N° 2968 - Rapport de MM. Jean-Yves Le Déaut, Christian Bataille et Bruno Sido, établi au nom de cet office, sur Le contrôle des équipements sous pression nucléaires : le cas de la cuve du réacteur EPR



N° 2968

 

N° 613

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2014 - 2015

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 9 juillet 2015

 

le 9 juillet 2015

LE CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES :

LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR

Compte rendu de l’audition publique du 25 juin 2015
et de la présentation des conclusions du 8 juillet 2015

par

M. Jean-Yves LE DÉAUT, M. Christian BATAILLE, députés, et M. Bruno SIDO, sénateur


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Premier vice-président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Premier vice-président

M. Bruno SIDO, sénateur

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Françoise GUÉGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

M. Jacques LAMBLIN

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Patrick ABATE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Marie-Christine BLANDIN

M. François COMMEINHES

M. Roland COURTEAU

Mme Dominique GILLOT

M. Alain HOUPERT

Mme Fabienne KELLER

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Gérard LONGUET

M. Jean-Pierre MASSERET

M. Pierre MÉDEVIELLE

M. Christian NAMY

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. 7

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST 9

M. Christian Bataille, député, vice-président. 11

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES 13

Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST 13

Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique 13

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) 13

M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. 16

M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) 19

Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN). 21

M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP). 24

DÉBAT 26

II. SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR 31

Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST 31

Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique 31

M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain 31

M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva 33

M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3 37

M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN) 40

M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) 42

M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l'énergie nucléaire, Commission à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) 45

DÉBAT 48

CONCLUSION 61

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST 61

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 8 JUILLET 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE 63

ANNEXE : CONTRIBUTION DE MME MARIE-CHRISTINE BLANDIN, SÉNATRICE, ET DE M. DENIS BAUPIN, DÉPUTÉ 67

INTRODUCTION

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. - Mesdames, Messieurs, chers collègues. Je vous remercie d’être venus aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour participer à cette audition publique ouverte à la presse, consacrée au contrôle des équipements sous pression nucléaires, et tout spécialement au cas de la cuve du réacteur à eau pressurisé EPR de Flamanville.

Je veux d’abord remercier notre collègue député et vice-président de l’Office, Christian Bataille, de nous avoir proposé l’organisation de cette audition qui concerne un sujet en lui-même particulièrement sensible, puisqu’il s’agit d’examiner les modalités de contrôle des éléments les plus cruciaux des réacteurs nucléaires. Elle constitue d’ailleurs le prolongement logique de l’audition du 15 avril 2015 au cours de laquelle M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), que je salue et qui ouvrira dans quelques minutes les débats de la première table ronde, a appelé l’attention de la représentation nationale sur le défaut qui nous intéresse aujourd’hui et plus généralement sur la difficulté, pour les acteurs de la filière nucléaire, à répondre à certaines exigences réglementaires renforcées.

En tant qu’organe commun aux deux assemblées, chargé d’informer le Parlement sur les problèmes d’ordres scientifique et technologique, notre Office est bien entendu particulièrement bien placé pour examiner cette question. Depuis sa création voici trente-deux ans – nous fêterons cette année la publication de son premier rapport il y a trente ans sur les pluies acides – notre Office a consacré plus d’une quinzaine d’études à des sujets touchant directement au contrôle de la sûreté et de la sécurité nucléaires, ou à sa transparence.

La dernière en date a été menée par mes deux voisins, Bruno Sido, premier vice-président, et Christian Bataille, vice-président de l’Office, dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir. Cette mission faisait suite à une saisine commune des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, après l’accident de Fukushima. En novembre 2014, j’ai organisé une audition publique sur les problèmes de sécurité posés par le survol des centrales nucléaires par des drones. Celle-ci a permis de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés : pouvoirs publics, industriels et laboratoires. Elle a conduit à des avancées tangibles, avec la concrétisation d’une politique de recherche dans un domaine qui constitue, dès à présent, un marché porteur. J’espère que l’audition d’aujourd’hui produira un résultat tout aussi positif.

Je voudrais revenir, pour éclairer nos débats, sur deux rapports de l’Office, publiés voici vingt-quatre et dix-sept ans par mon prédécesseur au poste de président de l’Office, le député Claude Birraux. Comme ce dernier, je faisais partie, avec Christian Bataille et quelques autres, de ceux qui se sont inquiétés, dès 1991, des conséquences, sur le plan de la maîtrise industrielle et technologique, d’une interruption prolongée de la construction de centrales nucléaires et de l’absence de visibilité sur la politique industrielle à long terme dans ce domaine. Vous pouvez consulter ces rapports sur les pages de l’Office des sites de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Après avoir écouté, suivant la démarche habituelle de l’Office, l’ensemble des acteurs concernés, le premier de ces deux rapports concluait à la nécessité d’engager, au plus tard en 1998, la construction d’un réacteur de nouvelle génération. Cette recommandation visait à trouver un compromis entre les nécessités du maintien de la performance de l’outil industriel et les contraintes de rentabilité d’EDF, déjà confrontée à une stagnation de la demande en électricité. À cet égard, Claude Birraux en appelait à la responsabilité des grands clients
vis-à-vis de leurs fournisseurs stratégiques. Nous constations aussi l’absence de clarification sur la politique industrielle et alertions sur les conséquences de l’absence de planification qui risquait de conduire à une catastrophe industrielle.

Par ailleurs, Claude Birraux relevait qu’il fallait tirer les conséquences de l’absence de certitude sur la possibilité de prolonger au-delà de quarante ans, dans des conditions économiquement acceptables, la vie de l’ensemble des réacteurs du parc. Il revient, en effet, à l’Autorité de sûreté nucléaire d’examiner, au cas par cas, la situation de chacune de ces installations, au regard d’exigences de sûreté, qui, conformément à la politique nationale en la matière, sont en permanence relevées, pour prendre en compte l’évolution des technologies et le retour d’expérience accumulé. Ce constat reste entièrement vrai aujourd’hui. L’autorité de sûreté nucléaire a d’ailleurs appelé l’attention des pouvoirs publics, dès avant le débat sur la transition énergétique, sur la nécessité de disposer de marges de manœuvre en termes de capacités de production.

Finalement, la construction de l’EPR de Flamanville n’a commencé qu’en 2007, soit environ quinze ans après le début de celle du dernier réacteur de la génération précédente, à Civaux. À ce jour, nous n’avons toujours pas de vision à long terme sur le parc nucléaire français. Je crois qu’il s’agit là d’un élément permettant d’expliquer une bonne part des difficultés rencontrées ces dernières années par notre filière nucléaire. Christian Bataille a également insisté, à plusieurs reprises, sur la nécessité d’anticiper, si nous voulons éviter l’effet domino de la fermeture en cascade de centrales nucléaires en fin de vie.

Je tiens à souligner que malgré ces difficultés, je garde confiance dans la capacité de nos ingénieurs et de nos chercheurs à continuer à progresser dans les sciences de l’atome et leurs applications. La filière nucléaire française reste reconnue comme l’une des toutes premières au monde, sinon la première, pour l’étendue du domaine couvert. Les défis scientifiques et industriels qui sont devant nous peuvent apparaître intimidants. Il n’en reste pas moins que notre pays, il n’y a pas si longtemps, en a relevé de plus considérables. La construction du parc nucléaire français est encore aujourd’hui regardée, de par le monde, comme un exemple probablement unique de réussite industrielle à grande échelle. Nos difficultés signifient-elles que les compétences de gestion de projets aient été perdues par EDF ?

Nous aurons l’occasion d’aborder cette question tout à l’heure. Il ne tient qu’à nous de ne pas baisser les bras et de relever de nouveaux défis. S’agissant de l’enjeu en termes d’emplois, je rappellerai quelques chiffres concernant le seul Framatome, aujourd’hui intégré à Areva, qui a été créé en 1958 avec 12 salariés, en comptait 4 000 en 1979 et 14 300 en 1989.

Je vais à présent donner la parole à notre premier vice-président Bruno Sido, et au vice-président Christian Bataille, qui vont dire quelques mots d’introduction, avant de présider au déroulement de cette audition, avec l’appui scientifique du Haut-commissaire à l’énergie atomique, M. Yves Bréchet, qui est aussi membre de l’Académie des sciences et un spécialiste internationalement reconnu en sciences des matériaux.

Je vous demanderais de respecter le temps de parole accordé. Nous aurons, par la suite, un certain nombre de questions à poser. Vous pourrez, bien sûr, intervenir à nouveau à cette occasion, tout comme nos collègues parlementaires présents. Ils peuvent le faire de manière réactive, à condition que cela se justifie et que les questions, comme les réponses, soient brèves.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. Comme vient de vous l’indiquer le président de l’Office, dès que nous avons appris les difficultés de construction de la cuve du réacteur EPR de Flamanville, nous nous sommes concertés, afin d’organiser au plus tôt la présente audition publique destinée à faire le point sur une question qui ne peut laisser personne indifférent, surtout pas l’Office. Tout d’abord, pour des raisons évidentes, la sécurité et la sûreté nucléaire ont toujours été considérées comme prioritaires par l’Office. Ensuite, il apparaissait nécessaire de faire le point, au plus tôt, sur la réalité, l’ampleur et les conséquences des faits signalés par l’Autorité de sûreté nucléaire, sans qu’il puisse être dit que les parlementaires de l’Office auraient négligé de pousser leurs investigations autant qu’ils le pouvaient, quand bien même nous nous trouvons à la veille de l’été.

Si j’ai bien compris, contrairement à ce qui est répété çà et là, il ne s’agit pas vraiment d’une fissure, mais plutôt de la constatation d’une présence de carbone en quantité trop importante dans l’acier du fond de cuve, comme dans celui de son couvercle. Cela entraîne l’absence d’homogénéité de ces parties de près de vingt centimètres d’épaisseur, ce qui risque, ultérieurement, d’entraîner des fissures, alors que la cuve contient le combustible nucléaire et participe à la seconde barrière de confinement de la radioactivité.

Il a été dit que de nouveaux tests allaient être conduits, pour apprécier la réalité et l’importance de ce phénomène. Ils devraient pouvoir l’être, semble-t-il, durant l’été. Je m’en tiendrai, sur ce point, à une position de bon sens, consistant à supposer que, en l’attente de la réalisation desdits tests et de l’analyse de leurs résultats, les travaux en cours vont être interrompus. Cela semble à la fois raisonnable, pour des raisons de solidité des structures en cause, et pour des raisons de coût. Il faudrait s’assurer que les travaux menés jusqu’aux résultats des tests ne risquent pas d’être remis en question par la suite. Sinon, cela entraînerait des coûts, non seulement supplémentaires, mais, de plus, parfaitement inutiles.

Nous voici à la croisée des chemins concernant cette question essentielle. Tous les acteurs sont aujourd’hui réunis dans cette salle pour apporter, avec bonne foi et un maximum de clarté, leurs lumières sur la situation et leurs points de vue, qui peuvent être sensiblement différents, compte tenu des angles d’approche liés à leurs positions respectives. Je sais que certaines personnes présentes sont inquiètes tandis que d’autres, plus optimistes, estiment nécessaire de continuer à aller de l’avant. C’est sur cette différence d’appréciation, à justifier par des éléments techniques, que nous devons aujourd’hui nous faire une opinion étayée, permettant, peut-être, de rassurer les uns, ou de freiner les autres dans leurs ardeurs. Il est, en tout cas, exclu qu’un compromis soit recherché, puisque vous savez que l’Office parlementaire a toujours choisi d’analyser à fond les problématiques des questions scientifiques et technologiques pour que le choix de l’énergie nucléaire ne soit, en aucun cas, un risque non analysé voire une cause de danger non maîtrisé pour nos concitoyens.

J’encourage donc les intervenants présents, les parlementaires, le public et les journalistes, à s’exprimer avec franchise et précision, en espérant que les deux débats prévus, en commençant par celui qui clôturera la première table ronde, puissent être constructifs. Je rappelle d’ailleurs à chacun que la présente audition publique fera l’objet à la fois d’un compte rendu exhaustif et d’une captation audiovisuelle. Je me réserve le droit de rappeler les règles du jeu au cours de la première table ronde. Je viens de les définir en indiquant mon attachement au dialogue de chaque instant, entre acteurs responsables, pour l’édification d’un équipement aussi sensible et qui doit être emblématique du savoir-faire technique français qui inclut une analyse exigeante du risque.

En vous remerciant de votre attention et de votre volonté de dialoguer de manière constructive, je vous indique que je serai aidé dans l’atteinte de cet objectif par un grand témoin, en la personne de M. Yves Bréchet, haut-commissaire à l’énergie atomique, dont chacun connaît, et j’espère apprécie, la compétence et le franc-parler. Je le remercie particulièrement d’avoir accepté ce rôle cet après-midi. Cela n’est certainement pas facile, mais je suis certain qu’il saura parfaitement le tenir.

Je vous prie de m’excuser de ne pas pouvoir être présent jusqu’à la fin extrême de nos débats. Ils seront conclus par le président Jean-Yves Le Déaut et le vice-président Christian Bataille, présents tout l’après-midi, tous deux députés et fins connaisseurs des questions liées au nucléaire. Croyez bien que je prendrai connaissance ultérieurement, avec le plus grand intérêt, de la suite de vos échanges. Je cède la parole à Christian Bataille.

M. Christian Bataille, député, vice-président. - Je voudrais remercier tous les intervenants ici présents, qui ont accepté de prendre sur leur temps et de modifier leur organisation pour venir cet après-midi éclairer les parlementaires de l’Office, et, plus largement, grâce au relais de la presse, nos concitoyens. Si je ne devais en citer qu’un seul, il me serait difficile de ne pas tous les mentionner. Je me bornerai simplement à saluer deux intervenants qui sont venus de l’étranger, en dépit du désordre de nos transports : M. Dominique Delattre, du département de la sûreté et de la sécurité nucléaires de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), basée à Vienne, et M. Thomas Pardoen, professeur à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.

Si j’ai décidé de demander au bureau de l’Office parlementaire d’organiser cette audition, c’est que les difficultés de fabrication de la cuve de l’EPR ont connu un écho considérable en France et également à l’étranger. Je l’ai constaté au travers de la revue de presse. La plupart des grands supports de presse de réputation internationale auxquels vous pourriez penser ont consacré au moins un article, parfois deux, à ce sujet. La plupart font d’ailleurs référence à l’audition qui a été organisée par notre Office le 15 avril 2015, à l’occasion de la présentation du rapport annuel de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Il ne faut pas nous bercer d’illusions. Si certains pays, tels que la Chine, l’Inde ou le Japon sont pour nous, à l’heure actuelle, avant tout des partenaires dans le domaine nucléaire, d’autres sont, de manière avouée ou inavouée, nos concurrents, et n’hésitent pas à tirer tout le profit possible de nos difficultés du moment. Ce profit est considérable, compte tenu des besoins énergétiques au niveau mondial.

Je pense que cette audition nous permettra de démontrer que la filière nucléaire française dispose des moyens nécessaires pour surmonter ces problèmes, même si, comme vient de l’expliquer le président Jean-Yves Le Déaut, la période d’attentisme dans la construction de notre premier réacteur de troisième génération représente, nous le sentons bien, un obstacle non négligeable, dont nous n’avons pas fini de sentir les effets.

À cet égard, dans un rapport de 2003 sur la durée de vie des centrales nucléaires et des nouveaux types de réacteurs, j’étais revenu avec mon
co-rapporteur, Claude Birraux, sur les incertitudes de la prolongation, au-delà de quarante ans, de la durée de vie des réacteurs nucléaires. Nous avions, par conséquent, préconisé d’engager la construction d’un réacteur EPR dans les délais les plus brefs. Nous avions également annoncé que cette construction présenterait probablement des difficultés, compte tenu du temps conséquent qui s’était écoulé depuis la construction du précédent réacteur de Civaux, et d’une perte de savoir-faire et de pratiques parfois élémentaires.

Je suis revenu, avec le sénateur Bruno Sido, sur ce sujet du renouvellement du parc nucléaire. Dans un rapport sur l’avenir de la filière nucléaire, présenté en 2011, nous avons proposé, en conclusion, une trajectoire raisonnée de remplacement progressif des réacteurs actuels, correspondant d’ailleurs aux préconisations de réduction de la part de l’énergie nucléaire formulées, en 2012, par le nouveau gouvernement. À cette occasion, nous avions notamment souligné les risques de démobilisation résultant d’un manque de stratégie bien définie dans ce domaine. Nous en sommes, hélas, toujours là.

J’ajouterai à ces propos une remarque sur le défi supplémentaire résultant d’une caractéristique propre à l’EPR, fruit d’une coopération industrielle franco-allemande : la puissance de ce réacteur. Les exigences de sûreté de l’EPR sont d’ailleurs plus allemandes que françaises. Sa puissance est supérieure à celle des derniers réacteurs de deuxième génération construits en France, ceux du palier N4, que je citais à l’instant. Le retour d’expérience nous a conduits à constater que les coûts d’exploitation d’un réacteur restent pratiquement constants, quelle que soit sa puissance, mais les contraintes auxquelles se trouve soumise la cuve du réacteur EPR, et la taille de cette dernière, sont augmentées. Compte tenu de la maîtrise technologique de nos ingénieurs et industriels de l’époque, ces exigences supplémentaires ne leur étaient sans doute pas apparues majeures. Elles viennent, vingt ans plus tard, renforcer les handicaps nés de l’attentisme que le président Jean-Yves Le Déaut a mentionnés. Je n’y reviens pas.

Je voudrais rappeler, avant de passer à la phase suivante, la manière dont cette audition publique va se dérouler. L’objectif de la première table ronde sera de montrer comment le contrôle, au sens le plus large, de ces équipements particulièrement cruciaux dans un réacteur que sont les équipements sous pression nucléaires, ou ESPN, est organisé.

La seconde table ronde visera, quant à elle, à faire le point sur les défauts de fabrication identifiés sur la cuve de l’EPR. Nous n’évoquerons pas, a priori, les autres problèmes apparus ces dernières semaines, par exemple sur certaines soudures. Leur signalement par EDF, puis leur correction, fait partie d’un processus normal du contrôle de qualité d’une installation en cours de construction, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Chaque table ronde sera suivie d’un débat, dans les conditions que le président Le Déaut a décrites, d’abord entre les intervenants, y compris le cas échéant ceux de l’autre table ronde, puisqu’il s’agit justement dans nos auditions de confronter les points de vue. Ce sont ensuite les députés et les sénateurs qui pourront poser leurs questions. Je ne rappelle pas les règles de synthèse et de laconisme que le président Jean-Yves Le Déaut a énoncées. Nous donnerons ensuite la parole au public et à la presse.

Je passe la main à notre premier vice-président, le sénateur Bruno Sido, qui va reprendre la parole pour amorcer la première table ronde. Il aura à ses côtés le Haut-commissaire à l’énergie atomique, M. Yves Bréchet, que je salue et que je remercie de nous consacrer son après-midi.

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : LES MODALITÉS DU CONTRÔLE DES ÉQUIPEMENTS SOUS PRESSION NUCLÉAIRES

Présidence : M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST

Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique

M. Bruno Sido. - Nous en venons à la première partie de cette audition. Elle est consacrée aux modalités de contrôle des équipements sous pression nucléaires. Il s’agit en effet des équipements les plus sensibles dans un réacteur nucléaire et ceux soumis aux plus fortes contraintes. Il apparaît donc nécessaire qu’ils bénéficient du plus haut niveau possible de contrôle. Ce contrôle est bien entendu exercé par l’Autorité de sûreté nucléaire, sur la base de réglementations qu’elle a elle-même largement contribué à élaborer. C’est M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, qui va nous présenter la façon dont celle-ci assure le contrôle de ces équipements particuliers. Par la même occasion, il va revenir sur la question plus précise qu’il avait déjà évoquée devant nous le 15 avril 2015, pour faire un point sur ce sujet. Je lui donne la parole pour une dizaine de minutes.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Je voudrais d’abord remercier l’Office parlementaire de l’organisation du présent débat public. La sûreté nucléaire est un enjeu public et un bien public. Elle exige, chaque fois que nécessaire, d’organiser des débats non moins publics, ce d’autant plus que les affaires traitées sont importantes ou complexes. Nous nous y attachons, et cela nous paraît extrêmement important. C’est d’autant plus vrai pour cette anomalie qui touche aux calottes de la cuve de l’EPR. Elle a suscité un certain nombre de commentaires, voire de l’émoi, dès lors que nous l’avons rendue publique.

Ces commentaires étaient de deux types. Un certain nombre d’entre eux ont été pleinement et publiquement assumés, d’autres beaucoup moins. Nous en avons néanmoins eu l’écho. Il me paraît extrêmement important que cette audition soit, pour l’ensemble des parties prenantes, l’occasion de dire clairement et publiquement ce qu’elles pensent réellement du sujet. La clarté s’impose en matière de sûreté nucléaire. Pour sa part, l’ASN a été claire. Elle a rendu l’anomalie publique dès qu’elle en a été informée par Areva. C’est conforme à notre mission et à l’objectif général poursuivi en matière de sûreté nucléaire. Les affaires qui la concernent doivent être traitées publiquement.

Dès lors que cette anomalie a été portée à notre connaissance, nous nous sommes attachés à la qualifier du mieux possible, compte tenu des informations dont nous disposions. J’ai été amené, notamment lors de l’audition organisée par l’OPECST le 15 avril 2015, à préciser que nous pouvons, à ce stade, la qualifier de sérieuse, voire de très sérieuse. Elle touche, en effet, à un composant crucial : la cuve du réacteur. Je maintiens ces propos. C’est toujours la qualification que nous pouvons attacher à cette anomalie, pour un certain nombre de raisons sur lesquelles je reviendrai. Le côté crucial du composant mérite d’être souligné.

Il est d’usage de dire que le circuit primaire principal, la cuve, le générateur de vapeur et les boucles primaires sont des composants tout à fait centraux. Je tiens à préciser que parmi l’ensemble de ces composants sous grande pression (150 bars), la cuve et le générateur de vapeur ont une caractéristique très particulière dans la démonstration de sûreté : leur rupture doit être exclue. Nous employons les mots « démonstration » et « exclusion », parce qu’un certain nombre d’accidents qui supposeraient de tels scénarios de rupture ne sont pas pris en compte dans les études d’accidents. Ils doivent donc être exclus. Cela explique énormément de choses en matière d’exigence sur ces équipements sous pression.

Nous avons qualifié cette anomalie, il reste maintenant à la traiter, comme c’est toujours le cas dès lors qu’une anomalie est détectée. C’est une anomalie sérieuse, elle doit être traitée sérieusement. Vous avez déjà mentionné le fait qu’un certain nombre d’essais complémentaires doivent être menés. Le 13 mai 2015, nous avons reçu une proposition de programme d’essais que nous sommes en train d’analyser. À l’évidence, cette analyse doit être menée avec beaucoup de rigueur, de manière à avoir la certitude que ces essais, dès lors qu’ils seront réalisés, permettront d’aboutir à une démonstration. Cette analyse est en cours. Elle prendra quelques semaines ou quelques mois. Nous nous attacherons à la finaliser le plus rapidement possible, mais avec rigueur.

Un certain nombre d’essais devront ensuite être conduits et une démonstration de sûreté devra être fournie par Areva, avant qu’un jugement final ne soit formulé par l’Autorité de sûreté nucléaire. Si nous regardons l’ensemble du calendrier, nous pouvons imaginer une prise de position de l’ASN, dans le premier semestre 2016. Nous n’en sommes pas encore à ce stade. Je ne suis pas capable d’aller plus avant. Cela dépendra de beaucoup d’éléments qui sont encore devant nous.

Concernant cette anomalie, j’ai entendu le terme, évoqué par certains, d’anomalie réglementaire. Je ne sais pas si c’est la réglementation même de l’anomalie qui est visée, et qui constituerait une réglementation anormale, ou si c’est le fait que l’anomalie serait purement de papier, et ne toucherait pas à la technique. Pour moi, il s’agit clairement d’une anomalie, comme nous en avons déjà rencontré sur le parc, et comme il y en aura sans doute encore, c’est-à-dire un écart par rapport à un certain nombre de référentiels, notamment dans la réglementation. Ce n’est cependant pas la réglementation qui est en cause.

Certains commentaires formulés en privé, rarement pleinement assumés, suggèrent que la nouvelle réglementation est, en quelque sorte, la cause du problème. J’ai rarement vu une réglementation créer un problème ou une anomalie de caractéristique de matériaux. J’ai commencé ma carrière sous l’empire de l’ancienne réglementation de 1974, en m’occupant personnellement et directement de ces mêmes sujets. Si cette anomalie avait été détectée à l’époque, avec les valeurs observées, elle aurait été qualifiée et traitée de la même manière.

Je précise que, sur un certain nombre de caractéristiques de matériaux, l’idée générale, portée par les réglementations successives, consiste à dire que nous devons avoir les meilleurs matériaux possibles. C’est évidemment un raccourci. Vous disposez des derniers textes relatifs aux équipements sous pression, dans un dossier que nous vous avons distribué. Ils sont bâtis autour de cette idée générale. Je pense que les autres participants de la table ronde reviendront sur les meilleurs matériaux possibles. Ces arrêtés, les anciens comme les nouveaux, comportent très peu de valeurs numériques. Il en existe quelques-unes, notamment pour caractériser la capacité des matériaux à résister à une déchirure, en particulier sous sollicitation mécanique et thermique.

Pour donner un chiffre, dans la nouvelle réglementation – puisque nous devons être précis –, les matériaux doivent respecter un seuil minimal d’énergie de déchirure de 60 joules. Les exigences de l’ancienne réglementation portaient sur un seuil de 56 joules. Un palier a bien été franchi. Je tiens à préciser que les valeurs d’essai mesurées révèlent, à ce stade, des valeurs qui vont, pour les plus basses, jusqu’à 36 joules. Nous ne sommes pas dans l’épaisseur du trait, à proximité des 56 ou 60 joules, mais beaucoup plus bas. C’est à ce titre que nous avons dit que l’anomalie était sérieuse, et que je dis que sous l’empire de l’ancienne réglementation, elle aurait été traitée de la même manière. Une chose est vraie dans l’expression plus qu’imprécise « anomalie réglementaire », c’est que cette anomalie a été détectée grâce à la nouvelle réglementation.

Que dit la nouvelle réglementation ? Sur le fond, elle a à peu près les mêmes exigences que la précédente concernant les matériaux. Elle prévoit trois exigences supplémentaires : une amélioration de la démonstration de la qualité des matériaux, justifiée par la nécessité d’exclure la rupture pour ce type de composants, tout particulièrement pour la cuve, un accroissement du nombre d’essais, pour une démonstration plus complète – c’est au titre de ces essais complémentaires que nous avons pu identifier l’anomalie dont nous parlons aujourd’hui – et, enfin, une augmentation des contrôles externes. Le contrôle de l’ASN est maintenu, mais il s’appuie sur des organismes agréés, ce qui a conduit à plus de contrôles externes sur le champ des fabrications. La nouvelle réglementation n’a donc pas fondamentalement changé la donne sur le plan technique.

Je voudrais ajouter que nous avons rencontré d’autres anomalies sérieuses sur l’EPR : sur les bétons et la sûreté du contrôle-commande, laquelle a fait l’objet de discussions compliquées, non seulement en France mais également avec d’autres pays directement intéressés par ce réacteur. De telles anomalies sont également survenues sur les paliers précédents. À chaque fois, nous nous sommes attachés à les rendre publiques, et, surtout, à les traiter. Pour l’EPR, nous allons rentrer dans une phase d’essais de démarrage, destinée à vérifier le bon fonctionnement des matériels. Elle sera suivie de la phase finale des essais dits de qualification, portant notamment sur le comportement d’un certain nombre de matériels dans des conditions accidentelles. Ces essais révéleront sûrement de nouvelles anomalies qui devront être traitées de la même manière. Cela fait partie de la vie normale des chantiers.

Nous parlons des difficultés de réalisation de l’EPR. Je voudrais juste évoquer la conception de l’EPR, pour dire que, en tant qu’autorité de sûreté, je me félicite des grandes options de sûreté retenues, pour les premières au début des années 1990, pour ce réacteur. Ce sont, globalement, de bonnes options de sûreté. Après Fukushima, nous avons examiné pour l’ensemble des réacteurs, y compris l’EPR, les améliorations éventuellement nécessaires. Elles sont mineures pour l’EPR. Les options de sûreté prises pour ce réacteur, bien avant Fukushima et l’attentat des Twin Towers, se sont donc avérées robustes. C’est, à mon avis, un point absolument essentiel, même si cela n’empêche pas, par ailleurs, d’évoquer les difficultés de réalisation.

M. Bruno Sido. - Je remercie le président Pierre-Franck Chevet pour cet exposé très complet, et je vais à présent donner la parole à M. Nicolas Chantrenne qui va présenter la réglementation afférente aux équipements sous pression nucléaires, réglementation qui relève de la direction générale de la Prévention des risques, dont il fait partie.

M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, direction générale de la prévention des risques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. - Mon exposé sera bref. Il visera, en complément des propos de M. Pierre-Franck Chevet, à donner une perspective sur la réglementation des équipements sous pression, parmi lesquels les équipements sous pression nucléaires, et surtout sur son évolution dans le temps, qui constitue un élément important dans ce dossier de la cuve de l’EPR.

Bien que tout le monde devine ce qu’est un équipement sous pression, je rappelle qu’il s’agit d’éléments soumis à la pression interne d’un fluide, tels que des tuyauteries, des réservoirs ou des chaudières, ainsi que d’accessoires de sécurité garantissant leur intégrité. Ce terme recouvre une gamme d’objets extrêmement large, allant de l’autocuiseur domestique à la chaudière nucléaire, en passant par des éléments intermédiaires, tels que des citernes de GPL.

À l’intérieur de cette gamme extrêmement vaste d’objets, les équipements sous pression nucléaires constituent une sous-catégorie particulière, dont la dénomination et les contours ont pu varier au cours des décennies. Dans les années 1970, ils étaient désignés en tant qu’appareils spécialement conçus en vue d’un usage nucléaire. Nous parlions déjà de circuit primaire principal et de chaudière nucléaire à eau sous pression. Des directives européennes, apparues dans les années 1990, reprenaient la terminologie d’équipements spécialement conçus pour les applications nucléaires. La loi du 13 juin 2006, relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, mentionnait des équipements spécialement conçus pour les installations nucléaires de base. La dénomination couramment usitée, depuis l’arrêté de 2005, est celle d’équipements sous pression nucléaires.

Depuis cet arrêté, les équipements sous pression nucléaires sont définis de façon précise. Il s’agit, en premier lieu, du circuit principal et des circuits secondaires principaux des chaudières nucléaires ; en second lieu, des équipements sous pression dont la défaillance peut conduire à des situations pour lesquelles le rapport de sûreté de l’installation nucléaire ne prévoit pas de mesure permettant de la ramener dans un état sûr, comme indiqué par M. Pierre-Franck Chevet – la cuve en fait partie puisque sa rupture est exclue et qu’elle n’est pas étudiée dans les scénarios d’accidents – et, en troisième lieu, d’un certain nombre d’autres équipements d'importance moindre pouvant néanmoins, en cas de rupture, provoquer des rejets de radioactivité dans l’environnement.

Les équipements sous pression, les ESPN en particulier, sont, par définition, des équipements à risque, soit du fait de leur contenu, puisqu’il peut y avoir des rejets toxiques ou radioactifs ou même des rejets de vapeur susceptible d’occasionner des brûlures, soit du fait de la pression, avec des effets de surpression, des effets missiles, etc., soit encore, s’agissant d’équipements nucléaires, du fait de leur fonctionnalité. Un équipement sous pression va, de ce fait, être soumis à des règles spécifiques lorsqu’il est extrêmement important pour la sûreté, comme c’est le cas pour la cuve du réacteur.

L’ensemble de ces éléments a conduit, depuis longtemps, à prévoir une réglementation adaptée pour la fabrication des équipements sous pression, en termes de conception, de matériaux, de procédés de fabrication, de soudures, etc. et, pour leur suivi en service, avec notamment des vérifications et des épreuves périodiques. Cette réglementation se trouvait, jusqu’en 2007, sous la responsabilité du ministère de l’Industrie, plus particulièrement de la direction générale des entreprises ainsi que, pour les équipements sous pression nucléaires, de la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Depuis 2007, le ministère de l’écologie, au travers de la direction générale de la prévention des risques, en a la charge.

Quelles ont été les grandes phases d’évolution de cette réglementation ? La réglementation antérieure aux années 2000, relativement ancienne, était fondée sur une loi de 1943, des décrets de 1926 et de 1943, ainsi que sur une série d’arrêtés, pour différentes catégories d’équipements, notamment un arrêté de 1974 pour la fabrication des chaudières nucléaires.

Cet arrêté de 1974, précédemment cité par M. Pierre-Franck Chevet, incluait déjà des exigences de conception, avec quelques valeurs chiffrées, en termes de coefficient de sécurité pour les épaisseurs de matériaux, en fonction des situations auxquelles ces équipements étaient soumis. Cet arrêté comprenait un petit nombre d’exigences chiffrées, notamment la valeur de résilience de 56 joules mentionnée. Il prévoyait déjà des dossiers démontrant la conformité des pièces fabriquées. Il abordait l’ensemble de ces sujets suivant une pratique consistant, à l’époque, à réaliser les contrôles finaux de fabrication et de qualité sur un certain nombre de zones bien déterminées, appelées zones de recettes.

Autour des années 2000, une rénovation globale des textes réglementaires est intervenue sous l’impulsion d’une directive européenne de 1997 relative aux équipements sous pression. Cette directive introduisait une nouvelle approche, fondée sur des exigences essentielles de sécurité exprimées de manière littérale, avec moins de valeurs chiffrées, et une responsabilisation des fabricants, par le biais d’obligations d’apporter la preuve de la conformité des équipements via différentes procédures d’attestation de la conformité. Cette approche est sous-tendue par les textes français de transposition. Même si les équipements sous pression nucléaires ne sont pas soumis à cette directive européenne, les nouveaux textes français les concernant se sont nourris de celle-ci.

Dans ces nouveaux textes, les exigences de sécurité sont exprimées de façon assez générale, par exemple : « La conception comprend des coefficients de sécurité appropriés permettant d’éliminer entièrement toutes les incertitudes découlant de la fabrication », ou encore : « Les équipements sous pression doivent être conçus de telle sorte que toutes les inspections nécessaires à leur sécurité puissent être effectuées ».

Pour fixer les idées, il existe, malgré tout, dans la directive européenne, pour un équipement de pression non nucléaire, une exigence chiffrée de résilience, qui est une valeur guide, fixée à 27 joules. Les textes français d’adaptation sont intervenus par la suite, avec un décret en 1999 et une série d’arrêtés ministériels, dont le fameux arrêté ministériel ESPN du 12 décembre 2005. Ce dernier a introduit des exigences essentielles et additionnelles par rapport aux exigences européennes, portant sur la radioprotection. Les équipements doivent notamment tenir compte de l’activation des matériaux et de l’exposition des personnes aux rayonnements ionisants, lors des interventions de maintenance ou d’inspection. Cet arrêté a aussi légèrement modifié les quelques valeurs présentes dans l’arrêté précédent. M. Pierre-Franck Chevet a mentionné la résilience minimale, passée à 60 joules. Enfin, cet arrêté s’inscrit dans la philosophie de la directive européenne. Il met l’accent sur la démonstration de conformité des équipements, à travers la notion de qualification technique.

Je vous livre l’une de ses exigences importantes : « Le fabricant identifie préalablement à la fabrication les composants qui présentent un risque d’hétérogénéité de leurs caractéristiques lié à l’élaboration des matériaux ou à la complexité des opérations de fabrication prévues. L’ensemble des opérations de la fabrication fait l’objet d’une qualification technique. Celle-ci a pour objet d’assurer que les composants fabriqués, dans les conditions et selon les modalités de la qualification, auront les caractéristiques requises ».

Enfin, il convient de préciser que le circuit primaire principal et les équipements sous pression nucléaires de l’EPR de Flamanville relèvent stricto sensu de l’ancien arrêté de 1974, le nouvel arrêté étant applicable aux équipements fabriqués à partir de 2011. Il a été néanmoins décidé de procéder à la fabrication de ces éléments sur la base des nouveaux critères et des nouvelles méthodes de contrôle exigés par la nouvelle réglementation.

En conclusion, l’ancienne réglementation ESPN a évolué à partir des années 2000, mais principalement en termes de démonstration de qualité et de conformité des équipements – ce qui apparaît comme une évolution naturelle – et finalement peu sur les valeurs chiffrées et les caractéristiques précises des équipements.

M. Bruno Sido. - Votre exposé était très clair, s’agissant d’une matière aussi difficile. C’est à présent M. Dominique Delattre, chef du département de la sûreté et la sécurité nucléaire au sein de l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui va évoquer les normes internationales et leurs modalités d’élaboration.

M. Dominique Delattre, chef de l’Unité des publications en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, département de la sûreté et la sécurité nucléaires, Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). - Je vais vous présenter l’état des standards internationaux de l’Agence internationale de l’énergie atomique d’une manière générale, puis, plus précisément, en ce qui concerne les cuves de réacteurs nucléaires.

De par son statut, l’Agence a pour attribution d’établir des normes internationales de sûreté destinées à protéger la santé et à réduire au minimum les dangers auxquels sont exposés les personnes et les biens. Ce sont des normes qu’elle doit appliquer à ses propres opérations et qu’un État peut appliquer, en adoptant les dispositions législatives et réglementaires nécessaires en matière de sûreté nucléaire et radiologique. Un ensemble complet de normes de sûreté faisant l’objet d’un réexamen régulier, pour l’application desquelles l’AIEA apporte son assistance, est désormais un élément clé du régime mondial de sûreté.

Les normes de sûreté de l’AIEA sont l’expression d’un consensus international sur ce qui constitue un degré élevé de sûreté pour la protection des personnes et de l’environnement contre les effets dommageables des rayonnements ionisants. Elles sont publiées dans la collection des Normes de sûreté de l’AIEA, constituée de trois catégories, situées du haut en bas d’une pyramide.

Au niveau le plus élevé, un document consacré aux fondements de sûreté présente les objectifs et les principes de protection et de sûreté qui constituent la base des prescriptions de sûreté.

Juste en dessous, un ensemble intégré et cohérent de prescriptions de sûreté établit les prescriptions qui doivent être respectées pour assurer la protection des personnes et de l’environnement, actuellement et à l’avenir. Les prescriptions sont régies par les objectifs et principes présentés dans les fondements de sûreté. S’il n’y est pas satisfait, des mesures doivent être prises pour atteindre ou rétablir le niveau de sûreté requis. L’une de ces quatorze prescriptions concerne la conception des centrales nucléaires.

Enfin, tout en bas de la pyramide, les guides de sûreté contiennent des recommandations et des orientations sur la façon de se conformer aux prescriptions de sûreté. Ces documents traduisent un consensus international sur les mesures recommandées ou des mesures équivalentes. Une centaine de guides de sûreté couvrent différents sujets pour divers types d’installations ou d’activités mettant en œuvre des sources radioactives, dont un, spécifique, concernant le système de refroidissement et la cuve des réacteurs nucléaires.

Les normes de sûreté sont développées par le département de la sûreté et de la sécurité nucléaires, qui est indépendant du département de l’énergie nucléaire. Leur processus d’élaboration est très rigoureux et complètement transparent. Tous les projets de normes font l’objet d’une consultation systématique de tous les États membres de l’Agence et sont soumis à l’examen de comités d’experts spécialisés. En dernier ressort, les projets de normes sont soumis pour approbation à une commission indépendante, dont je suis le secrétaire : la commission des normes de sûreté, composée exclusivement de représentants à haut niveau des autorités de sûreté nucléaire nationales.

Pour ce qui concerne l’objet de cette audition publique, à savoir le contrôle des équipements sous pression nucléaires et en particulier des cuves de réacteurs nucléaires, l’état des normes internationales de l’AIEA en la matière est le suivant.

Parmi les dix principes fondamentaux de sûreté qui ont pour objectif ultime de protéger les personnes et l’environnement contre les effets nocifs des rayonnements ionisants, le huitième principe concerne la prévention des accidents indiquant que « Tout doit être concrètement mis en œuvre pour prévenir les accidents nucléaires ou radiologiques et en atténuer les conséquences ». Il est précisé que le principal moyen pour atteindre cet objectif consiste en l’application du concept de « défense en profondeur », c’est-à-dire un ensemble de niveaux de protection consécutifs et indépendants. En cas de défaillance d’un niveau de protection ou d’une barrière, le niveau ou la barrière suivant prend le relais. Bien appliquée, la défense en profondeur empêche une défaillance technique, humaine ou organisationnelle de provoquer seule des effets nocifs, et réduit à un très faible niveau la probabilité des combinaisons de défaillances susceptibles d’entraîner des effets nocifs importants. L’application de ce principe repose, notamment pour les composants les plus importants pour la sûreté, sur « l’utilisation de matériaux de haute qualité et de haute fiabilité. »

Une des particularités de la situation qui nous concerne aujourd’hui est qu’une défaillance grave, comme la rupture de la cuve du réacteur, qui conduirait à dépasser tous les niveaux de défense en profondeur, doit être rendue impossible. Nous n’utilisons pas le terme « exclu » dans nos normes de sûreté mais une terminologie à peu près équivalente : ces scénarios doivent être rendus « physiquement impossibles ». La façon de les rendre physiquement impossibles est de se reposer sur les normes de sûreté et sur des codes de conception et de fabrication. Dans ce domaine, un de nos guides de sûreté recommande que ces matériaux soient conçus et fabriqués en application de codes industriels reconnus, qualifiés et approuvés par les autorités de sûreté. Cela doit être valide pour toutes les conditions de fonctionnement anticipées et également pour les accidents de dimensionnement. Un paragraphe spécifique s’applique à ce cas particulier : si les matériaux sélectionnés ne satisfont pas à ces spécifications, ils doivent être qualifiés par des analyses et des essais, une évaluation du retour d'expérience d’exploitation ou une combinaison de ces différents éléments.

Si vous le souhaitez, je pourrais aller plus dans le détail des différents critères techniques, par exemple en répondant aux questions.

M. Bruno Sido. - Je vais maintenant donner la parole à Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires. L’AFCEN est à l’origine une association d’industriels français, mais elle a pris une ampleur internationale, avec le développement de l’industrie nucléaire dans le monde. Elle est, par exemple, très active en Chine. Mme Cécile Laugier va nous présenter le rôle de son association dans ce domaine.

Mme Cécile Laugier, présidente de l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN). - Je préside l’AFCEN et suis également responsable, au sein d’EDF, d’un centre d’études qui se nomme le SEPTEN, notre association ne disposant pas de personnel détaché permanent.

L’AFCEN est une association professionnelle à but non lucratif qui regroupe, à ce jour, cinquante-sept membres : exploitants, fabricants, fournisseurs d’équipements, organismes et sociétés spécialisées dans le conseil et la formation. Ceux-ci sont parfaitement représentatifs de la filière industrielle nucléaire et actifs en France comme à l’international. Au jour d’aujourd’hui, la part des membres internationaux est de vingt-deux sur cinquante-sept. Les fabricants de chaudières nucléaires, dont vous connaissez les principaux (Areva, Westinghouse et Mitsubishi), participent aux travaux de l’AFCEN ; tel est le cas aussi des organismes de contrôle, tels que l’Apave ou le Bureau Veritas, qui s’exprimeront tout à l’heure. Notre travail est organisé autour de groupes d’experts. À ce jour, 470 experts contribuent à nos différents groupes.

L’AFCEN édite, depuis le début de la construction du parc nucléaire français, des recueils de règles techniques dénommés « codes ». Ces règles capitalisent le retour d’expérience accumulé depuis plus de trente ans. Nous pouvons affirmer qu’elles se situent au meilleur niveau international. Les codes AFCEN sont très largement utilisés dans le monde, puisqu’ils servent de référence pour plus d’une centaine de centrales nucléaires, notamment en France, mais également un bon nombre en Chine.

L’AFCEN a des activités d’édition et de formation, mais pas d’inspection. Se prononcer sur la qualité d’une pièce donnée, par exemple celle dont il est question aujourd’hui, est de la responsabilité du fabricant qui applique le code, de l’exploitant qui en demande l’application et qui la surveille, et bien sûr de l’ASN, dans son rôle d’autorité de sûreté indépendante.

L’AFCEN édite trois codes dans le domaine de la mécanique : le plus connu, le RCC-M est un recueil de règles techniques pour la conception et la fabrication des pièces mécaniques, le RSE-M pour le suivi en exploitation et le RCC-MRx pour les hautes températures ainsi que les réacteurs expérimentaux à neutrons rapides. Mais notre champ d’application va au-delà de la mécanique. Dans notre collection, nous avons également des codes pour le génie civil, l’électricité, la fabrication des combustibles et le domaine de l’incendie.

Je vais à présent donner plus de détails sur le code RCC-M qui est le recueil de règles dans le domaine mécanique.

Son principal mérite est d’être précis, compréhensible et directement applicable. Il a été rappelé tout à l’heure que la réglementation est de plus en plus fondée sur des objectifs, et des exigences essentielles. Il est donc important de disposer de documents professionnels traduisant la compréhension par les acteurs des exigences qu’ils doivent appliquer. J’insisterai sur le fait qu’appliquer le code constitue une aide pour respecter la réglementation et les niveaux de qualité fixés par l’exploitant. Néanmoins, cela ne suffit pas pour atteindre ces deux objectifs.

Le deuxième point fort de ce code est d’être écrit par un collectif d’utilisateurs de plus en plus international. Les sociétés sont concurrentes entre elles mais elles décident de consacrer du temps de leurs meilleurs experts pour mettre en commun une partie de leur savoir-faire afin de rédiger des règles techniques communes.

Le troisième point fort du code est d’être évolutif. Il intègre le retour d’expérience des services de fabrication, des utilisateurs, comme celui des exploitants, la veille internationale, les progrès des connaissances, grâce aux services de recherche et développement des membres, ainsi que, pour un pays donné, les évolutions réglementaires ou, plus précisément, ce que les utilisateurs comprennent de ces exigences et la manière dont ils doivent les appliquer.

L’objectif est d’être le plus proche possible de l’adéquation à la réglementation. Nous appelons cela la présomption de conformité. C’est ce que recherchent les utilisateurs pour simplifier leurs dossiers et leur dialogue technique avec l’autorité réglementaire. Toutefois, aujourd’hui, le code RCC-M ne suffit pas à lui seul à démontrer la conformité. C’est d’ailleurs la position de l’ASN française en général vis-à-vis des codes nucléaires.

Une autre limite intrinsèque est que le code ne décrit pas tout. Il reste une large place aux savoir-faire et aux règles internes de chaque industriel. Nous pensons en particulier aux savoir-faire protégés.

Je voulais également souligner que le code RCC-M est aujourd’hui le seul code nucléaire codifiant la qualification technique de pièces. Le chapitre M140 a été un précurseur de la réglementation française, comme M. Nicolas Chantrenne l’a rappelé. Le fait que le code français décrive la qualification est, encore aujourd’hui, sans équivalent dans les exigences posées par les autres codes nucléaires. Cela veut dire qu’il y a plus d’exigence dans notre code français que dans la plupart des codes comparables. Dès sa première édition de 1980, pour les pièces dont le processus de fabrication peut mener à des hétérogénéités, le RCC-M a fait le choix d’introduire un processus de qualification. Il s’agit de caractériser la pièce dans les zones où les propriétés du matériau doivent être suffisantes vis-à-vis des conditions d’emploi de la pièce.

Ce principe n’est pas repris et n’est pas décrit de cette manière dans d’autres codes, nous pensons en particulier à ceux de l’ASME (American Society of Mechanical Engineers) ou au CODAP (Component Operational Experience, Degradation and Ageing Programme de l’OCDE/NEA), ni dans le cadre de l’industrie conventionnelle, ni même dans les normes européennes citées. La qualification a pour but de vérifier l’efficacité d’une gamme de fabrication donnée, de satisfaire le niveau de qualité requis et d’apporter les éléments qui permettent de confirmer que le processus de fabrication est bien maîtrisé par le fournisseur de matériaux.

Nous sommes engagés aujourd’hui dans un travail technique extrêmement important et lourd pour compléter notre code et continuer à le faire évoluer. Une caractéristique importante du code est de rester évolutif. Actuellement, nous travaillons en lien étroit avec l’ASN pour compléter le code RCC-M afin que ses prochaines versions s’approchent, vers 2016-2018, d’une complète conformité avec la réglementation.

Depuis 2007, l’AFCEN a introduit dans le RCC-M des annexes qui améliorent sa correspondance avec les exigences essentielles fixées par la réglementation française. Nous avons également fait un effort en publiant récemment un document, appelé Criteria, qui les explique. Ce sont les difficultés rencontrées par les fabricants pour l’obtention des premières attestations de conformité pour les équipements de niveau 1, les plus importants, qui ont conduit l’AFCEN à mettre en place ce programme technique approfondi. Il est destiné à conforter l’aptitude du code à traduire les exigences réglementaires, à l’adapter pour les utilisateurs français quand cela apparaît nécessaire à la « justification » de leurs opérations, et à établir, le cas échéant, des documents complémentaires, lorsque les prescriptions ne sont pas assez précises. Nous avons prévu un programme de travail pour fixer la liste des pièces nécessitant une qualification technique au cas par cas. Ce travail sera réalisé conjointement avec l’ASN. Nous ferons également évoluer le contenu de notre code, notamment pour fixer la démarche qui permettra d’apporter la justification « en tous points », qui est celle que les utilisateurs français doivent maintenant respecter.

Je terminerai mon propos en rappelant que notre association édite ces règles techniques depuis plus de trente ans, qu’elle a été initialement fondée par Areva et EDF, mais s’est largement ouverte à l’international. Notre code reste au meilleur niveau. Il comprend des exigences, notamment autour de la qualification des pièces les plus complexes, sans équivalent dans d’autres codes. Nous sommes engagés aujourd’hui, en lien étroit avec l’ASN, dans un important travail technique pour le compléter et nous approcher de l’adéquation à la réglementation.

M. Bruno Sido. - Je donne la parole à M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression, qui regroupe des organismes tels qu’APAVE ou le Bureau Veritas, habilités à intervenir notamment pour vérifier la qualité de réalisation des équipements sous pression nucléaires.

M. Jean-Philippe Longin, président de l’Association pour la qualité des appareils à pression (AQUAP). - L’AQUAP est une structure créée en 1978, postérieurement à l’arrêté de 1974. Elle a vu le jour pour accompagner la mise en œuvre du soudage dans l’industrie des équipements sous pression. Elle a contribué à donner une certaine cohérence technique aux qualifications dans ce domaine. Cette association regroupe l’ensemble des organismes de contrôle intervenant à cette fin en France : les organismes notifiés chargés de l’évaluation de la conformité des équipements neufs, les organismes habilités, assurant le contrôle d’un service ou le volet du contrôle des équipements lorsqu’ils sont en exploitation, et les organismes notifiés agréés ou habilités, qui délivrent la même prestation pour les équipements sous pression nucléaires.

Il me semble utile de rappeler que cette association pilote également le COLEN Comité de liaison des équipements sous pression), instance regroupant tous les organismes notifiés, les acteurs concernés par la fabrication, la conception, le contrôle, le contrôle en exploitation et les exploitants d’ESPN. Ce comité vise à apporter des réponses techniques pragmatiques à la mise en œuvre de la réglementation, notamment celle de 2005. L’autre vocation de cette association est de fédérer les procédures d’évaluation entre organismes, l’objectif étant de définir des méthodologies d’intervention qui soient partagées par les organismes français, et de disposer d’une traduction pragmatique et cohérente des règles à appliquer en matière de contrôle.

Il me semble important de souligner que les organismes membres de l’AQUAP interviennent dans le cadre de la maîtrise du risque pression. Il y a bien évidemment d’autres risques contre lesquels il faut se prémunir, mais l’objectif de l’arrêté de 2005 et des organismes auxquels nous appartenons est bien de maîtriser ce dernier.

Je voudrais dire quelques mots sur la réglementation des appareils à pression et leur contrôle. Sans répéter les propos de M. Nicolas Chantrenne, je reviens sur quelques notions. Aujourd’hui, la réglementation s’appuie, en bonne part, sur les directives européennes relatives à ces équipements. Celles-ci fixent des objectifs à atteindre, pas forcément les moyens pour y arriver. C’est une évolution significative par rapport à l’ancienne réglementation, et une tendance globale qui ne vaut pas que pour ce type d’équipements. Cette réglementation européenne ne s’appliquait pas aux équipements sous pression nucléaires mais la France a néanmoins pris le parti, en 2005, de définir des règles s’appuyant sur ces bases qui sont des exigences essentielles de sécurité.

Un fabricant est responsable de la déclaration de conformité de son équipement. Il doit prouver que ce qu’il a réalisé est conforme aux exigences qu’il doit satisfaire. Par ailleurs, un organisme tierce partie, un tiers de confiance qui n’est ni fabricant ni exploitant, garantit la conformité du processus d’évaluation. Nous l’appelons organisme notifié ou, dans le cadre nucléaire, organisme notifié agréé. Il existe, pour ce faire, des procédures d’évaluations graduées, en fonction du risque et du niveau de danger présentés par l’équipement. Tous les équipements sous pression nucléaires ne sont pas suivis avec le même niveau d’exigence que celui appliqué à la cuve.

Les équipements sous pression nucléaires présentent, à la base, un risque supplémentaire, lié au fait que le fluide qui se trouve à l’intérieur est a priori radioactif et peut, en cas de rupture, présenter un danger. La réglementation se préoccupe essentiellement de ce risque. Elle comporte un certain nombre d’exigences, tant sur le plan de la maîtrise du risque pression, que sur l’aspect gestion de la radioprotection. Les procédures d’évaluation sont identiques à celles des équipements sous pression conventionnels. Des organismes tierce partie interviennent pour procéder à l’évaluation de conformité de ces équipements.

Il existe trois niveaux dans la grande famille des ESPN : N1, N2 et N3. Les équipements du niveau N1 sont évalués directement par l’Autorité de sûreté nucléaire qui peut mandater certains organismes pour réaliser, pour son compte, des évaluations. L’organisme rend compte à l’ASN et apporte son expertise dans cet exercice. Les équipements des niveaux N2 et N3, qui ne sont pas le cœur du sujet d’aujourd’hui, présentent des risques moindres et sont évalués par les organismes notifiés agréés par l’ASN.

Les organismes notifiés et les organismes tierce partie appartiennent à des structures indépendantes, compétentes dans la technique considérée – un organisme n’étant pas notifié pour toutes les techniques –, expérimentées, respectueuses d’une certaine confidentialité et déontologie – c’est la base du métier –, qui ne sont pas actives dans la fabrication, la conception, le contrôle et l’exploitation des équipements sous pression. Ces caractéristiques en font des tiers de confiance dans l’évaluation de la conformité des équipements.

L’évaluation de la conformité est un processus visant à démontrer qu’un équipement sous pression répond à des exigences, qu’il s’agisse d’une norme, d’un standard, d’un code ou d’un référentiel établi pour la mise sur le marché. Deux acteurs sont concernés par cet exercice dans le processus d’évaluation de la conformité. Le premier est le fabricant, qui a pour objectif de démontrer que ce qu’il a conçu, fabriqué et contrôlé, lors de la vérification finale, respecte les exigences essentielles qui s’appliquent à lui. Il peut, pour ce faire, utiliser un certain nombre de standards qui lui fournissent des règles de fonctionnement et des outils pour apporter la preuve de la conformité de l’équipement.

Le deuxième acteur est l’organisme en charge de l’évaluation de la conformité : l’ASN, pour les équipements du niveau N1, et les organismes membres de l’AQUAP, pour les équipements des niveaux N2 et N3. Notre mission consiste à procéder, chez le fabricant, à un examen tout au long de la vie de l’équipement pour vérifier, non pas de manière exhaustive, à 100 %, mais via un certain nombre de gestes appropriés, que tout ce qui relève de la conception, de la fabrication et du contrôle satisfait les exigences essentielles fixées dans le règlement. Nous vérifions à la conception que les choix technologiques et techniques du fabricant vont permettre de satisfaire les exigences essentielles. À la fabrication, nous nous assurons que ces dispositions sont correctement appliquées. Lors de la vérification finale, nous participons à un examen visuel et à un examen de la documentation ainsi qu’à l’épreuve qui est, en règle générale, la sanction ultime de la conformité de l’équipement.

En résumé, l’évaluation de la conformité est une mission globale. Elle ne consiste pas en un contrôle à 100 % en fin de fabrication, comme cela pouvait être le cas il y a quelques décennies. Les gestes d’évaluation sont effectués par deux acteurs principaux : le fabricant qui a pour mission de démontrer la conformité de ce qu’il a réalisé, et un organisme, qui doit vérifier portée de cette démonstration.

DÉBAT

M. Bruno Sido. - Nous allons passer à la seconde partie de cette table ronde, à savoir le débat. J’invite les intervenants aux deux tables rondes à s’exprimer, s’ils le souhaitent, pour formuler des remarques complémentaires ou poser des questions.

M. Yves Bréchet. - J’ai deux questions pour commencer la discussion.
La première est irénique, la seconde l’est un peu moins. J’ai l’impression, en entendant Mme Cécile Laugier, que nous sommes dans une configuration où nous pouvons à la fois respecter l’indépendance indispensable de l’autorité de sûreté, et prendre en compte les aspects techniques qui font qu’un règlement peut être plus ou moins difficile à examiner et à mettre en
œuvre. Comment le faire en pratique ? Comment l’interaction entre l’AFCEN et l’Autorité de sûreté nucléaire se déroule-t-elle ? Je poserai la question non-irénique ensuite.

Mme Cécile Laugier. - Le lien entre les codes et la réglementation est effectivement important. L’association professionnelle qu’est l’AFCEN rédige des recueils de règles techniques qui sont conçus pour être utiles aux utilisateurs. Ils doivent reproduire un certain nombre d’exigences mises en commun et également les aider le plus possible à s’approcher de ce qu’ils doivent respecter sur le plan réglementaire. C’est l'une des raisons pour lesquelles nous avons des échanges avec l’ASN et son appui technique (l’IRSN) qui sont des invités permanents à nos groupes de travail d’experts.

Il arrive notamment aux représentants de l’IRSN de venir en observateur, même s’ils ne participent pas directement aux travaux. Ils sont des observateurs attentifs, avisés et souvent très intéressés par ces débats techniques entre experts qui donnent des informations utiles sur l’évolution de l’état de l’art. Nos codes sont très formellement référencés dans les dossiers déposés par l’exploitant nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire a, bien sûr, un droit de regard. Il arrive très régulièrement qu’elle formule des demandes de modification. Nous les prenons en compte. Cela explique pourquoi le code évolue, même s’il n’est pas un équivalent de la réglementation.

M. Yves Bréchet. - Quel est le point de vue de l’Autorité de sûreté nucléaire sur cette question ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Je confirme que cette vision n’est pas irénique et correspond à la réalité. Nous avons un certain nombre d’échanges pour que le code évolue. Il inclut des références très anciennes alors que la nouvelle réglementation impose un certain nombre d’exigences supplémentaires. Nous discutons actuellement pour qu’il y ait le plus de cohérence possible entre la réglementation et les pratiques industrielles, celles-ci ne pouvant rester durablement en l’état.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Pour compléter les propos de M. Pierre-Franck Chevet qui a indiqué, ce qui semble clair, que l’anomalie n’était pas réglementaire, pourriez-vous préciser si la réglementation applicable aux ESPN est la même en France et dans d’autres pays dotés du même type de réacteur, par exemple en Chine ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Je ne saurais vous répondre sur la Chine. J’obtiendrai peut-être l’information plus tard. Je peux simplement dire que nous avons averti nos homologues chinois, lorsque l’anomalie a été confirmée. Avec quelques spécialistes, j’ai eu l’occasion, durant une ou deux heures, de la leur présenter en détail. Pour eux, le problème semblait clair.

L’idée générale de notre réglementation, tout comme des différents codes dans le monde, est de viser les meilleures caractéristiques possibles pour un certain nombre de matériaux, a fortiori pour les composants dont la rupture est exclue. L’exigence étant très forte, il faut faire du mieux possible. Nous avons cité le chiffre, pour l’une de ces caractéristiques, de 60 joules, ou précédemment 56 joules, mais il y en a d’autres. Ces chiffres sont le reflet de ce que les professionnels considèrent comme représentatif des meilleurs matériaux.

Je n’ai pas de tableau comparatif des exigences à disposition, d’autant qu’elles peuvent prendre différentes formes. Elles ne se concrétisent pas toujours dans la réglementation. En tout cas, au niveau européen, un cadre général s’applique. Je ne serais toutefois pas surpris que nous retrouvions ailleurs approximativement le même type de caractéristiques, même s’il peut évidemment exister des différences d’approches suivant les pays. Néanmoins, cette capacité des matériaux à résister à la rupture brutale se retrouve, avec quelques variantes, dans toutes les codifications.

M. Yves Bréchet. - Voici ma question non-irénique. Sans aborder le problème spécifique de l’anomalie de la cuve EPR, je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Pierre-Franck Chevet : il faut que les difficultés soient mises sur la table. Nous ne pouvons pas ne pas parler des problèmes. Si tout allait bien, nous n’aurions pas aujourd’hui ce débat sur la réglementation relative aux EPSN. Un certain nombre de réticences existent, de la part des industriels, vis-à-vis de l’application de ces règlements. Nous n’allons pas faire semblant de l’ignorer. J’aimerais que ce soit explicité.

M. Bruno Sido. - Cette seconde question relève, au moins pour partie, de la seconde table ronde. Je donne la parole à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin, député.- Je voudrais vous remercier d’avoir organisé cette audition sur cette question de la cuve de l’EPR, en présence du Haut-commissaire du CEA. Le CEA étant l’actionnaire majoritaire d’Areva, il a un regard particulier sur la question de l’EPR. Je pense que ce sujet mérite largement que l’OPECST se penche sur lui. J’ai plusieurs questions à poser à l’Autorité de sûreté nucléaire. M. Pierre-Franck Chevet a quasiment répondu à la première. Dans une tribune évoquant « l’EPR bashing » parue dans le journal Les Échos, M. Philippe Knoche, directeur général d’Areva, a indiqué que le couvercle et le fond de la cuve de l’EPR ont été forgés il y a plus de cinq ans, en application de la réglementation de l’époque. M. Pierre-Franck Chevet a déclaré au Sénat que le défaut de résistance de l’acier de la cuve aurait posé problème même par rapport aux anciennes règles. Il a confirmé ce point dans son intervention. Il semblerait, par conséquent, qu’il y ait une inexactitude factuelle dans la tribune publiée par le directeur général d’Areva.

J’ai une question concernant les causes de ces problèmes, bien que nous tournions un peu autour des questions de réglementation pour l’instant. Cette cuve ne répond visiblement pas aux normes. De ce que j’ai compris de la note du 3 avril 2015, publiée par l’IRSN, Areva a fait, avant même 2005, le choix de changer de technologie et d’utiliser un lingot plein à Creusot Forge.

M. Bruno Sido. - Monsieur Denis Baupin, vous n’avez peut-être pas le temps de rester jusqu’à la fin, mais vos questions concernent la seconde table ronde.

M. Denis Baupin. - M. Pierre-Franck Chevet se trouve à la première table ronde et mes questions le concernent.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je tiens à rappeler que M. Yves Bréchet, haut-commissaire à l’énergie atomique, est rattaché au Gouvernement, non au CEA. Il intervient à ce titre sur toutes les questions portant sur l’énergie atomique. En l'occurrence, nous l’avons avant tout invité en tant que spécialiste des matériaux.

M. Denis Baupin. - Ce n’était pas l’objet de ma question, mais je vous remercie de cette précision. Ma question à l’ASN porte sur les modalités de validation préalable de ce changement de technologie. L’IRSN semble dire que ce procédé n’a pas été qualifié à l’époque et a, par ailleurs, indiqué que cette option conduisait à une régression technique, par rapport à ce qui avait été pratiqué pour la fabrication des cuves de réacteurs du parc existant. Estimez-vous cette évaluation pertinente ?

En ce qui concerne la démonstration alternative étudiée aujourd’hui, si j’ai bien compris sa logique, il s’agirait d’essayer de démontrer qu’il resterait possible d’utiliser la cuve actuelle. Dans un avis, l’IRSN a considéré que le programme d’essai proposé par Areva était pertinent mais n’apparaissait pas de nature à apporter des garanties équivalentes à celles issues des nombreux essais mécaniques réalisés pour les aciers des cuves des réacteurs du parc. Partagez-vous vous ce point de vue ? Existe-t-il, à votre avis, un écart entre ce qu'il reste possible de faire pour prouver la conformité de la cuve et ce qui a été fait pour les autres cuves ? Si tel est le cas, comment peut-on garantir que la sécurité sera assurée au même niveau que pour les réacteurs existants ? A priori, l’objectif de l’EPR était plutôt d’atteindre une sécurité supplémentaire. Comment le garantir, maintenant et sur la durée ?

Par ailleurs, l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), a proposé qu’un dispositif particulier, sous forme d’un groupe d’expertise pluraliste, soit mis en place pour le site de Flamanville. Afin de rassurer réellement nos concitoyens sur la situation, ce groupe ne se limiterait pas aux représentants des exploitants, de l’ASN et de l’IRSN, mais inclurait aussi ceux des associations et des comités locaux d’information, comme cela a été, par exemple, le cas pour le Groupe radio-écologie dans le Nord-Cotentin ou le Groupe d’expertise pluraliste sur les sites miniers (GEP). Le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) a donné un avis plutôt favorable à cette préconisation de l’ANCCLI. Je voudrais savoir si l’ASN approuve, elle aussi, la mise en place d’un tel dispositif.

M. Bruno Sido. - Je vous ai laissé poser vos questions, qui sont d’ailleurs pertinentes. Mais elles arrivent avant la seconde table ronde, qui doit précisément traiter de tous ces sujets. Ne serait-ce que par respect pour le président de cette table ronde et les intervenants qui vont s’exprimer dans le cadre de celle-ci, je propose qu’il y soit répondu plus tard. L’IRSN est représentée par son directeur général. Areva est également présente. M. Yves Bréchet interviendra lui aussi. Laissons-les s’exprimer. S’il n’y a pas d’autres questions sur ce qui a été dit à l’occasion de la première table ronde, nous pouvons passer à la seconde immédiatement. Sa durée devrait être d’une heure.

M. Denis Baupin. - M. Pierre-Franck Chevet restera-t-il jusqu’au bout ?

M. Bruno Sido. - Compte tenu de l’importance du sujet, M. Pierre-Franck Chevet restera parmi nous jusqu’à la fin. En tout état de cause, le débat consécutif à la seconde table ronde devrait commencer vers 17h15.

M. Yves Bréchet. - Pardonnez-moi d’insister, mais j’aimerais que soient mis clairement sur la table les reproches qui sont faits concernant les modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires. J’en connais qui sont justifiés, et d’autres qui le sont beaucoup moins. Nous venons d’entendre tout ce qui se déroule bien. Il se trouve que, pour les opérateurs, c’est un sujet qui pose problème en termes de mise en œuvre réelle sur le parc. Nous ne résoudrons peut-être pas la question aujourd’hui mais il faut au moins qu’elle soit posée dans cette instance. Je n’ai jamais vu un problème se résoudre sans qu’il soit explicité.

M. Pierre-Franck Chevet. - Je partage cette question que j’ai aussi formulée au début de mon propos.

M. Bruno Sido. - Je propose de passer directement à la seconde table ronde, qui sera suivie d’un débat général.

II. SECONDE TABLE RONDE : LE CAS DE LA CUVE DU RÉACTEUR EPR

Présidence : M. Christian Bataille, député, vice-président de l’OPECST

Grand témoin : M. Yves Bréchet haut-commissaire à l’énergie atomique

M. Christian Bataille. - Je voudrais, en préambule, saluer la présence de notre ancien collègue, M. Claude Gatignol, ancien député de la Manche, à Flamanville, qui a suivi ce débat avec beaucoup d’intérêt. Nous voici à la seconde partie de cette audition, consacrée au cas de la cuve de l’EPR. Le défaut de fabrication concerne le couvercle et le fond de cuve du réacteur de Flamanville, et, potentiellement, d’autres réacteurs pour lesquels ces éléments ont été conçus au Creusot. Cette table ronde sera introduite par M. Thomas Pardoen, professeur en science des matériaux à l’Université catholique de Louvain, dont la compétence est internationalement reconnue. Je le remercie d’avoir fait ce déplacement. Il nous vient de Belgique. Ce n’est pas très loin. Mais il a quand même dû franchir des obstacles imprévus. Il va nous présenter, comme il le ferait à des étudiants, les caractéristiques qui déterminent la résistance des aciers d’une cuve de réacteur.

M. Thomas Pardoen, professeur, Université catholique de Louvain. - Je vais essayer de faire de mon mieux pour donner un éclairage utile à ce débat. En particulier, je vais tenter de vous expliquer, en quelques mots, les principes physiques de la problématique qui nous occupe, pas seulement dans l’idée de planter le contexte mais parce que les problèmes d’anomalies sérieuses conduisent toujours à s’interroger sur les normes. Pour se poser des questions d’interprétation, encore faut-il comprendre de quoi il est question. J’ai préparé quelques planches pour aider à expliquer le contexte.

Sur la première planche, la courbe présentée montre l’évolution de l’énergie d’impact, l’énergie qu’il a fallu dissiper dans le matériau – ici un acier ferritique de cuve – pour réussir à le déchirer, en fonction de la température. À basse température, bien en-dessous des températures d’utilisation d’une cuve, l’énergie de rupture est très faible. Cela correspond au régime de la rupture fragile, qu’il faut chercher à éviter. Au-dessus d’une certaine température, le matériau passe par une transition et arrive dans un régime dit ductile où l’énergie d’impact est nettement supérieure, dans certains cas de plusieurs centaines de joules.

La deuxième planche comporte plusieurs courbes, correspondant à des compositions en carbone différentes, de 0,01 %, 0,11 % et 0,22 %. Plus il y a de carbone, plus la résistance à la rupture et l’énergie d’impact diminuent dans la partie ductile. De plus, la température à laquelle se produit le basculement dans le régime fragile est de plus en plus haute. La valeur réglementaire de 60 joules évoquée est également indiquée. Ce graphe ne correspond toutefois pas à l’acier spécifique de la cuve de Flamanville.

Pour obtenir l’énergie de rupture, une petite entaille est pratiquée sur des échantillons de matière afin de créer des conditions très sévères. Celle-ci va concentrer le chargement produit par un mouton-pendule. Il suffit ensuite de mesurer l’énergie qui aura été dissipée pour briser la pièce. Dans le cas d’une cuve de réacteur, cette énergie doit être supérieure à 60 joules.

Dans le régime ductile, le plus favorable, le matériau peut se casser parce que tous les métaux sans exception, y compris les aciers de cuve, ne sont pas faits d’un seul composant, mais d’un alliage d’éléments qui tendent à former des particules de seconde phase, de différents types. Quand un métal est soumis à un chargement mécanique, à l’emplacement de ces petites particules, des contraintes se concentrent. Des petites fissures peuvent apparaître à un moment donné. Si la matière continue à se déformer, les cavités grandissent, pour, ensuite, se rassembler. Une planche montre un faciès de rupture correspondant à ce qui est visible au microscope électronique lorsqu’un métal se brise, que ce soit un acier de cuve ou une simple fourchette.

Les effets du carbone peuvent être multiples. Il est certain que plus il y a de carbone, plus certains types de particules de seconde phase risquent de se créer. Simultanément le matériau aura tendance à se durcir. Cela veut dire que les niveaux de contraintes qui peuvent être atteints sont plus élevés, ce qui peut accélérer le processus de germination de cet endommagement. Pour illustrer mon propos, j’ai prévu d’autres planches montrant le processus de croissance des cavités.

La planche suivante comprend une série de micrographies correspondant aux étapes d’une expérience menée par des collègues canadiens. Ils ont tout d’abord pratiqué des trous dans une plaque de métal, avant de la déformer. Les trous grandissent quand la plaque est déformée de haut en bas. Ils se rapprochent les uns des autres et finissent par se rassembler. Cela donne naissance à une fissure qui se propage. Dans le cas de la cuve de l’EPR, il n’existe pas de trou mais une teneur en carbone exagérée conduit à un niveau de résistance inférieur à ce qui est attendu.

Une autre planche illustre des expériences réalisées sur un alliage d’aluminium avec un collègue de Lyon, M. Eric Maire. Elles permettent de voir, en trois dimensions, par tomographie à l’intérieur du métal – un peu comme avec un scanner médical –, à différents niveaux de déformation, les trous qui apparaissent, grandissent, coalescent et donnent des fissures qui se propagent. Il s’agit du mécanisme de rupture ductile. Quand de petites éprouvettes avec une entaille sont soumises à un mouton-pendule et que la matière est déformée, des cavités apparaissent à la tête de l’entaille et se propagent. Meilleure est la matière, plus il faudra d’énergie pour pouvoir faire grandir et coalescer ces cavités pour propager la fissure.

Une nouvelle planche reproduit l’observation d’une fissure ouverte en train de progresser, en mangeant des petites cavités qui sont à sa tête. Cet exemple illustre la ténacité dans le régime ductile, où la résilience diminue quand la teneur en carbone augmente. Avec plus de défauts, les cavités risquent d’apparaître plus tôt. Les deux effets simultanés sont la diminution de la ténacité dans le régime ductile alors que la gamme de température dans laquelle existe le risque de la rupture fragile a tendance à augmenter.

La dernière planche qui présente une série d’équations concerne plutôt mes étudiants. Cette transition a un peu la même origine que pour la rupture ductile. Un supplément de carbone augmente le niveau de dureté du matériau, tout comme avec les radiations. Cela signifie que, à un certain moment, à une température donnée, le niveau de dureté du matériau est tel que, en tête des fissures, peuvent être atteintes des contraintes qui permettent de déclencher cette rupture fragile que nous appelons le clivage. Heureusement, plus la température augmente, plus cette dureté diminue. Il sera donc plus difficile de créer ce clivage dangereux.

Pour conclure, le taux de carbone est représentatif d’une chute de la ductilité et de la résilience dans le régime ductile. Avoir plus de carbone a de multiples implications. N’ayant vu aucun document technique détaillé sur la cuve de l’EPR, je ne suis pas capable, à ce stade, de déterminer ce que ce carbone modifie de la structure de la matière ni donc ce qui pourrait expliquer précisément pourquoi nous pourrions avoir cette perte de ténacité.

Nous n’avons évoqué qu’un seul aspect du problème : la force de résistance du matériau. Il faut aussi prendre en compte le chargement nécessaire pour que des fissures apparaissent et se propagent. C’est uniquement si ce chargement est supérieur à la résilience du matériau considéré que cela se produira. Le caractère conservatif de l’analyse résulte de la distance entre le chargement réellement appliqué et la valeur de la propriété du matériau. Dans le cas qui nous occupe, pour la pièce spécifique du fond de cuve, les propriétés semblent effectivement basses, mais quel est le niveau exact de chargement nécessaire pour faire apparaître des fissures, et éventuellement les propager ?

M. Christian Bataille. - Vous avez présenté avec beaucoup de pédagogie et d’esprit de synthèse les bases scientifiques de notre débat. Vous l’avez fait d’une manière simple et accessible à ceux d’entre nous qui sont novices dans votre matière on ne peut plus complexe. Je vais passer la parole à M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva. Il va nous présenter, au nom d’Areva, sa vision d’industriel sur le problème qui nous occupe aujourd’hui et la suite des événements.

M. Bertrand de l’Epinois, directeur des normes de sûreté d’Areva. - Je vais tâcher de m’inscrire en continuité de l’exposé du professeur Thomas Pardoen, afin d’expliquer aussi simplement que possible la question des ségrégations et des concentrations en carbone dans les calottes de la cuve du réacteur Flamanville 3.

Permettez-moi, tout d’abord, de rappeler que les pièces en question ont été forgées, à partir de 2006, dans la forge du Creusot. En opération depuis 1876, celle-ci emploie aujourd’hui 270 personnes. C’est, au plan mondial, l’une des rares forges capables de fabriquer les grandes pièces du circuit primaire des réacteurs nucléaires. Elle a livré, à ce jour, 2 900 pièces, à plus de cent réacteurs dans le monde : en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Chine, au Brésil, en Afrique du Sud, en Suisse, en Finlande, en Belgique, en Corée du Sud, etc. Ces chiffres témoignent d’un savoir-faire reconnu, issu d’un ancrage industriel historique en Bourgogne, avec une tradition industrielle ancienne, puisque la première cuve a été fabriquée et livrée en 1964. Cet ancrage est, bien entendu, l’un des facteurs de décision, lorsqu’il s’agit de choisir le fournisseur de pièces forgées.

Avant d’aborder le sujet de la concentration en carbone, il semble utile de rappeler que, sur un certain nombre de sujets importants en matière de sûreté, la cuve de l’EPR réalise des progrès substantiels. D’abord, il n’existe aucune traversée en fond de cuve, les tubes d’instrumentation passant par le couvercle. Ensuite, le flux de neutrons sur les viroles de cuve baisse significativement, grâce à une plus grande épaisseur d’eau et à un réflecteur lourd de neutrons. Nous avons aussi réduit le nombre de soudures. C’est un point important. Enfin, des progrès sensibles sur la composition moyenne du matériau de la cuve, notamment en soufre et en phosphore, ont été réalisés. Ces innovations s’ajoutent à celles, plus générales, de l’EPR en matière de sûreté, précédemment évoquées par M. Pierre-Franck Chevet. La question de la concentration en carbone dans les calottes de cuve ne doit pas masquer ces avancées. La cuve de l’EPR participe pleinement au progrès de sûreté visé par ce réacteur.

Venons-en maintenant au cœur du sujet qui concerne les deux calottes, le fond et le couvercle de la cuve, sur lesquelles, en partie centrale et à l’extérieur, se trouvent des ségrégations positives, c’est-à-dire des concentrations en carbone supérieures à la moyenne et aux spécifications. L’existence de ségrégations positives ou négatives –quand il n’y a pas assez de carbone– est un phénomène connu dans les pièces forgées épaisses. Il a fait l’objet de nombreuses études. Il est pris en compte dans la conception des pièces. C’est un phénomène inhérent, en particulier, au procédé mis en œuvre pour forger ces deux pièces de la cuve de l’EPR. Nous pourrons revenir, à l’occasion du débat, sur la question des lingots, des procédés et des évolutions de procédés dans le temps.

Les calottes de cuve sont obtenues par forgeage de lingots d’acier. Les lingots sont de très grande dimension, ici de 160 tonnes. L’acier liquide se refroidit progressivement. Il se solidifie plus vite dans certaines zones, plus lentement dans d’autres. Le carbone a tendance, dans ce cas, à migrer vers les parties liquides. De ce fait, à la fin de la solidification, certaines parties sont enrichies en carbone par rapport à la moyenne, et d’autres appauvries. Nous parlons de ségrégations positives ou négatives. C’est la physique qui le veut, et cela est inhérent au refroidissement de ce grand lingot.

Quels sont les enjeux de sûreté de la ségrégation ? L’augmentation de la concentration en carbone durcit le matériau qui aura une plus grande résistance mécanique. La pièce aura plus de résistance à la pression. En revanche, elle sera plus sensible à ce qui a été décrit, à la rupture fragile ou à la rupture brutale. Nous devons tenir compte de deux phénomènes dans la conception de ces pièces. Elles doivent, d’une part, résister à la pression, avec une bonne résistance mécanique de l’acier et une bonne épaisseur, et, d’autre part, être le moins possible susceptibles de ruptures brutales ou fragiles. Il faut avoir suffisamment de carbone mais pas trop. Il faut ajuster l’équilibre entre les différentes zones.

Comme cela a été indiqué, la rupture brutale n’intervient que si trois conditions sont simultanément réunies : l’existence d’un défaut à l’origine
– typiquement une fissure –, une température basse, et un chargement mécanique important, au regard de la fissure et des caractéristiques du matériau. Pour ce qui est de la température, le risque de rupture brutale suppose qu’elle soit suffisamment basse pour que le matériau se situe dans son domaine fragile. Ces trois conditions sont indispensables.

Concernant les calottes de l’EPR, des dispositions ont été prises pour faire en sorte que pendant le forgeage, les ségrégations majeures positives qui sont inhérentes au procédé soient renvoyées vers l’extérieur de la pièce, cela afin d’avoir de très bonnes caractéristiques sur les côtés, aux endroits où nous soudons la bride du couvercle, et dans la partie interne, où sont soudés le revêtement et les adaptateurs. C’est-à-dire dans toutes les zones où les soudures pourraient faire apparaître des défauts éventuels, malgré toutes les précautions prises, et dans celles qui seront le plus fortement sollicitées mécaniquement. Une analyse exhaustive est en cours dans les zones concernées par cette ségrégation positive. Les chargements mécaniques les plus pénalisants étant les épreuves hydrauliques, celles-ci sont réalisées pour vérifier la bonne tenue de la pièce. Ces essais se font sans combustible dans la cuve.

Des contrôles à 100 % sont réalisés, par différents moyens, en fin de fabrication, dans toute l’épaisseur du métal et sur toute sa surface. Ils n’ont révélé aucun défaut. Il n’y a pas a priori de fissure venant de la fabrication. De plus, la partie externe correspond à des zones dans lesquelles nous n’attendons pas de créations ou de propagations de défauts en fonctionnement.

En application de l’arrêté ESPN, l’ASN nous a demandé de vérifier les valeurs en résilience dans l’ensemble de la pièce. La résilience est liée à la concentration en carbone. Ces contrôles ont montré des écarts par rapport aux 60 joules mentionnés par l’arrêté. La concentration en carbone atteignant 0,28 % dans la partie extérieure, se trouvait en excès par rapport à nos spécifications, puisque nous cherchons à rester entre 0,18 % et 0,22 %. À la suite de ces contrôles, nous avons proposé un programme d’essais complémentaires, en cours d’instruction par l’ASN. Nous espérons le lancer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, lorsque nous aurons obtenu le feu vert pour l’engager.

Ces essais consistent en une caractérisation métallurgique approfondie d’une pièce analogue, dans toute l’épaisseur et dans toute la zone centrale.
À minima, une centaine d’éprouvettes seront réalisées pour mesurer en tous points la teneur en carbone, la résilience ainsi que la ténacité. La résilience est simple à mesurer pour les essais de recettes, ainsi que l’allongement à la rupture. Nous procédons toujours de cette manière. En revanche, la ténacité est la vraie grandeur physique exprimant la capacité du matériau à résister à la propagation d’une fissure sous température basse et sous un chargement important. Un grand nombre de mesures de ténacité seront réalisées lors de ces essais de caractérisation.

Ce programme complémentaire comportera également un volet d’étude de conception, incluant une analyse exhaustive de tous les chargements et des calculs de mécanique, prenant en compte les caractéristiques réelles du matériau, mesurées sur la pièce d’essai, afin de montrer l’aptitude à l’emploi de celle-ci. Ces calculs de mécanique sont effectués en faisant l’hypothèse de la présence d’un défaut : une fissure qui n’aurait pas été identifiée lors du contrôle, bien que tout ait été fait pour qu’il n’y en ait pas. Nous établirons un dossier d’aptitude à l’emploi sur la base de ce programme complémentaire, qui sera transmis à l’ASN en vue de sa décision.

Le fait que les chargements soient limités dans ces zones au regard des défauts que nous pouvons supposer, les calculs de mécanique de rupture réalisés jusqu’à maintenant, et ce que nous pouvons supposer aujourd’hui des caractéristiques des matériaux, nous rendent assez confiants quant à l’issue du dossier que nous pourrons produire, ainsi qu’à l’aptitude à l’emploi de la pièce. Le travail que nous mènerons dans les prochains mois vise à étayer cette dernière de manière définitive.

M. Jean-Yves Le Déaut. - En tant que président de l’Office, j’ai souhaité traiter dans deux tables rondes séparées des modalités du contrôle des équipements sous pression nucléaires et du cas spécifique de la cuve du réacteur de l’EPR. M. Pierre-Franck Chevet répondra aux questions posées par Denis Baupin à la fin de la première table ronde. Ne twittez donc pas avec des a priori.

M. Denis Baupin. - Je continuerai à communiquer comme je le souhaite. Vous n’avez pas voulu que l’on puisse répondre à mes questions. Je vais communiquer à ma façon. Je suis le seul à demander la parole.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Dire que la présidence de cette table ronde refuse que l’Autorité de sûreté nucléaire réponde ne correspond pas à ce qui a été dit.

M. Christian Bataille. - En tant que président de la table ronde, je salue l’intervention du président de l’Office. J’aimerais remercier M. Bertrand de l’Epinois pour son exposé, qui va sans doute susciter des interrogations à la fin de la table ronde. Je vais donner à présent la parole à M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3, qui va nous expliquer la position d’EDF, premier exploitant de réacteurs nucléaires au monde. Il va nous parler d’expérience.

M. Laurent Thieffry, directeur du projet de Flamanville 3. - Je voudrais rappeler, en introduction, que l’EPR de Flamanville 3 est une tête de série. Cela est synonyme de défis techniques et industriels qui seront à relever pas à pas, de la conception jusqu’à la mise en service. C’est un réacteur de troisième génération, intégrant dès la conception des objectifs très ambitieux en matière de sûreté, de radioprotection, de protection de l’environnement et de performance.

Il répond en particulier à des critères de sûreté définis dans le cadre d’un consensus international, critères accrus par rapport aux réacteurs précédents, en particulier l’amélioration très significative de la sûreté, avec une probabilité de fusion du cœur divisée par dix et la prise en compte, dès la conception, des accidents graves et des agressions. L’objectif de disponibilité fixé à l’EPR est de 91 %, avec une durée de fonctionnement prévue pour soixante ans, sans préjuger des réévaluations de sûreté conduites tous les dix ans par l’ASN. L’investissement et la construction sont assurés directement par EDF. La construction de l’EPR de Flamanville 3 a débuté en décembre 2007, soit près de dix ans après la fin de celle de la dernière centrale en service en France, dans un contexte où la filière industrielle française et européenne doit renforcer ses compétences et répondre à de nouvelles exigences.

Je voudrais d’abord rappeler que le projet a franchi plusieurs jalons majeurs récemment avec, en particulier, le dépôt, en mars 2015, auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire, du dossier de demande de mise en service. Cette étape correspond à un design finalisé à plus de 95 %. Le génie civil principal est quasiment achevé sur le chantier, la fin du bétonnage de l’enceinte externe du bâtiment réacteur étant l’ultime opération qui sera réalisée d’ici la fin de l’année. L’ensemble des composants du circuit primaire est en place : cuve, générateurs de vapeur et pressuriseur. Les soudages des boucles primaires sont en cours d’achèvement. Les montages électromécaniques sont effectués à cadence industrielle, avec plus de 4 000 personnes présentes sur le site.

À ce stade, il me paraît important de préciser que, s’agissant du haut niveau d’exigence propre à l’industrie nucléaire, chaque opération réalisée sur ce projet donne lieu à des contrôles, dont certains exercés directement par l’Autorité de sûreté nucléaire ou les organismes notifiés par cette dernière. Nous ne passons à l’étape suivante que si les résultats de l’étape précédente sont positifs, moyennant, le cas échéant, le traitement préalable de tout écart. Bien évidemment, l’ensemble de ce processus donne lieu à une traçabilité et à une transparence totale de chacun des événements.

Avant d’évoquer plus particulièrement la cuve de l’EPR, je souhaite rappeler les rôles respectifs d’EDF et d’Areva dans ce projet. EDF porte la responsabilité d’exploitant nucléaire et exerce le rôle d’architecte ensemblier, comprenez par-là celui de maître d’œuvre global. En tant qu’architecte ensemblier, EDF assure, en particulier, la maîtrise d’ensemble du projet et la prise des décisions techniques majeures permettant, d’une part, de garantir la conformité aux référentiels, et, d’autre part, d’obtenir les autorisations administratives nécessaires. Conformément à la loi, il nous appartient, en tant qu’exploitant nucléaire, de mettre en œuvre tous les moyens techniques et organisationnels pour assurer la protection des intérêts visés par le code de l’environnement et, en premier lieu, prévenir tout risque de rejet radioactif. Cela passe notamment par la surveillance des activités confiées à nos prestataires. Cette surveillance s’exerce tout particulièrement en phase de conception, de fabrication et de construction. Cela est particulièrement vrai pour les équipements classés au niveau N1, suivant la réglementation ESPN, qui incluent le circuit primaire principal de Flamanville 3, avec en particulier la cuve, les générateurs de vapeur, le pressuriseur et les boucles primaires.

S’agissant d’Areva, la réglementation lui attribue la responsabilité de conception et de fabrication de ces composants, en conformité avec les exigences réglementaires, ainsi que la démonstration associée.

Cette précision étant donnée, j’en viens à la fabrication de la cuve de l’EPR de Flamanville 3. Elle est constituée d’un fond hémisphérique, de viroles cylindriques soudées entre elles et au fond, ainsi que d’un couvercle. L’ensemble mesure un peu moins de quatorze mètres de hauteur, pour un peu moins de six mètres de diamètre, et son poids total atteint environ 550 tonnes. Nous sommes donc face à un ensemble de grande dimension. EDF a confié la construction des chaudières nucléaires de l’EPR de Flamanville 3 à Areva, dans le cadre d’un marché notifié en 2005. Les composants de la cuve ont été conçus et fabriqués conformément aux référentiels techniques en vigueur au moment de leur fabrication, à savoir le code de conception et de construction nucléaire dit RCC-M – élaboré par l’AFCEN sur la base des meilleures pratiques mondiales – notamment par l’application de son chapitre dit M140, consacré à la qualification.

Les approvisionnements des pièces forgées constitutives de cet équipement ont été lancés par Areva dès 2005. Le fond et le couvercle sont issus de pièces de forge fabriquées dans l’usine du Creusot en 2006 et 2007. Dans ce cadre, les dossiers de synthèse et de qualification M140, la démonstration de la conformité finale de la pièce à son référentiel de conception de fabrication ont été établis, pour le couvercle et le fond de cuve, en 2010. La fabrication du corps de la cuve s’est achevée à l’été 2013, à l’issue d’une épreuve hydraulique réalisée avec succès en usine.

Comme expliqué précédemment, au titre de sa responsabilité d’exploitant nucléaire, EDF a exercé, comme prévu par le code RCC-M, une surveillance de ces fabrications aux trois étapes clés du processus de qualification. Tout d’abord au stade du dossier technique initial élaboré par Areva, comprenant la description du programme de fabrication et du programme d’essais associés destiné à vérifier la conformité en finale ; ensuite, en phase de fabrication, pour vérifier en usine que les opérations de fabrication sont bien réalisées conformément au dossier technique –cette surveillance inclut aussi une composante documentaire afin de s’assurer de l’applicabilité et de la conformité des modes opératoires utilisés. EDF a ainsi surveillé l’intégralité des opérations de forgeage et de chutage, ainsi que la totalité des essais mécaniques de recette des composants de la cuve de Flamanville 3. Enfin EDF a surveillé l’élaboration des rapports de qualification qui ont conclu, en phase finale du processus, à la conformité des composants de la cuve à leur référentiel technique de fabrication.

Passons maintenant à l’application de la réglementation ESPN. L’arrêté ESPN a été pris en 2005 mais les modalités de la qualification technique réglementaire associée n’ont pas été décrites dès sa mise en application. L’arrêté prévoyait d’ailleurs une période de transition. Certaines de ces modalités d’application ont été formalisées en 2011, après la fin de la fabrication des composants de la cuve de Flamanville 3. C’est en particulier le cas avec l’exigence que les normes quantifiées de l’arrêté ESPN soient désormais atteintes en tout point de la cuve. Cela suppose donc des essais de recettes plus nombreux, sur plusieurs zones. Des caractéristiques mécaniques différentes restent acceptables, sous réserve de démonstration de l’absence de conséquences, comme c’était déjà le cas avec la réglementation antérieure.

Le chapitre M140 du code RCC-M, référentiel technique utilisé pour la synthèse de la qualification au moment de la fabrication de la cuve de Flamanville 3, entre 2006 et 2010, n’intègre pas cette exigence nouvelle, car elle visait l’aptitude à l’emploi de la pièce, en vérifiant les propriétés uniquement dans les zones les plus sollicitées. C’est d’ailleurs là une évolution significative et positive de la nouvelle réglementation ESPN. L’ASN a donc demandé à Areva d’appliquer ces nouvelles modalités sur les composants de la cuve de Flamanville 3. Pour y répondre, Areva a proposé, fin 2012, de réaliser des essais complémentaires sur la matière prélevée sur un couvercle similaire à celui de Flamanville 3, dans des zones non examinées en recette auparavant.

Les résultats de ces essais ont été obtenus au dernier trimestre 2014. C’est à l’occasion de ces essais complémentaires, au titre de la réglementation ESPN, qu’Areva a identifié un écart sur certaines caractéristiques métallurgiques, du fait de la ségrégation en carbone située au centre et en partie externe du couvercle. Areva en a informé EDF et l’ASN et a proposé une analyse de la conception de la fabrication ainsi qu’un programme d’essais complémentaires pour démontrer
– comme le prévoit la réglementation – l’importance des marges existantes face à tout risque pour la cuve. Ce programme d’essai fera, bien sûr, l’objet d’une vérification par l’Autorité de sûreté nucléaire avant toute réalisation.

Pour sa part, EDF assume pleinement sa responsabilité d’exploitant nucléaire et réaffirme la priorité absolue donnée à la sûreté. C’est pourquoi nous avons mobilisé une équipe d’experts pour assurer la surveillance de ce programme d’essais, conformément au processus que je vous ai présenté précédemment. EDF se conformera bien évidemment aux décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire. En attendant, et en parallèle du programme d’essais et de sa réalisation, EDF, en industriel responsable, poursuit le chantier avec, en particulier, une épreuve hydraulique qui sera prochainement réalisée sur le couvercle en usine. EDF a déjà engagé l’adaptation de ses activités de surveillance, et contribue à l’important programme de travail établi en relation avec l’ASN pour traduire, à moyen terme, dans le RCC-M, les exigences de la réglementation ESPN.

M. Christian Bataille. - Nous allons revenir à l’Autorité de sûreté nucléaire, avec le directeur des équipements sous pression, M. Rémy Catteau, basé à Dijon, non loin du Creusot. Il va nous rappeler la position de l’ASN sur les problèmes rencontrés et leurs suites.

M. Rémy Catteau, directeur des équipements sous pression, Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Mon intervention a pour objectif de présenter l’instruction que l’ASN réalise de ce dossier. Pour commencer, je vais rappeler quelques enjeux majeurs liés à la cuve des réacteurs à eau sous pression. La cuve est placée au centre du circuit primaire principal. Elle est au cœur du réacteur. Elle contient le combustible. Elle est soumise, comme tout circuit primaire principal, à une pression (155 bars) et à une température (300 °C) élevées en conditions normales de fonctionnement. La cuve participe aux trois fonctions de sûreté des réacteurs nucléaires avec le confinement de la radioactivité. Elle contribue à la seconde barrière de confinement, à la maîtrise de la réactivité, puisque c’est à travers son couvercle que passent les barres de contrôle, ainsi qu’au refroidissement, puisqu’elle contient le fluide primaire dont l’objectif est de refroidir le combustible afin d’éviter sa fusion. La cuve fait l’objet d’une hypothèse particulière et majeure dans la démonstration de sûreté : l’hypothèse d’exclusion de rupture. Les conséquences de la défaillance de la cuve ne sont pas prises en compte dans la démonstration de sûreté. Pour être clair, la défaillance de la cuve n’est pas postulée.

Le dernier enjeu n’est pas, à proprement parler, lié à la sûreté : le corps de la cuve ne peut être remplacé une fois le réacteur mis en service ; du moins aucune cuve ne l’a été jusqu’à présent dans le monde. Une fois que le réacteur démarre avec une cuve, il s’arrêtera, très vraisemblablement, avec la même cuve.

Ces enjeux majeurs impliquent nécessairement le respect d’exigences fortes en matière de conception, de fabrication et de contrôle en service ; nous sommes là dans une démarche de défense en profondeur. Nous voulons une excellente conception, avec de très fortes garanties, permettant de dégager des marges importantes. Il faut une très grande qualité de fabrication, permettant d’assurer que les hypothèses posées à la conception sont effectivement validées. Cela permet de garantir que les défauts restants de la cuve sont négligeables et que la conception permet de vivre avec ces défauts. Il faut, enfin, un excellent contrôle en service, le but étant de vérifier que ce qui a été prévu à la conception et à la fabrication se déroule bien pendant toute la durée de vie de la cuve et qu’il n’y a pas d’autres phénomènes qui n’auraient pas été prévus.

J’en viens à l’anomalie. Il s’agit d’une anomalie technique : une ségrégation majeure positive de l’ordre de 50 %. C’est un niveau inattendu, très supérieur à ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent. Nous connaissons des ségrégations de ce type sur le parc en exploitation d’EDF qui sont de l’ordre de 20 % à 25 %. Les procédés de fabrication antérieurs ont permis de limiter ces ségrégations. La demande d’essais complémentaires formulée par l’ASN s’inscrit dans la réglementation actuelle, datant de 2005. C’est elle qui a permis de détecter cette anomalie. À partir du moment où cette anomalie est détectée, c’est un sujet technique qui doit être traité, quelle que soit la réglementation, la précédente ou l’actuelle. C’est un problème qui aurait également été traité par les autres autorités de sûreté dans le monde. Il n’y a pas de doute là-dessus.

Nous attendons aujourd’hui qu’Areva justifie que les propriétés du matériau dans cette zone sont suffisantes pour un usage nucléaire, sur un équipement soumis à une présomption d’exclusion de rupture. L’équipement le plus crucial est la cuve du réacteur. Nous avons reçu un dossier en mai 2015 que nous instruisons avec l’IRSN. Nous n’en sommes encore qu’au début de l’instruction, celui des questions que nous avons formulées à Areva. Nous avons reçu une partie des réponses.

Je vous propose de détailler quelques-unes de nos grandes interrogations à ce stade. La première concerne la caractérisation de la zone ayant une concentration de carbone plus importante qu’attendu, et, en particulier, de son positionnement. Nous voulons être certains qu’elle est bien localisée au centre, et en partie supérieure. Le sujet serait encore plus critique si elle se trouvait en partie inférieure. Nous souhaitons avoir une connaissance, avec de fortes garanties, des propriétés mécaniques de la zone. Ce sont celles relatives au risque de rupture brutale, mais également toutes les autres. Je pense, par exemple, au vieillissement.

Cette cuve a une durée de vie de soixante ans au minimum. Nous voulons être sûrs que, aujourd’hui, les propriétés mécaniques de ce matériau sont bien celles que nous imaginons pour dans soixante ans. C’est d’autant plus crucial, que ce matériau présente des ségrégations positives majeures s’écartant assez fortement des matériaux connus jusqu’à présent dans le parc nucléaire. Je confirme que nous étudions également tout ce qui est chargement, donc les sollicitations qui s’appliquent sur cette zone. Nous souhaitons avoir une vue large des types de sollicitations qui sont déterminantes pour ce type de problème.

Areva va mener une campagne d’essais, majoritairement destructifs. Une fois ceux-ci réalisés, les pièces d’essai seront détruites. Sauf à les remplacer, ces essais ne peuvent être conduits sur les calottes de la cuve de Flamanville. Elles le seront donc sur des calottes initialement destinées à d’autres EPR. Une question majeure porte sur la représentativité de ces pièces d’essai par rapport à celles du réacteur de Flamanville. Nous attendons une démonstration robuste qui nous apporte des garanties et une quasi-certitude.

Dans toute cette démarche, de fortes incertitudes existent qui doivent être compensées par des facteurs de sécurité conséquents. Nous voulons une démarche robuste qui dégage des marges importantes, nécessaires compte tenu des enjeux.
À chaque fois que nous détectons une anomalie, nous nous demandons si elle peut exister sur le parc en fonctionnement ou sur les autres constructions en cours. Nous avons posé la question à Areva. Ses réponses indiquent que le risque est faible. Nous avons, malgré tout, identifié deux composants du parc actuel sur lesquels nous nous posons le plus de questions : ce sont des couvercles de cuve situés sur les réacteurs de Chinon B3 et de Cruas 3.

Je vous détaille rapidement le processus d’instruction prévu. L’ASN a saisi l’IRSN. Nous travaillons en coopération avec ce dernier. L’ASN dispose de spécialistes. Nous allons saisir, d’autre part, les groupes permanents d’experts, placés auprès de l’ASN pour la conseiller et formuler des recommandations. Nous avons prévu de les réunir deux fois. Nous avons prévu également d’associer les autorités de sûreté étrangères et de les convier, notamment, à ces groupes permanents d’experts et à leurs séances de travail. Nous rendrons publique la documentation associée à cette anomalie, comme l’ASN l’a déjà fait, par exemple, pour les évaluations complémentaires de sûreté, suite à l’accident de Fukushima.

M. Christian Bataille. - Maintenant, M. Jacques Repussard et Mme Sylvie Cadet-Mercier vont présenter les résultats des études menées par l’IRSN sur les défauts que nous venons d’évoquer.

M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - Beaucoup de choses viennent d’être dites. J’ai préparé cette intervention préliminaire avec Mme Sylvie Cadet-Mercier, directrice au sein de l’IRSN et responsable de l’instruction du dossier de l’EPR, en appui technique à l’ASN. Elle m’aidera à répondre aux questions lors du débat.

M. Pierre-Franck Chevet a rappelé tout à l'heure que l’anomalie, découverte à la suite des demandes d’analyses complémentaires, a été qualifiée de sérieuse, au sens où ce n’est pas une anomalie à la marge par rapport à des critères mais bien une anomalie significative par rapport aux critères. La question qui est au cœur de la réunion d’aujourd’hui est la gravité de cette anomalie, au sens de l’aptitude à l’emploi de la cuve par rapport aux exigences de sûreté. Personne ne dispose de la réponse dans cette salle. Il faut un processus d’analyse complémentaire pour l’obtenir, ainsi qu’un processus d’analyse de sûreté.

C’est la motivation des saisines que nous avons commencé à recevoir de la part de l’ASN. Dans le domaine des appareils à pression, quand tout se passe bien, l’ASN dispose de sa propre expertise interne.

S’agissant ici d’une anomalie qui porte sur les critères de qualité des appareils à pression, avec des conséquences majeures en termes de sûreté, nous sommes là dans notre domaine, et nous allons procéder à ces expertises.

Je vais vous donner, sans répéter ce qui a déjà été dit, quelques éléments sur la nature et le contenu de cette analyse complémentaire qui va être réalisée et que nous allons expertiser. Je terminerai avec quelques conclusions.

La cuve est évidemment un composant absolument essentiel. Sa conformité repose notamment sur le respect de critères relatifs à la réglementation des appareils à pression. Certains de ces critères ne sont pas satisfaits en certains points. Pour aller plus loin, nous devons démontrer que la cuve telle qu’elle est, avec ses zones plus fortement ségrégées, présente une résistance suffisante, avec des marges de sûreté suffisantes, en situation normale et accidentelle, les situations normales incluant aussi des essais à froid de l’appareil à pression que constitue la cuve. Pour cela, il faut parvenir à déterminer précisément les caractéristiques mécaniques des zones ségrégées, et apprécier l’impact de cette ségrégation, au regard des exigences de la démonstration de sûreté. Je ne parle plus des caractéristiques métallurgiques, mais de démonstration de sûreté.

C’est en ce sens qu’Areva s’est engagée, à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, à définir un programme d’essai. Ce dernier doit être suffisamment complet et apporter assez d’éléments probants, en suffisamment de points de la cuve, pour permettre de déterminer finement les caractéristiques mécaniques de la zone ségrégée, en présumant que la cuve de Flamanville a été fabriquée exactement selon le même procédé que les pièces qui vont être détruites pour ces examens. Ces données seront donc représentatives. Cela permettra à Areva de proposer une évaluation de la ténacité minimum locale qui existe réellement au sein de cette pièce, ou de ces pièces, puisque nous allons tester les deux calottes de la cuve.

Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir disposer, en complément de ces données, d’une démarche de justification, en termes de sûreté. Areva doit donc également proposer un niveau minimum de ténacité, compte tenu de la conception de la cuve, de telle sorte que la rupture soit évitée en toutes circonstances, en supposant l’existence d’un défaut. Nous savons que ce dernier n’existe pas mais c’est le principe même de la démonstration. Nous comparerons ensuite les résultats expérimentaux, qui ne sont pas encore connus, à ces valeurs qui devraient être déterminées de manière théorique, pour vérifier que les niveaux sont suffisants. L’IRSN est ensuite chargé de mener une contre-expertise de ce travail réalisé par Areva. C’est l’objet de la saisine de l’ASN. Nous effectuerons nos propres calculs, de sorte que l’ASN, ainsi que les groupes permanents, puissent disposer, comme d’habitude, d’un avis du fabricant, sous le contrôle de l’exploitant nucléaire, et d’un avis fondé scientifiquement et techniquement sur les meilleures méthodes de calcul de l’IRSN.

Nous devons tenir compte, sur le fond de cette expertise, de la conception de cette cuve. Comme indiqué, un certain nombre de caractéristiques propres à la cuve de l’EPR font que la calotte supérieure supporte plus de contraintes, notamment toutes les traversées pour les mesures et pour le contrôle de la réactivité dans le cœur. Il y a ensuite des viroles, les parois verticales de la cuve, qui ne sont pas en cause dans notre analyse et sont moins irradiées sur la cuve de l’EPR que sur les cuves des réacteurs du parc. Il y a enfin une calotte inférieure, libre de tout perçage, qui ne comporte pas de risque de fissuration lié à l’ajout de traversées. C’est un point favorable pour la cuve de l’EPR.

La fabrication de ces deux calottes a été réalisée par Areva avec un nouveau procédé de fabrication. C’est en ce sens que l’IRSN s’est exprimé en termes de régression. En effet, la fabrication des calottes des réacteurs du palier N4, voici un certain nombre d’années, utilisait une technologie dite de lingots à solidification dirigée, avec des lingots beaucoup plus petits, de l’ordre d’une cinquantaine de tonnes. Il était donc possible de mieux piloter le processus de refroidissement, de telle sorte qu’il n’y avait pas ou peu de ségrégation en carbone, du fait de la technologie employée. Au contraire, dans le procédé utilisé pour les calottes EPR, le lingot est très gros, si bien que le processus de refroidissement progressif favorise l’apparition de fortes ségrégations.

La fabrication prend évidemment en compte cela, en n’utilisant pas les parties haute et basse du lingot qui sont les plus ségrégées. La pièce est forgée à partir de la partie centrale. L’analyse vise à déterminer où se situe réellement – au centre ou en extérieur – le reste de ségrégation, non éliminé initialement. Il est très important de le savoir. Concernant ce point, il faut noter un élément favorable : la calotte inférieure est moins épaisse que la calotte supérieure. Cela veut dire que davantage de matière, évidemment la plus ségrégée, a été enlevée. Nous pouvons présumer que cela aura un effet favorable sur la démonstration, d’autant qu’il n’y a pas de traversées, donc moins de contraintes sur cette pièce.

A contrario, le couvercle contient toutes les traversées et il est plus épais. Il supporte plus de risque. Mais il est remplaçable. Si la démonstration ne pouvait être réalisée, ce ne serait qu’un demi-mal. Cela coûterait un peu d’argent mais cela ne condamne pas la cuve. Si la calotte du bas est inapte à l’emploi, c’est toute la cuve qui se trouve condamnée.

Un certain nombre d’essais, dont nous analyserons les résultats, vont être réalisés. L’ASN attend que nous donnions un avis sur l’adéquation du programme d’essais, avant que ces essais ne soient effectués. Nous analyserons la démonstration réalisée par Areva à partir de ces essais et la suffisance des marges qui auront été évaluées par le constructeur de la cuve. Nous pensons que le programme d’essais pourrait être approuvé à la fin du mois de septembre. Il faudra ensuite qu’il soit réalisé, que nous en analysions les résultats, que les groupes permanents se prononcent, etc. Cela nous amènera probablement à l’été 2016. EDF a choisi de ne pas interrompre la construction de l’EPR pendant cette phase. C’est son choix d’exploitant.

Je voudrais vous livrer trois éléments de conclusion. En premier lieu, les calottes de la cuve de Flamanville 3 présentent une anomalie de fabrication, au regard du haut niveau de qualité de fabrication attendu pour les cuves de réacteurs électronucléaires qui sont des équipements majeurs. C’est un constat acquis, que personne ne peut contester. En second lieu, l’impact de cette anomalie sur la démonstration de sûreté nécessite une analyse approfondie, sur la base de données complémentaires qu’il reste à acquérir, de mesures et ensuite de calculs. L’exécution de tout ce travail demandera plusieurs mois. En troisième lieu, sans s’engager sur la conclusion qui sera tirée des données complémentaires et de l’analyse consécutive, l’IRSN note que la conception innovante de la cuve de l’EPR, par rapport au parc français, apporte des éléments favorables à une issue positive de ce dossier. Encore faut-il en apporter la preuve.

M. Christian Bataille. - Mme Sylvie Cadet-Mercier interviendra à l’occasion des questions. Nous terminons ces interventions avec M. Patrick Dumaz, du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Il est chef du programme de recherche sur les réacteurs de deuxième et troisième générations. Je pense qu’il complétera les propos précédents, à la lumière de son expérience scientifique.

M. Patrick Dumaz, chef du programme de réacteurs de deuxième et troisième générations, direction de l’énergie nucléaire, Commission à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). - Au sein du CEA, j’ai en charge le programme de recherche et développement pour les réacteurs de deuxième et troisième générations. Celui-ci est en partie réalisé dans un cadre tripartite, avec EDF et Areva, et quadripartite, avec EDF, Areva et l’IRSN.

Concernant la cuve de l’EPR de Flamanville, le CEA, en tant qu’organisme de recherche et développement, n’a pas de position particulière et n’intervient pas dans les échanges. Même si M. Denis Baupin a noté que nous étions actionnaires d’Areva, nous ne disposons pas d’informations détaillées sur la cuve de l’EPR. Nos connaissances résultent des études menées, depuis des décennies, sur les cuves des réacteurs du parc en exploitation. Vous savez que, à la conception des réacteurs, les ingénieurs ont pris un certain nombre de marges. Ces études permettent de confirmer que celles-ci sont bien toujours présentes.

Sur la question de l’intégrité de la cuve, il est important de comprendre les chargements susceptibles de la menacer. Tels que nous les connaissons sur le parc actuel, il s’agit, comme évoqué précédemment par mon collègue de l’Université de Louvain, de chocs froids, liés à des situations accidentelles relativement hypothétiques : brèche ouverte dans le circuit primaire, dépressurisation, entrée en fonctionnement de l’injection de sécurité, etc. Ces transitoires de choc froid sont vraiment les plus déterminants pour les réacteurs du parc actuel.

L’eau, arrivant par les branches primaires, refroidit d’abord les viroles cylindriques qui subissent un refroidissement maximal. C’est à ce niveau que nous devons vérifier l’intégrité de la cuve. Dans le cas de l’EPR, le fond et le couvercle étant un peu plus éloignés de l’injection d’eau, le transitoire de température subi serait plutôt atténué. De plus, les viroles cylindriques sont très proches du cœur du réacteur. Un certain nombre de neutrons quitte le cœur et impacte le métal de la cuve. C’est ce que nous appelons le vieillissement sous irradiation, phénomène étudié depuis des décennies de façon très précise. Comme pour l’excès en concentration de carbone, l’irradiation neutronique provoque un durcissement du matériau, peu favorable pour les transitoires de choc froid.

Nous avons très peu évoqué la ténacité. Pour démontrer que la cuve va rester intègre, l'ingénieur a besoin d’une information sur la qualité du matériau et sa capacité à résister à la propagation des fissures. C’est ce que nous appelons la ténacité, un paramètre fondamental de la mécanique de la rupture. Ce sont ces paramètres qu’Areva va devoir mesurer de manière plus précise. Pour répondre à la question de M. Denis Baupin, les valeurs de résilience mentionnées dans la réglementation ESPN sont des indicateurs, non des valeurs utilisées par l’ingénieur pour ses calculs.

La qualité de la démonstration de sûreté suppose de disposer des valeurs de ténacité et d’étudier l’ensemble des sollicitations mécaniques qui se produiront sur la cuve, afin de vérifier que le chargement reste inférieur à ces valeurs. La ténacité est un paramètre très dépendant de la composition du matériau, de l’irradiation neutronique et de la température, puisque plus la température est basse, plus la ténacité est basse. Le matériau tend alors vers un comportement fragile et des risques de rupture fragile, d’où l’importance des transitoires de choc froid.

Pour réaliser une bonne démonstration, il faut aussi bien connaître l’irradiation neutronique, puisque c’est un facteur important de vieillissement et de durcissement des matériaux. C’est une question de neutronique et de sciences fondamentales du nucléaire. Les sciences des matériaux permettent de déterminer la ténacité, ce paramètre essentiel qui sert ensuite aux démonstrations. Les calculs de mécanique des fluides et de thermo-hydraulique permettent de déterminer les chargements. Enfin, il faut faire appel aux calculs de mécanique de la rupture.

Toutes ces sciences sont celles de l’ingénieur, auxquelles le CEA contribue depuis des décennies. Depuis sa création en 1945, la neutronique est une science de base du CEA. Nous menons des recherches très actives, plus ou moins fondamentales, dans tous les domaines. Pour faire des essais en neutronique, nous disposons d’une maquette critique, Éole, qui permet de reproduire le réacteur à petite échelle, avec un cœur et les différentes structures présentes dans une cuve. Nous étudions la propagation des neutrons afin d’améliorer nos modèles et de valider nos outils de calcul. Il faut vérifier que les viroles cylindriques sont plus impactées par les neutrons. Ce type de calcul permet aussi d’avoir une certaine confiance dans la propagation des neutrons, y compris vers les parties basses et hautes de la cuve qui pourraient aussi en recevoir un peu.

Le deuxième point important concerne la science des matériaux qui implique beaucoup d’essais sur matériaux vierges et sur matériaux irradié. Qui dit matériaux irradiés, dit radioactivité, ce qui nécessite de réaliser les essais mécaniques, de ténacité ou de résilience dans des laboratoires « chauds ». Nous le faisons couramment au LECI, le laboratoire chaud de Saclay, à partir de matériaux irradiés provenant du programme de surveillance de l’irradiation d’EDF ou des irradiations conduites en réacteur expérimental. Nous embarquons des centaines d’éprouvettes qui sont ensuite testées mécaniquement au LECI.

Ces essais permettent de conforter des formules empiriques de calcul de la ténacité, élaborées pour les démonstrations de sûreté, qui prennent en compte la composition précise de l’acier, y compris le pourcentage de carbone, la fluence neutronique et, bien entendu, la température. Les recherches menées durant des décennies confortent les valeurs de ténacité calculées. Le CEA conduit parallèlement un programme plus fondamental en science des matériaux, auquel le Haut-commissaire tient beaucoup, visant à obtenir des simulations multi-échelles du comportement des matériaux, en partant des échelles atomiques, au plus près de la matière, et des lois de la physique. A ce stade, obtenir à partir de ces propriétés fondamentales, à l’échelle atomique, des lois de comportement du matériau, constitue une perspective encore lointaine mais ces travaux permettent de mieux comprendre les phénomènes de base à l’œuvre dans l’irradiation, la variation des teneurs en carbone, etc.

L’avant-dernier point concerne la thermo-hydraulique, ou mécanique des fluides. Un code de thermo-hydraulique système, appelé CATHARE (Code avancé de thermo-hydraulique pour les accidents des réacteurs à eau), permet de prédire les transitoires de thermo-hydraulique qui vont solliciter l’intégrité de la cuve. Ces développements sont menés depuis très longtemps. Une nouvelle version de CATHARE, dénommée CATHARE 3, est en cours de développement, avec de nouveaux modèles à deux et trois dimensions utilisant de nouvelles capacités de calcul. Des expériences ont permis de tester ce nouveau modèle qui améliore la précision des prédictions par rapport aux anciennes versions fondées sur des corrélations plus simples.

Le dernier point porte sur la mécanique de la rupture. En complément de ceux de caractérisation de la ténacité des matériaux, des essais reproduisent vraiment la sollicitation bi-axiale subie par le matériau de cuve lors d’un transitoire mécanique. Lors de certains de ces essais mécaniques, réalisés sur des matériaux non-irradiés ou irradiés, il a été parfois observé des ruptures beaucoup plus tardives que prévu, ce même lorsque le chargement dépassait la courbe de ténacité. Ces phénomènes mécaniques – pour les spécialistes, il s’agit de
pré-chargements à chaud ou d’arrêts de fissures –, maintenant un peu mieux connus. ont montré que les approches d’ingénieurs utilisées jusque-là comportaient des marges ; elles sont en train d’être codifiées, par exemple dans le code RSE-M déjà mentionné.

Je n’ai pas parlé du fond et du couvercle de l’EPR. Si le CEA a fait beaucoup de recherches sur tous les aspects utiles à la démonstration que va faire Areva, il n’est pas partie prenante. Je peux simplement partager l’avis qualitatif donné par l’IRSN : le fond et le couvercle de cuve étant assez éloignés des arrivées d’eau, nous nous attendons à ce que les transitoires de choc froid qui vont solliciter la cuve soient moins sévères que ce que nous constatons habituellement pour les viroles cylindriques. L’ASN en demandera évidemment des démonstrations.

Je voudrais terminer en soulignant que le fond et le couvercle étant assez loin du cœur, ils devraient être également peu soumis aux flux d’irradiations, donc au vieillissement sous irradiation. Nous ne nous attendons pas à ce que les propriétés du matériau évoluent à partir de l’état initial. Cela doit être confirmé par des calculs détaillés mais, a priori, en termes de flux neutronique, plusieurs ordres de grandeur séparent le fond ou le couvercle, par rapport aux viroles cylindriques qui concentrent notre attention pour le parc actuel.

DÉBAT

M. Christian Bataille. - Vous avez été très prolixe sur votre matière. Nous en arrivons maintenant au tour de table. Je vais me tourner vers notre grand témoin, M. Yves Bréchet, nommé par le Gouvernement, non, comme cela a été suggéré tout à l’heure, par Areva. Il a sans doute des remarques et des questions à poser.

M. Yves Bréchet. - M. Bertrand de l’Epinois nous a indiqué où se trouvaient les ségrégations ainsi que leur intensité. Il a expliqué qu’elles dépendent de la forme des lingots. De même, chacun peut vérifier que la manière dont l’eau sort d’une éponge dépend de la forme de celle-ci. Tout alliage ségrègue, en se solidifiant, à plus ou moins grande distance et de manière plus ou moins efficace. Il serait particulièrement important de déterminer si ces ségrégations conduisent à une modification de la ténacité du matériau. C’est exactement ce qu’a expliqué M. Thomas Pardoen. La ténacité fournit la criticité d’un défaut potentiel, sous un chargement donné. C’est ce que nous a expliqué M. Jacques Repussard. Enfin, M. Patrick Dumaz a rappelé que l’irradiation s’ajoute à ces différents facteurs.

Compte tenu des enjeux, je me demande si les ségrégations identifiées entrent dans la gamme de celles déjà étudiées, en termes d’évolution de la ténacité sous irradiation, ou s’il est nécessaire d’engager des études complémentaires. Comme nous étudions les cuves depuis quarante ans, nous n’étudions pas simplement leur composition nominale, mais également sous irradiation, pour la raison indiquée précédemment. N’importe quel alliage conduit à des ségrégations. La question n’est pas de savoir si elles existent mais si elles sont dommageables.

M. Patrick Dumaz. - Je pense que ces ségrégations s’éloignent quand même un peu de ce qui a été étudié. Je ne vais donner qu’un ordre de grandeur, puisque nous n’avons pas fait le calcul. Nous nous attendons à une différence de trois ou quatre ordres de grandeur – c’est-à-dire de 1 000 ou 10 000 fois moins – entre la fluence neutronique sur les viroles cylindriques et sur les calottes. Ce sont des niveaux extrêmement bas, étant donné que sur toute la vie du réacteur, les viroles cylindriques reçoivent 1019 neutrons par centimètre carré. Aussi, nous ne nous attendons pas à un effet notable de vieillissement lié à l’irradiation neutronique.

M. Yves Bréchet. - C’est exactement ma question. Il n’y a pas de vieillissement à l’endroit où il y a des ségrégations, et pas de ségrégation aux endroits où il y a un vieillissement. C’est important. Une vérité qui fait plaisir doit toujours être prouvée deux fois.

M. Christian Bataille. - M. Yves Bréchet est non seulement un savant, mais aussi un pédagogue. Je vais me tourner à présent vers M. Pierre-Franck Chevet pour l’inviter à répondre aux questions posées tout à l’heure par Denis Baupin.

M. Denis Baupin. - Je voudrais poser des questions complémentaires, comme le président Le Déaut l’a proposé tout à l’heure.

M. Christian Bataille. - Je proposais à M. Pierre-Franck Chevet de répondre d’abord aux questions que vous aviez déjà posées.

M. Denis Baupin. - Cela vous gênerait-il que je pose des questions ?

M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous avez justement dit tout à l’heure qu’il n’avait pas été répondu à vos questions précédentes.

M. Denis Baupin. - Je voulais qu’il y soit répondu avant la seconde table ronde, pour éviter que nous n’ayons, de la part d’EDF et d’Areva, simplement des redites par rapport à ce que nous avons pu lire dans la presse. Vous n’avez pas souhaité qu’il en soit ainsi. Aussi, je veux poser des questions complémentaires.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Nous n’allons pas passer notre temps sur l’organisation du débat.

M. Christian Bataille. - Pour l’instant, je préside cette table ronde. Ce sera peut-être vous lors de la prochaine législature. Je vous donnerai la parole après que M. Pierre-Franck Chevet eut répondu à vos précédentes questions.

M. Pierre-Franck Chevet. - Je reprends les questions qui ont été posées tout à l’heure. Je rebondirai ensuite sur le dernier commentaire relatif au vieillissement.

Est-ce que le changement de lingots est normal ou anormal ? Est-ce une régression ? Est-ce que la cuve est en régression ? C’est un sujet un peu compliqué. Si nous regardons la cuve dans son ensemble, d’un côté, certains points sont en amélioration, en termes de conception et probablement de réalisation, par exemple un certain nombre de traversées ont été supprimées, de l’autre, il existe une anomalie. Nous avons toujours dit qu’il fallait d’abord traiter cette anomalie, avant de décider de sa gravité.

Je rebondis sur la discussion précédente concernant la ténacité. Il est vrai que la zone affectée est moins sollicitée et moins irradiée que d’autres. Cela joue dans le bon sens. Elle est, néanmoins, soumise à des effets de vieillissement thermique, indépendants de l’irradiation, qu’il faut prendre en compte, surtout pour des valeurs de carbone relativement élevées et hors-norme, comme le rappelait M. Rémy Catteau. À ce sujet, M. Yves Bréchet s’interrogeait sur l’existence d’autres éléments, issus notamment de la recherche et développement, qui auraient documenté ce qui se passe pour des taux de carbone élevés et hors normes, avec des écarts de 50 %, en regard de ce que nous connaissons pour le parc existant, pour lequel les écarts en carbone par rapport à la valeur moyenne sont plutôt de l’ordre de 20 % à 25 %.

Tout ce qui est dit par les uns et les autres en termes de mécanique de la rupture, est totalement vrai. Il faut néanmoins garder en tête que, pour la cuve, la réglementation exige des marges importantes, les meilleures. En dépit des points positifs, les calculs doivent être réalisés jusqu’au bout, étant donné que la cuve doit résister, y compris dans des hypothèses extrêmes d’accidents graves sur lesquels peut-être tous les phénomènes ne sont pas totalement cernés. La vraie question est : comment les marges évoluent-elles avec ou sans anomalie ? Où sont-elles ? Il y aura effectivement une part d’appréciation à apporter. C’est pour cela que ce travail d’essai, de documentation et de démonstration de sûreté reste à effectuer dans les prochains mois.

Nous avons évoqué l’avis de l’IRSN. Un premier avis a effectivement été, d’une certaine manière, rendu public, mais c’est un avis intermédiaire. Nous attendons un second avis de l’IRSN correspondant à une prise de position sur le programme d’essais. M. Rémy Catteau a évoqué les échanges que nous avons actuellement avec Areva. Nous attendons un certain nombre de compléments. Ensuite, nous solliciterons un groupe permanent d’experts. Ce groupe permanent se réunira probablement en septembre pour examiner le programme d’essais. S’agissant de la cuve, nous avons prévu d’y associer un certain nombre de membres du groupe permanent spécialisé en sûreté générale et, au moins en tant qu’observateur, de l’ANCCLI, comme cela avait été fait pour Fukushima, voire d’autres, si les contraintes logistiques le permettent. Il n’y a pas de problème sur le principe.

Nous étudions avec le HCTISN comment créer un groupe de travail qui pourrait éventuellement améliorer, par rapport à ces premières propositions, l’ouverture du processus d’expertise et apporter d’autres idées. Le groupe que le Haut comité est en train de constituer pourra peut-être nous aider à ouvrir autant que possible le processus d’expertise qui reste à mener. Nos homologues étrangers sont d’ores et déjà invités à participer à nos groupes d’experts, s’ils en ont la possibilité. Nous sommes ouverts à toutes les suggestions sur ce sujet. Encore une fois, la sûreté doit être publique.

M. Christian Bataille. - M. Pierre-Franck Chevet nous a apporté d’importants compléments d’information.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je voudrais juste poser une question. Je reviens sur votre introduction. Il n’y a pas d’anomalie réglementaire. M. Rémy Catteau a indiqué que quel qu’eût été le moment de détection de cette anomalie, nous l’aurions traitée de la même manière. Vous dites, en quelque sorte, que ce n’est pas la réglementation qui détermine la position de l’Autorité de sûreté nucléaire aujourd’hui. Est-ce que tout le monde, autour de cette table, est d’accord sur ce point, y compris EDF, le CEA et Areva ? Nous avons entendu des choses inverses, y compris dans la presse.

M. Christian Bataille. - Personne n’a d’objection. Qui ne dit mot consent.

M. Jean-Yves Le Déaut.- Ma question s’adresse à M. Bertrand de l’Epinois. En quoi la technique de fabrication que vous utiliseriez aujourd’hui pour fabriquer le couvercle ou le fond de cuve différerait-elle de celle mise en œuvre en 2006-2007 et pourquoi n’y a-t-il pas de problème quand ces éléments sont fabriqués non à Chalon, mais au Japon, comme pour l’EPR finlandais ?

M. Bertrand de l’Epinois. - Il y a deux aspects à cette question des procédés et des lingots, d’une part, l’évolution qui nous a conduits au procédé choisi pour la cuve du réacteur Flamanville 3 et, d’autre part, ce que nous ferons après.

Le couvercle du réacteur Flamanville 3 est plus grand que ceux des précédents réacteurs, la cuve étant un peu plus volumineuse. Il est surtout plus épais, car nous y faisons passer toutes les traversées auparavant situées sous la cuve. Il faut donc davantage de métal. Le lingot mentionné tout à l’heure, à solidification dirigée, avec lequel étaient fabriquées les précédentes calottes, n’était pas assez conséquent pour pouvoir réaliser cette pièce.

Nous avons donc choisi un lingot plus gros, dit conventionnel. Il n’est pas tout à fait nouveau. Il existe plusieurs types de lingots : le lingot creux, pour réaliser les viroles, le lingot conventionnel, pour fabriquer de grosses pièces, dites écrasées, et le lingot à solidification dirigée. C’est la panoplie dans laquelle nous choisissons, suivant la taille de la pièce et suivant les contraintes.

Les forgerons font face à un certain nombre de contraintes, dont la gestion des ségrégations. Mais il en existe d’autres, comme l’obtention d’un taux de corroyage suffisant, c’est à dire le taux de déformation par le forgeage qui permet de lui donner de bonnes caractéristiques métallurgiques. Pour qu’elle soit assez déformée, il faut partir d’un lingot suffisamment gros au regard de la taille de la pièce. Cela explique l’évolution du procédé. Le lingot conventionnel a été choisi pour obtenir un taux de corroyage satisfaisant sur une pièce plus épaisse. Un équilibre entre corroyage et ségrégation doit être trouvé, au cas par cas, pièce par pièce.

Concernant l’avenir, nous menons des programmes d’étude, de modélisation et de développement, pour évaluer dans quelle mesure et suivant quels procédés nous pourrions réaliser, dans les ateliers et avec les outils dont nous disposons, de très grosses pièces, conformes en tout point à la réglementation ESPN. Il faudra examiner les résultats de ces évaluations, des nombreuses expertises de pièces réalisées ces dernières années et de nos travaux de recherche et de développement. Nous verrons ensuite ce qu’il est possible de faire.

M. Christian Bataille. - M. Pierre-Franck Chevet veut intervenir sur ce point.

M. Pierre-Franck Chevet. - Je voudrais ajouter une précision. Nous avons suggéré à Areva de lancer une revue historique générale de l’évolution de ces processus de fabrication aux alentours des années 2000. Cette revue, actuellement menée par des experts indépendants, notamment Lloyd’s et l’Apave, s’intéressera, plus largement, aux évolutions survenues dans les aciéries, à la forge du Creusot, ainsi qu’au sein des services d’Areva directement impliqués. Les premiers éléments devraient être disponibles dans les prochaines semaines. C’est un point extrêmement important. Comme le disait M. Rémy Catteau, nous devons traiter chaque problème mais nous devons également nous interroger sur ses éventuelles implications, les difficultés de forge ne se limitant pas nécessairement à la ségrégation.

M. Thomas Pardoen. - Le point de départ du problème porte sur les 60 joules. S’agit-il de 60 joules comme valeur moyenne, avec une dispersion, ou de 60 joules comme borne minimale ? Ce qui se cache derrière ma question, c’est qu’il se trouvera toujours un petit élément de volume, à un endroit donné, dont la ténacité locale pourra être très faible. C’est une question de volume statistique. J’ai consulté les documents et les décrets qui restent assez généraux. Je n’ai pas trouvé de détails à ce sujet.

M. Pierre-Franck Chevet. - Je ne suis pas sûr d’avoir une réponse parfaitement précise. De mémoire, pour les cinq ou six essais réalisés, la valeur minimale était de 36 joules, avec une moyenne de 52 joules. Dans le cadre des essais complémentaires, la dispersion sera étudiée. Si elle est très faible, ce sera plutôt une bonne nouvelle, à moins que les valeurs ne soient elles-mêmes faibles. Si la dispersion est forte et la valeur moyenne correcte, cela peut aussi poser problème, puisque je rappelle qu’il faut des marges, si bien que les valeurs basses ne sont pas à négliger. Je ne réponds pas d’un point de vue réglementaire mais en termes d’essais. Face à un matériau anormal, il faut pousser les investigations plus à fond. Nous attendons beaucoup des essais complémentaires pour apprécier la dispersion.

Mme Sylvie Cadet-Mercier, directrice des systèmes, nouveaux réacteurs et démarche de sûreté, IRSN. - Sur l’aspect irradiation de la calotte, je dirais même que le facteur de comparaison est plutôt de 106, soit un million de fois moins en fluence. C’est beaucoup plus favorable que pour la virole de cuve. Nous nous retrouvons avec un matériau ségrégé, mais pas fragilisé par l’irradiation. C’est plutôt positif. C’est un point que nous avons vérifié assez rapidement. Concernant les valeurs réglementaires, pour assurer une représentativité de la mesure, nous nous intéressons aux valeurs moyennes et aux valeurs individuelles, ce qui donne une représentativité de la mesure. Pour les mesures réalisées, la valeur moyenne était de 46 joules.

M. Christian Bataille. - Si vous le permettez, je vais d’abord donner la parole à Denis Baupin, avant de revenir à M. Bertrand de l’Epinois.

M. Denis Baupin.- Je ne sais pas s’il faut demander aux entreprises de permettre que les nombreux parlementaires présents souhaitant exercer leur rôle de contrôle, conféré par la Constitution, puissent prendre la parole. J’avais en effet quelques questions à poser dans le cadre de ce contrôle que nous devons exercer en tant que parlementaires. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Si vous avez souhaité que nous organisions cette réunion aujourd’hui, c’est bien parce qu’il existe un problème.

Je me permets de revenir sur ce changement de méthode, celle du lingot plein, décidé par Areva. L’IRSN a estimé que ce procédé n’avait pas été qualifié. Ma question reste entière. Qui a décidé de changer de procédé ? Ce procédé a-t-il été modifié uniquement à l’initiative de l’entreprise ? A-t-il été avalisé par les autorités de sûreté ? Est-ce que cela résulte d’un accord tacite ?

En ce qui concerne les événements survenus depuis, dans son analyse, l’IRSN mentionne deux notes d’Areva datant de l’année 2010, faisant état de mesures effectuées lors de la fabrication des pièces, notamment lors du percement du couvercle. Des copeaux présentaient des teneurs en carbone proches de 0,3 %, donc supérieures au maximum autorisé dans la réglementation en vigueur. Par conséquent, Areva disposait d’informations concernant le problème avant que la cuve ne soit installée dans l’EPR. Il aurait été possible de procéder, à ce moment-là, à des tests surfaciques, avant l’installation de la cuve. Qui a eu connaissance de ces informations à l’époque ? L’IRSN et l’ASN ont-ils été alertés par Areva ? Cela aurait permis d’éviter d’installer, à l’intérieur de l’enceinte de l’EPR, une cuve qui risquait de ne pas être conforme. Lorsque M. Jacques Repussard explique que nous ne pouvons dire si cela est grave, cela signifie aussi que nous ne pouvons pas dire si cela ne l’est pas. Si cette cuve s’avère non conforme et qu’il faille la retirer, voire qu’il soit impossible de la retirer, qui paiera ? J’imagine que ce sera, à un moment donné, le consommateur. Contrairement à ce que suppose le président Bruno Sido, je n’ai pas l’impression que les travaux soient arrêtés. Nous continuons à construire autour de cette cuve. Les coûts de l’EPR ne cessent d’augmenter. Si la cuve n’était pas conforme, parce que nous n’avons pas pris toutes les précautions, je pense que le rôle de l’OPECST serait, au minimum, de demander, à l’issue de cette audition, une enquête administrative, pour déterminer comment ces décisions ont été prises et pourquoi les alertes n’ont pas été remontées en temps réel, afin que la représentation nationale et l’actionnaire qu’est l’Etat, au sein de ces entreprises, prennent les dispositions nécessaires et soient au moins informés des problèmes. Je pense que là où nous en sommes de l’information sur ces difficultés, ces questions doivent se poser.

En ce qui concerne les suites, je remercie le président Pierre-Franck Chevet d’avoir confirmé sa volonté de transparence en ce qui concerne la procédure. Je pense que c’est important. Malgré tout, la question évoquée à plusieurs reprises en filigrane demeure celle de l’assurance réelle qu’apporteront les tests prévus, dans le cas où la cuve serait validée, sur la sûreté du couvercle et du fond de cuve. À ce sujet, je me permets de citer l’IRSN : « Le programme d’essais prévu par Areva est pertinent, mais il n’apparaît pas de nature à apporter des garanties équivalentes à celles issues des nombreux essais mécaniques réalisés pour les aciers des cuves des réacteurs du parc ». Cela signifie que nous n’aurions pas de garantie réelle équivalente à celle prévue par la réglementation. J’entends bien que le couvercle et le fond de cuve étant moins irradiés, leur vieillissement sera moins important. Mais la réglementation prend en compte ces informations, déjà connues. Il faudrait d’abord savoir si, initialement, avant même son vieillissement, la pièce était conforme. Sur cette question, je n’ai pas entendu de réponse rassurante sur le fait que si nous respections telle et telle disposition, nous saurions que la cuve est conforme.

Enfin, ma dernière question rejoint celle du président Jean-Yves Le Déaut concernant les termes d’anomalie administrative. Je vais la poser plus clairement : certains pensent-ils que l’ASN est trop exigeante en demandant une sécurité maximale ? J’étais plutôt satisfait de lire, dans un entretien récent, que l’Administrateur général du CEA considérait que l’ASN faisait son travail et était dans son droit. J’ai été très heureux d’entendre le ministre de l’économie, lorsque je l’ai interrogé dans le cadre des questions au Gouvernement, répondre que l’indépendance de l’ASN était indiscutable et qu’il fallait absolument travailler sur la filière nucléaire en crise –c’est le terme qu’il a utilisé–, dans le respect total de l’indépendance de l’ASN. J’aimerais bien que tout le monde ici dise que la parole de l’ASN est indiscutable et qu’elle n’en fait pas trop lorsqu’elle a des exigences en matière de sûreté. Puisque beaucoup répètent régulièrement qu’en France nous avons une volonté d’excellence en matière nucléaire qui va au-delà de celle d’autres pays, il apparaît positif que nous ayons une autorité de sûreté exigeante.

M. Christian Bataille. - Personne ne pense ce que vous venez d’affirmer d’une manière pernicieuse. Il y a maintenant quelques années, au sein de l’Office parlementaire, avec Jean-Yves Le Déaut, nous avons voulu la création de l’Autorité de sûreté nucléaire. Elle a commencé avec le président André-Claude Lacoste, elle se poursuit avec M. Pierre-Franck Chevet. Je suis très heureux qu’elle continue d’exister. L’ASN décide de son action. Notre réunion d’aujourd’hui vise à apporter un complément par rapport aux informations diffusées jusqu’à présent.

M. Denis Baupin. - Je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendu. Au travers cette question, je ne vous visais absolument pas, ni vous, ni le président Jean-Yves Le Déaut. Ma question concernait les entreprises, pas les parlementaires.

M. Christian Bataille. - Qui, selon vous, autour de cette table, penserait cela ? Il faut le lui demander directement.

M. Denis Baupin. - Quand nous lisons certaines dépêches de Reuters, ou des lettres adressées à l’ASN par d’anciens responsables d’EDF et d’Areva, nous pouvons penser que, dans ces entreprises, certaines personnes considéreraient que l’ASN en fait trop.

M. Christian Bataille. - Nous n’avons pas entendu le représentant d’EDF nous dire cela.

M. Denis Baupin. - Je voudrais qu’il nous confirme l’inverse.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Dans le rapport que M. Lionel Jospin, m’avait confié sur la longue marche vers la transparence, j’ai demandé la création de l’Autorité de sûreté nucléaire. Celle-ci a mis du temps à se concrétiser. J’ai aussi demandé la fusion entre sûreté nucléaire et radioprotection ainsi que la création des commissions locales d’information, qui ont aujourd’hui la parole, comme l’a rappelé M. Pierre-Franck Chevet. Je crois que le rôle de l’Office dans ce domaine est reconnu.

J’aurais une question pour EDF et Areva, qui va dans votre sens : pourquoi avons-nous détecté ce problème aussi tard ? J’ai également une question technique à laquelle notre grand témoin ou M. Thomas Pardoen, pourront peut-être répondre : pourrions-nous imaginer un traitement local, par chauffage, refroidissement ou d’autres procédés, pour répartir ces ségrégations, en gardant en tête les différences, dont nous ne pouvons pas dire qu’elles aient été aussi clairement mises en évidence avant cette audition, entre les sollicitations de différentes parties du réacteur ? C’est une question très technique, mais qui pourrait permettre de répondre aux interrogations soulevées.

M. Christian Bataille. - Cela fait un empilage de questions auxquelles vont répondre successivement les uns et les autres, en commençant peut-être par M. Bertrand de l’Epinois. Notre grand témoin s’exprimera en dernier. J’aurais, à la fin, une petite question à soumettre à EDF, en guise de cadeau, pour que Denis Baupin ne dise pas que nous n’en posons pas. Nous avons quand même pris l’initiative d’organiser cette audition, qui lui permet de formuler ses propres questions.

M. Bertrand de l’Epinois. - La conception, la fabrication et la validation d’une cuve représentent un long processus. À partir du moment où nous sommes en phase de fabrication et, ensuite, d’élaboration des dossiers de justification, un certain nombre de grandes questions techniques doivent être examinées, notamment concernant les viroles : quelle est leur composition chimique ? Quelle sera leur irradiation ? Quel est l’effet du réflecteur lourd ? Etc. Pour reprendre ce qui a été dit tout à l’heure, ce sont les viroles qui, en cas de choc froid, pourraient être confrontées aux risques principaux. Ce sont donc les zones que nous étudions en priorité.

Quand nous arrivons ensuite au dôme inférieur, a fortiori au couvercle percé, il faut examiner la qualité du revêtement, des soudures et des soudures d’adaptateur. Nous avons été confrontés à un problème technique difficile sur ces dernières. Elles présentaient initialement des fissurations à froid. Il s’est avéré nécessaire de les retirer et de les refaire, sous le contrôle très étroit de l’ASN et des organismes notifiés agréés. Ce sujet technique lourd nous a beaucoup occupés.

Nous étudions de façon privilégiée, à l’intérieur, les zones que nous allons revêtir et, à l’extérieur, les zones que nous allons souder sur la bride, car nous allons faire des soudures sur une pièce de la cuve. C’est là que nous regardons si nous avons les bonnes caractéristiques mécaniques. Elles sont de fait très bonnes, puisque nous atteignons, pour la résilience, jusqu’à 180 ou 200 joules Un travail long et très rigoureux est réalisé sur ces zones-là. De manière générale, un grand nombre de sujets sont examinées de façon approfondie. Il existe un ordre hiérarchique. Les zones extérieures de la calotte ne sont pas celles qui sont étudiées en priorité, puisqu’elles ne sont pas identifiées comme étant très sensibles à la rupture brutale. Ce travail d’exhaustivité, demandé par l’arrêté ESPN et par l’ASN en application de ce dernier, nous a conduits à réaliser des essais dans ces zones. Il y a énormément de travail sur les autres sujets et sur les mises en application de la réglementation ESPN.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Pourquoi si tard ? L’aviez-vous vu en 2010 ?

M. Bertrand de l’Epinois. - Je viens d’essayer de vous répondre.

M. Thomas Pardoen. - Pour déterminer ce que nous pouvons décider sur ce problème, la méthodologie est très claire. La mécanique de la rupture existe depuis cinquante ans. Elle consiste à poser l’hypothèse, d’une part, de l’existence d’une fissure d’une taille inférieure au seuil de détection, à un endroit où la matière aurait la ténacité la plus basse, et, d’autre part, du pire état de chargement de la cuve, celui résultant du refroidissement. Il faut ensuite vérifier que cette fissure ne s’agrandit pas. Cette même analyse est effectuée dans tous les domaines technologiques en dehors du nucléaire, par exemple dans l’aviation et les pipelines. C’est une méthodologie établie, sûre et basée sur une théorie elle-même un peu trop conservatrice : la mécanique linéaire élastique de la rupture. À la fin de l’analyse, une réponse à la question est obtenue d’un point de vue scientifique. Est-ce que cela correspond à la façon dont les codes en vigueur sont écrits ? Je ne suis pas assez expert pour le dire.

M. Pierre-Franck Chevet. - Bien évidemment, il existe des méthodes éprouvées en mécanique de la rupture. La seule différence par rapport aux industries classiques porte sur les marges. Contrairement à ces dernières, l’industrie nucléaire doit exclure la rupture d’un composant. Même si nous faisons ce qu’il faut pour éviter la rupture dans l’industrie chimique, celle-ci est étudiée dans tous les scénarios d’accidents. Cela change la donne, non pas en termes de méthodes – la science reste la même – mais de marges. C’est la question qui reste ouverte. Il faut qualifier tous les chargements, les valeurs basses, ce qui n’est pas trivial, car nous n’aurons pas une infinité de valeurs. Il faudra développer des approches statistiques. Cela nécessitera du temps.

Concernant la question posée par M. Denis Baupin sur la confirmation de ce que les exploitants nous aiment beaucoup, si tel était le cas, je ne serais pas rassuré. Nous ne sommes pas payés pour que les uns et les autres nous aiment, même si nous savons entendre et souvent comprendre. Ce serait totalement délétère pour ma fonction. Je ne le demande donc pas. En revanche, cela m’aiderait si les contrevérités n'étaient pas trop nombreuses à circuler.

M. Christian Bataille. - Après cette déclaration affective inattendue, je voudrais poser au représentant d’EDF une question qui nous sortira un peu du domaine scientifique. Pourquoi vous acharnez-vous à employer, à Flamanville, un nombre important de personnels étrangers, pas toujours qualifiés ? Nous l’avions déjà dénoncé avec le député Claude Birraux, dans notre rapport de 2011 sur la sécurité nucléaire. Ne pensez-vous pas que cela contribuerait à votre efficacité d’avoir des personnels français, qualifiés, formés, non des intermittents comme ceux que vous employez ?

M. Laurent Thieffry. - Je vais vous faire une réponse courte et directe. Les principaux titulaires du chantier de Flamanville 3 sont des entreprises de la filière nucléaire française. Elles font intervenir des employés spécialisés a priori de leurs filiales françaises. La plupart des entreprises de montage qui ont besoin de main-d’œuvre moins qualifiée font énormément appel à l’emploi local. Nous avons aujourd’hui plus de 800 personnes sur le site qui sont issues de l’emploi local, sur les 4 000 que je citais.

Il est vrai que pour certaines spécialités, par exemple la chaudronnerie ou la tuyauterie, nous avons un déficit de main-d’œuvre compétente en France et que, aujourd’hui, force est de constater que certaines spécialités ne sont plus maîtrisées que par des entreprises ou certains sous-traitants étrangers. Il n’y a pas formellement aujourd’hui, à Flamanville 3, un fort taux de sous-traitance à des entreprises étrangères. Cela a peut-être été plus vrai au début du chantier, en phase de génie civil, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un énorme effort a été fait en faveur de l’emploi local.

M. Christian Bataille. - Je prends acte de votre réponse. C’est à vérifier. Vous me dites qu’il n’y a pas de plombier polonais à Flamanville. Nous devons nous en assurer. Il y a beaucoup de travailleurs français qui attendent un emploi.

Je vais laisser notre grand témoin, M. Yves Bréchet, conclure cette table ronde. Je vous épargnerai ma conclusion, j’ai suffisamment pris la parole. Nous avons bénéficié d’intervenants de qualité. Le président Jean-Yves Le Déaut conclura cette demi-journée.

M. Yves Bréchet. - Avant de donner quelques éléments de conclusion, je voudrais répondre à une question posée par M. Jean-Yves Le Déaut concernant les mesures curatives envisageables contre les ségrégations. La métallurgie est bonne fille mais ce n’est pas une fille facile. S’il est, à la limite, possible d’essayer, par divers procédés, d’éviter des macro-ségrégations, ce n’est pas du tout trivial. Les macro-ségrégations résultent d’un transport de liquide. Dès l’instant où elles interviennent, les distances sont assez grandes pour que nous ne puissions les guérir par un recuit. Si les ségrégations sont présentes à ces échelles-là, elles sont définitives. Je suis désolé de vous décevoir.

Je voudrais apporter quelques éléments de conclusion. Pour moi, on décèle une table ronde réussie au caractère inutilisable de la conclusion préparée pour celle-ci. La mienne l’est en partie, mais pas entièrement. Elle est utilisable sur les questions de long terme, moins sur celles de court terme. Je pense qu’il faut revenir aux deux tables rondes, prévues dans sa sagesse par l’OPECST, parce qu’elles posent deux questions différentes : d’une part, une question importante mais ponctuelle, dont la presse parle beaucoup, relative à l’existence de cette anomalie et à sa nocivité, et, d’autre part, la question de l’évolution des règlements et de la manière dont ceux-ci peuvent être élaborés, évoluer et être mutuellement acceptés, au travers d’une réflexion conjointe entre opérateurs et autorité de sûreté. Cette dernière question me semble également très importante, même si elle est peu évoquée.

Concernant les sujets techniques abordés aujourd’hui qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je pourrais céder à la tentation de vous donner mon avis. En tant que métallurgiste, ayant longtemps travaillé sur les aciers de cuve et plus généralement sur le vieillissement des matériaux dans des conditions d’irradiation, je pourrais ajouter un avis à ceux que vous avez entendus, aussi bien sur la réglementation des appareils sous pression que sur la cuve de Flamanville.

Je vais résister à cette tentation, d’abord par respect pour l’OPECST et pour son mode de fonctionnement. Il m’est souvent arrivé de dire que l’OPECST est l’incarnation même de ce que doit être le lien entre mondes scientifique et politique. Ce lien ne saurait se satisfaire d’un avis d’autorité, donné par le titulaire d’une fonction, fût-il Haut-commissaire. L’OPECST doit chercher l’expertise où elle se trouve, chez les praticiens de la science et de la technologie, car ce sont eux qui nourrissent sa réflexion. Le rôle que peuvent jouer des intervenants tels que moi, même au plus près de leurs compétences, ne peut remplacer l’audition d’experts de terrain.

Pour autant, cela ne signifie pas que je n’ai aucun avis technique sur la question. Mon avis se nourrit d’une analyse comparative des différentes contributions qui vous ont été présentées, d’une vie consacrée à l’étude des matériaux de structures, et d’échanges avec les personnes en charge des études en cours. Simplement, je ne veux pas préempter un résultat qui n’est pas encore acquis, même si, pour l’instant, ce qui a été présenté conduit à une vision plutôt optimiste, non pas sur la présence des ségrégations, mais sur leur caractère dommageable. Nous ne pourrons trancher cette question qu’une fois l’ensemble des études réalisées. Je pense qu’il n’est pas bon de communiquer sur une étude à venir. Il faut communiquer sur des résultats acquis. L’étude à venir suscite toujours une inquiétude et, une fois l’inquiétude créée, il devient ensuite très difficile, dans nos sociétés, de la dissiper, tant est devenue prégnante, sur ces questions, la culture du soupçon.

Est-ce à dire que ma conclusion va ressembler à ce monologue d’un personnage d’Eugène Labiche qui commence par « Avant de prendre la parole, je voudrais dire quelques mots » ? Je voudrais vous inviter à réfléchir, non pas simplement au sujet technique qui nous rassemble, mais à la raison qui en fait une question politique impliquant l’OPECST. Nous faisons face à deux sujets : les appareils sous pression et la composition des aciers de cuve, relevant de l’application d’un règlement qui, dans les deux cas, a évolué dans des périodes récentes. Il est normal que les règlements évoluent. Nous avons, dans un cas, la question de l’application du règlement et, dans l’autre, celle de la nocivité d’une anomalie. Ces questions portent sur un sujet d’importance : la sûreté nucléaire. L’Autorité de sûreté nucléaire et son bras armé, l’IRSN, sont les garants de la sûreté. Les opérateurs doivent appliquer ces règlements.

Nous sommes très proches de la remarque de Pascal qui disait qu’il faut obéir aux lois parce qu’elles sont lois, non parce qu’elles sont justes. Nous pouvons être aussi très proches de cet adjudant qui, pendant mon service militaire, coupait court à toute velléité de discussion d’un retentissant « Je ne veux pas le savoir. C’est moi votre chef ». Je voudrais être certain que ce soit Pascal qui nous serve de modèle, non mon adjudant.

Pour que l’application des règlements soit efficace, il est impératif que leur contenu soit non seulement rationnel, mais aussi reconnu comme tel par tous ceux qui vont devoir les appliquer, y compris ceux pour qui cela générera un surcroît de travail. Les résultats des études sur lesquels s’appuie l’ASN sont publics.

Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur les règlements eux-mêmes. Quand un règlement est modifié en vue d’accroître la sûreté nucléaire, il serait très utile de faire la démonstration scientifique que nous avons bien augmenté la sûreté et pas simplement son coût. Il est impératif que les opérateurs soient convaincus de ce fait. Il serait très utile de démontrer que les exigences nouvelles sont technologiquement réalistes, et de donner un moyen de les mettre en œuvre. Je pense que ce travail est en cours. Cela me rend extrêmement optimiste pour la suite des événements.

Je voudrais expliciter pourquoi il est important de faire la démonstration qu’un règlement plus rigoureux conduit à accroître la sûreté, et pas simplement le coût de celle-ci. Vous allez me dire : Pourquoi nous compliquer l’existence ? Ne suffit-il pas de réglementer et d’appliquer ? À ne pas expliciter la raison d’un règlement, à ne pas prendre le temps de convaincre les opérateurs par une discussion approfondie, nous courrons le risque de dérives dommageables, en termes de sûreté et d’efficacité.

Pour l’efficacité, on imagine très bien qu’un règlement plus contraignant sera nécessairement plus coûteux. Pour la sûreté, c’est un peu plus subtil. Nous pourrions penser que des règles prudentes, au-delà de la démonstration rationnelle de leurs fondements, assurent une sûreté renforcée. Elles peuvent pourtant avoir l’effet inverse. Si les opérateurs ne sont pas convaincus de la rationalité d’une règle, ils peuvent être tentés de la contourner. J’espère qu’ils ne le font pas. Nous prenons à revers le principe de Pascal. Dès lors que l’on commence à désobéir à une loi qui semble infondée, il est aisé de se croire autorisé à la contourner.

Nous n’en sommes heureusement pas là, mais il faut être conscient des risques pour les éviter. Le manque de confiance dans la rationalité des règlements n’incite pas les opérateurs à la curiosité naturelle attendue des scientifiques. Craindre qu’une autorité se saisisse d’une nouveauté pour durcir des règlements, rend relativement peu enclins à la découvrir. Aussi, je plaide pour une discussion très approfondie sur les règlements, leurs évolutions et leur mise en œuvre entre les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire, dans le complet respect de l’indépendance de cette dernière qui, in fine, reste seule juge.

Il faut également que tout cela repose sur une compétence scientifique et technique au plus haut niveau. C’est sur ce point que je souhaiterais conclure. Voici quatre ans, dans un rapport sur la métallurgie, l’Académie des sciences a alerté sur la perte progressive de compétence résultant d’une désaffection pour une discipline passée de mode. Il est urgent de se souvenir que la sûreté, avant même la question des règlements et de leur application, repose, aussi bien du point de vue du régulateur que de celui du concepteur, sur la nécessité d’une compétence sans faille dans les sciences de l’ingénieur qui ont fait de l’énergie nucléaire un joyau de notre industrie, une composante essentielle de nos ressources énergétiques ainsi qu’un modèle de sûreté industrielle.

C’est aussi cette question de la compétence qui transparaît dans ma demande, inspirée par des situations que nous avons examinées aujourd’hui, que l’évolution du règlement soit accompagnée de la preuve indubitable de sa pertinence scientifique et technique. C’est une raison de plus de nous livrer à l’exercice exigeant de la démonstration. Nous devons nous assurer que les compétences sont au meilleur niveau, partout. La sûreté et la transparence n’en seront que mieux assurées. Je vous remercie.

CONCLUSION

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. - Je voudrais d’abord vous remercier toutes et tous d’être venus. C’est le rôle du Parlement de faire le lien entre des sujets techniques difficiles et des décisions qui doivent être prises au niveau politique, par des parlementaires qui n’ont pas tous obligatoirement la compréhension de ces sujets. C’est notre rôle, au travers d’auditions, de démontrer aux parlementaires la complexité d’un sujet pour qu’ils puissent eux-mêmes se l’approprier. Je pense que nous essayons de le faire, sujet après sujet.

Les liens que nous entretenons avec les autorités administratives indépendantes ou avec les agences, dans les domaines que nous suivons, sont essentiels. Quand l’État transfère une partie du pouvoir régalien à une autorité administrative indépendante, le Parlement doit, en effet, pouvoir la contrôler. C’était notre rôle de le faire aujourd’hui.

L’Office parlementaire se réunira, comme il le fait après chaque audition publique, pour en tirer les conclusions. Denis Baupin a formulé, tout à l’heure, une proposition à ce sujet. J’ai retenu un certain nombre de points évoqués par M. Yves Bréchet que je vais essayer de reprendre, sans notes et sans faire référence à Eugène Labiche. D’abord, il ne s’agit pas d’une anomalie réglementaire, mais d’une anomalie technique sérieuse. Tous en sont globalement convenus, même si le discours final de M. Jacques Repussard se voulait optimiste, sous réserve des vérifications en cours. Nous sommes dotés d’une réglementation et d’une Autorité de sûreté nucléaire chargée de l’appliquer. Concernant les anomalies et les ségrégations de carbone, il a été indiqué à deux ou trois reprises qu’elles ne sont pas du même ordre de grandeur au niveau des viroles ou d’autres parties de la cuve, ce qui n’a pas de rapport avec la réglementation. Mais cet exemple peut aussi conduire, à un moment donné, à une réflexion sur la réglementation, souvent élaborée de manière théorique, alors que nous avons ensuite l’obligation de l’appliquer.

Je voudrais insister sur un troisième point. Comme M. Bertrand de l’Epinois l’a rappelé, s’agissant d’un prototype, nous nous trouvons confrontés à des problèmes que nous n’avions pas imaginés. Cela me conduit à dire que, politiquement, nous aurions dû construire, plus tôt, le premier EPR en France, ce qui aurait évité un certain nombre de problèmes qui se posent aujourd’hui et affectent la crédibilité de la filière à l’export. Je crois qu’il faut appliquer la réglementation, mais cela ne doit pas être un facteur d’immobilisme. Quels que soient nos avis sur l’énergie nucléaire, nous devons assurer la sûreté et la sécurité de nos centrales nucléaires. C’est en tout cas ce que nous essayons de faire.

Le quatrième point a été mentionné par M. Yves Bréchet, mais je l’avais également noté. Afin de pouvoir traiter de sujets complexes, tel que celui-là, nous devons soutenir la recherche. Comme le dit un rapport de l’Académie des technologies, les matériaux métalliques ne sont plus considérés comme une discipline d’avenir dans notre pays. Des alertes ont été lancées. Au Conseil stratégique de la recherche, dont je suis membre, je n’ai pas beaucoup entendu parler de matériaux métalliques, pas plus que de physique du bâtiment, deux sujets qui sont pourtant majeurs pour notre société. Je crois que cette audition montre qu’il est dangereux d’abandonner des pans entiers de la recherche et du savoir académique ou technologique. Nous avons peut-être été inconséquents, à un moment donné, dans ce domaine de la recherche sur les matériaux. Il est à mon avis important de remettre en route le chantier des études sur les matériaux métalliques.

Je voudrais terminer en disant que je crois que l’audition d’aujourd’hui, voulue par M. Christian Bataille, clarifie un certain nombre de points. Elle montre qu’il faudra des études. Les délais vont sans doute être difficiles à respecter, même si nous disons politiquement que les délais doivent être tenus sans augmentation de coûts. La sûreté doit primer sur tout. Nous essaierons d’aller vite mais tout le monde est convenu que nous devions conduire des essais complémentaires. Nous avons quand même assisté aujourd’hui, non pas à l’expression de contrevérités mais à un rapprochement des points de vue exprimés. J’espère que chacun a pu exprimer son point de vue devant le Parlement. Cela était notre souhait. Merci beaucoup.

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 8 JUILLET 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. – Nous abordons maintenant la présentation des conclusions relatives à l’audition publique du 25 juin 2015 sur « Le contrôle des équipements sous pression nucléaires : le cas de la cuve du réacteur EPR » par M. Christian Bataille, député.

M. Christian Bataille, député, vice-président. – Le 15 avril 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire présentait son rapport annuel devant notre Office.
À cette occasion, son président, M. Pierre-Franck Chevet, a souligné que le défaut de fabrication de la cuve de l’EPR, officialisé une semaine auparavant, constituait une anomalie très sérieuse.

Il s’agit là d’une question d’ordre technologique et scientifique susceptible d’affecter l’une de nos plus importantes filières industrielles. La presse étrangère ne s’y est pas trompée, puisqu’elle a largement répercuté les propos du président de l’ASN. Il revenait donc à notre Office d’organiser une audition publique, destinée à informer plus complétement nos collègues parlementaires, et, à travers la presse, nos concitoyens, sur ce sujet. En la circonstance, il m’a semblé d’abord nécessaire que l’Office fasse preuve de réactivité. Cette audition publique s’est, de ce fait, tenue dès le 25 juin dernier.

J’ai aussi voulu assurer l’objectivité de cette audition, en réunissant l’ensemble des acteurs directement concernés : l’ASN, l’IRSN, la direction générale de la Prévention des risques, EDF et Areva. Étant donnée la nature du sujet examiné, j’ai jugé utile de nous adjoindre l’appui de scientifiques de haut niveau, en la personne de M. Thomas Pardoen, professeur à l’Université catholique de Louvain, et du Haut-commissaire à l’énergie atomique, M. Yves Bréchet, qui est aussi membre de l’Académie des sciences. Tous deux sont des physiciens spécialistes des métaux, de réputation internationale. Étaient également représentés à cette audition : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN), l’Association pour la qualité des appareils à pression et le CEA.

Enfin, j’ai également eu le souci de l’exhaustivité, d’abord en réservant suffisamment de temps pour le débat et les questions – j’insiste sur ce point : toutes ont pu être posées – ensuite en n’éludant aucun aspect du problème.

Deux tables rondes étaient prévues. La première a été consacrée à la question du contrôle des équipements sous pression nucléaires et, en particulier, à la réglementation. En effet, l’ASN avait fait part d’éventuelles réserves, non exprimées, de certains acteurs de la filière, à l’encontre de la nouvelle réglementation sur les équipements sous pression nucléaires, plus exigeante, mise en place en 2005. Comme vous le savez, la démarche de sûreté française est fondée sur un renforcement continu des exigences, ce qui se traduit aussi par une réglementation plus rigoureuse.

Nous avons donc pu interroger publiquement à ce sujet l’ensemble des acteurs présents, ce qui nous a permis de constater qu’aucun d’entre eux ne voyait d’objection aux exigences de la nouvelle réglementation. Le problème de la cuve de l’EPR n’est donc pas une « anomalie réglementaire », terme que M. Pierre-Franck Chevet avait relevé et à propos duquel il a appelé des commentaires. Il était important que ce point puisse être publiquement établi. La sûreté repose sur le respect de l’autorité de l’ASN, par l’ensemble des acteurs de la filière, et sur l’acceptation des règles qu’elle a fixées.

La seconde table ronde a, quant à elle, permis de débattre sans ambages et avec toute la rigueur scientifique nécessaire des défauts signalés en avril 2015 sur la fabrication de la cuve de l’EPR. Ces échanges ont démontré qu’il ne s’agissait pas d’une « fissure », mais d’un problème de résilience et de ténacité du métal sur lequel les avis des spécialistes restent encore assez partagés. Il convient de distinguer le cas de la virole, d’un côté, de celui des calottes – couvercle et fond de cuve –, de l’autre. Si ces dernières sont soumises à des contraintes plus réduites en termes de chocs thermique et d’irradiation, il s’avère nécessaire d’évaluer l’impact des concentrations élevées en carbone, constatées par endroits, sur la démonstration de sûreté du réacteur. Il est clairement apparu que l’ensemble des acteurs serait mobilisé, encore pour de longs mois, sur l’approfondissement de l’étude de ces difficultés. L’ASN, au travers de sa Direction des équipements sous pressions, et de son appui scientifique, l’IRSN, ont pris en main ce processus d’analyse, qui devrait aboutir à une décision en 2016.

Par conséquent, je considère que l’organisation de cette audition a eu au moins deux vertus majeures : d’une part, celle de lever toute ambiguïté quant à la position des différents acteurs concernés sur la nature de l’anomalie, et, d’autre part, celle de démontrer qu’il s’agit d’un sujet complexe sur le plan scientifique qui est pris en charge et étudié de la façon la plus sérieuse. Ces enseignements pourraient à eux seuls suffire à justifier l’organisation de cette audition, mais je crois que nous pouvons aller plus loin, en tirant trois conclusions.

Ma première conclusion concerne la nécessité de relancer la recherche et l’enseignement en science des métaux. L’Académie des sciences avait alerté, dans un rapport de 2010, sur les risques pour nos industries d’un recul dans ce domaine. L’Académie des technologies l’a rejoint dans un avis qu’elle vient de publier. Pour sa part, l’Office avait déjà préconisé il y a quatre ans, en 2011, dans les conclusions d’une audition publique sur les métaux stratégiques, un renforcement des moyens consacrés à la formation et à la recherche en métallurgie, en s’inscrivant dans la logique des Alliances. Au vu des difficultés de l’EPR, cette recommandation semble plus que jamais d’actualité.

Ma deuxième conclusion est liée à la première : pour relancer durablement les études académiques et les recherches en métallurgie, il faut redéfinir une politique industrielle. C’est justement ce qui a manqué, depuis plus de vingt ans, pour la filière nucléaire. L’absence de décision n’est jamais sans effet. Elle a des conséquences, en termes de perte de savoir-faire industriel et de maîtrise scientifique. Comme l’a rappelé le président Jean-Yves Le Déaut en introduction de cette audition, notre Office a averti, dès 1991, des conséquences délétères d’une absence de visibilité sur la politique énergétique à long terme. À cet égard, j’ai proposé, avec le premier vice-président Bruno Sido, dans notre rapport de 2011 sur l’avenir de la filière nucléaire, un calendrier « raisonné », consistant à remplacer, avant le milieu du siècle, deux réacteurs de deuxième génération par un de troisième génération. Ce calendrier « raisonné » a été calibré pour prendre en compte le temps nécessaire à la mise au point des dispositifs de stockage d’énergie indispensables pour stabiliser la production intermittente d’électricité.

Ma troisième conclusion découle des deux précédentes. Elle concerne l’importance d’un lien permettant un échange permanent entre mondes scientifique et politique. Contrairement à d’autres pays, la France ne dispose pas d’autre instance que notre Office à même de maintenir cette relation. Par exemple, au Royaume-Uni, cette liaison est assurée par quatre instances : le Government Office for Science, les deux commissions pour la science et les technologies des deux chambres du parlement, et, enfin, le Parliamentary Office of Science and Technology (POST), membre de l’EPTA. Comme le montre l’exemple de la métallurgie, assurer ce lien entre science et politique est, dans le contexte de la mondialisation, plus que jamais vital, ce qui justifie pleinement le rôle de notre Office.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je suggère de compléter la troisième partie de ces conclusions, en reprenant les propos de M. Yves Bréchet, haut-commissaire à l’énergie atomique, sur le phénomène de ségrégation, et ceux de M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, sur les sollicitation auxquelles sont soumis le couvercle et le fond de cuve, inférieures d’un facteur 1 000 à 10 000 auxquelles la virole est soumise.

M. Christian Bataille. – Je suis d’accord sur l’intérêt de ces compléments, mais mon objectif était de présenter une synthèse, en évitant les termes techniques trop poussés, de façon à ce que ce rapport puisse être consulté par l’ensemble des parlementaires et par le public.

Je viens de constater qu’une nouvelle campagne de presse contre le réacteur EPR vient de débuter aujourd’hui, par des articles parus dans un hebdomadaire et un quotidien reprenant des arguments à la fois simplistes et faux. Aussi, je pense que l’Office parlementaire doit également privilégier la simplicité. Peut-être l’Office devrait-il faire un effort en matière de communication ? Peu de journalistes étaient présents à l’audition du 25 juin, ce qui n’empêche pas de grands supports de presse, probablement informés par des personnes malveillantes vis-à-vis de l’industrie française, de publier des informations erronées à ce sujet.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. – Je n’ai malheureusement pas pu rester jusqu’à la fin de cette audition qui était passionnante. Mais nous avons eu l’occasion d’entendre, ce matin, M. Yves Bréchet au Sénat. Il a formulé deux conclusions à la suite de ce débat. D’une part, en tant que scientifique, il ne s’exprimera pas sur le défaut identifié par l’ASN tant que les analyses en cours ne seront pas terminées. D’autre part, le fait de ne pas avoir, durant vingt-cinq ans, réalisé ce type de pièce en chaudronnerie a eu pour conséquence une perte de savoir-faire. Retrouver celui-ci nécessitera du temps et conduira nécessairement à des échecs. Pour l’avenir, il serait peut être possible d’en tirer une conclusion supplémentaire, à savoir qu’il faut régulièrement construire, en France ou à l’étranger, une centrale nucléaire, pour entretenir ce savoir-faire. De la même façon, la NASA avait indiqué qu’il lui serait probablement plus difficile aujourd’hui envoyer à nouveau des astronautes sur la lune. Peut-être serait-il intéressant de mettre l’accent sur ce point ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente. – La question de la perte de connaissance dans le domaine des sciences des métaux a été également évoquée tout à l’heure dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, à la suite de la fermeture d’une usine métallurgique.

M. Christian Bataille. – Cette perte de savoir-faire est patente dans tous les grands pays nucléaires, par exemple aux États-Unis. Un seul pays n’est pas confronté à cette difficulté : la Chine, qui construit les réacteurs en série, comme nous l’avions fait voici trente ans. C’est pour cela que je suggère de définir une perspective industrielle.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je demande l’avis de nos collègues sur les conclusions présentées. Je rappelle que ceux qui le souhaitent pourront, dans le délai d’une semaine, annexer leur contribution à ces conclusions, dans la limite de deux pages dactylographiées.

L’OPECST a approuvé à l’unanimité les conclusions et a autorisé la publication du rapport.

ANNEXE :
CONTRIBUTION DE MME MARIE-CHRISTINE BLANDIN, SÉNATRICE, ET DE M. DENIS BAUPIN, DÉPUTÉ

Le projet de conclusions de l’audition publique menée le 25 juin 2015 par l’OPECST sur « Le contrôle des équipements sous pression nucléaires : le cas de la cuve du réacteur EPR » et les propositions qui en découlent appellent un certain nombre de remarques de notre part.

L’invitation des conclusions à relancer la recherche en métallurgie et à renforcer le dialogue entre politiques et scientifiques va dans le bon sens. Cette recherche pourra utilement éclairer l’analyse de l’évolution des métaux et leur tenue dans la durée (fragilité des cuves constatée en Belgique et en Suisse, capacité des cuves à résister au-delà de quarante années de fonctionnement…) et l’innovation et l’amélioration des performances des énergies renouvelables, en particulier éoliennes. Il est aussi juste d’appeler à la définition d’une politique industrielle.

Cependant, avant les précautions énoncées par le rapporteur (souci d’objectivité et d’exhaustivité), il nous faut rappeler son intention première : contrer le verdict négatif, comme en témoigne cet extrait des propos du député Bataille dans le compte-rendu du 20 mai 2015 :

« Je souhaiterais faire une suggestion pour les semaines à venir, avant ou après les vacances d’été. Nous avons auditionné le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, M. Pierre-Franck Chevet. Le problème de la cuve de l’EPR de Flamanville a été évoqué de façon assez laconique, sans que soient fournies à cette occasion des informations précises, mais commenté de façon, à mon sens, extrêmement négative. Je crois qu’il est dans la vocation de l’Office d’aller plus au fond des choses. Aussi, je propose d’organiser, comme nous l’avons déjà fait sur d’autres sujets pointus ou spécifiques, une audition publique, au cours de laquelle nous pourrions entendre les avis, éventuellement contradictoires, des spécialistes sur le problème évoqué lors de cette audition ».

Cette intention persiste et transparait dans la seconde conclusion qui dénonce, à tort, une absence de visibilité en matière de stratégie énergétique. C’était le cas depuis plus de vingt ans, ce ne l’est plus avec la discussion et l’adoption de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte. Ce n’est pas parce que la transition énergétique, clairement énoncée par la loi, s’éloigne du tout nucléaire, et ne va pas dans le sens souhaité par le rapporteur, qu’il y a incertitude. Les écologistes rappellent aussi que l’intermittence n’est pas le propre des renouvelables, et qu’elle affecte aussi le nucléaire en raison des longues maintenances et d’arrêts fortuits impliquant la perte totale ou partielle de productions massives.

En outre, nous souhaitons souligner les apports de ce débat : la défectuosité de la cuve aurait pu être découverte – ou plus précisément clairement mise en évidence – avant sa pose dans le réacteur. Il aurait été encore temps de procéder à une forge nouvelle, qui réponde aux exigences de sûreté. Le retard mis par AREVA à alerter sur le défaut découvert dès 2006 – au point de n’alerter sur le problème qu’une fois la cuve mise en place et soudée – n’a pas fait l’objet de réponse précise. EDF, par la voix de son Président en audition de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2015 a dit n’avoir été informé qu’en 2014 de ces défauts, soit 8 ans après. Pas plus d’ailleurs que les résultats des mesures effectuées sur les copeaux qui semblent avoir permis d’identifier les anomalies de composition de la cuve lorsque ce couvercle a été percé. Force est de constater que les études n’ont pas été menées dans ce but, et que la cuve posée aujourd’hui est sujette à caution quant à la sûreté de l’installation. Quant aux fragments issus des percements du couvercle, aucune réponse n’a été apportée sur leur utilisation, leur conservation ou leur éventuelle disparition. La question reste entière.

Nous notons également que l’Autorité de Sûreté Nucléaire a réaffirmé, comme le note M. Bataille, que les défauts découverts ne font pas suite à un changement de règlementation : une cuve contenant des concentrations de carbone trop importantes aurait conduit aux mêmes investigations sous l’empire des règles précédentes.

Nous soulignons par ailleurs que cette conclusion de M. Christian Bataille omet le silence assourdissant des représentants d’AREVA sur certains points, refusant de répondre aux questions des parlementaires, comme l’avait souligné en audition le Président Le Déaut. De la part d’une entreprise à capitaux majoritairement publics, qui plus est en situation financière périlleuse, cette absence de réponse ne peut qu’indigner. Cette absence de réponse de la part d’AREVA aux questions des parlementaires (chargés par la Constitution, du contrôle de l’activité du gouvernement, et donc de celui des entreprises publiques) conduit à s’interroger sur la réelle volonté de transparence de l’entreprise, et cela sur une question qui engage non seulement la sûreté de l’installation, mais aussi des impacts économiques considérables pouvant peser à terme sur les contribuables ou les consommateurs d’électricité.

Force est de constater également que, lors de cette audition, les parlementaires n’ont pas pu obtenir d’éclairage sur l’éventuelle validation préalable, ou l’absence de validation, technique du changement de procédé de forgeage introduit pour l’EPR qui a conduit cette anomalie de composition des aciers du couvercle et du fonds de cuve, qualifiée par l’IRSN de régression technique.

Nous notons donc que deux questions majeures restent en suspens : « qui supportera la responsabilité, notamment économique, s’il était démontré que la cuve est inutilisable ? » d’une part, mais aussi la question de « la nécessaire transparence des tests qui viendront valider ou invalider la robustesse de cet équipement. »

Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité que les défauts identifiés sur la cuve de Flamanville 3 existent potentiellement sur les deux EPR de Taishan (Chine) mais aussi sur des cuves actuellement en fonctionnement sur notre territoire, notamment les couvercles de cuve des réacteurs de Chinon B3 et Cruas 3, voire sur d’autres. Nous insistons donc sur la nécessité de transparence sur ces défauts.

Nous regrettons que les conclusions ne mettent pas plus gravement en évidence le scénario qui affecterait tout le territoire si la fragilité de l’alliage conjuguée avec de fortes élévations de pression et de température amenaient à une rupture de la cuve. Ils relèvent avec inquiétude que tous les intervenants constatent la réalité du problème.

Nous regrettons enfin que tout acteur extérieur au monde des opérateurs et contrôleurs du nucléaire n’ait été reçu en audition. S’il était nécessaire d’entendre l’ASN, l’IRSN, EDF, AREVA et son actionnaire le CEA, il eut été éclairant de recevoir également des experts indépendants (ANCCLI, membres du HCTISN…).


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