N° 3253 - Rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, établi au nom de cet office, sur la politique spatiale européenne



N° 3253

 

N° 192

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2015 - 2016

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 25 novembre 2015

 

le 25 novembre 2015

LA POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE

Compte rendu de l’audition publique du 7 juillet 2015
et de la présentation des conclusions le 24 novembre 2015

par

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député, Mme Catherine PROCACCIA et M. Bruno SIDO, sénateurs


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Premier vice-président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Premier vice-président

M. Bruno SIDO, sénateur

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Françoise GUÉGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

M. Jacques LAMBLIN

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Patrick ABATE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Marie-Christine BLANDIN

M. François COMMEINHES

M. Roland COURTEAU

Mme Dominique GILLOT

M. Alain HOUPERT

Mme Fabienne KELLER

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Gérard LONGUET

M. Jean-Pierre MASSERET

M. Pierre MÉDEVIELLE

M. Christian NAMY

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST 7

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : ARIANE 6 FACE AU NOUVEAU CONTEXTE DE LA CONCURRENCE EN MATIÈRE DE LANCEURS 9

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST, puis de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente 9

M. Bruno Sido 9

Mme Geneviève Fioraso, députée, ancienne ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche 10

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES), coprésident du conseil de l’Agence spatiale européenne (ESA). 15

M. Gaele Winters, directeur des lanceurs à l’Agence spatiale européenne (ESA) 16

M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace 18

M. Alain Charmeau, directeur général d’Airbus-Safran Launchers (ASL) 20

M. Michel de Rosen, président-directeur général d’Eutelsat Communications. 22

M. Hans Steininger, directeur général de MT Aerospace (groupe Orbitale Hochtechnologie Bremen – OHB) 25

M. Greg Wyler, directeur général de OneWeb 27

Mme Isabelle Sourbès-Verger, géographe et historienne, chercheur au CNRS 28

DÉBAT 30

II. SECONDE TABLE RONDE : QUELLE STRATÉGIE DE FILIÈRE POUR L’EUROPE SPATIALE ? 43

Présidence de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’OPECST 43

Mme Catherine Procaccia 43

M. Gilbert Kirkham, représentant de la NASA à Paris. 44

M. Johann-Dietrich Wörner, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA). 46

M. Philippe Brunet, directeur « Politique spatiale, Copernicus et défense », direction générale « Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME » (GROW), Commission européenne 48

M. Roger Genet, directeur général de la recherche et de l’innovation, ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche 50

M. Jean-Loïc Galle, coprésident du comité de concertation État-industrie sur l’espace (CoSpace), président-directeur général de Thales Alenia Space. 52

M. Thierry Reboul, directeur général délégué de RESA 54

M. Xavier Pasco, docteur en sciences politiques, maître de recherches à la Fondation pour la recherche scientifique (FRS) 55

Général de brigade aérienne Jean-Daniel Testé, commandant interarmées de l’espace (CIE), ministère de la défense 57

DÉBAT 59

ALLOCUTION DE CLÔTURE 69

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche 69

PROPOS CONCLUSIFS 75

M. Jean-Yves Le Déaut 75

Mme Catherine Procaccia 75

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 24 NOVEMBRE 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE 77

INTRODUCTION

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. La politique aéronautique et spatiale est l’un des sujets faisant l’objet d’un suivi permanent de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Après les rapports de 1991 (M. Paul Loridant), 2001 (M. Henri Revol) et 2007 (MM. Henri Revol et Christian Cabal), je mentionnerai le dernier, celui du 7 novembre 2012, de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs, sur « Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne ».

Ce rapport concluait sur des sujets toujours à l’ordre du jour : clarifier la gouvernance de la politique spatiale ; maintenir les budgets spatiaux malgré la crise ; soutenir la compétitivité et l’indépendance technologique de l’industrie européenne ; préserver durablement l’autonomie européenne d’accès à l’espace ; relancer l’espace de défense ; surveiller et traiter les débris spatiaux et considérer l’« Espace pour la Terre » comme une priorité ; poursuivre l’exploration spatiale à coûts maîtrisés.

Trente mois après ce rapport, l’OPECST a décidé de consacrer une nouvelle audition publique, ouverte à la presse, à « La politique spatiale européenne ».

À vrai dire, une autre audition publique organisée par l’OPECST le jeudi 2 juillet dernier, sur « La place du traitement massif des données (Big Data) dans l’agriculture », a déjà abordé la contribution de la politique spatiale aux enjeux agricoles.

Et, dans le cadre de la présidence française du réseau européen des organismes similaires à l’OPECST auprès des parlements des pays d’Europe, l’EPTA, European Parliamentary Technology Assessment, qui coïncide avec le trentième anniversaire de la publication du premier rapport de l’OPECST, nous aurons dans cette même salle, le 24 septembre, une réunion européenne qui portera sur l’innovation et les changements climatiques ; elle abordera, bien sûr, la contribution de la politique spatiale à la conférence internationale sur le climat, la COP21, qui se tiendra en décembre prochain à Paris.

La France a été, et continue à être, un pays chef de file en Europe et dans le monde dans le domaine spatial. Il s’agit d’un double enjeu de souveraineté : autonomie d’accès à l’espace et maîtrise de technologies clés qui irriguent les autres industries.

Quelque trente mois après le rapport des sénateurs Bruno Sido et Catherine Procaccia, le contexte a connu des développements nouveaux importants avec l’intensification de la concurrence en matière de lanceurs, notamment celle de la société américaine SpaceX. La conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), tenue à Luxembourg en décembre 2014, en a tiré les conséquences : concrétisation de la décision prise deux ans avant, de la conception d’un nouveau lanceur, Ariane 6, et choix d’une nouvelle gouvernance européenne fondée sur un modèle équilibré de partage des responsabilités, des coûts et des risques entre l’Agence spatiale européenne et la coentreprise Airbus Safran Launchers (ASL). La coentreprise supportera en totalité les risques liés au marché commercial pendant l’exploitation, sans soutien des États membres, étant entendu qu’elle contrôlera l’exploitation commerciale des services de lancement et qu’un certain nombre de contrats seront conclus chaque année pour des lancements institutionnels européens.

Je veux rendre hommage ici à l’action de Mme Geneviève Fioraso, députée, qui pendant deux ans, alors qu’elle était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a préparé deux conférences ministérielles avec nos partenaires européens et à qui tout le monde, j’en suis sûr, reconnaîtra un rôle déterminant dans son succès.

Au-delà de la problématique des lanceurs, je vous propose aujourd’hui de travailler également sur les applications et services permis par l’espace : observation de la Terre, géolocalisation, défense… Quelle est la stratégie spatiale européenne ? Quelles ressources publiques peuvent y être affectées dans un cadre plus contraint ?

Mme Geneviève Fioraso, comme vous le savez, a réduit ses activités professionnelles et nous apprécions d’autant plus qu’elle ait tenu à participer à nos travaux cette après-midi. Comme elle n’est pas encore arrivée et que nous sommes contraints, parce que le nouveau ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, M. Thierry Mandon, a souhaité être présent cet après-midi – nous avions invité au préalable la ministre de tutelle –, je propose au Président Bruno Sido de prendre tout de suite la parole. Nous donnerons ensuite la parole à Mme Geneviève Fioraso.

Juste avant, je rappelle les règles habituelles de nos auditions publiques. Pour que cela fonctionne bien, il faut respecter certaines règles. Deux tables rondes se tiendront sous la présidence des sénateurs Bruno Sido et Catherine Procaccia. Chaque intervenant disposera d’un temps de parole de cinq minutes pour une intervention liminaire. Cela permet par la suite d’avoir un débat ouvert entre les participants des tables rondes. À la fin de ces interventions, une synthèse en sera tirée à chaud par les deux chercheurs spécialistes de l’espace, qui sont nos grands témoins. Le respect par chacun des temps de parole permettra de conserver, à la fin de chaque table ronde, un temps de débat au moins aussi important que celui des interventions liminaires, au cours duquel vous pourrez toutes et tous intervenir, non seulement ceux qui sont autour de la table, mais aussi ceux qui sont dans la salle, à condition de vous présenter.

Sans plus tarder, je cède à Bruno Sido la présidence de la première table ronde.

I. PREMIÈRE TABLE RONDE : ARIANE 6 FACE AU NOUVEAU CONTEXTE DE LA CONCURRENCE EN MATIÈRE DE LANCEURS

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST, puis de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. L’audition publique de ce jour consacrée à la politique spatiale européenne devrait permettre, grâce à cette première table ronde, d’examiner les conséquences à tirer du nouveau contexte de concurrence en matière de lanceurs, avec l’apparition de ruptures dans les technologies et les modèles économiques.

Ariane 6, désormais sur sa lancée depuis la conférence ministérielle de décembre 2014 à Luxembourg, a été pensée pour répondre aux futurs besoins institutionnels de l’Europe et être compétitive sur un marché marqué par de profondes évolutions.

La concurrence se fait toujours plus forte. Il s’agit d’abord de l’irruption sur le marché nord-américain de SpaceX, qui avait été en partie sous-estimée, et dont l’ambition est de réduire de moitié, rien de moins, le coût d’un lancement avec des simplifications radicales. Il s’agit aussi de la montée en puissance de nouveaux acteurs, notamment la Chine et l’Inde, voire d’autres comme les Émirats arabes unis.

Je rappelle d’abord que l’entreprise privée SpaceX bénéficie d’un soutien public massif à travers ce qui s’apparente à des subventions déguisées, comme seuls savent le faire les Anglo-Saxons, notamment la garantie d’un nombre important de lancements institutionnels par an et l’emploi de nombreux ingénieurs venant de la NASA.

SpaceX semble en passe de réussir son pari, et nous en félicitons nos amis nord-américains ici présents, bien entendu. Mais l’espace est une activité à risque, et SpaceX ne connaît pas que des succès : c’est ainsi que, le 28 juin 2015, sa fusée Falcon 9, qui transportait une capsule non habitée à destination de la station spatiale internationale a explosé deux minutes après son lancement.

De plus, les essais de SpaceX, à ce jour infructueux (janvier et avril 2015), de récupérer en bon état des morceaux de fusée après lancement posent la question de l’évolution vers des technologies réutilisables, y compris en Europe. La possibilité de cette réutilisation constitue en effet la clé pour parvenir à une réduction massive des coûts et à une accélération substantielle de la cadence des lancements.

De son côté, Airbus Defence and Space travaille depuis 2010, dans un hangar du site des Mureaux – évoquant un peu le mythique garage des créateurs d’Apple – sur le concept « ADELINE » (advanced expendable launcher with innovative engine economy), qui ambitionne d’être une fusée partiellement réutilisable. Et les parlementaires ont pu observer au Bourget, lors du récent salon de l’aéronautique et de l’espace, le démonstrateur de rentrée atmosphérique de l’Agence spatiale européenne (ESA), dénommé IXV (Intermediate eXperimental Vehicle) et construit par Thales Alenia Space.

À l’heure actuelle, une question se pose : ces technologies réutilisables sont-elles d’ores et déjà opérationnelles ou doivent-elles encore être perfectionnées ?

Il est à noter que la première version du lanceur Ariane 6 était fondée sur deux étages à propulsion à poudre. Les industriels ont obtenu une modification du schéma initial proposé par le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’ESA, d’où la version retenue à Luxembourg qui possède un moteur principal cryogénique. Il reste à apprécier les avantages et les inconvénients du LOX-LH2, du LOX-kérosène et du LOX-méthane.

Désormais, la nouvelle économie de la Silicon Valley investit également l’espace. Les « GAFA » (Google, Amazon, Facebook et Apple) et Virgin portent le projet de déployer, en orbite basse, des constellations de plusieurs milliers de petits satellites électriques de télécommunications. Ils affichent des ambitions considérables et disposent de capacités massives d’investissement pour parvenir à fournir l’accès à internet aux plus de trois milliards d’individus qui n’en bénéficient pas encore.

Je vous propose également d’aborder dans vos propos les mutations technologiques en cours, notamment en matière de propulsion, par exemple la propulsion électrique des satellites qui permet un gain de poids important.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons un peu modifié l’emploi du temps de cette table ronde, tu as fait une introduction, mais comme Mme Geneviève Fioraso nous a rejoints entre temps, je redis tout le rôle qu’elle a joué dans la décision qui a été prise au niveau européen et lui donne tout de suite la parole. Le président Bruno Sido reprendra ensuite la présidence.

Mme Geneviève Fioraso, députée, ancienne ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Merci tout d’abord à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et à son président de m’avoir associée à cette audition publique, qui porte sur un sujet qui, vous le savez, m’a passionnée comme ministre et continue de me passionner comme députée. Je me réjouis vraiment de l’initiative de cette audition, qui nous permet de faire le point sur la politique spatiale, deux ans et demi après la parution du rapport de l’OPECST. Cela me permet aussi de mesurer le chemin parcouru depuis.

J’ai pu vérifier aussi, en relisant le rapport, les nombreuses convergences sur le constat que j’avais moi-même dressé en mai 2012, à six mois du conseil ministériel de l’ESA à Naples, qui engendrait une grosse pression lorsque je suis arrivée au ministère.

Je rappelle les principaux points de ce constat partagé. Au chapitre des points positifs, que le président Jean-Yves Le Déaut a dû très certainement rappeler, je mentionne l’excellence nationale et européenne dans ce secteur, grâce à quarante années d’investissements constants. Je crois que le terme « constants » est très important, tant sur le plan scientifique qu’industriel. Je rappelle la place essentielle de notre pays, grâce à l’impulsion initiale d’Hubert Curien, l’excellence du CNES qu’il a fondé et présidé en 1961, l’excellence de l’opérateur Arianespace et de la filière industrielle tirée par des grands groupes que vous connaissez comme Airbus Defence and Space, Thales Alenia Space, Safran et de nombreuses autres entreprises de toutes tailles.

Cette excellence a été stimulée et amplifiée par le choix immédiat d’une agence européenne, l’ESA, créée en 1975, condition indispensable pour avoir une taille critique face à la compétition internationale. Le budget du spatial, constant dans le temps, a permis ces avancées.

En 2014, l’engagement public national s’élevait à 2,1 milliards d’euros, dont 1,5 milliard au titre de la recherche, le reste étant assuré par la Défense et le programme des investissements d’avenir (PIA). Cela place la France au troisième rang dans le monde pour la dépense par habitant dans ce secteur, derrière les États-Unis et la Russie. Nous nous retrouvons aussi avec ces États sur des enjeux stratégiques du spatial aux plans scientifique, économique et environnemental, comme sur celui de la souveraineté dans l’accès à l’espace. Chacun ici en est bien conscient, je ne vais donc pas y revenir, mais je regrette que ces enjeux soient insuffisamment connus du grand public.

Je pense que nous avons vraiment, ensemble, un travail à mener, parce que nous le savons, sans les lanceurs, sans les satellites, la régulation des trains, la synchronisation des flux financiers – pour autant que l’on puisse les réguler, au moins la régulation des flux au sens physique du terme –, l’horloge parlante, l’accès à internet, à la télévision et à la radio dans de nombreux territoires, le GPS, le transfert dans l’industrie de nombreuses technologies pour les matériaux, la cryogénie, les télécoms, la télémédecine, l’agriculture, la protection de l’environnement, l’anticipation des catastrophes…, tout cela ne serait tout simplement plus possible. L’espace, il faut le répéter, est un vecteur de progrès vraiment indispensable.

J’en viens aux points moins positifs et aux blocages et défis qu’il fallait relever dès 2012 ; des sujets que le Gouvernement a commencé à aborder à Naples et amplifiés ensuite au Luxembourg en décembre 2014.

J’ai à l’esprit notamment la force de la concurrence internationale, en particulier celle provenant des États-Unis, portée par SpaceX, une société privée massivement soutenue par les fonds publics de la NASA, de l’État fédéral et de la Défense américaine et dont l’offre à l’export, particulièrement agressive et efficace, est facilitée par des prix différenciés à l’export et une production très intégrée. Cela menaçait directement l’avenir de notre filière de lanceurs. Ce risque était connu, mais il s’est concrétisé plus rapidement que prévu et n’avait pas été suffisamment anticipé. Le Gouvernement français, l’ESA et les États membres ont donc pris les mesures qui s’imposaient, mesures que vous aviez déjà en partie préconisées dans votre rapport.

Il fallait tout d’abord, dans le domaine des lanceurs, rassembler l’équipe France dans une stratégie partagée. J’ai donc réuni, dès 2012, avec le CNES, en y associant les ministres de la défense et de l’industrie, l’ensemble des acteurs de la filière concernée, notre agence spatiale, le CNES, Arianespace, les industriels et les clients – que nous oublions trop souvent – dans un conseil commun dénommé CoSpace, le comité de concertation État-industrie sur l’espace. Il a été officiellement créé en janvier 2013 pour travailler sur quatre thématiques stratégiques.

La première est la définition d’un nouveau lanceur. C’était bien évidemment l’urgence, avec la question à résoudre d’une étape intermédiaire ou non. Pour faire simple, passer par Ariane 5 ME – comme le souhaitaient une partie de nos voisins allemands et M. Johann-Dietrich Wörner, alors directeur général de l’agence spatiale allemande, qui nous a beaucoup aidés à faire évoluer les points de vue, le sait bien – ou réaliser immédiatement Ariane 6.

La deuxième thématique est consacrée aux feuilles de route technologiques, notamment pour l’observation de la Terre, l’imagerie haute et très haute résolution, la propulsion électrique soutenue ensuite par un programme des investissements d’avenir (PIA), mais aussi pour opérer la transition numérique du spatial européen, avec le développement de services nouveaux. C’est vraiment l’étape à ne pas rater.

Nous voyons bien que les GAFA, M. Bruno Sido vient de le dire, s’intéressent de plus en plus à ce secteur hautement stratégique. J’avais d’ailleurs eu l’occasion de recevoir, en janvier 2015, au ministère, Greg Wyler, fondateur de OneWeb et Richard Branson. Ce ne sont pas des visiteurs habituels du ministère…

M. Stéphane Israël les avait amenés pour un projet de neuf cents satellites permettant l’accès à internet et Airbus Defence and Space, Arianespace, mais aussi les industriels qui vont les rejoindre prochainement, ont bon espoir que ce projet aboutisse positivement dès que la somme de l’investissement global sera réunie.

Un autre sujet réside dans la récupération des éléments du lanceur. Il s’agit d’une perspective à l’étude qui nécessite encore des développements. Nous l’avons vu la semaine dernière, avec les incidents rencontrés par Falcon, dans un domaine qui est appelé à progresser et qu’il faut donc regarder de près.

La troisième thématique porte sur les études économiques, notamment le couplage entre le lanceur et les satellites – c’est un équilibre économique et technologique global – et également sur le benchmarking international, parce que nous parlons des États-Unis, mais le Japon, l’Inde, la Chine ou le Brésil investissent de plus en plus dans le spatial.

Enfin, le quatrième sujet porte sur les ressources humaines, avec des expertises à maintenir, à faire évoluer ou à anticiper pour atteindre les objectifs fixés collectivement. Je veux remercier M. Jean-Yves Le Gall ainsi que l’ensemble des industriels et clients qui nous ont beaucoup aidés à travailler dans ces groupes.

Je crois que vous aborderez tous ces points un peu plus tard dans l’après-midi.

La conférence ministérielle de l’ESA du 2 décembre 2014 nous a permis de décider le lancement des travaux d’Ariane 6 après plusieurs réunions ministérielles informelles. Nous voulions arriver à la décision et je remercie encore M. Jean-Jacques Dordain pour sa diplomatie et sa détermination, les deux étaient nécessaires. Je sais que M. Johann-Dietrich Wörner continuera dans ce même état d’esprit. La configuration plus modulaire de ce nouveau lanceur s’accompagne d’une gouvernance adaptée au contexte européen et international, sur le plan technique tout d’abord avec une seule configuration, mais deux versions adaptées aux vols institutionnels comme commerciaux, et, surtout, une fiabilité et une optimisation des coûts liée à l’utilisation de technologies bien éprouvées : par exemple, des boosters communs pour Vega, un moteur commun avec Ariane 5, ainsi qu’une intégration industrielle améliorée qui respecte néanmoins le principe du retour géographique pour les États membres – c’est toute la difficulté.

Je remercie les agences, l’opérateur, les industriels qui ont sacrifié leurs vacances en 2014, qui vont réduire celles de 2015 pour définir, sous la coordination de l’ESA, cette nouvelle fusée qui doit – et non qui devrait – voler en 2020. Et si c’est déjà à la fin de l’année 2019, c’est encore mieux. Je sais qu’ils ont encore beaucoup de travail pour y parvenir mais c’est vraiment la condition pour assurer l’avenir – j’allais dire la survie – d’une filière européenne de lanceurs dans laquelle notre pays, la France, est en tête, avec des emplois à la clé.

Le maître d’œuvre d’Ariane 6 est la société Airbus Safran Launchers constituée en décembre dernier. Le Premier ministre, Manuel Valls, vient officiellement d’autoriser à racheter les parts du CNES dans Arianespace. Pour autant, l’État, en s’appuyant sur le CNES, son agence, continuera d’assumer ses fonctions régaliennes pour les vols institutionnels ainsi que pour le volet défense, comme il continue d’être le financeur des développements d’Ariane 6. Nous voyons que nous ne sommes pas dans une situation binaire, mais bien dans une situation équilibrée ; les emplois seront préservés.

La dernière réunion ministérielle de l’ESA a également décidé de poursuivre l’exploitation de la station spatiale internationale (ISS) jusqu’en 2020, préconisation également présente dans votre rapport. Enfin, les États membres ont réaffirmé le rôle stratégique de l’Agence spatiale européenne (ESA),, aujourd’hui présidée par M. Johann-Dietrich Wörner, précédemment directeur de l’agence spatiale allemande (DLR), et ont souligné la nécessité de rapprocher sans les confondre – c’est subtil mais c’est bien cela – les actions menées par l’ESA et l’Union européenne en réaffirmant la place de l’ESA dans l’expertise et la définition des actions engagées par l’Union. Cela fait aussi partie des objectifs évoqués dans votre rapport. Il faut les tenir parce que nous ne pouvons plus nous permettre de doublons et nous devons accroître l’efficacité européenne.

Je voudrais conclure par le rêve, trop peu présent, comme l’a souligné récemment Pascal Lamy, c’est peut-être une autocritique a posteriori, dans notre vision de l’Europe. 2014 et cette première moitié de 2015 sont des années exceptionnelles pour l’espace européen. La sonde Rosetta a envoyé Philae sur la comète Tchouri, à plus de 520 millions de kilomètres de la Terre, après dix ans de navigation, trente ans de travail scientifique et technologique. ATV5 a rempli ses missions de ravitaillement de la station spatiale internationale avec succès. Les missions sur Mars, auxquelles le CNES, nos laboratoires et nos entreprises participent au sein d’un programme coordonné par la NASA, livrent aussi de nouvelles données sur la vie de cette planète, sur l’origine du monde et, donc, sur son avenir. Les données fournies par nos satellites d’observation contribuent de plus en plus aux travaux du GIEC sur le réchauffement climatique, pour prévenir et mieux gérer les évolutions et les dérèglements qu’il provoque.

J’allais dire, c’est ma conclusion, que c’est enthousiasmant. L’enthousiasme et le rêve portés par le spatial doivent vraiment nous guider, améliorer la vie des générations à venir. Je voudrais remercier chacune et chacun d’entre vous, parce que la marge de progression est aussi qu’il y ait un peu plus de femmes dans le spatial, je le dis au passage, en conclusion.

Je vous remercie de tout cœur, car, grâce à vous, nous avons franchi plusieurs étapes et vous allez en franchir de nouvelles avec mon successeur M. Thierry Mandon. À l’Office parlementaire, avec les parlementaires s’intéressant à l’espace, nous veillerons à ce que ces étapes soient couronnées de succès. Merci de m’avoir attendue.

M. Bruno Sido. Monsieur Jean-Yves Le Gall, vous avez dirigé Arianespace, c’est d’ailleurs là que je vous ai connu. Vous venez d’être élu coprésident du conseil de l’Agence spatiale européenne. Vous êtes le président du CNES, dont le contrat d’objectif avec l’État 2016-2020 est en cours d’élaboration.

Comment l’ESA et le CNES se positionnent-ils dans le nouveau schéma de gouvernance adopté en décembre 2014 à Luxembourg ?

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES), coprésident du conseil de l’Agence spatiale européenne (ESA). Tout d’abord, comme vient de le rappeler Mme Geneviève Fioraso, nous vivons une année 2015 absolument extraordinaire du point de vue de l’espace.

Vous m’avez fait l’honneur de venir nous rendre visite au salon du Bourget et vous avez vu que les thèmes importants de l’année sont, bien sûr, d’abord la COP21, avec l’observation du changement climatique, les missions vers Mars et Philae, qui défrayait encore la chronique ce matin, puisque les scientifiques se demandent si nous n’avons pas vu une première trace de ce qui pourrait donner de la vie. C’est dans ce contexte que nous avons travaillé, comme vient de le rappeler Mme Fioraso, au cours des deux ans et demi écoulés. Je dois dire que j’ai relu, pour préparer la réunion d’aujourd’hui, le rapport remarquable qui avait été préparé et publié le 7 novembre 2012 par Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido. C’est un rapport totalement d’actualité puisque vous aviez clairement mis en exergue le fait que, dans le domaine des lanceurs, apparaissait une nouvelle concurrence qui, in fine, quel que soit le mode retenu, allait conduire à un abaissement du coût des lancements.

Quelques jours après la remise de votre rapport, il y a eu comme l’a rappelé Mme Fioraso, la conférence de Naples, sur la base des études que le CNES avait conduites depuis 2009. Évidemment, nous avions anticipé l’arrivée de concurrents américains, et vous l’avez rappelé, M. Sido, aussi bien dans mes fonctions précédentes chez Arianespace que dans l’action de mon prédécesseur au CNES, un travail de fond avait été effectué pour faire face à ces enjeux et à la préparation d’Ariane 6. À la conférence de Naples, grâce à l’action très volontaire de la France et de Mme Fioraso, le projet Ariane 6 a pu démarrer. C’était en décembre 2012.

Maintenant, si nous regardons comment, de décembre 2012 à décembre 2014, nous avons construit ce succès, il a fallu d’abord rassembler en France – et Mme Geneviève Fioraso l’a fait grâce au CoSpace – ensuite rassembler la France et l’Allemagne. Je rends hommage au travail de M. Johann-Dietrich Wörner, puisque nous avons travaillé pendant deux ans d’arrache-pied pour rapprocher les points de vue français et allemands avec – je crois qu’on peut le dire – un certain succès, puisque, à la veille de la conférence de Luxembourg, nous avions proposé d’engager un programme de lanceurs en trois points.

Nous avons conçu une nouvelle organisation clarifiée avec, d’un côté, l’ESA et le CNES et, de l’autre côté, l’industrie avec Airbus Safran Launchers et une configuration du lanceur qui allait tirer le meilleur parti de l’héritage technologique et de ce qui est fait aujourd’hui avec Ariane 5. Il faut s’en souvenir, nous avons qualifié durement Ariane 5 dans les années 2003-2012 pour remettre en vol ce lanceur et arriver au résultat que nous connaissons aujourd’hui. La configuration du lanceur touche les dividendes de l’organisation mise en place ; le lanceur sera flexible, avec un engagement des institutionnels, notamment la France, l’Allemagne, l’Italie et la Commission européenne.

Nous connaissons le résultat, c’est la conférence de Luxembourg, une organisation avec trois acteurs-clés, l’ESA, le CNES et l’industrie. L’ESA est maître d’ouvrage du développement et le CNES, à travers l’expertise technique de sa direction des lanceurs, est totalement associé à cette maîtrise d’ouvrage. Ensuite, deux maîtres d’œuvre, d’une part Airbus Safran Lanceurs pour le développement du lanceur et, d’autre part, le CNES pour tout ce qui a trait à la Guyane, puisque, bien sûr, les lanceurs Ariane 6 décolleront de l’un des quatre centres du CNES, le centre spatial guyanais. Aujourd’hui, l’ESA a lancé ses demandes de contribution, et, si tout va bien, les contrats des premières tranches devraient être lancés dans les semaines à venir.

Au niveau des programmes, la conférence de Luxembourg a décidé d’engager un programme avec quatre volets, d’une part, Ariane 6, bien sûr ; d’autre part, le P120 qui est le propulseur à poudre commun à Ariane 6 et à Véga C. En troisième point, c’est Véga C, un lanceur de taille petite à moyenne, et un programme que l’on appelle LEE, Launcher Evolution Elements, pour préparer l’avenir parce que, je l’ai dit tout à l’heure, lors de la conférence de Naples, des décisions importantes ont pu être prises sur le démarrage du programme Ariane 6. Elles étaient la conséquence de tout le travail de préparation qui avait été accompli par le CNES et l’ESA. Il faut toujours préparer l’avenir. Le programme LEE est donc la quatrième sous-enveloppe des décisions de Luxembourg.

À Luxembourg, des engagements ont aussi été pris pour l’utilisation d’Ariane 6.

Vous le voyez, en conclusion aujourd’hui, de ce point d’étape, six mois après Luxembourg : Ariane 6, le P120, Véga C sont sur les rails. Nous continuons de préparer l’avenir pour faire face notamment aux enjeux dont nous avons parlé avec le programme LEE et je suis convaincu que les débats de ce jour alimenteront notre réflexion. Je vous remercie.

M. Bruno Sido. Je vais maintenant donner la parole à M. Gaele Winters, directeur des lanceurs à l’Agence spatiale européenne (ESA).

Pourriez-vous, monsieur le directeur, nous préciser la mesure dans laquelle le nouveau schéma de gouvernance, adopté en décembre 2014, à Luxembourg a modifié l’environnement de l’activité lanceurs ?

M. Gaele Winters, directeur des lanceurs à l’Agence spatiale européenne (ESA). (Interprétation.) Avant tout, je voudrais vous dire que c’est un véritable honneur que de pouvoir contribuer à ce débat. Il est difficile de parler de l’avenir sans noter que, aujourd’hui, nous avons un système de lanceurs extraordinaire en Europe avec Ariane 5 et Vega, avec des succès jusqu’alors inégalés.

Mais il faut bien dire que ce succès a un coût. Beaucoup d’Etats membres en sont bien conscients, puisqu’ils sont peu ou prou impliqués dans les aspects financiers de l’exploitation. C’est une situation qui ne pourra pas s’améliorer. Mme Fioraso et M. le Gall le disaient, la concurrence est de plus en plus ardente au niveau mondial. Nous avons vu le succès extraordinaire de Falcon 9, malgré quelques problèmes il y a un peu plus d’une semaine, mais le lanceur est très prometteur. Nous verrons également de nouveaux lanceurs russes qui arrivent sur le marché ; et il ne faut pas oublier d’autres partenaires, tels que la Chine et l’Inde, qui travaillent également dans ce domaine.

Finalement, le paysage est un peu mitigé : gros succès en Europe, mais également préoccupation quant à la performance économique à venir de nos lanceurs. Il est très important de comprendre que, dans la situation européenne actuelle, il nous faut les deux segments de marché des lanceurs : le marché institutionnel, mais également le marché commercial. Les chiffres montrent bien que nous devons avoir les deux pour pouvoir maintenir des conditions acceptables. La seule réponse européenne doit être une réduction considérable des coûts liés à ces services de lancement : l’objectif pour Ariane 6 est une réduction de 50 % par rapport à la situation actuelle et cela sans soutien du secteur public dans l’exploitation du système de lanceurs.

Beaucoup a déjà été dit sur le processus de préparation de la conférence de Luxembourg. Il est important de noter que les discussions sur les prochains systèmes de lanceurs ont connu une accélération, début 2014, avec les annonces de la création de la coentreprise entre Safran et Airbus pour les activités lanceurs et avec la contribution de l’industrie dans le débat sur la configuration. Durant l’été 2014, a commencé une discussion très intense entre l’industrie – la coentreprise et d’autres partenaires industriels – et les agences – l’agence européenne soutenue par les agences spatiales nationales. Nous parlons beaucoup de gouvernance, mais je pense qu’en la pratique, la nouvelle gouvernance a démarré à la mi-2014 avec comme résultat une proposition commune.

Pourquoi nous attendons-nous à une situation favorable concernant le coût des services de lancement ? D’abord parce que nous aurons une production beaucoup plus importante pour pouvoir, avec Ariane 6, lancer des charges utiles importantes et moyennes. Ensuite, parce qu’il y a une forte synergie au sein de la famille des lanceurs européens entre Ariane et Véga, avec le même moteur à carburant solide. Troisièmement, nous avons réussi une rationalisation de la conception et une simplification des éléments et des processus de fabrication, avec des technologies et des processus de fabrication à bas prix pour la production des lanceurs. Enfin, je mentionne une intégration beaucoup plus simple du lanceur avec, au bout du compte, une intégration horizontale. Tout cela sera déterminant pour les niveaux de coût dans le futur.

Ce n’est pas tout, un autre élément a d’ailleurs été soulevé par vous tous, à savoir la gouvernance. Quelle nouvelle gouvernance mettons-nous actuellement en place avec Ariane 6 ? Le premier principe est que le secteur industriel aura beaucoup plus de responsabilités que dans le passé. L’industrie sera responsable de la conception des lanceurs, ce qui est une très grande opportunité comparée au passé. L’industrie prend le contrôle de la chaîne de développement, de production et d’exploitation ; elle sera financièrement responsable de l’exploitation commerciale du lanceur et elle doit investir dans le développement.

Face à cela, le secteur public et les agences prennent un peu plus de distance en formulant les besoins des lanceurs avec un niveau élevé d’exigence, mais en jouant le rôle de client intelligent à même d’améliorer le système. L’exploitation ne sera pas financée et un marché institutionnel sera organisé pour l’activité des lanceurs commerciaux, afin de leur assurer une base minimale. C’est ce qui est ressorti de discussions sur Ariane 6 à la conférence ministérielle.

Le programme a démarré, tout cela va continuer, nous travaillons aussi aux développements à long terme, comme le programme LEE déjà mentionné par M. Jean-Yves Le Gall, toujours avec le même objectif qui est de disposer d’une forte réduction du coût des services de lancement. Je vous remercie.

M. Bruno Sido. Merci beaucoup. Je donnerai maintenant la parole à M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace.

La situation d’Arianespace s’est modifiée profondément. Airbus Safran Launchers (ASL) a racheté au CNES ses parts d’Arianespace et contrôle 74 % de son capital. Arianespace assure donc désormais les rôles de commercialisation et de lancement au sein de la coentreprise.

De plus, le marché des satellites évolue profondément avec l’arrivée de la propulsion électrique, la recherche d’un nouvel équilibre entre clients privés et institutionnels et avec le besoin nouveau de lancement de milliers de petits satellites de télécommunications.

Pouvez-vous nous dire comment, monsieur le président, Arianespace aborde l’ensemble de ces changements ?

M. Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace. Quelques remarques en réponse à vos questions. La situation est assez paradoxale parce que, d’un côté, Arianespace n’a jamais connu une activité aussi soutenue, forte de sa gamme. Quelques chiffres : 65 lancements réussis d’affilée pour Ariane 5 ; 5 lancements réussis sur 5 avec Vega ; nous avons acquis l’an dernier un lot de 10 Vega dont 9 lanceurs sont déjà vendus. Soyouz, nous l’avons vu récemment, a trouvé un nouveau relais de croissance avec les constellations.

Tout cela nous mène à un carnet de commandes record de 5,4 milliards d’euros et nous visons jusqu’à 12 lancements cette année, ce qui est un record avec la gamme.

C’est ce dont nous pouvons nous féliciter. Après, il faut être extrêmement vigilant parce que l’espace fait sa révolution dans les services de lancement.

Nous avons beaucoup parlé du principal concurrent d’Arianespace. J’aimerais en dire quelques mots. Je crois qu’il faut garder une attitude équilibrée. Il ne faudrait pas, – beaucoup l’ont dit –, après l’avoir d’abord sous-estimé, que nous le surestimions. Il ne faut jamais passer de l’ignorance à l’arrogance. Je pense qu’il faut rester calme, déterminé. Cette concurrence est là, elle est extrêmement forte, mais nous avons, nous les Européens, les ressorts pour y répondre si nous prenons les bonnes décisions.

Nous avons vu, dimanche dernier, qu’il pouvait arriver à tous d’avoir des difficultés après une série de succès. Cela doit nous ramener à une certaine modestie. L’espace reste un univers avec beaucoup de risques, mais je pense que ce qui est arrivé à notre concurrent arrive pour lui à un moment où il doit relever beaucoup de défis qui vont venir s’ajouter au retour en vol.

Le retour en vol est un défi en soi, mais il va devoir le réussir, et, évidemment, il finira par le réussir, dans un contexte de très forte montée en cadence, d’accroissement de la performance de ses moteurs, de préparation d’un nouveau lanceur, et on l’a dit, car cela fascine beaucoup, une volonté d’aller vers le récupérable. Nous verrons bien comment il va résoudre cet écheveau de difficultés mais, à l’évidence, la tâche est rude.

S’agissant des satellites, vous l’avez dit, c’est d’abord l’émergence de la propulsion électrique, qui permet en modifiant la masse propulsive, d’avoir la même performance en orbite. C’est aussi les constellations LEO (low earth orbit), qui posent une question-clé : l’espace sera-t-il utile pour assurer au plus grand nombre la connectivité ? Ce n’est pas aujourd’hui le cas, il y a bien des satellites GEO (geostationary orbit), celui d’Eutelsat – KA-SAT –, mais nous pourrions véritablement franchir une nouvelle étape, avec un espace qui serait mis au service d’une connectivité globale. C’est toute l’ambition de la constellation OneWeb.

Dans ce contexte, Arianespace est très déterminée à porter le changement, à participer à la refondation de la filière. Que devons-nous faire ? Avant même 2020, il faut réduire les coûts de la filière et nous sommes engagés avec nos partenaires dans cette réduction, car nous avons dû concéder des baisses de prix. Nous aurons besoin de tous nos partenaires publics et privés pour réduire les coûts.

En 2020, il faudra réussir les débuts de l’exploitation d’Ariane 6. Nous considérons que la décision à laquelle est arrivée l’Europe spatiale est la meilleure décision possible. Ce lanceur nous paraît totalement adapté aux besoins du marché. C’est cela qu’il faut faire. Il ne faudrait surtout pas, en raison de telle ou telle évolution de nos concurrents, changer de stratégie. Il faut faire Ariane 6 en 2020, tout en restant ouvert à de nouvelles ruptures technologiques le moment venu.

Et puis il y a la gouvernance. Arianespace a toute sa place dans la nouvelle gouvernance. Nous pensons que c’est un moyen efficace, non pas seulement de réduire les coûts, même si c’est important, mais plus fondamentalement de rapprocher le produit du marché. C’est ce dont, je pense, nous avons un peu souffert, avec une forme de coupure entre le produit et le marché. Grâce à cette nouvelle gouvernance, à cet alignement plus important entre l’industrie et Arianespace, nous pourrons opérer ce rapprochement, nous serons plus compétitifs et plus réactifs.

Faisant cela avec Airbus Safran Launchers, pour Arianespace, il est très important de garder un lien avec les agences, car ce sont des acteurs-clés du système spatial. Elles seront, le moment venu, des clients d’Ariane 6, après avoir financé les développements. Il est très important pour nous aussi de garder un lien fort avec nos actionnaires minoritaires d’Arianespace, l’industrie européenne des lanceurs. M. Hans Steininger, ici aujourd’hui, représente MT Aerospace. On peut aussi penser à Avio, qui est entrepreneur principal (prime contractor) des moteurs à propergol solide du lanceur. Je pense que nous pouvons réussir cette refondation en gardant ces deux liens.

Pour finir, je pense que la marque de fabrique d’Arianespace est que nous sommes totalement consacrés à nos clients, institutionnels et privés, et que nous militons pour un espace utile. Nous ne cherchons pas l’exploit technologique en soi. À un moment où l’on parle beaucoup d’ « ancien espace » (old space) et de « nouvel espace » (new space), nous militons pour l’« espace ». Nous ne croyons pas en cette distinction et pensons que nous sommes tous, dans la responsabilité qui incombe à chacun des acteurs de la conquête spatiale, qui n’a pas pris une ride et qui a devant elle beaucoup de défis. Merci beaucoup.

M. Bruno Sido. Merci, monsieur. Nous allons entendre maintenant M. Alain Charmeau, directeur général d’Airbus Safran Launchers (ASL).

La nouvelle coentreprise ASL est chargée de concevoir et de produire le nouveau lanceur Ariane 6.

Comment cette restructuration industrielle se présente-t-elle ? Quelles en sont les conséquences prévisibles sur les implantations industrielles et sur l’emploi, sachant que la fabrication d’Ariane est actuellement éclatée sur vingt-cinq sites en Europe ?

Ariane 6 sera-t-il un lanceur « low cost » (à bas coût) ?

En janvier 2015, vous aviez estimé qu’il manquait 800 millions d’euros pour boucler le financement de la conception d’Ariane 6. Qui, des États ou des industriels, les prendra en charge ?

M. Alain Charmeau, directeur général d’Airbus-Safran Launchers (ASL). Je vais forcément faire quelques redites par rapport aux interlocuteurs précédents. Je voulais rappeler que la création d’ASL résulte, en fait, de trois facteurs convergents, au moins. Tout d’abord, vous l’avez dit, monsieur le président, en introduction : faire rentrer l’ensemble des projets européens du spatial dans les contraintes budgétaires européennes actuelles est un exercice de plus en plus difficile.

Deuxième élément, l’évolution des technologies des satellites : la propulsion électrique a été évoquée, également l’évolution vers des petits satellites à très bas coûts, avec des quantités de productions et donc de lancements très importantes. Cela nous amène à avoir une panoplie de satellites à lancer qui vont de plusieurs centaines de satellites de 150 kilogrammes à quelques unités de satellites de six, sept ou huit tonnes.

Une troisième évolution a été évoquée : SpaceX, OneWeb, d’autres, nous font entrer dans une nouvelle ère du spatial depuis quelques années. Avant ces nouvelles arrivées, tous les lanceurs existant dans le monde avaient été conçus à l’époque de la guerre froide, avec des objectifs de performance et de leadership technologique et stratégique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous sommes maintenant entrés dans une période du spatial où avant tout, les lanceurs servent d’autres causes, que l’on peut imaginer comme étant des causes commerciales, ou servant le développement de la science et de l’humanité à travers l’utilisation de nombreuses applications.

Nous sommes dans cette nouvelle période et, à la lumière du rapport de l’OPECST de 2012 et des travaux qui ont été menés en 2013, 2014, à la lumière aussi des mauvaises surprises du marché en 2013, pour nous, fabricants d’Ariane 5, les deux industriels, Airbus et Safran ont décidé de s’allier. Après avoir étudié plusieurs options, ils ont décidé de constituer une coentreprise à 50-50 qui les lie très fortement, puisqu’il n’y a pas de chef de file. Cette coentreprise, soutenue bien évidemment par les puissances publiques française et allemande, par les agences spatiales, représentera 8 000 personnes, sur environ seize sites en Europe, en France et en Allemagne, avec des activités tournées vers les lanceurs civils, mais également vers des lanceurs de défense, pour environ 2,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires par an.

La deuxième initiative qui a été prise en 2013 et 2014, une fois de plus dans le contexte d’intenses discussions, et qui a déjà été mentionnée, est de choisir une configuration du lanceur Ariane 6 qui soit adaptée à cette évolution très importante et très rapide du marché des satellites avec deux lanceurs, Ariane 62 et Ariane 64, qui vont utiliser principalement des technologies éprouvées et quelques innovations technologiques, mais principalement des technologies éprouvées et des investissements importants sur les aspects de processus industriel ou d’outillage industriel et le développement des usines en Europe en vue de réduire les coûts, sans pour autant faire d’Ariane 6 un lanceur « low cost », avec les interprétations qui y sont parfois liées.

Enfin, la troisième initiative prise par Airbus et Safran est la réponse positive à la demande des États, à travers les agences spatiales, de confier, comme cela a été évoqué, plus de responsabilités à l’industrie en phases de conception, de production et d’exploitation des lanceurs.

Cette convergence entre la volonté politique construite en 2013 et en 2014, et l’initiative industrielle, qui a été un marqueur important sur la première partie de l’année 2014, s’est concrétisée à la conférence ministérielle du 2 décembre 2014 dans l’ensemble des décisions alors adoptées.

Ma feuille de route pour l’année 2015, – je suis encore dans le court terme étant une petite société « start-up » – va consister à terminer les négociations avec l’Agence spatiale européenne (ESA) sur le contrat de développement de l’Ariane 6. Ce que la presse a évoqué – les fameux 800 millions d’euros que vous avez rappelés – est une vieille histoire. Nous sommes maintenant très proches d’une convergence avec l’ESA sur le contrat Ariane 6. La mise en place définitive de la société Airbus Safran Launchers (ASL) est prévue pour l’automne. Et puis ce sera l’évolution de l’actionnariat d’Arianespace vers la fin de cette année.

La feuille de route est donc encore très chargée, comme cela a été le cas depuis dix-huit mois.

En conclusion, permettez-moi de remercier et de rendre hommage bien sûr à Mme Geneviève Fioraso pour tout le travail qui a été fait pendant plus de deux années, plus largement, d’étendre cet hommage aux politiques français et européens qui ont eu le courage de prendre ces décisions au mois de décembre 2014. Un grand merci également à nos agences spatiales nationales – française, allemande, et les autres – et, bien évidemment, à l’Agence spatiale européenne (ESA) sous la responsabilité de M. Jean-Jacques Dordain qui nous a permis d’accomplir ce travail phénoménal et de faire rêver de nouveau l’Europe pour une nouvelle histoire des lanceurs européens face à une nouvelle concurrence. Merci.

M. Bruno Sido. Nous allons poursuivre avec M. Michel de Rosen, président-directeur général d’Eutelsat Communications. Monsieur le président, vous faites partie des clients historiques d’Ariane pour le lancement de vos satellites de télécommunications.

Comment analysez-vous les projets des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple…) relatifs au déploiement de constellations de satellites de télécommunications ?

M. Michel de Rosen, président-directeur général d’Eutelsat Communications. Je vous remercie d’associer Eutelsat à vos travaux. Si je n’avais qu’un message, il serait le suivant : la décision prise de faire Ariane 6 est un bon choix. Je salue l’énorme travail accompli par Mme Geneviève Fioraso et par M. Jean-Jacques Dordain, dans leurs précédentes fonctions, par le président du Centre nationale d’études spatiales (CNES), par le président d’Arianespace et par les dirigeants d’Airbus et Safran. Un beau travail d’équipe ! C’est un bon choix, disais-je. Maintenant, il faut être au rendez-vous de 2020.

Vous l’avez rappelé, Eutelsat est le premier client commercial de l’industrie spatiale européenne. Cela est vrai pour les satellites que nous commandons. Sur les vingt dernières années, trente-et-un de nos trente-quatre satellites ont été construits par Airbus Defence and Space ou Thales Alenia Space.

Cela est également vrai pour les lanceurs que nous utilisons. Arianespace a lancé plus de la moitié des satellites d’Eutelsat. C’est autant que l’ESA pour le lancement des satellites institutionnels ! Et cela fait de nous le premier client du lanceur européen. Au total, 80 % des revenus d’Ariane 5 sont tirés du marché commercial. Pour préserver l’autonomie d’accès à l’espace de l’Europe, la meilleure façon de bien servir le marché institutionnel est donc de bien servir aussi le marché commercial.

Nous sommes en fait dans une relation « gagnant-gagnant » : la compétitivité des sociétés de lanceurs est la clé de la compétitivité des opérateurs de télécommunications.

Alors, à ce titre, nous développons cinq points cardinaux que nous avons, en tant que clients, communiqués à plusieurs reprises, à l’époque, à l’ESA.

Premièrement, le calendrier : 2020, ce n’est pas loin. Le plan d’investissement d’Eutelsat est à cinq ans. La question de savoir si Ariane 6 sera au rendez-vous est donc déjà une question d’actualité pour nous. D’ailleurs, nous nous sommes portés candidats pour le vol inaugural d’Ariane 6 en 2020. En France, il est souvent de bon ton de faire preuve de scepticisme. Certains sont sceptiques sur la capacité de l’industrie à tenir ses objectifs de coûts et de calendrier et sont tentés d’en déduire qu’il faut un meilleur lanceur, qui arriverait plus tard. Les clients disent : prenons les industriels au mot.

Il ne faut pas prendre le risque de détricoter maintenant le concept d’Ariane 6 arrêté en décembre 2014. Le mieux serait l’ennemi du bien. Toutes les améliorations qui seront apportées sur cette base solide seront les bienvenues. Elles doivent améliorer Ariane 6, pas le retarder.

Deuxièmement, les prix et les coûts : Ariane, pour Eutelsat, c’est un choix de fidélité à l'Europe, mais à la condition que les prix soient alignés sur ceux du marché international. Nous sommes une entreprise privée, cotée en Bourse. Comme toutes les entreprises, nous subissons la concurrence et avons besoin de celle qui existe entre nos fournisseurs. Nos actionnaires ne comprendraient pas que, sous prétexte d’acheter en Europe, nous payions nos lanceurs plus chers que nos concurrents, alors même que nos deux principaux concurrents basés au Luxembourg paient trois fois moins d’impôts que nous.

On dit que SpaceX « casse les prix ». Ne nous y trompons pas. Cette politique vient d’abord d’un homme, visionnaire redoutable, M. Elon Musk, de sa gestion drastique des coûts et de sa stratégie résolument volontariste de fabrique de lanceurs. En France, on parle souvent des aides financières dont bénéficie SpaceX de la part des autorités américaines. Je crois qu’il faut rappeler que le montant des commandes dont bénéficie à ce jour SpaceX est inférieur aux subventions qu’attendent les industriels pour le développement d’Ariane 6. Donc n’exagérons pas ce facteur de compétitivité spécifique.

Cela étant, SpaceX a réveillé l’industrie des lanceurs, l’Europe a relevé le défi et nous nous en réjouissons.

L’apparition de la coentreprise Airbus Safran Launchers (ASL) est une très bonne nouvelle, elle est le signe du changement de paradigme que nous appelions de nos vœux. L’ère de la rationalisation industrielle arrive dans l’Europe spatiale. La nouvelle gouvernance va permettre de tourner désormais davantage sur un modèle de production agile, industriel, motivé par des objectifs économiques et non plus prioritairement ou seulement technologiques. L’espace entre dans l’ère de la fabrication en série : c’est un changement considérable, et l’enjeu d’Ariane 6 est de permettre à Arianespace d’en tirer pleinement les opportunités pour consolider sa position compétitive dans le monde.

Troisièmement, la fiabilité : j’observe que mon propos est trop long. Puis-je continuer ?

M. Bruno Sido. Vous pouvez conclure, monsieur.

M. Michel de Rosen. Parfait, alors je vais conclure en parlant de la fiabilité. Ariane 5 est un lanceur très fiable. Il est essentiel pour un client comme nous d’avoir toujours trois fournisseurs. Si nous n’en avons que deux et que l’un des deux a un problème, nous sommes face à un monopole. Évidemment, nous souhaitons vivement qu’Arianespace soit le meilleur des trois.

La modularité est un autre thème dont j’aimerais parler tout à l’heure, si le débat le permet.

Enfin, il y a l’empreinte écologique à propos de laquelle je voudrais que personne ici n’oublie le problème des débris qui risque de se développer à mesure qu’il y aura plus de satellites, notamment ceux en constellation LEO.

En conclusion, nous avons besoin d’un lanceur « utilitaire », pas d’une voiture de course ou de luxe. Nous espérons bien qu’Ariane 6 sera ce lanceur.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’OPECST. Je reprends le fil de la présidence, puisque M. Bruno Sido doit un rapport au Sénat et qu’il est obligé de nous quitter.

Je vais donner la parole à M. Hans Steininger, directeur général de MT Aerospace, du groupe OHB. Le groupe OHB est le deuxième pilier de la filière industrielle spatiale en Allemagne, après Airbus Defence and Space.

Vos activités principales concernent l’électronique, l’optique, les équipements biomédicaux, les petits satellites et les lanceurs spatiaux. Vous fournissez également la plus grande partie des satellites de Galileo. Vous participez à la conception du lanceur Ariane 6.

Vous êtes considéré comme représentatif du modèle allemand du « Mittelstand », c’est-à-dire ces petites et moyennes entreprises (PME) et ces entreprises de taille intermédiaire (ETI) spécialisées dans l’innovation et la haute valeur ajoutée, orientées vers les marchés à l’exportation, qui développent une stratégie industrielle à long terme et qui ont tissé des liens étroits avec le monde universitaire et celui de la recherche.

Vous êtes le plus important actionnaire non français d’Arianespace, devant le Belge SABCA et l’italien Avio. OHB a récemment déclaré qu’elle ne souhaitait pas entrer dans le capital d’ASL.

Nous serions très intéressés de vous entendre exposer le point de vue d’un industriel allemand de la filière spatiale.

M. Hans Steininger, directeur général de MT Aerospace (groupe Orbitale Hochtechnologie Bremen – OHB). (Interprétation.) C’est un honneur pour moi d’être ici en tant que représentant du modèle allemand du Mittelstand. Pour ce qui est de mon entreprise, MT Aerospace, cela fait plus de trente ans que nous sommes des fournisseurs, je l’espère, fiables, de l’industrie européenne des lanceurs. Il y a deux, trois ou quatre ans, l’accès indépendant, autonome à l’espace était lié aux possibilités financières. Certains pensaient qu’il s’agissait d’une question financière et non stratégique. Certains pensaient qu’acheter un lanceur à l’Est ou à l’Ouest était à tout moment possible et moins cher qu’auprès de l’industrie européenne. Mais les choses ont changé. Les systèmes et politiques économiques, sont devenus moins stables, les partenariats sont plus compliqués et moins empreints de confiance.

Quelles sont les conséquences de ces changements sur l’accès autonome à l’espace ? D’abord, le contexte n’est pas aussi stable que nous le pensions il y a quelques années, quelque chose d’acquis définitivement. Notre industrie ne peut être éteinte ou allumée à tout moment, à la demande. Il est facile de fermer des entreprises en un an, mais il faut au moins dix ans pour les remettre sur pied. Je pense donc que la décision relative à Ariane 6 est la bonne. De ce fait, en m’exprimant en tant que citoyen allemand, je suis heureux que l’Allemagne ait souscrit près de 23 %, je crois, de parts dans ce projet européen.

Je ne suis pas en train de faire de la propagande pour l’accès à l’espace à n’importe quel prix. L’industrie des lanceurs doit être aussi concurrentielle que toute autre industrie. Qu’entend-on par le terme de compétitivité dans une industrie avec un marché limité ? C’est un autre sujet. Je crois que l’alliance d’Airbus et Safran pour les lanceurs est une bonne étape.

Une étape plus modeste, mais économiquement importante, réside dans les efforts continus qui sont fournis par un grand nombre d’entreprises comme la mienne pour mettre en œuvre des processus performants (lean processes). Cette évolution est en cours et va se poursuivre dans les prochaines années. Cela peut devenir difficile. On parle quelquefois, bien sûr, de réduction de main-d’œuvre. Nous avons besoin de l’appui de l’ESA, de nos agences nationales et de nos gouvernements, tant que nos concurrents obtiennent ce même type d’appui.

Je pense que nous pouvons avoir une industrie stable et viable – c’est ce que nous voulons –, un accès européen autonome à l’espace et faire partie de cette industrie qui compte en milliards d’euros pour les lancements. Je voudrais poursuivre la coopération avec les parties prenantes que j’ai mentionnées auparavant. Chacun doit jouer son rôle. L’industrie doit être plus concurrentielle. Je pense que, ce faisant, nous serons sur la bonne voie. Je vous remercie de votre attention.

Mme Catherine Procaccia. Merci, monsieur le directeur général. Je vais maintenant passer la parole à M. Greg Wyler, directeur général de OneWeb, dont nous avons déjà un peu parlé.

Vous venez, monsieur, de conclure un partenariat avec Airbus Defence and Space, Arianespace et Virgin Galactic pour construire et lancer une constellation de 900 microsatellites de télécommunication de basse altitude pour l’internet entre la fin de l’année 2017 et celle de l’année 2019.

Les initiatives en la matière sont nombreuses, je rappellerai brièvement :

– O3B Network, qui a lancé 12 satellites pour fournir l’accès à l’internet dans des zones isolées ;

– SpaceX, en partenariat avec Google, qui porte le projet de lancer 4 000 microsatellites de télécommunication pour l’internet ;

– Google, toujours, qui a le projet de lancer 800 ballons en haute altitude pour permettre l’accès à l’internet dans les zones non couvertes à ce jour ; je crois que le CNES y participe ;

– Thales Alenia Space, enfin, qui développe le projet LeoSat de lancement de 80 à 120 satellites destinés à offrir des services internet haut débit à faible coût et faible taux de latence avec une couverture mondiale.

Monsieur le directeur général, pouvez-vous nous présenter votre projet ? Quels seront les services proposés par vos satellites ? L’offre industrielle en matière de lanceurs et de satellites s’est-elle adaptée à vos besoins ?

M. Greg Wyler, directeur général de OneWeb. (interprétation). Merci beaucoup de m’avoir invité comme représentant de OneWeb. Je vais commencer par parler de notre mission, parce que, dans le domaine de l’espace, on discute beaucoup de technologie, de technologie pour résoudre les problèmes ou pour satisfaire les clients. En fait, OneWeb veut fournir l’accès à tous. Nous nous sommes demandé comment permettre l’accès à chaque école dans le monde, comment permettre l’installation d’un terminal qui peut donner un accès internet de haute qualité à 50 mégaoctets par seconde avec une faible latence, et qui peut s’installer tout seul en dix minutes ou moins, sans outil. Nous avons commencé à partir de ce concept. Il se trouve que cela a abouti au choix des satellites. Nous avons conçu un système initial de 648 satellites, puis une montée en puissance. Ce sont des microsatellites d’un mètre cube avec 10 gigaoctets par seconde de débit pour la première génération, dont nous allons augmenter le débit par la suite.

OneWeb est une entreprise mondiale à bien des égards. Nous avons des actionnaires qui viennent du Royaume-Uni, d’Inde, du Mexique, du Luxembourg, de France et des États-Unis. En fait, il y a un nombre équivalent d’actionnaires européens et américains. Nous sommes donc une entreprise mondiale bénéficiant d’une participation mondiale pour construire l’internet pour tous, qui va donner l’accès à tous, de façon libre et avec un niveau de protection de la vie privée élevé. Nous n’avons pas de financement public.

Quelles sont les caractéristiques-clés de notre système ? Il est à très faible latence (30 millisecondes ou moins), la qualité de nos services sera équivalente à celle d’un modem câblé ou d’un système à fibre optique. Le débit continuera à augmenter et permettra le haut débit pour 10 % ou 15 % des pays développés. Dans ces pays, chaque personne aura la même qualité de haut débit. Nous apporterons le haut débit aux marchés émergents, pour que tout le monde puisse participer.

Nous parlons des lanceurs, c’est une partie importante de notre activité, et nous avons signé un accord pour utiliser vingt-et-un lanceurs Soyouz avec Arianespace. Nous sommes les premiers clients d’Ariane 6 ; nous pensons que ce sera un lanceur couronné de succès. Nous avons aussi un accord de lancement avec Virgin Galactic, qui a une capacité de lancement en deux heures, c’est très important pour nous, avec d’autres usages techniques et des réponses opérationnelles dans l’espace.

Les interactions entre nos satellites et les GEO-satellites sont nombreuses, c’est ce qui est intéressant. Nous avons deux opérateurs principaux de satellites, Intelsal et Eutelsat. Ensemble, ils ont, je pense, dix GEO-satellites. Les GEO-satellites ont une forte latence, ce qui les empêche de fournir une haute qualité de haut débit. Quand vous mélangez les GEO et LEO-satellites, vous pouvez utiliser les GEO-satellites pour le volume et les satellites LEO pour les applications sensibles à la latence. Cela marche vraiment très bien. Vous pouvez utiliser également les LEO-satellites pour les latitudes nord, pour les canyons et pour améliorer certains angles dans les zones montagneuses.

Il existe donc un partenariat très étroit entre les opérateurs de GEO-satellites et ce que nous faisons avec les LEO-satellites, ainsi qu’entre ce que OneWeb fournit et les opérateurs de mobiles, car nous étendons également les réseaux d’opérateurs mobiles dans toutes les zones rurales.

Mme Catherine Procaccia. Je vais maintenant donner la parole à M. Isabelle Sourbès-Verger. Mme Genevièce Fioraso va se réjouir, une femme intervient, et dans l’exercice quasiment le plus difficile, puisqu’elle va devoir faire la synthèse des interventions précédentes.

Madame, vous êtes géographe, chargée de recherche au CNRS, spécialiste de l’occupation de l’espace circumterrestre et de l’étude comparée des politiques spatiales, incluant leurs dimensions technologiques et politiques. Nous nous sommes trouvées récemment réunies sur un plateau sur le GPS et Galileo. Je vous laisse la parole.

Mme Isabelle Sourbès-Verger, géographe et historienne, chercheur au CNRS. Merci beaucoup. Effectivement, je vais très rapidement dire, parce que c’est important, que je suis très heureuse d’être invitée. De fait, en tant que femme, nous ne sommes pas si nombreuses – mais je suppose qu’une nouvelle génération va venir –, je parle ici également en tant que chercheur en sciences humaines et sociales m’intéressant à l’espace depuis maintenant un certain nombre d’années. Je crois que le CNRS envisage de faire un petit effort d’interdisciplinarité et de renouveler un peu son quota, ce serait une très bonne chose. C’est un projet en cours.

Je crois qu’il va être relativement facile d’effectuer la synthèse dans la mesure où ce que j’entends est véritablement un consensus très fort sur l’intérêt du constat qui a été fait, la justesse des analyses qui ont eu lieu dans une période un peu troublée. Entre Naples et Luxembourg, les choses ont été difficiles, mais aujourd’hui, il me semble que, de l’avis de tous, les décisions qui ont été prises sont actuellement acquises et nous attendons donc Ariane 6 pour 2020. Il s’agit d’une Ariane 6 qui sera apparemment extraordinaire, dans les délais, robuste, efficace, pas chère et, peut-être, plus ou moins modulable plus tard.

Dans ces différentes interventions, et je le comprends très bien pour regarder de manière générale les questions spatiales, j’entends de la prudence. Il me semble effectivement que c’est peut-être la meilleure attitude à avoir. Prudence par rapport à l’avenir, parce que l’on sait bien que, dans le spatial, il peut y avoir des évolutions technologiques sur les services, comme dans le type de satellites à lancer, qui peuvent tout à coup faire basculer les choses de manière assez rapide.

Il est aussi intéressant de voir que le monde des lanceurs se tient prêt à évaluer les nouvelles conquêtes possibles. Je suis très sensible au fait que nous avons aussi parlé de science, comme étant l’une des priorités des lanceurs.

Ce que j’entends, peut-être plus en filigrane, et je vais rapidement l’évoquer, parce que cela peut aussi être un élément pour les questions, c’est qu’aujourd’hui nous avons un peu l’impression de voir un espace à deux vitesses, je parle dans le monde, en fonction de la place donnée à l’industrie.

Quand on se demande quelles sont les plus grandes puissances spatiales, la première ne fait pas beaucoup de doute, ce sont les États-Unis et de très loin. L’Europe est parfois deuxième, compte tenu à la fois du budget mais aussi de la diversité et des capacités technologiques qu’elle met en œuvre. Or, cette deuxième place dans l’espace pour l’Europe, nous pourrions aussi la voir à travers ce rôle que l’on donne à l’industrie.

Si vous regardez ce qui se passe dans le reste du monde, le secteur des lanceurs est tenu par une industrie d’État. Je citerai la Russie, mais aussi la Chine, et, dans une moindre mesure, l’Inde, où c’est l’agence spatiale indienne qui a l’originalité d’être l’intégrateur des lanceurs actuels et futurs. Ce n’est d’ailleurs pas sans poser quelques questions, et, probablement dans les années à venir, cela supposera, là aussi, une grande réforme.

Finalement, aujourd’hui, on est face à un monde du spatial innovant avec un rôle particulier des industriels dans le domaine des lanceurs comme dans celui des services. C’est par là que je terminerai, de manière peut-être un peu moins optimiste.

Si l’innovation est certainement la clé, nous voyons tous les efforts réalisés au CNES comme à l’ESA, et dans l’industrie bien sûr, pour essayer de trouver et proposer des solutions nouvelles, il me semble que, encore aujourd’hui, la principale faiblesse de l’Europe est sans doute l’absence d’un marché intérieur.

Autant je suis sensible au nombre de lancements absolument fantastique annoncé, par exemple, par les Indiens, qui prévoient vingt-sept lancements pour des besoins purement intérieurs dans les années à venir, ou encore par les Russes, qui ont, là encore, des projets nationaux extrêmement importants, parce que le spatial, comme vous le disiez en introduction, est un outil de développement et de service indispensable, autant il me semble que, en Europe, nous avons malheureusement un déficit relativement permanent.

Nous avons le programme Galileo, le programme Copernicus, mais il n’y a sans doute pas là une capacité à générer, peut-être même chez les investisseurs privés, les mêmes besoins et les mêmes souhaits de développement de satellites que ce que l’on peut voir aux États-Unis. Je suis très frappée de ce point de vue de la nécessité qu’il y a, pour la communauté spatiale européenne, à savoir dépasser cette communauté et à augmenter la culture des autres partenaires potentiels. Cela permettrait, là encore, de porter les capacités européennes à un niveau sans doute encore plus élevé, d’autant plus que nous aurons effectivement à l’avenir plusieurs lanceurs, et donc une augmentation en capacité tout à fait importante.

Cela serait ma conclusion. Nous avons effectivement défini une stratégie, passé des étapes, mais il reste sans doute encore à faire beaucoup, peut-être plus largement au niveau européen ; mais je sais que ce sera l’objet de la seconde table ronde. Dans le contexte un peu tendu de la question grecque, parler de l’Europe est également un sujet brûlant.

DÉBAT

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci beaucoup madame. Nous avons très largement le temps de débattre. Ceux qui ont respecté la règle de concision par leur intervention pourront la développer. Tout le monde est-il d’accord avec les orateurs ? Y a-t-il des non-dits ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Je crains un peu d’être hors sujet et vous prie de m’en excuser par avance. Une question subliminale se pose : tout le monde envoie des satellites dans l’espace. Un jour ou l’autre, ils retombent tous. Est-il inenvisageable d’imaginer d’en récupérer quelques-uns avant qu’ils ne tombent ? Notamment parce qu’ils contiennent beaucoup de matériaux précieux.

M. Jean-Yves Le Gall. Cette question est au centre de nos enjeux. C’est d’ailleurs pour cela que, à l’occasion du salon du Bourget, j’ai signé deux accords concernant la gestion des débris spatiaux. Quelques chiffres d’abord. Chaque jour, environ une tonne de satellites artificiels rentrent sur la Terre et 100 tonnes de météorites naturelles brûlent et font des étoiles filantes. Cela suggère que cette question a une importance assez relative.

Le second point est que l’on considère depuis quelques années que, en particulier, les orbites basses sont un patrimoine qu’il ne faut absolument pas mettre en péril. La meilleure façon de limiter les débris n’est pas de nettoyer l’espace mais de ne pas le salir. Alors que, au début de l’ère spatiale, les satellites étaient séparés des lanceurs par des boulons explosifs qui créaient une nuée de débris, depuis quelques années, nous utilisons des sangles. Tout cela est parfaitement maîtrisé.

La France a été précurseur en la matière avec la loi sur les opérations spatiales, qui oblige à faire rentrer les étages des lanceurs en développement : Ariane 6 fera rentrer les étages, une fois les missions terminées. C’est d’ailleurs une mission qu’assure le CNES après les lancements que nous faisons au centre spatial guyanais, lorsque nous pouvons désorbiter les étages. C’est le cas, par exemple, de tout ce que nous lançons avec Soyouz depuis le centre spatial guyanais. Lorsque nous avons développé Frégate, nous avons prévu une tâche de désorbitation : nous faisons rentrer l’étage avec un angle d’incidence très fort au-dessus de l’océan Pacifique, il brûle. Donc nous ne polluons pas l’espace.

Quelques événements malheureux sont intervenus au cours des années passées : quelques pays qui ont fait des démonstrations en orbite ont créé un très grand nombre de débris. Je crois que, aujourd’hui, la prise de conscience est collective. On voit bien que toutes les puissances spatiales font très attention, parce que, sans entrer dans le scénario catastrophe du film Gravity, où l’on voit des satellites qui s’entrechoquent et un phénomène qui devient exponentiel – mais qui est pour l’instant à écarter parce qu’il n’y a pas assez de satellites –, nous savons qu’il peut exister un risque. Il y a vraiment une prise de conscience par toutes les puissances spatiales. Quant à récupérer les satellites parce qu’ils contiennent des matériaux précieux, je crois que cela va rester quelque temps dans le domaine de la science-fiction.

Mme Catherine Procaccia. Vous parlez de toutes les puissances spatiales. Effectivement, la France et l’Europe étaient précurseurs, mais la Chine et l’Inde ont-elles le même type d’approche ?

M. Jean-Yves Le Gall. Les Chinois ont été lourdement critiqués après le test en 2007, me semble-t-il, lorsqu’ils ont voulu démontrer qu’ils savaient toucher un satellite en orbite. Il y a eu, quelques mois plus tard, l’accident d’un vieux satellite russe qui a percuté un satellite Iridium au-dessus de la Sibérie. Aujourd’hui, tout le monde fait attention. Des puissances un peu anecdotiques comme la Corée du Nord ou l’Iran n’y prêtent peut-être pas attention mais, globalement, ceux qui lancent des satellites ou des lanceurs de façon récurrente y font attention. Nous avons donc signé des accords avec nos partenaires européens. J’ai aussi signé un accord avec l’administrateur de la NASA pour mettre en commun nos moyens, afin de suivre cette très importante question des débris. Je le répète, la prise de conscience est mondiale.

M. Jean-Yves Le Déaut. Une question se pose à nous, parlementaires, quand nous vous entendons : à partir du moment où nous allons lancer des constellations de satellites – M. Wyler vient d’en parler – il restera plusieurs types d’énormes constellations de microsatellites ; cela va révolutionner un certain nombre d’autres secteurs qui vont dépendre de ces satellites. Vous avez parlé du haut débit, de l’internet. Vous avez dit que vous souhaitiez aller dans des zones où il n’y avait pas de télécommunications, mais également dans des zones où il y avait déjà de l’internet haut débit. Cela signifie que, petit à petit – et c’est notre rôle de faire de l’évaluation dans cet organisme qu’est l’OPECST – cela peut modifier toute l’industrie des télécommunications. Nous pourrions nous retrouver, dans une dizaine d’années, avec un paysage des télécommunications totalement modifié. Je souhaiterais que vous nous indiquiez comment vous appréhendez cette question.

M. Greg Wyler. (Interprétation.) Excusez-moi, l’interprétation provoque une petite latence… Le système OneWeb est conçu pour faire partie du système de communication. En fait, nous ne sommes pas en concurrence avec les opérateurs dans le domaine de la fibre et du câble. Nous étendons leurs systèmes, nous étendons la téléphonie mobile dans les zones rurales. Lorsque le PIB est élevé, là où la densité de la population est élevée, là où les maisons sont proches les unes des autres, ces systèmes reposant sur la fibre ou le câble fonctionnent. Lorsque les maisons sont isolées, ces systèmes deviennent trop coûteux pour fournir des services et OneWeb a la possibilité de fournir des services équivalents dans ces zones rurales. Donc nous augmentons les services proposés par les opérateurs basés sur le câble ou la fibre optique.

M. Michel de Rosen. Je ne conteste pas ce que vient de dire notre collègue Greg Wyler, mais je voudrais préciser la chose suivante. Nous parlons beaucoup ces temps-ci des constellations dites LEO et l’attention que reçoivent ces projets peut donner l’impression que c’est le new space, évoqué plus tôt par Stéphane Israël. Quand on parle de new space, certains vont loin et disent qu’il y a new space et old space. Ce serait, je crois, une erreur grave que d’assimiler le LEO au new et le GEO au old. En réalité, les constellations comme celle que Greg Wyler a initiée, avec OneWeb, sont toutes orientées vers une application considérable, la connexion à internet. Il est donc important de souligner que d’autres applications ne sont pas visées par ces constellations, en particulier l’application la plus importante des satellites de télécommunication, la diffusion (broadcast).

Deuxième remarque : les besoins dans le domaine de l’accès à internet sont gigantesques, puisqu’il s’agit de connecter environ quatre milliards de personnes. Il y a donc de la place pour beaucoup de projets. Il ne faut pas croire qu’un, deux ou trois projets vont réussir à combler tous les besoins de l’humanité.

Le pari que je fais, ou la conviction qui est la mienne et celle de mes collègues, est que, dans dix ans, il y aura, en effet, des constellations LEO, mais aussi de nouveaux satellites GEO, car, dans ce domaine aussi, les constructeurs de satellites présents dans cette salle ne cessent d’innover. Quand nous avons lancé KA-SAT, il faisait 70 gigaoctets, il est maintenant à 95 gigaoctets. Nous travaillons déjà avec les constructeurs de satellites sur des projets à plus de 200 giga-octets, et vous verrez que, dans dix ans, nous en serons probablement à 1 000 gigaoctets. Donc les satellites GEO sont très loin d’avoir dit leur dernier mot, et c’est tant mieux, car rien ne vaut la concurrence au service des besoins immenses de l’humanité.

Mme Catherine Procaccia. Rien ne vaut la concurrence. Plusieurs d’entre vous ont évoqué le fait qu’ils commençaient déjà à réfléchir à l’avenir. Ariane 6 est à horizon 2020, c’est presque le passé… et vous réfléchissez à l’avenir. Monsieur de Rosen, est-ce cet avenir que vous évoquiez ? Quel est l’avenir au-delà de 2020 et quels nouveaux projets vont émerger pour que nous comprenions un peu plus ce vers quoi l’industrie et les scientifiques se tournent ?

M. Stéphane Israël. Je pense que, s’agissant de l’industrie et de l’avenir, il faut passer la parole au CNES et à M. Alain Charmeau. Nous avons un nouveau lanceur devant nous, nous allons dire que c’est l’avenir, il faut quand même le présenter ainsi. Nous devons être convaincus de cela. Ariane 6 c’est demain. Nous verrons ensuite les évolutions possibles d’Ariane 6. Nous savons que les réflexions sont nombreuses sur le récupérable, que ce n’est pas pour tout de suite. Il y a beaucoup de questions autour de cette technologie en termes de perte de performance. Il existe des problèmes de fiabilité, de coût. Nous verrons bien. Mais je pense que l’Europe a pris exactement la bonne décision, qui est de rester ouverte à ce type d’évolution ; de nombreux travaux ont déjà été entrepris par l’industrie.

Pour nous, la question des constellations en orbite basse est vraiment importante, car si ces projets réussissent, comme nous le souhaitons, en pleine complémentarité avec le projet GEO, cela accroîtra beaucoup les besoins de construction et de lancement de satellites. Nous allons donc changer de dimension pour l’espace. Nous n’allons plus être en compétition acharnée pour vingt-trois ou vingt-cinq satellites GEO par an, mais nous allons être beaucoup à vouloir lancer des satellites toujours plus nombreux.

Pour nous, ce serait une très bonne nouvelle, ainsi que pour l’humanité entière. J’aimerais dire un mot, parce que je pense que cela concerne vraiment la représentation nationale, sur la place que les pouvoirs publics feront à l’espace dans tous ces accès à internet.

Nous savons qu’il existe un plan fibre qui est un projet du Gouvernement. Il me semble vraiment important que l’espace dans toutes ses dimensions et ses orbites – GEO, MEO, LEO –, ait une place plus importante dans les financements publics, comme infrastructure publique, avec différentes formes de soutiens, dans ces projets de connexion. La question n’est pas : fibre ou pas fibre. La question est : quels sont les moyens qui permettent de connecter le plus grand nombre de personnes possibles en tous points du territoire ? Ce que montrent les constellations LEO, les performances croissantes du GEO, c’est que l’espace a son rôle à jouer. Nous souhaitons que les pouvoirs publics le prennent pleinement en compte et mettent en avant l’espace comme vecteur de connectivité globale.

Mme Geneviève Fioraso. À travers ce que vient de dire M. Stéphane Israël, nous voyons bien que, dans l’imaginaire des décideurs, l’espace n’est pas encore directement connecté aux services. Il me semble que, dans la période qui s’ouvre, maintenant que nous avons assuré le socle, même si des efforts doivent être faits jusqu’au bout, nous devons penser services, satellites, et apport de personnes ayant des formations différentes ou complémentaires de celles des ingénieurs. Bien sûr, ce sont les ingénieurs qui font la force de l’industrie et de l’Europe. S’il y avait des scientifiques de données (data scientists), des personnes plus acculturées à internet dans les agences ou les entreprises, nous aurions plus facilement une définition des services. Donc, naturellement, quand nous parlons de plan sur l’accès à internet au niveau gouvernemental, nous penserions immédiatement à l’espace. Quand nous parlons de plan écoagriculture, nous penserions immédiatement à l’espace. Je crois que ce n’est pas encore le cas et il me semble que c’est l’étape à franchir en urgence. À ce sujet, avec les GAFA, les Américains semblent avoir un peu d’avance sur nous.

Comment allons-nous nous atteler à cela en Europe ? Je sais que nous y pensons. Le président Jean-Yves Le Gall a eu l’occasion au sein du CoSpace de présenter un plan à ce sujet au nom de l’ensemble des acteurs. Sans dévoiler de secrets, pouvons-nous en savoir un peu plus ?

M. Michel de Rosen. En réponse à la question posée, je voudrais rappeler que, pour l’espace, existent trois dimensions : les lanceurs, dont nous avons beaucoup parlé aujourd’hui, les satellites et les équipements au sol.

S’agissant des lanceurs, nous travaillons avec des cycles très longs dénommés Kondratiev. Nous ne pouvons changer de lanceur tous les dix ans. Le nouveau lanceur dont l’Europe a décidé de se doter est un lanceur avec lequel l’Europe devra vivre pendant de longues années. Il est essentiel que ce lanceur nouveau puisse être modulable, c'est-à-dire qu’il ne soit pas figé, mais puisse faire l’objet d’améliorations incrémentales pendant de longues années. L’erreur consisterait à dire : puisque nous avons envie de l’améliorer, retardons-le.

Deuxième remarque, s’agissant des satellites, il y a heureusement de ce côté des innovations encore plus nombreuses, parce que nous pouvons nous permettre de changer de satellite au bout de quelques années, alors que, encore une fois, pour le lanceur au coût de développement beaucoup plus élevé, ce n’est pas possible. Les nouvelles constellations LEO prévues sont une innovation importante.

Je voudrais en citer une autre : je vais signer dans deux jours avec les autorités britanniques et l’ESA la naissance d’un nouveau satellite que nous allons appeler Eutelsat Quantum. C’est une innovation très importante qui va permettre d’avoir les satellites les plus flexibles qui soient. Les satellites géostationnaires aujourd’hui sont figés. Grâce au satellite Eutelsat Quantum, grâce à l’utilisation intensive du logiciel (software), nous pourrons, sans bouger le satellite, nous orienter l’été vers la Méditerranée, l’hiver vers les Caraïbes, ou suivre un drone, un bateau, un avion ou une flotte : donc offrir à nos clients une flexibilité qu’aujourd’hui aucun satellite ne peut leur offrir. C’est donc une innovation majeure, avec un partenariat entre Airbus, l’ESA et l’agence spatiale britannique. Voilà un exemple d’innovation majeure, et nous en préparons d’autres.

Enfin, l’équipement au sol, que nous oublions souvent parce que c’est « moins chic » que l’espace. Néanmoins, sans des équipements au sol compétitifs, techniquement et économiquement, nous ne permettons pas aux hommes et aux femmes de profiter autant de l’espace. Je rebondis sur ce que disait M. Stéphane Israël. Dans le domaine de l’accès à internet, en effet, aujourd’hui, les équipements au sol sont quasiment tous d’origine américaine. Nous sommes un leader avec le lanceur Ariane, l’Europe est encore le leader en parts de marché.

De même, du côté des opérateurs de satellite ; les quatre premiers opérateurs de satellite sont européens. C’est la seule industrie de haute technologie où l’Europe est leader. En revanche, pour les équipements au sol, l’Europe est en retard et je crois qu’il n’est pas trop tard pour s’en occuper, non seulement pour des raisons industrielles mais aussi parce que cela permettrait d’élargir le nombre de bénéficiaires.

M. Alain Charmeau. Je voulais revenir sur le domaine des lanceurs, et la question que vous avez posée, madame la sénatrice, concernant les investissements technologiques. Je crois qu’il est important pour l’Europe et la France d’investir dans quatre domaines. Comme l’a dit M. Michel de Rosen, les lanceurs sont des sujets de long terme, nous devons effectivement préparer les évolutions, après Ariane 6. Nous devons donc investir dans la science. Il est important sur un lanceur de maîtriser les phénomènes vibratoires, de choc, de combustion, solide ou liquide, la mécanique des fluides, la thermique, car nous subissons dans un lanceur Ariane des températures de – 250 à 3 000 degrés. Il faut investir dans la technologie sur les matériaux de structure, dans l’électronique, dans la maîtrise de l’énergie – car un lanceur est avant tout une boule d’énergie –, dans les outils de conception, de simulation et dans les logiciels associés.

Je pense qu’il faut aussi investir dans les processus industriels. C’est l’actualité d’Ariane 6 et nous n’en sommes qu’au début. Bien sûr, il y a l’impression 3D, mais également le traitement de surface par laser, qui a l’avantage d’être beaucoup plus propre en termes d’environnement. Mon voisin travaille sur de nouveaux procédés de soudure, ce que l’on appelle la soudure par friction malaxage (friction stir welding) ; nous travaillons sur de nouveaux procédés de fabrication de pièces en matériaux composites, avec ce que l’on appelle le placement de fibre.

Cet aspect industriel, qui existe peu dans le domaine spatial, en tout cas dans les lanceurs, est à développer, à mon avis, assez rapidement.

Quatrième domaine, mais je sors de mon domaine de compétence, donc je vais seulement l’esquisser : je pense qu’il faut continuer d’investir dans l’éducation. Nous avons besoin de donner envie à nos jeunes étudiants ou futurs étudiants de travailler dans l’industrie. Le spatial, plusieurs orateurs l’ont dit, entre dans l’ère de l’industrie. L’industrie du spatial est quelque chose de fabuleux, c’est faire de la science, de la technologie, mais également produire quelque chose que l’on a plaisir à voir voler.

Mme Isabelle Sourbès-Verger. J’ajouterai un point à votre liste. L’éducation chez les ingénieurs, certes, mais peut-être aussi une éducation plus globale. Je suis extrêmement surprise de voir que, par exemple, dans aucun des instituts d’études politiques, vous n’avez de cours sur l’espace, sur les politiques spatiales, sur l’occupation de l’espace dans le monde contemporain. Vous n’en avez pas beaucoup plus dans les grandes écoles de commerce. En revanche, dès 1993, le collège interarmées de défense (CID), qui est aujourd’hui redénominé en École de guerre, faisait des enseignements sur l’espace ; j’en ai été parmi les premiers enseignants. Ailleurs, il y a un vide très fort. Je suis toujours très surprise : aux États-Unis, les étudiants ont une culture spatiale, quel que soit leur cursus. Ils savent à quoi sert l’espace et pourquoi ils l’utilisent, alors que nous sommes à ce sujet totalement en déficit.

J’ajouterai un dernier mot par rapport au monde des journalistes. Je suis assez souvent à leur interface, car, n’étant pas une scientifique dure moi-même, je suis susceptible de pouvoir faire un pont avec le grand public, mais je suis extrêmement étonnée par la naïveté des journalistes, surtout des très jeunes. Tant que nous ne parlerons pas spontanément de l’espace, au lieu de simplement répandre les communiqués faits par les agences, nous n’aurons pas totalement progressé.

Une année, les programmes de seconde ont contenu la télédétection en géographie, mais cela a été supprimé. En terminale, dans les programmes sur le monde contemporain, figurait aussi un sujet sur l’espace, mais il n’en fait plus partie.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous dirons cela tout à l’heure à M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche…

Mme Isabelle Sourbès-Verger. Changer les programmes est toujours un vrai bonheur pour un ministre, je suis certaine qu’il va apprécier.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je crois que vous avez raison, j’ai assuré un cours à Sciences Po Paris pendant huit ans sur les grands enjeux du XXIe siècle, nous étions déjà au début de ce siècle. Les étudiants étaient très intéressés, mais c’était surtout les étudiants étrangers qui venaient au cours. Une centaine d’entre eux suivaient ce cours modulaire, Mme Geneviève Fioraso l’a partagé avec moi la dernière année, Mme Anne-Yvonne Le Dain également. Nous avons cessé de dispenser cet enseignement parce que nous avions d’autre tâches, mais c’était un cours très intéressant et le spatial en faisait partie.

Mme Catherine Procaccia. Mme Geneviève Fioraso et bien d’autres ont souligné un certain nombre d’éléments qui étaient dans notre rapport sur l’Europe spatiale en 2012. Il y a dans celui-ci quelque chose qu’il ne serait pas compliqué de mettre en œuvre, nous pourrons le dire au nouveau ministre : c’est de voir réapparaître le mot « espace » dans le nom du ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’espace. Pourquoi voulez-vous que l’on en parle ? Il n’y a même pas un ministère, alors qu’il existe parfois des ministères avec des noms dont on se demande la raison.

M. Jean-Yves Le Gall. Nous avons beaucoup parlé des applications concernant les télécommunications, mais, à propos de l’espace, il est finalement assez peu question de ces communications, mais de science et, en ce moment, de beaucoup d’observation. Il y a un débat sur les télécommunications pour savoir si les satellites en orbite géostationnaire, ou orbite basse, peuvent faire mieux ou moins bien que la fibre.

Pour l’étude du climat, il n’y a pas de débat, puisque, sur les 50 variables climatiques essentielles, 26 peuvent être observées seulement depuis l’espace. Il est clair que cet enjeu va aller en augmentant parce que, aujourd’hui, les satellites d’observation de la Terre ont mis en évidence le fait que l’activité anthropique modifie le climat. Je rappelle que ce sont les satellites du CNES, Topex-Poseidon et Jason, qui ont mis en évidence cette courbe mondialement connue de l’augmentation moyenne du niveau des océans de trois millimètres par an. Sur vingt ans, cela fait six centimètres, et comme la courbe monte ensuite de façon exponentielle, cela peut faire beaucoup plus.

Aujourd’hui, commencent à apparaître des projets pour, d’une part, mesurer l’influence de l’activité anthropique sur le climat mais surtout, à partir du moment où des accords pourraient être conclus, comme lors de la prochaine COP21, pour s’assurer que ces accords seront bien respectés. Je pense que c’est un peu la nouvelle frontière du spatial. De la même façon aussi, je suis convaincu que, en termes de science spatiale, les années à venir seront fondamentales.

Les scientifiques sont de plus en plus convaincus de l’existence d’une vie extraterrestre et les sondes que nous envoyons à l’intérieur du système solaire peuvent trouver des vestiges de cette vie ; les télescopes en orbite peuvent observer des exoplanètes. Pour répondre à votre question sur ce qui se passera dans les vingt ans qui viennent, je pense que ce dont nous parlerons le plus, ce sera à la fois de la science et des questions relatives à l’observation. Les télécommunications sont importantes en tant que telles, bien sûr, mais elles ne font pas avancer la connaissance de la même façon.

Ce matin, nous avons appris que certains scientifiques se demandent si les molécules probiotiques qu’ils ont observées dans le noyau de la comète
67P Churyumov Gerasimenko sur laquelle s’est posée Philae ne seraient pas des molécules qui pourraient donner naissance à de la vie. Il y a un débat en ce moment, il y aura peut-être une communication dans les jours qui viennent. Je peux vous dire que, si nous mettons en évidence de la vie sur le noyau de la comète, cela éclipsera tout le reste.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez tous dit qu’il fallait faire Ariane 6. Si certains d’entre vous sont d’un avis différent, qu’ils n’hésitent pas à le dire maintenant. Par ailleurs, il faut prendre les bonnes décisions : c’est bien, mais lesquelles ? Ensuite, il faut faire Ariane 6 sans tarder au prétexte de tenter de faire mieux. Le mieux est l’ennemi du bien. Nous constatons des ruptures technologiques ; vous avez parlé de récupérabilité, mais y en aurait-il d’autres possibles et, si oui, lesquelles ?

M. Stéphane Israël. Je reviens sur la question de l’enthousiasme du grand public pour l’espace. Pour l’industrie spatiale, cela peut être un vecteur de compétitivité. Aux États-Unis, l’enthousiasme pour l’espace se traduit aussi par le fait que les jeunes ingénieurs se tournent massivement vers ce secteur. Ils sont parfois prêts à travailler pour certains de nos concurrents sans être payés. Il est très important que l’espace fasse rêver le plus grand nombre de personnes et singulièrement les plus jeunes.

Nous avons dit un mot des ruptures technologiques, avec l’évolution possible vers des technologies récupérables. Il peut aussi y avoir des évolutions vers des lanceurs de plus en plus légers, flexibles et qui pourraient aller de plus en plus souvent vers les orbites basses pour ravitailler des constellations. C’est ce qu’essaie de faire Virgin Galactic. Il pourra emporter de un à trois satellites, si j’ai bien compris. Il faudrait pouvoir en emporter davantage et plus souvent.

Les technologies récupérables, ce n’est pas simplement le premier étage qui pourrait être récupéré, mais aussi l’étage supérieur, celui qui accomplit la fin de la mission, ce que l’on appelle le remorqueur spatial (space tug). C’est un véhicule qui resterait dans l’espace, avec lequel le lanceur aurait des rendez-vous et qui pourrait être récupérable.

Notre concurrent United Launch Alliance (ULA), qui est l’entreprise de lancement de référence des institutions américaines, avec son futur lanceur, le Vulcan, travaille à ce type de technologie. Je pense qu’Alain Charmeau pourrait nous en dire un mot car je trouve que c’est tout aussi prometteur que les projets de récupération du premier étage.

M. Jean-Yves Le Gall. Bien sûr, cet enjeu a été pris en compte lors de la conférence de Luxembourg. Je parlais de la quatrième sous-enveloppe (LEE) où nous étudions les différentes possibilités, en étant assez exhaustif, pour abaisser le coût de l’accès à l’orbite. Plusieurs sujets sont à l’étude, comme ceux que nous avions lancés en 2009 et qui ont permis d’arriver au projet Ariane 6. De la même façon, nous menons un travail de réflexion fondamental dont nous verrons ce qu’il deviendra en fonction de l’évolution du contexte et des besoins.

M. Greg Wyler. (Interprétation.) Les débris spatiaux sont un sujet tout à fait important, nous y pensons énormément. Lorsque nous concevons la constellation, nous avons une équipe dont le travail est axé sur la désorbitation convenable de nos satellites, pour s’assurer qu’ils brûleront et qu’il ne restera pas de titane ou d’autres objets en orbite. Nous avons plusieurs modes d’échec et de sécurité et nous étudions la conception des constellations et le nombre de satellites pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de possibilité de collision. Nous avons travaillé avec les gouvernements sur cette question et nous participons à un grand nombre de conférences, même si celles-ci s’adressent à un public restreint.

Très peu de gens parlent de débris spatiaux dans les constellations. Je n’ai pas à répondre très souvent à cette question. Je n’ai pas lu beaucoup de littérature sur cette question, mais elle est fondamentale ; elle nous préoccupe, il faut être conscient en amont. Les décideurs ici présents devraient peut-être songer à la signature d’une convention internationale intergouvernementale sur les débris spatiaux, convention qui n’existe pas actuellement. Pas plus qu’une force de police en matière de débris spatiaux. On peut jeter tout ce que l’on veut dans l’espace. C’est un sujet auquel il faut penser. Les décideurs devraient être les facilitateurs, les instigateurs ou les créateurs d’une forme de politique en la matière.

Lorsque l’on parle de ces constellations, le deuxième sujet que je voudrais aborder est l’industrialisation, avec quelques recommandations ou idées pour l’Europe. L’industrialisation consiste à transformer des produits spatiaux uniques et réalisés par des artisans en marchandises (commodities), afin, par exemple, de réduire le coût des roues de réactions de 150 000 à 15 000 dollars. Il faut profiter du volume important de production de satellites et faire preuve de leadership en soutenant l’industrie pour permettre d’industrialiser les grandes technologies que l’on trouve dans les laboratoires. Cela ferait de vous une véritable avant-garde en matière de marchandisation (commoditization) des produits spatiaux. N’y pensez pas seulement de façon européenne, pensez aussi à la concurrence, à travailler ensemble pour améliorer l’espace dans l’intérêt de l’humanité.

OneWeb n’est pas une entreprise américaine, ce n’est pas seulement non plus une entreprise européenne. Nous avons des investisseurs du monde entier. D’autres investisseurs vont bientôt participer à l’entreprise, à l’échelle mondiale : nous essayons de nous penser nous-mêmes dans un sens mondial. C’est ce que je souhaitais dire sur les questions de savoir comment et où l’Europe et la France peuvent déployer leurs investissements et leur énergie. Je pense que l’industrialisation offre la façon la plus simple et la meilleure. Vos entreprises spatiales ont fait preuve de grandes capacités d’innovation et il serait bien d’en observer davantage encore à l’avenir.

M. Gaele Winters (interprétation). Il faut prendre de bonnes décisions – et même les meilleures décisions possibles : nous sommes tous confrontés au même dilemme. Nous devons décider d’un système de lanceur qui sera disponible dans quelques années seulement. Nous essayons de travailler en un temps record. Le lanceur Ariane 6 sera opérationnel pendant de longues années, dans des circonstances très dynamiques, en termes de marché et de changements. Cela nous fait peur : prend-on les bonnes décisions ? Nous ne pouvons pas attendre, car si nous attendons un an ou deux, la situation ne sera pas différente, elle sera encore plus dynamique. Une chose est sûre : il faut réduire les coûts de fourniture des services de lancement.

Nous étions habitués à penser que vingt-cinq satellites disponibles sur le marché mondial étaient accessibles aux services de lancement européens, mais aujourd’hui nous parlons de centaines de satellites. C’est un facteur-clé qui va tout bousculer. Nous ne pouvons pas attendre. Tout cela va réduire le coût des services de lancement. Avec Ariane 6, nous avons cherché à créer un lanceur flexible, adaptable, qui ait un potentiel de croissance et que nous pourrons modifier à l’avenir : nous pourrons ajouter de la propulsion ou améliorer la performance pour l’adapter au marché.

En même temps, mais peut-être à plus long terme, nous développons de nouvelles technologies. Nous avons défini un programme de technologies à l’ESA mais nous voulons initier un nouveau programme d’évolution, axé sur le prix du moteur. Si nous pouvons créer des moteurs meilleurs, moins chers et réutilisables, ce serait vraiment un grand pas en avant pour notre développement. Nous ne voulons plus attendre, mais commencer maintenant pour une mise en œuvre un peu plus tard, au moins après l’introduction d’Ariane 6.

M. Alain Charmeau Effectivement, nous sommes dans la course à la réduction des coûts. Nous n’avons pas aujourd’hui la certitude que la récupération et la réutilisation du premier étage du lanceur donneront un résultat très significatif en termes de réduction des coûts. Nous y travaillons, à la fois sur les aspects technologique et économique. En revanche, pour réduire les coûts, il convient de suivre l’approche d’industrialisation que j’ai citée tout à l’heure et qui vient d’être rappelée. Cela est nécessaire ; les décisions prises l’année dernière en Europe de confier plus de responsabilités à l’industrie nous donnent au moins l’opportunité de démarrer des travaux sur ce sujet.

En termes de technologie, je suis entièrement d’accord avec Gaele Winters. Ce n’est pas un hasard puisque nous nous parlons tous les jours ; il faut investir dans la réduction des coûts de propulsion, qu’elle soit liquide ou solide. Je n’ai pas encore trouvé de solutions pour numériser l’énergie permettant d’envoyer un satellite dans l’espace. Beaucoup de nouvelles économies travaillent sur la numérisation, mais en ce qui concerne l’énergie, je n’ai pas encore trouvé. Nous devons absolument travailler sur ces sujets.

Sur les concepts d’accès à l’espace, je pense que le chantier vient tout juste de s’ouvrir. Nous disposons des concepts de lancement à la verticale et récupération à l’horizontale, de lancement à la verticale et récupération à la verticale, de lancement à l’horizontale et récupération à l’horizontale, etc. Des concepts différents permettent deux types de réutilisation : aller en orbite basse et récupérer l’étage principal du lanceur, ensuite aller de l’orbite basse à une orbite plus élevée avec un camion de l’espace qui ferait des allers-retours entre l’orbite basse et l’orbite élevée, ce que M. Stéphane Israël a appelé le remorqueur spatial (space tug).

Tous ces concepts sont à l’étude, et pas uniquement en Europe. Nous regardons ce que font nos concurrents. Nous n’avons pas trouvé la solution miracle, mais je suis persuadé que, comme des évolutions très fortes sont intervenues au cours de ces trois ou cinq dernières années dans les satellites, des évolutions très fortes interviendront dans les lanceurs au cours des cinq à dix années à venir.

Mme Catherine Procaccia. Quand vous évoquez le réutilisable, ce n’est pas Ariane 6 ; êtes-vous donc en train de réfléchir à « Ariane 7 » ? On a bien compris que c’est l’évolution des satellites qui a obligé là l’évolution des lanceurs. Mme Anne-Yvonne Le Dain tout à l’heure, en parlant des débris, n’a pas évoqué un thème anodin. C’était un des thèmes de notre rapport de 2012 ; il n’est pas sans lien avec les techniques réutilisables. Cela veut-il dire que nous en sommes déjà à la réflexion sur un autre lanceur ? Si j’ai bien compris, Ariane 6 n’est pas conçu, pour l’instant, pour pouvoir être réutilisable. Y a-t-il encore des évolutions possibles avant 2020 pour qu’une partie soit réutilisable ? N’est-ce pas déjà la prochaine réflexion qui doit être engagée ?

M. Alain Charmeau. Comme l’a dit M. Jean-Yves Le Gall à deux reprises, l’Europe a également décidé, en décembre 2014, de démarrer un travail sur les technologies qui pourraient conduire, d’une part, à réduire les coûts, et, d’autre part, à avoir des lanceurs réutilisables, mais c’est pour l’après Ariane 6. Cela peut être une évolution d’Ariane 6 ou un nouveau lanceur qui lui succédera. Comme cela a été souligné, Ariane 6 est un lanceur modulable dont certains éléments peuvent être remplacés par des éléments réutilisables. Cette possibilité existe aujourd’hui, même si elle n’est pas prévue dans la conception actuelle d’Ariane 6. Les technologies nécessiteront des années de travail, ce n’est absolument pas pour 2020. Nous sommes en train de lancer la production d’Ariane 6, pas sa conception. Ce sera plutôt autour de 2030.

M. Stéphane Israël. Je pense qu’il est important que nous soyons tous au clair sur cette question. Le lanceur accessible en 2020, c’est Ariane 6. Le mieux est l’ennemi du bien ; ce n’est pas la peine d’être mort avant d’être guéri… Nous faisons face à une concurrence farouche et nous avons donc besoin, le plus vite possible, d’un lanceur qui, à la fiabilité exceptionnelle d’Ariane 5, ajoutera encore plus de compétitivité. Nous avons réfléchi avec nos clients à cette question car, voyant certaines évolutions de la concurrence, nous avons eu le bon réflexe, celui de consulter nos clients.

M. Michel de Rosen faisait partie des clients consultés ainsi qu’un autre grand opérateur basé au Luxembourg. Ils ont été très clairs : ne commencez pas à muter de stratégie tous les trois mois, à sacrifier Ariane 6 pour Ariane 7, à faire tous les deux ans des lanceurs de papier. Vous avez besoin en 2020 d’un lanceur opérationnel moins cher. C’est la feuille de route très claire pour tout le monde, officiellement comme officieusement.

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est une réponse claire. Le paysage spatial européen s’est modifié, notamment parce que les industriels entrent dans le jeu, vous venez de l’indiquer. Dans ce cadre, quelle sera la spécificité des agences spatiales nationales et des liens avec l’ESA ?

M. Jean-Yves Le Gall. Parmi les agences spatiales nationales concernant les lanceurs, on distingue le CNES des autres, il faut en être conscient. Pourquoi ? Parce que sa direction des lanceurs a des compétences et que la France représente plus de la moitié du développement des lanceurs. Aujourd’hui, la situation évolue, même si elle n’est pas très nouvelle pour le CNES. Aujourd’hui, le CNES est très satisfait du fait que l’on ait démarré le développement d’Ariane 6. Si nous ne l’avions pas fait à Luxembourg, nous nous poserions toujours des questions.

Les missions du CNES me semblent maintenant claires : comaîtrise d’ouvrage avec l’ESA. Nous avons signé un accord en ce sens ; la maîtrise d’œuvre du segment au sol, c’est énorme : c’est au centre spatial guyanais que sont opérés les lancements d’Ariane, Soyouz et Vega. Il faut le rappeler, le lancement est attribué au CNES et continuera à l’être, parce que c’est une activité régalienne. Nous gérons le budget de développement à l’ESA, 52 % du programme, c’est considérable. La loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales tire les conséquences de ce qui est considéré comme régalien pour la France. Et, comme je l’ai dit, la base spatiale est un des centres du CNES.

Cela fait beaucoup de travail et nous sommes pour l’avenir particulièrement satisfaits de cette évolution de gouvernance que nous avions anticipée. J’en parle d’autant plus volontiers que c’est à mettre au crédit de mon prédécesseur : c’est lui qui a rapproché les directions des lanceurs du CNES et de l’ESA. Ce mouvement de concentration au niveau de la maîtrise d’ouvrage a été réalisé il y a trois ans ; aujourd’hui, sur le même site, les directions des lanceurs des deux agences travaillent de concert pour le développement d’Ariane 6.

M. Gaele Winters. (Interprétation.) Quelque 4,3 milliards d’euros nous ont été confiés lors de la conférence ministérielle de Luxembourg par nos États membres. Pour pouvoir en user correctement, il nous faut la connaissance, l’expérience et les compétences de l’ESA, dans un cadre international. Nous ne pouvons pas être partenaires de l’industrie si nous n’avons pas les compétences dans le domaine des lanceurs. Si nous ne les avons pas, nous serons faibles (without teeth), nous ne pourrons négocier avec l’industrie. Avec tout le respect que nous lui devons, l’industrie a besoin d’un client très critique.

M. Michel de Rosen. Puisque j’ai le privilège ici d’être le client, je voulais faire écho à ce qu’a dit M. Stéphane Israël, pas seulement au nom d’Eutelsat, mais au nom de tous les clients commerciaux qui se sont réunis sur ce sujet : il est très important, pour l’Europe spatiale, qu’Ariane 6 soit au rendez-vous de 2020. Je voulais le répéter au nom de tous les clients.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais, toutes et tous, vous remercier pour cette première table ronde, qui a été fort intéressante. Nos rapporteurs en tireront le plus grand profit dans leur rapport final.

II. SECONDE TABLE RONDE : QUELLE STRATÉGIE DE FILIÈRE POUR L’EUROPE SPATIALE ?

Présidence de Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l’OPECST

Mme Catherine Procaccia. Nous avons déjà évoqué un certain nombre de thèmes relatifs à la stratégie de filière de l’Europe spatiale, mais nous les aborderons sans doute d’une autre façon au cours de cette seconde table ronde. Mme Geneviève Fioraso a évoqué tout à l’heure le comité de concertation État-industrie sur l’espace (CoSpace), qui évoque aussi, sous une forme analogue, l’une des préconisations de notre rapport de 2012.

Dans ce rapport, nous nous interrogions alors sur la règle du « retour géographique » de l’ESA et de son évolution vers celle d’une « juste contribution », qui nous paraît peut-être plus compatible avec une meilleure productivité. Le poids accru de l’industrie spatiale, depuis décembre 2014, va-t-il réussir à faire évoluer les règles, dans ce sens ou dans un autre ?

La dernière conférence ministérielle a aussi garanti à la coentreprise ASL et à Arianespace un « certain nombre » de lancements par des acteurs institutionnels (environ cinq par an, ai-je cru lire). Certains s’en félicitent. Pour ma part, je m’interroge : est-ce à dire que l’Europe a définitivement renoncé, par principe, à la préférence communautaire pour nos marchés institutionnels ?

Aujourd’hui, j’espère aussi que vous nous apporterez des réponses rassurantes sur l’avenir des programmes européens phares comme Copernicus (surveillance de la Terre) ou Galileo (géolocalisation), car il semblait que le financement public n’était pas intégralement assuré. À propos de Galileo, nous reviendrons sur la compatibilité avec les matériels existants de notre système de géolocalisation européenne.

En France, en Europe – comme ailleurs dans le monde –, l’industrie spatiale ne peut se passer d’un soutien public fort : la prise de risque sur des investissements lourds et à long terme et les externalités pèsent sur sa rentabilité.

L’accroissement de la concurrence internationale – nous en avons parlé tout à l’heure – n’est pas incompatible avec la coopération, particulièrement dans des domaines comme la recherche scientifique ou l’exploration spatiale. Mais doit-elle et peut-elle s’ouvrir à de nouveaux partenaires, à des projets autres que la station spatiale internationale (ISS) ou les vols habités ?

Enfin, dans cette seconde table ronde, je vous propose d’aborder la question de la contribution de l’espace à la COP21. Nul doute qu’un travail de concert entre gouvernements, agences spatiales (CNES, DLR allemande, ESA, NASA, JAXA japonaise…), Commission européenne, Eumetsat… est indispensable pour collecter des données spatiales et pour comprendre – certains diront vérifier – les changements climatiques.

Les constellations de satellites devraient permettre de surveiller l’efficacité et l’application du traité sur l’environnement qui découlera de la conférence de Paris, notamment les émissions de CO2 ou de méthane.

Nous avons évoqué aussi, au cours du premier débat, la question des débris. Avec le président Bruno Sido, nous remercions M. Alfonso Cuaron d’avoir popularisé ce problème et fait connaître le « syndrome de Kessler » dans son film Gravity. C’est peut-être aussi une prise de conscience de ce qui peut se passer, même s’il y avait dans ce film beaucoup d’invraisemblances. Je ne crois pas qu’il y aura bientôt des « navettes spatiales en libre-service », un peu comme les Autolib, pour aller d’un engin à l’autre. Il n’en reste pas moins vrai que, en 2014, l’ISS a évité de justesse une collision.

Vous l’avez aussi évoqué, nous nous réjouissons de l’accord signé lors du salon du Bourget par les principaux pays européens pour améliorer le suivi des objets spatiaux : avant de les récupérer, il faut effectivement les suivre, et dans ce domaine, nous avions un léger retard.

Voilà tous les thèmes que nous pourrions évoquer au cours de cette seconde table ronde.

Le premier intervenant est M. Gilbert Kirkham, le représentant de la NASA à Paris. Nous vous remercions beaucoup d’être venu pour ce débat de l’OPECST et à l’Assemblée nationale. Vous nous faites un honneur en participant à nos travaux.

En préalable à nos travaux plus spécifiquement européens, et à titre de comparaison avec la première puissance spatiale mondiale, je vous remercie de nous présenter la politique spatiale américaine, qui est de la compétence de la célébrissime NASA.

Nous avions dit que nous ne parlerions pas de SpaceX, mais vous avez vu que tout le monde en a parlé jusqu’à présent. Je vous laisse le soin de l’évoquer, si vous le souhaitez, surtout à l’aune de ce qui se passe en Europe : SpaceX a-t-il modifié les compétences de la NASA ? C’est une question que nous nous posons par rapport à l’irruption plus importante des industriels dans la politique des lanceurs.

M. Gilbert Kirkham, représentant de la NASA à Paris. (Interprétation.) Je vous remercie beaucoup de cette aimable introduction et de la possibilité donnée aujourd’hui à la NASA de s’exprimer en premier, alors que tant de mes collègues, plus sages et bien informés, prendront ensuite la parole. Je voudrais saluer la France pour son rôle majeur dans la COP21, qui aura lieu à la fin de l’année. Nous vous apportons des données qui peuvent contribuer à la décision politique face aux changements climatiques. C’est un des sujets dont nous avons parlé lorsque l’administrateur de la NASA, M. Bolden, et celui du CNES, M. Le Gall, se sont rencontrés au salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget en juin dernier. Un accord sur les débris spatiaux et le suivi de ces débris est intervenu ; au-delà, nous avons pu parler du changement climatique et de la façon dont nous pourrions « apporter notre eau au moulin ».

Nous allons, aujourd’hui, vous parler de notre politique quant à Mars. Notre objectif ultime est d’envoyer des humains sur Mars. La NASA a, certes, un rôle de leader, même si, au fond, tous les partenaires internationaux traditionnels partagent avec nous l’objectif d’envoyer les humains de plus en plus loin dans l’espace, notamment pour apprendre toutes ces choses extraordinaires que nous découvrons.

Nous avons parlé du marché des lanceurs ; je dirais que le futur de ce marché est soutenu par la politique spatiale américaine qui remonte à 2010, avec le soutien du président mais également des deux partis au Congrès. C’est notre façon d’amener des humains sur Mars. La première étape de ce voyage est la station spatiale internationale (ISS), la France en est un partenaire essentiel. Le Français Thomas Pesquet, astronaute de l’ESA, s’envolera l’année prochaine à destination de l’ISS. Avec nos partenaires commerciaux, nous espérons que la France et nos autres partenaires internationaux nous accompagneront pour que l’ISS dure au moins jusqu’en 2024 car nous y voyons beaucoup de bénéfices : pour les entreprises privées de l’espace avec un marché en expansion, pour la recherche novatrice et les découvertes scientifiques, notamment sur la microgravité et tout ce que l’on peut apprendre des séjours de longue durée dans l’espace. Cela peut aussi passionner les jeunes, nous en parlions.

En soutenant SpaceX et Orbital, nous remplissons notre mission pour les États-Unis de créer les emplois et tout un nouveau marché. Nous avons été très déçus des échecs en matière de transport de marchandises (cargo) cette année, mais évidemment, ils nous apprennent énormément de choses. Étape suivante, nous allons maintenant travailler au lancement d’équipages ; nous voulons que la station spatiale soit prête à accueillir des véhicules de lancement commerciaux, développés par SpaceX et Boeing, qui pourront transporter des Américains, mais aussi des astronautes de pays amis, à partir du sol américain.

Avoir permis à des entreprises privées de fournir des équipages commerciaux et du transport de marchandises nous permet, à nous et au gouvernement fédéral, de nous consacrer à l’étape suivante. Avec des ressources limitées, nous voulons envoyer des humains plus loin dans l’espace. Dans une petite dizaine d’années, nous lancerons notre première mission pour capturer et rediriger un astéroïde en orbite autour de la Lune ; les astronautes à bord du vaisseau spatial exploreront cet astéroïde et rapporteront des échantillons sur Terre. Cette expérience d’espace humain en orbite lointaine aidera la NASA et nos partenaires à tester de nouveaux systèmes et capacités tels que la propulsion électrique solaire, qui sera nécessaire pour une mission humaine vers Mars.

Pour ces missions vers Mars, nous travaillons en étroite collaboration avec la  France ainsi qu’avec d’autres partenaires, dont l’ESA, pour apprendre, certes, mais également préparer ces missions humaines.

Pour ce qui est de notre programme Orion et de nos programmes de lancement dans l’espace, nous faisons actuellement ce qui nous a été demandé par le président Obama, à savoir envoyer des humains sur Mars à l’horizon 2030.

Enfin, je dirais que, depuis que M. Charlie Bolden est administrateur de la NASA, il y a maintenant six ans, l’espace commercial est devenu une réalité et non plus un simple rêve de science-fiction. Nous l’avons fait avec nos partenaires internationaux. La France et les États-Unis abordent peut-être différemment la façon d’amener des humains sur Mars mais je pense que notre objectif est commun.

Mme Catherine Procaccia. Après la première puissance spatiale, je vais passer la parole à la deuxième, l’ESA.

Monsieur Johann-Dietrich Wörner, vous êtes le nouveau directeur général de l’ESA. Vous avez dirigé la Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt (DLR), le centre aérospatial allemand, équivalent du CNES et de l’ONERA. Vous nous faites l’honneur de votre première intervention publique depuis votre prise de fonction à la tête de l’ESA.

Quelle sera la stratégie spatiale européenne des prochaines années ? Et, plus particulièrement, la question des règles de juste retour, que j’évoquais tout à l’heure, va-t-elle évoluer ?

M. Johann-Dietrich Wörner, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA). (Interprétation.) Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité. C’est un honneur et un grand plaisir, une semaine après avoir pris mes nouvelles fonctions. La stratégie est très importante, très ambitieuse, mais nous ne devons pas la surestimer.

Je dois vous dire que l’ESA, l’agence spatiale européenne, travaille pour le compte de toute l’Europe pour développer, comme elle l’a fait par le passé, une industrie spatiale concurrentielle et une communauté scientifique spatiale reconnue, avec un grand nombre de missions importantes et réussies, que vous connaissez pour certaines : Rosetta, des missions vers Vénus, vers Mars et, dans le futur, Ariane 6, ISS, Galileo, Copernicus, ExoMars, etc. Une longue liste.

Comme cela a été dit, des changements et des défis se présentent désormais à nous pour le futur. La Terre tourne, mais l’industrie et l’activité spatiales tournent aussi, en général et en particulier. Nous avons parlé du changement climatique avec la COP21, question, bien sûr, très importante cette année : l’espace peut contribuer à des avancées en ce domaine.

Nous avons un nombre de plus en plus important de nations et d’organisations liées aux questions spatiales, y compris la Commission européenne et l’Union européenne, ce qui démontre l’importance croissante de l’espace dans la vie quotidienne. Nous assistons à une mondialisation de l’espace, une commercialisation de l’espace. Nous avons l’internet des objets, dont l’impact conduit au new space, ou, comme je l’appelle, à l’« espace 4.0 ». Nous avons un marché spatial européen tout à fait unique en son genre, très puissant, mais qui connaît des limites, étant donné le nombre d’intégrateurs de système, ce qui est particulier à l’Europe. C’est pourquoi je pense qu’il nous faut également des instruments tels que le retour géographique (georeturn).

Le public s’intéresse à l’espace. Les citoyens désirent participer aux discussions sur les stratégies et les projets. Quel est donc le rôle de l’ESA en la matière ? C’est tout d’abord le codéveloppement de stratégies européennes avec les autres acteurs : l’Union européenne, la Commission européenne, les États membres. C’est la mise en œuvre de la stratégie européenne par des missions, des projets y compris, ce qui est propre à l’ESA, les programmes obligatoires et non obligatoires. C’est l’anticipation des changements multiples de paradigme, vous l’avez dit, avec la part commerciale, ce « PPP » – qui signifie « partenariat public privé », et non « participation publique permanente »… C’est encore la mondialisation ou le changement de gouvernance pour les activités dans l’espace.

L’ESA doit également rassembler, analyser, examiner les besoins et visions de la société. Il nous faut aussi une nouvelle politique industrielle européenne.

Enfin, la responsabilité est celle de relever les défis qui se posent au monde par le biais des activités spatiales : l’ESA peut le faire et le fera, pour interconnecter les sciences, l’industrie, les politiques et la société.

J’ai écouté avec attention les autres contributions. Madame Sourbès-Verger, vous avez dit que les débats sur l’Europe sont très sensibles. Je pense que l’ESA peut jouer un rôle encore plus important, parce que nous sommes un peu médiateurs et partenaires pour ce qui est de la coopération au niveau mondial dans l’espace, même dans les situations difficiles. On parle de la crise ukrainienne, mais il existe d’autres problèmes actuellement. La station spatiale internationale fait travailler des astronautes et des cosmonautes de différents pays du monde. L’ESA discute de coopération avec la Chine et l’Inde et nous savons qu’elles sont des partenaires spécifiques sur d’autres aspects.

L’inspiration et la fascination des jeunes Européens vont donc bien au-delà des activités spatiales ; il y a aussi les sciences, la technologie, l’ingénierie, et nous avons parlé de l’aspect éducatif. L’ESA peut y contribuer avec ses partenaires et ses États membres en Europe. Il s’agit de créer un avenir pour l’Europe. Il faut rassembler nos forces au-delà des vanités nationales et institutionnelles, en général, et pour l’Europe en particulier.

La question est la suivante : devons-nous parler, comme Robert Schuman, né il y a quelque cent trente ans, des États-Unis d’Europe ? Je préfère parler d’un espace uni en Europe.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur Brunet, le traité de Lisbonne a créé une base juridique permettant une politique spatiale de l’Union européenne. La conférence ministérielle de l’ESA à Luxembourg, en décembre 2014, a clarifié les relations entre l’ESA et la Commission européenne.

Les échanges entre les deux institutions en ont-ils été fluidifiés ? Pouvez-vous compléter les propos de M. Wörner sur la stratégie européenne et, plus particulièrement, sur les projets spécifiquement pilotés par la Commission européenne ?

M. Philippe Brunet, directeur « Politique spatiale, Copernicus et défense », direction générale « Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME » (GROW), Commission européenne. Je voudrais dire d’abord combien je suis heureux de participer à cette audition publique au nom de la Commission européenne et d’y exposer ses perspectives pour l’Europe spatiale. Historiquement, deux Europe coexistent, celle de l’Union européenne pour l’espace et maintenant celle de l’Europe intergouvernementale. C’est pour cela que je souscris tout à fait au mot de M. Wörner qui vise, si ce n’est à les intégrer, du moins à les rapprocher, condition du succès.

Pourquoi cet intérêt croissant de la Commission européenne, au-delà des modifications de traités que vous venez de rappeler ? Dans le contexte économique actuel, l’espace se révèle comme un des secteurs économiques essentiels pour assurer le rebond de l’économie européenne. Les activités spatiales sont une source d’innovation, d’excellence scientifique et de progrès technologique. Tout le monde admet cela, mais, de plus en plus, ce sont des outils économiques globaux qui vont bien au-delà des industries dites spatiales.

Elles ont donc pleinement leur place dans toutes les stratégies destinées à relancer l'économie européenne décidées par la Commission Juncker. Je voudrais dire à cet égard que l’utilisation par les industries spatiales du prochain fonds européen d’investissement stratégique (EFSI), dit « plan Juncker », qui devrait mobiliser 315 milliards d’euros, est une de nos priorités, pour démontrer que ce plan est parfaitement adapté aux problématiques de l’industrie spatiale.

D'ici 2020, l'objectif de la Commission est d'abord de pérenniser les deux programmes d'infrastructures que nous développons : Copernicus, pour l’observation de la Terre, et les systèmes de radionavigation Galileo et EGNOS (service européen de navigation par recouvrement géostationnaire – European Geostationary Navigation Overlay Service).

Ces programmes sont destinés à fournir des services opérationnels de haute qualité à l'ensemble des secteurs économiques d'aval. C’est dans ces secteurs que les potentiels de croissance, donc de formation de richesse, sont les plus importants. Pour ce faire, pour les deux programmes, l'Union va mettre en orbite plus de trente satellites dans les années à venir. Ici, M. de Rosen n’est donc pas le seul représentant des clients d’Arianespace.

Le financement de ces programmes comprend 12 milliards d’euros pour le cycle budgétaire actuel, auxquels il faut ajouter 1,4 milliard d’euros pour la recherche. Le cycle précédent représentait un investissement limité à 5,2 milliards d’euros. L’accroissement de l’investissement européen est donc massif.

Par ailleurs, nous comptons prendre des mesures additionnelles pour renforcer notre soutien au secteur spatial dans le cadre de ces deux programmes et afin de créer un environnement plus propice. Là encore, M. Wörner a évoqué la mise en place d’une nouvelle forme de partenariat public privé (PPP) destiné à l’industrie, pour qu’elle prenne pleinement sa place dans la croissance qui sera suscité par ces programmes.

Enfin, je voudrais dire que l'utilisation efficiente de l’enveloppe budgétaire, ce qui est du ressort de la Commission, ne peut être réellement acquise que s’il existe une meilleure coordination au sein de l'Union, afin d’éviter que les dépenses publiques engagées par les différents acteurs ne se chevauchent inutilement, qu'il n'y ait pas de doublons infructueux, que des objectifs ambitieux communs de recherche soient fixés, pour que nous allions tous dans la même direction.

Je voudrais conclure par le rappel de quelques initiatives, au-delà de ces deux programmes industriels. D’abord, la Commission veut jouer un rôle dans une politique d’accès indépendant à l’espace : en tant que premier client institutionnel en Europe dans les cinq ou six ans à venir ; en tant que stimulateur de l'évolution de la technologie, – nous avons déjà parlé de la réutilisation à travers Horizon 2020 ; mais également en prenant sa part dans le développement et la maintenance des infrastructures nécessaires au sol, pour assurer cette autonomie européenne.

Enfin, je pense qu’il est utile de rappeler que l'Union pourra être amenée à jouer un rôle croissant dans de nouveaux domaines du spatial, comme les communications gouvernementales institutionnelles sécurisées, le contrôle global des émissions de gaz à effet de serre, avec la réunion COP21 que nous avons évoquée, mais aussi et surtout dans l’émergence d’une nouvelle économie numérique liée aux données de l’espace, le traitement massif des données ou « Big Data », qui sera non seulement une immense opportunité économique, mais aussi un défi technologique majeur.

En conclusion, l'Union va poursuivre sur le long terme ses efforts. À cet égard, il conviendrait de tirer, avec tous les acteurs, les conséquences de l’émergence de secteurs très concurrentiels dans le secteur spatial, lequel, historiquement, est peu habitué à ce type de concurrence.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur Genet, quel est le point de vue français, quelles sont votre analyse et celle du ministère sur la stratégie spatiale européenne ?

M. Roger Genet, directeur général de la recherche et de l’innovation, ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’interviens après Mme Fioraso, je ne vais donc pas vous redétailler la politique du Gouvernement, celle des dernières années et les enjeux qui sont les nôtres. Je vais intervenir sur deux points : du point de vue du ministère de la recherche, quels constats peut-on faire sur les points forts de notre politique en matière spatiale ? Quels sont les points d’attention particuliers du ministère pour les prochaines années ?

D’abord, vous l’avez souligné, en France, la politique spatiale est confiée au ministère chargé de la recherche. Une des pièces maîtresses du dispositif, qui nous vaut le succès que nous connaissons aujourd’hui, dans l’implication de la France dans la politique spatiale européenne, est d’abord le CNES. C’est le succès d’un organisme extrêmement réactif qui a su, à travers des partenariats, notamment avec des organismes de recherche publics, le CNRS, le CEA, construire une politique et faire émerger l’ensemble d’un secteur industriel à travers la compétitivité internationale. Aujourd’hui, nous disposons à la fois d’une très forte implication de la recherche publique et en même temps d’industriels parmi les leaders mondiaux dans leur secteur, notamment au niveau des satellites et des lanceurs. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

J’interviens ici en tant que directeur de la recherche et de l’innovation, chargé de la politique spatiale industrielle, la seule politique industrielle confiée à notre ministère, parce que nous avons toujours eu une très forte intégration en France entre les programmes scientifiques et spatiaux. Ce point a été assez peu abordé lors de la première table ronde, même si M. Jean-Yves Le Gall est intervenu à ce sujet. Au-delà des développements industriels, ce qui fait l’importance de tous les usages du spatial dans notre pays, c’est l’intégration avec les programmes de recherche, avec les programmes d’observation satellitaire, avec tous les usages que l’on peut en tirer, depuis l’observation de la Terre et l’évolution du climat jusqu’à la recherche sur l’apparition de la vie. Certains exemples ont été donnés.

Cette intégration est exemplaire et tient en un mot : la coopération. Depuis quarante ans, le CNES a conduit une politique de coopération très forte, d’abord au niveau européen avec l’ESA, au niveau bilatéral et, plus marginalement, en termes budgétaires, avec d’autres agences comme la NASA, sur des programmes martiens, par exemple. Cela représente un effort absolument considérable : Mme Fioraso l’a souligné, nous sommes le deuxième ou troisième pays en termes d’effort par habitant, le premier au niveau européen, avec 34 € d’investissement par habitant. Nous sommes le premier contributeur à l’ESA, quasiment à égalité avec l’Allemagne. Cela reflète une véritable politique volontariste de l’État, avec un vrai consensus entre le politique, le citoyen autour d’un rêve que nous devrions mieux faire partager au niveau européen.

Cette politique porte ses fruits en termes de développement industriel, d’autres l’ont souligné précédemment et le souligneront après moi, avec l’apparition de maîtres d'œuvre français, Airbus et Thales Alenia Space (TAS), leaders mondiaux dans le domaine, avec un secteur qui représente 35 000 emplois de très haut niveau technique en Europe, 12 000 en France,.

La France a toujours mis en avant une politique d'accès à l'espace permettant de garantir une autonomie d'accès pour l'Europe. Cette volonté entraîne un effort budgétaire français très important, puisque la France finance plus de la moitié du coût des lanceurs et les deux tiers du coût du centre spatial de Kourou, en Guyane, soit 1,44 milliard d’euros sur le programme 193 « Recherche spatiale », dont j’ai la responsabilité. Cela pèse lourdement sur les budgets spatiaux, cette politique devra donc évoluer inéluctablement, parce que l’on peut se demander s’il est bien normal qu’un pays seul supporte plus de la moitié d’un effort utile à toute l’Europe.

Je vais souligner cinq points particuliers d’attention pour les mois à venir pour notre ministère, mais il y en a bien d’autres.

1.– La politique en matière de lanceur, Mme Fioraso l’a rappelé, doit rester au centre de nos attentions jusqu'à la prochaine conférence ministérielle. L'engagement définitif pour Ariane 6 nécessite des efforts à la fois industriels, politiques et techniques. Nous devons absolument soutenir les efforts de toutes les parties en ce sens. Une première étape indispensable, et soutenue par l’État, a été franchie avec la création de la coentreprise ASL. Le transfert des parts étatiques d'Arianespace vers ASL est en bonne voie. Mais il reste beaucoup à entreprendre avec encore beaucoup de vigilance.

2.– Toujours sur les lanceurs, nous suivrons avec attention les évolutions dans les autres pays. Nous avons beaucoup parlé de SpaceX avec Falcon 9 et Falcon 9 Heavy. La question de la possible réutilisation a été évoquée. Même si aujourd’hui la démonstration de sa rentabilité n’est pas du tout avérée, nous devrons vérifier si cette voie est prometteuse, sans reculer les échéances afin de disposer d’un lanceur Ariane 6 pour l’horizon 2019-2020, tout le monde l’a dit.

3.– Côté ESA, le ministère suit avec beaucoup d’attention les propositions d'évolution de l'agence, maintenant confiée à M. Johann-Dietrich Wörner, et qui avaient été lancées par M. Jean-Jacques Dordain, en termes de retour géographique et de relations avec l’Union européenne, ainsi que les relations de l’ESA, en tant qu’agence européenne avec les États membres.

4.– Les programmes de l’Union européenne sont également source d'attention, en particulier, et nous y reviendrons, Galileo et Copernicus qui sont dans des situations très différentes tant sur le plan budgétaire que dans leur mise en œuvre.

5.– Enfin, nous accordons une attention particulière aux filières industrielles. Au ministère, nous attachons énormément d’importance à préserver les compétences qui ont été acquises dans les technologies satellitaires, compétences absolument nécessaires pour les programmes de recherche que nous menons en France et en Europe.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur Jean-Loïc Galle, vous portez ici trois casquettes, celle de coprésident du CoSpace, celle de président de la commission « Espace » du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et celle de PDG d’un grand groupe européen, Thales Alenia Space (TAS).

Pouvez-vous nous présenter votre vision de la filière industrielle européenne de l’espace ?

M. Jean-Loïc Galle, coprésident du comité de concertation État-industrie sur l’espace (CoSpace), président-directeur général de Thales Alenia Space. Je voudrais remercie l’OPECST pour le fort intéressant rapport de 2012 sur les infrastructures spatiales en Europe, ainsi que pour l’organisation de cette audition publique. Je remercie également très chaleureusement Mme Geneviève Fioraso qui, lorsqu’elle a pris son ministère, ne connaissait pas grand-chose au spatial, puis s’est prise de passion pour ce domaine et a réalisé, en assez peu de temps, des choses assez extraordinaires, tant au niveau de l’Europe par son implication dans les deux conférences ministérielles, qui ont amené les résultats dont nous avons beaucoup parlé sur Ariane 6, qu’au niveau français, avec la création du CoSpace, étape décisive pour définir une politique spatiale française cohérente. Je ne doute pas que son successeur aura le même enthousiasme et la même appétence pour le spatial.

Je voudrais rappeler la spécificité de l’Europe spatiale. L’Europe est effectivement une des quatre grandes puissances spatiales mais elle se caractérise par la petitesse de son marché intérieur. Les trois acteurs spatiaux leaders – Northrop Grumman, Boeing et Lockheed Martin – réalisent respectivement 100 %, 95 % et 80 % de leur activité sur leur marché local américain, alors que les deux européens les mieux placés se situent en positions quatre et cinq, TAS et Airbus, réalisent plus de 50 % de leur activité sur le marché de l’exportation en dehors de l’Europe. C’est un élément très clivant entre nos concurrents américains et nos sociétés européennes. Quelles conclusions peut-on tirer de ce fait ? Au moins deux.

D’abord, essayons d’augmenter l’importance de ce marché intérieur européen ; c’est absolument fondamental. Évidemment, nous ne pouvons que nous réjouir de programmes comme Copernicus et Galileo, qui sont de grands fleurons de l’Europe. Il faudrait maintenant que ces deux grands programmes soient suivis par bien d’autres. Dans ce domaine, soyons très pragmatiques en parlant de programmes très concrets. M. Brunet en a évoqué un, celui de la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Je pense que l’Europe, qui est la dernière grande puissance mondiale à ne pas avoir pris d’initiative dans ce domaine, à ne pas avoir de satellite ou au moins de projets de satellite en gestation, doit réagir sur ce point.

Un deuxième exemple : la France, dans le cadre du plan Juncker, a pris l’initiative, extrêmement importante, de proposer quatre satellites géostationnaires HTS, très grand débit, pour couvrir l’ensemble de l’Europe sans exception et pour donner l’accès à l’internet haut débit à tous les citoyens européens. J’espère que l’Europe et la France soutiendront de toutes leurs forces ce projet. Ce sont des projets très concrets où des satellites pourront être construits et le marché intérieur pourra être élargi.

La seconde conclusion est que le maître mot de la politique spatiale européenne est celui de la compétitivité. Quand une grande partie de votre marché est à l’exportation, si vous n’êtes pas compétitif, vous vous trouvez dans une mauvaise situation. Toute notre politique spatiale européenne doit être axée, et je crois que la Commission européenne et l’ESA l’ont compris depuis un certain nombre d’années, sur cette compétitivité.

Quelle est l’Europe spatiale souhaitable ? Elle devrait présenter quatre caractéristiques.

1.– C’est d’abord une Europe équilibrée entre les lanceurs, les systèmes satellitaires, y compris les segments-sol et les services. Le débat de ce jour a montré que l’Europe connait un petit déséquilibre au profit des lanceurs. Certes, l’accès à l’espace est fondamental, mais il ne faudrait pas oublier les deux autres composantes du marché spatial. Il serait temps de rééquilibrer cette politique spatiale à l’avenir vers ces deux autres segments. Je n’oublie pas le domaine des services, dont a parlé M. Brunet, qui représente aujourd’hui 100 milliards de dollars d’activité, c'est-à-dire plus du double de l’activité des infrastructures spatiales. Vous imaginez ce que cela pourra être dans cinq ou dix ans. Il est évident que la croissance du marché mondial sera fondée sur les services. Il faut que l’Europe y soit très présente. Comme l’a rappelé Mme Fioraso, la France a pris une initiative dans ce domaine pour qu’un écosystème de sociétés travaille sur toutes les applications spatiales.

2.– Deuxièmement : une Europe cohérente. Par rapport aux Américains, nous avons le handicap d’avoir une structure un peu plus compliquée. Il faut donc que les politiques de la Commission européenne, de l’ESA et des agences nationales soient les plus cohérentes possibles. Nous ne pouvons pas nous permettre de dupliquer les dépenses sur les technologies entre les niveaux national et européen. Cela ne sera peut-être pas parfait, mais autant que cela soit le plus parfait possible.

3.– Troisièmement : une Europe agile. Nous voyons une évolution très forte du marché spatial, qui était dans le passé assez conservateur et dont les évolutions sont en train de s’accélérer, et s’accéléreront encore dans le futur. Il faut donc que l’Europe soit capable de prendre des décisions très rapidement. Comme le disait M. Wörner, c’est très bien d’avoir des stratégies à long terme, mais c’est aussi très bien d’être pragmatique. Dans ce domaine, je proposerai à ce sujet à la Commission européenne et à l’ESA de réserver une partie des budgets annuels pour des éléments qui pourraient survenir en cours d’année.

4. – Enfin : une Europe avec une politique spatiale et une politique industrielle spatiale. J’y reviendrai.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur Thierry Reboul, vous dirigez RESA, une PME de l’Essonne employant une quarantaine de salariés et faisant de la production électronique pour le spatial. Dans ce secteur où les pannes sont impensables, vous vous êtes attaché la clientèle des deux géants européens du secteur, Thales Alenia Space (TAS) et Airbus Defence and Space. Vous produisez aussi des pièces uniques comme le robot Curiosity qui explore actuellement la planète Mars.

Pouvez-vous nous dire si les grands groupes de l’aéronautique et du spatial développent avec vous un partenariat en amont (comme entre le CERN et les PME partenaires) ou si cela passe par d’autres mécanismes ?

Vous permettent-ils de développer et de valoriser vos produits sur d’autres marchés ?

M. Thierry Reboul, directeur général délégué de RESA. Je vous remercie. Je suis très honoré de participer à cette table ronde en tant que représentant d’une PMI française. La société que je dirige, RESA, est une PME d’une quarantaine de personnes fondée en 1994, dont le cœur de métier est la production électronique de haute fiabilité pour l’industrie spatiale. RESA est membre d’une fédération d’entreprises dont l’actionnaire unique est français. Au sein de cette fédération, les activités aéronautiques et spatiales sont portées par quatre sociétés représentant environ 12 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un effectif global d’environ 140 personnes.

Au sein de l’écosystème de l’industrie spatiale européenne, RESA est un sous-traitant direct d’acteurs majeurs tels que Thales Alenia Space (TAS) et Airbus Defence and Space, les laboratoires du CNRS, du CEA ou de l’ONERA, mais également de nombreuses PMI et ETI fabricants d’équipements spatiaux embarqués.

Notre savoir-faire repose sur la maîtrise du plus large spectre des techniques de production de cartes électroniques pour les applications spatiales, civiles ou militaires, pour des satellites de télécommunication et d’observation et pour des lanceurs. Nos activités, avant tout manuelles, sont exécutées par des opérateurs orfèvres, spécifiquement qualifiés par client ou par marché, et dont la précision et la dextérité du geste ne sont pas les seules qualités. Ils pensent spatial et en comprennent toutes les exigences. La moindre opération de production doit être appréhendée en ayant constamment à l’esprit les enjeux de fiabilité inhérents à la filière, comme vous l’avez rappelé.

Le spatial fait toujours rêver, les PME et PMI, souvent très ou trop spécialisées, sont autant de structures où la conscience de participer aux grands défis spatiaux contemporains est une fierté. Nombre de petites ou moyennes entreprises, dont RESA, sont les dépositaires d’un savoir-faire peu répandu, car intéressant des marchés relativement étroits, mais néanmoins très importants dans le cadre des programmes spatiaux. Dans un écosystème qui peut paraître déséquilibré pour ce qui est de la taille des acteurs, les grands groupes industriels et les institutions, comme l’ESA ou le CNES, montrent la voie au travers de leurs programmes structurants, dont les enjeux sont particulièrement ambitieux en termes de mission et stratégie, d’évolution technologique, de limitation des coûts et de respect des plannings.

De par leur réactivité, leur disponibilité et leur structure, les PME sont à même de contribuer fortement au succès de ces grands projets sous l’impulsion et la direction de ces acteurs de premier plan. La tendance à l’accélération des projets pose la question de la préparation et de la participation des PME et PMI à ceux-ci, tant au niveau des savoir-faire que des moyens.

Le retour d’expérience auprès des dirigeants dans les domaines du développement et de la production des équipements spatiaux montre bien que les initiatives engagées par les grands groupes et les institutions pour partager avec les PME et PMI leurs perspectives d’évolutions techniques et technologiques sont essentielles. Ainsi, toutes les actions en vue de resserrer les liens avec et entre ces PME, dont les compétences et contributions sont complémentaires, sont à poursuivre et encourager.

Pour l’avenir, la maturité des processus d’étude et des procédés de production des PMI du secteur spatial devrait leur permettre de prolonger leur valorisation sur d’autres marchés à haut niveau de fiabilité : le médical implanté, le nucléaire, par exemple, ainsi que leur épanouissement à l’exportation. Cependant, les passerelles entre les filières restent encore largement à développer. Les PME et PMI françaises de l’industrie spatiale sont pleinement conscientes de leur rôle ; elles sont totalement impliquées dans une filière où elles participent aux mutations en cours. Par nature plutôt tendues vers le respect d’objectifs de court ou moyen termes, elles n’en négligent cependant pas moins l’impérieuse nécessité de préparer l’avenir, avec et sous l’impulsion de l’État et des grands acteurs du secteur.

Mme Catherine Procaccia. En raison de l’arrivée retardée du général Jean-Daniel Testé, et comme pour la première table ronde, je vais laisser à M. Xavier Pasco, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), responsable du pôle « technologie, espace et sécurité », la lourde tâche de présenter la synthèse des interventions.

M. Xavier Pasco, docteur en sciences politiques, maître de recherches à la Fondation pour la recherche scientifique (FRS). Merci beaucoup de cette invitation. Je vais m’inspirer de Mme Isabelle Sourbès-Verger, avec qui j’ai suffisamment travaillé pour pouvoir me le permettre, pour constater également, dans cette table ronde des convergences et des éléments plus en filigrane.

Les convergences d’abord. J’ai l’impression que l’avenir de l’espace est au sol, dans la synergie avec quelque chose qui le dépasse, avec les technologies de l’information notamment. On voit bien que, dans les différentes interventions, l’espace semble chercher là le « Graal » des débouchés, qui passe sans doute par cette synergie avec les technologies de l’information. Nous l’avons bien vu pendant la première table ronde. Cela s’est confirmé pendant la seconde. C’est sans doute un axe fort de l’action de l’Union européenne de faire que l’espace soit au service de cette nouvelle économie numérique qui décolle. C’est sans doute une réponse partielle à cette nécessité d’augmenter le marché européen. On a l’impression que l’espace seul ne se suffit plus. Mais il peut, en synergie avec cette nouvelle économie, trouver sa pleine place et, d’une certaine manière, se sauver lui-même.

Nous avons évoqué très fugitivement les ballons, par exemple. On a l’impression que l’espace ne vit plus seul, mais en relation avec les autres infrastructures et technologies. L’espace va à la fois les nourrir et s’en nourrir. C’est sans doute ce que M. Wörner a voulu dire par « anticiper plusieurs changements de paradigmes ». On parle en particulier, de plus en plus, d’irriguer le tissu industriel en prenant appui sur les grands groupes. M. Galle a rappelé l’importance de l’investissement stratégique pour ces grands groupes, mais aussi pour irriguer le tissu des PMI et PME que M. Reboul a présentées.

Nous avons beaucoup parlé à la fois de lanceurs et d’espace au service de la société. Il est évident que l’espace des applications est sans doute une voie possible. Puis, tout à coup, M. Kirkham nous a parlé de Mars, d’exploration et même un peu d’espace habité, avec le SLS (Space Launch System) et Orion. Dans nos débats sur les lanceurs, nous n’avons pas parlé de lanceur lourd, mais de lanceur pour satellite. On s’aperçoit qu’une division du travail est en train de s’effectuer, en particulier aux États-Unis, entre, d’une part, une économie spatiale qui prend son élan et calcule au plus juste à partir d’un plan d’affaires (business plan) lié aux applications, et, d’autre part, la NASA, qui semble-t-il se recentre aujourd’hui vers le plus long terme. Vous avez également parlé des années 2030. Cette évolution est sans doute plus en filigrane chez nous, et nous en parlons moins.

Monsieur Genet, vous avez évoqué le fait que la recherche est essentielle mais il me semble que cela concerne le long terme Dans notre table ronde, nous avons beaucoup parlé d’espace utile. Je pense que c’est essentiel pour nous et l’Europe sait investir raisonnablement dans cet espace utile. Il ne faut sans doute pas perdre de vue l’espace à plus long terme. Le spatial repose sur deux pieds : les activités commerciales et institutionnelles, qui vont conduire à mieux diviser et organiser les rôles. En effet, l’un des plus grands changements de paradigmes est cette nouvelle répartition des rôles. On a parlé des acteurs, de la répartition entre ESA et Union européenne. Cela permettra sans doute de redistribuer et clarifier les rôles entre les différents intervenants.

Puis, il y a, sans doute en filigrane, des choses un peu moins dites chez nous, qui deviendront des thèmes d’importance à plus long terme.

Mme Catherine Procaccia. Le général Jean-Daniel Testé est arrivé. L’industrie spatiale est duale. L’importance du rôle du spatial s’accélère dans la défense et la sécurité : satellites de communication sécurisée ou d’observation détaillée, missiles balistiques pour la force de dissuasion… Les forces armées ne peuvent conduire des OPEX, notamment en Afrique, sans nos satellites. Sans mettre en péril le secret militaire, général Testé, pouvez-vous nous en dire plus sur les applications militaires de l’espace  actuelles et à venir ?

Général de brigade aérienne Jean-Daniel Testé, commandant interarmées de l’espace (CIE), ministère de la défense. Je vous remercie de cette invitation. Dans le constat actuel, sous son aspect militaire, la France est un acteur majeur du spatial militaire, ainsi que l’Europe. Nous sommes passés de la nécessité de posséder des capacités spatiales, il y a une vingtaine d’années, où nous avions absolument besoin de ces capacités pour conduire des opérations, à une forme de dépendance aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que nous ne conduirions pas les opérations militaires si nous n’avions pas les capacités spatiales, mais nous les mènerions nettement moins bien, à un point tel que la sécurité ne serait pas assurée de la même façon, tandis que les dégâts collatéraux aux opérations militaires seraient certainement plus importants. Nous avons donc une dépendance : il faut protéger tout ce qui nous permet de créer, renouveler, mettre et maintenir en orbite ces systèmes. L’industrie spatiale européenne est donc essentielle pour les militaires.

L’industrie spatiale militaire a été conçue sur une base duale presque dès le départ. Nous allons bientôt fêter deux anniversaires importants. Le premier, et le plus symbolique pour le spatial en général, est le trentième anniversaire du premier vol français habité dans l’espace. Le second, très symbolique pour les militaires, et en particulier pour moi, est le vingtième anniversaire du lancement du premier satellite d’observation militaire. À cette époque, nous avions identifié les systèmes spatiaux comme étant des facteurs exponentiels pour les capacités militaires. La détention de capacités spatiales est un facteur multiplicateur des effets militaires. Nous sommes donc passés à une logique de dépendance.

Nous devons donc renouveler ces capacités pour continuer à être aussi efficace qu’aujourd’hui, que ce soit en matière d’autonomie d’appréciation de situation et de décision qu’en matière de conduite des opérations. Ce sont les deux domaines dans lesquels nous avons une plus-value aujourd’hui en Europe. Nous devons absolument la garder. Il faut maintenir ces filières de lanceurs, qui nous permettent de mettre des satellites militaires en orbite. Je me réjouis de l’ambition du projet Ariane 6.

Je vous dirais, en aparté, que tous les satellites militaires français ont été lancés par Ariane, c’est symbolique. Cette indépendance d’accès à l’espace est essentielle pour les militaires français, nous devons donc absolument la conserver. De la même façon, ces satellites font des prouesses au quotidien : ils servent pour l’observation, les télécommunications, bientôt la navigation et l’écoute. Ce sont des domaines que nous avons déjà explorés mais sur lesquels nous souhaitons améliorer nos capacités. Nous avons donc besoin d’une industrie performante : nous en disposons en Europe. Il faut qu’elle continue de vivre et de renouveler les systèmes que nous utilisons au quotidien.

Côté militaire, nous avons absolument besoin de cette assise européenne, que ce soit dans les lanceurs ou les technologies des satellites. C’est essentiel pour nous.

La scène spatiale a énormément changé. Je vois arriver de nouveaux acteurs, en particulier américains : la Silicon Valley, les acteurs privés, etc., et cela pose question. Je n’étais pas du tout favorable, en tant que Français – je sais que d’autres pays européens n’ont pas eu la même démarche –, à faire lancer un satellite militaire français par un lanceur étranger, russe, ou autre. C’est inconcevable. Les satellites militaires doivent être lancés par des lanceurs nationaux. L’irruption des intervenants privés sur le marché des lanceurs privés nous pose énormément de questions.

Par ailleurs, en matière d’observation, nous avons un recul très important et des performances très spectaculaires, des résultats de grande qualité. La multiplication des acteurs susceptibles, à moyen ou plus long terme, de fournir des données image sur le monde entier pose question. Ce service va être disponible pour le grand public, commercialement en tout cas pour beaucoup de monde. Beaucoup de pays souhaiteraient disposer des capacités dont nous disposons aujourd’hui en termes de surveillance et d’imagerie. Je ne dis pas que nous devons les garder jalousement, mais ces capacités nous donnent une clé pour peser sur la scène internationale.

J’avais un échange tout à l’heure avec mes homologues allemands, c’est la raison pour laquelle je suis arrivé en retard, et j’en suis désolé, sur les différents événements du spatial militaire qui ont permis de faire comprendre à différents décideurs politiques et militaires l’importance du spatial.

Vous avez tous en tête le refus de la France de participer à la deuxième guerre en Irak au côté des Américains. Cette décision a été prise sur la base de renseignements français montrant que les déclarations américaines à l’ONU n’étaient pas complètement fondées. Nous avions des preuves grâce aux images françaises. Nous avions des divergences d’analyses sur la détention par le régime de Saddam Hussein d’armes de destruction massive. Cette divergence d’appréciation a permis au ministre français des affaires étrangères de faire la déclaration à l’ONU que nous avons tous en mémoire et de décider de ne pas embarquer la France dans une guerre qui n’était pas la sienne. Cette non-participation de la France nous a fait économiser le prix d’un satellite par année de conflit. Pour moi, le jeu en vaut la chandelle et les capacités françaises et européennes sont de qualité.

DÉBAT

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ouvre maintenant la discussion sur la seconde table ronde.

M. Johann-Dietrich Wörner. (Interprétation.) Je souhaiterais contribuer à la discussion par une observation. Je voudrais me faire l’avocat d’un espace avec trois aspects qu’il faut absolument différencier.

Tout d’abord, cela a déjà été mentionné, ce sont des projets et des missions qui répondent à des besoins directs : observation du climat, des catastrophes naturelles et de la Terre, activité de défense. Cela permet d’accroître la capacité industrielle.

En deuxième lieu, ce sont les missions qui visent à renforcer l’esprit européen et la coopération au plan mondial, même en des temps difficiles. C’est quelque chose que l’espace peut mieux faire que tout autre domaine. Nous devons le conserver.

Enfin, ce sont les activités visant à inspirer les jeunes au développement de l’avenir, en particulier avec les vols habités. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de l’« effet Apollo » dans les années 1960 ; beaucoup de jeunes à l’époque avaient décidé d’étudier les sciences, les mathématiques, la technologie, l’ingénierie… Cela a beaucoup renforcé les États-Unis. Après la remarque de Mme la ministre, je dirais : recherchons plutôt un effet Artémis…, qui était la sœur jumelle d’Apollon et la déesse de la Lune. Si cela peut encourager les jeunes femmes à faire des études en sciences, technologies et ingénierie dans l’espace, nous pourrons vivre de grandes aventures dans l’espace sur les trois fronts que je viens de mentionner.

M. Philippe Brunet. Je voudrais d’abord rebondir sur ce qu’a dit M. Pasco en matière de changement de paradigme. C’était une partie de ma conclusion. Le problème des données numériques ou du développement du secteur d’aval, où la croissance et la richesse doivent pouvoir être trouvées grâce au secteur spatial, est consubstantiel du premier. Il faut savoir reconnaître que, au-delà de la science, de la recherche – qui restera un domaine très keynésien, qui n’existerait pas sans les fonds publics –, des secteurs de plus en plus concurrentiels doivent être traités – c’est là l’un des succès des GAFA –, comme n’importe quel autre secteur concurrentiel, c'est-à-dire avec une réduction des coûts, une rationalisation de la production et surtout une adéquation avec les besoins exprimés par les utilisateurs finaux.

Par exemple, pour le programme Copernicus, dont j’ai la charge, il est certain que Copernicus version 2, qui apparaîtra après 2020 ou 2021, ne sera pas nécessairement celui que nous connaissons maintenant, parce que, entre-temps, des choses auront évolué. Ce sera peut-être la contribution à la mise en place d’un accord après la COP21 sur les gaz à effet de serre.

Il se trouve que je suis aussi responsable de l’industrie de défense à la Commission européenne. Je comprends tout à fait les préoccupations que le général Testé a clairement indiquées mais, compte tenu de la réduction des budgets en matière de recherche de défense militaire, dans le domaine de l’espace en particulier, si nous ne développons pas des approches duales, il ne sera pas possible de continuer de développer des approches uniquement militaires. Autrement dit, les approches uniquement militaires devront être fondées sur une politique industrielle spatiale, sur un secteur concurrentiel qui fera que, au-delà des applications commerciales – j’ose dire le terme – qui seront celles de l’espace, on pourra développer des applications purement militaires.

J’ai évoqué, dans ma brève introduction, le programme des satellites gouvernementaux dits de communication sécurisée, je pense que c’est l’exemple type. D’ailleurs le Conseil européen sur la défense de la semaine dernière a clairement indiqué que cette voie devait être analysée, voire poursuivie. En effet, nous nous apercevons que des besoins militaires peuvent être pris en charge par des satellites sécurisés qui ne sont pas des satellites tels qu’on les conçoit maintenant au niveau militaire. Évidemment, certains besoins militaires devront continuer à être pris en charge par des satellites militaires, mais, pour prendre un exemple pédagogique, dans une base militaire, on n’utilise pas un véhicule blindé comme car de ramassage…

À l’heure actuelle, en Europe, très nombreux sont les besoins de satellites gouvernementaux pour servir des besoins institutionnels. Je reviens par-là à une demande de M. Galle ; c’est peut-être un programme que nous pouvons développer au niveau européen. Un très grand nombre de politiques au niveau de la Commission ont besoin actuellement de communication sécurisée par satellite. Ces communications sécurisées ne passeront pas par les deux, trois, quatre ou cinq satellites militaires européens. Pour que l’espace remplisse son objectif d’outil économique producteur de richesse, je pense qu’il faut l’appréhender dans sa globalité et voir que la même industrie peut servir des besoins purement militaires, mais peut aussi bénéficier d’un programme spécifique pour développer un secteur commercial important.

M. Jean-Yves Le Gall. Aujourd’hui, le système spatial européen est soumis à deux faisceaux de contraintes. D’une part, un faisceau qui vient des États-Unis, ce que l’on appelle peut-être improprement le new space, termes que j’apprécie peu, parce qu’ils semblent s’opposer au old space, alors que beaucoup de personnes qui le composent ne sont pax vieux, bien au contraire. Nous voyons bien ce mouvement qui arrive de Californie, essentiellement du monde de l’internet, et qui a occupé nos débats lors de la première table ronde, avec ce qui se fait dans les lanceurs et les constellations.

Un deuxième mouvement me frappe également, c’est l’évolution de l’ordre spatial mondial. Il y a quinze ans, j’avais la charge des affaires internationales au CNES, nous coopérions avec cinq grandes puissances, dans l’ordre : les États-Unis, la Russie, le Japon, l’Inde et la Chine, ou la Chine et l’Inde. Quinze ans plus tard, Mme Fioraso m’a fait l’honneur de me nommer président du CNES et je retrouve un ordre spatial totalement différent. Les États-Unis sont toujours en tête, puis viennent la Chine, l’Inde. La Russie et le Japon sont plus loin. Surtout, les nouveaux venus dans le spatial se sont multipliés, parce que le prix du ticket d’entrée pour agir dans le domaine de l’espace est en train de baisser de façon considérable, parce que les gens veulent avoir des satellites pour faire de la science, de l’observation ou des télécommunications commerciales, et là aussi le prix du ticket d’accès diminue.

À la question sur les stratégies de filière pour l’Europe spatiale, nous avons répondu, dans notre première table ronde par notre réflexion sur une stratégie face à un risque, à une menace : ce qui se passe aux États-Unis. Je note au passe que, en grec, risque et opportunité sont le même mot ; un risque est parfois une opportunité. Je pense que nous ne pouvons pas rester étrangers à ce qui se passe partout ailleurs. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis se lancent dans l’aventure martienne. Une mission émirienne partira en 2020. Nous voyons beaucoup d’autres pays en train de créer une agence spatiale, qui veulent se développer, faire de la science, en quelque sorte exister grâce au spatial. Ce sont des opportunités. C’est d’ailleurs pour cela que le CNES, dûment mandaté par le ministre des affaires étrangères, a mis en place une politique de coopération très dynamique pour conclure des accords avec les nouveaux venus, bien sûr en support de ce que fera par la suite l’industrie des satellites, des lanceurs et des services. Je crois aussi que cela permet d’exister et d’avoir un système plus intégré.

Nous avons montré l’exemple en Europe, car la carte de visite de l’Europe est sa capacité à coopérer. Tous les programmes dont nous parlons se font en coopération, avec des résultats incontestables. Le programme dont on parle le plus est Ariane mais il y en a bien d’autres. Copernicus est un exemple absolument réussi, plus discret que Galileo, dont on parle beaucoup parce qu’il faut que l’ensemble du système soit déployé. Copernicus arrive pas à pas mais, d’ores et déjà, c’est un succès considérable. Quand nous en parlons avec nos partenaires, nous évoquons un Copernicus mondial. J’ai pris l’initiative, au moment du salon du Bourget, de réunir une quarantaine de chefs d’agences spatiales – pratiquement tout le monde était là – pour parler de ces sujets, dans le processus de préparation de la COP21.

Nous devons garder ce nouvel ordre spatial à l’esprit quand il s’agit de définir une stratégie de filière pour l’Europe spatiale. Il ne faut pas se retrouver dans la situation du promeneur qui a perdu ses clés mais ne les cherche qu’à l’endroit où le lampadaire éclaire sans voir que ses clés sont juste à côté… Quand on parle d’espace en Europe, on parle toujours des mêmes sujets. Allez partout dans le monde, aux Émirats, en Azerbaïdjan, au Brésil…, on parle du spatial de façon différente et c’est à mon avis très structurant pour ce que nous pouvons faire en Europe.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur Jean-Loïc Galle, vous aviez dit que vous alliez compléter votre intervention.

M. Jean-Loïc Galle. Je pense que la politique spatiale européenne doit comporter plusieurs piliers de nature totalement différente. Le premier est une « politique politique », j’emploie deux fois le mot dans le sens premier du terme. M. Jean-Yves Le Gall vient de parler des différentes puissances spatiales dans le monde. Aujourd’hui, je ne suis pas certain que l’Europe ait une politique vis-à-vis de ces autres puissances qui soit très claire, en particulier vis-à-vis de la Russie, de la Chine et de l’Inde, qui sont parmi les six grandes puissances. Il serait bon que l’Europe définisse une politique aussi claire que possible, adaptée au contexte actuel de ces trois puissances. Je pense que les États-Unis ont le mérite d’avoir une politique claire vis-à-vis de ces puissances spatiales.

Ma conviction est, comme le disait M. Wörner, que le spatial se positionne au-dessus des conflits conjoncturels ; certains sujets du spatial, dont les piliers 2 et 3, doivent transcender ces conflits. Encore faut-il que l’Europe définisse clairement sa politique dans ce domaine.

Ensuite, il faut une politique industrielle claire, qui doit être à plusieurs niveaux, comme les niveaux d’une fusée. Je pense que l’Europe désire avoir au moins deux maîtres d’œuvre systémiers au niveau des satellites, pas à celui des lanceurs, bien qu’il soit possible de se poser la question. Je laisserai M. Stéphane Israël y répondre s’il le souhaite. Au niveau des équipementiers et des technologies, je pense qu’il faut vraiment élaborer une politique de filière, que nous n’avons pas.

L’Europe n’a pas les moyens de dupliquer – voire  tripliquer – les technologies basiques. J’ai été amené plusieurs fois à dire à M. Brunet que je considérais que la stratégie Horizon 2020 avait fait des progrès par rapport au 7programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (FP7), mais n’était pas encore totalement optimal dans la sélectivité, la priorisation des technologies que l’on développait en Europe. Je pense que nous devons encore faire des efforts avec cet énorme programme de R&T, énorme par son montant, pour que, tous ensemble, nous définissions la liste des technologies indispensables à appréhender par l’industrie européenne et pour que nous travaillions ensemble sur ces technologies prioritaires, sans saupoudrer l’argent public européen sur des actions à faible intérêt pour la communauté spatiale européenne, et le citoyen européen lui-même.

Le troisième volet d’une politique spatiale européenne est une politique d’indépendance, en particulier au niveau des composants spatiaux. Nous sommes la seule puissance spatiale mondiale à ne pas être indépendante au niveau de ses composants spatiaux, tout à fait spécifiques dans la tenue aux environnements. La Chine et la Russie sont en train de se doter de cette indépendance. L’Europe doit aussi posséder cette indépendance quant aux composants critiques spatiaux.

Enfin, et ce n’est pas anodin, le dernier volet de la politique spatiale est le volet du financement. Moi qui ai la chance d’avoir accès à des clients dans le monde entier, je constate que les clients qui ne demandent pas de financement de leurs propres programmes se comptent sur les doigts des deux mains, il s’agit, en particulier, des grands pays du Moyen-Orient. Tous les autres États, même les riches, demandent à être financés pour ces énormes programmes, puisque ce sont des programmes extrêmement importants en volume. Cela devient un atout majeur de compétitivité de pouvoir proposer un outil de financement. Là aussi, vis-à-vis de nos amis américains, et je ne parle pas de nos amis chinois, qui donnent les satellites et les systèmes sol en échange de minéraux ou d’autres matières premières, il faut que l’Europe – la France est plutôt en avance dans ce domaine – se dote d’outils supplémentaires pour permettre à l’industrie européenne d’avoir des outils de financement de ses clients à l’exportation, du niveau de ceux proposés par ses concurrents. C’est un sujet qui va devenir de plus en plus important dans le futur.

Voilà une politique européenne spatiale avec différents volets. Je pense que nous savons tous ce que nous devons faire. Faisons-le dans les années qui viennent.

Mme Catherine Procaccia. Vous avez répondu à quelques interrogations de mon propos introductif. J’aurais aimé savoir si les institutionnels ont la même approche, mais cela fait partie des interrogations encore pendantes.

M. Gilbert Kirkham. (Interprétation.) En ce qui concerne le new space, le nouvel ordre mondial et l’effet Apollo, chez nous, à la NASA, aux États-Unis, il existe un « effet SpaceX ». Des jeunes des deux sexes s’intéressent à notre industrie grâce à SpaceX et c’est un facteur-clé.

Pour ce qui est du nouvel ordre mondial, ou new space, pour moi c’est important d’engendrer de l’innovation et de l’enthousiasme auprès des jeunes. Nous tirons parti de la participation de la France, et des autres acteurs présents autour de cette table, afin de développer une approche ascendante, en travaillant activement au sein d’un groupe de nations visant à identifier les risques technologiques inhérents lorsqu’il s’agit de mettre des êtres humains sur Mars. Comment aborder au mieux ces risques technologiques avec les compétences, les expertises technologiques de chaque pays ? Je pense que nous allons vers un monde d’interopérabilité, où nous développons des capacités à travers le monde entier en les combinant, en les rassemblant dans un programme audacieux et ambitieux, comme le transport d’êtres humains sur Mars.

Mme Catherine Procaccia. À ce sujet, j’aimerais vous poser une question. Pourquoi les États-Unis ont-ils choisi, il y a quelques années, d’avoir un objectif de vol habité sur Mars, alors que la technologie permettrait d’obtenir les mêmes résultats sans risque humain ? Est-ce pour vous une nouvelle frontière, comme les États-Unis aiment s’en donner comme objectif quelquefois dans l’histoire ? Avez-vous voulu promouvoir votre identité propre par rapport à l’industrie et SpaceX, pour faire rêver les Américains ? Je ne sais pas quelle sera la position de l’Europe. Qu’est-ce qui a justifié l’émergence de ce programme de vols habités si lointains ?

M. Gilbert Kirkham. (Interprétation.) Pour nous, l’exploration de Mars est, depuis très longtemps, un souhait de l’espèce humaine. Cela remonte à des décennies. La NASA et la population américaine sont de ceux qui, nombreux, cherchent à transporter les êtres humains à chaque fois plus loin dans l’espace. La planète Mars est évidemment un objectif très ambitieux. En permettant à des entreprises comme SpaceX ou Orbital de pénétrer le marché, nous libérons des ressources pour permettre au gouvernement de faire le travail qu’aucun fournisseur commercial ne pourrait faire. Je pense que cela fait partie aussi de notre nature humaine que de vouloir poursuivre de tels projets.

M. Jean-Yves Le Gall. Un mot sur ce qui peut être fait avec la NASA. J’observe que les deux sujets principaux d’intérêt scientifique, sur lesquels travaillent les scientifiques français aujourd’hui, sont des programmes en coopération avec la NASA. Il y a bien sûr la formidable aventure martienne, dans laquelle nous sommes, avec Curiosity – l’astromobile rover – et Maven (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN) ; nous allons lancer InSight (Interior Exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport) en mars prochain. Un peu plus tard, nous développerons le projet Mars 2020. En océanographie, Jason 1 et 2 ont montré l’élévation moyenne du niveau des océans. Jason 3 va prendre prochainement le relais.

La coopération est exemplaire avec la NASA, qui renouvelle constamment sa confiance au CNES. Je crois qu’une trentaine de candidats avaient proposé des expériences embarquées sur l’astromobile Mars 2020, cinq ont été retenus et le CNES, en relation avec l’université Toulouse III Paul Sabatier, en fait partie.

Un mot sur l’exploration de Mars. Jusqu’à un passé récent, cela semblait totalement hors de propos, dans la mesure où nous raisonnions pour cela avec la technologie classique des vols habités, c’est-à-dire en mettant trois astronautes dans l’équivalent d’une petite voiture pendant neuf mois pour l’aller, puis six mois d’orbite et neuf mois pour revenir.

Lorsque l’on voit les projets qui existent aujourd’hui aux États-Unis, et cela nous ramène à la table ronde précédente, avec l’abaissement par tous les moyens des coûts de lancement, cela permet d’envisager de mettre en orbite des structures beaucoup plus grandes. Nous n’irons pas sur Mars à trois dans l’équivalent d’une Renault Twingo, nous irons sur Mars si nous pouvons envoyer une station presque aussi grande que la station spatiale internationale (ISS), en raison de la distance à parcourir. Cela nous rappellera les films de science-fiction de notre jeunesse. Je suis presque convaincu que si nous arrivons à envoyer l’équivalent d’une station spatiale, la mission vers Mars devient possible. D’ailleurs un astronaute russe et un astronaute américain se sont installés pour passer un an dans la station spatiale internationale (ISS), en préparation de la mission vers Mars. Il y a deux ou trois ans, parler d’une mission habitée vers Mars en 2030 semblait extrêmement lointain, aujourd’hui, on voit que le jugement est en train d’évoluer et continuera d’évoluer très vite si nous arrivons à lancer de grosses structures avec des coûts assez bas.

M. Jean-Loïc Galle. Pour terminer, je voulais parler d’innovation, parce qu’il me semble que c’est un mot extrêmement important pour l’Europe spatiale. La France et l’Europe, de par leur taille, ont toujours brillé quand elles ont fait preuve d’une grande innovation. Dans ce domaine, étant patron d’un grand groupe, je pense que la solution viendra essentiellement des petites sociétés, des jeunes pousses (start-ups), des universités, des instituts de recherche, plus que des GAFA aux États-Unis. Je remarque que les groupes américains comme Boeing s’appuient sur des petites sociétés californiennes pour leur innovation sur leurs grands systèmes. C’est quelque chose que nous, en Europe, faisons un peu moins bien qu’eux, pour employer un euphémisme. Je pense qu’il est de la responsabilité des grands pays européens de développer cet écosystème de start-up et de s’appuyer beaucoup plus sur les universités et les instituts de recherche, qui font preuve d’une créativité et d’une innovation très fortes. Je crois que c’est l’un des chantiers des années à venir pour l’Europe.

Mme Catherine Procaccia. Je vous remercie de votre venue. Nous sommes tous passionnément intéressés par le spatial. Pour ma part je vois que les faits et les positions ont évolué depuis trois ans. Heureusement, parce que c’est un secteur d’avenir, dans lequel la part des technologies est essentielle.

Par ailleurs, je le dis sincèrement, je reste dubitative quant à la répartition des compétences entre l’ESA et l’Union européenne ; je trouve que c’est un peu compliqué, d’autant plus quand les États-Unis nous présentent un schéma finalement assez simple. Un des points importants, aujourd’hui, c’est que nous avons peut-être beaucoup parlé de lanceurs – comme toujours – mais nous avons aussi parlé des satellites, des services et de toute l’infrastructure au sol. Nous avons eu la présence d’une jeune entreprise, une start-up. Monsieur Galle, vous avez souligné l’importance de toutes ces petites industries, dont nous ne parlons jamais entre nous dans les colloques et sans lesquelles l’industrie spatiale ne pourrait exister.

Pour conclure, je voudrais reprendre indirectement les propos de M. Pasco. Il est vrai que nous parlons toujours de l’espace en disant que cela sert le sol, mais vous avez bien démontré aussi que le sol est indispensable à l’espace, il ne faut pas oublier toutes ces technologies et ces industries.

M. Jean-Yves Le Déaut. Pour clore cette audition publique, je voudrais, toutes et tous, vous remercier de votre venue, sans pouvoir vous citer tous. Je remercie en particulier M. Johann-Dietrich Wörner, qui nous a fait l’honneur de sa première apparition publique en tant que nouveau directeur général de l’ESA.

Vous savez qu’existe un réseau européen des offices parlementaires des choix scientifiques et technologiques, dont fait partie le STOA (Science and Technology Options Assessment) du Parlement européen, l’OPECST en assure la présidence en 2015.

Je remercie notamment Mme Geneviève Fioraso : elle avait travaillé à l’OPECST sur la biologie de synthèse ; elle a suivi tous les sujets qui traitent de la recherche et de l’enseignement supérieur, puis s’est passionnée pour l’espace. Je crois que nous lui devons la réussite de la conférence ministérielle de Luxembourg sur Ariane 6.

Je voudrais dire au ministre chargé de l’espace qu’il faut faire Ariane 6. Cela a été dit plusieurs fois aujourd’hui. 2014 et 2015 ont été deux grandes années pour le spatial, avec la décision de Luxembourg. Même si ce lanceur est appelé à connaître des adaptations, il faut le faire dès aujourd’hui parce que 2020 arrive très vite. L’Europe doit se mobiliser pour que l’on puisse arriver, dès 2020, à avoir des coûts de lanceurs moins élevés. Cela a été dit très fortement par tous les intervenants. L’autonomie de l’accès à l’espace reste très importante.

Certains ont dit qu’il fallait trouver un équilibre entre les lanceurs, les satellites et les équipements au sol. Je crois que nous pouvons le faire assez facilement, mais nous devons garder cette indépendance au niveau des lanceurs, et la mise en chantier d’Ariane 6 est une bonne décision. Le système devra évoluer. Certains ont parlé de rupture technologique possible, nous verrons en temps utile.

On a dit que le succès spatial européen était lié à des coopérations, notamment avec les États-Unis. Même si nous pouvons être concurrents au niveau industriel, je crois que la coopération entre les agences spatiales nationales est importante. Plusieurs intervenants ont rappelé le succès du CNES et de l’ESA, il fallait le redire en conclusion. Nous nous situons dans des cycles longs.

Monsieur Pasco, vous avez dit que l’avenir de l’espace était au sol. Je crois que cette phrase est très juste car elle signifie que l’espace doit jouer un rôle dans la gestion des problèmes d’environnement que nous avons aujourd’hui. Certains ont même demandé que des satellites soient lancés dans le cadre de la COP21, pour la surveillance des émissions de gaz à effet de serre. L’espace joue un rôle dans les technologies de l’information et de la communication, dans les télécommunications, dans la défense ; mon général, vous en avez parlé, en insistant très fortement. Il a été dit que les technologies de défense devaient être duales si nous voulons que ce secteur avance. L’espace joue un rôle dans la géolocalisation, dans l’observation de la Terre avec Copernicus, comme l’a rappelé M. Brunet, et dans les phénomènes d’apparition de la vie, comme le disait M. Le Gall ; par l’espace, nous pourrons peut-être comprendre ce qui s’est passé, comment nous sommes passés d’êtres inanimés à animés et comment des molécules chimiques ont donné l’ADN et la possibilité de réplication.

L’autre point, indiqué de manière très forte, c’est qu’il fallait continuer d’investir dans la science et, comme M. Galle le disait, dans l’innovation. Ainsi, pour Ariane 6, on peut mentionner le travail sur les chocs vibratoires, la combustion et la mécanique des fluides, la maîtrise de l’énergie et de l’électronique, les outils de simulation, les traitements de surface, les processus industriels… Ce sont autant de chapitres à consacrer à la science, sur lesquels nous devons continuer de travailler, avec un objectif d’industrialisation. Cela a été dit de manière très forte par beaucoup d’entre vous. L’innovation peut servir de socle au développement d’un certain nombre de PME dans notre pays ; il faut ensuite travailler sur les processus d’industrialisation. Vous avez parlé de maîtrise de technologies-clés, de développement de filières : ce sont deux sujets importants.

Enfin, un point dont nous entendons peu parler, et qui concerne le ministre chargé de l’espace, c’est celui de l’éducation. Mme Sourbès-Verger et Mme Fioraso l’ont mentionné : si nous voulons continuer de faire rêver, nous devons transmettre ce rêve aux enfants, aux lycéens et aux universitaires. Nous ne transmettons pas seulement du rêve. Si nous voulons de bons ingénieurs qui puissent travailler dans ce domaine, ils doivent avoir entendu parler de spatial.

Certains ont parlé d’Europe équilibrée, d’Europe agile, c’est nécessaire. Monsieur le ministre, il faut bien sûr continuer de défendre le spatial, notamment avec des décisions comme celles prises en 2014 par Mme Geneviève Fioraso, votre prédécesseur. À la prochaine conférence ministérielle de l’ESA à Lucerne en décembre 2016, l’Europe devra présenter un front uni pour dire que le spatial est important.

Les sénateurs Bruno Sido et Catherine Procaccia étaient les rapporteurs de notre audition publique. Nous organiserons une réunion de l’Office à la rentrée, pour examiner et adopter des conclusions que nous remettrons au Gouvernement.

ALLOCUTION DE CLÔTURE

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Tout d’abord, je veux remercier l’OPECST et ses membres – en particulier son président, ainsi que les sénateurs Catherine Procaccia et Bruno Sido – pour l’organisation de cette audition. C’est un excellent principe de politique publique que de revenir régulièrement sur notre politique spatiale, dans un monde – vous avez consacré vos travaux de la journée à ce sujet – en bouleversement constant sur ces enjeux.

Un peu moins de trois ans après votre rapport « L’Europe spatiale : l’heure des choix », c’est l’occasion de prendre du recul sur les décisions prises depuis, sur les choix que nous avons effectivement faits, que le Gouvernement a faits, et peut-être aussi sur les perspectives, voire les aventures et les rêves qui sont devant nous.

Je ne vais pas, bien sûr, revenir en détail sur les analyses et recommandations de ce rapport. Mais il faut constater qu’il avait vu juste, il y a trois ans, sur l’arrivée de nouveaux défis et concurrences – encore plus vives que ce qui était envisagé – et donc sur la nécessité d’évoluer vite et de fédérer tous les acteurs dans une gouvernance revisitée : Union européenne, ESA, États et agences spatiales nationales, industriels, opérateurs.

Je retiendrai trois mots-clés : révolution, complémentarité et gouvernance.

Révolution d’abord. Cela était de l’ordre de la prévision il y a trois ans, aujourd’hui c’est une certitude : avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui imposent un nouveau rythme – le rythme est probablement l’innovation principale de ces acteurs – c’est bien une révolution que vit le secteur spatial, et pas seulement une simple évolution. Les nouveaux acteurs dont on parle – SpaceX et les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) – ont déjà révolutionné, directement ou indirectement, d’autres secteurs : le marché de la publicité (Google), celui des paiements bancaires (M. Elon Musk, fondateur de PayPal), la manière dont nous communiquons (Facebook). Leur hégémonisme commercial et scientifique est tel qu’ils s’attaquent à tous les secteurs, dont celui du spatial. Lorsqu’ils se lancent dans un nouveau domaine, leur stratégie est toujours la même : partir de la rupture par rapport à l’existant, inventer de nouvelles règles du jeu plutôt que d’être des compétiteurs comme les autres. C’est une stratégie qu’ils n’ont pas inventée, elle est multiséculaire ; c’est finalement assez proche de ce que Sun Tzu décrivait, il y a quelques siècles, dans L’Art de la Guerre : la meilleure façon de gagner une guerre est d’imposer des règles nouvelles. Parfois même, en le faisant, on n’a pas à la mener. Avec le recul, et même si les projets des uns et des autres avancent à des rythmes différents, nous pouvons aujourd’hui mesurer factuellement leur détermination à transformer ce secteur, comme ils l’ont fait pour d’autres.

L’ensemble des acteurs européens doit donc prendre la mesure des transformations à l’œuvre. Plus exactement, l’Europe a heureusement pris cette mesure, pour garder sa force d’initiative et son indépendance sur ces enjeux. Ces derniers mois, la preuve a été donnée de sa capacité réelle à bouger les lignes. C’est un succès collectif dont nous devons nous féliciter, particulièrement aujourd’hui où l’utilité de l’Europe est une interrogation pour les citoyens. Dans ce domaine, nous avons donné la preuve qu’il n’est de grande nation industrielle, en Europe en tout cas, sans mobilisation très forte de l’ensemble des pays européens.

La décision sur les lanceurs prise à Luxembourg en décembre 2014 – est-il besoin de rappeler le rôle personnel de Mme Geneviève Fioraso dans ces décisions – et sa mise en œuvre, en sont un bon exemple. L’accord doit être bien compris ; récemment les parlementaires nous interrogeaient à ce sujet. La décision ne se limite pas au développement d’un nouveau lanceur technologiquement plus compétitif, même si cela est bien sûr un volet majeur de la décision. Le projet Ariane 6 est un projet plus global d’évolution de la filière, pour s’adapter à la concurrence internationale, il porte donc également, dès l’origine, sur l’organisation industrielle de la filière et sur sa gouvernance. C’est indispensable.

C’est l’ensemble du projet qui sous-tend l’engagement des États membres de l’ESA à financer le développement d’un nouveau lanceur et d’un nouveau pas de tir. La décision de Luxembourg est un succès pour l’Europe, parce qu’elle donne à la filière Ariane les moyens de lutter contre ses concurrents, et pour la France, qui représente la moitié des emplois de la filière. C’est notamment par notre compétitivité que nous assurerons réellement la pérennité de l’emploi : cette pérennité, c’est bien sûr l’objectif du Gouvernement français. Je dis « notamment », parce que l’innovation technologique est l’autre ressource qui assurera la pérennité de la filière.

Mais les lanceurs ne sont pas le seul exemple : la forte participation de l’industrie européenne à la constellation OneWeb en est un autre exemple. Bon nombre de ceux qui sont ici aujourd’hui se sont retrouvés ce matin à Bercy pour travailler autour du ministre Emmanuel Macron à ce projet, avec un engagement marqué de la France pour son succès.

Cela m’amène à mon second point, la nécessaire complémentarité entre les pouvoirs publics et l’industrie pour faire vivre les filières spatiales, lanceurs comme satellites. Au passage, cette complémentarité intelligente, à redéfinir et à repositionner, n’est pas propre à ce secteur. Pour de très nombreux enjeux technologiques concernant la France comme l’Europe, elle devient urgente.

Si je prends le cas de la France, notre industrie spatiale est le résultat d’une forte volonté politique depuis plus de cinquante ans, pour répondre à des enjeux de souveraineté, de sciences et de développement économique. Notre stratégie, depuis le début, a été d’être le moteur d’une démarche européenne plus globale. Elle a été de développer dans ce cadre une filière qui s’appuie à la fois sur le marché institutionnel et sur le marché commercial, même si les proportions ont naturellement évolué avec le temps, ce qui, d’ailleurs, est une petite partie du problème de la filière, de la nécessité d’en changer l’organisation. Cette stratégie a constitué plus qu’un succès : un petit miracle qui nous a permis de développer des champions mondiaux, avec un effort institutionnel moyen par habitant en Europe de moins de 15 euros, contre 110 euros aux États-Unis.

Pour maintenir cette efficacité, nous devons plus que jamais entretenir une collaboration très étroite, et loyale, entre les pouvoirs publics et l’industrie. C’est la raison pour laquelle le rapport de l’OPECST avait recommandé la mise en place d’une concertation État-industrie. Vous le savez tous, la plupart d’entre vous participent au CoSpace co-présidé par MM. Jean-Yves Le Gall et Jean-Loïc Galle. Cette concertation a naturellement un rôle central à jouer dans la définition de notre politique spatiale. Je tiendrai d’ailleurs une réunion de ce comité début septembre, avec MM. Macron et Le Drian, et je veux en particulier citer deux enjeux majeurs pour moi dans l’agenda de ce comité.

Il s’agit d’abord de notre feuille de route technologique relative aux satellites de télécommunications et à l’observation optique, afin d’atteindre des objectifs ambitieux en termes de compétitivité avant 2020. Comme pour la filière des lanceurs, il n’y a d’avenir pour la filière satellite européenne qu’en étant au meilleur niveau en termes d’innovation et de compétitivité, et nous devons relever ensemble ce défi. Je partage les points de vue entendus, ce défi est lancé aux pouvoirs publics, aux industriels, mais aussi aux jeunes pousses, voire aux entreprises qui n’existent pas encore – dont il faut encourager et susciter la création et le développement. C’est la convergence des forces qui permettra de réussir.

Le second objectif est celui du développement des applications spatiales. Nous avons investi et continuons d’investir en Europe dans des infrastructures spatiales d’une grande qualité. Nous devons développer un véritable écosystème d’applications autour de ces infrastructures afin d’en tirer le meilleur parti. Selon les chiffres de l’OCDE, les services spatiaux représentaient en 2013 un marché mondial de près de 120 milliards d’euros, soit un fort effet de levier par rapport aux 67 milliards d’euros de l’industrie spatiale et aux 17 milliards d’euros des opérateurs satellites : l’Europe doit être forte sur l’ensemble des marchés, pas seulement dans l’industrie et les opérateurs.

Ayant parlé des infrastructures spatiales, je veux bien sûr saluer le rôle de l’Union européenne, qui est aujourd’hui un acteur à part entière de la politique spatiale européenne, avec des ambitions importantes – et j’en profite pour remercier la Commission européenne, présente aujourd’hui, pour ses efforts sur les programmes Copernicus et Galileo : seule l’Union européenne était à même de pérenniser ainsi cette notion de filières de services. Je ne peux que saluer l’augmentation des budgets de la Commission relatifs à cet enjeu depuis une dizaine d’années, au point de devenir aujourd’hui le deuxième contributeur après l’ESA. J’espère qu’elle pourra faire un pas supplémentaire. Quand on crée des synergies, on essaie de les nourrir et de les amplifier, afin d’assurer, pour l’industrie européenne, une situation la plus comparable possible à celle de l’industrie spatiale américaine, qui bénéficie d’une préférence exclusive en matière d’achats institutionnels.

Enfin, troisième point, j’aurais pu traiter de la gouvernance dans la révolution, mais je l’inclus dans celle de la complémentarité. Ce point était aussi mentionné dans le rapport de 2012. Des évolutions importantes ont été réalisées quant à la gouvernance de la filière lanceurs, avec l’objectif d’assurer le maximum d’efficacité et de réactivité : ESA en maîtrise d’ouvrage pour l’ensemble du système de lancement, industrie en maîtrise d’œuvre pour le lanceur, CNES en maîtrise d’œuvre pour le segment sol. C’est fait, c’est décidé et cela s’applique désormais. Cette évolution ne signifie naturellement pas un désengagement de l’État français, ni au niveau budgétaire ni au niveau de ses responsabilités. Nous continuons d’investir résolument dans le secteur spatial, la conférence ministérielle de Luxembourg en est la démonstration, et nous réalisons cet investissement en nous appuyant sur des agences dont le rôle est clé, qu’il s’agisse notamment de l’analyse des choix stratégiques à réaliser, du dimensionnement des programmes et de la définition de leurs cahiers des charges.

Au niveau européen, force est de reconnaître que la gouvernance des programmes spatiaux a beaucoup évolué et devra encore évoluer. Forte de quarante ans d’expérience et de succès exceptionnels dans tous les compartiments de l’activité spatiale, l’ESA a su fédérer les efforts et les enthousiasmes de vingt-deux États européens. Ce n’était pas gagné, il faut mesurer ce que veut dire ce travail. Sous l’impulsion remarquable de M. Jean-Jacques Dordain, des travaux ont été engagés pour améliorer ses relations avec l’Union européenne et évoluer sur la règle du retour géographique – règle nécessaire, mais souvent pénalisante pour la compétitivité industrielle. Ce dernier point doit s’intégrer, me semble-t-il, dans une réflexion plus générale sur les leviers du pilier industriel de l’ESA aujourd’hui, dans le nouveau contexte industriel européen et mondial. Je ne doute pas que M. Johann-Dietrich Wörner saura mener ces grands chantiers à terme, tant je connais sa volonté d’aboutir et sa résolution à les affronter.

Enfin, je voudrais terminer en parlant, en cette année du climat, de développement durable.

Tout d’abord, le monde du spatial doit lui-même être irréprochable en termes de développement durable. Vous l’avez évoqué : le contrôle, la limitation, voire le nettoyage des débris orbitaux sont un enjeu qui ne peut que gagner en importance. Il est de notre intérêt collectif de gérer de manière responsable les orbites basses et l’orbite géostationnaire.

Ensuite, bien sûr, nous devons tirer le meilleur parti de l’espace et des technologies spatiales pour observer et mesurer les évolutions du climat et ses conséquences – l’élévation du niveau de la mer au millimètre près, par exemple – et pour comprendre les causes du dérèglement climatique. J’ai pu voir au salon aéronautique du Bourget, lors de mon passage au chalet du CNES, l’apport décisif des satellites à notre compréhension du climat. Nous en avons eu une démonstration tout à fait stupéfiante et pédagogique. La pédagogie, vous l’avez évoqué, est l’un des enjeux majeurs pour assurer la pérennité de la France et la capacité de sa ressource humaine à s’employer dans ce secteur d’avenir, très important pour notre pays et pour l’Europe.

La France accueille en cette fin d’année la COP21, avec l’objectif d’un accord ambitieux, notamment sur le niveau des émissions de gaz à effet de serre, nous devons être moteurs d’un nouveau volet de l’apport des technologies spatiales aux enjeux environnementaux : celui des moyens de contrôle des engagements internationaux. Il y a beaucoup à faire, c’est un champ formidable pour la France et nous avons toutes les capacités pour le faire. La France et l’Europe, comme sur les autres sujets que j’ai évoqués précédemment, ont, sur ce volet-là aussi une carte à jouer : différents projets ont d’ores et déjà émergé, nous devons trouver aujourd’hui le meilleur chemin pour faire aboutir la démarche générale, et je m’y emploierai. Je vous remercie. (Applaudissements.)

PROPOS CONCLUSIFS

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous allons pouvoir lever cette séance. J’avais oublié trois points dans ma synthèse, dont deux ont été mentionnés par le ministre. Le premier est l’environnement. Plusieurs intervenants ont demandé une convention internationale sur les débris spatiaux, qui soit effective. Tout le monde a reconnu le rôle de l’Europe et de la Commission européenne.

Nous avons aujourd’hui posé la question du centre spatial de Kourou et de son coût ; M. Roger Genet en a parlé.

Un autre point qui a été signalé et que j’ajoute à ma synthèse est la complémentarité nécessaire entre les satellites géostationnaires et les constellations, cela a été dit de manière forte.

Enfin, le dernier point, destiné au ministre, puisque je fais partie, avec un sénateur, des représentants du Parlement chargés de l’élaboration de la stratégie nationale de recherche. Nous avons parlé de la place du spatial dans la stratégie nationale de recherche. La balle est maintenant dans notre camp, à l’office parlementaire, car nous sommes chargés d’évaluer cette stratégie nationale de recherche. Nous souhaitons que l’espace ne soit pas oublié dans cette évaluation.

Mme Catherine Procaccia. J’ajouterais la mention de l’espace dans l’intitulé du ministère. C’est une des rares choses que nous avions proposées, il y a trois ans, et qui n’a pas été suivie d’effet.

M. Jean-Yves Le Déaut. Cela figure dans les décrets d’attribution du ministre, nous précise Mme Geneviève Fioraso.

Mme Catherine Procaccia. Oui, mais les décrets ne sont pas lus par le grand public.

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci. C’était à la fois la première visite à l’Office de M. Johann-Dietrich Wörner, nouveau directeur général de l’ESA, et de M. Thierry Mandon, nouveau secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je me rappelle que M. Dan Goldin, administrateur de la NASA dans les années 1990, nous avait déjà rendu visite. (Applaudissements.)

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 24 NOVEMBRE 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. L’audition publique tenue le 7 juillet dernier, à l’initiative de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs, a réuni les principaux acteurs de la politique spatiale française, européenne et aussi internationale.

La politique aéronautique et spatiale fait l’objet d’un suivi régulier de l’OPECST, depuis le premier rapport du sénateur Paul Loridant en 1991. Trente mois après le rapport du 7 novembre 2012 de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs, le contexte de la politique spatiale européenne  a connu des évolutions importantes :

– intensification de la concurrence dans les lanceurs avec l’Américain SpaceX ;

– irruption des « GAFA » (Google, Amazon, Facebook et Apple) dans le domaine spatial, avec les projets de lancement de plusieurs milliers de microsatellites, comparé aux vingt-cinq satellites par an auxquels l’industrie spatiale était habituée jusqu’à présent ;

– ruptures technologiques dans l’industrialisation de la construction spatiale, la propulsion électrique des satellites, la propulsion des lanceurs…

Dans ce contexte en mouvement rapide, la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), tenue à Luxembourg en décembre 2014, a concrétisé la décision prise deux ans auparavant de construire le nouveau lanceur Ariane 6 et a fait évoluer la gouvernance européenne en confiant un rôle accru à l’industrie.

Les activités spatiales présentent des enjeux stratégiques aux plans scientifique, économique, environnemental et de souveraineté, avec un accès autonome à l’espace. Sans les satellites, de nombreux services ne seraient plus possibles : télécommunications, télévision, radio, géolocalisation, régulation des trains. J’ajouterai à cette liste l’agriculture de précision, comme nous l’avons découvert lors de notre audition sur « Big Data » (le traitement massif des données) et agriculture le 2 juillet dernier avec le programme « EO for Food » de l’ESA, et la gestion des catastrophes naturelles et du changement climatique comme cela a été évoqué lors de notre audition anniversaire du 24 septembre dernier…

En Europe, le domaine spatial voit ainsi se mettre en place une coopération exemplaire. Le domaine spatial connaît aussi des coopérations internationales réussies avec la Chine ou la Russie, alors même que le conflit ukrainien bat son plein.

Je passe maintenant la parole à M. Bruno Sido, pour synthétiser l’apport de la première table ronde, qui s’est attachée à analyser la dimension stratégique de la politique spatiale européenne ; puis Mme Catherine Procaccia évoquera la stratégie de filière et les applications.

Première table ronde : Ariane 6 face au nouveau contexte de la concurrence en matière de lanceurs

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président. Les craintes exprimées lors du rapport de l’OPECST en 2012 se sont révélées fondées :

- malgré l’échec de son lancement du 28 juin 2015, SpaceX est en passe de réussir son pari de réduire de moitié le coût d’un lancement avec des simplifications radicales ;

- de nouveaux acteurs montent en puissance, notamment la Chine et l’Inde voire d’autres États comme les Émirats arabes unis.

Rappelons que SpaceX bénéficie d’un soutien public massif à travers un nombre important de lancements institutionnels chaque année et l’emploi de nombreux ingénieurs venant de la NASA et qu’il pratique des prix différenciés à l’exportation.

Les essais de SpaceX, à ce jour infructueux, de récupérer en bon état et à coût raisonnable des morceaux de fusée après lancement posent la question de l’évolution vers des technologies réutilisables, y compris en Europe. L’ESA, Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space y travaillent déjà.

Tous les participants de l’audition publique sont tombés d’accord pour dire que la décision, prise à Luxembourg, de construire Ariane 6 est un bon choix. L’Europe avait trop tardé à choisir le successeur d’Ariane 5 et la concurrence en a profité. Il convient néanmoins de faire preuve de prudence en raison de ruptures technologiques à venir.

Les lanceurs, qui répondent à un cycle de long terme, connaissent actuellement une optimisation des coûts à toutes les phases du processus industriel, avec comme objectif une réduction de coût de 50 % par lancement.

Avec deux lanceurs, Ariane 62 et Ariane 64, qui lui assureront modularité et flexibilité, Ariane 6 utilisera principalement des technologies éprouvées. Une forte synergie sera assurée au sein de la famille des lanceurs européens entre Ariane et Véga, avec le même moteur à carburant solide. La première version du lanceur Ariane 6 était fondée sur deux étages à propulsion à poudre.
À Luxembourg, les industriels ont obtenu que le lanceur possède un moteur principal cryogénique, non réutilisable. On pourra évoquer ce point…

La rationalisation industrielle des activités spatiales est motivée par des objectifs prioritairement économiques et non plus seulement technologiques. L’intégration industrielle sera améliorée. Ce sont les conditions de la survie d’une filière européenne de lanceurs dans laquelle la France est en tête, avec un grand nombre d’emplois à la clé.

La date à laquelle les technologies réutilisables seront opérationnelles et viables économiquement constitue une incertitude majeure. Le programme LEE (Launcher Evolution Elements) de l’ESA soutient la recherche en matière de technologie réutilisable, pour préparer l’avenir. Tous les participants à la table ronde ont estimé qu’Ariane 6 ne doit pas être retardé, il doit être au rendez-vous de 2020 ; les travaux sur la récupérabilité des lanceurs sont à une échéance plus lointaine, autour de l’année 2030. Ariane 6 bénéficiera d’une adaptabilité grâce à laquelle certains éléments pourront être remplacés par des éléments réutilisables, en cas d’accélération de la maturation des technologies. Pour ces raisons, il convient de soutenir le financement du programme LEE.

La gouvernance de la politique spatiale européenne est maintenant fondée sur un modèle équilibré de partage des responsabilités, des coûts et des risques entre l’Agence spatiale européenne (ESA) et la coentreprise Airbus Safran Launchers (ASL). Cette dernière supportera en totalité les risques liés au marché commercial pendant l’exploitation, sans soutien des États membres, étant entendu qu’elle contrôlera l’exploitation commerciale des services de lancement et qu’un certain nombre de contrats seront conclus chaque année pour des lancements institutionnels européens.

Le Gouvernement français, en s’appuyant sur le CNES, continuera d’assumer ses fonctions régaliennes pour les vols institutionnels ainsi que pour le volet défense, comme il continue d’être le financeur des développements d’Ariane 6.

L’ESA et le CNES assurent la maîtrise d’ouvrage des lanceurs, le CNES gère le centre spatial guyanais, ASL assure la maîtrise d’œuvre et la commercialisation, au travers le rachat des parts du CNES dans Arianespace.

La conférence de Luxembourg comporte un engagement des acteurs institutionnels, notamment la France, l’Allemagne, l’Italie et la Commission européenne, d’opérer cinq lancements chaque année. Il convient de rester vigilant quant au respect de cet engagement. Est-ce à dire, cependant, que l’Europe a définitivement renoncé à la préférence communautaire pour ses marchés institutionnels ?

Le rapport de l’Office en 2012 constatait déjà une gouvernance européenne complexe comparée à celle des États-Unis d’Amérique ; il appelait à redistribuer et clarifier les rôles. L’ESA et la Commission européenne ont souligné la nécessité de rapprocher, sans les confondre, leurs actions respectives, en réaffirmant la place de l’ESA dans l’expertise et la définition des actions engagées par l’Union. Nous ne pouvons plus nous permettre de doublons, nous devons accroître l’efficacité européenne. Il reste encore à fluidifier les relations entre l’ESA et la Commission européenne, à préciser la politique spatiale européenne, à définir les priorités entre les investissements lourds en fonds publics et à éviter le saupoudrage.

La règle du retour géographique n’a été remise en cause par aucun des participants à l’audition publique. C’est bien dommage ! Il reste que la plus grande prise de responsabilités par l’industrie pourra, à terme, entraîner une évolution de la règle du retour géographique, vers, par exemple, celle d’une « juste contribution », qui paraît plus compatible avec une meilleure productivité.

L’audition publique a également permis de s’interroger sur une situation dans laquelle la France finance plus de la moitié du coût des lanceurs et les deux tiers du coût du centre spatial de Kourou en Guyane, soit 1,44 milliard d’euros en 2015.

Deuxième table ronde : Quelle stratégie de filière pour l’Europe spatiale ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur. La France représente la moitié des emplois de la filière Ariane. Comme cela avait été demandé par le rapport de l’Office en 2012, un comité de concertation État-industrie sur l'espace (CoSpace) a enfin été créé en France en 2013, sous l’impulsion de Mme Geneviève Fioraso. Il a enfin permis la définition d’une politique de filière priorisant les technologies et évitant la dispersion ou les doublons. Il poursuit une politique d’indépendance, en particulier au niveau des composants spatiaux.

L’audition publique a permis de souligner l’importance des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans l’industrie spatiale européenne. Il en a été notamment ainsi avec l’audition du directeur général de MT Aerospace (groupe OHB), représentatif du modèle allemand du « Mittelstand », c’est-à-dire ces PME et ETI spécialisées dans l’innovation et la haute valeur ajoutée, orientées vers les marchés à l’exportation, qui développent une stratégie industrielle à long terme et qui ont tissé des liens étroits avec le monde universitaire et celui de la recherche.

PME et ETI, notamment les jeunes pousses (start-up), brillent par leur expertise, savoir-faire, spécialisation, compétences, recherche, innovation, mais aussi réactivité et disponibilité. Sans elles, l’industrie spatiale ne pourrait exister. Les grands groupes industriels et les agences montrent la voie au travers de leurs programmes structurants. Il est dès lors essentiel qu’ils partagent avec les PME et ETI leurs perspectives d’évolutions techniques et technologiques. Il convient de resserrer les liens avec et entre ces PME, dont les compétences et contributions sont complémentaires. La maturité des processus d’étude et des procédés de production des PME du secteur spatial devrait leur permettre de prolonger leur valorisation sur d’autres marchés à haut niveau de fiabilité : le médical implanté, le nucléaire…

L’audition publique a montré l’importance d’équipements au sol compétitifs, techniquement et économiquement. Or dans le domaine de l’accès à internet, les équipements au sol sont quasiment tous d’origine américaine ; l’Europe devrait s’en préoccuper.

La filière spatiale européenne concerne les infrastructures – lanceurs, satellites et segments au sol – mais aussi les services en découlant qui représentent aujourd’hui plus du double de l’activité des infrastructures spatiales. Selon les chiffres de l’OCDE, les services spatiaux représentaient en 2013 un marché mondial de près de 120 milliards d’euros, soit un fort effet de levier par rapport aux 67 milliards d’euros de l’industrie spatiale.

L’audition publique a permis, pour la première fois à ce niveau, d’aborder l’arrivée des GAFA dans l’industrie aéronautique, avec notamment les projets de lancement de milliers de microsatellites de communication. Les entreprises de la Silicon Valley affichent des ambitions considérables et disposent de capacités massives d’investissement pour parvenir à fournir l’accès à internet aux plus de trois milliards d’individus qui n’en bénéficient pas encore. OneWeb vient de conclure un partenariat avec Airbus Defence and Space, Arianespace et Virgin Galactic pour construire et lancer une constellation de 900 microsatellites de télécommunication de basse altitude pour l’internet entre la fin de l’année 2017 et celle de l’année 2019. Les constellations LEO (basse orbite) de microsatellites avec propulsion électrique, voire les ballons, représentent une véritable rupture technologique. En 2012, quand nous parlions de satellites à propulsion électrique, on nous riait au nez…

L’audition publique a permis de montrer la complémentarité entre les satellites LEO (basse orbite) et GEO (orbite haute) stationnaires. Dans l’internet, les premiers sont appréciés pour leur faible latence ou pour la desserte des zones difficiles d’accès, alors que les seconds permettent un fort volume d’échange de données. Conjointement, ils amélioreront l’accès à l’internet et à la téléphonie mobile partout dans le monde, avec la disparition des zones blanches ou grises dans les pays en développement et dans les zones à faible densité de population y compris des pays développés. Si les satellites LEO offriront des services de télécommunication, la diffusion (télévision) restera cependant l’apanage des satellites GEO. Il n’en reste pas moins que l’irruption des constellations en orbite basse entraîne à terme une modification en profondeur de l’offre des opérateurs de télécommunications.

En matière de satellites, marchés institutionnel et commercial sont complémentaires. L’audition publique a permis de dresser un constat de faiblesse du marché intérieur européen au-delà des programmes phares Galileo et Copernicus. Or le spatial est un outil de développement et de service indispensable. Certains proposent un plan public visant à la connexion (internet haut débit et téléphonie mobile) du plus grand nombre possible de personne sur l’ensemble du territoire.

L’audition publique a montré l’importance de missions spatiales scientifiques comme Philae (Rosetta) ou Mars. Les scientifiques sont de plus en plus convaincus de l’existence de vie extraterrestre et les sondes que nous envoyons à l’intérieur du système solaire peuvent trouver des vestiges de cette vie, les télescopes en orbite peuvent observer des exoplanètes. Avec les lancements en orbite de la Terre concédés à l’industrie privée, la NASA concentre son activité sur l’exploration lointaine avec notamment le projet d’un vol habité vers Mars. L’audition publique a rappelé l’importance de la coopération internationale en matière spatiale, avec notamment la station spatiale internationale (ISS) et le projet de la NASA vers Mars.

Dans le contexte de la prochaine conférence internationale sur le changement climatique (COP21), il convient de noter que les satellites d’observation contribuent aux travaux du GIEC sur le réchauffement climatique, pour prévenir et mieux gérer les évolutions et les dérèglements qu’il provoque. Pour l’étude du climat, sur les 50 variables climatiques essentielles, 26 peuvent être observées seulement depuis l’espace. Le contrôle des émissions de CO2 et de méthane nécessite cependant une complémentarité de moyens au sol et spatiaux.

Aujourd’hui, commencent à apparaître des projets pour, d’une part, mesurer l’influence de l’activité anthropique sur le climat, mais surtout, pour s’assurer que les accords internationaux seront bien respectés. L’Europe ne pourra pas se contenter d’observations et mesures effectuées par ses partenaires, elle devra disposer de propres capacités permettant non seulement de mesurer ses variables environnementales, mais aussi contrôler les variables déclarées par les autres pays, notamment les émissions de CO2 ou de méthane.

Une prise de conscience internationale a eu lieu sur la question des débris spatiaux. On ne peut pas dire que les choses avaient évolué beaucoup depuis notre rapport de 2012, même si deux accords ont été signés par le CNES au Bourget. Le premier, au niveau européen, réunit autour du CNES des agences nationales pour mettre en commun les données radar dont elles disposent pour le suivi des objets spatiaux. Le second accord a été conclu avec la NASA : les Américains fournissent au CNES leurs données et le CNES leur fournit en retour sa méthodologie pour les exploiter au mieux. La meilleure façon de limiter les débris n’est pas de nettoyer l’espace, mais de ne pas le salir, avec la rentrée des étages par désorbitation. Un consensus est intervenu lors de la table ronde pour l’élaboration d’une convention internationale sur les déchets spatiaux.

L’industrie spatiale est duale, c’est un fait. Le rôle du spatial s’amplifie dans la défense et la sécurité : satellites de communication sécurisée ou d’observation détaillée, missiles balistiques pour la force de dissuasion… Les forces armées ne peuvent conduire des OPEX, notamment en Afrique, sans nos satellites. Nous sommes donc passés à une logique de dépendance. Le maintien d’une filière européenne des lanceurs permettant un accès autonome à l’espace est donc essentiel. Les technologies spatiales de défense doivent cependant rester duales si elles veulent évoluer et rester abordables. Les équipements spatiaux à usage militaire peuvent bénéficier de la baisse des prix du spatial civil, tout comme, inversement, certains acteurs civils peuvent avoir besoin de communications sécurisées par satellite.

Un autre point indiqué de manière très forte lors de l’audition publique est qu’il faut continuer d’investir dans la science et dans l’innovation. La place du spatial dans la stratégie nationale de recherche a été soulignée. En France, en Europe – comme ailleurs dans le monde –, l’industrie spatiale ne peut se passer d’un soutien public fort ; prise de risque sur des investissements lourds et à long terme et externalités pèsent sur sa rentabilité.

Tous les intervenants à l’audition publique se sont prononcés pour une meilleure connaissance de l’espace : dans les écoles d’ingénieur, les instituts d’études politiques, les écoles de commerce, voire les programmes de géographie dans les lycées… Nous avons besoin de donner envie à nos jeunes étudiants ou futurs étudiants de travailler dans l’industrie spatiale. Les activités spatiales sont une source d’innovation, d’excellence scientifique, de progrès technologique, de croissance économiques et d’inspiration pour les jeunes générations. Elles les incitent à étudier les sciences, les mathématiques, la technologie ou l’ingénierie. Si nous voulons continuer de faire rêver, nous devons transmettre ce rêve aux enfants, aux lycéens et aux universitaires.

Il convient enfin de penser « espace » dans tous les compartiments de l’action publique. La recommandation du rapport de 2012 de voir réapparaître le mot « espace » dans le nom du ministère de l’enseignement supérieur de la recherche n’a malheureusement pas encore été suivie d’effet ; nous l’avons évoquée devant le ministre lors de l’audition publique.

À la suite de ces auditions, et compte tenu des questions que nous avons posées, le CNES nous fait savoir que la réutilisabilité des lanceurs pourrait constituer un prochain sujet d’étude. Autant le sujet était éloigné des préoccupations en 2013 et 2014, autant, en 2015, il revient sur le devant de la scène dans un certain nombre de pays non européens.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je vous remercie. Le débat est ouvert.

M. Claude de Ganay, député. Monsieur Sido, pourriez-vous préciser votre appréciation sur la règle du retour géographique ?

M. Bruno Sido. La règle du retour géographique signifie que, quand un État membre de l’ESA finance ses activités, son territoire doit accueillir une partie de la production à due proportion. Cela nuit à la compétitivité. L’objectif est de construire un lanceur qui ne soit pas plus cher que celui de SpaceX. Le prochain lanceur européen sera peut-être plus performant, plus fiable, mais je crains qu’il revienne plus cher, auquel cas nous perdrions les marchés.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’insisterai sur deux points. L’absence de principe de préférence communautaire, malgré l’engagement pris de confier aux lanceurs Ariane cinq lancements institutionnels par an, n’est pas sans entraîner de conséquences pour les PME et PMI de la filière européenne. Ma deuxième remarque a trait aux orbites basses et géostationnaires : je considère qu’elles sont complémentaires.

Je crois enfin que les rapporteurs ont eu raison d’insister sur les missions scientifiques nouvelles, avec des coopérations internationales, ainsi que sur l’importance des actions dans le domaine de l’éducation.

M. Bruno Sido. L’engagement de cinq lancements par an a le mérite d’exister, mais il confirme implicitement l’abandon de la préférence communautaire.

Mme Catherine Procaccia. L’Europe est la seule zone au monde à lancer des appels d’offre et à ne pas assurer à son industrie ses vols institutionnels. Par comparaison, je note que la NASA a confié, il y a quelques jours, le ravitaillement de la station spatiale internationale (ISS) à l’entreprise SpaceX, sans appel d’offre, pour pouvoir se passer des lanceurs russes.

M. Jean-Yves Le Déaut. Dans les interventions des deux rapporteurs, nous avons entendu un résumé de ce qui s’est dit lors de l’audition publique. Je vous propose de rassembler et d’ordonner les conclusions des rapporteurs de façon synthétique.

L’Office adopte, à l’unanimité, les conclusions suivantes :

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques :

– rappelle l’importance des enjeux de la politique spatiale européenne en termes d’accès autonome à l’espace, de maîtrise de technologies clés et de retombées économiques ; estime, en conséquence, nécessaire le maintien à haut niveau des soutiens publics à cette politique européenne ;

– soutient les décisions prises à Luxembourg en décembre 2014 confirmant la construction du nouveau lanceur Ariane 6, à horizon 2020, tout en faisant évoluer la gouvernance européenne en confiant un rôle accru à l’industrie ;

– suivra avec attention le processus de refonte des processus de production des différents éléments des lanceurs Ariane 6 et Vega C, avec pour objectif de diviser les coûts par deux ; s’interroge, dans le cadre de cette restructuration industrielle, sur la pertinence du principe de retour géographique ;

– regrette l’absence de préférence communautaire pour les lancements institutionnels ; à défaut, veillera au respect rigoureux des engagements pris par la Commission européenne, l’Agence spatiale européenne (ESA) et les États membres de réserver un certain nombre (« cinq ») de lancements institutionnels chaque année aux lanceurs Ariane ;

– souhaite que l'Europe ne rate pas le tournant des lanceurs réutilisables ; en conséquence, assurera une veille active sur les ruptures technologiques pouvant permettre la réutilisabilité de certains éléments des lanceurs et soutient, d’ores et déjà, les recherches européennes en la matière ;

– rappelle le rôle crucial des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans la filière industrielle spatiale européenne ;

– insiste sur la nécessité impérieuse d’équipements au sol compétitifs, techniquement et économiquement, et incite l’Europe à se préoccuper du retard accumulé en la matière ;

– rappelle l’importance des secteurs économiques constitués par les services permis par les équipements spatiaux (communications électroniques, télédiffusion, géolocalisation, surveillance de la Terre…) ;

– considère que les projets de lancement de constellations de milliers de microsatellites en orbite basse sont complémentaires des satellites en orbite géostationnaire, mais pourraient, à terme, entraîner une modification en profondeur de l’offre des opérateurs de télécommunications ;

– rappelle la dimension stratégique des moyens spatiaux, par nature duaux, pour la défense nationale ;

– soutient les missions spatiales scientifiques visant à accroître les connaissances, dans le cadre de coopérations internationales ;

– souligne l’importance des moyens spatiaux pour contrôler, en complément des moyens au sol, les engagements internationaux relatifs aux changements climatiques qui résulteront de la COP21 en décembre 2015 ;

– appelle instamment à l’élaboration d’une convention internationale sur les déchets spatiaux ;

– se prononce pour une meilleure connaissance de l’espace à tous les niveaux : écoles, enseignement supérieur et recherche, ministères…

L’Office autorise ensuite la publication du rapport sur la politique spatiale européenne.


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