L’état de l’art en matière de mesure des émissions de particules
et de polluants par les véhicules. Regards croisés.
Compte rendu de l’audition publique du 13 novembre 2015
et de la présentation des conclusions du 17 février 2016
par
M. Denis BAUPIN, député, et Mme Fabienne KELLER, sénatrice
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président de l'Office |
par M. Bruno SIDO, Premier vice-président de l’Office |
Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques
Président
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député
Premier vice-président
M. Bruno SIDO, sénateur
Vice-présidents
M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur
Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur
M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice
DÉputés |
SÉnateurs |
M. Gérard BAPT M. Christian BATAILLE M. Denis BAUPIN M. Alain CLAEYS M. Claude de GANAY Mme Françoise GUÉGOT M. Patrick HETZEL M. Laurent KALINOWSKI M. Jacques LAMBLIN Mme Anne-Yvonne LE DAIN M. Jean-Yves LE DÉAUT M. Alain MARTY M. Philippe NAUCHE Mme Maud OLIVIER Mme Dominique ORLIAC M. Bertrand PANCHER M. Jean-Louis TOURAINE M. Jean-Sébastien VIALATTE |
M. Patrick ABATE M. Gilbert BARBIER Mme Delphine BATAILLE M. Michel BERSON Mme Marie-Christine BLANDIN M. François COMMEINHES M. Roland COURTEAU Mme Dominique GILLOT M. Alain HOUPERT Mme Fabienne KELLER M. Jean-Pierre LELEUX M. Gérard LONGUET M. Jean-Pierre MASSERET M. Pierre MÉDEVIELLE M. Christian NAMY Mme Catherine PROCACCIA M. Daniel RAOUL M. Bruno SIDO |
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 9
Mme Fabienne Keller, sénatrice, rapporteur de l’OPECST pour « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » 9
M. Denis Baupin, député, rapporteur de l’OPECST pour « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » 10
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST 11
Mme Leïla Aïchi, sénatrice, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air : « Pollution de l’air : le coût de l’inaction » 13
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) 14
PREMIÈRE TABLE RONDE : COMMENT EFFECTUE-T-ON LES MESURES DE POLLUTION ? COMMMENT APPROCHER AU MIEUX LES CONDITIONS RÉELLES D’UTILISATION DES VÉHICULES ? 17
Mme Fabienne Keller, sénatrice 17
M. Jean-Félix Bernard, président d’Airparif 17
M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques, Comité des constructeurs français de l’automobile (CCFA) 18
M. François Cuenot, chargé de mission, ONG Transports et Environnement 19
Mme Isabelle Annesi-Maesano, directeur de recherche INSERM, directeur de l’équipe EPAR (Épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires) 20
M. Raymond Lang, membre du directoire Transports Mobilité Durable, France Nature Environnement 20
M. Jean-Paul Morin, chercheur, métrologie et évolution toxicologique de la pollution 21
M. Bernard Bourrier, président des réseaux de contrôles techniques agréés Autovision et Autovision PL 21
M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 22
M. Michel André, directeur adjoint du département de recherche Aménagement Mobilité Environnement, IFSSTAR 23
Mme Nadine Leclair, membre du comité de direction en charge de la filière d’expertise, Renault 24
M. Denis Baupin, député 25
Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports, Réseau Action Climat France 25
M. Henri Wortham, Laboratoire de chimie de l’environnement (LCE), CNRS Marseille 26
M. Philippe Hirtzman, président de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) 26
M. Philippe Hubert, directeur des risques chroniques, Ineris 27
M. Nicolas Godefroy, responsable du département juridique, UFC Que Choisir 27
M. Jean-Marc Spitz, responsable réglementation, homologation, normalisation, direction de la Recherche et développement, PSA Peugeot Citroën 28
M. Frédéric Martin, directeur délégué de l’ingénierie aux relations techniques, Renault 30
M. Pascal Manuelli, responsable de la réglementation, branche « Marketing et services », Total 31
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) 32
Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de l’Union technique de l'automobile du motocycle et du cycle (UTAC) 32
DEUXIÈME TABLE RONDE : COMMENT LA FILIÈRE AUTO-MOBILE S’ADAPTE-T-ELLE AUX ENJEUX ET AUX NORMES SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTALES ? 35
M. Denis Baupin, député 35
M. Noureddine Guerrassi, responsable recherche et développement, Delphi. 35
M. David Deregnaucourt, directeur général, Sphèretech 36
Mme Fabienne Keller, sénatrice 36
M. Ariel Cabanes, directeur de la prospective, Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) 36
M. Frédéric Bouvier, directeur, Airparif 37
M. Pierre Serne, deuxième vice-président de la région Île-de-France, chargé des transports et des mobilités, et vice-président du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) 38
M. Joël Pédessac, directeur général, Comité français du butane et du propane 39
M. Gwenole Cozigou, directeur Transformation industrielle et chaînes de valeurs avancées, direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entreprenariat et des PME, Commission européenne 40
M. François Cuenot, chargé de mission, ONG Transports et Environnement 43
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) 43
M. Christophe Lerouge, chef du service de l’industrie, direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique 44
Mme Danièle Attias, École centrale de Paris, titulaire de la chaire Armand Peugeot 46
M. Joseph Beretta, président d’AVERE France 46
M. Yves Riou, délégué général de la Fédération des syndicats de la distribution automobile (FEDA) 47
M. Gilles Durand, secrétaire général de l’Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV). 47
TROISIÈME TABLE RONDE : COMMENT POURRAIT-ON ASSURER UNE SURVEILLANCE INDÉPENDANTE DE L’APPLICATION DES NORMES ET DES PROTOCOLES DE MESURE ? 49
Mme Fabienne Keller, sénatrice 49
Mme Isabella Annesi-Maesano, directeur de recherche INSERM, directeur équipe EPAR (épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires) 49
M. Thomas Bourdrel, médecin radiologue, président du collectif Strasbourg Respire. 50
M. David Vayssié, président du groupe des industries d’équipements de garage (GIEG), directeur branche Aftermarket d’Actia Automotive 51
M. Denis Baupin, député 51
Mme Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader, directrice, Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) 52
Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques Climat-Transports, Réseau Action Climat-France 53
M. Bernard Bourrier, président des réseaux de contrôles techniques agréés Autovision et Autovision PL 53
M. Pierre Serne, deuxième vice-président de la région Île-de-France, chargé des transports et des mobilités, vice-président du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) 54
M. Raymond Lang, membre du Directoire transports mobilités durables, France Nature Environnement (FNE) 55
M. François Cuenot, chargé de mission, ONG Transports et Environnement 56
M. Gwenole Cozigou, directeur Transformation industrielle et chaînes de valeurs avancées, direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME, Commission européenne 56
M. Jean-Paul Morin, chercheur, métrologie et évolution toxicologique de la pollution 57
M. Johan Ransquin, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) 58
M. Philippe Hirtzman, président de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) 59
M. Henri Wortham, Laboratoire de chimie de l’environnement (LCE), CNRS Marseille 59
M. Michel André, directeur adjoint du département de recherche Aménagement mobilité environnement, Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) 59
M. Yves Riou, délégué général de la Fédération des syndicats de la distribution automobile (FEDA) 60
M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 60
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) 62
M. Frédéric Bouvier, directeur, Airparif 62
CONCLUSION 63
Mme Fabienne Keller, sénatrice 63
M. Denis Baupin, député 63
EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 17 FÉVRIER 2016 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE 65
Mme Fabienne Keller, sénatrice, rapporteur de l’OPECST pour « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » (1). Je vous remercie de vous être mobilisés pour participer à cette audition publique visant à exposer l’état de l’art en matière de mesure d’émissions de particules et de polluants par les véhicules. Les trois tables rondes qui seront organisées pendant la matinée permettront de croiser les analyses sur un sujet qui est placé au-devant de la scène depuis le scandale Volkswagen. Plus récemment, nous avons aussi appris que le processus de comitologie visant à définir les normes pouvait minorer l’intérêt général au bénéfice des objectifs industriels. Nous y reviendrons.
Avec Denis Baupin, nous avons souhaité organiser cette matinée de travail pour débattre de ces sujets, deux ans après le rapport que nous avons déjà élaboré sur le véhicule écologique. Dans le cadre de cette mission, nous nous étions penchés sur les motorisations mais aussi sur les comportements des automobilistes en vue de faire émerger des propositions alternatives au mode de transport individuel.
Reconnaissons que les performances des véhicules découlent des avancées technologiques mais aussi des normes élaborées par les pouvoirs publics. Ces normes ont fortement évolué depuis une vingtaine d’années. Elles encadrent les émissions de CO2 mais aussi celles de NOx, de dioxyde d’azote et des particules fines. Nous pensions être dans un cercle vertueux avec des directives européennes, déclinant pour l’essentiel des textes de l’OMS, conduisant à réduire les émissions des véhicules automobiles mais le scandale Volkswagen a mis en évidence une tricherie d’ampleur. Les performances environnementales affichées ne correspondent pas à la réalité. Cette découverte vient remettre en cause la fiabilité et la robustesse des évaluations.
Depuis la publication de notre rapport sur le véhicule écologique, les tendances que nous avions pu déceler se sont amplifiées. Je pense notamment à l’essor de l’auto-partage et du covoiturage. Il se confirme aussi que les Français sont moins attachés que par le passé à la possession en propre d’un véhicule et qu’ils sont moins attirés par des véhicules toujours plus puissants. Il nous faut néanmoins nous interroger sur les normes en vigueur et sur les conditions réelles de leur mise en œuvre. Pour ne pas voir remise en cause une évolution vertueuse des comportements des consommateurs, nous devons pouvoir leur garantir que les critères sur lesquels ils se fondent pour acquérir un véhicule sont solides et fiables.
Ces normes sont stratégiques. La sénatrice Leïla Aïchi a rédigé un rapport, avec Jean-François Husson, sur l’impact économique de la pollution de l’air. Il en ressort qu’un enjeu économique se greffe bel et bien sur l’enjeu de santé publique.
Les tables rondes qui vont suivre doivent permettre de nous éclairer sur la manière dont les normes sont élaborées et mises en œuvre, mais aussi sur la manière dont elles sont mesurées. Certes, il n’est pas surprenant qu’il existe des écarts entre les performances affichées par les constructeurs et les performances réelles d’un véhicule, mais, avant le scandale Volkswagen, nous ne pensions pas que cet écart était aussi considérable. Cette affaire met sur le devant de la scène la question de la vérification des normes. Nous devons aujourd'hui nous assurer que la promesse des constructeurs automobiles sera traduite dans les faits.
Nos travaux se structureront autour de trois tables rondes portant sur les mesures de la pollution, sur la manière dont la filière automobile s’adapte aux enjeux et aux normes sanitaires et environnementales, et sur la mise en place d’un système indépendant de surveillance du respect des normes agissant comme un contre-pouvoir.
Je vous propose de participer à ces tables rondes de manière efficace et interactive. Chaque temps de parole sera limité à trois minutes afin qu’un maximum d’intervenants puisse faire entendre sa voix.
M. Denis Baupin, député, rapporteur de l’OPECST pour « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » (2). Le scandale Volkswagen qui vient d’éclater nous oblige à nous interroger sur la mise en œuvre des normes environnementales que nous cherchons à faire appliquer. Nous avons proposé à un représentant de la firme Volkswagen d’assister à nos travaux pour nous donner des explications et répondre à nos questions mais Volkswagen a décliné notre invitation.
Nous avons également invité Ségolène Royal mais la ministre ne pouvait se rendre disponible. Elle a cependant mandaté plusieurs représentants pour assister à nos débats et y participer avec nous.
Les pouvoirs publics doivent tirer les enseignements de ce scandale qui provoque une crise de confiance. Qui croire ? Quelle est la fiabilité des normes ? Quel crédit accorder à l’information donnée au consommateur ? Quelle est la capacité des politiques publiques à vérifier l’atteinte des objectifs fixés en matière de qualité de l’air ? Quelles informations transparentes peuvent être fournies aux consommateurs lors de l’achat d’un véhicule tant du point de vue de ses émissions polluantes que de sa consommation en carburant ?
Ce scandale met en lumière les conséquences d’une triche en matière de santé publique, de dérèglement climatique et de pouvoir d’achat des consommateurs. Une récente enquête menée par le magazine Auto Plus sur près de 1 000 véhicules démontre que la consommation moyenne des automobiles est 40 % supérieure à ce qui est affiché au moment de l’achat. Cette même enquête annonce que les véhicules les plus récents seraient ceux pour lesquels les écarts constatés seraient les plus importants, ce qui ne peut que nous interroger sur la fiabilité de l’information donnée aux consommateurs.
Savait-on que des constructeurs trichaient ? Dans la tribune que j’ai publiée hier dans Mediapart, je pose plusieurs questions dont certaines reposent sur un article du magazine Auto Moto datant de 2005, et qui a été exhumé à l’occasion. Déjà il y a dix ans, cet article expliquait qu’il suffisait de poser quelques capteurs à des endroits stratégiques des véhicules pour détourner les tests. Pourtant, en dix ans, rien n’a été fait pour contrer ce phénomène, notamment de la part des autorités de contrôle. Pourtant, dès 2013, le commissaire européen Janez Potocnik avait alerté de la situation dans une lettre officielle. Le manque de fiabilité de l’information appelle un « choc de transparence ». Alors que la confiance est érodée, il nous faut un acte fort pour que les consommateurs accordent un crédit aux informations données sur les émissions polluantes et les consommations en carburant.
Par ailleurs, nous devons aussi comprendre pourquoi les constructeurs en sont venus à truquer les tests antipollution. Sont-ils dans l’incapacité de respecter les normes édictées ? Est-ce uniquement certains types de moteurs qui ne peuvent pas atteindre ces objectifs ? Est-ce l’ensemble des véhicules ? Tout ceci doit nous conduire à réfléchir au type de véhicule que nous devons promouvoir au XXIe siècle. Faut-il continuer à construire les mêmes véhicules ? Que proposer alors que ces véhicules destinés à emmener une famille en vacance sont finalement utilisés, 90 % du temps, par une personne seule pour ses trajets domicile-travail ? Y a-t-il un business model à réinventer ? Le modèle conçu au XXe siècle serait-il aujourd'hui inadapté ?
De nombreuses questions se posent et nous espérons que vos éclairages et vos participations permettront de dessiner des pistes.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. La fraude qui a fait éclater le scandale a été permise par des moyens technologiques inédits. La presse a largement commenté les moyens mis en branle pour truquer les résultats des tests antipollution. Force est de reconnaitre que ces moyens étaient imaginatifs. Depuis de longues années, le secteur automobile est confronté aux normes. Celles-ci sont même discutées en concertation avec la filière. La sixième génération des normes est aujourd'hui en vigueur. Cette affaire survient à un moment crucial et soulève plusieurs questions.
Le principe de l’élaboration en commun des normes semble donner satisfaction car cette co-construction permet d’identifier des solutions techniquement applicables et économiquement supportables. Cependant, l’application des normes doit être contrôlable et contrôlée de la manière la plus indépendante possible. Pour cela, il convient de maîtriser la technique complexe des logiciels alors que nous savons que le numérique va jouer un rôle de plus en plus important dans l’usine du futur. Il convient également de mettre en place de nouvelles formes de gouvernance. C’est l’objectif poursuivi par cette audition publique. Le rôle de l’OPECST est de mettre en avant des solutions technologiques permettant de résoudre des problèmes souvent complexes. Il nous faut mettre en place des instruments de mesure capables de rendre compte des conditions réelles d’utilisation des véhicules. Certaines associations le réclament d’ailleurs depuis longtemps.
Dans un autre secteur d’activité, je viens de rendre un rapport sur les freins à la rénovation thermique des bâtiments. Nous y rencontrons les mêmes problématiques. Des objectifs sont fixés en matière d’isolation et de consommation thermique des bâtiments, en se fondant sur des calculs d’ingénieurs, mais ces critères ne suffisent pas. Il faut encore savoir mesurer la consommation énergétique réelle dans les conditions d’utilisation tant pour le bâti que pour l’automobile. Si nous ne visons pas cet objectif, nous passerons à côté des priorités que nous fixons.
Il faut nous atteler au sujet de manière globale en prenant en compte les diverses sources d’émissions polluantes, en fixant des objectifs pour chacune d’entre elles, en intégrant dans notre réflexion les conséquences qui en découleront. Quel équilibre peut-on trouver entre moteurs à essence et moteurs diesel pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans la COP21 ?
Avant de terminer mon propos liminaire, je souhaite rendre hommage au travail accompli par les deux rapporteurs. Je souhaite également que les rapporteurs des commissions d’enquête parlementaires puissent mener des travaux fructueux sur ce même sujet. Nous veillerons à ce que ces travaux soient complémentaires.
Enfin, sur la forme de nos échanges, je tiens à rappeler que chacune de vos interventions devra être courte afin de laisser la place aux échanges et à l’interaction. Vous aurez également la possibilité de prendre part au dialogue via Twitter par le biais duquel chacun pourra s’exprimer. Par ailleurs, des éléments de conceptualisation seront aussi projetés en séance, tirés de rapports officiels, afin de susciter le débat. C’est une forme innovante de débat qui sera testée ce jour à la demande de nos deux rapporteurs.
Mme Fabienne Keller. Je propose maintenant de céder la parole à Mme Leïla Aïchi, auteur d’un rapport très remarqué sur les impacts économiques de la pollution de l’air.
Mme Leïla Aïchi, sénatrice, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air : « Pollution de l’air : le coût de l’inaction » (3). Je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble des instigateurs de cette audition publique qui s’inscrit dans le prolongement du rapport que nous avons produit, avec Jean-François Husson, sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, et plus précisément sur le coût de l’inaction.
Il y a plus de quinze ans, j’ai été l’une des premières avocates à attaquer l’État sur des dossiers liés à la pollution de l’air. Comme vous le savez, le diesel reste un carburant très couramment utilisé dans notre pays et, quelle que soit la couleur politique des gouvernements qui se sont succédé, la question environnementale et sanitaire est souvent négligée ou sous-estimée. Elle fait souvent l’objet d’un chantage économique et sur l’emploi. Nous avons donc pris l’initiative de ce rapport espérant faire ainsi la démonstration que nous sommes dans une aberration, non seulement sanitaire et environnementale, mais également dans une aberration économique.
La commission d’enquête du Sénat a évalué le coût de la pollution de l’air à 101,3 milliards d’euros. Sur ce coût estimé, on peut évaluer que le coût sanitaire s’élève à 97 milliards d’euros tandis que 4,3 milliards d’euros tiennent à la dégradation du rendement du blé du fait de l’ozone. Précisons d’emblée que ce coût est largement sous-estimé puisque nous n’avons pas cherché à mesurer l’impact de la pollution de l’air sur le rendement des autres produits agricoles. Nous ne connaissons pas plus l’impact économique de la dégradation de la qualité de l’air sur l’eau. Sur le plan sanitaire, nous avons retenu l’étude la plus exhaustive, mais celle-ci ne retenait que six polluants alors que l’Europe considère qu’il faudrait analyser quatre-vingt-cinq polluants.
Par ailleurs, il faut souligner que, si les pollueurs contestent et parfois résistent aux mesures mises en place pour diminuer les émissions polluantes, tous ont salué – à demi-mots ou clairement – la force de la norme et la force de la réglementation. Même si les pollueurs œuvrent par le lobbying pour ralentir les évolutions, la norme est reconnue par tous comme un levier essentiel du progrès. Les industriels comme les chercheurs ont tous admis que chaque avancée en matière de qualité de l’air et de qualité de l’environnement tenait aux normes et à la loi. Nous devons donc continuer à travailler sur ces questions sans viser pour autant une écologie strictement punitive. Il nous revient aussi de faire preuve de pédagogie.
Le scandale Volkswagen est sidérant et affligeant pour une entreprise d’une telle envergure et de renommée internationale. Nous ne pouvons qu’être abasourdis qu’une entreprise investisse autant d’argent pour tricher. Cependant, si ce constructeur a pu aller aussi loin dans le détournement des règles, c’est aussi parce que nous n’avions pas mis en place le système adéquat pour contrer les fraudes. Nous ne pouvons pas nous reposer aujourd'hui sur une autorité administrative indépendante apte à mener à bien des contrôles. Ce constat ne concerne pas le seul secteur automobile et nous invite à nous pencher sur les possibles conflits d’intérêts. Dans un système plus indépendant, nous aurions peut-être pu éviter ce scandale.
Notre commission d’enquête est aussi revenue sur les conditions de réalisation des tests antipollution. Force est de reconnaître que les personnes auditionnées n’ont pas toutes tenu des propos clairs, certaines étant parfois mal à l’aise. Des constructeurs ont même osé nier l’impact sanitaire du diesel alors que ses méfaits sont démontrés et avérés. De telles affirmations ne peuvent que nous dérouter et nous affliger. Il ne s’agit pas ici de sanctionner mais de travailler ensemble pour améliorer la qualité de l’air. D’après l’OMS, la dégradation de la qualité de l’air est l’impact environnemental le plus fort au niveau international. Il est important que nous réfléchissions collectivement et que nous trouvions des solutions ensemble. Les réflexions menées sur les nouveaux modèles de mobilité de demain se heurtent à une résistance au changement. Ces pistes viennent en effet remettre en cause des business plans bien établis. La réalité est aussi que nous sommes au cœur d’un rapport de force. Il nous faut trouver les voies et moyens pour mettre en place un système indépendant, pour être en mesure de sanctionner les comportements fautifs comme ceux de Volkswagen. Ces comportements sont en effet inadmissibles de par leurs conséquences sanitaires et environnementales et parce que ces fraudes représentent une forme de concurrence déloyale.
Nous devons résolument travailler ensemble pour mettre en place un système qui, enfin, retrouve le sens commun pour l’intérêt de tous, pour l’amélioration de notre environnement et de notre santé pour les générations futures.
Mme Fabienne Keller. J’ai le plaisir de donner la parole à Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’IEP de Paris pour mettre en perspective nos travaux.
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). Je suis professeur de droit des marchés régulés et je suis donc étrangère au thème qui vous anime. J’ignore beaucoup de la technicité de votre débat. Cependant, beaucoup des termes que vous avez utilisés me sont familiers. Vous parlez de tests, d’indépendance du contrôleur, d’une crise, de risques, d’un scandale, etc. Mais tous ces termes renvoient à la finance et à la banque.
Tout ce que vous décrivez renvoie à la crise du secteur bancaire de 2007 et à la faillite complète de la régulation et des normes. Il y a huit ans, les normes étaient tellement inadaptées que les banques ont cessé de les respecter. Les États-Unis ont alors exporté la faillite complète de leur système et l’Europe a payé.
Dans le secteur régulé, il n’y a pas de différence entre une norme législative, une norme issue d’un décret, une norme constitutionnelle, une norme technique, aucune distinction entre la hard law et la soft law. Toutes les normes s’entremêlent. C’est le cas aussi des normes françaises, des normes européennes, des normes américaines, des normes chinoises. En fait, il existe une guerre des normes. Pour les Anglais, les normes sont d’abord techniques et sont celles de la City. Elles contribuent pour beaucoup à ce que la City règne en maître sur la finance mondiale. La financiarisation de l’économie, que beaucoup critiquent, vient donc de normes techniques mises en place par les Anglais pour assurer une prédominance de leur place financière. De la même façon, les normes techniques américaines sont conçues en collaboration avec leurs grandes firmes domestiques. Les normes numériques et audiovisuelles sont construites en symbiose avec les grands groupes dans le souci permanent de favoriser leur développement économique. Aussi, comment poser la question du contrôle alors que la frontière entre l’industrie américaine et les autorités en charge d’élaborer les normes techniques est poreuse ? Existe-t-il la distance nécessaire entre celui qui édicte les normes et celui qui y est assujetti ? Sans contrôle et dans la connivence des autorités, Google peut aisément régner sur le monde.
Les normes techniques ne sont pas à l’extérieur des produits ou des entreprises ; elles sont dans les produits, dans le réel. En matière bancaire et financière, l’Europe l’a parfaitement compris. La crise financière de 2008 a été extraordinairement forte mais l’Europe a refusé de sombrer en construisant des normes bancaires et financières qui lui étaient propres. Aux États-Unis et en Angleterre, on dissocie les banques d’affaires des banques commerciales, mais cette structure bancaire n’est pas la nôtre et les règles déontologiques anglo-saxonnes ne peuvent donc s’appliquer à notre environnement. Heureusement, dans sa grande sagesse, le Parlement européen et le Parlement français se sont élevés contre ces normes techniques américaines. Les normes techniques sont, en définitive, des normes politiques.
Mme Fabienne Keller. Je vous remercie pour cet éclairage.
PREMIÈRE TABLE RONDE :
COMMENT EFFECTUE-T-ON LES MESURES DE POLLUTION ?
COMMMENT APPROCHER AU MIEUX LES CONDITIONS RÉELLES D’UTILISATION DES VÉHICULES ?
● Que cherche-t-on à mesurer et avec quel objectif ? Comment fixe-t-on le niveau acceptable à un moment donné pour les particules fines, les NOx, le CO2 ? Quels objectifs sont-ils assignés aux constructeurs ? Au regard de quels enjeux ?
● Quels sont les instruments de mesure disponibles ? Sont-ils pertinents et efficaces ? Quel est leur degré de fiabilité ? Existe-t-il un consensus des scientifiques sur les protocoles de mesures utilisés ? Constate-t-on des différences majeures entre les mesures effectuées par les laboratoires des constructeurs et celles émanant de laboratoires indépendants ?
● Comment éviter l’écart important observé depuis longtemps entre les émissions mesurées en conditions idéales et celles constatées dans la réalité par les ONG et les organismes de surveillance de la pollution de l’air ? Pourquoi la pollution de l’air ne diminue-t-elle pas aussi rapidement que l’évolution technologique et celle des normes pourraient le laisser espérer ?
● Des difficultés particulières rendent-elles difficile l’application des objectifs de réduction d’émission ?
Mme Fabienne Keller, sénatrice. Notons en introduction que les sujets qui seront débattus dans le cadre de la COP21 rejoignent nos préoccupations puisque son objet est que les émissions de CO2 soient mesurables et vérifiables. La fiabilité des mesures est donc un sujet de fond dans le domaine environnemental.
Je vous propose d’ouvrir le débat.
M. Jean-Félix Bernard, président d’Airparif. Airparif est une association agréée indépendante chargée de mesurer, de surveiller et d’informer sur les questions de pollution de l’air. Les associations de surveillance de la qualité de l’air ont été mises en place dans les années 1990 suite à des polémiques assez voisines de celles que nous connaissons actuellement. Ces associations indépendantes ont été mises en place pour instaurer un climat de confiance sur la manière de mesurer la qualité de l’air. C’est aussi dans ce contexte qu’a été votée la loi sur l’air de 1989. Cette réforme répondait également aux polémiques portant sur la trajectoire du nuage de Tchernobyl. Ce dispositif a permis de répondre aux attentes et nous ne sommes pas dans un climat de défiance sur la manière de mesurer et de surveiller la qualité de l’air en France. Au Royaume-Uni, en revanche, des questions portent encore sur l’exposition des populations et sur la mesure de la qualité de l’air.
Airparif mesure les polluants réglementés et non réglementés. Nous disposons de 360 000 points de calcul de la pollution de l’air. Cependant, plus que la mesure qui fournit au final peu d’informations sur l’origine des polluants, c’est la modélisation du système qui permet d’assurer la traçabilité et de guider les politiques publiques.
Il convient de distinguer la mesure de l’air ambiant, fournie par des capteurs, et les émissions. Pour Airparif, l’essentiel est de mesurer les émissions de polluants afin de pouvoir agir. Concernant les véhicules, nous appliquons des correctifs, car nous savons pertinemment que les homologations ne correspondent pas à l’usage réel, mais nos pondérations restent approximatives. Il faudrait pouvoir calculer les émissions des véhicules en conditions réelles afin de pouvoir affiner nos modèles. Airparif pourrait effectuer de telles mesures. Il ne s’agit pas de réaliser des mesures d’homologation en conditions réelles qui ne pourraient pas rendre compte du vieillissement du véhicule ou du comportement des conducteurs. Mais réaliser ces calculs complémentaires ne représenterait pas un investissement financier colossal.
Mme Fabienne Keller. Les mesures effectuées par Airparif sont robustes sur le plan scientifique mais vos simulations sont à nuancer faute d’informations sur les émissions polluantes réelles en conditions d’utilisation. Je vous remercie de l’avoir précisé aussi explicitement.
M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques, Comité des constructeurs français de l’automobile (CCFA). Les constructeurs automobiles sont engagés de longue date dans un processus d’amélioration permanente de leurs produits sur le plan environnemental, afin de répondre aux enjeux du changement climatique, de l’efficacité énergétique et de la diversification énergétique. C’est une amélioration permanente guidée par la réglementation et introduite à chaque lancement d’un nouveau modèle.
Dans cette démarche, les constructeurs dépensent une part très importante de leur budget de recherche et développement pour embarquer des technologies innovantes au meilleur coût dans leurs véhicules. Parallèlement, il convient aussi de favoriser le renouvellement des vieux véhicules polluants du parc pour les remplacer par des véhicules plus récents et moins polluants. Le durcissement de la réglementation et les technologies associées mises en œuvre pour y répondre ont été profitables à la réduction des émissions de CO2 et de polluants. En effet, selon le rapport de la Commission des comptes des transports de la Nation, les émissions totales des véhicules particuliers, qui représentent 75 % du trafic en France, ont baissé de 10 % depuis 2004 alors que le trafic des véhicules particuliers a crû de 2 % dans le même intervalle. Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) établit par ailleurs que les émissions de dioxyde d’azote ont diminué de 45 % sur la même période et les émissions de particules de 48 %. La méthodologie retenue par le CITEPA prend en compte les émissions réelles des véhicules.
Cependant, il n’y a pas de corrélation directe entre la baisse des émissions polluantes et l’amélioration de la qualité de l’air, puisque l’on observe toujours des dépassements des objectifs de qualité de l’air en zone urbaine. La pénétration des nouvelles technologies dans le parc automobile se fait au rythme de son renouvellement qui est de 6 % par an. L’âge moyen des véhicules est de 8,7 ans. Les innovations pénètrent donc très lentement dans le parc automobile français.
La procédure d’homologation européenne vient d’être modifiée pour introduire un essai sur route ouverte. Le cycle actuel, largement critiqué aujourd'hui pour son manque de représentativité des conditions d’usage réel des véhicules, va être remplacé prochainement par le WLTP qui a été conçu pour être plus représentatif. Il est notamment plus dynamique sur les accélérations, qui seront prises en compte lors des essais. Il sera, par ailleurs, réalisé à une température moyenne de 14°C qui est la température moyenne de l’Union européenne.
Nous pouvons dire que la réglementation et les efforts technologiques des constructeurs ont porté leurs fruits quant à la réduction des émissions polluantes des véhicules.
M. François Cuenot, chargé de mission, ONG Transports et Environnement. Contrairement aux propos que nous venons d’entendre, j’observe que les véhicules de nouvelle génération répondant aux normes Euro VI produisent des émissions de dioxyde d’azote, polluant pour lequel Volkswagen a été épinglé, d’un niveau équivalent aux véhicules classés Euro III dans la vie réelle. Les progrès ont été très mineurs et le renouvellement du parc n’apportera que très peu de gains.
Notre organisation a identifié trois points majeurs sur lesquels il faut réduire l’écart entre les tests et les conditions d’usage. Nous savons que le test en laboratoire est obsolète et qu’il faut mettre en place un nouveau dispositif. Par ailleurs, le véhicule qui est utilisé pour l’homologation est un véhicule de présérie spécialement préparé par les constructeurs qu’ils qualifient même de golden car. Ce véhicule est paré pour répondre aux tests d’homologation même si d’autres tests portent ensuite sur la conformité de la production. De plus, les tests en circulation sont largement laissés à l’appréciation des constructeurs.
Mme Fabienne Keller. Vous affirmez donc qu’il existe un écart entre le véhicule spécialement préparé pour passer le test et le véhicule produit en chaîne et vendu au consommateur.
M. François Cuenot. En effet, les pneus de ce véhicule sont surgonflés, par exemple, pour limiter les émissions de CO2. L’alternateur est débranché. La batterie est totalement chargée. Ces mises en condition ne sont pas illégales mais viennent biaiser les résultats. Certains États membres, dont la France, ont demandé que ces conditions perdurent pour les nouveaux tests, ce que nous avons dénoncé bien entendu.
Enfin, il existe potentiellement des conflits d’intérêts entre les agences d’homologation nationales et les constructeurs automobiles. Pour exemple, 70 % du chiffre d'affaires de l’agence d’homologation anglaise – la Vehicle Certification Agency (VCA) – dépend des constructeurs automobiles, sachant, par ailleurs, que cette part est passée de 50 % à 70 % en dix ans. Ce chiffre d'affaires représente une somme de 70 millions de livres sterling. Les enjeux commerciaux sont donc considérables pour les agences d’homologation.
Mme Fabienne Keller. Merci pour ces précisions. Je passe maintenant la parole au Docteur Annesi-Maesano, directeur de l’équipe d’épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires de l’Inserm.
Mme Isabelle Annesi-Maesano, directeur de recherche INSERM, directeur de l’équipe EPAR (Épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires). Il faut distinguer les émissions et les concentrations. L’agence européenne de l’environnement se base le plus souvent sur les émissions qui s’appuient sur des teneurs théoriques de polluants tandis que l’OMS retient la mesure des concentrations de polluants calculés en mg/m3. À l’échelle d’une ville, on peut, certes, noter des évolutions favorables des concentrations mais il existe des endroits où ces concentrations ne baissent pas. De plus, si des valeurs sont utilisées comme valeurs seuil, force est de reconnaitre que tous les individus ne sont pas égaux face à la pollution. Les enfants, les personnes âgées et les personnes souffrant de certaines pathologies sont évidemment plus fragiles. Lors des pics de pollution, nous enregistrons de plus nombreuses hospitalisations. Je souhaite donc que le Parlement milite pour un respect plus strict des valeurs préconisées pour protéger la santé des populations.
M. Raymond Lang, membre du directoire Transports Mobilité Durable, France Nature Environnement. À mon sens, les constructeurs automobiles n’ont pas utilisé tous les moyens pour améliorer la qualité de l’air, loin s’en faut. Ils en avaient la possibilité mais l’ont refusée, il y a dix ans, lorsqu’ils ont signé un protocole d’accord pour le développement du gaz naturel comme carburant. Le gaz naturel ne produit pas naturellement de particules fines. À mon grand regret, l’engagement pris par les constructeurs n’a pas été suivi et les constructeurs français portent une grande part de responsabilité dans le développement du diesel en Europe, qui n’est pas aussi présent dans le reste du monde.
Le gaz est certes un carburant fossile mais il émet moins de CO2 que les produits pétroliers. Par ailleurs, il peut être produit de manière renouvelable et écologique. Lorsqu’il est produit à partir de déchets fermenticides, il n’émet que peu de gaz à effet de serre.
En 2005, les constructeurs devaient mettre en circulation 100 000 véhicules roulant au gaz sur le marché à l’horizon 2010. Mais le grand pétrolier français, Total, n’a pas respecté son engagement consistant à mettre en place trois cents bornes de distribution de gaz naturel. Aujourd'hui, seules quarante bornes sont ouvertes au public et uniquement vingt-trois ouvertes 24 heures sur 24.
Je suis convaincu que nous aurions pu freiner l’utilisation du diesel en nous donnant les moyens de développer le gaz naturel, comme le font certains de nos voisins, dont l’Italie mais aussi l’Allemagne.
M. Jean-Paul Morin, chercheur, métrologie et évolution toxicologique de la pollution. Certes, les particules diesel étaient cancérigènes avant 1996, mais nous avons connu une avancée technologique depuis avec l’introduction du pot catalytique d’oxydation. Ce pot catalytique permet de retirer les composés toxiques de la surface des émissions des particules diesel qui ne sont plus alors ni cancérigènes ni mutagènes depuis la norme Euro II de 1996. Par ailleurs, une autre innovation est à signaler avec le filtre à particules qui permet de retirer la totalité des particules carbonées des émissions de combustion d’un moteur diesel. Ces progrès ont permis de réduire la contribution particulaire des moteurs diesel à la pollution atmosphérique.
Les mesures de qualité de l’air recensent de nombreuses particules volatiles. L’appareil Teum MDMS permet, depuis 2007, de dénombrer les particules minérales et les particules de nitrate d’ammonium qui pourtant sont dépourvues d’impact sanitaire. Si nous continuions à mesurer les particules atmosphériques comme nous le faisions avant 2007, nous n’aurions plus de dépassement des seuils d’information et d’alerte en France, même en Île-de-France. C’est un élément scientifique à prendre en considération lorsque l’on parle de particules et de leur impact sanitaire.
M. Bernard Bourrier, président des réseaux de contrôles techniques agréés Autovision et Autovision PL. Comme entendu en introduction, la norme, c’est effectivement un pouvoir. La norme est un pouvoir qui régule l’industrie. À Genève, le WP 29, forum mondial de normalisation, permet à chaque plaque de production de se rencontrer. En Europe, deux directives européennes sont opérantes : une directive d’homologation qui dépend de la Direction générale (DG) Industrie et une directive de contrôle technique qui dépend de la DG Move. La difficulté réside dans la possibilité de contrôler d’un véhicule. Depuis sa conception, comment va-t-on intégrer les capacités de contrôle ? Pour y parvenir, il est essentiel de travailler en amont pour suivre la conception et l’élaboration des véhicules, mais aussi pour contrôler son vieillissement. Le contrôle technique est un outil régalien. C’est un outil à la disposition des gouvernements et qui permet à ceux-ci de définir ce qu’ils veulent suivre dans l’état d’entretien du véhicule.
En France, le Code de la route, dont nous dépendons, est sous l’autorité du ministère de l’intérieur, mais la réglementation des véhicules dépend, quant à elle, du ministère de l’écologie. C’est donc la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) qui prescrit les normes opérationnelles. Dans ce dispositif, nous demandons que notre profession puisse évoluer en fonction des avancées technologiques des véhicules. En dix ans, les véhicules ont beaucoup changé, leurs composants électroniques sont plus nombreux, les dispositifs de freinage et de carburation évoluent, et nos algorithmes ne permettent plus de tout contrôler.
Mme Fabienne Keller. Est-ce à dire que vous ne pouvez plus contrôler le freinage ?
M. Bernard Bourrier. Nous pouvons vérifier le freinage mécanique mais nous ne pouvons pas intervenir sur la partie électronique du freinage. Nous ne sommes pas plus présents sur l’abrasion des disques et des plaquettes en matière d’émissions car nous ne disposons pas encore des outils idoines.
La question que nous devons trancher est de déterminer comment des normes d’homologation faites en laboratoire peuvent être transposées en normes d’inspection et d’usage. Comment faire évoluer l’entretien du véhicule en fonction de son vieillissement et de son utilisation ? Comment l’ensemble de la filière aval de l’automobile pourra-t-elle anticiper ou réparer ces véhicules ? Ce point est essentiel pour la filière aval qui ne peut se contenter de constater qu’un véhicule est polluant. Il convient donc d’agir en amont du contrôle technique, pour anticiper, et en aval, au moment du constat, pour réparer et remettre en état.
M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Notre direction a la charge du contrôle de la sécurité des émissions des véhicules, mais notre ministère est aussi garant de la qualité de l’air ambiant. Depuis trente ans, les politiques en place visent à diminuer les émissions de polluants réglementés des véhicules neufs. Avant de chercher à améliorer les capacités techniques des moteurs, nous avons œuvré à rendre les carburants plus propres en éliminant le plomb, en diminuant leur teneur en benzène et en soufre. En vingt ans, plusieurs développements technologiques sont intervenus autour de la chaîne de motorisation pour apporter des améliorations, avec les pots catalytiques ou encore les filtres à particules ou encore les dispositifs de traitement des oxydes d’azote sur les véhicules diesel, dispositifs nouveaux dont nous devons encore vérifier l’efficacité. Le renforcement de la réglementation européenne a joué un rôle majeur dans ce contexte. Cependant, le transport, par les volumes qu’il représente, reste un émetteur important de polluants, avec 20 % des émissions de particules et 55 % des dioxydes d’azote.
Le respect des normes doit être vérifié en laboratoire pour garantir la reproductibilité des tests et comparaisons. La représentativité de ces tests est régulièrement mise en question. Dès l’adoption du règlement 715-2007 qui définit les normes Euro V et Euro VI des véhicules légers, la Commission européenne proposait de lancer des réflexions sur les deux tests en vigueur avec le remplacement du cycle actuel d’homologation WLDC pour les émissions de CO2, avec le projet d’homologation internationale WLTP, qui permettra de mesurer la concentration de carburants ainsi que les émissions de CO2 et de polluants dans une vision plus représentative. Les travaux sont relancés et de prochaines discussions auront lieu au niveau européen.
Je précise que la France demandera que les flexibilités admises dans les tests soient réduites et, ce, afin que les tests soient les plus représentatifs possible. Concernant le test RDE pour les émissions polluantes atmosphériques hors CO2, la proposition vise à ajouter un test en conditions réelles de conduite. Il y a deux semaines, un comité technique a proposé des coefficients de conformité qui sont de 2,1 en 2017 et de 1,5 en 2019. Pour la ministre, ces propositions représentent un progrès mais ces coefficients sont encore trop élevés. Ségolène Royal a donc demandé une révision de ce compromis et que la question soit évoquée par les ministres.
Nous devons travailler au niveau européen sur le renforcement des homologations et sur la surveillance de ces homologations. Aujourd'hui, les résultats de l’homologation font l’objet d’une reconnaissance mutuelle mais une surveillance doit être mise en place pour s’assurer de la qualité de ce travail d’homologation. Il faut également renforcer la conformité des véhicules neufs mis sur le marché et étendre le contrôle technique sur le parc existant afin qu’il puisse donner des indications plus fortes en vue d’un meilleur entretien.
Au niveau global, les émissions ont diminué au cours des dernières années grâce aux innovations et réglementations mises en place, et donc les concentrations moyennes ont diminué également. Depuis 2000, les concentrations moyennes de soufre ont été divisées par cinq, celles de NO2 et de particules de 30 %. La difficulté est que nous devons aujourd'hui agir sur les émissions diffuses et donc sur tous les leviers (transport, chauffage, agriculture, industrie). Au niveau des transports, nous devons agir en vue d’un renouvellement accéléré du parc, mais aussi prendre des décisions de circulation restreinte et développer les transports publics. Cette volonté passe également par l’élaboration des plans de mobilité des entreprises et par la mise en place d’une fiscalité incitative et équilibrée.
Mme Fabienne Keller. Je souhaite ajouter que toutes les grandes villes françaises sont sous le coup d’une procédure de non-respect de la directive européenne portée par la DG Environnement. Nous pouvons nous féliciter que l’industrie produise moins de soufre, en raison de la désindustrialisation de nos territoires et de l’amélioration des processus industriels, mais nous ne pouvons pas nous contenter de la qualité de l’air telle qu’elle est aujourd'hui. Ce travail doit se poursuivre mais à la condition de mesurer les résultats et de les factualiser.
M. Michel André, directeur adjoint du département de recherche Aménagement Mobilité Environnement, IFSSTAR. Je travaille dans un laboratoire qui suit la métrologie des émissions réelles des véhicules. La recherche se penche sur les émissions en conditions réelles de circulation, question qui n’est pas nouvelle. Les outils de calcul utilisés par le CITEPA ou par Airparif ne reposent pas sur les valeurs d’homologation mais sur des valeurs représentatives.
Comme d’autres l’ont dit avant moi, force est de reconnaître que les outils réglementaires ne sont pas suffisants. Les procédures de mesure des émissions reposent sur des compromis et sur des procédures relativement simples. Le nombre de polluants vérifiés est donc relativement limité. Mais, avec le temps, ces procédures réglementaires, très peu évolutives, sont dépassées et plus en ligne avec les principaux enjeux de la qualité de l’air. Elles ne mesurent pas ce qu’il faudrait mesurer pour évaluer la qualité de l’air.
Les écarts entre la réalité et la métrologie d’homologation ne sont pas non plus un phénomène nouveau ou qui seraient circonscrits à l’affaire Volkswagen. Pour que ces mesures soient représentatives, il faudrait qu’elles retiennent les bons polluants, c’est-à-dire les polluants ayant un impact sur la santé et un impact direct sur le climat, et pas forcément des agrégats de polluants, comme nous le faisons avec l’indicateur NOx.
Il faudrait aussi des procédures beaucoup plus représentatives qui pourraient couvrir l’ensemble des conditions. En effet, si l’on ne couvre que peu de points, on ne fait que les optimiser. Pour éviter tout écart entre les valeurs réglementaires et la réalité, il faut veiller à ce que la réglementation soit la plus exhaustive possible, sans qu’il ne soit possible d’optimiser les résultats en fonction des conditions. Il faut donc sans doute tenir compte de la climatisation ou d’autres options qui équipent les véhicules. De même, il faudrait interdire de réaliser les tests sur des véhicules préparés pour les mener sur des véhicules ordinaires.
La pollution de l’air ne baisse pas autant que les émissions même lorsqu’elles sont évaluées avec des procédures réelles, car le trafic ne fait pas tout et qu’il faut prendre en compte d’autres contributions. De même, les émissions des gaz d’échappement ne sont pas tout. Il y a aussi des émissions par l’abrasion, par l’usure, etc. Ces phénomènes doivent aussi être pris en compte dans l’évaluation et dans la réglementation.
Mme Nadine Leclair, membre du comité de direction en charge de la filière d’expertise, Renault. La mesure des émissions de polluants doit être associée à d’autres indicateurs. Pour la pollution liée aux carburants, les émissions dépendent largement de l’usage du véhicule. Ce n’est pas une valeur intrinsèque. Une mesure juste des émissions implique donc de préciser les conditions de la mesure : la température, la vitesse, l’accélération, entre autres, sont des indicateurs de la plus grande importance. La réglementation européenne doit évoluer pour prendre en compte ces facteurs.
La législation a la responsabilité de fixer les normes sur la base des connaissances scientifiques et techniques disponibles. La faisabilité des mesures et la disponibilité des instruments de mesure sont clés.
Nous sommes unanimes pour reconnaître que le durcissement de la réglementation amène un progrès sur les véhicules neufs. La réglementation a toujours été la base du progrès en cohérence avec les progrès technologiques et, ce, depuis le début de l’industrie. Les émissions de particules sont sévèrement réglementées depuis 2010. Il existe un consensus des pouvoirs publics, des ONG et de la filière pour reconnaître que l’enjeu porte désormais sur la mesure des oxydes d’azote. Dans ce cadre, nous devons veiller à la meilleure représentativité possible de la mesure des polluants. C’est tout le sens de la prochaine étape réglementaire attendue pour 2017 qui instaurera la mesure en usage réel appelée RDE. Cependant, contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, les constructeurs ont toujours encouragé ces évolutions et alerté sur l’urgence de définir les conditions de cette mesure. La modification du cycle normalisé de conduite est également en cours de définition (WLDC). Notre groupe demande l’accélération de la mise en place de ce nouveau cycle. Cependant, le process qui est associé à ce cycle, à savoir WLTP, devra être conçu en conséquence pour neutraliser plusieurs facteurs (préparation des voitures, masse des véhicules, usage de la climatisation, etc.).
M. Denis Baupin, député. Comment réagissez-vous à l’enquête d’Auto Plus sur les écarts de consommation constatés entre les tests et l’usage en conditions réelles ?
Mme Nadine Leclair. Comme signalé par Michel André, il existe des marges d’optimisation par rapport à une règle ou à une norme. Actuellement, la procédure WLDC ne mentionne pas que la climatisation doit être mise en route pour réduire la consommation, mais WLTP permettra de corriger ces errements.
Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports, Réseau Action Climat France. Action Climat alerte, depuis de nombreuses années, sur les écarts croissants entre les émissions réelles et les émissions théoriques, que ce soit pour les émissions de CO2 ou pour les émissions de NOx, qui sont l’une des principales causes de la pollution de l’air. Les négociations conduites au niveau européen sur ce terrain traînent depuis trop longtemps. Pour avoir suivi de près le processus de négociation visant à la définition des normes d’émissions de CO2 des véhicules particuliers, j’ai pu constater que les normes sont, en fait, le résultat de compromis politiques et très souvent en deçà des recommandations scientifiques. Pour réduire plus drastiquement les émissions de polluants dans les transports, il aurait fallu aller plus loin que les 95 grammes de CO2 par kilomètre d’ici 2020. De même, les plafonds fixés par les normes Euro en matière de qualité de l’air sont bien moins exigeants que les recommandations de l’OMS. Les normes applicables sont même en deçà des normes fixées pour les voitures américaines. Ce compromis politique est accepté suite au lobbying exercé par l’industrie.
Le nouveau test RDE doit entrer rapidement en vigueur afin d’assurer une meilleure représentativité des tests, mais celui-ci doit être plus contraignant. Cependant, les marges de complaisance accordées aux constructeurs ne peuvent nous satisfaire puisqu’elles autorisent un doublement des émissions pendant deux ans, puis un écart de 50 % pendant une durée indéterminée. En l’état actuel, nous n’avons aucune indication sur l’application pleine et entière de la norme. Ces marges de manœuvre ont été accordées suite au lobbying de la filière. Carlos Ghosn, qui représente l’association européenne des constructeurs automobiles, a écrit la semaine précédant cette décision à tous les décideurs européens pour les mettre en garde contre la définition d’une norme ambitieuse. Cette communication nous interpelle.
M. Henri Wortham, Laboratoire de chimie de l’environnement (LCE), CNRS Marseille. Mon intervention se focalisera sur les aérosols et les particules fines. Plusieurs biais existent et peuvent compromettre la représentativité de la mesure. On peut citer la triche ou l’optimisation, mais il faut aussi prendre en considération la réactivité atmosphérique. En effet, des polluants peuvent ne pas être présents au niveau du pot d’échappement, et donc ne pas être mesurés, mais se former ensuite dans l’atmosphère.
Les particules volatiles produites par les moteurs peuvent se transformer, dans les heures qui suivent leurs émissions, en particules fines. Cette production n’est pas forcément négligeable et peut même venir doubler la concentration en particules émises. Sur ce paramètre, les véhicules diesel et les véhicules essence ne réagissent pas de la même manière. En fait, les véhicules diesel deviennent plus propres du point de vue des particules car les véhicules diesel émettent des particules mais ne produisent pas de composés organiques volatils susceptibles de se transformer en aérosols, alors que les véhicules à essence émettent relativement peu de particules fines à l’émission mais une quantité de COV importante. Nous pourrions obtenir les mêmes résultats avec les deux-roues.
M. Philippe Hirtzman, président de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). L’Ineris, créé il y a vingt-cinq ans, est un établissement public qui dépend du ministère de l’écologie. L’Ineris n’est pas directement concerné par les normes, l’homologation, les tests et le trafic, qui n’entrent pas dans notre champ de compétence, mais nous intervenons sur trois champs : les risques industriels accidentels, les risques chroniques et les risques liés au sous-sol.
L’Ineris anime le laboratoire central de la surveillance de la qualité de l’air en partenariat avec le Laboratoire national d’essais (LNE) et l’École nationale supérieure des mines de Douai. Notre mission est ici de définir des référentiels communs pour intercalibrer les informations fournies par les différents réseaux de surveillance de la pollution de l’air. Il existe aujourd'hui un réseau de surveillance par région, soit une vingtaine sur notre territoire. Notre travail vise aussi à collecter des données, puis à mettre en branle un travail de recherche sur la base de ces données pour mettre en œuvre des prévisions et des modélisations. L’Ineris mène également des travaux de recherche en chimie, liés à la transformation des produits.
Avant de présider l’Ineris, j’ai travaillé au Commissariat général du Plan et pour le Conseil général de l’économie de Bercy et j’ai été rapporteur de deux rapports sur le véhicule du futur et sur le véhicule électrique pour lesquels de nombreuses questions étaient déjà soulevées sur l’adéquation des tests normalisés.
M. Philippe Hubert, directeur des risques chroniques, Ineris. L’Ineris développe des modèles et fournit des prévisions sur la qualité de l’air. Pour estimer la pollution de demain et d’après-demain, nous pouvons corriger les distorsions existantes entre les normes et les émissions réelles, sur la base d’estimations plus réalistes mais aussi parce que nos modèles permettent de redresser les chiffres sur la base des écarts constatés entre les données brutes et la réalité en s’appuyant sur une moyenne historique. Ces corrections permettent de donner une mesure juste malgré toute la complexité de la chimie de l’environnement.
En revanche, il reste difficile d’évaluer les effets de la mise en application d’une norme future tant qu’elle n’est pas effective. Si l’effectivité de la norme n’est pas garantie, il sera impossible de présenter des calculs justes sur ses effets à dix ans ou quinze ans.
M. Denis Baupin. Que pensent les consommateurs, Monsieur Godefroy ?
M. Nicolas Godefroy, responsable du département juridique, UFC Que Choisir. Les consommateurs ne savent pas que les performances mesurées ne correspondent pas à une utilisation d’usage. Même si de nombreux articles ont déjà porté sur cette thématique, beaucoup de consommateurs nous écrivent pour nous dire qu’ils peinent à comprendre pourquoi leur voiture consomme davantage que ce qu’affichent les constructeurs. De plus, les consommateurs n’ont pas les moyens d’évaluer les émissions polluantes de leur véhicule. De plus, le NOx n’est pas indiqué pour les modèles de marque Volkswagen. Ses fiches techniques donnent des informations sur les émissions de CO2 mais aucune sur les NOx. Le consommateur ne peut donc pas établir des comparaisons sur des bases pertinentes.
Un travail pédagogique est conduit par des magazines spécialisés et par UFC Que Choisir avec d’autres associations européennes qui tentent de coordonner leurs actions pour donner des informations sur les consommations et émissions réelles. Les écarts diffèrent aussi suivant les constructeurs, dont certains trichent de manière éhontée tandis que d’autres optimisent profitant des biais ou des flous qu’offrent les textes. Nos collègues italiens ont lancé une action de groupe après avoir constaté des écarts considérables entre les résultats des tests et les résultats qu’ils ont obtenus en les reproduisant par eux-mêmes.
Nous constatons qu’une tolérance est aujourd'hui admise, ce que nous ne pouvons pas accepter car une norme – si elle est établie – doit être respectée. La flexibilité qui est admise conduit à enregistrer des écarts importants suivant les constructeurs. En raison de portes ouvertes à l’optimisation, il n’est pas normal de constater des écarts entre les résultats des tests et l’utilisation en conditions réelles. Ces dispositifs conduisent même à instaurer une forme de concurrence déloyale entre constructeurs car certains tireront plus profit que d’autres de ces latitudes.
Nous demandons que soient renforcés les tests sur route et que les tests soient réalisés non pas sur une voiture préparée mais sur un véhicule lambda que l’on irait piocher en concession. Ces tests devraient aussi être réalisés non seulement à la sortie de l’usine mais tout au long de la vie du véhicule. Nous demandons enfin que les consommateurs soient mieux informés sur les émissions polluantes.
M. Denis Baupin. Des actions de groupe seront-elles menées par les consommateurs ?
M. Nicolas Godefroy. Suite au scandale Volkswagen, certains avocats sont partis bille en tête mais le dossier est complexe car il s’agit d’une norme qui n’était pas annoncée au consommateur. Une discussion a été engagée au niveau du bureau européen des unions de consommateurs, dont UFC Que choisir est membre, pour éviter des instances longues et complexes et identifier des solutions faciles à mettre en œuvre pour le consommateur. L’action judiciaire interviendra dans un second temps. Nous ne souhaitons pas nous précipiter dans la démarche judiciaire mais analyser le dossier et vérifier tout d’abord si les solutions proposées sont pertinentes.
M. Denis Baupin. Quelle est la position de PSA Peugeot Citroën dans ce débat ?
M. Jean-Marc Spitz, responsable réglementation, homologation, normalisation, direction de la Recherche et développement, PSA Peugeot Citroën. Les constructeurs sont attachés à la réglementation en vigueur et sont convaincus que les normes Euro et CO2 ont un impact primordial sur la qualité de l’air et le dérèglement climatique. Nous encourageons toutes les équipes qui mèneront des études en vue de faire le lien entre les émissions qui sortent du pot d’échappement du véhicule, exprimées en mg/km, et les concentrations de polluants dans l’air.
Les constructeurs français plaident pour une instauration rapide du RDE. Nous nous sommes fortement mobilisés sur cette question et souhaitons que son application puisse être effective en septembre 2017, pour nous laisser le temps de procéder aux ajustements nécessaires sur nos voitures.
Concernant les consommations réelles des véhicules, je précise que tous les constructeurs mènent des enquêtes sur la satisfaction de leurs clients pour connaître leur taux de satisfaction ou d’insatisfaction.
M. Denis Baupin. Au final, quels résultats ressortent de ces enquêtes ?
M. Jean-Marc Spitz. Nos enquêtes de satisfaction permettent de suivre cette question cruciale pour nos clients. Tout constructeur automobile doit évidemment porter la plus grande attention à cette question.
Mme Fabienne Keller. Communiquez-vous auprès de vos clients sur les résultats des tests d’homologation ou sur les consommations réelles en usage ?
M. Jean-Marc Spitz. Les enquêtes interrogent le client sur ses consommations au quotidien et visent à déterminer si les écarts les étonnent ou non.
M. Denis Baupin. Vos concessionnaires communiquent-ils sur les valeurs réelles, puisque vous affirmez les connaître, ou sur celles ayant servi à l’homologation ?
M. Jean-Marc Spitz. Nous communiquons sur les valeurs homologuées mais nous délivrons des informations complémentaires sur les facteurs pouvant conduire à constater des consommations plus élevées. Nous dispensons même des formations à nos clients pour leur expliquer que la climatisation ou les accélérations brutales sont des facteurs à prendre en compte.
Mme Fabienne Keller. Le scandale Volkswagen a été un choc pour les consommateurs qui ont pris la mesure d’une vaste opération de tricherie. La méfiance est désormais de mise et les constructeurs auraient tout intérêt à se montrer transparents dans leur communication, dès lors que vous savez pertinemment que les résultats des tests ne correspondent pas aux résultats enregistrés en conditions réelles. Ce qui intéresse les consommateurs, c’est ce qu’ils vivent au quotidien. Nous constatons le même phénomène dans le domaine de l’isolation thermique des bâtiments. Il n’y a aucun appartement qui consomme aussi peu que ce que l’on promet par le biais des dernières normes d’isolation thermique. La suspicion devient généralisée sur les normes écologiques et sera présente dans les débats publics. Il faut trouver les moyens d’inverser cette donne. Il faut sans doute parler simplement et tenir un langage de franchise.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. Dans le secteur du bâtiment, les résultats en conditions réelles sont le double des promesses affichées en matière d’isolation thermique. Nous ne pouvons pas rester dans cette situation dans laquelle le consommateur n’a pas l’information voulue.
M. Jean-Marc Spitz. Le groupe PSA Peugeot Citroën a pris l’engagement de faire toute la transparence sur ces questions.
M. Denis Baupin. Est-ce un engagement nouveau ?
M. Jean-Marc Spitz. C’est un engagement nouveau.
M. Frédéric Martin, directeur délégué de l’ingénierie aux relations techniques, Renault. Communiquer sur des consommations réelles est aujourd'hui interdit par la directive sur le labelling.
M. Denis Baupin. Il existe donc une directive qui interdit de faire preuve de transparence quant aux émissions polluantes réelles…
M. Frédéric Martin. Nous pouvons mesurer une performance dans un système normé, afin que les résultats soient équitables, d’autant plus que ces indicateurs servent de base à des politiques fiscales ou incitatives. En plus de ces mesures d’homologation, nous avons le besoin de connaître les émissions en conditions réelles. Les constructeurs français ont été volontaires et engagés pour que RDE se mette en place rapidement.
Nos clients se plaignent assez souvent de l’écart constaté entre les performances homologuées et les consommations réelles. Cependant, les positionnements relatifs de chaque modèle restent justes, c’est-à-dire qu’un véhicule dont le test d’homologation permet d’afficher des valeurs basses continuera d’être plus vertueux qu’un modèle dont les tests conduisent à afficher des résultats plus élevés.
Le nouveau cycle se rapprochera des consommations réelles, tout en restant standardisé afin de pouvoir lui rattacher des politiques publiques d’ordre fiscal ou incitatif, mais ces valeurs ne seront jamais représentatives de l’usage de chacun. Ce nouveau cycle se rapprochera d’un usage moyen.
M. Denis Baupin. Vous reconnaissez donc qu’il n’est pas normal qu’il y ait un tel écart entre les résultats de l’homologation et les valeurs en usage.
M. Frédéric Martin. Nous sommes d’accord sur le fait que le process WLTP va dans le bon sens car il est plus représentatif des usages réels.
M. Denis Baupin. Que pensez-vous de la possibilité ouverte par le comité européen d’autoriser un doublement de la norme ?
M. Frédéric Martin. Ce doublement concerne les NOx alors que mon intervention porte sur la consommation. Nous souhaitons que le système soit transparent tant pour la consommation en carburant que pour les émissions pouvant endommager la qualité de l’air. Le cycle WLTP est plus proche des conditions d’usage actuelles. La procédure WLTP permettra aussi de limiter l’écart entre les véhicules très bien équipés et ceux qui ne sont pas équipés, sachant que cette problématique n’existait pas il y a trente ou quarante ans. La procédure WLTP permettra de segmenter plus finement la gamme des véhicules en fonction de leur niveau d’équipement pour afficher une valeur plus proche de la réalité.
M. Denis Baupin. Monsieur Pascal Manuelli, que pouvez-vous nous dire sur le carburant ?
M. Pascal Manuelli, responsable de la réglementation, branche « Marketing et services », Total. Quel que soit le cycle normalisé choisi pour évaluer la consommation ou l’émission de polluants, il donnera des résultats de mesure de consommation qui seront différents des résultats obtenus dans la vraie vie. C’est incontournable. Les mesures sur cycle normalisé, comme l’a fait remarquer Frédéric Martin, ont pour objectif de standardiser le plus grand nombre possible de paramètres de manière à éliminer, autant que possible, les éléments venant perturber les mesures. L’objectif est alors de mesurer dans l’absolu les moteurs ou les véhicules les uns par rapport aux autres. La réalisation de tests en conditions réelles, sur route, peut paraître plus pertinente ou plus attrayante pour le consommateur mais un grand nombre de paramètres exogènes vont venir perturber ces mesures comme les comparaisons. En effet, les conditions climatiques (température, pluviométrie, vent) mais aussi les styles de conduire sont aussi à prendre en compte.
M. Denis Baupin. Nous l’avons déjà entendu. Quelle est votre contribution au débat en tant que pétrolier ?
M. Pascal Manuelli. Nous réalisons des tests dans le cadre du développement de nos produits et nous avons pu noter des écarts entre les méthodologies. Plusieurs essais menés sur circuits pour tester plusieurs véhicules démontrent que les écarts peuvent atteindre 12 % d’un conducteur à l’autre dans les mêmes conditions. Ces essais avaient été réalisés pourtant avec des conducteurs professionnels de telle sorte à éviter au maximum les écarts.
M. Denis Baupin. Vous exprimez ici le point de vue des constructeurs, mais quel est le point de vue de Total ?
M. Pascal Manuelli. Pour obtenir des résultats fiables, nous réalisons des analyses statistiques sur plusieurs dizaines de milliers d’observations à partir des données de consommation collectées via les cartes pétrolières notamment. Seule cette analyse statistique nous permet de tangenter les données de consommation réelle.
Mme Fabienne Keller. De quelles cartes pétrolières parlez-vous ?
M. Pascal Manuelli. Ce sont les cartes Total mises à disposition de nos clients et qui permettent, entre autres, de suivre la consommation des véhicules.
M. Jean-Yves Le Déaut. Constatez-vous des différences entre vos calculs statistiques et ce qu’annoncent les constructeurs ?
M. Pascal Manuelli. Nos analyses permettent notamment de comparer nos produits premium avec des carburants d’entrée de gamme. Elles ne comparent pas les véhicules les uns par rapport aux autres.
Mme Fabienne Keller. Il nous faut absolument une communication plus réaliste en direction des consommateurs qui essaient d’adopter un comportement plus écologique. Nous avons la responsabilité de lui rendre une information simplifiée, synthétique et accessible. Qui mieux que vous peut produire ce référentiel et ces éléments d’information ? Nous ne pouvons pas encourager les comportements sobres en ressources sans une communication plus robuste, plus claire et plus en phase avec la réalité.
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). Qui est destinataire de la norme ? À entendre vos différentes interventions, nous pouvons nous demander si le destinataire du résultat des tests est le Parlement ou l’administration qui, ainsi bien renseigné sur l’état du réel, va prendre une disposition adéquate ou si ces normes servent à séduire le consommateur pour qu’il préfère un produit plutôt qu’un autre ? Suivant les intervenants, on a l’impression que le destinataire n’est pas le même. Je sais bien que l’on parle beaucoup aujourd'hui de citoyen-consommateur mais l’angle sous lequel on jauge les tests importe aussi.
M. Denis Baupin. Voilà une excellente question qui résume bien la contradiction dans laquelle nous pouvons nous trouver.
Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de l’Union technique de l'automobile du motocycle et du cycle (UTAC). L’UTAC est le service technique mandaté par le ministère pour réaliser les essais en vue d’homologation. Un véhicule destiné à être commercialisé en Europe doit respecter des réglementations qui sont élaborées à Bruxelles. Tous les constructeurs suivent les mêmes protocoles d’essai pour commercialiser en Europe. Ces réglementations sont longues à élaborer. Participent au comité des ONG, des autorités d’homologation, des fédérations, l’industrie, des experts techniques.
Mme Fabienne Keller. Ces normes sont-elles faites pour les autorités de contrôle et de tutelle ou pour les consommateurs ?
Mme Béatrice Lopez de Rodas. Elles visent les deux publics. C’est un compromis entre des enjeux environnementaux, des enjeux économiques, des enjeux techniques et des enjeux politiques. Au vu de toutes les parties prenantes dans ces réglementations, il y a effectivement des compromis à trouver.
M. Denis Baupin. Les consommateurs peuvent-ils vous faire confiance ?
Mme Béatrice Lopez de Rodas. Les consommateurs sont invités à participer aux travaux au travers des associations qui les représentent. Par ailleurs, il faut repréciser que les tests d’homologation n’ont jamais eu la prétention de donner la mesure des consommations et des émissions en usage réel. C’est en fait une base de référence permettant aux consommateurs de comparer les véhicules les uns aux autres, puisque tous les véhicules commercialisés en Europe se basent sur la même réglementation.
M. Denis Baupin. Votre réponse est donc claire : vos tests visent les services publics plus que les consommateurs. Votre organisation recense-t-elle tous les résultats des contrôles techniques effectués sur les véhicules ? Si oui, ces bases de données sont-elles accessibles ? Est-il possible d’en tirer des enseignements sur l’évolution des véhicules ?
Mme Béatrice Lopez de Rodas. Nous hébergeons ces bases de données. Nous effectuons des analyses statistiques sur cette base pour le compte du ministère. Nous ne sommes pas propriétaires de ces bases de données.
M. Denis Baupin. Monsieur Laurent Michel, ces informations sont-elles publiables ?
M. Laurent Michel. Le contrôle technique vérifie plusieurs points de sécurité et d’environnement pour s’assurer que les véhicules sont en état de rouler sans altérer gravement la sécurité de l’occupant et des autres usagers et qu’ils peuvent circuler sans dégrader gravement l’environnement. Ces contrôles permettent notamment d’analyser les fumées mais ne permettent pas de mesurer aussi finement l’émission de particules, comme cela est fait lors du cycle d’homologation. Le contrôle technique ne permet pas non plus de jauger la consommation.
M. Denis Baupin. Cependant, sans doute des chercheurs pourraient-ils exploiter les résultats des contrôles techniques pour en tirer des enseignements sur le vieillissement des véhicules ?
M. Laurent Michel. Je n’y suis pas opposé mais je doute qu’il soit possible de tirer beaucoup d’enseignements sur les consommations. Nous pourrions transmettre ces informations une fois que le fichier sera anonymisé.
M. Denis Baupin. Je vous propose de clore ce premier chapitre de nos échanges pour passer à la deuxième table ronde.
DEUXIÈME TABLE RONDE :
COMMENT LA FILIÈRE AUTOMOBILE S’ADAPTE-T-ELLE AUX ENJEUX ET AUX NORMES SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTALES ?
● Comment la filière participe-t-elle à la définition des normes et des protocoles de mesure ? Comment s’adapte-t-elle aux normes définies par les autorités régulatrices ? Comment concilie-t-elle les données techniques et les considérations politiques ou stratégiques ?
● Comment les relations entre les autorités régulatrices et l’industrie, et aussi entre constructeurs, équipementiers et laboratoires scientifiques, conduisent-elles à une évolution des choix des acteurs de la filière ?
● Comment la filière répond-elle aux décisions des pouvoirs publics au niveau national et au niveau européen ? Quelles sont ses réactions en face de la définition d’une nouvelle norme européenne ?
● Comment pourrait-on parvenir à une approche plus pertinente des conditions réelles de conduite et à un contrôle de la durabilité des performances des véhicules ?
● Existe-il des contradictions entre les différentes normes ? Dans ce cas, comment les choix des industriels sont-ils effectués ?
M. Denis Baupin, député. Face à l’épuisement des ressources pétrolières, aux enjeux posés par le dérèglement climatique, comment faire en sorte que les véhicules soient de plus en plus performants et que leur usage soit conforme à nos ambitions ?
M. Noureddine Guerrassi, responsable recherche et développement, Delphi. Je représente les équipementiers. L’industrie automobile apporte des éclairages techniques aux autorités de régulation. Elle expose aussi ses contraintes technologiques et économiques. Nous participons à la mise au point des normes et des procédures d’essais. La filière investit fortement ce champ. Des innovations technologiques majeures sont déjà à notre actif : la gestion des contrôles des moteurs diesel essence, les systèmes d’injection directe essence, les systèmes de recirculation des gaz d’échappement, les turbocompresseurs, les pots catalytiques d’oxydation, etc. La réduction du poids de tous les composants influe aussi sur la consommation énergétique. L’enjeu des prochaines années est d’améliorer encore ces équipements. Les équipements que nous avons déjà développés permettent, d’ores et déjà, d’atteindre le niveau de performance des futures normes Euro VI C.
M. Denis Baupin. Ces performances sont-elles mesurées en essai ou en conditions réelles ?
M. Noureddine Guerrassi. Ce sont des mesures réelles. Nos équipements ne font pas de différences entre un cycle en laboratoire et un test sur route. L’équipement fonctionne de la même manière. Les équipements que nous développons aujourd'hui permettent d’atteindre le seuil fixé à 2,1. Par ailleurs, il faut savoir qu’il faut cinq ans pour développer un véhicule et le produire en série mais que nous disposons déjà de l’équipement qui permettra d’atteindre les seuils fixés pour 2017 avec la norme RDE. Il demeure cependant de la responsabilité des constructeurs, en fonction de leurs contraintes, de déterminer le meilleur mix énergétique et environnemental qui saura convaincre les consommateurs.
M. David Deregnaucourt, directeur général, Sphèretech. Nous sommes un observatoire indépendant du parc roulant. Depuis quinze ans, nous mesurons la combustion des moteurs dans le monde de l’après-vente. Si la pollution de l’air ne diminue pas aussi vite que les évolutions technologiques, c’est que les moteurs ne fonctionnent pas en conditions d’homologation. Des dérives d’ordre fonctionnel viennent neutraliser la technologie, par exemple pour un problème d’injecteur qui entraîne une surémission de NOx ou parce que le véhicule est encrassé ce qui entraîne une surémission de particules.
L’article 65 de la loi sur la transition énergétique promeut un contrôle technique d’un nouveau genre qui permettrait de mieux identifier les véhicules en souffrance. Aujourd'hui, le système en place revient à dépister le cancer avec un thermomètre puisque le taux de rejet des véhicules diesel est uniquement de 0,5 %. Il est certes utile de reposer sur une norme fiable et des cycles plus réalistes mais encore faut-il que ces cycles soient maintenus dans le temps et mieux contrôlés.
Mme Fabienne Keller, sénatrice. Quelles seraient vos propositions concrètes ?
M. David Deregnaucourt. L’article 65 de la loi sur la transition énergétique prévoit un bilan thermodynamique du moteur. Des moyens techniques supplémentaires doivent être fournis pour donner une réelle vision de l’état du parc français. La mesure d’opacité doit être réformée. Par ailleurs, les mesures de gaz ne mesurent que le monoxyde de carbone (CO), ce qui est insuffisant. C’est ce décalage entre la capacité du contrôle actuel et les technologies existantes qui explique aussi que des contournements se mettent en place avec la neutralisation des vannes légères ou le défapage (mise hors d’état du système anti-pollution d’un véhicule automobile). Les consommateurs se mettent à tricher car ils sont doublement pris en otage alors que nous pouvons prévenir.
M. Denis Baupin. Monsieur Ariel Cabanes, quelles améliorations envisagez-vous ?
M. Ariel Cabanes, directeur de la prospective, Conseil national des professions de l’automobile (CNPA). La pollution et la qualité de l’air dépendent aussi de l’état du parc existant. Le contrôle technique est une étape majeure pour vérifier la qualité du parc existant, et les acteurs de la filière ont un rôle essentiel à jouer en termes de maintenance voire d’éco-entretien de telle sorte que les véhicules ne se dégradent pas. Le CNPA suggère d’aller plus loin encore afin que l’état du parc soit stable ou s’améliore grâce à des actions de rétrofit. Les mesures de renouvellement du parc sont une voie possible mais il faut aussi prendre d’autres mesures pour ceux qui ne peuvent pas se permettre de faire l’acquisition d’un véhicule neuf.
Mme Fabienne Keller. Quelles sont vos propositions concrètes pour améliorer le parc ancien ? Nous savons que beaucoup de nos concitoyens roulent avec une vieille voiture diesel qu’ils n’ont pas les moyens de la remplacer, même si des primes sont mises en place par les pouvoirs publics.
M. Ariel Cabanes. La réponse passe par l’entretien du véhicule. Les contrôles techniques obligatoires devraient être plus réguliers et porter sur des aspects très précis afin de pouvoir remettre des véhicules anciens aux normes ou de s’en approcher au plus près. Il existe des propositions de la filière aval pour améliorer le contrôle technique sur le parc roulant. Enfin, il ne faut pas négliger non plus la formation à l’éco-conduite qui peut être délivrée par les auto-écoles et la filière aval. Cette formation doit pouvoir être renouvelée plus régulièrement afin que les conducteurs aient les bons réflexes.
M. Frédéric Bouvier, directeur, Airparif. Airparif accompagne les pouvoirs publics pour mettre en place des plans d’actions d’amélioration de la qualité de l’air. Le Premier ministre a annoncé, le 15 octobre 2015, que le plan de protection de l’atmosphère d’Ile-de-France allait être révisé. Sa révision s’appuiera sur les données d’Airparif en termes de qualité de l’air afin de renouer avec un air de qualité. Il dimensionnera ensuite des plans d’actions dans l’objectif de réduire les émissions sur certains secteurs.
Airparif observe aujourd'hui un écart entre la baisse des émissions théoriques et ce que nous enregistrons dans l’air. Entre 2000 et 2012, on estime la baisse des émissions de dioxyde d’azote à 44 %, alors que les baisses sont de 30 % en pollution de fond sur l’agglomération et de 20 % à proximité de l’autoroute A20. Ces écarts sont donc importants.
Les plans d’actions à préparer se fonderont sur l’inventaire des émissions, c’est-à-dire que la politique publique décidera s’il faut agir sur le trafic, sur le chauffage ou sur l’industrie, avec l’octroi d’aides publiques visant à faciliter les transitions. Cependant, si l’indicateur servant de ligne directrice au plan d’action est erroné, la politique publique de demain ne pourra être que mal ciblée. Airparif souhaite donc pouvoir améliorer la qualité de ses inventaires et avoir la possibilité de travailler plus en amont avec les émetteurs. Les industriels nous ont proposé de travailler avec eux pour suivre leurs émissions au niveau de leurs cheminées. Nous engagerons ces travaux dès 2016. Nous réaliserons également des mesures des émissions au niveau des véhicules en équipant certains véhicules afin de pouvoir mesurer les émissions réelles sur plusieurs semaines voire sur plusieurs mois. Ces mesures ne s’inscriraient pas dans un schéma d’homologation – schéma qui reste utile pour mesurer les performances relatives des modèles les uns par rapport aux autres – mais permettraient d’affiner les outils d’Airparif et de disposer de données au plus proche de la réalité.
M. Pierre Serne, deuxième vice-président de la région Île-de-France, chargé des transports et des mobilités, et vice-président du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). Je suis un élu assez en colère depuis le scandale Volkswagen et ses rebondissements quasi-hebdomadaires. Mes propos seront donc peut-être assez vifs. J’ai le sentiment d’avoir consacré énormément de temps et beaucoup d’argent public à des décisions dont je doute aujourd'hui. J’ai l’impression d’avoir été en partie floué par les constructeurs que nous avons auditionnés et auxquels nous avons acheté des véhicules.
En tant qu’élus d’une autorité organisatrice de transport comme le STIF, nous sommes les représentants des usagers et responsables des pollutions subies par les habitants de la région. Le STIF est aussi accessoirement acheteur de véhicules, puisque le STIF finance désormais l’achat du matériel roulant bus. Lors du dernier conseil du STIF, nous avons voté la commande de plus de cinq cents bus hybrides, gaz et quelques électriques. Ce marché représente quelques centaines de millions d'euros. Nous avons passé des heures à auditionner les constructeurs ainsi que d’autres acteurs de la filière pour déterminer si nous devions remplacer nos véhicules Euro II et Euro III par des véhicules au gaz, par des véhicules hybrides ou par des véhicules électriques. On nous a recommandé de faire l’acquisition de bus aux normes Euro VI diesel, les constructeurs prétendant que ces véhicules permettraient de « nettoyer » l’air, car l’air qui sortirait des bus serait plus propre que l’air qui y serait entré. Ces propos m’ont même conduit à demander ironiquement si nous n’aurions pas intérêt à faire circuler ces bus la nuit et à vide afin de pouvoir purifier l’air de la région … Plus sérieusement, les constructeurs nous ont soutenu que les performances de leurs véhicules en termes d’émissions étaient très élevées. Pour le même investissement, on nous a annoncé que nous pouvions faire l’acquisition de deux bus Euro VI diesel au lieu d’un seul bus au gaz ou d’un seul bus électrique. Des discussions très âpres ont donc eu lieu au sein du conseil du STIF. Cependant, si nos échanges et nos décisions se sont basés sur des spécifications erronées, alors tous nos arbitrages pour des centaines de millions d'euros ont été biaisés. Nous avons peut-être pris des décisions qui ne sont pas les bonnes.
À ma demande, nous avons fait voter à l’unanimité la possibilité de tester de manière aléatoire notre matériel roulant en situation réelle. Cette décision m’a valu des reproches très virulents de la part d’un certain nombre de constructeurs, notamment français, estimant que je jetais l’opprobre sur l’ensemble de la filière.
M. Denis Baupin. C’est au contraire une sage proposition qui permet de les dédouaner …
M. Pierre Serne. C’est le discours que je leur ai tenu. En effet, si les constructeurs sont si convaincus de la performance de leurs véhicules, ils n’ont rien à redouter de ces contrôles aléatoires. Après un temps d’échange, les constructeurs ont reconnu qu’ils étaient disposés à passer les tests sur les véhicules Euro VI mais qu’ils refusaient d’en faire de même pour les normes inférieures. C’est un positionnement très dérangeant car nous achetions encore des véhicules Euro V, il y a deux ans.
Je suis aujourd'hui un élu qui a besoin de réassurance. Puisque, de mon point de vue, la confiance est rompue, je plaide pour que des certifications soient accordées par des organismes strictement indépendants, sans aucun lien avec les constructeurs et plutôt du côté de la santé publique. Je souhaiterais que ces tests puissent être menés par des organismes dont on ne peut pas soupçonner la proximité avec les constructeurs et qui seraient aptes à nous redonner confiance dans la filière. Dans la situation actuelle, je ne souhaite plus que le STIF fasse l’acquisition d’un véhicule diesel, sachant que notre marché représente un parc de 9 000 bus et cars.
Mme Fabienne Keller. Merci pour ces paroles directes. Je passe la parole à M. Joël Pédessac, qui nous parlera des véhicules au gaz.
M. Joël Pédessac, directeur général, Comité français du butane et du propane. En 1995, la loi sur l’air accordait le terme de véhicule propre aux véhicules gaz au GPL ou GNV. Cette décision était en partie basée sur des études menées par Renault sur une Clio GPL présentée aux tests californiens ULEV, qui représentent un niveau proche d’Euro V. Ce véhicule Euro I en 1995 permettait, avec la technologie de l’époque, d’obtenir les performances des véhicules Euro V. Sur la base de ce constat, une étude européenne a été conduite en 2004 avec l’Ademe et plusieurs laboratoires pour vérifier si ces émissions annoncées en 1995 étaient toujours justes. Les choses ne sont jamais parfaites, mais nous avons démontré que le gaz avait toujours un atout d’avance par rapport aux carburants conventionnels. Depuis le scandale Volkswagen, nous avons décidé de faire passer les tests RDE à des véhicules au gaz.
Les résultats de cette étude m’ont été remis hier par la société V-Motech basée à Longjumeau, et qui travaille pour des équipementiers et des constructeurs. Cette étude a couvert deux véhicules de notre flotte, une Alfa Romeo Mito de 2010 (Euro V essence, transformé par nous au gaz) et une Fiat 500L GPL
(Euro VI B) fabriquée par le constructeur dans ses usines et achetée en 2015. L’Alfa Romeo avait 65 000 kilomètres au compteur contre 5 000 kilomètres pour la Fiat 500.
La société V-Motech a assuré que les tests RDE étaient représentatifs des contraintes RDE. L’étude sera complétée par la réalisation des tests WLTP dans les semaines à venir. Sur tous les polluants normés, sur route ouverte, le véhicule Euro V n’a pas dépassé les niveaux Euro VI. Pour le CO2, le GPL émet entre 16 % et 21 % de moins que l’essence. Pour les particules, le véhicule au gaz présente un net avantage par rapport au modèle essence, avec un facteur 10 à 100 suivant les roulages. Pour une norme CO fixée à 1 000 mg, la valeur du véhicule au gaz est de 63 mg. En conclusion, ces résultats confirment que le GPL a un train d’avance sur les véhicules à carburants conventionnels. Il faut savoir que 11 millions de véhicules essence du parc français pourraient être équipés au gaz pour une somme relativement modeste. En 2014, 2 000 véhicules GPL ont été vendus en France contre 200 000 en Italie. Nous pouvons supposer que nous pouvons faire mieux.
Mme Fabienne Keller. Je cède la parole à M. Gwenole Cozigou, directeur général à la Commission européenne, que nous sommes très honorés d’accueillir.
M. Gwenole Cozigou, directeur Transformation industrielle et chaînes de valeurs avancées, direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entreprenariat et des PME, Commission européenne. Je souhaite revenir sur la manière dont les parties prenantes prennent part à l’élaboration de la législation. Certains nous reprochent la lenteur de nos décisions, mais nous devons consulter les différents intervenants, et la critique serait encore plus vive si nous élaborions nos décisions en vase clos sans consultation.
Certains de nos travaux sont prospectifs et visent à déterminer l’ambition à atteindre en 2030 en tant qu’Union européenne pour ce qui concerne le secteur automobile. Des groupes de réflexion ont été montés avec les parties intéressées. L’un de ces groupes tend à identifier les axes prioritaires pour 2030. Il réfléchit également à la manière dont nous pouvons garder un avantage concurrentiel sur un secteur d’activité aussi important, représentant un enjeu en termes d’emploi et fortement exportateur. Toutes les parties prenantes participent à nos travaux : ONG, instituts de recherche, industrie, etc. Le véhicule autonome – qui n’est pas le sujet dont nous discutons aujourd'hui – sera aussi un des points importants à l’ordre du jour de nos réflexions.
Nos travaux permettent également de préparer la législation. Dans ce domaine, nous menons des consultations ex ante et organisons des consultations publiques avec les fabricants, les équipementiers, les ONG environnementales, etc. La législation adoptée par le Conseil et le Parlement européens répond à un arbitrage entre les différents objectifs politiques. Nos décisions permettent de définir des objectifs à atteindre mais n’identifient pas les technologies à privilégier. Nos décisions sont neutres sur le plan technologique. C’est à l’industrie d’arrêter les technologies qui permettront d’atteindre les objectifs sanitaires, de sécurité et environnementaux que nous déterminons.
Les normes que nous développons, notamment dans le secteur automobile, sont de plus en plus des normes mondiales. Cette pratique a le mérite d’harmoniser nos pratiques, au moins pour ce qui concerne les tests. Cette décision présente aussi un autre avantage car, si d’autres États optent pour les mêmes normes que nous, l’industrie sera en situation plus favorable pour exporter ses produits.
M. Denis Baupin. Comment expliquez-vous l’écart de normes entre les États-Unis et l’Europe ?
M. Gwenole Cozigou. Les Américains sont présents dans les instances de normalisation internationales mais n’appliquent pas ces normes. À l’origine du scandale, il semblerait que ce soit une ONG environnementale qui ait diligenté l’étude en vue de démontrer que les véhicules européens étaient plus performants que les véhicules américains. C’est l’ironie de l’histoire mais ce n’est pas l’administration américaine qui aurait découvert la tricherie.
M. Denis Baupin. Ce sont néanmoins des normes américaines plus restrictives qui ont conduit à faire éclater le scandale.
M. Gwenole Cozigou. Les normes américaines, en ce qui concerne les NOx, sont, en effet, plus restrictives. Ceci étant, leurs normes pour le CO2 le sont moins.
L’outil WLTP est actuellement en cours d’élaboration pour les émissions de CO2. C’est un outil défini à Genève dans le cadre des Nations-Unies et qui sera repris par les différentes entités géographiques.
Nous travaillons sur trois axes depuis la crise Volkswagen. Premièrement, nous devons disposer d’une information fiable. Plusieurs États membres, dont la France, ont pris la décision de réaliser des tests. Nous essayons, pour notre part, de coordonner l’effort. Nous souhaitons faciliter l’échange d’informations entre les autorités nationales des différents États-membres qui conduisent ces tests de manière à ce que nous puissions garantir une certaine cohérence des résultats. Ce sont nos collègues du centre commun de recherche qui suivent cet aspect. Deuxièmement, nous devons nous interroger sur les écarts constatés. Des tests ont été réalisés sur les véhicules Euro V dès 2010, puis à la lueur des écarts observés, nous avons constitué un groupe de travail pour développer une procédure de tests qui se rapprochent des conditions usuelles d’utilisation. Depuis 2007, la législation stipule que les normes valent pour des conditions normales d’utilisation mais nous ne disposions pas jusqu’alors d’outil pour suivre cet indicateur.
M. Denis Baupin. Comment expliquez-vous que la procédure ait été aussi longue alors que tous les États-membres ainsi que tous les constructeurs exprimaient la même volonté d’aboutir ?
M. Gwenole Cozigou. Nous avions besoin de mettre en place un test fiable et reproductible. Cependant, réaliser un test en conditions réelles pose plusieurs difficultés, car la route qui servira de test ne sera pas forcément la même dans tous les États-membres, car les conditions d’accélération et de décélération ne seront pas les mêmes, etc. Au départ, le choix était posé entre deux tests potentiels et nous avons dû retenir celui que nos experts nous recommandaient. Ce test a été adopté en mai 2015. Ce qui a été adopté en octobre 2015, ce sont uniquement les valeurs du test.
Nous avons repris nos travaux pour tirer les enseignements de la crise Volkswagen et proposer une réforme du système d’homologation des véhicules. Pour trancher cette question, il faudra travailler sur le lien entre les autorités nationales et les organismes chargés d’effectuer les tests, sur l’étanchéité entre l’entité qui réalise le test et la société qui paie le test, sur la vérification ou non des tests ex ante par des tests ex post, sur l’association de plusieurs États-membres à l’homologation des centres de tests, etc. Ce dernier dispositif est une possibilité ouverte depuis la crise des implants PIP (de l’entreprise Poly Implant Prothèse) en vue d’éviter les liens trop étroits entre une administration nationale et l’organisme en charge de réaliser les tests. Certains évoquent aussi la possibilité de mettre en place une agence européenne. Dans tous les cas, il est suggéré un rôle accru de la Commission et de l’Union.
Mme Fabienne Keller. Le dispositif de comitologie permet aux industriels de participer à l’élaboration des normes. Pouvez-vous revenir sur ce dispositif ? Comment collaborez-vous avec la direction générale de l’environnement qui a pour mission de s’assurer que les principaux émetteurs contribuent à la réalisation de ces objectifs ?
M. Gwenole Cozigou. La comitologie est issue du règlement 2007 et permet de déléguer à la Commission le pouvoir de décider. Dans ce cadre, la Commission ne décide pas seule mais est assistée d’un comité qui doit émettre un avis favorable. Ce comité est uniquement composé de représentants des vingt-huit États membres.
M. Denis Baupin. Nous avons entendu dire que des représentants des industriels participaient à ce comité.
M. Gwenole Cozigou. J’ai été président de ce comité et je peux vous garantir que seuls les États-membres y participent. Aucun industriel, aucune ONG environnementale n’y participe.
Mme Fabienne Keller. Quel ministère y est présent pour la France ?
M. Gwenole Cozigou. Je crois que c’est le ministère de l’environnement qui y est représenté.
Les propositions soumises à la Commission font l’objet d’un accord entre les services compétents de la Commission. Un accord interservices ou entre les cabinets, suivant l’importance des dossiers, est nécessaire.
Le comité technique des véhicules à moteur est présidé par la Commission et composé de représentants des vingt-huit États membres. La proposition est élaborée par la Commission qui s’appuie sur les avis des États membres, sur les conseils techniques des experts du centre commun de recherche et d’experts indépendants, sur les informations fournies par les ONG environnementales ou par les constructeurs.
Mme Fabienne Keller. Existe-t-il des lieux formalisés de rencontre et d’échanges ?
M. Gwenole Cozigou. Les propositions qui font l’objet de la procédure de codécision donnent lieu à consultation publique. Nous avons cependant rencontré les parties prenantes qui ont souhaité nous donner leur avis. Nous avons aussi contacté d’autres personnes pour obtenir des informations techniques.
M. Denis Baupin. Pour crédibiliser les mesures et le contrôle, ne pensez-vous pas qu’il faudrait instituer un organisme de contrôle européen ?
M. Gwenole Cozigou. C’est l’une des pistes que nous examinerons mais il ne faut pas partir du principe qu’il faut forcément centraliser pour harmoniser. Dans la pratique, des regards croisés peuvent suffire dans certains cas. Cette piste n’est pas exclue mais ce n’est pas forcément la seule solution envisageable.
M. François Cuenot, chargé de mission, ONG Transports et Environnement. Je participe au niveau européen au groupe de travail qui œuvre à l’élaboration de la prise de position de la Commission européenne au sein du groupe RDE. Je peux témoigner que le poids du lobby industriel y est très important. La proposition de la Commission sur les facteurs de conformité fixés à 2,1 % et 1,5 % était initialement de 1,6 % et de 1,2 %. Les constructeurs français étaient peu représentés dans les groupes de travail, mais les constructeurs allemands y étaient fortement présents. La Commission a cédé sous le poids des États membres. La France a voté en faveur de ces facteurs de conformité assez élevés. Le Parlement européen a le pouvoir de rejeter ce vote et nous demandons qu’il prenne cette position. Il s’est d’ailleurs senti floué.
M. Gwenole Cozigou. La norme actuelle fixe un seuil de 80 mg/km, mais les tests démontrent que les émissions sont quatre fois supérieures à cette norme. Avec le test RDE, nous ne proposons pas une augmentation des émissions en vie réelle, mais nous proposons une division par deux, quel que soit l’avis que nous puissions avoir sur les marges de tolérance. Par ailleurs, je ne préjuge pas d la décision du Parlement. Le Parlement ne s’est pas encore exprimé.
M. François Cuenot. Il a pris une résolution.
M. Gwenole Cozigou. Il s’est tenu une réunion de la commission de l’environnement à laquelle j’ai assisté mardi dernier. La commission Environnement prendra position, puis se tiendra la réunion plénière.
Mme Fabienne Keller. Merci pour ces regards croisés. Madame Frison-Roche, je vous laisse la parole.
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). Ce sont des débats très importants car la comitologie est ce qui permet à l’Europe d’avancer. Cette procédure a été mise en place pour la finance. C’est grâce à ce processus que nous avons mis en place des plans d’actions pour construire le marché financier européen. C’est grâce à ce dispositif que nous avons l’union bancaire. Sans cela, l’Europe serait en faillite. Le processus a peut-être des défauts mais c’est grâce à ce dispositif que nous existons encore. Nous devons donc remercier l’Europe, même si d’aucuns lui reprochent sa technocratie.
Dans un secteur que je connais bien, je peux témoigner que les banques sont extrêmement présentes dans les systèmes de comitologie. Ce système fonctionne et permet d’aboutir rapidement pour proposer des solutions techniques.
Par ailleurs, il faut reconnaître que nous sommes toujours le « méchant » de quelqu’un. Sans doute les constructeurs ou les équipementiers sont le « méchant » d’autres parties prenantes concernées. Pour les théoriciens de la régulation et de la conformité comme Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, le grand « méchant » est l’homme politique puisque celui-ci est biaisé et tiraillé, souhaite faire plaisir à ses électeurs et veut tellement être réélu.
On dit certes beaucoup de mal des entreprises ici, mais celles-ci veulent tellement ne pas faire faillite. Elles aimeraient encore vendre un peu de voitures. Tous les intervenants ont des intérêts. Aussi, les organismes en charge d’élaborer les normes ne doivent pas rechercher celui qui n’a pas d’intérêts à défendre – car personne n’est sans intérêt – ou celui qui est impartial. Aujourd'hui, tous les grands cabinets d’avocats américains étudient de près le dossier Volkswagen car ils entendent récupérer des millions d’honoraires grâce à ce pactole. L’objet n’est pas de rechercher celui qui est impartial ou au-dessus du lot mais de trouver l’intérêt commun entre l’industrie, la population et le politique. C’est une fois identifié cet intérêt commun qu’il est possible d’édicter les normes adéquates. Sachant cela, il faut arrêter de s’étonner que les normes européennes et que les normes américaines ne sont pas les mêmes. On ne recherche pas forcément la convergence mais on cherche à ce que les normes conçues en Europe deviennent universelles. C’est une pratique que maîtrisent parfaitement les États-Unis qui élaborent des normes et font en sorte qu’elles s’appliquent dans le monde entier sauf dans leur pays.
M. Christophe Lerouge, chef du service de l’industrie, direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. Le ministère de l’industrie travaille sans difficulté avec l’industrie pour que soient prises en compte les questions de compétitivité, d’emploi et d’activité économique. Nous travaillons aussi avec les constructeurs sur les questions de normes pour qu’elles tiennent compte aussi des intérêts économiques des entreprises françaises.
Nous travaillons avec l’ensemble de la filière, c’est-à-dire avec les constructeurs, les équipementiers et les acteurs de l’aval. Nous devons tous les associer étroitement car toutes les parties du véhicule sont concernées. Nous avons mis en place des instances de dialogue, qui existent pour la filière automobile mais aussi pour d’autres secteurs d’activité. Ces instances sont les Comités stratégiques de filière (CSF). Le CSF structuré autour de la plate-forme automobile (PFA)
– Filière automobile et mobilités – organise le lien entre les constructeurs, les équipementiers, les organisations syndicales et l’administration. Ce comité stratégique de filière a établi un contrat stratégique, signé par les parties prenantes, qui fixe des objectifs technologiques et d’organisation et peut déboucher sur des positions techniques de la filière.
Nous sommes convaincus que l’efficacité énergétique passe par l’innovation et par des transformations industrielles. Le plan Nouvelle France Industrielle organisé autour de neuf solutions aborde cette thématique. Une de ces solutions concerne la mobilité écologique et inclut des réflexions sur le futur véhicule consommant 2 litres aux 100 km, le développement des bornes électriques de recharge, le stockage de l’énergie et le véhicule autonome.
Mme Fabienne Keller. Comment travaillez-vous avec le ministère de l’écologie ? Comment est associé aussi le ministère de la santé ?
M. Christophe Lerouge. C’est le Premier ministre qui prend les décisions. Les arbitrages sont rendus lors des réunions interministérielles. Chaque ministère porte son point de vue, mais l’arbitrage est ensuite politique.
M. Denis Baupin. Sur ce sujet, quelle était la position défendue par le ministre de l’industrie ?
M. Christophe Lerouge. Nous avons considéré que la proposition de la Commission européenne représentait une avancée.
M. Denis Baupin. Rappelons que la position de la Commission européenne était plus ambitieuse que la position issue du comité.
M. Gwenole Cozigou. La Commission est arrivée avec une proposition mais mon mandat était de prendre en compte les avis des États membres. Les débats ont porté sur la définition des marges de conformité. C’est cependant sur la base d’une proposition de la Commission que les États membres ont voté en comité.
M. Denis Baupin. Je l’entends mais je répète que la proposition initiale de la Commission était plus ambitieuse. Je souhaite donc savoir si le ministère de l’industrie était favorable à la proposition initiale de la Commission.
M. Christophe Lerouge. Nous étions favorables à la position obtenue en atterrissage.
M. Denis Baupin. Ce n’est pas exactement la même chose …
Mme Fabienne Keller. Parlons franc : étiez-vous favorable aux seuils plus bas proposés initialement par la Commission ?
M. Christophe Lerouge. Je ne peux pas répondre aussi abruptement que cela aujourd'hui.
M. Denis Baupin. À quelle date un véhicule consommant deux litres aux 100 km pourra-t-il être généralisé ?
M. Christophe Lerouge. L’objectif de la Nouvelle France Industrielle est de proposer un véhicule à prix raisonnable. Au moment du lancement des plans, nous considérions que cet objectif pourrait être atteint à l’horizon des cinq ou six ans à venir.
Mme Fabienne Keller. Notre rapport insiste sur la nécessité de poursuivre la recherche et les investissements d’avenir pour soutenir les industriels qui développent de nouvelles technologies permettant de réduire les consommations.
Mme Danièle Attias, École centrale de Paris, titulaire de la chaire Armand Peugeot. Je crois que les crises sont toujours bénéfiques car elles obligent à poser les bonnes questions. En l’occurrence, l’affaire Volkswagen nous a mis face à des questions réelles : quel type de normes ? Pour qui ? De quelle manière ? Comment les constructeurs peuvent-ils la vivre ? Les constructeurs sont souvent confrontés à des contraintes ou transforment ces contraintes en opportunités. Les normes ont permis de faire émerger des nouveautés technologiques mais les contraintes, lorsqu’elles sont trop subies, peuvent aussi être déviées ou contournées.
L’affaire Volkswagen a finalement affecté toute la filière. Le jour même de l’annonce de l’affaire Volkswagen, les marchés financiers ont plongé de 20 % et les valeurs boursières de la filière ont baissé de 6 % voire de 9 % suivant les constructeurs. Nous avons un devoir d’information pour renouer avec les clients-citoyens qui sont, aujourd'hui, défiants face à l’information qui leur est donnée. Les constructeurs se trouvent aussi à un tournant de nouveaux choix stratégiques. L’industrie est en pleine réinvention. Nous vivons une véritable révolution de l’automobile. Dans très peu de temps, se côtoieront dans notre univers urbain des moteurs électriques, hybrides, thermiques, des voitures autonomes. Alors la modification des normes se fera de manière radicale. En effet, si les véhicules sont plus silencieux, moins polluants, c’est que le véhicule servira à autre chose qu’aux déplacements. La voiture sera devenue différente d’un simple objet de déplacement. Ce sera un objet en permanence connecté au monde. Les normes que nous discutons aujourd'hui sont de court terme mais les nouveaux espaces de mobilité viendront les bouleverser.
M. Joseph Beretta, président d’AVERE France. Madame Frison-Roche vantait tout à l’heure l’intérêt commun et ce terrain commun passe par la mobilité électrique. Elle a déjà imposé vis-à-vis des utilisateurs une certaine transparence car tous les constructeurs évoquent l’autonomie réelle de leurs véhicules. Par ailleurs, les véhicules électriques n’émettent pas de pollution. Enfin, les véhicules électriques, comme les véhicules hybrides, émettent moins de particules de freinage puisque c’est le frein électrique qui est activé et non le frein mécanique. En outre, ce système permet de récupérer de l’énergie pour recharger la batterie. Ces véhicules émettent en moyenne 80 % de particules de freinage en moins que les véhicules conventionnels.
Mme Fabienne Keller. En dernier ressort, le freinage est bien toujours mécanique ?
M. Joseph Beretta. Oui, mais ce freinage mécanique ne représente que 20 % et n’arrête la voiture que sur les derniers mètres. Il y a alors peu d’énergie à dissiper, et donc peu de particules émises. Ce mode de propulsion détient donc un avantage avéré. Tous les constructeurs ont aujourd'hui dans leur gamme un véhicule électrique. Par ailleurs, alors que M. Jean-Yves Le Déaut s’interrogeait tout à l’heure sur le mix à privilégier entre l’essence et le diesel, je pense qu’il faut élargir la question pour déterminer le mix à promouvoir entre l’essence, le diesel et les autres énergies, y compris l’électricité.
M. Yves Riou, délégué général de la Fédération des syndicats de la distribution automobile (FEDA). J’interviens en aval de la filière, sur l’entretien et la réparation automobile. Depuis le Grenelle de l’environnement, nous sommes convaincus que nous pouvons apporter de réelles améliorations, à très peu de frais, sur l’entretien du parc roulant. C’est tout l’objet du rapport sur l’éco-entretien que l’OPECST mentionne également dans son dernier rapport de 2014. Laurent Michel a indiqué tout à l’heure que l’OTC décèle des informations sur l’état des véhicules mais rien sur l’état des moteurs. C’est un constat, mais nous avons pris le pari inverse. Nous avons donc mis au point, avec la société Certech et d’autres opérateurs, un processus permettant de mesurer la pollution des véhicules. Grâce au soutien de quatre ministres d’étiquettes politiques différentes et du soutien de nombreux parlementaires, l’article 65 de la loi sur la transition énergétique entérine cette proposition. Nous pourrons exposer au cours de la troisième table ronde comment nous pouvons mettre facilement en œuvre cette mesure, avec des résultats très concrets. Cependant, cette mesure est incluse dans le plan d’action de la qualité de l’air qui n’est pas encore mis en œuvre. Lorsqu’il sera en vigueur, nous pourrons réduire la pollution d’environ 15 %.
Mme Fabienne Keller. Quels sont les blocages ?
M. Yves Riou. Les mentalités doivent évoluer, mais nous sommes en train de progresser. Nous sommes dans la phase d’écriture du décret. Il y a forcément des antagonismes – car il y a des intérêts qui doivent se rejoindre – mais nous avons presque un accord global de toute la filière sur ce process.
M. Gilles Durand, secrétaire général de l’Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV).
Les normes sont de plus en plus sévères, et nous pouvons nous en féliciter, mais il est difficile pour des véhicules conventionnels de respecter ces normes. Le gaz naturel, et plus encore le biogaz issu de la fermentation des déchets, permet d’atteindre des résultats bien meilleurs. Nous représentons plusieurs constructeurs (Fiat et cinq constructeurs de poids-lourds) mais aucun constructeur français. Avec l’Ademe, Iveco et le groupe Casino, nous avons réalisé des tests sur deux types de camion : un camion Euro VI gaz et un camion Euro VI diesel. Ces tests ont été menés dans des conditions réalistes, sur des parcours réels. Il en ressort des émissions de CO2 en recul de 10 % avec du gaz fossile, de 85 % avec du gaz bio et un recul de 50 % des émissions de dioxyde d’azote. Dès lundi prochain, nous mettrons en ligne une plate-forme d’information sur le site Internet Transition BioGLV.
TROISIÈME TABLE RONDE :
COMMENT POURRAIT-ON ASSURER UNE SURVEILLANCE INDÉPENDANTE DE L’APPLICATION DES NORMES
ET DES PROTOCOLES DE MESURE ?
● Comment a-t-on vérifié jusqu’à présent, le respect des normes ? Quels sont les instruments techniques disponibles ? Quels instruments faudrait-il utiliser pour tenir compte des conditions réelles d’usage des véhicules ? À la suite des incidents récents, les mesures prises sont-elles encore satisfaisantes ?
● Comment mieux assurer l’indépendance des contrôles ? Comment équiper les centres de contrôle technique pour garantir le maintien de performance des véhicules dans le temps ? Comment s’assurer que les mesures soient effectuées de manière pluraliste voire contradictoire ?
● Comment prévenir les fraudes ? Comment y répondre ? Comment peut-on détecter l’utilisation de logiciels trompeurs ? Quelles structures indépendantes faudrait-il mettre en place ?
● Comment garantir l’indépendance des laboratoires de mesures et d’homologation par rapport aux constructeurs ?
● Des études de sciences sociales ont-elles été conduites sur la crédibilité du respect des normes et leur acceptabilité ?
Mme Fabienne Keller, sénatrice. Je propose à Isabella Annesi-Maesano d’introduire le sujet.
Mme Isabella Annesi-Maesano, directeur de recherche INSERM, directeur équipe EPAR (épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires). Mon propos sera très général. Revenant sur une intervention précédente, j’estime qu’il faut distinguer l’intérêt commun à court terme et l’intérêt commun à long terme. Par ailleurs, plusieurs paramètres doivent être pris en considération avant de prendre une décision, y compris l’intérêt économique. Cependant, des robots viennent de plus en plus prendre l’emploi des ouvriers autrefois affectés aux chaînes de production. Aussi il me semble impératif de mener une réflexion sur le long terme afin que l’équation soit complète.
Concernant le dérèglement climatique, une étude récente invite plutôt à se concentrer sur les polluants à vie courte plutôt que sur les polluants à vie longue issus de l’effet de serre.
Mme Fabienne Keller. Je propose maintenant à M. Thomas Bourdrel, en charge du réseau Respire de Strasbourg, de nous présenter une synthèse de ses travaux.
M. Thomas Bourdrel, médecin radiologue, président du collectif Strasbourg Respire. Le collectif Strasbourg Respire a lancé une pétition signée par cent-vingt médecins en vue d’appeler à la mise en place d’une réglementation plus protectrice de la santé.
À Strasbourg, les niveaux de pollution sont similaires à ceux de Paris. Deux tiers voire trois quart des pathologies liées à la pollution sont cardiovasculaires contre un quart de pathologies respiratoires, dont des cancers du poumon. C’est un point à rappeler car l’on parle plus souvent de l’asthme et des allergies alors que l’essentiel des pathologies liées à la pollution sont cardiovasculaires. Les moteurs diesel sont classés cancérigènes certains, comme le tabac et l’amiante, pour le cancer du poumon. Il n’existe pas de normes seuils. Les effets cardiovasculaires sont nombreux : infarctus, insuffisance cardiaque, arythmie, accident vasculaire cérébral. Pour chaque palier de 10 microgrammes par m3, la mortalité cardiovasculaire pourrait augmenter de 11 % à 76 % suivant les études. Les femmes sont particulièrement sensibles. Pour chaque augmentation de 10 microgrammes par m3, l’augmentation du risque d’infarctus est multipliée par deux pour les femmes qui habitent près d’une zone polluée. Au-delà des effets à long terme, il faut citer également les effets à court terme. Le risque d’infarctus est multiplié par trois lorsque l’on est exposé au trafic routier dans les heures précédentes. Il est aussi démontré que les femmes qui habitent à moins de cinquante mètres d’un important axe routier ont un risque accru de 38 % de mort subite d’origine cardiaque que si elles habitent à plus de cinq cents mètres.
La pollution de l’air et le trafic routier sont les facteurs de risque les plus importants pour déclencher un infarctus en prenant en compte la part de risque et la part de la population exposée.
Les atteintes respiratoires sont plus documentées avec une étude annonçant que 15 % à 30 % des nouveaux cas d’asthme pourraient être liés au trafic routier. De nombreuses études démontrent que le dioxyde d’azote et les particules en suspension (PM10) augmentent la mortalité respiratoire, avec des risques doublés voire triplés pour chaque augmentation des pollutions de 10 microgrammes par m3. Les composés organiques volatils dont les benzopyrènes et les benzènes peuvent entraîner des cancers du sang chez l’enfant directement corrélés à la distance de l’habitation par rapport à un trafic routier dense.
Les particules fines ont aussi des effets neurologiques. Il a été noté une augmentation des maladies neurodégénératives dans ces zones (Alzheimer, Parkinson) et observé une baisse de l’apprentissage et des fonctions cognitives de l’enfant. Il commence aussi à être démontré des associations avec la sclérose en plaques. Enfin, les études commencent à démontrer des effets in utero, avec une corrélation entre le trafic routier et le poids de naissance, ou des formes d’asthme infantile ou d’insulino-résistance.
D’après une publication de Nature, c’est d’abord l’agriculture qui ressort comme l’activité la plus polluante en Europe. Cependant, si nous tenons compte des particules fines avec des fractions carbonées, qui ont un impact toxique cinq fois supérieur, c’est alors le trafic routier qui devient l’émetteur le plus important et le plus grand pourvoyeur de mortalité.
Mme Fabienne Keller. Monsieur David Vayssié, allez-vous nous proposer des solutions concrètes pour réparer les vieux véhicules au diesel ?
M. David Vayssié, président du groupe des industries d’équipements de garage (GIEG), directeur branche Aftermarket d’Actia Automotive. Mon propos portera sur le contrôle et non sur la réparation. Les procédures de contrôle de pollution dans les centres de contrôle technique répondent aux exigences européennes. La dernière directive européenne est la directive 2014/45/UE (en cours de transposition). Les matériels de contrôle de pollution sont suivis et régis par des dispositions de la métrologie des gaz. En France, la procédure sur les véhicules à essence est déjà conforme à la nouvelle directive européenne en ce qui concerne le contrôle des CO et du coefficient lambda. Pour les véhicules diesel, nous utilisons la norme NFR10-025, norme déjà ancienne et en cours de modification. Sa révision permettra d’être plus sévère en matière de contrôle des émissions avec une augmentation du nombre de contre-visites. La sévérité sera multipliée par cinq grâce à un abaissement des seuils. Nous pourrons aussi vérifier si un véhicule a été « défapé », c’est-à-dire si le filtre à particules a été enlevé. Pour les doubles motorisations seront également utilisés des lecteurs OBD, qui vérifient la présence éventuelle de codes d’erreur dans les logiciels embarqués gérant les niveaux d’émissions des véhicules.
M. Denis Baupin, député. Pouvez-vous préciser l’objet des lecteurs OBD ?
M. David Vayssié. Ce lecteur permet d’entrer en relation avec les calculateurs du véhicule qui contrôlent les niveaux d’émissions de celui-ci. Nous pouvons ainsi vérifier si des codes d’erreurs sont enregistrés par le véhicule.
Mme Fabienne Keller. À quoi correspond le code d’erreur ?
M. David Vayssié. Les calculateurs vérifient en permanence le mélange utilisé dans le moteur au niveau de sa consommation d’oxygène. En cas de mauvaise consommation, le véhicule doit auto-détecter le problème. Le calculateur va alors l’enregistrer en code d’erreur.
M. Denis Baupin. Ce système permet-il de vérifier l’existence d’un système de trucage ?
M. David Vayssié. Non. Ces nouveaux outils permettront de nous fournir une information utile, mais nous souhaitons conserver la mesure physique de la pollution à l’échappement. La directive européenne 2014/45/UE considérait que le contrôle OBD était suffisant mais nous pensons que le contrôle OBD doit être associé à un contrôle au niveau du pot d’échappement.
La directive européenne demande aussi aux États-membres de vérifier les émissions de dioxyde d’azote et de particules. Nous soutenons cette démarche ainsi que celle des parlementaires français qui demandent un durcissement du contrôle technique dans l’article 65 de la loi sur la transition énergétique.
Pour répondre à ces objectifs ambitieux à la fois au niveau européen et au niveau français, le Groupe des industries d’équipement de garage (GIEG) a fait des propositions techniques à la DGEC, qui permettront de rendre plus sévère le contrôle technique s’agissant de la vérification des émissions de polluants.
David Deregnaucourt a cité la mesure de la capacité thermodynamique des moteurs, sujet que nous soutenons. Mais nous souhaitons aussi que le bon fonctionnement de la vanne EGR soit vérifié. Concernant les NO2, nous soutenons aussi la réalisation de mesures en charge permettant au contrôle technique de vérifier le véhicule dans des conditions plus proches de son utilisation sur route. Ces solutions techniques existent déjà. Notamment, les bancs de charge sont déjà utilisés aux États-Unis, en Corée, en Amérique du Sud et en Chine. Cependant, pour mettre en place ces mesures, il faudra d’abord définir ensemble, avec l’ensemble de la filière, les seuils à retenir dans le cadre du contrôle technique. Il conviendra aussi de vérifier que les contrôles sont effectués dans de bonnes conditions. Nous demandons un soutien fort des pouvoirs publics, comme ils l’ont fait dans le cadre de l’article 65 de la loi sur la transition énergétique, pour que nous puissions améliorer les contrôles des émissions de polluants dans le cadre du contrôle technique.
Mme Fabienne Keller. Je propose de donner la parole à Mme Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader, directrice de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie.
Mme Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader, directrice, Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST). Je ne parlerai pas de la technique mais de la norme et du débat public. Rappelons tout d’abord que notre capacité à construire le progrès collectivement repose sur notre capacité à confronter nos représentations et à construire des normes ensemble. J’ai organisé une rencontre sur le thème de la lutte contre la pollution atmosphérique par les particules fines de diesel en 2013 avec l’Ademe, France Nature Environnement et le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) notamment. Cette réunion avait démontré que nous nous heurtions à des cloisonnements, que d’autres pays ne vivent pas de la même manière.
Nous peinons à appréhender le moment auquel il faut organiser le débat. Aujourd'hui, nous vivons une crise mais nous devons intégrer cette capacité de débat dans la durée. C’est aussi parce que nous nous sommes préparés qu’il est possible de réagir lorsque la crise se déclenche. Il existe différents niveaux d’organisation auxquels peut se développer ce débat.
Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques Climat-Transports, Réseau Action Climat-France. Il faut rappeler que certains véhicules respectent les normes et ont des émissions de NOx inférieurs à la norme Euro VI. Les valeurs d’homologation de certains véhicules en matière d’émissions de CO2 se rapprochent des valeurs réelles de consommation de carburant. La difficulté est que ces véhicules sont extrêmement minoritaires. Pour les NOx, c’est un véhicule sur dix. La consommation de carburant est en moyenne supérieure de 40 % aux valeurs d’homologation. Cependant, nous avons la preuve que ces valeurs sont atteignables et nous souhaiterions que les décideurs politiques résistent aux discours des lobbys automobiles. Au début des années 1990, nous entendions les mêmes discours alarmants de la part des constructeurs pour éliminer le plomb des carburants et réduire la teneur en benzène, prétendant que le coût des carburants plus propres serait immense. Pourtant, ils ont réussi cette prouesse.
Notre crainte est que nous ne tirions pas les enseignements de l’affaire Volkswagen et que cette crise finisse par jeter l’opprobre sur les normes européennes et sur les réglementations environnementales. Ce n’est pas dans cette direction qu’il faut aller car nous savons déjà que ces normes ne sont pas suffisantes.
Par ailleurs, le cycle WLTC, qui est censé entrer en vigueur en 2017, n’est toujours pas acquis. Il pourrait hériter de flexibilités du test actuel, le New European Driving Cycle (NEDC) – nouveau cycle européen de conduite –, par exemple, la marge de 4 % accordée aux constructeurs automobiles qui peut être accordée sans raisons apparentes. Nous souhaitons que ces flexibilités disparaissent.
Il faudrait aussi que la Commission européenne avance sur un système de surveillance et de contrôle a posteriori. Il faut pouvoir vérifier le travail des agences d’homologation françaises.
M. Bernard Bourrier, président des réseaux de contrôles techniques agréés Autovision et Autovision PL. Les normes permettent de comparer les produits d’une même gamme de telle sorte à éclairer le choix et la sélection du point de vue du consommateur. Il est aussi de la responsabilité des pouvoirs publics de les établir de manière à garantir une sécurité publique. Le contrôle technique a été pendant des années sous la tutelle de la Direction de la sécurité et de la circulation routières (DSCR) qui était en charge de la sécurité routière. Depuis, il est sous la tutelle de la DGEC.
Une fois que le véhicule a été conçu avec une autorisation de mise sur le marché, nous savons que sa vie sera totalement différente suivant le conducteur qui l’utilisera. On entre alors dans une seconde étape de la vie du véhicule qui est celle de la filière aval en charge de la maintenance et de l’entretien.
Si nous avons des normes d’homologation, nous n’avons pas de normes de vieillissement. Il faut promouvoir l’entretien du véhicule. Le rôle du contrôle technique, qui est un outil à disposition des pouvoirs publics – et non un outil commercial – doit être promu. Le contrôle technique est un outil régalien mais aussi un outil de tierce partie. C’est cette tierce partie qui permet de garantir l’objectivité du résultat. Il existe un contrôle technique amont de maintenance et d’entretien et un contrôle technique aval de mise en conformité si le véhicule ne passe pas avec succès le contrôle. L’article 65 de la loi sur la transition énergétique doit permettre de renforcer le contrôle technique.
Un travail pédagogique doit aussi être mené en direction de l’automobiliste pour qu’il comprenne qu’il doit entretenir son véhicule. Le contrôle technique doit, certes, être durci, mais il faut veiller à ce que les 6 000 centres de contrôle technique, qui sont des très petites entreprises (TPE) puissent continuer à proposer des contrôles techniques de proximité à faible coût. Il faudra donc veiller au niveau d’investissement requis pour que nous puissions conserver ce maillage de proximité de faible coût.
Mme Fabienne Keller. Avez-vous une idée du parc de véhicules diesel qui est entretenu par leurs propriétaires eux-mêmes ? Si le contrôle technique est plus précis, son coût sera renchéri. Or nous savons que les possesseurs d’un véhicule diesel ancien sont des personnes aux revenus faibles qui peuvent auto-entretenir leur véhicule.
M. Bernard Bourrier. Les procédures de contrôle sont différentes pour les véhicules légers, de moins de 3,5 tonnes, et pour les véhicules lourds. Les centres qui s’en chargent ne sont pas non plus équipés de la même façon. De plus, les périodicités de contrôle ne sont pas identiques. Le véhicule lourd peut être considéré comme potentiellement plus pollueur mais sa technologie est plus sophistiquée que celle du véhicule léger. Le véhicule lourd est préparé à 80 % ou 90 % avant le contrôle technique. Ce taux tombe à 20-25 % pour les véhicules légers. Le taux de refus au contrôle technique est de l’ordre de 23-25 %. Cependant, entre le contrôle de la quatrième année et celui de la dixième année, on multiplie par trois voire quatre le taux de refus des véhicules. Cela démontre que le vieillissement d’un véhicule nécessite un plus grand entretien pour permettre un maintien en état.
M. Pierre Serne, deuxième vice-président de la région Île-de-France, chargé des transports et des mobilités, vice-président du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). Je comprends que la norme est le résultat d’un compromis mais l’intérêt général n’est pas juste le point d’équilibre entre des intérêts particuliers. Sur un sujet pour lequel les préoccupations de santé publique sont, à ce point, primordiales, nous ne pouvons pas juste annoncer que la norme est un point d’équilibre entre les attentes des constructeurs, l’emploi et la volonté politique. Nous avons l’obligation d’aller plus loin. Les responsables politiques peuvent aussi faire le choix de porter quelque-chose de plus fort que la norme. Nous devons pour cela pouvoir nous appuyer sur des organismes de certification ou d’expertise qui soient aptes à annoncer plus que le fait que le véhicule soit ou non conforme à la norme.
Cependant, nous ne pouvons pas nous reposer aujourd'hui sur des organismes dont la neutralité est avérée. Nous devons prendre nos décisions sur les spécifications avancées par les constructeurs voire sur les critiques émises par certains constructeurs sur d’autres constructeurs faute d’avoir des organismes en lesquels nous pourrions avoir confiance. Dans le domaine ferroviaire, le même problème se pose, raison pour laquelle nous demandons toujours l’avis d’expert de l’École polytechnique de Lausanne, preuve que nous n’avons pas forcément 100 % confiance dans ce que pourraient nous dire certains bureaux d’études liés au ferroviaire français. Nous pourrions aussi citer un autre exemple, celui du secteur alimentaire, qui est allé plus loin que les normes avec des enseignes de grande distribution qui ont arrêté de commercialiser des produits contenant des organismes génétiquement modifiés (OGM) sous pression des consommateurs et des associations, et non parce que la législation l’interdisait. Il en est de même aujourd'hui dans l’automobile : la défiance est tellement grande vis-à-vis des véhicules diesel que nous ne prendrons pas la décision d’en acheter, et cela quelles que soient les normes. De plus, nous avons le sentiment que les normes, même durcies, ne tiennent pas compte des enjeux de santé publique. D’autres grandes métropoles semblent prendre la même décision que l’Île-de-France et ne feront pas l’acquisition de véhicules diesel aux normes Euro VI même si elles sont autorisées à le faire.
M. Raymond Lang, membre du Directoire transports mobilités durables, France Nature Environnement (FNE). Je ne suis pas certain que la norme américaine à partir de laquelle a éclaté l’affaire Volkswagen avait pour objet d’améliorer la qualité de l’air. Une norme fixant un seuil de 30 microgrammes par kilomètre me semble très sévère. L’objectif poursuivi était davantage de freiner la progression de Volkswagen sur le marché américain plus que d’améliorer la santé publique.
Le véhicule électrique est certes le véhicule parfait car il ne fait pas de bruit et n’émet pas de pollution. Cependant, il faut se demander d’où vient l’énergie électrique. Si elle vient d’une centrale à charbon, je ne pense pas que l’on puisse prétendre que le véhicule électrique est sans pollution. Comment les batteries sont-elles fabriquées ? C’est aussi un autre problème. L’analyse du véhicule doit être globale en prenant en compte tous les éléments qui entrent dans sa composition.
Le scandale Volkswagen a brisé la confiance. Un nouveau cadre doit donc être mis en place. Je pense qu’il doit être mis en place au niveau européen. Les agences nationales doivent aussi être totalement indépendantes et doivent être placées, plus ou moins, sous le contrôle d’une agence européenne.
Il ne faut pas sous-estimer la complexité du problème. L’automobile n’est pas un bien de consommation courante car on peut l’utiliser de différentes façons. Il faudrait néanmoins demander aux constructeurs de respecter les normes au moment de l’achat et pendant une partie au moins de la durée de vie. Lorsqu’un consommateur achète un véhicule et respecte les normes d’entretien, je pense que le constructeur doit être responsable de la bonne évolution de ce produit. Je ne peux pas donner d’indication sur la durée de cette garantie.
Il faudrait aussi effectuer des tests à deux niveaux : des tests en conditions réelles et des tests opposables à la puissance publique comme à un groupe de consommateurs mais qui ne pourront être effectuées que sur banc d’essais. Il nous faudra donc aussi trouver le lien statistique entre les résultats du banc d’essais et les valeurs réelles.
M. François Cuenot, chargé de mission, ONG Transports et Environnement. La commission du ministère de l’écologie, chapeautée par l’UTAC, a montré que les véhicules Volkswagen Euro V sont illégaux en France. Il faut prendre des mesures pour que ces problèmes ne se reproduisent pas. Il faut manifestement mettre en place une autorité européenne en charge de chapeauter cette responsabilité. Il faut que l’Europe ait une vision plus exhaustive et transparente des travaux menés au niveau des agences nationales, puisque celles-ci sont aujourd'hui en concurrence entre elles. Actuellement, un constructeur peut choisir le pays dans lequel il homologuera ses véhicules sachant que cette homologation vaudra ensuite dans tous les pays membres de l’Union européenne. À ce jour, la Commission ne sait pas dans quel pays un véhicule est homologué.
L’Europe savait, dès la fin de l’année 2010, que les véhicules Euro V présentaient des écarts importants entre les données d’homologation et les données réelles concernant les émissions de NOx. Aux États-Unis, l’affaire n’a éclaté qu’en 2014. Dans l’intervalle, l’Europe a mis en place le groupe de travail RDE, qui a eu besoin de cinq années pour proposer une règle, laquelle ne sera mise en application que dans cinq autres années. Le processus prend dix ans en Europe contre dix-huit mois aux États-Unis … Mes propos ne viennent pas remettre en cause le travail de la Commission, qui fait ce qu’elle peut avec les pouvoirs qu’elle a, malheureusement, elle n’a pas le pouvoir de mettre en application les lois. Nous demandons donc que la supervision européenne soit plus importante pour décider de sanctions en cas de tricherie.
Mme Fabienne Keller. Je vais passer la parole à la défense. Monsieur Gwenole Cozigou, pouvez-vous nous dire à quelle échéance une agence européenne pourrait voir le jour comme l’indique la commissaire ?
M. Gwenole Cozigou, directeur Transformation industrielle et chaînes de valeurs avancées, direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME, Commission européenne. La commissaire européenne n’a pas donné le point d’atterrissage en cours. Plusieurs pistes restent possibles. Il y aura certainement un renforcement du rôle de l’Europe et du contrôle communautaire. Cependant, la commissaire n’a pas encore évoqué la manière d’y parvenir.
Je souhaite aussi revenir sur les propos précédents laissant entendre que les États-Unis agissent en trois semaines alors que l’Europe a besoin d’un délai de réflexion de dix ans. Je souhaite réagir face à ces propos démesurés. Rappelons que les Américains n’ont pas mis en vigueur le RDE. L’Union européenne sera la première région du monde à appliquer le test RDE en situation réelle. Vous ne pouvez donc pas comparer sommairement nos délais de réaction.
Mme Fabienne Keller. Monsieur Jean-Paul Morin, vous souhaitez prendre la parole.
M. Jean-Paul Morin, chercheur, métrologie et évolution toxicologique de la pollution. Dans ce concert plutôt pessimiste, je souhaiterais apporter deux notes d’optimisme.
Premièrement, des toxicologues ont travaillé récemment sur les émissions diesel aux États-Unis et ont démontré que les diesels aux normes 2007 (correspondant peu ou prou à la norme Euro V) ne sont plus cancérogènes (des émissions diesel ont été administrées à des rats dans des conditions contrôlées). Les mêmes études menées en 1986 ont été à l’origine de la décision de l’OMS portant sur le caractère potentiellement cancérogène des émissions diesel. Trente ans plus tard, cette étude diligentée par l’agence américaine de l’environnement et le California Air Ressources Board – peu réputés être proches des constructeurs automobiles – le montre très clairement.
Deuxièmement, entre l’émission et l’immission, il y a la dispersion. À ce sujet, une expérience a été menée dans l’agglomération rouennaise concernant la dispersion des émissions des autobus. Dans ce cadre, il a été recommandé aux autorités régionales de pointer la sortie du pot d’échappement des autobus vers le haut au lieu de les diriger vers le sol. Cette simple modification a conduit les riverains à ne plus respirer ces émissions. Le réseau de surveillance de la qualité de l’air haut-normand ne traçait plus le passage des autobus en sites propres grâce à cette mesure. Cette simple mesure n’est pas de la remise en état ou rétrofit mais une amélioration de la dispersion. De plus, la dispersion des polluants permet aussi de jouer sur les niveaux de concentration.
M. Denis Baupin. Quels sont les effets pour les riverains ?
M. Jean-Paul Morin. Le réseau normand a effectué des mesures avec un camion mobile équipé d’un mât permettant de mesurer les concentrations de polluants jusqu’à quinze mètres d’altitude, c’est-à-dire correspondant environ au niveau du cinquième étage d’un immeuble. Nous n’avons pas observé d’élévation importante des concentrations jusqu’à quinze mètres.
M. Denis Baupin. Avez-vous relevé des baisses de la pollution, car une simple dispersion des polluants ne suffit pas à nous satisfaire ?
M. Jean-Paul Morin. La métrologie des particules se fait à 2,50 mètres d’altitude environ, même en proximité du trafic automobile. Compte tenu du débit d’échappement d’un pot, le phénomène de sur-hauteur joue et permet d’envoyer la pollution très haut en altitude. C’est une manière de diminuer l’exposition des riverains aux flottes d’autobus qui sont de plus en plus nombreuses avec le développement des transports en commun.
Mme Fabienne Keller. Si la pollution est plus élevée en altitude, peut-être que les mesures doivent-elle être effectuées à un autre niveau également ?
M. Thomas Bourdrel. Plusieurs études ont démontré que la concentration des polluants était maximale à 200-300 mètres de hauteur. Dans la première heure, les polluants restent au sol mais s’élèvent ensuite au bout de quelques heures.
Par ailleurs, les dernières études publiées, même les études américaines, et cela jusqu’en 2015, confirment le danger cancérogène du diesel, même sur les rats. Quand des particules diesel sont injectées chez les rats, ce n’est pas joli à voir … Des méta-analyses, même en Chine, attestent du caractère cancérogène du diesel.
Par ailleurs, il faut rappeler que les particules 2.5 sont les plus dangereuses pour la santé. Ma question s’adresse donc aux agences de surveillance de l’air : pourquoi les PM 2.5 ne sont-elles pas systématiquement dosées en France ? Pourtant, nous connaissons leur caractère délétère et nous savons aussi qu’il faudrait doser spécifiquement les particules carbonées 2.5.
Mme Fabienne Keller. Je propose de passer la parole à l’Ademe, qui a peut-être des éléments concrets de réflexion à nous soumettre.
M. Johan Ransquin, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Je souhaite réagir aux propos de Pierre Serne qui recherchait les interlocuteurs vers qui se tourner pour avoir une idée des émissions réelles et guider une décision. À ce sujet, je souhaite vous informer que l’Ademe peut jouer ce rôle. Notre logique est de réaliser des évaluations en situation réelle. Nous avons récemment publié une synthèse regroupant toutes les informations dont nous disposons sur les bus. Je vous invite à la consulter. Cette logique a aussi conduit l’Ademe à développer ses propres cycles pour tester les véhicules en conditions réelles.
Je crois que le scandale qui vient d’éclater est aussi une opportunité pour l’industrie automobile et lui permet d’adopter une autre logique pour se présenter comme le champion de la transparence. Le premier constructeur qui jouera le jeu en présentant l’ensemble des consommations réelles de ses véhicules en sortira sûrement gagnant.
M. Philippe Hirtzman, président de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Le thème de la confiance est en filigrane de tous nos échanges. Des organismes de contrôle vivent aujourd'hui des contrats publics et privés, comme l’Ineris. La confiance ne viendra pas de l’isolement, surtout que les technologies et les systèmes sont de plus en plus complexes. Il faut être immergé dans le lieu de production des nouvelles technologies pour pouvoir les comprendre, les surveiller et les contrôler. Mes remarques rejoignent le sujet de la déontologie. À l’Ineris, nous proposons une certification volontaire sur la sécurité des batteries pour véhicules électriques. C’est la plate-forme Steeve, cofinancée par des crédits publics dont régionaux et privés. Ce système fonctionne car il est chapeauté par une commission de déontologie présidée par une personnalité scientifique extérieure à l’Ineris et qui examine chaque contrat et chaque situation professionnelle des professionnels de l’Ineris impliqués dans le process, afin d’accorder toute la confiance à notre certification.
M. Henri Wortham, Laboratoire de chimie de l’environnement (LCE), CNRS Marseille. Les tests que nous voulons réalistes ne le seront jamais, pour le moins avec la technologie dont nous disposons aujourd'hui. En effet, nous ne sommes pas en mesure de tester le vieillissement des particules, qui expliquent pourtant une grande partie des émissions de particules.
Si l’on tient compte du vieillissement, il faut aussi reconnaître que le diesel n’est pas aussi mauvais élève que l’on dit. Cela pourrait conduire le STIF à reconsidérer sa position vis-à-vis des véhicules diesel. Ces tests de vieillissement doivent être mis en place si nous voulons favoriser le réalisme.
Mme Fabienne Keller. Vous dites donc que ces tests ne sont pas encore réalisés mais que leurs résultats seraient favorables aux diesels ?
M. Henri Wortham. Ce ne sont pas des tests réglementaires mais ce sont les résultats d’études conduites dans le cadre de projets européens sur le vieillissement des émissions de véhicules. Ces tests sont conduits dans des chambres de simulation.
M. Michel André, directeur adjoint du département de recherche Aménagement mobilité environnement, Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR). Le vieillissement des particules signifie que d’autres particules apparaissent quelques minutes après sans lien avec le vieillissement des véhicules. C’est la prise en compte des particules secondaires qui ne sont pas prises en compte dans les métrologies ou dans les protocoles de mesures.
J’entends aussi que l’on attend beaucoup des nouvelles mesures RDE ou WLTP ou WLTC mais il faut se montrer prudent car la mesure embarquée ne permettra pas d’appréhender correctement les particules et, en particulier, leur vieillissement. De plus, la mesure embarquée est forcément restrictive en termes de moyens, beaucoup plus que la mesure au banc d’essais. La mesure embarquée peut dégrader la métrologie des polluants.
M. Yves Riou, délégué général de la Fédération des syndicats de la distribution automobile (FEDA). On ne peut agir que sur quelque chose que l’on a mesuré. L’article 65 de la loi sur la transition énergétique, avec la mesure 5 gaz, permettra d’aller dans cette direction. Il faut aussi que le dispositif soit peu coûteux et que les automobilistes aient les moyens d’entretenir leur véhicule. Il convient donc d’équiper les centres de contrôle technique et les garages des mêmes outils. Un analyseur 5 gaz est un instrument que tout professionnel peut acheter facilement. Dès lors, il sera possible de mesurer, et donc de corriger. Par ailleurs, le contrôle technique permettra de tester seize millions de voitures par an. Ces contrôles permettront donc, en deux ans, de disposer de la photographie de l’ensemble du parc en termes de polluants. Nous pourrons alors corréler les mesures d’ateliers et les mesures d’homologation.
Mme Fabienne Keller. Quels sont les cinq gaz qui sont mesurés ?
M. Yves Riou. Ce sont l’oxygène, le monoxyde de carbone (CO), le dioxyde de carbone (CO2), les oxydes d’azote (NOx) et les hydrocarbures non brûlés (HC). Par ailleurs, il faut rappeler que quasiment toute la filière accepte d’ouvrir une association éco-entretien certifiée par Ecocert Environnement de manière à donner l’assurance au consommateur que son véhicule est remis en état. C’est la seule condition pour redonner confiance au consommateur pour l’entretien de son véhicule.
Mme Fabienne Keller. Vous voulez donc imposer la certification.
M. Yves Riou. Oui, et ce système permettra de remettre en état un véhicule, même ancien, à son niveau nominal. Aujourd'hui, le niveau de dérive peut être estimé à 20 %.
Mme Fabienne Keller. Merci. Nous cheminons vers la conclusion. Je laisse la parole au directeur de la DGEC.
M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Nous devons détecter les fraudes massives et disposer des moyens pour le faire. Par ailleurs, une fois que nous aurons établi une norme d’homologation plus sévère, nous devrons surveiller la conformité à la norme. Enfin, nous devons approfondir la question de la surveillance et de l’amélioration de l’état du parc. Nous devons donc contrôler trois moments clés : l’homologation, la surveillance lors de la mise sur le marché du véhicule et le fonctionnement du véhicule.
Pour nourrir ces réflexions, Ségolène Royal a souhaité que nous lancions un programme exploratoire qui commencera sur dix premières voitures pour étalonner les méthodes, puis qui sera étendu à cent voitures représentatives du parc français. Ce protocole a été examiné par la Commission européenne qui a émis un avis positif. D’autres pays mettent en place des contrôles similaires.
La ministre a aussi souhaité qu’une commission indépendante et pluripartite soit instaurée. Elle regroupe des parlementaires, mais aussi l’UTAC, l’Ademe, des experts universitaires ou d’établissements publics, des représentants des associations de consommateurs et des associations environnementales, des représentants des ministères de l’écologie, de l’industrie et de l’économie. Cette commission se réunit tous les quinze jours pour suivre l’état d’avancement du programme qu’elle a déjà enrichi puisqu’une vingtaine de voitures passe aussi un test en conditions réelles de type RDE. Les résultats de ces tests, une fois partagés au niveau européen, permettront d’orienter les outils de contrôle à mettre en place.
Pour que la démarche soit crédible et soit durable, nous devons impérativement passer par une harmonisation au niveau européen. Nous sommes heureux que la Commission relance la discussion à ce sujet, qu’elle aboutisse à la mise en place d’une agence européenne ou à l’instauration de contrôles croisés. Une telle démarche permettra d’éviter tout contournement des règles.
Mme Fabienne Keller. Faites-vous référence au fait que les constructeurs ont le choix de leur organisme d’homologation ?
M. Laurent Michel. En effet. Il faut savoir que certains organismes sont dotés de moyens et exercent une surveillance sérieuse en laquelle nous pouvons avoir confiance tandis que d’autres sont moins rigoureux. Le système mérite davantage de contrôle.
Notre ministère surveille le marché des équipements sous pression. Nous pourrions donc renforcer la surveillance du marché au moment de la production des véhicules. Certes, un tel programme aurait un coût mais nous pourrions agir par échantillonnage.
Concernant le contrôle technique, la France utilise aujourd'hui les mêmes matériels que les autres pays européens. La norme d’opacimètre est en cours de révision et devrait être publiée prochainement. Elle permettra de détecter un seuil plus bas de véhicules polluants. Nous pourrons aussi détecter la mise hors d’état des systèmes anti-pollution « défapage » du véhicule dont il faut rappeler qu’il s’agit d’une technique sanctionnée par la loi sur la transition énergétique. Est encore en cours de discussion l’application du contrôle des cinq gaz. Le débat porte notamment sur la mesure des NOx pour déterminer si cette mesure se fera en charge ou à vide dans un premier temps. Nous devrons définir un calendrier d’évolution de la réglementation applicable aux centres de contrôle technique permettant un déploiement qui ne soit ni trop lent ni trop coûteux. Il conviendra aussi de déterminer les suites à donner aux contrôles techniques. Sans doute faudra-t-il commencer par la pédagogie avant d’imposer une remise à niveau des véhicules non conformes ?
Mme Fabienne Keller. La difficulté est que le consommateur aura à payer la remise à niveau avant même d’en constater les effets. C’est la raison pour laquelle je suis méfiante à l’égard des dispositifs de contrôle qui ne sont pas accompagnés de dispositifs d’incitation ou de participation à des coûts raisonnables.
Mme Isabella Annesi-Maesano, directeur de recherche INSERM, directeur équipe EPAR (épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires). Je souhaite revenir brièvement sur les propos de Jean-Paul Morin pour souligner que l’étude à laquelle il fait référence ne conclut pas à l’absence de dangerosité du diesel. En fait, des lésions ont été trouvées mais il faut encore attendre qu’elles évoluent. Par ailleurs, il faut rappeler que les études sur les rats ne peuvent être directement déclinées chez les humains sans plus de précaution.
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). Je souhaite revenir sur les propos de Pierre Serne concernant l’intérêt général. En effet, l’intérêt général n’est pas l’addition des intérêts particuliers en Europe, à la différence de la définition anglaise ou américaine du terme. C’est le responsable politique qui a la charge de l’intérêt général. C’est le niveau politique qui est responsable du futur du groupe social. Mais dans la définition des choix techniques et technologiques pour le futur, il faut aussi assumer une part d’incertitude.
Aux États-Unis, les normes ont une portée universelle car leur droit est à portée mondiale. Dans le cas de Volkswagen, les normes techniques ont eu pour effet – et peut-être pour objet - que les véhicules européens ne puissent pas entrer sur le territoire américain. Personne n’a protégé l’industrie européenne contre ces normes soi-disant techniques américaines qui visaient à protéger un territoire de la concurrence.
Mme Fabienne Keller. Nous avons oublié de laisser la parole à M. Frédéric Bouvier, qui voulait encore intervenir dans le cadre de la troisième table ronde.
M. Frédéric Bouvier, directeur, Airparif. Les niveaux de pollution les plus élevés sont observés dans les rues, et même dans l’habitacle des automobiles. Les niveaux de pollution en haut de la Tour Eiffel sont bien moindres que dans la rue de Rivoli ou qu’aux abords de l’autoroute A3. Par ailleurs, dans les années 1970, nous mesurions deux paramètres contre une centaine aujourd'hui. On découvre continuellement de nouvelles choses dans le domaine de la qualité de l’air. Nous étudions actuellement la composition chimique des particules, nous savons si elles proviennent de la combustion du bois ou du diesel ou de celles liées à l’agriculture. Il faut sans doute écouter davantage les experts et les équipes de recherche et se projeter dans le futur. Il faut aller au-delà des cinq polluants réglementés pour s’interroger sur les particules secondaires, mais aussi sur l’ammoniac (NH3) ou sur les aldéhydes. Nous devrons sans cesse aller au-delà, au rythme des découvertes scientifiques.
Mme Fabienne Keller, sénatrice. Je souhaite vous remercier d’avoir participé très activement à ces tables rondes. En effet, nous ne savons pas tout et il convient de rester vigilant, attentif, de porter la réflexion sans cesse. Mais il y a aussi des choses que l’on sait. Nous savons que les voitures émettent un certain nombre de polluants qui dégradent la santé. Nous devons donc essayer ensemble de réduire ces émissions.
Nos regards croisés ont permis de confronter les postures de chacun. Mais c’est en se fédérant que nous pourrons trouver des solutions.
Plusieurs d’entre vous ont parlé d’un nécessaire choc de confiance. Les événements récents ont remis en cause des acquis de confiance à l’égard de ceux qui décident de la norme et de ceux qui la mesurent. Malheureusement, je ne suis pas sûre que nous ayons pris toute la mesure des conséquences de cette crise de confiance et de ces repères qui disparaissent. Cette confiance doit être reconstruite. Nous avons également un langage commun à trouver. Le sujet est aussi technique et donne lieu à l’utilisation d’acronymes ou de termes techniques qu’il faut expliciter.
En matière de mobilité, il n’y a toutefois pas de solution unique. Plusieurs pistes sont à explorer : se déplacer avec un véhicule plus léger, utiliser des modes de transport doux, favoriser le partage, proposer des carburants plus efficaces et moins émetteurs de gaz à effet de serre.
M. Denis Baupin, député. Je souhaite également vous remercier d’avoir participé à cette matinée d’échanges. Je souhaite notamment remercier les constructeurs automobiles français qui ont fait acte de présence, et qui ont accepté de répondre bravement à nos questions. C’est d’autant plus à souligner que d’autres ont refusé notre invitation. Je pense néanmoins qu’ils sont encore aujourd'hui dans une posture trop défensive alors que le choc nécessaire en matière de confiance serait salvateur au lendemain du scandale.
Au cours de nos échanges, nous avons parlé aussi de la durée de vie du véhicule qui reste une question cruciale à trancher. Comme le bâtiment doit se préoccuper des constructions neuves et de l’ancien bâti, le secteur automobile doit également se préoccuper de commercialiser des voitures neuves vertueuses et permettre aux véhicules anciens de se hisser vers des normes actualisées.
Une réflexion doit aussi être menée sur le rôle de la norme. La norme doit fixer l’intérêt général. Intervient ensuite la norme qui peut être assimilée à un filtre entre l’intérêt général et la capacité à mesurer. Enfin, il y a l’information donnée au consommateur. Ces trois indicateurs sont différents mais reposent pourtant sur la même donnée. Aussi nous pouvons nous demander si c’est cette information qui doit être donnée aux consommateurs comme un label de sécurité. Peut-être que la norme, si elle ne sert que l’homologation, ne doit pas être utilisée à des buts publicitaires. C’est également un élément essentiel pour redonner confiance.
Je vous remercie de votre attention.
EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 17 FÉVRIER 2016 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE
M. Denis Baupin, député, co-rapporteur. Le 13 novembre 2015, nous avons organisé une audition publique sur l’état de l’art en matière de mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules ; thème que nous avions précisé en indiquant que nous souhaitions permettre des regards croisés.
Cette audition publique, qui faisait suite à notre rapport sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir et utiliser des véhicules écologiques », a été organisée dans un contexte particulier, à la suite du scandale provoqué par la société Volkswagen qui avait installé, sur ses voitures, un logiciel permettant de fausser la mesure de leurs émissions polluantes.
Les preuves de cette tricherie jetaient, en effet, le discrédit sur les normes édictées par les pouvoirs publics afin de réduire la pollution liée au secteur des transports. Elles sapaient la confiance que les consommateurs pouvaient avoir dans les annonces des constructeurs qui, jusqu’alors, n’étaient mises en cause que de façon marginale. Elles nuisaient à la mise en place, depuis plusieurs années, de politiques volontaristes en matière d’environnement et de santé publique.
Aussi était-il utile de rassembler tous les acteurs de la filière pour s’interroger sur la réalité de l’application des normes, sur les mesures qu’il faudrait prendre pour éviter la répétition d’un tel scandale, et sur la capacité du secteur automobile dans son ensemble à réaliser des mesures en conditions réelles de conduite, puis à réadapter les véhicules d’un certain âge qui ne sont plus en mesure de respecter les objectifs poursuivis. Il fallait aussi réfléchir à la manière d’assurer, de manière indépendante, une surveillance de l’application des normes.
Tous les acteurs de la filière sont venus : les constructeurs, les équipementiers, les garagistes, les centres de contrôle technique, afin de dialoguer avec des représentants des ministères chargés de l’industrie et de l’environnement et un haut fonctionnaire de la Commission européenne. Tous, sauf un, Volkswagen, qui avait pourtant été invité.
Les ONG qui défendent l’environnement et les associations de consommateurs étaient là, elles aussi.
Depuis lors, les tests mis en place sur une centaine de véhicules roulants par la ministre de l’écologie, Mme Ségolène Royal, ont déjà montré que, en dehors de toute volonté de tricher, les émissions réelles de polluants sont beaucoup plus fortes que les émissions théoriques annoncées par les constructeurs. La preuve en a été apportée pour les voitures Renault, et nous attendons les résultats complets qui concernent aussi les autres marques.
Quelles conclusions tirons-nous de cette audition ?
Nous avons retenu plusieurs idées fortes :
1. Le scandale récent ne doit pas faire oublier les avancées importantes réalisées en matière de réduction programmée des émissions de polluants par les véhicules. Ces dernières années ont, en effet, été marquées par une progression constante des normes, de la norme Euro 1 à la norme Euro 6. Cette tendance devrait se poursuivre par la mise en place annoncée de la norme WLTP et par celle du test RDE, qui permettra des mesures plus proches des conditions réelles d’utilisation des véhicules. L’article 65 de la loi sur la transition énergétique en est l’un des symboles marquant à travers le renforcement des contrôles pollution lors des contrôles techniques obligatoires. Il faudra cependant veiller à la publication du décret d’application de cet article et à la mise en place effective des nouvelles normes et du test RDE.
2. Les normes de pollution sont essentielles pour stimuler une évolution des véhicules qui permette la réalisation des objectifs de la transition énergétique et de l’amélioration de la qualité de l’air. Il faut donc en défendre l’utilité et la nécessité tout en accélérant et approfondissant les évolutions déjà envisagées. C’est un objectif réaliste, puisque les constructeurs, qui conçoivent généralement les améliorations de leurs véhicules cinq ans avant de les produire en série, ont déjà largement entamé ce processus. Il faut, toutefois, veiller à ce que les normes ne soient pas dévaluées par des seuils de tolérance ou de flexibilité dans leur application.
3. Il est nécessaire de rétablir la confiance dans les annonces des constructeurs, ce qui nécessite de mettre à plat leurs méthodes de mesure, de les questionner, et de s’interroger sur la manière de réaliser des mesures dans les conditions réelles d’utilisation des véhicules, et pas seulement au seul moment de l’homologation, avant mise sur le marché. Les mesures réalisées en situation théorique (souvent avec des véhicules de présérie, et sans tenir compte des différences de pression des pneus, des écarts de température, des accélérations possibles ou de l’usage de la climatisation…) ne sont plus suffisantes. Les témoignages que nous avons entendus ont montré que c’était un objectif réalisable. L’Ademe a ainsi annoncé qu’elle pouvait réaliser des évaluations des pollutions en situation réelle. Ce type de mesure devrait ensuite déboucher sur des propositions de modification de la réglementation européenne qui doit être plus précise sur les conditions de mesure des émissions de polluants en termes de vitesse, de température, d’accélération, de pression des pneus et d’usage de la climatisation et sur un contrôle du parc roulant. Tant que les niveaux de consommation et de pollution des véhicules ne seront pas mesurés dans des conditions représentatives de leur usage, leur communication aux fins de promotion des véhicules doit être prohibée.
La confiance suppose également que l’homologation des véhicules s’effectue à partir de tests représentatifs de l’usage et qu’elle résulte d’une autorité indépendante. Il importe que des mécanismes permettant d’assurer un contrôle tant de l’indépendance des organismes en charge des homologations que du respect d’un même niveau d’exigence dans tous les États membres de l’Union européenne soient mis en place. La mondialisation du marché automobile plaide pour une approche européenne mais il faut que l’Union prenne ce type de décision
4. Pour aboutir à des décisions rationnelles, il serait souhaitable de lancer un débat sur les critères à retenir pour mesurer les émissions polluantes, ce qu’on cherche à mesurer (le CO2, les NOx, les divers types de particules, le NH3 …) et le réalisme des objectifs à atteindre.
5. Les mesures envisagées ne pourront être efficientes qu’avec le concours des constructeurs et de l’aval de la filière. C’est pourquoi nous proposons de mettre en place un plan de soutien aux garagistes et aux centres de contrôle technique pour qu’ils s’équipent des appareils de mesure nécessaires (les témoignages recueillis lors de l’audition publique suggèrent que le coût d’une telle incitation est relativement faible). Nous proposons également d’évaluer l’impact sur les consommateurs d’une remise à niveau de leur véhicule et de mettre en place les mesures de soutien financier qui permettront d’assainir le parc automobile.
6. La lutte contre la pollution ne sera efficace que si l’on assiste à un véritable changement de comportement vis-à-vis des véhicules automobiles. Nous ne sommes pas pessimistes car on en voit déjà les prémisses, qu’il s’agisse de l’autopartage, du covoiturage, et d’une timide apparition de véhicules différents, moins lourds, plus petits, et donc moins polluants. La description que nous en avions faite dans notre rapport sur les mobilités sereines et durables de 2014 s’est, depuis lors, confirmée.
Ces propositions sont d’une actualité brûlante. La Commission européenne a fait de nouvelles propositions, le 28 janvier 2016, pour renforcer l’indépendance des contrôles. Elle propose notamment d’instaurer une Agence européenne d’homologation, qui serait financée par un impôt récolté auprès des industriels. Ceux-ci seraient passibles de sanctions financières s’ils ne mettaient pas en conformité leurs véhicules. Ce sont les conditions parfaites pour que les conclusions que nous demandons à l’OPECST d’adopter puissent s’appliquer et avoir un certain retentissement.
Par contre, le Parlement européen a entériné, le 3 février, les propositions du comité technique du 28 octobre 2015, qui affaiblissent singulièrement les normes euro 5 et euro 6 : les véhicules diesel pourront dépasser les normes d’émissions de NOx de 110 % à partir de septembre 2017, puis de 50 % à partir de janvier 2020 (par rapport à la norme Euro 6 adoptée en 2007 qui limitait les émissions de NOx à 80 mg/km). C’est une décision malheureuse, qui affaiblit la mise en œuvre de tests d’émission en conditions de conduite réelle, proposée, par ailleurs, au moment où la qualité de l’air devient une préoccupation de plus en plus importante.
M. Christian Namy, sénateur. Serait-il possible d’avoir des précisions sur le fonctionnement du système de dépollution mis en place par Renault, qui ne fonctionne qu’à certaines températures ?
M. Denis Baupin. Ce système est propre à Renault, qui a du reste fait preuve d’une grande transparence dans sa présentation, ce qui n’est pas toujours l’attitude des autres constructeurs
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. Ce système ne fonctionne que dans 20 % du temps, quand la température est inférieure à 17 degrés. Mais tout dépend du pays où l’on se trouve, ce qui rend la question complexe.
Je trouve très intéressantes les propositions de conclusion sur les avancées sur la réduction de la pollution, sur la définition des pollutions, sur les normes qui sont essentielles pour promouvoir des véhicules différents, et sur la manière de rétablir la confiance. Je rajouterai que, en matière de contrôle technique qui n’intervient qu’à l’issue d’un délai de quatre ans, il faudrait prévoir que les références de pollution devant être respectées par les véhicules soient faites dès leur construction et qu’elles prennent la forme de fourchettes de pollution plutôt que de chiffres précis, qui risquent d’inciter les constructeurs à donner des chiffres au-dessous de ce qui peut être mesuré en utilisation normale.
Je terminerai mon propos en relevant que vos propositions sont, en effet, d’une actualité brûlante et qu’il serait intéressant de préciser la position que le Parlement européen a prise le 3 février dernier. Je propose à l’Office d’adopter vos conclusions.
L’OPECST a alors adopté à l’unanimité les conclusions de ses deux rapporteurs.
1 () Pour consulter le rapport : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-off/i1713.asp
2 () Pour consulter le rapport : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-off/i1713.asp
3 () Pour consulter le rapport : http://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-610-1-notice.html
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