement supplémentaire. Directement ou indirectement, la transition énergétique aura pour effet une réallocation plus ou moins forcée des ressources du pays au détriment d’autres secteurs.

Le rapport du groupe 4 évoque les incontestables avantages en retour de cet important effort d'investissement : la diminution importante du déficit énergétique extérieur, les gains nets résultant d'une diminution des charges énergétiques et la création d’emplois. Mais ces avantages se manifestent de façon sensible à un horizon lointain, au-delà de 2030, alors que la contrainte financière induite par la charge des investissements est immédiate.

Certes, des possibilités d'étalement de la charge financière existent. On fait grand cas notamment du modèle allemand de la KfW (1), équivalent d'une caisse des dépôts spécialisée dans les crédits à long terme, du principe d'une extension des prêts au logement aux travaux d'économies d'énergie, ou encore du système de tiers financement, par lequel des opérateurs paieraient les investissements et se rembourseraient en s'appropriant la baisse attendue des factures d'énergie.

Cependant aucun mécanisme de prêt n'a jamais diminué la charge globale à financer, sauf à spolier le prêteur via l'inflation. De plus, l'étalement du remboursement butte sur la limite incontournable de la durée durant laquelle l'emprunteur demeure solvable. On peut très bien imaginer qu'une entreprise disposant d'une assise économique solide puisse rembourser pendant quarante ans, mais cette durée d'étalement est bien plus problématique pour un prêt aux ménages, lesquels se trouvent de plus en plus confrontés à la double difficulté de l'entrée tardive et de l'exclusion anticipée du marché du travail. Or une durée d'étalement sur quarante ans ne correspond au mieux qu'à une diminution par deux du surplus de dépenses annuelles évoqué précédemment, les facilités de financement obtenues pour la décennie 2040-2050 donnant lieu à des remboursements jusqu'à la décennie 2080-2090. La charge d'une transition énergétique telle qu'elle est envisagée d'ici 2050 restera donc conséquente. Il faut peut-être que le temps de transition soit plus long.

Encore une fois, des aides publiques pourront certes être mises en place au-delà de l'indispensable soutien aux ménages à faible revenu, c'est-à-dire au profit des classes moyennes. Mais ces aides ne pourront être financées elles-mêmes que par des impôts sur les entreprises et les ménages, classes moyennes comprises, même en cas de relais provisoire par la dette publique. In fine, dans tous les cas, les ménages et les entreprises devront supporter le coût de la transition énergétique avant de bénéficier de ses avantages.

Dans une période doublement défavorable en termes de contrainte budgétaire et de croissance ralentie, il paraît très délicat de programmer une telle ponction de plusieurs dizaines de milliards d'euros par an sur les forces vives de l’économie, tout au long des décennies d’ici 2050. Pour les agents économiques, cela s’apparenterait à une affectation forcée à un segment de consommation au détriment de tous les autres (2). L’effet de stimulation pour le secteur des biens liés à la transition énergétique, incontestable et certainement très sensible – car il y a peu de doute que les emplois se multiplieraient dans les secteurs plus ou moins directement concernés – serait contrebalancé par l’effet de freinage pour tous les autres secteurs. L’effet global dépendrait de la vitesse de diffusion au reste de l'économie des gains procurés aux secteurs de la transition énergétique, cette diffusion venant en atténuation des pertes subies par les autres secteurs ; cet effet global risque d'être négatif si la ponction est trop brutale.

En conséquence, dans la mesure où, sauf à pouvoir tirer avantage d'un joker comme celui des ressources supplémentaires nouvelles potentiellement associées aux gisements non conventionnels d’hydrocarbures (cf. infra), la mobilisation de la population va dépendre crucialement d'un effort de finances publiques forçant la réallocation des ressources disponibles, il serait prudent, sauf rupture technologique majeure, d'envisager la transition énergétique sur une période plus longue, débordant sur la seconde partie du siècle. Les efforts publics de stimulation de la demande des biens d'investissements nouveaux fonctionneraient ainsi plus en phase avec les évolutions de l'offre, qui se développe elle-même au rythme du processus d’innovation industrielle, dont la constante de temps est de l'ordre du demi-siècle. Le maintien d'un équilibre entre l'offre et la demande, par-delà leur mutation respective durant toute la période transitoire, constituera certainement un facteur important de la réussite de la transition énergétique.

C. LE JOKER ÉVENTUEL DES GISEMENTS NON CONVENTIONNELS D’HYDROCARBURES

La transition énergétique ne signifie pas la fin du recours aux ressources en énergies fossiles. Il n’y aura pas de passage instantané aux énergies renouvelables ; c’est d’ailleurs le sens du mot « transition ». On observe, par exemple, aujourd’hui, que l’Allemagne utilise massivement le charbon, pendant sa période de transition, car c’est une source d’énergie peu coûteuse, tandis que le passage aux énergies renouvelables (solaire et éolien) est long et nécessite de lourds investissements. De même en France, le développement de l’énergie éolienne a induit l’utilisation accrue du gaz et la construction de plusieurs nouvelles centrales (3).

Il ne faut pas négliger la présence possible, dans le sous-sol français, de gisements non conventionnels d’hydrocarbures, susceptibles d’être substitués en partie à ceux aujourd’hui importés, et de nature à procurer de nouvelles ressources publiques à l’État et aux collectivités locales. Le rapport d’étape consacré aux techniques alternatives à la fracturation hydraulique, adopté par l’Office le 5 juin 2013 (4), suggère de poursuivre la recherche et d’entamer des expérimentations afin d’évaluer dans quelle mesure ces ressources non conventionnelles pourraient être explorées et exploitées dans des conditions respectueuses de l’environnement.

Dans le cas particulier du gaz de houille, exploitable en France sans fracturation hydraulique, l’exploration et l’exploitation pourraient être envisagées à un horizon assez proche, d’environ cinq ans. Même si nous pensons que les réserves ne doivent être utilisées que dans de meilleures conditions de protection de l’environnement et en optimisant leur utilisation en fonction du contexte économique, il est regrettable que cette option soit passée sous silence car l’exploitation du gaz de houille pourrait représenter, selon certaines estimations, l’équivalent de quinze ans de consommation française, permettant ainsi une réduction cumulée des importations se chiffrant en dizaines de milliards d’euros.

1. Des incertitudes fortes

D’après les données de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA), récemment réactualisées, la France serait au deuxième rang en Europe pour ses ressources techniquement récupérables en gaz de roche-mère, derrière la Pologne, avec 3 870 milliards de mètres cubes de gaz.

Ces estimations sont toutefois sujettes à caution. L’EIA elle-même les a revues à la baisse d’un quart, puisqu’en 2011 elle avait évalué les ressources techniquement récupérables de la France à 5 100 milliards de mètres cubes.

En Pologne, l’Institut national de géologie a également revu significativement à la baisse les estimations effectuées par l’EIA en 2011. Dans un rapport publié le 21 mars 2012, il évalue les gisements de gaz de schiste exploitables à 1 920 milliards de mètres cubes au maximum, soit un peu plus du tiers des estimations américaines. En s'appuyant sur les technologies connues à ce jour, l’Institut national de géologie évalue les réserves exploitables dans un premier temps entre 346 et 768 milliards de mètres cubes. Ce niveau de réserves pourrait néanmoins contribuer à assurer l'indépendance gazière de la Pologne, pendant 35 à 65 ans au rythme actuel de consommation.

Comme la Pologne, la France doit s’efforcer d’affiner les chiffres américains. Afin de parvenir à des estimations plus précises, moins sujettes à fluctuations, il est nécessaire de commencer par rassembler les données collectées par le passé et les analyser au regard des connaissances nouvelles, notamment dans le domaine de la modélisation. Il sera ensuite indispensable de procéder à des expérimentations, comme le prévoyait d’ailleurs la loi du 13 juillet 2011. Ces expérimentations doivent être le prélude à quelques dizaines de forages d’exploration, seuls à même de déterminer la réserve disponible.

À l’heure actuelle, l’incertitude sur les réserves françaises risque de perdurer, toute recherche étant proscrite par la circulaire du 21 septembre 2012, qui interprète de façon très restrictive la loi du 13 juillet 2011. Par conséquent, il est difficile d’évaluer les ressources financières susceptibles d’être retirées de cette exploitation et affectées à la transition énergétique.

2. Une source de financement de la transition énergétique ?

La dépendance énergétique de la France est aujourd’hui presque totale s’agissant du pétrole et du gaz. Notre facture énergétique s’élève à 68 milliards d'euros en 2012, ce qui représente 83 % du déficit commercial (hors matériel militaire). La France ne produit guère plus de 1 % du pétrole et du gaz qu’elle consomme. Or le pétrole et le gaz représentent toujours une part importante de notre consommation d’énergie primaire (respectivement 31 % et 15 %). Il serait illusoire de penser que l’on pourra se passer de ces sources d’énergie au cours des prochaines décennies. Même si leur place est amenée à décroître, elles continueront à occuper une place importante à l’horizon 2050. D’autant qu’en l’absence de solution rapidement généralisable de stockage de l’électricité, le recours au gaz sera le complément naturel du recours aux énergies intermittentes, comme c’est le cas en Allemagne.

Dans ce contexte, le recours aux hydrocarbures des gisements non conventionnels doit être conçu uniquement comme constituant une ressource partielle de substitution à de coûteuses importations. Il ne s’agit pas d’accroître la part des hydrocarbures dans notre consommation d’énergie ou d’encourager une forme d’addiction aux énergies fossiles, mais d’utiliser nos propres ressources plutôt que de faire appel à des fournisseurs étrangers, et donc de dépendre totalement des pays producteurs (Russie, Kazakhstan, Arabie saoudite pour le pétrole ; Norvège, Pays-Bas, Russie et Algérie pour le gaz).

Comme l’a préconisé le rapport d’étape précité, le code minier devrait être réformé pour faire bénéficier les collectivités locales d’éventuelles retombées d’une exploitation des ressources de nos gisements non conventionnels d’hydrocarbures, à supposer que ces ressources soient confirmées par des travaux d’exploration. Ces retombées financières potentielles pourraient servir à financer en partie les lourds investissements nécessaires à la transition, s’agissant tant de l’efficacité et de la sobriété énergétique que de la mise en place des infrastructures et des réseaux nécessaires à l’essor des énergies renouvelables.

Au-delà de ces seules retombées financières directes, l’exploitation des gisements non conventionnels pourrait être créatrice de richesse et d’emplois. Un cabinet de conseil a estimé à 100 000 le nombre d’emplois susceptibles d’être créés en France par un développement des hydrocarbures non conventionnels d’ici à 2020.

Ce chiffre est purement hypothétique, dans la mesure où les ressources restent à évaluer, mais il est à rapprocher de l’estimation des 600 000 emplois qui pourraient être créés aux États-Unis par l’exploitation de ces hydrocarbures d’ici à 2020. L’impact d’une énergie moins chère sur la compétitivité et l’emploi est loin d’être négligeable. Dans la situation actuelle de l’économie et de l’industrie françaises – et tandis qu’un écart des prix de l’énergie conséquent et durable pourrait inciter des entreprises européennes à se délocaliser outre-Atlantique – il n’est pas concevable de refuser d’envisager l’apport possible de gisements non conventionnels d’hydrocarbures.

C’est pourquoi l’Office pourrait préconiser d’abord de poursuivre la recherche dans ce domaine, dans le cadre fixé par la loi du 13 juillet 2011. Il pourrait ensuite recommander de modifier éventuellement celle-ci s’il était avéré que des techniques respectueuses de l’environnement soient disponibles pour explorer puis, le cas échéant, si notre pays évolue en ce sens, exploiter les hydrocarbures de roche-mère. Le rapport final sera présenté à l’Office au cours de l'automne.

II. LE SOUTIEN AUX PROCESSUS D’INNOVATION DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Le concept de « transition énergétique » fait référence implicitement aux précédentes phases de grand bouleversement technologique qui ont modelé la société d'aujourd'hui : la diffusion de la machine à vapeur, puis du chemin de fer au XIXe siècle ; la révolution de l'acier, puis de l'électricité au tournant des XIXe et XXe siècles ; l'accès au confort de vie généralisé avec l'automobile et les appareils ménagers au milieu du XXe siècle ; la nouvelle révolution de l'électronique et des technologies de l'information à la fin du XXe siècle. La « transition énergétique » vise à modifier la vie quotidienne et l'organisation économique autant que ces précédentes grandes étapes de la construction de nos modes de vie contemporains.

Il existe cependant une différence fondamentale entre ces précédentes « transitions » et la « transition énergétique » d'aujourd'hui. Celles-ci ont résulté de « vagues technologiques », nées d'initiatives d'entrepreneurs, qui se sont progressivement imposées aux mécanismes de consommation et d'investissement, et à l'ordre social, tandis que notre « transition énergétique » traduit, à l'inverse, l'expression d'une demande sociale qui essaye de s'imposer à l'appareil productif. L'incontestable légitimité de cette demande sociale, née notamment de la prise de conscience des conséquences dommageables du changement climatique, ne change rien à ce constat d'inversion conceptuelle, qui montre qu'il sera très difficile de réussir la transition énergétique si les évolutions de l'offre, et donc les processus d'innovation, ne sont pas pris en compte dans leur réalité propre.

Cette demande sociale concerne l'offre de procédures et de solutions techniques nouvelles, dont il faut assurer la mise au point et la commercialisation dans les conditions de marché, sans aide pérenne et sous la pression de la concurrence internationale. Elle implique les entreprises d'une toute autre manière que leur simple participation aux efforts d'économie d'énergie et d'utilisation des énergies renouvelables mentionnée précédemment. Mais certaines d'entre elles sont fort heureusement très actives sous ces deux aspects à la fois, comme consommatrices exemplaires d’énergie et productrices de solutions techniques innovantes.

L'OPECST a perçu d'emblée la dimension déterminante de l'innovation dans la réussite de la transition énergétique, et en a fait le thème de sa contribution principale au débat national, en organisant l'audition publique du 6 juin : « Recherche et innovation au service de la transition énergétique : quelle place pour les énergies renouvelables ? ». Cette audition publique s'est attachée à faire le point sur certaines technologies émergentes, et sur la mobilisation au niveau des petites entreprises innovantes.

En revanche, ainsi que l'a confirmé à l'OPECST son secrétaire général, M. Thierry Wahl, les structures organisant le débat national n'ont pas fait une place explicite à la question de l'innovation, même si deux groupes de travail ont été consacrés à l'offre industrielle, à savoir les groupes 3 et 7 qui se sont penchés respectivement sur « Les choix en matière d’énergies renouvelables et de nouvelles technologies de l’énergie » et sur « La compétitivité des entreprises françaises dans la transition énergétique ».

Les travaux de l'OPECST, notamment le rapport de MM. Jean-Yves
Le Déaut et Claude Birraux de janvier 2012 sur « L’innovation à l'épreuve des peurs et des risques », permettent de dégager les principaux points de blocage de l'innovation et les leviers d'action possibles pour son développement.

A. L'IDENTIFICATION DES POINTS DE BLOCAGE

L’innovation se développe selon un schéma à quatre temps, qui s’applique à toutes les formes qu’elle peut prendre, même lorsqu’elle est de nature commerciale ou organisationnelle. Ce sont les quatre phases de ce que le président de l’Académie des technologies, M. Bruno Revellin-Falcoz, a appelé, lors d’une audition par l’OPECST en octobre 2012, l’industrialisation de l’invention. L'audition publique organisée le 6 juin dernier a fourni nombre d'exemples concrets des différents aspects de la problématique de l'innovation appliquée au cas des nouvelles technologies de l'énergie.

1. Des phases amont déjà soutenues

La première phase, c’est l’idée nouvelle, la petite étincelle de génie humain. Ces étincelles ne manquent pas dans le domaine de la transition énergétique : le développement de convertisseurs photovoltaïques de plus en plus puissants et faciles à produire en grande quantité, l'exploitation de la force du vent par des procédés industriels ultra-modernes, la récupération de la chaleur des eaux usées par des systèmes de pompage thermodynamique, la conversion des déchets organiques ou forestiers en carburants de synthèse de grande densité énergétique : c'est l'inventivité même de ce domaine technologique qui nourrit l'espoir d'une société bientôt libérée des fumées des combustibles fossiles qui chargent l'atmosphère en gaz à effet de serre.

Des aides existent pour entretenir ces étincelles de curiosité. Le soutien institutionnel à la recherche fondamentale, en France comme ailleurs, sait faire une place aux efforts pour étudier et tester des concepts nouveaux dans le domaine des nouvelles technologies de l'énergie, même s'il faut compter avec les restrictions budgétaires. Lors de l'audition publique du 6 juin, M. Dany Escudié, responsable du département « Énergie durable » de l'Agence nationale de la recherche (ANR), a indiqué que son département bénéficiait d'environ 10 % des moyens de l'ANR, soit 50 millions d'euros environ en 2012 pour les projets de recherche relevant de ce domaine. M. Daniel Lincot, directeur de l'Institut de recherche et de développement sur l'énergie photovoltaïque (IRDEP), lors de la même audition publique du 6 juin, a porté témoignage de ce soutien pour les recherches de pointe sur les convertisseurs photovoltaïques (les couches minces, les plastiques photovoltaïques).

Certaines technologies sont encore, en France, dans les limbes, comme la méthanation, c'est-à-dire la reconfiguration industrielle, grâce à un apport externe d'énergie renouvelable, du carbone contenu dans le gaz carbonique, pour aboutir à sa réutilisation énergétique, par exemple sous forme de méthane ; c'est une piste, soutenue par l'association Negawatt, et déjà évoquée dans le rapport publié au nom de l'OPECST en mars 2009 par MM. Claude Birraux et Christian Bataille intitulé « Quelle stratégie de recherche en matière d'énergie ? », qui donnerait un nouvel élan, commercial celui-là, et non plus impulsé par le financement public, aux projets de capture et stockage (géologique) du gaz carbonique. L'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie, l'Ancre, qui regroupe depuis juillet 2009 tous les organismes français de recherche impliqués dans le domaine de l'énergie, s'attache à explorer toutes les pistes, dont celle-ci, au moins actuellement, pour en évaluer la faisabilité opérationnelle et l'intérêt technico-économique (5).

La deuxième phase, c’est la mise au point technique de l'idée nouvelle pour en faire un produit. Son enjeu est de traduire l'invention en une solution opérationnelle. Une belle illustration de cette traduction en produit est la réalisation présentée par M. Cristoforo Benvenuti lors de l'audition publique du 6 juin : avec le concours du CERN, dont il a été longtemps un des ingénieurs, M. Benvenuti a transféré la technologie du vide extrême obtenu dans l'accélérateur de particules à des panneaux solaires thermiques. Le vide préserve la chaleur reçue du soleil et permet de restituer cette chaleur avec des rendements de 50 %. La prouesse technologique réside dans la miniaturisation du procédé de « pompage » des molécules de l'air à partir d'une surface qui les capture, puis les absorbe en profondeur les unes après les autres, comme si elle les digérait. Le dispositif serait transposable à des fenêtres à vitrage sous vide.

L'audition publique du 6 juin a encore permis de découvrir une solution de captage de la chaleur du sous-sol à partir des « corbeilles géothermiques » présentée par Mme Johanne Terpend Ordassière, de la société Ryb Terra. En déclinant l'idée d'exploiter l'énergie géothermique à faible profondeur, ces sondes compensent astucieusement une emprise horizontale moindre par un étagement en profondeur, permettant ainsi une utilisation du procédé sur des propriétés moins spacieuses, donc une avancée dans la standardisation de cette solution.

D'autres intervenants ont présenté, pour d'autres domaines de la transition énergétique, d'autres projets de traduction industrielle de concept : M. Pierre Forté, de la société Pragma Industrie, a évoqué une technique de standardisation de la fabrication de petites piles à combustible, à destination de générateurs sans signature thermique ou sonore pour les forces armées, ou de vélos électriques rechargeables par cartouches ; M. Stéphane Poughon, de la société Disar Solar a décrit un procédé d'impression par jet d'un revêtement photovoltaïque organique ; M. Gilles Amsallem, de la société Biométhodes, un procédé assurant successivement le pré-traitement, puis la dégradation enzymatique de la biomasse, en vue de permettre ensuite la transformation de cette biomasse en biocarburants de deuxième génération ; M. Pierre de Montliveault, du Comité interprofessionnel bois-énergie, a souligné tous les efforts de cette filière pour accroître le rendement des chaudières à bois, élargir les caractéristiques (essences ou parties des arbres) des bois qu'elles peuvent brûler, standardiser la collecte des menus bois dans les exploitations forestières.

Complémentaires de l'invention, les mises au point techniques de concept constituent en soi de véritables aventures, faites d’échecs surmontés et de succès partiels permettant d’avancer. Mais à ce stade-là de l'innovation, là encore, de nombreux dispositifs de soutien existent ; au cours de la même audition publique du 6 juin, Mme Laure Reinhart, directeur général délégué de l'innovation à Oseo, structure en cours d'intégration au sein de la Banque publique d'investissement, a rappelé qu'une petite entreprise qui démarre peut ainsi bénéficier jusqu'à hauteur de 50 % d'aides publiques sous différentes formes pour financer son projet ; en 2012, Oseo a investi 90 millions d'euros dans des projets relevant de la transition énergétique.

M. François Moisan, directeur exécutif « stratégie, recherche, international » à l'Ademe, a indiqué que l'effort global de soutien de l'Agence aux entreprises, 250 millions d’euros sur ses moyens propres, dans le domaine des énergies renouvelables, a représenté près d'un milliard d'euros pour les quatre années de 2009 à 2012. L'Agence est par ailleurs opérateur des investissements d'avenir spécifiquement pour ce qui concerne les énergies renouvelables, et participe ainsi à l'orientation de soutiens prenant pour l'essentiel la forme d'avances remboursables, pour un montant global d'un milliard d'euros, les PME étant destinataires pour 23 % de ce montant. Il a expliqué comment l'Ademe s'attache à dresser des feuilles de route technologiques qui l'aident à guider ses choix, et a notamment mentionné l'émergence de l'intérêt pour les énergies marines, délaissées par les réflexions du Grenelle de l'environnement. Il convient d'observer à l'appui de cette remarque que l'OPECST, au contraire, dans le rapport de mars 2009 de nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille sur le thème « Quelle stratégie de recherche en matière d'énergie ? » avait souligné l'importance de ces énergies dans certaines configurations locales.

M. Ivan Faucheux, directeur du programme « Énergie-Économie circulaire » au Commissariat général à l'investissement, a décrit les deux principaux mécanismes spécifiques de soutien des investissements d'avenir pour les nouvelles technologies de l'énergie. Il a évoqué d'un côté les « Instituts d'excellence sur les énergies décarbonées » (IIED), qui visent à constituer de façon pérenne des entités de soutien à la recherche et à l'innovation, de taille comparable aux grands instituts thématiques équivalents dans le monde ; l'un des derniers, lancé en 2012, est, par exemple, France Énergies marines, réaction concrète à la prise en compte de l'importance des énergies de la mer pour notre pays. Il a mentionné en second lieu les démonstrateurs de recherche, qui sont des consortiums privés se donnant un objectif borné dans le temps pour la vérification opérationnelle des innovations : c'est un outil qui permet notamment de tester en grandeur industrielle les technologies des biocarburants de deuxième génération, par les voies biochimique (projet Futurol porté par l'IFP, l'INRA et Total) ou thermochimique (projets BioTFuel porté par le CEA et SOFIPROTEOL, et GAYA porté par GDF Suez) : Futurol vise à produire du bioéthanol à partir d'une dégradation de la biomasse par des enzymes ; BioTFuel repose sur la conversion de la biomasse en gaz puis en liquide ; GAYA vise la production d'un carburant gazeux après méthanisation et épuration.

L'OPECST, poursuivant l'objectif de suivre sur le terrain les opérations des investissements d'avenir, qui l'avait amené à organiser une audition publique de premier bilan en janvier 2012, a invité aussi à l'audition publique du 6 juin un représentant d'une société d'accélération du transfert de technologie (SATT), en l'occurrence celle du Sud-Est, représenté par M. Patrick Faure, directeur du pôle santé et technologie du vivant, pour évoquer l'expérience de cette structure en matière de soutien à l'innovation. M. Patrick Faure a décrit la manière dont la SATT s'organise, à partir de petites équipes spécialisées et professionnalisées, pour évaluer les projets à la fois d'un point de vue technologique, pour juger de leur maturité, et d'un point de vue commercial, pour vérifier la réalité des potentialités de marché. Les projets repérés sont soutenus sur un mode d'accompagnement collaboratif jusqu'au stade de la commercialisation. En pratique, les projets en cours relevant de la transition énergétique concernent le photovoltaïque organique, les cellules à pigment photosensible (cellules de Graetzel) ou la concentration solaire (optimisation algorithmique d'une lentille de Fresnel).

2. Des phases aval plus problématiques

La troisième phase de l'innovation, c’est l’autorisation administrative de commercialisation du produit. Elle revêt plusieurs formes selon le domaine considéré. Pour les réacteurs nucléaires de quatrième génération, cela passe par le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire. Pour les produits de la santé, les médicaments notamment, différentes phases de tests sont imposées en préalable à l’autorisation de mise sur le marché. Mais les solutions techniques mises au point en lien avec la transition énergétique peuvent faire, elles aussi, l'objet d'un contrôle sanitaire : ainsi les chaudières, comme les moteurs, doivent respecter certaines normes en matière d'émission de particules. Pour les équipements ou les isolants du bâtiment, la procédure de contrôle prend la forme de l’avis technique (pour les produits déjà réglementés), ou bien de l’agrément ad hoc accordé en vertu du « Titre V » (pour les produits innovants) ; l'obtention de ces références techniques joue un rôle important pour l'avenir du produit dans la mesure où elle influe sur la possibilité d'obtenir une couverture par les assurances.

L'autorisation administrative est un passage obligé dont l’utilité sociale ne saurait être remise en cause, notamment au regard des impératifs de la sécurité et de la santé, mais dont la durée est évidemment critique pour les entrepreneurs, lorsque ceux-ci s’appuient sur des petites structures, qui n'ont pas toujours les ressources suffisantes pour perdurer autant que les délais imposés. Ces délais n'affranchissent en effet pas les chefs d'entreprise, au-delà du versement des salaires, de l'obligation de s'acquitter régulièrement des cotisations sociales et des impôts afférents à leur activité.

L'audition publique du 6 juin a permis aux acteurs de la transition énergétique de faire ressortir eux-mêmes les difficultés rencontrées du fait des procédures administratives. M. Pierre Forté, de la société Pragma Industrie, a évoqué les problèmes d'autorisation rencontrés par les produits utilisant des piles à combustible. M. Cristoforo Benventi a mentionné les délais administratifs l'empêchant d'appliquer sa technologie aux fenêtres à vitrage sous vide. Mme Johanne Terpend Ordassière, de la société Ryb Terra, a regretté les lenteurs de la reconnaissance réglementaire du couple « pompe à chaleur / géothermie », en dépit des perspectives annoncées pour cette combinaison lors du Grenelle de l'environnement. M. Nicolas Garnier, délégué général de l'association Amorce, a insisté sur le frein que pouvait représenter, pour les réseaux de chaleur utilisant les énergies renouvelables, les limitations d'émission des particules, mal adaptées et bien trop sévères selon lui, auxquelles sont astreintes les installations d'incinération du bois. M. Pierre de Montliveault, du Comité interprofessionnel bois-énergie, a signalé l'attitude frileuse de certaines préfectures régionales quant au déploiement des chaudières à bois, par crainte du risque de pénurie rapide du combustible. MM. Alain Planchot et Antoine Jacob, responsables, pour le compte de la société IDEX, de l'usine de méthanisation Géotexia en Bretagne, ont mis l'accent sur les délais très longs qui sont imposés à des projets comme celui de cette usine, délais rédhibitoires pour nombre d'acteurs potentiels. M. Philippe Vesseron, président du Comité national de la géothermie, a constaté que le code minier faisait obstacle en l'état à l'exploitation des réservoirs d'eau chaude situés à une profondeur dépassant 100 mètres, et a appelé, d'une façon générale, le législateur et les autorités réglementaires à revisiter les délais de procédure imposés aux projets participant à la transition énergétique.

L'OPECST a déjà pris en compte cette cause potentielle de freinage du processus de transition énergétique dans le cas particulier du secteur de la construction. L'audition du 4 avril dernier lui a en effet donné l'occasion de s'interroger sur les voies et moyens pour essayer de passer à la vitesse supérieure dans les progrès à réaliser en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. La deuxième partie de cette audition s'est efforcée de faire un premier point sur la part incombant à la mise en œuvre de la réglementation thermique dans cette relative inertie. C'est une question qui sera approfondie, car l'OPECST a reçu, en mai 2013, une saisine du bureau de l'Assemblée nationale pour conduire une étude sur les procédures de délivrance des certifications ayant cours dans le secteur de la construction, notamment en vue d'identifier les verrous éventuels.

La quatrième et dernière phase de l'innovation, c’est celle de la mise en place de l’appareil de production en vue de la commercialisation. Selon le type d’innovation, elle peut encore passer par des étapes intermédiaires, avec la construction préalable d’un pilote à l'échelle 1, après le test sur un démonstrateur. C’est notamment le cas lorsque l’investissement initial est lourd, que la dimension de coût est très critique, et qu’il faut tester la rentabilité avant d’investir massivement dans les équipements nécessaires. Typiquement, c’est la démarche imposée aux réacteurs des biocarburants de deuxième génération, que ceux-ci utilisent la voie thermochimique ou la voie enzymatique.

Ce passage à l'industrialisation constitue un moment très critique pour l'innovation, du fait du saut qu'il représente en termes d'engagements financiers. L’innovation est un investissement, et l’entrepreneur doit mobiliser, étape après étape, les ressources nécessaires pour atteindre le moment où la vente du produit commencera à couvrir les coûts initiaux. Mais les étapes successives mobilisent des fonds de plus en plus importants, et le besoin de financement change véritablement d’échelle au stade de la création de l’appareil de production : de la dizaine ou la centaine de milliers d’euros, on passe alors aux millions, voire aux dizaines de millions d’euros.

3. L’horizon funeste de la « vallée de la mort »

Comme on l'a vu, les premières phases trouvent des supports avec les aides publiques locales, nationales ou européennes, en plus des contributions éventuelles des fonds d’amorçage et des business angels, ces entrepreneurs mettant leur réussite au service de leurs successeurs dans la prise de risques. Mais les spin-off devenues start-up buttent immanquablement sur le changement d’échelle du besoin de financement pour l’industrialisation : c’est la phase de la « vallée de la mort », qui voit nombre de petites structures faire faillite ou être rachetées par des grands groupes, ce qui représente un manque à gagner pour le pays des innovateurs lorsque ces grands groupes sont étrangers.

Le rapport publié en janvier 2012 au nom de l'OPECST par
MM. Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux sur « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques » a mis fortement l'accent sur les difficultés financières associées à cette dernière étape de l'innovation, qui peut devenir l'étape fatale, ou « vallée de la mort », sans atteindre cet « au-delà » où les concours bancaires classiques savent prendre le relais, parce que l'essentiel des risques ont été levés et que la commercialisation commence à produire des revenus.

Le risque d'une telle fin prématurée existe tout particulièrement dans certains segments du secteur de la transition énergétique, ceux liés directement à la production d'énergie, qui mobilisent traditionnellement des volumes importants de capitaux. Les intervenants de l'audition publique du 6 juin l'ont confirmé : M. Christoforo Benvenuti a constaté la plus grande capacité des États-Unis que de l'Europe à mobiliser des fonds pour transformer une idée en produit industriel ; M. Gilles Amsallem a expliqué comment il avait effectivement reçu une aide de 12 millions de dollars pour développer les activités de sa société Biométhodes aux États-Unis, après une simple évaluation de son projet, sans contrainte imposée.

Mme Laure Reinhart d'Oseo a indiqué que la réorganisation des structures d'aides financières aux entreprises au sein de la Banque publique d'investissement devrait conduire à une meilleure prise en compte des risques inhérents à la « vallée de la mort », puisqu'un prêt pour l'innovation a été mis en place en 2013, spécifiquement pour mieux couvrir ce besoin. M. François Moisan a expliqué que les avances remboursables prévues dans le cadre des investissements d'avenir concernaient surtout des projets ayant des perspectives rapprochées de mise sur le marché, et qu'elles constituaient donc une façon de soutenir le passage à l'industrialisation.

Mais les aides publiques qui, de toute façon, seront gagées sur les fonds propres, ne pourront jamais que partiellement compenser le trop petit nombre, en France, des investisseurs privés en portefeuille. En outre, comme l'a observé M. Ivan Faucheux, l'attribution d'aides publiques pour des montants plus conséquents suppose des procédures plus lourdes, qui risquent de représenter une mobilisation humaine disproportionnée pour les petites entreprises ; et l'analyse plus poussée des dossiers, pour éviter les décisions arbitraires, allonge de surcroît les délais. Dans le domaine des gros besoins de financement à l'approche d'une commercialisation, ce sont en fait les acteurs du venture capital qui font la force et le dynamisme du modèle américain d'innovation. À cet égard, le rapport précité de MM. Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux fait apparaître un écart avec les États-Unis dans un rapport de presque 50 : 600 millions d'euros engagés sous cette forme en France en 2008 (notamment par la compagnie financière Edmond de Rothschild et Sofinova) contre 25 milliards de dollars aux États-Unis.

Le Comité Richelieu, association française de PME innovantes, a fait part, lors de l'audition publique du 6 juin, aux travers de ses représentants, MM. Philippe de Maleprade et Jean Delalande, d'une idée pour compenser en partie le manque de venture capital, en aidant les jeunes entreprises à se prévaloir d'une sécurité des premiers revenus de commercialisation auprès des financeurs classiques ; il s'agirait pour un réseau de grands comptes publics et privés de s'engager à devenir primo-adoptants (early adopters) de certaines innovations. Mme Laure Reinhart a d'ailleurs précisé que le nouveau prêt pour l'innovation pourrait être gagé le cas échéant pour partie par des commandes. M. Jean-Yves
Le Déaut a résumé d'une formule cette piste d'aide à la traversée de la « vallée de la mort » : il faudrait que les grands groupes prennent un peu plus les petites entreprises innovantes sous leurs ailes.

B. LES CONDITIONS DU MAINTIEN DU DYNAMISME DE L'INNOVATION

L'analyse des points de blocage de l'innovation a fait ressortir les deux domaines prioritaires de l'action publique pour assurer une cohérence de l'évolution de l'offre industrielle avec les résultats espérés de la transition énergétique en termes d'économies d'énergie, de développement des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces deux domaines prioritaires sont la simplification des procédures administratives et le renforcement des moyens de financement.

Les mesures consécutives au Grenelle de l'environnement, puis celles prises dans le cadre des Investissements d'avenir ont permis d'ores et déjà de consolider les circuits de financement pour les entreprises ; la création récente de la Banque publique d'investissement devrait conduire à un meilleur ciblage des ressources. Par ailleurs, l'urgence du traitement de la situation des familles mal logées a amené le Gouvernement à prendre des mesures pour alléger certaines règles de construction ; et cette initiative a permis de mettre en évidence combien les procédures pouvaient constituer un frein aux évolutions souhaitables dans la transition énergétique.

Cependant, les marges de l'action publique immédiate dans ces deux domaines sont limitées par des éléments structurels qu'il importe de prendre en considération pour éviter les décisions politiques a contrario. Les possibilités de simplification administrative buttent sur les perceptions culturelles en matière de risques, tandis que les possibilités de soutien financier dépendent fondamentalement de la solidité de l'économie.

1. La part des perceptions culturelles en matière de risques

L'innovation étant par essence une activité d'entrepreneur, les perceptions culturelles en matière de risques n'ont pas manqué d'être évoquées au cours de l'audition publique du 6 juin, notamment comme un frein potentiel au développement de la culture entrepreneuriale. Cela concerne au premier chef la propension de la société à produire plus ou moins d’individus acceptant la prise de risques inhérente à la création d'entreprise. Plus généralement, l'innovation pourra d'autant mieux aboutir si d'autres acteurs de la société participent de l'esprit d'invention et de découverte : les détenteurs de moyens de financement bien sûr, mais aussi les consommateurs qui, selon les cultures nationales, sont plus ou moins enclins à tester des produits technologiques inédits.

M. Philippe de Maleprade du Comité Richelieu a souligné, lors de l'audition du 6 juin, combien la force de l'aversion au risque pouvait représenter un frein aux évolutions culturelles souhaitables, et a suggéré d'introduire dans la constitution une liberté nouvelle, le droit à l'innovation, pour faire contrepoids juridique au principe de précaution, qui sert trop souvent à justifier le gel des évolutions technologiques ; mais le principe de progrès, « vieille idée qui reste belle » comme l'a dit M. Jean-Yves Le Déaut, doit déjà suffire pour faire du principe de précaution un principe d'action et non un principe de blocage.

Néanmoins, les mêmes appréhensions sociales qui poussent aujourd'hui à donner une interprétation paralysante du principe de précaution sont à l'origine même du renforcement des procédures administratives qui allongent les délais de l'innovation. L'allongement des délais de réponse peut certes toujours résulter de causes matérielles : complexités techniques intrinsèques à la validation d'un produit, insuffisance des effectifs de contrôle face à l’afflux des demandes. Mais les administrations dont les décisions sont, par définition, susceptibles de recours ou dont l’action est parfois simplement freinée par l'autorité politique lorsque celle-ci ne souhaite pas prendre de risque électoralement pénalisant, peuvent aussi être conduites à différer le traitement de certains dossiers d'innovation, par effet indirect des appréhensions sociales.

En outre, pour toute installation nouvelle, le code de l'environnement impose des consultations publiques, qui se déroulent sur plusieurs mois, et peuvent faire elles-mêmes l'objet de recours obligeant à une reprise complète de la procédure. M. Alain Planchot a expliqué, lors de l'audition du 6 juin, toutes les péripéties, notamment administratives, qui ont marqué les dix années de démarches ayant permis la construction de l'usine de méthanisation Géotexia qu'il dirige en Bretagne. De son côté, M. Patrick Geoffron, professeur à l'Université Paris-Dauphine, directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières au sein du Laboratoire d'économie de cette même université, a rappelé le frein mis à tous les investissements suscités par la transition énergétique, notamment l'installation d'éoliennes ou de lignes à haute tension, par les populations locales, en vertu du fameux principe NIMBY (not in my backyard) : « tout à fait d'accord, mais pas chez nous ! ».

Ainsi, paradoxalement, le souci de la protection de l'environnement, qui constitue, via notamment la lutte contre le changement climatique, un des moteurs essentiels de la transition énergétique, contribue au freinage de celle-ci au travers de la réglementation, et des tensions que suscite la mise en œuvre de celle-ci. Comme les fondements profonds de ce freinage intrinsèque ont un fort ancrage social, il serait certainement réaliste d'intégrer ce phénomène de freinage dans les projections temporelles de la transition énergétique.

A tout le moins, comme l'a observé M. Antoine Jacob, s'appuyant sur l'expérience de la société IDEX, soutien du projet Géotexia, qui investit également dans d'autres formes d'exploitation d'énergies renouvelables, dont des éoliennes, il faudrait que la justice administrative puisse statuer beaucoup plus vite lorsqu'elle est saisie de recours, notamment pour constater que les opposants sont quelquefois très minoritaires. À cet égard, le rapport publié au nom de l'OPECST en janvier 2012 par MM. Claude Birraux et Christian Bataille sur « L'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs : se méfier du paradoxe de la tranquillité », avait formulé une proposition : introduire, dans notre justice administrative, le dispositif suédois du « tribunal de l'environnement », qui présente la spécificité d'inclure des juges qualifiés à haut niveau dans les domaines concernés, à côté des magistrats de formation classique.

2. Le socle indispensable d’une économie dynamique

Le lien entre le financement de l'innovation et la santé de l'économie est illustré par une remarque du rapport de MM. Jean-Yves Le Déaut et Claude Birraux de janvier 2012 sur « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques » : durant les trois années qui ont suivi la crise de 2007, le volume des investissements en venture capital a reculé aux États-Unis. Le phénomène n'était pas lié à une quelconque montée de l'aversion au risque : simplement, les revenus annuels générés par les investissements en portefeuille diminuaient du fait du recul de l'activité économique, réduisant d'autant les ressources disponibles pour de nouveaux investissements ; l'inversion de tendance en 2011 a logiquement suivi la reprise de la croissance économique en 2010.

Cet exemple rappelle cette vérité élémentaire : le financement des innovations nécessaires à la transition énergétique dépendra in fine des conditions de santé de l'économie. Qu'il s'agisse des projets financés sur fonds propres par les grandes entreprises, ou des spin-off dépendantes des financements extérieurs publics ou privés, les ressources nécessaires ne seront disponibles que si l'économie est en mesure de les produire.

De là, la nécessité de préserver l'économie des démarches trop volontaristes qui pourraient avoir des effets contreproductifs. Cela concerne particulièrement le rythme de diminution du parc nucléaire.

La nécessité d'une diminution graduelle, au moins partielle, de la dépendance nationale à l'énergie nucléaire n'est pas contestable : l'étude publiée au nom de l'OPECST en décembre 2011 par MM. Christian Bataille et Bruno Sido sur « L'avenir de la filière nucléaire », conduite à la demande expresse des autorités des deux chambres du Parlement suite à l'accident de Fukushima, a mis en évidence le risque, au vu de l'expérience japonaise, de garder « tous ses œufs dans le même panier ». En effet, dans une situation similaire à celle qu'a subie le Japon, la France n'aurait pas pu surmonter le contrecoup économique de l'arrêt rapide de l'ensemble de ses 58 réacteurs, qui fournissent 75 à 80 % de l'électricité. Au Japon, l'arrêt en quelques mois des 55 réacteurs n'a amputé la capacité de production d'électricité que d'un tiers, grâce paradoxalement au maintien d'une forte dépendance de l'archipel aux hydrocarbures importés ; mais le choc subi par l'économie a néanmoins été déjà très difficile à surmonter, d'autant qu'il s'ajoutait aux destructions causées par le tremblement de terre et le tsunami, qui ont fait 25 000 morts, et aux conséquences, en termes d'évacuation de territoires et de perturbation des circuits de distribution, des pollutions spécifiques à l'accident nucléaire.

D'une certaine façon, l'Autorité de sûreté nucléaire appuie cet argument en mettant en avant, comme l'a fait le président Pierre-Franck Chevet lors de la dernière présentation annuelle du rapport d'activité de l'ASN devant l'OPECST, le 16 avril 2013, le risque d'une panne générique induit par la forte homogénéité technique du parc nucléaire français, qui compte notamment 34 réacteurs de 900 MW de conception identique. Ce risque a été rappelé au cours de l'audition publique du 6 juin par M. Cyrille Cormier, chargé de campagne « climat-énergie » de Greenpeace.

3. La proposition d'une « trajectoire raisonnée »

En réponse à ces données objectives, l'OPECST préconise, dans le rapport précité, un retrait graduel selon une « trajectoire raisonnée », calée sur la montée en puissance progressive des capacités de production alternatives, au moins équivalentes pour ce qui concerne leur coût, leurs émissions de gaz à effet de serre, leur impact sur la balance commerciale et leur empreinte économique territoriale, c'est-à-dire leur apport en activité et en emploi pour le tissu industriel français. Les estimations quant à la maturation des technologies de stockage d'énergie, indispensables, au-delà d'un certain volume de production, à la stabilisation des énergies variables comme celles du vent et du soleil, obligent à considérer un calendrier s'étalant sur le siècle, avec un début de retrait de la production nucléaire vers 2030, une réduction à l'équivalent de 50 % des capacités de production totales actuelles vers 2050, et une cible de 30 à 40 % de ces mêmes capacités vers 2100.

Il convient d'observer que la référence considérée pour cette « trajectoire raisonnée » est celle de l'ensemble des capacités de production d'électricité actuellement mobilisée en moyenne sur l’année, soit environ 62 GW (6). C'est une référence absolue, et non relative à l'évolution, dans l'avenir, de la demande d'électricité ; elle laisse ouverte la manière dont l'ajustement de la production s'effectuera par rapport à cette demande : si celle-ci baisse rapidement en raison du succès des économies d'énergie, alors le retrait de l'énergie nucléaire ne nécessitera aucune production de substitution, voire pourra être accéléré sans aucun dommage pour l'économie.

Tel qu'envisagé par l'OPECST, le retrait de la production nucléaire doit être l'occasion d'une modernisation du parc : il s'effectuerait au rythme de l'installation de 2 GW de génération nouvelle en remplacement, en fin de vie, de 3 GW de génération précédente, ce qui permettrait une installation en substitution d'abord des réacteurs de troisième génération, puis, après 2050, des réacteurs de quatrième génération. Cette modernisation graduelle devrait permettre de disposer en fin de siècle, en premier lieu d'un parc d'une sûreté encore accrue, et en second lieu d'une capacité de production de quatrième génération ; celle-ci, en cours d'étude, est spécialement conçue pour utiliser comme combustibles les matières résiduelles produites par les réacteurs de la génération actuelle, à savoir l'uranium appauvri, dont la France possède des stocks importants, ainsi qu'une partie au moins des déchets de très haute activité (l'américium).

À la fin du siècle, l'énergie nucléaire ainsi réduite à un noyau essentiel de 30 à 40 %, jouerait le rôle de socle pour toute l'architecture française d'exploitation de l'énergie. En effet, il est nécessaire de disposer d'un minimum d'énergie fonctionnant en base pour exploiter des énergies variables, ne serait-ce que pour faire fonctionner les dispositifs de stockage. Aucun industriel n'accepterait d'investir dans un pays comptant exclusivement sur le célèbre et néanmoins aléatoire « foisonnement » pour assurer la régularité de la fourniture en électricité de ses usines. L'Allemagne, sans s'en vanter bien sûr, a parfaitement conscience qu'elle dispose de ses 200 années de réserve de charbon et de lignite, source aujourd'hui de 43 % de son électricité, pour alimenter son propre socle énergétique ; il s'agit pour la France, toute naïveté mise à part, d'utiliser in fine ses atouts nationaux pour remplir la même fonction.

4. Les enjeux de la vitesse de retrait de l'énergie nucléaire

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, un objectif de réduction à 50 % de la part d'électricité nucléaire à l'horizon 2025 a été fixé : c'est un calendrier très accéléré par rapport à la « trajectoire raisonnée » de l'OPECST. L'impact de cet objectif de fait proche, une douzaine d'années, va dépendre de la réalisation des économies d'énergie effectivement constatées, et de la montée en puissance des sources alternatives réellement disponibles à prix équivalent de marché. Si la baisse de consommation d'électricité n'était pas au rendez-vous, par exemple en raison de la lenteur de la rénovation du parc immobilier, et que les solutions de substitution, à part l'hydroélectricité dont le potentiel est de toute façon déjà utilisé, continuaient à demeurer très coûteuses, la France s'en trouverait exposée aux conséquences d'un choc énergétique : réduction de la croissance et pression sur les prix. Dès lors, la poursuite du programme de transition énergétique deviendrait plus difficile, puisqu'il faudrait le réaliser avec les ressources moindres d'une économie diminuée.

Pour se rendre compte de l'effort que représente une baisse de 50 à 75 % de la part nucléaire dans la production française d'électricité, soit une réduction de l'ordre de 20 à 25 GW des capacités de production, on peut donner un ordre de grandeur des économies d’énergie correspondantes à réaliser : ce serait l'équivalent de l'effacement de consommation de plus d'un jour d'électricité par semaine, pour les particuliers comme pour tous les acteurs de la vie économique et sociale : autrement dit, l’équivalent d’une journée de panne générale consentie chaque semaine par le pays tout entier. Pour parvenir à ce degré d'abnégation collective en douze ans, la tâche paraît gigantesque. M. Cyrille Cormier a lui-même convenu, en présentant les scénarios de Greenpeace, que le simple report du transport aérien vers les transports en commun terrestres pour les trajets longs du type Paris-Marseille avait du mal à s'imposer dans les mentalités de nos concitoyens.

En revanche, M. Cyrille Cormier, comme M. Daniel Lincot pour le cas des technologies photovoltaïques, a observé que les trajectoires de coût des énergies renouvelables continuaient à se rapprocher des prix de marché, ceux-ci étant largement influencés en France par les coûts de la production nucléaire. De fait, les énergies renouvelables en phase finale d'innovation commencent à bénéficier des effets d’échelle (7), tandis que l'énergie nucléaire, en raison de l'accident de Fukushima et du vieillissement du parc, est confrontée aux charges croissantes de la sûreté nucléaire. Ce rapprochement des coûts pour atteindre la fameuse « parité-réseau » sans plus aucune subvention constitue peut-être la meilleure chance pour tenir l'objectif de 2025 ; considéré sous cet angle, cet objectif très rapproché des 50 % est une manifestation de foi dans le progrès technique.

Par un autre raisonnement, on retrouve ainsi une des conclusions principales des trois scénarios de l'Ancre pour la transition énergétique, présentés lors de l'audition du 6 juin par Mme Nathalie Alazard-Toux du CNRS, et Jean-Guy Devezeaux de Lavergne du CEA. Les trois scénarios se distinguent par l'organisation des projections autour d'un moteur dominant, respectivement : sobriété, électrification, biomasse ; ils montrent la possibilité d'une rupture dans l'évolution de la consommation d'énergie primaire par habitant, qui permet d'atteindre, dans chaque cas, le facteur 4 en 2050 ; sur ce point, ils convergent avec le scénario de Greenpeace pour la France ; mais, à la différence de celui-ci qui projette une extinction du parc nucléaire français en 2032, ils montrent une certaine difficulté pour contraindre les émissions de CO2 du secteur énergétique avec l'objectif des 50 % d'énergie nucléaire en 2025 : pour y parvenir, ils obligent à formuler des hypothèses très optimistes quant au progrès technique, sur la base de nombreuses « ruptures technologiques », dont le stockage d'énergie. L'attention prioritaire portée par l'OPECST à l'innovation pour la réussite de la transition énergétique s'en trouve donc justifiée.

5. Il faut de l'énergie pour produire de l'énergie

Il convient d'observer que le recul de la production nucléaire doit être géré avec d'autant plus de prudence que cette production est la source principale du soutien au développement des solutions de substitution. Le rapport précité de l'OPECST sur « L'avenir de la filière nucléaire » a déjà insisté sur le fait que les énergies renouvelables, tout comme d'ailleurs la technologie de cogénération, sont subventionnées par le prélèvement sur chaque facture, depuis 2003, de la « contribution au service public de l'électricité », pour un montant total de 5,1 milliards d'euros en 2013. C'est cette ressource qui permet d'encourager le développement des énergies renouvelables en finançant le rachat obligatoire de l'électricité que ces énergies produisent, à des prix encore pour l'instant éloignés de ceux du marché. Le but est de favoriser progressivement les mécanismes de baisse des coûts de production, notamment par diffusion des effets d'économies d'échelle et de dimension, qui permettront bientôt à ces énergies d'accéder directement au marché, sans subvention. Si l'on réduit brutalement la part de l'électricité nucléaire, on réduit d'autant le support du financement permettant de subventionner les énergies renouvelables.

Ce constat rejoint une évidence plus générale constatée par le rapport précité de MM. Christian Bataille et Bruno Sido : il faut de l'énergie pour produire de l'énergie. Les laboratoires, les bureaux d'étude et les usines doivent être alimentés en énergies dominantes du présent pour concevoir et construire les équipements destinés à l'exploitation des énergies dominantes du futur. Et de même que le bois a permis le développement du charbon, et le charbon celui de l'énergie nucléaire, l'énergie nucléaire, à son tour, se trouve en position, en France en tout cas, avec le pétrole pour ce qui concerne plus spécifiquement les transports, de favoriser le développement des énergies renouvelables. Ailleurs, en Allemagne, aux États-Unis, c'est encore très majoritairement le charbon et le gaz, avec aussi le pétrole pour les transports, qui jouent ce même rôle de fournisseurs principaux de l'électricité pour aider au développement des nouvelles énergies.

Encore faut-il laisser au passage de relais le temps de s'opérer. Au cours de l'audition publique du 6 juin, M. Patrick Geoffron de l'Université Paris-Dauphine, rappelant les constantes de temps très longues (40 à 130 années) des mutations techniques précédentes en matière d'énergie, a observé que le débat sur la transition énergétique soulevait implicitement la question sur la manière de stimuler l'émergence, sur la première moitié du XXIe siècle, de technologies qui auraient vocation à émerger spontanément plutôt au cours de la seconde moitié de ce siècle. Dans tous les cas, cette demande d'accélération a tout à gagner à un retrait de l'énergie nucléaire soigneusement rythmé sur l'émergence effective des solutions de substitution, à savoir soit des économies d'énergie effectivement constatables au niveau macroéconomique, soit des énergies renouvelables couplées de façon opérationnelle et économiquement viable au stockage d'énergie, soit une combinaison des deux.

III. LA PLACE INCONTOURNABLE DES INITIATIVES LOCALES

La propension française à la centralisation a plutôt constitué historiquement un atout pour le pays dans le cadre de l'utilisation des énergies fossiles, dans la mesure où les effets d'échelle peuvent permettre, pour ces produits d'un type particulier, des baisses de coûts unitaires très significatives. Cela résulte du poids des infrastructures dans l'exploitation des mines et de l'électricité ; mais cela tient aussi au pouvoir de négociation supérieur que confère l'achat centralisé par grands contrats d'importation, pour le pétrole, le gaz, l'uranium.

Cette efficacité économique de la centralisation a d'ailleurs été reconnue en droit au plus haut niveau, puisque le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, partie intégrante des textes fondamentaux en vigueur en France, fait référence à la notion de « monopole de fait », directement à l'origine des grandes nationalisations du charbon, du gaz et de l'électricité de 1946. D'une certaine façon, Total est aussi le résultat de la volonté de l'État de regrouper les forces françaises de l'industrie des hydrocarbures, dès sa création en 1924, à l'époque pour gérer les parts du pétrole irakien reçues comme dommages de guerre, puis encore à l'occasion de la fusion avec Elf en 1999.

Par nature, les énergies renouvelables bousculent ce modèle de gestion centralisé : d'abord, parce que les progrès technologiques permettent, pour la plupart d'entre elles, une exploitation à partir d'infrastructures plus légères que celles mobilisées par les énergies fossiles ; ensuite, parce que les ressources en sont très localisées, chaque portion du territoire ayant ses atouts propres dans ce domaine. De là, le lien privilégié que les énergies renouvelables ont vocation à entretenir avec les collectivités territoriales, et l'audition publique du 6 juin a bien montré que celles-ci s'impliquent parfois de façon importante dans l'exploitation de celles-là.

Cette décentralisation naturelle des énergies renouvelables pose le problème de l'impact de leur développement sur l'avenir des infrastructures de réseau, question nullement urgente, mais qui mérite analyse dans le cadre de la réflexion sur la transition énergétique.

A. L'EFFET D'UNE MOBILISATION AUTOUR DES ATOUTS TERRITORIAUX

La première table ronde de l'audition publique du 6 juin a fait une place importante à des représentants des projets technologiques portés par des sociétés d'économie mixte soutenues par des collectivités territoriales.

1. Des projets couvrant un éventail large

Les collectivités territoriales, particulièrement les communes, sont de longue date des acteurs importants du secteur de l'énergie, comme l'illustre le cas de la ville de Bordeaux, célèbre pour les spécialistes en droit public en raison d'un des grands arrêts du Conseil d'État (Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, 30 mars 1916) : la ville s'est impliquée dès 1832 dans la production de gaz pour l'éclairage public ; puis a étendu, à partir de 1875, sa fourniture de gaz à l'alimentation des chaudières et des cuisinières ; en 1904, elle s'est investie dans la fourniture d'électricité. Sa régie municipale figure au nombre des quelques entreprises locales de distribution d'électricité et de gaz ayant perduré au-delà de la nationalisation de 1946.

À Metz, le « service public de l’électricité », institué suite à la décision du conseil municipal, en 1900, de construire une centrale thermique, et géré en régie à partir de 1925, perdure aujourd’hui au travers de la société d’économie mixte UEM, dont le nom évoque la toute première « usine d’électricité de Metz » qui a fonctionné de 1901 à 1969.

Sur des bases historiques aussi anciennes, il est assez logique que des collectivités territoriales aient saisi l'opportunité d'exploiter leurs ressources locales en énergies renouvelables. Ainsi, une cinquantaine de sociétés d'économie mixte s'impliquent dans l'exploitation d'éoliennes ; d'autres développent l'énergie solaire photovoltaïque (région Poitou-Charentes). L'audition publique du 6 juin a permis de mettre en valeur l'implication de certaines collectivités territoriales dans la géothermie, la valorisation des déchets, la méthanisation de la biomasse d'origine végétale, le chauffage collectif au bois :

- la géothermie sur aquifère profond a été présentée à travers le fonctionnement de la SEMHACH, société d'économie mixte qui alimente un réseau de chaleur dans trois communes d'Ile-de-France, Chevilly-Larue, L'Haÿ-les-Roses et Villejuif ;

- les enjeux de la valorisation des déchets ménagers ont été illustrés par les deux cas, d'une part, du syndicat mixte départemental TRIFYL, présidé par notre collègue sénateur Jean-Marc Pastor ; TRIFYL assure le traitement des déchets ménagers du département du Tarn, de l'Aveyron, d'une partie de la Haute-Garonne et de quelques communes de l'Hérault ; d'autre part, du syndicat mixte d'élimination des déchets de l'arrondissement de Rouen, SMEDAR, qui dessert 164 communes jusqu'à la ville de Dieppe ;

- les problématiques de la méthanisation à partir des résidus de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire ont été décrites par le représentant de l'usine Géotexia, implantée en Bretagne avec le concours d'une coopérative agricole (CUMA) ;

- le chauffage collectif au bois a été évoqué par le représentant de l'association AMORCE (Nicolas Garnier) et celui du Comité interprofessionnel du bois-énergie (Pierre de Montliveault), s'exprimant tous deux au nom de leurs nombreux membres respectifs impliquant des collectivités territoriales.

Ces exemples concrets révèlent à chaque fois le souci de mettre en valeur des ressources spécifiques locales.

2. Une mise en valeur de ressources spécifiques

La logique consistant à exploiter des atouts géographiques locaux pourrait utilement se généraliser, sous réserve de l'émergence à chaque fois d'une structure portant l'initiative, car tout territoire dispose toujours plus ou moins d'une ressource énergétique à valoriser. M. Philippe Vesseron a ainsi souligné combien la géothermie pouvait être une bonne solution pour les îles volcaniques ; l'observation de M. François Moisan concernant le regain d'intérêt récent pour les énergies marines a recoupé l'analyse de M. Daniel Averbuch de l’IFP Énergies nouvelles, lorsque celui-ci a évoqué le 27 avril, devant l'OPECST, les réelles potentialités en termes d'énergie thermique des mers dans les territoires et collectivités d'outre-mer, compte tenu du coût relatif de cette technologie par rapport aux modes de production classique, extrêmement chers dans les configurations insulaires.

On retrouve du reste cette idée d'utiliser au maximum les atouts locaux en matière d'énergies renouvelables au nombre des principes fondamentaux de la démarche de la construction à basse consommation, ainsi que l'a souligné le rapport publié au nom de l'OPECST en décembre 2009 par MM. Claude Birraux et Christian Bataille sur « La performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ». Dès la conception du bâtiment, il est essentiel d'optimiser l'exposition au soleil et aux vents dominants pour minimiser les besoins d'apports en chaleur par des équipements consommant de l'énergie primaire. Les variétés climatiques, et même les niveaux d'altitude, sont par ailleurs pris en compte par la réglementation thermique à travers des coefficients correctifs venant assouplir la norme de référence (50 kWh par mètre carré et par an) ; cela constitue une autre manière de tenir compte des apports solaires différents en fonction des zones. L'idée d'une utilisation des ressources naturelles disponibles au plus juste des possibilités se trouve donc bien au cœur de la stratégie d'exploitation des énergies renouvelables.

3. La pérennité probable des initiatives locales

La question de la pérennité des initiatives locales pour exploiter les énergies renouvelables amène la question de la viabilité économique intrinsèque des projets, aujourd'hui largement masquée par l'ensemble des aides et subventions, comme les tarifs de rachat de l'électricité. Ces aides marquent la volonté des pouvoirs publics d'encourager, à juste titre, ces efforts décentralisés, mais ont vocation à décroître au fur et à mesure, grâce aux effets d'échelle et de dimension, du rapprochement des structures de coûts de celles prévalant sur le marché. Le choix de l'Ancre de caler l'un de ses trois scénarios de la transition énergétique sur le développement des systèmes énergétiques locaux, à partir notamment de l'exploitation de la biomasse, confirme, d'une certaine manière, qu'aux yeux des meilleurs spécialistes, ces initiatives sont durablement inscrites dans le paysage énergétique de notre pays.

Deux arguments militent en faveur de leur succès de long terme :

- le premier s'appuie sur le constat, au vu des informations recueillies au cours de l'audition, que la plupart des projets reposent sur l'exploitation d'un réel avantage comparatif local : géothermie, centralisation de la gestion des déchets ménagers, immersion dans une zone agricole produisant des résidus, proximité d'exploitations forestières. L'avantage peut n'être que relatif, mais correspondre à un vrai besoin économique, ouvrant sur un marché ; ainsi notre collègue, le sénateur Jean-Marc Pastor, a expliqué qu'un des moteurs du projet de méthanisation TRIFYL était de pallier l'absence de réseaux de distribution de gaz dans la région ; c'est le même genre de raisonnement qui milite pour l'exploitation de la géothermie ou de l'énergie thermique des mers dans les territoires insulaires : ces technologies ont un coût absolu plutôt élevé, mais un coût relatif intéressant en comparaison des solutions classiques dans ce genre de configuration, comme les centrales à gaz approvisionnées par importation ; la problématique est encore la même en Guadeloupe et à la Réunion à travers le projet de couplage des éoliennes avec une unité de stockage d'énergie en bord de falaise (fonctionnant par pompage et turbinage) ;

- le second argument tient à un autre constat : celui du dynamisme et de la capacité d'adaptation des porteurs de projets locaux. Le projet TRIFYL est également exemplaire à cet égard : notre collègue M. Jean-Marc Pastor et M. Etienne Cayrel ont expliqué que leur bioréacteur était au premier chef conçu pour alimenter un dispositif de cogénération, lui-même branché sur un réseau de chaleur ; mais ils ont aussi mentionné des ouvertures sur des technologies innovantes : la production de bio-méthane, au profit d’une petite flotte de véhicules, dont les camions servant au transport des déchets ménagers ; voire, une étape plus loin encore, la production d'hydrogène. Il s'agit clairement d'une stratégie de remontée dans l'échelle des valeurs ajoutées. En présentant le projet SMEDAR, M. Philippe Lecaudé a lui aussi évoqué des expérimentations pour produire de l'hydrogène, ainsi que des recherches pour traquer la dioxine et traiter les fumées. Tout cela fait preuve d'un dynamisme de bon augure pour l'adaptation des projets à l'indispensable recul progressif, à terme, des aides et subventions, au fur et à mesure de la baisse des coûts.

Du reste, M. Michel Andrès a expliqué que la SEMHACH avait fini de rembourser fin 2012 l'ensemble des emprunts ayant permis de construire l'infrastructure initiale de géothermie. L'investissement de départ a ainsi été amorti au bout de 27 ans. C'est donc un bel exemple de projet démontrant sa viabilité économique.

B. L’IMPACT SUR L’ORGANISATION DU SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE

La décentralisation intrinsèque des sources de production d'électricité à partir des énergies renouvelables entraîne ipso facto un besoin d'adaptation des réseaux de transport et de distribution : alors qu'ils étaient jusque-là uniquement descendants, pour amener localement l'électricité produite de manière centralisée, il faut maintenant qu'ils assurent une circulation du courant dans les deux sens, pour faire profiter le pays du phénomène de « foisonnement ». Avec l'installation disséminée des nouveaux points de production d'énergies plus ou moins variables (éoliennes, panneaux photovoltaïques, usines de cogénération à partir de la biomasse), chaque zone du territoire se retrouve en effet, localement, tour à tour excédentaire ou déficitaire en électricité, et le réseau devient ainsi le support d'une nouvelle solidarité territoriale, non plus verticale de haut en bas, mais véritablement horizontale.

1. Le lien avec les réseaux « intelligents »

L'adaptation technique nécessaire est au cœur de la technologie des réseaux dits « intelligents », appelés encore « smart grids », qui ont pour vocation d'assurer en permanence, et parallèlement, la multitude des rééquilibrages locaux, en s'appuyant de manière intense sur les nouvelles technologies de l'information.

Ce besoin d'adaptation est incontestable, et la France avance dans cette direction, comme l'a indiqué le Gouvernement en annonçant que, d'ici 2016, 3 millions de compteurs Linky seraient installés sur le parc de 35 millions. Ce boîtier intelligent est destiné à devenir une des briques de base du système d'information devant permettre de connaître l'état de la balance offre-demande d'électricité en tous points du pays, en vue d'assurer localement, par des flux bien ajustés, les compensations en conséquence, tout en maintenant en permanence, à tout instant, l'équilibre global fourniture-consommation sur l'ensemble du réseau national, de façon à éviter les black-out.

Vis-à-vis de cette évolution, la multiplication des initiatives locales d'exploitation d'énergies renouvelables, notamment grâce à l'implication des collectivités territoriales, devrait avoir un double effet : l'un, évident, est l'accélération du besoin de disposer de ce dispositif de rééquilibrage décentralisé « intelligent » ; l'autre, plus indirect, pourrait être d'alléger la charge de l'adaptation nécessaire, en diminuant le besoin collatéral d'augmenter la capacité de transport du réseau.

En effet, si le réseau est d'ores et déjà, en toute logique, correctement dimensionné pour satisfaire la demande, par des flux descendants, en revanche le branchement de nouvelles sources de production va conduire nécessairement à un besoin d'ajustement de la capacité de transport pour les flux ascendants. D'une part, il est de l'intérêt même des porteurs de projets locaux d’augmenter, autant que possible, la capacité de production de leur installation, pour élargir la zone géographique de la clientèle, et atteindre ainsi la rentabilité économique, voire dégager un profit ; d'autre part, le principe même du « foisonnement » implique que les nouvelles sources de production soient en capacité de fournir du courant bien au-delà de leur horizon local. D'une certaine façon, cette participation potentielle au mécanisme de solidarité nationale du « foisonnement » constitue une justification économique des aides et subventions publiques accordées aux installations.

Cependant, tous les goulots d'étranglement en flux ascendants empêchent le « foisonnement ». Les projets d'initiative locale devraient contribuer à réduire le besoin d'ajustement en capacité pour les flux ascendants de deux manières : d'une part, en déplaçant la demande de consommation nationale d'énergie de l'électricité vers l'utilisation directe de la chaleur ; d'autre part, en facilitant l'installation locale de systèmes de stockage d'énergie basés sur l'hydrogène.

2. Les enjeux du développement des réseaux de chaleur

L'audition publique du 6 juin a permis de rappeler l'importance de la distribution de la chaleur, à côté des réseaux classiques de l'électricité et du gaz. M. Nicolas Garnier, de l'association AMORCE, a précisé qu'actuellement 2 millions d'habitants sont branchés sur 800 réseaux de chaleur, dont 350 en milieu rural. Les réseaux de chaleur assurent ainsi au total 6 % du chauffage en France. Le potentiel d'expansion de cette technologie directe est important, puisque la chaleur représente la moitié de la consommation d'énergie primaire dans notre pays, eau chaude sanitaire comprise.

Les réseaux de chaleur sont soutenus par une TVA à taux réduit (5,5 %), et les aides du « Fonds chaleur » géré par l'Ademe, qui ont bénéficié à 64 projets nouveaux en 2012, après 89 en 2011 ; cela correspondrait, d'après l'association AMORCE, a une extension des réseaux de l'ordre de 250 km chaque année. Le frein principal à leur développement est la préférence des Français pour le chauffage individuel, qui explique que seulement 2 % des flux de logements nouveaux se raccordent à ces réseaux. Selon M. Nicolas Garnier, la solution passerait par un réaménagement du décret du 26 août 1987 fixant la liste des « charges récupérables » pour les locataires.

D'ores et déjà, la distribution de chaleur serait, selon lui, des trois grands réseaux d’énergie, le plus vertueux d'un point de vue écologique, puisqu'il intègre une part d'énergie renouvelable de 36 %, contre 15 % pour l'électricité et 1 % pour le gaz. Pour tout projet nouveau, les aides du Fonds chaleur sont conditionnées à une alimentation pour au moins 50 % en énergie renouvelable, disposition qui, selon M. Nicolas Garnier, devrait favoriser essentiellement le développement de l'énergie-bois. Il considère comme difficilement réalisable un niveau relevé à 75 %, qui a été évoqué au cours du débat sur la transition énergétique.

En tout état de cause, toute extension des réseaux de chaleur, en diminuant le besoin d'électricité, diminuerait du même coup, d'une manière indirecte, le besoin d'ajustement en capacité du réseau électrique, puisqu'une part plus grande des initiatives locales d'exploitation de biomasse serait incitée à privilégier la chaleur.

Le rapport précité de MM. Claude Birraux et Christian Bataille sur l'efficacité énergétique des bâtiments avait évoqué la piste des réseaux de chaleur alimentés par les importantes déperditions énergétiques des centrales nucléaires, inhérentes aux lois de la thermodynamique concernant la conversion de la vapeur en électricité (cycle de Carnot). Cette idée ancienne a toujours buté sur les distances à parcourir pour amener la vapeur jusque dans les centres urbains. Mais les progrès permanents des matériaux d'isolation permettent de la maintenir à l'ordre du jour. M. Jean-Guy Devezeaux du CEA l'a évoquée à propos du troisième scénario de l'Ancre lors de l'audition publique du 6 juin. L’électricien finlandais Fortum envisagerait, à l’horizon 2020, un transport sur 100 km, à destination de la banlieue d’Helsinki, de la chaleur dissipée par une de ses nouvelles centrales.

3. La piste technologique du stockage d'énergie

L'autre voie par laquelle la multiplication des initiatives locales en matière d'énergies renouvelables peut permettre une diminution du besoin d'ajustement en capacité de réseaux, est liée à la possibilité de produire localement de l'hydrogène. Cette forme de valorisation à très haute valeur ajoutée des ressources locales est explorée par le projet TRYFIL, et a fait l'objet d'expérimentation dans le cadre du projet SMEDAR, tous deux exploitant la biomasse contenue dans les déchets ménagers. Mais l'hydrogène peut aussi être produit par électrolyse au pied d'une éolienne, ou à partir de l'électricité produite par un parc photovoltaïque. Le rapport de mars 2009 de MM. Claude Birraux et Christian Bataille sur la stratégie de recherche en énergie a mentionné aussi une expérimentation de production directe d'hydrogène à partir d'un dispositif de concentration solaire, dans un centre de recherche du Département de l'énergie américain à Sandia, au Nouveau Mexique, en craquant des molécules de CO2 en présence d’eau au foyer du concentrateur.

La conversion de toute forme d'énergie en hydrogène offre la possibilité d'un stockage d'électricité, puisqu'une pile à combustible peut ensuite restituer sous forme de courant électrique une partie de l'énergie initialement transformée en hydrogène.

Le champ des possibilités qu'ouvre l'utilisation de l'hydrogène comme vecteur énergétique fait justement l'objet d'une étude en cours, déjà évoquée, de nos deux collègues, le sénateur Jean-Marc Pastor et le député Laurent Kalinowski. Sans anticiper sur leurs analyses, il paraît évident que la disponibilité de tels systèmes diminuerait la dépendance au « foisonnement » pour la stabilité de l'approvisionnement local en électricité ; une partie des réserves d'électricité accumulées sur place pourrait être restituée sur place au fur et à mesure des besoins ; dès lors, le besoin d'adaptation en capacité du réseau électrique s'en trouverait diminué.

La difficulté d'un tel schéma tient, d'une part, dans la contrainte du principe de conservation de l'énergie : il ne faut pas, notamment, que la production d'hydrogène nécessite elle-même trop d'énergie prélevée sur le réseau électrique ; d'autre part, dans l'accumulation des coûts : celui de la production de l'hydrogène s'ajoute à celui du stockage de l'hydrogène, puis à celui de la restitution de l'électricité. En raisonnement de coin de table, l'électricité restituée in fine coûte ainsi a priori deux à trois fois plus cher qu'une production directe. Cette difficulté inciterait à envisager une réutilisation directe de l’hydrogène produit dans un cadre local, par exemple pour des applications de mobilité, de cogénération ou des usages industriels.

Il convient d'observer que la solution des centrales électriques alimentées en biogaz relève exactement des mêmes problématiques.

Toute piste technologique mérite au moins une analyse technico-économique, et même quelques expérimentations. Nos voisins allemands ont pris un peu d'avance en ce domaine, et nos collègues Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski sont allés voir ce qu’il en était sur place, et en feront part dans leur rapport. L'Ancre explore le sujet. Les études montreront si des baisses de coût conséquentes sont possibles.

De toute façon, même si les coûts du passage par l'hydrogène pour le stockage d'électricité devaient rester élevés, il conviendrait de les comparer en valeur relative aux options alternatives, en prenant en compte les avantages et les inconvénients respectifs de ces options au niveau du système complet : en l'occurrence notamment, les surcoûts du stockage d'énergie doivent être mis en balance avec les surcoûts de l'adaptation du réseau pour maximiser l'effet de « foisonnement », et du maintien à un niveau probablement relativement plus élevé de la production en base (nucléaire ?) pour sécuriser la dépendance relativement plus importante au « foisonnement » (8).

CONCLUSION

L’OPECST s’est trouvé engagé dans l’analyse des questions énergétiques dès son deuxième rapport en 1987, à propos de l’accident de Tchernobyl. Il a manifesté depuis vingt-six ans, à travers une trentaine de rapports concernant l’énergie, sur les 155 qu’il a produits, une grande constance dans l’approche de ces questions. Cette approche combine, d’un côté, un soutien à l’exploitation des atouts industriels du pays, en incitant constamment au renforcement des dispositifs de sûreté et de sécurité, et de l’autre, un vrai souci d’ouverture aux technologies nouvelles, et notamment à celles qui permettent l’exploitation des énergies renouvelables.

Cette position de l’Office n’est pas toujours comprise, car elle n'est ni simpliste, ni partisane ; pourtant elle présente une cohérence forte autour du soutien au processus d’innovation, qui veut que les activités industrielles mûres produisent, directement ou indirectement, les revenus qui servent à financer le développement des activités industrielles émergentes, jusqu’au moment où celles-ci deviennent assez fortes et compétitives pour empiéter sur le marché de celles-là.

En France, dans le domaine de l’énergie, cette dialectique repose sur deux piliers de technologies mûres : les hydrocarbures (pétrole et gaz) et l’énergie nucléaire. Dans la plupart des pays développés, elle s’appuie aussi sur un troisième pilier : le charbon, source d’énergie plus ancienne, qui joue encore un rôle considérable aux États-Unis et en Allemagne, pour 40 à 50 % de la production d’électricité.

La taxe intérieure sur les produits pétroliers d’un côté, la contribution au service public de l’électricité de l’autre, via les soutiens budgétaires directs aux programmes de recherche, ou les politiques de rachat à prix subventionnés, jouent un rôle important dans le développement des énergies renouvelables.

Le pétrole, le gaz et l’atome contribuent ainsi, par des prélèvements fiscaux, à la maturation des technologies destinées à les remplacer à terme, partiellement sinon totalement. Parallèlement, ils font tourner les machines de l’appareil industriel qui fabriquent les premières générations des équipements nécessaires à l’exploitation des énergies renouvelables.

Peut-on accélérer ce processus ? On peut du moins veiller à ne pas l’entraver, et à ne pas le laisser dériver vers des impasses. Tel nous paraît être l’enjeu principal de la transition énergétique.

Un volontarisme trop affirmé risquerait d’avoir des effets contre-productifs : si on interdisait d'un coup toutes les importations d’hydrocarbures pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, et qu’on fermait toutes les centrales nucléaires pour éradiquer définitivement les risques d'accidents radioactifs, les activités de recherche, de conception, de développement, de production d’équipements pour les énergies renouvelables s’en trouveraient ipso facto bloquées.

On ne peut pas prendre des décisions qui engageraient l'avenir de notre pays sur des paris. Avant d'avancer dans le démantèlement de nos forces de production énergétique d'aujourd'hui, il faut vérifier que les promesses en matière d'économies d'énergie se réalisent, et que les ressources alternatives en énergies renouvelables opèrent la substitution attendue, à qualité de service équivalente, et sans plus aucune subvention.

L'OPECST s'en tient donc, pour ce qui concerne le cadre économique d'ensemble de la transition énergétique, à la « trajectoire raisonnée » qu'il a présentée dans son rapport de décembre 2011 sur l'avenir de la filière nucléaire. Inscrite prudemment dans une perspective se prolongeant jusqu'à la fin du siècle, mais ouverte à toute accélération de calendrier qui deviendrait technologiquement et économiquement possible, cette « trajectoire raisonnée » repose fondamentalement sur la précaution de ne pas se régler sur des paris, mais sur des progrès avérés. Le cadre économique d'ensemble de la transition énergétique doit être sûr et crédible pour favoriser la réussite des investissements dans les technologies nouvelles, et continuer à susciter l'innovation.

En participant à sa manière, notamment au travers de ses études en cours et diverses auditions, au débat national organisé depuis janvier 2013 sur la transition énergétique, l'OPECST a confirmé la nécessité de maintenir les efforts de soutien en direction de la géothermie, des nouvelles générations de capteurs photovoltaïques (couches minces, cellules organiques) et des énergies de la mer.

L'audition publique du 6 juin a mis également en évidence le rôle essentiel des initiatives locales, s'appuyant sur les collectivités territoriales, pour l'exploitation des ressources du pays en énergies renouvelables, particulièrement dans le cas de la biomasse (déchets ménagers, résidus agricoles, bois), et pour l'alimentation des réseaux de chaleur, dont l'évident intérêt en complément des deux autres réseaux de l'électricité et du gaz justifierait qu'ils se développent plus largement.

Comme il en a la vocation dans le cadre de ses travaux courants, l'OPECST continuera à suivre, par-delà la fin du débat national, le devenir de la transition énergétique, soit à propos d’aspects spécifiques, comme ceux sur lesquels il va rendre des rapports dans les prochains mois (hydrocarbures de gisements non conventionnels, hydrogène et stockage d'énergie, véhicule écologique, verrous réglementaires dans l'efficacité énergétique des bâtiments), soit, au besoin, en organisant des auditions publiques permettant l’établissement de bilans plus généraux.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

Mardi 10 septembre 2013

Présentation du rapport sur « La transition énergétique à l’aune de l’innovation et de la décentralisation » - Synthèse des analyses des auditions et rapports de l’OPECST liés à la transition énergétique, par M. Bruno Sido, sénateur, président et M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, rapporteurs.

« M. Bruno Sido, sénateur, président. Jean-Yves Le Déaut et moi-même allons vous proposer une synthèse des analyses des auditions et rapports de l’OPECST liés à la transition énergétique. Jean-Yves Le Déaut, qui se trouve empêché par un retard d’avion, mais qui doit nous rejoindre plus tard, m’a prié de lire sa partie de notre présentation.

Un grand débat national sur la politique de l’énergie a été lancé, depuis janvier 2013, sous l’égide du ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie. Ses conclusions seront présentées les 20 et 21 septembre prochains, et déboucheront sur un projet de loi de programmation pour la « transition énergétique » dans les prochaines semaines.

La transition énergétique renvoie à l’idée du passage d’une société fondée sur la consommation d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz, mais aussi atome), vers une société énergétiquement plus sobre, moins émettrice de gaz à effet de serre, et intégrant une part croissante d’énergies renouvelables dans son bouquet énergétique.

Ainsi formulée, la question de la transition énergétique ne peut faire que consensus.

L’OPECST ne pouvait pas manquer d’apporter sa contribution au débat. Cette contribution s’appuie sur des études récentes ou en cours, complétées par des auditions spécifiques.

On peut ainsi rappeler que le rapport de décembre 2011 sur « L’avenir de la filière nucléaire en France », dont j’ai été le rapporteur avec Christian Bataille, a proposé une « trajectoire raisonnée » de décroissance progressive, jusqu'à la fin du siècle, de la part de l'électricité d'origine nucléaire, afin de laisser le temps nécessaire à la maturation des technologies de stockage d'énergie.

L’étude de Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski sur les usages énergétiques de l'hydrogène, engagée à la demande de la commission des Affaires économiques du Sénat, s'attache à évaluer le rôle que ce vecteur énergétique pourrait jouer en liaison avec les énergies renouvelables variables.

L’étude de Fabienne Keller et de Denis Baupin sur les nouvelles mobilités sereines et durables, faisant suite à une saisine de la commission du Développement durable de l'Assemblée nationale, examine les évolutions des véhicules individuels et de leurs usages.

On peut encore mentionner, parmi les études en cours se rapportant au sujet, l’évaluation par Christian Bataille et Christian Namy du troisième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGNDR), l’analyse par Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux des freins réglementaires à l’innovation technologique au service des économies d’énergie dans le secteur du bâtiment, enfin l’étude de Christian Bataille et Jean-Claude Lenoir sur les technologies d’extraction des hydrocarbures de gisements non conventionnels.

Sans préjuger de leurs conclusions finales qui seront, de toute façon, soumises préalablement à une discussion au sein de l’OPECST, tous ces travaux éclairent, d’une manière ou d’une autre, la présente contribution.

Celle-ci tire aussi sa substance d’une audition publique du 6 juin 2013 à l’Assemblée nationale, qui s’est donné pour objet d’analyser les enjeux de la maturation des technologies et des processus d’innovation dans le cadre des réflexions sur les modalités de la transition énergétique. Elle a fait suite à une audition par l’OPECST, le 23 avril 2013, de certains acteurs français des énergies de la mer (IFP Énergies Nouvelles et DCNS).

Le concept de « transition énergétique » renvoie à l’idée d’une évolution, d’un passage d’une situation à une autre. Or, trop fréquemment, les réflexions suscitées par l’idée de transition énergétique se focalisent sur ce que pourrait être la situation d’arrivée, sans prendre toujours en compte les conditions dans lesquelles va se dérouler cette transition.

Pourtant les conditions de la transition sont essentielles dans la détermination du champ des possibles pour la situation d’arrivée. Au moins trois dimensions sont à prendre en considération à cet égard :

- la première tient aux conditions dans lesquelles les solutions techniques nouvelles seront effectivement disponibles au cours de cette transition, sans la béquille permanente des subventions ; c’est une problématique relevant typiquement de l’innovation, que Jean-Yves Le Déaut va développer tout de suite ;

- la deuxième tient à la difficulté, constatée tous les jours, liée à ce que la mise en évidence d’un intérêt collectif, même universellement reconnu, et je pense là au changement climatique bien sûr, ne suffit pas en soi à infléchir les comportements individuels ; j’y reviendrai ;

- la troisième tient à la place qui sera réservée à l’initiative locale et aux collectivités territoriales dans le processus de transition ; Jean-Yves Le Déaut en fera l’analyse à partir des enseignements de notre audition publique du 6 juin.

M. Bruno Sido, en remplacement de Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, empêché. Le concept de transition énergétique fait référence implicitement aux précédentes phases de grand bouleversement technologique qui ont modelé la société d'aujourd'hui : la diffusion de la machine à vapeur, puis de l'électricité aux XIXe et XXsiècles ; l'accès au confort de vie généralisé avec l'automobile et les appareils ménagers au milieu du XXe siècle ; la nouvelle révolution de l'électronique et des technologies de l'information à la fin du XXe siècle.

Il existe cependant une différence fondamentale entre ces précédentes transitions et la transition énergétique d'aujourd'hui. Les premières ont résulté de vagues technologiques, nées d'initiatives d'entrepreneurs, qui se sont progressivement imposées aux mécanismes de consommation et d'investissement, puis à l'ordre social, tandis que l’actuelle transition énergétique traduit, à l'inverse, l'expression d'une demande sociale qui essaye de s'imposer à l'appareil productif. L'incontestable légitimité de cette demande sociale, née notamment de la prise de conscience des conséquences dommageables du changement climatique, ne change rien à ce constat d'inversion conceptuelle, qui montre qu'il sera très difficile de réussir la transition énergétique si les évolutions de l'offre, et donc les processus d'innovation, ne sont pas pris en compte dans leur dynamique propre.

On ne réussira pas la transition énergétique dans les conditions techniques actuelles. En effet, cette transition implique notamment d'abaisser les coûts et d'améliorer encore la performance des outils pour accroître l'efficacité énergétique et s’orienter vers plus de sobriété énergétique. En outre, elle appelle à accroître les efforts au profit des technologies de rupture tout à fait cruciales comme le stockage d'énergie.

L'OPECST a perçu d'emblée cette dimension déterminante de l'innovation dans la réussite de la transition énergétique, et en a fait le thème de sa contribution principale au débat national, en organisant l'audition publique du 6 juin. Cette audition s'est notamment attachée à faire le point sur la mobilisation des petites entreprises innovantes.

À l'inverse, cette dimension n'a pas été prise en compte à hauteur de son importance dans le cadre des travaux du débat national, et la synthèse adoptée le 18 juillet ne lui fait pas la place centrale qui devrait lui revenir.

Les travaux de l'OPECST, notamment le rapport de janvier 2012 que j’ai rendu avec Claude Birraux sur « L’innovation à l'épreuve des peurs et des risques », permettent de dégager les principaux points de blocage de l'innovation et les leviers d'action possibles pour son développement.

Pour les phases amont de l’innovation, on peut se féliciter de l’existence d’un dispositif de soutien public assez consistant pour les sujets concernant la transition énergétique : pour la recherche scientifique de concepts, l’Agence nationale de la recherche alloue sur projet environ 50 millions d’euros par an ; pour la validation technique des concepts, c'est-à-dire la valorisation, les moyens propres de l’Ademe apportent un soutien de l'ordre de 350 millions d'euros par an ; à cela s'ajoute la capacité d'investissement procurée par le dispositif des Investissements d’avenir, atteignant le milliard d’euros, répartie principalement entre la mise en place des démonstrateurs (Futurol, BioTfuel, Gaya, pour les biocarburants de deuxième génération) et la création des Instituts d’énergies décarbonées (par exemple, France Énergies marines consacré aux énergies de la mer).

En revanche, les deux phases plus avancées de l’innovation, celles des procédures réglementaires et de l’industrialisation à l’échelle 1 en vue la commercialisation, posent problème.

En effet, tout projet d’innovation doit passer par des étapes obligatoires de procédures réglementaires, puisque tout nouveau produit doit être, peu ou prou, confronté aux normes fondamentales de santé et de sécurité, et toute installation nouvelle implique, d’une manière ou d’une autre, des formes de consultation préalable des riverains. À ce stade, les délais sont inévitables, et le projet innovant se trouve de ce fait en situation périlleuse si son assise financière est trop étroite ; car il faut continuer à payer les salaires, les services, les impôts et les cotisations sociales, alors que l’autorisation de vendre ou d’exploiter n’est pas encore accordée.

À cet égard, l’air du temps est plutôt au renforcement des procédures, du fait de la montée évidente de la sensibilité sociale aux risques. Pour favoriser la transition énergétique, il importe donc de se pencher sur ces procédures, pour en conserver l’efficacité, tout en s’efforçant d’en réduire les excès préjudiciables à l’innovation. L’OPECST s’est emparé de cette question des freins réglementaires à l’innovation, pour le cas des technologies de l’efficacité énergétique des bâtiments ; le sénateur Marcel Deneux et moi-même sommes chargés de cette étude. Pour ce qui concerne les procédures de consultation publique, dont la durée est presque systématiquement rallongée par des recours, une suggestion serait de constituer un corps de magistrats spécialisés, comme je l’ai proposé en 2002 en ma qualité de rapporteur de la commission d’enquête dite « AZF » sur la sûreté des installations industrielles (propositions 89 et 90) ; cette idée a été reprise dans un rapport de l’OPECST de 2011 de Claude Birraux et Christian Bataille, qui se sont intéressés au modèle suédois du « tribunal de l’environnement », dont les juges sont pour partie des spécialistes de haut niveau des questions d’environnement ; la professionnalisation des magistrats devrait, à tout le moins, permettre d’accélérer les jugements ; or tout gain sur les délais favorisera l’éclosion plus rapide de solutions innovantes de la transition énergétique.

L’autre phase critique de l’innovation concerne le financement du passage à l’industrialisation. C’est couramment à ce stade que le besoin de financement change d’échelle : de la dizaine ou de la centaine de milliers d’euros, on passe alors aux millions, voire aux dizaines de millions d’euros. Nombre de petites entreprises innovantes échouent dans le franchissement de cette étape, et sont rachetées par des groupes internationaux ; dans le meilleur des cas, ce sont des groupes d’origine française. C’est l’étape de la traversée de « la vallée de la mort ». La banque publique d’investissement s’efforcera d’intervenir à ce moment critique de la vie des entreprises, à travers un « prêt pour l’innovation » qu’il sera possible de gager pour partie par des recettes futures de marché ; c’est du moins ce que nous avons appris au cours de l’audition publique du 6 juin.

L’annonce, le 9 juillet 2013, par le Premier ministre, de l’affectation pour moitié à la transition énergétique de l’enveloppe des 12 milliards d’euros pour dix ans, constituant la deuxième phase des « Investissements d’avenir », confirme la volonté de l’État de mobiliser des moyens en rapport avec les besoins de la bonne fin des processus d’innovation.

Une idée complémentaire, émise par le Comité Richelieu, serait de favoriser le parrainage des petites entreprises innovantes par des grands comptes, qui s’engageraient à devenir leurs premiers clients. C'est une idée qui a également été évoquée, en soutien aux technologies militaires, au cours de l’Université d’été de la défense. Il est clair que toutes les solutions s’appuyant d’abord sur le marché plutôt que sur des fonds publics garantiront mieux la pérennité et la diffusion des solutions innovantes de la transition énergétique, et c'est ce qui fait l'importance du dispositif du crédit d'impôt recherche.

M. Bruno Sido. Jean-Yves Le Déaut, avec sa connaissance approfondie des questions de l’innovation, est excellemment bien placé pour évoquer les conditions de l’adaptation de l’offre pour la réussite de la transition énergétique. Pour ma part, je voudrais revenir sur les conditions de l’adaptation de la demande ; celle-ci concerne les comportements d’appropriation par les agents économiques des nouvelles modalités de consommation de l’énergie, qui doivent faire une place croissante, d’une part, aux économies d’énergie, d’autre part, à l’utilisation des énergies renouvelables.

À cet égard, on peut observer que les grandes catégories d’agents économiques que sont les administrations publiques, les entreprises et les ménages ont des comportements très différents.

De fait, les administrations ne peuvent qu’obtempérer aux instructions de leur tutelle, pour autant que celle-ci leur en octroie les moyens financiers ; les entreprises se laissent entraîner, et même deviennent pour certaines proactives, parce qu’elles y voient le moyen d’adapter leur communication et leur image à l’air du temps ; de toute façon, elles ont un intérêt direct à investir dans les économies d’énergie.

La réaction des ménages soulève plus de problèmes.

Il n’y a plus de doute quant à la prise de conscience par la population du changement climatique, mais les actes la traduisant ne suivent que pour autant qu’ils soient gratuits et occasionnels. Suivre les consignes de tri des déchets, prendre son vélo ou aller à pied quand il fait beau, c’est déjà un progrès. De là à modifier ses arbitrages d’investissement et de consommation en privilégiant, à chaque fois, la dimension du développement durable sur le coût, il y a un fossé.

On peut observer que même les ménages les plus aisés, c’est-à-dire ceux qui auraient la possibilité matérielle de jouer ce rôle d’avant-garde dans la réorientation des arbitrages individuels, réagissent encore essentiellement selon les schémas traditionnels. Typiquement, les clients des grosses cylindrées continuent à valoriser l’image de puissance et de prestige associée à leur investissement, et les quelques avancées écologiques du véhicule ne comptent pour eux que par surcroît ; il ne faudra pas espérer de leur part une utilisation de leur pouvoir d’achat pour faciliter, sans subvention, le déploiement des nouvelles motorisations plus écologiques.

Dans la mesure où les effets d’entraînement et les mécanismes d’imitation des classes supérieures vont peu jouer, les classes moyennes ne vont donc déplacer leur consommation et leurs investissements à l’appui de la transition énergétique que pour autant qu’elles y seront incitées financièrement ou contraintes. Ainsi, ce n’est pas du tout par hasard qu’une partie du débat national sur la transition énergétique a porté, d’un côté, sur les avantages relatifs du renforcement des subventions, et, de l’autre, sur la formulation d’obligations.

De fait, du point de vue des flux économiques, les deux dispositifs apparaissent assez équivalents. En effet, il faut tenir compte de ce que toutes les formes d’aides sont financées par des prélèvements, qui portent de surcroît pour l’essentiel sur les classes moyennes. D’un côté, avec les obligations, qui pourraient concerner, par exemple, la rénovation des bâtiments anciens, on force les ménages à affecter une part de leur revenu à une dépense qui n’est peut-être pas dans leurs premières priorités ; de l’autre, avec les aides, on leur confisque par l’impôt la même somme, pour la leur restituer s’ils font l’investissement. Si la somme est mobilisée a priori sous forme de dette publique, l’impôt est prélevé plus tard, pour rembourser, mais cela ne change rien à l’affaire : c’est une sorte de jeu de bonneteau, dont le résultat est une allocation forcée de ressources.

Pourquoi pas après tout si c’est pour lutter contre le changement climatique, et donc pour le bien de tous ! Le problème, c’est que toute allocation forcée se fait au détriment d’autres secteurs de l’économie. Et cela ne signifie pas seulement des pertes de marché pour les énergies fossiles ; tous les secteurs sont concernés par une ponction sur le pouvoir d’achat, car le budget des ménages pour les loisirs, ou pour l’habillement, s’en trouve aussi réduit. Les créations d’emploi dans le secteur qui bénéficie de la ponction se font en contrepartie des destructions d’emplois dans d’autres secteurs.

Le bilan peut être globalement positif si les effets de diffusion ont le temps de jouer. Mais il faut craindre qu’une ponction trop violente, c’est-à-dire très forte sur un temps trop court, n’ait des effets contreproductifs.

À cet égard, notre rapport présente quelques estimations d’ordre de grandeur et les rapproche des chiffres produits par le groupe 4 du débat national, qui s’est attaché à analyser les conditions du financement de la transition énergétique : la mobilisation financière envisagée représente des centaines de milliards d’euros sur trois ou quatre décennies. Ce sont des montants considérables.

Ces montants sont tout à fait en ligne avec les chiffres allemands : 1 000 milliards d’euros jusqu’à 2040, selon le ministre fédéral de l’environnement, M. Peter Altmaier. Sauf que l’économie allemande s’enrichit tous les ans de ses excédents commerciaux (188 milliards d’euros en 2012), là où la France doit, en plus, faire face au financement de son déficit extérieur (67 milliards d’euros en 2012).

Il nous paraîtrait donc raisonnable, d’un côté, de maintenir une forte priorité pour les aides aux ménages les moins favorisés, et, de l’autre, d’étaler l’effort demandé aux ménages des classes moyennes en assouplissant le calendrier, de manière à ce que celui-ci empiète sur la seconde partie du siècle. L’effort d’ajustement de la demande s’en trouverait ainsi plus en phase avec le rythme d’évolution de l’offre, permettant à notre économie de mieux absorber le choc de la transition. Je reviendrai sur ce point en conclusion.

M. Bruno Sido, en remplacement de M. Jean-Yves Le Déaut, empêché. L’audition publique du 6 juin, dont le compte-rendu est intégré au présent rapport, a fait ressortir la part qui reviendra aux initiatives locales dans la transition énergétique.

La propension française à la centralisation a plutôt constitué historiquement un atout dans le cadre de l'utilisation des énergies fossiles, dans la mesure où les effets d'échelle permettent, pour ces produits, des baisses de coûts unitaires très significatives. Cela résulte du poids des infrastructures dans l'exploitation des mines et de l'électricité ; mais cela tient aussi au pouvoir de négociation supérieur que confère l'achat centralisé par grands contrats d'importation, pour le pétrole, le gaz, l'uranium.

Cette efficacité économique de la centralisation pour les « monopoles de fait » a d'ailleurs été reconnue en droit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, partie intégrante de nos textes républicains fondamentaux.

Mais les énergies renouvelables bousculent ce modèle de gestion centralisé : d'abord, parce que les progrès technologiques permettent, pour la plupart de ces énergies, une exploitation à partir d'infrastructures plus légères que celles mobilisées par les énergies fossiles ; ensuite, parce que les ressources en sont très localisées, chaque portion du territoire possédant ses atouts propres dans ce domaine. De là, le lien privilégié que les énergies renouvelables ont vocation à entretenir avec les collectivités territoriales.

L'audition publique du 6 juin a permis de découvrir, notamment, l'implication de collectivités territoriales dans la géothermie, la valorisation des déchets, la méthanisation de la biomasse d'origine végétale et le chauffage collectif au bois.

La logique consistant à exploiter des atouts géographiques locaux pourrait utilement se généraliser, sous réserve de l'émergence, à chaque fois, d'une structure portant l'initiative, car tout territoire dispose toujours plus ou moins d'une ressource énergétique à valoriser. L’audition par l’OPECST, le 27 avril dernier, de deux spécialistes des énergies de la mer, au sein respectivement de l’IFP Énergies nouvelles et de la DCNS (les anciens « Chantiers navals »), a montré, par exemple, les réelles potentialités, en termes d'énergie thermique, des mers dans les territoires et collectivités d'outre-mer, compte tenu du coût relatif de cette technologie, pourtant onéreuse, par rapport aux modes de production classique à gaz, extrêmement chers dans les configurations insulaires. Là encore, le compte rendu de cette réunion est associé au présent rapport.

Du reste, le choix de l'Ancre (Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Énergie) de caler l'un de ses trois scénarios de la transition énergétique sur le développement des systèmes énergétiques locaux, à partir notamment de l'exploitation de la biomasse, confirme, d'une certaine manière, qu'aux yeux des meilleurs spécialistes, les initiatives locales sont durablement inscrites dans le paysage énergétique de notre pays.

L’audition publique du 6 juin a conforté effectivement l’idée de la viabilité à long terme de ces projets locaux manifestement gérés avec une grande souplesse d’adaptation. J’en veux pour preuve cette stratégie de remontée de l’échelle des valeurs ajoutées du projet de traitement des déchets TRYFIL, dans le Tarn et l’Aveyron, dont notre collègue, le sénateur Jean-Marc Pastor, assure la présidence : la méthanisation par bioréacteur y a conduit, par étapes, à la production de bio-méthane, puis maintenant d’hydrogène, à chaque fois sans perdre de vue les débouchés. Le projet de géothermie SEMHACH, au sud-est de Paris, a fini de rembourser fin 2012, soit au bout de vingt-sept ans, l'ensemble des emprunts qui a permis de construire l'infrastructure initiale ; c’est là un indice de solidité économique.

La multiplication des projets locaux d’exploitation d’énergie a un double impact sur le réseau électrique : d’une part, elle confirme le besoin de le doter d’intelligence dans la logique des réseaux intelligents ou « smart grids », afin d’assurer la meilleure gestion possible de l’effet de foisonnement ; d’autre part, elle va peut-être permettre de réaliser une économie sur le besoin de montée en capacité de ces réseaux.

Deux raisons à cela :

- premièrement, nombre de ces initiatives permettent le développement des réseaux de chaleur, allégeant d’autant la charge supportée par les deux autres grands réseaux d’énergie, gazier et électrique. Le potentiel d’utilisation de la chaleur directe est grand en France : alors que la chaleur représente la moitié de la consommation d’énergie primaire, seulement 6 % en sont fournis par distribution directe. Des projets de distribution de vapeur à partir des centrales nucléaires sont évoqués depuis longtemps. En Finlande, le consortium Fortum devrait passer à l’acte à l’horizon 2020 au profit de la banlieue d’Helsinki ;

- la seconde manière par laquelle les projets d’initiatives locales pourraient diminuer le besoin d’ajustement en capacité du réseau électrique passe par l’implantation future de dispositifs locaux de stockage d’énergie. L’intérêt manifesté pour la production de biogaz et d’hydrogène paraît aller dans ce sens. Les technologies dans ce domaine sont encore à évaluer, puis, éventuellement, à développer ; mais ce sont des pistes d’ores et déjà concrètement explorées en Allemagne. Il s’agit en fait de consolider l’effet de foisonnement de la production et de la consommation électrique en la dégageant de la contrainte très forte de l’équilibre instantané, grâce à la possibilité d’un équilibrage inter-temporel.

M. Bruno Sido. Notre conclusion principale est qu’il faut laisser du temps au temps. Elle s’impose pour nous au vu des mécanismes en jeu du côté de l’offre, c’est-à-dire ceux de l’innovation et du déploiement technologique, mais aussi au vu des évolutions du côté de la demande, celles notamment qui permettront, peut-être, ces économies d’énergie très substantielles annoncées par les scénarios de l’Ademe, de Negawatt, de Greenpeace.

Notre temps de référence, c’est celui de la fin du siècle, horizon de la « trajectoire raisonnée » que j’ai eu l’honneur de proposer au nom de l’OPECST, avec mon co-rapporteur, Christian Bataille, dans le cadre du rapport de décembre 2011 sur « L’avenir de la filière nucléaire ». Le retrait de l’énergie nucléaire s’effectuerait progressivement par remplacement de 3 gigawatts en fin de vie par 2 gigawatts de génération nouvelle. Vers 2100, demeurerait un « socle énergétique » équivalent à environ 30 % à 40 % de la capacité de production électrique totale actuelle, mais en réacteurs de quatrième génération, c’est-à-dire s’alimentant avec les résidus de l’énergie nucléaire d’aujourd’hui, à savoir les stocks d’uranium appauvris, et probablement, certains déchets de très haute activité (l’américium). Ce socle énergétique permettrait de faire fonctionner pour plusieurs siècles un parc de production très majoritairement à base d’énergies renouvelables, adossé à des dispositifs de stockage d’énergie.

La progressivité de cette trajectoire raisonnée vise spécialement à laisser le temps de la mise au point des dispositifs de stockage d’énergie, évoqués par Jean-Yves Le Déaut, qui sont la condition indispensable à un déploiement à très grande échelle des énergies « variables » : vent et soleil, de loin les plus abondantes des sources renouvelables.

Ce calendrier, assoupli par rapport aux échéances envisagées dans le cadre du débat national, devrait notamment permettre à l’économie de mieux supporter les efforts financiers qu’impliquera la mise à niveau progressive du parc des bâtiments anciens, véritable clef de la réalisation d’économies d’énergie d’ampleur macroéconomique. Il s’agit là d’une démarche moins précipitée mais d’autant plus solide qu’elle permettra sans doute de constater plus sûrement les effets de ces économies d’énergie massives, notamment sur le solde commercial, et à partir de là, d’autoriser une décroissance plus rapide du recours à l’énergie nucléaire.

On ne peut pas prendre des décisions qui engageraient l'avenir de notre pays sur des paris. Avant d'avancer dans le démantèlement de nos forces de production énergétique d'aujourd'hui, il faut vérifier que les promesses en matière d'économies d'énergie se réalisent, et que les ressources alternatives en énergies renouvelables opèrent la substitution attendue, à qualité de service équivalente, et sans plus aucune subvention. À cet égard, l’hypothèse d’une réduction du parc nucléaire, dès 2025, à 50 % de la capacité de production électrique totale, paraît plus que problématique, sauf à espérer d’imminentes ruptures technologiques majeures. Il faut avoir conscience que cela équivaudrait d’ici douze ans à l’équivalent de l’effacement total, pour l'ensemble de l'économie, d’une à deux journées de consommation électrique par semaine.

L’OPECST s’est trouvé engagé dans l’analyse des questions énergétiques dès son deuxième rapport en 1987, à propos de l’accident de Tchernobyl. Il a manifesté depuis vingt-six ans, à travers une trentaine de rapports concernant l’énergie, sur les 155 qu’il a produits, une grande constance dans l’approche de ces questions. Cette approche combine, d’un côté, un soutien à l’exploitation des atouts industriels du pays, en incitant constamment au renforcement des dispositifs de sûreté et de sécurité, et, de l’autre, un vrai souci d’ouverture aux technologies nouvelles, et notamment à celles qui permettent l’exploitation des énergies renouvelables.

Cette position de l’Office n’est pas toujours comprise, car elle n'est pas simpliste, ni partisane ; pourtant elle présente une cohérence forte autour du soutien au processus d’innovation, qui veut que les activités industrielles mûres produisent, directement ou indirectement, les revenus qui servent à financer le développement des activités industrielles émergentes, jusqu’au moment où celles-ci deviennent assez fortes et compétitives pour empiéter sur le marché de celles-là.

Le pétrole, le gaz et l’atome contribuent, par des prélèvements fiscaux, à la maturation des technologies destinées à les remplacer à terme, partiellement sinon totalement. Parallèlement, ces prélèvements financent les activités de recherche, de conception, de développement, de production d’équipements, nécessaires à l’exploitation des énergies renouvelables.

Peut-on accélérer ce processus ? On peut du moins veiller à ne pas l’entraver, et à ne pas le laisser dériver vers des impasses. Tel est le principal enjeu, selon nous, de la transition énergétique. Un volontarisme trop affirmé risquerait d’avoir des effets contre-productifs : il faut de l’énergie ancienne pour produire de l’énergie nouvelle.

Comme il en a la vocation dans le cadre de ses travaux, l'OPECST continuera à suivre, par-delà la fin du débat national, le devenir de la transition énergétique, soit à propos d’aspects spécifiques, comme ceux sur lesquels il va rendre des rapports dans les prochains mois (hydrocarbures de gisements non conventionnels, hydrogène et stockage d'énergie, nouvelles mobilités, verrous réglementaires dans l'efficacité énergétique des bâtiments), soit en organisant régulièrement des auditions publiques permettant un suivi plus général.

M. Denis Baupin, député. Merci Monsieur le président pour cette introduction. Vous avez évoqué un certain nombre de problèmes de fond abordés dans ce rapport dont je viens tout juste de prendre connaissance ; le fait de devoir ainsi se prononcer sur un document sans avoir eu le temps de le lire complètement pose question à la fois sur le plan scientifique et démocratique. C’est pour cette raison que j’avais demandé à pouvoir le consulter à l’avance. Il m’a été indiqué que ce n’était pas dans les pratiques habituelles. J’ai vu qu’était prévue demain une conférence de presse à l’occasion de laquelle ce rapport doit être présenté. J’ai relevé, en lisant la presse, qu’une grande partie des rapports de l’Office étaient adoptés à l’unanimité. Cela ne pourra être le cas de celui-ci, compte tenu du nombre de nos points de désaccord.

Vous remettez en cause la faisabilité de l’engagement du Président de la République de réduction à 50 % de la part de l’énergie nucléaire d’ici 2025, engagement fondateur du débat sur la transition énergétique. Vous affirmez que la majorité de Français qui a adhéré à cet objectif lors des dernières élections s’est trompée, faute de compétences. À cet égard, l'évocation de deux journées par semaine sans électricité me semble disproportionnée. Vous nous proposez en alternative à cet engagement présidentiel une trajectoire raisonnée consistant à prolonger la filière nucléaire d’au moins un siècle. Vous dites qu’il ne faut pas baser l’avenir énergétique du pays sur des paris, pourtant vous préconisez le déploiement de réacteurs nucléaires de quatrième génération qui n’existent pas. L’échec de Superphénix a clairement démontré l’inadéquation de cette voie technologique.

J’ai été très surpris de ne retrouver dans votre rapport aucune référence à l’efficacité énergétique. Pourtant, l’ensemble des travaux engagés sur la transition énergétique, que ce soient ceux de l’Ademe, de Négawatt ou du débat national, prévoient une réduction importante de la consommation énergétique de notre pays. J’ai constaté que vous vous référiez à plusieurs reprises à l’Ancre, c’est-à-dire essentiellement au CEA. En revanche, je n’ai pas noté de mention des prévisions de l’Ademe qui, en tant qu’organisme public, mérite pourtant tout autant notre attention.

Ainsi que cela a été rappelé dans le cadre du débat sur la transition énergétique, la réduction d’un facteur 4 des émissions de gaz à effet de serre implique une réduction d’un facteur 2 de notre consommation énergétique. Ce n’est pas un hasard si nos voisins allemands et anglais ont également défini cet objectif de réduction de consommation.

Je voudrais revenir sur la question de la filière nucléaire. J’ai noté les déclarations de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité nucléaire, à l’occasion de son audition par l’Office en avril dernier, sur les conséquences d’une anomalie générique éventuelle sur le parc nucléaire qui obligerait à arrêter simultanément plusieurs de nos réacteurs nucléaires. Cette position rejoint celle de son prédécesseur, M. André-Claude Lacoste. Il s’agit là d’un risque qui aurait des conséquences graves pour l’économie de notre pays. Il impose de réduire la part de l’énergie nucléaire dans notre production énergétique. C’est un autre élément qui doit être pris en compte dans la transition énergétique.

De même, le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière nucléaire dit des choses très éclairantes sur l’ampleur des investissements réalisés durant des dizaines d’années dans ce domaine, à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros. Cela démontre que ce niveau d’investissement est à l’échelle de ce qu’un pays comme le nôtre doit engager pour réussir la transition énergétique. Je pense que vous préconisez la prolongation des réacteurs nucléaires existants. Or, celle-ci nécessitera des investissements lourds, à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Quel que soit le scénario choisi, des investissements massifs seront nécessaires.

Aujourd’hui nous dépensons, comme vous l’avez rappelé, de l’ordre de 70 milliards d’euros pour nos importations énergétiques, dont celles d’uranium. Plutôt que de verser ces milliards aux pays producteurs de pétrole ou de gaz, au Proche-Orient ou en Europe de l’Est, il serait plus rationnel de les utiliser pour améliorer l’efficacité énergétique, ce qui permettrait de créer de l’activité économique et des emplois dans notre pays.

Vous abordez le problème de l’innovation, mais les innovations à venir ne se feront pas dans le domaine de l’industrie nucléaire. Il suffit de suivre les difficultés rencontrées sur le chantier de l’EPR de Flamanville par des entreprises telles qu’Areva qui se veulent à la pointe de l’innovation technologique, mais ne savent pas monter une pompe à l’endroit. Les entreprises véritablement innovantes, telles Saint-Gobain ou Schneider, se trouvent dans le secteur des énergies renouvelables. Il y a là des enjeux d’investissement et d’emplois qui doivent être pris en compte. Je trouve dommage que ce rapport de l’Office n’ait pas mis davantage en avant ces enjeux.

M. Christian Bataille, député, vice-président. Monsieur le président, je voudrais faire quelques observations sur la forme et sur le fond. D’abord, je tiens à vous féliciter du travail que vous avez réalisé dans le cadre de cette étude qui répond, sinon à une saisine formelle, du moins à un souhait public du président de l’Assemblée nationale ; d’autant que je regrette la faible association de notre Office au processus du débat sur la transition énergétique. J’ai été personnellement très favorable à l’organisation d’un tel débat. Mais je dois bien me résoudre à constater qu’il s’est avéré très confus, dans son organisation comme dans ses conclusions.

Vous nous avez présenté une synthèse des différents travaux de l’Office publiés ou en cours sur cette question. Vous avez notamment mis en avant la question de la performance énergétique dans les bâtiments. C’est un sujet sur lequel j’ai travaillé dans le cadre d’un rapport publié, avec Claude Birraux, en 2009. Nous nous étions rendus, à l’époque, en Allemagne et en Suisse. L’Allemagne dispose sur ce terrain d’une avance certaine sur nous, et nous devons prendre exemple sur elle dans ce domaine essentiel de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments.

Pour autant, je ne suis pas certain que les efforts d’économie d’énergie que nous réaliserons dans ce secteur aboutiront à une réduction de notre consommation énergétique globale. Je crois qu’on n’insiste pas assez sur les nouveaux besoins énergétiques résultant, par exemple, de la multiplication des équipements électroniques connectés en réseau et des besoins domestiques. La multiplication des véhicules électriques en milieu urbain, telle la Zoé de Renault
– notre ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg, incite fortement à leur développement – va également se traduire par un accroissement de la demande d’électricité.

Du reste, le concept de transition énergétique doit être précisé. Il ne s’agit pas d’une évolution bornée dans le temps, mais, au contraire, d’un processus continu qui date déjà de plusieurs siècles. Or, durant cette période, il n’y a pas eu substitution des énergies, celles-ci se sont, au contraire, additionnées.

Si j’ai défendu loyalement l’objectif de réduction à 50% de la part de l’énergie nucléaire durant la campagne présidentielle, je le considère aujourd’hui
– à douze ans de l’échéance – comme hors d’atteinte. À cet égard, je rappelle que l’unité de temps énergétique est de l’ordre du demi-siècle, non celle des cinq ans d’un mandat présidentiel. Dans le rapport que j’ai rendu avec Bruno Sido en décembre 2011, j’ai indiqué qu’il convenait de viser 2035, et une réduction à 60 % plutôt qu’à 50 % de la part d’électricité d’origine nucléaire. Encore faut-il, avant de le faire, savoir par quoi remplacer l’énergie nucléaire.

Dans ce domaine, l’Allemagne est un contre-exemple de ce qu’il convient de faire. La décision d’arrêter des centrales nucléaires en 2011 s’est accompagnée de celle de la construction de nouvelles centrales à gaz et au charbon, plus exactement au lignite. Dans le cadre de la préparation du même rapport de décembre 2011, j’ai pu visiter une mine de lignite à ciel ouvert en Allemagne. L’exploitation de ces mines de lignite, réalisée avec la grande maîtrise technique dont savent faire preuve nos voisins, bouleverse littéralement les paysages. Des villages entiers sont déplacés, pour être reconstruits à l’identique un peu plus loin. Arrêter les centrales nucléaires pour relancer le gaz et le charbon, ce n’est pas ce que nous devons faire.

Malheureusement, les énergies éolienne et solaire ne peuvent remplacer, en l’état, les centrales nucléaires. Une telle substitution ne pourra s’envisager qu’en disposant de moyens de stockage massif de l’énergie. Dans un rapport de 2009 sur la stratégie de recherche en énergie, j’avais mis en avant, avec Claude Birraux, la solution des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) qui permettrait de stocker l’énergie excédentaire, par exemple la nuit, pour la restituer dans les périodes de pointe de demande. Je crois que l’Office a raison de faire entendre sa voix sur cette question, même si ses positions, faute d’être simplistes, peuvent heurter des opinions dictées par des considérations partisanes.

C’est avec intérêt que j’ai écouté les explications de notre collègue, Denis Baupin, sur les risques liés à une dépendance excessive à l’énergie nucléaire et sur la nécessité de réduire nos importations d’énergie. Sur ce plan, dans le cadre de l’étude en cours sur les hydrocarbures de gisements non conventionnels, je préconise de substituer aux importations de gaz et de pétrole la production locale d’énergies fossiles. Il ne s’agit pas d’accroître notre consommation de ces formes d’énergie, mais de réduire notre dépendance dans ce domaine.

En conclusion, je voudrais aussi souligner que nous devons nous interroger sur cette question de la transition énergétique non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelle européenne. Malheureusement, chaque pays semble voir cette question de façon égoïste. Ainsi, les Allemands et les Britanniques pensent s’appuyer sur le socle énergétique du charbon ou du gaz extrait de gisements conventionnels ou non conventionnels. Nous devons aller vers une coordination des politiques européennes en ce domaine, même si nous savons que les objectifs ne pourront tous être atteints en 2025.

Mme Corinne Bouchoux, sénateur. Je voudrais commencer par une remarque de méthode : ne serait-il pas envisageable de pouvoir consulter les rapports deux ou trois heures avant la réunion au cours de laquelle ils sont examinés ? Je maintiens une activité d’enseignement au niveau Master II dans une école d’ingénieurs ; dans ce cadre, il ne serait pas envisageable de travailler sur des documents sans un délai suffisant pour en prendre connaissance, en l’occurrence plusieurs jours.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé sur ce rapport qui comporte des aspects intéressants. Néanmoins, un certain nombre d’autres auraient mérités d’être plus développés. J’avoue que j’attendais des éléments plus précis dans le chapitre touchant à la décentralisation, en ce qui concerne notamment l’adaptation des compétences. J’ai eu la chance de dîner récemment avec un certain nombre de sénateurs allemands et, de par notre maîtrise d’une langue commune, de pouvoir évoquer avec eux l’importance de la décentralisation dans la prise en compte par les différents acteurs concernés des enjeux d’une transition énergétique. Leur approche comportait un volet culturel et éducatif. Cet aspect n’a pas été abordé par le rapport.

Ce qui manque également, c’est la prise en compte du contexte économique actuel. Cet aspect mériterait également d’être intégré à la réflexion.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente. Beaucoup de choses ont été dites au sujet de la transition énergétique qui est une expression « valise » recouvrant de très nombreux concepts.

Je regrette que la question des économies d’énergie n’ait pas été plus développée. Ce rapport n’aborde pas suffisamment cet aspect de la transition énergétique. Il faut, avant tout, voir dans celle-ci une source de valeur ajoutée.

À propos des comparaisons internationales, c’est une bonne chose d’avoir rappelé que le charbon et le lignite restent le fondement de la politique énergétique allemande. L’enjeu de l’indépendance énergétique est central dans les politiques énergétiques nationales, mais l’importance d’une vision géostratégique est souvent éludée.

Ma dernière remarque porte sur le coût de cette transition énergétique. Il faut prendre conscience du fait que cette transition nécessitera du temps et des investissements très coûteux. Les technologies se perfectionneront et nécessiteront de faire appel, de plus en plus, à des ressources toujours plus rares et plus difficiles à obtenir, et donc chères, comme les terres rares par exemple, dont la disponibilité va devenir un enjeu géopolitique.

M. Jean-Yves Le Déaut. Un mot d’abord pour excuser mon retard dû à la perturbation des vols en provenance de Pau, où je participais à l’Université d’été de la défense.

Le rôle de l’Office est d’analyser l’interaction entre les évolutions technologiques et la société, et une question comme celle de la transition énergétique relève directement de ce type d’interactions : voilà pourquoi cette question n’est pas nouvelle pour nous ; l’Office s’est penché de longue date sur les conditions du développement des énergies renouvelables. En novembre 2001, un rapport que j’ai publié avec notre ancien collègue Claude Birraux, a ainsi été à l’origine de deux plans lancés à l’époque : « Face sud » pour le solaire thermique et « Terre énergie » pour la biomasse.

L’Office défend tout autant l’importance des efforts économies d’énergie, comme l’illustre le rapport de Claude Birraux et Christian Bataille en 2009 sur la performance énergétique des bâtiments, et la nouvelle étude que je vais conduire avec Marcel Deneux sur les freins à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. Mais ces analyses montrent combien ces économies d’énergie sont difficiles à réaliser, notamment parce qu’elles requièrent des moyens financiers très importants.

Il est donc essentiel que le pays mobilise ses atouts économiques pour dégager les ressources nécessaires. En Allemagne, ces ressources se trouvent dans le charbon ; en France, moins bien dotée en ressources fossiles, elles sont apportées par l’énergie nucléaire. Il faut donc bien faire attention à ne pas tuer la poule aux œufs d’or.

Le besoin de financement des économies d’énergie va être très important, mais il faut faire attention aux fausses bonnes idées. Je songe en particulier à cette idée évoquée, dans le cadre des travaux du débat national, par le rapport du groupe 4 chargé d’analyser les questions de financement : il s’agirait de regrouper dans une structure publique les fonds actuellement mis en réserve par les entreprises pour financer le traitement des déchets nucléaires, puis d’utiliser ces moyens-là pour soutenir les économies d’énergie et les énergies renouvelables. L’idée n’a pas été retenue dans la synthèse finale, mais elle figure toujours dans le rapport du groupe 4. Elle est doublement dangereuse, car, d’un côté, elle conduirait au désengagement des entreprises productrices de déchets ; celles-ci seraient en effet incitées à se laver les mains du devenir des déchets une fois qu’elles auraient payé leur quote-part ; de l’autre, une telle idée omet le risque que les fonds soient engagés au moment où l’on en aurait vraiment besoin pour les déchets.

Il est essentiel d’orienter les ménages vers la sobriété énergétique, mais il ne faut pas essayer de forcer la transition en créant des situations financières en porte-à-faux ; la bonne stratégie consiste à maximiser l’efficacité des moyens qu’il est possible d’obtenir de notre économie. Le double objectif de réduire à 50 % la part d’énergie nucléaire dans notre production électrique, et d’abaisser sensiblement notre consommation d’énergie à l’horizon 2050, n’est pas contestable, mais nous n’en prendrons véritablement le chemin qu’au prix d’une forte focalisation sur les mécanismes d’innovation.

Je voudrais souligner que toute transition conduit à un nouvel équilibre qui n'est pas forcément celui qu'on a imaginé au départ, et qu’il faut pouvoir essayer d’en éviter les conséquences allant à contresens. On le vérifie actuellement avec le développement rapide des énergies variables ou intermittentes, qui rend nécessaire une extension, non prévue et tout à fait conséquente, du parc des centrales à gaz. Ce parc était presque inexistant il y a dix ans, et rien qu’EDF exploite aujourd’hui une quinzaine d'installations pour une capacité cumulée d’un peu plus de 12 GW, ce qui contribue plutôt à augmenter nos émissions de CO2.

C’est l’une des fonctions de l’innovation de permettre d’éviter ce genre d’effet à rebours. Il est donc essentiel de consacrer à celle-ci toutes les ressources possibles, et de concentrer particulièrement les efforts sur les dispositifs de stockage d’énergie. De ce point de vue, nous sommes en phase avec Negawatt sur la priorité à accorder à la méthanation (distincte de la méthanisation), car c’est un dispositif de stockage d’énergie qui permet par surcroît de fixer du CO2, c’est-à-dire de stocker du carbone. Les avancées dans cette direction constitueraient un puissant levier de compétitivité pour notre économie, car le pays en tête pour cette technologie s’ouvrira des marchés considérables.

L’action publique en matière d’innovation a devant elle deux chantiers tout à fait cruciaux pour la réussite de la transition énergétique : l’assouplissement à bon escient des procédures imposées aux nouvelles solutions technologiques ; et le renforcement des mécanismes de financement pour passer à l’étape de l’industrialisation. Il faut une véritable mobilisation générale sur ces deux chantiers pour accélérer la transition énergétique.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Le financement de l’innovation, évoqué à l’instant, s’effectue aujourd’hui suivant une logique d’appel d’offre, sur le modèle de l’affectation des moyens pour la recherche de concepts ; cela ne permet pas de bien prendre en compte le cas des démonstrateurs.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les Investissements d’avenir ont permis de le faire en partie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous manquons d’un outil adapté car ce n’est ni la mission de l’Ademe, ni celle du Fonds unique interministériel (FUI), ni celle du CEA.

M. Bruno Sido. En tout cas, je prends bonne note du problème de méthode signalé par nos collègues Corinne Bouchoux et Denis Baupin.

M. Christian Bataille. Pour la mission sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, le rapport final était consultable, deux jours avant son examen, dans le bureau du président. Il est vrai que cette mission associait aux membres de l’Office des représentants des commissions concernées au sein des deux assemblées. Il n’en reste pas moins que nous pourrions nous inspirer de cette formule.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est en tous cas une demande légitime qu’il me paraît assez facile de satisfaire.

M. Bruno Sido. Je veillerai à ce que nous en discutions lors du prochain bureau de l’OPECST pour trouver la meilleure solution.

Pour conclure, je ne tenterai pas de résumer l’ensemble des interventions. Le rapport en rendra compte. Pour revenir à ce qu’a dit Christian Bataille, il ne faut pas oublier que la rénovation des bâtiments s’étalera sur plusieurs décennies alors que l’utilisation des équipements électroniques, par exemple les serveurs informatiques, gros consommateurs d’électricité, s’intensifie.

On a rappelé que la dimension européenne était essentielle et j’observe que le besoin d’harmoniser les politiques se complique des limites pratiques rencontrées pour la mise à niveau des interconnexions, qui pourtant contribuent à l’équilibre des réseaux nationaux en permettant des échanges transfrontaliers d’électricité.

La vision d’Anne-Yvonne Le Dain selon laquelle les terres rares pourraient être à l’origine de goulets d’étranglement susceptibles de freiner la transition énergétique me paraît tout à fait pertinente et l’OPECST a déjà un peu abordé cette question géostratégique lors d’une audition publique en mars 2011.

Quant à une meilleure prise en compte des enjeux énergétiques dans le cadre de la culture et l’éducation, évoquée par Corinne Bouchoux, c’est une évolution qui va prendre un peu de temps. »

L’autorisation de publier le rapport est ensuite adoptée à la majorité des membres présents, M. Denis Baupin et Mme Corinne Bouchoux votant contre.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 :
Compte rendu de l’audition publique, ouverte à la presse,
sur « Économies d’énergie dans les bâtiments : comment passer à la vitesse supérieure ? »,
le 4 avril 2013

« M. Bruno Sido, sénateur, président de l'OPECST. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a décidé de participer au débat national sur la transition énergétique.

Outre l’action de ses rapporteur sur des sujets liés à ce thème (avis sur le plan national de gestion des déchets et matières radioactives, filière hydrogène, voiture écologique, hydrocarbures non conventionnels), nous avons décidé d’organiser des débats.

Parallèlement, nous ferons un point le 23 avril prochain sur les énergies de la mer en entendant deux spécialistes de ces questions sur la faisabilité technologique et la viabilité économique de cette filière ; et, d’ici la fin de la session, nous entendrons les membres du comité de pilotage du Conseil national de la transition énergétique.

Au demeurant, le sujet qui nous occupe aujourd’hui a déjà fait l’objet d’un rapport présenté en 2009 par MM. Christian Bataille, qui préside la table ronde de cette fin de matinée, et, par M. Claude Birraux. Il est à noter que ce rapport nous avait été demandé dans le cadre des débats parlementaires de la deuxième loi sur le Grenelle de l’environnement, dont j’étais un des rapporteurs.

Pour être bref et souligner l’importance du thème que nous abordons aujourd’hui, je ne citerai qu’une donnée chiffrée : en énergie primaire, le bâtiment représente 45 % de la consommation énergétique contre 28 % pour l’industrie et 26 % pour le transport, ceci sur un stock qui se renouvelle à un rythme beaucoup plus lent que celui des autres usages (de l’ordre de 1 % tous les ans).

J’ajouterai que, dans ce domaine, nous avons accumulé un certain retard par rapport à nos voisins suisses et allemands, ces derniers ayant dédié, depuis longtemps, un Institut Fraunhofer à l’étude de cette question.

Nous allons donc tenter de débattre de cette question en insistant sur la mise en place concrète de dispositifs renforçant l’efficacité énergétique des bâtiments – ce qui doit inclure le parc existant.

Dans cet esprit, je laisse la parole à M. André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme et président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, particulièrement impliqué dans notre sujet de ce matin puisqu’il a fait une démarche auprès du Bureau de l’Assemblée nationale pour déclencher une saisine de l’OPECST.

M. Chassaigne, député du Puy de Dôme. Je serai obligé de quitter rapidement cet échange dans la mesure où je participe à un débat parlementaire que je considère comme extrêmement important, la séance devant reprendre à 9h 30.

L'amélioration de l'efficacité et de la sobriété énergétique du secteur résidentiel est un volet déterminant de la transition énergétique que nous voulons engager. La consommation énergétique du secteur résidentiel et tertiaire représente plus de 40 % de la consommation d'énergie finale en France et contribue à hauteur de 18 % aux émissions nationales de gaz à effet de serre. Voilà sans doute des données connues des participants à cette audition, et il est vrai que pendant les débats au Grenelle de l'environnement ce constat s'est inscrit je crois, dans les consciences de nos concitoyens et des acteurs concernés. L'effort concerne les 400 000 nouveaux bâtiments construits chaque année, si l'on considère cet objectif comme atteignable, qui doivent devenir performants. L'objectif à atteindre, je le rappelle, est une consommation de 50 kW heure par mètre carré. Mais l'effort concerne aussi, et je dirais surtout, le parc ancien, d'une taille, dit-on, cent fois plus importante, qui nécessite une rénovation de grande ampleur, puisque la consommation moyenne de ces bâtiments est actuellement au moins de 6 à 7 fois supérieure à celle des bâtiments neufs. Un instrument juridique sert de support à l'immense effort d'adaptation indispensable, il s'agit de la dernière version de la règlementation thermique, dite RT 2012, entrée en vigueur le 1er janvier 2013. Notre volonté en matière d'isolation des bâtiments et de réduction de la consommation moyenne d'énergie des logements ne doit souffrir d'aucun retard et doit s'adapter à la réalité. Ce n'est un secret pour personne : dans le secteur du bâtiment comme ailleurs, il y a la règle, et la réalité des faits. Je crois à ce titre que la première table ronde de cette matinée, doit permettre de faire un point réaliste et complet sur les objectifs du secteur du bâtiment, sur ce qui est réalisable, et sur ce qu'il faut mobiliser pour atteindre ces objectifs. Nous avons également eu l'occasion le 26 février dernier à l'Assemblée nationale, d'aborder durant une séance de travail la question de l'efficacité et de la sobriété énergétique dans le secteur résidentiel en présence des ministres concernés. J'ai à ce titre souhaité interpeller la ministre de l'Écologie sur les choix techniques et technologiques que nous devons soutenir pour accélérer la transition énergétique dans ce secteur tout en favorisant les filières innovantes et écologiquement vertueuses. Ce point clef est l'objet de la seconde table ronde et doit nous interroger sur notre capacité à appuyer l'innovation dans notre pays en mobilisant nos potentiels industriels et de recherche. Mon interpellation portait notamment sur le fait que certaines entreprises françaises, dont les produits innovants ont fait la preuve de leurs performances in situ, se heurtent à des obstacles d'ordre administratif pour se faire homologuer et pour permettre leur diffusion. C'est le cas dans le secteur des isolants, mais aussi pour d'autres produits innovants comme des pompes à chaleur ou des systèmes de ventilation. Vous y reviendrez sans aucun doute tout à l'heure dans le détail avec certains des acteurs concernés.

Cette situation a d'ailleurs motivé ma demande de saisine de l'OPECST au Président du Bureau de l'Assemblée nationale. En lien direct avec ces difficultés, cet échange doit permettre de nous éclairer sur les choix des outils incitatifs mis en place comme le crédit d'impôt développement durable, sur leur adaptation aux réels besoins de notre pays et sur la place que nous réservons aux productions industrielles françaises et européennes, face aux choix techniques de moindre rendement et de moindre qualité. Vous le voyez, le besoin de confronter la réalité des objectifs au réel, et d'adapter nos choix vers les dispositifs les plus efficaces, mérite qu'un débat fructueux s'engage. C'est l'objectif de cette réunion de travail.

PREMIÈRE TABLE RONDE : LES OBJECTIFS ET LES INSTRUMENTS.

Quelle contribution du secteur des bâtiments à la maîtrise des consommations d’énergie d’ici 2050 ?

M. Bruno Sido. Notre première table ronde de ce matin vise à rapprocher deux éléments du paysage intellectuel très souvent traités dans des démarches séparées, et qu'il nous a semblé pertinent de rapprocher compte tenu de l'intérêt que le Gouvernement et le président de la République lui-même portent au sujet des bâtiments plus économes en énergie. D'un côté, des scénarios très médiatisés affichent des perspectives de réduction extrêmement ambitieuses en matière de consommation d'énergie dans le bâtiment à un horizon de moyen-long terme, en 2050. De l'autre, des efforts tout aussi médiatisés, notamment en lien avec le Grenelle de l'environnement, sont conduits depuis cinq ans pour créer de nouvelles normes de construction, et je pense en particulier à toute la démarche de mise en place de la fameuse RT 2012 dont parlait à l'instant André Chassaigne.

La question qui se pose est de savoir comment ces deux approches se réconcilient sur le terrain, c'est à dire au niveau des résultats tangibles, directement observables par les systèmes de mesures, et par les utilisateurs au travers de leurs factures. Il y a bien en effet un moment où il faut retourner au réel, et les difficultés économiques actuelles amènent pragmatiquement à s'interroger sur la facture énergétique du pays en termes de solde du commerce extérieur, et sur la facture énergétique des ménages qui pèse sur le niveau de consommation, et donc sur la croissance.

Cette première table ronde rassemble donc des professionnels chargés de nous dire ce qu’ils pensent de la trajectoire sur laquelle les efforts conduits actuellement nous situent, et ce qu’il serait possible de faire pour passer éventuellement à une vitesse supérieure, plus compatible avec les scénarios ambitieux affichés.

Les scénarios de référence.

Je vais donner la parole pour la présentation des scénarios de référence sur le moyen-long terme, d'abord à M. Olivier Sidler pour NegaWatt. J'insiste sur le fait que ce n'est pas le scénario complet dans ses détails qui nous intéresse, mais bien la manière dont il met en valeur la contribution des économies d'énergie dans le bâtiment à l'horizon envisagé. Vous avez la parole pour 10 minutes.

M. Olivier Sidler, ingénieur énergéticien, vice-président de NegaWatt. Je voudrais rappeler pour commencer que l'association NégaWatt est constituée de professionnels du bâtiment, et n'ont rien à vendre. Ils sont tous engagés dans l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Le scénario NégaWatt a pour horizon 2050. Il est de long terme, et fondé sur l'idée que pour arriver aux performances devant être visées par tous, il n'y a pas une solution unique à mettre en œuvre, mais un triptyque fondé d'une part sur la sobriété, c'est-à-dire une modification de nos comportements vis-à-vis de l'énergie, la suppression des gaspillages, d’autre part sur l'efficacité énergétique, tout ce que la technologie peut nous apporter pour réduire nos consommations à besoins identiques, et enfin sur le recours aux énergies renouvelables, élément fondamental appelé à changer beaucoup de choses.

Ce scénario s'est fixé deux objectifs très clairs : diviser par quatre les consommations d'énergie, et les émissions de gaz à effet de serre : la guerre contre le climat est devant nous. Elle approche très vite. Il y a une sorte de déni face à cette question, mais elle est là. Nous devrons la régler. Elle va coûter infiniment plus cher si nous ne prenons pas les bonnes mesures maintenant.

Le pic pétrolier est bien derrière nous : nous en subirons les conséquences à la fois en pénurie d'énergie et par l'augmentation de son prix liée à cette raréfaction. Il faut donc travailler sur ces deux éléments, le but du scénario étant de rendre possible le souhaitable et le nécessaire.

C'est un scénario très conservatoire dans la mesure où il utilise des technologies disponibles. Il n'y a pas d'hypothèse sur des technologies futures qui pourraient nous sauver la vie.

Sur la question du bâtiment, il est le suivant : nous passons de 27,8 millions de résidences principales aujourd'hui à 31,8 millions ; 14 % de logements en plus. Mais nous passons de 2,25 habitants par logement à 2,20, alors que la tendance nationale est plutôt d'aller vers 2. Ce choix n'est pas anodin. Il représente une économie de 3 millions de logements. Nous observons dans les pays actuellement en pénurie que les gens font de la colocation : ils occupent des logements grands à plusieurs. Nous le voyons en Espagne et d'autres pays. Personnellement, je ne crois pas que l'on aille vers des logements occupés par seulement deux personnes. Toutefois, la surface des logements augmente dans ce scénario. Elle passe de 91 à 93 m², et la surface par personne augmente également, de 39,4 à 40,9 m². Il ne s'agit donc pas d'un scénario de la pénurie, comme on a pu l'entendre.

Le neuf ne permet malheureusement pas de rénover le parc en un siècle, car l'on ne démolit que 30 000 logements par an et l'on en construit 300 000. Or il y a 30 millions de logements. À ce rythme, il faut mille ans. Il y a un renouvellement de 1 pour mille par an. La construction neuve accroit le parc mais ne se substitue pas à lui. Donc le grand enjeu est bien la rénovation, sur ce point-là nous sommes tous d'accord.

L'objectif de facteur 4 se traduit par une consommation de 50 kWh par mètre carré par an d'énergie primaire sur le chauffage seul. C'est l'objectif n° 1, qui doit être mesurable dans ce scénario.

En deuxième hypothèse très forte, nous pensons qu'il faut rénover en une seule fois et pas en plusieurs couches, car dans ce cas cela ne se ferait pas. Je n'ai pas le temps de développer, mais je le ferai volontiers dans le débat : si vous lancez des opérations de rénovation en cascade, le premier étage se fera, et pas le reste, avec le risque de générer de la pathologie. Lorsque vous changez les fenêtres et rendez étanche le bâtiment, et ne faites pas la ventilation, le logement va devenir impropre à son utilisation, et même pathogène. De plus vous n'aurez pas les économies d'énergie, car il est impossible de faire fonctionner un logement dont la rénovation est hétérogène. C'est un problème technique sur lequel je pourrai revenir aussi tout à l'heure.

Il est donc question de rénover la totalité des logements, et non des tranches de logements.

Dans le neuf, les tendances choisies sont la poursuite des tendances actuelles : à partir de 2020 les bâtiments seront passifs. Autrement dit, ce qui est prévu réglementairement à ce jour n'est pas modifié.

En revanche il y a des modifications importantes dans l’ancien : dès 2013, nous avons envisagé 33 000 logements par an, puis 60 000 de plus chaque année, pour trouver un rythme de croisière à partir de 2022, où 500 000 logements seraient rénovés par an. C'est moins que le plan du président de la République actuel qui parlait de 500 000 logements lors de son quinquennat. Il s'agit d'une montée en puissance relativement raisonnable, même très raisonnable. La fin de la rénovation des logements d'avant 1975 interviendrait en 2044. Donc nous sommes bien au rendez-vous.

Pour les logements d'après 1975, déjà un peu isolés car il y a une réglementation à partir de cette date, le démarrage de la rénovation s'effectue en 2020, avec seulement 25 000 logements par an, et une montée en puissance en dix ans pour atteindre 250 000 logements rénovés chaque année à partir de 2030. Fin des rénovations : 2050.

Enfin dans le tertiaire, nous avons prévu le début des rénovations en 2014. Mais le scénario date de 2011, et il y aura un petit décalage. Le régime de croisière est atteint en 2026 avec 29 millions de mètre carré par an, et la fin de la rénovation en 2050.

Voilà le programme et la vitesse à laquelle il est prévu. Il n'a rien d'irréaliste. Il est au contraire très réaliste. Les résultats sont spectaculaires : on réussit à diviser par 4,6 la consommation d'énergie primaire du secteur bâtiment, et par plus de 10 l’émission de gaz à effet de serre, essentiellement de CO2.

J'ai une explication à vous donner, car sur l'ensemble du scénario il s'agit même d'un facteur 15: tout simplement parce que nous travaillons sur l'origine des vecteurs énergétiques. Nous utilisons du gaz, mais il n'est pas fossile. Il vient essentiellement de la biomasse, pour 90 %, à travers des filières de fermentation, de gazéification. L'électricité elle-même est produite par des voies autres que la chaleur et le travail. Il y a des pertes énormes dans les centrales thermiques, quelles qu'elles soient. Nous revenons à des conversions directes, de type photovoltaïque ou éolien. Grâce à cela, à la fin du scénario Négawatt, nous ne sommes plus sur un coefficient de 2,58 de conversion finale primaire, mais 1,19, ce qui change tout à fait le contenu énergétique des kWh consommés. D'où cette chute monumentale sur les gaz à effet de serre.

Ce programme est donc très intéressant. Il va créer beaucoup d'emplois, comme le montre l’étude emploi publiée il y a quelques jours. L'impact environnemental est considérablement réduit.

Le gradient thermique, qui fait tellement peur à RTE, c'est-à-dire les 2300 mégawatt électriques induits par la perte de chaque degré extérieur, les constructions de tranches nucléaires supplémentaires, tout cela disparait. Il y a énormément de gagnants dans ce scénario.

Ce scénario est construit sur l'obligation de rénover. C'est le débat actuel : si vous n'obligez pas à la rénovation, il n'y aura pas de rénovation au bon niveau.

Dans les bâtiments BEPOS, c'est-à-dire les bâtiments à énergie positive, le chauffage représente moins de 10 %, selon des campagnes de mesures, tout le reste recouvre des usages spécifiques de l'électricité : éclairage, bureautique, moteurs de ventilation et de pompes, électroménager. Là se trouve un gisement d'économie, par amélioration des produits, déjà en cours avec les directives européennes et la transformation des habitudes des usagers. Dans le scénario Négawatt, nous réduisons d'un facteur 2 les consommations d'usages spécifiques de l'électricité, dans le tertiaire et dans le logement, dès 2050. À titre personnel, j'ai déjà fait un facteur 3. Ce n'est pas du tout difficile. Dans nos bureaux nous sommes à un facteur 10 : ce sont des choses parfaitement possibles qu'il faut mettre en œuvre, dont on ne parle jamais, et le gisement d'économies est tout à fait considérable.

La marche à suivre à partir d'aujourd'hui est :

1) Mettre en œuvre cette obligation de rénover. Si vous ne le faites pas, il ne se passera rien du tout. Il faut le faire sur les mutations, premier élément. Et puisqu'il y a 500 000 rénovations et 470 000 mutations dans les bâtiments d'avant 1975, il faudra encore trouver quelques logements non concernés par les mutations et les rénover.

2) Définir ensemble des seuils de déclenchements : quand est-il nécessaire de rénover, ou non, des bâtiments de classe G, F, ou E.

3) Mettre en place un financement extrêmement robuste. Il y a 18 milliards de travaux à faire. L'étude de la KfW (anciennement Kreditanstalt für Wiederaufbau) en Allemagne montre qu'un euro investi, c'est 11 euros de travaux générés, et 2 à 4 euros rapportés à l'État.

4) Tout repose sur les artisans : la maison individuelle pour 53 %, et encore 20 % de petits bâtiments. Sans les artisans vous ne ferez pas de programme de rénovation. Leur formation est un sujet majeur.

M. Bruno Sido. Je donne maintenant la parole 10 minutes à M. José Caire pour la présentation du scénario de l'Ademe, là encore avec l'idée de mettre en valeur la contribution des économies d'énergie dans le bâtiment à l'horizon envisagé.

M. José Caire, directeur Ville et Territoire durable, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). L'Ademe est en train d'achever la construction d'un scénario à deux horizons, 2030 et 2050, sur la demande en énergie et la question de la production d'énergie renouvelable. Ce n'est pas un scénario bâtiment isolé du reste, mais je vais faire un petit extrait le concernant.

Dans la méthodologie générale, sur l'horizon 2030, la méthode utilisée est celle de l'utilisation des données d'aujourd'hui avec des technologies à notre portée, sans bouleversement majeur ou changement radical de notre mode de vie, avec un minimum de volontarisme. Pour le scénario 2050 il s’agit d’une vision normative, où l'on va chercher l'objectif du facteur 4 pour les émissions de gaz à effet de serre, en vérifiant que l'on peut trouver un chemin réaliste. Ce scénario est tous secteurs. Il s'est attaché au bâtiment, l'industrie, les transports, l'agriculture, et vérifie la cohérence entre les différents secteurs. Sur les hypothèses démographiques et économiques, donc croissance, taille des ménages, etc., nous avons repris les hypothèses de l'INSEE, du ministère, du Centre d’analyse stratégique, ou de l'Agence de l'énergie pour les prix de l'énergie à l'importation.

Sur les principales hypothèses 2030, nous sommes sur un rythme de construction en résidentiel à 350 000 par an, pour 310 000 aujourd'hui. Il y a des fluctuations très importantes bien entendu. Sur le tertiaire nous maintenons les surfaces par employé actif.

Nous n'avons pas regardé les questions de sobriété, très importantes comme on l'a rappelé. Sur les comportements, en particulier les consommations de chauffage et d'eau chaude, nous n'avons pas diminué le nombre de douches ni réduit les températures intérieures. Sur l'enveloppe thermique, nous sommes sur un scénario à 500 000 rénovations thermiques en moyenne par an, détaillées par type de parc, âge du parc, pour considérer les choses de manière précise. Sur les équipements de la maison ou de l'appartement, nous avons fait un certain nombre d'hypothèses en prolongeant des constats que l'on peut faire aujourd'hui. Sur le chauffage, nous arrivons en 2030 à une hypothèse de 20 % de pompes à chaleur, avec des coefficients de performance améliorés à 4 par rapport à 3 aujourd'hui, donc un taux de pénétration équivalent à celui des chaudières à condensation ; pour l'eau chaude nous tablons sur une avancée des chauffe-eau thermodynamiques, 10 % de chauffe-eau solaires. Nous prévoyons une augmentation des consommations liées à la climatisation car la présence des pompes à chaleur a cet effet-rebond, et ceci dans le cadre d'un réchauffement, d'une augmentation des températures ambiantes. Sur les équipements spécifiques, nous avons pris l'hypothèse qu'en 2030 l'équipement moyen correspondrait à ce que l'on fait de mieux aujourd'hui. Par contre, il y a une augmentation du niveau des équipements, ce qui fait que ce poste reste stable.

Sur l'organisation urbaine: nous avons aujourd'hui un parc composé de 58 % de maisons individuelles, et de 48 % de logements collectifs. En 2030 nous considérons un équilibre entre les deux.

Cela donne le résultat suivant : une baisse en millions de TEP de 44 à 32 sur le résidentiel, de 22 à 18 sur le tertiaire, donc globalement une baisse de 23 %.
Sur le scénario 2050, nous sommes à un rythme de 300 000 constructions neuves en moyenne par an. Sur le tertiaire, nous avons intégré une baisse de 20 % des surfaces par employé en intégrant la question du télétravail, et la pression sur le foncier : il sera procédé nécessairement à plus d'efforts qu'aujourd'hui sur la consommation de surface.

En termes d'enveloppe des bâtiments, à partir de 2020 le parc neuf aura un niveau de performance très élevé. Nous sommes en moyenne sur le parc rénové à 130 kWh tous usages, et sur le parc neuf à 100 kWh tous usages, en conservant dans ce tous usages 50 kWh d'usages spécifiques, domaine assez difficile à considérer à long terme. Nous avons donc fait le choix de la progression de l'efficacité des équipements, mais aussi de l’augmentation des usages.

Nous arrivons à 50 % de pompes à chaleur en matière de chauffage, un taux important sur les systèmes hybrides, la micro-cogénération, 50 % de chauffe-eau thermodynamiques, 20 % de chauffe-eau solaires, et une augmentation forte de la climatisation, encore plus accentuée par rapport à 2030, avec une multiplication par 6 des consommations par rapport à aujourd'hui. Pour l'organisation urbaine, nous sommes basculés à 40 % de maisons individuelles et 60 % de logements collectifs dans la construction neuve.

Le résultat est le suivant avec la perspective de 2010 à 2050 : nous arrivons pour le résidentiel à 22 millions de TEP, sur le tertiaire à 15 millions, donc au total sur le bâtiment nous passons de 66 en 2010 à 37 en 2050. Une division pas tout à fait par 2.

Je ne détaille pas la répartition des vecteurs énergétiques à 2050. Ce qui est important: de 151 millions de TEP en 2010, nous passons à 123 en 2030 et à 82 en 2050. C'est en gros une division par 2 de l'énergie. Mais sur les gaz à effet de serre, la référence étant 525 en 1990, nous passons à 313 en 2030 et à 131 en 2050. Nous avons donc bien le facteur 4 sur ces émissions.

Sur les éléments financiers, très sommairement, le bâtiment aujourd'hui représente 140 milliards d'euros par an, construction plus rénovation, résidentiel et tertiaire. La répartition est de 55 pour le tertiaire et 85 pour le résidentiel, qui représente 43 milliards de constructions et 42 milliards de rénovation, dont 27 d'entretien-amélioration, et une quinzaine ayant un impact énergétique. Sur cette quinzaine, il n'y en a que deux ayant un impact énergétique réel, dans la gamme de ce que l'on cherche à faire dans notre dénomination appelée « 3 étoiles », avec une réelle efficacité.

Les 42 milliards de rénovation concernent chaque année à peu près 8 millions de logements. Il s'agit donc de petits travaux, de l'ordre de 5 000 euros par opération, alors que les « 3 étoiles » concernent 100 000 - 135 000 logements par an, sur des opérations d'un coût d’à peu près 15 000 euros. C'est bien ce type de rénovation qu'il faut multiplier par trois si l'on veut arriver aux 500 000. Nous avons donc à réorienter des sommes déjà investies vers des travaux plus efficaces en matière énergétique : il ne s’agit pas forcément, en intégralité, d'argent en plus. Comme ordre de grandeur, Olivier Sidler parlait tout à l'heure de 18 milliards. Nous sommes plutôt autour d'une dizaine de milliards, la question des prix unitaires étant un sujet en elle-même.

Il nous restera à faire le travail en termes d'impact macroéconomique et sur les emplois.

Les dispositifs opérationnels

M. Bruno Sido. Nous en venons maintenant à la présentation des différentes démarches envisagées en pratique pour aller vers des bâtiments plus économes en énergie. En premier lieu, la parole revient au directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, M. Etienne Crépon qui vient d'arriver, et va nous présenter en dix minutes la démarche réglementaire en cours, celle de la RT 2012.

M. Etienne Crépon, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Quelques mots pour vous présenter les modalités d'élaboration de la règlementation thermique 2012 et des premiers retours d'expériences sur cette démarche. La règlementation thermique 2012 a été lancée dans le cadre du Grenelle de l'environnement, avec un principe fixé dans la loi dite Grenelle 1 et des modalités mises en œuvre fin 2011. Après de longs débats au Parlement, elle s’est concentrée sur une consommation d'énergie primaire standardisée à 50 kWh par mètre carré et par an. Ce sera dans le cadre de la RT 2020 que sera pris en compte, comme l'a souhaité le Parlement, l'autre grand élément, qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2.

On estime que la mise en œuvre de la règlementation thermique 2012 par rapport à la précédente, qui datait de 2005, permettra de faire économiser 150 milliards de kWh sur la période 2013-2020 et de l'ordre de 560 milliards de kWh sur la période 2020-2050.

Les modalités d'élaboration de cette règlementation thermique représentent trois ans de travail pour 13 groupes thématiques, des consultations publiques organisées par le ministère en charge de la construction à intervalles réguliers pour bien vérifier que les orientations fixées par les groupes de travail étaient le plus consensuel possible, des centaines pour ne pas dire des milliers de simulations, tout ceci éclairé par un document de cadrage produit par votre observatoire, qui a été l'un des guides d'élaboration de cette règlementation.

Elle fixe trois exigences de résultats, et non plus de moyens : de consommation maximale ; d'efficacité énergétique du bâtiment, grâce à la qualité de l'enveloppe ; et de confort d'été.

Nous estimons, et c'est globalement consensuel dans l'ensemble des professionnels, que cette règlementation n'a pas d'équivalent en Europe ni dans les pays développés. Sur ce sujet, la France a été véritablement pionnière. Afin que cette dimension pionnière ne conduise pas à une totale déstructuration des filières industrielles, il a été prévu une phase transitoire jusqu'au 1er janvier 2015, sur laquelle les exigences de la règlementation thermique ont été majorées de 7,5 kWh.

D'autre part et après une phase de discussion avec l'ensemble des partenaires, une modulation de cette règlementation existe en fonction de la taille des logements, considérant qu'il est beaucoup plus difficile de parvenir aux mêmes résultats sur du tout petit logement, que sur du grand logement.

La diapositive montre la manière dont post-2015, la règlementation thermique sera modulée en fonction de la taille des logements. Jusqu'à 2015 il suffit de translater la courbe de 7,5 kWh par mètre carré et par an pour avoir les exigences qui s'appliquent aujourd'hui.

Les retours d'expériences des prédécesseurs de la règlementation thermique 2012, et les consommations réelles telles que nous pouvons les constater sur des résidences et ménages, permettent de constater que globalement, les simulations mises en œuvre dans la règlementation thermique sont relativement en phase avec les consommations réelles constatées par les usagers.

Quelques focus spécifiques sur des sujets qui intéressent votre observatoire : D'une part, une valorisation des outils de pilotage énergétiques est intégrée dans les moteurs de calcul de la règlementation thermique.

Deuxième élément, c'est l'un des sujets essentiels en matière de règlementation technique en général, l'ensemble des partenaires a la capacité de vérifier sa bonne mise en œuvre. Nous savons tous qu'il y a des règlementations techniques non totalement respectées par les maitres d'ouvrage. C'est pour cela que le Parlement dans le cadre de la loi Grenelle 2 a introduit une obligation d'attestation de prise en compte de la RT 2012, délivrée à plusieurs étapes de la vie de l'opération : au moment du dépôt de permis de construire, et au moment de la livraison du bâtiment. Elle est délivrée par un tiers, et non pas simplement auto-déclarative de la part du maître d'ouvrage.

Voilà les grands éléments de présentation que je souhaitais faire sur la règlementation thermique.

M. Bruno Sido. Je donne maintenant la parole cinq minutes à M. Etienne Vekemans de la Maison Passive France, qui va nous présenter une autre démarche, de dimension européenne, bénéficiant déjà d'un bon retour d'expérience chez nos voisins.

M. Etienne Vekemans, président de la Maison Passive France. Cela ne se voit pas très bien sur cette première diapositive, mais nous avons en France une grosse centaine de bâtiments labellisés Passif. Ils se sont développés autant dans le neuf qu'en rénovation. C'est une démarche volontariste pour l'instant, résultat essentiellement d'un maître d'ouvrage ambitieux, de conseils régionaux qui souhaitaient aller au-delà d'une réglementation thermique. On peut citer ceux de Bourgogne, de Poitou-Charentes. Des conseils généraux ont souhaité également développer ce genre de constructions comme ceux de Côtes d'Armor, voir des villes, comme Ancenis par exemple, qui a construit un bâtiment scolaire passif dans lequel on montre, ce bâtiment en ayant remplacé un plus ancien, que la ville d'Ancenis économise chaque année 30 000 euros sur les frais de fonctionnement. Cela représente un poste de travail en plus pour une petite communauté, grâce à ces économies sur les bâtiments.

Nous sommes au début de ces constructions passives. Mais au bout de 7 ans, les coûts de construction ont énormément baissés, puisque les bâtiments passifs sociaux sortaient il y a 7 ans à 2 200 euros du m², et aujourd'hui à peu près au niveau de la RT 2012 : un bâtiment en cours de construction à Béthune coûte 1 300 euros du m², en passif.

Ce mode constructif vaut-il la peine ? Je pense que oui. Nous n'avons pas de marché de la revente de bâtiments passifs car les habitants ne veulent pas se séparer de leur logement ou de leur maison.

La diapositive suivante montre où se situe ce passif dans le paysage du bâtiment français. Nous avons fait une petite étude après avoir eu les moteurs définitifs de la RT 2012 pour voir ce qu'il était encore possible d'économiser, en passant d'un bâtiment basse consommation à un bâtiment passif. Il est encore possible d'économiser une consommation de chauffage d'un facteur 4, ce qui est une bonne chose pour éviter un pic de consommation d'hiver. Monsieur Sidler le disait, nous avons dans ces bâtiments une consommation des usages spécifiques qui devient prépondérante, et malgré tout nous arrivons à avoir une diminution d'un facteur 2 en termes d'énergie primaire, tous usages confondus puisque aujourd'hui les bâtiments doivent être pris en compte ainsi, sans se contenter de la seule consommation liée au bâtiment lui-même.

Y a-t-il un intérêt à aller plus loin ? Pour terminer et ouvrir le débat nous allons voir ce qu'il se passe chez nos voisins européens avec la dernière diapositive.

Voici la carte d'Europe du Passif. Ce système a été pensé il y a une vingtaine d'années pour l'Europe, en Europe, par des européens, et aujourd'hui l'Europe est le lieu de son développement, mais pas uniquement. Le Japon depuis deux ans s'y intéresse beaucoup. Nous recevrons bientôt une délégation de japonais pour visiter les bâtiments passifs français. Il se développe également dans d'autres pays comme la Corée, les États-Unis, etc.

Sa mise en œuvre reste prépondérante en Europe, de la Sicile, jusqu'à Stockholm. Nous voyons sur cette diapositive que les pays colorés en vert ont déjà prévu dans leur règlementation la mise en place du Passif pour une date assez proche. N'oublions pas que la ville de Bruxelles capitale a désormais, parce que le Passif coûte le même prix que le règlementaire, décidé que tous les bâtiments neufs à partir du 1er janvier 2015, seront construits au niveau passif.

Pour rendre ce Passif plus facile, un choc de simplification serait nécessaire, que l'on puisse avoir des matériaux, des matériels plus nombreux, plus innovants, de manière à réduire les coûts. Le Passif attend la réduction des coûts due à l'industrialisation des procédés et des processus.

Nous commençons le mois prochain un projet européen pour adapter ces matériaux et matériels nouveaux pour la rénovation, et je pense que nous pouvons nous attendre dans les années à venir à des réductions importantes sur les constructions passives en France.

M. Bruno Sido. Je vais enfin demander à M. Olivier Cottet de Schneider Electric, de nous présenter en cinq minutes les enseignements du projet Homes, soutenu par plusieurs industriels européens, qui vise à mettre en valeur l'apport de la gestion active de l'énergie, démarche complémentaire ou alternative à l'isolation selon les cas de figure, et les investissements en jeu.

M. Olivier Cottet, directeur du programme Homes, Schneider Electric. Ce programme Homes est un programme de recherche et d'innovation financé par l'État français, qui portait sur l'efficacité énergétique active en Europe, des bâtiments résidentiels et tertiaires. J'insiste puisque nous avons beaucoup parlé de la maison individuelle et du logement, il se trouve que tous les bâtiments tertiaires, logistiques ou publics, sont porteurs d'énormément de potentiel de gains et d'économies d'énergie.

Pour résumer quatre ans de travaux avec des laboratoires de recherche de l'État, des entreprises privées, des PME, des PMI et des grands groupes internationaux français ou européens, je vais me focaliser sur trois points.

1. L'enseignement principal du programme est que l'énergie, regardée de manière systémique, n'est pas un besoin en soi, mais un moyen pour produire des services. C'est en travaillant sur l'optimisation de ces services rendus aux occupants, des processus, des activités, et de la productivité des activités se trouvant à l'intérieur de ces bâtiments, que l'on obtient les meilleures économies d'énergie. C'est le fameux adage : l'énergie la moins polluante est celle que l'on n'a pas consommée.

Pour produire ces services, trois sous-systèmes sont relativement indépendants, l'enveloppe, dont on a beaucoup parlé, qui gère les conflits entre l'intérieur et l'extérieur ; les systèmes des machines, le monde des ingénieurs qui transforme l'énergie pour la distribuer ; et le monde de l'usage, local par local, qui utilise l'énergie.

L'enseignement de ce programme est que ces trois systèmes sont relativement indépendants. Travailler sur chacun de ces sous-systèmes permet d'obtenir de l'efficacité et de l'amélioration de la performance énergétique, indépendamment les uns des autres.

Par exemple pour économiser dans l'éclairage, on peut agrandir la fenêtre (enveloppe), mettre des LED (équipement technique), ou mettre une minuterie (gestion).

Non seulement ces solutions sont indépendantes et complémentaires, mais sur l'ensemble du marché européen, donc sur les 230 millions de bâtiments en Europe, leur potentiel de gain est équivalent. Quand on s'intéresse à un seul des postes, on oublie deux tiers d'économies potentielles. Travailler sur ces trois paquets de solutions permettrait d'aller chercher des économies substantielles.

2. À partir de cet enseignement, l'ensemble de ce programme s'est focalisé sur le contrôle actif, c'est-à-dire les éléments de pilotage, de gestion, d'optimisation et d'information pour les différentes parties prenantes, de manière à améliorer la performance d'ensemble du système.

Ce tableau résume l'intégralité de l'enseignement de ce programme de recherche : les potentiels de gains sont relativement conséquents, puisqu'on peut aller de 20 à 60 % d'économie d'énergie pour une même qualité des services rendus, et un même confort. Nous ne sommes pas en train de sacrifier le confort pour faire des économies d'énergie. Ces potentiels de gains dépendent de la capacité à piloter les services rendus plus ou moins finement dans les locaux et en fonction de la présence des gens.

Si l'on considère un bâtiment comme étant un ensemble et qu'on le pilote globalement, il est possible d'atteindre 20 % d'économies d'énergie par ce pilotage et ce monitoring. Si l’on travaille local par local, on peut atteindre 55 %. Ces chiffres ont été corroborés par des expérimentations sur des sites pilotes.

Nous avons une relation entre les économies générées et les coûts d'investissement. Les montants d'investissement à mettre en œuvre augmentent avec le nombre de capteurs de température ou la capacité à piloter les équipements techniques. Globalement, pour environ 50 euros du mètre carré d'investissement, on obtient environ 50 % d'économie d'énergie ; pour 20 euros du m², on obtient à peu près 20 % d'économie d'énergie. C'est une règle simple, donc fausse, mais les ordres de grandeur sont là. Nous ne sommes pas sur du 300, 400, 500 euros du mètre carré pour obtenir 20 ou 25 %, mais quelque chose de presque auto-suffisant économiquement, pas tout à fait car les retours d'investissement sont globalement entre 3 et 7 ans dans le tertiaire, 2 à 5 ans dans le résidentiel.

3. Je suis au bout de mon temps de parole, et je n'évoque pas l'objectif de permettre au bâtiment de contribuer à l'arrivée des énergies renouvelables dans les réseaux électriques.

Du point de vue économique, nous sommes de 20 à 60 % de la facture globale d'un site. Appliqué à l'ensemble du parc de bâtiment en Europe, nous obtiendrions 40 % du poste bâtiment.

Les objectifs sont-ils tenables ?

M. Bruno Sido. Notre dernière série d'intervenants sont chargés de nous donner leur avis sur l'adéquation de la trajectoire actuelle avec notre ambition collective d'avoir un parc bien moins consommateur d'énergie.

Je commence par donner la parole cinq minutes à M. Sylvain Godinot, directeur de l'Agence locale de l'énergie de Lyon. Cette agence fait un vrai travail de terrain, d'une manière extrêmement motivée et dynamique, pour mettre en œuvre la nouvelle réglementation thermique. Nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille l'avaient découvert avec beaucoup d'intérêt au cours de leur étude sur la performance énergétique des bâtiments de 2009.

M. Sylvain Godinot, directeur de l'Agence locale de l'énergie (ALE) de Lyon. Je vais centrer mon intervention sur la rénovation plutôt que sur le bâtiment neuf. Pour les objectifs, je me suis fondé sur l’annonce récente dans le plan d'investissement pour le logement, donc 380 000 logements privés. Pour le logement social, il y a des éléments favorables sur l'agglomération lyonnaise. Ils nous permettent de penser que nous sommes sur la bonne trajectoire. Le Grand Lyon délibère ce mois-ci sur le financement de la rénovation du logement social, et les bailleurs sociaux sont massivement engagés sur le niveau BBC rénovation. La question la plus ardue nous semble être la rénovation énergétique du logement privé avec les objectifs affichés, moins 38 % de consommation d'énergie d'ici 2020, 50 % d'économie de gaz à effet de serre, un triplement du rythme actuel de la rénovation, par rapport aux cent et quelques mille affichés aujourd'hui.

Il existe différents objectifs de rénovation. L'ANAH affiche un gain relatif de 25 %. En Rhône Alpes, les collectivités qui s'engagent dans la rénovation énergétique du logement visent le niveau BBC rénovation, standard qu'elles souhaitent mettre en avant, plutôt qu'un standard d'amélioration relative. Elles sont donc plutôt favorables à un objectif absolu plutôt que relatif, même s'il fera l'objet d'un certain nombre d'exceptions.

La raison de ce choix en a été exposée par Monsieur Olivier Sidler. Il sera difficile de faire deux rénovations successives dans un bâtiment, et considérer le gain relatif peut amener à négliger des améliorations faisables en une fois et pas en deux.

Les premiers retours d'expérience dans la région Rhône-Alpes, la ZAC d'Eaubonne, ou Confluence à Lyon, et un certain nombre d'autres, montrent que les promesses sont à peu près au rendez-vous, à peu près seulement. Il subsiste des améliorations à faire : comportement des usagers sur la température notamment. Il y a également un gros enjeu sur le commissionnement des bâtiments (c'est à dire la vérification des performances), la maintenance après livraison, et plus nous allons vers des systèmes robustes, qui permettent à l’usager standard que nous sommes tous de ne pas avoir à passer un diplôme d'ingénieur sur la rénovation énergétique des bâtiments, plus il y aura de chances d'atteindre les performances.

La maintenance est aujourd'hui très peu faite, et cette tendance subsistera. Le fait de massifier ce développement passera aussi par des questions sur des dispositifs d'animation et d'ingénierie, j'y reviendrai.

En regardant le paysage actuel : le crédit d'impôt développement durable a été plutôt tiré vers le bas ces derniers temps en volume, avec des critères fortement resserrés ; l'éco-PTZ a une durée trop courte, 10 ans pour l'éco-PTZ ne fonctionne pas, il faudrait le porter à 15 ans pour arriver à financer les travaux; le dispositif de certificat d'économie d'énergie qui permet des gains intéressants avec des interrogations sur la troisième période; un soucis sur les tarifs d'achat ENR, puisque le photovoltaïque n'est plus autoporteur même dans le neuf, et dans la rénovation il est quasiment impossible d'en intégrer. Les ZANA sont en discussion, ainsi que d'autres Z, bonification de Cos, majoration de loyer pour le propriétaire bailleur, etc. Nous avons un empilement de dispositifs financiers qui justifie pleinement l'apparition d'un guichet unique, et l'objectif de travailler à des simplifications. J'ai le sentiment de vases communicants entre des aides annoncées par l'ANAH, avec l'augmentation de la prime « habitez mieux » notamment, et un durcissement sur le crédit d'impôt.

Nous avons une règlementation thermique de l'existant. On en a peu parlé car elle est relativement insipide : n'importe qui peut rénover à peu près n'importe quel logement, et sans même regarder la règlementation, la respecter. Autrement dit, elle ne sert à peu près à rien en termes de signal règlementaire, sur l'existant. Il est donc besoin de durcir cette règlementation thermique de l'existant, sans quoi la loi est à peu près inutile.

Dans les besoins additionnels, ce besoin de la règlementation thermique existante avec une perspective d'obligation de rénovation à court terme, qui donnera une valeur verte aux bâtiments rénovés performants, tertiaires ou logements. A plus long terme, nous avons besoin d'une contribution climat-énergie pour donner un signal-prix sur le changement climatique. On ne peut pas dire qu'on lutte contre le changement climatique si les émissions de CO2 restent gratuites pour la moitié des acteurs de la France. Nous avons besoin aussi de l'apparition de ce guichet unique avec les appels à projets qui devraient être lancés dès cette année.

Dans la plupart des territoires apparaissent des rénovations très performantes de niveau BBC. Il existe encore des aides locales des collectivités, qui restent centrales, à Lyon, Grenoble, à Brest et dans bien d'autres agglomérations françaises. L'émergence du tiers financement des copropriétés nous semble être un dispositif absolument indispensable.

Nous attendons une articulation de toute la filière en termes de formation et d'accréditation des compétences, des ambassadeurs énergie, des espaces-info-énergie, des acteurs du guichet unique, et de ceux de la maîtrise d'œuvre.

M. Bruno Sido. Je vais maintenant demander à M. Rouzbeh Rezakhanlou d'EDF de nous faire part de ses travaux relatifs à la mise en œuvre des objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. Il intervient ici pour présenter une étude publiée de manière très complète par l'Union française d'électricité. Elle concerne principalement le marché de la rénovation. Vous avez cinq minutes.

M. Rouzbeh Rezakhanlou, chef de département, Direction Stratégie Commerce, EDF. Je partirai de la question telle qu'elle est posée : les objectifs sont-ils tenables ? Notre réponse est claire, c'est non. Les objectifs que la France s'est fixés à l'horizon 2020, dans le plan communiqué à la Commission européenne, sont de l'ordre de 28 millions de tonnes d'équivalent pétrole d'économie d'énergie, 90 % concernant le secteur du bâtiment. Nos évaluations indiquent qu'avec les mesures engagées, le crédit d'impôt, l'éco-prêt à taux zéro, les différentes règlementations, les certificats d'économie d'énergie, nous arriverons bon an mal an à en atteindre un tiers. Donc pour arriver à la cible, il va nous falloir engager des mesures pour économiser à peu près 18 à 20 millions de tonnes d'équivalent pétrole supplémentaires. Les mesures engagées n'ont pas eu d'effet en volume, mais très significativement sur les gestes faits : nous constatons dans le résidentiel que le nombre d'appareils performants, de systèmes d'isolants plus performants, etc. a pratiquement été multiplié par 1,5, donc 50 % de hausse. Cette augmentation de la qualité a tout de même un coût pour la collectivité, loin d'être négligeable. Sur la période 2006-2010, nous avons dépensé sur les ensembles de mesures d'incitation entre 2 et 3 milliard d'euros par an.

Vous avez fait référence à l’étude de l'Union française de l'électricité. Nous sommes partis du prix actuel des énergies. Sur la vingtaine de millions de tonnes d'équivalent pétrole que l'on cherche à atteindre, nous n'en avons actuellement que 3 à 4 millions de tonnes de rentables. Cela ne veut pas dire que cette situation ne peut pas s'améliorer, mais c'est un constat factuel. Donc un sixième seulement de la cible à atteindre est rentable pour le client. Cette première conclusion interroge sur les limites d’une politique forte d'incitation de la demande.

Il est temps de s'interroger sur une politique très active de structuration de l'offre. Pour l’atteindre, selon nous, il faut mettre en œuvre plusieurs démarches, dans une organisation autour de quatre étapes-clef.

D'abord un diagnostic fiable, compréhensible par le client. Il doit conduire à des recommandations de travaux adaptés à son logement, qu'il soit capable de payer dans un plan de rénovation du logement sur le long terme.

Deuxième étape : la question des financements. Nous avons vu le peu de succès qu'a pu avoir l'éco-prêt à taux zéro. Les questions de financement sont compliquées pour les clients, difficiles d'accès. Ces questions doivent être réglées assez rapidement.

Troisième point, pour la structuration de l'offre, je vais reprendre les travaux d'Olivier Sidler et d’Enertech. Il nous semble effectivement extrêmement intéressant de travailler sur la structuration de l'offre et la question du regroupement des travaux.

Quatrième point : il nous semble que ces trois étapes doivent être intégrées dans des programmes structurés au niveau local, car il s'agit de cibler les programmes au plus près de la demande. L'acteur clef en serait les collectivités territoriales.

Cette démarche structurante doit être selon nous à deux cibles : la première, les 4 millions de logements énergivores, la deuxième, essayer d'instaurer autant que faire se peut, le réflexe énergétique sur les trois millions de gestes et de travaux entrepris annuellement par les français : changement de chaudière, isolation. Beaucoup de travaux se font sans aborder la question énergétique. Il existe des gisements de conversion de l'efficacité énergétique dans cette
logique-là.

Sur les certificats d'économie d'énergie, notre avis est qu'ils peuvent être maintenus moyennant une simplification sur le haut de portefeuille, le marché des collectivités territoriales, le tertiaire, les entreprises. En revanche, nous continuons de penser que c'est un dispositif inadapté pour atteindre les gisements d’économies d'énergie dans le résidentiel diffus.

M. Bruno Sido. Enfin, je donne la parole à Mme Brigitte Vu qui gère un cabinet d'ingénierie dans le bâtiment, et dispose d’une expérience de terrain sur la manière dont la nouvelle réglementation thermique prend forme dans la pratique. Vous avez cinq minutes.

Mme Brigitte Vu, ingénieur en efficacité énergétique du bâtiment, gérante du bureau d'études Batireco-BBC. J'ai voulu faire quelque chose de très pragmatique avec un retour-terrain. Au niveau des bilans des projets certifiés BBC-Effinergie, dans le logement individuel, diffus ou groupé, il y a eu 80 723 dépôts de demandes de labellisation avec un peu plus de 30 000 labellisations obtenues, soit un pourcentage de 37,39 %. Au niveau du logement collectif, nous avons eu 439 615 de demandes de labellisation, avec 87 022 labellisations obtenues, soit un peu moins de 20 %.Ce sont les résultats fin 2012.

Sur l'ensemble des dépôts des permis de construire depuis la mise en route de la labellisation BBC-Effinergie, 4 % ont obtenu cette labellisation.

Le système constructif a été relativement évolutif jusqu'en 2010 avec 23 % des constructions effectuées en parpaings, et 62 % en briques, puis entre 2010 et 2012, moment où les particuliers ont été moins aidés, il y a eu un retour très important des constructions en parpaings avec un doublement de 23 à 46 %, et une diminution de la brique de 62 % à 42 %. La logique économique semble être respectée. Sur l'ensemble des constructions labellisées BBC-Effinergie, environ 90 % sont construites soit en parpaing, soit en briques, ce qui laisse relativement peu de place aux nouveaux systèmes constructifs.

Les systèmes de chauffage montrent une diminution importante de la part de l'électricité, au profit du gaz qui concerne 71 % des opérations en chauffage collectif, et 27 % en chauffage individuel. Le gaz demeure l'énergie prépondérante pour les constructions labellisées BBC-Effinergie.

Pour les ventilations mécaniques contrôlées, 87 % des maisons individuelles en secteur diffus sont équipés de VMC simple flux, et en collectif, 92 % des VMC sont de type Hygro B. On remarque une très nette diminution de l'installation de ventilations double flux. Cela peut provenir du fait que le coût d'une telle installation est de 3,5 à 4 fois plus importante qu'une VMC simple flux, et aussi qu'il est nécessaire de structurer la filière dans la mesure où il n'existe pas vraiment de métier de la ventilation, les installations étant effectuées soit par des électriciens, soit par des plombiers. Une réflexion dans ce domaine est importante, car le métier de l'aéraulique est en devenir. Il n'existe pas encore aujourd'hui.

Pour les productions d'eau chaude sanitaire (ECS), nous constatons un essor très important de l'ECS thermodynamique avec 50 % des projets certifiés en maisons individuelles. En collectif, 53 % des projets certifiés sont équipés d'une production d'ECS au gaz, 37 % en ECS solaire, 6 % en électrique.

Nous constatons en individuel comme en collectif, une diminution très importante de la part du solaire, sur un facteur prix et maintenance qui avait été, au début tout au moins, peu pris en compte par l'ensemble de la filière.

La RT 2012 et après ?

La RT 2012 n'est qu'une étape vers l'autonomie énergétique des bâtiments dans le neuf. Le label Effinergie+ a été lancé en 2012. Il y a quelques opérations en cours, de l'ordre de 415 logements collectifs, 138 maisons individuelles. Il y a encore peu de retour pour pouvoir faire une analyse sérieuse. Le BEPOS (Bâtiment à énergie positive) a été lancé en février 2013. Il nous reste à voir ce qu'il va donner, sachant que pour prétendre au label BEPOS 2013, il faut déjà au moins être au niveau Effinergie+ pour le bâtiment.

En conclusion, les objectifs sont tenables dans la mesure où la filière arrive à se structurer d'avantage. Il y a un manque très important de formation pour les professionnels, et de fait, les résultats ne sont pas ceux que l'on aurait pu espérer. Si cette formation n'est pas améliorée, la RT 2012 ne donnera pas les résultats escomptés.

Débat

M. Bruno Sido. Après avoir entendu les uns et les autres, l'administration, NegaWatt, etc., et puis les doutes d'EDF sur les résultats, je vais maintenant donner la parole pendant une demi-heure pour débattre de tout ce qui vient d'être dit ce matin.

M. Olivier Sidler. Effectivement, il y a un contraste entre la position de M. Rouzbeh Rezakhanlou qui nous dit : ce n'est pas faisable, ce n'est pas supportable par le particulier, et les propositions de NégaWatt, qui a une vision plus globale, vous l'avez compris. Le changement climatique n'est pas l'affaire seulement de chacun, mais une affaire collective, et ce n'est pas le particulier qui pourra supporter ces investissements et les rentabiliser sur sa propre facture. Pour que cela se fasse, et cela doit se faire, nous en sommes tous convaincus, car la question du changement climatique est vraiment devant nous, et pas tout à fait assez prise au sérieux, celle de la pénurie énergétique non plus, il faut aller vers ce que j'ai appelé un financement robuste dans lequel il y aura une participation de l'État. Car les gagnants ne sont pas seulement les particuliers. J'ai évoqué la question dont personne ne parle beaucoup mais dont RTE nous avait entretenu, à savoir la grande peur de l'augmentation de la consommation d'électricité lorsqu'il fait froid l'hiver. Nous sommes actuellement avec un gradient de 2 300 MWh électriques par degré. Tout cela risque de casser un jour sauf à renforcer les centrales, etc. L'idée était: rénovons le parc pour alléger cette charge. Il est évident que lorsque les particuliers investissent, cela bénéficie aussi à RTE, et à la collectivité, puisque l'on peut échapper au changement climatique, etc. La question ne peut être posée uniquement sur l'investissement des particuliers. L'analyse faite est probablement juste, cela va être un peu tangent, tout le monde ne va pas passer. Il faut vraiment que l'État joue son rôle, un rôle de chef d'orchestre, c'est-à-dire qu'il ne suffira pas de créer un financement, mais il faudra organiser. Ce sujet est très complexe. Si l'État ne prend pas en charge son rôle de pilote et de chef d'orchestre, cela ne se fera jamais. J'ai évoqué la question de l'obligation : j'ai vu des opérations financées à plus de 80 % dans des copropriétés grâce aux soutiens que l'État accorde à celles qui vont mal, les prêts à taux zéro, etc. Il restait moins de 20% à la charge des gens, ils ont voté non. Cela prouve bien que l'incitation n'aboutira jamais. Je pense que la différence entre nos positions est dans le rôle que peut et doit jouer l'État.

M. Rouzbeh Rezakhanlou. Sur la question de l'institution d'une obligation, des chiffres peuvent laisser croire que cela pourrait ne pas être cher, 20 à 50 euros du mètre carré pour 20 ou 50% d'économie d'énergie, selon la loi que Monsieur Cottet a mentionnée tout à l'heure. Mais si vous le faites avec le parc à rénover, nos graphiques montrent que nous devons nous attendre plutôt à un effort total de 10, 15 milliards d'euros par an. S'il n'y a pas possibilité de les financer, il s'agira d'une imposition nouvelle sur le contribuable, rendue obligatoire.

M. Olivier Cottet. L'évaluation de Schneider est claire ; elle vise le système de régulation.

M. Olivier Sidler. Je pense qu'en rénovation, nous sommes plutôt sur 300 euros du mètre carré. C'est vrai, c'est beaucoup plus. Je voudrais juste vous rappeler cette étude passionnante publiée par la KfW (anciennement Kreditanstalt für Wiederaufbau), l'équivalent de la Caisse des dépôts en Allemagne, qui finance la rénovation. Elle révèle que pour un milliard investi par l'État, il y a 11 milliards de travaux générés, et des recettes pour l'État de 2 à 4 milliards. Il s'agit donc d'un investissement pour l'État plutôt qu'une dépense, car il y a moins de chômage, de la TVA, des taxes, l'activité génère des recettes. C'est une difficulté en France, que personne ne veut jamais prendre en compte à Bercy, et c'est pourtant ce que les Allemands nous apprennent. Pourquoi ne pas entrer dans cette logique vertueuse, qui génère des travaux, de l'emploi, et en même temps commence à reculer ce problème majeur de la pénurie énergétique et du changement climatique ?

M. Rouzbeh Rezakhanlou. Nous ne sommes pas sur des positions très différentes. Il y a un petit bout de temps que l'on discute avec M. Olivier Siedler sur ces questions. Nous avons un point d'écart sur la question du coût du dispositif. En quelques chiffres : un Français paye pour son transport et pour ses bâtiments 2 000 euros par an, et 1 000 euros de facture énergétique par an. Si vous faites des gestes très lourds, vous pouvez espérer sans effet rebond, c'est-à-dire en reconvertissant la totalité du gain potentiel en baisse de consommation effective
– ce que l'on ne constate pas dans la réalité car une bonne partie des travaux donne lieu à une augmentation du confort, mais admettons – vous allez pouvoir économiser de l'ordre de 300 euros par an.

Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur les montants, car Olivier Sidler dit 300 euros par mètre carré. Les opérations que l'on a pu faire en Alsace, en Meuse, etc., se montent plutôt avec les prix actuels autour de 400-500 euros le mètre carré. C'est probablement élevé. Il y a peut-être des effets d'aubaine localement, mais je voulais juste mettre en regard les 300 euros d'économies par an sur la facture du client, et des travaux de l'ordre de 300 à 500 euros par mètre carré.

Globalement, l'ensemble des politiques d'efficacité énergétique, en France et dans l'ensemble des autres pays, ainsi que la directive d'aujourd'hui, sont basées sur une seule logique : les économies faites sur la facture d'énergie vont payer les investissements. Cette logique-là, avec nos prix en France et encore plus en Allemagne où les prix de l'électricité et du gaz sont de l'ordre de deux fois supérieurs à ceux de la France, nous en voyons le bout. Nous n’arriverons pas à payer nos plans d'économie d'énergie sur les seuls gains de la facture énergétique. Dire le contraire, c'est globalement mentir. Ce qui veut dire que nous devons trouver d'autres moyens pour lancer ces plans d'efficacité énergétique. Olivier Sidler dit qu'il faut rendre obligatoire les travaux. C'est une autre manière de répercuter les coûts sur les clients. Et je voudrais rappeler la question des précaires, personne n'en a parlé, mais il s'agit d'un vrai problème, en particulier sur les 4 millions de logements énergivores. À la fin de l'histoire, les milliards devrons être payés. On ne peut pas se contenter de dire : l'État doit sortir le chéquier.

M. Bruno Sido. Je dirais sur la question de « rendre obligatoire » : nous sommes en France, nous aimons bien ce genre de chose. On peut rendre obligatoire le contrôle d'un véhicule, et s'il n'est pas contrôlé, il n'a plus le droit de rouler. Mais que ferez-vous avec les gens qui n'auront pas, parce qu'ils n'en ont pas les moyens, rénové leur vieilles maisons ? Pour le bâtiment neuf, il n'y a pas de problème, il est possible d'interdire de construire, mais pour l'ancien cela me paraît difficile.

M. Sylvain Godinot. Il y a des pistes autour du tiers financement, qui consistent à dire qu'il faut arrêter de balancer de la subvention qui coûte plusieurs milliards d'euros par an, et aller vers des dispositifs d'éco-prêts. C'est la piste la plus intéressante comme modèle économique. Mettre en place des éco-prêts, écoPTZ ou autre dispositif, c'est le modèle allemand et d'autres pays. Ce n'est pas si simple que cela. Il y a besoin de subventions additionnelles, de l'État ou de collectivités. Le débat autour de 300 ou 500 euros du mètre carré de rénovation, concerne quelques centaines de logements rénovés en France. Nous sommes réellement aux balbutiements de la rénovation BBC. Il est normal qu'il y ait des courbes d'apprentissage avec des tarifs dégressifs. Quasiment tous les chantiers sont des premiers chantiers pour les acteurs. Comme on l'a vu pour la RT 2012 il y a 4-5 ans en arrière, il va y avoir des gains rapides de coûts, car les acteurs vont apprendre à faire, trouver des solutions efficaces, etc. Nous avons besoin de subventions locales aujourd'hui pour que les opérations sortent, de subventions d'État aussi, et je pense que c'est un dispositif transitoire.

La non-rentabilité existe aujourd'hui, effectivement, mais nous ne parlons pas à prix de l'énergie constant dans ce débat. Pour 2020, EDF nous annonce plus 30 ou 40 % du coût du kWh, et cela va changer la donne en termes d'économies d'énergie. Il en est de même pour le gaz, et tout cela ne tient toujours pas compte de la fiscalité environnementale : nous n’intégrons toujours pas le CO2 dans ces discussions.

On demande à un dispositif de régler la question du changement climatique en ne faisant pas payer les coûts engendrés. Tant que nous faisons l'impasse sur cette fiscalité, le modèle économique ne peut pas tourner. Si le Gouvernement annonce la mise en place d'une contribution climat-énergie – le Président Hollande l'a semble-t-il promis pendant sa campagne – cela changera le modèle économique. Si l'on ajoute les prix de l'énergie en hausse, tendancielle et structurelle, plus une fiscalité environnementale, plus des courbes d'apprentissage sur le coût de la rénovation BBC, nous arrivons à un modèle économique qui peut tourner. Là se trouve le défi : que collectivement, nous arrivions à construire ce modèle économique

M. Bruno Sido. Prévoir le prix de l'énergie à 40 ans, à mon avis ce n'est pas très sérieux. Qui eût cru que le prix du gaz aux États-Unis allait être divisé par 4 il y a seulement 10 ans ?

M. Olivier Cottet. Lorsque l'on regarde les différents pays européens, ce que l'on appelle les deep renovations, c'est-à-dire les rénovations lourdes, sont du même ordre de grandeur, c'est-à-dire 400 euros du mètre carré. L'effet d'apprentissage peut-être viendra, mais ce n'est pas évident.

Les chiffres que je vous ai présentés, de 20 à 50 euros d'investissement au mètre carré pour des systèmes de contrôle actif et de monitoring et de gestion des usages, sont bien entendu des chiffres moyens. La performance de ces systèmes dépend du type de secteur d'activité, de bâtiment, et c'est dans le tertiaire que l'on a la plus grosse efficacité. J'en profiterai donc pour dire à monsieur, je n'arrive pas à dire votre nom, excusez- moi, que je vais mentir : en regardant les solutions les plus onéreuses, effectivement, nous ne sommes pas capable de dire que les économies vont permettre de financer les investissements, mais si l'on commence par les solutions les plus efficaces en rentabilité, nous pouvons en pay back retrouver des sources de financement dans les économies générées.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. Je vais poser maintenant une question à Monsieur Crépon. Vous avez indiqué les exigences dans l'élaboration de la règlementation thermique 2012, et vous avez cité vos trois exigences. Comment se fait-il que l'exigence d'émission en gaz carbonique ne soit pas prise en compte alors que nous l'avions recommandé au niveau de l'Office parlementaire.

M. Etienne Crépon. Cela a fait l'objet, Monsieur le député, d'un long débat au Parlement lors de l'examen de la loi Grenelle 2, et le Parlement in fine a souhaité que soient prises en compte les émissions de gaz CO2 dans la règlementation thermique 2020.

M. Jean-Yves Le Déaut. Si vous voulez mon avis, le Parlement était plutôt favorable à accélérer, et c'était plutôt un certain nombre d'autres acteurs qui souhaitaient aller lentement, mais sûrement, sur ce sujet

M. Etienne Crépon. Il y avait une volonté du Parlement et du Gouvernement de sortir très vite la règlementation thermique 2012. Tous les éléments d'analyse montraient que le fait d'introduire cette émission de CO2 aurait fait prendre trois ans de retard à la règlementation thermique, en processus de concertations et d'études. C'est l'argumentation qu'a présenté le Gouvernement dans le débat parlementaire, et le Parlement dans son immense sagesse a décidé que cette question ferait partie de la règlementation thermique 2020.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous considérez donc que c'est nécessaire de la prendre en compte.

M. Etienne Crépon. Le Gouvernement est aux ordres du Parlement, qui a dit que cela devrait être dans la future règlementation thermique. Et donc bien évidemment nous le ferons. Les études que nous avons lancées visent bien à prendre en compte les émissions de CO2 dans la future règlementation thermique.

M. Patrice Cottet, ECODEME. Vous avez dit tout à l'heure qu'il y avait peu de possibilité d'obligation dans l'existant. Or il y en a une, très bien passée dans les mœurs, celle des campagnes de ravalement. Il y a un pilote possible là-dessus. Les municipalités au lieu d'imposer un ravalement par exemple tous les dix ans, le permettrait tous les quinze ans, sous condition qu'il y ait une isolation par l'extérieur, pilote le plus efficace dans l'existant car elle ne nécessite pas d'isoler les cuisines, de changer les salles de bain, etc.

M. Etienne Crépon. Juste quelques mots pour rappeler le plan de rénovation énergétique venant d'être présenté par le Président de la République. Il répond notamment à des observations faites ce matin, avec l'idée que les outils financiers existant, crédit d'impôt de développement durable, PTZ, et fonds d'aide à la rénovation thermique, soient très fortement réorientés – notamment le crédit d'impôt développement durable, outil financier le plus lourd pour la dépense publique – vers les rénovations lourdes. Il y a également la mise en place d’une prime de 1350 euros pour l'ensemble des ménages modestes et des classes moyennes, en incitation à faire des rénovations. Le Gouvernement, comme le Président s'y était engagé pendant la campagne présidentielle, met en place les moyens pour atteindre l'objectif de 500 000 rénovations par an.

M. Sylvain Godinot. Je voulais revenir sur cette obligation de rénover. Il semble important d'utiliser le signal-prix du marché. Un propriétaire qui rénove son logement, et va rester une dizaine d'années dans le logement avant de le revendre, n’est pas sûr d'amortir son investissement sur la durée d'occupation. S'il sait que demain cette obligation de rénover sera une vraie valeur ajoutée et un signal plus fort que le diagnostic de performance énergétique, simple indicateur un peu sujet à caution, il fera sa rénovation au niveau de performance demandé, et donnera une valeur financière significative à son logement, additionnelle à un logement non encore rénové.

Sur la question de la précarité énergétique, il y a effectivement des gens qui n'auront pas les moyens de rénover. Ils sont dans des épaves thermiques, et les pouvoirs publics les traitent aujourd'hui, que ce soit à travers une obligation faite au fournisseur d'énergie par les dispositifs de FSL et autres impayés d'énergie, ou à travers les aides de l'ANAH qui montent à 80 % voire plus dans ces épaves thermiques. Obliger les propriétaires bailleurs à rénover à terme, cela me semble de nature à avoir un effet important sur la précarité énergétique en sortant du parc les logements les plus dégradés

Luc Floissac, École d'architecture de Toulouse et Réseau français des constructions en paille. Le bâtiment est un secteur du savoir-faire. Nous avons parlé ici des matériaux et des équipements techniques. Mais il ne faut pas oublier que la principale difficulté pour réaliser des bâtiments performants, c'est le savoir-faire des professionnels intervenant sur le site. Nous avons un énorme problème dans le bâtiment, de formation et de turn over des personnes accomplissant les gestes techniques. Nous n’obtenons donc pas, très souvent, le résultat escompté car nous ne disposons pas des gens qui savent faire et qui sont formés pour cela.

Sur les aspects calcul et règlementaire, nous avons parlé de la réglementation thermique 2020, et aussi de l'insuffisance de la règlementation thermique sur l'existant. Ce serait bien de profiter de l'évolution RT 2020 pour faire un moteur de calcul apte à travailler sur les bâtiments à réhabiliter, permettant la suggestion et la simulation thermique dynamique, en logiciel open source en liaison avec des universités, des écoles, partagé avec des éditeurs, pour obtenir un outil qui fasse plus consensus qu'aujourd'hui, car il y a de grosses discussions sur les résultats des différents calculs des moteurs pouvant être utilisés, avec des variations telles que le tout un chacun finit par ne rien y comprendre.

M. Olivier Cottet. Juste une remarque au dernier locuteur, c'est qu'il faut passer de la simulation thermique à la simulation énergétique. On le voit de plus en plus, l’important n'est plus la question du chauffage dans la construction neuve, mais les usages spécifiques de l'énergie, les modes d'occuper, les modes de vie, dans les bâtiments tertiaires et résidentiels. Et donc si nous voulons concevoir des bâtiments énergétiquement performants dans la vraie vie, il faut que les simulateurs puissent intégrer cette vraie vie.

Mme Brigitte Vu. Pour les moteurs de calcul, nous travaillons sur des calculs règlementaires, et nous ne prenons pas en compte la vie du bâtiment. Il est important en construction neuve de pouvoir intégrer une simulation thermique dynamique qui permette de prendre en compte la vie du bâtiment et d'aller au plus près de la manière dont vivra ce bâtiment pour dimensionner les matériels et systèmes de ventilation et autres.

M. José Caire. Dans les dispositifs que l'on peut activer, il faut favoriser les opérations qui à la simple rénovation peuvent ajouter des extensions, des surélévations, qui peuvent créer de la valeur pour le bâtiment, créer de la surface et d'éventuelles possibilités de revenus.

M. Olivier Sidler Quelques précisions sur les coûts. Il se trouve que mon bureau d'étude est très impliqué dans la rénovation à très basse consommation depuis une dizaine d'année : j'ai un observatoire des prix très précis à partir des bordereaux. J'ai entendu un tas de choses, mais nous sommes autour de 250 euros hors taxe du mètre carré, et si l'on ajoute la peinture, etc., on arrive à 300.

Je rappelle à tous un rapport qui a fait sensation en 2006, celui de Nicolas Stern sur le coût du changement climatique. Nous devons le garder à l'esprit, car il dit que le coût de la lutte contre le changement serait de 1% du PIB mondial chaque année. Et ne rien faire, va coûter 5%. En 2009, il est revenu à Stockholm au congrès du GIEC, pour dire que ce serait encore plus. C'est un élément à prendre en compte, même s'il est douloureux.

Pour préciser ce qu'a dit Sylvain Godinot. Les suisses nous ont déjà dit que les logements très bien isolés avaient une valeur marchande supérieure de 15 %. C'est la valeur avancée aujourd'hui. Faire des travaux, ce n'est pas perdre de l'argent, mais un investissement que l'on retrouvera en quittant son logement.

M. Olivier Cottet. J'invite les gens qui travaillent sur des scénarios prospectives donc celui de l'UFE ou de NégaWatt, à prendre contact avec les chercheurs du programme Homes pour voir comment ils peuvent intégrer les travaux de ce programme de recherche dans leurs travaux prospectifs.

DEUXIEME TABLE RONDE : LA PART DE L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE

Le cadre réglementaire est-il suffisamment incitatif au développement de procédés nouveaux ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Alors que la première table ronde se reliait au débat sur la transition énergétique, afin d'essayer d'évaluer la contribution du secteur du bâtiment à l'indispensable effort d'économie d'énergie, cette seconde table ronde s'inscrit plus directement dans la lignée de deux rapports précédents de l'Office parlementaire. Il s'agit en effet d'évaluer la part que l'innovation technologique peut prendre à cet effort d'économie ; c'est là notre rôle spécifique à l'Office parlementaire. Cela rejoint d'une part la réflexion sur la performance énergétique qu'ont conduit Christian Bataille et Claude Birraux en 2009 – j'avais d'ailleurs avec Claude Birraux fait un rapport en 2001sur les énergies renouvelables où nous avions déjà abordé cette question – et cela rejoint d’autre part un rapport que j'ai rendu il y a un an à peu près, toujours avec Claude Birraux, notre ancien président qui n’est plus parlementaire, sur l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques.

J’aurai tout à l’heure au cours de ma synthèse, juste avant l’intervention de Madame la ministre, l’occasion de revenir sur l’importance que j’accorde au processus d’innovation.

Sans contester la référence à l'énergie primaire, notre rapport de 2009, et bien que l'Office n'ait pas été suivi par le Parlement, avait demandé d’établir à titre complémentaire, parce que justement pour Nicolas Stern c'est le sujet le plus important, et je suis tout à fait d'accord avec ce que M. Sidler a indiqué, la référence aux émissions de gaz carbonique avec une norme fixée initialement à 5 kg par mètre carré par an, comme le prévoit le niveau le plus exigeant de l'échelle de diagnostic de performance énergétique. Cette norme nouvelle devait être modulée par les mêmes règles que la norme sur l'énergie primaire en fonction de la zone géographique et de l'altitude. C'était notre proposition.

Je voudrais en introduction de cette table ronde, dire que l'évolution technologique et sa prise en compte est liée à une question importante, celle de la certification qui doit s’entendre au sens large. Ceci concerne la vérification de toutes les spécificités techniques au regard des performances et aussi au regard des impératifs de sécurité. C'est le rôle de l'instance chargée de la mission de service public de certification. L’Office est intervenu dans d'autres domaines où ces impératifs jouent un rôle crucial, en soutenant le besoin de contrôle, et il a été notamment à la base de la création de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cela concerne dans un second temps la vérification, par les assurances, des conditions devant être remplies par les produits pour qu'une couverture soit accordée aux professionnels chargés de la construction et de la rénovation. Ces conditions peuvent se caler sur les résultats des vérifications techniques mentionnées précédemment, mais aussi être plus exigeantes dans certains cas. Ce sont les questions que nous allons nous poser maintenant. Enfin, cela concerne la manière dont les produits sont intégrés dans les projets au stade de la conception des bâtiments. Il est bien nécessaire de prendre en compte les performances conventionnelles pour l'agencement des différents composants durant les travaux initiaux de conception sur plans, mais si ces valeurs conventionnelles sont fixées en décalage par rapport aux performances réelles – et il y a quelques controverses sur les deux thèmes que j'indique là, et nous souhaitons avoir votre avis à ce sujet –, elles peuvent constituer des obstacles bien réels à l'utilisation de certains produits, a fortiori si le contrôle s'effectue sur plans et qu'il n'y a pas de rebouclage sur la performance énergétique mesurée in situ : dans ce cas, la réalité ne peut pas servir de session de rattrapage.

Je souhaite que ces questions soient abordées de manière sereine. André Chassaigne a dit qu'il avait saisi le bureau de l’Assemblée nationale, qui va délibérer je crois dans quinze jours sur la saisine de l'Office qu’il a demandée. Si nous sommes effectivement saisis, nous aborderons bien sûr cette question majeure.

J'ai fait cette introduction avec calme, j'espère qu'il y aura le calme dans cette table ronde et que tous les arguments pourront être échangés. Notre rôle est que les arguments soient indiqués, et que le Parlement soit averti des questions qui se posent.

Je vais donc à nouveau donner la parole à Monsieur Étienne Crépon, directeur de la DHUP pour qu'il nous présente les différentes modalités de certification des produits.

La procédure de certification des nouvelles solutions techniques

M. Etienne Crépon, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. Le secteur de la construction est complexe, et fait appel à de multiples intervenants, maître d'ouvrage, maître d'œuvre, contrôleurs techniques, assureurs. Tout l'enjeu est de faire en sorte que l'ensemble des partenaires fassent un produit innovant, aient confiance en lui et soient d'accord pour l'utiliser. Un certain nombre d'expériences, ou de tentatives d'expériences, se sont concrétisées par de véritables réussites, d'autres par un total échec.

Dans le secteur de la construction, les matériaux, à rebours d'autres produits de consommation, sont utilisés pour de très longues durées puisqu'ils sont intégrés aux bâtiments, et peuvent avoir des impacts sur la sécurité et la sûreté des gens, qui peuvent être dramatiques. Nous avons connu par le passé des exemples douloureux sur le sujet. Tout ceci a conduit à mettre en place des grands principes sur l'encadrement des produits mis sur le marché. Pour les produits standards, l'application du système européen avec marquage CE, permet de mettre le produit en commercialisation. Pour les produits innovants, et nous en venons au cœur du sujet de la table ronde, il existe quatre dispositifs : un agrément technique européen, pour avoir le marquage CE, un avis technique reconnu par les pouvoirs publics, d'autres procédures du type certification volontaire ou Pass’innovation, et enfin une possibilité d'auto-déclaration des performances. Tout l'enjeu est de savoir parmi ces quatre scénarios, quels sont ceux qui sont reconnus par l'ensemble des acteurs de la construction, car je le redis, le processus de construction d’un bâtiment est partagé par de multiples acteurs, l'objectif étant que l'ensemble de ces acteurs aient le degré de confiance suffisant pour faire appel à ce produit innovant.

Un regard rapide sur les avis techniques : ils sont délivrés par une commission indépendante, chargée de formuler les avis techniques, mise en place auprès du ministre chargé de la construction, mais qui prend ses décisions en toute indépendance. Elle est présidée par un membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Elle rassemble l'ensemble des acteurs du bâtiment, architectes, maîtres d'ouvrages publics et privés, les entreprises, les artisans, les fabricants des filières traditionnelles, et depuis peu les fabricants des filières biosourcées, et les assureurs. Sur la base de référentiels techniques, elle émet ses avis après expertise collégiale effectuée par des groupes spécialisés. C'est un opérateur de l'État, le Centre scientifique et technique du bâtiment, qui assure le secrétariat des groupes spécialisés et la gestion de la procédure.

Depuis sa mise en place il y a quarante ans environ, le bilan de la procédure des avis techniques montre qu'il y a eu 20 000 avis techniques délivrés. Cela correspond à la délivrance de deux avis techniques par jour ouvrable. Ils ont été un levier de développement pour les entreprises innovantes, pour leur permettre d'accéder au marché en bénéficiant par cet avis indépendant de la confiance de l'ensemble des partenaires de l'acte de construire.

Cela dit, cette procédure quarantenaire des avis techniques méritait un ravalement pour reprendre une expression de la précédente table ronde, qui a amené le ministère et la direction que l'ai l'honneur de diriger à élaborer un plan d'amélioration des avis techniques autour de quatre mesures essentielles, avec plusieurs objectifs : accroitre la transparence des décisions, accélérer le processus de décision, et faciliter l'accès des TPE et des PME aux avis techniques. Il est clair que la procédure, dans sa complexité, pouvait constituer une barrière à l'entrée pour certaines entreprises innovantes. Ce plan de modernisation a été lancé dans le courant de l'année dernière, nous n'en avons pas encore tous les effets, les 14 mesures ne sont pas toutes opérationnelle, certaines sont encore en phase d'élaboration, mais les premiers résultats constatés sont une réduction des délais d'instructions, divisés par deux et ramenés à 9 mois, une réduction des frais d'instruction pour les PME primo-accédantes dans le dispositif, la mise en place d'un médiateur indépendant des avis techniques, magistrat de la Cour des comptes, et la nomination, je l'ai évoqué tout à l'heure, d'un représentant des filières biosourcées, et d'un représentant des énergies renouvelables au sein de la commission.

Le Pass’innovation, procédure lancée dans le cadre du Grenelle de l'environnement, était une sorte de pseudo-avis technique, car purement déclaratif, et n'avait pas cette procédure d’évaluation collégiale. Force est de constater que c'est un flop total. Le nombre de Pass’innovation sur trois ans se chiffre à quelques centaines, à comparer avec le nombre d'avis techniques que nous délivrons. La collégialité, le niveau d'expertise approfondi qu'il y a dans les avis techniques apparaît comme étant la condition sine qua non pour rassurer l'ensemble des acteurs du marché.

Sur la prise en compte des innovations dans la règlementation thermique 2012, le dispositif interne à l'administration est le titre V, qui est une possibilité de prendre en compte de nouveaux dispositifs pour répondre à la règlementation thermique. Il y avait des titres V dans la règlementation thermique 2005, il y en a pour celle de 2012. Ils peuvent être à l'échelle d'une opération, ou d'un système, c'est-à-dire d'un produit, ou d’un système énergétique, ou au niveau d'un réseau de chaleur. Nous sommes à chaque fois sur un dispositif d'évaluation collégiale par des experts désignés par le ministère, et une décision prise par le ministre en charge de la construction, et par délégation, par votre serviteur.

Si l'on fait un bilan de la procédure titre V, nous sommes à 160 opérations agrées, 40 systèmes, 7 réseaux de chaleur. De la même manière que nous avions lancé l'an dernier un processus d'évaluation et de modernisation des avis techniques, les ministres nous ont demandé de lancer un processus d'évaluation et de modernisation des procédures de titre V.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je demande maintenant à M. Vincent Figarella, qui intervient là en tant que représentant de la Fédération française des assurances, de nous expliquer les conditions techniques que requièrent les assureurs, quant aux produits utilisés, pour accorder une couverture à un professionnel du bâtiment. Cette notion de professionnel s'entendant au sens large. Là aussi, notre caisse de résonnance au niveau du Parlement a notamment eu quelques remontées sur des décisions de l'Agence de la qualité de la construction, qui se répercutaient sur les assurances. Donc je souhaiterais que vous indiquiez comment cela se passe, et comment vous opérez.

M. Vincent Figarella, membre du bureau du Comité assurance Construction de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA). Je tenais à vous remercier de nous donner l'occasion, nous Fédération française des sociétés d'assurances, de pouvoir nous exprimer sur un sujet qui est l'évaluation de la certification pour les produits innovants, ce sujet étant très important dans le dispositif assuranciel et encore plus dans le cadre de l'évolution de la performance énergétique des bâtiments. Je vais tenter d'organiser notre présentation très synthétique en rappelant d'abord la multiplicité des processus de certification ou de normalisation des risques innovants, en précisant qu'il est primordial d'avoir des processus d'évaluation des risques pour des solutions sans retour d'expérience. Ces processus doivent être légitimes, crédibles, et il convient d'organiser la circulation du retour d'information.

Du point de vue de l'assureur, il existe aujourd'hui tout un panel de procédures, mon prédécesseur vient d'en citer quelques-unes, pour certifier de nouvelles solutions techniques mises en œuvre dans le bâtiment. Au-delà des avis techniques, il y a également les appréciations techniques expérimentales, le Pass’innovation pour les produits issus du Grenelle, les enquêtes de techniques nouvelles délivrées par des contrôleurs techniques, l'évolution des règles professionnelles et tout le dispositif quasi-réglementaire : DTU (document technique unifié), DTA (document technique d’application), etc. Tous ces éléments contribuent à l'évaluation ou l'analyse des risques sur la durabilité des procédés, des risques liés à leur mise en œuvre, lors de la conception de l'ouvrage intégrant ces différentes innovations, tenant compte des conditions de localisation et d'usage du bâtiment, de la règlementation qui s'impose à ces procédés et qui peut, de fait, engendrer un certain nombre de risques, et bien évidemment des conditions d'entretien et de maintenance à prévoir pour que les produits puissent perdurer.

L'assurance décennale est pour l'utilisateur final un gage de sécurité sur la durabilité et la sécurité du procédé. Il est donc primordial de disposer d'un mécanisme de processus de certification solide, crédible et légitime pour l'ensemble des acteurs, pour valider l'évaluation du risque nouveau, évaluation inhérente au métier de l'assureur, garant de l'équilibre de la branche assurance décennale. Mais aussi il doit permettre un retour rapide d'expérience sur un procédé qui n'en dispose pas. Le processus de certification est accompagné par une gestion de ce retour d'expérience à travers l'Agence qualité construction, qui permet le partage d'analyse du risque, faute de recul suffisant sur les procédés non traditionnels. Ce retour partagé contribue également à la prévention des risques et à l'amélioration de la qualité, tout cela au bénéfice de l'ensemble de la filière BTP, et des maîtres d'ouvrage.

Ces processus de certification sont considérés par les assureurs comme fiables. Ils assurent l'équité en établissant une règle d'évaluation reconnue et partagée par l'ensemble des assureurs, point essentiel pour permettre l'assurabilité préalable à la mise en œuvre, en attendant une évolution vers un risque normalisé traditionnel.

Ces processus sont soit volontaires : l'enquête de technique nouvelle, le Pass’innovation, l'appréciation technique expérimentale, soit quasi-réglementaire : l'avis technique et les marquages. Ils sont gradués, et sont donc parfaitement adaptés à l'utilisation parfois très expérimentale et limitée à un seul chantier. Ils sont adaptés également à des procédés récents mais déjà en voie d'industrialisation, c'est le cas par exemple du Pass’innovation ou de l'enquête de technique nouvelle, dispositif plus agile, dirais-je, pour pouvoir mettre sur le marché un produit avant qu'il ne soit industrialisé et diffusé. Le dispositif des avis techniques répond à un procédé plus industrialisé et mis en œuvre d'une manière plus régulière.

Cette variabilité des outils de normalisation des risques nous permet de nous prononcer sur une gamme d'innovations et s'adapte à tous les cas, ponctuels ou généraux. On peut dire que ces différents outils de certification sont satisfaisants et évitent le frein à l'innovation faute d'évaluation de risque, s'ils n'existaient pas. Nous, fédération, avons quand même réfléchi sur l'optimisation du fonctionnement de ces procédés de normalisation des risques, et nos préconisations sont les suivantes :

Il convient d'améliorer l'accessibilité et la connaissance des différents outils de normalisation des risques innovants par les acteurs de la filière : on vient de citer l'avis technique uniquement, alors qu'il existe beaucoup d'autres procédés; simplifier et traiter l'effet mille feuilles et les zones de recouvrement éventuels entre les différents outils d’évaluation, et la complexité de dispositifs intégrant beaucoup de procédés, l'innovation venant de l'ajout de tous ces procédés ; améliorer le retour d'expérience sinistres en temps réel et le transfert d'information auprès des constructeurs, en particulier sur les aspects entretien et maintenance, ce retour d'expérience étant aujourd'hui partagé essentiellement par les assureurs.

Si le dispositif actuel n'est pas un catalyseur de l'innovation, il participe néanmoins à l'accélération de la mise sur le marché des procédés nouveaux en organisant l'appréciation du risque conventionnellement et équitablement, et en accélérant et organisant le retour d'expérience qui était inexistant sur ces procédés innovants. Il nous reste à faire évoluer ces différents outils dans les trois axes, pédagogie, simplification, et surtout réactivité vers les constructeurs.

Le cas des isolants.

M. Jean-Yves Le Déaut. Après les éclaircissements sur les procédures auxquelles sont soumis les produits, nous donnons la parole à ceux qui créent les produits et se voient contraints, plus ou moins heureusement, d'en passer par ces procédures avant d'atteindre le marché. Pour structurer les interventions, nous avons pris deux exemples parmi bien d'autres, les isolants et les équipements, qui ne relèvent pas tout à fait des mêmes problématiques, notamment s'agissant de la prise en compte par le moteur de calcul conventionnel. Sur les isolants, trois personnes vont intervenir, d'abord Laurent Thierry, PDG d'Actis, qui pour cinq minutes va essayer de nous indiquer sa problématique. Je sais qu'il a eu des soucis. Il y a des procédures, des procès. Ils sont anciens. Nous en avons été saisis et nous en avons déjà discuté dans une table ronde. Nous essaierons dans le débat de confronter les arguments, dont des arguments scientifiques, qui montrent des contradictions.

M. Laurent Thierry, président directeur général, Actis. Je voudrais avant de présenter rapidement la société et le cas des isolants minces, puisque nous parlons de l'innovation, et que l'on vient de nous expliquer l’existence depuis quarante ans des avis techniques, dire un mot du marché.

Le marché français comme le marché européen ou mondial est détenu par environ huit acteurs qui représentent soit les fabricants de laine minérale, soit ceux de mousse polyuréthane. Depuis 40 ans, en innovation, nous avons soit le choix de la laine minérale, soit de la mousse polyuréthane. Il reste trois ou quatre pour cent du marché, occupés par les produits biosourcés d'origine naturelle, et par des produits innovants. Pour cibler mon intervention, la société Actis existe depuis une trentaine d'années, implantée dans le midi de la France, et employant environ 200 personnes. Nous œuvrons dans le domaine des isolants réflecteurs, et des isolants à base de fibre de bois et écrans d'étanchéité. Nous sommes installés sur d'anciennes friches industrielles, et chaque année nous investissons 5% de notre chiffre d'affaires en recherche et développement.

Je voudrais montrer un cas concret : le cadre règlementaire pour un produit innovant. Si vous faites un nouveau produit, vous n'avez pas de marquage CE puisqu'il n'existe pas de norme pour le produit. Donc vous ne pouvez pas bénéficier des leviers très importants qui influent le marché, les certificats d’économie d’énergie, les crédits d'impôts, etc. Pour compenser le fait qu'il n'existe pas de norme pour les nouveaux produits, vous pouvez faire un ATE (agrément technique européen) pour obtenir un marquage CE, ou au niveau français un avis technique et une certification ACERMI (Association pour la certification des matériaux isolants).

L'industriel qui va développer un nouveau produit, va essayer de le commercialiser partout en Europe, pas seulement en France. Donc il va peut-être prendre la procédure d'avis technique européen.

Un avis technique coûte cher, entre 30, 50 voire 60 000 euros. Donc si on a obligation de le faire dans les vingt pays européens, c'est très compliqué.

L'avis technique européen est délivré par l’EOTA (European Organisation for Technical Approvals) et demande du temps. Il faut faire ce qu'on appelle un CUAP (Common Understanding of Assessment Procedure). Ensuite sont définis l'ensemble des tests qui sont mis sous système d'évaluation, et permettent d'avoir un contrôle en production et un contrôle de produit. La procédure est complexe et longue. Le référentiel CUAP s'appuie sur des normes d'essai existantes alors que si l'on a un nouveau produit, les normes d'essais existantes sont mal adaptées. Mon exemple est de dire : vous inventez le CD et on vous demande de le lire sur un magnétophone à cassette.

L'avis technique français est délivré par la CCFAT (Commission chargée de formuler les avis techniques) après examen par des experts réunis dans un groupe spécialisé GS20 placé sous la responsabilité du CSTB. Le problème consiste en des délais très longs, souvent supérieurs à un an, un manque de représentativité des PME, le recours à des normes d'essai existantes, et la portée de l'avis technique limité au marché français.

L'ACERMI est la certification délivrée par le CSTB, après examen par une commission d'experts qui est réunie deux fois par an, sur normes d'essais harmonisés. L’ACERMI certifie les caractéristiques essentielles des produits. C'est assez long pour des nouveaux produits, et cela fait double emploi avec les avis techniques européens.

Notre proposition est qu'il y ait plus de transparence pour ouvrir les commissions de normalisation aux PME, qu'il y ait plus d'objectivité. En France la normalisation, la certification, ne devraient pas être réalisées par un seul organisme et des commissions composées des mêmes experts. Il faut accélérer les procédures d'évaluation des isolants et les rendre plus accessibles aux PME. Enfin et surtout, les agréments techniques européens relevant du système d'évaluation avec contrôle de la production, doivent être traités au même titre qu'un ACERMI, de façon à ce qu'on oblige pas un industriel ayant déjà un ATE, à devoir demander un ACERMI et un avis technique français.

M. Olivier Legrand, Président de NRGaia. Je vais essayer d'être le plus simple possible sur cette évolution très rapide de la ouate de cellulose en France. Ce produit peut paraître innovant, mais il est déjà utilisé depuis 70 ans aux États-Unis, depuis 40 ans en Allemagne, et c'est grâce à cette expérience que le marché français a pu se développer rapidement. Jusqu'à il y a encore trois ans, les produits étaient totalement importés. Face à cette demande croissante sur le marché français, il y a eu une croissance de la production, multipliée aujourd’hui par quinze par rapport à celle d'il y a dix ans. Des usines se sont installées. Il y en a huit aujourd'hui. Ce sont de petites entreprises, la majorité ayant à peine 10 personnes, et ces entreprises s'installant sur le territoire français étaient très loin d’imaginer le parcours du combattant qu'elles ont dû traverser ces trois dernières années.

Un syndicat s'est créé, l’ECIMA (European Cellulose Insulation Manufacturers Association) dont je suis le président, qui permet de passer à l'étape suivante d'un marché devenu mature.

Nous parlions tout à l'heure de mille feuilles, c'est exactement ce que l'on a découvert en l'espace de trois ans, puisque pour vendre sur le marché européen, l'agrément technique européen est obligatoire, ce qui représente un premier coût. Dans la foulée, un deuxième coût : l'avis technique CSTB, avec des délais extrêmement longs. Il n'y a pas que le coût de cet avis technique, mais également les coûts en interne des laboratoires utilisés pour faire les tests. Et une troisième certification est arrivée : l'ACERMI.

Pour NRGaia, ce qui a été payé pour satisfaire à cette certification représente la masse salariale de production depuis la création de la société.

Cette certification, la ouate de cellulose étant très connue en Allemagne, moins en France, a eu l’avantage de rendre visible ce produit, tant au niveau des professionnels que du grand public. Un autre élément important est qu’elle standardise les produits qui sont sur le marché.

Les barrières concernent le coût de l'entretien, le changement des règles, les délais d'obtention, ce que l'on a vécu pendant trois ans. Nous avons servi de cobaye, et les choses vont dans le bon sens. Le produit n'était pas connu, et les industriels ne connaissaient pas les institutions. En passant par ces différentes étapes, cela a permis, pour la ouate de cellulose et également pour les autres produits en devenir, à avoir accès au marché de manière plus facile. Ce que disait tout à l'heure Monsieur Crépon sur les délais d'obtention de l'avis technique, est essentiel. Il faut aller beaucoup plus loin. Quand on lance une société on ne peut pas attendre 8 mois avant d'avoir un avis technique pour vendre le produit. Que ferait-on pendant ces 8 mois ?

Une réduction de 30% des coûts est très importante, mais encore insuffisante pour une PME. Encore une fois, ceux qui vont dans l'innovation sur tous ces produits, sont de petites sociétés.

Un médiateur est un élément essentiel, non pas seulement pour trouver des arrangements, mais également pour accompagner les sociétés. Pour Nrgaia et les sept autres sociétés, cela a été une véritable jungle pour se retrouver dans tous ces règlements, changements de règlements, interlocuteurs.

Les matériaux biosourcés sont particuliers. Ils ont des atouts très différents des matériaux conventionnels. Si l'on essaie d'adapter les règles à des matériaux nouveaux, il faut considérer que les matériaux issus du vivant ne réagissent pas comme des matériaux issus de produits inertes. Je crois que la démarche d'ouverture de la CCFAT aux matériaux biosourcés va dans le bon sens. Mais il ne faut pas oublier qu'il existe une très forte demande pour ces produits qui ne demandent qu'à se développer sur le marché français, et nous devons accélérer cette ouverture au niveau des institutions, de la règlementation. 

M. Gaëtan Fouilhoux, représentant le syndicat des fabricants d'isolant en laines minérales manufacturées (FILLM). Je ne vais pas répéter tout ce que les uns et les autres ont dit depuis ce matin. J'avais voulu commencer cette intervention en disant que, pour les économies d'énergie, il fallait être ambitieux, mais je souscris totalement à ce qu'a expliqué, et bien mieux que je n'aurais pu le faire, Monsieur Sidler.

Je passe directement au cœur du sujet qui nous préoccupe, la certification. Nous savons faire aujourd'hui les produits qui vont permettre d'atteindre les objectifs de la RT 2012, puis de la RT 2020, sans aucun problème. Mais ce qui nous préoccupe, et c'est pourquoi Monsieur Le Déaut nous a demandé de venir aujourd'hui, est de revenir sur cette histoire de certification. Monsieur Figarella, l'assureur, a bien expliqué pourquoi l'on certifie des produits, des matériaux de construction. D'abord pour la sécurité et la garantie du consommateur final. Il faut que monsieur et madame x sachent comment isoler leur maison, avec quel produit, quelle performance, dans quel cadre de sécurité. Mais c’est aussi pour garantir et sécuriser le travail des entrepreneurs et des artisans, qui ont besoin d'être tranquilles et de savoir qu'ils vont mettre en œuvre des produits et des systèmes performants, aptes à remplir les charges pour lesquelles ils ont été fabriqués. Ceci étant posé, je ne reviens pas sur le système d'avis technique DTA, agrément technique, mes deux prédécesseurs ont dit quels étaient les coûts et les difficultés pour comprendre tout ce système.

Quand on fait l'effort de s'européaniser et de comprendre comment on s'organise au niveau des directives pour mettre sur le marché les produits les plus performants et les plus sécuritaires possibles, franchement, on arrive à comprendre et à se familiariser avec tout cela. Ce qui nous intéresse d'avantage est l'ACERMI, association de certification des matériaux isolants, créée en 1983. Elle a le même âge que l'Office parlementaire, Monsieur le président, et remplit sa mission. Elle essaie en réunissant des professionnels, le CSTB, le LNE (Laboratoire national de métrologie et d’essais), de construire un système compréhensible, fiable et vérifiable, qui va permettre de faire notre travail d'industriel quand on fabrique, d'artisan quand on pose, et de consommateur quand on consomme. Le système est assez simple, transparent, toutes les familles des isolants y sont représentées. D'ailleurs dans ces graphiques, deux camemberts, le premier montre les certificats ASSERMI en vigueur. Il y a beaucoup de laine minérale, de plastique alvéolaire, mais les produits biosourcés sont également très présents ; le second camembert montre la liste des avis techniques obtenus et en vigueur dans le domaine de l'isolation. Voyez cette masse très importante de produits biosourcés. Les entreprises de votre famille, Monsieur Legrand, ont fait l'effort de comprendre le système, de s'y impliquer, de s'y introduire. Le résultat est qu'elles disposent des avis technique. Elles peuvent travailler comme un certain nombre d'industriels qui fabriquent des produits minces réfléchissant, ayant rejoint, s’étant accaparé ce système pour le faire vivre et le consolider.

Je ne suis pas un fou furieux de la certification, je connais les barrières et je sais que cela coûte cher, je suis bien placé pour le savoir. Elle prend beaucoup de temps et de réflexion, et quand nous produisons et que nous voulons mettre sur le marché le fruit de notre travail, nous trouvons que les délais sont toujours trop longs. Mais les experts ont besoin de ces délais pour permettre de sécuriser l'arrivée des produits sur le marché.

Nous parlons beaucoup d'économie d'énergie, de performance énergétique : la caractérisation d'un produit, en l'occurrence celle de matériaux isolants, ne concerne pas que la caractéristique thermique, mais aussi la tenue mécanique, l'acoustique, la sécurité incendie. Ce sont des critères qu'il faut prendre en compte. Mais je suis d'accord avec les deux points que vous avez soulevés, Monsieur Legrand, le raccourcissement des délais est indispensable. Et je sais que l'État, le CSTB et tous les partenaires font de gros efforts pour y parvenir. On en voit déjà un petit peu le résultat. L'autre point est la diminution des coûts. Des actions ont déjà été menées : création du Pass’innovation, et mise en place du plan d'action construction et bioressources que Monsieur Crépon a développées tout à l'heure. Nous sommes sur un système qui n'est pas parfait, qui fonctionne et que l'on peut travailler ensemble à l'améliorer pour garantir la performance durable de bâtiments dits responsables.

Le cas des équipements.

M. Pierre-Louis François, Président du directoire du groupe Atlantic. Je vais parler de la réalité des faits ces dernières années, et des perspectives à court terme pour les deux, trois années à venir, en imaginant qu'il faut travailler aussi pour le très long terme. Les faits sont toujours brutaux et je m'en excuse à l'avance parce qu'ils ne correspondent pas toujours aux intentions qui ont pu être à l'origine de tous ces textes. C’est pour autant l'occasion de les regarder. Dans les technologies supposées vertueuses et listées par les uns et les autres dans le Grenelle, il s'est développé assez vite des technologies de condensation et de pré-mélange gaz en maison individuelle et collective. Madame Vu l'a dit, cela a été référencé rapidement, et a bien fonctionné. Il s'est développé un marché du chauffe-eau thermodynamique individuel. Je passe, c'était bon. La ventilation double flux a touché le tertiaire. En moteur basse consommation cela s'est bien passé, et nous avons le début des solutions hybrides PAC (pompe à chaleur) fioul et PAC gaz. Donc il y a des points positifs. Par contre pour dire simplement les choses, il y a eu des catastrophes avec des conséquences industrielles dans certains cas dramatiques. Je reprends une conférence de presse des ministres le 6 juin 2010. On nous avait dit qu'il fallait investir dans l'eau chaude thermodynamique collective. À ce jour, non pas 17 mois plus tard, comme le délai qu'évoquait Monsieur Étienne Crépon, mais presque trois ans plus tard, l'eau chaude thermodynamique collective n'existe pas, n'est pas référencée. On n'en parle pas, et on ne sait pas quand cela va arriver.

Pour les technologies domotiques, nous pouvons discuter si c'est 1 ou 2 %, comme le disait Monsieur Olivier Sidler. Nous connaissons les valeurs moyennes. Sur la domotique, ni titre V, ni fiche de certificat d'économie d'énergie, rien. Simplement il y a une semaine, dans la dernière commission sur les fiches de certificat d'économie d'énergie, certificat CE, on nous a dit : si vous êtes gentils, dans un an, on vous délivrera peut-être la fiche ATEE (Association technique Énergie Environnement) nécessaire pour qu'il y ait de la domotique dans l'existant. Peut-être dans un an.

Dans les technologies thermodynamiques PAC sol-sol, PAC sol-eau, tout ce qui est géothermique, ce n'est pas référencé. Les rooftop (PAC air/air réversible), non plus. Les trois en un (Chauffage, ventilation, eau chaude) chers à Monsieur Vekemans pour la maison passive, non plus. Et dans tous ces cas, nous ne savons pas quand ils vont l'être.

On ne parle pas de ces technologies sur le principe, tout le monde est d'accord pour dire qu'elles sont vertueuses, mais elles ne sont pas référencées ni dans le neuf, ni dans l'existant, et nous n'avons aucune visibilité sur les délais.

Encore une fois, il y a dix jours, en commission ATEE, il nous a été dit que peut-être, si nous étions gentils, nous aurions dans un an notre fiche ATEE sur la domotique.

Pour prendre un cas concret, je rebondis sur les propos de Monsieur Olivier Cottet. Au plan industriel, dans les pompes à chaleur, nous avons démarré un peu plus tôt que dans les laines minérales. Il y avait une douzaine de sites industriels, peut-être un peu plus, il y a cinq-six ans. En gros il y a eu une fermeture ou un dépôt de bilan d'établissement de pompes à chaleur tous les six mois depuis trois-quatre ans. Je ne dis pas que ce n'est lié qu'à la certification. Il y a la conjoncture économique, les problématiques de crédits d'impôts développement durable. Mais lorsque l'on n'est pas référencé, peut-être est-il possible d’attendre huit mois quand on est une jeune pousse, mais si l’on a été créé il y a cinq-six ans voire plus tôt, on ne peut pas attendre pendant toutes ces années. Donc que fait-on ? On ferme. À moins d'appartenir à un très grand groupe. La dernière fermeture en date s'est faite il y a quinze jours, dans le pays de la Loire. Le site a fermé. Et à ce rythme-là, d'ici 2030-2050, ou même avant 2020, je ne sais pas combien il restera de sites, peut-être deux. On importera les pompes à chaleur d'Allemagne, vous me direz, ou de Suisse.

Nous ne savons pas s'il faut investir sur le solaire thermique collectif. C'est un segment qui est monté, mais franchement, si quelqu'un a une visibilité, moi je n'en ai pas.

Tout le monde dit que la ventilation en résidentiel est importante : les industriels du métier avaient une association pour essayer de travailler sur son amélioration, en double flux ou autre. Nous avons arrêté de travailler à cause des contraintes économiques, et pas seulement le groupe Atlantic. L'association s'appelant AIR.H permettait une approche collective. Nous avons arrêté tous travaux de ventilation dans le domaine résidentiel.

Enfin quant à la domotique, je ne veux pas parler pour Monsieur Cottet et les groupes industriels comme Schneider, qui ont les moyens de tenir. Mais il n’en est pas de même pour mes collègues de la domotique PME ou ETI. Je vous donne l’exemple d’un fil pilote pour assurer les liens avec les « smart grids », là aussi les travaux ont été arrêtés faute de moyens pour les financer.

Voilà ce qu’il se passe et nous savons pourquoi. Il y a des raisons économiques, des échecs industriels. Je ne veux pas dire que tout est le fait des procédures de certification, mais avec des délais qui dans certains cas dépassent les deux ans et demi et gardent une incertitude… 9 mois pour obtenir à la fois titre V et certificat, ce serait magnifique. Même si l’on a bien dit que cela entrainait tout de même du chômage technique. Voilà la réalité, je n'ai pas plus à dire. Peut-être qu'en 2030-2050, nous importerons d'Allemagne ou de Suisse. Ce sera très bien, et nous avons l'habitude.

En matière de formation : les centres de formation industriels que l'on avait bâtis pour les installateurs sont à moitié vide, car plus personne n'y comprend rien, et ils ne viennent plus.

M. Hugues Vérité, chargé des relations institutionnelles pour le Gimelec (Groupement des industries de l'équipement électrique, du contrôle-commande et des services associés). Je me souviens d'avoir fait la même audition il y a deux ans avec vous Monsieur le sénateur Sido. Je ne vais pas être franchement innovant car il ne s'est pas passé grand-chose depuis ces deux ans. Je vais simplement essayer de répondre à la question de cette table ronde : le cadre règlementaire est-il suffisamment à l'initiative du développement des procédés nouveaux.

Je n'ai pas fait dans la dentelle malheureusement. J'aurais voulu vous faire un oui mais, mais j'ai préféré vous faire un non, à deux niveaux. D'un point de vue innovation technologique, je pense que Pierre-Louis François l'a déjà bien détaillé.

J'insisterai encore plus sur le 3ème volet de la performance énergétique des bâtiments que nous a présenté Olivier Cottet, l'efficacité active, ou la gestion active de l'énergie. Je vais vous proposer une piste de réflexion pour que l'innovation puisse accéder au marché. En France, on développe, on recherche, on innove, mais on a des gros problèmes d'accès au marché :

Marché français d'abord, marché européen ensuite.

Les constats, pour ce qui concerne l'efficacité énergétique, sont ceux déjà abordés. L'efficacité énergétique active n'est pas intégrée dans la réglementation thermique, donc pas dans les certificats d’économies d’énergie, donc non plus dans les scénarios de transition énergétique qui ont été développés ou qui sont en cours d'être revus. Dans le scénario UFE-Ademe, l'efficacité énergétique active n'a pas été reprise comme l’un des trois piliers de l'amélioration de la performance énergétique du bâtiment.

La loi MOP avait fait des lots techniques qui avaient du sens. Nous pensons et nous revenons sur nos préconisations d’il y a déjà deux ans : pourquoi ne pas intégrer dans la loi MOP un lot efficacité énergétique, qui permettrait ainsi de transcender le coût d'investissement et le coût de fonctionnement ? Le sujet dans le bâtiment est bien là. Le coût énergétique in fine se trouve dans la période de fonctionnement durant sa durée de vie. Donc dès la phase de conception, il serait possible d’intégrer cette dynamique d'efficacité énergétique active.

La base INIES (Information informatisée pour l’environnement et la santé), base de données au départ en vue de consolider et de répertorier les performances environnementales des produits de la construction, n'a, à notre sens, pas vocation à devenir une plate-forme d'innovation comme on nous le propose actuellement. Donc cette base INIES reste ce qu’elle doit être, c'est-à-dire un recueil de données environnementales, de profils environnementaux de produits, et elle ne se substitue pas aux choix des industriels en matière d'innovation, de qualification d'innovation. Sinon nous sommes dans le cercle vicieux que Monsieur François a rappelé : si les industriels ne peuvent pas développer, innover librement, je ne vois pas pourquoi ils resteraient sur le territoire.

L'homologation des innovations, nonobstant ce que j'ai découvert aujourd'hui sur la révision des procédures, reste quand même trop longue comme vous l'avez rappelé tous. Les PMI qui investissent attendent le résultat final.

Je voulais vous faire partager quelques propositions, inspirées des mesures 16 à 20 du plan d'investissement pour le logement présenté par le Président de la République. Nous attendons toujours le décret relatif au parc tertiaire, qui pour nous serait un vrai élément de dynamisation de nos technologies et de nos innovations. Cela fait plus d'un an qu'on l'attend, et que l'on attend aussi les investisseurs. Vous le savez, les investisseurs sont les propriétaires des parcs immobiliers tertiaires. C'est un signal fort que nous attendons sur la base des conclusions du rapport Maurice Gauchot. Nous attendions que l'État sur son propre patrimoine soit exemplaire en termes d'amélioration de la performance énergétique.

Sur Enfin quelques réflexions sur la réglementation thermique : il faudrait qu’elle passe effectivement du conventionnel aux réels multi-usages, car il serait dommage d'oublier les usages spécifiques de l'électricité. Or à ce jour ceux-ci ne sont pas pris en compte, et cela risque d'être le gros consommateur à terme.

Du Quant à l’écart du normatif à l'obligation de performance, vous avez parlé du système KfW. C'est un système dont on pourrait s'inspirer.

Il faudrait aussi prolonger l’approche en termes de coefficient Énergie primaire/Énergie finale pour aller vers le plafonnement des émissions carbone par bâtiment. S’il s’appliquait à l'échelle continentale européenne, ce serait un sous-jacent très fort, macroéconomique, à une taxe carbone, qui in fine conduirait à une relocalisation d'activités industrielles, de par le fléchage des crédits carbones.

Le deuxième transparent et j'en terminerai là, illustre plutôt une réflexion dont je voudrais vous faire part. Il existe une loi sur les économies d'énergie en France, mais elle date de 1974. Je pense que vu la dégradation complète de la balance énergétique française, il serait possible d’améliorer cette loi de 1974.

Je vous ai laissé quelques petites pistes, mais la première me semblerait la plus consensuelle à mon sens, car elle a déjà fait l'objet d'arbitrages en son temps par le Commissariat général au développement durable (CGDD) : s’agissant des contrats de performance énergétique, selon une analyse confirmée par le CGDD et le plan bâtiment durable, la fourniture d'énergie en tant que telle n'est pas constitutive de la performance énergétique du bâtiment. Il faut pouvoir neutraliser la fourniture d'énergie pour bien travailler sur la diminution du volume de consommation, d'une part, et des émissions de CO2, d'autre part. C'était cette petite touche finale que je voulais vous faire partager.

M. Philippe Haim, chef du pôle efficacité énergétique GDF SUEZ Énergie France. Sans nier les difficultés qui ont pu être abordées, je vais essayer de donner une note d'optimisme en regardant le verre à moitié plein. La RT 2012 a permis de faire un grand bond en avant. Nous avons cité 50 kWh par mètre carré et par an. C'est une division par trois par rapport à la précédente règlementation, et aucune règlementation antérieure n’avait permis de franchir un tel saut. Nous l'avons vu, les premiers retours d'expérience sont positifs et c'est heureux.

Il me semble néanmoins qu'il y a peut-être un sujet non estimé à sa juste valeur, celui de l'apprentissage par le ménage de l'utilisation de son logement, et plus largement de sa relation à la performance énergétique et à l'énergie au sens large. C'est un point à étudier dans le futur.

Pour revenir à la question posée, de mon point de vue il est clair que la RT 2012, qui est en rupture par rapport à la précédente règlementation, a conduit les industriels à innover, comme rarement dans le passé. C'est vrai, la règlementation thermique a stimulé l'innovation, et je voudrais pour vous en convaincre citer quatre exemples.

Le premier est la chaudière à condensation. Il est encore possible d’innover avec la chaudière à condensation, notamment avec celles à très forte modulation de puissance. Il existe des systèmes aujourd'hui pouvant descendre très bas en puissance, jusqu'à 800 W, pour les très faibles besoins de chaleur des logements, et monter à 12 ou 24 kW pour la production d'eau chaude sanitaire, qui, elle, a besoin de puissance. Cela découle directement de la RT 2012.

La chaudière hybride gaz naturel, Monsieur François l'a évoqué tout à l'heure, est un système intégré qui combine une chaudière à condensation et une pompe à chaleur électrique. Ce système permet de disposer du meilleur de chacune des technologies à tout moment de l'année. En mi-saison, la pompe va fonctionner, en hiver, elle va laisser la main à la chaudière à condensation. Un avantage supplémentaire qui n'est pas indifférent, c'est qu'un tel système ne dégrade pas la pointe électrique saisonnière, que la France connait et dont on a parlé un peu tout à l'heure.

Un autre produit prend tout son sens dans le logement fortement isolé et limite la pointe électrique, est la micro-cogénération, encore assez chère, mais qui commence à être commercialisée et devrait se développer dans les années à venir.

Le chauffe-eau thermodynamique également, que l'on ne connaissait pas il y a trois-quatre ans, découle directement de cette nouvelle règlementation thermique, de même que les systèmes solaires individuels, pour lesquels les industriels font encore beaucoup d'efforts d'innovation afin d’en réduire les coûts.

Je ne vais pas m'étendre sur la roadmap (feuille de route) technologique qui donne une vision partagée entre GDF SUEZ et Uniclima, le syndicat des fabricants de matériel de chauffage et de climatisation, à l'horizon 2030.

Il y a un bénéfice collatéral de la RT 2012 ; ces innovations qui en sont issues, profiteront directement au marché de la rénovation thermique du parc existant dont la dynamique ne permet pas aux industriels d'innover et de proposer de nouveaux produits.

Il y a un mais, il faut aussi le dire. Ces innovations technologiques qui commencent à être commercialisées, ont besoin de trouver leur place sur le marché. Il y a long entre l'innovation et le produit standard sur le marché, et les industriels ont besoin de stabilité règlementaire, de visibilité pour que ces produits puissent un jour devenir des succès commerciaux et des produits courants.

Je voudrais terminer mon propos sur un point qui a été évoqué par le premier intervenant, Monsieur Sidler : le poste de consommation d'électricité spécifique. Il me semble que l'enjeu principal pour les années qui viennent, c'est ce poste. On a donné des chiffres, je crois qu'un dessin vaut mieux qu'un long discours. Vous avez sur ce graphe représentés en partant du bas les postes de consommation d'un logement type existant ; au-dessus un logement rénové au label BBC rénovation ; au-dessus, au label RT 2012 ; et au-dessus, au niveau RT 2020, que l'on pourrait faire correspondre au label très haute performance énergétique. Le constat est flagrant. Il faut travailler pour les années qui viennent sur le poste jaune, qui correspond à la consommation d'électricité spécifique, et moins sur les postes chauffage et eau chaude sanitaire sur lesquels vous voyez qu'il n'y a plus grand-chose à gagner. Les investissements nécessaires devraient plutôt porter sur le poste d'électricité spécifique. Il y a deux façons de faire. La première est de trouver une règlementation qui arrive à maîtriser ces consommations d'électricité spécifique, mais en accompagnant les ménages dans leur relation à la performance, et la seconde en valorisant toutes les solutions performantes de production décentralisée d'électricité.

Débat

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vous remercie, je crois que l'on a calé le débat, d'abord dans la première table ronde, puis maintenant. Il y a un optimisme mesuré des grosses sociétés, et un pessimisme affiché notamment de petites sociétés sur la règlementation. Vous avez dit des choses fortes à savoir que, pour vous, la règlementation freine l'innovation ; qu'il y a des superpositions entre des règles nationales et européennes, et que l'on arrive avec un jeu compliqué de certifications, des temps d'instruction très longs ; que si jamais on ne va pas plus vite l'innovation sera freinée et l'on n’atteindra pas les objectifs que nous nous sommes fixés ; que cela s'améliore. Il ne faut pas que l'administration soit toujours pointée du doigt. Elle est notamment, via les ministres, en contact permanent avec le Parlement, et ce qui permet que cela s'améliore. Le fait est qu'il y a plus de transparence qu'il n'y en avait. Les vitesses d'instruction ont été accélérées, même si c'est encore long. Les PME se sont vues donner accès aux instances d’élaboration des avis techniques. Un médiateur a été créé, les frais d'inscription baissent.

Néanmoins, des sujets qui nous sont remontés, montrent que ce n'est quand même pas parfait, et vous l'avez redit.

Je souhaiterais, dans cette discussion, que vous indiquiez comment améliorer les choses, pourquoi il y a un décalage avec le politique. J'ai participé au Grenelle très activement, et j'ai suivi ces sujets au nom de l'Office parlementaire, comme Bruno Sido et comme d'autres parlementaires. Pourquoi y-a-t-il un tel décalage entre le niveau technique et les réalisations règlementaires, et est-ce que cela freine globalement l'innovation. Vous avez dit que nous irons acheter les pompes à chaleur en Suisse ou en Allemagne. Cela signifie-t-il que la Suisse ou l'Allemagne aient des sociétés plus confortées au niveau financier, ou que leurs règlementations soient différentes ?

J'ai quelques exemples de choses qui m'ont été dites, et si jamais il faut mettre un tout petit peu de sel ou de poivre, je les mettrai pour que la discussion puisse aller jusqu'au bout, car le but est d'améliorer les choses si l'on voit qu'elles trainent un peu.

M. Laurent Thierry. Je voudrais être extrêmement concret et demander à Monsieur Crépon, concernant l'avis technique européen : est ce que l'on pourrait accéder aux mêmes droits et aux mêmes offres, c'est-à-dire crédit d'impôt, certificat d’économie d’énergie, etc. en ayant cet avis technique ? J'ai un exemple précis, pour éviter toute polémique. Nous vendons des produits à base de fibre de bois. Nous avons des avis techniques européens, et un système d'évaluation de niveau 1. Nous ne pouvons pas obtenir un marquage, des primes de certificat d’économie d’énergie ou des crédits d'impôts.

M. Etienne Crépon. Les relations entre la CCFAT et ACTIS sont aujourd'hui devant les tribunaux, donc il me sera difficile de prendre position. Sur cette question, avant tout je me félicite que la Commission européenne soit saisie du sujet et ait décidé de lancer une normalisation des isolants minces. Je pense que ceci permettra de stabiliser les choses.

Le principe des avis techniques, qu'ils soient européens, français ou autres, est de faire en sorte de créer la confiance dans un marché totalement éclaté entre maitres d'ouvrages, maitres d'œuvres, contrôleurs techniques, assureurs. Nous avons des dispositifs qui ont fait leurs preuves, du type avis technique, ou titre V. Il y en a d'autres qui ne marchent pas, parce qu'ils ne génèrent pas la confiance, et je rappelle juste un élément : l'avis technique n'est pas quelque chose d'obligatoire. Rien n'interdit à un industriel de mettre sur le marché un produit sans avoir un avis technique, pour autant qu’il réussisse à prouver aux interlocuteurs que son produit est de confiance.

M. Laurent Thierry. Est-ce qu'un avis technique européen a la même valeur qu'un avis technique français ?

M. Etienne Crépon. Dès lors qu'il respecte le même niveau de procédure, de transparence et d'expertise collégiale, pour moi, oui.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons également la règlementation européenne Reach. Je prends un exemple que j'ai suivi, dans les ouates de cellulose, produits biosourcés. On y mettait du bore comme ignifugeant. Puis, la règlementation Reach a dit que le bore, en quantités importantes, – car en faible quantité ce n'est pas la même chose –, n’était pas acceptable, qu'il fallait changer. Il n'y a pas eu de coordination des changements au niveau des entreprises.

Si jamais on met en œuvre une règle plus rapidement dans un pays membre que dans un autre, cela crée exactement la même discussion que celle de la taxe carbone : la distorsion induite au niveau de l’application va désavantager certains des industriels. Dans ces conditions, on ne peut pas réussir une coordination au niveau européen. Quand on change la règlementation, on devrait au moins organiser une concertation avec les acteurs pour essayer d’ajuster le processus de transition, pour laisser des délais pour que les PME puissent s'adapter.

M. Etienne Crépon. Ce sujet de la ouate de cellulose est compliqué. La règlementation Reach a conduit à ce que la commission chargée de formuler les avis techniques lance un message d'alerte aux industriels sur l'utilisation du sel de bore, en prévoyant un temps de transition qui a été, sous le contrôle de Monsieur Legrand, prorogé une fois, pour que des solutions alternatives puissent être élaborées. Cela a permis d'amener la solution faisant appel à des sels d'ammonium, qui pose des problèmes liés à des dégagements d'ammoniac par ces produits. Comme par ailleurs l'interprétation de la Commission européenne sur l'utilisation du sel de bore a un peu évolué, on en est revenu à des solutions utilisant ce sel de bore. Sur ce sujet, il y a eu un travail partenarial entre la plupart des industriels et l'État pour essayer d'imaginer des solutions, et pour évaluer les produits de façon qu'ils puissent être mis sur le marché le plus rapidement possible.

M. Olivier Legrand. Je confirme, il y a eu un travail colossal avec la DHUP, le CSTB, pour réparer, car il s'agit bien de réparation du secteur de la ouate de cellulose. Les sociétés sont arrivées sur le marché en 2010, ont commencé à produire, et c'est à ce moment-là que la position du GS20 puis de la CCFAT sur le sel de bore a été notifiée aux producteurs. Autrement dit, en termes de délais, on ne pouvait pas faire plus court et plus dommageable pour une toute jeune filière.

Cette position spécifique française n'a pas été du tout suivie au niveau européen. Ce qui est fait est fait. Je crois que maintenant ce qui me paraît le plus important de souligner est que nous n'avons pas les moyens d'être présents dans toutes les commissions et groupes de travail. Encore une fois nous sommes de toutes petites entreprises, et ce qui peut être très perturbateur, comme cela a été le cas pour le sel de bore et d'autres sujets, est d’apprendre dans des délais extrêmement courts que l'on doit évoluer, comme si nous étions des groupes importants, avec des équipes de recherche, des personnes à disposition. C'est impossible. Pour aller dans le sens de ce qui a été évoqué par Monsieur Crépon, nous avons effectivement réussi à passer ce cap. Mais, dans la collaboration avec les institutions, il risque néanmoins encore d'y avoir des surprises. Or nous sommes de toutes petites entreprises fragiles, fragilisées par ce qui s'est passé ces deux dernières années. Une société a déposé le bilan, d'autres sont menacées de le faire, alors qu'il y a une très forte demande sur le marché. Donc soyons vigilants, qu'il n'y ait pas de modification de règles encore une fois, sans concertation avec les professionnels.

M. Bruno Sido. Le message est bien passé.

M. Etienne Vekemans. C'était ce que je souhaitais dire. Il faut que l'on s'engage dans une démarche de cohérence des politiques et des messages qui sont envoyés. Nous sommes attentifs aux matériels que l'on installe dans les bâtiments passifs, car nous avons besoin de très petits systèmes qui consomment très peu. Je suis heureux d'entendre que nous aurons des producteurs de chaleur de 800 W. Mais nous avons vu ces derniers mois une évolution que Monsieur François a décrite. Notamment nous avons des membres qui ont déposé le bilan, et nous voyons des fabricants étrangers installés en France en 2009-2010, en espérant une évolution relativement rapide des techniques, qui, au début 2013, se sont retirés du marché français parce qu'ils n'y voient pas d'évolution nette dans les usages et les modes de production de la filière du bâtiment. Donc nous souhaiterions que désormais l'on place vraiment l'efficacité et la sobriété énergétique au centre de cette question du bâtiment.

Je suis un peu attristé de voir que l'on nous présente la future RT 2020 comme étant une norme « BBC moins 20% ». Il y a mieux à faire, profiter de ce qu'il est possible de faire, et le mettre en œuvre avec constance et volonté.

M. Olivier Sidler. C'est plus le professionnel que le représentant de Negawatt qui va vous parler maintenant. Je dirige un bureau d'études tourné depuis trente ans vers des opérations très ambitieuses, très performantes, les bâtiments à énergie positive. Tout ce que vous avez tous dit, je suis obligé de le reconnaitre, c'est vraiment le cœur de l'affaire.

Il y a deux niveaux. La certification concerne les produits, et plutôt les assureurs. Je poserai une question à Monsieur Figarella, qui est de savoir, dans les sinistralités, ce qui revient au défaut de mise en œuvre, et au produit lui-même.

Nous sommes dans une logique en France, et c'est ce qui nous distingue de l'Allemagne, de garantie décennale. C'est très bien pour le particulier, il est tranquille pendant dix ans. Mais cela a tout paralysé d'une certaine façon, vous l'avez tous dit à votre manière, et on le constate sur le terrain. Les Allemands ont une autre façon de faire. Il n'y a pas de garantie décennale, en revanche, chaque entreprise est engagée elle-même pendant deux ans sur la performance de ce qu'elle a mis en œuvre, et pendant deux ans elle doit revenir sur le terrain tant que cela ne fonctionne pas. Je peux vous assurer, la grande différence que j'observe sur les chantiers, c'est que l'Allemand ne part pas, il fait bien les choses, parce qu'il sait qu'il va avoir à payer, et le français part, cela ne marche pas, et dit de faire appel à l'assurance. Vous devez le voir dans vos bilans. Finalement nous avons un système trop protecteur. On pense que c'est bien pour le particulier, mais finalement cela a des coûts, et cela paralyse toute l'innovation.

Le deuxième niveau de la paralysie est dans le calcul règlementaire, qui est nécessaire, nous n'allons pas le contester. Il a toutes les limites qu'on lui connaît, sauf qu'on n'arrive plus à innover. Je suis un grand fana des pompes à chaleur. Cela me rend malade, c'est vrai qu'on va chercher nos pompes à chaleur en Allemagne, je suis bien obligé de l'avouer. Il y a plein de choses qu'on va y chercher. Je vais vous donner un exemple. Dans la rénovation, nous cherchons à éviter les systèmes de ventilation centralisée qui sont trop compliqués. Nous avons trouvé en Allemagne des boites de ventilation décentralisées. Une vingtaine d'entreprises. Celle avec laquelle on travaille, a quarante personnes. Nous lui avons dit qu'il y avait de gros chantiers en France. Le gars a pris sa voiture de Stuttgart et il est venu nous voir dans la Drôme. Quelle est l'entreprise de 40 personnes en France, vous en avez 3 000 je crois, qui est capable d'attaquer ce genre de marché, de nous dire : quel est votre problème en France, on va le regarder. Dix jours après, cette entreprise a eu la solution, et a décidé de mettre une usine en France. Après, tout s'est bloqué parce qu'il y a les avis techniques, toutes ces choses-là … Donc on a un mécanisme qui nous empêche d'innover, et la proposition que je ferais serait peut-être celle-ci, en matière règlementaire, puisque c'est de cela dont il s'agit : ne pourrait-on pas ouvrir des portes sur les systèmes trop nouveaux ? À Grenoble j'essaie de mettre en œuvre une boucle d'eau tiède. Il s’agit de chaleur récupérée sur les égouts. Cela coince de partout parce que ce n’est prévu nulle part. Pourtant c'est de l'énergie gratuite. C’est la même difficulté pour toutes les pompes à chaleur. Sur des logements sociaux, nous avons mis un an à obtenir un titre V. Résultat on y consomme 4,2 kWh d'électricité par mètre carré pour se chauffer, 3,2 pour l'eau chaude. Donc ça marche, c'est génial, sauf qu'il faut vraiment être motivé, être des militants pour arriver à pousser ces solutions-là. Et tous les industriels nous disent qu'ils font faillite parce qu’il n'y a pas assez de militants en face, ce que je comprends. Ne peut-on pas assouplir, accepter de faire des expériences qui seront évaluées plutôt que de bloquer au titre des règlementations ?

Dernier exemple, il y a une maison passive en Bourgogne, faisant partie des opérations que l'on a conduites dans cette région. Elle a des performances exceptionnelles mesurées et n'arrive même pas à avoir le label BBC. On décourage tout le monde, tous les gens qui ont envie de bien faire, que ce soit les industriels ou les particuliers. Il faut que l'on donne de la souplesse dans la mécanique, sinon, tout le monde l'a dit ici, on sera à la rue.

M. Jean-Yves Le Déaut. Quel est le juge de paix en matière de sinistralité ? J'ai vu, dans un dossier récent, l'Agence de la qualité de la construction affirmer : il y a un taux de sinistres plus important avec telle technologie, donc nous faisons un communiqué de presse, sans que le Cabinet du ministre soit au courant. Cela veut dire en fait qu'une décision est prise, aux répercussions très importantes. Si c'est exact, si l’on peut vérifier, si l’on a les sources, aucun problème. Mais j'ai cherché les sources, je ne les ai pas vues. Qui a les sources, et qui décide qu’une sinistralité est plus importante avec une technologie ou une autre ?

M. Vincent Figarella. Tout d'abord, je voudrais rappeler que la matrice de sinistralité, en tout cas les causes de sinistres, n'est pas uniquement à deux cases. Ce n'est pas le croisement du produit et de sa mise en œuvre. Elle a au minimum quatre cases. Il y a d'abord la partie conception, l'usage du bon produit pour le bon emploi, pour la bonne utilisation, qui est aussi générateur de la sinistralité. Le produit n'est pas toujours bien utilisé, et la manière dont il a été mis en œuvre compte.

Dans les produits innovants, il n'y a pas de retour d'expérience sur la durabilité. Si l’on regarde les sinistres qui seraient dus à un défaut seul du produit, il n'y a pas suffisamment de retour pour dire que ces produits-là sont moins bien conçus que ne l'étaient ceux conçus il y a une quinzaine ou une dizaine d'années. Mais le risque est accru sur les conditions de mise en œuvre puisque ce sont des procédés nouveaux, et on l'a dit tout à l'heure, la filière n'est pas toujours bien formée pour mettre en œuvre.

C'est surtout dans la partie conception et dans la partie condition d'utilisation et d'entretien que la sinistralité augmente, car un produit nouveau veut dire aussi un usage bien plus précis ou en tout cas, pas encore bien intégré par l'occupant. C'est difficile à chiffrer. Les assureurs, qui ont pour vocation de chiffrer un risque par rapport à la connaissance du passé, sont bien démunis par rapport au risque d'innovation. Ils ont besoin d’un procédé de certification et des outils de normalisation des risques intégrant bien ces quatre dimensions.

Des avis techniques européens parfois n'intègrent pas les conditions d'analyse de risque sur la mise en œuvre, présents dans la règlementation française.

Pour les conditions d'usage, même si l’on dispose d'un système qui nous permet de faire l'analyse de risque sur ces quatre axes, conditions de mise en œuvre, d'utilisation et d'entretien et conception, durabilité du produit, il y a une difficulté : celle d'organiser le plus rapidement le retour d'expérience.

On vient de voir des sinistres émergeants arriver, et nous sommes face à un risque qui va se développer. C'est aujourd'hui à l'AQC, l'Agence qualité construction, d'organiser ce recueil d'informations et de le diffuser. Elle ne tue pas le produit, elle le met simplement en observation. Le produit n'est alors plus considéré comme assurable de manière automatique, sans déclaration auprès de l'assureur, mais reste assurable avec cette déclaration. Je n'ai pas insisté suffisamment sur tous les procédés autres que l'avis technique. Pour bénéficier d'une solution d'assurance, il y a le Pass’innovation, l'enquête de technique nouvelle.

M. Etienne Crépon. Quelques éléments de réaction par rapport à l'intervention de Monsieur Sidler. Globalement je suis assez d'accord avec vous. Vous avez raison, de la même manière que nous avons lancé une modernisation du procédé avis technique, et qu'il faudra aller plus loin, la ministre l'a clairement demandé lors du salon ECOBAT au CSTB et à ses services, nous devons lancer une modernisation et accélérer la procédure titre V, avec une question de fond, que nous n'avons pas abordée ce matin : lorsqu’ un produit innovant veut rentrer sur le marché et la règlementation, qui fait les études ? Est-ce l'industriel ou l'État ? Des dossiers de procédés titre V, agréés, n'ont pas été montés par l'industriel, mais par mes équipes. Je suis très heureux de l'avoir fait, car cela leur a permis de se développer, mais il y a là une vraie question de stratégie industrielle pour le pays. Est-ce à l'industriel de faire les études et à démontrer la performance de ses produits, ou est-ce à l’administration de décider, tel produit se met sur le marché, le contribuable devant financer les études nécessaires. Nous sommes dans un système mixte : dans certains cas, c’est l'industriel, dans d'autres, ce sont mes équipes, qui ont été amenés à faire une partie de la constitution des dossiers. Cette question doit être tranchée.

M. Olivier Legrand. La ouate de cellulose a été mise en observation dans les conditions évoquées par Monsieur Figarella. Suite à cette mise en observation, nous avons engagé des travaux très importants avec l'AQC, qui aboutissent enfin. Mais ce qui m'a le plus surpris est d’avoir été mis devant le fait accompli du communiqué de presse sans possibilité d'échanger avant cette soudaine déclaration officielle. Bien que la couverture d'assurance n'ait pas été remise en cause, en termes de communication, c'est un peu comme si une agence de notation avait lancé une information sur le marché. Cela a impacté directement le secteur, qui est mono-produit. Nous l’avons vu immédiatement dans les ventes, et les conséquences ont été dramatiques. Cela aurait pu être évité, encore une fois, par une discussion préalable, pour faire ce que nous sommes en train de faire : remettre les choses dans le bon sens.

M. Jean-Yves Le Déaut. Pour avoir suivi ce dossier au jour le jour, je dirais officiellement que nous étions comme dans une procédure de jugement où la personne ne savait pas qu'elle était jugée, donc elle n'avait pas d'avocat. Et si nous sommes effectivement saisis d'une demande d'étude, nous prendrons ce cas pour essayer d'illustrer le procédé. J'ai alerté les directeurs de Cabinet des deux ministres concernés le jour même où je l'ai su. Tout s'est passé comme si un procès avait lieu sans avoir les sources, et sans que la personne mise en cause puisse présenter son argumentation. Si la démarche avait été plus contradictoire, nous en serions peut-être arrivés au même résultat, mais nous ne pouvons pas le savoir.

M. Laurent Thierry. Je veux juste corriger ce qu'a dit Monsieur Crépon. Actis n'est en procès avec personne, ni avec la CCFAT, ni avec qui que ce soit, et il y a à ce propos de la désinformation. J'ai lu dans la presse que l'Autorité de la concurrence enquêtait sur un abus de position dominante incriminant le CSTB en lien avec ISOVER et le FILLM qui est présent ici, mais Actis n'est engagé dans aucune procédure de justice liée à cette affaire.

M. Olivier Cottet. On a évoqué dans ce débat les freins à l'innovation. Je voudrais parler aussi des moteurs de l'innovation, puisque le programme Homes est un programme de recherche. Il avait aussi pour mission d'évaluer comment les normes, règlementations, etc. pouvaient faciliter le développement de l'efficacité énergétique des bâtiments. C'est l'objet d'un petit recueil et d'une liste de recommandations qui ont été édités dans le dernier jeu de documents qu'il nous fallait livrer au terme du programme, et que je mets à la disposition de l'Office parlementaire. Je résumerai en quelques mots, qui vont recouper ce qu'a dit Monsieur Sidler. Il faut, en particulier sur les bâtiments existants, changer de paradigme et ne pas chercher exclusivement l'efficacité énergétique du bâtiment lui-même, mais plutôt faire de l'efficacité et de la performance énergétique dans le bâtiment, c'est-à-dire en travaillant sur les processus industriels, sur les machines tertiaires, les produits bruns, les produits blancs, bref, inciter les acteurs du bâtiment, les opérateurs, à travailler sur l'amélioration permanente, régulière, motivée, de cette efficacité énergétique. Il faut peut-être pour cela introduire la notion d'« energy manager », de gestionnaire de l'énergie, comme il y a un gestionnaire de la sécurité en la personne du chef d'établissement. Pour les politiques publiques, il conviendrait d'accompagner ces évolutions par un effort de simplification conséquent, de parler de la performance réelle tous usages, et de ne plus se focaliser sur les éléments conventionnels de la consommation énergétique.

M. Robert Menras, société Actis. Je voudrais intervenir sur les agréments techniques européens. Pour répondre à Monsieur Figarella, le processus pour obtenir un agrément technique européen oblige à répondre aux six exigences essentielles liées à ce marquage CE. Vous les connaissez certainement mieux que moi, on peut les lister. Une fois cela mis en œuvre, toutes ces exigences essentielles sont vérifiées par un organisme indépendant notifié, un membre de l’EOTA, qui va faire tous les tests et savoir si ce produit répond aux exigences pour avoir ce marquage CE. Ce n'est pas le fabricant, c'est un laboratoire extérieur indépendant qui fait tous les tests et les certifie. Ensuite, l'agrément technique européen, rédigé et officialisé au niveau de l'EOTA, est transmis à tous les états membres pour que ces derniers se prononcent, pour dire si l'ATE est conforme à la règlementation nationale, et s'il ne pose pas de problème de sécurité pour la mise en œuvre dans les ouvrages. Donc en principe vous devez avoir en tant qu'assureur toutes les réponses à ce niveau. Si vous entrez dans un système d'ATE, système d'évaluation n°1, le fabricant s'engage à ce que l'organisme notifié vienne dans l'entreprise deux fois par an faire des prélèvements, refaire des tests qui sont, pour les isolants, des tests de résistance thermique et de réaction au feu. Ensuite il vérifie le système de management de la qualité de la société. Tous ces éléments doivent participer très rapidement à satisfaire les besoins de l'ensemble des intervenants qui interviennent dans l'acte de bâtir, et donc les assureurs. Pour resituer cette démarche par rapport à l'accès au marché, une fois que vous avez un ATE et que vous avez satisfait à toutes ces conditions, on vous dit en France : si vous voulez être éligible au certificat d'économie d'énergie, c'est-à-dire en pratique si vous voulez accéder au marché, car si vous ne pouvez prétendre au certificat d'économie d'énergie, l'utilisateur final ou le bénéficiaire final se prive d'un montant de subvention de 30 et 50% du coût du produit, il vous faut un ACERMI. Donc un produit innovant remplissant les conditions européennes pour arriver sur le marché n'est pas directement éligible au certificat d'économie d'énergie. Dans un système concurrentiel tel qu'il est aujourd'hui, c'est un obstacle très pénalisant, car pour obtenir un ACERMI, il faut attendre un an de plus, alors que vous avez déjà attendu parfois trois ans pour avoir l'ATE ; cela fait beaucoup de handicaps pour arriver à rentrer sur le marché. Je m'adresse à Monsieur Crépon : l'administration, et notamment la DGEC, pourrait-elle faire en sorte que des agréments techniques européens qui rentrent dans le système d'évaluation n°1, soient éligibles au certificat d'économie d'énergie, alors qu'en l'état actuel ils ne le sont pas. . Voilà une question très pragmatique en termes de soutien à l'innovation.

M. Pierre-Louis François. Monsieur Crépon a posé une vraie question : qui rédige les demandes de certification ? Quand ce sont les industriels, sur un produit innovant, par nature et c'est bien normal, l'administration veut s'assurer de la performance. Et les résultats des essais faits par l'industriel, même avec un organisme supposé indépendant, sont contestés dans la majorité des cas. Il n'y a pas de confiance a priori. C'est par exemple ce qui s'est passé sur la domotique. On nous a dit : vous avez fait des essais, dans le cadre du programme Homes, par exemple. Mais cela ne suffit pas. S'agissant des pompes à chaleur double service (chauffage, eau chaude), je remercie la DHUP d'avoir d'elle-même pris l'initiative de travailler sur le sujet, car nous étions dans une vraie impasse ; vous avez fait le travail qui normalement n'était pas de votre responsabilité. Mais si nous proposons un produit innovant, presque systématiquement les administrations nous disent : pourquoi vous croirait-on ? Et du coup, on perd comme cela en discussion un an, un an et demi, comme c'est le cas par exemple en domotique. Il y a un manque de dialogue ou de confiance réciproque, qui peut durer deux, trois ans…Je ne sais pas comment faire.

M. Etienne Crépon. Merci de saluer le travail que nous avons fait pour aider à l'obtention du titre V des pompes à chaleur. Ceci étant, je suis totalement conscient que la procédure du titre V, qui a été mise en place sur la RT 2005, moins exigeante que la RT 2012, doit être revisitée pour mieux prendre en compte le processus d'innovation, être plus dans une logique tout à la fois de confiance vis-à-vis des industriels mais aussi de garantie vis-à-vis des acteurs de la chaine de construction. Il s'agit de montrer que le procédé est bien à la hauteur de ce qui est annoncé. Je pense que nous avons, de part et d'autre, des marges de progrès réels.

S'agissant de la demande du représentant de la société Actis, j'ai interrogé mes collègues de la DGEC. Il s'agirait d'introduire dans le cadre de la règlementation sur les certificats d'économie d'énergie un ACERMI ou quelque chose d'équivalent, à charge pour l'industriel d'apporter les éléments. Cette question fait l'objet de réflexions dans le cadre de la future génération des certificats d'économie d'énergie.

M. Olivier Siedler. Je voudrais soulever un autre problème dans la suite de ce qu'a indiqué Monsieur Vérité en rappelant une règlementation de 1974. Il y a un texte de 1979, qui concerne la limitation des températures intérieures dans les logements. J'en parle car je tourne en rond à la recherche d'une réponse depuis des années, et pour une fois nous avons des parlementaires en face de nous : j'aimerais leur poser le problème. En France, la température est plafonnée à 19 degrés, c'est l'article R131 du code de la construction. Le calcul réglementaire est légitimement fondé sur ces 19 degrés, et quand on fait des campagnes de mesure dans les bâtiments performants, évidemment on trouve des températures supérieures : 21, 23, voir 23,5 degrés récemment. Dans ces bâtiments type BBC, 1 degré de plus équivaut à 15 % de plus de consommation, et pour le BPOS, bâtiment à énergie positive, cela va être 20 %, voire encore plus. Donc avec 2 ou 3 degrés de plus, il va y avoir 50 % de consommation de plus, et l'on va dire que cela ne marche pas. Or ce n'est pas le bâtiment qui ne marche pas, c'est ce qui se passe à l'intérieur. Si je vous saisis, et c'est vraiment aux Parlementaires que je m'adresse, c'est parce que nous avons des textes que nous devons appliquer ; sauf que tout le monde dit qu'on ne va pas les appliquer. Les gens font ce qu'ils veulent. Moi, j'ai toujours un problème devant cela, parce qu'en suivant ce principe, à la limite moi demain j'achète un semi-remorque, et je roule à gauche, – je m'en fous, je ne crains rien avec un semi-remorque –, je ne respecte pas le code de la route : où s'arrête-t-on alors dans le non-respect des textes ? Soit la France ne veut pas respecter les 19 degrés, qui sont parfaitement viables, sauf qu'il ne faut alors pas être en liquette, – or, les gens indiquent dans les questionnaires qu'ils sont en T-shirt l'hiver, et c'est peut-être le problème –, soit on respecte ces 19 degrés. Mais si le texte n'est pas respecté, alors il faut le supprimer. On ne peut pas continuer à avoir un texte que personne ne respecte, qui est la base de tous les dérapages de consommation, et de ceux du bilan énergétique de demain.

M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST. Vous faites le distinguo certainement entre les chauffages individuel et collectif. Quand nous avons discuté au cours de l'examen de la loi Grenelle de cette affaire-là, il s’agissait bel et bien d'un problème concernant le chauffage collectif, car les gens ouvrent les fenêtres plutôt que de fermer le robinet du radiateur quand ils ont trop chaud. Je ne vois pas la solution, sauf à permettre aux policiers de rentrer, vérifier la température et verbaliser. Faut-il en arriver là ?

M. Hugues Vérité. Je voulais simplement renforcer la remarque de Monsieur François sur nos industriels. Le Gimelec représente 50 % de PME 20% de multinationales et le solde est formé d'entreprises de taille intermédiaire. Notre terrain de jeu est le monde. Nous sommes dans la mondialisation, exportateurs nets. C'est un vrai enjeu de s'inscrire durablement dans un marché européen intégré; or le certificat d'économie d'énergie est une invention française reprise dans la directive d'efficacité énergétique. Donc nous avons une bonne carte à jouer dans une Europe de plus en plus intégrée, car nos industriels ont déjà fait l'effort essentiel pour s'adapter, et nous pensons qu'il ne manque pas grand-chose pour que nous soyons euro-compatibles, intégrés dans un marché très dynamique. S'ils sont freinés dans leur élan, nous risquons d'avoir des effets de bord un peu négatifs en ce qui concerne la localisation d'activités productives.

M. Philippe Haim. Par rapport à l'intervention de Monsieur Sidler, un point extrêmement important, je l'évoquais tout à l'heure, est le fait de mettre le ménage au centre de sa relation avec la performance du logement et l'énergie. Dans un logement très faiblement déperditif, son comportement a un impact considérable. Pour le faire évoluer, on peut jouer sur la température de consigne, ou sur l'utilisation des équipements. C'est un aspect que nous devrions mettre au centre des règlementations à venir, notamment la règlementation thermique 2020.

Un petit commentaire qui a trait plutôt à la précédente table ronde, je demanderai à Madame Vu de vérifier ses chiffres, car ceux dont je dispose sur les parts d'énergie dans le logement BBC-Effinergie entre la maison individuelle et le collectif, ne sont pas du tout ceux-là.

M. Brigitte Vu. Ce sont des chiffres que j'ai tirés d'Effinergie, donc je pense, relativement fiables.

M. Philippe Haim. J'ai la brochure avec moi, je n'ai pas du tout les mêmes chiffres.

M. Jean-Yves le Déaut. Je voudrais poser une question qui a été abordée, mais peut-être pas suffisamment, sur l'organisation de l'expertise collective. Nous avons eu la même longue marche vers la transparence, il y a vingt ans, dans le secteur nucléaire, jusqu'au rapport que j'avais écrit au Premier ministre il y a 12 ou 13 ans. Ici nous nous retrouvons dans des problématiques un peu identiques.

N'est-on pas parfois dans le cas du « contrôleur contrôlé », et du conflit d'intérêt, quand, dans les commissions, même pluralistes, qui traitent des questions de moteurs de calculs règlementaires, interviennent des mises à disposition d'employés de grandes sociétés ; ces circonstances risquent d'interférer avec les conditions de réalisation des calculs règlementaires. On nous dit que c'est normal, puisqu'il s'agit de personnes qui connaissent la technique. Mais à travailler sur ces moteurs de calcul, donc à la base de l’élaboration de la règlementation, n'a-t-on pas tendance à favoriser une solution qui finalement va favoriser l'entreprise pour laquelle on travaille ? Je le répète, ce genre de situation s'est rencontrée dans d'autres secteurs; personne ne doit se sentir visé autour de cette table. Donc, avons-nous une organisation de notre expertise collective satisfaisante ? Je dis cela parce que Monsieur Crépon nous a indiqué une évolution.

M. Étienne Crépon. Je pense que vous faites référence à l'élaboration de la règlementation thermique 2012. Élaborer une règlementation conduit à un très haut niveau d'expertise. Soit l’on a des systèmes très frustres, soit l'État se donne les moyens de bénéficier des expertises des uns et des autres pour être au plus près de la réalité. La transparence pour des sujets à très fort enjeu, est assurée par le processus de concertation, la durée de la concertation.

Le travail qui a été fait sur l'élaboration de la règlementation et sur celle des moteurs de calcul, au travers de groupes de travail totalement ouverts, de conférences consultatives avec l'ensemble des partenaires ayant la possibilité de s'exprimer et d'apporter leurs propres simulations, de les faire contre-expertiser par des bureaux d'études indépendants financés par l'État, est pour moi la garantie de cette transparence.

Il n'y a pas de meilleure solution pour produire et mettre quelque chose sur la table, que de le faire de façon totalement ouverte et que chacun ait la possibilité et le temps de le contre-expertiser, de faire valoir ses arguments, et que ceux -ci soient ré-ouverts. La posture du ministère de la construction a toujours été de dire : oui, nous avons fait appel à un expert venant d'une société. Nous avions clairement indiqué à ses principaux concurrents que s'ils souhaitaient, contre remboursements, mettre à disposition un expert, nous étions tout à fait prêts à accepter. Il n'y a pas de choix d'une filière par rapport à une autre.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais vous saluer Madame la ministre. Nous avons beaucoup parlé d'innovation technologique. Nous avons une toute dernière question ; je ne sais pas sur quel thème elle porte. Je ferai ensuite une rapide conclusion puisque mon collègue Bruno Sido a fait l'ouverture. Enfin, nous vous laisserons, Madame la ministre, la parole.

M. Luc Floissac. Ce n'était pas vraiment une question, mais une observation concernant le désordre à la livraison. Au cours d'une réunion récente, des assureurs ont avancé un chiffre : en France, ces désordres représentent 7 % du coût du bâtiment. Pour les filières biosourcées, que ce soit la paille ou le chanvre, l'Agence Qualité Construction nous a demandé de mettre en place des fiches d'autocontrôle de chantier, qui permettent d'avoir un retour sur ce qui se fait sur le chantier, par ceux-là même qui exécutent le travail, ce qui leur permet d'améliorer leurs compétences. Cela pourrait être généralisé à tout le système constructif, industrialisé ou pas, car nous avons un problème de qualité de main-d'œuvre en France. Quand on compare avec l'Allemagne, ou pire, l'Autriche, on voit le fossé qui sépare le niveau des qualités moyennes de main d'œuvre entre les pays. Je termine par une petite suggestion qui peut être très économique, à propos des labels : il serait envisageable pour la réhabilitation de mettre en place un label basé sur le constat de la consommation d'énergie à partir des factures, sur la base d'une instrumentation minimale à convenir, les gens s'étant débrouillés comme ils veulent pour la réhabilitation. On pourrait ainsi constater la réalité des consommations d'énergie réalisées.

M. Jean-Yves Le Déaut. Madame la ministre, avec l'Office parlementaire, représenté actuellement par son président Bruno Sido, puisque nous avons une alternance des présidences qui n'est pas dans la loi mais dans les faits entre l'Assemblée et le Sénat, nous avons voulu contribuer au débat sur la transition énergétique. Nous avons voulu apporter à ce débat une réflexion sur les économies d'énergie dans les bâtiments, avec comme fil directeur : comment passer à la vitesse supérieure ?

Nous avons traité des objectifs et des instruments de la contribution du bâtiment à la maîtrise de la consommation d'énergie, en posant la question du financement de cette transition énergétique. Les scénarios de l'Ademe ou de NégaWatt montrent qu'il faut accélérer le processus si l'on veut respecter les objectifs que nous nous sommes fixés.

D'autres instances de l'Assemblée pourront aborder cette même question avec leur point de vue. Pour sa part, l'Office parlementaire fait le lien entre objectifs politiques et solutions technologiques sur tous les sujets : biotechnologies, technologies de l'information et de la communication, nucléaire, et je fais en particulier le parallèle entre les évolutions passées concernant l'organisation de l'Autorité de sûreté nucléaire et celle de la surveillance et de la radioprotection, et celles qui devront s'appliquer aux secteurs qui sont en train d'émerger.

Nous avons donc parlé de l'innovation technologique, et c'était important, car celle-ci doit nous permettre à la fois de contribuer à nos objectifs, ce à quoi s'appliquent de grandes sociétés depuis longtemps, et de faire émerger des nouvelles entreprises qui pourraient créer des emplois. En abordant cette question, nous avons tout de suite buté sur un problème, celui des normes et des certifications. La nécessité d'améliorer les procédures a été reconnue y compris par les directeurs des ministères concernés. La preuve en est que des petits industriels ayant eu des difficultés dans le passé nous ont fait part d'une amélioration, bien que j'aie noté l'observation de tout à l'heure : quelqu'un a dit qu'il était présent à notre précédente audition sur le sujet il y a deux ans, et que depuis rien n’a avancé. Mais d'autres participants nous ont dit voir quand même quelques esquisses d'évolution, et je voudrais remercier ceux qui travaillent pour améliorer les choses. Il est notamment ressorti de nos échanges la nécessité d'améliorer la transparence, d'accélérer les vitesses d'instruction, en dépit du fait qu'on ne connait pas exactement la manière dont va être appliquée une nouvelle technologie ; il faut gérer des problématiques de sécurité et de sûreté pour le consommateur, définir les conditions d'une couverture par les assurances. Les PME demandent une simplification des procédures d'accès aux avis techniques, et signalent des frais d'obtention trop élevés. Mais le recours nouveau à la nomination d'un médiateur, quand il y a un problème, constitue un progrès.

Personne ne conteste qu'il faille des procédures de certification. Il est indispensable, pour qu'elles soient suffisamment rapides et efficaces et ne pas devenir un obstacle, qu'elles soient ouvertes aux mesures des caractéristiques des performances in situ, afin que chaque produit ait sa chance dans le créneau qui le concerne. Comme dans le domaine des montres il y a les Rolex, – sans faire allusion à personne –, et les Timex. Chacun peut trouver sa part de marché, et on ne pourrait pas dire dans une norme d’obtention de la certification, que l’on refuserait les Timex parce que le taux de métal précieux y serait insuffisant. À partir du moment où la sûreté et la sécurité sont acquises, c'est le choix des constructeurs pour la combinaison des composants la plus performante du point de vue énergétique, à besoin et budget donné, qui doit faire le succès ou l'échec des produits, et l'on souhaite qu'il y ait succès de nos entreprises françaises. Nous avons entendu tout à l'heure des chefs d'entreprises ici présents nous dire à propos du secteur des pompes à chaleur, qu’il n'y restera bientôt plus que deux sociétés françaises dans quelques temps, et que l'on ira ensuite acheter nos pompes à chaleur en Allemagne ou en Suisse. C'est un cri d'alarme. Il faut que le Parlement répercute, et que le Gouvernement puisse écouter. La certification est immanquablement affaire d'expert. Nous avons évoqué comment organiser cette certification. Elle doit être collective et contradictoire, transparente. Mais comment l'organiser de façon à éviter le biais du contrôlé-contrôleur, et en tenant compte du fait que les PME PMI n'ont pas forcément du temps à consacrer à ce mécanisme d'expertise chronophage, alors qu'il est indispensable qu'elles soient elles-aussi représentées dans les instances de certification ? C'est une difficulté fondamentale. L'Office parlementaire a entendu tout ce qui a été dit. Tout n'est pas technique, ni ne relève exclusivement de la question de l'innovation. L'efficacité énergétique des bâtiments concernent aussi d'autres sujets très différents. Néanmoins la France n'a pas le droit de rater ce volet essentiel de la transition énergétique. L'Office parlementaire va prolonger son investissement sur cette question à travers une nouvelle saisine, puisque André Chassaigne, président du groupe GDR à l'Assemblée, qui était parmi nous tout à l'heure, a indiqué avoir sollicité à cette fin le Bureau de l'Assemblée.

Ce débat s'est passé dans une atmosphère constructive, eu égard aux échos des semaines et des mois précédents, et je voudrais vous remercier, Madame, comme ministre de tutelle des PME-PMI, d'une part, et ministre chargée de l'Innovation, d'autre part, d'être parmi nous aujourd'hui pour nous indiquer les orientations du Gouvernement sur cette question de l'innovation.

Mme Fleur Pellerin, ministre chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Économie numérique. Je remercie l'Office parlementaire, son président Bruno Sido et son Premier vice-président Jean-Yves Le Déaut pour leur invitation à venir conclure cette matinée de réflexion consacrée à un sujet effectivement très important, l'économie d'énergie dans le bâtiment, sujet majeur auquel je sais ma collègue Delphine Batho extrêmement attachée.

J'aimerai vous donner ma vision de ce que doit être notre politique d'innovation, revenir aussi sur un ou deux retours d'expérience puisque je rentre de Corée et du Japon où j'ai eu l'occasion de visiter des villes-démonstrateurs, des smart cities, où la question de la régulation, de la gestion de la maîtrise de l'énergie est au cœur de la réflexion, même si je sais qu'il y a des entreprises extrêmement en pointe sur ces sujets en France, et dont nous n'avons pas à rougir.

Je pense en particulier à l'expérimentation faite par Schneider Electric et, je crois, le groupe Carrefour, pour réduire la consommation d'énergie des supermarchés. Elle a bien montré que l'on peut réduire la facture énergétique de l'ordre de 20 %, en combinant du réseau électrique intelligent, de l'optimisation, du calcul intensif, du Big data.

Je crois que la meilleure source d'énergie renouvelable et la moins chère, c'est bien l'économie d'énergie. Et tout ce que nous pouvons faire pour aller dans ce sens et mobiliser les nouvelles technologies, doit être fait, et vite parce que vous avez raison, la bataille de la standardisation, la normalisation, est une bataille internationale. Si nous sommes absents de ces discussions nous risquons de nous faire damer le pion par des entreprises d'autres pays, et je crois que ce serait fort dommage.

Le contexte me paraît aussi favorable pour venir m'exprimer devant vous puisque demain sera remis le rapport Beylat-Tambourin, que j'ai commandé avec Geneviève Fioraso sur la rationalisation des dispositifs d'aide à l'innovation. Il doit nous permettre d'articuler une véritable politique d'innovation, qui a fait défaut jusqu'à présent à notre pays.

Un mot sur ma vision de l'innovation. Je crois déjà important de souligner que l'innovation concerne tout le monde, pas seulement des « BAC plus huit » et diplômes supérieurs.

Je pense en particulier à ce jeune lycéen de 17 ans qui vient de gagner 30 millions de dollars en vendant son application iPhone à Yahoo, exemple assez frappant qui illustre bien que l'innovation est autre chose que la recherche fondamentale ou la recherche développement. Elle est le résultat d'un processus qui ne se planifie pas. J'aime beaucoup le mot serendipity en anglais, qui veut dire le fait de trouver des choses parfois par chance, malchance, erreur, alors qu'on ne cherche pas forcément cette chose-là, et donc qui caractérise le processus d'innovation.

J'ai été frappée en Corée par la démocratisation des usages. Il n'y a pas de fracture générationnelle, il y a un accès et un usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication à la fois territorialement et générationnellement très diffus. C'est important également de montrer que les nouvelles technologies et l'innovation peuvent être le support d'une politique d'égalité sociale, territoriale.

L'innovation, c'est le fait de trouver un nouveau marché, un nouvel usage, un nouveau bien, d'améliorer un processus de production. Elle doit se faire en continu, et assure la productivité et la compétitivité d'un pays.

Le marketing, le design, sont des éléments qui peuvent conduire à de l'innovation. Une entreprise comme Apple a connu son succès avec le design, le marketing, et avec relativement peu de recherche développement.

Un autre exemple est Nespresso.

Ces entreprises ont été innovantes dans la manière aussi de commercialiser leurs produits ou de le « designer », et je crois qu'il faut avoir cette approche extrêmement aval qui permet d'associer la recherche développement et la préoccupation de l'expérience utilisateur, du marché, du consommateur.

Un autre exemple frappant en Corée, est la possibilité de se connecter partout dans le métro avec une qualité de débit incroyable. Cela me rend très jalouse, mais la Corée et le Japon sont les pays qui ont déployé le très haut débit fixe et mobile en très peu de temps, trois-quatre ans, qui ne sont pas là, à réfléchir à des débits de 100 mégas, mais de 1 giga. Nous passons avec eux à des échelles incroyables, et cette réflexion sur les infrastructures s'accompagne vraiment d’innovation en termes de services et d'usages, qui peuvent être proposés grâce à elles aux citoyens.

L'innovation est au service de la vie quotidienne des gens, très importante pour la qualité des services rendus aux utilisateurs, aux usagers, aux citoyens, mais aussi pour la compétitivité des entreprises.

En France nous avons un paradoxe, nous sommes la cinquième puissance mondiale pour le produit intérieur brut, 6ème ou 7ème selon les années en matière de poids des dépenses de recherche et développement dans le produit intérieur brut, et 17ème en termes d'innovation, mesurée par un indicateur un peu composite que je ne détaillerai pas, mais qui est le nombre de produits de moins de trois ans développés dans les entreprises, et un certain nombre d'autres critères. Il montre bien que, malgré les efforts faits en matière de recherche et développement, nous sommes plutôt mal placés en innovation.

En gros, à l'entrée, nous sommes bons pour les projets de recherche, mais c'est à la sortie, au moment de la commercialisation que nous sommes plutôt moyens. C'est cela qu'il faut changer. Nos efforts doivent se porter dans le lien avec le marché si nous voulons être aussi bons que des pays comme le Japon ou la Corée dans la compétition internationale, qui est rude.

Une fois cette vision exposée, reste à la mettre en œuvre. Ce n'est pas le plus évident. Nous nous sommes déjà attelé à cette tâche dans le cadre du Pacte pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, qui, vous le savez, comporte 35 mesures. La plupart tournent beaucoup autour de cette idée d'une montée en gamme de notre économie, notamment grâce à l'innovation et aux nouvelles technologies. Nous avons fait évoluer la politique des pôles de compétitivité, il est vrai jusqu'à présent plutôt tournés vers la recherche fondamentale, plutôt que conçus comme des usines à projets. Nous essayons de les faire devenir des usines à produits d'avenir. C'est le défi majeur dans les années qui viennent. Ces lieux où s'effectue une recherche collaborative entre des PME, des grands groupes, des laboratoires de recherche, doivent pouvoir traduire ce travail par des produits industrialisables, commercialisables, et susceptibles de rencontrer un marché.

Il faut vraiment changer la façon dont nous concevons ces clusters et ces pôles de compétitivité, pour en faire ces usines à produits d'avenir que nous appelons de nos vœux.

Nous avons défendu un autre élément pendant la campagne présidentielle, la demande très forte des entreprises de croissance, à savoir le crédit impôt-innovation. Il s’agit d’un crédit impôt-recherche étendu aux dépenses d'innovation, dépenses de prototypage, de design, de marketing. Car ces dépenses parfois font le succès d'une entreprise ou de la mise sur le marché d'un produit.

Le crédit impôt-recherche est l'un des premiers atouts de la France en matière d'attractivité pour les pôles de recherche-développement des grandes entreprises, reconnu comme tel par l'OCDE, et beaucoup des pays la composant. Mais il n'est pas suffisant pour assurer l'aval, l'industrialisation de nos produits, et c'est pour cela qu'il était particulièrement important, même si cela était promis depuis longtemps, mais jamais mis en œuvre, d'étendre l'éligibilité des dépenses du crédit d'impôt aux dépenses de prototypages.

Autre mesure prise et en train d’être mise en œuvre : nous nous sommes fixés, pour donner l'exemple, un objectif de 2% de la commande publique réservée aux entreprises, aux PME innovantes. Cela peut paraitre modeste pour un début mais représente plusieurs centaines de millions d'euros, et peut avoir un effet d'entrainement important pour les PME. Le 11 avril, à Bercy, nous ferons sortir les acheteurs publics de leurs bureaux et nous organiserons des espèces de speed dating pour présenter aux acheteurs publics des PME innovantes qui proposent des produits ou des services pouvant répondre à des besoins des administrations.

Il est important aussi de changer la philosophie, la culture d'achat des acteurs publics qui n'ont pas forcément le réflexe de se tourner d'abord vers les PME, et surtout les PME innovantes. Donc en sensibilisant ces acheteurs et en leur permettant des rencontres physiques, nous allons atteindre ces 2 % et créer cet effet d'entrainement pour les PME innovantes.

En exemple, j'ai rencontré, je crois aux universités d'été du MEDEF, une entreprise qui crée des cartes de visite perpétuelles, avec un flash code. Si vous changez de bureau ou de poste, vous pouvez modifier votre carte de visite sur votre ordinateur sans être obligé de la réimprimer à chaque fois. Voilà un exemple d'achat que nous avons fait à Bercy. Il concerne une toute petite start-up, et cela fait partie des 2 % d'achats innovants que nous sommes en train de mettre en œuvre.

Nous devons prendre la mesure de cette urgence pour lutter dans la compétition internationale et ne plus perdre de temps. Tout est réuni pour faire de la France une terre d'innovation. Je ne veux pas me contenter de la 17ème place. Je veux que la France revienne dans les 10 premières nations les plus innovantes. Les exemples étranger peuvent nous inspirer, non pas pour les copier ou les reproduire à l'identique.

Au Japon, j'ai pu constater par exemple que déjà, dans les collèges, on apprend aux jeunes à coder, ou à s'approprier des langages de programmation. On leur fait faire des mini-entreprises, des jeux d'entreprise. Toute cette culture de l'innovation, de l'entreprenariat, mérite d'être diffusée dès le plus jeune âge. Vincent Peillon a exprimé son souhait de rapprocher l'école de cette culture, qui fait partie de la culture générale économique, pour donner le goût de l'audace, du risque à nos jeunes, car l'innovation est un processus risqué, et entre dans un état d'esprit qu'il convient de créer dès le plus jeune âge.

Il y a des efforts à faire tout particuliers en matière de simplification et de délivrance de titres de séjour pour les étudiants étrangers et les créateurs d'entreprises innovantes. Nous sommes en train d’œuvrer avec Emmanuel Valls et Laurent Fabius, pour faciliter l'entrée et le séjour de ces étudiants ou créateurs d'entreprises. D'autres pays, je l'ai vu beaucoup en Allemagne et d'autres pays européens, ont des stratégies beaucoup plus articulées en matière d'accueil d'étudiants étrangers avec des préoccupations sectorielles, géographiques. Je crois que la France mériterait de s'interroger sur la manière de mettre en place une véritable politique qualitative d'accueil, dans certains secteurs où nous pourrions bénéficier de l'apport d'étudiants étrangers.

Faciliter l'accueil, simplifier les procédures, aider les entreprises dans l'accueil de talents étrangers : la notion de brassage de talents est très importante quand on parle d'innovation. Celle-ci en effet n'est pas un processus qui se travaille tout seul en chambre dans son coin, bien que ce soit parfois le cas, mais gagne beaucoup aux échanges coopératifs, collaboratifs, avec des personnes n’ayant pas forcément les mêmes formations ou les mêmes cultures.

Un élément important qui tient beaucoup à cœur à Geneviève Fioraso, est de valoriser tout au long de la carrière des chercheurs leurs investissements dans les activités de transfert de technologie, pour que la recherche soit mieux articulée avec les besoins des entreprises. Geneviève Fioraso a fait une communication au Conseil des ministres conjointement avec le ministère du Redressement productif. Il faut vraiment que l'on poursuive cette valorisation du travail des chercheurs dans le cadre des transferts de technologie ou des activités privées.

Enfin, puisque l'État donne l'exemple en matière d'achats innovants, il est nécessaire d’inciter les grandes entreprises à être aussi vertueuses dans leurs relations avec les PME et les PME innovantes en particulier, donc d'inclure, dans le rapport annuel de leur démarche de responsabilité sociale et environnementale, des critères qui permettront d'objectiver la manière dont elles traitent les PME innovantes. Par exemple, le crédit d’impôt recherche qu'elles perçoivent, leur bénéficient-elles ou pas ? Ces critères permettront d'objectiver des bonnes pratiques dans les relations entre les grandes entreprises et les sous-traitants innovants.

J’en suis convaincue, il nous faut mesurer les résultats de notre politique d'innovation pour nous comparer à d'autres pays et aussi mesurer nos progrès. Aujourd'hui la politique d'innovation n'existe pas en tant que telle, il n'y a pas d’outil budgétaire qui rassemble dans un seul document l'ensemble des dépenses consacrées à l'innovation dans les différentes administrations ou ministères. Il serait utile d'avoir ces données consolidées pour évaluer l'effort des collectivités publiques en cette matière, outil de mesure, de comparaison avec d'autres pays. Voilà quelques orientations qui ont guidé ma politique d'innovation.

Puisque c'était un sujet qui vous intéressait : depuis ma prise de fonction je me suis beaucoup intéressé en partenariat avec Delphine Batho au sujet des « smart grids ».

Ce sujet est beaucoup plus de la compétence de Delphine Batho. Il a été bloqué pendant pas mal de temps, en tout cas le compteur électrique intelligent, pour des raisons liées à la maitrise des données personnelles. À qui appartenaient ces données, à qui étaient-elles communiquées, qui les détenaient ? J'ai pu constater qu’un certain nombre de questions sur ces données personnelles étaient réglées, et que le projet pourrait avancer si l'on trouve des financements permettant de le déployer à grande échelle. Ce sujet est important pour réduire notre dépense énergétique. Je l'ai vu fonctionner dans certains pays, où est développée une espèce de compteur intelligent qui permet à chaque habitant de maîtriser sa dépense énergétique, de la moduler à distance avec son Smartphone en fonction du moment où il est chez lui ou non. Cela permet de responsabiliser nos concitoyens et de réaliser beaucoup d'économies d'énergie.

Une anecdote amusante : j'ai un ami consul à San Francisco, chez qui est installé ce type d’appareil. Un audit a été réalisé à la résidence du consul français grâce à cet appareil, et la société s'est rendu compte que ses dépenses énergétiques étaient monstrueuses, qu’un réfrigérateur hors d'âge y consommait énormément, de même un grille-pain. Et le consul de France a pu réduire sa facture énergétique de 40 %, ce qui est considérable.

Je crois vraiment beaucoup à la nécessité d’expérimenter vite ce compteur intelligent, même si l’on ne peut pas le faire d'une manière généralisée à l'échelle nationale. Dans certaines villes, je crois que Delphine Batho et Nicole Bricq avaient l'idée de faire des démonstrateurs en matière de « smart grid ». Il est indispensable que l'on puisse expérimenter rapidement une combinaison entre ces nouveaux dispositifs, souvent le fruit de start-up, de maitrise collective de l'énergie, de gestion collective des flux énergétiques en fonction des horaires de bureaux, etc. Il y a beaucoup de choses qui permettent de mieux gérer les flux d'énergie. Cela suppose que les collectivités ouvrent des données publiques, utilisent des outils en matière de data mining, enfin captent des données et les traitent avec du calcul intensif. C'est une source à la fois d'amélioration de notre empreinte carbone, mais aussi de réduction de la dépense énergétique collective. Même si cela nécessite des investissements au départ, il y a là un élément de progrès qu'il faut pousser et appeler de nos vœux.

Nous avons, pour réussir ce chantier ambitieux à mettre en place, un atout : les acteurs. J'ai cité Schneider tout à l'heure, j'aurais pu citer Legrand, mais il y en a beaucoup d'autres, extrêmement performants. Il faut utiliser ce potentiel que nous avons pour être leader sur le marché des « smart grids », et pousser beaucoup les promoteurs immobiliers à développer dans les programmes nouveaux tous ces éléments qui permettent de responsabiliser d'avantage les consommateurs et de maitriser d'avantage les dépenses énergétiques. Je m'y emploierai du mieux que je pourrai avec ma collègue Delphine Batho.

M Jean Yves Le Déaut. Merci beaucoup. Je voudrais toutes et tous vous remercier d'avoir assisté à cette réunion de ce matin. Merci Madame la ministre de ce que vous venez de nous dire. Je crois que ces mots sont encourageants, même s'il reste des difficultés qui ont été exprimées, et que les participants auront l'occasion de vous réexpliquer. »

ANNEXE N° 2 :
Compte rendu des auditions consacrées aux énergies de la mer,
le 23 avril 2013

« M. Bruno Sido, sénateur, président. Je suis heureux d’accueillir MM. Frédéric Le Lidec et Daniel Aversbruch. Dans le cadre de sa participation au débat national sur la transition énergétique, l’Office, qui mène régulièrement des études sur les diverses sources d’énergie renouvelables, a souhaité faire un point sur les énergies renouvelables de la mer (énergie hydro-marine, énergie houlomotrice et énergie thermo-motrice – qui peut avoir des applications dans nos territoires ultramarins).

C’est un domaine assez prometteur puisque l’on estime que, pour s’en tenir aux seules hydroliennes, la puissance installée dans le monde serait de l’ordre de 2-3 gigawatts en 2020 et entre 20 et 30 gigawatts en 2030.

Pour notre seul pays, le potentiel d’exploitation est de l’ordre de 2,5 gigawatts (c’est le second en Europe, après celui des îles Britanniques), correspondant à un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros en 2020 et de 10 milliards d’euros en 2030. Les énergies marines renouvelables pourraient ainsi permettre de créer 80 000 emplois directs et indirects en 2030.

Comme assez souvent, nous avons été en avance en France – que l’on se souvienne de l’usine marémotrice de La Rance inaugurée en novembre 1966 par le général de Gaulle et qui est restée pendant 45 ans la plus puissante au monde. Mais depuis nous avons pris du retard, que nous commençons à combler.

M. Aversbuch va nous parler de l’état du développement technologique des filières énergies marines renouvelables. Puis M. Le Lidec évoquera les aspects économiques et industriels associés à leur développement.

M. Daniel Aversbruch, responsable de programme à l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). Je vous remercie de me permettre de m’exprimer lors de cette audition. Je procèderai à une revue de l’état d’avancement des différentes sources d’énergie marine renouvelable, avec les enjeux correspondants.

On distingue traditionnellement quatre filières : l’éolien offshore (en mer) flottant, l’énergie des courants (hydrolien), l’énergie thermique des mers (ETM) et l’énergie des vagues (houlomoteur). Je ne parlerai pas des autres énergies renouvelables marines : énergie marémotrice (principe du barrage alimenté par les marées), énergie déjà mature mais possédant peu de perspectives de croissance ; éolien offshore posé (exploitation par faible profondeur d’eau de l’énergie cinétique du vent), technologie en cours de déploiement industriel ; et les gradients de salinité (exploitation de la différence de concentration en sel entre l’eau douce et l’eau de mer), technologie pour le très long terme.

L’offshore flottant exploite l’énergie cinétique du vent au-delà des profondeurs accessibles par l’éolien offshore posé ; elle est une source variable en fonction du vent et non prédictible. L’hydrolien exploite l’énergie cinétique des courants de marée ; il s’agit d’une source d’énergie variable mais très prédictible. L’énergie thermique des mers (ETM) exploite la différence de température entre eaux de surface et de profondeur ; c’est une source d’énergie stable. L’houlomoteur exploite l’énergie cinétique et potentielle des vagues ; c’est une source variable dans le temps.

Ces ressources sont d’ampleur et de répartition spatiale variées. L’éolien offshore flottant exploite des vents plus forts et plus réguliers loin des côtes. La France dispose d’avantages certains dans ce domaine avec ses façades atlantique et méditerranéenne. Le potentiel mondial est estimé à plus de 10 000 térawatts-heure par an (TWh/an). L’hydrolien exploite des courants de marée de vitesse supérieure à 2-3 m/s, situés dans des zones très localisées. Le potentiel mondial est estimé à 500-700 TWh/an. L’énergie thermique des mers nécessite des différences de température de plus de 20 °C et est localisée dans les zones tropicales. Les DOM-COM français sont bien placés. Le potentiel mondial est estimé à plus de 10 000 TWh/an. L’houlomoteur exploite des zones à forte densité d’énergie incidente. La façade atlantique française est favorablement positionnée, avec une puissance transportée par mètre de front – c’est-à-dire par mètre perpendiculaire à la direction de propagation des vagues – de 45 kW/m. Le potentiel mondial est estimé entre 700 et 2 000 TWh/an.

Ces quatre grandes filières sont également très diverses en termes de technologies et de degré de maturité. Les éoliennes offshores flottantes font l’objet de nombreux projets (20-30), avec un fort effet post-Fukushima. Deux machines de démonstration de puissance 2 MW sont installées. La puissance des machines à échelle industrielle devrait s’établir entre 2 et 5 MW, voire plus. Aucun consensus n’existe sur les technologies, tant au niveau des éoliennes que des flotteurs, avec une première génération visant l’adaptation d’éoliennes conventionnelles au positionnement flottant. Des entreprises françaises sont actives dans ce secteur, avec par exemple DCNS, Technip et Nenuphar. L’énergie des courants fait également l’objet de nombreux projets (plus de 50). Plusieurs sont parvenus au stade de démonstration pré-commercial. La puissance des machines devrait s’établir entre 500 kW et 2 MW. Les technologies convergent plutôt vers des machines à flux axial, aujourd’hui à un stade pré-commercial.

Les acteurs de la filière de l’énergie thermique des mers sont beaucoup moins nombreux, avec notamment DCNS et Lockheed Martin. Les quelques projets actifs en sont encore au stade de pilote. La puissance unitaire devrait être de l’ordre de 10 MW. Il s’agit donc d’une technologie utilisant divers cycles thermodynamiques, qui n’a pas encore atteint le stade de la maturité et qui serait adaptée à des marchés à coût local élevé de l’énergie. La quatrième filière représentée par l’énergie des vagues a connu de très nombreux projets (plus de 200) depuis les années 1970. En raison de la complexité de l’exploitation de cette forme d’énergie, quelques projets seulement sont à un stade préindustriel, essentiellement près des côtes (near-shore). La puissance des machines devrait être entre 100 kW et 1 MW. Les concepts sont nombreux et très différents mais se ramènent tous à des oscillateurs mécaniques excités par les vagues.

Les enjeux de ces quatre filières en termes de recherche et développement (R&D) sont spécifiques. L’éolien offshore flottant repose sur la conception d’un ensemble turbine / flotteur / ancrage optimisé et sur une simulation multi-physique couplée (aéro-élastique, hydrodynamique, électrique, mécanique…). L’énergie des courants est tributaire des structures de maintien (fondations) et de la maintenance des hydroliennes ; les interactions entre les effets du courant et de la houle doivent être prises en compte. L’énergie thermique des mers (ETM) suppose la conception et la tenue de la conduite d’amenée d’eau froide de quelques mètres de diamètre, sans commune mesure avec ce que connaît l’industrie pétrolière. Elle repose sur des échangeurs thermiques résistants à l’encrassement (fooling) et une efficacité du cycle thermodynamique. L’énergie des vagues nécessite une robustesse des systèmes de récupération de l’énergie, une capacité de production optimisée par des systèmes de contrôle actif adaptés et des outils d’analyse technico-économiques permettant d’identifier les concepts les plus prometteurs.

Les enjeux transverses sont multiples : l’évaluation et la caractérisation adaptée de la ressource (vent, houle, courant et interactions), la simulation du comportement à l’échelle de la machine et du parc, le raccordement électrique, la validation par l’institut d’excellence en énergies décarbonnées (IEED) « France énergies marines » au moyen d’essais en mer (démonstrateur, puis ferme pilote), l’évaluation des conséquences environnementales et enfin l’acceptation sociétale.

Les niveaux de maturité des quatre filières sont très divers. L’éolien offshore posé domine le marché et le dominera encore plusieurs décennies. Dans 10 ans, l’ensemble des autres technologies pourraient représenter la même ampleur que l’éolien offshore posé. Dans l’ordre de vitesse de croissance, on devrait trouver l’éolien offshore flottant, ensuite l’houlomoteur et l’hydrolien, puis loin derrière les ETM (sauf accélération résultant d’une rupture technologique).

En conclusion, nous sommes en présence de technologies très diverses permettant d’exploiter les ressources associées aux énergies marines. Les filières associées à chaque ressource sont à des degrés de maturité différents. L’intégration sur le réseau de certaines filières (hydrolien, ETM) peut être facilitée par une production prédictible ou stable. Les enjeux industriels et énergétiques en métropole et en outre-mer sont importants. La France possède des atouts propres : ressources énergétiques, expérience industrielle dans des domaines connexes (offshore pétrolier, construction navale, énergéticiens…), des infrastructures portuaires et un tissu de R&D. Un effort de R&D est encore nécessaire pour faire de la France un leader dans le domaine.

M. Frédéric Le Lidec, directeur délégué de l’Unité énergies marines renouvelables du groupe DCNS. DCNS est une entreprise française publique vieille de 400 ans, elle a été créée par Richelieu pour construire des bateaux militaires. Société anonyme depuis 2003, elle est détenue depuis 2007 par Thales à hauteur de 35 %. Elle emploie environ 12 000 personnes et son chiffre d’affaire s’élève à environ 4 milliards d’euros. Actuellement ce chiffre d’affaire résulte quasi exclusivement de l’industrie navale militaire ; à échéance de 2020 le chiffre d’affaire devrait s’élever à 5 milliards d’euros, avec un tiers dans l’industrie navale nationale, un autre tiers dans l’industrie navale exportée et un tiers produit dans le secteur de l’énergie. La mer est en effet l’avenir de la planète.

Nous sortons actuellement de la phase de laboratoire pour entrer dans celle de la maturité, qui dépend des différentes technologies. Pour ce qui est de l’hydrolien, nous commençons à sortir de la phase de R&D pour nous mettre en situation de capacité de développement commercial. La France fait la course en tête, avec plusieurs acteurs de poids, les industriels de DCNS étant les seuls à développer de front les quatre grandes filières technologiques.

Le développement de ces technologies se fera en trois étapes avec des enjeux différents. Le premier enjeu est d’ordre purement technologique, pour faire des démonstrations à l’échelle unitaire dans les quatre filières ; c’est fait. Le deuxième enjeu est industriel, celui de la ferme pilote, pour faire marcher toutes ces machines ensemble avec un coût de l’énergie pertinent et un développement commercial. Il s’agira ainsi de produire à Cherbourg 100 hydroliennes par an, donc tous les deux jours une machine de la taille d’un immeuble de sept étages.

Une nouvelle industrie va naître d’ici à quelques années. Le stade de la commercialisation est prévu entre 2016 et 2018. La France est le seul pays avec les États-Unis à être présent dans tous les segments ; elle est l’actuel leader mondial, avec plus de 500 millions d’euros d’investissement par an. Les industriels français occupent la première place mondiale sur l’énergie thermique des mers. Sur l’éolien flottant, la France a 3 projets parmi les 5 premiers au monde. Pour l’hydrolien, la France a 2 projets parmi les 5 premiers, qui ont été rachetés à des entreprises étrangères. La France est également bien placée pour l’houlomoteur, avec 2 projets parmi les 10 premiers. Il n’est donc pas vrai de dire que nous marquons le pas. L’effort de développement technologique, public et privé, est conséquent. Nous attirerons l’industrie en France si nous avons un minimum de visibilité sur un marché de démonstration, puis sur le marché national.

Nous avons le sentiment que le marché sera très international, tourné vers l’exportation, mais il faudra au préalable faire ses preuves en France sur des fermes pilote, au plan industriel et commercial. Nous créons ainsi de nouvelles industries de « cols bleus » avec deux caractéristiques à prendre en compte en considérant que seuls les premiers sur le marché gagneront : les clients énergéticiens sont des investisseurs financiers, par nature conservateurs, et auront confiance dans les premières machines en fonctionnement ; le fait d’avoir une ferme commerciale donne une visibilité suffisante pour investir dans une usine, avec une production en série nécessitée par la taille des engins et un atout économique à produire près de la ressource. La courbe d’apprentissage fait que plus on produit, plus on est compétitif et plus on gagne des marchés.

La carte de la planche n° 3 représente en bleu marine les pays qui ont investi dans des projets à un stade commercial et en bleu clair ceux qui ont investi dans des projets pilote en R&D, sur les quatre filières. Nous voyons que les expressions d’intérêt se multiplient à l’échelle de la planète. Les développements à l’exportation seraient grandement facilités par une démarche de diplomatie des énergies marines. Rares sont les pays (moins de 10) capables de simultanément mener les études d’acceptabilité, mettre en place les financements, identifier les ressources et mener les opérations de concertation publique. Moins de 10 % du potentiel mondial a fait l’objet d’études détaillées. Or nous avons identifié plus de 150 pays qui mériteraient d’être aidés par la France pour accompagner leur développement.

La France dispose de compétences scientifiques, techniques et industrielles sur toute la chaîne de la valeur. Nous disposons en France d’une capacité très étendue pour offrir clé en main des solutions pour des parcs sur toute la planète. Nous sommes capables de construire ensemble, avec le soutien de l’État, une offre française à l’international, permettant de faire la course en tête.

En conclusion, je redirais que nous ne sommes pas en retard et que nous pouvons être optimistes. Le Royaume-Uni a donné un peu plus de visibilité aux industriels, avec des concessions, des ressources et un marché accessible. Mais la course reste ouverte pour le développement de vraies filières industrielles exportatrices, avec des usines implantées sur notre sol. Nous devons nous donner la possibilité de nous développer, en commençant par le marché national de démonstration.

M. Bruno Sido, sénateur, président. Je vous remercie pour vos présentations. Je lancerai le débat par deux questions. Est-ce que le développement de la filière pourrait être freiné par des concurrences d’usage – en particulier avec la pêche ? L’expérience acquise par l’exploration pétrolière en mer (offshore) peut-elle être mise à profit aussi bien en termes de maintenance des installations que de résistances aux agressions de l’environnement marin ?

M. Roland Courteau, sénateur. Je voudrais savoir pourquoi, quand on parle d’hydroliennes, on ne cite jamais la mer Méditerranée, alors qu’elle dispose de très forts courants. Toujours dans la mer Méditerranée, on parle d’éoliennes flottantes dans le golfe du Lion, mais pourquoi pas d’éolien posé ? Enfin je rappellerai que la récente modification de la « loi littoral » du 3 janvier 1986 par loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, issue d’une proposition de loi, permet le branchement de l’éolien offshore en ligne directe, sans prolongement ni contournement.

M. Marcel Deneux, sénateur. Pourriez-vous nous dire pourquoi on ne va pas plus vite, y a-t-il un goulet d’étranglement ? Qui est venu dans le capital de DCNS et à quelle hauteur ?

M. Frédéric Le Lidec. Il y a potentiellement trois freins environnementaux. Il faut travailler avec un énergéticien, sinon il n’y aura pas de marché. Il faut travailler avec les autorités nationales, locales et européennes pour que l’ensemble des règles nous permettent de déployer les machines. Enfin il faut, outre la rentabilité économique et la création d’emplois, que le projet présente un bilan environnemental positif. Nous prenons en compte l’acceptabilité sociétale dès l’origine des projets. Nous nous lançons dans les éoliennes flottantes car au grand large les vents sont plus forts et nous réduisons les conflits d’usage avec les pêcheurs, les zones Natura 2000 et militaires, les radars d’aéroports, etc.

M. Daniel Aversbruch. L’expérience de l’offshore pétrolier, datant de plus de 50 ans, est utile pour l’offshore flottant. La problématique de l’éolien flottant est d’empêcher que le flotteur ne bascule sous l’effet de la poussée du vent. Nous utilisons trois grandes familles de techniques qui viennent de l’exploitation pétrolière : plateformes à lignes tendues (ancrage) ; systèmes « spare » avec des masses déposées à une grande profondeur ; et plateformes semi-submersibles, de plus grande ampleur, qui sont plus polyvalentes (versatile) et ont d’autres avantages. Il faut donc des systèmes d’ancrages par câble. L’arsenal des solutions techniques existe déjà, avec les technologies et les méthodes pour les concevoir, il suffit de l’adapter. Il en est de même du corpus normatif, qui existe et qu’il faut adapter. Il y a donc une valorisation de ce que l’on sait déjà faire dans le domaine de l’offshore pétrolier. Un développement pétrolier est un système sur mesure, de grande taille et conçu pour le champ pétrolier. Avec l’offshore flottant, nous sommes en présence de développements de grande ampleur avec un grand nombre de machines, donc avec une certaine standardisation qui est moins présente dans le domaine pétrolier.

M. Frédéric Le Lidec. Concernant l’hydrolien en mer Méditerranée, nous travaillons sur les courants de marée. Peu de personnes travaillent sur les courants permanents car ils participent à l’équilibre de la planète. Nous ne savons pas quels seraient les impacts environnementaux de leur exploitation et nous ne voulons pas causer de perturbation.

M. Roland Courteau. Je suis étonné que vous puissiez penser qu’installer des hydroliennes dans les courants de la mer Méditerranée pourrait perturber les courants.

M. Frédéric Le Lidec. Dans tous les cas, il faudra démontrer qu’on ne perturbe pas. Ce ne sera pas aisé, cette démonstration nécessite des travaux qui devront être engagés par des spécialistes scientifiques et présentés à toutes les parties prenantes.

M. Daniel Aversbruch. Je précise que plus on ira chercher au large les courants océaniques, plus les coûts de raccordement seront élevés. Concernant l’éolien en mer Méditerranée, l’installation d’éoliennes posées au sol est possible jusqu’à une profondeur qui dépend d’un optimum économique, qui se situe à environ 50 mètres. La question est alors de savoir à quelle distance de la côte on est, pour ne pas créer de conflits d’usage, notamment avec le tourisme. En France, la profondeur d’eau évolue assez vite et on a rapidement tendance à se tourner vers l’éolien flottant. L’installation d’éoliennes posées dépendra alors du degré d’acceptation.

M. Frédéric Le Lidec. S’agissant de la question sur les goulets d’étranglement, deux freins sont identifiables : l’absence de visibilité sur le marché en termes d’industrie et de technologie mature et le délai de raccordement au réseau et ses adaptations. Le délai de raccordement est actuellement de 69 mois en France, RTE annonçant des mesures de simplification, pour se rapprocher de délais de l’ordre de 1 ou 2 ans tels que constatés au Royaume-Uni.

Le capital de DCNS est détenu à 64 % par l’État, 35 % par Thales et 1 % par les salariés.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. J’aurai deux questions. Vous estimez que nous ne sommes pas en retard, alors que, pour l’éolien offshore flottant, nous ne vendons pas une seule machine, selon les statistiques qui nous sont données par l’IFP Énergies nouvelles. Vous indiquez sur toutes les nouvelles techniques d’énergies marines renouvelables les efforts d’innovation et de R&D – ce que l’Office a demandé depuis longtemps –, est-ce que vous pensez que, dans les futurs appels d’offre, nous aurons plus de succès pour l’éolien offshore que pour l’éolien ou le solaire ? Vous nous avez montré que les marchés s’annoncent importants, certaines technologies rattrapant celle de l’éolien offshore. Est-ce que les investissements d’avenir vous ont apporté des financements et si oui combien ? Mêmes questions pour la Banque publique d’investissement (BPI), OSEO, l’État, la Caisse de dépôts, les banques privées.

Quand on voit la manière dont on mène, depuis longtemps, la politique industrielle, je suis très inquiet sur nos chances de développement de technologies qu’on pourra vendre, car si on ne les vend pas, on les achètera aux autres, comme cela s’est produit pour le solaire.

Enfin sur la question de l’acceptation sociale, avez-vous rencontré des contestations fortes et, si oui, sur quelles bases ?

M. Daniel Aversbruch. Les industriels français positionnés sur le marché de l’éolien offshore posé, qui ne sont que deux, Areva et Alstom, ont, dans une certaine mesure, suivi la même approche. Ils ont investi en achetant, le premier la société allemande Multibrides, le second la société espagnole Ecotecnica.

M. Jean-Yves Le Déaut. Mais alors, quand on achète une technologie qui se développe à l’étranger, combien d’emplois sont créés en France ?

M. Daniel Aversbruch. S’agissant de l’éolien offshore posé, nous n’avons pas remporté de marché. En revanche, dans le cadre des appels d’offre, des implantations d’usines sont prévues par ces deux sociétés pour construire les turbines. Il faut prendre l’image du turbinier en tant qu’ensemblier, la chaîne des sous-traitants étant relativement bien positionnée en France. On dit régulièrement que la moitié de la valeur ajoutée se crée dans le pays de la ressource, parce qu’il faudra fabriquer des fondations, l’autre moitié représentant la valeur de la turbine elle-même. Il y a un enjeu à ce qu’une industrie française prenne à bras le corps ces technologies. Sur l’éolien offshore, on est dans une dynamique d’acquisition de technologies, avec mise en place d’infrastructures industrielles en France.

M. Jean-Yves Le Déaut. Qu’est-ce qui manque dans notre pays pour que des grands groupes français en soient réduits à acquérir des entreprises innovantes étrangères ? Un financement adéquat ?

M. Daniel Aversbruch. Le financement est effectivement l’un des leviers, mais il y a aussi l’existence de marchés et filières nationales, qui constituent des incitations à investir en R&D puis exporter.

M. Frédéric Le Lidec. Deux niveaux sont à distinguer, le financement et les emplois en France.

S’agissant du financement par le Grand emprunt, le projet Winflo a été lauréat du Commissariat général à l’investissement (CGI) : sur un projet d’environ 40 millions d’euros, 8 millions ont été subventionnés et 8 autres millions ont fait l’objet d’avances remboursables. DCNS travaille en consortium avec de toutes petites entreprises. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) nous a accordé nos premières subventions en 2011 alors que les demandes avaient été faites en 2008, 2009 et 2010 lors d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI). Le groupe DCNS a donc autofinancé l’effort de recherche sur ces trois années, effort que n’aurait pas pu faire la plupart des PME. Le projet Sabella d’hydrolienne française a gagné l’AMI de l’Ademe, mais a connu ensuite un problème de tour de table de financement.

En ce qui concerne la garantie d’avoir des emplois en France, notre pays a de beaux projets de développement technologique. Pour l’énergie thermique des mers (ETM), on a vu que DCNS est la seule en course avec un bon degré de maturité. Sur l’éolien flottant, les Français font clairement la course en tête, mais les Japonais, avec l’effet post-Fukushima, lancent une offensive de 400 millions de dollars ; Mitsubishi a pris 20 % du Danois Vestas. Sur l’hydrolien, il est vrai que DCNS a racheté une société irlandaise ; mais les usines, et donc les emplois, seront positionnés près des marées, nous espérons en France, à Cherbourg, et non au Royaume-Uni, où se situent les deux principaux sites potentiels. Les premiers emplois et la première filière exportatrice se situeront là où se situeront les fermes pilotes et les fermes commerciales, avec la visibilité d’usines de fabrication en série.

M. Jean-Yves Le Déaut. Comment les Ecossais réussissent-ils : un pari ? une vraie politique industrielle avec financement de l’innovation ? Votre constat est terrible car il semble que nous ne sommes pas les mieux placés ; nous avons l’analyse du marché, les technologies, des entreprises qui ont les savoir-faire et les compétences, mais nous ne décrochons pas les marchés.

M. Roland Courteau. Les collectivités territoriales perçoivent une partie de la contribution économique territoriale, qui a remplacé la taxe professionnelle. En quoi les collectivités pourraient-elles être intéressées par des retombées fiscales des installations en mer ?

M. Bruno Sido. La mer c’est l’État, les collectivités sont concernées quand l’électricité arrive sur la terre.

M. Marcel Deneux. Sur les derniers appels d’offre, les collectivités intéressées sont effectivement celles où rentre le câble. Mais il n’y a pas encore de définition administrative ni de jurisprudence.

M. Bruno Sido. On sait la différence de prix de revient entre l’éolien terrestre et offshore. Pour cette raison, à mon avis il ne devrait pas y avoir de fiscalité sur l’éolien offshore.

M. Daniel Aversbruch. L’éolien offshore est en effet plus cher d’un facteur de deux à trois, tant pour le coût du kilowatt/heure que pour l’investissement. C’est très variable en fonction de la distance à la côte et de la profondeur. Les premières fermes d’éolien offshore au Danemark produisent le kilowatt/heure à peu de choses près au même coût que l’éolien terrestre en France (entre 6 et 8 centimes). Les taux de charge sont de 3 500 à 4 000 heures, à comparer à la moyenne de 2 500 heures constatées pour l’éolien terrestre. L’investissement est donc plus élevé mais, avec un taux de charge plus élevé, le kilowatt/heure revient à peu près au même coût.

Aux États-Unis, le ministère fédéral de l’Énergie (Department of Energy – DOE) a publié un rapport sur son plan stratégique de développement de l’éolien en mer, avec des objectifs très ambitieux et un certain nombre de leviers identifiés. Dans leur vision, l’éolien offshore devrait produire à un coût d’électricité comparable à celui de l’éolien terrestre.

Pour compléter sur l’éolien offshore posé, 5 GW sont installés dans le monde et il s’en installe 1 GW par an. Les grandes machines que l’on installe aujourd’hui, de 5 à 6 MW, n’ont rien à voir avec celles que l’on installait il y a dix ans. On est encore sur la courbe d’apprentissage d’un marché qui est déjà important. Les coûts sont encore élevés.

M. Frédéric Le Lidec. L’Écosse a une vraie politique, menée par le Domaine de la couronne (Crown Estate), de reconversion du tissu industriel du pétrole de la mer du Nord via des aides à l’industrie : distribution de concessions, tarifs de rachat intéressants. Mais ce pays ne fait pas partie des cinq les plus avancés du point de vue de la position commerciale ou de la maturité technologique (puissance et raccordement). Siemens et Alstom ont connecté un mégawatt d’hydroliennes en Écosse récemment. Derrière, il a notre turbine OpenHydro, qui produit 0,5 MW, mais qui pourrait développer 2 MW dans le futur. OpenHydro devrait être l’une des premières firmes d’hydroliennes au monde ; elle fait actuellement la course en tête, en ayant convaincu des clients français, écossais, canadiens ou américains.

M. Marcel Deneux, sénateur. Quels progrès peut-on encore attendre de l’éolien terrestre, au niveau mécanique : suppression des engrenages, gains sur la maintenance ?

M. Daniel Aversbruch. Un des axes de développement est effectivement l’entraînement direct, permettant ainsi de se passer de la boîte de vitesse, jugée faible et peu fiable. Un autre axe est constitué par le contrôle de ces machines complexes, avec l’orientation des nacelles et des pales, pour capter le plus possible d’énergie et se mettre en sécurité quand les vents deviennent trop forts. Des travaux sont en cours, notamment chez des acteurs français assez bien positionnés, avec des technologies comme le lidar (radar laser), qui voit le vent à plusieurs centaines de mètres avant qu’il ne touche l’éolienne. Cela permet d’optimiser à la fois l’énergie qu’on produit et la fiabilité des machines. Le troisième axe de développement concerne les éoliennes par vent faible, utilisant les mêmes génératrices mais avec des rotors différents, permettant l’ouverture de nouveaux marchés.

M. Marcel Deneux, sénateur. Les éoliennes qui seront installées dans le futur seront donc plus performantes que les existantes…

M. Daniel Aversbruch. Des opérations de « repowering » (remplacement) permettent de réinstaller de nouvelles machines sur des fermes anciennes pour lesquelles on sait qu’il y a un bon potentiel de vent, au bout de 20 ou 30 ans d’exploitation.

M. Frédéric Le Lidec. Concernant l’acceptabilité sociale, les projets ont des impacts qui sont jugés plutôt positivement sur l’économie d’ensemble. Les hydroliennes totalement immergées connaissent un taux d’acceptation des pêcheurs d’environ 90 %, constaté à l’issue d’une grande opération de concertation. L’acceptation est équivalente pour les ETM et les éoliennes flottantes. Notre hydrolienne est la seule ayant un trou en son centre, avec un choix de vitesse de rotation faible, pour laisser passer les poissons et ne pas agresser la faune et la flore. On n’a jamais vu un poisson s’aventurer dans le trou central ou dans les pales des hydroliennes qui tournent en Ecosse depuis 2006 et qui sont sous vidéosurveillance. C’est une dimension à prendre en compte dès la conception des machines.

Nous avons ainsi choisi de faire des moteurs complètement immergés. Un des grands axes de la R&D est la robustesse de ces engins. En comparaison, un moteur flottant doit être dimensionné pour la plus grosse vague, même si elle ne passe que tous les 100 ans.

M. Marcel Deneux, sénateur. Je voudrais tirer une conclusion par rapport à tout ce que nous avons évoqué ; est-ce que je me trompe en disant que l’avenir est l’éolien terrestre et l’éolien offshore, les autres technologies étant pour nos petits enfants ?

M. Frédéric Le Lidec. Je suis obligé de réagir en citant deux types d’énergie sur lesquels on peut s’engager avec un coût pertinent : l’ETM, pour des îles où le coût de l’énergie est très important, et les hydroliennes, qui seront au prix de parité du réseau avant 2025.

M. Bruno Sido. Messieurs, je vous remercie. »

ANNEXE N° 3 :
Compte rendu de l’audition publique, ouverte à la presse,
sur « Recherche et innovation au service de la transition énergétique : quelle place pour les énergies renouvelables? », le 6 juin 2013

« Propos introductifs par M. Bruno Sido, sénateur de Haute-Marne, président de l'OPECST. Nous allons nous consacrer aujourd'hui à différents aspects de la recherche et de l'innovation concernant la transition énergétique, qui renvoie à l'idée du passage d'une société fondée sur la consommation d'énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz, pour la plupart émettrices de gaz à effet de serre – vers une société énergétiquement plus sobre, intégrant une part croissante d'énergies renouvelables dans son bouquet énergétique. Ainsi définie dans ses grandes lignes, c'est une question qui fait consensus. Les enjeux sont triples, premièrement écologiques, il s'agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de contribuer à la protection de l'environnement ; deuxièmement énergétiques, il faut réduire la dépendance énergétique, gagner en compétitivité et créer des emplois ; et troisièmement sociaux, il importe de maîtriser le prix de l'énergie et lutter contre la précarité énergétique.

Si depuis 1973 en France la consommation d'énergie a reculé dans l'industrie, elle a augmenté d'un quart dans le secteur résidentiel-tertiaire et a même doublé dans les transports, ce dernier secteur restant dépendant à 93 % des produits pétroliers. Un grand débat national sur la politique de l'énergie a donc été lancé depuis janvier 2013 sous l'impulsion de Madame Delphine Batho, ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. Il doit déboucher sur un projet de loi de programmation pour la transition énergétique à l'automne. À sa manière, l'Office a déjà contribué aux précédentes trois grandes réflexions nationales sur l'énergie : celle ouverte en janvier 2003 par le débat national sur les énergies qui s'est achevée avec le rapport sur le facteur 4, en août 2006, et la loi de programmation du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique ; celle initiée en juillet 2007 par le Grenelle de l'environnement qui a abouti aux deux lois du 3 août 2009 et du 12 juillet 2010 ; enfin la troisième, consécutive à l'accident de Fukushima, dans le cadre de laquelle l'Office a rendu le 15 décembre 2011, sur demande des deux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, une étude sur l'avenir de la filière nucléaire.

L'Office ne pouvait donc pas manquer d'apporter sa contribution au nouveau débat lancé sur la transition énergétique. Il le fait à travers ses études en cours, complétées par quelques démarches spécifiques. L'Office a ainsi conduit plusieurs travaux se rattachant au débat sur la transition énergétique. On peut ainsi rappeler que le rapport précité de 2011 sur l'avenir de la filière nucléaire en France, dont Bruno Sido a été le rapporteur avec Christian Bataille, a proposé une trajectoire raisonnée de décroissance progressive jusqu'à la fin du siècle de la part d'électricité d'origine nucléaire, afin de laisser le temps nécessaire à la maturation des technologies de stockage d'énergie, indispensables pour compenser la variabilité des énergies éoliennes et solaires. Une étude de nos collègues Jean-Marc Pastor, ici présent, et Laurent Kalinowski sur les usages énergétiques de l'hydrogène, engagée à la demande de la commission des affaires économiques du Sénat, s'attache à évaluer le rôle que ce vecteur énergétique pourrait jouer en liaison avec ces énergies renouvelables, variables. Une étude de Fabienne Keller et Denis Baupin sur les nouvelles mobilités sereines et durables, faisant suite à la saisine de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, examine les évolutions des véhicules individuels et de leur usage. L'Office est par ailleurs chargé, en vertu de la loi du 28 juin 2006, d'évaluer le troisième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, le PNGMDR. Bien entendu, la question des déchets radioactifs reste pour l'essentiel distincte des choix à venir sur l'évolution de la filière nucléaire, puisqu'il sera dans tous les cas nécessaire d'assurer leur gestion. Mais le sujet intègre les développements en cours sur les réacteurs nucléaires du futur. Cette nouvelle génération de réacteurs, plus sûre, pourrait permettre tout à la fois d'exploiter le potentiel énergétique considérable de nos réserves d'uranium appauvri et de plutonium, et de réduire les éléments radioactifs les plus nocifs.

Ce sont des questions que nous suivons de très près.

Une étude vient de nous être demandée par le Bureau de l'Assemblée nationale sur l'apport de l'innovation technologique aux économies d'énergie dans le secteur du bâtiment. Nous avons anticipé cette demande par une audition publique, le jeudi 4 avril dernier. Chacun sait que les économies d'énergie sont une dimension cruciale de la transition énergétique. L'Office va s'attacher, à travers l'étude de Jean-Yves Le Déaut et de Marcel Deneux, à évaluer l'effort qui pourra être réellement fait dans ce domaine, au-delà des performances virtuelles annoncées.

Le gaz dit de schiste, ou plutôt les hydrocarbures non-conventionnels, ont fait irruption dans le domaine énergétique ces derniers mois, et leur disponibilité potentielle ou réelle modifierait le contexte d'exploitation des autres sources d'énergie. Les deux rapporteurs de l'Office sur ce sujet, Christian Bataille et Jean-Claude Lenoir, ont présenté leur rapport d'étape hier soir 5 juin.

Tous ces travaux doivent nous conduire à produire d'ici quelques semaines un rapport qui synthétisera la contribution de l'Office au débat sur la transition énergétique.

Notre audition publique d'aujourd'hui se donne pour objet d'analyser dans quelle mesure les dimensions de maturation des technologies et d'innovation sont prises en compte dans le contexte actuel. L'Office a déjà entendu le 23 avril dernier les acteurs français des énergies de la mer : l'IFP-EN et la DCNS, l'ancienne Direction des constructions navales, qui en a fait l'un de ses principaux axes stratégiques de développement. L'audition d'aujourd'hui a été spécialement conçue pour faire ressortir les initiatives locales et les innovations des petites et moyennes entreprises dans d'autres domaines des nouvelles technologies de l'énergie.

Cette audition se décompose en deux parties. Le matin sera consacré à la présentation des feuilles de route technologiques du photovoltaïque, de la géothermie et de la chaleur, puis à des propositions de stratégie d'ensemble de recherche en énergie. L'après-midi permettra de faire un point sur la situation actuelle de l'innovation dans le domaine des technologies de l'énergie en découvrant des expériences de terrain, puis en dialoguant avec les principaux relais publics de l'innovation.

J'invite les participants auxquels je vais donner maintenant la parole à s'en tenir à une intervention de 10 minutes. Les échanges du débat qui suivra la série d'interventions permettront d'apporter des compléments d'une manière interactive si nécessaire.

Je vais donner la parole à Daniel Lincot, chimiste, spécialiste de l'énergie solaire. Il est directeur de recherche au CNRS et enseigne à Chimie Paris Tech. Depuis 2009, il dirige l'IRDEP, Institut de recherche et de développement sur l'énergie photovoltaïque, qui travaille sur les cellules photovoltaïques en couches minces, et des concepts de très haut rendement, souvent appelés deuxième et troisième génération.

M. Daniel Lincot, IRDEP, CNRS. Je vais tenter de présenter la situation de la conversion photovoltaïque de l'énergie solaire, avec les aspects d’innovation et leur insertion dans le domaine de la transition énergétique telle que vous l'avez définie.

Il faut rappeler l'importance de l'apport à venir de l'énergie solaire en matière d'énergie. Jusqu'à présent, nous travaillions avec des énergies indirectes, issues de cette énergie solaire, comme la biomasse, les énergies fossiles, etc.

Depuis 1954, une technologie nouvelle a émergé au service de l'humanité : le transfert direct entre énergie solaire et électrique, grâce aux cellules solaires, en particulier celles au silicium. Cette voie de conversion, branchée sur l'énergie des photons, permet de transformer directement l'énergie lumineuse en énergie électrique, avec des rendements avoisinant aujourd'hui, pour les meilleures cellules, entre 20 et 25 %, et pour les nouvelles cellules dites à multi-jonctions évoquées, entre 40 et 43 %.

Sur ce transparent, nous voyons, pour les cellules à base de silicium, différentes étapes de technologie permettant d'aboutir à leur fabrication à partir de plaquettes, de divers traitements et de contacts. En 2007, ces cellules présentaient un rendement de 14,5 %.

La progression de l'innovation technologique est représentée par la première courbe, en haut de l'image, avec des sauts résultant de ruptures technologiques et des consolidations.

La deuxième courbe présentant l'évolution industrielle montre comment l'on est arrivé à 20 % de rendement avec ce type de cellule : l'industrie connaît moins ces effets de sauts, mais intègre progressivement les innovations et rattrape ce qui est fait dans les laboratoires. La troisième courbe montre l'essor très récent, depuis 2000, de l'énergie photovoltaïque dans le monde, en particulier à travers ces cellules au silicium. En ce qui concerne la technologie, il est important de considérer qu'il s'agit d'un tout, constitué non seulement d'une cellule, mais aussi d'énormément d'équipements amont et aval ; les phases amont de fabrication sont des éléments clef de la chaîne de valeur du photovoltaïque qui se prolonge jusqu’au système, l’intégration, l'architecture, etc. J’insiste sur l'importance de ne pas considérer uniquement un aspect, mais d'avoir une vision globale sur l'ensemble de la chaîne de valeur.

Une évolution spectaculaire ces dernières années est la convergence du photovoltaïque traditionnel avec les technologies de la microélectronique. Voici un exemple de cellules que l'on appelle à contacts arrière interdigités. Ce sont des bijoux technologiques que nous allons faire sur des centaines, voire des milliers de km².

Nous avons donc un point important de réflexion sur l'apport des différents domaines au niveau technologique. Voici par exemple, dès 2008, des modules solaires qui atteignaient, en performance, les 20 % environ. Aujourd'hui, en France en particulier, à l'INES et à d'autres endroits, nous sommes capables de fabriquer des cellules dont les performances atteignent 22 %, avec une marge de progression dans les années qui viennent.

Une autre révolution concerne l'hybridation. Comme dans tous les domaines de technologie, l'innovation se fait aux interfaces, et il s'en trouve un remarquable entre le silicium cristallin et le silicium couche mince, avec les cellules à hétérojonctions qui sont développées à Chambéry. Une plaquette de silicium est recouverte de silicium amorphe, voir microcristallin, qui va servir à faire une jonction extrêmement efficace, permettant des coûts industriels suffisamment bas pour devenir compétitifs.

Voilà la situation du photovoltaïque aujourd'hui, avec 100 gigawatt installés fin 2012, aboutissement d'une augmentation de la progression chaque année de 40 à 50 %, en cumulé.

Un grand nombre de pays, en particulier l'Allemagne, mais aussi l'Inde, la Grèce et le Chili, contribuent à installer chaque année autour de un gigawatt de photovoltaïque dans le monde. La France est assez bien placée, dans les dix premiers, en sixième position, avec la Chine, l'Italie, les États-Unis et le Japon qui monte très fortement en puissance, mais également l'Inde. Beaucoup de pays sont concernés en Amérique latine et en Afrique.

Dans le cadre de la transition énergétique, la croissance très forte de ces installations et leur pénétration dans le marché de l'électricité se fait aujourd'hui en Allemagne et en Italie à des niveaux de plus de 5 % de la consommation électrique, autour de 10 % en Bavière.

La France est en train de s'approcher de 1 %. Nous sommes loin du niveau d'il y a quelques années, donc la France se rapproche des pays de tête.

Le photovoltaïque correspond aux nouvelles capacités installées en énergie, les plus dynamiques, par rapport à l'ensemble des autres technologies de l'énergie.

Enfin, pour illustrer la pénétration du photovoltaïque au sein du système électrique, voici ce qui s'est passé en Allemagne en mai 2012 à certains moments de la journée : plus de 30 % de l'énergie électrique sur le réseau était d'origine photovoltaïque.

L’IRDEP, mon propre institut de recherche, travaille sur une autre technologie, qui a émergé en 2005 : celle des revêtements en couches minces, avec des matériaux qui peuvent être non seulement du silicium, mais également du CdTe, du tellurure de cadmium. Surtout, une technologie à base de cuivre-radium-sélénium, le CIS ou CIGS, monte actuellement en puissance.

Cette technologie aboutit à peine à l'épaisseur d'un cheveu, et même beaucoup moins, quelques microns d'épaisseur, avec des rendements du même ordre que le silicium poly-cristallin en revêtement sur du verre ou du flexible. Plus de 20 % de rendement, 21 % obtenus au laboratoire sur un nouveau concept de cellule. L’Europe et la France sont en pointe dans ce domaine.

Je voudrais souligner l'importance des acteurs industriels français, en particulier autour d'Avensis et de Saint-Gobain, notamment l'annonce d'un accord entre Avensis et Nexis, spin-off de notre institut avec EDF, visant à créer un champion des couches minces en France.

Cette courbe d'expérience du photovoltaïque explique pourquoi il a décollé : parce qu'il a bénéficié non seulement d'innovations, mais aussi d'effets d'échelle. Actuellement la décroissance des coûts est de l'ordre de 20 % à chaque fois que la production cumulée double. On retrouve ces courbes dans le cas des écrans plats : voici un exemple avec 35 %.

Sur les étapes technologiques, il faut donc considérer l'ensemble de la chaîne. Ce que j'aime beaucoup dans notre démarche, c'est qu'elle inclut également les sciences financières et sociales. Étant scientifique des « sciences dures », je tiens néanmoins à préciser que c'est également un aspect où de l'innovation doit être réalisée.

Les processus de convergence sont très importants dans ce domaine, avec un certain nombre de sciences, dont les sciences sociales. Le rôle de la recherche est très important. L'innovation est l'une des clefs de notre compétitivité et de la possibilité de réaliser la transition du gigawatt au térawatt en matière de photovoltaïque.

Un mot sur les forces en présence au niveau national : un réseau extrêmement dense et d'excellente qualité autour des laboratoires de recherche, notamment dans l'université ; nous sommes en train de constituer des pôles autour de grands laboratoires nationaux, un peu à l'américaine, avec l'INES, l'IPVF qui a été primé sur le solaire dans les investissements d'avenir ; autour du solaire à concentration, le PROMES près de Perpignan ; également des fédérations de recherches, et ce en conjonction étroite avec les industriels du domaine.

Sur les aspects sciences économiques, politiques et sociales : le financement du photovoltaïque est très différent des financements classiques. Quand on achète des systèmes de renouvelables, les éoliennes mais aussi le photovoltaïque, on achète le système, et également on paye l'énergie pendant dix, vingt ou trente ans. Les investissements initiaux sont très importants. Il faut donc adapter les modes de financement, et c'est tout à fait de l'investissement d'avenir.

Le dernier transparent indique pourquoi il convient de maintenir le volontarisme du développement du photovoltaïque. En effet, freiner le photovoltaïque reviendrait à s'arrêter au milieu du gué. Et l'accélérer permettrait de l'engager de façon irréversible et efficace.

Une question clé se pose : que faire de l'énergie produite massivement et à bas prix, venant du photovoltaïque et de l'éolien ? Il est nécessaire d'aller vers d'autres domaines qui sont l'autoconsommation, le stockage, les carburants solaires, ce qu'on appelle le « power to gas », l'hydrogène, le méthane. Cela aura un effet de domino sur l'ensemble de la chaîne économique. Sur le photovoltaïque organique, il y a une marge de progression très importante au niveau de la R&D.

M. Philippe Vesseron, ingénieur général des Mines, président du Comité national de la géothermie, président d'honneur du BRGM. Mesdames et messieurs les parlementaires, merci beaucoup de m'avoir invité à m'exprimer sur la géothermie. Je suis toujours très frappé de ce qu'en France, lorsqu'on commence à débattre d'énergie, on parle très vite uniquement d'électricité, et très peu de la chaleur, alors que chez nous, la chaleur représente 50 % de la consommation d'énergie, eau chaude sanitaire comprise. C'est un pourcentage extrêmement important.

La France présente pourtant peu de caractéristiques particulières, si ce n'est le large usage de l'électricité pour le chauffage résidentiel.

La géothermie est un flux de chaleur faible par rapport à ce que nous recevons du soleil, de l'ordre de 0,06 Watt par m², mais non intermittent.

Ses variabilités peuvent être regroupées en trois catégories.

D'abord, celle liée aux plaques de l'écorce terrestre explique le large potentiel de géothermie des îles volcaniques. Les problèmes d'énergie dans les îles sont très particuliers en raison de l'absence d'interconnexion, d'un coût d'approvisionnement extrêmement élevé et de la taille des installations.

Pour nous, les volcans actifs sont la Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, mais d'autres régions du monde ont d'autres caractéristiques, par exemple l'Islande et l'Indonésie.

Le deuxième type de variabilité est lié aux grandes structures géologiques. Par exemple, les grands bassins sédimentaires permettent de disposer, à un ou deux kilomètres de profondeur, d'aquifères à températures relativement élevées, ressource potentielle importante en géothermie, comme dans notre pays le Bassin parisien et le Bassin aquitain. Je pense que Michel Andrès en parlera tout à l'heure.

Une troisième variabilité résulte du fait que la température du sol augmente au fur et à mesure que l'on s'enfonce, en gros trois ou quatre degrés pour cent mètres de profondeur. C'est ce que l'on appelle le gradient géothermique.

Le schéma présenté ici est suisse. En France, parler de sonde géothermique de 300 mètres serait une hérésie. Mais dans d'autres pays c'est à cette profondeur que l'on utilise la chaleur à très basse température.

Depuis quelques années, il y a un certain consensus sur l'intérêt de relancer les différentes formes de géothermie. Je vais rappeler ce qu'avait écrit le Grenelle de l'environnement et ce que vient d'écrire l'Ademe dans le débat sur la transition. Les chiffres sont très cohérents, même si ce qui était attendu pour 2012 n'est pas complètement au rendez-vous. Ce graphique montre que l'on s'intéresse de plus en plus aux basses températures et au fait que le rafraîchissement dans le tertiaire ou le résidentiel est une fonction de plus en plus importante.

La situation de notre pays n'est pas mauvaise, qu'il s'agisse de la production de chaleur, d'électricité, ou du nombre d'emplois. Mon souci est que les secteurs devant croître ne prennent pas de retard.

Pour préciser mon propos, je voudrais m'exprimer sur la base d'une segmentation en cinq catégories : les puits canadiens, la géothermie à très basse température utilisant des pompes à chaleur, les usages directs – je pense que Michel Andrès traitera largement le sujet – et la géothermie profonde avec, d'une part, les îles volcaniques et, d'autre part, les sujets de recherche à plus long terme.

Avec le puits canadien, combiné à la ventilation mécanique contrôlée et aux régulations, nous ne sommes pas dans la science compliquée : il s'agit de faire circuler de l'air à un ou deux mètres de profondeur dans le sol, par des canalisations de toutes natures : en ciment, en fonte quand c'est Pont-à-Mousson ou en plastique, et de l’amener, ainsi réchauffé l'hiver et refroidi l'été, à l'intérieur d'un bâtiment résidentiel ou tertiaire. Ceci est très demandé par les gens. Les sources d'information utilisées pour savoir ce que l'on peut faire comprennent des revues, des forums, la distribution avec les magasins du type « Point P », etc.

Que faire pour mieux répondre à cette demande double de confort bi-fonctionnel chaleur-rafraîchissement ? D'une part, il faut développer des composants intégrables. Nous sommes dans une situation où beaucoup de maîtres d'ouvrages vont améliorer la thermique de leurs maisons à l'occasion d'une rénovation plus ou moins importante, en intégrant un puits canadien qui n'existait pas antérieurement. D’autre part, il faut aider le développement des vecteurs d'information, forums, revues, etc. Il ne faut pas oublier les espaces info-énergie, et toutes les informations qui peuvent être véhiculées par l'Ademe. Enfin, il faut améliorer la prise en compte de cette technologie dans la comptabilisation nationale et européenne, à l'heure actuelle inexistante.

Un deuxième segment est constitué par les pompes à chaleur géothermiques. Le changement, depuis dix ans, concerne l'utilisation de la chaleur à basse température dans les locaux d'habitation ou dans le tertiaire, avec différentes technologies : l'air, mentionné tout à l'heure, mais aussi les planchers chauffants rafraîchissants comme sur le schéma présenté. A partir du moment où vous distribuez l'énergie à 30°, la prendre à 15° dans le sous-sol grâce au théorème de Carnot permet d'excellents rendements. Cette forme de géothermie s'est largement développée en utilisant des machines thermodynamiques, pompes à chaleur pour partir de basses températures et distribuer l'énergie à environ 25-30 °. Le capteur est soit horizontal, soit dédoublé sur aquifère, soit constitué de sondes verticales.

Pour assurer leur développement, il est nécessaire de mutualiser l'information sur ce qui se passe dans le sous-sol entre 0 et 300 mètres et qui n'est pas simple, sur les bi-fonctionnalités chaleur-rafraîchissement, sur l'intégration dans les fondations, très largement développée dans d'autres pays : la Suisse, l'Autriche ou l'Allemagne, très peu chez nous, ou encore sur l'utilisation de ce genre de technologie pour produire l'eau chaude sanitaire.

La réduction des coûts est un élément fondamental. Les maîtres d'ouvrages sont très décentralisés. Si le temps de retour de ces solutions est perçu comme trop important, elles ne passeront pas. Il est donc nécessaire de continuer à réduire les coûts, par exemple en développant le contrôle non destructif pour la géothermie non conventionnelle ou en faisant appel à l'intégration dans les fondations.

Un grand chantier réglementaire : depuis deux ou trois ans, certains ont pensé que ce type de géothermie devait relever du code minier. C’est assez étrange et conduit à des blocages : plus rien ne se fait au-delà de cent mètres en France. Un grand chantier en cours notamment à cause des gaz de schistes : la réforme du code minier, aura certainement un impact ici.

Un autre chantier auquel l'Office s'intéresse : la RT 2012. Comment celle-ci va-t-elle prendre en compte correctement ce type de technologie ?

Les réseaux de chaleur : M. Andrès va en parler, donc je les aborde à peine. Prendre de l'énergie, par exemple dans le Bassin parisien ou en Aquitaine, à 1500 mètres de profondeur est un doublet. On pompe, on réinjecte, avec un échangeur et une distribution par un réseau de chaleur. Une excellente technologie française, largement développée dans le Bassin parisien, avec un arrêt en 1985 largement surmonté depuis, et un redémarrage depuis quelques années ; c’est une des choses dont collectivement nous devons être relativement fiers. Pour accélérer encore : renforcer l'adaptabilité, développer des modélisations moins conservatrices que ce que nous utilisons à l'heure actuelle. J'en viens aux îles volcaniques, auxquelles je tiens énormément. A l'heure actuelle, nous n'avons que 15 mégawatts de production d'électricité par géothermie en Guadeloupe. Des projets existent en Martinique, à la Réunion et dans une île située entre la Martinique et la Guadeloupe : la Dominique. Il y a urgence. Je disais que les coûts des autres formes d'énergie sont extrêmement élevés : on parle de 250 ou 270 euros le mégawatt-heure pour produire de l'électricité avec des turbines à gaz. Nous serions largement en dessous.

Pour sécuriser les acteurs, il convient de faire en sorte que l’investisseur n'ait pas trop d'aléas, ou dispose d'un moyen de couverture de ces aléas. A cet égard, modéliser le comportement des réservoirs est un sujet important.

Pour la recherche à long terme, je voudrais parler en quelques secondes de Soulz-sous-forêts, voisin de Pechelbronn, un grand sujet de recherche, avec des travaux de long terme. Cette carte date de 1928, il y a des forages jusqu'à 5 km de profondeur et un investissement de 110 millions d'euros largement financé par l'Europe. Des permis de recherche pour des actions comparables sont demandés par différentes entreprises, dans différentes régions, notamment en Auvergne et Aquitaine. Les points à faire évoluer pour développer ce créneau sont : mieux prévoir la micro-sismicité induite, expliciter l'impact des produits chimiques
– deux points apparus dans le débat sur les hydrocarbures non conventionnels – faire de Soulz-sous-forêts un pôle de recherche européen, France-Allemagne-Suisse. Il se trouve à mi-distance entre Karlsruhe et Strasbourg, tout près de la Suisse. Il s'agit d'un lieu de coopération qu'il faut dynamiser.

Cette image présente le collège des Bernardins, dont la rénovation a été faite en utilisant la géothermie sur aquifère pour la chaleur et le rafraîchissement.

M. Michel Andrès, directeur général de la SEMHACH, société d'économie mixte locale (réseau géothermique). Je vais vous parler plus particulièrement de la géothermie sur aquifère profond dont l'utilisation se fait en réseau de chaleur, en réseau de chauffage urbain. Nicolas Garnier approfondira certainement le sujet des réseaux de chaleur en France : nous en avons 458. 21 807 gigawatt-heures thermiques ont été livrés en 2011. Plus de 2 millions d'équivalent-logements sont desservis par ces réseaux de chaleur. Le tarif moyen constaté est de l'ordre de 75 € TTC par mégawatt-heure, ce qui est plutôt inférieur au prix du gaz et surtout au prix du fioul pour la production de chauffage et d'eau chaude sanitaire. Il est à noter que ces réseaux de chaleur utilisent 36 % d'énergie renouvelable et de récupération, essentiellement la récupération d'énergie issue de l'incinération de déchets - certains vont approfondir cette partie - de la biomasse, et de la géothermie. Celle-ci représente une part relativement faible sur l'ensemble des réseaux de chaleur, de l'ordre de 8 %. Les réseaux de chaleur sont un outil essentiel pour valoriser ces énergies renouvelables ou de récupération dans les grandes agglomérations où d'autres sources sont plus difficilement mobilisables.

Le contenu carbone moyen des réseaux de chaleur en France se situe à 189 grammes de CO2 par kWh utile livré, à peu près comme le chauffage électrique, utilisant essentiellement l'énergie nucléaire, mais moins que le gaz naturel et le fioul domestique. La géothermie se situe très bien dans ces statistiques de réseaux de chaleur puisque, par exemple, pour celui de la SEMHACH, qui délivre de la chaleur sur trois communes, Chevilly-Larue, L’Haÿ-les-Roses et Villejuif, le contenu carbone est de 91 grammes. C'est assez représentatif des contenus carbone observés sur les réseaux géothermiques de la région parisienne. Le contenu carbone de tous les réseaux géothermiques est inférieur à 100 grammes, même pour certains inférieurs à 50 grammes. Ce contenu carbone est trois fois inférieur à une solution gaz naturel.

Il existe en France pour la géothermie profonde deux grands gisements : le Bassin parisien et le Bassin aquitain. 39 centrales sont en service en Île-de-France. Comme le précisait Philippe Vesseron, la géothermie s’est développée massivement dans le début des années 80, après les deux chocs pétroliers. 45 centrales ont été réalisées à cette période, mais le contre-choc pétrolier et le très bas prix de l'énergie fossile pendant une bonne quinzaine d'années a compliqué l'équilibre économique de ce réseau. Certaines centrales de géothermie ont fermé il y a maintenant une quinzaine d'années, mais l'on assiste à un nouveau développement de cette énergie. Ont été créées au cours des dernières années plusieurs nouvelles opérations. Actuellement, au moins une dizaine de projets, dont certains relativement avancés, sont en gestation en Île-de-France

Ces réseaux de chaleur géothermiques en Île-de-France alimentent environ deux cent mille équivalent logements, ce qui représente environ cinq cent mille personnes. C'est une énergie propre, renouvelable, locale, et économique lorsque les investissements sont amortis. En effet, comme cela a été rappelé tout à l'heure, dans toutes les énergies renouvelables il y a un gros investissement initial, l'énergie étant payée pour quelques décennies avec cet investissement.

C'est un moyen de production de base performant, qui a fait ses preuves puisqu'il a été développé depuis une trentaine d'années en France. Les techniques ont connu quelques problèmes de jeunesse mais sont aujourd'hui parfaitement fiables et matures, et le taux de disponibilité de la géothermie sur le réseau est supérieur à 99 %.

Néanmoins des moyens de production d'appoint et de secours sont nécessaires. En Île-de-France nous remontons de l'eau en surface par un puits de production. Celle-ci a une température comprise entre 60 et 80 degrés, avec une moyenne très intéressante de 72-75° qui permet une utilisation directe de la chaleur au travers d'échangeurs géothermiques, sans avoir recours à des pompes à chaleur. Cette eau est ensuite réinjectée par un deuxième puits. Les puits sont déviés de telle sorte que nous obtenons un écartement de l'ordre de 1,5 km dans le réservoir pour éviter de refroidir la production avec la réinjection. Les modèles du réservoir montrent une possibilité d’exploitation d’une trentaine d'années sans la moindre baisse de température, avec ensuite un déclin mineur et progressif de quelques degrés sur les quelques décennies qui suivent. Les compléments utilisés sur ces réseaux de chaleur peuvent être des chaufferies au gaz naturel, des cogénérations, ou d'autres ressources, selon les conditions locales.

Les objectifs du Grenelle sur ce secteur de la géothermie profonde prévoient de doubler la production de chaleur à l'horizon 2020 avec, pour ce faire, deux axes de développement : augmenter de 50 % le nombre de centrales et étendre les réseaux existants qui ont des potentiels de raccordement de nouveaux utilisateurs. Philippe Vesseron en a parlé tout à l'heure, ces réseaux sont dits à basse température, entre 70 et 100 degrés selon la période de l'année, et le raccordement de zones de constructions nouvelles en basse température est très favorable pour valoriser l'énergie géothermique, puisque l'énergie de retour des utilisateurs peut être récupérée pour alimenter ces programmes.

La SEMHACH illustre ce secteur d'activité. C'est le plus grand réseau géothermique réalisé en France et je crois en Europe. La SEMHAC est une société d'économie mixte locale, en train de se transformer en société publique locale, qui agit en qualité de gestionnaire et exploitant de réseaux de chaleur pour le compte d'un syndicat intercommunal de trois communes : Chevilly-Larue, l'Haÿ-les-roses et Villejuif. Cette structure, créée en 1988, a un effectif de 13 personnes. Le réseau n'a eu de cesse de se développer depuis 28 ans, puisqu'il a été mis en service en 1985, avant même la création de la SEMHACH. Ce réseau est alimenté en base par deux centrales de géothermie, et une troisième que nous allons réaliser. Nous venons de lancer les appels d'offres pour les maîtrises d'œuvre. Nous avons réalisé également en 1997 deux centrales de cogénération par turbines à gaz qui viennent compléter la fourniture de chaleur pendant l'hiver, dix chaufferies centrales d'appoint ou de secours, et nous alimentons environ 130 sous-stations de livraison de chaleur. La SEMHACH gère les installations qui sont propriété du syndicat intercommunal, vend l'énergie aux usagers, aux abonnés, à EDF pour l'électricité, et négocie tous les contrats de fourniture, de personnels et de sous-traitance auprès d'entreprises spécialisées.

La production de chaleur annuelle de ce réseau a été, en 2012, en arrondissant, de 190 000 mégawatt-heure et de 37 000 mégawatt-heure d'électricité. La géothermie représente 60 % de la fourniture annuelle du réseau de chaleur, la cogénération 30 %, et 10 % les chaufferies d'appoint et de secours. Le contenu carbone du réseau est de 91 grammes par kWh.

Il s'agit d'un réseau performant qui s'est développé au fil des années : en 1985, réalisation des deux centrales de géothermie et raccordement de 9 000 équivalent logements ; en 2012 nous sommes arrivés à environ 25 000 équivalent logements raccordés.

Fin 2012, une troisième commune a adhéré au syndicat intercommunal, et le remboursement des emprunts historiques qui avaient permis la réalisation de cette opération dans le début des années 80 est terminé. Il convient de préciser que les emprunts contractés initialement sur 15 ans, à une période de forte inflation, à des taux d'intérêt à 14 %, ont été renégociés et refinancés sur une période plus longue. Il a donc fallu tout de même 27 ans pour arriver à amortir les investissements de départ. Nous sommes actuellement à l'aube d'un développement très important, puisque nous réalisons une troisième centrale de géothermie sur Villejuif. Nous allons devoir re-chemiser les puits existants qui approchent de la trentaine d'années d'exploitation, et nous avons pour objectif à terme de raccorder plus de 35 000 équivalent logements sur ce réseau.

Le tarif de chaleur est très compétitif pour les usagers, à plus de 50 % des logements sociaux, et également des copropriétés et des équipements publics. Il s'élevait en 2011 à environ 60 € TTC par mégawatt-heure utile, ce qui est un prix tout à fait compétitif notamment par rapport au gaz naturel et au fioul domestique. Comme nous avons terminé le remboursement des emprunts, nous avons pu en 2012 baisser le tarif, cette part d'amortissement ayant disparue. Il s’établit en 2012 entre 47 et 48 € TTC du mégawatt-heure utile, c'est-à-dire un tarif très performant pour l'utilisateur. Bien entendu, ce résultat a été rendu possible par un historique d'une trentaine d'années, avec un dynamisme du développement, une implication des élus et des collectivités locales.

Un dernier point, très important par rapport aux objectifs du Grenelle, pour permettre le renouvellement de ces réseaux : la plupart ont une trentaine d'années et nécessitent de renouveler ou de réhabiliter les forages. Certaines conditions doivent être maintenues : le maintien du tarif de rachat de l'électricité produite par cogénération, puisque plus de 50 % des réseaux de chaleur géothermique sont couplés à une centrale de cogénération. Il sera également intéressant de pouvoir cumuler les aides du Fonds Chaleur et celles du FEDER et des CEE, puisqu'actuellement le Fonds chaleur, pour la géothermie, manque de crédits, et les aides ne sont pas toujours à la hauteur de ce qui serait nécessaire pour réaliser ces investissements. Il est important également qu’elles soient garanties sur le long terme.

L'accès à des lignes de crédit d'une durée de 20-25 ans commence à poser problème, et sont nécessaires pour amortir nos investissements.

M. Bruno Sido. Essayez les uns et les autres de tenir dans les 10 minutes. Je donne la parole à M. Nicolas Garnier, délégué général de l'association AMORCE, association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des déchets, de l'énergie et des réseaux de chaleur, fondée en 1987 avec une cinquantaine d'adhérents. Elle en fédère aujourd'hui 765. Vous avez la parole.

M. Nicolas Garnier. Merci Monsieur le président. Quand j'ai vu hier soir ceux de mes deux collègues, je me suis dit que je pouvais vous faire grâce de transparents supplémentaires.

D'abord je reprends un propos de Philippe Vesseron, peut-être le plus important pour moi, sur la transition énergétique : quels sont les enjeux de ce pays en matière d'énergie ? Pendant les 50 dernières années, on a peut-être beaucoup parlé, ou trop parlé, d'électricité, alors que 50 % des besoins consistent en chaleur pour les logements, le tertiaire et les processus industriels. Le deuxième besoin concerne les transports. La question est moins de déterminer la part du nucléaire et de l'éolien ou du photovoltaïque, que je mets dos à dos, que de savoir comment l'on se chauffe et se déplace dans ce pays, et comment on le fera dans les années à venir.

Les réseaux de chaleur en France sont un « Petit Poucet », dirait-on : 6 % du chauffage, 2 millions d'habitants chauffés, dans 800 réseaux de chaleurs. La différence entre ce chiffre et celui de Michel Andrès, qui parlait de 450 réseaux, concerne le développement des réseaux de chaleur en milieu rural, généralement peu comptabilisés dans les chiffres nationaux. Ce développement des réseaux de chaleur au bois, en particulier de moins d'un mégawatt ou autour d'un mégawatt, est l'un des grands phénomènes de ces dix dernières années.

Ces réseaux de chaleur, s'ils ont une deuxième vie, ou plutôt s'ils sont en pleine relance, c'est d'abord parce qu'ils ont démontré leurs capacités économiques et de compétitivité. Ils sont l'une des solutions de chauffage les plus compétitives à la fois en milieu rural, quand on sait qu'il n'y reste plus que l'électricité, le fioul, et le bois direct, et également en milieu urbain où il se positionne de manière très intéressante par rapport au gaz, aujourd'hui l'énergie la plus compétitive, en particulier sous forme de chauffage collectif au gaz.

Du point de vue économique ils sont devenus compétitifs. On le doit en particulier, je le dis devant cette instance, et je le dis également au Sénat, grâce à deux mesures majeures qu'ont défendues les parlementaires : la TVA à 5,5 %, qui devrait devenir la TVA à 5 % et non pas à 7 % ou à 10 % dans les prochains mois, et la création du Fonds chaleur. Voilà les deux grands poumons financiers, pourrais-je dire, de cette filière. Ils ont montré toute leur pertinence puisque certaines études économiques indiquent que le Fonds Chaleur en particulier est le meilleur rapport coût-bénéfice d'une aide publique pour économiser du carbone ou développer des énergies renouvelables. Nous sommes dans cette période un peu difficile où il faut gérer les finances publiques avec un maximum d'efficacité : aujourd'hui mettre un euro dans le Fonds chaleur est le meilleur moyen de développer une énergie renouvelable pas chère.

Ils ont démontré également leur valeur environnementale. La comparaison est peut-être hardie, mais s’il y a trois réseaux qui permettent de transporter de l'énergie, le réseau de chaleur, celui de gaz et celui d'électricité, le réseau de chaleur transporte en son sein une part d'énergie renouvelable ou de récupération de 36 %, celui d'électricité de 15 %, et le réseau de gaz moins de 1 %. Des trois réseaux, il y en a un qui est sérieusement plus vert que les deux autres !

L'élément social est plus compliqué à gérer. Le vrai enjeu de nos réseaux de chaleur est de connaître l'avenir du chauffage collectif dans ce pays. C'est un enjeu sociétal. D'un côté chacun d'entre nous a envie d'avoir sa propre manette pour connaître sa consommation et payer en fonction de celle-ci, et de ce fait nous sommes allés un peu vite vers du chauffage individuel. Un chiffre que peu de gens connaissent : sur les 300 000 derniers logements construits, 98 % sont chauffés au gaz ou à l'électricité. Les énergies renouvelables se développent en grande quantité et les réseaux de chaleur font un bond magistral, mais la réalité du terrain fait que ces réseaux de chaleur restent encore, malheureusement, un épiphénomène, à mon grand regret.

Je rappelle que la loi POPE de 2005 avait donné un premier objectif d'augmentation de 50 % de la chaleur renouvelable. Surtout, le Grenelle s'est donné un objectif de chaleur renouvelable de 10 millions de tonnes d'équivalent pétrole supplémentaires, dont 3,4 dans le domaine des réseaux de chaleur, qui se déclinent avec deux scénarios potentiels, importants au regard des propositions faites dans le débat sur la transition énergétique.

Le premier consistera à passer de 2 millions de logements chauffés à 31 % par des ENR à 9 millions de logements à 50 % d'ENR.

Avec le deuxième scénario, l'on passe à 6 millions de logements, donc moins, mais avec 75 % d'ENR. Il se trouve une difficulté car l'une des mesures-phare du débat, le groupe 3, propose de donner la TVA à 5 % uniquement s'il y a 75 % d'énergies renouvelables. Et atteindre 75 % est très compliqué, horriblement compliqué. Voilà la pire des mesures que l'on puisse imaginer pour casser les réseaux de chaleur. Le Grenelle dit 50 %. Mais la proposition du débat national sur la transition énergétique dit 75. Si l'on veut casser du réseau de chaleur, voilà le meilleur moyen de le faire.

Quelles énergies pour ces réseaux ? Je ferai grâce de la géothermie car Philippe Vesseron et Michel Andrès en ont parfaitement parlé, et je reviendrai plutôt sur le bois, ressource présentant probablement le plus de potentiel. Il y a deux difficultés majeures avec le chauffage au bois.

Les deux premiers gisements, ceux des connexes de scieries et des autres déchets industriels banals (DIB), sont totalement ou presque totalement consommés. L'enjeu est la plaquette forestière. Même si intuitivement cela peut surprendre, la plaquette forestière est chère à sortir de la forêt. Je rappelle qu'un consensus était né au Grenelle de l'environnement pour créer un fonds biomasse, qui n'est pas le Fonds Chaleur, avec pour objectif de financer la sortie du bois de la forêt : de manière très terre à terre, construire des chemins forestiers, acheter des broyeurs, créer des coopératives forestières, etc. Ce fonds n'a jamais vu le jour. Il devait être financé de mémoire par des fonds agricoles. Des fonds énergies devaient financer le Fonds Chaleur, des fonds agricoles le fonds biomasse. Voilà probablement l'enjeu majeur sur le bois.

La deuxième difficulté est plus réglementaire. Il existe une nouvelle réglementation sur les chaufferies-bois particulièrement injuste car les particules de nos grandes chaufferies collectives au bois représentent une part infinitésimale de l'émission des particules à l'échelle d'une agglomération. Si la France est pointée du doigt pour ses émissions de particules, il faut rappeler qu'elles proviennent d'abord du diesel, puis du chauffage individuel au bois, notamment des inserts (installations intégrées dans les cheminées ouvertes). Les chaufferies collectives ou industrielles au bois ne représentent, de mémoire, que 1 % de 30 %. C'est tout à fait ridicule. Pourtant, comme on n'arrive pas à réglementer le diffus, on a décidé de réglementer très lourdement ces chaufferies, plus faciles à identifier et à contrôler par les DREAL, par exemple. Nous sommes donc en pleine bagarre, et je me tourne vers Jean-Marc Pastor qui en dira peut-être un mot, pour éviter que cette nouvelle réglementation ne casse l’élan sur les chaufferies bois, car elle pourrait générer des surcoûts de l’ordre de 5 à 10 %. C'est-à-dire que les consommateurs actuels de chaleur issue de réseaux à bois vont s’entendre dire dès l'année prochaine : « C'est plus cinq ou plus dix, car vous représentez des émissions de particules, même extrêmement faibles ».

Les déchets sont un sujet étonnamment très mal traité des deux côtés. Pour leur gestion, il n'y a pas de politique véritable d’utilisation d'énergie à partir des déchets ménagers ou industriels, qui représentent plusieurs centaines de millions de tonnes et vont massivement en stockage car cela coûte moins cher. Il y a là un potentiel énergétique fabuleux. On a du mal à l’assumer car il y a eu au cours des années 2000 une crise grave, celle de la dioxine. Aujourd'hui cette crise est derrière nous, les traitements de fumée nécessaires ont été mis en place, mais il reste que nous avons du mal à assumer le fait qu'il y a de l'énergie dans les déchets. Cela ne doit pas nous empêcher de faire de la prévention et du recyclage, mais il reste une petite moitié de la poubelle après ces actions. Soit on la met dans un four, ou éventuellement chez un cimentier dans le cadre des combustibles dérivés, soit dans un centre de stockage. Il manque là une vraie politique, qui viendra de l'énergie, et non pas des déchets. La question est de savoir si nous sommes en capacité d'élaborer un plan énergie-déchets 2020 ou 2025, tenant compte de toutes les ressources énergétiques contenues dans nos déchets.

Je parlerai un peu moins du solaire, évoqué avec le photovoltaïque.

Une nouvelle filière se développe, le solaire en réseau de chaleur. C'est aujourd'hui, en coût d'investissement, la solution la moins chère d'utilisation du solaire thermique, autour de 500 euros au m², contre 1000 ou 1500 euros au m² dans des filières plus individuelles.

Dans le premier réseau à mix énergétique bois-solaire, celui de Balma à coté de Toulouse, ce solaire est stocké dans la journée pour chauffer le soir. C'est un système intéressant. AMORCE participe à un programme européen avec les Danois et les Suédois, qui sont allés beaucoup plus loin que nous sur le solaire dans les réseaux de chaleur.

En termes de gouvernance, et c'est peut-être là qu'il y a le plus à dire, s'il y a beaucoup d'atouts dans les réseaux de chaleur, les deux autres énergies directement en concurrence, le gaz et l'électricité, en ont davantage.

L'un des enjeux du débat sur la transition énergétique, rappelons-le, est le suivant : les trois réseaux, gaz, électricité et chaleur, sont des services publics locaux, sous propriété des communes, sous gouvernance des communes ou des intercommunalités. Il manque à la capacité organisatrice de ces trois réseaux, celle de les coordonner.

À l'échelle d'une ville, d'un quartier, ou d'une ZAC, l'élu, le maire ou le président de l'intercommunalité a la capacité de décider de privilégier le réseau de chaleur parce qu'il est au bois, de privilégier le gaz ou l'électricité. Mais la capacité de coordination n'existe pas véritablement. Il y a plusieurs moyens de l'imaginer : introduire, par exemple, dans le PLU un schéma directeur d'approvisionnement des territoires. Dit autrement, cela consisterait à mettre autour de la table ERDF, GrDF, Dalkia Helio ou Idex, et à leur poser la question de savoir comment on alimente le territoire. Ainsi, l'élu arbitrerait entre ces trois énergies, car il serait absurde que ces trois réseaux soient dimensionnés de manière à alimenter les mêmes quartiers, les mêmes villes, les mêmes rues.

Il s'agirait de s'assurer que cette concurrence entre les trois énergies soit loyale, équitable. Elle ne l’est pas aujourd'hui car les tarifs sont extrêmement bas dans certaines énergies.

Je vais peut-être surprendre. Je sais que le débat sur la péréquation tarifaire est sensible. Je tiens à dire ici à quel point AMORCE est attachée à la solidarité territoriale entre l'urbain et le rural, traduite actuellement par une péréquation nationale. Pour nous, le vrai enjeu, c’est la péréquation, mais pas forcément la péréquation nationale, car les réseaux de chaleur ne sont pas gérés au niveau national. Il y a des prix différents entre Lille, Strasbourg et Brest. Et pour autant le système fonctionne, sans plainte majeure.

Dernier point sur lequel je voudrais insister : avec le Fonds Chaleur, pour lequel l'engagement du Grenelle se montait à un milliard d'euros à terme, l'Ademe a dépensé, pour 2012, 230 millions. Nous en sommes à un cinquième à peu près. Elle a réussi à réussi à mobiliser 300 000 TEP-an. Nous n'atteindrons pas les objectifs du Grenelle. Les chiffres internes à l'Ademe montrent qu'il faudrait entre cinq cents et huit cents millions d'euros pour les atteindre. L'enjeu financier est majeur.

Je synthétise les recommandations : TVA maintenue à 5 %, surtout sans exigence de 75 % d'ENR, augmentation du Fonds Chaleur, promotion des nouvelles énergies, solaire et valorisation énergétique des déchets, ainsi qu'une vraie politique pour la gouvernance de la distribution à l'échelle des territoires, en rappelant que les collectivités sont les autorités de service public de la distribution.

M. Bruno Sido. Je donne maintenant la parole à Etienne Cayrel, directeur du pôle énergie renouvelable de TRIFYL, syndicat mixte départemental qui gère les déchets ménagers à l'échelle du Tarn, et produit de l'électricité grâce à son bioréacteur. Notre collègue sénateur Jean-Marc Pastor, président de TRIFYL, étant présent interviendra certainement.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur. Je vais juste faire une introduction, et Etienne Cayrel rentrera d'avantage dans les questions techniques. Le syndicat mixte TRIFYL assure le traitement des déchets ménagers du département du Tarn, de l'Aveyron, d’une partie de la Haute-Garonne et de quelques communes de l'Hérault.

En une quinzaine d'années, les notions de biomasse et de méthanisation sont rentrées dans les mœurs. Le principe sur lequel nous nous sommes arrêtés au niveau technique pour assurer le traitement de ces déchets ménagers est celui, très simple, du bioréacteur : vous avez un sac poubelle, vous le fermez et au bout de 24 heures il se gonfle. En milieu anaérobie, le processus de fermentation est accéléré. Ce sac poubelle est reproduit à une échelle beaucoup plus grande, sans en faire obligatoirement un digesteur ou une usine. C’est un silo, un casier fermé de façon hermétique, dans lequel on récupère le biogaz. Toute la partie importante concerne bien sûr le traitement de ce biogaz qui est produit pendant à peu près dix à douze ans. Il n'y a pas de digesteur, c'est la nature qui va fonctionner pendant ce temps.

Nous avons trois valorisations du biogaz. Une première valorisation est très connue, c'est la cogénération, qui consiste à produire de l'électricité et de la chaleur. Une seconde est une unité de séparation du biogaz pour pouvoir récupérer le méthane et produire un bio-méthane carburant. En effet, nous ne disposons pas de réseau de gaz GrDF et nous valorisons ce bio-méthane avec une flotte de véhicules. La troisième voie sur laquelle nous nous dirigeons, puisque nous sommes en train de construire cette unité, est un réformeur, qui va permettre de transformer le biogaz, et plus particulièrement d'aller y chercher l'hydrogène, de manière à assurer une production de ce gaz.

Donc trois voies de valorisation, et pour reprendre les propos de Nicolas Garnier, quand il évoquait la question de la valorisation électrique, il y a d'autres valorisations à rechercher. Je partage pleinement ces propos, puisque les perspectives du syndicat TRIFYL sont justement de donner plus de valorisation dans le transport, avec le bio-méthane carburant, mais également avec de nouvelles utilisations d’un vecteur énergétique tel que l'hydrogène, qui rentre en plein dans le débat sur la transition énergétique.

Une démarche nous rapproche du groupe coopératif ARTERRIS, avec lequel nous somme en partenariat de manière à faire bénéficier le monde agricole de nos équipements, en produisant du biogaz avec les mêmes voies de valorisation. En parallèle à cette démarche, il y a la voie du bois-énergie. Sur nos déchetteries, nous récupérons beaucoup de bois. Nous avons un massif forestier conséquent, un partenariat avec la coopérative qui gère la forêt paysanne sur le territoire départemental et pour une partie de Midi-Pyrénées, de manière à positionner des réseaux de chaleur.

Quand ces réseaux ont été lancés, la plupart des communes piétinaient pour les mettre en place, et nous avons pris la décision de prendre la compétence. C'est donc le syndicat qui réalise l'investissement et gère la totalité des réseaux de chaleur à partir de plaquettes que nous fabriquons sur place, de manière à ce que cette démarche de réseaux de chaleur puisse se développer sur le territoire le concernant.

Tout cela est géré en régie, avec ce souci, partagé pour une grande part avec AMORCE : l'électricité, oui, car la technique est connue, les contrats sont connus, elle permet d'avoir des rentrées d'argent assurées. Mais à côté, il est intéressant de faire autre chose, dans le domaine du transport notamment, et du réseau de chaleur. Je laisse à Étienne Cayrel le soin d'entrer plus avant dans les détails, de manière à donner une lecture des choses un peu plus précise techniquement.

M. Étienne Cayrel. Le principe du bioréacteur est bien le confinement dans un casier étanche. Pour donner un ordre de grandeur, le site exploité par TRIFYL à côté de Graulhet dans le Tarn, a une autorisation de traitement de 180 000 tonnes, et nous ne sommes pas très loin de ce tonnage annuel depuis trois ans bientôt. Le principe est bien d'enfermer des déchets résiduels d'ordures ménagères de manière à favoriser la dégradation en biogaz avec, grande caractéristique du bioréacteur, recirculation des lixiviats. Ces jus qui traversent les déchets sont collectés en fond et réinjectés au sommet pour maintenir une humidité suffisante, car autrement la dégradation aurait tendance à se ralentir. C'est ainsi qu'en dix à quinze ans ces déchets seront stabilisés, et la production de la totalité du potentiel méthanogène sera atteinte.

Nous utilisons trois grandes voies pour la valorisation du biogaz, et je donnerai quelques chiffres pour les illustrer.

La valorisation par cogénération est la plus importante en débit. Nous sommes équipés de trois moteurs à gaz d’une puissance cumulée de 3,6 mégawatts. Ces moteurs tournent avec un taux de disponibilité supérieur à 95 % sur l'année. C'est important à signaler car parler de puissance nécessite aussi d'indiquer la disponibilité.

L'électricité est revendue à ERDF, la chaleur utilisée actuellement pour chauffer le siège du syndicat. D'ici un an ou deux il y aura une, puis deux installations de séchage de boues et de digestats, dont a parlé le sénateur Pastor.

Le site de production de gaz subit la contrainte d'être loin du réseau, et nous avons choisi la voie du bio-méthane carburant. Il s'agit d'épurer le gaz, composé d’environ 50 % de méthane et 50 % de CO², pour concentrer le méthane et le comprimer de façon optimale. Nous avons une installation de stockage à 270 bars qui alimente une flotte de véhicules : camions pour le transport des déchets sur la flotte interne au syndicat, et véhicules légers.

La dernière voie de valorisation est au stade de la recherche-développement. Il s'agit de l'hydrogène, filière dans laquelle nous croyons beaucoup. Le projet est partenarial avec l'association PHyrénées, une association régionale de la communauté hydrogène en Midi-Pyrénées, une PME tarnaise, ALBION, qui a développé le réformeur dont nous allons parler, l'École des Mines d'Albi-Carmaux, et d'autres intervenants spécialistes soit d'épuration, soit du biogaz. L'objectif de ce pilote est de montrer qu'il est possible de transformer directement du biogaz en hydrogène. Aujourd'hui, ces sociétés savent transformer du méthane ou du gaz naturel en hydrogène, pour en faire toutes les applications connues dans ce domaine, en mobilité ou en stationnaire. Nous construisons une unité pilote de 5 m3/heure, modeste, mais qui va permettre de valider la première étape d'un processus industriel.

M. Bruno Sido. Je donne la parole à Philippe Lecaudé, directeur général des services du Syndicat mixte d'élimination des déchets de l'arrondissement de Rouen, le SMEDAR, qui valorise les déchets de 164 communes dans un cadre mutualisé, et en assure notamment la valorisation énergétique grâce à son unité VESTA.

M. Philippe Lecaudé. Merci Monsieur le président. Je vais vous présenter très rapidement ce qu'est le SMEDAR avant d'aborder le réseau de chaleur par lui-même. C'est un syndicat mixte qui, vous l'avez dit, valorise les déchets de 164 communes : tout l'arrondissement de Rouen, la communauté d'agglomérations de Rouen, des syndicats semi-urbains ou même ruraux, et la ville de Dieppe, éloignée de notre territoire central. Une unité de valorisation énergétique (UVE) est située en plein centre de la communauté d'agglomération rouennaise, sur le territoire de la ville de Grand Quevilly, en milieu industriel.

Notre mission, comme tout syndicat de cette nature, est d’assurer le traitement des déchets : valorisation, incinération, compostage, transport et tri.

Nos équipements principaux sont une unité de valorisation énergétique, appelée VESTA effectivement, située dans un éco-pôle sur le territoire de la ville de Grand Quevilly, comprenant l’UVE, un centre de tri, une unité de traitement des encombrants, une unité de logistique et de maintenance. Nous avons également deux plates-formes qui traitent 60 à 70 mille tonnes de déchets verts par an, selon les saisons, situées à Cléon et Saint-Jean-du-Cardonnay, deux communes proches de Rouen. Sur ces déchets verts, nous avons mis en place une coopération avec d'un côté une ferme équestre et de l'autre côté une ferme porcine. Nous leur apportons des tontes fraîches, de façon à ce qu'ils puissent les mettre dans leurs méthaniseurs en complément de leur production locale.

Nous disposons également de cinq quais de transfert pour amener ces déchets à notre usine.

Sur l'éco-pôle lui-même, l'unité de valorisation énergétique a une capacité d'incinération de 325 000 tonnes par an. Elle a été mise en service en 2000, et traite des déchets ménagers résiduels, des déchets industriels et commerciaux banals. Elle est le seul équipement habilité à traiter les déchets d'activité de soins pour la Haute-Normandie. Elle comprend une fosse de stockage de 20 000 m3, trois lignes de traitement d'une capacité de 14 tonnes/heure, un procédé de traitement de fumée à la pointe de la technologie en 2000, quand on a ouvert l'usine. Depuis, il y a eu une amélioration, car nous essayons d'améliorer l'usine en permanence : dépoussiérage primaire par électrofiltre, neutralisation des gaz acides, neutralisation des NOx, et absorbeur pour les dioxines et les furanes. La vapeur que nous produisons est transformée en électricité. Il reste à la fin du processus d'incinération 70 000 tonnes de mâchefer valorisés en sous-couche routière et en remblai.

Pour la production d'électricité, un turbo alternateur d'une puissance de 32 mégawatts fonctionnant à 4 000 tours/minute nous permet de produire 175 millions de kWh par an, c'est-à-dire l'énergie nécessaire pour alimenter la ville de Rouen. 80 % de cette production est revendue à ERDF dans le cadre d'un contrat de longue durée et 20 % utilisée pour l'autoconsommation de l'usine. Depuis les directives du Parlement européen et les débats des Grenelles 1 et 2, l'amélioration de l'efficacité énergétique a été imposée à tout le monde, y compris aux collectivités territoriales. Nous avons donc souhaité étudier la possibilité de compléter cette production électrique par une production de chaleur. Dans le même temps, les villes et les bailleurs sociaux dans l'environnement immédiat de notre usine recherchaient une alternative à l'utilisation de l'énergie fossile dont les coûts dérapaient complètement. Cette rencontre d'intérêts communs nous a permis de mettre en place ce réseau de chaleur qui, en réalité, est un réseau de distribution d'eau chaude permettant d'alimenter les chaufferies des réseaux de chaleur existants. Donc, nous ne créons pas un vrai réseau chaleur, mais bien une nouvelle alimentation des réseaux de chaleur existants.

Nous soutirons 55 tonnes/heure de vapeur, soit l'équivalent de 9 mégawatts sur les 21 disponibles revendus à EDF, avec une puissance thermique maximale de 38 mégawatts thermiques. Le passage se fait par trois échangeurs et quatre pompes de charge présentant des débits de 310 m3/heure. La température de départ est de 110 ° à 16 bars de pression, celle de retour à 75 °. Le réseau s’allonge sur 11,5 km, soit 23 km de tuyau aller et retour, permettant d'accéder à Rouen avec des diamètres de canalisation de 425 mm, qui ont nécessité dix mois de chantier et un passage en fonçage sous les voies SNCF et la voie rapide Sud 3. Nos clients sont la ville de Petit Quevilly, par l'intermédiaire de son délégataire, la société Cofely, dont nous raccordons une chaufferie centrale pour une puissance de 12 mégawatts thermiques, la ville de Grand Quevilly, pour diverses installations d'une puissance de 3,5 mégawatts thermiques, Quevilly habitat, bailleur social principal du secteur pour une puissance de 15,5 mégawatts thermiques et le siège du SMEDAR que nous venons de construire juste à côté de l'usine pour 0,2 mégawatts thermiques. Cela fait un total de 31,2 mégawatts thermiques livrés chez nos clients.

Pendant la période d'été sans chauffage à assurer, nous sommes en négociation avec des industriels proches de notre usine intéressés par cette eau chaude pour produire du froid. La région Haute-Normandie va nous demander de raccorder le lycée Val de Seine, situé presque un kilomètre après le bout de notre réseau actuel.

Au total, dix mille logements, des équipements publics, écoles, piscines, mairies et gymnases sont ainsi alimentés par la chaleur. 90 % des besoins en énergie thermique de ces dix mille logements seront assurés par ce réseau chaleur. C'est un chiffre extrêmement important. Nous sensibilisons les habitants en leur faisant remarquer que leurs propres déchets vont produire leur chaleur. Cela nous permet de réaliser les travaux nécessaires dans un climat très apaisé, alors même que les populations, surtout les commerçants, sont très gênés. Les logements chauffés actuellement au fuel seront convertis aux énergies renouvelables non fossiles, dont le bilan environnemental est très favorable : pour 8 000 tonnes équivalent-pétrole, 14 000 tonnes équivalent CO2 économisés. Le rendement global est augmenté. Lorsque nous étions seulement en production électrique, nous étions à 27,5 % de rendement. Nous passons à 50 %.

Je passe très rapidement sur le paramètre d'efficacité énergétique, bien que ce soit une notion importante, puisque le fait d'atteindre cette performance énergétique à 0,60 nous permet d'être qualifiés d'opération de valorisation. Lorsque nous étions en production électrique seule, nous étions à 0,53 et n'avions pas complètement droit à ce qualificatif. L'intérêt économique réside dans le taux de TVA réduit à 5,5 % pour les consommateurs – dont nous espérons le passage à 5 %, un taux de récupération supérieur à 60 % ; un gain par rapport à d'autres formes d'énergie et une révision des prix indépendante de l'évolution du prix des énergies fossiles. Ainsi, nous sommes à même de garantir à nos clients une progression maîtrisée des coûts sur les vingt ans d'engagement des contrats.

Le Fonds Chaleur géré par l'Ademe nous a versé une subvention d'un montant de près de 12 millions d'euros, à hauteur de 46 % de celui de l'investissement. Les tarifs que nous appliquons aux collectivités et bailleurs sociaux sont un tarif hiver de 28 euros HT le mégawatt heure et un tarif été de 14,5 euros, plus une part fixe de 32 560 euros pour le Petit Quevilly et de 28 920 euros pour le Grand Quevilly, ce qui fait un prix de vente total situé entre 41 et 43 euros HT le mégawatt heure.

Nous voyons bien les enjeux en termes d'environnement, les avantages à la fois économiques, environnementaux et l'efficacité énergétique. Il y a des conditions indispensables pour pouvoir persévérer dans cette voie. Nicolas Garnier l'a dit : d'abord le soutien financier des projets. Si nous n'avions pas eu le soutien du Fonds Chaleur de l'Ademe, nous n'aurions jamais pu faire ce réseau, ou alors avec un coût de sortie prohibitif. Le taux de TVA réduit est aussi une condition indispensable. L'interdiction de l’enfouissement des déchets à fort pouvoir calorique interne permettrait d'assurer la pérennité du fonctionnement de nos installations dans le cadre du plan de réduction des déchets à la source. Avec toutes les actions de sensibilisation qui sont faites, plus les circonstances économiques actuelles, nous voyons bien que les apports de déchets dans les unités d'incinération sont en diminution. Donc nous pourrions avoir à terme des difficultés à assurer la valorisation énergétique.

Un dernier mot pour aborder les activités scientifiques du SMEDAR : nous sommes très impliqués dans les actions de recherche et développement. Deux sont liées directement à la production énergétique. Nous avons travaillé sur le programme Prométhée, pour la production d'hydrogène non pas, contrairement à TRIFYL, à partir du méthane, mais extrait avant même que la méthanisation ne se produise. Cela a permis d'aboutir à la construction d'un pilote de laboratoire qui a démontré son fonctionnement. Malheureusement, lorsque nous avons demandé la prolongation de ce programme pour créer un pilote industriel, nous n'avons pas obtenu les financements. Un deuxième programme, sensiblement le même que celui développé par TRIFYL, en partant du digestat amont, c'est-à-dire après extraction de l'hydrogène, en partenariat avec l'INRA, le CORIA, le CNRS, etc., n'a pas été retenu par l'ANR.

Deux autres programmes, hors production d'énergie, nous permettaient de renforcer la transparence sur le fonctionnement des UVE, de démontrer la propreté, si je puis dire, de ces usines, donc leur acceptabilité.

Le programme Meterdiox est terminé depuis la fin de l'année 2012. Les laboratoires de l'université technologique travaillent pour dépouiller l'ensemble des résultats. Ce programme vise à développer un instrument de mesure en continu des dioxines. Actuellement, nous n'avons que des prélèvements de manière semi-continue, avec des analyses différées dans le temps, et nous espérons avoir trouvé la solution pour disposer de ce contrôle en continu.

Nous montons un dossier en partenariat avec le SICTOM de Paris et la communauté urbaine de Lille sur le traitement des REFIOM, c'est-à-dire des résidus des fumées d'incinération contenant énormément de sels et des métaux lourds. Nous espérons pouvoir aboutir à un traitement qui nous permettrait d'extraire ces substances de façon à les neutraliser, pour obtenir un produit de petite quantité et totalement neutre, utilisable comme les mâchefers en sous-couche routière ou en fondations.

M. Bruno Sido. Pour terminer cette première série d'interventions, je donne la parole à M. Alain Planchot, président du Conseil de surveillance d'IDEX, et administrateur de l'usine collective de méthanisation Géotexia, unité de valorisation énergétique de la matière organique, implantée à Saint-Gilles du Mené en Bretagne. Elle regroupe des agriculteurs, des industriels et des communes. Vous avez la parole.

M. Alain Planchot. Merci Monsieur le président. Nous allons présenter ce projet de méthanisation territorial avec l'aide de mon collègue Antoine Jacob. Il va replacer la méthanisation dans son principe, puis je vais me focaliser sur le projet lui-même.

M. Antoine Jacob. Je représente effectivement IDEX et Géotexia, mais je suis également président du Club Biogaz qui représente 230 entreprises du secteur de la méthanisation en France. C’est un interlocuteur des pouvoirs publics qui aide à développer sereinement et efficacement cette filière.

Nous parlons de méthanisation territoriale. Il s'agit d’une part de récupérer des produits issus de l'agriculture, de l'industrie agroalimentaire et des collectivités territoriales, de types tontes de pelouses, etc., de les collecter et de les méthaniser dans des méthaniseurs collectifs, d'en tirer une énergie valorisée sous forme de chaleur, d'électricité, ou de gaz injectés dans les réseaux, et d'autre part de retourner au sol les matières fertilisantes, localement, à travers une valorisation du digestat. L'intérêt est de produire des énergies locales, de valoriser des produits locaux présents en quantité sur le territoire, notamment dans le milieu agricole, et d'avoir des actions de dépollution, la matière organique dégradée provenant de produits qui auraient pollué s’ils n’avaient été récupérés.

À la fois, nous dépolluons, nous transformons cette pollution en énergie, et nous retournons au sol la matière organique stable sous forme d’amendement. Vous connaissez la valorisation du biogaz par cogénération, production d'électricité et de chaleur, à condition d'avoir besoin de chaleur à proximité des installations. Mais il existe également depuis quelques temps la possibilité de laver ce gaz, d'en extraire CO2, H2S, et d'injecter du CH4, donc du méthane, dans les réseaux de transport et de distribution. Cela permet des valorisations potentielles en GNV, en chaleur, sur le réseau. C'est une énergie non intermittente. Nous produisons 8 000 heures par an, et n'avons pas d'effet de disponibilité de la ressource puisqu'elle est locale.

L'avantage du digestat est que retourne à la terre ce que la terre a produit. Nous collectons globalement du fumier, des lisiers, des produits industriels de l'agroalimentaire et nous restituons au sol ces matières sous forme d'engrais. Le digestat est désodorisé, les germes pathogènes sont réduits. Sont conservées les matières fertilisantes NPK, est remodifiée la nature de l'azote, qui de l'azote organique devient plutôt ammoniacal, et donc plus facilement assimilable par les plantes. Ce produit peut se substituer à des engrais chimiques qui sont fort consommateurs d'énergie fossile.

M. Alain Planchot. Le projet de Géotexia est probablement le premier de méthanisation territoriale aujourd'hui en exploitation en France. C'est intéressant de raconter l'histoire de ce projet, les problématiques étant moins technologiques que sociétales et politiques. Nous sommes dans le Mené, au cœur de la Bretagne, dans une région essentiellement agricole où l'élevage de porc et sa transformation sont l'activité principale, avec des contraintes de géographie sur cette zone. La Bretagne concentre une grande partie des activités d'élevage en France, lait ou porc, introduisant des stress sur la qualité des eaux et des nappes phréatiques, amenant des contraintes imposées aux élevages. Le projet est né de la prise de conscience, par 35 éleveurs de porc, de la nécessaire prise en main de leur destin pour permettre à leurs fermes de poursuivre leur vie en traitant le problème du lisier, sachant que ces éleveurs n'avaient ni une surface de terrain pour épandre à la hauteur de la taille de leur élevage, ni une taille suffisante mettre en place une solution autonome. En 1998, ils se sont engagés dans la recherche d'une solution collective en créant une CUMA, Mené-énergie. Après une recherche de références à l'étranger, la méthanisation s'est rapidement imposée comme la bonne solution pour répondre à la fois au problème réglementaire et à la valorisation de l'azote, dans un schéma économique compatible avec leurs exploitations.

Un point important de ce projet pionnier est le temps qui a été nécessaire pour le faire émerger, du début des études en 1998, en passant par l'arrivée d'IDEX aux côtés de la CUMA au début des années 2000, la longue période de gestation une fois déposé le premier permis de construire et obtenu l'arrêté d'exploitation, avec un recours qu'il a fallu combattre, une reconfiguration de l'installation après l'émergence d'un premier tarif d'électricité en 2006, jusqu'à l'autorisation d'exploiter définitive en 2008, permettant de passer à la phase travaux. Cela fait donc plus de dix ans depuis le lancement de la réflexion jusqu'à l'émergence d'une installation.

Cette durée a pu être surmontée grâce à l'équipe Géotexia, qui réunissait les initiateurs du projet au sein de la CUMA, mais aussi IDEX, un industriel de l'efficacité énergétique, et un peu plus tard la Caisse des dépôts, qui a apporté notamment la crédibilité financière au projet.

L'ensemble des partenaires a passé beaucoup de temps à intégrer le projet dans la dynamique du territoire. Nous pouvons dire que le projet de méthanisation a été à la fois le déclic, le prétexte et l'accélérateur d'un projet ambitieux au niveau du pays du Mené, de viser l'autonomie énergétique en multipliant les initiatives, également dans l'éolien ou le bois-énergie. Le projet a pris du temps, mais a abouti, avec le soutien constant tant du Conseil général que de la Région, grâce à la prise en compte des intérêts des parties prenantes, des objectifs, des contraintes des établissements publics qui y ont contribué, Ademe et Agence de l'eau, et à un dialogue assez intense avec les associations.

C'est une unité industrielle, représentant un investissement de plus de 15 millions d'euros, dont les subventions et avances de l'Ademe, du FEDER et de l'Agence de l'eau représentent à peu près le tiers. Une des difficultés, qui a pris du temps mais a été finalement résolue, a été d'obtenir les engagements classiques des banques pour une partie significative du financement.

Je ne vais pas rentrer dans le détail du process, depuis l'arrivée des matières, la fermentation, la valorisation sous forme d'électricité, le traitement de l'eau permettant le rejet dans le milieu naturel pour l'irrigation de 14 hectares de saules, et la production d'un digestat, un engrais relativement sec exporté.

Quelques photos présentent les trois digesteurs, la centrale de cogénération et une unité de traitement des odeurs qui permet à cette usine d'être respectueuse de l'environnement.

Cette unité participe à la vitalité économique et sociétale du territoire, à la fois par le maintien sur le Mené des exploitations agricoles concernées, l'intégration affirmée avec les industries de transformation proches et la création d'une petite dizaine d'emplois directs et indirects. Elle participe aussi à l’objectif d’autonomie énergétique du Mené, avec 14 000 mégawatts heure d'énergie électrique et de chaleur verte, l'impulsion donnée à un bon nombre de projets ENR ainsi que la plus-value écologique résultant du traitement d'un tonnage important de déchets et de l'élimination de plus de 10 000 tonnes de CO2.

Antoine Jacob va nous dire encore quelques mots de l’ensemble de la problématique de la filière

M. Antoine Jacob. Dans cette filière, l'Europe et l'Allemagne présentent une large avance sur nous. Pour illustration, l'Allemagne produit aujourd'hui 5 millions de TEP d'énergie primaire à partir de la méthanisation alors que nous en produisons 350 000. Nous sommes donc au tout début de l'émergence de cette filière.

L’Allemagne en 2012 avait 7 500 installations et a produit l'équivalent de 3000 mégawatts électriques, alors que nos objectifs à l'horizon 2020 sont de 400 mégawatts électriques. Non seulement nous avons du retard, mais nous n'avons pas l'air de vouloir le rattraper plus vite que cela.

Les tarifs d'achat d'électricité en France ont fait l'objet de remaniements, notamment en 2011. Ils font apparaître un tarif de base, complété par une prime à l'efficacité énergétique sur la valorisation de la chaleur, mais également une prime aux effluents d'élevages, destinées aux installations inférieures à 250 KW, alors même que l'on a prouvé récemment l’absence d'effet d'échelle entre petite et grosse méthanisation. Il n'y a pas vraiment de justification à cette différenciation tarifaire si l'on veut voir l'émergence de cette filière, et notamment des installations de type Géotexia, de l'ordre de 1 à 2 mégawatt. Le tarif pour le biométhane injecté dans les réseaux tient compte de l'effet d'échelle, mais distribue la prime aux effluents d'élevage de façon égalitaire entre petites et grosses installations, ce qui est plus cohérent. Cela démontre l'incohérence pour cette filière des conditions tarifaires de ces deux modes de valorisation énergétique.

Pour les enjeux de long terme l'Ademe a fait une proposition d'objectif 2030-2050 en perspective énergétique plaçant le biogaz comme l'une des énergies pouvant permettre la transition énergétique. L'agence propose qu'en 2030, nous produisions 6 millions de TEP, donc à peu près 3 600 mégawatts électriques, c'est-à-dire ce qui existe aujourd'hui en Allemagne. Pour l'activité économique, cela constituerait un investissement de l'ordre de 25 milliards d'euros en vingt ans. Il ne s'agit donc pas d'une petite filière en termes d’investissement.

M. Bruno Sido. Merci messieurs. Nous en arrivons au moment du débat et je voudrais poser une première question à Monsieur Lincot, pour revenir sur la perspective du photovoltaïque organique. Vous l'avez évoqué trop rapidement en fin d'intervention puisque vous teniez à ne pas dépasser vos dix minutes, mais est-ce une voie prometteuse ?

M. Daniel Lincot. Ce qui caractérise ce domaine de la conversion photovoltaïque, c'est l'émergence d'avancées majeures dans de nouvelles façons de convertir les photons en électricité. Il y en a une très connue, qui ne convertit pas en électricité, sauf au début : c'est l'absorption par la chlorophylle et celle par la matière organique. Cette dernière est à la base de la formation, par des réactions rédox, etc., de la matière de toute la biomasse.

Le photovoltaïque organique est apparu il y a quelques années, et connaît aujourd'hui une extension, une marge de progression, comme on le voit sur un transparent. En quelques années dans les laboratoires, on est passé de pratiquement 0,5 ou 0,1 % à 10 % aujourd'hui. Je vous ai montré la courbe de croissance pour le silicium, la première présentée, avec les sauts technologiques. Nous avons ce type de courbe avec les différentes filières. L'organique est en train d'exploser en quantité de recherches et de résultats. C'est aujourd'hui l'une des filières constituant ce que l'on appelle les nouvelles filières émergentes, sur lesquelles il faut absolument engager une réflexion à moyen et long termes.

Nous parlons de transition énergétique : l'organique va avoir sa courbe d'apprentissage. Nous n'allons pas mettre d'emblée des cellules organiques sur les toits, car il y a encore de travaux à faire, sur la stabilité, etc., mais nous commençons à voir, et je crois que cet après-midi il y aura une présentation sur ce thème, des applications qui commencent à préparer le terrain, par exemple dans l'électronique nomade.

Dans les nouvelles générations de photovoltaïque, certaines technologies organiques, ainsi que les cellules à colorants développées par le professeur Graetzel à l'EPFL, atteignent à ce jour 14 % de rendement.

Il existe également des nouveaux concepts, mais j'ai restreint volontairement les dix minutes sur les deux grandes technologies qui me semblaient importantes à court terme en raison de leur impact majeur sur la transition énergétique. Mais il y aura des combinaisons de technologies dont il ne faut pas minimiser l'importance.

M. Bruno Sido. Merci. Sur la géothermie, j'aurais personnellement trois questions à poser. La première concerne l'intégration dans les fondations des réseaux, ce qui se fait en Allemagne et en Suisse, mais pas en France. Est-ce une question de réglementation ? La seconde touche à l'aspect un peu polémique des produits chimiques utilisés en géothermie. Nous avons eu hier un rapport sur les gaz non conventionnels où l'on utilise également de tels produits. Quels sont-ils ? Enfin, question délicate mais que je me devais de poser car je vois en écoutant les uns et les autres, les prix s'effondrer à partir du moment par exemple où les emprunts sont remboursés. Et puisque nous cherchons à remplir les caisses, à créer des fonds, Fonds chaleur… Il n'y a pas de redevance sur cette chaleur pour laquelle au fond personne ne paye rien, sauf à aller la chercher bien entendu ? Mais par exemple quand on extrait du pétrole, une redevance est due. Est-il imaginable qu'il y ait un jour une redevance sur ces sources de chaleur ?

M. Philippe Vesseron. Ce n'est pas une question si polémique. Pour l'intégration aux fondations, l'une des particularités françaises est l'assurance-construction, le fait que si les conditions requises sont remplies, le maître d'ouvrage est garanti pour dix ans des défauts. Parmi ces conditions existe un référentiel permettant aux bureaux de contrôle de dire la norme. Ceci n'a pas encore été développé pour l'intégration des capteurs géothermiques aux fondations, qu'il s'agisse des structures comme des parois, ou des pieux. Un des enjeux est d'amener les entreprises, les bureaux d'étude, le CSTB, à travailler ensemble pour développer de telles procédures, bien connues, qu’elles s'appellent avis technique ou DTU. Si ceci n'est pas fait, il n'y aura pas d'intégration aux fondations, et ce serait très dommage.

Pour les produits chimiques, je disais qu'une des difficultés rencontrées avait concerné les problèmes de corrosion. Dans le bassin parisien, cela a été réglé, en quelque trois ou quatre ans, en identifiant des produits chimiques, utilisés à l'état de traces, permettant de stopper ce phénomène. Toutes les formes de géothermie profonde, depuis longtemps, utilisent des produits chimiques. Ce n'est pas secret. Mon souci est que ce soit très largement disponible, que l'on puisse trouver ces éléments sur les bases de données, pour qu'il n'y ait pas ce phénomène de rejet ou de blocage rencontré dans les domaines que vous évoquez.

Il n'y a pas de redevance. Il se trouve que l'instrument réglementaire utilisé depuis 1977 à l'égard de la géothermie profonde est le code minier. C'est un instrument qui a beaucoup vieilli, pour la participation du public, mais également pour la redevance. Il n'y a pas de redevance minière pour l'exploitation de la chaleur profonde, et c'est à mon avis une des difficultés. Outre-mer, pour que les choses se développent correctement, il faut que la production d'énergie par géothermie fasse l'objet d'une fiscalité à la fois vers la commune, la région, et l'Etat. Autrement, il est plus intéressant fiscalement pour une collectivité outre-mer de percevoir de l'octroi de mer sur du fuel importé, destiné aux installations sympathiques que j'évoquais. Donc, la modernisation du code minier, réhabilitation, dans le cadre de la modernisation du code minier, du concept de redevance minière, encore une fois vers les communes, les régions, les départements et l’État, me parait être une condition du développement.

M. Michel Andrès. À l'origine effectivement il était question de fixer une taxe minière pour l'exploitation du minerai-eau géothermal. On nous a dit à l'époque : si nous sommes assujettis à la taxe minière, nous ne le sommes pas à la taxe professionnelle. Les réseaux de chaleur géothermiques sont placés dans le champ d'application de la taxe professionnelle, et nous ne payons donc pas de taxe minière. Depuis quelques années, la taxe professionnelle a évolué, et cela n'a pas été corrigé. Il faut cependant rappeler que ces réseaux géothermiques ont besoin d'un soutien important en termes financiers pour leur développement, qu'il faut compter en moyenne 25 ans pour amortir les investissements initiaux, et le fait de fixer une taxe minière serait contre-productif, puisqu'il faudrait à ce moment-là peut-être augmenter les subventions pour la compenser. Ce n'est peut-être pas globalement une bonne solution.

Sur l'injection de produits inhibiteurs de corrosion, il faut rappeler que nous sommes dans des réservoirs profonds, dont l'eau n'est absolument pas potable. Le Dogger exploité en région parisienne est une eau très salée, qui contient de 15 à 22 grammes de sel par litre, des traces d'hydrocarbures, des carbonates, du sulfure d'hydrogène également en grande quantité. Et nous injectons des produits à raison de 2 ppm pour protéger les puits contre la corrosion. On peut donc considérer que l'impact environnemental est tout à fait marginal. Nous pourrions nous passer d'utiliser ces produits en réalisant notamment des puits en matériaux composites, mais il faut que la recherche et la mise au point des matériaux se poursuivent. Il y a eu quelques expériences, mais il n'y a pas beaucoup de produits disponibles sur le marché, et aussi le coût est très important. Par exemple, les forages de Melun qui ont été refaits il y a environ une dizaine d'années en matériaux composites, aboutissent à un coût global du doublet supérieur de 40 % par rapport à un doublet classique en acier. L'utilisation de produits chimiques, aujourd'hui, reste une solution beaucoup plus économique, bien qu'elle puisse être améliorée.

M. Jean-Yves Le Déaut. Sur le photovoltaïque, vous avez démontré par des courbes la baisse des prix. Ils sont encore très élevés par rapport à d'autres technologies, et surtout les variations des tarifs de rachat font que la plupart des cellules fabriquées le sont en dehors de France et d'Europe. Pourrait-on imaginer des nouvelles technologies dans lesquelles il y aurait à la fois un développement technologique et le développement de l'industrialisation au niveau de notre pays ou de l'Europe ? Deuxièmement, le nombre d'heures par an utilisé dans le domaine du photovoltaïque ne le lie-t-il pas au stockage de l'électricité ? Ou, sans stockage de l'électricité, peut-on imaginer un développement fort du photovoltaïque ? Une question à Philippe Vesseron : dans la géothermie, y a-t-il bien fracturation ? C'est une question qui a été posée hier sur les hydrocarbures non-conventionnels. Troisième point, de manière plus générale, vous avez dit, en terminant sur la méthanisation : « On ne veut pas rattraper le retard ». Pourquoi y a-t-il des freins réglementaires, et, je m'adresse à tous, quelles sont les modifications réglementaires nécessaires à votre avis pour que l'on puisse développer les filières que vous défendez ? Cela intéresse le législateur. Philippe Vesseron vient de dire qu'il faudrait faire évoluer le code minier ; vous, venez de dire que l'évolution du code minier vers une taxe aurait des effets négatifs dans la mesure où il faudrait augmenter le subventionnement. Les politiques en yoyo de subventions à certaines filières, d'arrêt des subventions pour la cogénération par exemple, ont-elles des incidences sur le développement des techniques, et pensez-vous que nous avons des politiques continues dans ces domaines ?

M. Daniel Lincot. La question des prix est essentielle, car il n'y aura pas de transition si les coûts restent très élevés. Si tout est subventionné, cela ne marchera pas à long terme. La courbe que j'ai montrée indique une tendance lourde d'abaissement des coûts, issue des lois d'échelle et de l'innovation technologique. La baisse existe depuis une vingtaine d'années, d'environ 20 % à chaque fois que la production double, et nous arrivons aujourd'hui autour de 1 euro par watt au niveau des modules. Les coûts du kWh photovoltaïque sont autour de 10 à 20 centimes d'euros. La baisse en quelques années est d'un facteur 3 à 4. Ce qui était vrai en 2000, où l'on avait 60 à 70 centimes d'euro, n'est plus vrai aujourd'hui. Ce domaine est en train d'acquérir une position de ce qu'on appelle « la parité réseau ». Nous ne sommes pas encore à la parité de quelques centimes d'euros du coût brut de la matière, mais c'est une tendance lourde, indépendante du contexte chinois en particulier, avec des effets de surproduction et de dumping. Cette tendance lourde permet de tracer une évolution du prix vers la parité réseau, ce qui est déjà le cas en Allemagne, en Italie et dans certains endroits comme dans le sud de la France. Elle va se doubler dans quelques années d'un réel intérêt à produire localement du photovoltaïque de façon supportable, sans tarif d'achat. En revanche, comme les investissements sont très lourds, il est nécessaire de payer d’avance. Donc il faut un soutien financier pérenne pour ces investissements.

C'est l'industrie européenne qui a lancé ce phénomène d'abaissement des coûts. Ses laboratoires et son industrie sont très bien placés pour relever le défi des coûts, y compris sur la filière silicium, mais également sur les filières couches minces. Et là nous rentrons dans une situation où le cadre législatif, les incitations et la capacité à faire me rendent très optimiste pour dire que l'Europe a une place industrielle. Il faut s'en donner les moyens, dans les couches minces qui sont mon domaine, mais également sur le silicium.

Enfin, le nombre d'heures et l'intermittence, sont une question, mais cette intermittence concerne toute la biomasse. Pour la fabrication du pain, le grain pousse quand il y a de la pluie, il ne pousse pas la nuit, ni l'hiver… Il faut faire avec l'intermittence. Ce qui est essentiel, c'est la ressource énergétique, et considérer non pas le nombre d'heures, mais la production. Si l'on installe 1 mégawatt de puissance photovoltaïque, à Paris par exemple, nous aurons 1,3 gigawatt heure produits par an. C'est cette production électrique qui est en train de monter à des niveaux très élevés. Nous réévaluons, et peut-être qu'en 2020 nous irons au-delà des 5,4 gigawatts installés ; les Allemands seront à 50 gigawatts.

La question du stockage ne va pas freiner le photovoltaïque, car il n'est pas la seule énergie renouvelable. Il faut considérer le foisonnement apporté par la combinaison du photovoltaïque, de l’éolien, de la biomasse et des énergies marines qui, ensemble, permettent, c'est démontré scientifiquement, des lissages et des pénétrations plus élevées : donc combinons, grâce à des réseaux intelligents, des stockages locaux.

Enfin, nous aurons une situation où nous disposerons d'une énergie photovoltaïque très peu chère, qui va modifier la donne. Se pose la question suivante : que va-t-on faire de l'excès ? Il y a actuellement des expériences très intéressantes, en lien avec la méthanisation et l'hydrogène. Cet excès d'électricité peut servir à produire de l'hydrogène. Nous n'aurons donc pas une compétition sur le secteur électrique, mais nous pourrons mettre du gaz ou de l'hydrogène dans les tuyaux, voire, par la réaction de Sabatier, faire de la méthanation.

M. Philippe Vesseron. Sur la question du stockage, l'effet de foisonnement justifie de réinvestir le sujet des réseaux de transport. Si l'on n'a pas d'interconnexion suffisante des réseaux de transport, on perd toute une partie du foisonnement. Il faut aussi réfléchir sur l'effacement, le développement d'usages interruptibles lorsque les sources intermittentes le nécessitent.

Une autre question concerne l'utilisation de la fracturation pour la géothermie profonde. Au départ, l'idée, dans tous les pays, était de travailler sur roche sèche, non fracturée, et de la fracturer par la pression, en utilisant des produits chimiques. Cela a été fait à Soultz, pendant un certain temps, et à Bâle, en 2006, ce qui explique que le mouvement micro-sismique soit devenu l'un des enjeux de la géothermie profonde. On a constaté depuis ce moment, notamment à partir de l'expérience de Soultz, que travailler non pas sur roche sèche, mais sur roche humide, dont on puisse ouvrir des fractures préexistantes, certes par de la pression, mais aussi en utilisant des produits chimiques, était une voie intéressante, notamment sur le plan économique. Effectivement, nous sommes proches de la fracturation, mais pas tout à fait à l'identique.

Quels sont les enjeux réglementaires ? J'en ai cité un certain nombre, du côté de la réglementation de la construction. Il faut, au travers des DTU (document technique unifié, applicable aux marchés de travaux de bâtiment), intégrer au permis de construire tout ce qui concerne l'utilisation de la géothermie à très basse température, dans le petit immeuble tertiaire ou la maison individuelle. Les ONG ont proposé de sortir la géothermie à moins de 20° du champ du code minier. Des parlementaires ont présenté, en 2010-2011, un amendement de France Nature Environnement allant en ce sens. Ce peut être l'une des pistes. Mais ce peut aussi être fait par décret, à l'occasion de la refonte du code minier. Les problèmes de délais sont déterminants pour beaucoup d'applications. Tout le monde dit du bien du Fonds Chaleur, y compris moi. Il n'empêche que, pour toutes les formes d'utilisation des énergies renouvelables, le point de vigilance concerne les délais d'instruction. Quand on dit à un maître d'ouvrage qu'il aura dans 18 mois une réponse, positive ou négative selon les résultats de l'instruction par l'État, c'est complètement dissuasif.

Pourquoi est-ce aussi long ? En France, l'autorisation d'une usine d'incinération d'ordures ménagères ou d'une porcherie nécessite une procédure lourde, avec enquête publique, consultation des municipalités et des services administratifs, sans même parler des possibilités de recours. Il faut refaire le tri entre ce qui mérite ce type de procédure ou des procédures plus modernes. À l'heure d'Internet, il faut évaluer ce qui mérite d'être fait librement, avec une simple déclaration, comme beaucoup des aménagements dans des maisons individuelles.

Pour préciser ma proposition relative à la création d'une redevance minière, celle-ci serait limitée à la production d'électricité par géothermie en outre-mer, afin de la développer, conformément à l'intérêt collectif. Cela ne présenterait à peu près aucun intérêt de le faire à L’Haÿ-les-Roses.

M. Michel Andres. Je voudrais apporter deux petits compléments à ce que vient de dire Philippe Vesseron.

D'une part, il convient de préciser que la géothermie basse température, sur pieux secs, aquifères, pompes à chaleur ou réseau de chaleur n'utilise absolument pas la fracturation hydraulique, mais la perméabilité naturelle du réservoir, dont l'eau est extraite puis réinjectée intégralement, sans matière ajoutée. En outre, le code minier interdit de réinjecter l'eau d'un aquifère dans un autre aquifère. A contrario, la fracturation hydraulique, utilisée par exemple pour le gaz de schiste, consiste bien en l'injection d'eau de surface ou de réservoir dans un autre réservoir. Par conséquent, dans 99 % des cas, la géothermie n'utilise absolument pas la fracturation hydraulique. Il n'y a, de ce fait, aucun parallèle à faire avec l'exploitation des gaz ou des huiles de schistes.

D'autre part, lorsque le Fond Chaleur a été créé, nous espérions un dispositif facilement compréhensible par les maîtres d'ouvrages et les bureaux d'études travaillant sur ces sujets. Au contraire, une usine à gaz a été mise en place, notamment pour la géothermie profonde, avec des études au cas par cas, prenant en compte la rentabilité intrinsèque du projet, etc. Aussi, ces dossiers sont-ils très lourds à constituer et à instruire, a fortiori compte tenu du manque de personnels instructeurs. Il aurait été beaucoup plus simple de mettre des règles en place, comme il en existait par le passé, en fonction notamment des émissions de carbone évitées. De cette façon, nous aurions été sûrs de l'efficacité directe de l'aide attribuée. De plus, ces aides pourraient être lissées dans le temps, et non pas simplement affectées à l'investissement. Nous nous heurtons donc à des difficultés importantes au niveau de ce fonds. Par exemple, nous avons déposé cette année plusieurs dossiers au Fonds Chaleur. Le pré-dossier devait être remis dès le 17 décembre et le dossier définitif dès le 17 février. L'Ademe les examinera en septembre, alors que les travaux seront déjà terminés, puisque ces programmes seront réalisés durant l'été. Nous aurons donc conçu les installations, effectué les appels d'offre, attribué les marchés et réalisé les travaux, alors que les dossiers ne seront pas encore instruits. Ce problème mériterait d'être corrigé, afin de donner plus de visibilité aux maîtres d'ouvrages. Aujourd'hui, même si elle fait appel à un bureau d'étude, une collectivité qui veut s'engager dans un projet de géothermie ne connaît pas le niveau de subvention qu'elle obtiendra. C'est réellement une instruction « à la tête du client », et c'est forcément dommageable.

M. Antoine Jacob. J'ai vu la proposition de la filière sur les évolutions. Il s'agit d'une nouvelle filière, en cours de constitution avec des acteurs en place sur le territoire, qui se heurte à divers freins. D'une part, des tarifs un peu trop faibles pour garantir des équilibres économiques pérennes limitent les possibilités de développement des filières, d'autant que les projets de méthanisation les plus importants faisant intervenir beaucoup d'acteurs font l’objet d’itérations longues qui conduisent à les développer en 4 à 7 ans (10 ans pour Géotexia). C'est tout à fait rédhibitoire en termes de développement industriel.

Du coup, les industriels français qui pourraient se positionner sur le marché de la construction ne le font pas, faute de visibilité. Aussi demandons-nous une bouffée d'oxygène, quitte à ce qu’un comité de suivi, regroupant les pouvoirs publics et la filière, veille à éviter les effets d'aubaine, sur la CSPE par exemple. En tout cas, initialement, la filière ne doit pas être bridée par des tarifications excessivement contraignantes.

D'autre part, l'application des réglementations sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), certes légitime, va au-delà de ce qui se fait en Allemagne, générant des surcoûts de l'ordre de 30 % par rapport à nos voisins, ce qui constitue un frein au développement de cette nouvelle filière.

Ce sont là nos principales revendications. Nous demandons non pas une augmentation des tarifs, mais le rétablissement d'une équité tarifaire entre gros et petits projets, ainsi que l'accroissement des durées de ces tarifs de 15 à 20 ans, comme pratiqué pour d'autres filières. Un savoir-faire français existe, les technologies sont matures, bien maîtrisées, les acteurs sont présents sur le territoire, et le secteur de l'agriculture, notamment la FNSEA et les Chambres d'agriculture, se positionne sur ce projet. Des centaines de projets sont en cours d'études en France, mais ont malheureusement beaucoup de mal à émerger.

M. Philippe Vesseron. Je voudrais rajouter deux points. D'une part, le fait que la matière organique laissée en plein champs ou en décharge rejette du méthane, générant dans l'atmosphère – suivant les sources – de 20 à 60 fois plus d'effet de serre que le C02, constitue un argument important en faveur de la valorisation.

D'autre part, comme l'a signalé Nicolas Garnier, à partir du moment où la pollution de l'air par les particules devient une vraie question, la combustion, en ville, de la biomasse dans des chaudières individuelles va devenir un problème relativement prégnant. À Londres, dans les années cinquante, lorsque le smog a été reconnu comme un problème de santé publique, l'utilisation des combustibles solides dans les foyers individuels a été interdite. Il me semble que ce serait une mesure de salubrité, permettant de stabiliser et de pérenniser l'utilisation de la biomasse pour l'énergie.

M. Nicolas Garnier. Sur les réseaux de chaleur, l'enjeu essentiel est probablement celui du décret « charges ». Quand vous êtes usager d'un réseau de chaleur, vous ne savez pas combien vous coûte votre chauffage, car le décret « charges » ne prévoit pas d'indiquer la part de chauffage. Un autre problème posé par le décret « charges » est la grande différence entre une chaufferie, individuelle ou collective, et un réseau de chaleur. Pour un réseau de chaleur, le coût de l’outil de chauffe et de son entretien est inclus dans l'abonnement, alors que pour une chaufferie il est compris dans le loyer ou les charges. De ce fait, il existe une distorsion dans la perception de l'usager. Le grand classique est que le bailleur social dise que le gaz est 30 % moins cher que le réseau de chaleur. En fait, on compare des choux et des carottes. Cela revient à comparer pour un trajet Paris-Lyon le prix de l'essence à celui du ticket de TGV, en oubliant de prendre en compte le coût de la voiture et de son assurance.

Pour le bois, les valeurs réglementaires limites sur les émissions de particules ont été relevées sans évaluation préalable de leur impact en termes de coût. Une comparaison entre les gains procurés, en termes d'émissions, s'agissant d'un outil à l'origine d'un pour cent de celles-ci, et les coûts induits, en termes de traitements de fumée, aurait facilement démontré l'inefficacité d'une telle mesure.

L'examen de la loi de finance commencera prochainement. Il est évident qu'une augmentation significative de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour la valorisation énergétique, motivée par le souci d'abonder les finances publiques ou de limiter la pratique de l'incinération, serait le meilleur moyen de retirer leur compétitivité à des installations comme celle présentée aujourd'hui par le SMEDAR. Une augmentation de la TGAP, à 40 ou 50 euros sans modulations, accroîtrait le prix de la chaleur véhiculée par les réseaux de chaleur.

Sur l'énergie solaire, il conviendrait de pallier l'absence, dans la réglementation thermique 2012, de prise en compte de celle-ci pour les réseaux de chaleur.

M. Jean-Yves Le Déaut. Pourriez-vous rédiger une note détaillant les points que vous venez d'évoquer ? Si d'autres participants ont des propositions, ils peuvent en faire de même. Pour la méthanisation, pourriez-vous préciser l'origine des équipements que vous utilisez ?

M. Antoine Jacob. Pour Géotexia, nous avons fait une analyse qui conduisait, pour des technologies maîtrisables en totalité en France, à 60 % d'équipements provenant d'Allemagne et 40 % de France. Mais les maîtres d'ouvrages ne souhaitent pas prendre de risque. Compte tenu de l'avance technologique de nos voisins, ils préfèrent leur acheter des équipements que nous saurions réaliser assez facilement dans notre pays. En France, nous avons des bureaux d'étude importants, comme Proserpol, ou des structures plus récentes, comme Naskeo, issu de l'Inra de Narbonne, qui savent faire de la maîtrise d'œuvre et de la conduite d'installation. Il y a vraiment du développement industriel à faire autour de cette filière, afin de capter les quelques milliards d'euros évoqués précédemment.

M. Jean-Marc Pastor. Pour le bioréacteur, 100 % de la méthodologie, de la technologie industrielle et du matériel sont français.

M. Antoine Jacob. Il ne faut pas opposer les filières.

M. Jean-Marc Pastor. Je n'oppose pas les filières, mais je souligne qu'en termes d'investissements certaines filières nécessitent un système industriel, contrairement à d'autres. Cela se traduit notamment par une incidence sur le coût. Or, lorsque nous discuterons, d'ici quatre mois, non pas de technique, mais de la TGAP, c'est le contribuable qui sera concerné. Néanmoins, les questions techniques ne doivent pas non plus être éludées.

M. Bruno Sido. Merci pour cette précision. Nous allons passer à la deuxième table ronde qui vise à présenter diverses contributions à la formulation d'une stratégie pour orienter l'effort de recherche en énergie. Compte tenu de la nature du sujet, et d'une façon exceptionnelle, le temps de parole est étendu à 15 minutes. Je donne la parole en premier à Mme Dany Escudié, responsable du département énergie durable de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, qui a pour mission de financer et de promouvoir le développement des recherches fondamentales et appliquées, l'innovation et le transfert de technologie, ainsi que le partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Elle est la cheville ouvrière des Investissements d'avenir, aux côtés du Commissariat général à l'investissement.

Mme Dany Escudié. Je vous remercie de m'avoir invitée au titre de l'agence pour présenter un panorama de ce qui a été soutenu ces dernières années. Vous savez que l'agence, créée en 2005, est jeune. Pour rappeler ce que vous venez de dire, sa mission principale consiste à favoriser l'émergence de nouveaux concepts, de faire qu'il y ait des ruptures en termes de création de connaissances et d'intensifier les collaborations. Il fallait aussi accroître les recherches dans le cadre de priorités économiques et sociales : une partie de l'agence est très orientée sur le soutien aux recherches. La collaboration et la rupture sont deux vecteurs forts dans les missions de l'agence, avec une vision internationale. Pour remplir ses missions, l'agence a des instruments que je ne développerai pas ici, mais ceux-ci interviennent sur une durée moyenne de trois à quatre ans. Elle offre aussi des soutiens beaucoup plus courts, pour mobiliser une communauté, en réponse par exemple à un grand problème international. Nous avons ainsi mobilisé la communauté suite à Fukushima et à Haïti. L'agence dispose également d'instruments de soutien aux jeunes chercheurs. Nous pouvons soutenir une personne, un laboratoire, un réseau de laboratoires, avec ou sans entreprises, ainsi que des partenariats existant au-delà de nos frontières.

Pour positionner l'agence dans le panorama français, l'ANR se situe plutôt du côté du soutien aux actions académiques. Mais dans le paysage français de l'énergie, nous nous articulons avec une autre agence, l'Ademe, avec OSEO et les Investissements d'avenir. Cette articulation entre l'ANR et l'Ademe est importante. Car si l'ANR va soutenir des projets plutôt de type académique, elle fait le lien avec l'Ademe qui, elle, va financer beaucoup plus des actions du type transfert et démonstrateurs. Ensuite, OSEO peut prendre le relais pour l'aide aux PME-PMI et la mise en place sur le marché des innovations. Il y a donc des collaborations entre deux ministères.

L'ANR possède un département énergie durable, car en 2010 – mais c'était le cas également à la naissance de l'agence – l'investissement public français en R&D était majoritairement – à près de 50 % – sur le secteur nucléaire. D'emblée, l'agence ne s'est pas positionnée sur un soutien à cette technologie, de même qu'elle s'est écartée de ce qui concerne les énergies fossiles. Ce sont plutôt des aspects touchant aux énergies durables qui ont été soutenus.

Voici la photographie de ce qui est soutenu aujourd'hui. Le budget de l'Agence est de 550 millions d'euros. La part des énergies durables, de 10 % environ, a baissé ces dernières années. Les budgets de l'énergie sont particulièrement affectés par la réduction des crédits. 2009 est le point d'acmé de la croissance de l'agence en termes financiers. En 2012, nous sommes autour de 50 millions d'euros. Cette année, la part affectée à l'énergie sera probablement inférieure à 40 millions d'euros. Cela correspond à une décroissance importante, de plus de 40 %, des soutiens que l'on peut apporter au secteur de l'énergie, à relier au positionnement indiqué tout à l'heure.

La programmation soutenue par l'agence, qui s'inscrit dans un panorama lié à un contexte socio-économique bien connu, n'est pas faite par l'Agence seule. Elle est le résultat d'une large consultation, qui passe par les alliances, les organismes, le ministère, les entreprises, et fait aussi remonter des informations du terrain. En effet, pour chacun des programmes mis en place, un comité de pilotage est constitué avec des chercheurs, enseignants chercheurs, entreprises et organismes. Il donne plus ponctuellement un avis scientifique et technique sur les orientations de l'agence. Le tout est recueilli au sein d'un Comité scientifique sectoriel qui donne les grandes orientations. L’agence a mis en place, depuis sa naissance, trois cycles de programmation et de soutien : un premier de 2005 à 2007, un deuxième de 2007 à 2010 et nous sommes actuellement dans la troisième année du cycle actuel.

S'agissant des thématiques principales soutenues par l'agence, initialement, le soutien de l'agence portait surtout sur des composants. Nous avons, par exemple, beaucoup travaillé sur la pile à combustible et sur le solaire photovoltaïque, tout en maintenant un historique constitué de deux piliers importants, le PREDIT et le PREBAT qui soutenaient à la fois l'automobile et l'habitat. Il y avait aussi le captage et le stockage du CO2, et tout un ensemble d'aspects de biotechnologie. Avant la fin de ce premier cycle, avait déjà été mis en évidence l'importance, soulevée tout à l'heure, du stockage. Des actions ont été soutenues pour le stockage, en particulier embarqué, car il y avait une forte pression des entreprises, en particulier automobiles, qui à l'époque voulaient travailler sur la pile à combustible. À partir de 2009, suite à une modification de la stratégie des entreprises du secteur automobile, nous nous sommes orientés prioritairement vers le stockage stationnaire pour les piles à combustible. Nous avons également essayé de travailler à des couplages, l'objectif de l'agence étant d'amener plutôt à des ruptures en croisant les disciplines et les domaines. Nous avons ainsi couplé le photovoltaïque à l'habitat, et cela a donné un habitat intelligent et solaire, et a ouvert le véhicule terrestre pour en faire un domaine où l'on travaillait des SHS, jusqu'à étudier la combustion dans un moteur avec une partie efficacité énergétique, et une partie efficience. Nous avons mis en évidence un problème important, l'efficacité énergétique, et avons placé beaucoup de moyens pour valoriser cette thématique.

Depuis 2011, nous sommes dans le troisième cycle, avec cinq programmes soutenus par l'agence, trois sur les grands vecteurs énergétiques que sont la chaleur, l'électricité et les biotechnologies, comme les bio-fiouls au sens large, vecteurs dont nous avons parlé aujourd'hui, et puis deux grands secteurs d'application de l'énergie que sont le bâtiment et le transport. Ces projets ont donné souvent lieu à des liens avec l'Ademe, puisque des démonstrateurs ont été soutenus.

A l'heure actuelle, une répartition thématique est la suivante : en plusieurs années nous avons beaucoup financé l'hydrogène, le photovoltaïque, mais aussi l'efficacité énergétique dans le bâtiment ou le transport. Si nous regardons les trois cycles, nous constatons évidemment une décroissance mécanique, liée à la diminution des moyens, mais aussi un impact important sur les programmes.

Une question peut-être : doit-on réfléchir à ces programmes en les articulant avec l'Europe, bien que cela se fasse automatiquement, et quelle est la limite à donner à la transition énergétique ? J'étais en début de semaine à un forum avec la Suisse, très proche de la région Rhône-Alpes. La distribution d'énergie peut être raisonnée en termes géographiques site-région, mais également ouvert. Selon les limites choisies, il est possible d’orienter les recherches académiques.

J'en viens à l'importance des partenariats. Je l'ai déjà souligné, l'agence a joué un rôle important en la matière. On le voit très simplement dans les réunions des comités d'évaluation. Comme nous avons favorisé les partenariats, nous avons, depuis 2005, fait travailler beaucoup d'équipes en France, si bien que nous tombons très rapidement dans des conflits d'intérêts. Cela nous oblige – résultat dramatique ou intéressant – à aller chercher des experts étrangers.

Voici une photographie du projet ANR pour l'énergie : nous avons soutenu à peu près 80 projets par an dans les premières années. Maintenant nous sommes plutôt autour de 40, avec 4 ou 5 partenaires publics ou privés. Environ 35 % des entreprises viennent aussi avec des laboratoires. Deux tiers des projets sont labellisés par des pôles de compétitivité. Un projet touche en moyenne entre 500 et 800 mille euros. Plus il est proche du transfert vers l'industrie, plus il coûte cher, et nous approchons alors le million d'euros. Cela produit 200 revues à comité de lecture par an, et un effet de levier important : un soutien d'un euro de l'ANR, peut mobiliser un euro d'un organisme, et un demi-euro de l'industrie.

Nous avons une attraction d'équipes aussi. Les programmes ont montré que nous n'avions pas forcément des équipes spécialisées dans un domaine. Nous avions des laboratoires de génie électrique très centrés sur la distribution de l'énergie, qui passent maintenant à la gestion électrique dans l'habitat ou dans un réseau d'îlot.

Il y a également la création de partenariats pérennes, avec des laboratoires communs, par exemple entre Total et un laboratoire de nanotechnologies sur le photovoltaïque. C'est donc une ouverture et un encouragement interdisciplinaire. Tout à l'heure, Daniel Lincot l'a dit : il est important que dialoguent différentes disciplines scientifiques, de façon technique et comportementale. Nous apercevons dans le domaine de l'énergie beaucoup de verrous comportementaux. On parle d'énergie centralisée ou décentralisée. Tout à l'heure, la question du stockage a été évoquée. Si la question du photovoltaïque est reprise avec l'optique d'une production locale et d'une autoconsommation, les problématiques de stockage ne sont plus du tout les mêmes. Cette problématique de comportement peut donc réellement faire changer, à un moment donné, de paradigme. L'énergie ne serait plus considérée sous un angle mercantile, mais beaucoup plus dans une perspective d'autoconsommation ou de distribution de sa propre énergie, lors d'un pic, à quelqu'un qui n'en a pas à côté, dans le cadre d'une analyse par quartiers ou îlots. Cela permettrait à la fois de gérer l'industrie, le local et le tertiaire. Ce sont des notions à développer car elles contiennent des enjeux de recherches académiques très importants.

En moyenne, chaque année, trente brevets sont issus des soutiens apportés et deux start-up sont créées. Mais l’important pour nous est de mettre en place des défis qui vont, demain, donner lieu à de l'innovation. Par exemple, nous mettons en place un défi avec EDF, sur un terrain complètement différent, avec la volonté de montrer l'énergie d'un point de vue social : créer à la fois des œuvres d'art ou de design qui permettent de faire prendre conscience aux gens de l'énergie et de son transfert d'un point à un autre, mais aussi de faciliter les réseaux.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vais donner la parole à Mme Nathalie Alazard-Toux et à M. Jean-Guy Devezeaux de Lavergne. Tous deux vont présenter les scénarios de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre) qui regroupe les grands organismes publics de recherche concernés par la problématique de l'énergie, afin de coordonner et de renforcer l'efficacité des recherches. Nous avons eu plusieurs fois à l'Office l’occasion de faire le bilan du travail de l’Alliance. Aujourd'hui, vous allez nous présenter, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, les contributions qui présentent trois scénarios possibles d'évolution du système énergétique français.

Mme Nathalie Alazard-toux. Le travail que je vais vous présenter a été coordonné par une petite équipe, constituée de personnes venant du CNRS, du CSTB, du CEA et de l’IFP-EN, mais qui s'est surtout appuyée sur l'ensemble des groupes programmatiques de l'Ancre. Ces derniers regroupent tous les organismes et toutes les équipes qui travaillent sur le problème de l'énergie, aussi bien du point de vue de la demande que de l'offre ou de la gestion des réseaux.

Nous avons dès le départ décidé de regarder trois scénarios vraiment très contrastés, avec pour point commun un fort travail sur l'efficacité énergétique et les technologies liées.

Le scénario « sobriété renforcée » met l'accent sur la modification des comportements – et tout ce qui peut aller dans ce sens –, l'efficacité énergétique et le développement de la part des renouvelables. Comme exemple de changement des comportements dans le domaine des transports, nous avons mis l'accent sur la diminution de la mobilité individuelle, avec notamment la mise en place de flottes servicielles permettant d'adapter une technologie à un type d'usage, etc.

Dans le deuxième scénario, « décarbonisation par l'électricité », nous avons fait le choix de développer assez fortement l'électricité comme vecteur énergétique, c'est-à-dire de la diffuser de manière plus contrastée dans tous les usages : le transport, certains process industriels ou dans le domaine de l'habitat-tertiaire, pour l'eau chaude sanitaire et le chauffage.

Dans le troisième scénario, nous avons fait le choix d'avoir des vecteurs beaucoup plus diversifiés, n'excluant pas l'électricité, mais en mettant l'accent sur la biomasse et le développement de systèmes énergétiques locaux et de réseaux de chaleur d'origine géothermiques ou autres.

À l'issue de ce premier travail, dans lequel nous avions intégré la contrainte d’un nucléaire à 50 % de la consommation à l'horizon 2025, nous avons développé un dernier scénario, dans lequel cette contrainte nucléaire est relâchée.

La méthodologie a été la suivante, en travaillant sur des hypothèses de cadrage courantes dans les exercices plus traditionnels qui sont une augmentation de la population et l'hypothèse d'un rythme de croissance de l'économie de 1,7 % par an. Nous avons travaillé avec les différents groupes programmatiques sur toutes les technologies liées à l'usage de l'énergie, en accélérant les rythmes, aussi bien dans le développement de ces technologies que dans leur diffusion sur les marchés. Après avoir travaillé sur la demande, nous l’avons fait avec les groupes programmatiques-offres. Sur l'offre, nous avons fait une intégration pour voir s'il était possible d'atteindre notre objectif d'un facteur 4 dans le domaine de l'énergie pour les émissions de CO2 à l'horizon 2050. Nous avons réajusté certaines hypothèses et avons été obligés de rajouter ce que nous avons appelé des « technologies de rupture », c'est-à-dire dont la maturité technique et l'acceptabilité sociale sont encore une interrogation.

Ce transparent illustre le fait que l'ensemble de ces scénarios qui relâche la contrainte nucléaire, même le dernier, permettent d'atteindre le facteur 4. Nous avons également regardé un scénario tendanciel qui considérait comme d'ores et déjà acté un certain nombre de mesures proposées dans le cadre du Grenelle.

Se positionner sur le facteur 4 constitue une rupture à tous les points de vue par rapport aux évolutions passées, illustrée par un indicateur macro, l'énergie primaire par habitant, avec un historique depuis la fin des années cinquante jusqu'à aujourd'hui. Jusqu'à 2050, pour ces trois scénarios et le scénario tendanciel, nous avons une inversion de tendance. Ce phénomène de rupture et d'inversion de tendance se retrouve sur de grands paramètres, comme la consommation d'énergie finale et la consommation d'énergie primaire.

Un graphique illustre les principaux résultats détaillés sur le site de l'Ancre.

Il y a une diminution de la consommation de l'énergie primaire, liée notamment à l'efficacité énergétique et à la modification de certains comportements ainsi qu'une diminution assez forte de celle de l'énergie fossile et de l'énergie nucléaire au profit des renouvelables. Dans ce cadre, il existe une très forte analyse par secteur. Globalement, pour les différents secteurs de demande en énergie finale, il y a deux contributeurs importants à cette baisse d'émission de CO2 : le transport et le résidentiel-tertiaire, à hauteur de moins 30 à moins 45 % de consommation d'énergie finale et d’émission de CO2. Pour la consommation finale, l'industrie reste à un niveau constant, puisque l'ensemble des gains d'efficacité et de performance ne fait que compenser la hausse de la demande liée à la hausse de l'activité.

M. Jean-Guy Devezeaux de Lavergne. La production d'énergie connaît également des ruptures technologiques, convoquées par l'Ancre, pour atteindre nos objectifs. Dans le scénario sobriété renforcée, la capture et le stockage du CO2 entrent grandement en compte. Dans le scénario décarbonisation par l'électricité, il existe une technologie majeure de rupture, souhaitée par beaucoup, comme l'indiquait l'ANR : il s'agit du stockage électrique. Il est de très grande ampleur. S’il fait l'objet de recherches, nous considérons ne pas savoir ce que c'est. Pour le scénario diversifié, intervient une autre rupture, plus sociétale que technologique : le développement du chauffage urbain par la récupération de la chaleur de centrales électriques. Il s'agit très notablement des centrales nucléaires.

Nous voyons sur la présentation les résultats : un bloc en 2030 et un autre en 2050. Dans ce dernier, nous avons des niveaux absolus de production et de consommation électrique assez différents. Les niveaux des scénarios sobriété et diversification sont relativement bas, celui d'électrification est plus élevé. La quantité du nucléaire, relativement importante dans le scénario électrification, est inférieure à celle d'aujourd'hui. Surtout, la part des ENR, essentiellement – mais pas seulement – des ENR intermittentes, augmente.

Le scénario décrit en dernier par Mme Nathalie Alazard-Toux est proche de celui présenté par l'OPECST, qui s'étendait jusqu'à 2100 environ. On peut le décrire assez proche de ce scénario jusqu'à 2050, au sens où le nucléaire amorce une décrue dans la part de production d'électricité. Par contre, en 2025, il reste autour des taux actuels.

La puissance électrique, en ENR essentiellement, est très largement supérieure à celle du nucléaire, ce qui est lié aussi au facteur de charge. Cela correspond à une fourniture en forte augmentation, puisque la production électrique assurée par les ENR est de l'ordre du tiers.

L'avantage de ce genre de scénario, avec les critères que l'on est capable de chiffrer, concerne les émissions de CO2 dans les années 2025-2030 qui sont inférieures.

En effet, si l'on fait face à une bosse quasiment obligatoire dans le système électrique, il y a des avantages économiques, et cela permet de faire jouer les synergies entre nucléaire et ENR : les investissements en capital à la base des ENR, notamment le solaire photovoltaïque, se font en incorporant l'électricité qui sert à les produire. Un exemple est celui du raffinage du silicium, utilisant une énergie électrique significativement plus décarbonnée. Le passage de relai entre le nucléaire et les ENR se fait mieux.

Il peut y avoir des désavantages par rapport à d'autres critères que, pour le moment, l'Alliance n'a pas encore regardés.

Nos conclusions : abstraction faite de considérations économiques, puisque nous n'avons pas encore développé l'analyse correspondante – ce sera fait à l'horizon d'octobre – l'atteinte du facteur 4 est techniquement possible, avec des stratégies diversifiées et au prix d'efforts très soutenus. Il s'agit d'efforts dans le champ social, sociétal, des comportements, des accompagnements économiques importants par la puissance publique, mais également au plan technologique, puisque nous avons besoin de mettre en œuvre des technologies de rupture, d'accélérer l'innovation et la diffusion des technologies.

C'est surtout vrai dans la deuxième période, à partir de 2025-2030. Autrement dit, les technologies mobilisées jusque-là existent pour une bonne part ; mais à partir de 2025-2030, nous allons avoir besoin de technologies nouvelles. Ceci ne pourra se faire qu'à travers un effort soutenu de R&D à mener aux niveaux national et européen. En effet, si nous souhaitons que ces technologies aient des effets sur l'emploi et les exportations, c'est pour une bonne part l'innovation qui va être à la base de ces succès : innovation technologique, mais aussi dans le domaine du solaire, innovation sur les marchés, et comportementale.

Il s'agit donc de discriminer ces éléments et de bien choisir les domaines dans lesquels nous allons investir. L’Ancre s'y attache, pour contribuer fortement à l'établissement de la stratégie nationale en matière de recherche sur l'énergie. Pour ce faire, l'Alliance a déjà identifié dans un rapport de la fin de l'année dernière un certain nombre de verrous technologiques. Ce rapport se trouve sur le site de l'Alliance. Et en croisant cette approche technologique avec celle du groupe programmatique de prospective de l’Ancre, par hybridation des connaissances telle qu'elle a été évoquée ce matin, nous proposons des feuilles de route, qui sont à la fois technologiques et économiques.

M. Bruno Sido. Je donne la parole à M. Cyrille Cormier, chargé de campagne Climat-énergie de Greenpeace, organisme non gouvernemental international de défense de l'environnement. Greenpeace s'est donné pour objectif de dénoncer les atteintes à l'environnement et d'apporter des solutions qui contribuent à sa protection. Greenpeace a élaboré un scénario mondial fondé sur les énergies renouvelables.

M. Cyrille Cormier. Merci pour cette invitation. J'ai compris qu'il fallait être succinct et efficace. Greenpeace produit des scénarios depuis 2005. Je vais en présenter différents éléments. Je commencerai en prenant un peu de distance par rapport à la question énergétique, pour reposer celle du besoin réel de la transition énergétique, des besoins en général. Je me pencherai ensuite sur les travaux de scénarisation de Greenpeace, du monde à la France. En effet nous partons toujours de la question énergétique au niveau mondial, pour ensuite nous focaliser sur la France. Je conclurai sur le scénario français avec les enseignements donnés par ces travaux.

Les besoins de transition énergétique sont de plusieurs niveaux et ont plusieurs dimensions. Avant de toucher cette question énergétique, il y a d'autres aspects qu'on oublie souvent, et que l'on a oublié de mentionner ici : les enjeux environnementaux.

Vous avez tous en tête les émissions de gaz à effet de serre, le dérèglement climatique, un des grands enjeux auquel est confronté le monde d'ici 2050-2100. Il y a aussi les risques nucléaires et la protection des ressources rares et fragiles. Nous parlions de la biomasse tout à l'heure. Il y a aussi la biodiversité, l'eau, les sols, les pollutions locales, à nouveau les eaux, les sols et l'air. Il y a aussi la question des besoins énergétiques. En se plaçant à l'échelle mondiale, on se rend compte qu'il y a un accès à l'énergie pour plus de monde, puisqu'il y a plus de population dans le monde, mais aussi parce qu'il y a des nouvelles populations ayant besoin d'accès nouveaux. Il y a aussi actuellement la garantie de l'usage, le confort énergétique, ou confort d'usage. Il y a les intérêts économiques. Dès l’abord, la question énergétique induit celle de l'emploi, du coût de l'énergie, des importations, des investissements, et j'en passe.

Je vais refocaliser sur les deux premiers points : les émissions de gaz à effet de serre et les risques nucléaires, puisque cela concerne en particulier le cas français. L'objectif est de moins de deux degrés d'augmentation de la température en 2100 par rapport à l'ère préindustrielle, 1750 à peu près. Il y a un lien direct entre les émissions de gaz à effet de serre liés à l'activité humaine et le dérèglement climatique. Il a été mesuré que nous devons réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale d'ici 2050.

Je montre deux graphiques sur le budget carbone. Une petite industrie émet 450 gigatonnes de gaz à effet de serre : c'est ce que le monde peut dépenser d'ici 2050 si l'on veut tenir l'objectif de deux degrés d'augmentation d'ici à 2100. En dessous, la grande tache brune, montre ce que représenteraient toutes les émissions fossiles prouvées, identifiées dans le monde sous les sols : 2 900 gigatonnes. 80 % des ressources fossiles identifiées doivent rester sous terre si l'on veut tenir l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cet élément est dimensionnant quand nous parlons de transition énergétique.

Le deuxième aspect est le risque nucléaire sur la santé et la problématique de la sécurisation. La sûreté du nucléaire n'a jamais été jusqu'à présent garantie, avec trois accidents majeurs en 60 ans d'utilisation du nucléaire civil : Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima, et de nombreux autres évités ainsi que l'accumulation de déchets radioactifs sur la longue durée. Je sais que l'OPECST a travaillé sur cette question. Le vieillissement des réacteurs est un sujet auquel la France est confrontée puisque d'ici quatre ans, 80 % du parc aura atteint les 30 ans, limite du design des centrales nucléaires.

Pour les aspects économiques : l'accident de Fukushima est encore en cours, mais a déjà coûté 170 milliards à l'État japonais. L'IRSN a chiffré à peu près à 430 milliards, en scénario médian, ce que coûterait un accident en France, et à 5 800 milliards dans le pire cas : entre un cinquième et deux fois et demi le PIB français. Enfin, je citerai Pierre-Franck Chevet qui est passé devant vous il y a quelques semaines. Il prenait l'exemple d'une panne générique en France, qui aurait une incidence économique toute autre. Elle placerait notre pays dans une situation très délicate pour l'approvisionnement, avec un impact sur l'activité économique, le temps que les capacités nécessaires à la production d'électricité soient de nouveau en place.

Un risque nucléaire un peu moins connu et identifié est celui des investissements. L'EPR a demandé des investissements initialement très faibles, à hauteur de 3,3 milliards, qui sont largement réévalués à 8,5 milliards, sans savoir jusqu'où augmentera ce coût. De la même manière, pour la prolongation des durées de vie, EDF annonce 55 milliards d'ici 2025. Mais tout cela dépendra des recommandations de l'ASN. Déjà, cela représente plus de 10 euros supplémentaires sur le mégawatt heure produit par le nucléaire.

Je vais présenter la démarche, la méthodologie et les résultats des scénarios Greenpeace, du monde à la France. Cela fait 7 ans que nous produisons des scénarios à Greenpeace, une quarantaine, quatre au niveau mondial, quatre mises à jour et trois au niveau européen. Nous développons un partenariat avec les Instituts DLR, Deutsche Luft und Raumfahrt institut, FSI en Australie pour l'étude sur l'emploi, et l'université d'Utrecht. Nous sommes soutenus dans nos conclusions par le European Wind Energy Council et le Global Wind Energy Council. Enfin, le GIEC a revu notre scénario mondial en 2010, parmi quatre scénarios, pour évaluer quelle était la teneur réelle de ceux qui permettaient de tenir les engagements climatiques.

Les objectifs des scénarios Greenpeace sont fondés sur la tenue des engagements climatiques et la sortie progressive du nucléaire, ce qui est déjà un compromis, puisque avec le risque nucléaire on devrait en sortir immédiatement. Mais il y a un compromis réel lié à la nécessité de produire, de maintenir une activité et de limiter la pression sur les ressources fragiles. Il ne s'agit pas de transférer des problématiques nucléaires ou climatiques vers d'autres ressources, type biomasse ou eau, mais de tenir compte des besoins et technologies disponibles. Au-delà, ce scénario évalue les impacts sur l'emploi, les coûts de production d'électricité, les importations de ressources et les investissements.

Nous procédons en évaluant la demande énergétique, partant d'hypothèses de croissance de démographie, de disponibilité de technologie ainsi que d'évolution des besoins dans les différents secteurs : transport, résidentiel, tertiaire et industrie. Ces hypothèses de développement sont assez similaires à celles présentées par nos collègues de l'Ancre.

L'offre est ensuite modélisée pour répondre à ces besoins. Les renouvelables sont choisis en fonction de leur efficacité potentielle et des coûts, et les fossiles sont mobilisés dans la limite du budget carbone que je vous ai présenté. Pas de gaz de schiste, puisque ayant compris ne pas devoir utiliser 80 % des ressources fossiles déjà identifiées, il ne s'agit pas d'aller en chercher de nouvelles. Cela n'aurait pas de sens. Pas de capture et stockage du carbone car ce n'est pas efficace, ni disponible. Cette rupture technologique n'amènerait que très peu de capture carbone par rapport aux besoins réels. Pas de nucléaire, puisque l'un de nos objectifs est la sortie progressive du risque nucléaire.

Sur les évolutions économiques, tous les scénarios sont comparés à une trajectoire de référence : dans le monde un scénario produit par l'AIE, au niveau de l'Europe par l'Union Européenne, et en France un scénario produit par le DGEC en 2011, nommé AMS-Mesure, qui prend en compte toutes les mesures déjà enclenchées du Grenelle. C'était à l'époque une des trajectoires les plus probables par rapport au développement énergétique en France.

Quelques conclusions sur la 4ème version du scénario monde : il y a 10 grandes régions mondiales. Le résultat principal est de parvenir à la réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, donc de respecter le budget carbone mondial ; la sortie du nucléaire est au plus tard en 2035 ; le nombre d'usagers augmente avec 2,7 milliards d'habitants en plus d'ici 2050 ; un nombre d'emplois directs dans le secteur de la production d'électricité et de chaleur de 22,6 millions, ce qui représente 5 millions d'emplois directs par rapport au scénario tendanciel de l'AIE, que nous avons choisi de considérer comme référence. Les investissements constituent un marché de 50 000 milliards de dollars, à peu près 2,5 fois plus que dans la trajectoire de l'AIE en 2050. Le scénario monde Greenpeace fait l'objet d'un rapport que l'on peut télécharger sur le site de Greenpeace.org.

Du côté européen nous en sommes à la troisième version en 2012. Le contour en est le suivant : 50 % de réduction des gaz à effet de serre au niveau mondial se traduit, au niveau européen, dans le secteur énergie, par une baisse de 95 % – c'est une nécessité. C'est la contribution que doit apporter l'Europe pour que le monde puisse arriver à une baisse de 50 %. Ne sont pas incluses les émissions liées à l'agriculture, la production de ciment, etc., à la différence du facteur 4, qui concerne toutes les émissions de gaz à effet de serre. Pour atteindre le facteur 4, la part de l'énergie est concernée par un facteur 10. Nous, sommes à peu près à un facteur 16 – sortie du nucléaire en 2035, un nombre d'usagers à peu près constant, des emplois un peu plus nombreux que dans la trajectoire de référence – environ 1,4 million d'emplois directs dans le secteur de l'énergie, de la production d'électricité et de chaleur – et, enfin, un marché d'investissement d'environ 3 900 milliards d'euros dans la production d'électricité.

Le scénario France 2013 est une première version. La contribution de la France au niveau de l'Europe se monte à 95 %, pour que l'Europe puisse contribuer à l'engagement du monde pour réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre. Il est nécessaire de toujours garder en tête ce lien avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Ce scénario prévoit une sortie du nucléaire au plus tard en 2032, un nombre d'usagers croissant avec 11 millions d'habitants en plus, et un nombre d'emplois légèrement supérieur à la trajectoire fournie par la DGEC, avec en gros 160 000 emplois directs en 2020, c'est-à-dire 15 000 emplois en plus que dans la trajectoire référentielle. Le marché de l'investissement dans l'électricité est à peu près de 490 milliards d'euros et à peu près équivalent de la trajectoire de la DGEC sur le scénario MS mesure.

Je vais me focaliser sur le scénario France, en parlant de l'évolution de la demande, de l'offre énergétique et de trois impacts principaux : les investissements, les coûts de l'électricité et l'indépendance énergétique. Les résultats pour l'efficacité montrent une baisse de 50 % de la consommation finale, à peu près à 80 megatep en 2050, alors que le scénario de référence se maintient à 147 mégatep. Il est à noter que ce scénario de référence ne permet de baisser que de 53 % les émissions de CO2 énergétiques d'ici à 2050. Les quatre leviers les plus importants sont : l'isolation thermique des bâtiments, notamment avec une cible de 80 kWh en énergie primaire au m² par an dans le résidentiel, le recyclage des matériaux et de la chaleur dans l’industrie ainsi que le bâtiment. Par exemple, il vaut mieux, pour produire de l'acier, réchauffer de l'acier que de partir des minerais, avec un apport de chaleur beaucoup plus important. De la même manière, le recyclage de la chaleur dans les process industriels permettrait des économies d'énergie importantes. Cependant, comme dans le scénario Ancre, nous considérons, pour l'industrie, entre la reprise de l'activité économique et les mesures d'économie d'énergie, une baisse très légère de la consommation, dans ce secteur qui n'est pas le plus consommateur d'énergie. L'efficacité des moteurs est un autre élément que l'on retrouve dans l'industrie, les voitures, les appareils domestiques et les transports. Il faut aussi mentionner le transfert modal vers les vecteurs les plus efficaces : de la voiture vers les transports en commun, des transports en commun vers les transports électriques urbains ou sur la distance. Mieux vaut utiliser le train ou le TGV quand on vient de Marseille pour se déplacer vers Paris que d'utiliser la voiture. Ce sont des choses qui commencent à rentrer dans la culture courante, mais ont du mal à se transposer dans la réalité.

Un dernier élément sur l'efficacité est la stabilisation du réseau électrique par la suppression de la part thermosensible de la consommation. RTE a donné l'alerte depuis plusieurs années. Cela concerne la pointe de consommation qui déstabilise le réseau existant. Nous nous rappelons février 2012. Même avec le nucléaire, nous avons frôlé de peu le black-out. C'est grâce aux importations, notamment en provenance d'Allemagne, que nous avons pu stabiliser notre réseau. Cette part thermosensible est liée principalement aux convecteurs électriques. Nous proposons, avec l'isolation thermique, de retirer le maximum de convecteurs électriques.

Ayant réduit de 50 % la consommation finale d'énergie, la part restante, 92 % à terme, provient des énergies renouvelables. Dans le scénario de référence, elle ne se monte qu’à 32 %. Mais j'insiste encore, celui-ci ne permet de baisser que de 53 % les émissions de CO2, contre un objectif de 95 %. Nous arrivons à un taux de 94 % pour la chaleur renouvelable, 18 % pour les pompes à chaleur géothermiques et 19 % pour le solaire thermique destiné à l'eau chaude sanitaire. Entre le biogaz et le bois, nous sommes à 32 % de la fourniture de la chaleur, et nous avons un transfert maximum possible entre la production de chaleur individuelle et le raccordement à un réseau de chaleur. Notre scénario intègre le développement des réseaux de chaleur et de la cogénération.

Pour la mobilité renouvelable, nous avons le biogaz, l'agro-électricité et les biocarburants. L'électricité renouvelable connaît une forte pénétration, à 98 % avec le foisonnement. Le mix renouvelable est exploité dans son intégralité ; la cogénération pour la biomasse, et non pas la production directe pour éviter d'exploiter une ressource assez fragile de manière inefficace. J'insiste sur le fait qu'avec électricité, il est nécessaire de parler de systèmes : productions, interconnexions, en pensant à un réseau européen de développement des renouvelables électriques et du stockage, bien que dans notre scénario nous soyons très loin d'avoir des besoins aussi forts que dans d’autres, pour la simple raison que la consommation électrique a fortement baissé. Nous sommes plutôt sur des niveaux d'une vingtaine de térawatts-heure, non pas d'une centaine comme dans les scénarios les plus consuméristes, dont l'Ancre a présenté un exemple. Il y a un effort de management à faire pour lisser la demande, et permettre l'intégration des renouvelables.

Monsieur Daniel Lincot a déjà présenté les dynamiques sur les renouvelables, et le fort sentiment que l'on peut avoir sur leurs retombées économiques à très court terme. Je rappelle que la parité réseau a été atteinte en Allemagne l'an dernier. On est très près avec l'éolien et le photovoltaïque de la parité réseau.

Une petite courbe est intéressante, puisqu'on parle souvent de réinvestissement dans le nucléaire : la trajectoire d'apprentissage du nucléaire est inversée, car les coûts du nucléaire augmentent toujours, alors que dans les autres solutions énergétiques, les trajectoires baissent en permanence.

Ma conclusion est importante : tenir les objectifs environnementaux est l’un des points essentiels, souvent oublié dans les débats et la démarche de transition énergétique. Mais il permet de garantir l'accès à l'énergie au plus grand nombre en pensant à l'échelle monde, Europe, et France, et non uniquement au niveau français. Cette vision est profitable sur le plan économique. J'aurais aimé pouvoir le développer, mais vous trouverez tous ces éléments dans la présentation du scénario. Un débat a pris au sein du comité des experts. Sur une quinzaine de scénarios, il n'y en a que trois qui tiennent les engagements climatiques de la France, donc le facteur 4, sur toutes les émissions et non pas seulement sur le secteur énergétique, ceux de Négawatt, de l'Ademe, et de Greenpeace. Ils ont également en commun de réduire la part de la consommation d'énergie de 50 %, et la part du nucléaire dans le mix énergétique.

M. Jean-Yves Le Déaut. J'ai bien compris, par plusieurs parties de votre intervention, que vous souhaitiez un désengagement le plus rapide possible du nucléaire, en 20 ans. Je ne sais pas si c'est raisonnable d'indiquer 2032, donc une précision de deux ans, quand l’EPR de Flamanville va rentrer en exploitation en 2016. Cela signifierait que sa mise en exploitation constitue une erreur. Je pense donc que ces scénarios ne seront pas tenus, car il y aurait inconséquence. Il y aura une part de nucléaire obligatoire en 2032 dans le modèle français, quelles que soient les décisions prises.

Mais ce n'est pas la partie la plus importante. Dans les modèles de l'Ancre il y a chaque fois des ruptures technologiques. Peut-on mener une politique avec des technologies inexistantes ? Y a-t-il une crédibilité à avoir des modèles quand les technologies servant à développer ces modèles ne sont pas disponibles ? Notamment, la technologie de captation et de stockage du CO2, rejetée par Greenpeace, que vous mettez dans le premier modèle, est-elle crédible quand on va avoir une multiplication des installations de combustion rejetant du CO2 ? Aura-t-on des systèmes compatibles de collecte et de stockage du CO? J'ai vu qu'il y avait d'autres procédés, mais vous n'avez pas parlé de méthanation. Croyez-vous qu'il y aura des procédés de retransformation, plutôt que de captation, du gaz carbonique, et si oui, y a-t-il des établissements de recherche qui développent ces technologies ? Et peuvent-elles avoir globalement un sens ?

M. Bruno Sido. Ce que l'on a entendu permet d'éclairer l'avenir, mais tous ces scénarios posent un problème : il faut des ruptures technologiques. Et s'il n'y en a pas ? Il faut arrêter le nucléaire ? Nous allons mettre une tranche en exploitation. Nous n'allons pas l'arrêter 16 ans après. Et vous nous dites en plus qu'il faut interconnecter les réseaux européens. C’est une évidence. Mais personne ne veut voir une ligne aux frontières, sur les montagnes. Ou alors nous sommes obligés de passer par le courant continu, ce qui coûte une fortune. Alors, quel est le scénario, selon vous, le plus probable ?

Mme Nathalie Alazard-Toux. Des technologies de rupture, c'est-à-dire celles auxquelles nous avons été obligés de faire appel dans l'exercice mené dans le cadre de l'Ancre pour arriver à l'objectif que nous nous étions fixé, certaines sont déjà avancées, et posent simplement des questions économiques et d'acceptation sociale.

Concernant le CSC et le problème de la diffusion des points d'émission, nous avons regardé la compatibilité des points d'émission avec les points de stockage, et avons dimensionné le CSC en fonction de ce qui pouvait être stocké.

La méthanation est une technologie que nous utilisons dans le cadre des scénarios de l'Ancre, notamment dans le scénario « Vecteurs diversifiés », pour la production d'électricité, mais également pour le transport, avec une différence par rapport à d'autres scénarios : nous considérons qu'elle va d'abord se développer sur des flottes ou dans des couloirs, par exemple pour le transport de marchandises, parallèlement à un report du gaz naturel sur les activités de transport.

M. Cristoforo Benvenuti, vice-président de la société SRB Energy. Je voudrais faire un commentaire sur la possibilité de prévision. Il y a des discontinuités techniques et technologiques, mais aussi des discontinuités historiques. Un accident comme celui de Tchernobyl ou de Fukushima peut arriver et changer complètement notre façon de prévoir le futur. Il y a d'autres facteurs qui apparaissent dans les prévisions, notre futur économique. J'ai entendu un discours de Jacques Attali, certainement une personne de grande intelligence, qui a parlé une demi-heure sur ces sujets. Son discours s'est résumé en dix mots : il y a un processus de développement durable soutenable économiquement, et un autre écologique. Si l'économique n'est pas là, personne ne s'occupe de l'écologie. Si la situation financière et économique de l'Europe se détériore, nous n'aurons pas envie de faire des investissements pour l'écologie, mais chercherons l'énergie la moins chère. Un pauvre noir d’Afrique qui vit dans un endroit où il y a un seul arbre protégé par l'UNESCO, s'il veut chauffer son steak, il le scie, et c'est ce que l'Europe a fait quand on était encore pauvre. Nous avons déboisé des régions entières pour faire de la métallurgie et produire de l'acier. Prévoir le futur est beaucoup plus facile en tirant profit du passé et de l'histoire. L'humanité a la mémoire courte, mais l'histoire enregistre. On peut y trouver des régularités et dire : attention, si l'on continue ainsi, nous tomberons dans ce problème ou cet autre. Par exemple, qui se souvient qu'au siècle dernier nous avons eu trois flambées d'intérêt pour le solaire ? Et, trois fois, cela a été une bulle, toujours pour la même raison : on commence à dire c'est miraculeux, le soleil est disponible pour tout le monde, l'utilisation est gratuite. Mais au bout de quelques années on s'aperçoit qu'en fait, cette utilisation est très chère, plus chère que l'énergie fossile, et on l'abandonne.

Donnez-nous des idées pour la législation. Sans un support externe, le solaire n'aurait jamais démarré. Et dans mon cas précis, le développement dont je vais parler cet après-midi, je l'ai fait dans les années 70, et j'étais sûr que c'était une bulle, car il n'y avait pas la volonté au niveau des gouvernements de le soutenir. Donc j'ai attendu 2003, puisqu'il y a eu à ce moment cette volonté. Une prévision est difficile, mais une bonne utilisation de l'histoire est possible et peut beaucoup aider.

Mme Dany Escudié. Considérer qu'il y aurait deux ou trois scénarios qui seraient bons et les autres mauvais, montrerait un manque d'humilité, car en tant que scientifique, je crois qu'il n'y a aucun scénario vrai. Ils sont tous faux. Les conditions limites sont imposées, on fait des tas d'hypothèses : ils sont tous faux. Par contre, chacun des scénarios peut être un guide de stratégie politique. Vous voyez bien qu'ils arrivent tous à peu près au même résultat, par rapport à la tendance actuelle. Des événements incontrôlables peuvent rendre caducs ces scénarios, mais aussi des technologies peuvent se développer. Il y a la partie capture de CO2, mais il y a aussi la valorisation. Nombreux sont ceux qui travaillent à récupérer dans l'air quelques parties par million (ppm) de CO2, pour les utiliser d'une autre façon, par un système complètement vertueux. S'il s'avère que ce type de technologie devient efficace, les scénarios seront modifiés.

M. Bruno Sido. Le rôle des parlementaires n'est pas simple, ni celui de l'Office. Nous avons à donner notre point de vue à nos collègues qui, eux-mêmes, votent dans l'hémicycle, mais vont aussi sur le terrain expliquer aux Français. Si nous venons leur expliquer que nous aussi nous allons réussir à faire le facteur 4,
– bravo la France ! – ils nous répondront, à quoi bon si en Chine on continue à polluer. Nous avons besoin de bons arguments, comme le développement de l'emploi par exemple. Au fond, ce que nous vous demandons, Jean-Yves Le Déaut et moi, c'est de nous fournir des arguments pour conforter cette politique que personne ne combat vraiment : consommer moins, gaspiller moins. Honnêtement, je pense que tout le monde peut le comprendre, mais il faut apporter des arguments, et rendre possible ce qui est souhaitable

M. Cyrille Cormier. Effectivement, si le scénario de Greenpeace ne sera pas appliqué dans la réalité, je vous engage à déclarer que l'intégralité des scénarios mis sur la table, le nôtre, les quinze, ou la vingtaine de scénarios présentés dans le cadre du débat, ne sera pas la réalité in fine. Passé 2030, nous sommes presque dans la science-fiction. Mais je ne sais pas ce qu'est une rupture technologique. On me dit souvent que la voiture électrique est une rupture technologique. Or elles existent. Il s'agit d'une évolution, un marché qui se crée, des technologies qui évoluent, mais je ne vois pas de rupture. Le management de la demande, le réseau européen, ne sont pas des ruptures technologiques. Ce ne sont que des évolutions.

Vous parliez du nucléaire et je suis content de connaître votre opinion sur sa poursuite. Mais considérons-nous - oui ou non - qu’il existe un danger d'exploitation du nucléaire ? Ce danger existe, des accidents l'ont montré, et ils ont eu un impact sur l'appréciation de nos besoins énergétiques. Il existe au Japon un mouvement fortement antinucléaire, alors qu'auparavant il n'existait pas d'antipathie pour ce secteur. Le risque repose sur le vieillissement des centrales et sur l'ouverture probable d'un EPR. Superphénix n'a jamais vraiment fonctionné, et là-dessus je vous engage à avoir une attitude réservée. Il y a de plus la question des coûts. Hier l'Ancre a sorti un rapport indiquant que le capital lié au nucléaire est si élevé qu'en gros EDF vend à perte, à cause du poids de son capital constitué de nucléaire.

Il y a la question des déchets qui s'accumulent, avec une inconnue sur leur coût à long terme et sur la manière d'assurer la sécurité. Nous avons vécu dans la culture nucléaire. Un investissement est lancé, mais c’est toujours le bon moment de se poser des questions. Et même si au bout de 16 ans d'exploitation l'EPR de Flamanville devait être fermé, nous en serions peut-être tous très heureux.

Nous utilisons la méthanation dans notre scénario : 54 térawatt heure in fine de production électrique est utilisée pour produire soit de l'hydrogène, soit du méthane. Il y a là une inconnue sur la technologie qui sera disponible et sur l'efficacité de cette technologie. S'arrêtera-t-on à l'hydrogène, ou ira-t-on plus loin dans la transformation, jusqu'au méthane ? Nous avons laissé une poche de réserve pour la méthanation.

Sur l'acceptation des citoyens, par exemple du facteur 4, le rôle de l'Union européenne est important, car elle est un législateur au niveau mondial. Les normes imposées par l'UE se retrouvent assez souvent dans des chaînes de production à l'autre bout du monde. Quand on produit une voiture en Chine, elle va être destinée aussi au plus grand consommateur mondial, qui est l'Europe. Tous les standards des chaînes de production sont conformes aux standards de l'Union européenne. Donc un standard imposé en Europe l’est aussi dans le monde. Et ces standards sont imposés en Europe par les pays les plus moteurs de la construction européenne. La France, et donc ses parlementaires, ont un rôle à jouer sur le facteur 4 à l'Assemblée nationale en représentant les Français, en influant sur la trajectoire énergétique française, donc sur les trajectoires énergétiques européenne, puis mondiale, et leur capacité à réduire les gaz à effet de serre.

Sur les coûts, pour conclure : notre scénario, comme celui de Négawatt, est extrêmement clair sur les évaluations économiques, sur l'emploi, les factures électriques et les niveaux d'investissement. Les trajectoires de Négawatt, de l'Ademe et de Greenpeace sont imbattables. Je vous invite vraiment à y regarder de plus près.

Le facteur 4 ne concerne pas que les émissions de CO2 de l'énergie, mais toutes les émissions, agriculture comprise. Donc les scénarios sont facteur 2,5…

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous sommes persuadés à l’Office que les facteurs environnementaux indiqués au début de votre exposé sont des facteurs majeurs. J'ai été président de la mission sur le réchauffement climatique avec Nathalie Kosciusko-Morizet et je pense qu'il faut développer les énergies renouvelables. Par contre, il y a des points dans les scénarios qui ne correspondent pas la position française, laquelle vise à baisser la part du nucléaire dans la fourniture d'électricité, pas à aboutir à un système sans nucléaire.

Un accident comme celui de Fukushima ou de Tchernobyl, M. Benvenuti l'a dit, a une incidence sur l'opinion de nos concitoyens sur une filière. Mais il peut y avoir là deux positions : soit d'arrêter la filière, soit d'aller vers des réacteurs plus sûrs, en continuant la recherche sur la troisième ou la quatrième génération, afin d’apporter une capacité qui s'ajoute à celles des énergies renouvelables. Il faut développer les énergies renouvelables et augmenter l'efficacité énergétique. Sur ce point nous sommes, je crois, tous d'accord.

Je reviens de Pologne, où il est question de démarrer une industrie nucléaire. La fin du nucléaire en 2035, je ne crois pas que ce soit un scénario raisonnable. Il y a encore des pays qui s'engagent aujourd'hui. Avec les cinq ou les dix ans qu'il faudra pour construire une centrale, il y aura toujours en 2035 de la production électrique nucléaire dans ces pays. Le vrai problème est le coût de la transition énergétique. On le voit avec l'Allemagne qui a décidé d'arrêter le nucléaire après Fukushima. Alors que nous importions de l'énergie d'Allemagne, du jour au lendemain, c'est nous qui leur revendons de l'énergie.

M. Bruno Sido. Et surtout l'Allemagne, qui sort du nucléaire, produit une électricité très chargée en CO2.

M. Cyrille Cormier. Ce point-là est vraiment une erreur. Les exportations d'Allemagne ont baissé, et les niveaux d'importation sont restés stables depuis dix ans en Allemagne.

M. Bruno Sido. C'est exact qu'ils importaient du charbon pour faire de l'électricité.

M. Daniel Lincot. Je trouve très intéressante votre approche à partir de cette question : que vais-je expliquer pour déterminer où investir ? La question de l'infrastructure et la détermination du rôle des investissements en infrastructures sont le propre de l'action publique.

Quand on construit une route, une voie ferrée, on développe l'économie en amont. C'est ce qu'a fait Roosevelt à une époque. Aujourd'hui, aborder la question de la transition énergétique, c'est le faire sous l'angle de l'investissement d'avenir. J'ai pris l'exemple du pont tout à l'heure. Le fait d'aller vers un développement massif des ENR, de l'efficacité énergétique, je le prends comme une grande cause nationale et internationale, dont les bénéfices seront tirés ensuite, un peu comme on construit une autoroute. Je suis allé dernièrement voir l'extension de l'autoroute entre Bordeaux et la frontière espagnole. Ce sont des travaux gigantesques, titanesques, qui coûtent très cher. Et l'on sait que cela va apporter de l'économie et de l'emploi.

Déjà, en Allemagne, les énergies renouvelables représentent, en prenant un chiffre de l'AIE, 128 000 emplois, rien que dans le solaire photovoltaïque. Les énergies renouvelables sont un vecteur d'emplois. Tous les exemples donnés par l'Assemblée ce matin montrent qu'il y a un gisement d'emploi. Mais il faut, pour s'y engager, que la puissance publique joue son rôle. Si elle ne l’avait pas fait en Allemagne, puis en France à partir de 2006, avec un mode de financement des énergies renouvelables, du photovoltaïque, nous n'aurions pas eu le développement actuel. Il y a besoin d'un soutien, d'une pérennité, d'une vision. Il y a un gisement d'emploi très important, et quand nous aurons franchi l'autre rive, nous aurons un système énergétique différent de l'actuel. Nous sommes à un point de rupture actuellement en matière d'énergie. Le fait que les coûts de l'énergie aient augmenté, que le baril soit autour de 90 dollars, déclenche des niveaux de rentabilité pour des nouvelles ressources. Si la puissance publique arrête à mi-chemin, nous risquons de revenir à cette situation des années quatre-vingt, où l'on va finalement faire du gaz de schiste, voire du charbon. Il y a un effort à poursuivre et cela peut être compris par nos concitoyens. Socialement, le caractère de désirabilité, la mobilisation qu'apporte cette sensation de retrouver la main sur l'énergie et l'environnement, me semblent des points très importants vis-à-vis d'eux.

M. Bruno Sido. Vous avez bien noté que nous sommes amenés à nous expliquer et à expliquer.

M. Antoine Jacob. Au sujet des emplois immédiatement développables, il est possible d’analyser les points de blocages sociétaux, notamment du développement de l'éolien et de la méthanisation, par les recours aux tribunaux administratifs. Donner des moyens financiers et humains aux tribunaux déclencherait immédiatement des travaux importants. Nous sommes beaucoup d'opérateurs à avoir des centaines de mégawatts bloqués en éoliens dans les tribunaux administratifs, qui nous expliquent avoir parfois quatre ans de délais avant de traiter les dossiers. Cela bloque l'activité économique. Il y a des dossiers différés, non pas par un soulèvement de la population – 95 % de la population peut se prononcer en faveur d'un parc éolien – mais par trois personnes qui font un recours au tribunal administratif, font appel, vont devant le Conseil d'État. Vous perdez ainsi dix ans sur le développement du projet. C'est un droit de porter des recours. Il faut que la justice aille beaucoup plus vite à les traiter de façon à débloquer ce potentiel d'activité.

M. Jean-Guy Devezeaux de Lavergne. Le progrès technique, va-t-il se produire ou non ? Un premier niveau de réponse relève de la posture. Certains sont très opposés à l'idée de progrès technique, et d'autres à l'inverse extrêmement optimistes, en considérant qu'un dieu de la technique ou de l'économie y pourvoira. Nous avons essayé de ne pas être dans un camp ou dans l'autre. Effectivement, les scénarios amènent vers le facteur 4, avec les bémols évoqués, et nous allons travailler pour illustrer cela avec l'option tout gaz. C'est le cahier des charges qui nous a été donné. Nous estimons que ce sera compliqué d'y arriver. Non seulement il faut tabler sur un progrès technique, mais aller au-delà, l'accélérer, et diffuser les technologies comme sans doute jamais elles ne l'ont été dans le domaine énergétique. Nous entrons dans un domaine de très fortes incertitudes. La R&D permet, outre le développement de l'emploi, etc., de créer un panel de technologies utilisables le jour venu, alors que l’état du monde ne sera peut-être pas celui qui nous paraissait le plus probable. Un des messages de l'Ancre est : continuons à chercher en Europe et en France, dans une logique comparable à celle que les économistes appellent les options réelles, et nous pourrons mettre en œuvre et développer des technologies au bénéfice de l'emploi.

M. Jean-Marc Pastor. Voici un constat simple résultant des échanges de la matinée : nous sommes tous d'accord sur les énergies renouvelables, et tous les pays qui ont fait des avancées dans ce domaine se sont aussi posé la question du stockage de l'électricité. L'Allemagne a développé à la fois le photovoltaïque, l'éolien, et le stockage, entre autres à travers l'hydrogène. Il y a un important travail de recherche à mener dans ce domaine.

Mme Dany Escudié. Je partage pleinement votre sentiment quand vous évoquez la question d'une nouvelle gouvernance de l'énergie et de la consommation énergétique, qui fera le lien entre territoire et énergie. Il y a beaucoup d'innovation, de possibilités d'énergie au niveau local. À une condition, c'est qu'on en limite le transport. Car très souvent, c'est le transport qui est coûteux. Sur un périmètre défini, il faut revoir la production et l'utilisation de l'énergie.

M. Cristoforo Benvenuti. Je voudrais faire un commentaire qui pourrait être utile au niveau politique. Le même évènement a eu des interprétations complètement différentes dans les pays d'Europe. Alors que Fukushima a été un coup dur pour le nucléaire en Allemagne surtout, je parlais en Angleterre avec le président du comité chargé par le Parlement de faire une recommandation concernant le nucléaire. Il m'a dit avoir préparé son discours, et une semaine avant de le prononcer devant les députés, il y a eu Fukushima. Il n'y a rien changé. Il a soutenu que Fukushima est la meilleure preuve que l'accident nucléaire a des conséquences très limitées. Donc le Parlement anglais a pris une décision favorable au nucléaire. Je n'ai pas d'actions dans le nucléaire, je suis lourdement engagé dans le solaire, donc on ne peut pas m'accuser d'être un partisan du nucléaire pour des raisons personnelles. Mais je trouve que la décision de l'Allemagne est motivée par la politique, et non par le souci de la sécurité. Ils chevauchent la vague verte des écologistes pour produire des emplois dans un domaine qui n'est pas encore saturé. Le problème de l'Europe est que l'industrie traditionnelle a des marchés saturés. Et l'Allemagne a fait cette politique intelligente, non par peur du nucléaire, mais parce qu'ils veulent devenir maîtres en Europe d'une nouvelle branche industrielle.

M. PhilipeVesseron. Il me semble que pour tous les sujets importants sur des dizaines d'années il faut s'assurer que nos concitoyens aient les moyens de comprendre, aient accès à l'information, aient participé à des réflexions et des formations. J'ai beaucoup apprécié ce que disait Mme Escudié sur les programmes de sciences humaines et sociales soutenus par l'ANR. C'est certainement un point dont nous avons besoin pour éclairer les différents scénarios qui ne se décideront pas par une mécanique technocratique, comme on pourrait avoir l'impression à certains moments. Il me semble, en particulier, que sur le sujet des réseaux de transport à grande distance, dont beaucoup ont dit ici que cela ne plaisait dans aucun pays, l'Office pourrait, sur plusieurs années, apporter une contribution utile.

M. Bruno Sido. Je voudrais vous remercier toutes et tous pour vos présentations. Cette matinée a été enrichissante, et l'Office progresse sur le sujet.

Cet après-midi les travaux redémarreront sous la présidence de Jean-Yves Le Déaut.

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M. Jean-Yves Le Déaut. Nous allons aborder cet après-midi la question de l'innovation dans le domaine des technologies nouvelles de l'énergie. La première table ronde nous permettra de découvrir diverses expériences d'innovation en cours, et la seconde d'analyser les points déterminants d'une bonne gouvernance de cette innovation.

La question de l'innovation me paraît essentielle pour l'avenir économique de notre pays. J'y ai consacré un rapport de l'OPECST, rendu avec Claude Birraux qui en était président à l'époque, en janvier 2012. J'ai par ailleurs activement contribué à ce que cette question soit traitée dans le cadre du projet de loi sur l'enseignement supérieur et de la recherche, actuellement en discussion. C'était un volet essentiel de mon rapport au Premier ministre du 14 janvier dernier, qui visait à préparer cette loi. J'invite les participants auxquels je vais donner la parole, à s'en tenir strictement, comme ce matin, grâce au chronomètre, à une intervention de dix minutes. C'est plus que ce que nous avons à la tribune de l'Assemblée nationale : deux minutes pour les questions et cinq minutes pour les interventions.

Les échanges du débat vous permettront de reprendre la parole et d'apporter des compléments d'une manière interactive, toujours plus intéressante que les longs monologues.

Je vais me tenir à cette méthode et donner la parole à M. Philippe de Maleprade, PDG de la société Prosoft, représentant du Comité Richelieu, association française des PME innovantes. Créée en 1989, elle a 341 PME adhérentes, plus de 4 000 PME associées. Nous avons beaucoup travaillé avec elle, notamment dans le rapport sur l'innovation qui développe le concept d'entreprise d'innovation et de croissance, concept que nous avons défendu au Parlement et au sein de l'Office.

M. Philippe de Maleprade, PDG de la société Prosoft. Le Comité Richelieu intervient plus sur des questions stratégiques et de financement que sur des questions techniques. Ce Comité représente des PME et des ETI tournées vers l'innovation et la croissance par l'innovation. Le nombre de membres ne fait qu'augmenter d'année en année.

Il n'y a pas de grand groupe représenté au sein du Comité Richelieu. C'est une volonté qui permet d'avoir un message cohérent, concernant tous les membres du Comité.

Jean Delalandre, représentant permanent du Comité, va intervenir plus précisément sur les actions du Comité.

M. Jean Delalandre, directeur de mission du Comité Richelieu. Vous avez bien décrit, l'un et l'autre, le Comité. C'est vrai, il a ces très fortes spécificités sur lesquelles j'appuie : il regroupe TPE, PME, ETI ; il est à l'origine du Pacte PME. Toute la relation PME-grands groupes, grands comptes au sens large, intéresse particulièrement le Comité, très investi au sein de ce Pacte PME.

La deuxième spécificité recouvre l'innovation. En effet le Comité Richelieu n'est pas une organisation sectorielle. Tous les secteurs peuvent y être représentés, et les messages qui vont suivre ne concernent pas spécifiquement l'énergie, ni même des énergies renouvelables, mais tous les secteurs concernés par l'innovation.

Avec la présence de M. de Maleprade, il pourra y avoir des illustrations ou des réponses à vos questions concernant une entreprise en particulier.

Comme l'a dit M. de Maleprade, deux sujets nous préoccupent et concernent les TPE, PME, ETI du secteur de l'énergie et des énergies renouvelables : le financement en amont et en aval de l'innovation, et la mise sur le marché du produit. L'accès au marché est une préoccupation importante pour toute entreprise.

Prenant quelques exemples, je reviendrai sur une notion que nous défendons, au-delà de celles d'entreprise, d'innovation et de croissance : celle d'early adopter. Nous pensons que les entreprises peuvent en être bénéficiaires. Nous portons cette idée que les grands comptes, donc les organisations publiques ou privées, les grandes entreprises, pourraient créer des réseaux d'early adopters ou de primo-adoptants, ayant pour mission d'identifier - ici et là - les innovations, et qui seraient chargés, à travers leurs directions achats et en relation avec la stratégie de leur groupe, de découvrir et de tester ces innovations. Cela pourrait avoir un sens d'encourager les membres de ces directions achats de se tourner vers les innovations. Cela peut concerner les secteurs des énergies.

J'évoque une autre idée que nous portons : la mise en place d'un plan épargne pour l'innovation et l'entreprenariat. Il permettrait d'orienter, comme il en existe les prémices aujourd'hui, l'épargne vers l'innovation, et tout particulièrement dans les PME innovantes.

Voilà deux idées sur la manière de développer une culture de l'innovation. S'agissant de l'accès au marché, nous avons quelques propositions claires et fortes : ce serait de faire évoluer le crédit impôt-recherche en mettant en place ce que nous appelons un « rescrit bienveillant », un plus grand engagement entre l'entreprise et l'organisme attributaire, qui permettrait de se projeter d'avantage dans le temps et de ne pas attendre chaque année l'attribution du crédit impôt recherche, mais plutôt de s'engager dans un vrai projet sur le long terme et de toucher dès le départ les financements utiles au projet. Il y a dans cette perspective du « rescrit bienveillant » un engagement de l'entreprise d'un côté, qui exprime avec clarté son projet, la contrepartie étant de toucher les fonds dès le début, et non pas annuellement. Une confiance réciproque se traduirait par un contrôle moins important par la suite.

M. Philippe de Maleprade. Je voudrais passer des messages simples, sous forme de propositions. Chacune va tenir dans une phrase.

Le crédit impôt recherche pour les PME innovantes, nous en avons besoin en avance de trésorerie. On peut l'incrémenter avec une première promesse de commande, d'autant plus si elle vient d'un grand compte. Nous avons eu, à une époque, le 1 % artistique sur toutes les commandes concernant les bâtiments de l'Etat. Nous pensons qu'il serait possible de mettre en place un 2 % dirigé vers les PME innovantes, qui permette de décider d'attribuer, dans une enveloppe de financement pour des grands projets publics ou privés, portés par des grandes sociétés, une enveloppe financière dirigée vers ces PME innovantes. Il favoriserait l'achat de matériels créés ou développés par ces petites entreprises.

Concernant l'émergence d'entreprises, une entreprise de taille intermédiaire a besoin de favoriser son accès au marché. Pour la PME innovante, c'est souvent la première commande qui va compter, et la première référence. Il y a une distinction à faire entre les deux.

Il serait intéressant, au niveau fiscal, de favoriser le regroupement de PME. Comme nous avons besoin de créer des champions et des ETI en France, si la fiscalité de fusion-absorption était spécifique et favorable à ce genre de mouvement, l’on pourrait, par des regroupements d'intérêt et de technologies complémentaires, favoriser l'émergence d'entreprises qui grossiraient en réunissant leurs forces. Un intérêt fiscal inciterait les créateurs à céder prématurément leur entreprise pour créer les ETI de demain.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vais donner la parole à Mme Johanne Terpend Ordassière, ingénieur Recherche et Développement de la société Ryb Terra, basée en Savoie. C'est une filiale du groupe industriel Ryb, spécialisée dans la conception, l'étude et la commercialisation de solutions de captage d'énergie géothermique.

Mme Johanne Terpend Ordassière, ingénieur R&D, Ryb Terra. Effectivement, Ryb Terra est une filiale du groupe Ryb. Je vais en faire une rapide présentation, avant de passer à nos solutions de captage géothermique. Ensuite, je parlerai des innovations sur lesquelles nous avançons.

Le groupe Ryb comporte trois sites industriels répartis en France, quatre dépôts, un bureau d'études et d'ingénierie, un total d'environ 180 personnes pour un chiffre d'affaires d'environ 70 millions d'euros en 2012. Le groupe Ryb a plus de 50 ans d'expérience. Il produisait historiquement du tube polyéthylène, surtout dans le domaine des travaux publics, pour l'adduction d'eau potable et le transport de gaz. Nous avons une filiale irrigation, sous le nom de Kulker, une filiale nommée Ryb industrie, pour la commercialisation de notre technologie Eliot destinée au transport de fluides industriels, une filiale drainage, Ryb composites, et enfin, avec nos solutions de captages géothermiques, une filiale énergie renouvelable, dénommée Ryb Terra, représentant une dizaine de personnes sur l'ensemble des effectifs du groupe.

Nous faisons de la géothermie de surface. Elle peut répondre aux besoins énergétiques des bâtiments, chauffage de l'habitat, rafraîchissement d'été, chauffage des piscines, ou production d'eau chaude sanitaire.

Nos produits sont les suivants : en premier lieu, des capteurs horizontaux, qui sont les plus répandus pour les particuliers, le résidentiel. Ils sont adaptés pour des projets neufs dans des zones hors agglomérations, avec une assez grande superficie de terrain. Pour une maison de 150 m², la surface de captage est de 300 m².

C'est un système à forte rentabilité, bien standardisé dans la géothermie résidentielle. Pour faciliter les comparaisons, et avoir une visualisation de la surface au sol nécessaire, je reprendrai toujours l'exemple de cette maison de 150 m².

Le deuxième type de capteur géothermique que nous proposons est très développé dans le secteur tertiaire et le gros tertiaire, très peu dans le résidentiel. Il peut être utilisé pour de nouveaux bâtiments ou la réhabilitation. La surface de terrain nécessaire est très faible, puisque le forage est vertical. Pour un bâtiment de 150 m², il faut deux sondes – donc deux tubes de diamètres 32 – espacées de 10 mètres, donc une surface au sol vraiment réduite, de quelques mètres carrés seulement. Le principal désavantage de cette technologie est le coût de forage, qui peut être très élevé, suivant le type de terrain et de sol. Mais c'est un système très performant. Selon les besoins énergétiques du bâtiment, ce peut être une solution intéressante.

La troisième technologie dans notre offre constitue un bon compromis entre captage vertical et horizontal. Il s'agit du captage sous forme de corbeille géothermique, constituée d'un tube spiralé qui va prendre une surface au sol assez faible, le diamètre de spirales le plus grand étant de 1,10 mètre, et la hauteur de corbeille d'environ 2,20 mètres. Ce produit peut être utilisé en rénovation ou dans le neuf, soit pour le résidentiel, soit pour le petit tertiaire ayant des besoins raisonnables en énergie. La surface de terrain est assez limitée, puisque la mise en place du tube est optimisée sous forme de corbeille. Pour une maison de 150 m², il faut environ 60 m² de captage, avec 7 à 8 corbeilles.

Une autre technologie est développée pour le gros tertiaire et le collectif, mais assez peu répandue pour l'instant. Ce sont les pieux géothermiques, qui consistent en des tubes insérés dans les fondations des bâtiments, donc utilisables pour les projets neufs uniquement. Ils ont l'intérêt de ne pas nécessiter de coût de terrassement ou de forage supplémentaire, puisque ceux-ci sont réalisés pour les fondations du bâtiment.

Nos dernières avancées ont été faites sur les corbeilles géothermiques, par une thèse CIFFRE, en partenariat avec LOCIE, le BRGM et le CEA-INES. Cette innovation autour de la corbeille se poursuit par le projet Microgéo, dont le but est de généraliser la géothermie pour le résidentiel individuel, avec un objectif de coût, pour une maison basse consommation de 120 m², inférieur à 10 000 euros pour la pompe à chaleur et le capteur géothermique. Ce projet rassemble beaucoup de partenaires, dont le fabricant français de pompes à chaleur CIAT. Il est subventionné par la région Rhône-Alpes, dont c'est un projet FUI.

C'est la veille technologique qui nous permet d'avancer sur ces différents projets. Il y a quelques freins à l'innovation pour la géothermie, par exemple la concurrence des pompes à chaleur air-air, d'importation par exemple chinoise, qui sont moins chères et moins efficaces. De plus, la RT 2012 freine l'ensemble pompe à chaleur-géothermie. En 2003, le Grenelle de l'environnement prévoyait pour 2020 l'installation d'environ 600 000 pompes à chaleur géothermique. En 2013 nous n'en sommes qu'à 80 000, donc loin de l'objectif. C'est un frein pour notre développement et l'innovation.

M. Jean-Yves Le Déaut. Après cette intervention nous changeons de technologie, puisque je vais donner la parole à M. Pierre Forté, ingénieur aérospatial de formation, diplômé en gestion de projets innovants, PDG de la société Pragma Industrie, fournisseur de piles à combustible, qui comporte de nombreux domaines d'utilisation dont un vélo électrique. Vous allez je crois nous le présenter dans votre intervention.

M. Pierre Forté, PDG de la société Pragma Industrie. Je vais également parler de PAC, signifiant « pile à combustible » et non pas « pompe à chaleur ». Ne vous trompez pas si vous voyez ce sigle.

Je vais vous présenter une activité peu commune en France, résumée dans un diagramme, avec au centre l'hydrogène, vecteur de stockage d'énergie. C'est un gaz énergétique de synthèse. Il faut le fabriquer, à partir de charbon ou de gaz naturel, de produits hydrocarbures, mais également à partir d'énergies renouvelables, en utilisant le solaire ou l'éolien pour électrolyser de l'eau et la séparer en atomes d'oxygène et d'hydrogène. L’énergie nucléaire est également un très bon candidat pour fabriquer de l'hydrogène très peu coûteux, en très grande quantité.

Il existe différentes techniques de stockage intermédiaire de cet hydrogène. Ensuite il est possible de le valoriser, en le brûlant dans un moteur à combustion interne, ce qui est le mode de combustion de l'essence dans les moteurs d'automobiles : l'hydrogène qu'elle contient brûle, et le reste sort sous forme de monoxyde et de dioxyde de carbone. Il y a d'autres façons de valoriser cet hydrogène, notamment en le retransformant en électricité grâce à une pile à combustible. Ce procédé électrochimique est intéressant car son rendement est assez élevé, le double à peu près de celui de la combustion de ce gaz dans un moteur.

Ces piles à combustible ont un avantage d'échelle. On peut les rendre très petites, pour alimenter un téléphone portable, ou les rendre très grandes, pour des applications stationnaires, alimenter un quartier résidentiel ou servir de groupe électrogène de secours à un hôpital. Il y a aussi les échelles intermédiaires, notamment pour le transport.

Voici présentées les différentes valorisations, dans différents secteurs d'application.

Nous nous plaçons dans le domaine du transport et des petites applications. Pendant très longtemps en France, le domaine de l'hydrogène-énergie et des piles à combustible est resté un secteur très académique, focalisé sur la recherche. D'un point de vue industriel, nous avons pris quelques années de retard par rapport à l'Allemagne, qui, plus tôt que nous, a fait l'effort de structurer une filière industrielle de production et de distribution d'hydrogène, de fabrication de piles à combustible et d'installation de celles-ci dans des voitures, par exemple. Néanmoins, nous constatons depuis peu l'émergence d'un faisceau d'entreprises en France, une bonne quinzaine, avec quelques acteurs historiques, mais plutôt jeunes, qui se sont positionnées sur l'ensemble de la filière.

C'est intéressant, car certaines de ces entreprises vont proposer des solutions de production d'hydrogène. D'autres vont trouver des solutions de stockage d'hydrogène. Certaines, comme la nôtre, se positionnent sur la valorisation de l'hydrogène, avec des piles à combustible. Ces quinze à vingt entreprises entraînent avec elles avec un facteur multiplicateur d’entreprises périphériques, sur des systèmes de pompes, de filtration, etc. Beaucoup de ces entreprises ont une dizaines de salariés et sont très dynamiques.

Pragma industrie est petite : 7 personnes, installée dans le Pays basque, avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 500 000 euros. Nous nous sommes positionnés dans le secteur des petites piles à combustible et des transports, sur deux catégories de produits : les systèmes portables et la petite mobilité, la mobilité douce. Ces projets sont en cours de développement pour des clients. Nous avons un générateur très spécifique qui s'adresse aux forces armées françaises, un générateur portable, une petite valise qui va servir de générateur électrique très discret, sans aucune signature thermique ou sonore. Elle s'adresse aux forces spéciales françaises et aux forces de renseignement, pour alimenter, par exemple des capteurs autonomes, des caméras ou des liaisons satellite. Nous nous adressons également, dans la même veine, à la mobilité et au secteur de l'outillage électroportatif, communément les visseuses-dévisseuses que vous trouvez à Castorama. Mais pour nous il s'agit plutôt de matériel à usage professionnel.

L'avantage de l'hydrogène dans ces segments est sa capacité énergétique très élevée. Nous allons avoir des systèmes plus légers que l'équivalent utilisant des batteries conventionnelles.

L'inconvénient de ces segments est qu'ils demandent des capacités de production importantes, de l'ordre de 10 000 piles à combustible par an, pour un producteur de vélos électriques par exemple. Or, nous sommes dans un secteur encore artisanal. Nos concurrents fabriquent les piles à combustible à la main, avec des coûts de personnel élevés. L'enjeu de notre entreprise était de développer une technologie nous permettant de redimensionner notre capacité de production et d’accéder rapidement à une production industrielle, correspondant aux attentes des marchés. Nous parlons de plusieurs milliers de piles à combustible par an. Nous avons développé une technologie de pile dont nous sommes propriétaires, radicalement différente de celle de nos concurrents. Nous avons une machine qui bobine les piles à combustible. Cela nous permet de fédérer des partenaires industriels autour de nous, puisque nous nous montrons capables de répondre à la demande.

Je ne vais pas passer beaucoup de temps sur les avantages intrinsèques de la technologie. Mais elle est moins chère, plus rapide à fabriquer et plus légère. Elle est donc compétitive par rapport à celles de nos concurrents.

Je voudrais surtout vous montrer une application parlante pour le grand public : un vélo électrique à pile à combustible. Il n'a plus besoin de prise électrique pour être rechargé, puisqu'on ne va plus charger une batterie, mais changer de petites cartouches de combustible contenant un produit chimique qui se transforme au contact de l'eau et produit de l'hydrogène. C'est un produit qui apporte plus de liberté pour l'usager, puisqu'il n'y a plus de limite d'autonomie, plus de problématique de batterie vide et d'immobilisation du vélo pendant les huit heures de charge d'une batterie. Au final, vous remplacez une petite cartouche, et vous repartez pour la liberté du pédalage. Ce produit, développé avec un industriel leader européen dans le domaine du cycle, détenant les marques Gitane et Peugeot cycles, intéresse beaucoup les collectivités territoriales et les opérateurs de flottes : la Poste et les Velib’. Si l'on voulait faire des Velib’ électriques, il faudrait une infrastructure de recharge, tandis qu'avec cette technologie l'usager passera au bureau de tabac pour prendre une petite cartouche, ou la récupérera dans un distributeur automatique, pour la mettre dans son vélo et devenir indépendant. Donc l'opérateur de flotte n'a plus à installer une infrastructure de recharge des vélos, relativement coûteuse. On pourrait très bien mettre ces vélos sur les parcs de Vélib’ actuels.

Voilà notre cœur d'activité. Nous avons l'opportunité d'une filière en émergence, et nous devons avancer ensemble, ce qui est compliqué pour des petites entreprises comme la nôtre. Si je fais une pile à combustible, j'ai besoin d'une société qui me fournit un stockage de combustible à mettre à disposition de clients usagers du vélo par exemple, et évidemment, si je veux vendre un vélo, je dois avoir une réglementation adaptée. Aujourd'hui nous sommes un peu en retard dans ce domaine, car s’il y a beaucoup de bonne volonté dans les jeunes entreprises, nous rencontrons des difficultés dans les domaines du financement et de la réglementation notamment. C'est sans doute un point qu'il faut travailler pour faciliter l'éclosion de cette filière.

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci beaucoup. Vous avez marché à la pile à combustible : vous le savez, c'est le modèle de fabrication de l'énergie dans nos cellules. L'homme réinvente ce que la nature avait déjà fait.

Je vais donner la parole à M. Cristoforo Benvenuti, vice-président de la société SRB Energie, née en 2005 à Genève en Suisse, avec une équipe de scientifiques issus du CERN, le plus grand centre de physique des particules du monde, et à l'origine de la preuve récente de l'existence du boson de Higgs. SRB Energie commercialise un panneau solaire thermique plat, sous ultravide, qui peut être utilisé pour toutes les applications solaires.

M. Cristoforo Benvenuti, vice-président de la société SRB Energie. J'étais content d'avoir laissé cette référence à l'accélérateur de particules, puisque j'ai cru comprendre que l'invitation à participer à cette journée résulte d'une visite au CERN de l'un des organisateurs de cette audition.

Je suis né en Italie, à Milan. Je travaille au CERN depuis 1966, aussi je me plais à me définir comme « Italo-Cernois », car cela fait presque 50 ans que j'habite le CERN : jusqu'en 1965 comme fonctionnaire du CERN, puis comme glorieux exemple de succès d'une spin-off. Il faut dire que le CERN n'en a pas beaucoup. Quand on en a une seule, on essaie de la valoriser au maximum. C'est notre chance en partie que le CERN nous présente toujours comme exemple du bienfait de son organisation pour la société en général.

En créant cette société en 2005, avec des investisseurs privés, je n'ai rien fait d'autre que d'industrialiser des projets déjà finalisés dans les années 70, période où je m'étais passionné pour le solaire. Quand est survenu la crise pétrolière, j'ai réussi à obtenir du CERN de me laisser faire des prototypes, chose que je considère encore comme miraculeuse car, en fait, le CERN est très strict et se refuse à gaspiller de l'argent pour d'autres activités que ses propres recherches. Mais dans les années 70, il n'y avait pas de garanties de développement industriel, car pas de subventions pour le solaire, et donc j'ai attendu jusqu'à 2003, quant à la suite du protocole de Kyoto j'ai vu l'Europe commencer à prendre le solaire au sérieux. En 2005, j'ai rencontré ces investisseurs et le projet a démarré.

Les panneaux solaires sont constitués d'un cadre, avec un tuyau dans lequel circule un fluide, pour extraire la chaleur obtenue sur les absorbeurs qui transforment la lumière en chaleur. Entre les deux plaques de verre au-dessus et au-dessous du panneau se trouve un joint d'étanchéité. La seule différence significative de ce panneau par rapport à d'autres est qu'il y a le vide à l'intérieur de cette boîte vitrée. En grandeur nature, le panneau a 3 mètres de long et 70 centimètres de large. Il est équipé de miroirs cylindriques. Ce panneau, grâce à la réduction des pertes thermiques dues au vide, est capable d'atteindre des températures très élevées, sans besoin de focalisation de lumière. La focalisation ne peut se faire que pour la lumière directe, la lumière diffuse n’étant pas focalisable. En Europe centrale, plus de la moitié de la lumière est sous forme diffuse, et il est impossible d'obtenir des températures élevées avec la focalisation. Le but de ces panneaux était justement de produire des températures entre 100 et 300°C, pour des applications industrielles en Europe centrale.

Le miroir cylindrique n'est pas focalisant. Toute la lumière qui rentre dans cette ouverture, qu'elle soit directe ou diffuse, est réfléchie sur l'arrière du panneau. Avec deux kilowatts par mètre carré de puissance solaire, si l'on travaille à 200°C, on peut avoir des rendements proches de 50 %. Et s'il y a très peu de lumière, mettons 200W, c'est-à-dire 20 % seulement de la lumière maximum, en travaillant à 100° pour le réseau de chauffage à distance par exemple, les rendements restent supérieurs à 40 %. On peut dire que ce panneau récupère utilement toute la lumière disponible en Europe.

La liaison avec les accélérateurs est ce besoin de vide. Tous les systèmes en vide scellé, depuis plus d'un siècle, sont pompés par des getters, qui sont l'équivalent du papier à mouches pour les molécules. Les pauvres molécules qui ont la malchance de taper sur le getter sont piégées sous forme de produits chimiquement stables, comme des oxydes, des nitrures ou des carbures, et se faisant disparaissent de l'enceinte. Le getter utilisé a une caractéristique spéciale : quand toute sa surface est couverte de molécules, normalement elle ne peut plus attraper d'autres molécules. Mais on peut réactiver le getter en chauffant, et de cette façon les molécules à l'état atomique quittent sa surface et diffusent à l'intérieur. La surface se libère et peut encore pomper.

Pour les panneaux solaires, il n'est pas besoin d'un vide très poussé. Un panneau ou un échantillon qui monte à un très bon vide, mieux que 10-6 torr à 350°C, garde sa température quand la pression monte jusqu'à peu près 10-4 torr, et puis il y a la chute. A 10-1 tout est perdu.

Beaucoup d'applications ou de panneaux qui se prétendent sous vide sont déjà dans cette région. Elles sont sous vide parce qu'elles sont sous un millième, ou encore un dix millième, de la pression atmosphérique. Mais ce vide n'est pas suffisant pour les propriétés thermiques. De plus, la plupart des panneaux tubulaires commencent à perdre le vide au bout de deux ans et ne sont plus bons.

Je voulais donc vous montrer le type de vide que nous avons dans ces panneaux. Sur ce schéma, chaque bosse représente une journée. Entre les bosses, se trouve la nuit. La puissance solaire est indiquée, ce maximum de un kilowatt étant atteint au cours d'une bonne journée, avec une température atteignant rapidement 400°C, à une pression de 10-6 torr. Le minimum requis est 10-4, et là nous avons beaucoup mieux, même quand le maximum de la température du panneau est atteint.

Quand on ne dispose que d'une centaine de watts, on ne monte qu'à 150°C environ, et le vide à ce moment reste très bon. Pendant la nuit, le vide descend à 2 10-9 torr.

Nous avons beaucoup d'applications, la plus intéressante étant celle de l'aéroport de Genève, avec un champ solaire de 1 200 mètres carrés. L'inauguration aura lieu le 27 juin de cette année. Cette installation produit de la chaleur en hiver et du froid en été.

L'usine de fabrication est complètement robotisée et pourrait produire 50 à 100 panneaux par jour. Malheureusement, à cause de problèmes dont j'ai parlé ce matin, il n'y a pas de subventions d’État dans la plupart des pays d'Europe pour des applications de chaleur industrielle.

L'industrie a son conseil d'administration. Elle veut rentrer dans son argent quand elle fait une installation – en 5 ou 7 ans au maximum – et avec le coût de l'énergie, du gaz, à l'heure actuelle, on ne peut pas atteindre une telle performance. Donc le marché n'est pas suffisant pour notre société. Nous avons un marché de publicité, de gens qui veulent montrer que leur entreprise est verte, et qu'ils travaillent pour l'écologie. Ce n'est pas un vrai marché industriel.

Nous pouvons faire des applications jusqu'à 250°C. Nous chauffons par exemple le bitume, pour la réfection des routes à 180°C avec un très bon rendement. Mais l'obstacle principal est le coût. Nous n'avons pas encore profité de subventions d'Etat qui permettent d'augmenter la production et de tirer profit d'effets d'échelle, comme le photovoltaïque a eu la chance de le faire, et nous sommes actuellement dans une situation assez délicate.

Je dis toujours aux politiques, décidez vite, car dans dix ans, si vous prenez des décisions qui nous seraient favorables, peut-être que nous ne serons plus là.

Je peux dire enfin que cette même technique peut être utilisée pour fabriquer des fenêtres sous vide. Je cherche pour ce faire des investisseurs, mais de nos jours ils sont très rares et je ne trouve pas de fonds pour cette activité.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous restons sur le solaire, et je vais donner la parole à Stéphane Poughon, de formation scientifique, diplômé d'HEC, PDG de la société Disa Solar basée à Limoges dans le Limousin, spécialiste du photovoltaïque de troisième génération. Nous avons parlé ce matin de photovoltaïque organique. C'est une telle technique que vous allez développer, issue de l'électronique imprimée.

M. Stéphane Poughon, PDG de Disa Solar. Je vais structurer mon propos en deux parties : une présentation de notre entreprise, et ensuite j'essaierai de répondre à la question : quelle politique d'innovation pour la France.

Nous travaillons dans le photovoltaïque. Nous sommes une entreprise jeune. Nous avons gagné de l'argent, il faut le souligner car il n'y a pas beaucoup d'entreprises dans le photovoltaïque qui gagnent de l'argent en France ou en Europe. Nous sommes positionnés uniquement sur le photovoltaïque sur mesure, avec une forte valeur ajoutée quand les autres ne se battent que sur le prix, c'est-à-dire que nous faisons tout ce que les autres, en particulier les Chinois, ne savent pas faire avec des modules standards. Nous avons deux activités : d'un côté nous faisons du chiffre d'affaire, en achetant, vendant et transformant des produits existants, et d'un autre nous sommes engagés dans un très vaste programme de recherche, pour parvenir à industrialiser des panneaux photovoltaïques organiques réalisables sur mesure par des méthodes d'impression jet d'encre.

Nous appartenons à un groupe historique d'imprimerie qui existe à Limoges depuis 1902. Au départ nous faisions la décoration de la porcelaine. Donc vous voyez, quand une entreprise innove en permanence, elle réussit à survivre aux ruptures technologiques. Les clients de l'activité traditionnelle d'impression sont des sociétés comme Airbus, pour faire du marquage technique. C'est un métier de main d'œuvre, avec des imprimantes. Nous avons équipé des trains. Nous faisons de la signalétique. Nous fabriquons nos panneaux solaires sur mesure. Nous sommes actuellement une vingtaine de personnes. Nous passons notre temps à recruter car nous sommes en phase de croissance.

Nous vendons des études, des produits, des stations photovoltaïques globales. Nous avons acquis une certaine légitimité, et gagné quelques prix. Je préside la commission OPV (organic photovoltaics), auprès de l'Association française de l'électronique imprimée, car ce que l'on fait consiste à déposer des semi-conducteurs sur des substrats flexibles. Cela fait partie de l'électronique imprimée, vaste famille avec des débouchés potentiels vers l'éclairage, les écrans et la santé. Je suis expert auprès de la Commission européenne dans le domaine du photovoltaïque organique.

Donc, nous customisons, adaptons et vendons des produits conformable destinés à des applications très variées : des véhicules, trains, camions, voitures, beaucoup dans la défense, car la première source de pertes humaines dans les forces militaires se situe aux moments où elles ravitaillent les camps avec des camions à essence ; un peu dans l'intégration bâtiment, quand il s'agit de faire de belles choses véritablement intégrées aux bâtiments ; dans le mobilier urbain car il a besoin d'être fonctionnalisé, sans forcément être raccordé au réseau ; des sites isolés, comme par exemple un déclencheur d'avalanches, et beaucoup d'électronique portable.

Quelques-uns de nos clients sont des grands groupes français, car l'avenir est le suivant : un peu d'électricité, un peu partout. C'est l'avenir inéluctable, car nous avons de plus en plus besoins, les uns et les autres, consommateurs, utilisateurs, d'avoir un peu d'énergie et, grâce à nos panneaux sur mesure, nous pouvons intégrer à l'outil industriel, et intéresser l'ensemble des acteurs de l'industrie à tous les niveaux.

Un exemple : nous ne faisons pas rouler les trains, mais les arrêts inopinés des TGV, de temps en temps l'été, posent un gros problème à la SNCF. Quand le TGV est déconnecté du réseau, il n'y a plus d'électricité, donc la climatisation s'arrête. Il n'y a pas de ventilation prévue. Au bout de deux heures d'arrêt, la température de 70°C dans le train oblige à ouvrir les portes. Les voyageurs descendent sur les voies, ce qui pose de terribles problèmes de sécurité. La SNCF ne veut plus être contrainte d'ouvrir ses portes quand le train tombe en panne. Cela n'arrive pas très souvent, mais pour augmenter la sécurité, elle étudie très sérieusement la possibilité de mettre des panneaux solaires sur les trains. Nous ne sommes pas en compétition avec l'électricité centralisée normale, mais apportons des solutions, des services nouveaux à forte valeur ajoutée. C'est en faisant de la forte valeur ajoutée, en se différenciant des productions de masse asiatiques que nous avons une chance de faire perdurer les innovations françaises et européennes.

De même, sur les bus existe une législation qui impose à ces véhicules de couper leurs moteurs, donc leur climatisation, à l'arrêt. Quand les touristes japonais reviennent de visiter Versailles, que le bus a passé deux heures à l'arrêt et qu'il y fait 70°C, ils ne sont pas très contents. Avec des panneaux solaires sur le bus, vous pouvez faire marcher une climatisation électrique.

Nous travaillons énormément avec les militaires qui ont beaucoup de besoins. Voilà toutes sortes de panneaux, des petits, des grands, des ronds, des carrés, toutes les formes et aussi toutes les caractéristiques électriques, du 2, 4 ou 6 volts, à la demande, en fonction du client.

L'organique est très intéressant, car différent de toutes les autres technologies. En particulier il marche très bien en lumière indirecte et diffuse.

Nous nous sommes lancés dans un programme de recherche. Le système fonctionne en laboratoire, et nous sommes en train de développer l'outil industriel pour le fabriquer. Nous avons signé un contrat avec la DGA, car nous pouvons imprimer des panneaux de différentes couleurs et ainsi faire du tachisme et des panneaux de camouflage.

Quel est le problème que nous devons résoudre, à notre petite échelle, pour que notre innovation puisse devenir un succès ? Vous nous posiez la question, tout à l'heure, du message qu'en tant que politiques, vous deviez faire passer auprès des concitoyens pour qu’enfin les innovations soient acceptées.

Nous rencontrons beaucoup de problèmes. Si en France nous n'avons pas une visibilité à moyen terme, si l’on change de politique en permanence dans des domaines d'activité dans lesquels on veut devenir performant, nous ne réussirons pas. Il faut que vous, politiques, vous décidiez de vous focaliser sur certains secteurs et que vous vous y teniez sur le long terme. La France représente 1 % de la population mondiale, nous ne pourrons pas être bons partout.

Nous ne pourrons pas, dans notre métier, être en compétition sur des marchés de masse. Donc il faut que l'on apporte de la valeur ajoutée, de l'innovation. Il faut absolument que l'on réussisse, en Europe, à innover dans des secteurs différents de ce que font les asiatiques. Pour cela, par chance, en France et en Europe, il y a énormément d'argent dans la recherche. Je le sais bien, puisque nous arrivons à financer l'intégralité de notre recherche grâce aux aides et aux subventions que l'on peut trouver. Cela marche très bien, car de toute façon les chercheurs, qu'ils trouvent ou non, ont des résultats. Et les recherches continuent à être financées. Par contre, le gros problème est le suivant : une fois que vous avez fait de la recherche, c'est notre cas, que cela fonctionne, il n'y a plus personne pour financer l'industrialisation, car là il faut prendre des risques. Dans notre société, nous devons réapprendre à prendre des risques. Et je milite, c’est un positionnement personnel : messieurs les politiques, tant que dans notre Constitution nous aurons le principe de précaution, nous ne ferons plus rien. Votre enfant qui apprend à marcher, vous ne le mettrez plus debout, parce qu'il va tomber. On marche sur la tête en Europe. Donc en Europe et en France, tant que l'on aura ce principe-là, nous ne ferons rien, et personne ne veut financer notre industrialisation, parce qu'il faut prendre des risques.

Autre point, vous avez vu dans notre métier, on vient d'instituer une taxe sur l'importation des panneaux chinois. Ce n'est pas un moyen d'innover. Vous avez déjà tué les producteurs en changeant les tarifs de rachat, maintenant on va tuer ce qu’il restait de la chaîne, c'est-à-dire les installateurs, puisque plus personne ne peut vendre d'installations photovoltaïque en France sachant que dans les six prochains mois, on ne sait pas à quel prix seront nos panneaux : 10 % de taxe d'importation, 40 %, 60 %, c'est l'inconnu. Donc les clients n'achètent plus. Si cette taxe douanière est effectivement mise en place, vous allez tuer le reste de la filière. Les postures politiques, pour plaire et pour dire aux Chinois : « On va être meilleurs que vous, on va vous résister », cela ne fonctionne pas. J'ai eu la chance de travailler de nombreuses années en Chine. Pourquoi les Chinois ont gagné dans le photovoltaïque ? Parce qu'ils sont meilleurs que nous et c'est tout. Ce n'est pas pour d'autres raisons.

Il faut qu'on change nos cultures et nos mentalités, Monsieur le sénateur. Tant que vous n'apprendrez pas à nos concitoyens...

M. Jean-Yves Le Déaut. Député, pas encore sénateur.

M. Stéphane Poughon. Député ! Cela viendra peut-être, je vous le souhaite, il y a moins de risque en étant sénateur, c'est tous les neuf ans.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous n'y êtes pas non plus, cela a changé, c'est tous les six ans maintenant.

M. Stéphane Poughon. C'était une plaisanterie. Il faut changer nos mentalités, que l'on apprenne à prendre des risques, et à aller vite. Ce matin quelqu'un disait être bloqué pendant dix ans à cause d'un problème administratif sur les éoliennes. Croyez-vous que les concurrents nous attendent pendant dix ans ? Si l'on ne change pas notre façon de penser, notre façon d'agir, l'innovation va continuer à exister puisqu'on a des chercheurs d'une qualité exceptionnelle et des financements, mais il n'y aura plus d'industrie.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous n'étiez pas arrivé, mais je l'ai indiqué en introduction : j'ai rédigé un rapport qui va un peu dans le sens de ce que vous avez dit. Avec Claude Birraux, nous étions de deux partis politiques différents. Ce n'est pas vieux puisqu'il y a un peu plus d'un an nous avons publié un rapport sur « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques ». Innover, c'est changer, vous venez de le dire, changer c'est risquer, et c'est vrai qu'il y a des freins. Nous avons essayé de les analyser. Il y a des freins culturels, financiers et réglementaires. Nous avons travaillé avec le Comité Richelieu sur ce rapport. Lisez-le, vous verrez si les solutions préconisées allaient dans le bons sens. Certaines sont déjà en place. Mais c'est comme pour le vélo, sans pile à hydrogène, le travail politique est de longue haleine. Il faut détecter les freins, comme vous dites, les freins réglementaires, les avoir en permanence à l'esprit et essayer à chaque texte de loi de les intégrer. On y arrive, de temps en temps, pas suffisamment vite sans doute, mais vous avez totalement raison de dire qu'un principe de précaution ne doit pas être un principe d'inaction. Il faut faire l'équilibre entre la précaution et l'action.

Nous passons à une autre intervention, celle de M. Gilles Amsallem, PDG de la société Biométhodes, implantée au Génopole d'Evry en région parisienne. Le directeur de ce Génopole, Pierre Tambourin, vient souvent ici travailler avec nous. C'est le premier Bioparc français dédié aux biotechnologies et biothérapies. Biométhodes est un leader européen en ingénierie des enzymes, et utilise des technologies enzymatiques pour produire des biocarburants de deuxième génération. Son PDG va nous l'expliquer sans doute, il y a deux grandes méthodes de fabrication de biocarburants : les voies thermochimiques et les voies enzymatiques. Lui est spécialisé dans cette dernière.

M. Gilles Amsallem, PDG de Biométhodes. Tout d'abord, la présentation que je vais faire est assez peu tournée vers les biocarburants, mais d'avantage vers un concept de bio-raffinerie que nous développons. Néanmoins, les biocarburants en font partie. Historiquement, Biométhodes est une société de biotechnologies pionnière dans le domaine de l'ingénierie des protéines, en particulier des enzymes. Au fil du temps, cette société, pour des questions de financement, s'est petit à petit tournée vers un modèle économique de services. En 2008, nous avons pris un tournant. Nous avons monté un partenariat avec un laboratoire du Département des énergies, aux États-Unis, et avons donné à Biométhodes une orientation dans le domaine des bio-raffineries, que je vais vous présenter.

La bio-économie est un domaine stratégique, puisqu'il concerne les nouvelles formes de carburants et d'énergies, les matériaux, avec les biomatériaux, les produits chimiques et agro-industriels.

Cet ensemble industriel a besoin de substituer le carbone fossile par un carbone renouvelable. D'un autre côté, un monde économique produit la biomasse, essentiellement les agro-industries, les industries forestières et d'autres voies de production. Biométhodes vise à jouer un rôle de pont entre ces deux univers. Le monde agro-industriel produit cette biomasse. Il est en crise du fait de la compétition sur le cours des matières premières alimentaires, l'industrie forestière ayant un problème de compétitivité, compte tenu du déclin de l'industrie de la pâte à papier et du bois de construction, notamment dans des régions comme le Canada et les États-Unis. Pour transformer cette biomasse en ressource-carbone renouvelable, il faut des technologies. C'est ce à quoi s'attelle Biométhodes.

Une fois ce constat posé, l'écueil serait de substituer à un déséquilibre systémique – celui des énergies fossiles – un nouveau déséquilibre, rencontré avec l'émergence des biocarburants de première génération, en induisant un prélèvement excessif de la biomasse alimentaire à des fins énergétiques. Mais ce n'est pas le seul. Il y a également d'autres problèmes, tels le maintien de la fertilité des sols, la toxicité éventuelle des produits générés par cette industrie pour l'environnement, la compétition du carbone et des carburants fossiles, faute d'une vision claire sur les cours, et également des contraintes économiques majeures.

Toute initiative dans le domaine de la bio-économie devra répondre à cet équilibre relativement complexe. Pour avoir un aperçu de ce que pourra représenter la bio-économie, il y a eu lors du Forum économique mondial une évaluation prévoyant que cette économie, à l'horizon 2020, représentera presque 300 billions de dollars. Elle est constituée par différents secteurs, tels que la production de la biomasse, sa logistique, son transport, la transformation, la cogénération, etc. Le positionnement que nous prenons est très technologique dans ces secteurs industriels.

La plupart du temps, les grands acteurs industriels cherchent des solutions technologiques matures. Ce n'est pas dans la culture des groupes industriels d'innover avec des technologies qui présentent peu d'assurances. Cela compromet considérablement toute initiative d'innovation et toute création de nouveaux modèles économiques. Cela s’est passé avec l'émergence des biocarburants, dits de première génération. On savait transformer du maïs, du blé et de la canne à sucre en éthanol, et on y est allé à cœur joie. Et tous les problèmes que nous avons rencontrés ont été créés.

Utiliser cette quantité énorme de biomasse constituée par les résidus agro-industriels et forestiers est un challenge auquel nous nous attelons. Cette initiative nécessite un changement complet de paradigme. Il faut d'abord des outils techniques. Et les marchés doivent absorber les produits issus de ces technologies. La biomasse contient une énorme valeur chimique générée par la plante. Une partie peut être reconvertie en biocarburants, notamment l'hémicellulose ; l’aniline représente tout un ensemble de molécules, et peut théoriquement remplacer la totalité de l'industrie pétrochimique. Le problème essentiel demeure que l'industrie n'est pas prête à absorber les produits de ces raffineries tant qu'elle n'a pas l'assurance de la ressource. Nous nous trouvons dans des situations assez burlesques, comme on l'a indiqué ce matin. On a d'abord raffiné le pétrole, avant d'inventer le nylon et le tergal. Nous sommes dans des situations où il faut anticiper les besoins industriels par des solutions technologiques.

Nous avons développé l'intégration de deux modules : un premier traitement de la biomasse ainsi qu'un traitement enzymatique et biologique, correspondant aux métiers historiques de Biométhodes. Je dois dire que nous sommes une société française, et la seule société au monde à avoir intégré ces deux éléments, pour lesquels nous avons reçu un financement significatif du gouvernement américain, afin de construire une unité de démonstration aux États Unis.

Le tableau présenté montre quelques éléments économiques qui parlent d'eux-mêmes. Les initiatives politiques françaises et européennes sont essentiellement tournées vers la production de biocarburants. Celle de deuxième génération est difficilement viable. À gauche du schéma se trouve le modèle économique développé par le Département de l'énergie aux États-Unis. Au centre, ce que ferait Biométhodes, si la biomasse était travaillée pour produire des biocarburants de deuxième génération. Ainsi, même si nous faisons mieux que le modèle économique prévu par le Département de l'énergie, l'équilibre économique est extrêmement fragile, tant et si bien qu'il n'appellera jamais d'investissement massif de groupes industriels pour engager une production. Mais si l'ensemble des produits de la biomasse était valorisé, un modèle économiquement viable est possible. La question est de savoir s'il peut y avoir un accompagnement politique pour anticiper les marchés industriels de demain : des marchés de matériaux et de produits chimiques alternatifs, et développer des initiatives, alors que les marchés ne sont pas arrivés à un niveau de maturité suffisant pour engager des investissements industriels dans ce secteur.

Le chemin d'une start-up comme la nôtre est la preuve de concept, le financement de la preuve de concept. Nous n'avons pas eu trop de problèmes pour trouver de l'argent. Nous avons eu accès à du capital de fonds de placement (Systematic Investment Plan – SIP) pour le développement de la preuve de concept, du laboratoire au pilote. Nous avons eu du mal à trouver de l'argent en France, mais avons levé douze millions de dollars aux États-Unis pour construire un pilote.

Du pilote aux démonstrations économiques et au marché, nous avons besoin de capitaux et de fonds significatifs. Reste donc à savoir si nous pouvons avoir un accompagnement pour développer ces voies de démonstration, sachant qu'une fois la preuve faite, nous n'avons plus du tout de problèmes pour obtenir les investissements industriels sur des technologies et des marchés matures.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous aborderons tout à l'heure dans la discussion la question importante du passage du pilote à l'industrialisation.

Nous passons à la dernière intervention, celle de M. Pierre de Montliveault, directeur des nouvelles offres énergétiques chez Dalkia France, directeur de Bois-Énergie France, il s'exprime à ce titre, et vice-président du CIBE, Comité interprofessionnel du bois-énergie, avec pour champ d'intervention le chauffage collectif et industriel au bois, y compris la production combinée de chaleur et d'électricité dans l'habitat et le tertiaire, les réseaux de chaleur, les entreprises industrielles.

M. Pierre de Montliveault, vice-président du CIBE. Je représente aujourd'hui le Comité interprofessionnel bois-énergie (CIBE). Vous avez bien décrit nos activités. Nous sommes 130 adhérents et notre ambition est de représenter toute la filière bois-énergie, depuis la pépinière jusqu'à la cendre, donc depuis la propriété forestière jusqu'à la transformation complète de ce combustible qu'est le bois. Dans ce collectif se trouvent beaucoup de PME, de bureaux d'études, tous engagés dans ce défi des objectifs de développement des énergies renouvelables à l'horizon 2020. On parle beaucoup de solaire, de photovoltaïque, d'éolien, et c'est très bien. On oublie parfois que la biomasse représente un peu moins de la moitié de l'objectif de croissance des énergies renouvelables d'ici 2020. Nous pouvons nous féliciter d'un bon démarrage. Dans les 6 ou 7 dernières années, un million de tonnes équivalent pétrole a été produite en plus en énergie verte, grâce à la biomasse. Pour le forestier que je suis, cela me parle plus en tonnes de bois : 5 millions de tonnes de bois transformés pour produire essentiellement de la chaleur et un peu d'électricité. C'est une très belle réussite, mais pour tenir l'objectif 2020, il y a 2,5 fois plus à faire, en moins de 8 ans, et c'est tout de même un défi considérable.

Le fait que cette filière se soit déjà mise en mouvement se traduit par un ensemble de champs d'innovation. En voici quelques exemples, partant de l'aval pour aller vers l'amont.

La distribution d'énergie est classique, mais le stockage est plus nouveau. Délivrant de la chaleur à une ville entière ou à un ensemble de quartiers par un réseau de chaleur, nous sommes un peu comme le système électrique français qui a des moyens de production de base, de semi-base et de pointe. Le but est de fonctionner le moins possible en pointe, qui utilise les moyens de production les plus polluants, avec le combustible le plus cher. Dans le domaine des réseaux de chaleur fonctionnant au bois, nous faisons la même chose, avec le développement du stockage d'eau chaude, qui permet de faire fonctionner en base et au maximum nos chaudières bois. Par exemple, l'entreprise Charot, PME de 200 personnes basée dans l'Yonne, qui était initialement un chaudronnier, s'est développée sur ce segment.

Remontant à la transformation de l'énergie, la pièce centrale est la chaudière. Il faut saluer le fait que des entreprises françaises tirent bien leur épingle du jeu. D'une manière générale, si nous regardons les investissements sur la production de chaleur renouvelable aidés par l'Ademe, plus de 75 % vont à des entreprises installées en France. Les 25 % restant vont à des entreprises européennes. J'insiste car nous entendons souvent parler des petites chaudières suisses ou autrichiennes. Elles sont plutôt sur le segment de l'individuel ou du très petit collectif. Sur les installations de plus grande taille, les entreprises françaises sont présentes : par exemple Compte R, PME auvergnate de 300 personnes, ou Weiss-France qui appartient dorénavant à un groupe familial agro-alimentaire malouin, le groupe Roullier.

Ces entreprises sont en permanence dans l'innovation. Il ne faut pas avoir cette image de filière technologique mature pour la transformation du bois en chaleur. Certes, elle existe depuis des siècles, mais quand il s'agit de le faire dans des installations qui consomment plusieurs milliers de tonnes de bois par an, il y a un vrai défi technologique pour optimiser leur régulation. Un élément passionnant dans la combustion du bois est qu'il ne s'agit pas d'un combustible normé et homogène, comme le gaz. On transforme du vivant. Le vivant est hétérogène et sa transformation est beaucoup plus compliquée. Elle pose de vrais défis pour les fabricants de ces chaudières, qui sont dans la recherche permanente de l'optimisation. Des solutions se développent récemment en matière de condensation et de récupération de chaleur sur les fumées de combustion. Tout cela dans le même but : augmenter le rendement global de la transformation du bois.

Un deuxième objectif est d'augmenter le rendement global de l'ensemble de la chaîne, en comptant les dépenses énergétiques depuis le lieu d'origine du combustible : scierie, forêt ou site de récupération de bois de recyclage. Pour avoir une bonne équation énergétique, il faut se battre contre les kilomètres, aller chercher le bois au plus proche de la chaufferie. Celle-ci doit être tolérante, capable d'utiliser le bois de proximité, de brûler différentes essences par exemple. On ne brûle pas que du beau chêne. C'est peut-être vrai pour votre cheminée individuelle, mais nos chaudières, s'il y a des têtes de peupliers, un combustible peu intéressant dans l'absolu, doivent permettre de les valoriser.

Le gros du potentiel en ressource biomasse pour atteindre les objectifs 2020 se trouve en forêt, avec les sous-produits de l'exploitation forestière classique que l'on n’utilisait pas jusque-là : les menus bois, les têtes d'arbres, les branches et les essences qui n'intéressent personne, même pas les papetiers ou les fabricants de panneaux de bois. Ramasser ces menus bois se rapproche plus de la cueillette que de l'exploitation industrielle. Aussi, faut-il développer de l'innovation avec des méthodes de mécanisation forestière adaptées, mises en pratique tous les jours par un ensemble de toutes petites entreprises de récolte forestière et entrepreneurs de travaux forestiers. Il y en a à peu près 8 000, réparties sur tout le territoire, avec des zones de chalandise allant du canton, pour les plus petites, à l'inter-région pour les plus grosses. Depuis dix ans apparaît une vraie diversification de leurs activités, traditionnellement concentrées sur le bois d'œuvre, le bois d'industrie, la pâte à papier et le bois-bûche.

Pour donner une vision globale des emplois concernés par les objectifs auxquels la France s'est engagée à l'horizon 2020, partant de l'amont, avec des chiffres issus de l'Ademe, nous sommes à plus de douze mille emplois supplémentaires créés en forêt, par la mobilisation de ces combustibles. Pour la construction des chaudières, avec des emplois chez les chaudiéristes, le génie civil et l'installation, les estimations issues du ministère de l'Écologie sont de l'ordre de 6 000 emplois ; enfin 5 000 emplois pour la distribution de cette chaleur à travers les réseaux.

Voilà à grands traits les enjeux de la filière.

Nous sommes confrontés à quelques difficultés, et je vais intervenir sur un thème déjà abordé par les autres intervenants : le problème du risque. Nous sommes confrontés à une frilosité dans certaines régions. Des cellules préfectorales régionales, qui évaluent les ressources en biomasse, ont extrêmement peur que l'offre ne suive pas la demande. Et, Monsieur le député, c'est le cas en Lorraine, grande région forestière s'il en est, où la cellule préfectorale régionale craint le manque de bois. Le constat de tous les jours, et c'est tout l'intérêt du CIBE, car il permet le contact entre exploitants de réseaux de chaleur et l'ONF, les propriétaires forestiers et les coopératives forestières, est que c'est tout le contraire. Il y a un vrai potentiel à mobiliser. Il faut que nos amis des cellules préfectorales acceptent de nous laisser prendre quelques risques.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons plus d'une vingtaine de minutes pour entamer une discussion. Dans cette partie de la table ronde où des entreprises d'une filière ont exposé leur expérience mais où toutes les expériences ne sont pas relatées, il est intéressant de considérer les problèmes que vous avez rencontrés les uns et les autres. L'un de nos rôles à l’Office est de diversifier les contacts, pour essayer d'identifier les questions. Plusieurs ont été abordées. Le lien avec la recherche ne présente pas de grosses difficultés, mais l'organisation de la recherche dans vos entreprises et PME, et les liens avec les organismes de recherche sont-ils satisfaisants ? Les pôles de compétitivité, l'organisation territoriale y a-t-elle aidé ? À quel moment avez-vous eu des difficultés financières : à la preuve du concept, lors du passage au pilote, ou à l'industrialisation ? Votre développement industriel doit-il être basé sur des marchés publics ? Dans vos secteurs les marchés suivent-ils ? Donne-t-on priorité aux PME ? Certains ont parlé du crédit impôt-recherche, Est-il facilement mobilisable pour une PME ? Certains ont proposé de l'anticiper, mais c'est difficile car il s'agit d'un crédit-impôt. Il faudrait mettre un autre dispositif en place. Et enfin, quels financements et quelles modifications réglementaires faudrait-il pour une amélioration, pour que les filières s'organisent dans notre pays ?

Pour ceux qui le veulent, voilà des exemplaires du rapport que j'avais écrit à l'époque, « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques ». Vous le verrez, certaines des questions que vous avez posées avaient déjà été identifiées.

Monsieur Amsallem, je vais vous poser une question puisque vous voulez intervenir. Vous êtes dans un secteur où il y a un développement français aidé par des grosses entreprises. Dans ce secteur de la biomasse de deuxième génération, il y a le projet FUTUROL. Je suis allé sur place. Êtes-vous liés à eux ? Eux souhaitent faire une plate-forme en France. Vous êtes aidés pour faire une plate-forme aux États-Unis. Y-a-t-il concurrence, et travaillez-vous sur ce projet de biomasse deuxième génération par voie enzymatique à Bazancourt ?

M. Gilles Amsallem. Le lien entre les deux aspects de la question que vous avez posée est : comment fonctionne la recherche ? Les relations avec les institutions de recherche et l'exemple du projet FUTUROL, sont très significatifs de problèmes structurels dans l'organisation de la recherche et de l'innovation industrielle en France.

On met dans le même sac, et on ouvre les mêmes guichets pour des entreprises innovantes, pour des grands groupes industriels, et pour des organisations de recherche. Quand une entreprise innovante monte un dossier, elle se trouve en compétition avec des organismes de recherche publics, qui n'ont aucune contrainte économique et ont besoin de budgets pour faire fonctionner leurs laboratoires, ou avec des partenaires de ces organisations de recherche, ou quelquefois potentiellement avec d'autres organisations reliées ensemble.

Il y a une confusion totale, aussi je recommande vivement de prendre pour référence le modèle américain de financement de l'innovation, dans lequel on sépare bien, d'une part, le financement de la recherche académique pour laquelle il y a un guichet spécifique, les laboratoires étant en compétition entre eux pour avoir des financement de recherche publique, et, d’autre part, les financements pour l'innovation économique et industrielle. Il n'y a pas confusion des deux. Sinon l'on se trouve dans une situation semblable à celle du projet FUTUROL, auquel nous avons été invités à participer, et nous sommes trouvés en compétition avec un laboratoire du CNRS de Marseille qui avait besoin de budgets pour développer des activités de recherche enzymatiques, que nous avions développées nous-même au cours des dix années précédentes. Nous avons préféré nous retirer car nous avions des contraintes économiques très différentes de celles d'un laboratoire public.

Pour répondre à la question sur la différence entre nos activités et celles de FUTUROL, nous avons monté le projet américain en tant que société française, avec un projet économique et industriel dans une région aux États-Unis, financé à ce titre. Pour monter l'équivalent dans le cadre du projet FUTUROL, il fallait rentrer dans un consortium comprenant TOTAL, l'IFP, le CNRS, l'INRA, etc., d'où une grande complexité.

D'autre part, la technologie développée dans le cadre d'un consortium français du type FUTUROL ne devrait pas fermer la porte à d'autres initiatives, car nous représentons une véritable alternative technologique à ce qui est fait dans FUTUROL. Très souvent nous a été opposée l'existence d'un projet français : s'il y a un projet français, il ne peut y en avoir un autre. C'est relativement grave dans un secteur où il n'y a pas la moindre visibilité. On ne sait si c'est FUTUROL, Biométhodes ou d'autres sociétés américaines qui vont gagner cette course technologique.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je ne le savais pas. J'ai bien fait de poser la question. Je vois que l'équipe France ne marche pas totalement dans ce domaine. Il y a donc des problèmes et nous continuerons à en discuter.

M. Stéphane Poughon. Je peux vous faire part de notre expérience dans le domaine de la recherche-innovation. Nous travaillons avec de nombreux laboratoires français, le CEA et le CNRS, mais aussi avec des laboratoires publics belges, hollandais, allemands et même canadiens, et nous faisons beaucoup appel aux financements publics, très nombreux, largement accessibles même s'il devrait y avoir moins de guichets. Par contre, les milliards déversés dans la recherche en France et en Europe connaissent un frottement lié à une organisation, de notre point de vue, déplorable. Il y a une déperdition hallucinante des moyens. La principale étant la compétition entre les différents laboratoires publics. Les chercheurs, au lieu de chercher, passent leur temps à monter des dossiers de 250 pages chronophages. Nos chercheurs, scientifiques formés à faire de la science, font maintenant de la littérature et du marketing. Voici la première déperdition. Deuxièmement, ils ne cherchent de l'argent que pour survivre. L'objectif, qui devrait être, de notre point de vue d'industriel, de développer les savoir-faire-créateurs des emplois de demain, est complètement oublié. Le seul intérêt de tous les laboratoires de recherche est de réussir à faire grossir leurs équipes sur n'importe quel sujet, ou plutôt sur les sujets pour lesquels ils peuvent obtenir des financements. Cet argent disponible, nous nous en servons un peu, mais il y a une grande déperdition. Si à nouveau vous pouviez simplifier le système, l'organiser de façon plus performante, ce serait un grand avantage pour tout le monde.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vois Mme Escudié réagir. Juste avant son intervention, je voudrais dire que j'ai rendu un rapport au Premier ministre, sur l'organisation de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je partage un des points évoqués : la compétition extrême entre des équipes nuit à l'efficacité. Il vaut mieux un système de performance par la coopération à un système d'excellence par la compétition. Néanmoins il faut distinguer la recherche fondamentale, les « projets blancs » de l'ANR, de la recherche appliquée. En France, nous sommes cinquième ou sixième, selon les classements, pour les résultats de la recherche. Les indicateurs sur l'innovation nous classent quinzième ou dix-septième. Il y a un décalage entre notre niveau de recherche et d'innovation. L'innovation n'est pas le même métier, il faut l'organiser. Nous devons organiser l'industrialisation, et déjà nous ne sommes pas bons en innovation. Nous avons organisé le financement de nos établissements publics de recherche. Nous devons peut-être nous poser la question de la paperasserie et de la bureaucratie du système qui fait qu'une part de nos chercheurs passe du temps à remplir des dossiers et à faire également beaucoup d'expertise.

Je demande maintenant la vision de l'ANR, car sa représentante a dit ce matin qu'elle ne pouvait plus suivre certains domaines, suite à la baisse des budgets. Ils n'ont d'ailleurs pas baissé récemment, mais un équilibre a été choisi entre le financement récurrent de la recherche, des projets de base, et les financements sur projets. Je vous laisse répondre.

Mme Dany Escudié. Je vais me permettre d'intervenir avec ma double casquette. Pendant dix ans j'ai dirigé une UMR CNRS à l'INSA de Lyon sur les thermiques et l'énergétique, et depuis un an et demi je suis aussi responsable de l'énergie durable à l'ANR. Vos propos concernant les laboratoires qui chercheraient l'argent là où il y en a, sans se soucier de l'intérêt des thèmes de recherche, m'ont beaucoup choquée. On ne peut laisser dire cela. Je crois que les enjeux de la recherche sont bien réels, notamment pour le développement d'entreprises telles que la vôtre. Il est vrai que les temps caractéristiques de la recherche et des entreprises sont différents. Je respecte vos temps caractéristiques rapides, la nécessité des retours sur investissement qui conditionnent la création d'emploi et la pérennité des entreprises. Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur la façon dont vous investissez et utilisez vos capitaux. Cependant, des milliards d'euros ne sont pas investis ou dépensés au hasard dans la recherche. Des difficultés existent entre recherche académique et appliquée. Entre des guichets finalisés, tels OSEO, qui aident les PME-PMI, et l'ANR, située beaucoup plus en amont, il y a un continuum. Même si c'est plus difficile pour elles que pour de grands groupes, nous recevons également des projets auxquels participent des PME-PMI. Un réel soutien existe, pour autant il ne faut pas tout mélanger. L'opposition, dont vous vous faisiez l’écho, entre soutiens récurrents et par projets est, au final, dangereuse. Le récurrent est nécessaire pour qu'un laboratoire puisse se projeter dans l'avenir, indépendamment des contraintes socio-économiques des entreprises. Là se trouve toute la différence.

Cependant la plupart des chercheurs dans les laboratoires ont des contraintes et répondent à des défis sociétaux. Grâce à l'ANR, des laboratoires qui auparavant étaient en compétition se sont réunis, pour se doter d’une force de frappe et être compétitifs par rapport à l'extérieur, en particulier à l'Europe et l'international. Nous connaissons cette réalité chaque jour, elle est chiffrée.

Je connais particulièrement bien le secteur de la combustion et des chaudières. Des tas de choses ont été faites, et la recherche académique a réalisé tous les travaux sur la combustion pour en arriver là où nous en sommes aujourd'hui, même si quelqu'un travaillant dans les chaudières et montant sa société ne s’en rend pas toujours compte. Même si vous ne voyez pas le transfert, car il y a un temps caractéristique différent, il existe.

M. Stéphane Poughon. Je vais vous répondre très brièvement. Excusez mes propos quelque peu exagérés pour faire réagir. Si je synthétise votre réponse, j'entends que tout va bien. Néanmoins, quand des industriels comme M. Asmallem et moi viennent exposer les problèmes qu'ils rencontrent, il faudrait essayer d'en tenir compte, pour éventuellement changer les choses. In fine, le but de la recherche est quand même de faire de l'innovation et de créer des emplois. Écoutez-nous, essayez de comprendre pourquoi nous vous amenons ces problèmes. Ne nous dites pas, « vous avez tort, vous êtes excessifs ».

Mme Dany Escudié. Il faut être clair. Je répondais à vos propos provocateurs, sans porter de jugement sur les difficultés que vous rencontrez. Vous parliez tout à l'heure de difficultés avec des laboratoires. Je peux vous dire que la plupart des difficultés à faire signer des consortiums ne viennent pas des laboratoires et des organismes, mais des partenaires industriels qui n'arrivent pas à se mettre d'accord sur les questions de propriété industrielle.

M. Gilles Amsallem. C'est la raison pour laquelle il est primordial de distinguer les modèles de recherche académique et industrielle. Les appels à projets sur les biocarburants avancés et la chimie biosourcée constituent un épisode particulièrement douloureux pour notre société. Des milliards ont été annoncés. Un appel à projet a été confié à l'ANR et l'autre à l'Ademe. Nous avons dépensé près de 800 000 euros sur une année de travail pour monter des dossiers. Nous apprenons aujourd'hui qu'il y a à peine quinze millions alloués. Comment cela est-il possible ?

M. Jean-Yves Le Déaut. L'Ademe sera là tout à l'heure et vous pourrez lui poser la question.

M. Alain Planchot. Je voudrais vous remercier. Nous sommes très contents que l'équipe dirigeant la France s'intéresse à l'industrie. Nous l'attendions depuis longtemps. Vous parlez d'équipe France. Sans citer Géotexia, j'ai des exemples où les fonds publics, donc nos impôts, ont servi à faire progresser les filières d'innovation technologique de nos partenaires et voisins, au détriment de consortium de PME françaises qui ont vu passer les projets et les fonds sous leur nez, et ont dû piétiner pour rattraper leur retard. Les affaires sont mondiales et internationalisées évidemment...

M. Jean-Yves Le Déaut. Sans nous étendre là-dessus, il serait important de dire ce que nous devons améliorer pour que cela aille mieux au niveau réglementaire et législatif.

M. Alain Planchot. Les choses ont été dites. Vous avez des idées très claires. Vous avez listé une dizaine de points résumant ce qui a été dit cet après-midi, et vous avez anticipé sur les besoins. Nous avons besoin d'un passage performant entre l'innovation et l'industrialisation, d'un support volontariste des institutions pour aider le financement et la prise de risque dans ce passage.

M. Philippe de Maleprade. Je voulais réagir sur la prise de risque de manière générale, et dire que nous rejoignons ce qu'a dit Monsieur Amsallem sur le déséquilibre entre recherches académique et industrielle qui ne va pas dans le sens du développement de l'économie. Il serait intéressant de ne pas mettre en concurrence ceux qui ont la garantie absolue de l'Etat et ceux qui ne l'ont pas, surtout dans le domaine où l'initiative privée existe.

Un récent classement européen met la France en « follower », et plus en leader dans le domaine de l'innovation. Cela devrait nous alerter.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous venons d'avoir un débat sur la place de l'anglais à l'Université, essayez de traduire !

M. Philippe de Maleprade. C’est le terme utilisé dans le rapport. Pour en revenir à la question de la BPI, il y a un point particulièrement intéressant. Ses porte-parole vont certainement expliquer qu'il y a le prêt pour l'innovation, qui permet de passer à l'industrialisation du produit. Mais il est calculé en fonction des fonds propres. Une entreprise qui n'en a pas suffisamment est donc limitée, surtout si elle est jeune. Le Comité Richelieu souhaiterait que l'on puisse prendre en compte une précommande en tant que garantie de la constitution de fonds propres. Nous l'avons dit à BPI France, et si vous-même pouviez porter ce message, il aurait plus de poids.

Enfin, sur la question un peu symbolique du principe de précaution, je peux le dire en tant que juriste d'origine, nous réalisons dans le domaine du droit un équilibre des principes. Puisque le principe de précaution a été introduit dans la Constitution, pouvez-vous me dire quel serait le principe destiné à l'équilibrer, étant donné que les libertés d'entreprendre et d'innover, n'y sont pas inscrites ? Il serait intéressant de promouvoir cette idée, pleine de conséquences, et d'introduire dans notre Constitution la liberté d'entreprendre, qui est une belle liberté.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je ne vais pas développer ici la question du principe de précaution, mais j'ai souvent écrit sur ce sujet. Le pendant du principe de précaution est celui de progrès, vieille idée qui reste belle.

M. Philippe de Maleprade. Le progrès et la liberté.

M. Alain Planchot. Je n'avais pas terminé mon intervention sur ce qu'il faut faire pour faire progresser ces sujets.

Je suis attentif aux jeunes, la génération prête à entrer dans la lutte économique et sociétale. Il y a un message que le Comité Richelieu considère très important : c'est la promotion de l'innovation et de l'entrepreneuriat, y compris dans des institutions comme le CNRS, l'ANR ou ailleurs. Si effectivement l'on donne parfois des facilités financières, je désire vous alerter : vos choix ont depuis un an un écho auprès des jeunes qui décident d'entreprendre. Ils décident en grand nombre de partir créer leur entreprise ailleurs qu'en France. Réfléchissez à ce que vous avez fait et aux conséquences à court terme.

M. Stéphane Poughon. La fiscalité, la plus-value de cession… Les fonds d'investissements français investissent à l'étranger. Quel est l'intérêt d'investir en France si la plus-value éventuelle, quand vous réussissez un investissement sur dix, est confiscatoire ?

Un intervenant. Vous passez dix ou vingt ans à vous payer 1 000 euros par mois. Vous finissez par vous en sortir et vous dites que vous allez essayer de vivre un peu mieux, et pour cela vous verser des dividendes. Or, ceux-ci sont imposés comme le reste. Vous ne pouvez pas demander des efforts parfois importants, et pénaliser la réussite en ratissant et en récupérant les fruits du travail collectif. Nous parlons d'un financement institutionnel, mais aussi individuel, et parfois sacrificiel.

M. Philippe de Maleprade. Pour faire la part des choses, même si nous sommes d'accord : il y a eu des annonces aux Assises de l'entrepreneuriat qui nous conviennent tout à fait, le rapport Gallois par exemple. Mais de manière générale nous attendons des actes, des chiffres, quelques détails et un calendrier. Le rapport Gallois est un beau rapport, les Assises de l'entreprenariat ont engagé de jolies choses, mais finalement quelle en est la concrétisation ?

Au passage, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) est souvent présenté comme positif. Mais une entreprise adhérente au Comité Richelieu, une TPE ou une PME, avec 12 employés dont 10 ingénieurs, ne profite pas forcément du CICE à 2,5 fois le SMIC. Au bout du compte, celui-ci ne représente pas grand-chose, voire rien pour eux, ils n'en bénéficient pas. Sachant que le patron qui se paye 1 000 euros, comme c'est le patron, ne peut pas en bénéficier. Et donc s'il gagne moins de 2,5 fois le SMIC, il se fait avoir dans l'affaire.

M. Daniel Lincot. Je voudrais réagir, à propos du débat sur les énergies renouvelables, sur la question de l'innovation à partir de la recherche.

Je suis effectivement directeur de recherche au CNRS. La vision que vous vous donnez de la recherche me choque assez profondément. Les programmes utilisant les résultats de la recherche fondamentale ont donné énormément de brevets extrêmement importants. Ceux-ci ont été développés et exploités. Le CNRS est l'un des premiers déposants de brevets au niveau français. C'est l’un des centres qui nous est envié dans le monde entier. Il a des défauts, mais on ne peut pas laisser dire… Je vais parler de notre propre exemple : nous avons construit avec le CNRS, EDF et Chimie Paris Tech. une plate-forme, puis le centre de recherche dédié aux couches minces évoqué ce matin. C'est un bel exemple alliant industrie, recherche fondamentale et enseignement. En est advenue la société NEXIS, avec à ce jour 90 employés. Elle représente l'une des pépites issues de la recherche académique. Il ne faut pas généraliser. Il y a effectivement des choses à discuter ensemble, et je suis assez heureux d'entendre ce que l'on peut faire pour améliorer les choses. Mais surtout ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Au contraire, mobilisons.

Dois-je, en revenant dans mon centre où il n'y a que des chercheurs, présenter ainsi la perception du monde de la recherche qu'ont les industriels ? Je peux vous l’assurer, nous ne sommes pas en train de courir après les contrats ou les financements. Il y a des chercheurs animés de passion, qui consacrent leur vie à avancer dans des domaines précis, dont l'énergie. Je tiens à ce qu'on leur rende hommage.

M. Jean-Yves Le Déaut. Il ne doit pas y avoir de bataille. Vous êtes là pour dialoguer ensemble. La question est : comment faire mieux ? Comment faire la part du feu entre déclarations et sentiments ? Je vais reprendre l'exemple des fonds de gestion d’actifs. Ce ne sont pas les mêmes pour les petites entreprises et les très grosses. Vous avez généralisé une question pour laquelle, au contraire, nous avons essayé de trouver le juste milieu.

Même si je soutiens le CNRS et la recherche fondamentale, on peut à mon avis faire mieux en brevets. L’essentiel des royalties du CNRS avait été générées par une entreprise que Pierre Potier avait créée au Mans : SERIPHARM, qui faisait du Taxotere, à partir du Taxol. Mais il existe beaucoup plus de royalties issues de brevets versés dans des établissements étrangers que dans des établissements publics ou des universités françaises. Vous avez déposé des brevets, c'est bien. Il faut soutenir la recherche fondamentale, les « projets blancs » de l'ANR. Mais nous pourrions faire mieux en matière de valorisation. Cest le but de cette table ronde. Nous sommes aujourd’hui sur le domaine de l'énergie. Vous avez des entreprises dont certaines sont exemplaires. Mais ce ne sont que des exemples. Vous dites qu'il y a des critiques, modérées par votre voisin lui-même. C’est plutôt bon signe. Il faut accepter les critiques et essayer de voir si, dans un contexte politique et budgétaire national, il est possible de faire mieux.

Il est évident qu'il faut développer les PME-PMI. Plus de cinq milliards d'euros affectés au crédit impôt-recherche représentent un effort en matière de recherche. En constatant que 78 % va à des grandes entreprises, on peut considérer qu'il y a un effet d'aubaine possible. Il est donc nécessaire, pour accroître le potentiel en R&D, de trouver des dispositifs pour augmenter les plafonds d'aide aux PME-PMI, aider les grandes entreprises à prendre des petites sous leur aile pour les porter dans leur développement et favoriser l'embauche de docteurs dans les PME-PMI.

Ne créons pas un conflit entre chercheurs et entrepreneurs, nous avons besoin des deux.

Dans le domaine de l'énergie, le sujet du jour, même si l’OPECST suit d'autres secteurs, est : comment peut-on développer des entreprises qui vont créer de la richesse en France et en Europe ?

M. Cristoforo Benvenuti. Le monde de la finance m'est étranger. Je ne voudrais pas que vous preniez ces propos à cœur, comme des critiques. Nous avons besoin de nous rencontrer plus pour partager plus, et faire en sorte de rassembler les points de vue pour avancer ensemble. Je ne suis pas critique à votre égard : docteur en physique, j'ai fait de nombreuses recherches, et suis maintenant chef d'entreprise. Cela arrive aussi. C'est une façon déguisée de dire que j'ai un certain âge !

L'humanité est ainsi faite que dès qu'une société se crée avec un objet bien précis, son but immédiat est sa propre survie, si possible sa propre augmentation de pouvoir social, de taille, de nombre de personnes, etc. Cela concerne tous les centres de recherche qui peu à peu vieillissent et s'alourdissent. J'aime beaucoup le CERN où j'ai passé ma vie, mais j'y ai vu aussi ce vieillissement du système : plus de bureaucratie et plus de règles. C'est humain et on ne peut changer l'humanité. Comme disait de Gaulle, ce serait un vaste programme.

Il faut l'accepter. Le vrai problème est que l'on a des brevets en France, mais que peu sont transformés en produits industriels. Le passage de la connaissance acquise dans le centre de recherche à la production industrielle est la difficulté. Le centre de recherche ne favorise pas forcément l'employé qui en sort, en lui gardant son poste s'il ne réussit pas. D'un autre côté, l'État ne donne pas de fonds pour que cette activité puisse voler de ses propres ailes. C'est la différence entre l'Europe et les États-Unis. General Electric, Bell, IBM ont vieilli et ne sont pas les mêmes depuis 50 ans. Mais subsiste la capacité de transformer une idée en produit industriel, et cela nous manque en Europe. C'est ce passage que l'on appelle la « vallée de la mort ». Il faut des fonds, il y a un risque, et personne ne veut mettre ces fonds avec le risque. Nous pourrions mieux nous organiser.

M. Gilles Amsallem. Cette question a plusieurs dimensions. Je le remarque dans l'expérience de ces dernières années entre un projet de développement économique aux États-Unis, et simultanément un projet presque identique en France. Aux États-Unis, nous avons été audités et « challengés », puis nous avons obtenu les moyens de développer ce projet. C'était le nôtre. Ce n'était pas celui du Département de l'énergie, ni de tiers. Il a été évalué. Nous avons obtenu, en tant que société étrangère qui n'existait pas encore, douze millions de dollars. Nous avons pu constituer une société pour développer le projet aux États-Unis.

Pour un même projet en France, il fallait rentrer dans des rails prédéfinis par des organisations publiques, elles-mêmes dirigées par des feuilles de route politiques. Comment voulez-vous que des entreprises et des laboratoires essaient de rentrer dans ces cahiers des charges, auxquels participent parfois des groupes industriels. En quasiment vingt ans d'expérience dans le domaine de la recherche, en particulier en biotechnologies, j’ai vu des groupes pharmaceutiques mettre leurs ressources les plus mineures, dans ce qui ne représente pas du tout leurs intérêts stratégiques. Et vous avez des machines qui tournent et ne produisent rien à la fin, car la volonté politique de développer des filières n'est pas suivie par les acteurs.

Quand Total participe au projet FUTUROL, vous n'allez pas me dire qu'il met sa tête sur le billot ! Pour Total, cela fait partie d'une prise de participation à un projet, car il faut bien faire plaisir à l'IFP-EN…

On ne peut pas développer des filières avec ce type d'initiative. Nous avons un projet. On demande à ce que ce projet soit audité, évalué, et qu'on nous le passe ou pas. Mais qu'on ne nous demande pas de rentrer dans un cahier des charges de l'ANR !

Il s'agissait de la plus grande initiative de ces dix dernières années dans le domaine des carburants avancés. Et elle a été lancée par l'ANR l'année dernière. Le constater, ce n’est faire grief à personne, ni non plus à la recherche académique, qui doit suivre son propre cours avec ses propres outils de financement, sa propre feuille de route et ses propres critères d'évaluation. L'innovation des PME et éventuellement l'accompagnement des groupes industriels ne doivent pas être mis dans un même sac.

Mme Dany Escudié. IL ne faut pas oublier les Investissements d'avenir qui ont donné des plates-formes, dans les biotechnologies également. Plusieurs guichets étaient possibles. Effectivement, celui de l'ANR est contraignant, mais le montant que vous venez d'annoncer est beaucoup plus élevé que la totalité d'un seul programme de l'ANR. On ne peut pas fonctionner avec des montants si différents. L'État prend une responsabilité en décidant de thématiques et d'un montant pour mettre en œuvre une filière. Il prend ses responsabilités et décide de financements.

M. Jean-Yves Le Déaut. J'ai parlé d'équipe France, mais je n'oppose pas les projets. J'ai vu le projet FUTUROL qui représente 75 millions d'euros. Ce n'est pas seulement Total, il y a l'ARD, l'INRA, le groupe Lesaffre, l'IFP-EN, la CGB et Unigrains. Ce sont des acteurs du pôle d'industrie agro-ressources de Champagne Ardennes. Je suis allé les voir. C'est bien d'avoir un projet au niveau français. Ce sera moins bien si jamais on industrialise aux États-Unis ou en Malaisie. Je l'ai dit au ministre de l'Agriculture. Par contre, votre projet est sûrement très bon.

Le projet Biomasse de deuxième génération du CEA, prévu à Bure, en Meuse et Haute-Marne, utilise des voies thermochimiques, différentes. Il a été retardé car le partenaire allemand a fait faillite. Le CEA est obligé de mettre au point des procédés. Cela coûte très cher. Mais l'expertise acquise au niveau national et européen permettrait de créer des filières qui marchent. J'ai apprécié les projets que vous avez développés, comme celui de production de piles à hydrogène. Tous sont des bons projets pour notre pays. Certains vont bien se développer, d'autres moins bien. Certains se sont déjà développés. Quand on arrive à deux millions de chiffre d'affaire, il y a déjà des marchés.

L'important est que nous mettions en évidence les conditions pour réussir globalement à gommer les freins, à trouver des sources de financement, à avoir une politique cohérente de l'État. Nous devons tenir compte des critiques.

M. Gilles Amsallem. Je ne porte aucun jugement sur la qualité du projet FUTUROL. Je dis que les architectures qui mélangent PME, grands groupes, énormes groupes pétroliers, centres de recherche : CNRS, INRA, IFP-EN, etc. font qu'il y a une multiplicité d'intérêts, une démobilisation dans le temps, et une opportunité pour des laboratoires de recherche de se financer…

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous l'avez dit tout à l'heure, nous allons arrêter là-dessus. Il ne faut pas qu'il y en ait de trop, mais c'est mineur par rapport au projet.

M. Patrick Faure. Juste un commentaire par rapport à ces consortiums qui se structurent à travers des financements FUI (Fonds unique interministériel), etc. Il y a des acteurs disparus aujourd'hui. Ce sont les capitaux-risqueurs. Il y a seulement 10 ou 15 ans, au Genopole, des investissements ont été faits à la fois sur les biotechnologies, sur des premiers tours, des deuxièmes tours. Il est dommage que dans le paysage de l'ingénierie financière, sur des projets individuels, nous ne soyons pas capables de financer des phases critiques.

M. Philippe Vesseron. Sur le thème de la simplification, nous avons entendu d'une part ce que disait Mme Terpend Ordassière des difficultés de ses corbeilles géothermiques avec la RT 2012 et d'autre part M. Forté avec son vélo, dont je n'ai pas compris en quoi il ne plaisait pas au service des Mines. Dans les deux cas l'Office pourrait peut-être jouer un rôle utile pour identifier certains des blocages.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous démarrons la deuxième table ronde. Je salue M. Patrice Geoffron, déjà arrivé, M. Patrick Faure qui vient de s'exprimer, M. François Moisan, pour l'Ademe, Mme Laure Reinhart et M. Faucheux qui va arriver.

Cette dernière table ronde de la journée vise à donner la parole à des acteurs, à divers titres, du soutien à l'innovation, et non plus de l'innovation elle-même. Leur expérience doit nous aider à identifier les points clef d'une amélioration de la gouvernance de l'innovation. Comme pour les précédents intervenants, le temps de parole reste limité à dix minutes, pour laisser place au débat. Celui de tout à l'heure a été riche. Je dois vous dire, puisque vous n'étiez pas encore là, que vous avez été interpellés. En commençant par M. Moisan : les projets de l'Ademe sont bien mais trop longs, quant à OSEO, à la BPI et aux Investissements d'avenir, ils aident surtout les entreprises disposant de fonds propres, beaucoup moins celles qui n'en disposent pas.

Ce débat avec des PME a été passionnant. Celles-ci ont interpellé les chercheurs et l'ANR. Elles ne manqueront pas de vous interpeller à l'occasion du débat. Mais je crois que c'est le rôle de l'Office de mettre en contact tous les acteurs du développement de notre pays.

Je donne la parole à M. Patrice Geoffron, professeur, directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières, équipe de recherche rattachée au Laboratoire d'économie de l'Université Paris-Dauphine. Comme l'université de Lorraine, c'est un grand établissement. Ce sont dans les deux cas des universités un peu spéciales. Fondé en 1982, le CGEMP a pour vocation de favoriser le dialogue entre l'université et les entreprises qui opèrent dans les secteurs de l'énergie et des matières premières.

M. Patrice Geoffron, directeur du CGEMP. J'ai trouvé l'échange de la précédente table ronde très vivifiant. C'est un peu difficile de prendre la parole à l'issue de ce qui a été dit précédemment. Je vais essayer de vous proposer quelques observations quant à la vision que peut avoir un économiste sur l'innovation dans le contexte de la transition énergétique, avec une ou deux précisions sur les éléments de parcours qui expliqueront ma sensibilité sur ces questions. Monsieur le député, vous l'avez indiqué, je dirige à Dauphine une équipe créée il y a une trentaine d'années par André Giraud, qui a comme tradition d'organiser des débats ouverts avec des industriels ou des représentants des autorités publiques sur ces questions, et désormais partie prenante d'un laboratoire plus large que je dirige également, de 80 personnes : le laboratoire d'économie de Dauphine, composé essentiellement d'économistes. Par ailleurs, et c'est ce qui m'intéresse sur ces questions, j'ai fait il y a bien longtemps, presqu'après-guerre, une thèse de doctorat sur le venture capital. À l'époque, il était plutôt question de biotechnologies, et je suis allé regarder, notamment aux États-Unis, comment les choses se passaient. Mon intérêt pour les questions de l'innovation est lié à toute une part de mes activités de chercheur, plutôt centrées pendant une bonne dizaine d'années sur les technologies de l'information, et qui m’ont ensuite amené à m'intéresser, depuis presque une dizaine d'années, et à présent exclusivement, aux questions d'énergie. Et toujours en prolongeant cette tradition d'échanges avec les industriels, nous avons créé une chaire d'économie du climat et une chaire de transformation des secteurs électriques en Europe.

La question de la transition énergétique et de l'innovation, vue par un économiste, est complexe. Nous en avons eu l'écho lors de la précédente table ronde. Les travaux à la fois historiques et théoriques mettent en évidence de nombreuses expériences de transition énergétique, notamment depuis la première révolution industrielle, avec toute une série de caractéristiques, notamment le fait qu’elles prennent du temps, entre 40 et 130 ans selon les filières.

Généralement, l’on essaie d'insérer des nouvelles technologies ou des paquets de technologies qui présentent un avantage par rapport à celles à remplacer. Le charbon est-t-il plus efficace pour développer la grande industrie, ou est-il moins coûteux ?

Pour les technologies dont il est question ici, nous n'avons pas l'une et l'autre de ces deux caractéristiques, et parfois aucune. Malheureusement, pour faire de l'électricité, le charbon est beaucoup plus efficace que le vent. Les avantages du vent ou du solaire ne sont pas, pour l'heure, valorisés économiquement. Il me semble que la problématique pour l'innovation est de parvenir – c'est la première fois dans l'histoire humaine que cette question se pose – à faire émerger dans notre demi-siècle des technologies qui auraient plutôt vocation à émerger dans la deuxième partie du siècle, c'est-à-dire trop tard par rapport aux contraintes du changement climatique. Cela va supposer, la précédente table ronde était passionnante à cet égard, de faire parvenir à maturité des technologies nouvelles - c'est le domaine des sciences de l'ingénieur.

Plus sans doute que dans d'autres grandes transformations technologiques, nous nous trouvons également dans la nécessité d'avancer dans la réflexion sur des outils de financement, des modèles économiques, des outils de régulation, des outils juridiques et des modes de coordination politique, de manière que l'on puisse réduire l'incertitude suraiguë – par opposition à l'incertitude aiguë, classique dans les révolutions.

Par construction, dès lors qu'il s'agit de faire migrer des laboratoires vers des marchés de technologies peu matures, le degré d'incertitude est assez élevé. Vient se surajouter à ce degré d'incertitude traditionnel un élément totalement invraisemblable dans beaucoup de filières technologiques : le sens du progrès technique n'est pas très bien établi. Un exemple existe tout près de nous : le grand retour en force du charbon en Europe qui aura été, paradoxalement, en 2012 et peut-être en 2013, l'énergie primaire « star » pour produire de l'électricité. C’est un paradoxe qui va impacter les start-up dont il était question précédemment, et leurs perspectives de développement.

Nous organisons maintenant chaque année à Dauphine, avec une conférence de deux jours, une forme d'observatoire de la transition énergétique en Europe. L'idée nous en est venue après Fukushima. Nous avons réuni dans ce cadre, il y a quelques jours, beaucoup d'Allemands et de Scandinaves. Un parlementaire allemand, Joachim Pfeiffer, nous a fait un exposé qui nous a laissés très perplexes, tant il était truffé de points d'interrogations et d'incertitudes, plutôt croissantes que décroissantes, quant au plan allemand « Énergie 2022 ».

Je vous avoue m'être un peu gratté la tête quand j'ai vu l'intitulé de la table ronde, car associer gouvernance et innovation peut apparaître comme une sorte d'oxymore. Il me semble néanmoins que si l'on veut avancer dans le débat avant les échanges qui suivront, il faut veiller à réduire cette incertitude à trois niveaux.

Ce qui va suivre est un peu banal. J'ai essayé d’emboîter des éléments de niveau européen, national et local – voir infra-local – en une démarche assez classique, mais ce principe d'organisation est assez pratique sous la contrainte du temps. Nous courons un risque au niveau européen. Le schéma de construction de la politique énergétique n'est pas adapté au schéma de conduite d'une transition énergétique. Grosso modo, il y a en Europe une vision exaltante déclinée à 2020-2030 et un point de fuite avec moins 80 % d'émission de CO2 à l'horizon 2050. Il est assez largement sous-entendu que nous allons pouvoir faire une transition à 27, résultante de la somme de 27 transitions, avec une gestion des incertitudes technologiques et des contraintes économiques harmonieuse et efficace. Intuitivement, cela ne paraît pas totalement consonant, aussi nous travaillons sur ces questions.

Il y a urgence à trouver des modes de coordination au niveau européen qui permettent pour les entrepreneurs de réduire l'incertitude plutôt que de l'accroître. J'ai notamment regardé pour la DGEC la manière dont les Allemands, Néerlandais, Belges et Britanniques, dans les années 2000, avaient préparé le débat sur la transition énergétique. C'est tout à fait fascinant d'observer qu'il est avant tout local, les décisions contingentes prises par les voisins étant peu ou pas prises en compte. L'Allemagne, et cela peut être légitime compte tenu de sa crédibilité financière et industrielle, peut prétendre à avancer et à impulser des trajectoires technologiques. Dans le cas de la Belgique et des Pays-Bas, c'est déjà un peu plus douteux, et peut-être même éventuellement dans le cas de la France. Le niveau européen doit être celui où l'on apaise l'incertitude. Il ne me semble pas que ce soit le cas pour l'heure. Peut-être l'initiative franco-allemande qui se dessine en matière énergétique pourrait aller dans le bon sens.

Au niveau national se posent les mêmes questions. Tout cela relève de la capacité à donner de la visibilité dans le temps, en termes de fiscalité ou de subventions, les deux étant liées. Cela fait écho à ce qui a été dit tout à l'heure, de la nécessité pour les entrepreneurs, dans leur business plan, à un moment où ils se trouvent face à un Excel et se projettent 10, 15 ou 20 ans en avant, d'avoir une bonne visibilité sur la manière dont ils seront traités par la puissance publique. Cette question est de la plus extrême importance. Nous voyons bien à quel point elle est compliquée.

Dans mon équipe, Christian de Perthuis, un de mes collègues de Dauphine, pilote, au moment où nous parlons, le comité qui réfléchit sur la fiscalité verte. Apparaissent bien les difficultés, naturelles et inhérentes à la problématique de la transition énergétique, auxquelles nous nous heurtons pour donner de la visibilité et faire émerger du consensus. Mais il faut encore une fois que le cadre national donne de l'apaisement, et l'on n'a pas le sentiment pour l'heure que ce soit le cas.

Le cadre local est également un environnement dans lequel les entrepreneurs doivent pouvoir trouver de l'apaisement. C'est dans ce cadre que va émerger une diversité de modèles économiques et technologiques pouvant se propager. Nous sommes confrontés à une grande difficulté, avec la compréhension, non pas des pouvoirs publics locaux mais de nos concitoyens, par ailleurs consommateurs, qui vont prendre part à des processus de décision. Ils doivent comprendre la complexité vers laquelle nous avançons. Le moins que l'on puisse dire est que la manière dont a été traité l’acceptabilité de toute une série de choix d'investissements, l'éolien, les lignes à haute tension ou la question du gaz de schiste, montre que l'on n'est pas parvenu à faire émerger localement un espace de débat. Ce dernier est absolument indispensable, non pas parce que nous allons avoir à faire beaucoup d'investissements locaux, mais parce que nos concitoyens seront des consommateurs de ces nouveaux modèles économiques que nous allons leur proposer. Il faut qu'ils soient dans un état d'éveil et de compréhension de cette transition, qui n'est pas l'état dans lequel nous les avons entretenus collectivement jusqu'à maintenant.

C'est la grande réussite du programme nucléaire français de nous avoir mis à l'abri de toute réflexion sur notre avenir énergétique. Le temps est venu de recommencer à réfléchir à ces questions. C'est important collectivement, et pour les entrepreneurs.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je donne la parole à M. Patrick Faure, directeur du pôle « santé et technologie du vivant » de la société d'accélération du transfert de technologie (SATT) du Sud-Est, créée à l'initiative du programme des Investissements d'avenir, avec pour objectifs la valorisation de la recherche académique et l'amélioration des processus de transfert de technologies vers les marchés socio-économiques. Il y a aujourd'hui neuf SATT en activité, deux récemment labellisées par le CGI, trois projets de SATT en cours, initiés par le ministère, qui devraient aboutir. La SATT du Sud-Est peut être considérée comme représentative car elle est opérationnelle depuis plusieurs mois.

M. Patrick Faure, directeur du pôle « santé et technologie du vivant » de la SATT du Sud-Est. De par ma fonction, je ne suis pas au cœur des filières représentées aujourd'hui, mais Olivier Freneaux, notre président, qui devait être présent, est retenu par le congrès C.U.R.I.E à Ajaccio, où se réunissent l'ensemble des cellules de valorisation, dont les SATT.

La SATT Sud-Est a été créée il y a 18 mois à peu près, le 1er février 2011. Elle est maintenant opérationnelle. Je vais vous présenter comment elle est positionnée dans le transfert des technologies, avec quelques exemples sur les énergies renouvelables à la fin de mon exposé.

La SATT possède une équipe opérationnelle, puisque le constat de départ, lors de sa création, était le besoin de financer des preuves de concept sur des résultats issus de la recherche et de professionnaliser le transfert de technologie. Elle possède un potentiel de laboratoires, d'équipes, et un financement de 78 millions, avec des actionnaires. C’est une société par actions simplifiée (SAS), où l'État est présent à hauteur de 33 %.

Je passe rapidement sur le périmètre de la SATT. Les actionnaires sont les universités, les organismes, OPST, CNRS et INSERM, ainsi que des partenaires associés : CHU de Nice et de Marseille. Elle recouvre deux territoires, PACA et Corse, et utilise un ensemble d'outils créés dans le cadre des Investissements d'avenir.

Au départ, l'objectif des SATT est de déstocker des inventions dans les laboratoires, sur la base de technologies présentant un potentiel de transfert vers le marché. Nous pouvons recourir aux appels à projets pour répondre à un besoin industriel ou identifié dans nos pôles : nous avons 10 pôles de compétitivité en PACA, en particulier CAPENERGIE.

La SATT génère de l'actif à partir des inventions sorties des laboratoires.

Elle réalise des analyses technico-économiques, pour positionner ces technologies dans l'environnement concurrentiel, à un niveau international. Elle décide, en fonction du retour des industriels, de financer une preuve de concept, ou, si les industriels en question considèrent la technologie intéressante mais à consolider sur certains aspects, une maturation.

Nous pouvons financer de la maturation au laboratoire, ou associer un partenaire économique. Nous tendons à le faire, d'autant plus que l'industriel associé à un projet collaboratif connaissant bien son marché va piloter le cahier des charges de la maturation. Nous pouvons, grâce à l'association de partenaires, diminuer un peu le risque associé au transfert.

Une fois la maturation terminée, arrive une phase de commercialisation, voilà la fameuse « vallée de la mort ». Nous sommes plutôt « Technologie Push », mais comme je vous l'ai dit, en prenant en compte les besoins-marchés. L'objectif est de maturer les technologies issues des laboratoires sur des taux de retour internes assez faibles, selon les domaines, et d'intéresser les industriels.

Pour cela existe tout un process que je ne vais pas avoir le temps de détailler. Globalement, une équipe-projet se met en place avec un responsable-projet, spécialiste de la technologie. Nous avons ainsi un spécialiste de l'énergie, du diagnostic, de la chimie médicinale et de l’électronique. Un business développeur consulte le marché. Les chercheurs et un partenaire pour la maturation sont associés à tout le process.

Nous sommes avons aujourd'hui 32 personnes dans cette SATT. Une partie correspond au département transfert, avec un pôle santé et technologie du vivant et un pôle matériaux-environnement-TIC. Des ingénieurs sont dédiés à ces deux départements. Vient ensuite un département commercialisation, avec des business développeurs spécialisés sur les thématiques, santé, matériaux, environnement, etc.

Il y a maintenant un process bien calé pour faire une analyse systémique, selon différents paramètres, des technologies qui rentrent. Des outils, créés en interne, permettent de définir des risques associés à ces paramètres et de voir comment ils peuvent impacter la maturation et le transfert.

L'ensemble des actionnaires sont dans la SATT. Nous sommes vraiment un guichet unique, avec du « Technologie Push » mais aussi du « Pull », car nous avons assez souvent des demandes d'industriels à la recherche de technologies qui nous sollicitent sur des segments particuliers. Notre démarche est d'aller voir si les technologies sont disponibles sur étagères, et, sinon, d'identifier des laboratoires avec lesquels ils pourraient monter des partenariats de R&D.

Je vais donner quelques exemples pour la filière « photovoltaïque, photovoltaïque hybride, solaire thermique », avec le projet Nanohyba, où nous sommes plutôt sur du photovoltaïque organique. Ces composés ont des propriétés électroniques et photovoltaïques, mais se trouvent très en amont, sortant du laboratoire. Ils ont été évalués et comparés en rendement aux différentes générations. Ce projet s'adresse plutôt à des marchés de niche, mais il y a du travail fondamental à réaliser en laboratoire avant d'envisager un transfert.

Encore un exemple pour la chimie, avec des composés ayant des propriétés électrochimiques pouvant être intégrés dans des cellules de graetzel, qui font l'objet d'une maturation avec l'intérêt d'un industriel, hélas étranger, près d'Oxford.

Un procédé breveté permet de générer de l'hydrogène. Nous sommes dans une phase où nous consolidons un scale-up industriel. Nous pouvons en effet également partir de la validation en laboratoire et, comme ici, confirmer sur une application portable.

Un autre exemple, lié au solaire thermique cette fois, est issu des mathématiques appliquées, dans un laboratoire où a été développé un algorithme permettant de modifier la courbe parabolique d'un Fresnel pour optimiser l'énergie retransmise sur le point focal de la cellule avec des rendements meilleurs à nos latitudes. Des études de rendement sur des prototypes maturés par la SATT ont été réalisées, suscitant un vif intérêt de leaders nationaux et régionaux sur cette technologie. Elle est dans une phase de négociation.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vais donner la parole à M. François Moisan, directeur exécutif stratégie, recherche et international à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. L'Ademe met à disposition des entreprises, des collectivités locales et des groupements publics ses capacités d'expert et de conseil dans toutes les régions. Elle aide en outre au financement de projets dans le domaine de l'environnement, de l'énergie et du développement durable.

M. François Moisan, directeur exécutif stratégie, recherche et international de l'Ademe. La thématique étant la gouvernance de l'innovation, je vais vous expliquer comment l'Ademe essaye de participer à cette innovation et à sa gouvernance. Il me semblait intéressant de rappeler l'évolution récente des budgets publics de recherche-développement-innovation dans le domaine de l'énergie et des énergies renouvelables, suite au Grenelle. De 2008 à 2011, pour les différentes grandes filières, énergies renouvelables, nucléaire, fossile et efficacité énergétique, nous avons un chiffre, collecté par le CGDD et transmis à l'AIE, de soutien public à la R&D aux alentours d’un milliard d'euros, la filière nucléaire en représentant une part importante. Si nous nous focalisons sur les énergies renouvelables, jusqu'en 2011, le solaire et les bioénergies continuent à capter l'essentiel des crédits. Cela ne prend pas en compte, en 2011, les crédits des Investissements d'avenir, puisque les premiers engagements n'ont été vraiment effectifs – de façon significative – qu'à partir de 2012. Néanmoins, deux thématiques pratiquement inexistantes auparavant croissent : l'éolien et les énergies marines. Je voudrais le souligner, car vous vous souvenez que les énergies marines n’avaient pas été considérées comme une priorité pour la France par le Grenelle de l'environnement. Il s'est avéré que nous avions des industriels positionnés sur ces filières, et nous avons revisité notre point de vue. Ces énergies marines ont fait l'objet d'un premier appel à manifestation d'intérêt, puis à un second qui est en train de sortir.

Tout cela pour préciser les choix. De même, a été trouvée une place pour la recherche et développement sur l'éolien.

Notre rôle sur la programmation et la gouvernance part de feuilles de route stratégiques. Je voudrais préciser comment elles sont réalisées. Ce sont, pour nous, des visions à long terme des options technologiques ou organisationnelles. Nous en avons fait, par exemple, sur le photovoltaïque et la mobilité urbaine, partagées avec des experts, notamment industriels. Nous travaillons avec des groupes d'une quinzaine d'experts, dont les trois quarts proviennent du monde de l'entreprise, qui nous donnent leur vision. Nous les plaçons dans une perspective normative : si l'option que vous portez se développe à long terme, comment voyez-vous le déploiement de ces technologies dans la société ? Il y a des positions souvent conflictuelles, entre plusieurs visions, mais cela permet d'identifier quels seraient les déploiements envisageables, les obstacles, les axes de recherche et les priorités. Il y a de fortes divergences entre les experts sur des options technologiques. Sur l'hydrogène, nous avons des positionnements très différents, ainsi que sur le photovoltaïque, entre silicium et couches minces, etc. Des interrogations sur la pertinence industrielle se font jour:  y aura-t-il des plans d'affaires suffisants pour rendre ces options technologiques viables, avec l'identification de risques de lock-in technologique, et trouvera-t-on des solutions à portée de main par rapport à des enjeux de politique publique ?

Nous réalisons cet exercice sur à peu près six mois, avec un benchmark international, un essai de quantification des visions et nous débouchons sur des axes de recherche. Au début, ils nous servaient à orienter les recherches. Nous avons géré ainsi le Fonds démonstrateur, entre 2008 et 2010. Les Investissements d'avenir nous permettent de rédiger les appels à manifestation d'intérêt sous l'autorité des ministères et du Commissariat général aux investissements (CGI) et de donner des orientations.

Nous avons donc rédigé des feuilles de route, en amont de ces appels à manifestation d'intérêt, sur le solaire, les bioénergies, notamment les biocarburants, les énergies marines, le captage-stockage, etc. Je passe sur les véhicules, mais les réseaux électriques intelligents vont évidemment concerner les énergies renouvelables et l'économie circulaire. Je précise que nous sommes sur des objectifs, notamment industriels, et pas uniquement sur des laboratoires publics. Nous ne sommes pas sur du « science push », mais sur une vision de marchés. Et c'est là que nous arrivons à créer ces visions d'experts. Si nous restions sur des technologies, nous n'y arriverions pas.

Par exemple, sur le grand éolien, nous avons en général quatre visions, distinguées par deux facteurs-clefs : « La maturité de la filière restera-t-elle faible à long terme, ou sera-t-elle forte techniquement et économiquement ? » et « L'éolien participera-t-il de façon massive ou pas à la transition énergétique ? »

Dans un cas, il y a soutien des pouvoirs publics qui perdurent sous forme directe ou indirecte, normative ou économique. Mais si nous avons une maturité forte, de quelle façon l’éolien va-t-il se développer ? Va-t-il rester marginal ou prendre une place importante dans le mix électrique ?

Cela nous a aidés en tant qu'Agence de financement, mais pas seulement. Avec ces travaux nous essayons de montrer quelle contribution nous pouvons apporter aux choix des politiques publiques. Cela nous a aidés à élaborer nos visions 2030 et 2050, avec la part des énergies renouvelables que nous proposons dans les différents scénarios et trois options en fonction de la place respective du nucléaire et des énergies renouvelables. Nous ne l'avons pas encore publié. Nous avons trois variantes : avec un nucléaire qui reste à 50 % après 2030, puisque c'était l'option retenue, une où il décroît à 25 % et une où les énergies renouvelables prennent le maximum de leur place potentielle, puisque le nucléaire serait à 18 %.

Je termine avec un mot sur les engagements, depuis 2012, dans les Investissements d'avenir. Nous avons mis en œuvre des programmes, Ivan Faucheux en parlera certainement. Nous avons des crédits considérables pour développer ces filières, plus spécifiquement en innovation qu'en recherche. Il s'agit d'être assez proche du marché, en amont bien sûr, sur des projets faisant l’objet de conventions signées avec l'État délégataire de ces crédits, mais décidés par les ministères et in fine par le Premier ministre et le CGI. Nous finançons ces projets au stade de la recherche industrielle et du démonstrateur de recherche, de l'expérimentation préindustrielle, proche de l'industrialisation, leur objectif étant de créer des emplois à des horizons pas trop lointains, de 3 à 5 ans. Nous avons aussi un objectif de mise en place de plates-formes technologiques, mais elles posent des problèmes de rentabilité.

Nous avons deux grands modes d'intervention. Le premier est constitué d’aides d'État, à travers les avances remboursables et les subventions. Les avances remboursables représentent la majeure partie des aides. L’État est co-investisseur. C'est une philosophie nouvelle, notamment pour l'Ademe, puisque nous sommes intéressés aux résultats des projets.

L’autre mode d'intervention existe en fonds propres, ou quasi-fonds propres, donc en capital.

Voici un bilan d'avancement à mai 2013 des appels à manifestation d'intérêt lancés depuis deux ans et demi maintenant : 29 appels à manifestations d'intérêt, dont près de la moitié dans les domaines de l'énergie renouvelable, plus de 530 projets reçus et 110 engagés. Le taux de sélection n'est pas fixé, puisqu'il y a encore des projets dans les tuyaux. Au-delà de la décision du CGI et du Premier ministre de soutenir ces projets, nous avons une phase de contractualisation, parfois assez longue, car il faut du temps pour l'instruire. Ce sont des projets collaboratifs et les partenaires, les entreprises, s'associent pour travailler ensemble. La directrice de la recherche d'un grand groupe m'avait dit : « cela nous a appris à travailler ensemble, avec 12 entreprises, ce que nous ne faisions pas avant ». Il ne s'agit pas de sous-traitance d'un grand groupe avec des PME.

Nous avons engagé pratiquement 1 milliard d'euros, ce qui représente plus de trois milliards pour les projets. Par rapport à un budget autour de
2,3-2,5 milliards, il reste donc un peu plus d'un milliard à engager.

Il y a un fort effet de levier, car nous mobilisons 2,3 euros privés pour 1 euro public, et 68 % des montants investis le sont avec un retour financier.

Il est dit parfois que ces procédures s'adressent aux grands groupes : en millions d'euros aidés, les grandes entreprises représentent 63 %. C'est donc important. Les organismes de recherche sont mobilisés et sont présents dans presque tous les projets. Les PME représentent 23 % en montant, en nombre 38 %, sans compter les sous-traitances qui s'opèrent au sein même des projets de recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous continuons notre tour de France des structures qui aident à l'innovation. Je vais donner la parole à Mme Laure Reinhart, directeur général délégué en charge de l'innovation à OSEO, entreprise publique en charge du financement de l'innovation des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Elle accompagne et finance chaque année aux côtés de ses partenaires des dizaines de milliers d'entreprises et est appelée à jouer un rôle au sein de la nouvelle banque publique d'investissement (BPI) à propos de laquelle certains représentants des PME ont dit tout à l'heure qu'ils n'avaient pas vu changer les choses. Vous allez nous dire comment elle peut les changer.

Mme Laure Reinhart, directeur général délégué en charge de l'innovation à OSEO. Les trois composantes de BPI France que sont OSEO, CDC Entreprises et le FSI, mettent le changement énergétique en très forte priorité. Nous pouvons le démontrer par les chiffres d'activité, puisque entre 15 et 30 % des programmes sont dans ce secteur des énergies renouvelables ou de la transition énergétique de manière générale. Notre priorité, qui était déjà celle d'OSEO et le devient encore plus dans le cadre de BPI-France, est de mettre à disposition des entreprises, PME et ETI, un éventail de solutions de financements dans toutes les phases de leur développement et selon leur rythme. OSEO deviendra « BPI France financement » et gardera l'ensemble de ses prérogatives antérieures. BPI France-investissement, et c'est là où probablement il y aura le plus gros changement, deviendra une unique société de gestion et couvrira l'ensemble des accompagnements en fonds propres du plus petit ticket, avec les Fonds d'amorçage par exemple, jusqu'au plus gros, avec les tickets du FSI.

Vous n'avez pas senti ce changement sur le terrain, car BPI France n'existera qu'à partir du 12 juillet, date à laquelle l'État et la Caisse des dépôts apporteront leurs apports au sein de la même structure : BPI France. Mais nous avons pris de l'avance, en lançant notre marque BPI France. Vous en avez probablement entendu parler. Des changements assez forts vont intervenir dans les régions, puisque vous allez trouver, dans chaque direction régionale, un responsable de l'investissement et un responsable de l'international.

Au niveau de l'innovation, les choses vont changer de façon assez significative, car l'innovation est la seule division de BPI France qui comprendra en son sein à la fois des activités de financement et d'investissement. Nous nous sentons la plupart du temps extrêmement freinés dans l'accompagnement de nos entreprises car, vous l'avez dit tout à l'heure, nous exigeons des fonds propres équivalents aux montants prêtés, pour nous assurer que l'entreprise est capable de mener son projet de bout en bout. Une petite entreprise qui démarre va avoir des aides publiques au maximum à hauteur de 50 % de son projet. Il faut bien qu'elle trouve les autres 50 %. Quand elles ne font pas un chiffre d'affaires suffisant, elles ne vont pas les trouver dans leurs fonds propres.

Tout l'art va être d'arriver à conjuguer des activités d'investissement et de financement, avec deux structures de décision bien autonomes et distinctes, qui permettront de ne pas mélanger les genres, ce qui est absolument essentiel.

Nous allons assurer ce continuum de financement. Nous avions identifié depuis plusieurs années la difficulté qu'ont les entreprises à porter leurs services, leurs solutions ou leurs produits sur le marché, et nous avons mis en place cette année un prêt pour l'innovation. Il devrait couvrir cette phase, phase extrême de la « vallée de la mort » citée tout à l'heure, qui consiste à mettre sur le marché après la phase de R&D.

Pour l'accompagnement des entreprises, BPI France devient le guichet unique de financement des entreprises et des PME. Mais nous refusons de manière assez forte la notion de « guichet », car notre structure accompagnera les entreprises de façon privilégiée, en fonction de leurs besoins, en analysant leurs risques, en les faisant éventuellement partager, en les maîtrisant, puisque nous avons tout un ensemble de dispositifs permettant de partager ces risques, pour orienter in fine l'entreprise vers la meilleure source de financement. Il ne s'agit pas de leur dire d'aller frapper à la troisième porte à droite. On y va avec eux, et on les accompagne jusqu'à ce que l'entreprise ait trouvé les moyens de mener son projet.

Un autre point sur lequel je vais insister me semble essentiel. Je pense que c'est le bon moment d'en parler : la simplification des dispositifs et des processus. Les entreprises sont devant un éventail, formé de couches superposées les unes sur les autres, de dispositifs de financements, avec chacun leur processus, leur mode de décision, d'intervention et surtout de suivi. Nous sommes à BPI France tous persuadés qu'il faut arriver à simplifier l'ensemble de ces dispositifs. A priori, il est relativement simple de comprendre que dans les phases les plus amont, nous allons financer l'entreprise sous forme de subvention. Plus nous nous approcherons du marché, et plus nous allons aller vers des prêts plus ou moins bonifiés, en fonction de certaines politiques. C'est tout à fait possible, en partenariat avec les régions notamment, qui ont plutôt envie d'accompagner les entreprises dans tel ou tel secteur.

Quelques chiffres sur notre activité, plutôt issus d'OSEO, puisque je ne maîtrise pas encore totalement les autres. En innovation, nous avons accordé 90 millions d'euros en 2012 à des projets concourant à la réduction de l'empreinte énergétique. C'est une thématique extrêmement large. Il est souvent difficile d'en établir un contour précis. Mais elle est en augmentation, essentiellement dans les domaines des technologies bas-carbone, pour l'énergie, le transport, la vie et l'habitat, pour lesquels nous avons des investissements relativement importants. Cela fait, en gros, entre 10 et 20 % de l'activité.

Côté plus aval, OSEO a porté les prêts verts, les Investissements d'avenir, pour lesquels nous avons mis en place des prêts bonifiés, à hauteur de 300 millions d'euros. Cela représente à peu près 400 opérations dans les domaines de l'énergie et de l'éco-énergie.

Dans le domaine de l'investissement et de l'activité du Fonds stratégique d'investissement, 1,5 milliard d'euros ont été investis dans 14 entreprises, petites ou grandes. Pour l'investissement, 150 millions d'euros constituent le Fonds Écotechnologies, confié à CDC entreprise pour investir dans des petites entreprises, dans des phases relativement amont de leur développement.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous allons terminer cette deuxième table ronde par l'intervention de M. Ivan Faucheux, directeur du programme énergie-économie circulaire du CGI, en charge de la gestion des 35 milliards d'euros alloués aux Investissements d'avenir. Le CGI prépare les décisions du Gouvernement relatives aux contrats passés entre l'État et les organismes chargés de la gestion des fonds, il coordonne la préparation des cahiers des charges accompagnant les appels à projets, il supervise l'instruction des projets d'investissement, il veille à l'évaluation des investissements et dresse un bilan annuel de l'exécution du programme.

Le CGI est venu plusieurs fois devant l'Office pour parler de ce bilan et de cette évaluation.

M. Ivan Faucheux, directeur du programme énergie-économie circulaire du CGI. Je vais faire un point sur les Investissements d'avenir dans le domaine des énergies renouvelables.

Les instituts thématiques en énergies décarbonnées, les fameux IEED, dont le premier a été signé à 15 heures, ce qui prouve que tout arrive, ont la caractéristique d'être des co-investissements entre le public et le privé. Ils ont dans leur feuille de route, par rapport au sujet de la gouvernance de l'innovation, deux tâches majeures. La première consiste à faire de la recherche, cheville ouvrière de la recherche-innovation, mais aussi des tâches plus structurelles, qui touchent la formation ou l'élaboration de visions stratégiques au sein d'une filière. Ces instituts sont pour la plupart des sociétés commerciales, des SAS, et doivent trouver à terme leur équilibre économique, sans être tributaires de la dotation des Investissements d'avenir, qui a comme toute manne publique malheureusement vocation à ne pas perdurer.

Un premier bilan des IEED montre que pour une dotation globale d'un milliard d'euros, 9 projets ont été retenus. Il ne s'agit donc pas de méga-instituts. Quand on compare ces 9 projets à leurs principaux concurrents, ils sont de tailles relativement similaires. Il y a dans le domaine des énergies décarbonnées un certain foisonnement technologique. Au niveau de la recherche, nous n'arrivons pas à mobiliser des sommes privées énormes en regard de l'enjeu énergétique.

Il y a ensuite ce que François Moisan avait présenté : les démonstrateurs de recherche. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, car l'opérateur en a souvent de beaucoup plus à jour que le CGI. Contrairement aux IEED qui sont des structures ayant vocation à se pérenniser dans le temps, même avec des modèles économiques particuliers, les démonstrateurs sont des consortiums privés, bornés dans le temps, avec comme vocation d'aboutir à un projet ou un produit précis.

François Moisan a listé, pour ces démonstrateurs, les appels à manifestation d'intérêt, terme barbare signifiant appels à projets. La première phase des Investissements d'avenir n'a pas été trop sélective dans le choix des technologies, même si au sein de tel ou tel appel à manifestation d'intérêt il y a pu avoir une certaine sélectivité au sein d'une technologie. Pour la deuxième vague, une sélectivité accrue est souhaitée, compte tenu de l'expérience de la première vague.

Sur la base de ce premier bilan, très préliminaire, des Investissements d'avenir, et par rapport au sujet de la gouvernance dans l'innovation, je cite quatre points un peu plus globaux. Ils ne vont pas s'attacher à regarder à l'intérieur de chacun des dispositifs, mais plutôt consister en des messages généraux, tirés de l'analyse de ces dossiers.

Premier élément : pour diverses raisons, le sujet énergétique monte en puissance, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Pour les particuliers, cette évolution résulte de l'augmentation de la part de la facture énergétique dans le budget des ménages, déjà extrêmement contraint par d'autres postes de dépenses, comme celui lié à l'habitation, bien supérieur en France à ce que l'on observe en Allemagne. Aussi, ce budget énergétique n'a-t-il pas beaucoup de marges d'augmentation.

Pour les entreprises, alors qu'à une époque le montant de la facture énergétique importait peu, sous réserve qu'elle reste au même niveau que pour les concurrents, avec la dérégulation des marchés énergétiques d'une part et la mondialisation d'autre part, l'énergie est devenue un facteur de compétitivité. Une entreprise mieux placée que ses concurrents d'un point de vue énergétique gagne des points en compétitivité.

La gouvernance de l'innovation a donc l'enjeu de plus en plus prégnant d'associer le monde économique et celui de la consommation.

Deuxième élément : il y a un hiatus très fort, en particulier dans les énergies, entre une recherche ou une innovation qui, par nature, est un élément extrêmement risqué et prospectif, et le fait que les investissements dans ces domaines sont très longs, entre 40 et 60 ans, et n'aiment pas du tout le risque. Ce ne sont souvent pas les mêmes financiers qui prennent le relais de ces investissements.

Troisième élément, qui découle de cette frilosité du marché : l'innovation doit aller très loin dans la démonstration par rapport à d'autres secteurs économiques. L'idée de mettre en place un Fonds démonstrateur de recherche, puis de prendre le relais dans les Investissements d'avenir à l'Ademe, était liée au fait que pour pouvoir arriver à mettre sur le marché des produits viables et convaincants, il ne faut pas seulement apporter la preuve de concept, mais « faire tourner son mulet », comme on dit dans le secteur automobile, pendant plusieurs mois, voire quelques années. Donc, la légitimité de l'intervention publique en prise de risque va beaucoup plus loin que dans d'autres secteurs économiques où un renouvellement technologique plus rapide permet, au final, de s'arrêter plus tôt.

Le logiciel, quasiment terminé une fois le code écrit, en est l'exemple type. Ceci dit Microsoft a prouvé que l'écriture du code ne constitue pas la fin de tous les ennuis.

Quatrième élément : la recherche dans le domaine énergétique sert deux objectifs. D'une part, il s'agit de subvenir aux besoins énergétiques nationaux et de mettre sur le marché des produits, des services, des outils qui servent le marché français de façon à ce que l'économie nationale, au sens large, continue à bénéficier d'une énergie stable et aussi peu chère que possible.

Mais, d'autre part, le sujet de l'exportation est apparu. Si nous voulons avoir des outils, des produits et des services compétitifs dans une économie mondialisée, il faut aussi que ces filières soient en mesure d'exporter, et donc être compétitives dans un marché mondial. Ce sont deux objectifs convergents dans le meilleur des cas, mais pas toujours. Je prendrai l'exemple du solaire, du photovoltaïque (PV) à concentration sur lequel beaucoup d'argent des Investissements d'avenir a été investi. C'est une très belle technologie, mais je ne suis pas tellement sûr qu'elle remplisse le premier objectif d'indépendance nationale. En revanche, elle permet d'aller assez fortement vers les marchés à l'export et de construire une filière. Ce double objectif à concilier pose une difficulté supplémentaire par rapport à d'autres secteurs. Le béotien se pose toujours la double question : cela sert-il le marché ou l'équipementier ?

Parfois, nous faisons un choix : le photovoltaïque à concentration est un excellent exemple de choix d'investissement dans une filière industrielle qui sert l'export, mais ne servira pas forcément les besoins énergétiques nationaux.

M. Jean-Yves Le Déaut. Entre ces deux tables rondes, nous avons eu un panorama complet de la perception de l'innovation dans le domaine de l'énergie et des efforts de structuration de notre pays dans ce domaine. Je ne vais pas faire de conclusion, mais essayer de me faire le porte-parole de PME, dont certaines ne sont pas restées, pour rappeler ce qu'elles avaient indiqué tout à l'heure.

Premier point : la maturation et la valorisation sont nécessaires, et à cet égard, nous remarquons, à l'Office, que notre recherche est de bon niveau, que l’organisation du financement de la recherche est plutôt bien faite, mais que nous avons du mal à passer à l'étape d'innovation d'abord, et même, c'est encore pire, à l'industrialisation.

Deuxième point : nous avons un problème dans les liens entre PME et grands groupes, ces derniers devant davantage, comme je l'ai dit tout à l'heure, mettre sous leurs ailes les premiers. C'est une double protection.

Les systèmes de financement sont jugés trop longs et trop bureaucratiques. Je ne tiens pas cela pour vrai, mais cela a été dit et c'est la perception de ces PME. Avec l'organisation de la BPI, les deux phases de l'investissement vont se mettre en place, et cela va peut-être changer les choses, malgré la difficulté à obtenir des fonds lorsque les fonds propres sont faibles.

Une bonne idée d'industrialisation sans les partenaires industriels ne marche pas.

Troisième point : le lien avec les régions doit se faire dans un système globalement trop centralisé. La BPI pourra peut-être nous dire ses liens avec les fonds de participation régionaux existant, comment vont se croiser les fonds nationaux et régionaux. L’effort d'organisation de l'État va-t-il se traduire dans ses marchés publics ?

Que l'État fasse participer les PME, c'est le monstre du Loch Ness, dans le domaine de la défense, à l'exemple du Small Business Act…

Sur les Investissements d'avenir, cela a été un foisonnement. Certains le regrettent. Vous avez parlé des IEED. Mais je l'ai dit à Louis Gallois, la filière bois a été oubliée. Il m'a répondu qu'il y aurait des compensations, que l'on allait essayer de trouver une solution pour ce faire. C'est un des secteurs importants, au moins dans deux grandes régions françaises. Nous avions peut-être mis en place des jurys indépendants, mais ils n'avaient pas forcément la perception de la stratégie à mener. La différenciation entre stratégie et jury est gage d'une bonne indépendance.

Et enfin, l'organisation des filières, des Clusters, des Pôles de compétitivité est nécessaire pour être efficace au niveau international.

Ces questions ont été posées, je les ai mises un peu dans le désordre ; mais je souhaiterais qu'il y ait débat sur ces différents points et que vous nous donniez vos positions.

Nous sommes attentifs aux améliorations en cours, avec la création de la BPI, pour laquelle nous avons voté il y a longtemps, au mois de juillet ; surtout nous nous interrogeons sur ce que seront les liens entre le Fonds stratégique d'investissement, la CDC entreprise et OSEO.

Philippe de Maleprade. Encore merci de nous avoir conviés à cette audition. Je trouve que vous résumez très bien tout ce qui a été dit tout à l'heure. C'est agréable de vous écouter les uns et les autres.

Nous avons rencontré récemment Nicolas Dufourcq, d'ailleurs invité à notre dernière réunion plénière. Nous étions ravis de l'entendre et les PME présentes ont senti qu'elles avaient un interlocuteur qui pouvait les comprendre. Cela a été très apprécié. Nous avons vu, il y a très peu de temps, François Fournier. Nous prenons bien conscience de l'existence de la BPI, de cette transformation en train de se faire, cette nouvelle organisation. Nous apprenons tout cela d'une manière plutôt positive, et nous en attendons que cela permette au système de s'améliorer et d'être plus efficace, rapide et simple.

J'aurai deux remarques. La première, vous l'avez abordée, est la question du prêt pour l'innovation. Je ne sais pas si vous étiez là, tout à l'heure, quand j'ai fait la remarque concernant les fonds propres, mais j'aimerais vous entendre sur le sujet. Nous avons parlé de l'importance de la prise de risques. Peut-être faut-il admettre l'échec, ce qui va avec l'idée de valoriser la réussite. Il y a des entreprises sans fonds propres importants, mais peut-être avec des perspectives de développement et des commandes à venir. Ne pourrait-on pas prendre en compte cette potentialité de commandes, quand elle est sérieuse, et prendre un risque un peu plus important que ceux pris aujourd'hui ?

En exemple très concret, une entreprise la semaine dernière est venue vers moi, car nous essayons de travailler de la meilleure manière possible avec la BPI et d'être un intermédiaire, un facilitateur dans le domaine de l'innovation. Typiquement, nous avions un chef d'entreprise ayant obtenu du Crédit impôt-recherche, et son centre des impôts lui indiquait ne pas connaître OSEO. Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour que quelqu'un travaillant dans un centre des impôts connaisse OSEO. On devrait d'ailleurs lui expliquer directement ce qu'est BPI France, sinon cela va le troubler. Une telle réaction est ennuyeuse. Sans entrer dans le détail, il ne voulait pas lui verser son dû. Ce chef d'entreprise a fait appel à KPMG, qui va défendre son cas devant le centre des impôts. Cela ne débouche sur rien… Je ne sais pas le rôle que peut jouer la BPI, comment cette banque publique peut parler avec l'administration. Nous sommes là face à un cas non pas de simplification, mais de nécessité de « mettre de l'huile dans les circuits », d'autant plus que ce patron m'a dit avoir son rescrit. Il était sûr que tout allait bien se passer, et tout bloque. Il va se trouver en difficulté.

Mme Laure Reinhart. Je vais essayer de répondre à toutes ces questions. La première est l'obligation d'apporter un gage en face des moyens financiers qu'une banque comme BPI France peut vous apporter. Dans le cadre des aides d'État, elle est obligatoire. Il ne revient pas à OSEO, ou demain à BPI France, de décider de vous prêter 40 % de votre projet, sans que vous vous montriez capable d'apporter les 60 % restants. Ils peuvent être apportés sous forme de fonds propres, ou par l’autofinancement issu de votre activité, mais aussi provenir de commandes. Nous allons regarder l'ensemble de votre business model et de votre business plan. La relation que vous allez avoir avec votre chargé d'affaires BPI France est une relation de confiance. S'il a confiance en la capacité de l'entreprise en face de lui à mettre en place les moyens de mener le projet de façon sereine, cela ne posera pas de problème.

C'est vrai, la condition de fonds propres est utilisée par les banques traditionnelles, en rapport à la partie financement d'OSEO aujourd'hui. Ces choses sont en train d'évoluer. Dans le cadre du prêt pour l'innovation, la première version imposait cette condition, mais je ne suis pas sûre qu'on l'ait gardée, que l'entreprise ait la capacité de financer l'équivalent, ou qu'elle ait des commandes ou des précommandes lui permettant d'assurer le financement de son activité.

Il s'agit d'accompagner les entreprises au niveau régional et de voir comment BPI-France va pouvoir fonctionner par exemple avec les fonds de participation régionaux. Déjà, aujourd'hui, OSEO garantit parfois jusqu'à 70 % des investissements réalisés par tous types de fonds, de capital risque, d'amorçage ou de capital développement.

Nicolas Dufourcq, devant l'Assemblée nationale très probablement, a attaché une grande importance à définir avec chacune des régions françaises un plan de collaboration, en fonction de ce que souhaite l'administration régionale, et nous avons de multiples formes d'accompagnement. Ce dont Nicolas Dufourcq n'a clairement pas envie, et cela crée quelques frottements, c’est de prendre des risques non mesurés ni maîtrisés. Mettre des moyens financiers dans une entreprise en situation périlleuse, sans perspective aucune, nous semble mettre l'argent public dans une situation que nous ne souhaitons pas.

M. François Moisan. Je voulais rebondir sur la question des fonds propres des PME, car nous sommes confrontés au même sujet. Nous en discutons avec le CGI, la règle sur le fonds est la même : ne pas inciter des entreprises à s'engager dans des projets qui les amènent droit dans le mur. C'est une des responsabilités de l'EÉat. Nous essayons de regarder comment, au fur et à mesure de la rentrée de capitaux ou de commandes effectives, l'entreprise pourra gérer ses fonds propres. Mais peut-être Ivan Faucheux s'exprimera-t-il sur cette question.

Vous avez parlé de la faiblesse de la France à passer de la R&D à l'innovation, puis de l'innovation à l'industrialisation.

Je crois qu'avec les Investissements d'avenir et, plus en amont, le Fonds démonstrateur, nous avons des outils très importants pour passer au stade de l'innovation. Nous avons beaucoup de projets, résultant bien sûr de l'avancée des connaissances et des techniques, qui ont émergé à partir des entreprises elles-mêmes. Je pense à l'éolien et aux énergies marines. Même si des organismes publics sont impliqués, ces projets ont été portés par les entreprises, en termes d'innovation.

Le passage de l'innovation à l'industrialisation est plus difficile, car les subventions d'État sont moins impliquées. En revanche, utiliser des avances remboursables, en ciblant des projets sur des perspectives de mise sur le marché de produits, est une façon d'inciter au passage à l'industrialisation, même si cela ne fonctionne pas dans tous les cas. Les retours vers l'État sont assis sur les chiffres d'affaires des technologies.

Nous avons l'exemple de démonstrateurs automobiles portés par des constructeurs, qui restent pour l'instant dans les cartons, car ils ne correspondent pas à une stratégie d'industrialisation à ce stade. Est-ce un échec pour autant ? Nous avions pensé qu'il y avait des perspectives de marché, et nous verrons ce que l'avenir nous dira.

Le caractère trop long ou trop bureaucratique d’un dispositif peut tenir à beaucoup de choses. Nous y sommes également confrontés.

Nous avons utilisé des appels à manifestation d'intérêt. Par rapport à un appel à projet classique, cela veut dire le refus d’une posture de décision aveugle, même si ce mot n'est pas le bon. Nous ne voulions pas demander la remise d’une copie, la juger, et répondre oui ou non, sans appel. Nous voulions nous mettre en position de discuter avec le consortium d'entreprises porteur du projet, s'il montrait des manques ou des imperfections, pour l'améliorer. Cela prend plus de temps que d'attribuer une note et de l'annoncer. Nous subissons une pression pour aller plus vite, et c'est ce que nous sommes en train d’essayer de faire. Mais ce choix initial d'accompagner des consortiums a conduit à l’élaboration des feuilles de route avant les appels à manifestation d'intérêt. Il est important que la puissance publique cible des priorités, en fonction des politiques publiques. Nous sommes dans un domaine où il y a des objectifs, comme la transition énergétique, avec des enjeux de filières qui ne relèvent pas uniquement de la dynamique de l'innovation. Nous avons des projets, pour ce que gère l'Ademe dans sa part des programmes des Investissements d’avenir, de plusieurs millions d'euros d'aide en général. Il y a un temps d'instruction que l'on essaie de raccourcir au maximum, avec une capacité d'expertise interne à l'Ademe : plus d'une centaine d'ingénieurs de recherche capables de donner un avis sur les projets. Mais nous devons mobiliser cette expertise, et cela prend un certain temps.

Nous ne pouvons aller vers une posture faisant une part moindre à l’accompagnement, avec une décision brutale sur le projet tel qu'il est, car une phase importante de l'instruction et de la contractualisation vient du consortium et des entreprises elles-mêmes. Mais nous progressons.

M. Ivan Faucheux. Pour passer à l'innovation, il existe un certain nombre d'outils perfectibles. Puis arrive la très grosse difficulté de passer à l'industrialisation. Pour des PME accompagnées par les Investissements d'avenir, cette phase va réclamer des moyens financiers se chiffrant en centaines de millions d'euros. Un projet classique d'innovation à l'Ademe se situe entre 15 et 30 millions d'euros de dépenses. C'est important et je me place loin par rapport à la maturation ou au capital-risque.

Ensuite, ces entreprises - nous en avons 8 ou 9 en tête - qui arrivent en phase d'industrialisation, sont devant un choix : vont-elles chercher des fonds propres, de l'ordre de 50 à 60 millions d'euros, par rapport à un besoin en financement de l'ordre de centaines de millions d'euros, doivent-elles trouver des acteur capables de faire de gros tickets en fonds propres, notamment dans le secteur des écotech, ou rester dans un modèle de licencing, c'est-à-dire générer du cash à partir de ces innovations ? Pour le chef d'entreprise ou les actionnaires, c'est appréciable car cela permet de rentabiliser et de solvabiliser assez rapidement la prise de participation. Pour la puissance publique qui accompagne ces projets, si l'on n’arrive pas à passer la phase d'industrialisation sur le territoire national, les retombées en emploi et en activités deviennent assez faibles.

Nous avons poussé des technologies jusqu'à leur valorisation industrielle. Mais si elles ne se concrétisent pas en France, il y a un vrai souci d'accompagnement global de l'activité.

Sur le sujet des difficultés des PME avec les fonds propres et les délais : les AMI de l'Ademe montrent une participation des PME. François Moisan a donné tout à l'heure un taux agrégé de 23 %. Ce taux de participation de PME est très nettement supérieur à la dépense intérieure de recherche des entreprises. Entre aller plus vite, simplifier, et si vous me permettez l'expression, « aller à la hache », il y a un équilibre à trouver, pour ne pas mettre en difficulté, justement, ces PME dont les règles sur les fonds propres conduisent parfois à prendre du temps dans la décision. Elles doivent à la fois instruire un projet d'aide et convaincre les investisseurs. Le chef d'entreprise n'a pas forcément tout son temps pour faire l'un et l'autre. Par ailleurs, nous ne devons pas arriver à des situations où l'on attribue très rapidement des aides publiques à des acteurs qui, en règle générale, ont une assez forte expérience du montage de projet et de l'organisation-projet. Ce sont souvent des grands groupes. Ce n'est pas pour dire que les grands groupes sont d'excellents chasseurs de primes. Simplement, un grand groupe a un mode d'organisation qui le fait marcher naturellement en mode projet collaboratif, et il a fatalement des outils internes et un mode de travail interne mieux adapté à ce genre de projet. Aller plus vite sans prendre garde à l'équilibre PME-grands groupes, peut aboutir à rater une cible importante.

Sur la question d'une centralisation excessive, je préfère mettre un joker, car je ne suis pas sûr d'avoir la capacité d'en parler.

Les marchés publics sont effectivement un serpent de mer très récurrent, notamment dans le secteur du bâtiment, gros consommateur d'énergie. Nous avons peu de projets qui allient donneurs d'ordre publics et industriels. Nous nous trouvons confrontés à cette difficulté de faire travailler ensemble des industriels et des donneurs d'ordre publics, des adjudicateurs publics, pour définir un projet se concrétisant ensuite en espèces sonnantes et trébuchantes. Les marchés publics placent souvent les entreprises qui ont co-construit le projet de R&D en difficulté, car elles se trouvent soupçonnées d'avoir eu accès à des informations privilégiées, que sais-je encore. Et dans tous les projets de bâtiment, nous avons systématiquement cette problématique d'arriver à concilier recherche et innovation la plus proche possible du marché, sachant que ce marché malheureusement, dans ce cas d'espèce et non dans l'absolu, est régi par les règles de la commande publique.

Les IEED ont été sélectionnés par un jury international. La filière bois fait effectivement partie des trous dans la raquette, même si cette raquette est quand même bien remplie. Si un IEED n'a pas été retenu dans le bois, est-ce la faute d'un jury qui a sélectionné sur des critères, ou les projets présentés avaient-ils une gouvernance suffisante ? Nous sommes entre la poule et l'œuf. Le jury est-il biaisé dans son appréciation ou le secteur est-il incapable de porter un projet à la hauteur des ambitions d'un jury international ? Sur la filière bois, je me demande s'il n'y a pas un problème interne de gouvernance de la filière sur les différentes valorisations ou même sur l'organisation globale de la filière.

M. Patrice Geoffron. Un témoignage et une observation : mon laboratoire a été sollicité il y a quelques années pour un AMI de l'Ademe sur les réseaux intelligents, ou « smart grid », dans le cadre d'un consortium. Je voudrais témoigner d’une différence, pour faire écho à ce que tu indiquais sur la valeur ajoutée de l'AMI en tant que tel. En tant qu'universitaire, j'ai été fasciné. Nous avons discuté et échangé au final plus de deux ans, et j'ai trouvé le processus de co-construction extrêmement intéressant. La partie tout à fait modeste que nous avions à assumer était plutôt marginale dans le projet. J'ai vraiment trouvé efficace, dans le sens que tu as indiqué, la manière dont nous avons pu interagir avec les équipes de l'Ademe. Il se trouve néanmoins qu'en dépit d'un signal positif in fine de l'Ademe, le projet ne s'est pas concrétisé parce que le leader, un industriel d'assez grande taille, a fini par dire que le temps d'instruction n'était pas compatible avec le temps de l'innovation, sa propre contribution. J'ai donc été un peu désarçonné de trouver que nous étions décalés par rapport aux attentes des entreprises. Voici pour le témoignage.

Par ailleurs, une observation : il y a un enjeu, peut-être a-t-il été évoqué à d'autres moments de la discussion - je suis arrivé au cours de la deuxième table ronde - qui est la capacité des pouvoirs publics à accompagner des entreprises innovantes à l'international, tout particulièrement en Europe. Les questions de financement de l'amorçage sont essentielles. Si nous voulons réussir la transition, en gardant à l'esprit mon observation liminaire de tout à l'heure sur la fragmentation en Europe, il y a un enjeu tout particulier à cet accompagnement.

M. François Moisan. Juste un joker... Merci pour l'accompagnement, mais deux ans… Je voulais réagir. L'accompagnement ne dure pas deux ans. Que s'est-il passé ? Le premier AMI « smart grid » a été lancé dans le cadre du Fonds démonstrateur de recherche fin 2009. Début 2010, ont été annoncés les Investissements d'avenir, la décision d’arrêter le Fonds démonstrateur et de reprendre toute l'instruction dans le cadre des Investissements d'avenir. Ce ne sont en effet pas les mêmes règles : il n'y a plus uniquement des subventions, il y a des avances remboursables. Je pense qu'Ivan Faucheux ne me contredira pas. Pour être très direct, nous avons pris de ce fait un an et demi de retard. Quand je parle d'accompagnement, il ne s’agit pas de passer deux ans à discuter avec les entreprises. Mais il est vrai que cela peut prendre, sur certains dossiers mal préparés, deux ou trois mois. Je voulais le préciser, car sur cet appel à manifestation d'intérêt « smart grid », nous avons eu un délai anormal, dû au fait de la reprise de l'instruction à zéro.

Romain Fouache, société Biométhodes. Je vais plutôt représenter l'aspect PME. Nous sommes, je crois, une des dernières représentées dans la salle. Il y a eu un petit chassé-croisé, ce qui est dommage, mais ce sont les règles de l'organisation.

J'en profite pour prendre la parole sur la question des AMI. Nous avons une expérience de première main, puisque nous avons déposé un dossier dans le cadre de l'AMI Chimie du végétal, et je voulais rebondir sur certaines des remarques faites.

Les temps d'instruction de dossiers sont des temps caractéristiques longs, d'un an. Nous avons eu des signaux positifs, qui n'ont pas abouti, mais soit. Par rapport à ce que disait M. Faucheux, pour une PME, le fait qu'un dossier doive être suivi pendant un ou deux ans, ce n'est pas une opportunité pour aller chercher du capital en parallèle, c'est un risque et un coût significatif. Comme vous le dites très bien, les grands groupes ont les moyens et les capacités de déposer et de suivre des dossiers de ce type-là. Pour une PME d'une douzaine de personnes, consacrer deux à trois personnes à un dossier comme celui-là pendant un an, c'est quand même 25 % de sa capacité opérationnelle qui est exposée au risque de l'issue du dossier.

On positionne les PME innovantes comme étant potentiellement l'avenir du secteur de l'énergie. On connaît tous la difficulté du passage à l'industrialisation dans ces secteurs, intensifs en termes de fonds et de capitaux, et on en arrive quand même à la conclusion que, par la structure des aides mises à disposition, on a uniquement 23 % des fonds qui arrivent aux PME, plus de 60 % aux grandes entreprises. L'ensemble de ces facteurs ne sont-ils pas liés ?

Les durées ne sont pas compatibles.

Les efforts nécessaires ne peuvent être supportés par une PME. On ne peut pas consacrer la moitié des ressources de son entreprise à cela. Ce n'est pas pour rien qu’existe un marché phénoménal de sociétés de conseil pour aider à monter des consortiums, à mettre des sociétés ensemble, car on ne peut pas le gérer en interne.

Imposer des consortiums, notamment avec des grands groupes, cela ne met-il pas de facto la PME en position de faiblesse ? Car elle n'est pas dans une position de négociation lui permettant de tirer le meilleur parti du consortium dans lequel on lui impose de prendre part.

Du côté PME, nous avons besoin d'avoir des délais courts.

Sur les risques évalués et maîtrisés, je suis tout à fait d'accord sur leur évaluation. En revanche, partir du principe que le risque est maîtrisé, sans se permettre un certain niveau d’incertitude, c'est aussi, par construction, limiter la capacité à investir des PME. Effectivement, dans un grand groupe on a la sécurité. On met de l'argent dans un grand groupe, et si le projet ne marche pas, le grand groupe sera toujours là. La vraie innovation destructive peut se trouver dans une PME. C'est là où se trouve le risque. Mais n'est-ce pas en acceptant de miser sur une centaine de sociétés que l'on va réussir à faire émerger un acteur majeur, plutôt que de considérer le risque d'échec trop important et de n’investir dans aucune ? Là, finalement, on est sûr de ne pas réussir.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vais conclure en quelques mots cette table ronde. Je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir participé à ce débat très intéressant sur la transition énergétique, qui nous a permis de mesurer l'importance des problématiques de la recherche et de l'innovation pour l'évolution de notre système énergétique.

L'énergie reste avec l'aéronautique et l'espace l'un des secteurs d'excellence industrielle de notre pays. La transition énergétique est une priorité.

Le premier message est qu’à partir du moment où l'on développe des nouvelles formes d'énergie, dans les scénarios dont nous avons discuté ici, nous devons en toucher les dividendes. Les entreprises de notre pays doivent pouvoir développer des technologies correspondant à la politique que nous voulons mener. C'est le premier point important.

Nous avons eu souvent à l'Office l'occasion de nous pencher sur ces questions. Elles correspondent à la mission de notre Office qui est, je le redis, d'éclairer le Parlement sur des sujets scientifiques et techniques encore peu explorés. Toutes les technologies de l’énergie sont appelées à jouer un rôle dans l'avenir de notre société. D'ailleurs, la loi du 13 juillet 2005 le précise et demande à l'Office de travailler sur ces questions. À ce titre, un premier rapport d'évaluation de la stratégie nationale de recherche en énergie a été publié en 2009. Il s'agissait du rapport de Christian Bataille et Claude Birraux. Ce rapport soulignait l'importance du stockage de l'énergie et des réseaux intelligents pour parvenir à une meilleure intégration des énergies renouvelables variables, telles l'éolien ou le solaire. Il insistait aussi sur le temps nécessaire pour passer du stade du laboratoire à celui d'un déploiement industriel. Ce temps ne se compte pas en années, mais bien souvent en dizaines d'années, aussi, le volontarisme à lui seul ne suffit pas. Vouloir aller trop vite, c'est prendre le risque d'estropier notre système énergétique, l'un des piliers essentiels de la compétitivité de nos entreprises.

Ce second volet, la question de l'innovation, les conditions et le temps nécessaires à son déploiement, fait également partie du domaine d'intervention privilégié de notre Office. Je l'ai redit tout à l'heure à certains, j'ai moi-même publié un rapport en 2012 avec Claude Birraux, consacré à ce sujet : « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques ». Il souligne notamment la difficulté de la concrétisation de la recherche, le passage de la preuve du concept à la concrétisation industrielle et commerciale des projets de recherches, « vallée de la mort » de l'innovation.

Nous avons parlé avec les SATT de la phase de maturation, de valorisation, et également de la nécessité de mettre en place des outils. Nous les avons mis en place au niveau français avec le crédit impôt-recherche, puis maintenant avec le crédit impôt-innovation.

L'innovation reste tout de même souvent bloquée à la phase du prototype ou de la start-up, faute de financement. Ou alors elle est délocalisée, cela a été dit, par le rachat de nos start-up par de grands groupes étrangers. Ce n'est pas, à mon avis, notre vocation de développer ce type de stratégie.

L'intervention publique est cruciale à ce stade, et je crois que les Investissements d'avenir d'abord, puis la création de la BPI, même s'il y a eu des questions à ce propos, car elle n’est pas encore connue, constituera un levier puissant pour les PME. Vous l'avez bien dit, Mme Reinhart, l'une de ses missions est précisément d'investir dans le développement des secteurs stratégiques d'avenir.

Il faut que nous réfléchissions, même si ce n'est pas encore mature, au rachat par le secteur public, les collectivités territoriales ou l'Etat, de technologies issues des PME. Nous devons travailler à ces consortiums.

Ce que vous venez de dire en conclusion résumait très bien les problématiques vues du côté des PME. Nous devons travailler à la mise en place d'écosystèmes d'innovation au niveau régional, et au lien entre la BPI nationale et les fonds régionaux. Mme Reinhart vient d'en parler.

Les obstacles financiers ne sont pas les seuls à freiner le développement des innovations. Il y a aussi des obstacles culturels. J'ai essayé de les analyser dans le rapport dont je vous parlais. C'est dès l'école qu'il faut les traiter. J'ai déjà largement développé ce sujet, je ne voudrais pas le redévelopper cet après-midi. Tous ceux qui y ont travaillé considèrent la notion de risque comme un problème culturel. Innover, c'est changer ; changer c'est risquer. Nous n'avons pas la culture de l'échec, cela a été redit par certains d'entre vous. Ces freins doivent être levés.

Des freins peuvent également résulter d'une réglementation trop rigide, quelques fois inapte à prendre en compte l'évolution des technologies, ou même structurellement constituée en obstacle à l'innovation. Je vais en donner un exemple, puisque nous allons y travailler.

Mme Reinhart, il faudra le dire, vous êtes du même ministère : à partir du moment où vous aidez des entreprises, il ne faut pas qu'il y ait systématiquement des contrôles fiscaux. Elles viennent nous le dire dans les permanences. C'est systématique. Ce n'est pas le hasard, on peut le constater : quand il y a une aide, il y a contrôle fiscal. Et il y a désaccord sur la notion d'innovation.

Ce ne serait pas difficile, je pense, avec le CGI, de mettre en place un pôle expert sur cette question, au niveau national.

Je le disais, il y a structurellement des obstacles à l'innovation. Celui des normes en est un, et notre Office vient d'être saisi par le Bureau de l'Assemblée nationale sur une étude intéressante : les freins à l'innovation dans le domaine de l'efficacité énergétique du bâtiment, problème essentiel pour la transition énergétique qui implique une réduction significative de notre consommation d'énergie, dont le bâtiment représente 40 %.

Une audition l'a montré très clairement le 4 avril dernier, nous ne progresserons pas de manière significative sans lever le système de barrières réglementaires à l'innovation aujourd'hui mises en place. Il y a une bataille sur ce sujet, il faut être clair, entre de petites et de grandes entreprises.

D'ailleurs, dès que la question a été posée, il semble que cela aille mieux déjà. Poser la question peut apporter des éléments de solution. Il y aura des résistances, j'en suis conscient. En tant que rapporteur et co-rapporteur de cette étude – j'ai été nommé hier soir avec Marcel Deneux, sénateur – nous ferons ce qui est nécessaire pour parvenir à les lever.

Je voudrais terminer par un autre message. Il faudrait que sur ces sujets nous arrivions à des programmes européens d'innovation, un peu sur le modèle de ce qui a été fait par la Direction de la concurrence à ce niveau communautaire, mais sans qu’elle y soit l'acteur majeur. Ce sont des sujets sur lesquels vous avez écrit, et je partage totalement votre point de vue. Ce devrait être, mais elle n’existe pas, une Direction de la recherche, et, de plus, de l'innovation.

Je vous remercie une nouvelle fois de votre participation, vous nous avez beaucoup appris sur ces questions. »

ANNEXE N° 4 :
Discours d’ouverture du Président de la République,
M. François Hollande, prononcé le 20 septembre 2013 à l’occasion de la Conférence environnementale pour la transition écologique 2013

« Monsieur le Président du CESE, une nouvelle fois, je vous exprime ma gratitude pour l’accueil que vous réservez à la Conférence environnementale, confirmant ainsi que le Conseil économique, social et environnemental est aujourd’hui le lieu du débat.

Monsieur le Premier ministre, vous avez engagé le gouvernement dans une voie difficile qui est celle de faire comprendre à nos concitoyens que la transition écologique est une chance, une opportunité et même, à bien des égards, une obligation.

Mesdames et Messieurs les ministres, vous êtes en charge d’un certain nombre de domaines qui, en réalité, concourent tous à l’objectif qui est le nôtre.

Je salue plus particulièrement Philippe Martin qui assurera la préparation d’une loi, celle sur la transition énergétique.

Et puis, il y a une continuité dans nos travaux. Nous n’inventons rien. Nous ne partons pas de nulle part. Nous avons le Grenelle de l’environnement et la Conférence environnementale en est le prolongement, et à nous de dire l’amplification.

L’année dernière, dans cette même salle, à cette même date, j’avais tracé l’ambition : faire de la France une Nation, la Nation de l’excellence environnementale.

J’avais indiqué la voie : évoluer progressivement vers un nouveau modèle de production, de consommation et de transport, un nouveau modèle de développement.

J’avais proposé une méthode : un débat national qui aura duré plusieurs mois, dont la synthèse m’a été adressée mercredi.

L’heure est donc maintenant d’en tirer toutes les conclusions, et de vous présenter les principes et les instruments de la transition énergétique dans laquelle je veux engager la France.

La transition énergétique n’est pas un choix de circonstances, n’est pas un compromis, n’est pas une négociation. La transition énergétique, c’est une décision stratégique. Ce n’est pas un problème, c’est la solution. Regardons la réalité en face. Le stock des énergies fossiles – pétrole, gaz, charbon – va vers un épuisement que nous savons inéluctable. Même si de nouvelles découvertes peuvent en reporter, à un moment, l’échéance. La planète, elle, se réchauffe sous l’effet de nos émissions de gaz à effet de serre, au point que les 12 dernières années comptent parmi les années les plus chaudes jamais observées depuis 1850. Et ce n’est pas le fait du hasard.

Le rapport du GIEC, qui va bientôt paraître, et dont j’ai pu me procurer quelques bonnes feuilles, ne laisse guère de doute : si nous n’agissons pas, la planète connaîtra, avant la fin du siècle, un réchauffement climatique supérieur à 3° voire à 4°C avec ce que l’on peut imaginer des dérèglements en chaîne qui s’en suivront : canicules, inondations, sécheresses, bouleversement des écosystèmes, perte de la biodiversité, notamment dans les océans. Ce n’est pas une virtualité, c’est aujourd’hui plus qu’une probabilité, une certitude si nous ne faisons rien.

Avons-nous bien mesuré l’impact pour notre santé, notre sécurité, notre mobilité si ce scénario se confirme ? Avons-nous bien appréhendé les conséquences sur les flux migratoires de populations qui viendront là où elles peuvent se nourrir, là où elles peuvent accéder à l’eau ou éviter des catastrophes ? A-t-on bien évalué ce que signifiera le partage des richesses à l’horizon de trois ou quatre décennies ? Est-ce que l’on a bien établi le lien entre ce risque de catastrophes et les conditions mêmes du maintien de la paix ?

Alors, l’urgence climatique appelle un sursaut à l’échelle internationale d’abord. La France a décidé de s’engager. Notre pays accueillera la Conférence climat en 2015. Beaucoup m’avaient conseillé de ne pas prendre cette initiative car les conditions du succès ne sont pas forcément réunies. Et il s’en trouvera bien, quelque part, pour nous en faire le reproche le moment venu si cela n’aboutit pas.

Nous devons donc réussir. Je suis plus confiant que beaucoup d’autres parce que, d’abord, les esprits n’évoluent pas qu’en France. Il faut cesser de penser que nous sommes les seuls à croire qu’il y a un risque de réchauffement climatique. Aux États-Unis, le premier discours qu’a délivré Barack Obama au lendemain de sa réélection a justement porté sur le réchauffement climatique.

Les pays émergents que l’on disait réservés, voire même hostiles, à toute contrainte en matière de climat commencent à comprendre qu’il y a un risque, y compris de cohésion, pour leur propre pays si rien n’est fait. Les Chinois, les Indiens, les Brésiliens peuvent maintenant accepter ce qu’ils refusaient hier.

Mais nous devons avoir les idées claires, savoir où nous voulons aller et quel est l’objectif. C’est de parvenir à un pacte mondial sur le climat en 2015, c’est-à-dire un accord qui engagera toutes les parties prenantes sur une limitation des émissions de gaz à effet de serre pour contenir l’évolution des températures en deçà de 2°C à l’horizon de 2100.

Cet accord devra être équitable et contraignant. Équitable parce que chacun des pays devra avoir des objectifs à atteindre, différents selon les situations. Il devra y avoir des soutiens financiers, technologiques, justement en direction des pays vulnérables ou les moins avancés. Il y aura le Fonds vert pour le climat qui devra être abondé. Celui qui a été créé à Durban, et qui peut nous permettre d’avoir ce levier. Et, enfin, l’accord devra être contraignant car s’il n’y a pas de suivi, s’il n’y a pas d’évaluation et donc de sanctions, à un moment, c’est le risque de ne pas atteindre l’objectif.

Pour réussir, les chefs d’État et de gouvernement doivent être personnellement impliqués. C’est leur rôle, c’est leur responsabilité. Je salue d’ailleurs l’initiative de BAN Ki-Moon, le Secrétaire général des Nations unies qui a souhaité réunir en septembre 2014, c’est-à-dire avant le Sommet, les chefs d’État et de gouvernement sur cette question-là. Mais, au-delà de ce que peuvent faire les États, et vous êtes ici la marque même de cet engagement, tous les acteurs doivent être mobilisés : acteurs économiques, collectivités territoriales, ONG, citoyens.

Nous devons aussi être exemplaires au niveau européen. En Europe, il n’y a pas la même politique énergétique qui est suivie par chacun des pays-membres, je ne vous apprends rien. Certains sont sortis du nucléaire, d’autres n’y étaient jamais entrés. Certains évoquent le gaz de schiste, d’autres s’y refusent. Certains réutilisent des centrales au charbon, ferment des centrales à gaz. C’est dire la situation dans laquelle nous sommes.

Cela ressemble à l’Europe : vouloir tous faire ensemble et en même temps différemment. Alors, comment réussir à régler la contradiction ? En ayant une politique énergétique et climatique pour la période 2020-2030.

Ce sera l’objet du Conseil européen de mars prochain, c’est tout proche. Je proposerai que l’Europe se dote d’un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à ce qu’était la situation en 1990. L’Europe peut également fixer des normes sur les différentes énergies et l’ampleur des économies à réaliser en matière énergétique.

Il ne s’agit pas de choisir entre la compétitivité des économies européennes et la lutte contre le réchauffement climatique. Il ne s’agit pas d’arbitrer entre l’économie et l’écologie. Il s’agit de faire les deux. Et de créer ce que j’appelle une communauté européenne de l’énergie qui nous permettra, comme nous avons été capables de le faire au lendemain de la guerre, d’avoir, au-delà de nos spécificités nationales, des objectifs communs avec un marché commun de l’énergie régulé avec des financements qui doivent être apportés aux énergies renouvelables et à tout ce qui contribue à la sobriété énergétique, avec des mécanismes de garantie de production pour faire face à des pics de consommation, de mettre donc les réseaux dans une plus grande interconnexion et, enfin, de restaurer le fonctionnement d’un marché carbone digne de ce nom qui envoie un signe, à travers le prix du CO2. Et, aujourd’hui, le signe n’est pas envoyé. Dès lors, il y a un gâchis et la perte de toute signification de ce que nous avions appelé le marché des émissions.

L’Europe devra également faire apparaître un mécanisme d’inclusion carbone autrement dit une taxe carbone aux frontières.

Voilà ce que l’Europe doit engager et démontrer au monde avant la Conférence climat. Non pas pour faire la leçon, mais pour faire la démonstration que les pays les plus développés, car je rappelle que l’Europe est la première puissance économique du monde, que les pays les plus développés prennent plus que leur part dans l’action contre le réchauffement climatique.

Et puis, il y a ce qui relève de notre propre pays.

La transition énergétique est un choix politique majeur parce qu’il répond à de nombreux enjeux. Un enjeu social qui est la lutte contre la précarité énergétique et la maîtrise du coût de l’énergie, et nos compatriotes sont les premiers concernés. S’il doit y avoir une augmentation continue du prix, compte tenu de la rareté, alors nous devons faire en sorte qu’ils en soient le moins affectés possible par une politique que nous allons mettre en œuvre.

L’enjeu est aussi économique pour inscrire la sobriété au cœur de notre modèle de croissance. S’il est économique, il est industriel pour faire de la transition un levier de compétitivité pour nos entreprises.

C’est un enjeu environnemental pour nous permettre d’atteindre ce que l’on appelle le « facteur 4 », c’est-à-dire la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 (toujours par rapport à la situation en 1990). C’est un enjeu territorial parce que les territoires ruraux auront des opportunités de développement pour mettre en œuvre des nouvelles filières agricoles et forestières.

Et si je voulais évoquer un dernier enjeu, c’est celui des citoyens parce qu’il n’y aura pas de transition énergétique si le pays, dans son ensemble, dans sa diversité, au-delà même de ce qui peut parfois le séparer, le diviser, ne se retrouve pas dans une perspective qui lui permette de se dépasser lui-même et d’offrir à la génération qui vient un avenir meilleur.

Traduire ces enjeux en recommandations : tel était l’objet du débat national sur la transition énergétique qui vient d’avoir lieu : plusieurs mois d’échanges avec la participation de près de 200 000 citoyens, 1 000 réunions publiques et des outils de démocratie participative. Et, enfin, une synthèse. Cela veut dire que l’on a cherché à mettre tout ce qui pouvait rapprocher, rassembler, réunir et à laisser aux pouvoirs publics le soin de trancher, et c’est son rôle, les questions les plus difficiles. Et si l’on regarde ce qui nous reste à faire, il y a plus de convergences que de divergences.

Et là était l’essentiel. Je remercie Laurence TUBIANA, son équipe, pour le travail fait, et tous les acteurs d’avoir bien compris le sens du travail qui était proposé.

La transition énergétique c’est un acte d’adhésion avant d’être un acte de volonté ; un acte de participation avant d’être un acte de souveraineté ; et un acte de conviction avant d’être un acte d’autorité.

Mais nous devons agir. Avoir une vision c’est bien, agir c’est mieux. La transition est un mouvement et doit donc avoir deux jambes. La première c'est l’efficacité énergétique, c'est-à-dire consommer moins et mieux l’énergie. Si nous voulons atteindre le fameux « facteur 4 », c’est l’objectif fixé, nous devons inscrire comme perspective de réduire de 50 % notre consommation d’énergie finale à l’horizon 2050.

50 %, on me dira le pari est audacieux, et puis en 2050 qui ira vérifier ? La question c’est : est-ce qu’il est hors de portée, est-ce que c’est possible de diminuer de 50 % - sur 35 ans - notre consommation d’énergie ? En tout cas, cela doit être un objectif mobilisateur.

N’en faisons pas un dogme. Si nous sommes à un peu moins, ce ne sera pas une calamité ; si nous en sommes à un peu plus, nous aurons travaillé. Mais nous devons faire en sorte que nous puissions adapter cette perspective à ce que sera la croissance. Et comme nous avons déjà du mal à la prévoir pour la fin de l’année, c’est vrai que pour la période 2050, je fais confiance aux experts. Mais nous devons prendre en compte le fait que la croissance a aussi vocation, si nous travaillons dans le meilleur des esprits, à retrouver un rythme : croissance plus sobre, croissance plus durable, mais une croissance.

Le deuxième paramètre, au-delà de la croissance, ce sont des innovations technologiques, c’est le progrès scientifique. Ici, il y a des sensibilités mais personne ne doute que le progrès scientifique est un progrès pour l’humanité.

Toute la question, c’est de savoir comment nous le maîtrisons, que doit-il servir ? Mais nous devons nous dire qu’en 2050, si nous avons favorisé la recherche, l’innovation, la technologie, nous aurons un certain nombre de progrès. Quel est le but de la transition énergétique, y compris en termes financiers ? Si nous réduisons notre consommation d’énergie, nous pouvons faire une économie de 20 à 50 milliards sur notre facture énergétique, 20 à 50 milliards d’ici 2030, 15 ans, c’est deux fois le choc de compétitivité.

Cela représente donc, et en termes de pouvoir d’achat, et en termes de rentabilité pour les entreprises, et en termes de gains pour les comptes extérieurs, un enjeu considérable. À l’horizon 2050, c’est une division de 3 à 6 fois notre facture énergétique. Qu’est-ce que nous pouvons faire de ces gains ? Les réinjecter pour que nous puissions créer davantage d’emplois, améliorer la compétitivité de nos entreprises, le pouvoir d’achat des ménages. Donc la transition énergétique, c’est une stratégie gagnante à tous points de vue.

Comment y parvenir ? En engageant un programme massif pour la rénovation thermique des bâtiments. Pour le neuf, beaucoup a été fait ; c’est donc sur l’ancien que nous devons agir. Un objectif : réhabiliter et isoler 500 000 logements par an d’ici 2017. Avec quels instruments ? Le Premier ministre les a présentés, il y reviendra encore demain. Dès 2014, le crédit d’impôt développement durable et l’éco-prêt à taux 0 seront simplifiés et recentrés sur les rénovations lourdes. Une prime s’y ajoutera de 1 350 €, elle est déjà disponible. Elle aidera les ménages et elle sera d’autant plus forte que les ménages sont modestes. Elle servira à financer les travaux de rénovation du logement.

Je veux aller encore plus loin en matière de rénovation thermique. Le taux de TVA sur les travaux d’isolation thermique passera donc à 5% en 2014, au lieu des 10% prévus. Cette mesure réduira la facture énergétique des ménages, premier avantage, et soutiendra l’activité du bâtiment – des grandes entreprises sûrement, nous en avons besoin, mais également de beaucoup de petites et moyennes entreprises, de beaucoup d’artisans qui, aujourd’hui, attendent cette mesure qui s’ajoute à d’autres, pour permettre de solvabiliser, c'est-à-dire de rendre possible la commande de ces travaux. Donc si nous agissons – et c’est le cas – avec le gouvernement pour des primes pour ceux qui commandent, et des avantages fiscaux pour ceux qui réalisent, nous pouvons faire ce grand programme de rénovation thermique.

Mais nous pouvons également améliorer les choses sans que cela coûte davantage, ce qui est quand même un objectif. Un dispositif de tiers financement des travaux de rénovation thermique sera créé. La Caisse des Dépôts mettra en place un fonds national de garantie de la rénovation thermique. Cela veut dire quoi ? Que les ménages seront déchargés de l’avance des frais, pourront avoir des prêts ; et d’ailleurs, je veux que les prêts rénovation thermique soient aux mêmes conditions que les prêts immobiliers. Mais la Caisse des Dépôts, en aidant par sa garantie, facilitera l’obtention de ces crédits. Le gouvernement fera en sorte que le fonds de garantie puisse être mis en œuvre dès l’année prochaine.

Pour faire de la rénovation thermique, il faut aussi conseiller les ménages, parce que ce n’est pas si simple quand on est un ménage isolé, à tous égards. J’ai donc souhaité que 2 000 emplois d’avenir soient formés pour conseiller les ménages dans la démarche de rénovation thermique pour leur logement. Prenons une mesure favorable à l’emploi, utile à la rénovation thermique et, donc, favorable également pour le pouvoir d’achat des Français.

J’ai été également sollicité, à juste raison, pour que les normes réglementaires puissent être conformes à nos objectifs de rénovation thermique. Si bien que les grands travaux qui rythment la vie d’un bâtiment – ravalement, réfection de toiture –, ces grands travaux devront intégrer désormais la performance énergétique. D’ores et déjà, le décret sur la rénovation des bâtiments tertiaires ne peut plus attendre : il sera donc publié dès 2014. C’est vrai qu’il y a un aspect contraignant, je ne veux pas le nier, mais s’il n’y a pas cette obligation, nous n’atteindrons pas l’objectif de 500 000 logements rénovés. C’est vrai qu’il va y avoir un coût supplémentaire pour le collectif, mais qui sera tellement vite rattrapé, tellement vite amorti par les effets de l’isolation, que ce sera un gain pour l’ensemble des propriétaires et des locataires. Et je fais confiance aux gestionnaires de biens, je fais confiance aux promoteurs immobiliers, je fais confiance aux entreprises pour que nous puissions avoir la meilleure application de ces dispositions.

Il y a également ce qui relève de la consommation, même dans des bâtiments rénovés. Et là aussi, l’aménagement des systèmes électriques, avec un nouveau pilotage des consommations, est un levier considérable. Je souhaite donc qu’à l’horizon 2020, les 35 millions de compteurs actuels soient remplacés par des compteurs intelligents, sans qu’il en coûte aux ménages concernés.

Dois-je ajouter un dernier argument ? La rénovation thermique, c’est un gisement d’emplois considérable. Je me garderai bien de fixer un chiffre, c’est toujours facile, 100 000, 200 000, je fais confiance aux entreprises et aux partenaires sociaux pour nous dire quelle peut être l’ampleur de ce qui peut être créé. Mais s’il n’y a pas de la part de l’État, de la part des partenaires sociaux, un mouvement de formation professionnelle pour ces nouvelles qualifications, pour ces nouveaux métiers, nous passerons à côté de la création d’emplois non délocalisables, d’emplois correctement rémunérés et d’emplois utiles. C’est la raison pour laquelle je souhaite que, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, la filière s’engage, je sais qu’elle y est prête, pour que les formations adaptées soient fournies à ces jeunes ou moins jeunes pour les doter des qualifications indispensables.

Toujours dans l’idée de consommer moins d’énergie, c’est la réduction des besoins de mobilité. Les deux tiers des nouveaux logements construits depuis 40 ans sont constitués de maisons individuelles, en périphérie des villes ou à la campagne. C’est vrai que c’est une aspiration mais qui, si elle n’est pas maîtrisée, est extrêmement coûteuse, et pour les occupants de ces logements, et pour la collectivité. Limiter l’étalement urbain, c’est l’un des objectifs du projet de loi qu’a présenté la ministre DUFLOT pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. C’est l’idée d’une ville plus humaine, mais plus dense, moins consommatrice d’espaces. Cela suppose également de rénover les documents d’urbanisme pour engager la transition écologique et donner un coup d’arrêt à l’artificialisation des sols.

Consommer moins d’énergie, c’est offrir des transports alternatifs à la route. Le premier facteur des émissions de gaz à effet de serre, ce sont les transports, c’est le tiers de la consommation d’énergie finale. Comment agir dans le développement de ce que nous avons appelé « la rénovation du réseau ferroviaire » ? L’État a fait le choix de porter des projets de transports collectifs pour qu’il y ait davantage de matériels, d’équipements, notamment pour le chemin de fer. Cela représentera 450 millions d’euros dans le cadre d’un nouvel appel à projets. Pour les collectivités en Ile-de-France, je rappelle que 6 milliards d’euros seront investis d’ici 2016 dans les transports du quotidien. Quant au transport des marchandises, vieux sujet, vieux débat sur le fret, le gouvernement proposera, dès janvier prochain, les axes d’une politique du fret ferroviaire, pour encourager les initiatives de proximité, investir davantage et accompagner la SNCF dans une stratégie de reconquête.

Voilà comment nous pouvons réduire notre consommation d’énergie sans qu’il nous en coûte, et, au contraire, pour que cette rénovation thermique, cette utilisation différente de l’espace, les modes alternatifs à la route puissent nous permettre de gagner en qualité, de gagner en pouvoir d’achat, de gagner en emplois, de gagner en compétitivité.

La seconde priorité, au-delà de la sobriété énergétique, c’est la diversification. Les énergies fossiles représentent encore plus de 70 % de notre consommation énergétique finale. Donc la diversification, c’est de chercher à limiter nos émissions de gaz à effet de serre, à réduire notre déficit commercial. Je propose donc de diminuer de 30% la consommation des énergies fossiles en 2030. Comment faire ? Premier engagement, développer la voiture intelligente et décarbonée. La voiture reste et restera pour beaucoup de nos compatriotes le seul moyen de déplacement. Et il est inutile de les culpabiliser, inutile de les en empêcher. Je ne le dis pas pour des raisons industrielles, économiques, mais parce que c’est un élément de liberté. Mais nous ne sommes pas obligés d’avoir des voitures qui polluent, qui utilisent certains carburants plutôt que d’autres.

C’est la raison pour laquelle nous devons développer une nouvelle génération de véhicules électriques, hybrides, et nous avons tous les moyens pour y parvenir : des industriels constructeurs automobiles d’envergure mondiale, des entreprises dans la chimie, dans le matériel électrique. Comment pouvons-nous faire ? D’abord promouvoir un véhicule sobre, 2 litres au 100, le Premier ministre y reviendra demain. Ce n’est pas si loin. En 2018, nous pouvons arriver à ce résultat pour tous les constructeurs qui se sont engagés dans la filière.

Nous pouvons également changer la politique d’achat de l’État et même des collectivités locales, je salue, ici, leurs représentants. Pour l’État, 25 % des nouveaux véhicules commandés seront des véhicules électriques ou hybrides, et tout nouveau véhicule à usage urbain sera électrique. Et puisque je parle de la voiture électrique, faut-il aussi qu’il y ait des infrastructures. Je demande donc au gouvernement – Arnaud Montebourg est mobilisé là-dessus – que nous accélérions le déploiement des bornes de recharge de manière à ce que notre pays soit correctement équipé, c'est-à-dire partout équipé d’ici 2015.

Autre élément qui nous permet de penser que nous pouvons diversifier davantage, c’est tout ce que nous pouvons faire pour la valorisation énergétique de la biomasse d’origine agricole qui constitue une voie originale de développement. Nous devons développer les biocarburants de 2ème et 3ème générations, faire de la chaleur renouvelable une priorité, promouvoir la filière bois à travers le fonds stratégique « forêt bois ». Je rappelle que nous avons la plus merveilleuse forêt et le plus gros déficit commercial pour sa valorisation. Et je me félicite que les acteurs de cette filière soient maintenant au Conseil national de la transition écologique. Je compte sur eux pour que nous puissions transformer, valoriser. Il y a un grand projet industriel des immeubles en bois qui, là encore, peut donner une perspective à ce secteur.

Diversifier, c’est également faire un mix énergétique pour la production d’électricité. Vous connaissez l’engagement que j’ai pris : réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. Cela commence donc aujourd’hui. Je rappelle que la centrale de Fessenheim sera fermée d’ici fin 2016. Mais évoquer la diminution de la part du nucléaire à horizon 2025, s’il n’y a pas un plan de développement des énergies renouvelables, c’est une perspective qui peut être affichée mais qui ne sera pas tenue. L’obligation, c’est donc d’aller vers les énergies renouvelables. Faut-il encore que ce soit à des prix et dans des conditions qui puissent être acceptées par l’ensemble de notre société et qui puissent être valorisées sur le plan industriel.

Toutes les sources doivent être sollicitées : éolien, biomasse, photovoltaïque, chaleur renouvelable, agro-carburant, géothermie. Plusieurs conditions sont nécessaires, c’est toujours les mêmes que l’on rencontre : un cadre réglementaire stable, un cadre fiscal clair. La loi de programmation de la transition introduira donc les outils de programmation et de pilotage pour la montée en puissance de ces énergies. Deuxième condition, qu’il y ait des mécanismes qui puissent être vertueux, l’appel à projets pour les fermes pilotes d’énergie marine sera lancé dans une semaine. Pour les autres – éolien, terrestre, photovoltaïque – tout sera fait pour baisser les coûts de production.

Enfin, les efforts de recherche et d’innovation sont amplifiés dans les domaines du stockage de l’énergie, de la séquestration du carbone, de l’intégration de la production d’énergie délocalisée dans les réseaux. Parmi les 34 projets industriels que nous avons retenus avec le ministre du redressement productif, tous ces projets y figurent. Les plans énergie renouvelable – chimie verte, biocarburant – peuvent là aussi avoir des retombées particulièrement utiles pour notre économie. Je rappelle que le Premier ministre a dégagé 2,3 milliards dans le Programme d’investissement d’avenir pour assurer la transition énergétique et écologique. Tel est le sens et la portée de la future loi. Elle reprendra ces orientations. Et Philippe MARTIN sera chargé de la préparer, de la présenter et de la faire voter. Ce sera l’un des textes les plus importants du quinquennat – pas pour ce qu’il peut avoir comme conséquence, simplement, pour les 3 ans et demi, jusqu’en 2017, mais justement pour ce qu’il peut avoir d’impact au-delà.

Il se trouve que la responsabilité politique, c’est de prendre des décisions, aujourd’hui, pour les décennies à venir. Il serait tentant de retarder. Pourquoi demander un certain nombre de changements, de modifications dans les comportements, dans les attitudes, introduire des obligations, faire en sorte que notre fiscalité soit plus clairvoyante et intelligente – ce qui n’a pas que des soutiens dans le pays – alors même que les conséquences ne seront qu’à 10 ans ou à 20 ans ? C’est la noblesse de la responsabilité politique que d’être capable de décider aujourd’hui pour demain, voire même pour après-demain, et ne pas être jugé sur l’instant mais sur la portée historique d’un certain nombre de choix.

L’élaboration de ce texte devra être commune avec le Parlement, en amont, et avec le Conseil économique, social et environnemental qui sera saisi comme pour toute loi de programmation et qui prendra le temps – 2 mois – pour y travailler. Nous aurons aussi à faire un autre travail : celui d’affiner la trajectoire de la transition, en vérifier la faisabilité, préciser les conséquences économiques, sociales et environnementales de nos choix. Cette loi sera présentée au printemps, discutée durant l’été et devra être conclue d’ici la fin de l’année 2014. En attendant cette loi, tous les aspects réglementaires devront être traduits dans la réalité dans les meilleurs délais, et je demande au gouvernement d’y travailler.

Réussir la transition énergétique suppose, au-delà de ces objectifs, au-delà de ces politiques, d’avoir de nouveaux instruments. Le premier instrument, c’est le pilotage de la politique énergétique. La future loi de programmation sur la transition énergétique posera le principe d’un plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire. Elle définira les modalités juridiques qui gouverneront l’évolution du parc.

Je rappelle qu’aujourd’hui, l’opérateur peut décider de prolonger ou non la durée de vie d’un réacteur en se fondant – et c’est bien légitime de son point de vue – sur des critères industriels. L’Autorité de sûreté, elle, peut intervenir en fonction des risques qu’elle a pu éventuellement déceler. Mais je souhaite désormais que l’État puisse être le garant de la mise en œuvre de la stratégie énergétique de notre pays. Il ne s’agit pas de se substituer à l’opérateur, mais de maîtriser la diversification de notre production d’électricité selon les objectifs que la nation, souverainement, aura choisis.

De la même manière, le temps est venu de faire une place nouvelle aux collectivités locales dans la transition énergétique. Elles ont une légitimité à agir sur les questions d’efficacité, donc de sobriété, et de développement des énergies renouvelables. Je salue notamment ce que font les régions pour soutenir financièrement le renouvelable et engager des politiques souvent innovantes en matière d’économie d’énergie. Je pense que les collectivités locales devront avoir un droit d’expérimentation sur ces questions.

Enfin la transition s’inscrit dans un temps long. Elle doit pouvoir être réajustée en vue de prendre en compte les évolutions techniques, économiques, sociales, démographiques. La loi devra donc poser le principe d’un réexamen tous les 5 ans de la trajectoire et du rythme. Ce sera le rôle du Conseil d’orientation de la transition énergétique, qui aura à faire ce travail d’évaluation et à en tirer toutes les conséquences avec les pouvoirs publics.

Le deuxième instrument, c’est le financement de la transition. Là aussi, les travaux du débat évaluent à environ 20 milliards le montant des investissements que nous devons faire pour la transition, tous secteurs confondus : pour le bâtiment, pour l’énergie, pour les transports, pour l’industrie, pour l’agriculture. Nous devons investir, investir davantage, les entreprises, les particuliers, les collectivités locales, l’État. C’est en ayant ces investissements-là que nous pourrons, en 2030, avoir tous les gains de la transition énergétique.

La transition énergétique, c’est d’abord un projet industriel ; c’est d’abord un projet d’investissement ; c’est d’abord un projet pour le pays, celui de mobiliser toutes les ressources pour arriver au résultat. Faut-il encore avoir les outils de financement, cela sera aussi le rôle de la loi de programmation que de les introduire.

On a des expériences ! Le tarif de rachat garanti ne permet pas toujours de réguler au mieux et d’orienter correctement la production. On a même pu constater parfois qu’il y avait eu des effets d’aubaine, des gâchis de deniers publics et des comportements spéculatifs. Ce n’est pas bon, ce n’est pas logique que l’argent public, que ce soit des subventions ou que ce soit de la fiscalité à travers de tels mécanismes, puissent être au service d’une politique qui ne donne pas de résultat.

Je souhaite donc que les modes de soutien aux énergies renouvelables soient revisitées, de façon à ce que chaque euro sur la facture des consommateurs – parce que cela se trouve sur la facture des consommateurs– soit le plus efficace possible et favorise la création de champions industriels nationaux. Nous les avons en matière de renouvelable, je ne vais pas les citer tous, mais nous sommes en avant-garde là-dessus. Il nous faut donc faire que ces champions puissent avoir le plus de soutien possible, pour être le plus efficaces et avoir les meilleures retombées.

Deuxième outil de financement, c’est la Banque publique d’investissement. Ce sera la banque de la transition. Ses financements devront être adaptés aux petites et moyennes entreprises, avec des seuils minimaux abaissés. Et nous savons bien que pour financer des projets longs – je les ai évoqués – que ce soit sur la rénovation thermique, que ce soit sur la réduction de la consommation, que ce soit sur les objets nouveaux ou les véhicules, ce sont des projets à 20 ans ou 30 ans. Cela suppose donc d’avoir une banque publique qui prenne le risque de cette durée, avec le secteur bancaire, car il nous faut aussi associer le secteur bancaire.

C’est pourquoi le gouvernement de Jean-Marc AYRAULT organisera au printemps prochain une conférence bancaire et financière de la transition énergétique, pour mobiliser tous les produits d’épargne qui existent déjà, pas besoin d’en inventer d’autres : livret de développement durable, assurance-vie, etc. Tout ce qui peut être un moyen – et je ne parle pas simplement du Livret A – tout ce qui peut être un moyen de collecter de l’épargne afin de soutenir la transition énergétique doit être encouragé.

Troisième instrument, la fiscalité écologique. L’introduction d’une assiette carbone dans le projet de loi de finances 2014 est un acte politique fort et je l’assume. Elle consistera à calculer une partie du montant des taxes sur les produits énergétiques en fonction de leur teneur en CO2, leur teneur en carbone ; à faire une fiscalité plus intelligente, à partir de ce que nous voulons limiter, réduire : le carbone, les émissions de gaz à effet de serre. La fiscalité écologique sera donc rénovée, repensée, recalculée à partir de ce seul critère et à travers tous les instruments, pas besoin d’en inventer de nouveau. La montée en charge de la contribution sera forcément graduelle, progressive et la trajectoire sera définie à l’avance et présentée dès cette année.

A quoi doit-elle servir cette contribution ? S’il s’agit de lever un impôt de plus, il y en a suffisamment. Il s’agit de financer la transition énergétique, et donc de répartir ce qui aura été produit au bénéfice des ménages et des entreprises en termes de compensation, par des baisses de prélèvements. C’est comme cela que nous pouvons faire que nos compatriotes adhèrent à un tel projet, puisque ce n’est pas une fiscalité supplémentaire, c’est une nouvelle fiscalité qui, pour les ménages, se traduit par un certain nombre de gains identifiés.

J’ai évoqué la baisse de la TVA sur la rénovation thermique, sur l’isolation, mais on a évoqué aussi, le Premier ministre hier, le crédit d’impôt. Il y a une partie qui va aller vers les ménages, et une partie aussi vers les entreprises, parce que la fiscalité écologique doit financer le crédit d’impôt compétitivité et croissance/emploi.

Or je connais les déboires qu’ont rencontré ceux qui avaient, un moment, imaginé, dans le cadre du Grenelle, une contribution carbone. Ils étaient de bonne foi, ils voulaient y parvenir. L’objectif, c’était le même : faire en sorte que ce soit le carbone qui puisse être l’assiette du prélèvement. Le Conseil constitutionnel n’a pas retenu ce projet. On ne va pas dire qu’il faudrait l’abandonner, il faut le repenser et faire qu’il soit, comme je vous l’ai dit, à la fois juste, efficace, et juridiquement incontestable.

Il y a donc trois exigences : ne pas sanctionner les choix de vie du passé, c'est-à-dire considérer que ceux qui ont une passoire énergétique doivent en être aujourd'hui les victimes. Ce qui compte, c’est d’inciter, d’orienter les choix du futur et donc de faire en sorte que ce soit sur les décisions d’aujourd'hui et de demain que porte l’incitation.

Deuxième exigence, préserver le pouvoir d’achat des ménages pour qu’ils aillent vers l’isolation de leur logement, vers des comportements vertueux et qu’ils en soient les premiers bénéficiaires.

Enfin, dernière exigence, conférer à nos entreprises, à notre économie un avantage compétitif en permettant de moins taxer le travail. Si on taxe moins le travail et plus la pollution, nous avons rendu service, et à la compétitivité, et à l’environnement pourquoi s’en priver ?

Mesdames et Messieurs, je voulais vous parler essentiellement, ce matin, de la transition énergétique parce que c’est l’engagement que nous avons à prendre ; comme chef de l’État, je l’assume, mais aussi comme acteur économique, comme acteur social, comme représentants des organisations non gouvernementales, des associations, des collectivités locales, c’est tout ce que nous avons à faire pour notre pays.

J’aurais pu vous parler de tous les sujets de la conférence : de l’économie circulaire, qui est un principe d’évidence, faire que les déchets soient une matière première, que nous puissions en tirer un argument en termes d’indépendance économique ou énergétique. Là encore, quand une économie peut permettre de régler une question environnementale – le déchet – et en même temps nous donner une performance supplémentaire, allons dans cette direction et vous aurez plein de moyens d’illustrer cette politique, que le Premier ministre développera samedi.

J’aurais pu vous parler d’éducation, le ministre est là, car si nous voulons changer les comportements, mieux vaut dire à nos enfants tout de suite comment mieux consommer, mieux produire et mieux circuler. L’éducation à l’environnement devra trouver sa place.

J’aurais pu vous parler aussi de l’Agence de la biodiversité. Le Premier ministre le fera avec une volonté de mettre en place cet instrument dès 2015, avec une ressource.

Mais j’ai souhaité essentiellement revenir sur la transition énergétique et écologique parce que c’est une grande cause nationale. Elle ne doit pas nous diviser, elle ne nous divise pas, elle nous rassemble. Elle nous invite à repenser notre modèle de consommation, de production, de développement, de croissance, à savoir ce qui est rare et ce qui a de la valeur. Ces questions-là, d’ailleurs, sont posées dans plein de domaines de la vie économique, sociale, culturelle.

Qu’est-ce qui est rare ? Qu’est-ce qui doit être protégé ? Quelle est la valeur même de biens apparemment gratuits ? Quel est le sens de ce que nous décidons chaque jour par nos comportements ? Je pense donc que la transition, c’est l’affaire de tous : du gouvernement, parce qu’il a à faire, à un moment, ses choix, du Parlement, parce qu’il doit inscrire l’action dans la durée ; mais c’est aussi l’affaire de tous nos concitoyens. Et donc, la conférence environnementale, elle est investie de cette mission. La transition énergétique, elle est porteuse d’une vision. Qu’est-ce que nous voulons faire de notre pays ? Quelle est l’image que nous voulons donner de la France de demain, mais aussi de la France d’aujourd'hui ?

Une France qui a peur, qui se recroqueville, qui se rabougrit, qui essaie de protéger ce qu’elle croit être l’intérêt d’aujourd'hui au détriment de l’intérêt de demain ? Ou au contraire une France qui est capable de prendre des risques, d’avancer, de brûler les étapes et de faire en sorte que nous puissions promouvoir une nation innovante, parce que sans innovation, sans progrès, il n’y a pas de développement possible ? Une nation solidaire parce que s’il n’y a pas de cohésion, il n’y a pas d’adhésion ? Une France qui soit capable, en Europe et au-delà des scrutins qui s’annoncent, de reprendre l’initiative avec nos amis allemands sur cette question de l’Europe de l’énergie ? Une France qui soit capable d’organiser une conférence climat, non pas simplement pour jouer les pays hôtes dans une perspective touristique, non, une conférence climat qui souhaite aboutir parce que, précisément, la précédente a échoué ?

Oui, voilà l’idée que je me fais de la France aujourd'hui, à travers cette conférence environnementale. Ce n’est pas de savoir qui va avoir raison ou qui va avoir tort, qui va avoir sa part ou qui ne l’aura pas : c’est l’ensemble du pays qui doit se considérer aujourd'hui comme bénéficiaire de la transition.

Il n’y a pas beaucoup de défis globaux pour une société ; il y a de savoir si nous sommes capables de vivre ensemble. Chaque fois, nous devons nous reposer cette question. Il y a le défi de la compétitivité : est-ce que nous sommes capables de produire ensemble, de garder notre indépendance ?

Il y a le défi de notre influence dans le monde. J’étais hier à Bamako, au Mali. La France y a été fêtée parce qu’elle a été capable de porter des valeurs et des principes, parce qu’elle a été regardée, non pas comme une puissance protectrice, cherchant à capter une influence, mais comme une puissance libératrice. La France, elle a aussi le défi de son avenir, d’être capable de montrer l’exemple. On parle souvent de l’exception française, au point même de lasser nos partenaires qui, à force, nous disent que nous sommes vraiment une exception.

Nous devons être plutôt exceptionnels, c'est-à-dire, en l’occurrence, pouvoir tracer l’avenir. C’est ce qui fait les grandes nations, celles qui sont capables de voir plus loin que les autres. Et la seule question à laquelle nous avons à répondre, en tout cas moi comme chef de l’État, c’est qu’aurons-nous fait de bien, de grand, d’utile pour les générations à venir et pour notre planète ? Si nous savons répondre à cette question, alors nous pouvons dire que la France sera toujours la France. Et ma conviction, c’est que la transition énergétique est la réponse. Merci. »

ANNEXE N° 5 :
Discours de clôture du Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault,
prononcé le 21 septembre 2013 à l’occasion de la Conférence environnementale pour la transition écologique 2013

« Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs,

Avant de vous parler des engagements du Gouvernement à l’issue de cette deuxième conférence environnementale, je veux vous livrer ma conviction. Celle d’une « écologie positive », d’une « écologie sociale », d’une « écologie optimiste », bref, du développement durable que la France doit incarner.

La majorité des Français veut un cadre de vie de qualité et un environnement protégé à léguer à ses enfants. La majorité des Français veut pouvoir consommer mieux, polluer moins, mais à condition de leur démontrer qu’ils ne perdront rien en qualité de vie.

Il est de notre responsabilité de donner envie de vivre dans un pays qui équilibre mieux son développement économique, ses ambitions sociales, ses ressources et ses milieux naturels. Il est de notre responsabilité d’articuler le temps long, celui de la planète, avec le temps plus court, de la vie démocratique et de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le tournant écologique de la France est un parcours difficile et parfois conflictuel. Ce chemin est semé de contradictions, car nous vivons dans un système économique mondial qui, à bien des égards, refuse de reconnaître l’évidence.

Les signaux d’alerte n’ont pourtant pas manqué, de René Dumont aux scientifiques du GIEC. Nous savons que nos sociétés et leurs économies peuvent entamer leur déclin pour ne pas avoir su gérer leur rapport aux ressources et à la nature.

Les dirigeants de la planète ont amorcé les changements nécessaires. Les conventions internationales sur le climat, sur la biodiversité, sur la désertification, sur le droit de la mer permettent les prises de conscience et organisent les mutations. Progressivement, elles construisent une histoire mondiale et celle d’une humanité prospère, réconciliée avec sa planète. Elles tracent une trajectoire de progrès et d’opportunités, celle d’une nouvelle modernité.

Les engagements environnementaux que nous prenons aujourd’hui en France nous conduisent chaque jour plus avant sur ce chemin de réalisme et de progrès.

Pour autant, les Français restent partagés entre cet objectif de progrès collectif, tourné vers le long terme, et l’immédiateté de leur situation individuelle, parfois socialement et financièrement difficile. Les deux sont également légitimes à mes yeux.

Nous avons donc besoin d’ambition et de détermination, mais aussi d’écoute et surtout, d’une méthode.

Notre méthode, elle est d’abord de projeter notre pays dans l’avenir, pour convaincre encore davantage des enjeux. C’est le sens des objectifs de long terme fixés hier par le Président de la République.

Notre méthode est également de concerter avec les représentants de l’ensemble de la société. Car il n’y a pas de mutation ambitieuse sans accord et sans consensus. C’était le sens du débat sur l’énergie qui vient de se terminer. C’est aussi le sens de cette conférence annuelle.

Notre méthode est d’engager à rythme soutenu des réformes structurelles, toutes durables. Je pense à la régulation financière, à l’économie sociale et solidaire, à la décentralisation, aux transports du quotidien ou encore à l’urbanisme rénové.

Nous devons toujours laisser aux Français, et aux entreprises, le temps et la marge de manœuvre pour changer leurs comportements et leurs modes de consommation. Mon but est de convaincre, pas de contraindre. Cela implique un discours de responsabilité et de vérité sur notre transition. C’est la condition de la réussite.

***

La transition énergétique est notre premier défi.

Un débat national et territorial vient de s’achever. Il a permis, pour la première fois, de traiter librement de tous les aspects de notre politique énergétique. Aucun sujet n’a été éludé. Ni le nucléaire, ni les gaz de schiste.

La synthèse du débat, signée par toutes les parties prenantes, est la démonstration que nous sommes collectivement prêts à nous engager sur le chemin de la transition. Et je veux à mon tour sincèrement remercier les organisateurs et les contributeurs de cette démarche.

La qualité de ce travail collectif nous permet aujourd’hui de faire évoluer notre politique énergétique dans deux directions : 1/ mieux consommer pour moins consommer 2/ et rééquilibrer progressivement notre mix énergétique au profit des énergies renouvelables les plus matures.

C’est sur la base de ces orientations que Philippe Martin préparera la loi de transition énergétique, chantier majeur du quinquennat.

Ce texte sera présenté au printemps, discuté à l’été et voté avant la fin de l’année 2014. Je m’engage à ce que le Conseil national de la Transition écologique soit associé à ces travaux.

Le Président de la République a précisé hier nos objectifs chiffrés. Il en va de notre indépendance nationale, de notre équilibre commercial, de la maîtrise de nos coûts de production et de la qualité de notre environnement.

Il ne s’agit là ni de privation, ni de décroissance. Je récuse toute vision « récessionniste » de la transition. Il s’agit de proposer aux Français de nouveaux modes de consommation et de déplacement. C’est l’intérêt de chacun et c’est notre intérêt collectif.

Pour cela, nous nous sommes engagés dans la rénovation thermique des bâtiments.

Les outils sont désormais en place. Le Président de la République les a présentés hier : prime aux ménages, crédit d’impôts, TVA réduite, fonds de garantie, soutien aux tiers financeurs, appui à la structuration des filières, prise en compte de la performance thermique lors des travaux.

Les moyens sont là. L’enjeu est maintenant de mobiliser l’ensemble des Français pour agir.

Nos concitoyens doivent être mieux sensibilisés. Une grande campagne de communication nationale sera lancée mi-octobre. Son slogan sera « j’éco – rénove ; j’économise », comme vous le voyez derrière moi.

Les ménages doivent pouvoir s’informer plus facilement. Un numéro de téléphone national sera mis en service, ainsi que plus de 400 « guichets uniques », qui auront pour mission de proposer des solutions et des conseils de rénovation. Nous faciliterons l’accompagnement des ménages par les opérateurs d’énergie dans leurs démarches d’audit et leurs projets de travaux. Un « passeport rénovation » sera créé à cet effet.

Les bailleurs sociaux sont d’ores-et-déjà mobilisés. J’ai signé avec eux un pacte. Des prêts à moins de 1 % sur 15 ans sont mis à leur disposition, avec un objectif de 120 000 rénovations de logements sociaux par an.

Enfin, et je parle d’expérience, c’est en confiant des responsabilités accrues aux collectivités locales que nous démultiplierons les effets de notre politique. Le Président a évoqué hier un droit à l’expérimentation. Par ailleurs, j’ai décidé que les nouveaux contrats de plan État/régions, en cours de négociation, comporteront un volet « transition énergétique et écologique ».

Je demande aux préfets de réunir sous un mois tous les acteurs locaux de la rénovation thermique. C’est un défi majeur pour l’emploi. Des dizaines de milliers d’emplois sont à la clé. Le pouvoir d’achat, également, et notre environnement. J’en appelle à une mobilisation nationale.

Nous devons également promouvoir une mobilité plus économe.

J’ai pris un engagement pour le Nouveau Grand Paris ainsi que pour les transports du quotidien. D’ici 2030, l’ensemble de ces projets représente plus de 100 milliards d’euros. Les nouveaux contrats de plan État/région en constitueront la première étape. Ils seront conclus d’ici la fin de l’année.

La voiture ne doit pas pour autant être diabolisée. Elle est indispensable pour beaucoup de Français. Lors de la dernière conférence, j’avais annoncé la voiture consommant 2 litres d’essence aux cent kilomètres. Les constructeurs et des équipementiers français ont relevé le défi et avancé. J’ai confiance en leur capacité de nous présenter un démonstrateur dès le mondial de l’auto à Paris en 2014.

Nous soutenons aussi la Recherche-Développement dans les transports de demain. Une partie des 34 plans industriels, présentés la semaine dernière par le Président de la République avec Arnaud Montebourg, y est consacrée. Le Programme d’Investissements d’Avenir sera totalement mobilisé en faveur de l’innovation. Je pense aux moteurs thermiques basse consommation, à l’hybride, au tout électrique, aux biocarburants de 2ème et 3ème génération, à l’hydrogène, au biogaz, y compris pour les véhicules lourds et les bus.

En parallèle de ces mesures de consommation plus raisonnée, nous avons également besoin de faire évoluer notre mix énergétique.

Le Président de la République a rappelé hier notre objectif . Il a notamment fixé le cap de 50% de part du nucléaire à l’horizon 2025. Cela suppose de développer fortement nos énergies renouvelables. Elles n’ont cependant pas toutes la même maturité. Nous orienterons donc notre action en fonction du potentiel de chaque type d’énergie, de chaque territoire et de nos capacités de financement. Mais toutes ces énergies ont leur place dans le mix électrique.

Ce travail se fera en concertation avec les filières. C’est un devoir de visibilité auprès des industriels. C’est aussi une condition pour garantir l’efficacité économique et environnementale de ces politiques publiques.

Cette transition énergétique suppose évidemment des moyens économiques et financiers. C’est la clé du succès.

Tout changement est coûteux à court terme, même s’il est bénéfique à long terme. Aujourd’hui, des moyens importants sont consacrés à la transition énergétique : chaque année, près de quatre milliards d’euros financent les énergies renouvelables. Un milliard d’euros est consacré aux actions de rénovation de l’habitat.

Nous devons aller encore plus loin :

— nous dégagerons, dès 2016, 1 milliard d’euros supplémentaire de la contribution climat énergie – j’y reviendrai –.

— nous mobiliserons également une partie des gains financiers perçus sur le parc nucléaire existant. Pendant toute la durée de vie restante de nos centrales, et tout en assurant une sécurité maximale, notre parc nucléaire sera mis à contribution, sans rupture d’approvisionnement.

Les énergies fossiles et nucléaires seront donc mobilisées pour atteindre nos objectifs de transition énergétique. Tous ces financements seront soumis à une gouvernance organisée par l’État dans le cadre de la loi de transition énergétique. C’est là le rôle de l’État stratège.

Le Président de la République a annoncé hier la mise en place d’une Contribution Climat Énergie dans le projet de loi de finances 2014. Elle sera adoptée mercredi en Conseil des ministres.

Son fonctionnement est simple : une partie des taxes intérieures de consommation sur les carburants et les combustibles fossiles sera calculée en fonction des émissions de CO2 que dégage leur utilisation. Cela concernera l’essence, le gazole, le charbon et la houille, le gaz naturel ainsi que le fioul lourd et domestique.

J’ai souhaité que cette réforme soit très progressive. Elle respectera notre engagement de stabilité des prélèvements obligatoires. En 2014, première année de mise en œuvre, l’impact de cette composante carbone sur les carburants et le fioul domestique sera nul. Cette mesure représentera 2,5 milliards d’euros en 2015 et 4 milliards en 2016.

Le Gouvernement s’engage en même temps à ce que les professionnels du transport et de la pêche, fortement exposés, gardent leurs exonérations. Les industriels soumis aux quotas de CO2 conserveront eux, leur système.

Telle est la proposition que nous présenterons mercredi prochain dans le projet de loi de finances en Conseil des ministres. Elle donnera lieu à un débat parlementaire que je souhaite responsable et transparent. C’est la condition de son succès.

Tout au long de cette transition, le Gouvernement sera attentif à la situation des Français, notamment les plus modestes, ceux qui souvent s’inquiètent de ces changements. Il faut les rassurer et pas seulement avec des paroles. Nous avons déjà étendu les tarifs sociaux de l’énergie de 1 à 4 millions de foyers. Nous avons interdit les coupures d’électricité et de gaz pendant l’hiver. Nous travaillerons rapidement aux mesures les plus justes pour renforcer encore le soutien social à nos concitoyens.

Au total, avec la rénovation thermique, c’est un milliard et demi d’euros qui seront dès l’an prochain redistribués aux ménages.

Les entreprises devront, elles aussi, être accompagnées. D’abord dans leur effort de mutation technologique. Plus de la moitié des 12 milliards d’euros d’investissements d’avenir relèvera de critères d’éco conditionnalité plaçant l’énergie et l’environnement au cœur de nos choix. Nous veillerons également à la situation particulière des industries électro-intensives.

Il s’agit de mobiliser l’ensemble des financements publics et privés. De nouvelles sources de financements seront examinées lors de la conférence bancaire et financière annoncée hier par le Président de la République.

Tous ces moyens nous permettront de gagner la bataille de la protection de l’environnement, mais aussi celle de la croissance, de la compétitivité et de l’emploi. Le Gouvernement s’y consacre entièrement, mais il ne réussira pas seul. C’est l’ensemble des acteurs économiques et sociaux qui doivent se mobiliser pour relever ce défi.

* * *

Comme la transition énergétique, la transition écologique est une politique globale qui suppose tout autant d’ambition.

Pour moi, la nature n’est pas un musée. Les écosystèmes évoluent sans cesse. Ils ont leur dynamique, tout comme les activités humaines. Cela ne nous autorise pas pour autant à détériorer notre ressource : la France doit valoriser son capital et sa biodiversité de manière plus résolue et plus efficace.

Cette conception, ma conception, ouvre la voie à deux principes : la conciliation apaisée entre les activités humaines et l’environnement, et le principe de proportionnalité de nos normes par rapport aux régulations qu’elles garantissent.

Nous avons déjà engrangé des résultats cette année. Dans le cadre de la nouvelle PAC négociée par Stéphane Le Foll, 30% des montants alloués seront désormais soumis à des critères environnementaux. Le FEADER sera décentralisé aux conseils régionaux pour traiter les questions agro-environnementales au plus près des enjeux réels des territoires. Le projet de loi accès au logement et urbanisme rénové, ainsi que les ordonnances que porte Cécile Duflot pour densifier la ville, et bientôt le projet de loi d’avenir agricole, freineront l’artificialisation des sols pour la protection des espaces. Deux projets de loi structurants seront déposés au parlement début 2014, portés par Philippe Martin. Le premier relatif à la biodiversité -c’était un de nos engagements de l’an passé- et le second relatif au code minier.

Si les lois et règlements protègent, ils doivent être revisités partout où ils ont perdu de leur lisibilité. Les Etats Généraux de Modernisation du Droit de l’Environnement, actuellement en cours, sont une étape essentielle. Le code de l’environnement doit être plus simple et plus efficace. Il doit faire primer les résultats sur les procédures.

Nous avons fait heureusement des progrès depuis les années 1970. Les politiques environnementales sont aujourd’hui plus intégrées mais plus complexes. Il faut donc aller vers un droit simplifié tout en innovant. C’est ainsi que le Gouvernement travaille à la reconnaissance juridique du « préjudice écologique ». Christiane Taubira et Philippe Martin préparent actuellement un texte qui transcrira en droit positif cette notion. L’indemnisation des dommages causés à la nature par des pollutions comme celle de l’Erika constituera une avancée majeure pour notre pays.

Nous sommes aussi attentifs aux dommages sur la santé de nos concitoyens. Vous l’avez évoqué dans le compte- rendu des tables rondes, un nouveau plan santé-environnement sera formalisé courant 2014.

Mesdames et Messieurs, vous avez ouvert aujourd’hui de nouveaux chantiers à l’occasion de cinq tables rondes. Ils concernent l’éducation, la formation et l’emploi, la biodiversité marine, l’eau et l’économie circulaire. Sans reprendre toutes leurs conclusions, je veux vous faire part de quelques orientations que je retiens.

Une des premières conclusions est qu’il faut continuer nos efforts de préservation des espèces et des milieux naturels.

Du retard a été accumulé dans la protection des espèces les plus menacées, notamment dans la transcription du droit communautaire. Il sera comblé dès l’année prochaine. Nous gèrerons également mieux nos sites patrimoniaux. D’ici 3 ans, un tiers des mangroves des outre-mer seront placées sous la protection du conservatoire du littoral.

Pour la première fois, la France a soutenu la mise en œuvre d’une politique communautaire de la pêche durable. Il s’agit d’une avancée majeure, conduite dans le dialogue par Frédéric Cuvillier. Allons plus loin : je suis favorable à ce que la France participe activement aux discussions communautaires pour mieux connaître et encadrer la pêche en eaux profondes. Tout comme je soutiens l’engagement rapide de négociations pour un accord multilatéral qui créera un outil juridique de protection de la biodiversité en haute mer.

Le Comité interministériel de la Mer, que je présiderai début décembre prochain, sera l’occasion d’ouvrir, dans la concertation, la question importante de la planification des usages de l’espace maritime.

Enfin, après un an de travaux, je vous confirme la création de l’agence de la biodiversité en 2014. Son préfigurateur sera désigné cet automne. Elle nous permettra de mieux structurer notre connaissance ainsi que nos moyens d’expertise pour l’eau et la biodiversité. Elle facilitera la gestion des réserves et des parcs terrestres et marins. Surtout, elle apportera son appui à la gestion des milieux ordinaires en lien avec les collectivités locales.

Avec cette agence, nous construirons un opérateur pour l’action, qui portera concrètement les ambitions de la stratégie nationale de la biodiversité. Elle disposera de tous les moyens financiers et humains pour développer son action. Mais je vais au-delà puisque j’ai décidé, par ailleurs, de lui consacrer une partie de l’enveloppe du PIA pour l’innovation en faveur de la nature. Ce n’est pas une agence de plus. Il faut qu'’elle soit utile.

L’eau douce est également un bien précieux, dont seulement 40% est aujourd’hui en bon état écologique.

En ville, la gestion des eaux pluviales devra être améliorée pour éviter les pollutions de nos rivières ainsi que les inondations. Je souhaite aussi que l’application des normes d’assainissement non collectif soit revue, car elles découragent son développement et incitent parfois au suréquipement des Français.

Nous devons aller vers la suppression des produits phytosanitaires en ville. Des démarches ont été entamées : il faut les amplifier. À l’horizon de 10 ans, nous devrons être capables d’éliminer les algues vertes. Il n’y a pas qu’en matière d’énergie que nous fixons des caps ambitieux.

À plus court terme, les agriculteurs seront encouragés à des pratiques plus durables, particulièrement sur les aires de captages :

— la TVA sur les engrais augmentera dans le PLF 2014.

— 1 000 captages (deux fois plus qu’aujourd’hui) bénéficieront d'ici 2015 d'un dispositif de protection, notamment grâce au développement de l’agriculture biologique.

La consommation d’eau potable doit être également mieux maîtrisée. L’usager doit être mieux informé de son volume de consommation. Chaque foyer paie aujourd’hui 430€ d’eau par an. Le Gouvernement engagera un travail sur ce point avec les collectivités locales et les professionnels. Je sais pouvoir compter sur nos opérateurs de l’eau, dont le savoir-faire est mondialement reconnu.

Enfin, un nouveau chantier a été ouvert par cette conférence : celui de l’économie circulaire.

La France produit environ 5 tonnes et demi de déchets par habitant et par an. Aujourd’hui, notre taux de recyclage global stagne.

La mise en place d’un nouveau modèle qui minimise les déchets, et qui les réemploie mieux, est accessible et rentable, productrice de valeur ajoutée et d’emploi. Je l’ai constaté avant-hier à Arras, en visitant l’unique entreprise française spécialisée dans le recyclage de pneus, qui est performante. La table-ronde a été productive de mesures concrètes. Maintenant c’est à la filière de se mobiliser, totalement.

Minimiser les déchets, c’est d’abord mieux trier. C’est vrai pour les entreprises qui doivent mieux gérer leurs flux. C’est vrai pour les ménages, que nous devons amener à trier davantage et plus efficacement. Le ministère de l’écologie engagera une concertation avec les collectivités locales. Il s’agira d’harmoniser progressivement certaines conditions de tri et de collecte. Minimiser les déchets, c’est aussi éco-concevoir. Les outils sont actuellement mis en place pour développer ces processus dans les entreprises.

Développer l’économie circulaire nous conduit à mieux organiser les filières de recyclage et les filières d’incorporation. Nous renforcerons le pilotage, la gouvernance et la mobilisation des éco-organismes. La France n'organise aujourd’hui que le cycle des déchets. Elle devra organiser demain les flux de matériaux pour de meilleures synergies avec les industries qui les utilisent. Ces flux devront s’organiser au niveau régional.

Développer l’économie circulaire, c’est enfin prolonger la durée de vie des objets et des matériaux. C’est lutter contre l’obsolescence programmée qui contraint aujourd’hui le consommateur à jeter trop vite. Le projet de loi sur la consommation, porté par Benoit Hamon, est en train de modifier notre législation pour lutter contre cette pratique.

Ne perdons pas de temps pour organiser ce modèle de l’économie circulaire. Captons les initiatives. Faisons confiance aux acteurs territoriaux et appuyons-nous sur le dynamisme des filières. Les nouveaux contrats de plan y aideront. C’est un enjeu majeur pour l’emploi.

Mesdames et Messieurs,

La transition de notre modèle de développement n’est pas un horizon théorique. C’est une série de choix permanents que nous devons faire chaque jour et qui engagent, dès à présent, tous nos comportements. C’est un défi pour notre jeunesse, pour la former, pour la sensibiliser, la responsabiliser. Le chantier de la refondation de l’école, mais aussi la mobilisation du tissu associatif, y joueront un rôle décisif.

L’enjeu n’est pas de rechercher une rupture, toujours éphémère et trop vite oubliée voire reniée, mais bien d’enclencher une dynamique de changement continue et irréversible.

C’est le sens de la feuille de route qui vous sera transmise dans les prochains jours. Comme celle de l’an dernier, elle fixera des priorités de travail précises, et comme l’an dernier, le Gouvernement s’y tiendra.

Nous abordons l’année qui vient avec des réponses concrètes. L’enjeu est de conduire la transformation de notre modèle économique et social dans le respect de la justice et du bien-être de chacun.

Ma vision de la transition écologique est une vision progressiste et démocratique. La performance économique, la protection de l’environnement et la justice sociale ne s’opposent pas. Elles doivent avancer ensemble, au service des hommes et avec eux.

C’est dans le respect de cette exigence que se jouera le succès de la transition écologique auprès des Français. C’est sur notre capacité à relever ce défi que nous serons jugés. C’est le sens de la politique que nous menons. C’est le nouveau modèle français que nous construisons.

Un immense chantier s’est ouvert. Un chantier positif, fondateur, rassembleur et porteur d’une dynamique de progrès pour tous. La France a la capacité de porter cette ambition.

Et vous pouvez compter sur mon Gouvernement pour y consacrer toute son énergie et prendre toutes ses responsabilités à vos côtés.

Je vous remercie. »

ANNEXE N° 6 :
Synthèse des travaux du débat national sur la transition énergétique de la France, présentée par le Conseil national du débat,
juillet 2013

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1 () La KfW (anciennement Kreditanstalt für Wiederaufbau), équivalent allemand de notre Caisse des dépôts en Allemagne, finance la rénovation énergétique des bâtiments dans le cadre de sa mission générale de promotion de la protection de l'environnement et du climat.

Son intervention garantit le meilleur niveau de performance énergétique par un mécanisme combinant aide et contrôle à deux niveaux :

- en amont, un prêt est accordé sous réserve de l’avis d’un expert indépendant désigné par une administration fédérale, à savoir le Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle, département dépendant du ministère de l’Économie et de la Technologie ;

- en aval, des subventions en remboursement au prêt sont accordées une fois les travaux terminés, en fonction du niveau d’efficacité atteint. Ce niveau est certifié par un expert qualifié et habilité par la même administration fédérale.

2 () Pour une consommation des ménages de 1 130 milliards d’euros en 2012, cela représente un déplacement de plusieurs points de pourcentage, c’est-à-dire, selon les dernières données de l’INSEE, l’équivalent, en ordre de grandeur, de la dépense pour plusieurs segments de consommation comme les loisirs (8,4 %), les meubles (5,8 %), l’habillement (4,3 %), la santé (3,9 %), l’alcool et le tabac (3,2 %), les communications (2,6 %), l’éducation (0,8 %).

3 () Selon la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité pour la période 2009-2020, on comptait une seule centrale à cycle combiné à gaz en France en 2009, située à Dunkerque. Depuis lors, une vingtaine de constructions ont été autorisées. Trois unités nouvelles sont entrées en service en 2012 et début 2013. Deux unités supplémentaires seront opérationnelles à l’horizon 2016-2017.

4 () « Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels », rapport d’étape de M. Christian Bataille, député, et de
M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, n° 1115 (Assemblée nationale), n° 640, juin 2013.

5 () En Allemagne, Audi a construit une première installation industrielle de méthanation qui devrait entrer en exploitation dans les prochains mois.

6 () Ce chiffre correspond à la production annuelle d’électricité, soit 541,4 TWh en 2012, rapportée à une année de 365 x 24 heures. On vérifie que le parc nucléaire, avec une production de 404,9 TWh, contribue aujourd’hui pour près des trois-quarts à cette capacité annuelle moyenne.

7 () Dans son rapport de juillet 2013 sur « La politique de développement des énergies renouvelables », la Cour des comptes a fourni, sur la base de données de l'Ademe, les évaluations de coûts de production suivantes : 62 à 116 €/MWh pour l'éolien, 94 à 689 €/MWh pour le solaire, 61 à 241 €/MWh pour la méthanisation, 56 à 223 €/MWh pour la biomasse et 50 à 127 €/MWh pour la géothermie. Pour l’électricité nucléaire, elle a estimé, dans son rapport de janvier 2012 sur « Les coûts de la filière électronucléaire », le coût de production à 49,5 € le MWh en 2011 pour le parc de centrales actuelles. Dans le cas du futur EPR, elle a rappelé que la fourchette la plus souvent citée était de 70 à 90 €/MWh, tout en marquant qu’elle s’appliquait à l’EPR de Flamanville, ce dernier n’étant pas un exemplaire de série.

8 () Dans son rapport de 2012 intitulé "Nuclear Energy end Renewables : System effects in low carbon Electricity Systems", l'OCDE/AEN fournit pour quelques pays, dont la France, une évaluation des coûts d'intégration au réseau électrique des différentes sources d'énergie, en prenant en compte non seulement le raccordement au réseau, mais aussi les extensions et renforcements nécessaires, l'équilibrage à court terme et la gestion à long terme de l'adéquation entre offre et demande. En France, si pour les énergies anciennes, telles le gaz, le charbon ou l’énergie nucléaire, ce coût est inférieur à 3 USD par MW, il est supérieur à 20 USD par MWh pour l'éolien terrestre, 30 USD par MWh pour l'éolien en mer et 40 USD par MWh pour le solaire.


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