L’ÉVALUATION DU PLAN NATIONAL DE GESTION DES MATIÈRES
ET DÉCHETS RADIOACTIFS 2016-2018
par
M. Christian Bataille, député, et M. Christian Namy, sénateur
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président de l'Office |
par M. Bruno SIDO, Premier vice-président de l’Office |
Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques
Président
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député
Premier vice-président
M. Bruno SIDO, sénateur
Vice-présidents
M. Christian Bataille, député M. Roland COURTEAU, sénateur
Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian Namy, sénateur
M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice
DÉputés |
SÉnateurs |
M. Bernard ACCOYER M. Gérard BAPT M. Christian Bataille M. Alain CLAEYS M. Claude de GANAY Mme Françoise GUÉGOT M. Patrick HETZEL M. Laurent KALINOWSKI Mme Anne-Yvonne LE DAIN M. Jean-Yves LE DÉAUT M. Alain MARTY M. Philippe NAUCHE Mme Maud OLIVIER Mme Dominique ORLIAC M. Bertrand PANCHER M. Jean-Louis TOURAINE M. Jean-Sébastien VIALATTE |
M. Patrick ABATE M. Gilbert BARBIER Mme Delphine Bataille M. Michel BERSON M. François COMMEINHES M. Roland COURTEAU Mme Catherine GÉNISSON Mme Dominique GILLOT M. Alain HOUPERT Mme Fabienne KELLER M. Jean-Pierre LELEUX M. Gérard LONGUET M. Pierre MÉDEVIELLE M. Franck MONTAUGÉ M. Christian Namy M. Hervé POHER Mme Catherine PROCACCIA M. Bruno SIDO |
SOMMAIRE
___
Pages
SAISINE 9
INTRODUCTION 11
I. LES PROGRÈS DE L’ÉLABORATION DU PNGMDR 13
A. UN CADRE PRÉCISÉMENT DÉFINI 13
B. UN OUTIL DE PILOTAGE EFFICACE 14
C. UN PROCESSUS D’ÉLABORATION PLURALISTE ÉPROUVÉ 15
D. L’APPORT ET LES LIMITES DE L’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE 15
II. LES ENJEUX DU RETRAITEMENT-RECYCLAGE DES COMBUSTIBLES USÉS 21
A. LE RETRAITEMENT DES COMBUSTIBLES USÉS : UN CHOIX STRATÉGIQUE 21
B. LES ALÉAS DU STOCKAGE DIRECT DES COMBUSTIBLES USÉS 24
1. Des choix différents suivants les pays 24
2. L’exemple des États-Unis 24
C. LE PROBLÈME DE LA RÉUTILISATION DES MATIÈRES 27
1. La réutilisation des matières dans le parc actuel 27
2. La réutilisation des matières dans les réacteurs de quatrième génération 28
D. LE RETRAITEMENT : UNE EXCEPTION FRANÇAISE ? 29
E. LA NÉCESSITÉ DE POURSUIVRE L’EFFORT DANS LE DOMAINE DU RETRAITEMENT ET DU RECYCLAGE 30
III. LES AVANCÉES DE LA GESTION DES DÉCHETS TRÈS FAIBLEMENT RADIOACTIFS 33
A. LES LIMITES D’UNE DÉMARCHE SYSTÉMATIQUE 33
B. L’OUVERTURE À UNE NOUVELLE APPROCHE DE GESTION DES DÉCHETS RADIOACTIFS 36
C. L’APPORT ÉVENTUEL DES SEUILS DE LIBÉRATION 37
D. LE CAS DES DÉCHETS À RADIOACTIVITÉ NATURELLE ÉLEVÉE 39
IV. L’IMPOSSIBILITÉ D’UN CONTOURNEMENT DU STOCKAGE GÉOLOGIQUE DES DÉCHETS DE HAUTE ET DE MOYENNE ACTIVITÉ 43
A. LE CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE 43
B. LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE EN FRANCE : UN QUART DE SIÈCLE DE RECHERCHES, D’ÉTUDES ET DE DÉBATS 44
C. LA CONCRÉTISATION DU STOCKAGE GÉOLOGIQUE 46
CONCLUSION 49
RECOMMANDATIONS 51
EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE 53
COMPOSITION DU COMITÉ DE PILOTAGE 67
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 69
ANNEXES 75
ANNEXE N° 1 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS PRIVÉES DES RAPPORTEURS 77
1. Audition de M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’ANDRA, le 4 octobre 2016 79
2. Audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, le 8 novembre 2016 91
3. Audition de MM. Vincent Gorgues et Bernard Boullis, CEA, le 22 novembre 2016 au Sénat 99
4. Audition des membres de la CNE2, le 4 octobre 2016 à Assemblée nationale 111
5. Audition de M. Bruno Blanchon et M. Clément Chavant, CGT - FNME, le 8 octobre 2016 au Sénat 118
6. Audition de Mme Monique Sené, M. Jean-Claude Autret et Christophe Vallat, ANCCLI, le 9 novembre 2016 au Sénat 131
7. Audition de M. Sylvain Granger, M. Bertrand Le Thiec, et M. Denis Lépée, EDF, le 15 novembre 2016 au Sénat 143
8. Audition de M. Jacky Chorin, M. Denis Cattiaux, et M. Yann Perrotte, Fédérations FO Énergies-Mines et Industries chimiques, le 23 novembre 2016 à l’Assemblée nationale 152
9. Audition de M. Jean-Michel Romary, M. Jean-Michel Grygiel et Mme Morgane Augé, AREVA, le 23 novembre 2016 à l’Assemblée nationale 158
ANNEXE N° 2 : COMPTE RENDU DE L’AUDITION DE L’IRSN DU 17 FÉVRIER 2016 159
ANNEXE N° 3 : COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EN ALLEMAGNE DU 27 AU 30 NOVEMBRE 2016 177
ANNEXE N° 4 : COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT AUX ÉTATS-UNIS DU 30 JANVIER AU 2 FÉVRIER 2016 183
ANNEXE N° 5 : NOTE DE SITUATION EN GRANDE-BRETAGNE, PAR L’AMBASSADE DE FRANCE AU ROYAUME-UNI 189
ANNEXE N° 6 : LOIS SUR LES DÉCHETS RADIOACTIFS 193
1. Loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs 195
2. Loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue 201
3. Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs 205
ANNEXE N° 7 : SAISINE DU HCTISN 223
ANNEXE N° 8 : ANALYSE DES DOCUMENTS CIGEO 2016 PAR LA CNE2 ET RECOMMANDATIONS 225
Le présent rapport s’inscrit dans le cadre de l’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), confiée à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) par l’article 6 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.
Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018, quatrième édition de ce document, a été transmis au Parlement le 17 février 2017, et publié cinq jours plus tard.
Compte tenu du calendrier parlementaire, qui prévoyait de longue date un arrêt des travaux de l’Assemblée nationale à la fin du mois de février 2017, l’OPECST a décidé d’anticiper sur la publication de ce nouveau PNGMDR, en désignant par avance les rapporteurs de cette évaluation.
Malgré l’incertitude sur la date de publication du PNGMDR, cette solution apparaissait préférable à un report de l’évaluation à l’automne 2017, les travaux sur un nouveau plan commençant, en principe, dès la publication du précédent. Une saisine tardive, comme celle intervenue pour l’évaluation du plan précédent, peut rendre difficile la prise en compte de certaines recommandations.
Ce document faisant l’objet, pour la première fois, d’un avis de l’Autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), ainsi que d’une consultation par le public, préalables à sa publication, vos rapporteurs ont, malgré tout, été à même d’avancer dans leur étude sur la base d’une version quasi-définitive.
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La présente évaluation est basée sur une large consultation des acteurs français impliqués dans la gestion des matières et déchets radioactifs, réalisée dans le cadre d’auditions individuelles, et d’un déplacement à La Hague. Des déplacements en Allemagne et aux États-Unis ont, par ailleurs, permis de faire le point sur la gestion des déchets radioactifs dans ces pays, et de disposer ainsi d’éléments de comparaison avec la situation en France.
Vos rapporteurs avaient également prévu d’organiser, avec les participants au groupe de travail en charge de l’élaboration du PNGMDR, une audition publique, après la publication de ce document, notamment pour recueillir leur avis sur sa version finale, et les modalités de fonctionnement du groupe de travail, tout au long de son élaboration. Compte tenu du calendrier, cela n’a pas été possible. À défaut, vos rapporteurs espèrent pouvoir leur présenter, en début de la prochaine législature, les conclusions du présent rapport, et échanger avec eux à cette occasion.
Cette étude s’intéresse, bien entendu, en priorité au Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs lui-même, ainsi qu’au fonctionnement du groupe de travail pluraliste chargé de son élaboration.
Elle se penche également sur les implications de l’évaluation environnementale du PNGMDR.
Enfin, elle traite aussi de trois dossiers majeurs pour l’avenir de la gestion des déchets radioactifs en France : le retraitement des combustibles usés, les filières pour les déchets de très faible activité à vie courte et, enfin, le projet de stockage des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
I. LES PROGRÈS DE L’ÉLABORATION DU PNGMDR
A. UN CADRE PRÉCISÉMENT DÉFINI
Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs a été instauré par la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Cette même loi prévoit que ce plan soit établi et mis à jour tous les trois ans par le Gouvernement, puis transmis au Parlement, qui en saisit pour évaluation l’Office parlementaire.
L’article 6 de la loi de 2006 définit très précisément les objectifs de ce document qui sont de dresser le bilan des modes de gestion existants des matières et déchets radioactifs, de recenser les besoins prévisibles d'installations d'entreposage ou de stockage, de préciser les capacités de ces installations et les durées d'entreposage, de déterminer les objectifs à atteindre pour les déchets sans mode de gestion définitif, d’organiser la mise en œuvre des recherches et études sur la gestion des matières et des déchets radioactifs, enfin de fixer des échéances pour la mise en œuvre de nouveaux modes de gestion, la création d'installations ou la modification des installations existantes.
Enfin, le même article indique que le plan doit respecter trois grandes orientations.
La première orientation concerne la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs, notamment par le retraitement des combustibles usés et le retraitement et le conditionnement des déchets radioactifs.
La deuxième orientation porte sur l’entreposage dans des installations spécialement aménagées des matières radioactives en attente de retraitement et des déchets radioactifs ultimes en attente d'un stockage.
La dernière orientation impose le stockage en couche géologique profonde, après entreposage, des déchets radioactifs ultimes ne pouvant, pour des raisons de sûreté nucléaire ou de radioprotection, être stockés en surface ou en faible profondeur.
Bien entendu, au-delà de ces objectifs et orientations, le PNGMDR doit également s’inscrire dans le cadre défini par les trois lois relative à la gestion des matières et déchets radioactifs. Il s’agit, tout d’abord, de la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991, relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dite loi Bataille, dont l’un de vos deux rapporteurs, M. Christian Bataille, est l’auteur, ensuite de la loi du 28 juin 2006, susmentionnée, et, enfin, de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d'une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, dont votre second rapporteur, M. Christian Namy, est, avec le sénateur Gérard Longuet, à l’origine.
C’est par rapport à l’ensemble de ces éléments qu’il convient d'apprécier l’adéquation du PNGMDR 2016-2018, transmis au Parlement le 17 février 2017 par Madame la ministre de l’Environnement, de l’énergie et de la mer.
B. UN OUTIL DE PILOTAGE EFFICACE
Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 se présente sous la forme d’un document de 211 pages, hors annexes. Comme le plan précédent, il comprend trois parties consacrées aux principes et objectifs de la gestion des matières et des déchets radioactifs, au bilan et aux perspectives d’évolution des filières de gestion existantes, ainsi qu’aux besoins et perspectives pour les filières de gestion à mettre en place.
Pour chaque filière, existante ou à mettre en place, le document présente un état des lieux complet, prenant en compte les dernières données disponibles, puis formule des propositions ou fixe des objectifs.
S’il apparaît difficile, compte tenu de l’ampleur du champ couvert, d’émettre un avis sur la pertinence de chacune des orientations retenues dans le dernier PNGMDR, la comparaison des versions successives montre que le travail réalisé, au long des années, par le groupe de travail pluraliste, a permis un approfondissement progressif et continu des différentes filières de gestion des matières et déchets radioactifs, ainsi que la prise en compte de nouvelles catégories de déchets.
Par exemple, pour les déchets de très faible activité à vie courte (TFA), le PNGMDR a conduit à anticiper l’accroissement des volumes liés aux futurs démantèlements et à étudier, étape par étape, les différentes solutions envisageables pour y faire face.
De façon similaire, pour les déchets radioactifs de faible activité à vie longue, le PNGMDR 2007-2009 a demandé à l’ANDRA, conformément à l’article 4 de la loi du 28 juin 2006, d’engager les études nécessaires, et, après le constat d’échec de la procédure initialement engagée, le PNGMDR 2010-2012 les a réorientées.
Il en va de même pour le stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, pour lequel les versions successives du PNGMDR ont permis de suivre et d’ordonner les travaux nécessaires.
Conformément à la volonté du législateur, la démarche d’élaboration du PNGMDR constitue donc un outil de pilotage efficace de la gestion des matières et déchets radioactifs qui permet, suivant une démarche transparente, d’orienter les études et réalisations, d’identifier les écarts éventuels et de demander les mesures correctives nécessaires.
C. UN PROCESSUS D’ÉLABORATION PLURALISTE ÉPROUVÉ
Depuis l’initialisation, en 2003, des travaux d’élaboration du plan de gestion des matières et déchets radioactifs, ceux-ci sont réalisés par un groupe de travail pluraliste, placé sous l’égide du ministère de l'Environnement et de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Même si, au fil des années, les participants ont pu changer, avec les nominations successives au sein des organismes impliqués, la composition de ce groupe de travail reste globalement la même, avec, notamment, des représentants des deux autorités de sûreté : Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND), ainsi que de leur appui, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), du ministère de l’Environnement, avec la direction de l’Énergie et du climat (DGEC) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR), de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), des principaux producteurs de déchets, dont EDF, AREVA et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), enfin des associations de défense de l’environnement, par exemple l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO), France nature environnement (FNE) et Greenpeace.
La présence, depuis 2015, au sein de ce groupe de travail, du Comité local d'information et de suivi (CLIS) du laboratoire souterrain de recherche sur la gestion des déchets radioactifs de Bure apparaît particulièrement pertinente, alors que le projet de stockage géologique se concrétise.
Cette relative stabilité permet d’assurer une bonne continuité dans le suivi des différents sujets, souvent complexes, touchant à la gestion des déchets radioactifs.
Néanmoins, malgré la qualité et l’approfondissement des travaux menés sur chacun des aspects de cette gestion, les difficultés inhérentes au fonctionnement participatif d’un groupe de travail de cette ampleur, identifiées lors des évaluations précédentes, demeurent.
D. L’APPORT ET LES LIMITES DE L’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE
Le processus d’élaboration du PNGMDR 2016-2018 comporte une innovation majeure : il s’accompagne d’une évaluation par l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), ainsi que d’un rapport environnemental faisant suite à un cadrage préalable de la même autorité environnementale, en date du 22 juillet 2015.
Ni cette évaluation, ni le rapport associé, n’entrent, à proprement parler, dans le périmètre de l’évaluation dont l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques se trouve chargé de par la loi. Néanmoins, dans la mesure où ce nouvel angle d’éclairage du PNGMDR conduit à modifier à la fois son contenu et les décisions prises dans le cadre de son processus d’élaboration, il semble important de l’expliciter.
Dans son avis du 20 juin 2016, l’Autorité environnementale du CGEDD indique que :
« L’analyse environnementale de ce plan conduit à s’interroger sur certaines questions récurrentes, que le plan ne traite pas explicitement : définition de la nocivité des déchets, description et prise en compte de l’évolution de leur radioactivité, y compris à très long terme, approche globale des impacts environnementaux des rejets et des déchets, cohérence des principes de gestion (en particulier pour ce qui concerne le recyclage et la valorisation), etc. ».
En conséquence, l’autorité administrative émet une vingtaine de recommandations, principalement destinées à une meilleure prise en compte des impacts sur l’environnement de la gestion des déchets radioactifs et à une meilleure information du public sur ceux-ci.
Par exemple, l’Autorité environnementale du CGEDD recommande : « de fournir une indication de l’évolution de l’activité et de la composition des principaux radioéléments et produits écotoxiques stockés, à diverses échéances de très long terme (millier d’années, dizaine de milliers d’années, centaine de milliers d’années, million d’années) ».
L’amélioration de la prise en compte des impacts environnementaux de la gestion des matières et déchets radioactifs, à la fois pour éclairer les décisions et informer le public, constitue un apport important de cette première évaluation environnementale.
Deux recommandations de l’Autorité environnementale du CGEDD méritent une attention particulière : la première concerne les principes de gestion des déchets radioactifs et la seconde leur application au retraitement des combustibles usés.
Dans son avis du 20 juillet 2016, l’autorité administrative relève dans le PNGMDR 2016-2018 une possible contradiction entre deux principes applicables à la gestion des déchets radioactifs.
Le premier principe concerne l’objectif de réduction du volume et de la nocivité des déchets radioactifs, défini à l’article 6 de la loi de du 28 juin 2006, en tant que l’une des trois orientations pour l’élaboration du PNGMDR : « La réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs est recherchée notamment par le retraitement des combustibles usés et le retraitement et le conditionnement des déchets radioactifs ».
Le second principe, applicable à tous types de déchets, potentiellement aussi aux déchets radioactifs, a été établi par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, il consiste en une : « hiérarchie des modes de gestion des déchets existants, privilégiant dans l’ordre, le retraitement en vue d’une réutilisation, le recyclage, les autres formes de valorisation et le stockage avec, le cas échéant, un retraitement et un conditionnement préalable ».
L’Autorité environnementale du CGEDD note, à juste titre, que l’article 6 de l’ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets a restreint l’application de ce second principe en précisant qu’il s’applique : « sans préjudice des dispositions spéciales concernant notamment […] les déchets radioactifs ».
De ce fait, l’autorité administrative « recommande de rappeler et de clarifier dans quelle mesure les dispositions générales du code de l’environnement applicables aux déchets s’appliquent aux déchets radioactifs ». Un peu plus loin, elle recommande également « que le concept de nocivité soit explicitement défini, en cohérence avec les principes des directives Euratom 2011/70 et 2013/59, en prenant tout particulièrement en compte les impacts potentiels pour la population, quelles que soient les générations concernées ».
Les informations recueillies dans le cadre de la présente étude, notamment à l’occasion d’un déplacement en Allemagne, conduisent à penser qu’une telle contradiction a été résolue de façon satisfaisante dans d’autres pays de l’Union européenne qui appliquent le principe de hiérarchie des modes de gestion des déchets existants aux déchets radioactifs, par exemple en privilégiant le recyclage de certains déchets de très faible activité.
La condition préalable à son application est bien, comme le suggère l’Autorité environnementale du CGEDD, la définition du concept de nocivité. Les seuils de libération visent justement à déterminer des critères permettant de distinguer les matériaux ne présentant pas de nocivité, par conséquent susceptibles d’être libérés, de ceux devant faire l’objet de mesures particulières.
Paradoxalement, dans le même avis, l’autorité se félicite de l’absence de seuils de libération en France, tout en notant que : « contrairement à la plupart des autres pays : la réglementation ne prévoit pas à ce stade de possibilité de libération des déchets de très faible activité. Ce choix s’appuie notamment sur les arguments développés par l’Autorité de sûreté nucléaire dans son avis n° 2016-AV-0258 ».
En tout état de cause, les deux principes de gestion des déchets radioactifs susmentionnés ayant été introduits par le législateur, il lui revient d’assumer cette clarification. Que ce soit sur le plan environnemental ou celui de la sûreté, c’est en effet au législateur de définir les grands principes qui conditionnent les activités économiques du pays, en recherchant, dans l’intérêt commun, le meilleur équilibre. Toute activité humaine a, en effet, un impact sur l’environnement et présente des risques. Mais l’absence d’activité a aussi des conséquences néfastes.
À la suite de ce constat de la nécessité d’une clarification, la justification d’une autre recommandation semble directement remettre en cause la cohérence du premier principe défini à l’article 6 de la loi du 28 juin 2006.
Dans son rapport, l’autorité administrative indique qu’elle « souscrit pleinement » à l’analyse de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), dans la contribution qu’il lui a transmise : « De manière plus générale, l’évaluation des impacts environnementaux résultant du choix stratégique de retraiter le combustible usé, en comparaison de ceux qui résulteraient de l’absence de retraitement, doit être faite en considérant l’ensemble du cycle de vie du combustible, depuis l’extraction de l’uranium, jusqu’au stockage des déchets induits. À cet égard, la part des impacts épargnés par la réduction des quantités de matière première extraites, du fait du recyclage de la matière valorisable, doit être mise en balance des nuisances générées par les opérations de recyclage ».
L’Autorité environnementale du CGEDD ajoute : « Une telle analyse serait utile pour s’assurer de la cohérence de ce choix avec les principes applicables aux déchets radioactifs, quelle que soit la réponse apportée à la première recommandation de ce paragraphe ».
En réalité, il n’y a pas matière à remettre en cause la cohérence des orientations stratégiques définies par le législateur à l’article 6 de la loi du 28 juin 2006. Le législateur les a fixées en prenant en compte l’ensemble des intérêts nationaux. Lorsqu’il a décidé que le retraitement des combustibles usés constituait l’une des voies à suivre pour la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets, le législateur n’a pas considéré que ces seules conséquences du retraitement. Il n’existe, de ce fait, aucune contradiction interne à la première orientation fixée, pour l’élaboration du PNGMDR, à l’article 6 de la loi du 28 juin 2006.
Aussi, n’apparaît-il pas possible de souscrire à la dernière partie de la recommandation suivante : « L’Ae recommande que le PNGMDR ou son rapport environnemental comporte, pour les principales orientations stratégiques de gestion des matières et déchets radioactifs (notamment, retraitement des combustibles usés, schémas industriels de gestion), une évaluation comparée des impacts pour la population et l’environnement (rejets et déchets) des différentes alternatives possibles ou envisagées, et démontrent leur cohérence avec les principes qui leur sont applicables ».
Une évaluation comparée des impacts pour la population et l’environnement des différentes alternatives possibles ou envisagées de gestion du cycle du combustible apparaît sans aucun doute utile. Par contre, il ne revient pas à l’administration de remettre en cause, sur ce seul critère, « les principales orientations stratégiques de gestion des matières et déchets radioactifs » données par la loi.
La démarche d’évaluation environnementale engagée pour la première fois dans le cadre du PNGMDR 2016-2018 apparaît, sans conteste, utile, notamment parce qu’elle permet de mieux prendre en compte les impacts de la gestion des matières et déchets radioactifs sur l’environnement et d’en informer le public.
Toutefois, pour garder toute sa pertinence, cette démarche doit, de toute évidence, s’inscrire le cadre législatif et réglementaire existant, a fortiori en évitant de remettre en cause les grandes options stratégiques définies pour le pays.
II. LES ENJEUX DU RETRAITEMENT-RECYCLAGE DES COMBUSTIBLES USÉS
Voici plus d’un demi-siècle, la France a fait le choix de se doter d’un outil industriel lui permettant de retraiter les combustibles usés.
Cette décision s’est concrétisée, en seulement quelques années, par l’ouverture, en 1966, de la première usine du site industriel de La Hague, destinée à récupérer le plutonium issu des combustibles « uranium naturel graphite gaz » (UNGG) usés. Elle a été complétée, dix en plus tard, par la construction d’un deuxième atelier, en prévision des premiers réacteurs de puissance à eau pressurisée du parc actuel.
Aujourd’hui, le site de La Hague est autorisé à traiter annuellement 1 700 tonnes de combustibles dans deux unités de puissance égale. Il s’agit de la plus grande installation industrielle de ce type dans le monde. Elle emploie de l’ordre de cinq mille personnes dans le Cotentin.
Au travers de la mise en œuvre de cette installation, la France a accumulé, en soixante ans, un savoir-faire scientifique et industriel sans équivalent dans le retraitement de tous types de combustibles. Ce savoir-faire constitue un atout important, alors que plusieurs pays dans le monde envisagent de se doter de capacités propres dans ce domaine.
A. LE RETRAITEMENT DES COMBUSTIBLES USÉS : UN CHOIX STRATÉGIQUE
Si, initialement, la construction de La Hague a été initiée à des fins militaires, dès 1976 les investissements ont été engagés pour sa conversion aux applications civiles, alors que commençait la construction du parc de réacteurs nucléaires de production électrique. Ces deux démarches parallèles ont été engagées pour atteindre un objectif stratégique majeur : accroître l’indépendance énergétique du pays.
En effet, le retraitement vise à récupérer des matières énergétiques encore présentes en grande quantité dans les combustibles usés. Il s’agit de l’uranium et du plutonium. Après trois ans passés en réacteur, un combustible usé initialement constitué d’une tonne d’uranium, comprend encore 95 %, soit 956 kilogrammes, d’uranium, et 1 %, soit environ 10 kilogrammes, de plutonium.
De tels combustibles usés ne contiennent donc que 4 %, soit environ 35 kilogrammes, de déchets ultimes non recyclables : produits de fission et actinides mineurs. Dans le cadre du processus de retraitement, ces derniers sont calcinés, puis incorporés dans une matrice en verre, chimiquement stable, avant d’être coulés dans un conteneur en acier inoxydable.
Pour mesurer l’intérêt de cet effort de récupération des matières énergétiques encore contenues dans les combustibles nucléaires usés, il convient de garder en tête une comparaison simple : cent grammes d’uranium ou un gramme de plutonium fournissent plus d’énergie qu’une tonne de pétrole. Il est, en fait, difficile de se faire à l’idée, alors que l’humanité est confrontée à des défis climatique et énergétique majeurs, qu’une telle ressource puisse être volontairement et froidement abandonnée à tout jamais.
Composition du combustible nucléaire avant et après 3 ans d'irradiation
(Source : Roulex_45, licence CC BY-SA 3.0).
Indubitablement, l’industrie nucléaire a donc été pionnière en matière d’économie circulaire et de développement durable. Le principe d’une telle économie est précisément un fonctionnement en boucle, visant, autant que faire se peut, à réutiliser des ressources encore présentes dans les déchets, afin de limiter la consommation et le gaspillage des matières premières.
Le fait que le cycle du retraitement des combustibles s’étale sur une dizaine d’années ou que la réutilisation des matières récupérées puisse nécessiter, compte tenu des quantités considérables d’énergie emmagasinées, plusieurs centaines d’année, ne change en rien cet état de fait.
Interrogé par l’un de vos rapporteurs sur les conséquences de l’abandon du retraitement, M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE a confirmé que celui-ci conduirait, à relativement court terme, à un épuisement des ressources en uranium naturel exploitables dans des conditions économiquement acceptables : « Si un nombre conséquent de pays se dotent de réacteurs nucléaires, l’évolution des réserves d’uranium sera similaire à celle du pétrole. Avec cinquante ou cent ans de réserves, l’énergie nucléaire ne sera qu’une parenthèse dans l’approvisionnement énergétique de la planète. Il sera ensuite certainement difficile de se rabattre sur le Thorium ».
En retirant des déchets à stocker les deux actinides majeurs : le plutonium et l’uranium, le retraitement des combustibles usés permet d’atteindre également un objectif secondaire important : la réduction de leur toxicité, notamment radiologique, et de leur volume. Mais il s’agit là d’une conséquence avantageuse du retraitement, non de sa principale justification.
À cet égard, M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE, a indiqué que : « Si l’on décide de procéder à un stockage direct des combustibles, cela implique de stocker également 40 000 tonnes d’uranium et 360 tonnes de plutonium. CIGEO deviendrait ainsi une mine d’uranium et de plutonium ».
Comparaison de la décroissance de la radiotoxicité des combustibles usés,
des verres classiques et des verres sans actinides mineurs (Source : CEA).
Cet atout en termes d’entreposage et de stockage des déchets doit être mis en balance avec la production de déchets et d’effluents, tout au long du cycle de retraitement du combustible. Comme tout processus industriel, le retraitement induit, en effet, une certaine forme de pollution.
Il apparaît donc pertinent de s’interroger sur son impact environnemental, comme demandé par l’avis de l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Cela implique de réaliser une analyse des impacts pour l'environnement d'une stratégie de retraitement des combustibles usés en comparaison de ceux qui résulteraient de l’absence de retraitement. Cette analyse devrait prendre en considération l’ensemble du cycle de vie du combustible, depuis l’extraction de l’uranium, jusqu’au stockage des déchets induits.
À cet égard, il convient de rappeler que les technologies de retraitement ont continuellement été perfectionnées au cours des soixante dernières années. Ces améliorations ont déjà conduit à une très forte réduction des déchets secondaires produits, ainsi des rejets dans l’environnement. Il est, de toute évidence, nécessaire de poursuivre cet effort de recherche qui est gage de compétitivité. Ce constat a d’ailleurs conduit, au début des années 1980, à la création à Marcoule d’un laboratoire dédié à ces recherches : Atalante (atelier alpha et laboratoires pour analyses, transuraniens et études de retraitement).
Mais, encore une fois, à lui seul, le critère de l’impact sur l’environnement ne permet pas de décider de l’intérêt de la stratégie de retraitement des combustibles usés.
B. LES ALÉAS DU STOCKAGE DIRECT DES COMBUSTIBLES USÉS
1. Des choix différents suivants les pays
Plusieurs pays dotés d’un haut niveau de maîtrise scientifique mais d’un nombre limité de réacteurs nucléaires ont, dès l’origine, préféré retenir la solution du stockage direct de leurs combustibles usés. L’exemple de la Suède ou de la Finlande viennent naturellement à l’esprit.
Les raisons d’un tel arbitrage se conçoivent aisément : d’une part, la construction d’une installation de retraitement ne peut se justifier pour quelques réacteurs nucléaires et, d’autre part, le volume final de combustibles à stocker apparaît, de toute façon, suffisamment réduit pour demeurer gérable.
Comme l’a précisé M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE, lors de l’audition du 4 octobre 2016, ce choix « conduit à des colis de 24,6 tonnes, comprenant notamment 7,4 tonnes de cuivre ultra-pur, et 3,6 tonnes de matière radioactive… Pour la Suède, ces combustibles usés représentent au total 12 000 tonnes de déchets ».
La situation apparaît tout à fait différente pour un pays technologiquement avancé, doté d’un parc nucléaire conséquent, comme les États-Unis, le Japon, la Chine, la Corée du sud, la Russie, la Grande-Bretagne ou, voici quelques années encore, l’Allemagne.
La perspective d’une accumulation de combustibles usés, en grand nombre, à travers le territoire, conduit nécessairement à s’interroger sur la pertinence de leur retraitement, ne serait-ce qu’en vue d’une réduction de l’espace nécessaire à leur entreposage puis à leur stockage.
Les États-Unis représentent, à cet égard, un exemple particulièrement éclairant. La taille du parc nucléaire américain, à ce jour de quatre-vingt-dix-neuf réacteurs, est, en effet, du même ordre de grandeur que celle du parc français, de cinquante-huit réacteurs. Qui plus est, les réacteurs américains sont, en moyenne, plus âgés que les nôtres d’une dizaine d’années.
Les Américains se sont, initialement, orientés vers le retraitement des combustibles, mais ils y ont, par étapes, renoncé, d’abord en raison de difficultés techniques ou financières, puis à la suite d’une décision de principe du président Gerald Ford, visant à limiter les risques de prolifération nucléaire dans les pays étrangers.
Aussi, semblait-il pertinent de vérifier sur le terrain, dans le cadre de cette étude, les conséquences pratiques de cet abandon.
Tout d’abord, il est évident que le Département américain de l’énergie (Department of Energy, ou DOE) s’est trouvé, malgré une démarche prudente, pris de court par la croissance rapide de l’inventaire des combustibles usés. Pourtant, dès 1978, l’adéquation du site de Yucca Mountain pour la construction d’un centre de stockage géologique des combustibles usés américains a commencé à être évaluée.
Ces études se sont intensifiées à partir de 1987, quand le choix de ce site a été officialisé par le Congrès. Lorsqu’il a été abandonné, en 2008, à la suite d’une décision politique, neuf milliards de dollars avaient déjà été investis dans ce projet qui, pourtant, ne permettait pas, dans sa configuration initiale, de stocker les combustibles produits après 2014.
Or, le Nuclear Waste Policy Act de 1982 impose au Gouvernement fédéral de prendre en charge, à partir de 1998, la gestion à long terme de tous les déchets civils des producteurs d'électricité.
Prenant acte de la décision d’abandon du site de Yucca Mountain, dès 2009, les opérateurs des centrales américaines, qui abondent un fond destiné à la gestion de leurs combustibles usés par le DOE, ont poursuivi le gouvernement américain, pour obtenir un dédommagement permettant de compenser les frais d’entreposage de ces combustibles. Plusieurs des interlocuteurs rencontrés ont confirmé que le DOE verse dans ce cadre chaque année, de l’ordre d’un milliard de dollars aux opérateurs.
L’exemple des États-Unis montre que l’entreposage des combustibles usés, dans l’attente d’une solution définitive, s’avère, sur le long terme, plus complexe que prévu, et son coût final difficile à évaluer.
Aux États-Unis, comme en France, les combustibles sont d’abord refroidis dans les piscines des centrales nucléaires. Une fois leur température suffisamment redescendue, après au moins cinq ans, ils sont transférés dans un entreposage à sec, situé à proximité de chaque centrale. Celui-ci permet un refroidissement passif, par circulation d’air. Plus de soixante-dix sites d’entreposage sont ainsi répartis sur tout le territoire américain, notamment à l’est du pays.
Sites d’entreposage des combustibles usés (Source : Department of Energy).
La protection de ces sites d’entreposage, potentiellement vulnérables à une attaque au sol ou aérienne, a évidemment été renforcée depuis l’attentat du 11 septembre 2001. Qui plus est, le vieillissement du gainage des combustibles, en général au zirconium, conduit à une perte d’étanchéité progressive qui peut, par la suite, rendre plus délicate leur préparation pour le transport vers une destination finale. Ces difficultés, qui n’avaient pas été initialement envisagées, alourdissent d’autant les frais d’entreposage des combustibles.
Compte tenu de ces aléas et du coût annuel supporté, le DOE étudie, en liaison avec des opérateurs privés, la possibilité de créer, dans les années qui viennent, un entreposage destiné à centraliser les combustibles usés, soit dans le Nevada, à proximité du futur site de stockage, le projet de Yucca Mountain semblant en passe d’être relancé, soit dans l’État du Texas, relativement proche.
L’exemple des États-Unis illustre la difficulté et les incertitudes de la gestion des combustibles usés pour un parc important de réacteurs nucléaires, alors même que cette solution peut apparaître a priori techniquement plus simple à maîtriser que celle du retraitement des combustibles.
Les études économiques comparant les deux options de gestion des combustibles, stockage direct ou retraitement préalable, s’accordent, pour la plupart, sur une équivalence des coûts. Mais une étude récente de l’Université pontificale de Comillas en Espagne (1) confirme que l’option du retraitement, parce qu’elle réduit le volume des déchets radioactifs et leur donne une enveloppe en verre adaptée à l’entreposage et au stockage de long terme, permet de réduire l’incertitude sur le coût final de la gestion des combustibles.
C. LE PROBLÈME DE LA RÉUTILISATION DES MATIÈRES
Récupérer les matières énergétiques présentent dans les combustibles usés n’a, bien évidemment, de sens que si celle-ci peuvent effectivement être réutilisées, à court ou à long terme, pour produire plus d’électricité. À court terme, cette réutilisation est possible dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc nucléaire actuel. À plus long terme, elle nécessite de développer, puis de déployer un nouveau type de réacteurs, dits à neutrons rapides.
1. La réutilisation des matières dans le parc actuel
La réutilisation du plutonium et de l’uranium récupérés lors du retraitement des combustibles usés est actuellement mise en œuvre, dans les usines de Romans et de Marcoule, où sont fabriqués, respectivement, les combustibles à base d’uranium de recyclage (URE) et les combustibles dits MOX (mélange d’oxydes de plutonium et d’uranium, par opposition aux combustibles fabriqués à partir d’uranium naturel, dits UOX pour oxydes d’uranium) constitués d’un mélange de 8 % de plutonium et de 92 % d’uranium appauvri.
Les combustibles à base d’uranium de recyclage ré-enrichi alimentent aujourd’hui la seule centrale nucléaire de Cruas, dotée de quatre réacteurs.
Les combustibles MOX ne peuvent être, à ce jour, utilisés que dans vingt-quatre des cinquante-huit réacteurs du parc nucléaire. En effet, seuls des réacteurs parmi les plus anciens du parc français, ceux d’une puissance de l’ordre de 900 MWe, sont autorisés à fonctionner, pour partie, avec ce type de combustible.
Si l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire à 50 %, défini par la loi relative à la transition énergétique pour la croissante verte, est effectivement mis en œuvre d’ici 2025, ces réacteurs seraient parmi les premiers concernés par une éventuelle décision d’arrêt.
Indépendamment de cette décision politique, à l’échéance des quarante ans, les mesures de renforcement de la sûreté imposées par l’Autorité de sûreté nucléaire pourraient conduire à l’arrêt définitif d’un ou plusieurs de ces réacteurs. Chacun de ces arrêts réduirait de l’ordre de 5 % la consommation des combustibles MOX.
Or, l’impossibilité de recycler les matières issues du retraitement mettrait à mal l’équilibre du cycle du combustible français et conduirait, à relativement courte échéance, à une remise en cause de ce dernier.
Il semblerait donc prudent d’envisager, dès à présent, que d’autres réacteurs, de générations plus récentes, puissent être autorisés à utiliser ce type de combustibles. En l’occurrence, il s’agit, d’une part, des réacteurs de deuxième génération les plus récents, ceux de 1 300 MW, et, d’autre part, de l’EPR de Flamanville.
2. La réutilisation des matières dans les réacteurs de quatrième génération
La possibilité de réutiliser les matières issues du retraitement dans les réacteurs à eau pressurisée du parc en exploitation comporte une limite majeure : le retraitement des combustibles MOX ne peut, à l’heure actuelle, être utilement réalisé. Cette impossibilité ne se situe pas au niveau du retraitement lui-même.
La difficulté résulte de l’impossibilité de réutiliser, dans les réacteurs à eau pressurisée qui constituent le parc nucléaire actuel, un combustible MOX fabriqué à partir du plutonium provenant d’un deuxième retraitement. Ce type de combustible ne peut alimenter que des réacteurs de nouvelle génération, dits à neutrons rapides.
L’impossibilité de retraiter les combustibles MOX conduit à leur accumulation dans les piscines des centrales alimentées par ce type de combustibles. Une telle situation ne peut évidemment perdurer, sauf à envisager le stockage direct de ces combustibles, toujours riches en matières énergétiques, ce qui contredirait le principe de l’économie circulaire.
La mise en place des réacteurs à neutrons rapides (RNR) nécessaires n’apparaît pas inatteignable. En effet, la France s’est déjà dotée, dans le passé, de plusieurs réacteurs du même type.
Ainsi, le prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides refroidi au sodium Phénix de 250 MWe a-t-il été exploité durant 33 ans, de 1977 à 2010, à Marcoule, essentiellement à des fins de recherche, même s’il a été raccordé au réseau électrique jusqu’en 2009.
Son successeur, Superphénix, mis en service en 1984, a connu une exploitation d’une dizaine d’années seulement. Son abandon résulte tout à la fois de la forte opposition à sa construction (allant jusqu’à une attaque du chantier au lance-roquette, en 1982) (2), des nombreux problèmes techniques rencontrés et de la situation politique au milieu des années 1990.
Pour sa part, la Fédération de Russie exploite depuis le début des années 1980 le réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium de 550 MWe BN-600, situé à Beloïarsk, dans l’Oural. Son successeur, le BN-800, d’une puissance de 880 MWe, a été raccordé le 10 décembre 2015 au réseau électrique. Il n’apporte pas d’innovation technologique majeure, puisqu’il reprend l’essentiel des solutions mises en œuvre pour son prédécesseur.
Hall central du compartiment réacteur du BN-800 (Source : Rosenergoatom).
De son côté, la France développe actuellement le réacteur à neutrons rapides de nouvelle génération de 600 MWe à caloporteur sodium ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), conçu comme un démonstrateur technologique, notamment en matière de sûreté et de transmutation des actinides.
À la différence du nouveau réacteur russe, ASTRID vise à réaliser un saut technologique majeur dans le domaine de la sûreté, ce qui implique d’y intégrer de multiples innovations. Les principales concernent l’architecture du cœur du réacteur, les possibilités d’inspection en service et un système de conversion d’énergie permettant d’éliminer les réactions entre le sodium et l’eau.
Ce développement pourrait aboutir à un réacteur opérationnel vers 2025-2030.
Ainsi que l’a souligné M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE, à l’occasion de l’audition du 4 octobre 2016 : « La présence de réacteurs à neutrons rapides permet d’assurer la gestion du stock de plutonium sur le long terme, puisque les RNR peuvent fonctionner, d’une part, en mode iso-générateur, permettant de maintenir constant le stock de plutonium tout en produisant de l’énergie, et, d’autre part, en mode brûleur, permettent de faire décroître le stock de plutonium, tout en produisant de l’énergie, ce qui permet d’éliminer le plutonium en fin de cycle ».
D. LE RETRAITEMENT : UNE EXCEPTION FRANÇAISE ?
La France est, aujourd’hui, le seul pays à disposer de capacités industrielles aussi importantes en matière de retraitement et de recyclage des combustibles usés. Cette situation de relatif isolement peut apparaître inquiétante, ou du moins conduire à une interrogation sur ses causes.
Tous les pays disposant de la maîtrise technologique nécessaire qui ont envisagé de développer un parc nucléaire d’une certaine ampleur ont, à un moment ou un autre, envisagé de se doter d’installations de retraitement de leurs combustibles usés.
Comme indiqué précédemment, la fin du retraitement aux États-Unis découle aussi bien d’échecs industriels initiaux que d’une volonté politique de freiner le développement de ce mode de gestion des combustibles usés à l’étranger, ce qui supposait, pour les Américains, d’y renoncer eux-mêmes, par souci d’exemplarité.
Cette décision a d’ailleurs été suivie d’accord passés avec certains pays qui se sont engagés à renoncer eux-mêmes au retraitement, le meilleur exemple en étant la Corée du sud.
Le cas de l’Allemagne n’est pas très différent de celui des États-Unis, puisque la décision d’autoriser un stockage direct des combustibles a suivi de peu un échec industriel : l’abandon, en 1989, de l’usine de retraitement de Wackersdorf (WAA), en Bavière. La possibilité du retraitement à l’étranger des combustibles usés a ensuite été définitivement abandonnée en 2005, trois ans seulement après la première décision de sortie de l’énergie nucléaire, prise en 2002.
Quant à la Grande-Bretagne, qui dispose encore pour quelques années de capacités de retraitement significatives, à hauteur de 900 tonnes par an, l’arrêt de l’installation de Sellafield résulte d’une absence, plus générale, d’investissement dans le domaine nucléaire durant les vingt dernières années, lié à la dépendance énergétique vis-à-vis du gaz et du pétrole de la mer du Nord.
Enfin, le Japon se retrouve, pour sa part, confronté, depuis une quinzaine d’années, à des problèmes technologiques dans sa nouvelle usine de Rokkasho, d’une capacité de traitement prévue de 800 tonnes par an, dont la mise en service a été repoussée plusieurs fois, l’échéance étant à présent fixée à septembre 2018.
L’isolement de la France dans ce domaine résulte donc, avant tout, de la conjonction entre un haut niveau de maîtrise technologique, une continuité dans les choix industriels et la volonté d’indépendance énergétique.
E. LA NÉCESSITÉ DE POURSUIVRE L’EFFORT DANS LE DOMAINE DU RETRAITEMENT ET DU RECYCLAGE
Voici plus de quarante ans, la France a fait le choix stratégique de développer à la fois un parc nucléaire de production et une filière de retraitement des combustibles usés, afin d’assurer son indépendance énergétique pour la production d’électricité.
Elle dispose aujourd’hui d’une position dominante au niveau mondial dans le domaine du retraitement et du recyclage, à la fois par la taille de ses installations et la maîtrise de l’ensemble des technologies nécessaires.
Les pays qui développent aujourd’hui, principalement en Asie, leur parc de production nucléaire envisageront nécessairement de se doter de capacités de retraitement et de recyclage propres. La Chine a d’ores et déjà entamé des négociations avec AREVA à cette fin.
À cet égard, ainsi que l’a noté M. Maurice Leroy dans le cadre de la même audition : « Contrairement à une idée reçue, l’expérience du secteur militaire dans ce domaine n’est pas aisément transposable. Preuve en est que la Chine qui possède l’arme nucléaire, est quand même intéressée par l’acquisition des technologies de retraitement du combustible. »
À la suite du récent changement d’orientation politique, même les États-Unis ne semblent plus écarter tout à fait la possibilité d’un retour à cette option, ainsi que l’a laissé entendre le membre du Congrès John Shimkus, président du sous-comité de l’énergie et du commerce de la Chambre des représentants, en charge d’un projet de loi sur le stockage géologique des combustibles usés. Dans ce cadre, la réversibilité d’une future installation viserait précisément à permettre une reprise ultérieure des combustibles usés, en vue de leur retraitement.
Il serait paradoxal de renoncer, après plus de quarante années d’investissements, à l’avantage procuré par la position pionnière de la France dans ce domaine. Un tel abandon aurait d’ailleurs des conséquences sur l’ensemble de la filière nucléaire française, comme l’a rappelé M. Maurice Leroy au cours de la même audition : « Cela signifie aussi perdre toute crédibilité dans ce domaine, comme tout pays qui se désengage d’une industrie ».
Non seulement le retraitement et le recyclage des combustibles usés doivent être poursuivis, mais il convient de renforcer l’effort de recherche, aussi bien sur le cycle du combustible nucléaire, afin de le rendre plus compétitif et de réduire encore son impact sur l’environnement, que pour le développement d’une nouvelle génération de réacteurs à neutrons rapides plus sûrs qui permettront de le fermer.
III. LES AVANCÉES DE LA GESTION DES DÉCHETS TRÈS FAIBLEMENT RADIOACTIFS
Depuis le début des années 1990, la réglementation française impose à tous les exploitants d’installations nucléaires de base (INB) de délimiter, au sein de celles-ci, les zones qui sont susceptibles d’être contaminées, et les zones qui ne peuvent l’être. Tous les déchets provenant des premières sont considérées comme potentiellement radioactifs, ceux issus des secondes sont, au contraire, réputés conventionnels.
Ce principe dit de « zonage des déchets », spécifique à la France, a démontré son efficacité, en évitant, depuis sa mise en place, toute dérive dans la gestion des déchets radioactifs générés au cours de l’exploitation des installations nucléaires. Mais la montée en puissance, ces dernières années, des démantèlements d’installations nucléaires, qui génèrent de très grandes quantités de déchets très faiblement radioactifs, a mis en évidence les limites du dispositif actuel.
En effet, une part significative – de trente à cinquante pour cent d’après l’ANDRA – des déchets de démantèlement sortant des « zones à production possible de déchets nucléaires » présentent un niveau de radioactivité nul, ou extrêmement faible, et n’induisent, en tout cas, pas plus de risque radiologique que la radioactivité dans l’environnement. Néanmoins, en vertu de ce principe de zonage, ces déchets doivent être traités comme les autres déchets radioactifs de très faible activité, ce qui impose de les transporter à travers le territoire jusqu’à un centre adapté à ces derniers, avec pour conséquence principale la saturation des capacités de stockage existantes.
A. LES LIMITES D’UNE DÉMARCHE SYSTÉMATIQUE
L’approche française de gestion des déchets radioactifs privilégie des solutions centralisées de stockage, permettant de mettre en place les meilleures mesures de protection de la population, tout en optimisant les coûts de gestion. Face à chacune des principales catégories de déchets radioactifs, l’objectif est donc de proposer un exutoire unique, adapté à leurs caractéristiques propres, notamment en termes de radiotoxicité.
Principaux centres de stockage de déchets radioactifs
Nom du centre |
Type de déchet radioactif |
Capacité |
Mise en service |
Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES) |
Très faibles activité (TFA) |
650 000 m3 |
2003 |
Centre de stockage de l’Aube (CSA) |
Faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) |
1 000 000 m3 |
1992 |
À déterminer |
Faible activité à vie longue |
≈ 180 000 m3 |
En étude |
CIGEO |
Haute et moyenne activité à vie longue (HA-VL et MA-VL) |
≈ 10 000 m3 (HA-VL) ≈ 73 500 m3 (MA-VL) |
Vers 2025-2030 |
Ainsi, l’ensemble des déchets de très faible activité (TFA) produits dans les prochaines années devraient-ils être regroupés au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES), situé sur les communes de Morvilliers et de La Chaise. Ce centre de stockage, mis en service en 2003, devrait être exploité sur une période totale d’environ trente ans.
Vue aérienne du CIRES (Source : ANDRA).
La capacité de stockage de déchets TFA autorisée pour le CIRES est actuellement de 650 000 mètres cubes, dont 328 000 mètres cubes déjà utilisés.
L’un des apports majeurs du PNGMDR concerne l’évaluation, sur la base de l’Inventaire national des déchets radioactifs et des prévisions des producteurs de ces déchets, des besoins à venir en capacités de stockage.
Avec la progression des premières opérations de démantèlement d’installations nucléaires, il est très vite apparu qu’à raison d’un flux de 25 000 à 30 000 mètres cubes, la capacité résiduelle du CIRES ne permettrait pas de faire face aux besoins de gestion des déchets TFA au-delà d’une dizaine d’années.
Une extension des capacités du CIRES à 900 000 mètres cubes est d’ores et déjà envisagée. À plus long terme, une installation jumelle pourrait permettre, si elle était autorisée, de porter la capacité totale de stockage des déchets TFA sur ce site à quelques 1 300 000 mètres cubes.
Mais cela resterait encore insuffisant, pour faire face à l’inflation des prévisions de production de déchets TFA, qui ont doublées depuis la création du CIRES, pour atteindre 2 200 000 mètres cubes à terme, hors sols pollués.
Prévision de l’évolution en m3 des volumes cumulés stockés au CIRES (Source : ANDRA).
Même si la capacité de stockage du CIRES s’avérait suffisante, il resterait à évaluer l’impact sur l’environnement et sur la santé du transport de millions de tonnes de déchets à travers la France, ainsi que l’avait noté M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, à l’occasion de l’audition du 17 février 2016 : « Enfin, un dernier inconvénient résulte de la façon spécifique dont le risque nucléaire et radiologique est géré dans notre pays, indépendamment des autres risques. De ce fait, les transferts de risques ne peuvent être facilement pris en compte. Le transport de milliers de tonnes de déchets par la route, d’un point A à un point B, induit évidemment des risques d’accident et de pollution. Ces autres risques pour la société ne sont pas pris en considération ».
Une amélioration de la prise en compte de l’ensemble des impacts sur l’environnement des différentes options de gestion des déchets est également l’une des recommandations issue de l’évaluation environnementale du PNGMDR 2016-2018.
De fait, le coût moyen modéré du stockage des déchets TFA au CIRES n’a pas contribué à favoriser une telle réflexion, comme l’a indiqué, lors de cette même audition, le directeur général de l’IRSN : « Finalement, le coût raisonnable du stockage se retourne contre celui-ci, puisque jusqu’à 30 % à 50 % de certains lots de déchets stockés au CIRES ne sont pas du tout radioactifs. Bien que ces coûts soient raisonnables, ils ne sont pas proportionnés au véritable risque radiologique ».
D’après les données publiées par l’ANDRA, ce coût serait de cinq-cents euros par mètre cube, incluant l’amortissement des investissements (quarante millions d’euros en 2002) et les charges d’exploitation (variables suivant les volumes livrés, de l’ordre de dix millions d’euros par an), soit dix fois moins que le coût du stockage des déchets de faible et moyenne activité à vie courte au Centre de stockage de l’Aube (CSA), également géré par l’ANDRA, et vingt fois moins que l’estimation du coût de stockage des déchets TFA en Allemagne.
B. L’OUVERTURE À UNE NOUVELLE APPROCHE DE GESTION DES DÉCHETS RADIOACTIFS
Comme l’a rappelé l’Autorité environnementale du CGEDD dans son avis du 20 juillet 2016 sur le PNGMDR 2016-2018, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a introduit, dans l’objectif de la mise en place progressive d’une économie circulaire, une démarche hiérarchisant les différents modes de gestion des déchets.
Dans cette démarche, le stockage des déchets doit intervenir en dernier recours, lorsque toutes les autres possibilités ont été épuisées.
Lors de leur audition, les producteurs de déchets radioactifs, tout comme l’Autorité de sûreté nucléaire et l’ANDRA se sont montrés ouverts à l’exploration de solutions alternatives au stockage qui favorisent la réduction du volume de déchets générés, la réutilisation des installations existantes, ou le recyclage de certains matériaux. Quatre de ces solutions apparaissent tout particulièrement prometteuses.
Une première solution consiste à maintenir pour les réutiliser, sur les sites nucléaires pérennes, des bâtiments qui n’ont fait l’objet, dans le passé, d’aucun incident de contamination, ainsi que l’a expliqué M. Vincent Gorgues, responsable du programme démantèlement et assainissement du CEA : « D’abord, tous les sites du CEA sont pérennes. Leur vocation industrielle n’est pas remise en cause. Il en va de même pour AREVA. Cela signifie que la plupart des bâtiments, en l’absence de risque d’effondrement ou de contamination des structures, ont normalement vocation à rester en place. L’ASN se montre très ouverte à ce qu’après retrait du terme source, donc de la radioactivité, les bâtiments puissent rester en place, afin de servir à d’autres fins, par exemple, de stockage ».
Une deuxième solution, évoquée par M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’ANDRA, à l’occasion de l’audition du 4 octobre 2016, porte sur la réutilisation de gravats de béton issus des installations démantelées, pour combler les vides entre les colis de déchets au CIRES. Cette réutilisation pourrait concerner de 2 000 à 5 000 mètres cubes chaque année, ce qui n’est pas négligeable, en regard d’un flux annuel de 30 000 mètres cubes.
Une troisième solution a trait à la création de stockages locaux simplifiés, destinés aux déchets TFA les moins radioactifs. Comme l’a souligné le directeur général de l’ANDRA, lors de son audition du 4 octobre 2016, pour être viable, elle implique toutefois d’atteindre un coût de stockage significativement plus bas que celui du CIRES : « il existe aussi un deuxième enjeu, qui est de trouver un concept de stockage suffisamment nouveau pour faire un saut substantiel de coût. Aujourd'hui, pour le CIRES, ce coût est de cinq-cents euros, il faut viser cent à deux-cent euros, soit le coût du stockage dans les centres de déchets dangereux classiques ».
Une quatrième solution concerne la valorisation des déchets métalliques, à l’égal de ce qui se pratique en Allemagne ou en Suède. Une telle valorisation s’effectue déjà en France, mais à une très petite échelle – de l’ordre de 400 tonnes par an – au Centre nucléaire de traitement et de conditionnement (CENTRACO) de Marcoule. L’approfondissement de cette voie a été confié à un groupe de travail pluraliste ad hoc sur les modalités de gestion des déchets TFA, regroupant des experts, des industriels et des membres de commissions locales d’information.
Cette valorisation porterait initialement sur des lots homogènes de métaux, comme ceux issus du démantèlement de l’usine Georges-Besse I, à hauteur d’environ 140 000 tonnes, et du remplacement des générateurs de vapeur des réacteurs du parc nucléaire, à hauteur de 100 000 tonnes, représentant un flux annuel de 15 000 à 20 000 tonnes d’acier de très faible activité.
Ces métaux seraient fondus dans une installation dédiée, du même type que celle en service depuis une vingtaine d’années, à Krefeld, en Allemagne. Cette opération permet en effet de récupérer l’essentiel des radionucléides dans le surnageant, appelé laitier, qui, une fois séparé du reste des métaux ainsi décontaminés avec un facteur de l’ordre de 99 %, devient un déchet radioactif.
L’une des inconnues de cette dernière solution concerne la possibilité d’une réutilisation effective des métaux ainsi décontaminés, les quantités recyclable au sein de la filière nucléaire, par exemple pour la fabrication des emballages de déchets radioactifs, étant limitées. Il resterait à déterminer si d’autres activités industrielles traçables, permettant de minimiser les possibilités de contact avec les populations – on pourrait, par exemple, penser à la fabrication de pipeline pour l’industrie pétrolière – accepteraient de réutiliser ces métaux.
C. L’APPORT ÉVENTUEL DES SEUILS DE LIBÉRATION
Plusieurs pays du nord de l’Europe, tels que l’Allemagne ou la Suède, a priori peu suspects de négligence en matière environnementale, ont mis en place, à partir de la fin des années 1990, des seuils de libération permettant à certains déchets très faiblement radioactifs, par exemple des métaux ou des gravats, d’être réutilisés, recyclés ou simplement stockés en dehors de la filière nucléaire.
Ces seuils de libération s’appuient encore sur des recommandations de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR, en anglais International Commission on Radiological Protection ou ICRP) de 1990 (CIPR 60), de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de 1996 (normes de sûreté de base, en anglais Basic Safety Standards ou BSS) et une directive européenne publiée la même année (96/29/EURATOM), depuis mises à jour afin de prendre en compte les derniers progrès des connaissances scientifiques sur les effets des radiation ionisantes.
Ces deux dernières organisations préconisent la mise en œuvre de seuils de libération basés sur deux critères : une dose individuelle maximale annuelle de dix micro-sieverts et une dose collective maximale annuelle d’un homme sievert
(la dose collective est la somme des doses individuelles reçues par un groupe de personnes). Des scénarios d’exposition permettent de déduire de ces deux critères, par un calcul probabiliste, des seuils de libération pour chaque radionucléide.
La définition de ces seuils de libération doit évidemment être complétée de dispositions permettant de les mettre en œuvre en pratique, notamment en termes de mesure des émissions des déchets radioactifs concernés, susceptibles de s’avérer contraignantes et coûteuses. Qui plus est, une fois des déchets ainsi libérés, rien ne garantit qu’ils soient effectivement acceptés en dehors du domaine nucléaire, par exemple dans une décharge destinée aux déchets industriels dangereux ou, après décontamination, pour un usage industriel.
Compte tenu du scepticisme des intervenants français auditionnés sur la pertinence du dispositif mis en œuvre en Allemagne, il a semblé souhaitable de vérifier celle-ci sur place.
D’une part, l’utilité des seuils de libération dans ce pays est difficilement discutable, en l’absence, depuis 1998 et jusqu’en 2022, de site de stockage opérationnel pour les déchets radioactifs. D’autre part, les résultats obtenus sont probants, puisque seulement 2,4 % des déchets de très faible activité sortant des zones contrôlées des installations nucléaires allemandes sont, au final, considérés et traités comme des déchets radioactifs, contre 13 % environ en France.
Toutefois, la prise en compte des dernières normes internationales en la matière, avec la publication du CIPR 103 et de la mise à jour des BBS de l’AIEA, ainsi que de la nouvelle directive européenne 2013/59/EURATOM qui en découle, devrait entraîner la révision de certains seuils de libération, ce qui pourrait conduire à multiplier par quatre le volume des déchets radioactifs de très faible activité non libérables en Allemagne.
De plus, l’acceptation sociale de ce dispositif apparaît encore fragile, d’où sans doute la relative discrétion des interlocuteurs rencontrés sur les destinations finales des déchets libérés. Néanmoins, celles-ci existent bien, où qu’elles soient situées, éventuellement hors d’Allemagne, rien n’interdisant à des déchets libérés dans ce pays de traverser les frontières, a fortiori une fois recyclés sous forme de produits finis.
De toute évidence, la situation de l’Allemagne est différente de celle de la France, où l’existence du CIRES permet encore, au moins pour quelques années, de stocker de façon sûre et à un coût modéré ce type de déchets. Néanmoins, toutes les solutions permettant une gestion rationnelle des déchets radioactifs doivent être explorées, sans attendre la saturation des capacités existantes.
L’adéquation des seuils de libération à la gestion des déchets radioactifs de très faible activité en France resterait donc à évaluer, notamment du point de vue de l’acceptation sociale. Aussi, l’OPECST a-t-il saisi, en novembre 2016, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) de cette question.
Indépendamment de cette interrogation, à partir du moment où de nouveaux modes de gestion sont envisagés pour certaines catégories de déchets très faiblement radioactifs issus de la filière nucléaire, la notion de seuils de libération apparaît utile. En effet, la formalisation de tels seuils permettrait de disposer d’un référentiel, servant à justifier, de façon transparente, l’agrément, au cas par cas, de solutions spécifiques, par exemple pour certains déchets métalliques.
D. LE CAS DES DÉCHETS À RADIOACTIVITÉ NATURELLE ÉLEVÉE
Si elle n’apparaît pas, à court terme, indispensable à la gestion des déchets issus d’installations nucléaires françaises, l’introduction des seuils de libération pourrait prochainement devenir inévitable pour des déchets très faiblement radioactifs issus d’autres filières industrielles.
En effet, la directive 2013/59/EURATOM, en cours de transposition, dispose que : « les secteurs d'activité qui traitent des matières contenant naturellement des radionucléides devraient être gérés au sein du même cadre réglementaire que les autres pratiques ».
Cette directive européenne vise à proposer un système réglementaire complet et cohérent, en consolidant cinq anciennes directives relatives à la protection du public et des travailleurs (96/29/EURATOM), à la protection des patients lors d’expositions médicales (97/43/EURATOM), à l’information du public sur les mesures de protection en cas d’urgence radiologique (89/618/EURATOM), aux travailleurs extérieurs (90/641/EURATOM) et aux sources de haute activité (2003/122/EURATOM).
Toutes les matières premières et les minéraux contiennent des radionucléides, c’est-à-dire des atomes dont le noyau est instable, les principaux étant l’uranium 238, le thorium 230 et le potassium 40, ainsi que leurs descendants. Dans la plupart des activités de transformation, la concentration de ces radionucléides reste modérée, mais certaines activités peuvent conduire, en les concentrant, à une augmentation notable de l’exposition des travailleurs à la radioactivité. C’est, par exemple, le cas de la combustion du charbon en centrales thermiques, de l’exploitation pétrolière et gazière, de la géothermie, du traitement de métaux et terres rares, ou encore de la production d’engrais phosphatés.
Comme l’a indiqué M. Robert Guillaumont, à l’occasion de l’audition de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE), le 4 octobre 2016, le volume de cette catégorie de déchets, aussi appelés TENORM (Technical Enhanced Occurring Radioactive Material), est probablement très supérieur à celui prévu, dans l’avenir, pour les déchets TFA issus de la filière nucléaire : « L’Autorité environnementale estime le volume des TENORM à plusieurs millions de mètres cube. Il faut y ajouter les déchets historiques, à Malvési, et les déchets miniers et stériles ».
À l’heure actuelle, une partie de ces déchets à radioactivité naturelle élevée est réutilisée, notamment dans le bâtiment, par exemple dans la fabrication de ciment ou pour les remblais. Une autre partie – 120 000 tonnes dans les dix dernières années – est stockée, après une étude d’acceptabilité, dans quatre installations de stockage de déchets dangereux (ISDD) ou au CIRES, à hauteur de deux-mille-cents mètres cube. Mais la majeure partie reste, pour le moment, entreposée sur le lieu de production.
L’activité massique de ces déchets à radioactivité naturelle élevée varie de un à cent becquerels par gramme. Elle est, dans certains cas, supérieure à celle des déchets de très faible activité issus de la filière nucléaire.
Or, ainsi que M. Robert Guillaumont l’a précisé, lors de la même audition : « la radioactivité naturelle n’est, ni plus, ni moins dangereuse que la radioactivité ajoutée. » Cette équivalence est illustrée par la dose par unité d’incorporation (DPUI) pour un adulte par ingestion, exprimée en sieverts par becquerels, l’une des mesures significatives de la dangerosité des radionucléides. Celle-ci est, en effet, du même ordre de grandeur (10-7 à 10-9) pour les radionucléides artificiels et naturels les plus courants.
(Source : CNE).
L’évolution de la réglementation applicable à ces déchets à radioactivité naturelle élevée pourrait conduire à fixer des seuils au-dessus desquels ceux-ci seraient gérés dans les mêmes conditions que les déchets TFA issus de la filière nucléaire ; les moins radioactifs pouvant continuer à être réutilisés ou stockés dans des décharges industrielles adaptées.
Si elle constituerait un progrès par rapport aux modalités de gestion actuelles des déchets à radioactivité naturelle élevée, une telle situation serait peu cohérente, puisque les déchets à la radioactivité la plus faible seraient gérés de façon différente, suivant leur origine.
C’est ce qu’a confirmé M. Robert Gillaumont en conclusion de son intervention : « Ce mode de gestion présente des incohérences. Les déchets à radioactivité naturelle renforcée, issus de l’industrie conventionnelle, seront soumis à un seuil pour être orientés, soit vers des filières conventionnelles, soit vers les filières gérées par l’ANDRA, alors que les déchets à radioactivité naturelle issus de l’industrie nucléaire seront systématiquement orientés vers ces dernières ».
Cette situation conduira probablement à reposer la question de la pertinence de l’introduction de seuils de libération pour les déchets très faiblement radioactifs issus de la filière nucléaire.
IV. L’IMPOSSIBILITÉ D’UN CONTOURNEMENT DU STOCKAGE GÉOLOGIQUE DES DÉCHETS DE HAUTE ET DE MOYENNE ACTIVITÉ
Depuis une cinquantaine d’année, le stockage géologique à grande profondeur, des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, fait l’objet d’un large consensus international, aussi bien au plan scientifique que politique. Les travaux de recherche menés depuis une trentaine d’années dans plusieurs laboratoires souterrains à travers le monde ont confirmé la faisabilité de cette solution de gestion des déchets.
La plupart des pays confrontés à cette question ont initié les recherches et études nécessaires à l’identification d’un site approprié, ou envisagent de le faire dans les prochaines années. Avec la Finlande et la Suède, la France, qui a engagé ce processus voici plus d’un quart de siècle, est en passe de concrétiser la création d’une installation de stockage en couche géologique profonde.
A. LE CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE
Dans les pays dotés d’installations nucléaires militaires ou civils, les scientifiques ont très tôt commencé à imaginer diverses solutions pour protéger les populations des effets des déchets radioactifs. À la fin des années 1950, un consensus scientifique a progressivement commencé à émerger en faveur du stockage, à grande profondeur, des déchets radioactifs les plus dangereux, dans une couche géologique stable sur plusieurs millions d’années. Ce consensus s’est cristallisé, en 1967, à l’occasion de la quatrième conférence Atoms for Peace, initiée par l'Organisation des nations unies, lorsqu’une majorité d’experts internationaux s’est ralliée à cette solution.
Les premiers laboratoires de recherche souterrains creusés ex nihilo datent du début des années 1980, par exemple celui de Mol en Belgique ou de Grimsel en Suisse. Depuis plus de trente ans, des recherches sur le stockage à grande profondeur des déchets radioactifs sont menées par des équipes scientifiques indépendantes dans des formations géologiques diversifiées : granit, sel ou argile. Elles ont permis de confirmer la faisabilité d’un tel stockage, dans l’optique de garantir l’absence, à très long terme, de risques radiologiques pour les populations.
Laboratoire souterrain Hades à Mol (Source : SKC-CEN).
Le stockage géologique profond est aujourd’hui considéré comme la solution de référence par les États confrontés au problème du stockage des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. L’Allemagne n’y fait pas exception, puisqu’après la décision de sortie de l’énergie nucléaire prise en 2011, l’ensemble des partis politiques, écologistes compris, se sont accordés, dès 2013, sur la recherche d’un site de stockage.
Sur le plan international, l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE (3) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) (4) considèrent également le stockage géologique comme la solution de référence. Enfin, la directive 2011/70/Euratom impose aux États membres d’étudier des solutions de stockage pour la gestion à long terme de leurs déchets radioactifs. Elle précise : « Il est communément admis que, sur le plan technique, le stockage en couche géologique profonde constitue, actuellement, la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des déchets de haute activité et du combustible usé considéré comme déchet ».
Parmi les pays ayant déjà engagé les études en vue de la réalisation d’une installation de stockage géologique, la Finlande et la Suède disposent d’une certaine avance.
Ainsi, un an après la décision du gouvernement finlandais d’accorder à la société POSIVA le permis de construire, sur l’île d’Olkiluoto, une installation de stockage géologique de combustibles usés, l’autorité de sûreté finlandaise (en finlandais, Säteilyturvakeskus ou STUK) a donné son feu vert, le 25 novembre 2016, au début des travaux.
En Suède, l’autorité de sûreté radiologique (en suédois, Strålsäkerhetsmyndigheten) a déclaré recevable, le 29 juin 2016, le dossier de demande d’autorisation de création de la future installation de stockage géologique, à Forsmark, déposé par l'entreprise SKB (Svensk Kärnbränslehantering), en charge de la gestion des déchets radioactifs dans ce pays.
B. LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE EN FRANCE : UN QUART DE SIÈCLE DE RECHERCHES, D’ÉTUDES ET DE DÉBATS
En France, à la fin des années 1980, la direction du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) en charge de la gestion des déchets radioactifs a engagé une campagne d’exploration pour identifier des zones géologiques propices au stockage à grande profondeur de déchets radioactifs de haute activité. Faute d’une information préalable sur l’objet de ces travaux, la population a protesté contre cette initiative.
Face à des réactions parfois violentes, le Premier ministre, M. Michel Rocard, a mis fin à cette campagne d’exploration puis a décidé de confier au Parlement le soin d’engager une concertation approfondie. C’est ainsi que M. Christian Bataille s’est trouvé investi d’une étude sur la stratégie de gestion des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
Dans son rapport publié le 14 décembre 1990 au nom de l’OPECST, M. Christian Bataille a défini les grandes lignes d’une loi cadrant les recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité. Ces grandes lignes ont été reprises dans la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs.
Cette loi définit trois axes de recherche, correspondant à trois modes de gestion des déchets radioactifs de haute activité : le stockage géologique profond, la réduction de la radioactivité à long terme par un processus de séparation-transmutation, et, enfin, l’entreposage de long terme.
La loi a aussi transformé la direction du CEA en charge de la gestion des déchets radioactifs en un établissement public indépendant : l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).
Enfin, la loi a prévu un nouveau rendez-vous législatif après exactement quinze ans, pour faire le point sur l’avancement des recherches et décider des conditions de mise en œuvre des solutions identifiées au cours de cette période.
L’ANDRA a remis, en 2005, un dossier concluant à la faisabilité d’un stockage géologique profond en Meuse, tout près de la Haute-Marne. Ce dossier et les résultats des recherches menées sur les deux autres axes définis par la loi de 1991 ont fait l’objet de trois avis émanant, respectivement, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE) ainsi que de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. La même année, un débat public sur la gestion des déchets radioactifs a été organisé.
À partir de ces différents éléments, le Parlement a décidé, au travers de la loi du 28 juin 2006, la construction d’un centre de stockage géologique profond, réversible sur une période d’au moins cent années. Les deux autres axes de recherche définis par la loi de 1991, considérés comme complémentaires au stockage, ont été également poursuivis. Comme la loi précédente, celle de 2006 a prévu un nouveau rendez-vous législatif, destiné à définir la notion de réversibilité du futur stockage.
En 2009, l’ANDRA a identifié, sur la base de critères géologiques, une zone de 30 kilomètres carrés, dite zone d’intérêt pour des recherches approfondies (ZIRA), permettant de mener des études sur l'implantation des installations souterraines ainsi que sur l'implantation des installations de surface.
En rouge : zone d'intérêt pour les recherches approfondies (Source : ANDRA).
Après avoir recueilli les avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, de la CNE, des élus locaux et du Comité local d’information et de suivi (CLIS), le Gouvernement a approuvé, en 2010, la zone proposée par l’ANDRA.
Trois ans plus tard, l’ANDRA a préparé un nouveau dossier présentant les grandes lignes du futur centre de stockage. Notamment sur la base de ce dossier, un deuxième débat public, consacré à ce projet, a été organisé en 2013 par la Commission nationale du débat public (CNDP).
C. LA CONCRÉTISATION DU STOCKAGE GÉOLOGIQUE
Le rapport d’évaluation du précédent PNGMDR, appelait au vote d’une nouvelle loi sur le projet de stockage géologique CIGEO, destinée à lever les derniers obstacles à sa construction et à prendre en compte les résultats du débat public de 2013.
Cette loi a été votée à l’initiative de parlementaires de l’OPECST, il s’agit de la loi du 25 juillet 2016, précisant les modalités de création d'une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Elle définit notamment la réversibilité, comme le demandait la loi du 28 juin 2006, et prévoit en début de construction de la future installation une phase industrielle pilote, destinée à expérimenter en vraie grandeur les solutions mises au point en laboratoire.
Un nouveau rendez-vous parlementaire est prévu après cette phase pilote, sur la base d’une évaluation des résultats de celle-ci par l’ASN et la CNE.
Les conditions sont donc réunies pour que le projet de stockage géologique puisse entrer dans sa phase de réalisation, la prochaine étape concernant le dépôt par l’ANDRA de la demande d’autorisation de création de la future installation. Mais les travaux de recherche vont également se poursuivre, pour trouver les meilleures solutions pour la réalisation du stockage.
Ainsi que l’a indiqué le directeur général de l’ANDRA, M. Pierre-Marie Abadie, lors de son audition : « Le rendez-vous de mi-2018 est celui, important, de la remise formelle de la demande d’autorisation de création de CIGEO. Conformément au calendrier, nous y mettrons toutes les informations qui sont nécessaires pour pouvoir statuer en termes de sûreté. Mais, bien évidemment, nous ne prétendons pas avoir répondu à toutes les questions scientifiques et toutes les questions de connaissances qui vont continuer à s’accumuler pendant les décennies de fonctionnement ».
Cette évaluation a permis de mettre en évidence les avancées réalisées, depuis la première édition du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, par le groupe de travail pluraliste chargé de son élaboration.
Il convient de saluer la pertinence, aussi bien sur le fond que sur la forme, de cette nouvelle édition, ainsi que l’investissement au long cours de l’ensemble des participants au groupe de travail du PNGMDR, notamment des représentants des associations, syndicats, industriels et administrations.
S’agissant de la deuxième partie de notre évaluation, nous estimons que l’effort de recherche sur le retraitement des combustibles usés et le réacteur à neutrons rapide ASTRID, qui en constitue le complément indispensable, doit être non seulement poursuivi, mais même accéléré, si la France veut conserver sa position dominante dans ce domaine.
Concernant le problème de la gestion des grands volumes de déchets très faiblement radioactifs issus des démantèlements, nous encourageons les membres du groupe de travail du PNGMDR à poursuivre les travaux entrepris pour la recherche d’alternatives au stockage centralisé. Nous appelons l’Autorité de sûreté nucléaire et le HCTISN à réévaluer la pertinence, dans le contexte français, d’une première approche des seuils de libération.
Enfin, nous constatons avec satisfaction, après vingt-cinq années d’étude et de recherches et après le vote, par le Parlement, de la loi du 25 juillet 2016 définissant la réversibilité, que le projet de stockage géologique profond des déchets de haute et moyenne activité à vie longue se concrétise.
Indépendamment de l’opinion de chacun sur l’énergie nucléaire, les déchets radioactifs sont, aujourd’hui, une réalité dans notre pays, qu’il est impossible de nier. Il revient à notre génération, bénéficiaire de l’électricité d’origine nucléaire, de mettre en œuvre la gestion de ces déchets, et d’assurer son financement.
1. L’OPECST doit contribuer à clarifier les modalités de prise en compte, dans le domaine des déchets radioactifs, de la hiérarchie des modes de traitement des déchets, propre à une économie circulaire (évitement, réutilisation, recyclage, valorisation et élimination).
2. L’ASN, l’IRSN, l’ANDRA et les industriels, doivent poursuivre, en liaison avec la société civile, la mise en place de solutions alternatives permettant une gestion optimisée des déchets issus des démantèlements.
3. L’effort pour la mise en place de filières de valorisation de certains déchets très faiblement radioactifs doit être poursuivi, en particulier en ce qui concerne les déchets métalliques.
4. L’OPECST est favorable au principe d’introduction, à terme, de seuils de libération conditionnels et à la définition d’une spécification d’acceptation dans les centres de stockage, conformément à la règlementation européenne, accompagnée de la mise en place de procédés fiables de caractérisation (en particulier radiologique) et de tri des déchets.
5. Afin d’améliorer la transparence des décisions à venir sur les lots homogènes de déchets très faiblement radioactifs, l’ASN doit établir et publier un référentiel de nocivité des déchets radioactifs, basé sur la réglementation européenne en matière de seuils de libération.
5. Le HCTISN doit examiner, conformément à la saisine de l’OPECST du 16 novembre 2016, dans quelles conditions la société civile pourrait être associée à une réflexion sur l’introduction, dans la législation française, de seuils de libération des déchets radioactifs et informée des conditions de son éventuelle mise en œuvre.
6. Pour maintenir la position dominante de la France dans le traitement et le recyclage des combustibles usés, le Gouvernement doit renforcer les moyens accordés au CEA pour les recherches dans ce domaine.
7. Le Gouvernement doit prévoir les moyens nécessaires à la poursuite, au-delà de 2019, des travaux de recherche sur le réacteur ASTRID.
8. Pour préparer la phase de réalisation du réacteur ASTRID, le CEA doit évaluer les moyens qui seront nécessaires, compte tenu des possibilités de coopération internationale sur ce projet.
10. L’OPECST réaffirme son soutien à la mise en œuvre, dans les délais fixés par les lois du 28 juin 2006 et 25 juillet 2016, de l’installation CIGEO. Il estime que le stockage géologique profond est la meilleure option pour les déchets ultimes de haute et de moyenne activité à vie longue. Le projet CIGEO est la seule option pour assurer, la sûreté passive à long terme. Une phase industrielle pilote a pour l’OPECST l’objectif de permettre à l’ANDRA de démontrer qu’elle maîtrise la gestion industrielle. Le stockage réversible est destiné ensuite à être fermé. La récupérabilité est préservée pour les générations futures. Cette option assure la sûreté du stockage et la sécurité de nos concitoyens.
EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président. Nous poursuivons la série de réunions de l’Office parlementaire qui auront permis d’examiner cinq rapports qui marqueront la fin de nos travaux de cette XIVe législature.
Je rappelle que la réunion de la semaine prochaine au Sénat se terminera par un cocktail marquant la fin de la législature et divers départs au sein du secrétariat. Nous y avons invité les membres de notre Conseil scientifique.
Après l’examen, le 22 février 2017, des rapports sur l’évaluation de la stratégie nationale de recherche et sur le volet « énergie » de celle-ci, et avant l’examen des rapports sur l’intelligence artificielle, la semaine prochaine, et sur les biotechnologies, à la fin du mois, notre ordre du jour comporte aujourd’hui deux points, qui ont en commun de concerner la filière nucléaire : d’abord, l’examen du rapport présenté par MM. Christian Bataille, député, et Christian Namy, sénateur, sur « L’évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 » ; puis la présentation des conclusions relatives à l’audition ouverte à la presse du 25 octobre 2016, sur « La sûreté des équipements sous pression nucléaires », organisée à la suite de l’audition publique du 25 juin 2015.
Je donne la parole à nos collègues Christian Bataille et Christian Namy.
– Examen du projet de rapport sur « L’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 », présenté par MM. Christian Bataille, député, et Christian Namy, sénateur.
M. Christian Namy, sénateur, vice-président. Avec mon co-rapporteur, Christian Bataille, nous allons vous présenter aujourd’hui le rapport d’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2016-2018, 4e édition de ce document.
Tout d’abord, je voudrais dire quelques mots sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée notre étude.
Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2016-2018 a été transmis au Parlement le 17 février 2017 et publié cinq jours plus tard. L’article 6 de la loi du 28 juin 2006, à l’origine de la création de ce plan, prévoit qu’il fasse l’objet d’une évaluation par le Parlement. Celle-ci est confiée à notre Office parlementaire.
Compte tenu du calendrier parlementaire, qui prévoyait de longue date un arrêt des travaux de l’Assemblée nationale à la fin février 2017, l’OPECST a décidé d’anticiper sur la publication de ce nouveau PNGMDR en nous désignant, Christian Bataille et moi-même, rapporteurs de cette évaluation.
Malgré l’incertitude existant quant à la date de publication du PNGMDR, cette solution nous semblait préférable à un report de l’évaluation à l’automne prochain, les travaux sur un nouveau plan commençant, en principe, dès la publication du précédent. Une saisine tardive, comme celle intervenue pour l’évaluation du plan précédent, peut rendre difficile la prise en compte de certaines recommandations.
Ce document faisant l’objet, pour la première fois, d’un avis de l’Autorité environnementale et d’une consultation par le public, préalables à sa publication, il nous a été, malgré tout, possible de travailler, depuis plusieurs mois, sur la base d’une version quasi-définitive.
Conformément à la démarche d’évaluation de notre Office, nous avons tenu à entendre les principaux acteurs de la gestion des déchets nucléaires dans notre pays, dans le cadre d’auditions individuelles et d’une visite du site industriel de La Hague.
Nous avions également prévu d’organiser, avec les participants au groupe de travail qui élabore le PNGMDR, une audition publique, après la publication de ce document, notamment pour recueillir leur avis sur la version définitive et sur le fonctionnement du groupe de travail tout au long de son élaboration. Compte tenu des circonstances, cela n’a pas été possible, ce que nous regrettons vivement. À défaut, nous espérons pouvoir leur présenter, en début de la prochaine législature, les conclusions de notre rapport, et échanger avec eux à cette occasion.
Enfin, nous avons souhaité prendre connaissance de la façon dont la question de la gestion des déchets radioactifs était prise en compte à l’étranger, en Allemagne et aux États-Unis. Ces comparaisons internationales sont fondamentales, pour bénéficier de l’expérience acquise par les autres pays. Elles peuvent éviter de s’orienter vers des impasses ayant déjà montré leurs limites, ou, au contraire, de passer à côté de solutions à l’utilité avérée. Nous y reviendrons au cours de cet exposé.
Je vais commencer par aborder le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs sous l’angle de sa présentation et de son contenu, en illustrant également les conséquences de l’évaluation environnementale qui en a été faite pour la première fois. Christian Bataille reviendra ensuite sur les enjeux du retraitement des combustibles usés, qui constitue l’un des principaux piliers de la gestion des déchets radioactifs dans notre pays. Je reprendrai alors la parole pour traiter de la question complexe des déchets très faiblement radioactifs. Christian Bataille terminera son intervention en faisant un point sur le projet de stockage géologique des déchets de forte et moyenne activité à vie longue, notamment à partir des conclusions de notre précédente évaluation. Enfin, je conclurai nos propos.
Je vais donc d’abord présenter, en quelques mots, nos réflexions sur la forme et le fond du dernier PNGMDR ainsi que sur les conditions de son élaboration, puis je m’attarderai plus longuement sur les implications de la première évaluation environnementale de ce document.
Comme vous le savez, le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs a été instauré par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Cette même loi prévoit que ce plan soit établi et mis à jour tous les trois ans par le Gouvernement, puis transmis au Parlement, qui en saisit pour évaluation notre Office. L’article 6 de cette loi de 2006 définit très précisément les objectifs de ce document et les orientations qu’il doit respecter.
Au-delà de ces objectifs et orientations, le PNGMDR doit, bien entendu, également s’inscrire dans le cadre défini par les trois lois successives du 30 décembre 1991, du 25 juin 2006 et du 25 juillet 2016, relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs. Je rappelle que Christian Bataille est à l’origine de la première d’entre elles et, qu’avec notre collègue sénateur Gérard Longuet, je suis à l’origine de la dernière.
Il serait difficile d’émettre un avis motivé sur la pertinence de chacune des orientations retenues dans le dernier PNGMDR. Mais la comparaison des versions successives montre que le travail réalisé par le groupe de travail pluraliste, a permis, au fur et à mesure des éditions, des avancées sur les différentes filières de gestion des matières et déchets radioactifs, ainsi que sur la prise en compte de types de déchets supplémentaires.
La relative stabilité de la composition du groupe de travail à l’origine du PNGMDR permet, en effet, d’assurer une bonne continuité dans le suivi des différents sujets, souvent complexes, touchant à la gestion des déchets radioactifs.
Conformément à la volonté du législateur, la démarche d’élaboration du PNGMDR constitue donc un outil de pilotage efficace de la gestion des matières et déchets radioactifs qui permet, en toute transparence, d’orienter les études et réalisations, d’identifier les écarts éventuels et de demander les mesures correctives nécessaires.
Le processus d’élaboration du PNGMDR 2016-2018 comporte une innovation majeure : il s’accompagne, en effet, d’une évaluation par l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD.
Ni cette évaluation, ni le rapport associé, n’entrent, à proprement parler, dans le périmètre de l’évaluation de l’Office parlementaire. Néanmoins, cette nouvelle approche du PNGMDR conduit à modifier à la fois son contenu et les décisions prises dans le cadre de son processus d’élaboration. Il semble donc important d’en examiner les implications.
Dans son avis, l’Autorité environnementale du CGEDD émet une vingtaine de recommandations. La plupart d’entre elles sont destinées à une meilleure prise en compte des impacts sur l’environnement de la gestion des déchets radioactifs et à une meilleure information du public sur ceux-ci. Toutefois, quelques recommandations méritent une attention particulière, car elles impliquent une intervention du législateur. Faute de temps, je n’en donnerai qu’un seul exemple.
Dans son avis, l’Autorité environnementale relève, à juste titre, la possibilité d’une contradiction entre deux principes applicables à la gestion des déchets radioactifs. L’un, issu de la loi de 2006, préconise la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs, notamment par le traitement des combustibles usés. L’autre, introduit par la loi sur la transition énergétique de 2015, établit, pour tous types de déchets, une hiérarchie des modes de gestion, privilégiant le traitement, en vue d’une réutilisation, et le recyclage. En effet, la réutilisation ou le recyclage peuvent, en certaines circonstances, accroître l’impact environnemental des déchets.
Les informations recueillies lors de la mission que nous avons effectuée en Allemagne me conduisent à considérer que cette contradiction peut être en partie résolue, notamment par l’introduction des « seuils de libération » qui permettent de décider dans quelles conditions un déchet de très faible activité peut être réutilisé ou recyclé sans présenter de risque pour l’environnement et la population.
Toutefois, ces deux principes de gestion des déchets radioactifs ayant été introduits dans la loi par le législateur, nous considérons qu’il lui revient d’assumer cette clarification. C’est en effet au législateur de définir les grands principes qui conditionnent les activités économiques du pays, en recherchant, dans l’intérêt commun, le meilleur équilibre. Toute activité humaine a, en effet, un impact sur l’environnement et présente des risques. Mais l’absence d’activité a aussi des conséquences néfastes pour la société.
Pour résumer notre position, la démarche d’évaluation environnementale engagée pour la première fois dans le cadre du PNGMDR 2016-2018 nous apparaît, sans conteste, utile. Elle permet de mieux prendre en compte les impacts de la gestion des matières et déchets radioactifs sur l’environnement et de mieux en informer le public. Mais il faut que nous soyons vigilants sur les implications législatives de certaines des recommandations formulées.
Je cède la parole à Christian Bataille, qui va évoquer le retraitement et le recyclage des déchets radioactifs.
M. Christian Bataille, député, vice-président. Je vais à présent en venir au sujet du retraitement et du recyclage des combustibles usés.
Voici plus d’un demi-siècle, la France a fait le choix de se doter d’un outil industriel lui permettant de retraiter les combustibles usés. L’adaptation de l’usine de La Hague aux nouveaux réacteurs nucléaires de production d’électricité a été décidée, voici plus de quarante ans, en 1976, alors que commençait leur déploiement. Ces deux démarches parallèles ont été engagées pour atteindre un objectif stratégique majeur : accroître l’indépendance énergétique du pays.
En effet, le retraitement vise à récupérer des matières énergétiques encore présentes en grande quantité dans des combustibles usés. Il s’agit de l’uranium et du plutonium. Pour mesurer l’intérêt de cet effort, il convient d’avoir en tête une comparaison simple : cent grammes d’uranium, ou encore un gramme de plutonium, fournissent plus d’énergie qu’une tonne de pétrole.
Il est difficile de se faire à l’idée, alors que l’humanité est confrontée à des défis climatique et énergétique majeurs, qu’une telle ressource puisse être, volontairement et froidement abandonnée, à tout jamais, comme le suggèrent certains.
Indubitablement, l’industrie nucléaire a donc été pionnière en matière d’économie circulaire et de développement durable, pour employer les termes à la mode. Le principe d’une telle économie est précisément un fonctionnement en boucle, visant, autant que faire se peut, à réutiliser des ressources encore présentes dans les déchets, afin de limiter la consommation et le gaspillage des matières premières.
En retirant les actinides majeurs que sont le plutonium ainsi que l’uranium, des déchets à stocker, le retraitement des combustibles usés permet d’atteindre également un objectif secondaire important : la réduction de leur toxicité, notamment radiologique, et de leur volume. Mais il s’agit là d’une conséquence avantageuse du retraitement, non de sa principale justification.
Cet atout, en termes d’entreposage et de stockage des déchets, doit être mis en balance avec la production de déchets et d’effluents, tout au long du cycle de retraitement du combustible. Comme tout processus industriel, le retraitement induit, en effet, une certaine forme de pollution.
Il apparaît donc pertinent de s’interroger sur son impact environnemental, ce qui implique de réaliser une analyse des conséquences pour l'environnement d'une stratégie de retraitement des combustibles usés, en comparaison de celles qui résulteraient de l’absence de retraitement. Cette analyse devrait prendre en considération l’ensemble du cycle de vie du combustible, depuis l’extraction de l’uranium, jusqu’au stockage des déchets induits.
D’autres pays, dotés d’un haut niveau de maîtrise scientifique, ont fait le choix d’un stockage direct de leurs combustibles usés. C’est notamment le cas des États-Unis, dont l’exemple illustre la difficulté et les incertitudes de la gestion des combustibles usés non retraités, pour un parc important de réacteurs nucléaires – quatre-vingt-dix-neuf pour les États-Unis, contre cinquante-huit en France – alors même que cette solution peut apparaître a priori techniquement plus simple à maîtriser et plus séduisante que celle du retraitement.
Récupérer les matières énergétiques présentes dans les combustibles usés n’a, évidemment de sens que si celles-ci peuvent effectivement être réutilisées, à court ou à long terme, pour produire plus d’électricité. À court terme, cette réutilisation est possible, sous forme de combustible MOX (plutonium et uranium appauvri), dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc nucléaire actuel. À plus long terme, elle nécessite de développer, puis de déployer, un nouveau type de réacteurs, dits à neutrons rapides.
En prévision de l’arrêt de certains réacteurs autorisés à consommer des combustibles MOX, nous préconisons que soit étudiée dès aujourd’hui la possibilité d’étendre cette capacité aux réacteurs nucléaires les plus récents.
La France dispose aujourd’hui d’une position dominante au niveau mondial dans le domaine du retraitement et du recyclage, à la fois par la taille de ses installations et par la maîtrise de l’ensemble des technologies nécessaires.
Les pays qui développent aujourd’hui, principalement en Asie, leur parc de production nucléaire, envisagent, ou envisageront nécessairement, de se doter de capacités de retraitement et de recyclage propres. La Chine a d’ores et déjà entamé des négociations avec AREVA, à cette fin. Même les États-Unis ne semblent plus écarter tout à fait la possibilité d’un retour à cette option, écartée par la présidence Carter.
Il serait paradoxal que notre pays renonce, après plus de quarante années d’investissements, à l’avantage procuré par sa position dominante dans ce domaine. Aussi pensons-nous que, non seulement le retraitement et le recyclage des combustibles usés doivent être poursuivis, mais qu’il convient, plus que jamais, de renforcer l’effort de recherche, aussi bien sur le cycle du combustible nucléaire, que sur le développement d’une nouvelle génération de réacteurs à neutrons rapides, plus sûrs, qui permettront de le compléter.
Je laisse donc Christian Namy poursuivre sur les déchets TFA et les seuils de libération.
M. Christian Namy. L’approche française de gestion des déchets radioactifs privilégie des solutions centralisées de stockage, permettant de disposer des meilleures mesures de protection de la population, tout en optimisant les coûts. Ainsi, l’ensemble des déchets de très faible activité, les fameux TFA, produits dans les prochaines années devrait être réuni au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage, le CIRES, d’une capacité de 650 000 mètres cubes, dont 328 000 mètres cubes sont déjà utilisés.
Avec la progression des premières opérations de démantèlement d’installations nucléaires, il est très vite apparu qu’à raison d’un flux annuel de l’ordre de 25 000 à 30 000 mètres cubes, la capacité résiduelle du CIRES ne permettrait pas de faire face aux besoins de gestion des déchets TFA au-delà d’une dizaine d’années. Une extension des capacités du CIRES à 900 000 mètres cubes est effectivement envisagée. Mais cela restera insuffisant pour faire face à l’inflation prévisionnelle des volumes de production de déchets TFA, qui ont doublé depuis la création du CIRES, pour atteindre 2 200 000 mètres cubes, à terme.
Même si la capacité de stockage du CIRES s’avérait suffisante, il resterait, par ailleurs, à évaluer l’impact sur l’environnement et sur la santé du transport de millions de tonnes de déchets à travers la France.
Lors de leur audition, les producteurs de déchets radioactifs, tout comme l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), se sont montrés ouverts à l’exploration de solutions alternatives au stockage. Faute de temps, je n’en citerai que trois :
- la première consiste à maintenir, sur les sites industriels pérennes, des bâtiments qui n’ont fait l’objet, dans le passé, d’aucun incident de contamination, et pourraient donc être réutilisés ;
- la deuxième a trait à la création de stockages locaux simplifiés, destinés aux déchets TFA les moins radioactifs. ;
- la troisième solution concerne la valorisation des déchets métalliques, à l’exemple de ce qui se pratique en Allemagne ou en Suède. Cette valorisation porterait, au départ, sur des lots homogènes comme les métaux issus du démantèlement de l’usine Georges-Besse I et des générateurs de vapeur, avec un flux annuel de 15 000 à 20 000 tonnes d’aciers de très faible activité. Les métaux seraient fondus dans une installation dédiée. Cette opération permet en effet de récupérer l’essentiel des radionucléides dans le laitier, qui devient un déchet radioactif.
L’une des inconnues de cette dernière solution concerne la réutilisation des métaux ainsi décontaminés, les possibilités étant limitées dans l’industrie nucléaire. Il resterait à déterminer si d’autres industries, par exemple la fabrication de pipeline pour l’exploitation pétrolière, accepteraient de réutiliser ces métaux.
Plusieurs pays du nord de l’Europe, tels que l’Allemagne ou la Suède, a priori peu suspects de négligence en matière environnementale, ont mis en place, à partir de la fin des années 1990, des seuils de libération permettant à certains déchets très faiblement radioactifs d’être réutilisés, recyclés ou simplement stockés en dehors de la filière nucléaire.
Ces seuils de libération s’appuient notamment sur des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) publiées en 1996, et une directive européenne.
Pour les matériaux ferreux, l’AIEA préconise un seuil d’activité d’un becquerel par kilogramme. À titre de comparaison, l’eau présente en moyenne une activité de six becquerels par kilogramme, et le lait de soixante à quatre-vingt becquerels par kilogramme. Mais les radionucléides artificiels ne présentent pas exactement les mêmes problématiques que les radionucléides naturels. J’ai rencontré dernièrement la société AREVA et des fondeurs au sujet de la possibilité d’un recyclage des déchets métalliques très faiblement contaminés. Une fois ceux-ci traités, l’une des utilisations pourrait concerner le renforcement des galeries de stockage de l’installation CIGEO.
Compte tenu du scepticisme de nos interlocuteurs sur la pertinence d’un tel dispositif, il a semblé utile de la vérifier sur place, en Allemagne. D’une part, l’utilité des seuils de libération est difficilement discutable, en l’absence dans ce pays, depuis 1998 et jusqu’en 2022, de stockage opérationnel pour les déchets radioactifs. D’autre part, les résultats obtenus sont probants, puisque seulement 2,4 % des déchets de très faible activité sortant des zones contrôlées des installations nucléaires allemandes sont, au final, considérés et traités comme des déchets radioactifs.
Toutefois, l’acceptation sociale de ce dispositif apparaît encore fragile, d’où sans doute la relative discrétion de nos interlocuteurs allemands sur les destinations finales des déchets libérés. Néanmoins, celles-ci existent bien, où qu’elles soient situées, éventuellement hors d’Allemagne, rien n’interdisant à des déchets libérés de traverser les frontières.
De toute évidence, la situation est différente en France, où l’existence du CIRES permet encore, au moins pour quelques années, de stocker de façon sûre et à un coût modéré ce type de déchets.
L’adéquation du principe des seuils de libération à la gestion des déchets radioactifs français resterait à évaluer, notamment du point de vue de l’acceptation sociale. Aussi l’OPECST a-t-il saisi, en novembre 2016, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) de cette question.
En tout état de cause, à partir du moment où de nouveaux exutoires sont envisagés pour la gestion de certaines catégories de déchets très faiblement radioactifs, la notion de seuils de libération pourrait trouver une utilité, en tant que référentiel permettant de justifier de façon transparente l’agrément de solutions spécifiques.
Je vais redonner la parole à Christian Bataille qui va revenir à la question du stockage géologique profond.
M. Christian Bataille. Je vais commencer par un rappel historique. Mon premier contact avec la question des déchets de haute activité remonte à la fin des années 1980, lorsque Michel Rocard et son gouvernement m’ont confié, à travers l’Office parlementaire, une mission sur la gestion des déchets radioactifs, dans la perspective de la création d’un laboratoire en site géologique profond, qui est devenu le laboratoire de Bure.
À la fin de l’année 1991, j’ai été le rapporteur de la loi cadrant les recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité. Cette loi a été votée à l’unanimité du Parlement de l’époque. Elle a défini 3 axes de recherche
– je les résume mais nous pourrons y revenir lors des questions – correspondant à trois modes de gestion des déchets radioactifs de haute activité : le stockage géologique profond, qui est dans l’actualité scientifique et politique, la réduction de la radioactivité à long terme par un processus de séparation-transmutation, dont on devrait sans doute parler davantage car il mobilise les moyens de recherche du CEA et des universités, et, enfin, l’entreposage de long terme, dans l’attente d’une solution définitive.
La loi a aussi, à cette époque, transformé la direction du CEA chargée de la gestion des déchets radioactifs en un établissement public indépendant : l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).
Enfin, cette loi, qui s’inscrivait dans une perspective de moyen terme, a prévu un nouveau rendez-vous législatif, quinze ans plus tard, en 2006, pour faire le point sur l’avancement des recherches et décider des conditions de la mise en œuvre des solutions identifiées au cours de cette période.
L’ANDRA a remis, en 2005, un dossier concluant à la faisabilité d’un stockage géologique profond en Meuse, qui a fait l’objet d’un examen par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), par la Commission nationale d’évaluation des études et recherches sur la gestion des déchets radioactifs (CNE) et par l’Office parlementaire.
La même année, un débat public sur la gestion des déchets radioactifs a été organisé.
À partir de tous ces éléments, le Parlement a décidé, à travers de la loi du 28 juin 2006, votée elle aussi à l’unanimité, sous réserve de quelques abstentions, la construction d’un centre de stockage géologique profond, réversible sur une période d’au moins cent années.
Comme la loi précédente, celle de 2006 a prévu un nouveau rendez-vous législatif, destiné à définir la notion de réversibilité du futur stockage.
En 2012, l’ANDRA a préparé un nouveau dossier, présentant les grandes lignes du futur centre de stockage. Sur la base de ce dossier, un deuxième débat public consacré à ce projet a été organisé en 2013 par la Commission nationale du débat public (CNDP), en 2013.
Notre rapport d’évaluation du précédent PNGMDR appelait au vote d’une nouvelle loi sur le projet de stockage géologique CIGEO, destinée à lever les derniers obstacles à sa construction et à prendre en compte les résultats du débat public.
Cette loi a été votée, à l’initiative des membres de l’Office, par les parlementaires de la majorité et de l’opposition, au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Il s’agit de la loi du 25 juillet 2016 qui définit la réversibilité, comme le demandait la loi de 2006, et prévoit en début de construction de la future installation, une phase industrielle pilote, destinée à expérimenter, en vraie grandeur, les solutions mises au point en laboratoire.
Un nouveau rendez-vous parlementaire est prévu, à l’issue de cette phase pilote, sur la base d’une évaluation de ses résultats par l’ASN, la CNE et l’OPECST, vers 2035.
Si je rappelle tout cela d’une façon un peu fastidieuse, c’est parce qu’on peut considérer qu’aucune décision de construction d’une grande installation n’a fait l’objet d’autant de précautions et de consultations : du Parlement, de la population, de l’autorité de sûreté et des autres parties prenantes. Il est par conséquent vraiment fallacieux de dire que cette décision a été prise dans la précipitation. Elle a été prise, au contraire, dans la durée, par étapes, avec prudence, et dans la raison.
Les conditions sont donc réunies pour que le projet de stockage géologique puisse entrer dans sa phase de réalisation, – nous y sommes – la prochaine étape concernant le dépôt par l’ANDRA de la demande d’autorisation de création de la future installation. La prochaine Assemblée nationale et le Sénat se pencheront encore sur le sujet en 2018. Les travaux de recherche vont également se poursuivre, afin de trouver les meilleures solutions pour la réalisation du stockage.
L’actuel directeur général de l’ANDRA, M. Pierre-Marie Abadie, a déclaré lors de son audition dans le cadre de nos travaux : « le rendez-vous de mi-2018 est celui, important, de la remise formelle de la demande d’autorisation de création de CIGEO. Conformément au calendrier, nous y mettrons toutes les informations qui sont nécessaires pour pouvoir statuer en termes de sûreté. Mais, bien évidemment, nous ne prétendons pas avoir répondu à toutes les questions scientifiques et toutes les questions de connaissances qui vont continuer à s’accumuler, pendant les décennies de fonctionnement. »
Je ne veux rajouter que quelques mots après ces considérations. Ce qui est en jeu, c’est une installation unique au monde et qui a fait l’objet d’une concertation politique et sociale sans égal. Par conséquent, je pense, comme beaucoup de membres de l’Office parlementaire qui s’appuient sur des principes rationnels, qu’on ne peut être qu’ulcéré et agacé des commentaires mal informés qui sont faits dans la presse, dans les milieux politiques, dans certains programmes politiques, et qui aboutissent à des considérations dénuées de fondement.
Je passe maintenant la parole à Christian Namy pour la conclusion.
M. Christian Namy. Je voudrais simplement ajouter, si Christian Bataille me le permet, que je me suis rendu récemment en Australie, à la demande du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, dans le cadre de la vente de sous-marins. Le ministre de l’Industrie australien ne m’a parlé que du laboratoire de Bure et du stockage géologique, en disant qu’il s’agit là d’une réalisation extraordinaire. Lorsque nous nous sommes rendus aux États-Unis et avons été reçus par les membres du Congrès américains, ils ont également considéré le laboratoire de Bure, ainsi que le projet CIGEO, comme des opérations remarquables. Ils vont d’ailleurs prochainement se rendre en Meuse, à mon invitation. Je ne suis pas certain qu’en France – je rejoins sur ce point les propos de Christian Bataille – on ait réalisé l’importance, à tous points de vue, de ce dossier, qui place la France dans une position internationale assez exceptionnelle en matière nucléaire.
J’en reviens à la conclusion. Au terme de cette évaluation, nous nous félicitons des progrès réalisés par le groupe de travail pluraliste du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Le PNGMDR 2016-2018 est plus facilement accessible que le précédent et plus complet.
Je voudrais, avec Christian Bataille, saluer ici la pertinence de cette nouvelle édition, ainsi que l’investissement de l’ensemble des participants au groupe de travail du PNGMDR : les représentants des associations, les industriels et les administrations.
S’agissant de la deuxième partie de notre évaluation, nous estimons que l’effort de recherche sur le retraitement des combustibles usés et le réacteur à neutrons rapide ASTRID, qui en constitue le complément indispensable, doit être non seulement poursuivi, mais même accéléré, si la France veut conserver sa position dominante dans ce domaine.
Concernant le problème de la gestion des grands volumes de déchets très faiblement radioactifs issus des démantèlements, nous encourageons les membres du groupe de travail du PNGMDR à poursuivre les travaux entrepris pour la recherche d’alternatives au stockage centralisé. Nous appelons l’ASN et le HCTISN à réévaluer la pertinence, dans le contexte français, d’une première approche des seuils de libération.
Enfin, nous constatons avec satisfaction, après vingt-cinq années d’étude et de recherches et après le vote, par le Parlement, de la loi du 25 juillet 2016 définissant la réversibilité, que le projet de stockage géologique profond des déchets de haute et moyenne activité à vie longue se concrétise.
Indépendamment de l’opinion de chacun sur l’énergie nucléaire, les déchets radioactifs sont, aujourd’hui, une réalité dans notre pays, qu’il est impossible de nier. Il revient à notre génération, bénéficiaire de l’électricité d’origine nucléaire, de mettre en œuvre la gestion de ces déchets, et d’assurer son financement.
Voilà, Monsieur le Président, les conclusions du rapport d’évaluation que Christian Bataille et moi-même vous présentons.
Mme Delphine Bataille, sénatrice. Dans la première partie relative à l’élaboration du PNGMDR, vous avez fait référence au travail de l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, en mentionnant une vingtaine de recommandations émises. Vous en avez souligné une, en particulier, qui fait état d’une contradiction entre les deux principes applicables à la gestion des déchets radioactifs. Je voudrais savoir si d’autres recommandations mériteraient d’être mises en évidence, ou si vous ne souscrivez pas à certaines d’entre elles.
Par ailleurs, vous avez évoqué des inquiétudes concernant le programme présidentiel de certains candidats, qui, si je comprends bien, constitue une forme de déni du travail mené depuis près de trente ans, dont vous avez rappelé l’historique, ainsi que de décisions prises par le Parlement, à la quasi-unanimité, qui ont également fait l’objet de débats publics. Si ces programmes venaient à s’appliquer, pourraient-ils avoir des conséquences graves et, si oui, lesquelles ?
M. Christian Namy. Nous avons relevé dans notre rapport les éventuelles contradictions des recommandations avec le cadre législatif, pour encourager l’Autorité environnementale à mieux prendre en compte celui-ci.
Concernant la contradiction que j’ai mentionnée, elle se retrouve dans les propos des interlocuteurs rencontrés, certains étant fermés à toute possibilité de recyclage, d’autres se montrant ouverts. Sur ce point, le rôle de l’OPECST sera d’obliger les différents acteurs à clarifier leurs positions, sachant que les choses évoluent sur ce plan à l’étranger, en Allemagne et en Suède – où EDF vient de racheter l’activité de fonderie de la société Studsvik – mais aussi en France avec les réflexions en cours. Des fondeurs, que j’ai rencontrés à l’occasion d’une réunion du Groupement d'intérêt public (GIP) Meuse, ont indiqué qu’ils seraient intéressés, si des débouchés pouvaient être trouvés, par exemple dans le cadre du projet CIGEO. Il faut sortir du système consistant à considérer tout matériau qui provient de la filière nucléaire comme un déchet à stocker.
Je rejoins ce qui a été dit sur l’importance du secteur nucléaire en France, qu’on ne peut effacer d’un coup de crayon.
M. Christian Bataille. Ce que dit Christian Namy est pertinent. Je voudrais ajouter une remarque : nous importons d’Allemagne des équipements fabriqués à partir de métaux recyclés. Chez nous, les seuils de libération sont inexistants, en Allemagne ils existent, si bien que nous importons des produits fabriqués avec des métaux recyclés.
Mme Catherine Procaccia. C’est la même chose dans le domaine agricole, où nous importons des produits issus de productions basées sur des procédés interdits en Europe. Pourriez-vous nous indiquer quelles sont vos inquiétudes sur le projet ASTRID ?
M. Christian Namy. Plus qu’une inquiétude, il s’agit d’une incitation à poursuivre le projet.
M. Christian Bataille. Il faut soutenir les efforts du CEA sur cet outil de recherche essentiel qui avance à pas comptés. ASTRID aura besoin, à l’avenir d’un soutien important du pouvoir politique. On est aujourd’hui dans une phase d’expectative par rapport à ASTRID, qui constitue un élément clef pour le développement des réacteurs du futur, dans les vingt prochaines années. Les études et recherches continuent, mais ASTRID mériterait sans doute plus de moyens. Il faudra probablement interroger le Haut-commissaire à l’énergie atomique à ce sujet.
M. Christian Namy. Les crédits pour ASTRID ne sont programmés que jusqu’en 2019 seulement.
M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais suggérer deux recommandations supplémentaires, correspondant totalement à ce que vous avez dit, mais que je n’ai pas retrouvées dans la liste actuelle : une sur les seuils de libération et l’autre sur le projet CIGEO. Je les ai rédigées au pied levé, mais vous avez bien entendu la latitude de les réexaminer. Le nombre des recommandations passerait donc de huit à dix.
Avant la sixième recommandation concernant la lettre de saisine, écrite en votre nom, du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), en date du 16 novembre 2016, demandant comment associer la société civile, j’ajouterais la recommandation suivante : « L’OPECST est favorable au principe d’introduction de seuils de libération conditionnels et à la définition d’une spécification d’acceptation dans les centres de stockage, conformément à la règlementation européenne. »
En septième ou huitième position, je propose cette recommandation : « L’OPECST réaffirme son soutien à la mise en œuvre, dans les délais fixés par les lois du 28 juin 2006 et 25 juillet 2016, de l’installation CIGEO. Il estime que le stockage géologique profond est la meilleure option pour les déchets ultimes de haute et de moyenne activité à vie longue. Le projet CIGEO est la seule option pour assurer la sûreté passive à long terme. Une phase industrielle pilote a, pour l’OPECST, l’objectif de permettre à l’ANDRA de démontrer qu’elle maîtrise la gestion industrielle. La récupérabilité est préservée pour les générations futures. Le stockage réversible est destiné ensuite à être fermé. Cette option assure la sûreté du stockage et la sécurité de nos concitoyens. »
Vous pouvez, bien entendu, améliorer cette recommandation qui reprend votre argumentation. Le seul élément nouveau concerne le rappel au respect des délais fixés par les lois de 2006 et de 2016.
M. Christian Bataille. Nous sommes d’accord sur ces deux recommandations et vous remercions de les avoir rédigées.
M. Jean-Yves Le Déaut. Je remercie les rapporteurs pour l’étude qu’ils ont réalisée. Comme cela a été dit, l’excellence du travail mené sur ces questions depuis trente ans est reconnue à l’étranger, il serait dommage qu’elle ne le soit pas en France.
À l’unanimité, l’OPECST a adopté le rapport ainsi que ses recommandations et autorisé sa publication.
COMPOSITION DU COMITÉ DE PILOTAGE
M. Christian Ngô
Né en 1948, Christian Ngô est ancien élève de l’école normale supérieure de Saint Cloud, agrégé de chimie et docteur ès sciences.
La première partie de sa carrière a été consacrée à la recherche fondamentale, dans le cadre de laquelle il a fait plus de deux-cents publications. Il a été successivement assistant, puis maître-assistant à la Faculté des sciences d'Orsay (1971-1978), physicien au département de physique nucléaire de Saclay, responsable d'un groupe travaillant sur la physique des ions lourds (1978-1987) et physicien au Laboratoire national Saturne (1987-1991).
En 1991, il s’oriente vers le domaine de la recherche appliquée, ce qui l’a amené à prendre trois brevets ; il est chef du service de physique électronique au Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (LETI) du CEA de 1992 à 1997.
En 1997, il occupe des postes plus fonctionnels en devenant adjoint du directeur de la stratégie et de l’évaluation du CEA, chargé de l’évaluation scientifique (1997-2000), secrétaire du Conseil scientifique du CEA (1997-2000), chef du Service des études économiques du CEA (1997-1998), conseiller de l’Administrateur général (2000), avant de revenir à des postes plus opérationnels : directeur scientifique de la direction de la recherche technologique (2001-2002), puis directeur délégué à la prospective (2002-2003).
À partir de 2003, il a été directeur scientifique au Cabinet du Haut-commissaire à l’Énergie atomique, et délégué général d’ECRIN (échange et coordination recherche-industrie). Il a quitté le CEA en 2008, pour créer la société Edmonium Conseil.
Il est auteur ou coauteur de nombreux ouvrages dont : « Physique quantique », « Physique statistique », « Physique des semi-conducteurs », « L’énergie », « Déchets et pollution : Impact sur l'environnement et la santé », « Le Soleil », « Quelles énergies pour demain », « Énergie : ressources, technologies et environnement », « Hydrogène : Énergie de demain ? », « Our Energy Future », « Demain, l’énergie », « On a tous besoin d'énergie », « Our Nanotechnology Future », « Nanotechnology in a Nutshell: From Simple to Complex Systems » et « Énergies fossiles, Nucléaire et Renouvelables : l’embarras du choix »
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
A. Auditions privées des rapporteurs
1. Edmonium, le 27 septembre 2016
- M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude.
2. Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le 4 octobre 2016
- M. Pierre-Marie Abadie, directeur général ;
- Mme Soraya Thabet, directrice sûreté environnement et stratégie filières ;
- M. Michel Dutzer, directeur adjoint du directeur du développement et de l’innovation ;
- M. Matthieu Denis-Vienot, responsable des relations institutionnelles.
3. Commission nationale d’évaluation des études et recherches sur la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2), le 4 octobre 2016
- M. Jean-Claude Duplessy, président ;
- Mme Mickaele Le Ravalec ;
- M. Pierre Demeulenaere ;
- M. Maurice Laurent ;
- M. Maurice Leroy, vice-président ;
- M. Robert Guillaumont ;
- M. Stanislas Pommeret.
4. CGT - FNME, le 8 octobre 2016
- M. Bruno Blanchon ;
- M. Clément Chavant.
5. ASN, le 8 novembre 2016
- M. Pierre-Franck Chevet, président ;
- M. Olivier Gupta, directeur général ;
- Mme Mathilde Maillard, bureau de la gestion des déchets radioactifs.
6. ANCCLI, le 9 novembre 2016
- Mme Monique Sené, vice-présidente de l’ANCCLI ;
- M. Jean-Claude Autret, membre de la CLI de Flamanville - Collège « associatif » ;
- M. Christophe Vallat, membre du CA de l’ANCCLI et membre de la CLIGEET - Collège « syndicat ».
7. EDF, le 15 novembre 2016
- M. Sylvain Granger, directeur des projets déconstruction et déchets ;
- M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques ;
- M. Denis Lépée, directeur de la division combustible nucléaire.
8. CEA, le 22 novembre 2016
- M. Vincent Gorgues, responsable du programme démantèlement et assainissement ;
- M. Bernard Boullis, directeur du programme des technologies du cycle du combustible et de gestion des déchets au CEA ;
- Mme Marie-Astrid Ravon-Bérenger, directrice financière du CEA.
9. FO Fédération énergie et mines, le 23 novembre 2016
- M. Jacky Chorin ;
- M. Denis Cattiaux, représentant syndical au CCE EDF ;
- M. Yann Perrotte (à l’état civil Jean-Yann PERROTTE).
10. AREVA, le 23 novembre 2016
- M. Jean-Michel Romary, directeur chargé de la Maîtrise d’ouvrage, démantèlement et déchets ;
- M. Jean-Michel Grygiel, responsable stratégie et relations externes - direction Maîtrise d’ouvrage, démantèlement et déchets ;
- Mme Morgane Augé, responsable des affaires publiques France.
B. Missions à l’étranger
1) Allemagne
● RWE (centrale nucléaire de Biblis)
- M. Michael Baschnagel, Dipl.-Ing., directeur de la protection environnementale et radiologique, RWE Centrale de Biblis ;
- M. Alexander Scholl, relations publiques de la centrale de Biblis ;
- Dr. Christine Negrini, affaires politique et responsabilité d’entreprise.
● Société Siempelkamp (fonderie de Krefeld)
- Dipl.-Ing. Thomas Kluth, directeur du département Recyclage des métaux.
● Ministère fédéral des affaires économiques et de l’énergie
- Mme Dagmar Weinberg, conseiller, division de la politique nucléaire ;
- Mme Iliana Nikolova, chargé de mission, division de la politique nucléaire, Ministère fédéral des Affaires économiques et de l’énergie.
● Commission environnement, protection climatique, construction et sûreté nucléaire
- Mme Sylvia Kotting-Uhl (Grünen), députée ;
- M. Steffen Kanitz (CDU/CSU), député ;
- Mme Petra Sperlich.
● Ministère fédéral de l’environnement, de la protection climatique, de la construction et de la sûreté nucléaire
- M. Peter Hart ;
- M. Marcus Fabian.
2) États-Unis
● Ambassade de France à Washington
- M. Gérard Araud, ambassadeur de France ;
- M. Jean-Marc Capdevila, conseiller nucléaire, CEA ;
- M. Martin Laplane, conseiller nucléaire adjoint, CEA ;
- M. François Gendre, PhD, attaché biotechnologies, CEA ;
- M. Cameron Griffith, Congressional Affairs Liaison.
● AREVA, mardi 31 janvier 2017
- M. Frédéric Bailly, vice-président, back-end operations.
● Congrès, mercredi 1er février 2017
- Congressman John Shimkus, Rep. Illinois.
● Congressional Budget Service
- M. Kin Cawley, Chief, Natural and Physical Resources Cost Estimates Unit ;
- Mme Megan Caroll, Analyst.
● Congressional Research Service, mercredi 1er février 2017
- M. Mark Holt, Specialist in Energy Policy Resources, Science and Industry Division.
● United States Nuclear Regulatory Commission, mercredi 1er février 2017
- M. Stephen Burns, Chairman ;
- M. Timothy J. McCartin, Senior Adviser for Performance Assessment, Division of Spent Fuel Alternative Strategies ;
- M. Shawn R. Smith, Senior Physical Scientist (International Programs) ;
- M. Jason Zorn, Chief of Staff, Office of Chairman Stephen G. Burns ;
- M. Shannon E. King, International Relations Specialist, Office of International Programs ;
- M. Anthony H. Hsia, Deputy Director, Division of Spent Fuel Management.
● United States Nuclear Waste Review Board, jeudi 2 février 2017
- M. Jean M. Bahr, PhD, Board Member, Chairman ;
- M. Nigel Mote, Executive Director ;
- M. Bret W. Leslie, PhD, Senior Professional Staff, Geoscience ;
- Dr. Daniel S. Metley, Senior Professional Staff, International, Social Science.
● United States Department of Energy, jeudi 2 février 2017
- M. Andrew R. Griffith, Deputy Assistant Secretary for Spent Fuel and Waste Disposition, Office of Nuclear Energy ;
- M. Raymond V. Furestenau, Principal Deputy Assistant Secretary, Office of Nuclear Energy.
- Mme Melissa Bates, Action Team Lead, Nuclear Fuel Storage and Transportation Planning Project, Office of Nuclear Energy ;
- Mme Colette E. Brown, Senior Policy and Technical Adviser, Office of International Nuclear Energy Policy and Cooperation ;
- M. Jay Jones, Nuclear Fuel Storage and Transportation Planning Project ;
- M. Edward G. McGunniss, Deputy Assistant Secretary for International Nuclear Energy Policy and Cooperation ;
- M. K. Michael Goff, PhD, Senior Technical Advisor to Assistant Secretary for Nuclear Energy, Idaho National Laboratory ;
ANNEXE N° 1 :
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS PRIVÉES DES RAPPORTEURS
1. Audition de M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’ANDRA, le 4 octobre 2016
M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’ANDRA. Je suis accompagné de Mme Soraya Thabet, récemment nommée à la direction en charge de la maîtrise des risques, de la sûreté, et de la stratégie, et de M. Michel Dutzer, précédemment directeur industriel, chargé notamment des enjeux liés aux démantèlements et à l’amont de la filière, au sein de la direction de l’Innovation et du développement, dirigée par M. Patrick Landais, ainsi que de M. Matthieu Denis-Vienot, responsable des relations institutionnelles.
Avant d’en venir aux déchets de très faible activité, et, plus brièvement, aux combustibles usés, je voudrais dire quelques mots sur les traits marquants de la dernière édition du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), qui s’inscrit dans la continuité des précédentes, et conforte notre action, tout en comportant un certain nombre d’innovations notables.
En premier lieu, la direction générale de l'énergie et du climat et l’Autorité de sûreté nucléaire ont souligné l’importance de l’enjeu collectif de l’entreposage, pour assurer un tampon entre la production et le stockage définitif des déchets radioactifs dans les installations, face à un portefeuille de solutions et à un calendrier comportant nécessairement des incertitudes.
En deuxième lieu, le projet CIGEO avance, au sens où il franchit chacune de ses étapes, non pas à marche forcée, mais ordonnée et bien maîtrisée par des revues. Le PNGMDR insiste beaucoup sur les enjeux du calendrier. C’est également une question que nous suivons régulièrement, lors des conseils d’administration de l’ANDRA. Comme vous le savez, j’ai souhaité que l’ANDRA s’appuie sur un calendrier à la fois réaliste et ambitieux : réaliste, parce qu’il ne repose pas sur des hypothèses invraisemblables, et ambitieux, dans la mesure où il ne prévoit pas beaucoup de marges.
D’ailleurs, l’Autorité de sûreté nucléaire dit, à juste titre, que notre calendrier n’en comporte pas, ce qui est incontestable. Par exemple, il prévoit, à partir de mi-2018, trois années pour l’instruction de la demande d'autorisation de création par l’Autorité de sûreté nucléaire, c’est-à-dire le délai réglementaire, alors que pour une installation complexe, la durée standard d’instruction est de quatre ans. Néanmoins, vous comprendrez qu’il est impossible de construire un calendrier directeur prévoyant des marges pour chacun des intervenants sur le dossier.
Il en découle la nécessité de suivre un portefeuille de risques en matière calendaire, et de le partager avec les producteurs, pour qu’ils puissent les prendre en compte dans le dimensionnement de leurs ouvrages d’entreposage et la production de leurs déchets.
En troisième lieu, le rendez-vous de mi-2018 est celui, important, de la remise formelle de la demande d’autorisation de création de CIGEO. Conformément au calendrier, nous y mettrons toutes les informations qui sont nécessaires pour pouvoir statuer en termes de sûreté. Mais, bien évidemment, nous ne prétendons pas avoir répondu à toutes les questions scientifiques et toutes les questions de connaissances qui vont continuer à s’accumuler pendant les décennies de fonctionnement.
Dans le cadre du développement incrémental de ce projet, il faut bien garder en tête l’enjeu de mi-2018, celui de la phase industrielle pilote, du nouveau rendez-vous devant le Parlement, à la fin de la phase industrielle pilote, et tous les autres jalons du projet, qui viendront l’enrichir, au fur et à mesure.
Ce programme est au cœur de la réversibilité et du développement incrémental, tel qu’ils sont à présent définis dans la loi sur la réversibilité. Je pense qu’il est important de l’avoir bien en tête, de façon à faire de l’échéance de mi-2018 ce qu’elle est : le rendez- vous de la demande formelle d’autorisation, mais aussi ne pas en faire ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire l’aboutissement de toute la connaissance universelle sur le sujet.
Le dernier point concerne les déchets de faible activité à vie longue (FAVL). Les orientations du PNGMDR nous conviennent. Nous y avons travaillé avec l’autorité de sûreté nucléaire. FAVL est un acronyme fourretout, qui recouvre les déchets destinés au site de Soulaines, mais aussi ceux de faible activité à vie longue, qu’ils soient à Malvési, que ce soit des NORM (Naturally Occurring Radioactive Material), etc.
C’est un sujet fondamentalement complexe au plan technique et de la sûreté. À cet égard, j’insiste sur le fait que, dans les années à venir, notre enjeu principal sera de stabiliser, avec l’Autorité de sûreté nucléaire, les exigences de sûreté, car on ne peut pas conduire un projet avec des exigences de sûreté qui ne cessent de changer. Ce sujet est également complexe du fait de la situation dans la filière. Ainsi, le report important du calendrier de sortie des déchets des réacteurs nucléaires à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG) devra être pris en compte.
À mon sens, il existe un enjeu collectif important de cohérence s’agissant de déchets qui, in fine, sont quand même de faible activité et à vie longue. Ils gardent donc une dangerosité pendant très longtemps, mais celle-ci doit être relativisée, au regard des autres risques, nucléaires mais aussi au regard des risques conventionnels, susceptibles d’être transférés aux générations à venir. Il faut donc trouver des solutions sûres et proportionnées à la réalité de l’activité de ces déchets, quand même relativement faibles.
Voilà quelques faits marquants du PNGMDR 2016-2018 pour les années à venir.
Avant d’en venir à la problématique des déchets de très faible activité, j’ai une remarque préliminaire. L’ANDRA se mobilise sur le sujet de l’amont du stockage, dont l’importance est reconnue par l’ensemble des acteurs : ANDRA, EDF, AREVA et le CEA, mais sur lequel nous avons eu collectivement plutôt du mal à avancer dans le passé. L’un des événements positifs les plus marquants survenus durant l’élaboration du dernier PNGMDR concerne les réorganisations en cours au sein d’EDF et du CEA. Nous menons tous le même type de réorganisations, visant à mettre en place des organisations matricielles et orientées projet.
Au sein d’EDF, cela a conduit, d’une part, à rassembler dans une même direction la gestion des démantèlements et des déchets, et, d’autre part, à nommer des gestionnaires de projets de démantèlement par filières : UNGG, REP, cas spécifiques, etc. Il s’agit d’une évolution vraiment très importante, parce que nous avons besoin, pour pouvoir interagir et optimiser, d’interlocuteurs transversaux et de chefs de projet connaissant les installations, leur mode de démantèlement et les déchets produits.
Une organisation similaire est en cours de mise en place au sein du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Précédemment, une organisation complexe séparait la définition des objectifs, leur exécution, le suivi de projets, la gestion des installations, la gestion de leur démantèlement et des déchets. La nouvelle organisation combine des managers de projets, gérant chaque installation, et une organisation centralisée, remontant jusqu’à l’Administrateur général, pour gérer l'ensemble de la problématique déchets. Le CEA n’a pas créé une grande direction du démantèlement, mais une organisation de la maîtrise d’ouvrage, sous forme d’une chaîne directe, qui va de l’Administrateur général jusqu’au management des opérations de démantèlement, afin de bien piloter les sept-cent millions investis sur le démantèlement.
Ces deux évolutions similaires apparaissent très positives. Afin d’établir les bons contacts entre nos nouvelles organisations, nous travaillons directement, pour le CEA, avec l’Administrateur général et ses collaborateurs, et, pour EDF, avec M. Sylvain Granger. Deux séminaires, pilotés par M. Michel Dutzer, sont prévus à cette fin avec le CEA et EDF.
Actuellement, l’absence de seuils de libération pour les déchets de très faible activité conduit à considérer toute matière issue du zonage nucléaire comme définitivement radioactive, et à la gérer dans des filières adaptées à ce type de déchets.
Historiquement, je comprends parfaitement la logique sous-jacente. Dans mes anciennes fonctions d’inspecteur des installations classées au sein d’une direction régionale de l'Industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), je supervisais des décharges. Les détecteurs de radioactivité sonnaient régulièrement, d’où la volonté de démontrer que l’industrie nucléaire n’en était pas à l’origine, en orientant vers des filières dédiées tous les déchets provenant de celle-ci.
Toutefois, une solution qui était valable pour l’exploitation n’est clairement plus pertinente pour les démantèlements, puisqu’elle revient à produire d’immenses quantités de déchets, quasiment non pollués, non des déchets de très faible activité (TFA), mais de très-très faible activité (TTFA). Il n’est, objectivement, pas très raisonnable de les transporter à travers tout le territoire, pour les stocker au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES). Ce dernier est, je le rappelle, en termes de concept industriel, une décharge de déchets industriels dangereux, avec tout ce que cela implique. Ce seuil de libération, qui existe dans d’autre pays, n’existe donc pas en France, pour des raisons historiques légitimes.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Ce sera un sujet de réflexion pour notre rapport. Nous allons notamment essayer de nous documenter sur les pratiques à l’étranger.
M. Pierre-Marie Abadie. En Espagne, une libération est possible. En Allemagne et en Suède, il existe notamment des filières de fonderies et de recyclage. Aux États-Unis, il n’existe pas de critère de libération, mais des procédures de libération, ou des procédures de stockage in situ. Par conséquent, beaucoup de pays ont trouvé des solutions. Nous devons donc aussi en trouver une, qui prenne en compte à la fois la préoccupation de traçabilité et de contrôle, correspondant à un réel enjeu, à l’origine de l’absence de seuil de libération, et le nouveau contexte du démantèlement, qui ne permet pas de se contenter des solutions passées, consistant à tout stocker dans une unique filière, dédiée et contrôlée, qui est le CIRES.
Face aux projets de démantèlement existants et à venir, il faut trouver un portefeuille de solutions, pouvant aller depuis de nouvelles installations plus adaptées, jusqu’à des formes de recyclage, avec traçabilité et contrôle, permettant de dépasser cette problématique de seuils de libération.
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. Si on sort du secteur nucléaire, par exemple si on considère le filtre d’une centrale à charbon, certainement beaucoup plus radioactif et dangereux que beaucoup de déchets TFA, dans quelle filière entre-t-il actuellement ? Est-il considéré comme un déchet radioactif ?
M. Michel Dutzer, adjoint au directeur industriel de l'ANDRA. Pour l’instant, nous ne sommes pas impliqués. Ces déchets font partie des déchets à radioactivité naturelle renforcée, NORM ou TENORM (Technologically Enhanced Naturally Occurring Radioactive Materials), aujourd’hui pris en charge dans des centres classiques. Mais la réglementation va évoluer.
M. Pierre-Marie Abadie. C’est pour cela que j'insistais sur l’histoirique expliquant l’absence de seuils de libération, qui a sa légitimité. Je ne suis pas en train de faire la défense et l’illustration de l’Autorité de sûreté nucléaire. Par contre, en tant qu’intermédiaire honnête, soucieux de trouver des solutions intelligentes, entre l’Autorité de sûreté nucléaire et les producteurs, nous essayons de comprendre les enjeux portés par les différentes parties prenantes. Du côté de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’enjeu est celui de la traçabilité et du contrôle, afin de s’assurer qu’il ne se passe pas n’importe quoi, et, du côté des producteurs, le souci est de ne pas inonder les centres de stockage de montagnes de gravats ou de ferrailles propres. Ce sont ces enjeux qu’il faut parvenir à concilier.
Un deuxième point important qu’il faut avoir en tête, c’est que, contrairement à l’image erronée souvent propagée, suivant laquelle on ne saurait pas démanteler, de nombreux démantèlements sont déjà en cours de réalisation en France. La semaine dernière je suis allé visiter, près de la frontière belge, le réacteur enterré Chooz A. Ce premier démantèlement d’un réacteur à eau pressurisée (REP) en France se passe, objectivement, très bien, sans incident, ni grande surprise
Il faut aussi garder à l'esprit les démantèlements en cours et leurs caractéristiques. Certaines situations sont objectivement complexes. Toutes les installations de Marcoule sont très anciennes – elles datent du tout début du nucléaire, spécifiques, complexes, et comportent de multiples zones chaudes. Elles demandent donc beaucoup d’ingénierie.
Dans d’autres cas, l’enjeu n’est pas la complexité, mais la quantité colossale de déchets de très faible activité produits. Par exemple, le démantèlement de Georges Besse I produira cent cinquante mille tonnes de ferrailles. Un recyclage de ces dernières serait-il envisageable ?
Dans d’autre cas encore, il s’agit d’installations qui ne sont pas nécessairement très complexes, mais uniques. Je pense à Brennilis, dont le démantèlement est plus long que prévu. De même, les réacteurs UNGG (uranium naturel graphite gaz) ne sont pas des installations très dangereuses, ou compliquées à démanteler. Si vous avez rencontré EDF, ils ont dû vous expliquer pourquoi le calendrier s’est décalé. Dans ces installations, à lui seul, le démontage de l’énorme bloc de béton avec son armature est un problème compliqué, sur le plan radiologique, mais aussi industriel.
Enfin, le démantèlement le plus souvent mentionné, mais qui se fera sans doute le plus tard possible, est celui des REP. Après le démantèlement de Chooz A, le suivant, celui de Fessenheim, ne devrait pas intervenir tout de suite. Démanteler un REP n’est pas compliqué, mais produit beaucoup de déchets conventionnels. C’est surtout un enjeu d’industrialisation. Par contre, démonter un REP ne produit que cent mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue, ce qui est faible.
Les déchets TFA et TTFA sont avant tout un enjeu de volumes issus des démantèlements, avec le risque de saturer nos installations existantes, en l'occurrence le CIRES, d’une capacité de six cent cinquante mille mètres cube.
La démarche habituelle de gestion des déchets consiste à réduire, réutiliser, recycler, récupérer et éliminer. C’est ce qui est pratiqué pour les déchets ménagers, ou industriels. Paradoxalement, dans le secteur nucléaire, en raison de ce souci de traçabilité et de contrôle dans des filières dédiées, la méthode est inverse. C’est la mise en décharge qui est privilégiée.
Si celle-ci se remplit, on essaye d’augmenter sa capacité, ou on construit de nouvelles installations. On recycle en dernier ressort. Ceci explique le mode d’optimisation des volumes au CIRES. Ainsi, on saura augmenter, par optimisation industrielle, d’un tiers sa capacité, de six cent cinquante mille à neuf cent mille mètres cubes, et construire, sur la zone de Soulaines une deuxième installation, destinée à accueillir des déchets TFA.
Cela ne doit pas nous dispenser de trouver des solutions pour réduire les volumes et, autant que possible, recycler. Cela amène aux autres actions que nous menons avec les acteurs du secteur, car limiter les volumes est évidemment un travail collectif. Nous travaillons sur des solutions de compactage, d’incinération, voire de fusion. Elles sont essentiellement orientées par les coûts : la réduction des volumes permet-elle un gain économique sur le coût de mise en décharge ? La logique économique constitue souvent une limite, ces opérations pouvant être plus chères que la mise en décharge directe.
Au-delà du levier économique, je pense qu’il existe un véritable sujet collectif, portant sur l’utilité d’un levier réglementaire, de quelque nature qu’il soit, comparable à celui mis en place pour les déchets ménagers ou industriels, interdisant de mettre en décharge des déchets autres qu’ultimes. Sans ce levier réglementaire, mis en œuvre par une politique publique et des polices de l’environnement, nous en serions toujours à mettre tous les déchets en décharge ou en incinérateur, ce qui était quand même plus facile. Au-delà de l’aspect économique, quelqu'un porte-t-il une prescription de réduction des volumes mis en décharge, et qui met en œuvre cette politique ? Est-ce l’Autorité de sûreté nucléaire ou la police de l’environnement ? Je pense qu’il existe là un véritable enjeu.
Ensuite, il existe un certain nombre de leviers relevant de la valorisation et du recyclage. Certains sont immédiats, comme l’utilisation de gravats, pour combler des vides sur des sites nucléaires, lors d’opérations de terrassement, y compris sur les sites de l’ANDRA. Mais les volumes resteront toujours assez limités, l’objectif de l’ANDRA étant de stocker des déchets, plutôt que des gravats, et peu de chantiers nouveaux nécessitant du terrassement. Ce mode de valorisation des gravats ou des métaux restera nécessairement assez réduit.
L’enjeu principal concerne le recyclage des métaux en fonderie, sujet important porté par EDF. Dans ce domaine, la réorganisation de la filière, entre EDF et AREVA, et les efforts qu’ils font en termes de coordination stratégique, vont dans le bon sens, puisque EDF a pris l’initiative sur cette question. Le principe consiste à collecter des quantités importantes de ferrailles pour réaliser une première fusion, permettant de récupérer dans le laitier la radioactivité résiduelle, afin d’obtenir, à la sortie, des lingots propres.
Se pose ensuite, en l’absence de seuils de libération, la question de la réutilisation de ces lingots en dehors du secteur nucléaire, en assurant la traçabilité et le contrôle. Il est, en effet, incontestable que la quantité de ferrailles est trop élevée pour la réutiliser en totalité dans le seul secteur nucléaire. On peut en réutiliser un peu, pour fabriquer des conteneurs ou d’autres pièces. Mais ce sera insuffisant.
Avec cent cinquante mille tonnes pour le seul site EURODIF, potentiellement neuf cent mille tonnes de métaux à recycler, on voit bien qu’il faudra utiliser ces lingots hors du secteur nucléaire, si bien qu’il faudra trouver, après leur sortie de la fonderie unique de première fusion, des conditions de « libération conditionnelle » ou de « traçabilité contrôlée », permettant de déterminer dans quelle fonderie ils iront, et pour quels usages. En revanche, si on en fait des plaques d’égout et des tuyaux, il sera évidemment impossible de les suivre jusqu’à la fin.
Donc, il faut trouver des conditions de traçabilité et de contrôle proportionnées, permettant l’usage de cette ferraille en dehors du secteur nucléaire. Il s’agit d’un enjeu prioritaire, parce qu’à relativement court terme, s’ajouteront aux cent cinquante mille tonnes issues d’EURODIF, tous les générateurs de vapeur entreposés sur site, ainsi que d’autres types de ferrailles très faiblement radioactives. EDF, très mobilisé sur le sujet, veut associer l’ANDRA à la mise en œuvre de cette solution, qui devrait intervenir à court terme.
M. Christian Ngo. Il serait paradoxal d’investir beaucoup d’argent pour tracer des métaux, alors qu’on en importe, par ailleurs, provenant de pays pratiquant la libération. Ainsi, il y a quelques années, on avait retrouvé dans des ascenseurs des pièces radioactives provenant d’Inde.
M. Pierre-Marie Abadie. La question ne se pose pas ainsi, mais sous forme d’un débat, avec une dimension sociétale marquée, entre l’Autorité de sûreté nucléaire et les opérateurs, plus ou moins ouverts à la discussion. Pour en sortir, il faut construire une solution qui concilie le souci de traçabilité et de démonstration qu’un incident ne résulterait pas d’une faille du dispositif nucléaire français.
En même temps, il faut trouver des solutions proportionnées, qui ne soient pas excessivement coûteuses, permettant de réutiliser la ferraille propre, dont le stockage en décharge s’avérerait coûteux, avec une traçabilité permettant de rassurer, sans pour autant suivre la ferraille jusqu’à sa réutilisation en plaque d’égout, en rail ou en tuyau.
À mon avis, il existe une solution peu coûteuse, consistant à faire passer les métaux dans une fonderie de première fusion, pour séparer les éléments radioactifs des lingots propres, puis à s’assurer que ces derniers sont utilisés à bon escient. C’est une solution constructive, pour sortir d’un débat de sourds entre l’Autorité de sûreté nucléaire et les producteurs, auquel nous avons assisté avec désespérance, le résultat étant le stockage, dans nos centres, de la ferraille extrêmement propre.
Par contre, vous posez une vraie question concernant le devenir à long terme des déchets de faible activité, par exemple de type FAVL. Pour un risque faible sur cinquante mille ans, des sommes extrêmement élevées risquent d’être dépensées, alors même qu’elles seraient plus utiles pour traiter des termes sources importants dans les démantèlements, ou des risques en matière de santé publique liés à ces opérations. Je pense que votre suggestion s’applique plus à la problématique des déchets FAVL qu’à celle des déchets TTFA, pour lesquels il convient de trouver une solution raisonnable.
M. Christian Ngo. Nous avions réfléchi, avec M. François Lempérière, sur l’idée ancienne du démantèlement in situ, qui, en laissant les installations sur place, évite de créer des déchets de très faible activité.
M. Pierre-Marie Abadie. Cela renvoie à ce que M. Pierre-Franck Chevet a dit très clairement : « on dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit ». Si l’on souhaite laisser une partie des installations sur place, avec une radioactivité résiduelle sans impact sur la santé, les opérateurs peuvent préparer un dossier, qui donnera lieu à une enquête publique, destinée à informer le public de la création de cette servitude. Le CEA ne l’a pas fait à Grenoble, ce qui a conduit à une polémique sur le degré de dépollution, et, au final, au transfert des déchets résiduels à l’ANDRA. Si le CEA avait annoncé ses intentions, au lieu de demander le déclassement, l’Autorité de sûreté nucléaire l’aurait laissé faire. À Marcoule, près du réacteur nucléaire G1, il existe une présentation des démantèlements en France. Pour Grenoble, il est indiqué : « déclassement total ». C’est ce qui a conduit l’Autorité de sûreté nucléaire à demander que tout soit évacué. La prochaine fois, le CEA procédera autrement.
La dernière piste sur laquelle nous pouvons travailler, concerne la définition d’un concept de stockage pour les déchets TTFA, qui n’ont quasiment aucun impact, et qu’il serait donc disproportionné de transporter à travers la France, pour les stocker au CIRES. On pourrait les stocker, par exemple, à proximité des sites existants, ou en créant un site collectif, entre Marcoule, le Tricastin et Pierrelatte. L’enjeu est de réussir à bien définir le concept industriel, en s’assurant d’un réel saut, en termes qualificatif et de coût, par rapport aux installations existantes.
Un premier avantage d’un stockage décentralisé consiste en la limitation des transports. Mais il existe, par ailleurs, un deuxième enjeu, qui est de trouver un concept de stockage suffisamment nouveau pour faire un saut substantiel de coût. Aujourd'hui, pour le CIRES, ce coût est de cinq-cents euros, il faut viser cent à deux-cent euros, soit le coût du stockage dans les centres de déchets dangereux classiques. Par contre, si on arrive à trois-cents euros, le concept ne sera pas suffisamment différenciant pour justifier la mise en place d’une solution spécifique.
Évidemment, dans ce genre de raisonnement, il existe un dilemme entre les volumes nécessaires à la rentabilité de l’installation, ce qui peut amener à accepter des déchets un peu plus contaminés, et la recherche de la solution la plus allégée possible, qui incite à se limiter aux déchets les plus propres. Il faut donc trouver un équilibre, correspondant à ce que nous appelons la stratégie filière, qui implique d’identifier des solutions sûres et proportionnées pour les différents types de déchets. Voilà ce que je voulais dire, un peu rapidement, sur les déchets TFA.
Je terminerai en disant quelques mots sur les combustibles usés. Pour l’ANDRA, c’est un problème très élémentaire. Il ne nous revient pas de juger des intérêts comparés du retraitement et du stockage direct des combustibles usés. Nous concevons un projet sur la base du retraitement : c’est ainsi que CIGEO est conçu aujourd’hui. En 2018, quand nous demanderons l’autorisation de création, ce sera dans l’optique de stocker des combustibles retraités. Ceci dit, au titre de la réversibilité et de l’adaptabilité du projet, il est nécessaire que nous évaluions la capacité de celui-ci à s’adapter, le moment venu, à un éventuel changement de politique énergétique, notamment en l’absence de tout ou partie du retraitement. C’est une demande légitime du PNGMDR, auparavant formulée par l’Autorité de sûreté nucléaire.
Nous avons déjà remis un rapport intitulé « stockage des combustibles usés » qui ne constitue pas une étude complète de conception d’un stockage destiné aux combustibles usés. Ce rapport vise à identifier ce qu’il faudrait modifier pour pouvoir descendre ces combustibles et à s’assurer de l’absence d’impossibilité physique à le faire. Il vise également à vérifier qu’on ne va pas générer une telle impossibilité, par exemple en créant une descenderie inadaptée. Il apparaît important de le démontrer.
D’ailleurs, quand nous avons réalisé cette étude, nous avons vu qu’il n’est pas si compliqué que cela de descendre des combustibles usés. Il faudrait réinvestir, faire des travaux et déposer bien évidemment une nouvelle demande d’autorisation complète, avec tout ce que cela implique en termes d'enquête publique, de décret, et de dialogue avec la population. Mais, le cas échéant, on saurait adapter CIGEO. C’est surtout cela que nous devons vérifier.
Par ailleurs, au titre de l’inventaire, autre activité de service public que nous assurons, et qui a un lien avec cette question, nous examinons différents types de scénarios, depuis l’absence complète de retraitement, jusqu’à un retraitement partiel ou total, avec ou sans réacteurs à neutrons rapides (RNR). Nous devons donc préparer toute une gamme de scénarios, pour montrer leurs impacts en termes de déchets.
C’est important, car pour la comparaison environnementale entre retraitement et absence de retraitement, demandée par l’Autorité environnementale à AREVA, nous devons lui fournir les impacts en termes de déchets, d’inventaire et de conception des installations. Pour nous, c’est uniquement sur ces aspects que nous devons intervenir : l'adaptabilité du projet CIGEO et les études que nous fournirons à AREVA, pour permettre de réaliser ce bilan environnemental. In fine – même si je ne suis pas en accord avec tout ce que dit l'Autorité environnementale, elle a posé une bonne question. Réaliser ce travail permettra aussi d’assoir la pertinence du retraitement.
M. Christian Bataille. Vous indiquez, à juste titre, que beaucoup de paramètres vous échappent et que votre cahier des charges porte sur le système actuel, c’est à dire le retraitement. Pour aller très au-delà de tout ce qu’on a évoqué, l’avenir du retraitement est très lié à la construction des réacteurs à neutrons rapides, que décidera, ou ne décidera pas, la Gouvernement. La question d’une remise en cause du retraitement se poserait effectivement si nous abandonnions la filière RNR.
Vous avez raison de dire que vous avez été obligé de balayer à gros traits le sujet. Une demi-journée serait nécessaire pour vraiment entrer dans le détail. Vous nous avez remis un document assez riche. Nous ne l’avons examiné que très partiellement, mais il nous sera utile, et nous le regarderons dans sa totalité. Pour ma part, je vais me contenter d’une ou deux questions. M. Christian Ngo, qui a déjà posé des questions très pertinentes, pourra compléter les miennes.
Ma première question porte sur les conséquences de la loi du 25 juillet 2016. Cette loi a levé les principaux obstacles à la création d’un stockage géologique réversible, en précisant les modalités de celle-ci. Je rappelle que la demande d’autorisation de création correspondante doit, suivant cette même loi, être instruite en 2018, mais qu’avant son dépôt elle fera l’objet d’avis de la CNE, de l’Autorité de sûreté nucléaire et des collectivités locales, ainsi que d’une évaluation par l’OPECST. Nous sommes en 2017. Quand prévoyez-vous de transmettre votre demande ?
M. Pierre-Marie Abadie. Elle sera déposée mi-2018. Je pense que les autres instructions se feront en parallèle de celle de l’Autorité de sûreté nucléaire. L’avant-projet détaillé se déroulera jusqu’à fin 2017, la revue de clôture de la conception se tiendra fin 2017, ou tout début 2018, et, en parallèle, interviendra la transformation en demande d’autorisation, qui nécessitera six mois. Cette dernière sera achevée à la mi-2018.
M. Christian Bataille. Je ne suis pas un fanatique du calendrier. J’ai commencé à me pencher sur le sujet des déchets en 1989. Nous ne sommes donc pas à six mois près. Nous avons déjà dérapé de trois ans, mais il vaut mieux essayer de s’en tenir au calendrier prévu par la loi.
M. Pierre-Marie Abadie. Très clairement, le calendrier de la loi est celui que j’ai proposé et qui a été présenté en conseil d’administration. Je le répète, il n’y a jamais eu d'ambiguïté sur le fait que la demande d'autorisation serait finalisée mi-2018. Ce ne sera pas avant. Cela correspond à deux ans d’avant-projet détaillé, ce qui correspond à la durée standard, même si la fin d’avant-projet détaillé sera un peu serrée. Avec un avant-projet détaillé qui commence fin 2015, on arrive à fin 2017, et il faudra bien six mois pour préparer la demande d’autorisation.
M. Christian Bataille. La loi, je le reconnais, ne donne pas beaucoup de marges de manœuvre, mais on a déjà dérapé, la loi précédente indiquait 2015.
M. Pierre-Marie Abadie. Une ambiguïté existait à l’époque sur le fait que la demande d'autorisation de création se ferait sur la base d’un avant-projet sommaire ou d’un avant-projet détaillé, puisqu’à l’époque de Flamanville elle se faisait sur la base d’un avant-projet sommaire, et qu’elle se fait maintenant sur la base d’un avant-projet détaillé.
Comme nous avons eu l’occasion de le dire plusieurs fois, c’est vrai que la demande d'autorisation de création est passée de 2015 à 2017, puis 2018, mais les deux premières années correspondent au passage d’une demande d’autorisation de création basée sur avant-projet sommaire, à une demande basée sur un avant-projet détaillé, ce qui demande plus d’approfondissement de conception.
En revanche, ce que j’assume en termes de décalage, et je crois que c’était une bonne décision, c’est l’année supplémentaire, car l’avant-projet sommaire a pris plus de temps, presque vingt-huit mois au lieu de dix-huit, sachant que l’avant-projet détaillé nécessite au moins deux ans.
C’est pourquoi, je disais qu’il faut un calendrier robuste et réaliste, alors qu’auparavant l’agence a eu un peu tendance à accepter et à assumer des calendriers intenables, ce qui conduisait à des situations difficiles, en termes de conduite de projet. Quand un calendrier n’est plus réaliste, ce n’est plus un calendrier.
M. Christian Bataille. Je retiens la notion de calendrier « robuste ».
M. Pierre-Marie Abadie. J’insiste encore sur le fait que le calendrier que nous avons partagé, y compris avec les parlementaires, avec les échéances de 2018, 2025 et 2030, comporte des hypothèses fortes, parce qu’il n’y a pas de marge, notamment en termes de durée d’instruction et de décision publique, par exemple pour défricher les bois, clôturer, terrasser, etc.
M. Christian Bataille. Tout cela ne relève pas de la loi, mais de la réglementation. Pour revenir à la loi, celle du 25 juillet 2016 précise que la réversibilité doit permettre d’adapter le futur stockage aux évolutions possibles. En pratique, comment l’ANDRA prendra-t-elle en compte cette exigence ?
M. Pierre-Marie Abadie. La réversibilité, telle que la loi l’a défini, consiste à s’appuyer sur le fait que le projet lui-même est flexible et adaptable. La première adaptabilité, découle de sa construction phase par phase. D’ici 2035, on aura construit une installation de surface, une descenderie, une zone de soutien, quatre alvéoles destinées aux déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL), sur quarante ou cinquante, et un quartier pilote, dit HA0, pour les déchets de haute activité (HA).
Par conséquent, les seules irréversibilités créées portent sur la localisation des puits des descenderies, des quartiers de déchets de moyenne activité à vie longue et de haute activité. Tout le reste demeure adaptable au retour d’expérience et aux progrès techniques : par exemple, la possibilité de prévoir, pour les déchets de moyenne activité à vie longue, des alvéoles plus grandes, ou, avec d’autres types de revêtements, d’utiliser par la suite un tunnelier, ou, pour les déchets de haute activité, des concepts évolutifs plus longs, des progrès sur la loi du comportement hydromécanique permettant d’optimiser l’architecture du quartier, etc.
Le projet est fondamentalement incrémental, d’où l’importance d’avoir des jalons de sûreté, de conception, et de rebouclage en interne, ainsi que des jalons avec les évaluateurs, pour les grandes décisions de sortie de phase pilote, d’entrée en exploitation courante, mais également de construction ou de fermeture de quartiers haute activité et moyenne activité à vie longue.
Il y aura régulièrement, tous les cinq ou dix ans, des rendez-vous avec, d’une part, l’Autorité de sûreté nucléaire, et, d’autre part, les parties prenantes et les évaluateurs dans la conduite du projet. L'adaptabilité à des changements de politique énergétique, tels que l’abandon du retraitement, va plus loin. Dans ce cas, il s’agit de faire la démonstration que la conception est suffisamment adaptable pour permettre une reconception, le moment venu, par exemple pour descendre les combustibles usés. C’est ce que l’ANDRA a fait avec le rapport remis mi-2015 sur les combustibles usés.
M. Christian Bataille. Vous avez répondu à une grande partie des questions que j’avais préparées. Si nous avons besoin de compléments, nous vous adresserons des questions par écrit.
2. Audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, le 8 novembre 2016
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Je suis accompagné de M. Olivier Gupta qui a pris la suite, en tant que directeur général de l’ASN, de M. Jean-Christophe Niel, récemment nommé directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et de Mme Mathilde Maillard, chef du bureau de la gestion des déchets radioactifs.
Nous vous remettons une note sur les conditions d’élaboration du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), ainsi qu’une autre sur les déchets de très faible activité. Je répondrai de vive voix à vos questions concernant le retraitement.
Le PNGMDR 2016-2018 est finalisé. Il devrait vous être transmis par le ministère de l’Environnement en décembre. Il s’inscrit dans la continuité des précédents et prend en compte les remarques de l’OPECST.
J’ai présidé, avec la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), l’ensemble des réunions du groupe de travail du PNGMDR. Ce groupe a été créé informellement, en 2003, avant d’être officialisé par la loi. Les participants sont donc rodés à ce travail collectif. Parfois, les échanges peuvent être vifs, mais le dialogue est toujours possible.
Tous les participants ont ainsi donné leur accord à la création d’un sous-groupe de travail sur les questions de valorisation des matières nucléaires, par conséquent aussi la notion de seuils de libération. Il était présidé par une personnalité extérieure. Sa composition et ses recommandations sont annexées à la note correspondante.
En résumé, un travail exploratoire utile pourrait être réalisé sur certains déchets de très faible activité (TFA), très homogènes et de grands volumes : les ferrailles, notamment celles provenant de Georges-Besse I, les générateurs de vapeur usés, et des gravats très-très faiblement radioactifs.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Ces documents sont-ils susceptibles d’être reproduits, en tout ou partie, dans notre rapport ?
M. Pierre-Franck Chevet. C’est bien le cas. Plus généralement, le groupe de travail du PNGMDR est ouvert, et les compte rendus de ses réunions accessibles en ligne. L’ensemble des documents produits dans ce cadre sont publics.
Non seulement nous avons réussi à établir un dialogue entre les organisations non gouvernementales et les exploitants sur ce sujet controversé, mais tous ont admis la nécessité, d’une part, d’étudier des filières de valorisation, notamment pour les très gros gisements qui sont ceux posant le plus de problèmes, et, d’autre part, de s’interroger sur les seuils de libération.
Par exemple, la valorisation préférentielle des aciers dans la filière nucléaire ne permettra pas d’absorber l’ensemble des volumes. De l’acier provenant de Georges-Besse I, une fois fondu et décontaminé, pourrait être réutilisé pour les containers de déchets de l’ANDRA. C’est un circuit de recyclage sous contrôle. La libération consisterait à réutiliser cet acier dans les aciéries, en perdant par conséquent la traçabilité. Ce sujet étant plus complexe, le groupe de travail a essayé d’identifier un certain nombre de conditions préalables, dont l’identification des cas les plus défavorables.
L’un des textes publiés par le groupe de travail du PNGMDR ayant mentionné l’étude de la valorisation des matériaux métalliques, la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) a adressé à la DGEC deux-mille commentaires similaires, expliquant que les fourchettes risquent de devenir radioactives. Au-delà de ce qui peut être vu comme une caricature, la question est de mesurer l’impact, dans les pires scénarios, pour les consommateurs. Ce type d’analyse peut d’autant plus facilement être réalisé que les matériaux concernés ont été bien ciblés. Je trouve que ce groupe de travail a le mérite d’avoir ouvert des voies de travail concrètes.
M. Christian Bataille. La CRIIRAD faisait-elle partie de ce sous-groupe de travail ? Je les connais bien, notre ancienne collègue de l’OPECST, Mme Michèle Rivasi en faisant partie. Ils ne sont pas très ouverts au dialogue.
M. Pierre-Franck Chevet. Ils ont refusé d’y participer, pour pouvoir mieux faire valoir leur position. En tout cas, j’ai été surpris de constater que ce sous-groupe de travail, auquel participaient d’autres associations de défense de l’environnement, a fonctionné de manière constructive, non idéologique.
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. Ce que nous faisons en France peut être contrôlé, mais l’acier venant de l’étranger l’est-il également ?
M. Pierre-Franck Chevet. C’est le problème de la banalisation. Nous évitons, avec la politique actuelle, de libérer des matières, qui ensuite circuleraient un peu partout, en France et à l’étranger. Toutefois, dès lors que d’autres banalisent, on ne peut pas exclure que des matières venant de l'étranger fassent un jour sonner des portiques, sans possibilité de remonter à la source.
Au début des années 1990, une série d’affaires médiatiques sont survenues à la suite de la détection de produits faiblement radioactifs, à l’entrée de décharges. L’impossibilité d’identifier l’origine de l’objet incriminé posait la question de notre capacité à garantir qu’un incident plus grave ne pourrait se produire, le principe de la libération étant de perdre la traçabilité.
M. Christian Bataille. C’est la raison qui avait conduit à demander, dans la loi de 1991, un inventaire national des déchets radioactifs. Il y avait eu notamment l’affaire de l’usine de réveils Jaz, qui a utilisé du radium jusque dans les années 1960.
M. Pierre-Franck Chevet. Depuis cette époque, avec la classification introduite par la loi, la règle suivant laquelle toute matière provenant d’une zone nucléaire ou radioactive le reste, jusqu’à preuve du contraire, est appliquée. La notion de seuil a été remplacée par celle de zone, c’est-à-dire de risque de contamination. La cantine d’une centrale nucléaire n’est pas concernée, mais tout matériau provenant du bâtiment réacteur est, a priori, considéré comme radioactif.
Depuis ces décisions, aucune affaire équivalente n’est survenue, mais si cela avait été le cas, l’ASN n’aurait sans doute eu aucune difficulté à identifier l’origine de l’anomalie. C’est un système qui permet une réelle maîtrise.
M. Christian Namy, sénateur, rapporteur. Quels sont, en pratique, les freins à la réutilisation, conditionnée par des seuils de libération, de matériaux tels que l’acier, comme cela est pratiqué par d’autres pays européens ?
M. Pierre-Franck Chevet. Le sujet de la libération est l’un des rares à relever d’un véritable débat public, qui serait nécessairement difficile.
Nous avons essayé d’avancer au travers de ce groupe de travail, qui a proposé une démarche pragmatique, consistant à considérer des ensembles homogènes et bien définis. Par exemple, pour les aciers de Georges-Besse I, la première fusion permet de concentrer dans le laitier toute la radioactivité, ce qui est très différent d’une dilution. Un procédé physique de ce type permet réellement d’éliminer la contamination.
Nous avons échangé avec nos collègues allemands sur le sujet des seuils de libération. Voici deux ans, des Français membres de groupes d’experts allemands nous ont expliqué le fonctionnement de ces seuils, à l’occasion d’une réunion de Commissions locales d’information. Les Allemands se sont appliqués à mettre en œuvre leur politique à des gravats. Apporter la preuve qu’un tas de gravats ne comporte pas, par endroits, de trace de radioactivité au-dessus des seuils représente déjà un coût significatif. Bien que l’ASN n’ait pas pour habitude d’évoquer les coûts, celui d’un tel contrôle est de l’ordre de 1 500 euros par mètre cube. Ensuite, en l’absence de possibilité de réutilisation, il faut chercher un centre d’enfouissement technique proche, disposé à accepter ces gravats. La réponse est en général négative, aussi bien en Allemagne de l’ouest que de l’est. Au final, les centrales concernées ont ouvert un centre d’enfouissement local dédié. Pour l’acier, la situation est évidemment différente.
Il faut en retenir que ce n’est pas parce que des matériaux ont été libérés administrativement qu’ils seront, pour autant, nécessairement acceptés dans des exutoires.
M. Christian Bataille. Combien un mètre cube représente-t-il de tonnes de gravats ?
M. Pierre-Franck Chevet. Il représente l’équivalent d’environ trois tonnes. En Allemagne le prix de référence du stockage est de l’ordre de 20 000 euros le mètre cube, ce qui motive la décontamination et le recyclage. Des coûts de 5 000 euros par mètre cube peuvent être engagés pour des opérations de décontamination et de libération, dont 1 000 euros pour la libération seule. Je rappelle que le coût de stockage au CIRES est de 1 200 euros par mètre cube. Avec 1 000 euros pour la seule libération, le potentiel d’économie n’est pas énorme.
M. Christian Namy. À Cadarache ou à Marcoule, j’ai vu des bâtiments entiers inutilisés, alors qu’il est possible d’y circuler librement, en l’absence de radioactivité. Quelles sont les conditions dans lesquelles un bâtiment décontaminé pourrait être réutilisé ?
M. Pierre-Franck Chevet. Je vais illustrer par un exemple notre position sur la question du démantèlement en vue d’une réutilisation. Un bon démantèlement a été réalisé par le CEA à Grenoble, pour le réacteur Siloé. C’est un dossier datant de cinq ou six ans, qui illustre bien nos oppositions avec le CEA. N’étant pas en poste à l’époque, j’ai essayé de comprendre ce qui s’était passé.
Avant ce démantèlement le CEA a organisé une enquête publique, en expliquant que le site serait remis dans un état sans contrainte. Siloé n’était pas un réacteur très complexe à démanteler. Le démantèlement lui-même s’est bien déroulé, mais, in fine, une dalle en béton est restée sur place, avec une faible radioactivité résiduelle.
L’ASN a identifié cette dalle en béton, nécessitant quelques précautions, dont la présence n’avait pas été annoncée dans l’enquête publique. La conserver aurait nécessité de refaire une enquête publique et d’imposer une servitude. Pour différentes raisons, le CEA n’avait pas choisi de s’y engager. Au final, la décision a été prise de retirer la dalle et de transporter le béton pour le stocker au CIRES.
Je retiens de cette affaire l’idée que de faire traverser la France à des déchets très-très faiblement radioactifs n’est pas une solution rationnelle, et qu’il y aurait donc matière à organiser un débat public sur des stockages locaux.
M. Christian Namy. C’est ce que préconisait l’ancien président d’EDF.
M. Pierre-Franck Chevet. Cette solution ne me gêne pas, à condition qu’on soit clair dans les procédures appliquées, même si les risques sont minimes. Les stockages doivent être gérés en toute clarté. À Grenoble, je ne suis pas certain que le CEA était disposé à refaire une enquête publique, pour expliquer qu’un tumulus de matières radioactives resterait sur place. Cet exemple montre qu’il n’est pas si facile d’expliquer à la population qu’on laisse des déchets sur place.
La loi sur la transition énergétique a ouvert la possibilité de créer des servitudes. Tant que c’est un même organisme qui réutilise un bâtiment, la mémoire ne pose pas problème. Mais il faut considérer qu’à plus long terme, d’autres utilisations pourraient être envisagées. C’est pour cela que ces servitudes, qui permettent de garder la mémoire sur les précautions à prendre, sont essentielles.
Je pense qu’on commence à voir comment procéder pour des cas très véniels, sans faire appel au principe des seuils de libération. Un débat public sur cette question, éventuellement organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), en 2018 ou 2019, serait utile.
M. Christian Bataille. Effectivement, son organisation nécessitera du temps.
M. Pierre-Franck Chevet. La libération faisant perdre la traçabilité, elle impose des contrôles très rigoureux en amont. Dans une situation normale, avec des opérateurs sérieux, les risques sont limités, même si c’est coûteux. Mais le problème d’un seuil, c’est que pour l’atteindre, il suffit de diluer, par exemple en mélangeant un béton contaminé avec une quantité suffisante de béton non contaminé, ce qui est contraire à tout principe de bonne gestion environnementale. Je n’imagine pas comment un contrôle peut éviter de telles turpitudes, même si un texte l’interdit.
M. Christian Namy. Quelle est votre position sur le retraitement des combustibles usés ?
M. Pierre-Franck Chevet. Le point essentiel concerne CIGEO. Nous avons écrit dans plusieurs avis que CIGEO est actuellement conçu pour accepter des verres issus du retraitement des combustibles. C’est d’ailleurs ainsi que la demande d’autorisation de création sera conçue.
Par contre, CIGEO est un site aux caractéristiques probablement uniques en France, et personne ne peut exclure, à un horizon de vingt ou trente ans, des modifications de la politique de gestion des déchets, notamment l’abandon de l’option du cycle fermé, retenue jusqu’à présent.
La fermeture du cycle repose sur la réutilisation, ce qui est réalisé en France au travers du combustible MOX (mélange d'oxydes). Actuellement, les seuls réacteurs à fonctionner avec ces combustibles sont ceux de 900 MW, les plus anciens, par conséquent ayant vocation à être fermés en premier. Actuellement les réacteurs de 1 300MW ne sont pas autorisés à utiliser du MOX, de même pour l’EPR de Flamanville.
M. Christian Ngo. Le cycle fermé ne se justifie vraiment qu’avec les réacteurs à neutrons rapides, sans eux l’industrie nucléaire n’a pas d’avenir.
M. Pierre-Franck Chevet. Je ne pense pas à la remise en cause de la filière nucléaire, mais du retraitement. Actuellement, nous ne disposons pas de ce type de réacteurs.
M. Christian Ngo. Si les réacteurs à neutrons rapides ne sont pas construits en France, ils le seront ailleurs.
M. Christian Bataille. Cela pose bien la question du retraitement-recyclage des combustibles.
M. Pierre-Franck Chevet. Pour CIGEO, cela signifie que si l’installation est dimensionnée sur la base des hypothèses actuelles, il faut vérifier, au moment du dépôt de la demande d’autorisation de création, qu’il est à même de s’adapter à des changements de politique énergétique, notamment l’arrêt du retraitement.
Par exemple, le dimensionnement de la descenderie pourrait permettre de passer des verres, mais pas des combustibles usés. Il faut également examiner s’il serait, un jour, acceptable d’introduire dans une matrice d’argile des combustibles usés autres que des MOX. Ce que nous attendons, la ressource CIGEO étant rare, c’est une faisabilité technique, pas une démonstration complète. Je n’ai pas l’impression que cela constitue un problème pour l’ANDRA, ce n’est pas non plus une remise en cause des choix politiques, mais il est normal qu’on puisse se poser des questions de robustesse.
M. Christian Bataille. Qu’en est-il des conséquences de la loi du 25 juillet 2016 sur la réversibilité ? Comment cette exigence doit-elle être prise en compte par l’ANDRA ?
M. Pierre-Franck Chevet. Je salue cette loi, nécessaire au développement du projet CIGEO. La loi indique que la réversibilité consiste, d’une part, en la possibilité de récupérer les colis pendant une période et, d’autre part, en l’adaptabilité de l’installation, par exemple à l’abandon du retraitement.
Il faut que l’installation soit exploitée de façon progressive, notamment lors de la phase industrielle pilote. Une phase de montée en puissance est nécessaire. J’ai l’impression que l’ANDRA prend bien en compte cette approche progressive, notamment parce que c’est une installation unique au monde.
M. Christian Bataille. C’est effectivement la première de ce type au monde. Souhaitez-vous évoquer d’autres points ?
Mme Mathilde Maillard, chef du bureau de la gestion des déchets radioactifs. Nous avons lancé hier une revue par les pairs, coordonnée par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Elle se déroulera sur les dix prochains jours. Des experts internationaux vont donner un avis sur certains aspects du dossier d’option de sûreté remis au printemps par l’ANDRA. Ils devraient remettre leur rapport d’ici la fin de la semaine prochaine. Celui-ci ne portera pas spécifiquement sur la réversibilité, mais sur l’ensemble du dossier.
M. Pierre-Franck Chevet. C’est une première, tous nos grands homologues à travers le monde y participent, notamment les Anglais, les Américains, les Finlandais et les Suédois. L’idée était d’évaluer le travail de l’ANDRA. Tous ces pays ne travaillent pas sur le stockage dans l’argile, mais les approches se ressemblent. Ce sera à mon avis très utile.
M. Christian Bataille. Dans les pays nordiques, il s’agit en effet de stocker directement des combustibles usés dans le granit.
M. Christian Namy. Comment voyez-vous l’équilibre entre réversibilité et sûreté ?
M. Pierre-Franck Chevet. Des arbitrages plus fins interviendront dans l’avenir, mais il serait encore un peu tôt pour les prendre. Nous avons toujours dit que si la réversibilité a des effets positifs sur la sûreté, il existe aussi, potentiellement, certains risques. Si l’on veut rendre l’installation totalement réversible, en laissant toutes les galeries ouvertes pendant cent ans, cela implique qu’un problème dans l’une des galeries peut avoir un impact sur l’ensemble de l’installation. En matière de sûreté, on a plutôt tendance à cloisonner, notamment vis-à-vis du risque incendie. Mais cela réduit la réversibilité. Évidemment, toute une gamme de scellements est envisageable.
M. Christian Bataille. C’est effectivement la question posée : comment l’ANDRA va-t-elle traduire la réversibilité définie par la loi ? La mise en œuvre technique sera évidemment complexe.
M. Pierre-Franck Chevet. La loi prévoyant des rendez-vous assez fréquents, cela permettra de répondre à ces questions.
M. Christian Bataille. Au moment du vote de la loi de 1991, l’idée de réversibilité provoquait l’ire de certains producteurs de déchets. J’étais pour la réversibilité, mais le ministre de l’industrie de l’époque écoutait son administration, si bien qu’un compromis a été trouvé, en mentionnant l’alternative entre un stockage réversible ou irréversible.
M. Pierre-Franck Chevet. Le réglage sera compliqué, pour bien mesurer ce qui est réellement réversible. Par exemple, boucher les alvéoles avec une dizaine de mètres de béton contredirait clairement la réversibilité. Il faudra également une appréciation technico-économique, le coût pouvant être aussi un obstacle à la réversibilité.
M. Christian Bataille. CIGEO est une opération qui ne doit pas s’arrêter. La réversibilité le permet aussi.
M. Christian Namy. Certains évoquent une contradiction technique, entre la réversibilité et le fait que l’argile a tendance à se refermer.
M. Pierre-Franck Chevet. La démonstration de sûreté est en effet en partie basée sur le fait que l’argile se referme, scellant ainsi les déchets. Mais l’obligation de réversibilité impose, au moins durant cent ans, que la voûte tienne, pour empêcher ce phénomène. La loi a choisi de fixer une période de cent ans. De toute façon, un béton, quel qu’il soit, cédera à un moment donné face à la pression.
M. Christian Bataille. Cent ans ou plus, suivant le déroulement des opérations.
M. Pierre-Franck Chevet. En tout cas, alors que dans le passé les avis étaient plus partagés, il existe aujourd’hui un consensus sur le fait que faire tenir le béton de voûte plus longtemps est plutôt une bonne chose pour la sûreté. Si un jour un problème nécessitant un accès à la zone survient, ce sera incontestablement plus sûr avec une voûte en bon état.
M. Christian Bataille. Sur les déchets de très faible activité avez-vous résumé votre position ?
M. Pierre-Franck Chevet. Effectivement, le groupe de travail a tracé les voies envisageables à l’heure actuelle, avec d’une part la prise en compte d’ensembles de métaux ou bétons homogènes, et d’autre part, la possibilité de stockages sur place, sous réserve de clarté.
3. Audition de MM. Vincent Gorgues et Bernard Boullis, CEA, le 22 novembre 2016 au Sénat
M. Vincent Gorgues, responsable du programme démantèlement et assainissement, CEA. Je vais commencer par traiter du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et de quelques points d’achoppement pour le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). M. Bernard Boullis évoquera ensuite le retraitement et, enfin, je reviendrai sur les déchets de très faible activité.
Concernant l’élaboration du PNGMDR, à laquelle le CEA participe avec les autres producteurs de déchets, au fur et à mesure de l’avancement de la démarche, celle-ci rentre de plus en plus dans le détail. Cela implique de préciser un très grand nombre de points, en termes de stratégie en matière nucléaire, ce qui n’était pas le cas dans les rapports précédents. C’est une excellente chose, en termes de transparence et de clarté sur l’avenir des matières nucléaires, alors qu'auparavant on ne précisait pas comment elles seraient réutilisées.
Globalement, les demandes d’études faites au CEA ont été multipliées par deux : dix-neuf pour le rapport précédent, contre trente-six cette fois ci. Cela prouve qu’on rentre dans un processus de transparence beaucoup plus grande quant à la gestion des matières et déchets radioactifs.
Trois points posent tout de même problème au CEA.
En premier lieu, c’est la première fois que le PNGMDR envisage une multiplicité de scénarii sur l’arrêt du nucléaire et du retraitement, mais ne traite pas du projet de réacteur à neutrons rapides (RNR) ASTRID. Le CEA a réagi, en demandant qu’il en soit fait mention, mais le paragraphe ajouté, très court, ne cite pas le nom du projet ASTRID. Je trouve ce fait extrêmement significatif.
En deuxième lieu, ce PNGMDR a donné lieu à un bras de fer entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les exploitants, perdu par ces derniers. L’ASN a imposé que soient déclarés, pour chaque projet de démantèlement, indépendamment des scénarios plausibles en termes de contamination, des scénarios enveloppes, en termes de volumes de déchets, incluant notamment les volumes de terre excavée et de gravats générés, après déconstruction complète.
De nombreux bâtiments devraient, pourtant, rester sur pieds, les structures n’ayant, en l’absence de fuites, pas été contaminées. Par exemple, les réacteurs de recherche du CEA n’ont pas connu d’incident de contamination. Malgré cela, l’ASN exige que soit étudié un scénario dans lequel ces bâtiments seront détruits et la terre excavée, générant de grandes quantités de déchets de très faible activité, susceptibles de saturer le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES).
Du coup, les perspectives de saturation des centres de stockage étant faussées, à partir du moment où ces scénarios sont envisagés, ils doivent être pris en compte dans les provisions, donc avec un impact financier pour les producteurs.
En troisième lieu, en même temps qu’on travaille sur le PNGMDR, on travaille également sur le Programme industriel de gestion des déchets (PIGD) (5) qui est resté au milieu du gué pour les dates de mise à disposition des exutoires finaux, notamment le centre de stockage géologique CIGEO et celui destiné aux déchets de faible activité à vie longue (FAVL). On sait que la réalité industrielle nous amène à des décalages de cinq ans, voire de dix ans. Or, les dates n’ont pas bougées dans les chroniques du PIGD.
Cette situation a un impact très important. En effet, les commissaires aux comptes se basent sur ces dates pour calculer la chronique de financement des centres de stockage, singulièrement de CIGEO. Simultanément, le décalage dans la construction de ces exutoires oblige à construire de nouveaux entreposages sur nos sites.
Les producteurs se trouvent donc contraints de mobiliser des sommes importantes, à la fois pour construire les entreposages – à Marcoule, le retard de CIGEO va contraindre à construire six tranches de site d’entreposage polyvalent à quarante-cinq millions d’euros chaque, et un hall de chargement d’une centaine de millions d’euros – et pour les provisions en vue de la construction de CIGEO. Ce problème mobilise l’ensemble des exploitants.
Je vais à présent passer la parole à M. Bernard Boullis sur le retraitement.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Auparavant, je voudrais revenir sur ce que vous venez de dire au sujet du réacteur ASTRID. Cela semble révéler une volonté de ne pas le mentionner. Cette volonté vient-elle du niveau gouvernemental ou de l’autorité de sûreté ? Au fond, il semblerait que certains veuillent oublier ce projet, ou tout du moins le geler.
M. Vincent Gorgues. Dans le fonctionnement du groupe de travail du PNGMDR, même si la direction générale de l’énergie et du climat, donc le gouvernement, est en charge de la présidence, c’est généralement l’ASN qui tient la plume sur beaucoup de sujets, et, à ce titre, mène l’essentiel des discussions. Pour autant, sur ASTRID, j’ai tout de même l’impression qu’il s’agit d’une volonté partagée.
M. Christian Namy, sénateur, rapporteur. Pourtant le projet ASTRID a bien avancé.
M. Bernard Boullis, directeur du programme des technologies du cycle du combustible et de gestion des déchets au CEA. Il a bien avancé, conformément au calendrier et aux objectifs fixés par la loi de 2006, pour assurer une meilleure gestion des matières et des déchets.
C’est un projet pour lequel le Gouvernement alloue des fonds au CEA, et lui demande des résultats. Dans le cadre de l’élaboration de chaque PNGMDR, il était demandé au CEA de présenter l’avancement du projet. Cela permettait de préparer un rapport conséquent, et de jalonner le travail du CEA. J’ai donc été très surpris de constater que dans le projet de PNGMDR initial, il n’en était pas fait mention.
Nous avons donc écrit, ce qui a conduit à l’ajout d’un paragraphe citant, sans plus de détail, les recherches sur les réacteurs de quatrième génération. Je ne sais pas l’expliquer.
M. Christian Bataille. Nous y reviendrons dans notre rapport, avec le sénateur Christian Namy, nous partageons l’idée que le réacteur ASTRID est un maillon essentiel du futur de la filière nucléaire – le développement de celle-ci ne s’arrête pas à l’EPR – qui donne sa cohérence à tout le processus. Je m’étais, par le passé, déjà opposé à l’arrêt de Superphénix. Vingt ans plus tard, les mêmes blocages intellectuels perdurent.
M. Christian Namy, sénateur, rapporteur. Où en sont les Russes sur le projet de réacteurs à neutrons rapides ? N'envisagent-ils pas de s’impliquer dans le projet ASTRID ?
M. Bernard Boullis. Actuellement, nous allons faire des expériences sur des installations russes complémentaires des nôtres. Dans le passé, il existait une intention de définir une approche commune, mais elle n’a pas abouti.
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. Ce changement pourrait traduire, soit une volonté d’arrêter la filière nucléaire, soit d’acheter une technologie étrangère, car si ASTRID n’aboutit pas à temps, il sera toujours possible d’acheter un réacteur de quatrième génération chinois. Les autres pays ne nous attendront pas pour les développer.
M. Christian Bataille. L’essentiel, pour ASTRID comme pour CIGEO, c’est que le projet continue à avancer. Il ne faut surtout pas qu’il s'arrête, mais au contraire qu’il se poursuivre inexorablement. Les gouvernements, et même les générations humaines, passent, mais le projet que vous portez va bien au-delà de la durée d’un gouvernement. Je vous rends la parole, mais ASTRID est un point fondamental.
M. Bernard Boullis. Je vais redonner quelques grands chiffres sur le cycle nucléaire français. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à maturité, en retraitant tous les combustibles à l’uranium sortant des cinquante-huit réacteurs du parc français.
Chaque année, mille tonnes d’uranium enrichi sont chargés dans ces réacteurs. Pour générer ces mille tonnes, il faut huit-mille tonnes d’uranium naturel, ce qui laisse sept-mille tonnes d’uranium appauvri. Lorsque ces mille tonnes sortent des réacteurs, on en retire dix tonnes de plutonium, avec lesquels on fabrique les combustibles MOX (mélange d'oxyde). 10 % de l’électricité produite en France provient de ce MOX. On peut recycler l’uranium, à hauteur de neuf cent quarante tonnes, qui peut remplacer l’uranium provenant d’activités minières. Cela permet de fabriquer du combustible ré-enrichi. Le reste, soit cinquante tonnes par an, est constitué de déchets ultimes, avant conditionnement.
Ce cycle présente de nombreux avantages, le premier étant une économie de 10 % d’uranium naturel. Il faut bien avoir conscience que, même s’il y a beaucoup d’uranium sur la Terre, depuis les années 1990, les quantités extraites des mines sont inférieures de 30 % aux besoins des réacteurs en activité. Ce manque a été compensé par des stocks cumulés, ou provenant du démantèlement des armes. Il peut donc survenir des tensions sur le marché de l’uranium, même s’il en reste beaucoup dans la croûte terrestre. Économiser de la matière est toujours utile.
La deuxième chose qu’il faut retenir, c’est la maîtrise les quantités de plutonium séparé. Le plutonium n’est séparé que s’il peut être recyclé. Si on récupère dix tonnes de plutonium, il faut être capable de les réutiliser pour fabriquer des combustibles MOX. Pour cela, il faut des réacteurs autorisés à utiliser ce type de combustible. Depuis 2013, ces réacteurs sont au nombre de vingt-quatre. Ce nombre est suffisant pour retraiter tous les combustibles usés, et utiliser tout le plutonium récupéré. C’est ce qu’on appelle la règle d’équilibre, qui permet d’éviter d’accumuler le plutonium.
La troisième chose à retenir, c’est que les déchets ne comportent pas de plutonium, ce qui est très important. En effet, le plutonium est une matière très toxique, qui dégage de la chaleur, ce qui impose des stockages plus étendus. Qui plus est, vis-à-vis des risques de prolifération, une accumulation, un peu partout dans le monde, de combustibles usés contenant du plutonium, pourrait constituer, à l’avenir, autant de mines de plutonium. Nous considérons qu’un plutonium séparé sous contrôle, puis brûlé, est plus sûr.
Tous ces avantages sont très intéressants, mais l’écueil, c’est qu’on n’est capable de réutiliser le plutonium qu’une seule fois. De ce fait, les combustibles MOX usés, qui contiennent encore beaucoup de plutonium, sont aujourd’hui entreposés.
M. Christian Bataille. S’agit-il d’un blocage technique ? Ces combustibles MOX usés sont-ils considérés comme des déchets ?
M. Bernard Boullis. C’est un problème de principe. On sait retraiter les combustibles MOX. Pour le démontrer, AREVA a mené à La Hague des campagnes industrielles, à hauteur de soixante-dix tonnes. En pratique, le MOX n’est pas retraité, car le plutonium ainsi récupéré n’aurait pas les propriétés nécessaires pour un nouveau recyclage sous forme de combustibles destinés aux réacteurs à eau pressurisée (REP). Plus le plutonium séjourne dans ces réacteurs, plus sa composition évolue vers des isotopes supérieurs. Au lieu de fissionner sous l’action des neutrons, ce plutonium en absorbe quelques-uns, sans fissionner. On obtient ainsi des formes de plutonium qui ne conviennent plus à un réacteur à eau. Aussi, faut-il disposer de réacteurs aptes à fissionner tous les isotopes de plutonium.
En résumé, pour l’instant, les combustibles MOX usés sont considérés comme des réserves de matières pour les réacteurs à neutrons rapides, puisqu’on sait que le plutonium qu’ils contiennent est peu propice à une utilisation dans des réacteurs à eau.
M. Christian Bataille. C’est là que le futur réacteur ASTRID est utile.
M. Bernard Boullis. Dans un réacteur rapide, on peut, en effet, recycler le plutonium à l’infini.
M. Christian Ngo. Avec un réacteur rapide, il ne serait plus nécessaire de fabriquer des combustibles MOX pour les réacteurs à eau.
M. Bernard Boullis. Mais il serait, néanmoins, nécessaire de décider ce qu’il advient des MOX dont on dispose aujourd’hui. Cette stratégie a conduit l’ANDRA à établir un inventaire prospectif des combustibles usés. À ce jour, cet inventaire comporte douze-mille tonnes de combustibles UOX (uranium oxyde) usés, parce qu’on n’a pas toujours disposé d’un nombre suffisant de réacteurs consommant du MOX, ce qui conduisait à retraiter beaucoup moins de combustibles usés, faute de pouvoir réutiliser immédiatement le plutonium. Aujourd’hui ce nombre est stabilisé.
M. Christian Namy. Où sont entreposés les combustibles MOX ?
M. Bernard Boullis. Ils sont aujourd’hui entreposés en piscines. Si on en arrive à devoir un jour les stocker, d’après les estimations de l’ANDRA, ils prendront, parce qu’ils sont très chauds, autant de place que tous les autres verres, alors qu’ils représentent 10 % des combustibles utilisés. Avoir fait tout cela n’a de sens que si on passe aux réacteurs à neutrons rapides.
M. Christian Namy. Vous évoquez le stockage sous forme de verres, mais certains envisagent l’hypothèse d’un stockage direct des combustibles. Quelles en seraient les conséquences ?
M. Bernard Boullis. La place prise par les déchets dépend du concept du stockage, qui a évolué récemment. Nous avons fait, avec l’ANDRA, des évaluations sur la base de l’ancien concept, afin de comparer, pour différentes hypothèses, la surface qui serait nécessaire au stockage.
Pour un stockage direct des combustibles il faut 500 m2 par térawattheure. Avec le principe actuel, les verres occupent 150 m2 par térawattheure. Mais si un jour on est amené à stocker directement les combustibles MOX, il faut ajouter pour ces derniers 180 m2 par térawattheure. On arriverait, en ce cas, à 330 m2 par térawattheure, ce qui est à peine mieux qu’un stockage direct. Avec des réacteurs rapides, il ne reste que des verres. On revient à 170 m2 par térawattheure. Avec la transmutation de l’Américium, actinide qui empêche de rapprocher les verres, compte tenu des températures maximales, on arriverait à 20 m2 par térawattheure. La transmutation a donc non seulement un intérêt en termes de radio-toxicité, mais aussi de dimension du stockage.
M. Christian Bataille. Dans notre rapport nous serons obligés d’aborder cette question de la séparation-transmutation.
M. Bernard Boullis. La séparation est étudiée à Marcoule. Ces recherches ont toujours avancé plus vite que celles sur la transmutation. Dans les années 1990, nous avons imaginé de nouvelles molécules, qui ont été testées dans les années 2000, à l’échelle du laboratoire. On peut dire que nous avons testé à l’échelle du laboratoire des procédés dont nous pensons qu’ils pourraient être effectivement mis en œuvre.
Mais il ne suffit pas de séparer l’Américium. Il faut ensuite avoir le moyen de le transmuter. Pour ce faire, des réacteurs à neutrons rapides sont nécessaires. La grande évolution de ces dernières années, c’est qu’on ne considère plus indispensable de changer tous les réacteurs à eau par des réacteurs rapides. Une substitution rapide des réacteurs actuels par des réacteurs rapides pouvait rebuter, car ces derniers seront certainement plus chers, initialement, que les réacteurs à eau.
Mais on a montré qu’on pouvait intégrer des réacteurs rapides dans un parc de réacteurs à eau, sans changer l’ensemble du parc, tout en assurant une bonne gestion du plutonium, avec le multi-recyclage. Pour bien gérer le plutonium, on a identifié deux étapes : initialement, deux réacteurs rapides suffisent à arrêter l’accumulation des combustibles MOX et, par la suite, 40 % de réacteurs rapides permettent de mettre fin à toute accumulation de matière. Avec 100 % de réacteurs rapides, il n’y a plus besoin d’uranium naturel.
M. Christian Ngo. Les réacteurs rapides seront-ils réellement si coûteux ? Superphénix était 40 % plus cher par kilowattheure produit qu’un réacteur de deuxième génération, mais l’EPR est encore plus cher.
M. Bernard Boullis. Les réacteurs à neutrons rapides étant techniquement plus complexes, nous avons, objectivement, beaucoup de raisons de penser qu’ils seront plus coûteux. Les premiers seront nécessairement plus chers.
M. Christian Bataille. D’autres pays conduisent-ils des recherches sur ces réacteurs ? Je crois me souvenir que les Américains suivaient les mêmes objectifs. Qu’en est-il advenu, et où en sont les Russes et les Chinois ?
M. Bernard Boullis. Aux États-Unis, l’énergie nucléaire pâtit du gaz et du pétrole de schiste. Tant que ces derniers couvrent leurs besoins et qu’ils ne sont pas engagés sur les questions climatiques, le nucléaire ne sera pas une priorité. Ils ont les compétences et continuent à attribuer des crédits aux laboratoires universitaires, pas tellement pour un projet précis, mais dans le cadre d’une approche très large. Ce peut être intéressant dans l’avenir, mais on ne voit émerger aucun programme.
Les Indiens sont très motivés, mais probablement handicapés par un manque de moyens.
Les Chinois ont envie d’aller très très vite, mais partent de très bas, il est vrai avec des moyens élevés. À leur échelle, pour que le nucléaire prenne tout son sens, il faut qu’ils montent en puissance très rapidement. On espère qu’ils vont acheter à AREVA une usine de retraitement, auquel cas ce sera nécessairement dans la perspective d’un déploiement, à terme, de réacteurs rapides.
Quant aux Russes, ils ont poursuivi leurs travaux sur les réacteurs rapides alors que nous arrêtions Superphénix. Les experts s’accordent pour dire qu’à l’époque nous étions en avance sur eux. Ils viennent de démarrer un nouveau réacteur rapide : le BN-800. C’est pour cela que M. Christophe Béhar souhaitait se rapprocher d’eux, et pour la même raison qu’EDF continue à suivre aussi de très près ce qui se fait en Russie.
Le Japon connaît des difficultés avec son réacteur à neutrons rapides Monju. Il est possible que le gouvernement prenne la décision de l’arrêter.
Enfin, nous avons mené, avec EDF et AREVA, des études de scénarios industriels, pour montrer quel pourrait être le phasage d’un déploiement progressif de réacteurs à neutrons rapides, dans le parc français. Par le passé, le CEA a fait seul de telles études, mais elles étaient souvent considérées comme trop académiques par les industriels. Ce parc resterait dominé par réacteurs à eau, durant tout le siècle. Nous avons essayé de montrer qu’une fraction de réacteurs à neutrons rapides peut améliorer les choses, ce qui permet de mieux faire adhérer les industriels à cette démarche.
M. Vincent Gorgues. Cela permet notamment de les rassurer sur le volume d’investissement nécessaire à relativement court terme, en parallèle du grand carénage.
M. Bernard Boullis. EDF est très sensible à la notion de paliers, par référence aux phases de déploiement du parc actuel. Nous croyons beaucoup au développement de ces réacteurs, donc du programme ASTRID. Par l’intermédiaire du Commissariat général à l’investissement, le CEA a reçu six-cent cinquante millions d’euros, qui vont nous amener, en 2019, à la phase d’avant-projet détaillé (APD).
Après cette phase, nous souhaitons mener, avec EDF et AREVA, des études de consolidation, pour ne pas risquer de porter préjudice au projet. Cette phase de consolidation permettra également de faire un tour de table, pour une réalisation qui sera chère, à hauteur de plusieurs milliards d’euros. Ce seront les moyens des industriels et des partenaires internationaux qui permettront de le financer.
Les Japonais avaient indiqués, depuis Fukushima, leur intérêt pour ASTRID. Un éventuel abandon de Manju pourrait les conduire à s’associer de façon plus importante au projet ASTRID. Le nucléaire est en effet très important pour les Japonais.
M. Christian Bataille. Ce pourrait être un partenariat semblable à celui de Creys-Malville, avec les Allemands et les Italiens.
M. Bernard Boullis. Effectivement, les Japonais ne veulent pas perdre pied sur ces technologies, ce qui pourrait les conduire à prendre une part décisive dans ce projet.
M. Christian Bataille. Les Chinois ne seraient-ils pas également intéressés par un tel partenariat ?
M. Bernard Boullis. Malgré des démarches engagées en ce sens, ce serait probablement plus difficile.
M. Christian Ngo. Avec la Chine, nous rencontrons des problèmes sur la vente de l’usine de retraitement. Il semblerait que le projet soit bloqué par les États-Unis.
M. Bernard Boullis. Les Américains ont pris des assurances, pour garantir que le plutonium récupéré serait impropre à un usage militaire. Mais AREVA est actuellement toujours dans une phase de négociation commerciale.
M. Christian Bataille. Si nous étions un peu plus allants, et en capacité de mobiliser une coopération internationale autour de nous, ce serait une réussite.
M. Bernard Boullis. Ce serait aussi une façon de mobiliser un acquis industriel. Le retraitement est controversé sur le plan politique. Mais sur un plan technique, les usines de La Hague tournent remarquablement. Cette réussite est très enviée, même les Américains s’intéressent au retraitement. C’est un acquis industriel qui nous donne un atout considérable pour aller au-delà, mais nous ne l’aurons que pour vingt ans tout au plus, les Chinois s’investissant sur le sujet, tout comme les Russes.
M. Christian Bataille. Il nous reste donc une avance.
M. Bernard Boullis. Effectivement, nous gardons une avance dans le cycle du combustible, plus discutable dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides, où les Russes ont réalisé des réacteurs moins optimisés, mais à l’échelle industrielle.
M. Christian Bataille. Si nous nous arrêtons, nous courrons le risque d’être rattrapés. Plus jeune, je suivais avec intérêt le tour de France. Je me souviens que M. Federico Bahamontes lâchait tout le monde dans les côtes puis, en haut du col, s'arrêtait pour sucer une glace, en attendant le reste du peloton. C’est une peu ce que nous faisons.
M. Bernard Boullis. À partir de 2019, nous aurons quand même besoin de ressources supplémentaires, pour la phase de consolidation. C’est quelque chose que nous essayons de dire à nos autorités de tutelle, mais nous n’avons pas de réponse.
M. Christian Bataille. Nous profiterons de ce rapport pour dire ce que la représentation nationale en pense.
M. Vincent Gorgues. Je reprends la main sur la gestion des déchets de très faible activité (TFA). Il y a toujours eu une polémique sur les seuils de libération. Même si l’ASN est défavorable à l’utilisation du terme, la situation est en demi-teinte. Il existe, en effet, un certain nombre de possibilités pour faire sortir certains déchets du domaine nucléaire.
Il faut considérer que si on laisse un bâtiment sur pied et qu’on creuse autour des structures, on génère de l’ordre d’une centaine de mètres cubes de déchets, contre une dizaine de milliers de mètres cubes pour une déconstruction complète, soit un rapport de un à cent.
Il existe trois possibilités. D’abord, tous les sites du CEA sont pérennes. Leur vocation industrielle n’est pas remise en cause. Il en va de même pour AREVA. Cela signifie que la plupart des bâtiments, en l’absence de risque d’effondrement ou de contamination des structures, ont normalement vocation à rester en place. L’ASN se montre très ouverte à ce qu’après retrait du terme source, donc de la radioactivité, les bâtiments puissent rester en place, afin de servir à d’autres fins, par exemple, de stockage.
Ensuite, quand bien même la volonté serait de déconstruire le bâtiment, si le niveau de radioactivité est suffisamment faible, il peut être déclassé, donc quitter le régime des installations nucléaires de base (INB). Tout ce qui sera détruit après le déclassement pourrait ensuite être envoyé dans une décharge conventionnelle.
Enfin, pour un certain nombre de matériaux, notamment métalliques, l’ASN a entrouvert une porte, en disant que le recyclage serait permis sous conditions, c’est-à-dire sous réserve de garantir la traçabilité du métal à la première génération, pour éviter qu’il se retrouve, par exemple, dans la fabrication de casseroles.
Ces signaux sont extrêmement positifs et peuvent permettre de gérer de façon rationnelle des grands volumes de déchets. Aussi, n’est-il pas nécessairement utile d’évoquer les seuils de libération, anxiogènes pour le public.
Un certain nombre d'éléments nous rendent plus précautionneux. Par exemple, le fait que l’ASN souhaite nous forcer à établir des scénarios, évoqués tout à l’heure, de déconstruction complète, qui génèrent des chroniques de volumes de déchets disproportionnées. Ces dernières vont se traduire pas la nécessité d’investissement dans de nouveaux centres de stockage de déchets TFA, à notre sens injustifiés.
D’autre part il faudra être très vigilant à la transcription, en droit français, de la directive EURATOM 2013/59, fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l'exposition aux rayonnements ionisants. Si elle est appliquée tel que, elle va diviser d’un facteur cent les seuils d’exemption au niveau des entreprises susceptibles de réaliser le recyclage. Une fonderie qui recevrait des métaux destinés à être recyclés en assez grande quantité finirait par dépasser un seuil au-delà duquel elle deviendrait elle-même une installation nucléaire, ce qui écarte la possibilité du recyclage.
En effet, cette directive divise d’un facteur cent non seulement les seuils de mesure de la radioactivité, qui passent de dix becquerels par gramme à 0,1 becquerel par gramme sur certains radioéléments, mais les doses maximales, qui passent de un millisievert à dix microsievert. Je me permets d’attirer l’attention sur ce point, car il faut être vigilant à ne pas tuer toute perspective de recyclage des gravats et des matériaux valorisables.
M. Christian Ngo. Avec de tels niveaux, certains matériaux naturels risquent d’être également concernés.
M. Vincent Gorgues. Les valeurs limites sont différentes pour les éléments artificiels et naturels.
Une autre question qui peut être posée, c’est la capacité à construite des centres de stockage sur les sites. C’est une idée liée aux perspectives de saturation des centres de l’ANDRA. Ce serait possible à Cadarache, Marcoule et Valduc. Aujourd’hui, ce ne serait pas rentable économiquement, les volumes de déchets TFA étant insuffisants, compte tenu des points précédents, comme la possibilité de laisser les bâtiments en place ou de les déclasser. Néanmoins, nos discussions avec l’ANDRA montrent que l’agence serait disposée à sous-traiter, au CEA ou à un autre prestataire, la gestion d’un tel stockage sur un site. C’est une solution à explorer, si les autres s’avéraient insuffisantes.
M. Christian Ngo. Il serait utile de faire une comparaison globale de l’impact de chacune des solutions. Par exemple, si l’acier de Georges-Besse I est découpé, puis transporté sur des camions, cela nécessiterait vingt-trois ans de transport, à raison de trois camions par jour. Il faudrait réaliser le même calcul dans d’autres cas.
M. Vincent Gorgues. Il faut toujours être prudent avec de tels calculs. Par exemple, lors de la déconstruction d’une centrale aux États-Unis, dans le Vermont, tous les déchets ont été retirés du site et acheminés par train au Texas. En matière logistique, des solutions peuvent toujours être trouvées. Du coup, ce genre d’approche peut faire inutilement peur. Ce qui est certain, c’est que lorsqu’on pense ferraille – c’était la même chose pour les usines de diffusion gazeuse (UDG) de Pierrelatte – on parle dans un cas de ferrailles qui seront envoyées dans un centre de stockage, pour quatre-vingt-dix euros la tonne, alors qu’on pourrait les valoriser à vingt centimes le kilo.
M. Christian Bataille. Vous avez répondu à bon nombre des questions que nous avions préparées. Mais je voudrais revenir à un mode de gestion alternatif de certains déchets de très faible activité, par exemple le stockage décentralisé, le recyclage des métaux ou le fait de laisser en place certains bâtiments. Ces solutions sont-elles suffisantes pour faire face au démantèlement de vos installations, et quelles sont celles que vous envisagez de mettre en œuvre ?
M. Vincent Gorgues. Toutes. Laisser en place les murs est le scénario préférentiel. Pour les installations de mon périmètre, rares sont celles pour lesquelles une déconstruction des structures est prévue. Lorsqu’elle l’est, il est encore plus rare qu’on aille jusqu’à la déconstruction du radier et l’excavation des fondations. Sur 80 % à 90 % des installations du CEA, les murs vont rester en place.
Je pense à tous les réacteurs de recherche, aux installations de Fontenay-aux-Roses, de Marcoule et Cadarache. Il y a de très rares exceptions : des bâtiments dans lesquelles sont intervenus, dans les phases d’exploitation, des incidents de contamination suffisamment sérieux pour justifier la déconstruction des structures. Le laboratoire de physico-chimie de Cadarache et l’atelier de vitrification de Marcoule font partie de ces exceptions. C’est un premier élément important.
Concernant le recyclage, il faudra vérifier ce qu’il advient des seuils d’exemption. Lorsqu’on va retirer des équipements très faiblement contaminés, notamment des installations ayant traité de l’uranium, plutôt que des actinides tels que le Plutonium ou l’Américium, l’intelligence commande de s’orienter vers des solutions de recyclage.
Enfin, concernant la possibilité d’un stockage in situ de certains déchets, aux États-Unis, lorsqu’un réacteur est déconstruit, on peut broyer des bétons pour les laisser sur place, après les avoir recouverts de terre. À ce stade, une telle solution ne serait pas acceptée par l’ASN, mais nos sites étant pérennes, nous n’avons pas vocation à les restituer sous forme de friches industrielles pour un autre exploitant.
4. Audition des membres de la CNE2, le 4 octobre 2016 à Assemblée nationale
M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE. Le directeur général de l’énergie du climat, M. Laurent Michel, a installé la commission voici une quinzaine de jours et mes collègues m’ont fait l’honneur de m'élire président
Lorsque nous avons reçu votre demande d’audition, nous avons décidé de nous partager la tâche. C’est M. Maurice Leroy qui va présenter le résultat de nos débats sur le retraitement et M. Robert Guillaumont qui va partir du problème des TFA pour arriver à celui des TENORM. Je ferai ensuite une brève conclusion.
M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE. À travers les discussions que nous avons eues, il est apparu que la question du retraitement est avant tout politique.
Actuellement, le retraitement, qui permet de récupérer les matières valorisables présentes dans les combustibles usés : uranium et plutonium, est une réalité industrielle, avec l’usine de La Hague construite en 1966. C’est un savoir-faire qui s’exporte, au Japon et peut-être prochainement en Chine.
Contrairement à une idée reçue, l’expérience du secteur militaire dans ce domaine n’est pas aisément transposable. Preuve en est que la Chine qui possède l’arme nucléaire, est quand même intéressée par l’acquisition des technologies de retraitement du combustible.
Le retraitement n’a de sens que dans le cadre d’une politique énergétique de long terme utilisant le plutonium. Pour parvenir à un cycle du combustible fermé et cohérent, il implique la mise en œuvre de réacteurs à neutrons rapides (RNR), ainsi qu’une gestion de l’uranium et du plutonium en tant que matières énergétiques. Cette démarche conduit à l’indépendance énergétique, tout en permettant le pilotage d’une sortie propre et programmée du nucléaire. Ce sont là des éléments très importants.
À l’inverse, comment se traduit l’absence de retraitement ? Par exemple, la Finlande et la Suède ont fait le choix d’un stockage direct des combustibles nucléaires usés. Il conduit à des colis de 24,6 tonnes, comprenant notamment 7,4 tonnes de cuivre ultra-pur, et 3,6 tonnes de matière radioactive. Cette dernière est composée d’à peu près 1 % de plutonium et 98 % d’uranium, ainsi que de produits de fission. Pour la Suède, ces combustibles usés représentent au total 12 000 tonnes de déchets. Pour sa part, la Finlande vient de décider de commencer la construction de son centre de stockage géologique des combustibles usés. L’intérêt de cette solution de stockage direct est l’absence presque totale de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL).
En France, dans la configuration actuelle, les déchets de haute activité à vie longue (HAVL) destinés à CIGEO se présentent sous forme de colis vitrifiés. Un colis de 490 kilogrammes représente l’équivalent de 1,3 tonne de combustible usé. Il contient 1,2 kilogramme d’uranium, 0,05 kilogramme de plutonium, 1,8 kilogramme d’actinides mineurs et 8 kilogrammes de produits de fission.
Si la France choisit d’arrêter le retraitement des combustibles usés, cela implique une rupture majeure de la politique énergétique, qui se traduira par un arrêt de l’industrie nucléaire de l’aval du cycle et, probablement assez rapidement, de l’amont, puisque la production du MOx dépend essentiellement du retraitement.
Au plan scientifique, ce choix implique d’entreprendre des études approfondies, parce que pour l’instant le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a conçu des conteneurs pour les assemblages, mais aucune étude n’a été menée sur le stockage direct des combustibles UOx et MOx usés. De plus, un tel choix impliquerait aussi le stockage des matières nucléaires, uranium et plutonium, qui ne pourront plus être valorisées.
Si l’on décide de poursuivre le retraitement, cela donne une cohérence du cycle fermé puisque, d’un côté, on n’a pas d’importation d’uranium naturel et pas d’enrichissement, et, de l’autre, la possibilité du multi-recyclage du plutonium et de l’utilisation de l’uranium appauvri. Cela donne aussi la possibilité d’une transition progressive du parc électronucléaire actuel vers un parc alliant réacteurs à neutrons thermiques moxés et réacteurs à neutrons rapides.
La présence de réacteurs à neutrons rapides permet d’assurer la gestion du stock de plutonium sur le long terme, puisque les RNR peuvent fonctionner, d’une part, en mode iso-générateur, permettant de maintenir constant le stock de plutonium tout en produisant de l’énergie, et, d’autre part, en mode brûleur, permettent de faire décroître le stock de plutonium, tout en produisant de l’énergie, ce qui permet d’éliminer le plutonium en fin de cycle.
Par ailleurs, les réacteurs à neutrons rapides sont indispensables à l’étude de la transmutation des actinides mineurs.
Voilà les points forts qu’il nous a semblé intéressant de mettre en avant.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Compte tenu de la taille de notre parc nucléaire, le stockage direct des combustibles usés nous poserait un problème comparable à celui rencontré aux États-Unis. Indépendamment de l’échec du centre de stockage de Yucca Mountain, lié à la situation politique, celui-ci était de toute façon d’une capacité insuffisante pour accueillir l’ensemble des combustibles usés.
Pensez-vous que l’abandon du retraitement conduirait, à terme, à l’abandon de l’énergie nucléaire ? J’ai l’impression que les États-Unis sont sur cette pente. Depuis vingt ans, ils n’ont démarré qu’un seul nouveau réacteur nucléaire, en juin 2016 dans le Tennessee. Le précédent était entré en service au sein de la même centrale en mai 1996.
M. Jean-Claude Duplessy. Si un nombre conséquent de pays se dotent de réacteurs nucléaires, l’évolution des réserves d’uranium sera similaire à celle du pétrole. Avec cinquante ou cent ans de réserves, l’énergie nucléaire ne sera qu’une parenthèse dans l’approvisionnement énergétique de la planète. Il sera ensuite certainement difficile de se rabattre sur le Thorium. Par conséquent, l’arrêt du retraitement conduit à moyen terme à l’arrêt de l’énergie nucléaire.
M. Maurice Leroy. Cela signifie aussi perdre toute crédibilité dans ce domaine, comme tout pays qui se désengage d’une industrie.
M. Christian Bataille. Pourtant, les Allemands sont anti-nucléaires, mais continuent à vendre des matériels aux centrales.
M. Maurice Leroy. C’est exact, mais ils ne vendent pas de réacteurs.
Un autre aspect important concerne CIGEO. Si l’on décide de procéder à un stockage direct des combustibles, cela implique de stocker également 40 000 tonnes d’uranium et 360 tonnes de plutonium. CIGEO deviendrait ainsi une mine d’uranium et de plutonium. Ce n’est pas ce qui a été annoncé à la population et au Comité local d'information et de suivi (CLIS). Avec la vitrification, une fois le stockage rempli, celui-ci contiendra environ 3 tonnes de plutonium réparties dans 60 000 colis.
M. Christian Bataille. Disposons-nous des moyens techniques et humains nécessaires pour le stockage direct ?
M. Maurice Leroy. Sur le plan technique, l’ANDRA a indiqué avoir étudié la possibilité de descendre les combustibles dans l’installation de stockage. Quant aux moyens humains, ce sera plus difficile si on arrête l’aval du cycle, AREVA représentant à lui seul vingt-mille personnes.
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. Si on arrête le retraitement, donc à moyen terme l’industrie nucléaire, il deviendra difficile de recruter de jeunes ingénieurs et techniciens dans ce domaine.
M. Robert Guillaumont, membre de la CNE. Nous avons fait le point sur les déchets très faiblement radioactifs, voire très-très faiblement radioactifs. Il y a d’abord les déchets très faiblement radioactifs (TFA) actuellement gérés par l’ANDRA au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES), à Morvilliers. La Capacité de centre, de 600 000 mètres cubes peut être étendue à 900 000 mètres cubes. Il devrait être saturé vers 2030.
L’ANDRA recherche un nouveau site de stockage de déchets TFA. Le volume, extrêmement important, de 0,6 à 1,2 million de mètres cube, dépend de la politique de site des industriels.
Ensuite, il y a aussi les déchets à radioactivité naturelle renforcée, appelés TENORM (Technical Enhanced Occurring Radioactive Material). C’est un problème ancien, en tout cas bien connu à l’étranger. L’Autorité environnementale estime le volume des TENORM à plusieurs millions de mètres cube. Il faut y ajouter les déchets historiques, à Malvési, et les déchets miniers et stériles.
Le premier point, c’est que le transport de l’ensemble de ces déchets, représentant des volumes considérables, soulèvera des problèmes de logistique difficiles.
Ce sont les TENORM qui poseront le plus de problèmes, car ce sont de nouveaux déchets. Comment peut-on les caractériser ? Ils proviennent de la concentration de la radioactivité naturelle, lors de retraitements chimiques industriels qui ne sont pas destinés à obtenir des matières radioactive. Ils contiennent tous les radionucléides présents dans la nature, essentiellement du potassium 40 (40K), tous les radionucléides des trois familles naturelles, en particulier le radium 226 (226Ra), de période relativement longue, le thorium 230 (230Th) et tous les isotopes du radon. Ils contiennent également fréquemment des toxiques chimiques. Leur activité varie de un à cent becquerels par gramme.
S’ils étaient issus de l’industrie nucléaires, les TENORM seraient, pour l’essentiel, considérés comme des déchets de très faible activité (TFA) et de faible activité à vie longue (FAVL).
La radioactivité naturelle n’est, ni plus, ni moins dangereuse que la radioactivité ajoutée. La dose par unité d’incorporation (DPUI) pour un adulte par ingestion, exprimée en sieverts par becquerels, est l’une des mesures significatives de la dangerosité des radionucléides. À cet égard, les radionucléides artificiels, usuellement considérés dans les analyses de sûreté, tels le césium 135 ou
137 (135/137Cs), le plutonium 238 ou 239 (238/239Pu), le strontium 90 (90Sr) ou
l’iode 129 (129I) s’inscrivent dans les mêmes ordres de grandeur, 10-9 à 10-7, que les radionucléides naturels mentionnés précédemment. On peut donc considérer que ces deux types de radionucléides ont les mêmes caractéristiques, en termes de calculs de radioprotection.
À ce jour, seule une faible partie de ces grandes quantités de TENORM a été traitée. Ils font généralement l’objet d’une étude d’acceptabilité, définie dans la circulaire du 25 juillet 2006 relative aux installations classées, entre le producteur des déchets et l’industriel qui gère les centres de stockage. Ils ne peuvent être à ce jour acceptés que dans quatre installations de stockage de déchets dangereux (ISDD). À peu près 120 000 tonnes de TENORM ont été déposés dans ces derniers en dix ans. 2 100 mètres cubes ont déjà été stockés au CIRES et 21 000 mètres cubes sont inscrit à l’inventaire des déchets FAVL.
Les déchets s’apparentant à des TENORM, mais non classés comme tels, les déchets de Malvési – en dehors ceux destinés à l’entreposage ECRIN (entreposage confiné des résidus issus de la conversion) – relèvent d’un régime d’installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). Les déchets miniers, stockés avec des stériles dans dix-sept centres, relèvent, quant à eux, d’une gestion particulière, régie par les Codes minier et de la santé.
On devine, au travers de la directive Euratom 2013/59, ce que sera la gestion future des TENORM. Cette directive va être transposée par ordonnance, dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il est prévu de définir un seuil. Au-dessus de ce seuil, les déchets TENORM seront dirigés vers les filières de déchets TFA et FAVL, et en dessous ils iront vers les filières de déchets conventionnels. Il n’y aurait donc plus d’ISDD. Cette évolution pose un certain nombre de questions, notamment le choix du seuil et la difficulté de sa mesure, la création de stockages dédiés, ou encore l’assainissement des ISDD ayant déjà accepté des TENORM dépassant le seuil fixé. Si le seuil est bas, le volume des déchets radioactifs va évidemment augmenter.
Ce mode de gestion présente des incohérences. Les déchets à radioactivité naturelle renforcée, issus de l’industrie conventionnelle, seront soumis à un seuil pour être orientés, soit vers des filières conventionnelles, soit vers les filières gérées par l’ANDRA, alors que les déchets à radioactivité naturelle issus de l’industrie nucléaire seront systématiquement orientés vers ces dernières.
Comme l’a indiqué la Commission d’évaluation dans son rapport numéro dix, on ne voit pas émerger une cohérence de gestion et d’acceptabilité.
M. Jean-Claude Duplessy. La doctrine doit-elle évoluer en ce qui concerne les déchets de très faible activité ? Cette question a donné lieu à une audition de M. Jacques Repussard par l’OPECST. On ne peut que le paraphraser, en disant qu’il y a très clairement un problème de gestion. Nous ne sommes pas dans une situation cohérente. M. André-Claude Lacoste, ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a expliqué, à l’occasion de cette audition, que la doctrine qu’il avait lui-même mis en place à l’époque avait été imposée par le comportement absolument inacceptable de certains acteurs de la filière nucléaire, et qu’ il serait à présent possible de la faire évoluer, compte tenu des moyens de contrôle disponibles.
Un point qui semble important, c’est qu’une valorisation éventuelle des déchets TFA doit être industriellement viable. Si on pense que le recyclage pourrait se faire uniquement au sein de la filière, les calculs montreront assez vite que ce n’est pas suffisant. Si on impose une traçabilité à deux ou trois niveaux, aucun industriel ne voudra investir, même si le métal lui est donné. Actuellement, personne ne s’inquiète du sort des métaux retraités en Allemagne. Comme l’a souligné M. Jacques Repussard, c’est un problème qu’il faut aborder sous un angle sociétal. Une fois qu’un accord de la société sera obtenu, il sera temps de s’assurer que l’on est bien capable de mesurer le niveau de radioactivité des déchets.
M. Christian Bataille. Qu’en est-il exactement des pratiques des autres pays occidentaux : États-Unis, Allemagne, Suède, etc. ?
M. Robert Guillaumont. L’Allemagne s’est dotée de seuils de libération. Mais les conditions de la libération sont extrêmement complexes, cinquante radionucléides doivent être mesurés, ce qui nécessite une découpe préalable à l’échelle du kilogramme et de nombreux détecteurs. Une partie du métal ainsi libéré va dans des aciéries et l’autre dans les centres conventionnels de déchets. La mise en œuvre technique n’est donc pas simple.
Les États-Unis sont gênés par les TENORM, car les gaz de schiste en génèrent en grande quantité.
M. Christian Ngo. En Chine, un projet visait même à extraire l’uranium des filtres des centrales à charbon.
M. Stanislas Pommeret, conseiller scientifique de la CNE. En France, l’Autorité environnementale a estimé la quantité de TENORM à plusieurs millions de mètres cube.
M. Robert Guillaumont. Actuellement, une grande partie de ces TENORM est laissée en tas sur les sites industriels.
M. Christian Ngo. Les TENORM révèlent la différenciation des retraitements, tout ce qui sort d’une centrale nucléaire étant considéré radioactif, alors qu’ailleurs, tout est possible.
M. Maurice LAURENT. Lorsque je siégeais au conseil d’administration de l’IRSN, j’ai observé que M. André-Claude Lacoste était systématiquement opposé à toute idée de seuils de libération, surtout par méfiance à l’égard des entreprises situées à l’extrémité de la chaîne. Je soutenais la création de tels seuils. Lorsqu’on a vu le système allemand, compte tenu de sa complexité, l’enthousiasme est retombé.
M. Christian Ngo. Le problème est moins celui de la loi, que du contournement de la loi. À Orsay, au fond d’un accélérateur, une plaque d’or avait ainsi été volée. Elle a probablement était diluée dans une plus grande quantité d’or, mais des personnes portent certainement des bagues radioactives.
M. Stanislas Pommeret. En Hongrie, nous avons observé dans un centre de stockage des lingots de fer repérés à la frontière, ce qui implique que de tels lingots circulent en Europe.
M. Maurice Leroy. Au port de Karlsruhe, ce sont même des morceaux de réacteurs russes qui ont été détectés.
M. Pierre Demeulenaere, membre de la CNE. Il y aurait certainement une étude comparative à faire sur les seuils de libération pratiqués dans les différents pays et sur les raisons scientifiques et sociales de ces seuils, et les conséquences industrielles. Tout cela reste décidé à l’échelle nationale.
M. Christian Bataille. Des normes internationales existent, au niveau de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’Union européenne. Dans notre rapport, nous essayerons de faire des propositions pour avancer.
5. Audition de M. Bruno Blanchon et M. Clément Chavant, CGT - FNME, le 8 octobre 2016 au Sénat
M. Clément Chavant, pôle industrie de la Fédération CGT Mines-énergie. Je suis membre du pôle industrie de la Fédération CGT Mines-énergie, du groupe d’expert déchets de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et du comité d’orientation des recherches de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) est un document utile, qui a progressé. Nous apprécions sa présentation, assez pédagogique. Il peut être lu par des personnes qui ne sont pas nécessairement des spécialistes de la filière nucléaire. Les conditions dans lesquelles il est élaboré nous paraissent également satisfaisantes, même si la CGT n’est pas représentée au sein du groupe de travail qui l’élabore. Il nous semblerait utile qu'il soit mieux diffusé. Ce pourrait être le rôle des commissions locales d'information (CLI) et de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), encore faudrait-il leur en donner les moyens.
Concernant la participation du public, nous regrettons que le dernier débat public sur le projet CIGEO n'ait pas pu se tenir avec de véritables réunions publiques. Le débat public par Internet a permis à un certain nombre de personnes de s’exprimer, mais ce ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui auraient participé à ces réunions.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Vous n'ignorez pas que la Commission nationale du débat public (CNDP) a été empêchée, par des manifestations, de tenir ces réunions. Si cela s'est déroulé ainsi, c'est à cause du caractère antidémocratique de ces désordres, l’objet de ce processus étant justement de créer les conditions d’un débat ouvert.
M. Clément Chavant. Je pense que ce débat aurait pu être mieux préparé. Ce type de situation est connu. Il faut l’anticiper du mieux possible.
Il serait intéressant que d'autres débats puissent avoir lieu avec le public, portant, plus largement, sur la filière nucléaire dans son ensemble, par exemple à l’occasion de l’examen du dossier d'autorisation du réacteur ASTRID.
Sur la transparence des relations entre l'ANDRA et les producteurs de déchets radioactifs, nous partageons les conclusions de votre précédent rapport. Il est essentiel que l'ANDRA garde son indépendance. Il est assez normal que l'ANDRA défende la sûreté et la sécurité de la future installation, sans donner la priorité aux coûts, même si ceux-ci sont nécessairement intégrés à sa réflexion, puisque l’agence est chargée de les estimer. Il est également normal que les producteurs se soucient de faire baisser les coûts. Mais cela ne doit pas empêcher l'ANDRA de garder son indépendance vis-à-vis d’eux.
M. Christian Bataille. C'est bien ce que prévoit la loi. Je me souviens très bien des conditions dans lesquelles le Parlement a voté les statuts de l'ANDRA. Dès cette époque, les producteurs voulaient, d'une façon ou d'une autre, maintenir l'ANDRA sous tutelle. Nous lui avons donné son indépendance. Nous y sommes très attachés, car c'est la crédibilité de la filière qui est en jeu. Mais l'ANDRA doit aussi tenir compte du souci, bien compréhensible, d'EDF de limiter les coûts. Ces derniers temps, les choses semblent mieux se passer entre eux.
M. Clément Chavant. À cet égard, il semble que la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF) aurait dû récemment rendre son deuxième rapport.
M. Christian Bataille. Elle devait le rendre en 2015, mais ne semble pas avoir été reconstituée à cette fin. Ce retard pourrait être lié aux reports successifs de l'évaluation du coût du projet CIGEO. Il faudrait rappeler le Gouvernement à l'ordre à ce sujet.
M. Clément Chavant. En tant qu'organisation syndicale, nous tenons à souligner que la santé financière, a fortiori l'existence des entreprises productrices de déchets radioactifs, singulièrement d’EDF et d’AREVA, constituent, au-delà des provisions, la meilleure garantie de la capacité à financer les charges de long terme. Aussi, lorsque des décisions sont prises, notamment sur l’avenir d’EDF, il faut aussi évaluer leurs conséquences dans ce domaine.
M. Christian Bataille. Je m'en étais inquiété il y a quelques années. En 2006, j'avais essayé d’obtenir, au travers de la loi sur les déchets radioactifs, que les réserves pour les charges de long terme soient versées à la Caisse des dépôts et consignations, plutôt que dans les comptes d’EDF.
Cela avait provoqué un certain émoi chez les producteurs de déchets, notamment EDF, dont le président de l’époque était M. François Roussely. Mon co-rapporteur, le député Claude Birraux, membre de la majorité, était d'accord avec moi. Je pense qu’en hauts lieux, on l'a invité à retirer cet article. Je l'ai maintenu sous forme d’un amendement, qui a été rejeté.
M. Bruno Blanchon, secrétaire de la branche atomique fédération CGT Mines-énergie et coordinateur CGT d'Areva. Cette anecdote me rappelle un épisode vécu à l’époque de la COGEMA, au début des années 2000, lorsque les provisions de démantèlement avaient été transférées à Suez. Cette question rejoint celles des taux d'actualisation, de la sécurisation des fonds destinés aux charges de long terme, et, plus généralement, celle de l'équation financière de la filière nucléaire, assez complexe à résoudre.
M. Christian Bataille. Les mêmes questions se posent pour les provisions d’AREVA et du CEA.
M. Bruno Blanchon. Un élément positif, par rapport aux plans précédents, concerne la mention des réacteurs à neutrons rapides, et l’initialisation d’une analyse multicritère de la gestion des déchets. Le PNGMDR distingue les déchets des matières valorisables. Concernant ces dernières, nous réitérons notre attachement au cycle fermé, pour la gestion des combustibles usés. Il permet d'utiliser le potentiel énergétique des matières, et aussi de réduire les déchets. L'emprise des déchets, pour un stockage direct des combustibles usés, serait, en effet, deux fois supérieure sans retraitement. Se pose aussi le problème de l'intégrité, sur quelques milliers d'années, des combustibles directement stockés, alors que le verre est inerte.
M. Christian Bataille. La CGT confirme donc son attachement à la filière de retraitement.
M. Clément Chavant. Cette position nous conduit aussi à affirmer qu'il faut développer la quatrième génération, l'avenir du retraitement passant par les réacteurs à neutrons rapides. Les matières énergétiques issues du retraitement sont aujourd’hui réutilisées pour fabriquer les combustibles MOX. Mais leur valorisation optimale nécessiterait de mettre en œuvre le multi-recyclage, qui pose des problèmes techniques sans ces nouveaux réacteurs. Le développement du réacteur ASTRID conduit à s’interroger sur les difficultés budgétaires du CEA, notamment celles de sa direction de l’Énergie nucléaire (DEN). Par ailleurs, le retraitement permet aussi d’effectuer un tri plus poussé des déchets, parce qu'en retraitant, on sépare les produits de fission des actinides.
J’en viens au problème des déchets de très faible activité, dits TFA. Le démantèlement des installations nucléaires va générer un très grand volume de déchets de ce type, ce qui pourrait, éventuellement, nécessiter un changement de doctrine. Une telle évolution ne peut s'envisager sans un débat transparent avec la population. Il faut engager un examen approfondi et réaliste de ce problème. À cette fin, il faut évaluer toutes les nuisances et les risques classiques induits par le traitement des déchets, indépendamment des enjeux radiologiques.
À l’heure actuelle, les producteurs de déchets, l'IRSN et l'ANDRA soulignent que beaucoup de déchets sont considérés comme radioactifs uniquement en raison de leur provenance. Ainsi, des gravats peuvent être caractérisés en tant que déchets radioactifs, seulement en raison du zonage des installations nucléaires de base (INB), alors qu'ils ne présentent aucun enjeu radiologique. Au final, de l’ordre de 40 % de ces déchets pourraient être orientés vers une filière conventionnelle.
On sait que le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES) est aujourd’hui à 43 % rempli. Indépendamment du scénario choisi, il faudra construire un deuxième centre de déchets TFA. Le PNGMDR devrait procéder à une analyse un peu plus fine des différents scénarios, liés notamment aux démantèlements.
Ensuite, le besoin de limiter les volumes de déchets TFA passe par deux actions.
D’une part, il convient de revoir, dans une certaine mesure, le zonage, ce qui implique de caractériser radiologiquement les déchets qui sortent des zones nucléaires, avec la nécessité de tracer l'historique des installations, donc de mener un important travail de conservation de mémoire sur les sites.
D’autre part, il faut étudier les pistes de recyclage possibles. Les gravats peuvent servir au comblement de certaines alvéoles de stockage, et des excavations sur les chantiers de démantèlement. En l'absence d'enjeu radiologique, les transporter jusqu'à un centre TFA représente un gaspillage et un coût environnemental. Ces enjeux n'avaient pas été mesurés jusqu'à présent, le PNGMDR étant centré sur les enjeux radiologiques, non les enjeux économiques, environnementaux et sociétaux.
Les déchets métalliques, par exemple ceux issus du démantèlement de l’usine Georges-Besse I, peuvent, à partir du moment où les lots sont homogènes, être décontaminés, et une partie de cette ferraille réutilisée dans l'industrie nucléaire. Le débat porte sur un recyclage éventuel dans des filières conventionnelles, qui impliqueraient un changement de doctrine, qui ne se décide pas du jour au lendemain. Actuellement, la filière de recyclage du plomb n’implique une réutilisation qu’au sein du secteur nucléaire.
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. Pour les centrales nucléaires, la solution du démantèlement in situ présenterait l'avantage de réduire les coûts d’un facteur dix, tout en évitant des transports vers un site de stockage. Le maintien des installations sur place semble acceptable, comme le montre la présence des terrils dans le nord de la France, qui ne choque personne.
M. Clément Chavant. En matière de nucléaire, les enjeux sociétaux ne sont pas les mêmes que dans d’autres industries. L'acceptabilité de la filière nucléaire dépend aussi de sa capacité à savoir gérer la fin de ses installations et de ses déchets. C'est d’ailleurs la seule industrie qui envisage l'ensemble du cycle de vie des installations.
La méthode de déconstruction in situ ne résout pas tous les problèmes. Par exemple, un certain nombre de travaux portent actuellement sur les sols contaminés, sous la zone nucléaire. Il faut également rappeler que nous devons faire face au renouvellement du parc. De ce fait, il est impossible de laisser les anciennes installations en place, au risque de ne pouvoir réutiliser la ressource foncière.
Dans tous les cas, cela représenterait un changement complet de philosophie. Nous pensons qu'il vaudrait mieux travailler en priorité sur le zonage déchets, qui, à l’heure actuelle, prévoit probablement trop de marges.
M. Christian Ngo. Mais les déchets stockés dans un centre occupent également de la ressource foncière.
M. Christian Bataille. Il est vrai que, sur certains sites, comme Gravelines et Penly, il reste de la place. Mais la réutilisation de la ressource foncière dans le périmètre des centrales présente l’avantage de ne pas nécessiter de nouvelles enquêtes d'utilité publique.
M. Clément Chavant. Cela renforce l'utilité de bien mesurer les radiations des déchets, pour réduire l’utilisation de la ressource foncière et les transports.
M. Christian Ngo. La question de l'acceptabilité sociale ne concerne pas seulement l’énergie nucléaire. À mon sens, deux facteurs freinent celle-ci. D'une part, la péréquation, en imposant un prix de l'électricité partout identique, retire toute incitation à vivre près d’une installation de production. Les tarifs devraient, au contraire, être différenciés, en fonction de la distance aux installations de production. D'autre part, il serait normal que les particuliers habitant à proximité d’une installation de production d'électricité puissent en retirer un gain financier direct. Actuellement, ce gain concerne les collectivités locales, mais pas les individus. Il faudrait flécher l'argent, pour moitié vers les collectivités, et pour moitié vers les individus, sous une forme à définir.
M. Christian Bataille. Ce sont là les positions personnelles de M. Christian Ngo, non celles du Parlement.
M. Clément Chavant. Comme toute activité industrielle, la production nucléaire irrigue les bassins d'emploi, ce qui constitue une première forme de redistribution. A contrario, il semble difficile d’imaginer des modalités de redistribution individuelle.
M. Bruno Blanchon. Ceci dit, il est vrai qu'il faut prendre en compte cet aspect, par exemple pour les installations de stockage.
M. Christian Bataille. Il s’agissait d’un sujet de réflexion important, dans le cadre du rapport dont j’avais été chargé par le gouvernement de M. Édouard Balladur. Il faut que les populations qui acceptent une installation en retirent un avantage matériel. Les conseils généraux de la Meuse et de la Haute Marne ont bénéficié de l’implantation du laboratoire de Bure. Les opposants ont d'ailleurs reproché l'excès d'équipements publics dans la région.
M. Bruno Blanchon. J’en reviens au changement de doctrine pour les déchets TFA. Il s’agit aussi d’une question de coût, pour les entreprises et la collectivité. Il manque une analyse exhaustive et fine de l'ensemble du cycle de vie des déchets, dans cette dimension coût.
M. Christian Bataille. Menez-vous une réflexion sur les seuils de libération ?
M. Bruno Blanchon. Nous y réfléchissons, sans avoir pris position. Le débat est en effet un préalable. Cette démarche nécessite de la transparence, et une participation de l'ensemble de la population.
M. Clément Chavant. Je ne sais pas si la CGT prendra un jour position sur ce point. Pour donner un exemple de la transparence nécessaire, afin que la libération des métaux en vue d’une valorisation soit viable, il faudrait arrêter, à un certain stade, la traçabilité. Une telle décision doit être mise en débat, en expliquant très clairement en quoi consistent les seuils de libération, leurs avantages et inconvénients.
M. Christian Bataille. Un débat public est sans aucun doute important. Mais la représentation parlementaire a également un rôle à jouer. Le Parlement constitue un lieu de débat, surtout s'agissant de sujets complexes. Sur la question de la gestion des déchets nucléaires, le Parlement joue un rôle essentiel depuis le vote, en 1991, de la première loi traitant de cette question. Ce serait notamment à l'Office parlementaire d’en être saisi, pour la traiter dans le cadre d’une étude.
M. Clément Chavant. Il existe également d'autres outils, comme le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Mais il est vrai qu’il revient d'abord au législateur de prendre ses responsabilités. Depuis la loi de 1991 et les lois de 2006, la transparence a fait des progrès, dont la France n’a pas à rougir.
M. Christian Bataille. Nous sommes passés d'une méthode « gaulienne », assez directive, à une méthode plus démocratique, sans doute encore imparfaite.
M. Clément Chavant. L'essentiel est que les conditions d’un débat démocratique soient bien réunies, en donnant tous les éléments au public. Par exemple, une éventuelle mise en œuvre de seuils de libération, devrait être précédée de l’élaboration de scénarios d'utilisation des ferrailles, avec des études d'impact radiologique. En effet, utiliser des matières métalliques, issues de démantèlements, dans des fers à béton n’a pas les mêmes conséquences radiologiques que dans la fabrication de petites cuillères.
M. Bruno Blanchon. Il faut bien réfléchir aux conséquences, positives et négatives, d’une telle option. Le premier impact négatif concerne l'aspect sociétal. D’autre part, les seuils n'empêcheront pas de devoir construire un deuxième centre de stockage TFA. De plus, leur mise en œuvre posera le problème de la traçabilité.
Enfin, si les seuils de libération peuvent permettre de faire sortir des déchets de la filière nucléaire, ils peuvent aussi en faire entrer d’autres, par exemple ceux issus du recyclage des terres rares, ou de la combustion du charbon. En imaginant réduire, avec les seuils de libération, le volume des déchets TFA, on pourrait donc le faire, au final, augmenter.
Il faudrait faire un bilan de l'utilisation des seuils de libération en Europe, pour vérifier qu’il est réellement positif.
M. Christian Ngo. De fait, une société américaine s'était intéressée à l'extraction de l’uranium contenu dans les déchets de charbon chinois.
M. Christian Bataille. Nous essayerons de traiter ce sujet des seuils de libération dans le cadre de notre étude, notamment en nous rendant en Allemagne, pour vérifier sur place comment ces seuils sont appliqués.
M. Bruno Blanchon. Pour les déchets tels que les graphites, il n’existe pas encore de filière adaptée, même si un site possible a été identifié au nord de Soulaines. L’étude préalable sur les déchets de faible activité à vie longue (FAVL), difficiles à cerner et de provenance très diverse, n’a pas été financée en 2016. En effet, il n’existe pas de budget dédié à cette catégorie de déchets.
Par ailleurs, CIGEO doit prévoir une réserve pour les combustibles usés et les déchets FAVL. L'ASN demande que la conception de CIGEO ne soit pas incompatible avec le stockage d’autres déchets que ceux initialement prévus.
M. Christian Bataille. Ce n'est pas ce que dit la loi. Je me souviens très bien des conditions du vote de la loi, et des engagements pris vis-à-vis de la population, de ne pas stocker d’autres déchets que ceux à haute et moyenne activité et à vie longue. S’en écarter change la nature du projet CIGEO. L'ASN n'a sans doute pas bien compris le texte et l'esprit de la loi.
De fait, les lois de 1991 et 2006 prévoient un volant de recherche sur le stockage en surface et en sub-surface. Peut-être faudrait-il réactiver ces recherches. Il semble incohérent de sacrifier des galeries à cinq-cents mètres de profondeur, alors que les caractéristiques des déchets FAVL ne le nécessitent pas. Il faut des installations similaires à celles existant dans les pays nordiques. Les écologistes sont d'ailleurs eux-mêmes très partisans des installations de stockage en surface ou sub-surface.
M. Clément Chavant. Tout à l'heure, l’intérêt d’une analyse multicritères a été mentionné. Jusqu'à présent, la gestion de ces déchets n'a été examinée que sous l'angle radiologique, alors qu'il faut mesurer les impacts environnementaux conventionnels, les risques et émissions de CO2 découlant des transports, etc. Ce travail mérite d'être mené de manière complète. Actuellement, on ne prend en compte qu’une partie de l'équation économique et environnementale.
M. Christian Ngo. L'aspect économique est souvent négligé, car les chercheurs n'ont pas l’habitude de tenir compte de ces contraintes.
M. Clément Chavant. Ceci dit, même si le coût global des démantèlements et du stockage des déchets peut apparaître élevé, rapporté au kilowattheure, son impact sur le prix de l’électricité reste très faible.
M. Christian Ngo. C'est toujours autant d'argent d’économisé. Par analogie, l'accroissement du coût de l'EPR a un impact significatif sur celui de l'électricité produite.
M. Clément Chavant. Il faut toujours être prudent lorsqu'on évoque une réduction des coûts. Quel est l’intérêt d’une économie susceptible d’induire des risques d'accidents, qui coûteront beaucoup plus cher à la collectivité ? L'équation financière n'est pas évidente. On n'intègre pas l'ensemble des coûts pour la société.
M. Christian Ngo. Si l'on prend l'exemple du démantèlement in situ, la différence de coût est considérable, alors que les avantages sont conséquents en termes de temps et de pollution.
M. Clément Chavant. Pour avoir participé à un démantèlement à La Hague, je peux témoigner que lorsque des salariés vont, en scaphandre de protection, dans des installations qui n'ont pas été tracées, cela peut conduire à des surprises.
M. Christian Ngo. Je faisais référence à un bâtiment à Cadarache, exempt de radioactivité.
M. Clément Chavant. Dans un tel cas, s’agissant de déchets dits « administratifs », ils peuvent être orientés vers des filières conventionnelles. A contrario, si le bâtiment est rempli de béton, l'ensemble sera considéré comme un déchet, et une installation nucléaire qu'il faudra continuer à surveiller, si bien que le gain envisagé sera nul.
M. Christian Namy, sénateur, rapporteur. Il existe un seuil en dessous duquel une installation n’a plus besoin d’être surveillée.
M. Clément Chavant. Dans ce cas, il est préférable de récupérer la ressource foncière, et d'envoyer les déchets dits « administratifs » dans une filière conventionnelle. Sinon, on risque de se retrouver avec des centres inexploitables, où aucune entreprise ne va vouloir s'installer. Laisser les choses en l'état, même en coulant du béton, peut constituer un gâchis phénoménal. En réglant complétement le problème en temps et en heure, le bilan économique global sera supérieur à celui escompté avec le démantèlement in situ.
M. Christian Namy. Je trouve que cette question du démantèlement in situ mériterait tout de même être examinée. Par exemple, à Cadarache, certains bâtiments sont réellement exempts de contamination, et pourraient peut-être servir à d’autres fins.
M. Clément Chavant. Il faut réfléchir à la réutilisation de ces bâtiments. Dans tous les cas, une caractérisation s’avère nécessaire. On ne peut pas se contenter de constater qu’on peut y entrer. Aujourd'hui, l’une des actions qui nous semblent nécessaires, consiste à mieux cibler le zonage. Elle aura, elle aussi, un coût, car il faudra faire des mesures, tenir à jour un historique, etc.
M. Christian Namy. Comment ces coûts se comparent-ils à celui du stockage ?
M. Clément Chavant. Chaque fois qu'une mesure est proposée, il faut effectivement essayer de la chiffrer. Par exemple, les seuils de libération sont toujours complexes, les normes prévoyant des seuils globaux et par radionucléide, si bien que leur mise en œuvre induit un coût conséquent.
M. Christian Namy. En tant qu’habitant de la Meuse, président de son conseil général lors du vote sur l'acceptation du stockage, et administrateur de l'ANDRA, je suis surpris des coûts élevés qui sont avancés pour la gestion des déchets radioactifs.
En Hongrie, j’ai eu l’occasion de visiter un stockage de déchets de faible et moyenne activité à vie longue, situé à trois-cents mètres de profondeur, qui semble proposer des mesures de sûreté drastiques. Pourtant, les coûts de stockage y sont moins élevés que dans l’Aube.
M. Clément Chavant. S’agissant du coût de CIGEO, il serait essentiel de disposer d’une évaluation indépendante des producteurs de déchets et de l'ANDRA, en gardant à l'esprit que ce coût doit être ramené, sur la durée, à celui du kilowattheure.
Nous avons évoqué les débats intervenus, au début des années 1990, entre EDF et l'ANDRA. Je travaillais à EDF à l'époque du premier chiffrage de l'ANDRA, initialement de quarante milliards d’euros. EDF était allée jusqu'à concevoir un contre-projet d’installation de stockage appelé le STI, avec une architecture très différente de celle proposée par l’ANDRA.
L'ANDRA avait été un peu secouée par ces propositions, mais en a tenu compte. Au final, cet échange a été utile, par exemple avec la prise en compte de l'utilisation des tunneliers, une idée qui n’était pas triviale, ces machines n’ayant jamais été employées dans de telles conditions. Je ne pense pas que l'ANDRA ait pour souci de réaliser un stockage cher. La contrainte est tout de même celle des producteurs, EDF finançant à lui seul plus de 90 % du projet.
Pour les déchets de faible activité, j'ai participé, en 1991, au démarrage de l’atelier de traitement des déchets solides AD2, à La Hague. Cette installation comporte une presse de quatre-cents tonnes qui compacte les fûts. J'étais présent quand la presse a été endommagée par l'un des fûts, qui a explosé. Les enjeux conventionnels, ici de nature chimiques, n'avaient pas forcément été bien mesurés. Aux contraintes radiologiques s’ajoutent souvent des contraintes chimiques.
La situation est un peu différente dans les centrales nucléaires et les usines du cycle du combustible. Certaines de ces dernières répondent à la fois à la réglementation SEVESO et à celle sur les installations nucléaires de base (INB). À force de se focaliser sur les enjeux radiologiques, on en a un peu oublié les enjeux chimiques. De nombreux produits chimiques sont présents à La Hague. D'ailleurs, le plutonium lui-même est dangereux avant tout en raison de sa toxicité chimique.
Pour le stockage des déchets de faible activité, cet enjeu chimique existe également. Aussi, faut-il les stocker de façon rigoureuse.
M. Christian Namy. J'ai quand même assisté, par le passé, dans le laboratoire de Bure, à un échange assez vif entre le PDG d’EDF, M. Henri Proglio, et la directrice générale de l’ANDRA, Mme Marie-Claude Dupuis, sur le coût du stockage géologique.
M. Christian Ngo. Les Américains ont pour habitude d’investir le minimum nécessaire à l’atteinte de l’objectif.
M. Clément Chavant. L’installation de Yucca Mountain n'en constitue pas vraiment un exemple convaincant. Il faut un juste milieu entre les contraintes financières et les contraintes de sûreté, d'où l'importance de ne pas laisser les producteurs et l'ANDRA discuter seuls.
M. Christian Namy. Quelle autorité pourrait jouer ce rôle de juge de paix ?
M. Clément Chavant. Le problème principal est d’ordre politique. Qui peut expliquer comment a été calculée la dernière évaluation du coût du stockage géologique, annoncée à hauteur de vingt-quatre milliards d’euros ? Beaucoup d’acteurs sont impliqués dans le processus, mais il manque une vision politique de long terme. De ce fait, on se concentre sur les sujets financiers de court terme, sans avoir de visibilité sur l'avenir de la filière nucléaire, les modalités de sa gestion, l'échelle de coûts, les conditions de sa sûreté et de la transparence. Chacun des acteurs joue sa propre partition. C'est ce que nous avions fait remarquer à l'Agence de participation de l’État. On en arrive ainsi, in fine, à un dossier posé sur le bureau du ministre, avec une évaluation sans éléments probants.
M. Christian Ngo. Il faudrait que cela change, car c'est précisément le dialogue entre les acteurs qui permettrait de faire baisser les coûts. Par exemple, pour le démantèlement, on a le sentiment que les industriels et les écologistes sont plutôt d’accord pour les maximiser.
M. Clément Chavant. Effectivement, le provisionnement du démantèlement et du stockage des déchets radioactifs peut avoir des effets pervers, puisque les industriels ont intérêt à ce que ces opérations se fassent le plus tard possible, pour gagner de l'argent.
M. Christian Ngo. La filière nucléaire a besoin de plusieurs conditions pour réussir, l’une d’elles étant le développement de la quatrième génération. Avec la fermeture de Superphénix, vingt à trente années ont probablement été perdues dans ce domaine.
M. Christian Namy. D'autres pays risquent-ils de nous prendre de vitesse sur les réacteurs de quatrième génération ?
M. Clément Chavant. Les Russes, les Chinois et les Indiens investissent sur ce sujet, y compris pour les deux derniers sur la filière thorium, avec les réacteurs à sels fondus.
M. Christian Namy. Ces réacteurs à sels fondus, souvent évoqués dans la presse, existent-ils déjà ?
M. Clément Chavant. Dans les années 1950, les Américains avaient développé des réacteurs à sels fondus, mais leur ont préféré les réacteurs à eau pressurisée, plus adaptés à des applications militaires.
La vérité des prix sur le marché de l'électricité est une autre condition nécessaire au développement de la filière nucléaire, ainsi que des autres filières. Les politiques de dérégulation combinées aux biais dans la construction des coûts de l'électricité, celle subventionnée d'origine renouvelable étant prioritaire sur le réseau, conduisent à des prix de marché n’ayant qu’un lointain rapport avec les coûts de production.
M. Christian Ngo. Un tel désordre peut aboutir à des coupures d’électricité, comme celle qui vient de survenir en Australie.
M. Christian Namy. Je reviens d’Australie. Ce blackout s'est produit en Australie du Sud. Le Premier ministre fédéral, M. Malcolm Turnbull a incriminé les investissements insuffisamment réfléchis de cet État dans les énergies renouvelables. D'ailleurs, l'Australie reconsidère sa position sur l’énergie nucléaire, y compris à Adélaïde, où la construction d'un stockage régional de déchets radioactifs est envisagé. Alors que j'étais en Australie pour le marché des sous-marins, le premier ministre d'Australie du Sud ne m'a parlé que de ce projet de stockage géologique.
M. Clément Chavant. En Australie, les structures politiques et sociétales, ainsi que l'autorité de sûreté, nécessaires à la mise en place d’installations nucléaire, existent. Mais on ne peut pas vendre la technologie nucléaire dans des pays qui n’en disposeraient pas. Dans le passé, nous en avions discuté avec Mme Anne Lauvergeon. Par exemple, il n'aurait pas été raisonnable des vendre un réacteur EPR en Libye, compte tenu du contexte géopolitique.
M. Christian Namy. Cela me conforte dans l'idée de la nécessité d'une vision gaullienne sur l'avenir de la France en matière nucléaire. Mais nous nous éloignons du sujet des déchets.
M. Clément Chavant. Il nous faut revenir à une vision de long terme, avec un cadencement différent de celui retenu par le passé. Ce sujet n'est pas si éloigné de la question de la gestion des déchets.
Nous avons évoqué la quatrième génération et la problématique des combustibles usés. Stocker les combustibles usés en l'état double l'emprise du stockage, pose des problèmes de gestion de l'entreposage avant le stockage, et constitue un gâchis de matières phénoménal.
La quatrième génération permet de valoriser le contenu énergétique des matières. Toutes proportions gardées, l'utilisation des combustibles dans les réacteurs actuels, à neutrons lents, puis leur stockage sans retraitement, représente l'équivalent d'un poêle à bois, dans lequel on ne brûlerait que l'écorce des bûches, avant de les sortir pour enfouir le restant sous terre.
M. Christian Ngo. Pour donner une autre illustration de la différence entre les réacteurs à neutrons rapides et les réacteurs actuels, dans l’utilisation de l’énergie des combustibles, les combustibles nécessaires au fonctionnement des réacteurs actuels durant quarante ans permettraient d'alimenter un parc équivalent de réacteurs à neutrons rapides durant cinq-mille ans.
M. Clément Chavant. Cette meilleure utilisation de la ressource permet également de réduire la production des déchets, liés à l'exploitation des mines d'uranium, ainsi qu’aux usines de conversion et d'enrichissement du minerai. Le retraitement le permet déjà en partie, mais la quatrième génération nécessitant encore moins de matière première, d’autant que celle issue des anciens réacteurs serait réutilisée, générera encore moins de déchets.
En résumé, le retraitement permet à la fois d’économiser la matière première, de réduire l'emprise du stockage des déchets, d’effectuer un tri de ces derniers, et d’obtenir des déchets ultimes plus homogènes, l'homogénéité d'un verre coulé étant nettement supérieure à celle d'un assemblage combustible, dont l’intégrité physique à long terme ne peut être garantie.
M. Christian Namy. Les combustibles stockés directement offrent une moins bonne garantie que les verres, pour la première barrière.
M. Clément Chavant. Un autre point important, concernant la demi-vie des déchets de haute activité à vie longue, porte sur les actinides mineurs. Les verres actuels contiennent, en plus des produits de fission, des actinides mineurs : américium, curium et neptunium, qui augmentent la durée de vie des déchets de haute activité à vie longue.
Or, les actinides transuraniens peuvent être récupérés, ce qui change la radiotoxicité à long terme des déchets. Il faudrait réactiver la recherche sur la séparation poussée des transuraniens, en vue de créer un atelier pilote, pour montrer qu'on peut diminuer la durée de vie des déchets nucléaires les plus radioactifs. La question essentielle est celle de la volonté politique, et de la vision de long terme.
M. Christian Namy. Si on dépense vingt-cinq milliards d'euros pour le stockage, il serait raisonnable de réserver quelques milliards pour avancer dans ce domaine.
M. Clément Chavant. C'est vrai qu'aujourd'hui le coût de l'uranium relativement bas représente un problème pour le retraitement. Mais le prix de l'uranium va nécessairement augmenter.
M. Christian Ngo. À ce sujet, multiplier par dix le prix de l'uranium augmente le prix de l'électricité produite dans les centrales nucléaire de 40 %, alors que multiplier par dix celui du gaz, augmente le prix de l'électricité produite à partir de celui-ci de 700 %.
M. Clément Chavant. Cela illustre l'utilité d'évaluer le coût de la filière en le ramenant au prix du kilowattheure, surtout sur la durée de vie des installations qui, pour l'EPR, pourraient être de soixante ou quatre-vingt ans, alors qu'une centrale gaz dure environ quinze ans.
Enfin, il faut prévoir un équilibre entre la prolongation de vie des centrales et le renouvellement du parc. Sinon, le problème qui risque de se poser est celui de l'effet falaise, le programme nucléaire ayant été mené dans un temps court, ce que nous ne serions pas en capacité de faire aujourd’hui.
6. Audition de Mme Monique Sené, M. Jean-Claude Autret et Christophe Vallat, ANCCLI, le 9 novembre 2016 au Sénat
Mme Monique Sené, cofondatrice du Groupement de scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN), vice-présidente de l’ANCCLI. L’Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) est très favorable au Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs qui permet d’avoir une vision globale. Mais des explications complémentaires restent nécessaires, pour que chacun puisse le comprendre. Bien sûr, il existe une synthèse, mais elle reste à améliorer.
D’autre part, certains points demeurent non traités, en particulier, comme l’a indiqué l’autorité environnementale, le plan n’évoque pas les rejets dans l’environnement. Malheureusement, ils constituent une façon de traiter les déchets. Cet aspect mérite d’être analysé, pour mieux identifier l’impact des rejets sur l’environnement et pour essayer de le minimiser.
Il faut d’ailleurs reconnaître que cela a déjà été, en partie, effectué. Les rejets ont été diminués à La Hague. Ils sont en passe de l’être dans les centrales, qui n’ont pas encore toutes un nouveau plan de rejet. Ceci dit, les limites fixées sont quand même plus basses. Sur ce plan, beaucoup d’effort ont été réalisés. Je crois que le PNGMDR y a quand même contribué, en considérant l’ensemble des déchets.
Le PNGMDR s’appuie sur l’inventaire de l’ANDRA qui fournit la dénomination des déchets, leurs modalités de colisage, et leur lieu d’entreposage ou de stockage. Il permet de bien séparer les différents types de déchets et de vérifier que des exutoires existent pour chacun d’entre eux. Les déchets anciens sont également pris en compte par le PNGMDR, comme par l’inventaire national de l’ANDRA. On a donc une idée de ce qui reste à faire. Mais traiter des sols pollués ou décontaminer une installation demande beaucoup de temps.
À mon sens, les exemples de démantèlement de Brennilis et Chooz permettront d’avancer sur ceux de Phénix et Superphénix, qui sont aussi des réacteurs, même s’ils sont différents. On a essayé de prévoir le démantèlement de l’EPR dès sa construction, mais ce n’est pas le cas pour les autres réacteurs. Les réacteurs ont également fait l’objet de plans pour l’entreposage de leurs déchets.
Les principales difficultés portent sur les installations nucléaires de base secrètes (INBS), notamment quant à leur décontamination. Celle du site de Bruyères-le-Châtel se termine. Dans d’autre, l’uranium appauvri est laissé sur place, alors que la population, mal informée, préférerait qu’il soit déplacé, ce qui impliquerait de trouver un site de stockage.
L’analyse de l’autorité environnement est très intéressante, car elle pose des questions pertinentes, par exemple celle de l’analyse des plans précédents, pour montrer les progrès réalisés. C’est une suggestion très utile, qui a été prise en compte.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Vous avez déjà répondu à quelques questions. Je donne à présent la parole à M. Jean-Claude Autret.
M. Jean-Claude Autret, membre de la Commission locale d’information de Flamanville et du collège associatif de l’ANCCLI. Voici deux ans j’avais déjà participé à une audition dans le cadre de l’évaluation de l’avant-dernier PNGMDR publié.
Dans le PNGMDR 2016-2018, les explications restent sans doute insuffisantes, mais des progrès importants ont déjà été réalisés. L’avant-dernière édition était effectivement difficile à comprendre pour un non spécialiste, la précédente avait marqué une nette avancée sur le plan de la lisibilité, cette dernière a été encore améliorée dans l’édition à venir, même si des perfectionnements restent largement possibles.
Des points demeurent non traités. Ainsi, lorsqu’EDF a présenté au groupe de travail ses différents plans de maintenance approfondis, comme le grand carénage, les déchets induits par ces opérations n’ont pas été évoqués, comme s’ils n’existaient pas.
Je reviens au problème des rejets qui ne sont pas évoqués dans le PNGMDR. Voici deux ans, il m’avait été répondu que le contenu du plan était cadré par une directive européenne qui ne prévoyait pas de les traiter.
Dans le passé, au cours d’un long échange avec M. André-Claude Lacoste, celui-ci avait convenu que, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) donnant les autorisations de rejets, ces derniers participaient bien au mode de gestion des déchets. Il était donc logique de ne pas se limiter au périmètre minimum requis par la directive européenne.
Dans le secteur de La Hague, auquel je m’intéresse, notamment en tant que membre de la Commission locale d’information de Flamanville, je m’aperçois que les autorisations de rejets restent très enveloppe tandis qu’EDF rejette une part presque congrue de ce qui est autorisé, ce qui illustre à la fois les efforts réalisés et le caractère conservateur des autorisations octroyées.
Par contre, pour l’usine de La Hague ou le centre de stockage de la Manche, le différentiel entre rejets autorisés et rejets réels est très réduit, alors que des facteurs d’incrémentation jouent, ce qui pose de réelles questions.
J’évoquerais aussi un autre point, sui a été pris en compte par l’Autorité environnementale, que j’ai beaucoup de mal à accepter : les rejets de sels encore sales, dans le Rhône, résultant du traitement du sodium dans le cadre du démantèlement du réacteur Phénix.
Je souhaite également alerter sur les problèmes potentiels posés par les « méta-projets » de gestion de déchets. J'entends par là les hypothèses de gestion retenues tandis que les « filières » envisagées reposent sur des projets d'exutoires non encore finalisés, ce qui conduit à un ensemble manquant de robustesse. Ainsi, le centre de stockage géologique profond pour les déchets de haute activité reste encore un projet, même s’il a connu de nombreuses avancées. De même, pour le stockage des déchets de faible activité à vie longue, on en est encore à la recherche d’un site.
Sur la valorisation des déchets très faiblement radioactifs, j’ai eu l’occasion de suivre les premiers travaux présentés au groupe de travail. Ils ne m’ont pas convaincu, pas plus d’ailleurs que le groupe de travail, qui a remis un rapport laissant les choses en l’état, avec une valorisation conditionnée par une dérogation au Code de la santé public qui sera délivré au cas par cas.
Les industriels n’ont pas répondu à un certain nombre d’interrogations, notamment STUDSVIK, racheté par EDF pour son activité de fusion décontaminante, qui a achoppé sur deux questions relatives aux rejets des processus mis en œuvre et à la radioprotection des travailleurs.
M. Christophe Vallat, membre du conseil d’administration de l’ANCCLI, de la Commission locale d'information des grands équipements énergétiques du Tricastin (CLIGEET) et du collège syndical de l’ANCCLI. Pour avoir relu le dossier ce matin, il me semble que des réponses avaient été apportées sur la radioprotection.
M. Jean-Claude Autret. La réponse de la société STUDSVIK indiquait simplement qu’elle était mieux-disante par rapport à d’autres, sans faire référence à des mesures effectivement réalisées. Par ailleurs, j’ai participé à un groupe de travail sur les accidents nucléaires, où, sur un sujet qui ne les intéressait pas du tout auparavant, les mêmes exploitants sont revenus à la charge, avec, semble-t-il, le même résultat.
M. Christian Namy, sénateur, rapporteur. En quoi les activités de STUDSVIK se distinguent-elles de celles de SOCODEI à Marcoule ?
M. Christophe Vallat. SOCODEI ne fait pas que de la fusion, mais incinère également des déchets.
M. Christophe Vallat. Je participe seulement depuis avril 2015 au groupe de travail du PNGMDR. La détérioration des relations entre l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) et les exploitants en un an et demi m’a surpris. J’ai trouvé étonnante, et même choquante, la façon dont les propos se sont tendus durant les dernières réunions.
M. Christian Bataille. L’ASN s’est-elle montrée plus intransigeante ?
M. Christophe Vallat. Ce changement est le fait des exploitants. Leurs représentants viennent avec des objectifs de leur direction sur le report de la gestion de certains déchets. Si la phase de négociation avec l’autorité ne donne pas de résultat satisfaisant, le ton se dégrade. J’ai trouvé assez pesants certains propos ou certaines attitudes, comme jeter un stylo sur la table, face à l’autorité.
M. Christian Bataille. Est-ce le fait d’une entreprise, ou d’une direction en particulier ?
M. Christophe Vallat. À mon avis, aujourd’hui, la priorité des exploitants nucléaires n’est pas la gestion des déchets. Si les échéances sont repoussées, c’est toujours cela de gagné.
M. Christian Bataille. C’était déjà la situation voici vingt-cinq ans.
M. Christophe Vallat. C’est peut-être devenu plus prégnant.
M. Jean-Claude Autret. Autre exemple, lors de la présentation du rapport final du premier groupe de travail sur la valorisation, un représentant du CEA s’est adressé au président pour lui demander une réunion en conclave, destinée à « reprendre un peu tout ça ».
Mme Monique Sené. De même, EDF a indiqué qu’en l’état actuel des choses, les réacteurs graphite-gaz ne seraient pas démantelés avant 2100, ce qui pose problème.
M. Christian Bataille. Même si c’est difficile, s’agissant d’un travail en cours, nous allons anticiper, en demandant que l’on revienne à un dialogue plus serein.
M. Christophe Vallat. Mon deuxième point concerne la participation du public. Comment est-il possible de consulter les commentaires du public ? Les parlementaires peuvent-ils le faire ? Quel est l’impact des suggestions du public sur le PNGMDR ?
Mme Monique Sené. L’ASN en donnera un résumé sur son site.
M. Christian Bataille. Nous aborderons ce nouvel aspect du PNGMDR dans notre rapport.
M. Christian Namy. En tout cas, cette démarche marque une volonté d’ouvrir le plus largement possible le dialogue.
M. Christophe Vallat. Un troisième point porte sur la notion d’économiquement acceptable, mentionnée à deux reprises dans l’arrêté. Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, en tant que représentant de la société civile, je peux me poser beaucoup de questions à ce propos, par exemple : économiquement acceptable par qui ?
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. C’est un point important. Au stade de la recherche, il est envisageable de ne pas prendre en compte l’aspect coût, mais ce n’est pas le cas en matière industrielle. Par exemple, si l’on imposait un contrôle annuel de la radioactivité des habitations, ce ne serait pas acceptable économiquement.
M. Jean-Claude Autret. Cela me fait sourire, car habitant une maison avec un taux de radon de 360 becquerels par mètre cube, je le mesure tous les ans, pour essayer d’en suivre l’évolution et d'ajuster les mesures visant à en diminuer l'impact.
M. Christian Namy. Pour quelle raison la concentration en radon est-elle aussi élevée ?
M. Jean-Claude Autret. Ma maison est située sur le contrefort du massif armoricain. Des veines dans le synclinal bocain doivent véhiculer un peu de radon par les sous-sols.
Mme Monique Sené. Le nouveau décret fixe la limite à 300 becquerels, au lieu de 400, et impose une vérification tous les cinq ans.
M. Jean-Claude Autret. J’ai l’avantage de pouvoir réaliser ces mesures moi-même très régulièrement. Je rejoins ce qui a été dit : parler d’économiquement acceptable n’a de sens que si les externalités négatives sont également prises en compte.
Mme Monique Sené. En effet, il ne faut pas que cela engendre des impacts collatéraux.
M. Christophe Vallat. J’en viens à un autre point. Au regard du précédent PNGMDR, des efforts ont été faits sur les déchets de très faible activité (TFA). J’ai participé aux sept réunions du groupe de travail sur la valorisation des matériaux TFA, présidé par M. Alain Dorison.
Le dernier PNGMDR ouvre une possibilité de demande de dérogation, pour de grands lots homogènes de métaux, comme ceux issus du démantèlement de l’usine EURODIF ou du remplacement des générateurs de vapeur du parc. C’est important. Globalement, la gestion des déchets nucléaires est à peu près aboutie, mais il reste une importante marge de progression pour les déchets TFA.
Il faut distinguer entre les vrais déchets TFA et les déchets dits « administratifs », induits par le « zonage déchets ». Je trouve intéressant que le PNGMDR se soit interrogé sur cette question. Comme M. Jacques Repussard l’a indiqué avant de quitter l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), cela ne pourra pas se faire sans transparence, et sans échange avec la société civile. Il faudra beaucoup d’explications.
Il me semble que M. Pierre-Franck Chevet avait évoqué des suites possibles à ce groupe de travail, par exemple au travers de l’organisation d’un débat public par la Commission nationale du débat public (CNDP).
M. Christian Bataille. C’est toujours son intention.
Mme Monique Sené. Je pense que la suggestion de M. Jacques Repussard dépasse les seuls déchets TFA. Aujourd’hui, nous sommes peut-être trop fixés sur des solutions toutes faites, notamment de stockage des déchets. Il faut être à même de repenser les différentes options envisageables.
M. Christian Bataille. À cet égard, CIGEO est un projet de long terme, qui nécessitera au moins quinze ou vingt ans pour se concrétiser. Il échappe à la durée d’une vie, a fortiori à la permanence de l’action politique, soumise à des cycles très courts, de cinq ans.
M. Jean-Claude Autret. En matière de recherche, l’appréhension du très long terme n’est pas non plus acquise.
M. Christophe Vallat. Je voulais insister sur cette question des déchets TFA. Je suis salarié d’EURODIF Production, où se trouvent cent-cinquante-mille tonnes d’aciers homogènes, très faiblement contaminés, susceptibles d’être transportées au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES). Cela représenterait vingt-trois années de transport routier, à raison de trois semi-remorques par jour. La fusion décontaminante a l’avantage de réduire les volumes, si elle est réalisée sur place. Il faut au moins l’étudier.
M. Jean-Claude Autret. Une autre question va se poser, qui s’est déjà posée en Allemagne pour la fusion décontaminante : la difficulté à commercialiser des métaux faisant l’objet d’un traçage. Personne n’est très intéressé par un produit contaminé, ne serait-ce qu’à un dixième de ce qui est autorisé par la directive européenne. Entre la production de ces produits et leur mise sur le marché, il existe donc une marge importante.
Un autre problème est d’ordre quantitatif : les tonnages envisagés pour la fusion décontaminante n’étant pas du tout les mêmes, en Suède de l’ordre de quelques milliers, et, en France, de l’ordre de cent fois plus. Les quantités rejetées, en terme de contamination, y compris dans le cadre des préconisations, représentent un nombre de becquerels considérablement différents.
M. Christian Bataille. Concernant la limitation des risques environnementaux liés aux transports, pensez-vous possible de réaliser des stockages ou entreposages de déchets très faiblement radioactif sur site ?
M. Christophe Vallat. Pour ce qui est du site du Tricastin, l’ANDRA a indiqué que, géologiquement, le terrain ne convient pas à la création d’un stockage.
Mme Monique Sené. Il peut exister des obstacles à la réalisation d’un stockage local, notamment pour les sites de centrales nucléaires, toujours situés à proximité de l’eau. Par contre, un entreposage est possible.
M. Christophe Vallat. Il apparaît pertinent d’étudier les procédés mis en œuvre en Suède par STUDSVIK, ainsi que la possibilité de les améliorer. L’obstacle principal est celui de la confiance. Aujourd’hui on sait mesurer la radioactivité jusqu’à certaines limites.
Mme Monique Sené. On ne sait pas tout mesurer. Qui plus est, le plus souvent, on ne mesure pas systématiquement, mais par sondage, par exemple un colis de déchets sur soixante-dix.
M. Christophe Vallat. En tout cas, chez STUDSVIK, un échantillon est mesuré pour chaque bain de fusion, du moins c’est ce qui a été indiqué. Il existe des solutions de gestion des déchets TFA à étudier, en analysant le cycle de vie complet. Il faut notamment examiner si les transports et l’enfouissement des déchets générés ne vont pas pénaliser celui-ci.
M. Christian Bataille. Le stockage à grande profondeur concerne uniquement les déchets de haute et moyenne activité à vie longue.
M. Jean-Claude Autret. Dans le PNGMDR, un chapitre spécifique est réservé à l’hypothèse de l’enfouissement de déchets militaires et de combustibles usés en sortie de réacteur.
M. Christian Bataille. La loi ne l’a pas prévu.
M. Christophe Vallat. Ce PNGMDR 2016-2018 a un regard plus précis sur les déchets TFA. C’est un point nouveau et important, car ces déchets vont être générés en grande quantité par les démantèlements.
M. Jean-Claude Autret. Sur ce point, il existe des éléments, y compris pour les déchets TFA, qui échappent à nos capacités de mesure, et sont donc, pour l’instant, déduits par le calcul, ce qui laisse une part au hasard, pour des produits dangereux.
Comme évoqué avec MM. Pierre Franck Chevet et André Claude Lacoste, ce problème, au-delà des aspects techniques d’ingénierie, peut être abordé d’une autre manière, en posant la question de la confiance dans le processus du contrôle et celle des moyens accordés pour ce contrôle. Si la porte est entrouverte, très rapidement, beaucoup de choses risquent d’y passer. Ces propos ne sont pas de moi.
Mme Monique Sené. Les déchets TFA sont un sujet en soi, qu’il faut traiter correctement, ce qui implique de ne pas faire comme s’ils n’étaient pas radioactifs. Ils ne le sont sans doute pas beaucoup, mais s’ils sont regroupés en un même lieu, les émissions deviennent plus importantes. De plus, le tri sur un site doit être réalisé de façon systématique, non par échantillonnage, ce qui nécessite aussi de disposer en permanence de personnels formés et compétents.
M. Christophe Vallat. C’est ce qui nous a été présenté en Belgique, sur le tri des déchets issus des démantèlements. En soi, le zonage n’est pas une mauvaise chose, mais en phase de démantèlement il n’est pas acceptable de considérer tout ce qui sort d’un zonage déchet nucléaire comme un déchet. Un tri intelligent peut être réalisé. Par contre, cela nécessite effectivement des moyens. Seront-ils disponibles pour les démantèlements ? Il est possible d’en douter. Néanmoins, est-il normal que des déchets dits « administratifs » soient stockés, alors qu’ils ne comportent aucune radioactivité ?
M. Jean-Claude Autret. Un risque, évoqué en Belgique, concerne la possibilité que des générations futures portent un intérêt à des ressources enfouies qui deviendront probablement rares.
M. Christian Namy. Cela pose aussi la question de la réversibilité.
Mme Monique Sené. Elle doit être prévue dès la conception du site de stockage. Par ailleurs, la fermeture définitive oblige à trouver un moyen de poursuivre la surveillance.
M. Christian Bataille. Pour ce qui est de CIGEO, la réversibilité est prévue par la loi. La question de l’irréversibilité ne se pose même pas. Ensuite, il revient à l’ANDRA d’en définir les modalités techniques.
M. Jean-Claude Autret. Les deux définitions de la réversibilité du dictionnaire sont très intéressantes. La première consiste en la possibilité de revenir à l’état ante, et la deuxième, d’origine théologique, concerne le principe selon lequel les souffrances et les mérites de l'innocent profitent au coupable.
M. Christian Bataille. On est loin de la définition de la réversibilité fournie par la loi de juillet 2016.
M. Jean-Claude Autret. Quand on réfléchit sur CIGEO à très long terme, qui est gravé dans la loi et les lois successives, se pose la question de la durabilité même de la loi, en regard de celle du futur du centre de stockage.
Mme Monique Sené. Ce futur dépend d’abord des décisions initiales sur sa conception : surface, profondeur, etc. S’il faut l’augmenter, il faudra de toute façon en rediscuter avec la population. Dans un tel cas, se posera également la question de la faisabilité technique dans un massif.
M. Jean-Claude Autret. Aujourd’hui, on parle plutôt de réversibilité des décisions et de récupérabilité des colis, ce qui est très différent. Cette juxtaposition de concepts fera probablement encore l’objet de discussions.
Mme Monique Sené. Des rendez-vous réguliers sont prévus, à l’occasion desquels les meilleures solutions, sur la base de connaissances augmentées et du retour d’expérience, pourront être choisies.
M. Christian Bataille. C’est la mission de l’ANDRA, et la justification du financement du laboratoire, qui a déjà dépassé le milliard d’euros, ce qui démontre qu’on y met les moyens.
Mme Monique Sené. S’agissant d’un projet sur cent ans, on ne peut pas trop s’attarder sur les coûts, par exemple sur les vingt-cinq ou trente-cinq milliards nécessaires à la construction.
M. Jean-Claude Autret. Effectivement, les moyens pour les études existent et sont employés à bon escient, mais certaines recherches restent ardues, voire ésotériques, par exemple celles sur le rapprochement du bassin parisien et de de la chaine des Alpes, pourtant nécessaires à l’orientation des percements.
Mme Monique Sené. Des géologues travaillent sur ces questions, tout comme l’IRSN.
M. Christian Bataille. En 1993, j’ai été chargé d’un rapport sur la recherche d’un site de laboratoire. À l’époque, des études géologiques ont été réalisées et contrôlées. Avec du recul, celui de la Meuse et de la Haute-Marne était sans doute le plus adéquat des trois envisagés, dans le granit dans le département de la Vienne, et dans l’argile, près de Marcoule. Le site choisi n’a pas bougé depuis soixante millions d’années. On y a même retrouvé des coraux.
M. Jean-Claude Autret. Les collègues géologues ne sont pas conclusifs, y compris à l’ANDRA. Néanmoins, le travail réalisé au sein du laboratoire de Bure, où je suis descendu trois fois, est remarquable. De là à prédire l’avenir à partir du passé, aucun géologue ne s’y hasardera.
M. Christian Bataille. La géologie prédictive est une discipline à développer. On a quand même pris beaucoup de temps pour les études et on va en prendre encore.
M. Christian Namy. Que pensez-vous, à titre personnel, du stockage géologique ?
Mme Monique Sené. Il reste de nombreuses variables à préciser pour pouvoir dire que le stockage sera rendu le plus sûr possible. Il faut choisir les bons scellements, déterminer les dimensions des alvéoles, concevoir les modalités de surveillance, résoudre le problème important de la ventilation, car il faut pouvoir arrêter une étincelle malveillante.
J’ai apprécié la dernière visite du laboratoire, par exemple, la façon dont la conception des contreforts a été réétudiée. Les scientifiques de l’ANDRA avancent pas-à-pas. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas se presser, les déchets étant entreposés pour une cinquantaine d’année. Il faut continuer à travailler, en mettant en place les expérimentations nécessaires dans le laboratoire, et une grande expérimentation sur le site retenu.
M. Christian Bataille. Il faut avancer d’une façon cadencée. Le tort des initiateurs de l’industrie nucléaire française a été de concevoir d’abord les réacteurs, sans réfléchir en même temps à la politique des déchets. C’est le Parlement qui l’a pensée, vingt ans plus tard.
Mme Monique Sené. Initialement, ils ont estimé que la réponse viendrait en marchant, et que les scientifiques trouveraient une solution.
M. Jean-Claude Autret. À la fin des années 1950, c’est ce que l’on pensait au CEA. Il s’agissait de traiter quelques kilogrammes de déchets radioactifs. Lorsqu’on a engagé le programme de production d’électricité, on est passé à des milliers, voire des millions de tonnes.
Mme Monique Sené. Vous savez que dans les années 1950, les déchets étaient jetés à la mer.
M. Jean-Claude Autret. On avait également envisagé de les enfouir en perçant des trous dans des fosses sous-marines profondes.
M. Christian Bataille. L’idée la plus aboutie consistait à propulser les fûts de déchets, avec une sorte de canon, afin qu’ils aient à la fois la protection du fond marin et de l’eau. Mais il y avait d’autres idées plus farfelues, comme de les envoyer dans la lune.
M. Christophe Vallat. La gestion des déchets n’a pas été pensée à l’époque, tout comme celle des démantèlements. Les deux sont d’ailleurs liées.
M. Christian Bataille. Le Parlement doit continuer à jouer son rôle, qui est un peu celui d’un aiguillon pour les responsables de ce programme.
M. Jean-Claude Autret. Au départ, on pensait d’abord démanteler les anciens réacteurs nucléaires à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG), puis on les a laissés de côté, en prétextant de leur caractère « exotique », alors qu’à Chooz le démantèlement est à un stade très avancé, parce qu’il existe cette idée d’une filière de démantèlement.
Mme Monique Sené. Pour le démantèlement, un plan doit être préparé pour chaque site, afin de mieux connaître et décontaminer certaines parties spécifiques. Cela a été demandé à EDF, qui traine malheureusement un peu des pieds.
M. Christophe Vallat. Les volumes sont astronomiques pour l’usine EURODIF. Le coût du démantèlement, d’environ un milliard, est à mettre en regard des cinq milliards qu’AREVA recherche pour soutenir le groupe. Même s’il existe des provisions, tous les démantèlements ont coûté beaucoup plus cher que les prévisions.
M. Christian Namy. En l’absence de radioactivité, n’est-il pas possible de laisser le bâtiment en place, pour une autre utilisation ?
Mme Monique Sené. Le CEA a toujours dit qu’avant de réaliser un démantèlement, il faut déterminer ce qu’il adviendra du bâtiment. C’est a fortiori vrai pour le CEA lui-même, qui doit essentiellement démanteler des laboratoires.
M. Christophe Vallat. Le plan de démantèlement de l’usine EURODIF ne traite que du démontage de la partie diffuseurs et des barrières. Concernant les bâtiments, seule la déconstruction des deux tours de refroidissement et de l’annexe est prévue. Les bâtiments principaux restent en place.
M. Jean-Claude Autret. Il restera donc des servitudes.
M. Christian Namy. La conception du démantèlement a complétement changée en vingt ans et doit encore évoluer.
Mme Monique Sené. Le principe du démantèlement immédiat est de mettre l’installation en sûreté, en retirant les fluides et les combustibles, pour éviter les problèmes survenus à La Hague, où des travailleurs ont été contaminés.
M. Christophe Vallat. À EURODIF, arrêté voici trois ans, les phases de vidange, de rinçage et de mise à l’air libre sont pratiquement achevées. À partir de là, il n’y a plus de nécessité d’une radioprotection, mais simplement d’une surveillance des bâtiments. Il ne restera plus que neuf employés, alors qu’ils étaient plus de mille-deux-cents voici quelques années.
M. Jean-Claude Autret. À Brennilis, c’est le retour à l’herbe qui est prévu.
Une des questions sur lesquelles le CEA achoppe aujourd’hui c’est celle de la gestion conjointe des déchets radioactifs amiantés, des règles différentes s’appliquant pour les déchets amiantés et les déchets radioactifs.
Mme Monique Sené. C’est un problème réel, les déchets radioactifs étant souvent aussi chimiques. Même un déchet de très faible activité peut être très nocif chimiquement et se transformer, par exemple sous l’action de la pluie. C’est aussi pour cela qu’il faut revisiter la problématique des déchets.
M. Christian Ngo. Qui plus est, un produit chimique peut avoir une durée de vie infinie.
M. Christophe Vallat. C’est souvent le discours tenu dans la région du Tricastin : le site présentait plus de risques chimiques que de risques radiologiques.
C’est aussi ce qui a conduit le groupe de travail a proposer un traitement au cas par cas. L’idée n’est pas de mettre en œuvre une solution unique, comme cela se fait dans d’autres pays. Mais les exploitants ne sont pas tout à fait de cet avis-là, car ils préféreraient une véritable filière, pour être certains d’amortir les équipements.
M. Christian Ngo. Il faut avoir du bon sens, sans se soumettre aux dogmes, pour ne pas dépenser de l’argent inutilement.
M. Jean-Claude Autret. Dans le rapport ou les minutes du groupe de travail, une distinction est faite entre, d’un côté, le contribuable, et, de l’autre, le consommateur d’électricité. EDF avait donné l’assurance que le consommateur assumerait la charge des démantèlements et d’une éventuelle valorisation des déchets. Mon voisin, quand il voit sa facture d’électricité augmenter, en veut à EDF, quand c’est sa feuille d’impôts, il en veut à l’État.
M. Christian Ngo. Il faut se souvenir que le prix de l’électricité en Allemagne est le double du nôtre. Or, quand EDF augmente ses prix d’un centime, cela représente 4,5 milliards d’euros par an. Il reste donc une bonne marge.
M. Christian Namy. Il reste une marge, à condition qu’EDF fasse aussi des efforts pour réduire ses coûts.
M. Christophe Vallat. À ce stade, pour le recyclage des métaux, il a été suggéré aux exploitants, notamment à AREVA, de formuler une demande de dérogation au Code de la santé publique. Par ailleurs, en juillet 2015, le Commissariat général à l’investissement a attribué à l’ANDRA une participation de près de 1,5 million d’euros pour le projet PROFUSION, visant à qualifier, avec STUDSVIK, sur 150 tonnes d’acier provenant des diffuseurs d’EURODIF, un procédé industriel de fusion décontaminante.
Mme Monique Sené. La dérogation est-elle déposée uniquement en vue de l’utilisation de ces fonds ?
M. Jean-Claude Autret. L’autorisation serait octroyée lot par lot.
M. Christophe Vallat. M. Christophe Vallat. Les fonds ne concernent que le projet PROFUSION. La demande de dérogation concerne la totalité des métalliques issus du démantèlement d’EURODIF. Elle pourrait être demandée par AREVA après avoir évaluer la viabilité économique du projet, sachant qu’en France la filière de recyclage est handicapée par le faible cout du stockage TFA, par rapport aux pays étrangers.
M. Jean-Claude Autret. Indépendamment de cette question, le risque d’une saturation des capacités du stockage est bien réel.
7. Audition de M. Sylvain Granger, M. Bertrand Le Thiec, et M. Denis Lépée, EDF, le 15 novembre 2016 au Sénat
M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques, EDF. Nous allons commencer par un propos introductif de M. Sylvain Granger sur les déchets de très faible activité (TFA), puis de M. Denis Lépée sur le retraitement des combustibles usés. Ils évoqueront également les modalités d'élaboration du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).
M. Sylvain Granger, directeur de la direction des projets de déconstruction et déchets, EDF. La gestion des déchets TFA ne constitue pas un sujet nouveau. En France, les règles de gestion de ces déchets font exception, par rapport au droit européen. En effet, elles ne permettent pas de reconnaitre, même après traitement, qu'à un niveau d'activité extrêmement faible, les déchets peuvent rejoindre des filières conventionnelles. Malgré tout, ce sujet progresse, certes lentement, puisque l'article 24 du dernier PNGMDR est consacré notamment à la possibilité de valorisation des métaux très faiblement radioactifs.
Globalement, les experts, notamment l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), considèrent que la question sur laquelle il faut se pencher en priorité est moins technique, dans la mesure où les précautions nécessaires pour s'assurer de l’absence de risque sanitaire sont déjà identifiées, que sociétale et politique. Beaucoup de réflexions générales ont déjà été menées à ce sujet. La démarche précise préconisée par l'article 24 du PNGMDR constitue, à notre sens, la bonne manière d'aborder le sujet.
Deux questions sont aujourd'hui essentielles. Le démantèlement des réacteurs ou des installations génère deux types de déchets radioactifs : d’une part, des composants électromécaniques, c'est-à-dire des déchets métalliques, notamment de grande taille, et, d’autre part, en plus ou moins grande quantité suivant le niveau de contamination des structures, du béton.
Les premiers sont généralement faiblement ou très faiblement activés. Leur activité peut encore être réduite par traitement. Ainsi, la fusion permet de séparer, pour la plupart des éléments, la partie radioactive, qui se retrouve concentrée dans le laitier.
Actuellement, pour AREVA, le démantèlement de l'usine Georges Besse I conduit à récupérer de gros diffuseurs et, pour EDF, un peu moins de cent générateurs de vapeur ont déjà été remplacés, trois-cents au final sortiront des installations. Dans le cadre réglementaire actuel, la seule solution autorisée consiste à sortir tous les déchets de très faible activité, notamment les générateurs de vapeur, pour les envoyer, en l'état, au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES).
C'est d’ailleurs ce qui a été fait, dans le cadre du premier démantèlement d’un réacteur à eau pressurisé en France, celui de Chooz A, en phase finale puisqu'il sera terminé environ dans cinq ans. Le générateur de vapeur de Chooz A occupera beaucoup de volume au CIRES, pour finalement peu de matière, un générateur de vapeur étant plein de vide. Ces métaux ont de la valeur, mais ne seront absolument pas valorisés. En termes d'économie de la ressource, il ne s’agit pas d’une opération très pertinente.
En tout cas, ce n'est pas ainsi que pratiquent les autres pays européens. En 2016, EDF a acquis les activités de traitement de déchets du groupe suédois STUDSVIK. Ainsi, nous disposons, en plus de notre filiale SOCODEI à Marcoule, de nouvelles installations de traitement de déchets métalliques, en Suède et en Angleterre, ce qui nous permet d’avoir une connaissance assez précise des pratiques à l’étranger. Dans ces pays, la capacité à traiter des métaux radioactifs, y compris de grands composants, par la fusion permet, ensuite, de recycler les lingots, conformément aux directives européennes, sans que cela pose de difficulté majeure.
Concrètement, je pense que la question est ouverte, en particulier pour les générateurs de vapeur et les composants issus du démantèlement de l'usine Georges-Besse I. L'article 24 du PNGMDR demande la réalisation d’études et la préparation d'un dossier dérogatoire au principe de non libération aujourd'hui retenu dans la loi. C'est une démarche pragmatique, qu'il faudra suivre comme telle, de façon à pouvoir évaluer, sur un projet particulier, tous les impacts. J'espère que la conclusion sera la possibilité de procéder de façon au moins aussi intelligente que les autres pays européens.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Vous avancez une comparaison avec les autres pays européens. La décision de mettre en place un cadre juridique plus stricte en France relevait-elle de la loi ou de la réglementation ? EDF est-il réellement pénalisé par cette décision ?
M. Sylvain Granger. C'est l'interprétation française du droit européen, puisque qu'il existe une réglementation européenne extrêmement précise, fixant les conditions de mise en œuvre des seuils de libération et les secteurs dans lesquels le recyclage est permis. Le choix a été fait, voici dix ou quinze ans, probablement en 2003, au moment de l'ouverture du centre de stockage des déchets TFA, d'avoir une traduction de la directive européenne plus stricte en France, ce qui est tout à fait licite. Elle relève de la réglementation. Cette réglementation a eu des avantages indéniables.
M. Christian Bataille. Se caler sur la réglementation européenne équivaudrait, pour vous, à un assouplissement ?
M. Sylvain Granger. Cela équivaudrait, effectivement, à un assouplissement. Si on regarde la question du démantèlement de façon globale, il faut être conscient qu’EDF et AREVA sont des acteurs majeurs, ayant vocation à emporter des marchés européens. Dans les dix prochaines années, énormément d'installations vont s'arrêter en Europe, d'où un fort développement de ce marché. Si nous n'avons pas la capacité de faire jeu égal avec d'autres acteurs, cela pourrait nous pénaliser sur ce plan. Nous serons dépassés par les Allemands ou les Anglais.
Au-delà du fait que, sur nos propres chantiers, la réglementation actuelle ne permet pas une bonne économie de la ressource, son application va conduire à saturer beaucoup plus rapidement notre centre de stockage, qui est une ressource rare. Sur le plan économique, ce n'est sans doute pas une solution optimale à long terme, même si à court terme elle a le mérite d'être pratique et simple. Je pense qu'après dix ou quinze ans, il est utile de revisiter ce principe, pour éviter une saturation trop rapide de notre centre de stockage. Au niveau national et, a minima, au niveau européen, un changement pourrait nous permettre de faire jeu égal avec nos concurrents.
M. Christian Bataille. Comment vos différents interlocuteurs réagissent-ils à cette question des seuils de libération ?
M. Sylvain Granger. Comme l'a montré l'audition de M. Jacques Repussard par l’OPECST, l'IRSN y est favorable, et semble devoir rester sur cette ligne. L'ASN est plus réservée sur la question, puisqu'elle avait pesé en faveur de cette traduction plus stricte du droit européen. L’autorité garde une démarche extrêmement prudente, consistant à conserver le mode actuel de séparation entre les différents types de déchets, sans tolérer aucun recyclage en dehors de la filière nucléaire, même pour les déchets les plus faiblement radioactifs.
M. Christian Bataille. De quels types de métaux s'agit-il et représentent-ils réellement une valeur ?
M. Sylvain Granger. Il s’agit d’aciers spéciaux pouvant être réutilisés dans l'industrie. J'en ai discuté avec des industriels. Des fondeurs pourraient être intéressés par la récupération de ces lingots. D’ores et déjà, de par les règles du marché européen, les industriels reçoivent des lingots provenant d'autres pays européens, susceptibles d’être issus du recyclage de déchets très faiblement radioactifs.
M. Christian Bataille. Nous refusons de recycler les aciers, mais nous achetons des aciers recyclés à l'Allemagne, à la Suède, voire au Japon.
M. Sylvain Granger. C'est exactement cela. À moins de fermer les frontières, notre système ne garantit absolument pas qu'un industriel ne va pas utiliser des lingots recyclés. De fait, ils le font, même si c'est anecdotique.
M. Christian Bataille. Nous reviendrons sans doute sur ces questions.
M. Denis Lépée, directeur de la division combustible nucléaire, EDF. Le sujet des combustibles usés, abordé dans plusieurs articles du PNGMDR, soulève trois questions principales : en premier lieu, celle du devenir des matières issues du retraitement, et de la possibilité de reprise d'une filière issue de l'uranium de retraitement ; en deuxième lieu, celle de l'entreposage des combustibles à l'uranium de retraitement usés et des MOX usés ; en troisième lieu, la frontière entre ressources et déchets, qui est définie, pour nous, par la perspective de la quatrième génération, permettant un recyclage multiple des matières nucléaires issues du retraitement.
La filière issue de l'uranium de retraitement a alimenté quatre réacteurs de 900 MW pendant une vingtaine d'année, avant d’être arrêtée en 2012. Aujourd'hui, l'uranium de retraitement représente un stock relativement important, de l'ordre de 18 500 tonnes qui s’accroît année après année. Celui-ci constitue une ressource, sous réserve de démontrer, sur les plans industriel et économique, la possibilité de reprendre une filière permettant son utilisation, ce qui est a priori envisageable. Ce sujet est à l'étude, dans un esprit de diversification, pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Les conclusions de cette étude devraient aboutir assez rapidement, et être présentées au conseil d'administration du groupe
M. Christian Bataille. Qu'est-ce qui est nécessaire, concrètement, pour pouvoir réutiliser ce stock d’uranium de retraitement ?
M. Denis Lépée. L’uranium de retraitement peut se substituer à l'uranium naturel. La filière industrielle correspondante a été arrêtée parce que jugée trop peu robuste, en regard des standards qui étaient les nôtres. Nous l'avons donc suspendue.
M. Christian Bataille. Économiquement, l'uranium extrait au Canada, pour prendre le plus riche, est-il plus intéressant que l'uranium de retraitement ? Le recyclage de ce dernier a-t-il été arrêté en raison de son coût ?
M. Denis Lépée. La base du combustible est l'uranium naturel. L'uranium issu du retraitement peut être ré-enrichi, et se substituer ainsi à l'uranium naturel. C'est l’équivalent d’une mine sur le sol français. Ce processus a été arrêté uniquement parce que la filière industrielle n’est pas suffisamment robuste. Nous travaillons à l'étude des conditions de réouverture de cette filière.
M. Christian Bataille. M. Jean Jouzel disait récemment qu'il faut renoncer à exploiter toutes les ressources du sous-sol. Par conséquent, au-delà du calcul économique, on peut aussi voir d'autres avantages à privilégier l'uranium de retraitement sur celui extrait du sous-sol.
M. Denis Lépée. Le recyclage de l’uranium permet en effet d’éviter d’extraire l’équivalent d’uranium naturel. Il renforce notre indépendance énergétique nationale, puisque nous disposons de très peu de mines. Il participe également à la réduction des déchets radioactifs.
M. Christian Bataille. De la même façon, vous disposez, avec le MOX, d'une filière permettant de réutiliser le plutonium.
M. Denis Lépée. Absolument, après l’étape du retraitement, il existe, d'une part, la filière « MOX », permettant de réutiliser le plutonium en y ajoutant de l'uranium appauvri, et, d'autre part, la filière « uranium de retraitement ».
Une deuxième question concerne l'entreposage des combustibles usés, MOX ou à base d’uranium de retraitement, dans la perspective d’un nouveau retraitement, à fins de réutilisation dans les réacteurs de quatrième génération.
M. Christian Bataille. En vous écoutant, je touche mieux du doigt un aspect un peu incohérent de notre filière, puisqu’on procède au retraitement sans réutiliser tous ses produits. On préfère utiliser l'uranium naturel, extrait du sous-sol.
M. Denis Lépée. Dans tous les cas, compte tenu du volume d'uranium de retraitement, celui-ci ne peut constituer qu’un complément, car il ne permet pas de répondre à l'ensemble des besoins.
M. Christian Bataille. C'est un point important. Je pose ces questions parce que j'ai le sentiment que la filière nucléaire est menacée de toutes parts. Il faut donc expliquer qu'il reste des possibilités d'amélioration. Il y a trente ans, les promoteurs de la filière nucléaire ne travaillaient pas dans la même logique. Aujourd'hui, on cherche à éviter les gaspillages.
M. Denis Lépée. Effectivement, il s’agit de la logique du cycle fermé, qui est à la fois une logique de réduction de l’exploitation des ressources naturelles, d'indépendance nationale et de réduction des déchets. Comme évoqué précédemment pour les déchets TFA, s'ajoute maintenant une logique de valorisation plus grande des déchets, notamment pour les métaux, avec une filière créatrice de valeur.
M. Christian Bataille. Actuellement, vous en êtes empêché pour des raisons de calcul économique et de réglementation, sans doute trop rigide.
M. Denis Lépée. Pour l'uranium de retraitement, l'obstacle est réellement la structuration d'une filière industrielle. Mais la réflexion est en cours, et nous n'identifions pas de blocage.
M. Christian Bataille. Est-ce qu'on pourrait imaginer des réacteurs qui consommeraient directement cet uranium de retraitement ? Quel est le rôle dévolu à la quatrième génération sur ce plan ?
M. Denis Lépée. Le retraitement permet de récupérer du plutonium et de l'uranium, matières qui sont ensuite recyclées pour fabriquer des combustibles utilisés dans les réacteurs actuels. À l'étape suivante, on a la possibilité de valoriser ces deux types de combustibles usés dans des réacteurs de quatrième génération. C'est la logique de multi-recyclage, filière que nous préparons également aujourd'hui.
M. Christian Bataille. Elle devrait donc conduire à défendre le développement des réacteurs de quatrième génération. Si on se contente d'analyser le PNGMDR, sans proposer de débouchés à long terme que vous mentionnez, on tourne un peu en rond. La cohérence du cycle conduit au développement de la quatrième génération.
M. Denis Lépée. Pour autant, il est logique, par prudence, d'évaluer les hypothèses alternatives, évoquées par le PNGMDR. Mais l'horizon dans lequel il convient de se situer est bien celui de la quatrième génération.
M. Christian Bataille. Il serait utile que l'OPECST se penche à nouveau sur cette question, après les élections. Les difficultés rencontrées avec l'EPR empêchent une réflexion sur la génération suivante de réacteurs qui est un échelon important. Cette réflexion va presque au-delà des limites de notre propre vie. On se retrouve, assez rapidement, en 2040-2050, alors que la réflexion, plus générale, sur les déchets radioactifs nous mène à la fin du siècle.
Quel type de combustible sera utilisé dans les futurs réacteurs EPR britanniques ?
M. Denis Lépée. Ce ne sera pas du MOX, du moins initialement.
M. Christian Bataille. Pourquoi le président d'EDF centre-t-il sa réflexion sur l’EPR, sans jamais mentionner les réacteurs de quatrième génération ?
M. Bertrand Le Thiec. Ce sont des horizons de temps différents, la quatrième génération n’étant pas à un stade industriel.
M. Christian Bataille. Est-ce uniquement pour cette raison ? EDF n'a donc pas évacué de son horizon la quatrième génération ?
M. Denis Lépée. Pas du tout, la quatrième génération est bien mentionnée dans les présentations sur le très long terme.
M. Christian Bataille. Je pose ces questions parce que le CEA a besoin d'être conforté dans ses recherches sur la quatrième génération.
M. Sylvain Granger. Le cycle du combustible s'inscrit dans le temps long. Pour appréhender des questions telles que la distinction entre matières et déchets, il faut se projeter sur des systèmes en cours de recherche aujourd'hui, qui ne sont pas à maturité industrielle.
M. Christian Bataille. J'ai beaucoup travaillé sur le problème du stockage des déchets de haute activité. CIGEO a été initialement conçu pour accueillir des déchets de haute activité retraités.
À présent j'entends qu'est évoquée, par les uns ou les autres, la possibilité d'accueillir, dans l’installation CIGEO, des combustibles usés non retraités. Pour moi, il s’agit d’un parjure. Lorsque j'ai été missionné, par le gouvernement de M. Édouard Balladur, pour négocier l’installation de laboratoires géologiques profonds sur différents sites, j'ai juré qu'il s'agissait d'accueillir des déchets en quantité limitée.
La possibilité d’un abandon du retraitement est à présent dans les têtes, alors qu’une telle décision aurait de très lourdes conséquences sur le plan de l’entreposage et du stockage des combustibles.
Ainsi, j’ai eu l’occasion de visiter le site de stockage des combustibles de Yucca Mountain, aux États-Unis. Si le gouverneur de l’État du Nevada ne s'était pas opposé à cette ouverture, cette installation n'aurait, de toute façon, pas suffi pour accueillir l'ensemble des combustibles usés américains.
M. Denis Lépée. À tout le moins, on peut remarquer que si certains pays ont fait le choix du stockage direct, celui de la France est différent. Ne pas aller au bout des possibilités et explorer les voies permettant d'utiliser les matières récupérées en tant que ressources serait une erreur.
M. Christian Bataille. Pourtant, EDF contribue à diffuser cette inquiétude, puisque l'EPR de Flamanville ne consomme pas de combustible MOX.
M. Denis Lépée. Il n'en consomme pas initialement, mais pourrait en consommer par la suite.
M. Sylvain Granger. Le design de l'EPR le permet, avec une proportion de MOX importante. Mais il faudra le tester.
M. Christian Bataille. Quand l'EPR de Flamanville démarrera, ce sera donc bien avec un combustible classique, à base d'uranium.
M. Denis Lépée. C'est certain, au moins les premières années. Un démarrage ne pourrait s’envisager qu’avec un combustible à l'uranium naturel. Cela n'exclue par la possibilité de passer au combustible MOX par la suite.
M. Christian Bataille. C'est pour cette raison que je posais la même question pour Hinkley Point. Cette possibilité d'utiliser, par la suite, des combustibles MOX, est-elle d’ores et déjà validée par les autorités de sûreté des deux pays, au même titre que pour les réacteurs français de 900 MW ?
M. Sylvain Granger. C'est un processus progressif. Pour les réacteurs de 900 MW, le décret d'autorisation prévoyait la possibilité d'utiliser des combustibles MOX. Néanmoins, il s’est avéré nécessaire, par la suite, de déposer des dossiers et de procéder à des modifications sur les réacteurs, le MOX étant un combustible plus complexe. Des dispositifs de contrôle de la réactivité du cœur, complémentaires à ceux existant initialement, ont notamment été ajoutés.
M. Denis Lépée. Vingt-deux réacteurs du parc français sont aujourd'hui « moxés ». Ils seront vingt-quatre, en 2018 et 2019.
M. Bertrand Le Thiec. Leur nombre a augmenté progressivement.
M. Sylvain Granger. Il faut considérer le temps qui a été nécessaire pour les réacteurs de 900 MW.
M. Denis Lépée. En effet, l'ASN exige, pour chacun des réacteurs, un dossier distinct.
M. Christian Bataille. Ma préoccupation est de savoir si l'EPR, qui est une évolution des réacteurs à eau pressurisés actuels, va lui aussi consommer du MOX. L'arrêt de la consommation des combustibles MOX aurait un impact sur les déchets, d'où les suggestions entendues pour CIGEO. Personne ne semble réagir, y compris localement. Personnellement, je considère que ce serait un parjure.
M. Sylvain Granger. En ce moment, l'ANDRA parle de stockage direct pour les verres. Dans les premières études, l'idée était de mettre les verres provenant de La Hague dans de grosses enveloppes en béton. Aujourd'hui, l’ANDRA considère que ce n'est pas utile. Mais il ne s’agit, en aucun cas, de stockage direct de combustibles.
M. Christian Bataille. Cette utilisation imprudente de la notion de stockage direct prouve que l'ANDRA a des progrès à faire en matière de communication. Des « zadistes » pourraient s'en saisir, pour dire que les engagements initiaux n'ont pas été respectés. Je vais regarder si l'on ne peut pas corriger cela. C'est important, car je lutte depuis des années contre le vocable « enfouissement », inapproprié s’agissant d’une installation de stockage géologique très technique. Il s’agit là de termes à connotation négative, dont l’usage inconsidéré n’est pas sans conséquences.
M. Denis Lépée. C'est effectivement un point d'attention. Autrefois, on parlait de stockage de colis primaires, ou de stockage sans surcolisage. C'est, bien entendu, un peu plus compliqué. Les techniciens préfèrent désigner ce procédé « stockage direct », ce qui ne correspond pas à la signification usuelle de ces mots.
Par ailleurs, pour compléter ce que nous disions auparavant, la durée est une notion très importante dans le domaine nucléaire ; c’est aussi vrai pour l’introduction de combustible MOX dans l'EPR. Il n’est pas nécessaire de tout mettre en œuvre en même temps.
M. Christian Bataille. L’échéance des hommes politiques est de cinq ans, celle de la filière nucléaire est sans doute de cinquante ans, soit l’équivalent de dix mandats.
M. Bertrand Le Thiec. L’EPR est conçu pour fonctionner au moins soixante ans.
M. Sylvain Granger. Je pense que la décision de l'ASN d’écarter les seuils de libération était initialement prudente et, sans doute, bénéfique. Elle a notamment permis d'engager les chantiers de démantèlement sans trop de difficultés, même si certains dossiers d'autorisation ont été refusés, et des enquêtes publiques remises en question. Au moins, sur la question de la gestion des déchets, le schéma était simple, à défaut d'être optimal.
Après dix ans, il faut se reposer la question, sinon cela conduira à une multiplication des centres de stockage de déchets TFA. À un moment donné, celle-ci induira un problème d'acceptabilité par le public. De plus, les stockages seront remplis de matériaux non réellement radioactifs. Aujourd'hui, j'entends des techniciens parler de déchets « administrativement radioactifs », dont tout le monde sait bien qu'ils ne le sont pas réellement, mais qui sont considérés comme tels. Dans un certain nombre de cas ces déchets constituent une proportion non négligeable.
À présent, il faut essayer de parvenir à des solutions plus optimisées, qui vont dans le sens du progrès. Il n'y a aucune raison que l’industrie nucléaire ne se conforme pas aux principes de l'économie circulaire, d'autant qu'elle a été précurseur, avec le retraitement des combustibles usés. Je pense que c’est envisageable pour les déchets métalliques, car nous disposons d’outils technologiques plus efficaces. Il faut tenir compte du progrès Mais la question des seuils de libération doit être instruite progressivement, pour prendre en compte l'acceptabilité.
M. Bertrand Le Thiec. L'exemple allemand apparaît pertinent, d’autant qu’on ne peut pas accuser les Allemands de laxisme en matière d’exigence environnementale dans le domaine nucléaire.
M. Sylvain Granger. Les pays nordiques : Suède, Finlande et Norvège, sont encore plus exemplaires sur ce plan. Ils appliquent pourtant aussi les seuils de libération. À cet égard, je rappelle que l'entreprise STUDSVIK que nous avons achetée est suédoise.
8. Audition de M. Jacky Chorin, M. Denis Cattiaux, et M. Yann Perrotte, Fédérations FO Énergies-Mines et Industries chimiques, le 23 novembre 2016 à l’Assemblée nationale
M. Jacky Chorin, administrateur Force ouvrière au sein du conseil d’administration d’EDF. Sur les déchets de très faible activité, nous partageons plusieurs constats : d’abord, celui de la croissance des volumes de déchets, liée notamment aux démantèlements, avec par exemple cent cinquante mille tonnes d’acier uniquement pour le démantèlement de l’usine Georges Besse I, au Tricastin, ensuite, celui de la saturation des capacités de stockage du Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES), et, enfin, celui de l’existence d’un débat sur l’application d’une directive européenne qui prévoit des seuils de libération, ou, au contraire le maintien d’une réglementation française spécifique.
EDF a racheté l’activité de fonderie de l’entreprise suédoise STUDSVIK qui dispose d’une expertise dans le recyclage des métaux très faiblement radioactifs. L’éventualité de la mise en œuvre d’un tel recyclage en France conduit à poser plusieurs questions.
La première question concerne la possibilité d’appliquer, à des métaux très faiblement radioactifs, les principes d’une économie circulaire, alors que la doctrine française considère, par défaut, tout matériau provenant d’une zone nucléaire comme radioactif. Cette doctrine diffère de celle appliquée dans d’autres pays européens, tels que l’Allemagne ou la Suède, qui ne sont pourtant pas moins bien dotés en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
La deuxième question porte sur la possibilité d’appliquer la doctrine française a des démantèlements qui peuvent, en fonction des décisions prises, aller plus ou moins vite. Nous sommes d’ailleurs contre la fixation d’un seuil, à caractère idéologique, de 50 % pour l’électricité nucléaire. Même s’il faudra un jour arrêter les centrales pour des raisons de sûreté, le faire de façon anticipée revient à détruire de la valeur de l’entreprise EDF, encore à 85 % propriété de l’Etat.
Pour recycler en toute sûreté les déchets faiblement radioactifs, il faut prendre en compte les seuils de libération, sujet sur lequel l’ancien directeur général de l’IRSN, M. Jacques Repussard, invitait aussi à réfléchir, même si la doctrine actuelle apparaît, dans un certain contexte, parfaitement cohérente. Il a également évoqué le problème des déchets « administrativement radioactifs », issus des zones nucléaires.
Cette possibilité pose aussi la question de l’emploi, puisqu’il s’agirait de de créer une nouvelle activité, sous réserve de pouvoir réutiliser les métaux ferreux ainsi recyclés. Cela éviterait aussi des transports routiers et une saturation, à terme, du stockage.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Nous recevons bien votre message. Après plusieurs auditions, les avis semblent converger sur ce point, sauf peut-être du côté de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
M. Yann Perrotte, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats FO de l’énergie nucléaire, de la recherche et des industries connexes. Je suis salarié d’AREVA NC La Hague, et secrétaire général de l’Union nationale des syndicats FO de l’énergie nucléaire, qui regroupe principalement les syndicats du CEA, d’AREVA NC et de leurs filiales. En tant que secrétaire de l’Union départementale de la Manche, je suis vice-président de la Commission locale d’information (CLI) AREVA NC de La Hague. Il existe trois CLI dans la Manche : pour Flamanville, La Hague et le site de l’ANDRA.
S’agissant du retraitement des combustibles usés, je ne vous surprendrai pas en vous disant que, pour FO, il est toujours pertinent, puisque la filière MOX permet, d’une part, d’utiliser une partie du plutonium fabriqué dans nos réacteurs nucléaires, et, d’autre part, de produire, avec les combustibles MOX, à peu près 10 % de l’électricité nucléaire. Il s’agit d’une filière complète, avec un outil industriel parfaitement opérationnel, constitué des installations de La Hague et des ateliers MELOX, à Marcoule.
Aujourd’hui, vingt-quatre réacteurs nucléaires sur les vingt-huit possibles sont « moxés », c’est-à-dire consomment, en partie, ce type de combustibles. Il serait souhaitable, dans la mesure du possible et dès que possible, d’aller vers vingt-huit réacteurs « moxés », pour donner à l’usine de La Hague un peu plus de combustibles à retraiter. En effet, aujourd’hui EDF décharge, chaque année, 1 200 tonnes de combustible, dont un peu plus de 1 000 sont retraitées à La Hague. La capacité de traitement de l’usine de La Hague étant de 1 700 tonnes par an, on pourrait retraiter beaucoup plus.
Il faudrait aussi se pencher sur le cas du réacteur EPR qui, de par sa conception, peut être « moxé » à hauteur de 50 % des combustibles, et, moyennement quelques aménagements, même à 100 %. Ces mesures permettraient de diminuer le stock de plutonium, actuellement d’environ trente-cinq tonnes, à raison de trois tonnes par an.
La troisième voie à considérer est celle des réacteurs à neutrons rapides, comme le réacteur Superphénix, fermé prématurément. Dans ce domaine, le projet de réacteur à neutrons rapides ASTRID représente l’avenir. Pour que ce projet avance, il faut que le CEA reçoive les budgets nécessaires. Or, aujourd’hui, le CEA subit, comme beaucoup d’autres, l’austérité, avec des coupes régulières dans ses budgets, impactant forcément ses programmes.
Nos revendications concernent donc, d’une part, le maintien de l’ensemble de la filière de retraitement, voire l’accroissement de l’activité de retraitement et de fabrication des combustibles MOX, y compris en faisant appel à l’EPR, et, d’autre part, le redémarrage, aussi vite que possible, d’une filière de réacteurs à neutrons rapides, afin de disposer d’un débouché pour le plutonium.
M. Yann Perrotte. Tout cela s’inscrit dans la réorganisation actuelle de la filière, qui pose problème Depuis quelques mois, la restructuration de la filière, avec les coupes d’effectifs au sein d’AREVA, qui entraine des diminutions d’effectif à l’usine de La Hague – de l’ordre de cinq-cents suppressions de postes en deux ans – pose des problèmes d’organisation, de départ, de remplacement et, potentiellement, de sûreté. Nous avons tiré la sonnette d’alarme. Le comité d’hygiène et de sécurité de l’établissement AREVA NC a saisi la Commission locale d’information de La Hague, pour l’alerter sur les risques que fait courir la réorganisation sur le fonctionnement de l’établissement.
M. Christian Bataille. Confirmez-vous le message d’inquiétude de votre collègue ?
M. Yann Perrotte. Je le confirme sur la restructuration, mais reste confiant sur la solidité de la filière elle-même, qui est cohérente et dispose des installations nécessaires. Il serait suicidaire de la mettre à mal pour des raisons idéologiques, dans une période où le pays a, plus que jamais, besoin d’électricité à bas coût.
M. Jacky Chorin. Collectivement, nous pensons que la production nucléaire est une énergie d’avenir, qui contribue à la stratégie bas carbone de la France, et la place dans une situation bien plus intéressante que celle de l’Allemagne, pourtant souvent citée en exemple. Quand on considère les besoins énergétiques dans le monde, l’énergie nucléaire fait partie des réponses. Bien entendu, ce ne sera pas la seule, mais ce sera l’une des réponses.
M. Christian Bataille. En tout cas, ce sera une réponse dans les pays industriellement développés.
M. Yann Perrotte. Contrairement à ce qu’ont pu dire certains, qui ont affirmé que les investissements pour la rénovation du parc nucléaire bloqueraient le développement des énergies renouvelables, c’est le coût réduit de la production d’électricité nucléaire qui permettra de financer, à long terme, le développement de ces dernières.
M. Christian Bataille. Si les énergies renouvelables permettaient réellement de suppléer l’énergie nucléaire, les autorités gouvernementales et EDF ne seraient pas aussi inquiètes, aujourd’hui, de l’arrêt des centrales nucléaires. Compte tenu de leur intermittence, l’éolien et le solaire ne permettent pas de garantir la sécurité d’approvisionnement.
M. Jacky Chorin. De fait, pour pouvoir passer les pointes de consommation de l’hiver, EDF a décidé de rouvrir des tranches de centrales au fioul, dont elle venait voici un mois de décider la fermeture, par exemple à Porcheville.
M. Christian Bataille. Une centrale au gaz est installée non loin de ma circonscription, à Pont-sur-Sandre. Lorsque je suis allé la visiter, il y a quelques mois, le directeur m’a indiqué que l’installation n’était plus rentable, d’autant qu’existaient des perspectives d’introduction d’une taxe carbone. Il m’avait précisé qu’elle ne fonctionnait plus qu’une semaine sur sept ou huit. Aujourd’hui, cette centrale a enfin l’occasion de rétablir sa situation.
M. Christian Namy, sénateur, rapporteur. La situation est identique pour la centrale au gaz installée à Pont-à-Mousson.
M. Christian Bataille. Quelles sont les conséquences des difficultés rencontrées par AREVA sur l’activité de traitement des combustibles usés ? Celle-ci est-elle, à ce jour, bénéficiaire ? Existe-y-il des perspectives pour de nouveaux marchés
M. Yann Perrotte. Les difficultés sont celles évoquées précédemment, dans le cadre de la restructuration d’AREVA. Au mois de mars prochain, la nouvelle COGEMA sera créée. Les difficultés identifiées par les syndicats sont celles liées à la gestion des 1 700 départs, en deux ans, dont 500 à La Hague.
Au jour d’aujourd’hui, l’usine de La Hague ne retraite pratiquement que des combustibles d’origine EDF. La société EDF étant le principal client, presque l’unique client, elle fixe les prix, et le programme de retraitement. Dans la restructuration, une partie des difficultés concerne la pression exercée par EDF sur ses coûts, pression répercutée sur ses fournisseurs.
M. Christian Namy. À l’heure actuelle, s’agissant de La Hague, des travaux sont-ils nécessaires ?
M. Yann Perrotte. La Hague comprend deux usines, de 800 tonnes chacune. Des travaux doivent être menés sur les évaporateurs de produits de fission, qui sont usés et devront donc être rénovés. L’investissement est raisonnable, en regard de l’activité de l’usine.
L’outil industriel est parfaitement opérationnel jusqu’à environ 1 700 tonnes par an, cette quantité montant plus ou moins suivant les taux de combustion. Actuellement, nous en sommes à moins de 1 100 tonnes par an, or l’usine pourrait facilement traiter 200 tonnes de plus. 9 700 tonnes de combustibles sont tout de même entreposés en piscine, en attente d’être retraités. Tous les ans, s’ajoutent de 200 à 300 tonnes de combustibles non traités.
M. Christian Namy. Comment se déroulent les échanges avec l’ASN, par exemple sur les difficultés rencontrées avec la cuve de l’EPR ?
M. Yann Perrotte. Je connais très bien la division de Caen de l’ASN, au travers de la Commission locale d’information (CLI), et, régulièrement, de mon activité syndicale, l’inspection du travail sur les chantiers étant assurée par l’ASN. L’ASN est très mobilisée sur le chantier de l’EPR mais mène quand même un programme d’inspection soutenu.
S’agissant du cas de la cuve de l’EPR, en rachetant la forge du Creusot, AREVA a aussi hérité du passif. Peut-être y-a-t-il aussi eu trop de volontarisme à l’époque, sous la direction de Mme Anne Lauvergeon. Mais les mêmes difficultés ont été rencontrées par un sous-traitant japonais.
M. Yann Perrotte. A contrario, d’après les audits lancés par AREVA, à Jeumont et à Saint-Marcel, tout semble s’être déroulé normalement.
M. Christian Namy. S’agissant du projet ASTRID, souhaitez-vous ajouter des considérations ?
M. Yann Perrotte. Comme je l’ai indiqué, il faut que le programme puisse avancer à un rythme adéquat, alors qu’aujourd’hui le CEA se trouve confronté à une baisse des budgets.
M. Christian Ngo, conseiller scientifique de l’étude. À défaut, les réacteurs de quatrième génération seront achetés aux chinois, qui eux disposent des moyens nécessaires.
M. Yann Perrotte. À ce sujet, il existe une perspective de vente de la technologie de traitement des combustibles usés aux Chinois. Le vice-ministre de l’économie chinois a d’ailleurs visité l’usine de La Hague, voici une ou deux semaines.
M. Christian Bataille. Est-ce que les conditions de votre participation au sein des CLI, du groupes de travail du PNGMDR ou du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) sont adaptées et satisfaisantes ? En particulier, des décharges de service spécifiques sont-elles prévues à cette fin ?
M. Yann Perrotte. Il n’existe pas, hélas, de décharge particulière pour la participation à ces instances, celle-ci s’effectuant sur le temps syndical. Par ailleurs, les Commissions locales d’information (CLI) sont confrontées à un manque de moyens. Le président de l’Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) réclame régulièrement un renforcement, via la taxe sur les installations nucléaires de base (INB). Quelques CLI disposent de moyens plus conséquents, dont les trois CLI de la Manche, qui ne sont pas parmi les moins bien dotées.
M. Denis Cattiaux. Je suis récemment intervenu sur ce sujet au sein du HCTISN. Sauf exception, les CLI ne disposent pas des moyens leur permettant de jouer leur rôle de diffusion et de vulgarisation de l’information auprès de la population, qui représente une tâche complexe. De fait, les questions relatives à la filière nucléaire demeurent très largement affaires de spécialistes. C’est regrettable, car les CLI sont les mieux à même de rassurer la population, dans la mesure où elles sont plus crédibles que les exploitants, ceux-ci étant parties prenantes.
M. Christian Bataille. Nous essayerons d’évoquer ces difficultés dans le cadre de notre rapport.
9. Audition de M. Jean-Michel Romary, M. Jean-Michel Grygiel et Mme Morgane Augé, AREVA, le 23 novembre 2016 à l’Assemblée nationale
Ce compte rendu n’a pas été publié à la demande d’AREVA.
ANNEXE N° 2 :
COMPTE RENDU DE L’AUDITION DE L’IRSN DU 17 FÉVRIER 2016
Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, dans le cadre de l’examen du rapport de l’IRSN sur « Les déchets de très faible activité, la doctrine doit-elle évoluer ? Réflexions de l’IRSN sur une gestion pérenne, équitable et responsable »
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. Notre ordre du jour comporte trois points, dont le principal consiste en l’audition de M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour la présentation d’un rapport sur les déchets radioactifs à très faible activité (TFA). Nous aborderons ensuite deux autres points relatifs, d’une part, à la restitution des auditions publiques sur les mesures des performances des moteurs, après l’affaire des émissions des moteurs diesels intervenue en novembre 2015, et, d’autre part, aux problèmes législatifs soulevés par le développement des robots.
Nos collègues sénateurs nous rejoindront au cours de l’audition. En effet, le nouveau règlement du Sénat comportant des contraintes renforcées de présence, rend plus difficile leur participation à nos travaux. Même si l’OPECST est un organe commun aux deux chambres du Parlement, le Conseil constitutionnel a rappelé que chacune pouvait organiser ses réunions de façon indépendante puisque le règlement du Sénat ne pouvait s’imposer aux députés. Cette question, d’autant plus complexe que, au Sénat, les réunions du jeudi matin donnent lieu à une compétition entre les autres délégations et l’Office parlementaire, a été discutée avec le Président du Sénat, M. Gérard Larcher. Aussi, je remercie le sénateur Christian Namy de représenter le Premier vice-président de l’Office parlementaire, le sénateur Bruno Sido, excusé. Bien que ce dernier ait immédiatement précisé ne pouvoir être présent, nous avons été contraints de choisir cette date, en raison de la proximité du départ de M. Jacques Repussard. M. Denis Baupin, député, s’est également excusé de ne pouvoir être présent dès le début de cette réunion.
Avant de donner la parole à M. Jacques Repussard, je tiens à le remercier personnellement d’être venu ce soir, car il s’agit d’une de ses dernières participations à une manifestation publique, en tant que directeur général de l’IRSN. En effet, d’ici quelques jours, il prendra une retraite bien méritée. L’Office parlementaire n’a eu qu’à se féliciter de sa collaboration. Depuis le début de sa prise de fonction en 2003, il a toujours répondu positivement à nos sollicitations relatives à nos investigations dans les domaines de compétence de l’IRSN, nous faisant bénéficier à chaque fois de la qualité incontestable des services techniques de son institut.
Ces sollicitations ont été nombreuses, car l’Office parlementaire, depuis son origine, est tout particulièrement investi par le Parlement du suivi des questions nucléaires. Les deux derniers sujets sur lesquels nous avons consulté l’IRSN, en formation d’audition publique ouverte à la presse, celui du survol des centrales nucléaires par des drones, à l’automne 2014, et du défaut localisé d’homogénéité de la cuve de l’EPR de Flamanville, à l’été 2015, étaient particulièrement délicats. Je n’évoquerai pas la période qui a suivi l’accident de Fukushima, durant laquelle nos collègues, le député Christian Bataille et le sénateur Bruno Sido, ont mobilisé en permanence l’IRSN, tout comme l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
En tant que directeur général de l’IRSN, M. Jacques Repussard a eu le mérite d’établir une fonction nouvelle, puisqu’il a été nommé à la suite de la création de l’IRSN, par la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001, à travers la fusion de l’Office de protection contre les rayonnements ionisants et de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire. J’avais appelé de mes vœux cette modification législative dans un rapport au Premier ministre intitulé : « La longue marche vers l’indépendance et la transparence ».
Le directeur général a su asseoir cet organisme scientifique, en tant que bras technique indépendant de l’ASN, en le mettant en position de fournir librement des prestations techniques pour tout autre commanditaire, français ou étranger. La parfaite autonomie et l’expertise reconnue de l’IRSN constituent des composantes essentielles de la sûreté et de la sécurité nucléaire en France, pour la production d’énergie comme pour la radiologie et la radiothérapie. C’est donc avec un très grand intérêt que nous prendrons connaissance de ce nouveau rapport de l’IRSN, consacré à une question d’importance croissante pour la gestion des déchets radioactifs : celle du sort des déchets dits de très faible activité, ou TFA.
Comme vous le savez, l’Office parlementaire s’est constamment préoccupé de ce sujet, depuis un premier rapport publié, en 1990, par le député Christian Bataille, rapport qui a donné lieu, un an plus tard, à une première loi sur la gestion des déchets radioactifs qui porte son nom. J’ai moi-même publié, en 1992, le deuxième rapport de l’Office consacré à la gestion de ces déchets, plus précisément à celle des déchets très faiblement radioactifs qui nous préoccupent aujourd’hui. Ces deux rapports ont donc près de vingt-cinq ans et font date parmi les rapports de l’Office.
À l’époque, une réglementation française peu claire, imprécise, et parfois même incohérente, avait conduit à de multiples « affaires » de décharges de déchets qui avaient légitimement ému la population. Je me souviens que, à Saint-Aubin, j’avais rencontré Mme Monique Sené, ici présente. Mes principales recommandations portaient sur la clarification de la législation, la réhabilitation des anciens sites de stockage, une meilleure information de la population, le contrôle des sources radioactives utilisées dans l’industrie ou la médecine et l’étude des effets des faibles doses sur la santé humaine. Aussi bien les rapports de l’ASN que de l’IRSN ont largement traité de ces questions dans les années qui ont suivi.
Avant de laisser la parole à M. Jacques Repussard, je salue également les représentants des organismes de la filière qui ont eu l’amabilité de répondre à notre invitation : le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), la Commission nationale d’évaluation des recherches et études sur la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE), l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), AREVA et EDF. Je donne la parole à M. Jacques Repussard et, ensuite, à nos collègues parlementaires ici présents puis aux autres personnes présentent dans la salle.
M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN. Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour les propos élogieux que vous venez de tenir à l’égard de l’institut que je dirige et de moi-même. Il est vrai que nous avons travaillé d’arrache-pied, depuis treize ans, pour constituer un outil national fondé sur la science, qui soit capable de répondre aux nombreuses questions posées par l’Autorité de sûreté nucléaire et les autres administrations concernées par les risques nucléaires et radiologiques.
L’IRSN est aussi un outil scientifique. Son statut d’établissement public autonome, placé sous la tutelle de cinq ministres, lui permet, à sa propre initiative sur un mode d’auto-saisine, à partir de ses propres études ou travaux de recherche, de formuler des suggestions, des pistes de réflexion et d’amélioration dans la gestion de ces risques. Ses suggestions sont fondées sur une approche scientifique d’évaluation de ces derniers, ce qui constitue sa marque de fabrique. Depuis environ un an, dans le cadre de cette mission, nous avons engagé, au sein de l’IRSN, avec nos experts dirigés par M. François Besnus, directeur des déchets et de la géosphère ici présent, une réflexion collective sur les évolutions possibles de la gestion des déchets de très faible activité.
Dans l’actualité, les déchets de haute activité à vie longue et le projet CIGEO, bien connus de M. Christian Bataille, sont souvent évoqués. C’est un dossier important et complexe. Mais, à l’autre extrémité de la chaîne des déchets radioactifs, se trouvent des matières très faiblement radioactives, d’une activité inférieure à cent becquerels par gramme, correspondant à la limite définie pour ceux-ci.
Ces déchets sont produits, d’une part, à l’occasion du fonctionnement normal des installations nucléaires et, d’autre part, en quantités très importantes, lors du démantèlement de ces installations. La perspective de l’accroissement de la part des déchets de démantèlement, par rapport à celle des déchets issus de la gestion ordinaire et quotidienne des installations nucléaires, nous a conduits à nous interroger sur la pérennité des solutions en place, en prenant en compte leurs avantages et leurs inconvénients. Nous avons essayé de réfléchir dans un horizon d’accroissement des programmes de démantèlement, induisant des problèmes techniques de gestion des risques associés à l’évolution de la volumétrie de ces déchets. Cette réflexion a donné lieu à l’élaboration du rapport publié aujourd’hui, dont nous avons souhaité réserver la primeur à l’Office parlementaire, mais qui a été transmis hier à l’ASN et sera mis en ligne sur Internet ce soir.
Cette réflexion nous a d’abord amenés à considérer les tenants et aboutissants du problème, c’est-à-dire les avantages et les inconvénients, les forces et les faiblesses, de la doctrine actuelle. Comme vous l’avez rappelé, celle-ci a le mérite de reposer sur des textes clairs, des dispositifs de contrôle maîtrisés par l’ASN, avec l’appui de l’IRSN, et une pratique industrielle établie au cours du temps. Elle a permis de mettre fin aux incidents évoqués précédemment. Aujourd’hui, les problématiques de déchets radioactifs « sauvages » sont rarement évoquées si ce n’est, parfois, pour des sources provenant de l’étranger. Nous devons au dispositif actuel d’avoir globalement éliminé ces problèmes du paysage médiatique français.
La première grande force de ce dispositif découle d'une réglementation qui impose aux exploitants nucléaires un zonage des déchets radioactifs, permettant de bien connaître les lieux dans lesquels ceux de type TFA peuvent être produits, globalement leur caractérisation, c’est-à-dire le genre de radionucléides et le type de procédé qui a conduit à leur production. Ce cadre réglementaire extrêmement efficace permet de connaître ces caractéristiques en amont de la production des déchets.
En aval, ces déchets faisant l’objet dans la doctrine française actuelle d’une gestion spécifique, ils sont extraits des installations nucléaires où ils sont produits pour être déplacés vers le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES). Ce centre spécialisé, géré par l’ANDRA, permet de stocker sur place, de manière efficace, l’ensemble de ces déchets, indépendamment de leur degré de contamination. À côté de déchets TFA réellement radioactifs, dont il faut vraiment s’occuper, se trouvent des déchets dont la radioactivité n’est pas avérée. Ces derniers ayant été produits dans certains zonages, ils sont néanmoins transportés au CIRES pour y être stockés.
Cela m’amène à évoquer les trois inconvénients de la gestion actuelle. D’abord, le CIRES étant une installation unique en France, elle concentre l’ensemble des déchets TFA. Même si leur radioactivité est très faible, elle se trouve concentrée en ce lieu unique. Par ailleurs, ce lieu n’est pas un espace infini. Nous estimons que, dans les quatre à six années à venir, il sera saturé, alors même que plusieurs millions de mètres cubes de déchets seront produits dans les dix à vingt prochaines années. Ce centre ne pourra donc pas physiquement abriter la totalité des déchets qui seront inéluctablement produits dans notre pays au cours de cette période. Cet exutoire unique sera saturé à court terme.
Une autre faiblesse de notre approche nationale concerne le modèle économique sur lequel s’appuie le CIRES. L’ANDRA doit assumer les coûts de gestion de cette installation. L’approche réglementaire conduit à des coûts relativement faibles et attractifs pour l’industrie nucléaire, en regard de son style de vie. De ce fait, il s’avère souvent plus économique pour les exploitants nucléaires d'envoyer dans le CIRES des déchets non radioactifs, plutôt que de les trier de façon très approfondie, pour séparer les déchets un petit peu radioactif de ceux qui ne le sont pas du tout. L’approche réglementaire ne s’y oppose pas. Finalement, le coût raisonnable du stockage se retourne contre celui-ci, puisque jusqu’à 30 % à 50 % de certains lots de déchets stockés au CIRES ne sont pas du tout radioactifs. Bien que ces coûts soient raisonnables, ils ne sont pas proportionnés au véritable risque radiologique. C’est un inconvénient de fond qui doit être pris en compte sur la durée.
Par ailleurs, ces coûts ne sont pas négligeables. S’ils sont faibles du point de vue de l’industrie nucléaire, ils sont très élevés pour un particulier ou une petite entreprise qui hérite d’un site contaminé contenant des produits radioactifs.
Enfin, un dernier inconvénient résulte de la façon spécifique dont le risque nucléaire et radiologique est géré dans notre pays, indépendamment des autres risques. De ce fait, les transferts de risques ne peuvent être facilement pris en compte. Le transport de milliers de tonnes de déchets par la route, d’un point A à un point B, induit évidemment des risques d’accident et de pollution. Ces autres risques pour la société ne sont pas pris en considération. En prenant un cas extrême, si le risque radiologique est nul, en l’absence de becquerels, le risque conventionnel est, lui, bien réel. Aujourd’hui, cette problématique n’est pas abordée.
Ce constat nous a amené à considérer que le statu quo ne tiendrait, de toute façon, pas très longtemps. Aussi, avons-nous essayé de réfléchir à la façon d’aborder la problématique de l’évolution de la doctrine qui nous apparaît indispensable à terme, mais sans urgence absolue. Nos réflexions nous ont conduits à constater qu’il ne s’agit pas d’abord d’une question technique mais de gouvernance des risques au sein de notre société : risques nucléaires, radiologiques et conventionnels. Pour avancer, il s’avère indispensable de travailler sur cette gouvernance des risques, en impliquant toutes les parties prenantes, avant d’aborder les aspects techniques de la question des déchets TFA. Cette réflexion sur la gouvernance devrait, de notre point de vue, être menée suivant trois axes intégrant non seulement le risque radiologique mais également le problème incontournable de la gestion des déchets radioactifs dans notre société.
Ces trois axes sont les suivants: pérennité, équité radiologique et responsabilité. La pérennité fait référence à la prochaine saturation du CIRES. L’industrie nucléaire n’étant plus aussi riche qu’autrefois, la gestion des coûts deviendra, dans les décennies à venir, un sujet plus important qu’il n’a pu l’être dans le passé. En conséquence, le choix d’un modèle économique et physique des flux de matières a besoin d’être appréhendé dans une perspective durable et globale, au sein de l’économie française. Globale, parce que certaines matières sont potentiellement réemployables, suivant la politique de durabilité de l’économie, de réutilisation de certaines matières premières ou de rareté. Cette problématique de durabilité doit être abordée dans son ensemble.
L’équité radiologique signifie que, en déplaçant les déchets radioactifs d’un point A, correspondant à une installation nucléaire, vers un point B, le CIRES de l’ANDRA, le problème du risque radiologique n’est pas réglé, mais déplacé. Si on réfléchit au-delà d’une génération – M. Christian Bataille connaît bien cette problématique – dans quelques générations, l’existence du CIRES aura été oubliée, l’ANDRA et l’ASN n’existeront plus ou auront été remplacées, mais la radioactivité sera toujours là, concentrée sur ce site. Est-il vraiment sage, dans une perspective de long terme, de concentrer les déchets à faible radioactivité sur une portion unique de notre territoire ?
Il faut prendre en compte non seulement la radioactivité de ces matières exprimée en becquerels par gramme mais aussi la dose induite pour la population. Cette dose n’est pas différente suivant que ces matières sont situées dans une installation nucléaire, dans une ancienne installation nucléaire déclassée, dans un centre de déchets ordinaire – on a évoqué les accidents du passé – ou dans un site ad hoc. Dans tous les cas, il existera toujours des populations à proximité et des acteurs économiques désireux de récupérer, un jour ou l'autre, des matières valorisables dont ils ignorent la radioactivité. Cette question de dosimétrie pour la population doit, elle aussi, être appréhendée de façon globale, dans le cadre d’une réflexion avec les acteurs de la société.
De la même manière, comme mentionné précédemment, si le service de gestion des déchets TFA est trop compliqué et coûteux, un certain nombre d’acteurs n’y auront pas recours. Les déchets radioactifs seront alors conservés sur les sites contaminés parce que les différents modes de gestion ne seront pas accessibles. Il s’agit donc également d’une iniquité, puisque certains producteurs de déchets disposent d’une filière et d’autres pas. Cette question d’équité doit être abordée, encore une fois, non sous l’angle technique, mais en considérant les problèmes globaux.
Enfin, la question de la responsabilité est majeure. Qui dit risque dit responsabilité de transfert des risques à autrui. En définissant des modes de gestion des déchets, il faut nécessairement mener une réflexion globale sur la façon d’assurer la répartition de la responsabilité ainsi que le contrôle de l’ensemble des risques, pas seulement du risque radiologique. Ce travail a déjà été réalisé.
Comme vous l’avez souligné, l’ASN a mis en place – et M. André-Claude Lacoste en a été un acteur central –, le système actuel. Mais celui-ci doit être revisité – probablement pas remis en cause dans son entièreté mais revisité –, au regard des conséquences en termes de responsabilité des deux autres approches. Comment consolider la pérennité et comment améliorer l’équité radiologique dans un système qui a, de toute façon, besoin d’être contrôlé ?
Cette réflexion sociétale – je reviendrai, en conclusion, sur la manière dont elle pourrait être conduite – peut déboucher sur un certain nombre d’orientations techniques en aval. Je fais un raccourci puisque nous avons également réfléchi aux conséquences techniques qu’un nouveau paysage politique pourrait induire dans notre pays.
Certaines orientations concernent la valorisation des matériaux, puisque ces déchets sont aussi, pour une part, des matériaux réemployables. Les opérations de démantèlement produisent notamment des bétons en grande quantité. Ces matériaux, quasiment exempts de radioactivité, pourraient être recyclés sur le site, d’autres sites nucléaires, voire non nucléaires, sous réserve, bien entendu, d’être à même de les trier. Une réflexion doit aussi être menée sur les déchets métalliques, puisqu’un certain nombre de métaux sont par nature réutilisables. Les démantèlements nucléaires produisent beaucoup de métaux décontaminables et largement réemployables. Certains ne le sont pas. Il faut évidemment être capable d’assurer un stockage ultime à ces derniers. Mais tous les autres pourraient, de notre point de vue, entrer dans des filières de fusion. C’est un sujet qui a déjà été abordé mais uniquement dans le cadre de la réglementation existante, ce qui interdit toute évolution significative.
Sous l’emprise de la première réflexion plus politique que j’évoquais tout à l’heure, on pourrait imaginer l’élargissement des procédés de fusion et le réemploi d’un certain nombre de produits recyclés dont la radioactivité serait complètement sans effet sur la population, compte tenu de l’extrême faiblesse de sa valeur. Cela pose la question de la viabilité d’une filière de valorisation des métaux, par fusion de métaux légèrement contaminés avec d’autres qui ne le sont pas. Encore faut-il que les lingots issus de ces fusions puissent être eux-mêmes mis sur un marché avec des débouchés crédibles.
Cela suppose de définir des exigences de traçabilité proportionnées au risque. En particulier, si le risque est quasi nul, il faut que la traçabilité impose uniquement le contrôle initial pour éviter une dérive mais que, ensuite le produit se trouve en quelque sorte libéré et ne soit plus soumis à une traçabilité infinie, ingérable dans le temps. Cela suppose aussi que les débouchés ne soient pas uniquement internes à l’industrie nucléaire, incapable de recycler elle-même la totalité de ces métaux. Ces dispositions sont effectives dans d’autres pays et envisageables en France, à condition d’avoir convenablement traité les prérequis évoqués précédemment. Cette question de la valorisation des matériaux irrite évidemment un certain nombre d’acteurs. Mais les seuils de libération existent dans le droit européen. La directive 2013/59/Euratom du conseil de l’Union européenne les prescrit. Ils ne sont pas utilisés en France, mais ils ont une existence juridique avérée dans le droit européen. Il faut apprendre à s’en servir correctement.
Une deuxième orientation porte sur la diversification des options de stockage, puisque j’ai critiqué l’idée de tout concentrer en un seul point. Bien entendu, le CIRES est un outil majeur pour la gestion des déchets radioactifs. Comme pour CIGEO, il ne faut pas gaspiller cette ressource rare. Un certain nombre de déchets TFA sont radioactifs et le resteront durablement. Ils présentent une toxicité et génèrent une dose potentielle. Ils doivent être stockés dans un lieu sûr. Le CIRES constitue une bonne réponse dans ce cas. Mais il ne faut pas gâcher sa capacité avec des déchets qui n’ont rien à y faire.
Si ces derniers ne peuvent être recyclés et que leur degré de radioactivité ou de toxicité est tel que l’usage du CIRES apparaît surdimensionné, le risque associé au transport en grandes quantités sera plus élevé que le risque radiologique. Aussi, serait-il envisageable de recourir de manière maîtrisée à des centres de stockage conventionnels qui stockent déjà des produits amiantés plus dangereux que certains produits radioactifs. On pourrait imaginer que les règles de stockage dans les centres surveillés par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) permettent d’accueillir des déchets faiblement radioactifs, évidement dans des conditions contrôlées. Cela réduirait les risques routiers de transport, les coûts et permettrait d’avoir une gestion équitable des risques radiologiques résiduels à l’échelle du territoire.
En résumé, ces orientations conduiraient à gérer ces déchets en utilisant des seuils de libération conventionnelle et des spécifications d’acceptation dans les centres de stockage, comme cela existe pour les polluants autres que radioactif. Les centres conventionnels disposent de règles de gestion permettant un contrôle des entrées pour assurer la conformité du stockage à sa mission. On pourrait leur ajouter une règle radiologique.
Encore en amont du dispositif, une troisième orientation envisageable concerne la limitation de la production des déchets. Aujourd’hui, la façon dont la doctrine est pratiquée fait que tout le monde considère normal d’enlever tout ce qui pourrait être contaminé, de façon à avoir la quasi-certitude de l’absence de becquerels dans un bâtiment déclassé. Cela conduit à créer ce que j’appelle des déchets « administrativement radioactifs », ne présentant aucune radioactivité mais issus de zones déchets. Il est plus simple de les traiter comme des déchets radioactifs plutôt que de contrôler s’ils sont vraiment radioactifs. Cette pratique génère de très grandes quantités de matières dites radioactives alors que, en fait, elles ne contiennent que peu de becquerels et donc des coûts et des risques, autres que radiologiques, très élevés.
Il serait, bien entendu, aussi possible de réduire la radioactivité en amont, sous réserve de suivre l’approche sociétale évoquée plus tôt. Mais cela suppose de parvenir à développer des méthodes de caractérisation radiologique des sites et des bâtiments qui soient opérationnelles, valables sur le plan scientifique, pas trop coûteuses, techniquement efficaces et contrôlables. Cela suppose également de définir des scénarios d’usage qui permettraient, comme pour les polluants conventionnels, d’assurer le contrôle de la destination d’un certain nombre de sites dépollués radiologiquement mais sur lesquels on ne pourrait, par exemple, construire une école maternelle. Cette doctrine, progressivement développée sous l’égide du ministère de l’écologie pour les polluants conventionnels, y compris problématiques comme les métaux lourds, est crédible. Elle a été vérifiée et acceptée par la société. Je pense qu’elle donne satisfaction. Il n’y a aucune raison pour qu’elle ne puisse pas être appliquée à des polluants radiologiques faibles. Enfin, cela passe aussi par la notion de niveau de dose permettant réellement de justifier ces scénarios, donc de déterminer en remontant vers les becquerels des seuils opérationnels de gestion afin de maîtriser l’avenir radiologique de ces sites.
Ce sont des pistes techniques. Mais, il me semble que ce serait une impasse de s’engager dans ces dernières avant d’avoir mené la réflexion politique. C’est probablement la raison pour laquelle les débats en cours au sein de groupes de travail comme celui du PNGMDR n’avancent guère. Tous les acteurs au sein de ces groupes se sentent bridés par la doctrine actuelle et leur vision de la position des différents acteurs au sein de la société. Si le dispositif réglementaire n’est pas intangible, il constitue néanmoins pour eux une donnée. Dans ce contexte, il est évidemment impossible d’avancer. Il faut donc engager un travail sociétal de fond, ce qui suppose une réflexion au sein du HCTISN et du groupe de travail du PNGMDR.
Des outils existants et validés, comme les conférences de citoyens, permettent de préciser les problématiques et d’évaluer la possibilité d’un consensus sur un certain nombre de sujets. Ces approches devraient éviter d’aborder les questions techniques, pour se pencher sur la problématique durable de la gestion des risques : équité, responsabilité et pérennité. Par la suite, ou en parallèle mais dans un deuxième temps, il faut engager un travail technique pour définir de nouveaux outils et des règles d’encadrement. Cela suppose des études de scénarios et de définition d’outils. L’IRSN est prêt à s’y engager s’il est sollicité. Dans ce rapport, nous avons conduit un travail exploratoire. Pour aller plus loin, il faut un consensus avec l’ASN et avec les ministères de tutelle, en particulier la DGPR. Mais nous pensons vraiment que ce travail technique est possible, à condition de desserrer un peu le cadre de pensée.
Pour que ces matières ne soient plus confinées dans un site de stockage spécifique ou une installation nucléaire de base tout en évitant de retomber dans les errements du passé, il faut également engager une réflexion technico-économique avec les filières industrielles. Mais celle-ci ne pourra, elle non plus, avoir lieu sans un travail politique préalable. En effet, les industriels, soucieux de leur bilan, cherchent à minimiser les conséquences des risques radiologiques. De ce fait, ils demanderont l’abaissement de tel seuil de libération, l’allégement de telle contrainte, etc. Ces demandes ne seraient évidemment pas audibles par la société. Aussi un travail politique permettant de définir une vision partagée et raisonnée des règles du jeu à venir, un cadre fixant des limites politiques, est-il indispensable. L’industrie nucléaire a un avenir dans notre pays, mais uniquement au sein de la société. Son encadrement politique passe aussi par celui des déchets qu’elle produit. Une fois un tel cadre défini, les industriels du nucléaire, mais aussi les autres (métallurgistes, constructeurs automobiles, entreprises de génie civil, etc.) pourront légitimement travailler.
Je termine en disant que cette perspective peut apparaître ambitieuse. Mais j’attire l’attention, notamment celle des parlementaires et des administrations, sur le fait que, si rien n’est engagé pour résorber ces difficultés, la gestion actuelle va buter à très court terme sur des difficultés majeures. Leur coût sera extrêmement élevé pour notre pays. Son industrie nucléaire n’en a pas besoin aujourd’hui.
M. Jean-Yves Le Déaut. Je vous remercie d’avoir réservé à l’Office parlementaire ces conclusions et ce rapport ainsi que d’avoir souligné qu'il s'agit de pistes de réflexion pour engager un débat sociétal. Vous avez même suggéré que le HCTISN s’en saisisse, ce qui semble être déjà le cas. Je vais ouvrir le débat en donnant la parole à deux vice-présidents de l’Office parlementaire : le sénateur Christian Namy et le député Christian Bataille, qui représentent l’OPECST au sein du conseil d'administration de l’ANDRA, puis aux autres parlementaires qui souhaiteraient intervenir.
M. Christian Namy, sénateur. Je prends connaissance de votre position sur le recyclage des métaux avec d’autant plus d'intérêt qu'un tel projet avait été lancé, voici deux ou trois ans, dans le département de la Meuse. Compte tenu de l'intérêt de celui-ci, une étude avait été engagée avec le concours de Tractebel et d'une société de fonderie de Vaucouleurs. Je suis d’autant plus heureux d’entendre vos conclusions que nous n’avions été suivis ni par Tractebel, malgré leur participation à l’étude, ni par les opérateurs, que ce soit EDF, Areva ou le CEA. Votre étude nous conduira probablement à reconsidérer ce projet, même si, comme vous le soulignez très justement, des freins significatifs existent, notamment au plan politique, qu'il faut vraiment desserrer très rapidement.
M. Jacques Repussard. Vous illustrez mon propos de façon très concrète. Effectivement, attacher à ces matières des critères de traçabilité sans limite de temps, leur retire tout intérêt économique. Pourtant, ceux-ci sont induits par le cadre réglementaire et le consensus actuels. Aussi, faut-il d’abord engager cette réflexion politique, en gardant à l'esprit des exemples comme le vôtre. Il n'y a pas de raison que des initiatives qui réussissent dans d’autres pays ne puissent aussi réussir dans le nôtre.
M. Christian Bataille, député, vice-président. Monsieur le président, après vous je veux saluer le travail réalisé depuis longtemps sur ce sujet par M. Jacques Repussard. En général, notre société écarte les avis des personnes qui ne sont plus en fonction. Je crois qu’il faudra cependant trouver une formule pour les prendre en compte, car ceux de personnalités comme M. Jacques Repussard, M. André-Claude Lacoste et d’autres, présentes dans cette salle, sont très utiles et le resteront sur ces sujets délicats et compliqués. Comme l’a dit M. Jacques Repussard, s’agissant des déchets à haute activités, il est presque assez facile d’élaborer une doctrine alors que, plus les déchets sont faiblement radioactifs plus le débat devient tout autant sociétal que technique.
J’ai bien entendu votre message : à la fin des fins, il revient aux autorités politiques de prendre position. Vous nous donnez un avis, un point de vue, et nous ne pouvons rester sur une forme de perplexité et refuser de statuer. Je relève que notre pays, qui a fortement développé l’industrie nucléaire, est incapable, contrairement à d'autres en Europe, d’arbitrer sur des sujets tels que les seuils de libération. Ce terme précis que vous avez employé concerne pourtant des déchets très faiblement radioactifs d’une grande banalité, qui relèvent de manipulations ordinaires. Nous sommes à la limite du débat technique et du débat sociétal. Bien entendu, la tentation serait de ne rien décider. Je crois qu’il appartient effectivement à l’autorité politique, après avoir entendu l'IRSN et tous les avis techniques, de trancher sur le sort des bétons et métaux très faiblement contaminés, en tout cas à un niveau inférieur à ceux présents dans la nature.
Une doctrine doit donc être établie. Vous avez souligné qu'au fond nous nous trouvions devant un vide juridique. Pour l’instant, il n'existe pas de démarche adaptée au recyclage de quantités assez massives de déchets. Je crois que c’est l’honneur du Parlement et de l’Office de se saisir de ce sujet complexe. L'audition d’aujourd’hui est un premier élément. Je pense qu'il faudra évoluer, définir ce que doit être l’orientation, et finalement la décision de l’autorité politique. Nous ne pouvons rester dans cette situation paradoxale où une doctrine est fixée pour les déchets à haute activité, alors que pour ceux faiblement ou les très faiblement radioactifs, on manque du courage nécessaire pour arbitrer.
Monsieur Jacques Repussard, vous avez utilisé le qualificatif pittoresque de déchets administrativement radioactifs. Il s'agit d'une question complexe qui concerne la société. Nous sommes vraiment dans notre fonction à l’Office parlementaire, parce qu'il n'est pas facile de communiquer et d'informer l'opinion sur une matière aride, faisant souvent l’objet de développements assez démagogiques. On imagine assez facilement l’ouverture d’un journal télévisé de vingt heures sur un sujet comme celui-là. Les parlementaires que nous sommes ont un rôle difficile et délicat. Il nous faut écouter les experts puis traduire leurs propos pour l’opinion. En tout cas, vous avez été clair en exhortant les parlementaires et élus à prendre leurs responsabilités, après avoir reçu votre message. Pour conclure, je veux, après M. Jean-Yves Le Déaut, vous renouveler nos remerciements pour les informations très pertinentes que vous nous apportez depuis des années, et encore aujourd’hui
M. Denis Baupin. Bien que je n'eusse pas entendu les propos liminaires, j’ai compris que cette réunion était pour partie liée à la prochaine fin des fonctions de directeur général de l’IRSN de M. Jacques Repussard. Aussi, voudrais-je également témoigner de l'utilité pour les parlementaires d'avoir pu travailler et dialoguer avec lui, sur des sujets tels que la loi de transition énergétique, la reconnaissance du statut de l’IRSN, la possibilité de rendre publics ses travaux, etc. Chacun connaît la divergence qu’il peut y avoir entre nous sur les questions nucléaires. Il est d'autant plus important d'avoir des interlocuteurs techniques et scientifiques de qualité, à même de nous apporter des informations pertinentes, avec un degré de transparence qui mérite d’être souligné.
Sur le sujet des seuils de libération, je n’ai entendu que la fin de la discussion en cours. Ce débat est engagé depuis un moment. Il pose à la fois des questions de sécurité de nos concitoyens, des questions économiques importantes et des questions très sensibles en termes de communication, comme l’indiquait à l'instant M. Christian Bataille. À cet égard, il serait utile de connaître la réglementation en vigueur à l’étranger. En effet, il n’est pas forcément nécessaire de tout réinventer en France, même si l’importance du nucléaire dans notre pays rend ces questions plus sensibles que dans d’autres, compte tenu du volume supérieur des déchets et des territoires plus nombreux concernés. Malgré tout, connaître la réglementation existant à l’étranger permettrait d’éclairer ce débat.
M. Jean-Yves Le Déaut. Il me semble que la page onze du rapport répond à la question, mais je laisse la parole à M. Jacques Repussard.
M. Jacques Repussard. En deux mots, dans notre environnement juridique une directive européenne sur la protection radiologique définit un seuil de libération pour les déchets TFA utilisé par la plupart des États membres. Il a fait ses preuves dans de nombreux pays, y compris dans ceux disposant d’une industrie nucléaire. Bien entendu, l’utilisation de ce dispositif en France ne va pas de soi, compte tenu de notre histoire et de notre patrimoine de réflexion sur les risques radiologiques. C’est pourquoi j’appelle de mes vœux une réflexion de société, une réflexion politique, avant de se lancer dans l’application de ce seuil de libération. Sa seule existence ne suffit pas à convaincre les parties prenantes. En tout cas, nul besoin d'aller chercher des modèles dans des pays lointains puisque la directive européenne fournit les outils juridiques nécessaires.
M. Jean-Yves Le Déaut. Je crois que les questions posées dans ce rapport sont de bonnes questions. Sa conclusion confirme l'intérêt de la réflexion confiée à un groupe de travail du HCTISN. Il serait intéressant d’avoir les conclusions de celui-ci, après celles de l’IRSN. Je pense qu’émettre des suggestions entre dans les missions d’organismes tels que l’IRSN ou l’ASN. La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a séparé les responsabilités dévolues à l’ASN, avec l'appui technique de l'IRSN, portant sur la gestion courante du secteur nucléaire, de celles de l'État qui décide notamment des normes.
Ce sujet de la fixation des normes est complexe. À côté des questions de sécurité, évoquées par M. Denis Baupin, existent également des questions de perception du public. Le risque est souvent le risque perçu. Ainsi, dans le cadre de l'élaboration de mon rapport de 1992, alors que l’ANDRA cherchait, probablement avec quelques maladresses de communication, des formations géologiques diversifiées adaptées au stockage des déchets radioactifs dans quatre départements : l’Ain, l’Aisne, le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres
– finalement, aucun de ceux-ci n'a été par la suite retenu – je me suis rendu à
La Renaudière, aux confins de la Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire.
Il était envisagé de stocker dans d'anciennes mines d'uranium à ciel ouvert des déchets issus du retraitement de la monazite, importée d’Australie par Rhône-Poulenc, pour en extraire du lithium et des terres rares. Ceux-ci comportaient une radioactivité résiduelle. Lorsque je suis arrivée sur ce site, trois-cents personnes m’attendaient, pensant que je représentais le Gouvernement. J'ai évidemment expliqué qu’il n’en était rien. L'une d'entre elles a résumé la situation avec un accent local difficile à restituer : « Eh bien Monsieur, nous vivions tranquilles ici, et voilà maintenant qu'ils veulent nous mettre de la radioactivité ». Il vivait sur un site d’extraction d’uranium mais, pour lui, toute terre provenant de l’extérieur présentait un danger, à partir du moment où elle était radioactive. Comme indiqué par M. Jacques Repussard, cet effort préalable de discussion est donc indispensable.
Une autre question pertinente posée dans ce rapport et, à l'instant, par M. Denis Baupin, concerne la situation à l'étranger. Ce rapport montre qu'il existe deux voies : celle de la réduction des volumes et de la réutilisation, notamment dans le domaine nucléaire, avec une traçabilité des déchets, ou, au contraire, celle du stockage. Les deux n'ont évidemment pas le même coût. Il faut essayer de définir une stratégie et une politique prenant en compte à la fois ce coût et la perception du public.
M. Victor Roux-Goeken, journaliste à Contexte. Je vais poser trois questions. Je voudrais comprendre l’économie générale de cette filière de déchets. Vous avez parlé de coût raisonnable. Quel est le coût par tonne du retraitement de ce type de déchets et quel serait le coût des solutions alternatives que vous avez exposées ? Par ailleurs, pourquoi la France n’applique-t-elle pas le seuil de libération évoqué : par manque de courage politique ou parce que le débat n’est pas porté au sein de la société ? Enfin, quelle suite faut-il donner à ce problème : un débat national, un projet de loi, etc. ?
M. Jacques Repussard. Les coûts du système actuel varient selon les producteurs. Comme indiqué, pour la filière nucléaire il s'agit de grands volumes, avec des coûts de préconditionnement pris en charge directement par les exploitants. Si mes informations sont exactes, le coût de stockage au CIRES est d'environ cinq cents euros par mètre cube. Mais un petit producteur se verra facturer par l’ANDRA, en fonction du travail technique à réaliser pour caractériser les déchets, peut être mille, deux mille, voire quatre mille euros. L’ANDRA exposant un certain nombre de frais qui peuvent devenir totalement prohibitifs, les produits contaminés restent souvent là où ils sont.
M. André-Claude Lacoste serait peut-être plus qualifié que moi pour répondre à votre deuxième question. Il me semble qu’un certain nombre d’incidents relatifs à la présence inopinée de déchets radioactifs en des lieux inappropriés, perçus comme une menace pour l’industrie nucléaire et son image, ont conduit à surréagir, en cherchant une façon radicale d’empêcher que des déchets radioactifs, de quelque nature que ce soit, en particulier issus de l’industrie nucléaire, se trouvent en contact avec la population. Aussi, sont-ils confinés soit dans des zones déchets inaccessibles au public au sein des installations nucléaires, soit dans un centre spécialisé, avec des transports par camions entre les deux. Si ce principe est systématiquement appliqué et contrôlé par une autorité compétente comme l’ASN, tout risque de trafic de déchets et d’incident se trouve éliminé. Il ne reste plus que de très rares dysfonctionnements mineurs, par exemple relatif à des métaux contaminés importés d’Inde, etc. Mais ceux-ci ne concernent pas la filière nucléaire française. Ce dispositif a représenté un grand progrès. Je ne pense pas qu'il faille regretter sa mise en œuvre sous l’égide de l’ASN. Mais s'il est bien adapté à la production ordinaire de déchets par l’industrie nucléaire en fonctionnement, il ne l'est malheureusement pas, quantitativement, à la problématique du démantèlement qui va générer des millions de mètres cubes.
Évidemment, le démantèlement n’était pas le problème posé à l’administration française voici vingt ou trente ans. Aujourd’hui, devant ce sujet du démantèlement la pire des choses serait de ne pas voir qu’existe une impasse qui va compliquer, voire retarder le démantèlement des installations, au détriment, sur le plan économique, de la filière française du démantèlement.
L’apprentissage du démantèlement, c’est-à-dire du retour d’un certain nombre d’installations nucléaires, ou de ce qu’il en reste, dans la société, est une problématique de très grande importance. Si l'on désire réduire la part de la production nucléaire française, trouver une solution adaptée est incontournable, sauf à reporter ad vitam æternam le démantèlement, ce qui serait dangereux et économiquement inopportun. Aussi, est-il temps à présent de se préoccuper de cette problématique Ce sujet étant politique avant d’être technique, je suis heureux que MM. Jean-Yves Le Déaut et Christian Bataille s'en saisissent.
M. Maurice Leroy, vice-président de la CNE. Dans son dernier rapport, la CNE avait insisté sur le fait qu’il faudrait instruire cette question du seuil de libération des déchets TFA, en raison des grandes quantités de déchets attendues à la suite des démantèlements. Par ailleurs, ce qui apparaît tout à fait remarquable dans le rapport présenté par M. Jacques Repussard, c'est que, alors que cette question est souvent traitée sous un seul angle, il s'agit là d'un travail de fond, fondé sur une réflexion complète et suggérant une méthodologie. À ce jour, aucune méthodologie n’avait été proposée de façon explicite pour aborder ce problème.
M. Jean-Yves Le Déaut. Je donne la parole à Mme Monique Sené.
Mme Monique Sené, vice-présidente de l'ANCCLI. Cela fait longtemps que je travaille sur ces sujets. Je suis ravie que l’IRSN apporte une pierre à l'édifice et il faudra l’utiliser. Je vous ai indiqué qu'un groupe de travail avait été constitué au sein du HCTISN pour traiter de cette question. Il a commencé à travailler mais malheureusement ne vient de se réactiver que récemment. Vous n’aurez donc pas tout de suite ses conclusions. Ce groupe est d’ailleurs présidé par un représentant de l’ASN.
Si ce seuil de libération pour les déchets TFA n’a pas été retenu, c'est en particulier à la suite d’une décision de l’ASN. Il est vrai que celle-ci résulte des nombreux problèmes survenus en France. Il y en a d'ailleurs encore. Ainsi, convient-il de rappeler que les mines d’uranium sont des sites de stockage. Initialement, dans les années 1950, les seuils de radioactivité pour les stériles miniers étaient relativement élevés, car le retraitement du minerai n'était, à l'époque, pas très poussé. Quant aux résidus de monazite stockés sur un site, ils induisent toute la chaîne de radioactivité de l’uranium, soit treize descendants, dont le radium qui donne, par la suite, le radon.
Il est vrai que les transports doivent être étroitement surveillés. Mais de nombreux stockages existent déjà sur les sites de centrales, par exemple la bute de Bugey, mais aussi à Cadarache, à Marcoule ou à Saclay. Ainsi, le problème de fûts anciens qui s'étaient délités à Saint-Aubin, dans l'Essonne, n'a été résolu que cette année, alors qu'il avait été en principe identifié en 1990, en réalité cinq ou six ans auparavant.
Vous avez dessiné des pistes, mais n’oubliez pas qu'une transparence absolue sera nécessaire vis-à-vis de la population. S'il revient bien au Gouvernement de prendre la décision finale, il faut veiller à bien mener le débat, en évitant d’en définir à l'avance les conclusions. Il faudra fournir une information détaillée et complète. En particulier, vous évoquez uniquement la radioactivité des déchets, mais ceux-ci présentent également des caractéristiques chimiques. Les ions radioactifs n'existent pas isolément, ils ont une forme physico-chimique qu'il faut également prendre en compte pour le retraitement des déchets. Suivant les métaux en jeu, ils ne peuvent être stockés dans n’importe quel site de stockage de déchets conventionnels. Une grande vigilance sera donc nécessaire.
Il en va de même pour le seuil de libération. Il faudra examiner comment il est mis en œuvre à l'étranger. Je tiens à souligner que, s'il est appliqué en Allemagne et en Suède, ces pays ont néanmoins quelques difficultés à écouler les métaux récupérés. Il ne suffit pas de les fondre, au risque de ne savoir que faire avec le métal obtenu, si ce n'est dans l’industrie nucléaire. Il sera également nécessaire de déterminer comment des inspecteurs peuvent effectuer un suivi efficace. En cas d'incident, la filière s'écroulerait.
Compte tenu des enjeux, l’ensemble de la population devra être associée. Il sera nécessaire de trouver des modalités adaptées, un débat public n’étant pas à mon sens suffisant. Pour sa part, l’ANCCLI pourra porter ce sujet auprès de la population. Par l’intermédiaire des commissions locales d’information, une communication conséquente sera possible. Je vous encourage à vous pencher sur ce sujet car nous allons effectivement être confrontés à des très grandes quantités de déchets de ce type.
M. Christian Bataille. Je pense qu’existe un problème de pédagogie politique et de communication vis-à-vis de l’opinion. En tant qu’élu non scientifique, je constate que nous prenons notre douche avec de l’eau recyclée sans que cela pose problème, que nous utilisons dans la vie quotidienne des produits recyclés réutilisables de diverses natures, sans que cela pose problème, etc. Mais dès que l’on touche à la matière nucléaire, le recyclage bute sur une question de communication à l’égard de l’opinion.
Ainsi, à la page onze du rapport présenté par M. Jacques Repussard se trouve une citation claire sur le plan scientifique : « un encadrement réglementaire au titre de la radioprotection sous réserve de la démonstration préalable du respect d’une dose individuelle au public ne dépassant pas 10 µSv et d’une dose collective inférieure à 1 mSv.an-1, quels que soient les usages qui peuvent être faits de ces déchets ». C’est scientifiquement très rigoureux mais il faut le traduire pour le public.
Les scientifiques ont une grande responsabilité dans cette traduction pour l’opinion. Ils ont la capacité d’inquiéter l’opinion avec une accumulation de détails scientifiques qui peuvent créer de l’affolement sur un sujet, alors qu’il serait possible de l’aborder tranquillement. Nous avons, par conséquent, une responsabilité politique collective. Les élus doivent traduire les contraintes et les scientifiques essayer de dire la vérité d’une manière claire, sans embrouiller, parce que nous connaissons l’empire des médias et des réseaux sociaux, et nous savons bien que tout cela pourra être déformé sans que nous puissions intervenir.
J’ai bien entendu l’interrogation sur la raison pour laquelle le pouvoir politique n’a pas eu, en quelque sorte, le courage de prendre ce problème à bras le corps. Je crois qu’il faut le faire mais ce ne sera pas facile, car nous allons être confrontés à des affirmations infondées et à des contre-vérités. Il faudra expliquer à l’opinion publique des choses aussi compliquées que des microsieverts et des millisieverts. Toutes les démagogies sont possibles sur un tel sujet. Il faut en être conscient.
M. Jacques Repussard. Mme Monique Sené a évoqué les anciennes mines d’uranium. Il se trouve que, à la demande de la DGPR et de l’ASN, nous avons mené des campagnes dans plusieurs départements, autour du Massif Central, sur l’impact dosimétrique des anciennes mines, par exemple pour l’alimentation du bétail. Mme Audrey Lebeau-Livé, présente à mes côtés, a été rapporteur de ce projet. En fait, en faisant preuve de pédagogie, il n’est pas si difficile que cela de montrer aux habitants l’absence d’impact dosimétrique notable. La population s’intéresse à ces sujets, encore faut-il lui apporter des informations réellement transparentes. Par exemple, les résultats des mesures dans les petits cours d’eau en aval des mines confirment l’absence de problème radiologique dans le territoire, compte tenu des mesures prises et de la gestion assurée par AREVA. Bien entendu, l’uranium est omniprésent. Mais les mines n’induisent pas de radioactivité supplémentaire à l’origine de problèmes sanitaires. Nous pouvons le démontrer. Pour que la population l’accepte, encore faut-il faire l’effort d’aller à sa rencontre et de réaliser des mesures là où les habitants les jugent utiles, non uniquement là où nous l’estimons nécessaire. Sous ces réserves, il est possible de progresser avec la population et les élus. C’est un travail mais il doit être entrepris.
M. André-Clause Lacoste. Quelques mots d’abord sur l’histoire. J’assume la responsabilité d’avoir participé à la mise au point de la doctrine actuelle sur les déchets TFA. Vous avez rappelé la petite série de scandales survenus à l’époque à propos des déchets de faible activité. Aussi, je sentais la nécessité de « tailler carré ». Il s’agissait de mettre fin à cette série de scandales en prenant les mesures adéquates pour assurer la tranquillité nécessaire à une réflexion sur la gestion de l’ensemble des déchets, en particulier des déchets de haute activité. Clairement, j’ai le sentiment que nous avons « taillé carré », sans raffiner. Il m’apparaît tout à fait sain, vingt ans plus tard, que le sujet soit revisité. Je pense que ce sera tout à fait intéressant.
Je donnerai seulement deux exemples des contradictions qui vont apparaître. Nous avons tendance à dire que le démantèlement va produire des masses considérables de déchets. Quand vous parlez aux grands industriels français des déchets, les quantités provenant du secteur nucléaire leur apparaissent dérisoires. De même, nous avons tendance à dire que les déchets TFA contiennent très peu de radioactivité, alors que les industriels estiment que cette radioactivité est tout de même bien empoisonnante. Ces exemples illustrent simplement le type de débats à venir pour mettre au point une nouvelle doctrine aussi largement partagée qu’il est possible.
M. Jean-Yves Le Déaut. Avant de mettre fin à ce débat, je voudrais indiquer à Mme Monique Sené que je n’ignore pas que la monazite contient les descendants de l’uranium, y compris du radium, dont la désintégration génère du radon, tout comme avec le granit. En France, dans les régions granitiques que sont la Bretagne, le Massif Central et les Vosges, il faut se préoccuper du radon généré par les roches naturelles transformées par le temps. Je crois que l’intérêt du rapport de l’IRSN et des autres travaux menés, comme mentionné précédemment, au sein du HCTISN et de la CNE, consiste à revisiter cette question au regard des volumes considérés, faibles pour les industriels mais potentiellement importants, comme indiqué par M. Jacques Repussard au début de son exposé, par rapport à la capacité résiduelle de l’unique site de stockage aujourd’hui disponible. Avant d’engager de nouveaux démantèlements, il serait souhaitable que ce problème fût traité. Cette question reste ouverte et doit, comme tous l’ont reconnu, être discutée avec la société.
Avant de vous remercier de votre participation, je voudrais associer dans un même hommage, M. André-Claude Lacoste, parti à la retraite voici quelques années, et M. Jacques Repussard, car, après beaucoup d’approximations, leur génération a eu la lourde charge de traiter ces questions de gestion des déchets radioactifs.
À une certain époque, la transparence faisait défaut, d’où le titre de mon rapport de 1999 au Premier ministre Lionel Jospin : « La longue marche vers l’indépendance et la transparence ». Aujourd’hui, grâce à eux, à tous les organismes créés depuis par la loi, et à l’ANCCLI dont le rôle est essentiel, la transparence a été améliorée. Nous pouvons discuter sans nous fâcher d’un sujet comme celui des déchets TFA, ce qui n’était pas forcément le cas voici vingt ans. On a « taillé carré », comme l’a indiqué M. André-Claude Lacoste. À présent, il faut envisager, pour prendre en compte la masse de déchets issus des démantèlements, de modifier un certain nombre de règles, en respectant bien entendu la sûreté essentielle des populations et en expliquant, avant de prendre une position assumée. Je remercie tous les participants d’être venus à cette réunion.
Je demande à mes collègues parlementaires de rester pour écouter les conclusions de M. Denis Baupin sur son rapport relatif à la mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules. Son co-rapporteur, la sénatrice Fabienne Keller ne pouvait être présente aujourd’hui, pour les raisons indiquées précédemment.
ANNEXE N° 3 :
COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EN ALLEMAGNE
DU 27 AU 30 NOVEMBRE 2016
Le principal objectif de la mission conduite par M. Christian Namy en Allemagne, du 27 au 30 novembre 2016, était de prendre connaissance, sur le terrain, des conditions de mise en œuvre de la démarche de libération des déchets très faiblement radioactifs dans ce pays. Ce déplacement a également permis de faire un point plus général sur l’état de la gestion des déchets radioactifs outre-Rhin.
Les informations ont été d’abord recueillies à l’occasion de deux visites de sites industriels, d’une part la centrale nucléaire de Biblis, située en Hesse, où M. Christian Namy a rencontré les représentants de l’exploitant, la société RWE, et, d’autre part, la fonderie CLARA (Centrale Anlage zum Recyclieren Leichaktiver Abfälle, en français : installation centrale pour le recyclage des déchets faiblement radioactif), établie à Krefeld en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où il a été reçu par M. Thomas Kluth, directeur de la division recyclage de la société Siempelkamp.
Par la suite, à Berlin, M. Christian Namy a rencontré ses collègues, les députés Steffen Kanitz (CDU/CSU) et Sylvia Kotting-Uhl (Alliance 90/Les Verts), Mme Dagmar Weinberg, chef de la division de la politique énergétique du ministère fédéral des Affaires économiques et de l’énergie, ainsi que MM. Peter Hart et Marcus Fabian du ministère fédéral de l’Environnement, de la protection climatique, de la construction et de la sûreté nucléaire.
I. La situation de la filière nucléaire allemande
Durant une quarantaine d’année, l’énergie nucléaire a fourni une part importante de l’électricité produite en Allemagne, à une époque supérieure à 30 %.
À la suite de l’accident de Fukushima, consécutif au tsunami survenu le 11 mars 2011 au Japon, la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, a annoncé, le 14 mars 2011, la sortie de son pays de l’énergie nucléaire, et, le lendemain, l’arrêt immédiat de huit réacteurs (dont les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Biblis). Les amendements, votés, le 30 juin 2011, à la loi sur l’énergie atomique (Atomgesetz), ont conduit à imposer aux neuf réacteurs restant en activité des quotas de production restreints, et des dates d’arrêt échelonnées jusqu’à fin 2022.
En réalité, ces décisions constituaient, un retour au plan de sortie de l’énergie nucléaire, voté en 2002, sous le gouvernement de coalition entre sociaux-démocrates et écologistes du chancelier Gerhard Schröder, plan qui avait fait l’objet d’un moratoire de douze ans, à l’automne 2010.
La décision initiale de sortie de l’énergie nucléaire avait été suivie d’une autre, en 2005, relative à l’arrêt du retraitement des combustibles usés allemands, en France et en Grande-Bretagne. Jusqu’en 1994, le retraitement était obligatoire pour l’ensemble des combustibles issus des centrales nucléaires allemandes. L’Allemagne ayant abandonné, en 1990, le développement de sa propre filière de retraitement, un amendement à la loi sur l’énergie atomique a introduit, en 1994, la possibilité pour les exploitants d’un entreposage direct des combustibles usés.
II. Le défi de la gestion des déchets faiblement radioactifs
Depuis 1998, l’Allemagne ne dispose plus d’aucun centre de stockage pour ses déchets radioactifs. Deux centres destinés aux déchets de faible et moyenne activité, créés dans d’anciennes mines de sel, à une profondeur de plusieurs centaines de mètres, sont désormais fermés : l’un situé à Asse, en Basse-Saxe, exploité de 1964 à 1978, et l’autre à Morlseben (ERAM, Endlager für radioaktive Abfälle Morsleben), en Saxe, exploité de 1971 à 1991, puis de 1994 à 1998. L’ouverture d’un nouveau centre de stockage pour les déchets de faible et moyenne activité est prévue dans l’ancienne mine de fer de Konrad, en 2022.
Malgré les aléas sur le stockage des déchets très faiblement et moyennement radioactifs, l’Allemagne est parvenue à réaliser, avant 2011, le démantèlement de trente-sept installations nucléaires, dont trois réacteurs de puissance. Avant la décision d’arrêt des centrales nucléaires consécutive à Fukushima, trente installations nucléaires étaient déjà en cours de démantèlement.
Contrairement à celle de la France, qui privilégie leur stockage, la démarche de gestion des déchets radioactifs allemande prévoit, conformément à la loi sur l’économie circulaire (Kreislaufwirtschaftsgesetz ou KrWG, en français : loi sur l’économie circulaire), l’évitement de la production de déchets, à défaut leur réutilisation au sein de la filière, leur recyclage après libération, et, en dernier recours, leur stockage dans un futur centre dédié aux déchets radioactifs. Par ailleurs, comme en France, divers procédés sont mis en œuvre pour réduire le volume de déchets ultimes à stocker : compactage, incinération, déshydratation ou encore décontamination.
Les possibilités de recyclage au sein de la filière nucléaire, par exemple pour les métaux dans la fabrication de colis, ou pour les gravats dans des remblais, étant nécessairement limitées, moins de 1 % des déchets issus des zones contrôlées des installations nucléaire allemandes (les deux-tiers des déchets sont issus de zones dites surveillées, moins sensibles) sont ainsi réutilisés. A fortiori en l’absence de centre de stockage pour les déchets de faible et de moyenne activité, les possibilités de libération jouent un rôle prépondérant dans la gestion de
ceux-ci.
C’est ainsi que 97,2 % des déchets sortant des zones contrôlées des installations nucléaires allemandes font l’objet d’une libération (mais seulement 5 % au titre des seuils de libération, le reste étant constitué de déchets en réalité conventionnels). Seulement 2,4 % de ces déchets deviennent, au final, des déchets radioactifs. Par comparaison, en France, 87 % des déchets de cette zone sont classifiés comme conventionnels, 7 %, comme de très faible activité (donc destinés au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage, le CIRES), et 6 % comme de faible et moyenne activité à vie courte (donc destinés au Centre de stockage de l’Aube ou CSA).
La modification de la réglementation européenne en matière de libération des déchets radioactifs n’a pas semblé inquiéter outre mesure les interlocuteurs rencontrés à la centrale de Biblis ou à la fonderie de Krefeld, bien que celle-ci puisse conduire à multiplier par quatre la quantité de déchets radioactifs issus de zones contrôlées à stocker, leur pourcentage passant alors à 9,6 % (ce pourcentage se rapprocherait alors des 13 % de déchets français destinés au CIRES et au CSA). Il est vrai que 90 % des déchets seraient encore libérables.
III. La libération des déchets radioactifs, une solution complexe
En Allemagne, la loi sur l’énergie atomique (Atomgesetz) pose les bases légales de la libération des matériaux issus des installations nucléaires.
L’article 29 du décret sur la radioprotection (Strahlenschutzverordnung ou StrlSchV) précise les seuils de libération pour environ trois-cents radionucléides et les procédures correspondantes. Pour l’ensemble des seuils définis dans le StrlSchV, conformément aux recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les critères de dose utilisés pour dériver les seuils, en s’appuyant sur différents scénarios, sont, d’une part, la dose individuelle maximale de 10 µSv/an, et, d’autre part, la dose collective maximale de 1 homme.Sv/an.
La réglementation distingue deux types de libérations : conditionnelle et inconditionnelle, déclinées selon la nature de l’objet à libérer (métaux, gravats, bâtiment, site, etc.). La libération inconditionnelle ne comporte aucune restriction sur la destination ou l’utilisation de l’objet considéré. La libération conditionnelle impose une ou plusieurs destinations (suivant la nature de l’objet : stockage, incinération, recyclage, destruction, etc.)
Lors de la visite de la centrale de Biblis, les différents systèmes de mesure ont été présentés : mesure de contamination surfacique, réalisée manuellement après décontamination, mesure globale, au travers d’un portique (les décharges et fonderies en sont également équipées) et mesure par lots, en utilisant un appareil de spectrométrie gamma spécifique (Cf. illustration). Il est également fait appel à des experts et laboratoires indépendants (pour Biblis, par exemple les Technischer Überwachungsverein ou TÜV, Nord et Süd) Le coût annoncé pour la préparation, le tri et la mesure des déchets radioactifs est de l’ordre de 10 euros au kilogramme, contre un coût de stockage évalué à plus de 10 000 euros par mètre cube.
Portique de détection (Source : Siempelkamp).
Bien entendu, la libération des déchets radioactifs ne présente un intérêt que si ceux-ci peuvent trouver une destination finale, par exemple dans une fonderie où les métaux seront dilués avec d’autres, ou dans une décharge classique. Les fondeurs ou les gestionnaires des décharges, en général municipales, peuvent hésiter à accepter des déchets libérés, même s’ils représentent de faibles quantités, compte tenu des implications possibles pour l’image de l’entreprise ou la popularité des élus locaux. Il s’agit donc d’un sujet hautement sensible.
Les interlocuteurs rencontrés n’ont, toutefois, pas montré d’inquiétude particulière à ce sujet. Néanmoins, ils sont restés discrets, pour les raisons déjà énoncées, sur la destination exacte des matières libérées. Leur attitude renforce l’impression que l’efficacité de la libération pourrait être remise en cause par un mouvement de contestation. Celui-ci semble toutefois improbable, puisqu’une telle campagne, si elle devait être initiée par des associations écologistes, conduirait, en pratique, à empêcher, ou du moins retarder, des démantèlements pour lesquels celles-ci ont milité depuis des dizaines d’années.
IV. L’exemple du recyclage des métaux
La fonderie Siempelkamp, située à Krefeld près de Düsseldorf, illustre l’intérêt du recyclage des matériaux très faiblement radioactifs. Cette installation, créée en 1989, unique en son genre en Allemagne, traite différents types de métaux (fer, acier, aluminium, cuivre, étain, plomb...), d’une activité maximale de 1 000 becquerels par gramme (au total, alpha, bêta ou gamma), en moyenne de 40 becquerels par gramme, à hauteur de 4 000 tonnes par an au maximum (en moyenne 2 000 tonnes). Ces métaux proviennent, pour l’essentiel, de centrales nucléaires ou d’instituts de recherche, allemands à plus de 90 %, mais aussi étrangers.
Avant leur envoi à la fonderie, certaines très grandes pièces, par exemple les générateurs de vapeur, doivent être découpées. L’acheminement peut se faire par la route, le rail ou la voie maritime, via le port de Krefeld sur le Rhin, en général en container de vingt pouces. À l’arrivée dans la fonderie, les matériaux reçus sont stockés, en attendant la fin du retraitement du lot précédent. Ils sont ensuite triés, découpés, compactés, puis, si nécessaire, décontaminés dans une chambre de grenaillage (notamment le fer et l’acier contaminés en chlore 60).
Le métal est ensuite fondu dans un four électrique à induction. Le laitier situé en partie haute, qui concentre l’essentiel de la radioactivité, est retiré, et devient un déchet radioactif. Il représente environ 5 % de la masse total du métal radioactif fondu. Cette dernière étape est la plus courte du processus de retraitement des métaux. En sortie de la fonderie, le métal refroidi se présente en blocs d’environ une tonne, en forme de fûts de deux cents litres.
Four à induction (Source : Siempelkamp).
Si l’activité des métaux ainsi décontaminés est suffisamment faible, ils peuvent être vendus à une fonderie traditionnelle. Sinon, le métal peut être réutilisé pour la fabrication d’emballages de colis de déchets radioactifs, en général pour une part de 15 à 25 %. Au total, depuis la création de la fonderie, à peu près 30 000 tonnes de métal ont été ainsi traités, dont une moitié a été recyclée au sein de la filière nucléaire, et l’autre en dehors de celle-ci.
ANNEXE N° 4 :
COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT AUX ÉTATS-UNIS
DU 30 JANVIER AU 2 FÉVRIER 2016
La mission conduite par M. Christian Namy à Washington, aux États-Unis, du 30 janvier au 2 février 2016, visait principalement à faire le point sur la situation des combustibles nucléaires usés dans ce pays, à la suite de la décision d’abandon de leur retraitement, prise voici quarante ans.
Les informations ont été recueillies à l’occasion d’une visite de la centrale nucléaire de Calvert Cliffs, ainsi que d’entretiens avec M. John Shimkus, membre du Congrès, M. Frédéric Bailly, d’AREVA Inc., de représentants de l’autorité de sûreté nucléaire américaine (en anglais, Nuclear Regulatory Commission, ou NRC), du département de l'énergie américain (en anglais, Department of Energy, ou DoE), du service de recherche du Congrès (en anglais, Congressional Research Service, ou CRS) et de le Nuclear Waste Review Board, équivalent américain de la Commission nationale d’évaluation des études et recherches sur la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2).
En sa qualité de membre de l’OPECST, du conseil d’administration de l’ANDRA et d’élu de la Meuse, votre rapporteur, le sénateur Christian Namy, a également fourni à ses interlocuteurs des informations précises sur le laboratoire souterrain de Bure et le projet CIGEO. Ceux-ci se sont montrés très intéressés par les aspects techniques, sociétaux et législatifs de ces réalisations concrètes, menées avec succès par la France.
I. Les revirements dans la politique de gestion des combustibles usés
Les Américains se sont orientés, après la fin de la seconde guerre mondiale, vers le retraitement des combustibles usés, mais ils y ont, par étapes, renoncé, d’abord en raison de difficultés d’ordres technique ou financier, puis à la suite d’une décision de principe du président Gerald Ford, prise en 1977, visant à limiter les risques de prolifération nucléaire dans les pays étrangers.
Dès 1978, l’adéquation du site de Yucca Mountain à la construction d’un centre de stockage géologique direct des combustibles usés américains a commencé à être évaluée, tout comme pour huit autres sites. Ces études se sont intensifiées à partir de 1987, après que le choix de ce site fût officialisé par le Congrès, au travers d’un amendement au Nuclear Waste Policy Act de 1982, contraignant le DoE à se focaliser sur l’étude de ce seul site.
En 2008, après vingt années de recherches et d’études, incluant le creusement de plus de onze kilomètres de galeries, le DoE a déposé, auprès de la NRC, une demande de licence pour la construction du stockage.
Mais la même année, à la suite d’une décision politique du nouveau président américain, le projet de centre de stockage de Yucca Mountain a été abandonné, malgré l’investissement de l’ordre de neuf milliards de dollars déjà réalisé.
Concept proposé pour le centre de stockage de Yucca Mountain (source : DoE)
En 2010, essentiellement pour des raisons politiques, le DoE a décidé de mettre fin aux activités d’octroi de permis (licensing). En parallèle, il a initié un réexamen de la politique de gestion à long terme des combustibles usés. Pour sa part, la NRC a, malgré tout, été contrainte de poursuivre ses études d’évaluation de sûreté et d’impact environnemental du centre de stockage de Yucca Mountain. Ses rapports finaux de 2015 et 2016 concluent qu’aucun impératif de sûreté ou de préservation de l’environnement ne conduit, à ce stade, à remettre en cause la construction de ce stockage.
II. Une gestion plus coûteuse que prévue
Aujourd’hui, à défaut d’une solution de gestion durable, les combustibles usés américains sont entreposés par les exploitants de réacteurs sur soixante-quinze sites, répartis dans trente-trois États. Il s’agit, pour l’essentiel, de sites de centrales nucléaires en cours d’exploitation, mais aussi de sites de réacteurs en démantèlement, voire déjà démantelés. Au total, ces combustibles disséminés représentent 76 000 tonnes, en croissance de 2 000 tonnes par an environ.
Or, le Nuclear Waste Policy Act de 1982 imposait au Gouvernement fédéral de prendre en charge, à partir de 1998, la gestion à long terme de tous les déchets civils des producteurs d'électricité. Afin de financer les futurs installations, ces derniers abondent un fonds dédié, le Nuclear Waste Fund. À la fin de l’année 2014, plus de 30 milliards de dollars avaient ainsi été collectés auprès des exploitants des centrales nucléaires.
Aussi, dès 2009, prenant acte de la décision d’abandon du site de Yucca Mountain prise en 2008, les exploitants des centrales américaines ont-ils poursuivi le gouvernement américain, afin d’obtenir un dédommagement, permettant de compenser les frais d’entreposage de leurs combustibles. Plusieurs des interlocuteurs rencontrés ont indiqué que le DoE verserait dans ce cadre, chaque année, de l’ordre d’un milliard de dollars aux opérateurs. Fin 2015, au total, près de 5 milliards de dollars avaient déjà été versés par le DoE. La facture pourrait s’élever à 22 milliards de dollars d’ici 2022, et continuer à croître, par la suite, chaque année, de plus de 500 millions de dollars
III. Des perspectives encourageantes
Conscient que cette situation ne pouvait perdurer, le DoE a élaboré, durant les dernières années de l’administration du président Barack Obama, un processus de sélection de site basé sur le consensus (en anglais, Consent-Based Siting Process), afin de préparer le choix, d’une part, de sites d’entreposage centralisé, destinés à accueillir en priorité les combustibles usés situés dans les centrales démantelées ou en cours de démantèlement, et, d’autre part, un site de stockage. Une semaine avant l’investiture du nouveau président américain, M. Donald Trump, le DoE a publié une version préliminaire du document décrivant ce processus, afin d’engager une consultation publique qui prendra fin mi-avril 2017.
La grande majorité des acteurs de la filière nucléaire américaine, ainsi que la plupart des élus républicains, se sont toujours insurgés contre la décision d’arrêt du projet de centre de stockage de Yucca Mountain. Avec l’installation d’une administration républicaine et d’un Congrès à majorité républicaine, la probabilité pour que la situation se débloque apparaît très élevée.
Toutefois, avant la confirmation de la nomination du nouveau secrétaire à l’énergie, M. Rick Perry, par le sénat, prévue début février 2017, le DoE ne pouvait faire évoluer sa stratégie en matière de gestion des combustibles usés. Pour les mêmes raisons, aucun des interlocuteurs rencontrés au sein de l’administration n’était en mesure de communiquer officiellement sur les évolutions futures. Néanmoins, trois tendances apparaissent probables.
En premier lieu, l’installation d’une administration républicaine et le départ programmé du sénateur démocrate du Nevada, M. Harry Reid, opposant local notoire, ouvrent la voie à la reprise du projet de centre de stockage de Yucca Mountain. Sur la base des études menées, la NRC est en capacité de reprendre les travaux liés à la demande d’autorisation de création, pour un budget total estimé à environ 300 millions de dollars.
Les dernières évaluations du coût du projet, à réactualiser, s’élèvent à 98 milliards de dollars de 2007, pour 140 000 tonnes de combustibles usés stockées, correspondant à un fonctionnement des réacteurs du parc américain actuel durant soixante ans. Si la sélection du site s’effectue suivant le nouveau processus dit Consent-Based Siting Process, le centre de stockage pourrait entrer en exploitation d’ici quarante à cinquante ans.
En deuxième lieu, il apparaît pertinent, des points de vue politique et financier, d’engager la construction d’un centre d’entreposage centralisé des combustibles usés, plutôt que de laisser ces derniers répartis à travers tout le territoire, jusqu’à l’ouverture du centre de stockage. La société Waste Control Specialists (WCS) a ainsi adressé, en 2016, à la NRC une demande d’autorisation de création, d’un entreposage centralisé au Texas, impliquant la société AREVA Inc. Une seconde demande devrait être adressée à la NRC, en mars 2017, par la société HOLTEC, pour un projet équivalent au Nouveau-Mexique. Ces projets visent tous deux une entrée en exploitation vers 2020. En évitant l’entreposage sur site des combustibles usés, ces installations permettraient de mettre fin au versement des pénalités aux exploitants nucléaires par le DoE, tout en améliorant la sûreté et la sécurité de l’entreposage.
En troisième lieu, compte tenu des conditions de marché difficile rencontrées par l’industrie nucléaire aux États-Unis, le traitement-recyclage ne pourrait raisonnablement être envisagé que dans le cadre d’un déploiement futur de réacteurs à neutrons rapides. La probabilité d’un retour de la politique de gestion des combustibles usés au cycle fermé semble donc relativement faible à court terme.
L’entretien avec le membre du congrès américain, M. John Shimkus, élu républicain de l’Illinois, président de la sous-commission de l’Énergie et du commerce au sein de la commission de l’Environnement et de l’économie de la Chambre des représentants (en anglais, Energy and Commerce subcommittee of the House Environment and Economy committee) a permis de mesurer la détermination des élus républicains à aller de l’avant dans le domaine de la gestion des combustibles usés.
Se ralliant à l’approche française, M. John Shimkus considère que les combustibles usés ne sont pas des déchets, mais des matières énergétiques. Aussi, prévoit-il d’inclure, dans le projet de loi relatif au centre de stockage de Yucca Mountain, une période de réversibilité, permettant une reprise ultérieure des combustibles usés, pour retraitement. Déjà très actif durant la dernière législature, il devrait très rapidement introduire ce nouveau projet de loi, qui prendra en compte la mise en place d’un entreposage centralisé, afin de bénéficier d’un plus large soutien politique.
Par ailleurs, des projets de lois sur la gestion des déchets radioactifs ont été initiés par d’autres commissions du congrès américain, par exemple un projet de loi sur l’entreposage consolidé (Interim Consolidated Storage Act, H.R.474) qui vise à permettre au DoE de recourir à un opérateur privé pour celui-ci.
Pour sa part, le Nuclear Waste Review Board, commission indépendante d’experts scientifiques qui conseille l’administration en matière de gestion des déchets radioactifs, préconise également d’aller de l’avant sur le projet de centre de stockage. Toutefois, elle considère que le site de Yucca Mountain ne présente pas les meilleures caractéristiques géologiques pour accueillir un tel stockage. En effet, les recherches menées ont mis en évidence des infiltrations d’eau plus importantes que prévu, susceptibles d’induire une dégradation des conteneurs des combustibles usés et une migration des radioéléments plus rapides. Cette situation implique des contraintes de performance plus importantes pour les conteneurs et la barrière ouvragée. Enfin, pour le NWTRB, le reconditionnement et le transport des combustibles usés constituent également deux points techniques importants qui restent encore à évaluer.
ANNEXE N° 5 :
NOTE DE SITUATION EN GRANDE-BRETAGNE,
PAR L’AMBASSADE DE FRANCE AU ROYAUME-UNI
I. La gestion des déchets radioactifs
a) retraitement et entreposage des déchets
Le Royaume-Uni procède au retraitement de ses combustibles usés Magnox et AGR, respectivement dans les usines Magnox Reprocessing Plant et Thermal Oxide Reprocessing Plant (Thorp) de Sellafiled. La NDA propose qu’à l’issue de la fermeture de Thorp en 2018, les combustibles restants
(≈ 6 000 tonnes) soient entreposés puis envoyés au stockage. Quant à l’usine de retraitement Magnox, sa fermeture avait été fixée à 2016 mais, dû à des incertitudes sur les capacités de retraitement, elle se voit régulièrement reprogrammée. La date récemment avancée serait 2020. Pour les combustibles usés issus des nouveaux réacteurs, la solution de référence est, à ce stade, l’entreposage puis le stockage.
Les déchets radioactifs britanniques sont principalement un legs datant des premiers développements de l'énergie nucléaire plutôt que des déchets issus de la production d'électricité, même si ces derniers ne sont pas négligeables.
- Les déchets solides de faible activité sont entreposés depuis 1959 sur le site de Drigg, près de Sellafield, lequel couvre une surface de 120 ha.
- Les déchets de moyenne activité sont, quant à eux, entreposés à Sellafield et sur d'autres sites producteurs, en attente d'un stockage.
- Les déchets de haute activité issus du retraitement sont vitrifiés et coulés dans des fûts en acier inoxydable entreposés à Sellafield dans des silos. Une installation d’entreposage à sec est en construction à Sizewell B pour fonctionner à partir de 2015. Tous les déchets de haute activité doivent être entreposés pendant 50 ans avant d'être stockés en couche géologique, pour permettre leur refroidissement.
b) Stockage géologique
Le planning actuel prévoit l’ouverture d’un stockage géologique à l’horizon 2040. La NDA a mis en place un groupe de travail, le Radioactive Waste Management Directorate (RWMD), afin de développer un centre de stockage géologique pour les déchets de haute et moyenne activité et évoluer en une entité capable de construire et d'exploiter ce dernier. Le Geological Disposal Facility (GDF) devrait coûter environ 12 Md£ (coût non-actualisé) de la conception à l'opération, qui interviendra de 2040 à 2100. Le choix du site devrait avoir lieu en 2025.
Le gouvernement a invité les communautés à se porter candidates pour accueillir le GDF, et avait obtenu 3 candidatures, situées dans 2 régions de Cumbria : Allerdale et Copeland. Les prochaines étapes consistaient en une étude géologique de 4 ans, des recherches de surface devant durer 10 ans, et finalement une période de 15 ans de recherche souterraine, construction et mise en service. Au cours de ces étapes, la NDA devrait essayer de gagner 11 ans sur la date prévue de mise en service pour pouvoir démarrer l'exploitation dès 2029. Les projets de stockage géologique ont subi un coup d'arrêt début 2013 quand le Conseil Régional de Cumbria (Cumbria Country Council) a décidé d'opposer son veto au projet.
Le gouvernement prévoit que le GDF accueillera les déchets provenant du New Build ainsi que les déchets historiques (incluant les déchets des installations actuellement en exploitation ou en cours de démantèlement).
Les exploitants des futures centrales devront payer un prix fixe pour le stockage des déchets des combustibles usés et déchets de moyenne activité dans le GDF.
c) Cas particulier du graphite
Les déchets britanniques de graphite représentent environ 30 % de l’inventaire (volumétrique) en déchets de moyenne activité. Il convient de différencier deux catégories de graphite : celui venant directement du cœur des réacteurs Magnox et AGR (modérateur), et le graphite « opérationnel », e.g. provenant des assemblages combustibles. À ce jour, aucune décision n’a été prise pour le retraitement et le stockage du graphite. Néanmoins des options préférentielles ont été définies pour le graphite opérationnel des installations de Sellafield, Berkeley et Hunterston et des options « crédibles » ont été étudiées par la NDA pour le graphite du cœur des réacteurs. Notons que le démantèlement du cœur de ces réacteurs n’est prévu que dans plusieurs décennies (après 65 à 85 ans, permettant une décroissance radioactive significative).
● Graphite opérationnel
La gestion du graphite opérationnel a été définie comme suit:
Berkeley – gestion du graphite comme déchet de moyenne activité, placé en entreposage (en conteneurs blindés) dans l’attente d’un stockage définitif non enrobé en couche géologique.
Hunterston A – gestion du graphite comme déchet de moyenne activité, placé en entreposage puis enrobé lors du démantèlement final avant prise en charge par la réglementation écossaise pour le stockage définitif (à définir).
Sellafield – gestion du graphite comme déchet de moyenne activité, placé en entreposage (en fûts d’acier inoxydable) puis enrobé en vue du stockage en couche géologique.
● Graphite provenant du cœur
Huit options crédibles ont été définies à ce jour par la NDA pour la prise en charge du graphite du cœur des réacteurs Magnox et AGR (anglais et gallois), considérant les différentes possibilités de stockage, retraitement et recyclage.
Stockage :
- Stockage en couche géologique dans l’installation prévue pour les déchets de haute activité
- Stockage en subsurface dans une nouvelle installation spécialisée
- Stockage in-situ (silos)
- Stockage avec les déchets de faible activité dans l’installation spécialisée existante (LLWR)
- Enfouissement (existantes ou futures installations)
Traitement :
- retraitement en vue de faciliter la gestion ultérieure du graphite, e.g. décontamination afin d’enlever certains radionucléides
- retraitement pour minimiser le volume de graphite solide pour stockage ultérieur, e.g. retraitement thermique
Recyclage :
- Récupération pour reutilization
II. Seuils de libération
a) Définitions
Seuil de libération (Department for Environment, Food and Rural Affairs, reprenant la définition de l’AIEA) : soustraction de matériaux ou objets radioactifs au contrôle de l’Autorité, dans le cadre de pratiques autorisées.
En pratique, au Royaume-Uni, les substances et articles sont ainsi libérés dans deux cas de figure :
- lorsqu’ils ne se prêtent pas au contrôle ;
- lorsque leur concentration en radionucléides est inférieure au seuil de libération RP 122.
Exemption :
Si les seuils de libération sont dépassés et que les substances sont considérées radioactives, un second seuil, appelé seuil d’exemption, permet de les soustraire au contrôle de l’Autorité. Ces seuils d’exemption sont alors définis par des seuils de concentration en radionucléides (même principe que le seuil de libération), auxquels s’ajoutent des seuils liés aux quantités totales de substances conservées dans le local considéré. Ces seuils d’exemption sont définis par la Basic Safety Standards Directive et ils permettent de dispenser un couple activité-substance d’autorisation de la part de l’autorité de sûreté, tout en imposant des conditions à l’activité en question.
Le BSSD autorise également l’introduction par les États membres d’exemptions pour les activités et substances à faible risque. Cette possibilité est employée dans la législation britannique, par exemple dans le cas de sources scellées de faible activité.
b) Pour les déchets
La gestion de certains déchets radioactifs britanniques peut bénéficier des critères d’exemption. Cette possibilité a été formalisée dans la loi de 2007 sur les déchets faiblement radioactifs (Government’s policy statement on low level radioactive wastes) et repose sur des études d’impact radiologique menées par l’Agence de protection de la santé (Health Protection Agency).
Sources :
- Guidance on the scope of and exemptions from the radioactive substances legislation in the UK, DEFRA, pages 96-97 (+ Table 2.2 et 3.1)
- Radiation Protection 122, Practical use of the concepts of clearance and exemption, Commission européenne
ANNEXE N° 6 :
LOIS SUR LES DÉCHETS RADIOACTIFS
1. Loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs
Le 6 mars 2017
JORF n°1 du 1 janvier 1992
NOR: INDX9100071L
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Art. 1er. - La gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue doit être assurée dans le respect de la protection de la nature, de l’environnement et de la santé, en prenant en considération les droits des générations futures.
Art. 2. - Il est inséré, après l’article 3 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, un article 3-1 ainsi rédigé :
Art. 3-1. - Le stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, de quelque nature qu’ils soient, est soumis à autorisation administrative. Cette autorisation ne peut être accordée ou prolongée que pour une durée limitée et peut en conséquence prévoir les conditions de réversibilité du stockage. Les produits doivent être retirés à l’expiration de l’autorisation.
Les conditions et garanties selon lesquelles certaines autorisations peuvent être accordées ou prolongées pour une durée illimitée, par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, seront définies dans une loi ultérieure.
Art. 3. - Le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement.
Art. 4. - Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport faisant état de l’avancement des recherches sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et des travaux qui sont menés simultanément pour:
- la recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans ces déchets;
- l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains;
- l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets.
Ce rapport fait également état des recherches et des réalisations effectuées à l’étranger.
À l’issue d’une période qui ne pourra excéder quinze ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport global d’évaluation de ces recherches accompagné d’un projet de loi autorisant, le cas échéant, la création d’un centre de stockage des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et fixant le régime des servitudes et des sujétions afférentes à ce centre.
Le Parlement saisit de ces rapports l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Ces rapports sont rendus publics.
Ils sont établis par une commission nationale d’évaluation, composée de :
- six personnalités qualifiées, dont au moins deux experts internationaux, désignées, à parité, par l’Assemblée nationale et par le Sénat, sur proposition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;
- deux personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement, sur proposition du Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires ;
- quatre experts scientifiques désignés par le Gouvernement, sur proposition de l’Académie des sciences.
Art. 5. - Les conditions dans lesquelles sont mis en place et exploités les laboratoires souterrains destinés à étudier les formations géologiques profondes où seraient susceptibles d’être stockés ou entreposés les déchets radioactifs à haute activité et à vie longue sont déterminées par les articles 6 à 12 ci-dessous.
Art. 6. - Tout projet d’installation d’un laboratoire souterrain donne lieu, avant tout engagement des travaux de recherche préliminaires, à une concertation avec les élus et les populations des sites concernés, dans des conditions fixées par décret.
Art. 7. - Les travaux de recherche préalables à l’installation des laboratoires sont exécutés dans les conditions prévues par la loi du 29 décembre 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l’exécution des travaux publics.
Art. 8. - Sans préjudice de l’application de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, l’installation et l’exploitation d’un laboratoire souterrain sont subordonnées à une autorisation accordée par décret en Conseil d’Etat, après étude d’impact, avis des conseils municipaux, des conseils généraux et des conseils régionaux intéressés et après enquête publique organisée selon les modalités prévues par la loi no 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement. Cette autorisation est assortie d’un cahier des charges.
Le demandeur d’une telle autorisation doit posséder les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien de telles opérations.
Art. 9. - L’autorisation confère à son titulaire, à l’intérieur d’un périmètre défini par le décret constitutif, le droit exclusif de procéder à des travaux en surface et en sous-sol et celui de disposer des matériaux extraits à l’occasion de ces travaux.
Les propriétaires des terrains situés à l’intérieur de ce périmètre sont indemnisés soit par accord amiable avec le titulaire de l’autorisation, soit comme en matière d’expropriation.
Il peut être procédé, au profit du titulaire de l’autorisation, à l’expropriation pour cause d’utilité publique de tout ou partie de ces terrains.
Art. 10. - Le décret d’autorisation institue en outre, à l’extérieur du périmètre mentionné à l’article précédent, un périmètre de protection dans lequel l’autorité administrative peut interdire ou réglementer les travaux ou les activités qui seraient de nature à compromettre, sur le plan technique, l’installation ou le fonctionnement du laboratoire.
Art. 11. - Des sources radioactives peuvent être temporairement utilisées dans ces laboratoires souterrains en vue de l’expérimentation.
Dans ces laboratoires, l’entreposage ou le stockage des déchets radioactifs est interdit.
Art. 12. - Un groupement d’intérêt public peut être constitué, dans les conditions prévues par l’article 21 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France, en vue de mener des actions d’accompagnement et de gérer des équipements de nature à favoriser et à faciliter l’installation et l’exploitation de chaque laboratoire.
Outre l’État et le titulaire de l’autorisation prévue à l’article 8, la région et le département où est situé le puits principal d’accès au laboratoire, les communes dont une partie du territoire est à moins de dix kilomètres de ce puits, ainsi que tout organisme de coopération intercommunale dont l’objectif est de favoriser le développement économique de la zone concernée, peuvent adhérer de plein droit à ce groupement.
Art. 13. - Il est créé, sous le nom d’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, un établissement public industriel et commercial, placé sous la tutelle des ministres de l’industrie, de la recherche et de l’environnement.
Cette agence est chargée des opérations de gestion à long terme des déchets radioactifs, et notamment :
- en coopération notamment avec le Commissariat à l’énergie atomique, de participer à la définition et de contribuer aux programmes de recherche et de développement concernant la gestion à long terme des déchets radioactifs ;
- d’assurer la gestion des centres de stockage à long terme soit directement, soit par l’intermédiaire de tiers agissant pour son compte ;
- de concevoir, d’implanter et de réaliser les nouveaux centres de stockage compte tenu des perspectives à long terme de production et de gestion des déchets et d’effectuer toutes études nécessaires à cette fin, notamment la réalisation et l’exploitation de laboratoires souterrains destinés à l’étude des formations géologiques profondes ;
- de définir, en conformité avec les règles de sûreté, des spécifications de conditionnement et de stockage des déchets radioactifs ;
- de répertorier l’état et la localisation de tous les déchets radioactifs se trouvant sur le territoire national.
Art. 14. - Il est créé, sur le site de chaque laboratoire souterrain, un comité local d’information et de suivi.
Ce comité comprend notamment des représentants de l’Etat, deux députés et deux sénateurs désignés par leur assemblée respective, des élus des collectivités territoriales consultées à l’occasion de l’enquête publique, des membres des associations de protection de l’environnement, des syndicats agricoles, des représentants des organisations professionnelles et des représentants des personnels liés au site ainsi que le titulaire de l’autorisation.
Ce comité est composé pour moitié au moins d’élus des collectivités territoriales consultées à l’occasion de l’enquête publique. Il est présidé par le préfet du département où est implanté le laboratoire.
Le comité se réunit au moins deux fois par an. Il est informé des objectifs du programme, de la nature des travaux et des résultats obtenus. Il peut saisir la commission nationale d’évaluation visée à l’article 4.
Le comité est consulté sur toutes questions relatives au fonctionnement du laboratoire ayant des incidences sur l’environnement et le voisinage. Il peut faire procéder à des auditions ou des contre-expertises par des laboratoires agréés.
Les frais d’établissement et le fonctionnement du comité local d’information et de suivi sont pris en charge par le groupement prévu à l’article 12.
Art. 15. - Un décret en Conseil d’État fixe en tant que de besoin les modalités d’application de la présente loi.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 30 décembre 1991.
FRANCOIS MITTERRAND
Par le Président de la République:
Le Premier ministre,
EDITH CRESSON
Le ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et du budget,
PIERRE BEREGOVOY
Le ministre d’État, ministre de la fonction publique et de la modernisation de l’administration,
JEAN-PIERRE SOISSON
Le ministre de la recherche et de la technologie,
HUBERT CURIEN
Le ministre de l’environnement,
BRICE LALONDE
Le ministre délégué au budget,
MICHEL CHARASSE
Le ministre délégué à l’industrie et au commerce extérieur,
DOMINIQUE STRAUSS-KAHN
(1) Travaux préparatoires: loi n° 91-1381.
Assemblée nationale :
Projet de loi n° 2049 ;
Rapport de M. Christian Bataille, au nom de la commission de la production, no 2115 ;
Discussion les 25 et 27 juin 1991 et adoption le 27 juin 1991.
Sénat :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, no 431 (1990-1991) ;
Rapport de M. Henri Revol, au nom de la commission des affaires économiques, no 58 (1991-1992) ;
Discussion et adoption le 6 novembre 1991.
Assemblée nationale :
Projet de loi, modifié par le Sénat, no 2319 ;
Rapport de M. Christian Bataille, au nom de la commission de la production, no 2331 ;
Discussion et adoption le 25 novembre 1991.
Sénat :
Projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, n° 110 (1991-1992) ;
Rapport de M. Henri Revol, au nom de la commission des affaires économiques, no 127 (1991-1992) ;
Discussion et adoption le 11 décembre 1991.
Assemblée nationale :
Projet de loi, modifié par le Sénat en deuxième lecture, n° 2450 ;
Rapport de M. Christian Bataille, au nom de la commission mixte paritaire, n° 2464;
Discussion et adoption le 17 décembre 1991.
Sénat :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale ;
Rapport de M. Henri Revol, au nom de la commission mixte paritaire, n° 169 (1991-1992) ;
Discussion et adoption le 18 décembre 1991.
2. Loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue
JORF n° 0172 du 26 juillet 2016
Texte n° 1
NOR: DEVX1614324L
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article 1
I.- Au 2° de l’article 3 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, l’année : « 2015 » est remplacée par l’année : « 2018 ».
II.- L’article L. 542-10-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, sont insérés cinq alinéas ainsi rédigés :
« La réversibilité est la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion.
« La réversibilité est mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation d’un stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs permettant d’intégrer le progrès technologique et de s’adapter aux évolutions possibles de l’inventaire des déchets consécutives notamment à une évolution de la politique énergétique. Elle inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérente avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage.
« Le caractère réversible d’un stockage en couche géologique profonde doit être assuré dans le respect de la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1. Des revues de la mise en œuvre du principe de réversibilité dans un stockage en couche géologique profonde sont organisées au moins tous les cinq ans, en cohérence avec les réexamens périodiques prévus à l’article L. 593-18.
« Afin de garantir la participation des citoyens tout au long de la vie d’une installation de stockage en couche géologique profonde, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs élabore et met à jour, tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, un plan directeur de l’exploitation de celle-ci.
« L’exploitation du centre débute par une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase. La phase industrielle pilote comprend des essais de récupération de colis de déchets. » ;
2° Après le troisième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
«- les deux dernières phrases du III de l’article L. 593-6, le second alinéa du III de l’article L. 593-7 et l’article L. 593-17 ne s’appliquent qu’à compter de la délivrance de l’autorisation de mise en service mentionnée à l’article L. 593-11. Celle-ci ne peut être accordée que si l’exploitant est propriétaire des terrains servant d’assiette aux installations de surface et des tréfonds contenant les ouvrages souterrains ou s’il a obtenu l’engagement du propriétaire des terrains de respecter les obligations qui lui incombent en application de l’article L. 596-5 ;
«- pour l’application du titre IX du présent livre, les tréfonds contenant les ouvrages souterrains peuvent tenir lieu de terrain servant d’assiette pour ces ouvrages ; »
3° Le quatrième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Le délai de cinq ans mentionné à l’article L. 121-12 est porté à dix ans. Le présent alinéa ne s’applique pas aux nouvelles autorisations mentionnées à l’article L. 593-14 relatives au centre ; »
4° Après le sixième alinéa, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
«-lors de l’examen de la demande d’autorisation de création, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. Seule une loi peut autoriser celle-ci. L’autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée. Cette durée ne peut être inférieure à cent ans. L’autorisation de création du centre est délivrée par décret en Conseil d’Etat, pris selon les modalités définies à l’article L. 593-8, sous réserve que le projet respecte les conditions fixées au présent article ;
«- l’autorisation de mise en service mentionnée à l’article L. 593-11 est limitée à la phase industrielle pilote.
« Les résultats de la phase industrielle pilote font l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, d’un avis de la commission mentionnée à l’article L. 542-3, d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et du recueil de l’avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret.
« Le rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, accompagné de l’avis de la commission nationale mentionnée au même article L. 542-3 et de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire est transmis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ; »
5° Le septième alinéa est ainsi rédigé :
«-le Gouvernement présente un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage et prenant en compte, le cas échéant, les recommandations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; »
6° Le huitième alinéa est ainsi rédigé :
«-l’Autorité de sûreté nucléaire délivre l’autorisation de mise en service complète de l’installation. Cette autorisation ne peut être délivrée à un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs ne garantissant pas la réversibilité de ce centre dans les conditions prévues par la loi. » ;
7° L’avant-dernier alinéa est supprimé ;
8° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les ouvrages souterrains des projets de centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, l’autorisation de création prévue au présent article dispense de la déclaration préalable ou du permis de construire prévus au chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’urbanisme. »
Article 2
Après la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 542-12 du code de l’environnement, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Elle communique cette évaluation aux présidents des commissions parlementaires compétentes en matière de finances, d’énergie et de développement durable. »
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 25 juillet 2016.
François Hollande
Par le Président de la République :
Le Premier ministre,
Manuel Valls
La ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat,
Ségolène Royal
Le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique,
Emmanuel Macron
(1) Travaux préparatoires : loi n° 2016-1015.
Sénat :
Proposition de loi n° 522 (2015-2016) ;
Rapport de M. Michel Raison, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, n° 594 (2015-2016) ;
Texte de la commission n° 595 (2015-2016) ;
Discussion et adoption le 17 mai 2016, TA n° 142 (2015-2016).
Assemblée nationale :
Proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 3755 ;
Rapport de M. Christophe Bouillon, au nom de la commission du développement durable, n° 3755 ;
Discussion et adoption le 11 juillet 2016 (TA n° 789).
3. Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs
Le 6 mars 2017
JORF n° 149 du 29 juin 2006
Texte n° 1
NOR: ECOX0600036L
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
TITRE Ier : POLITIQUE NATIONALE POUR LA GESTION DURABLE DES MATIÈRES ET DES DÉCHETS RADIOACTIFS
Article 1
L’intitulé du chapitre II du titre IV du livre V du code de l’environnement est ainsi rédigé : « Dispositions particulières à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs ».
Article 2
L’article L. 542-1 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« Art. L. 542-1. - La gestion durable des matières et des déchets radioactifs de toute nature, résultant notamment de l’exploitation ou du démantèlement d’installations utilisant des sources ou des matières radioactives, est assurée dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement.
« La recherche et la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs sont entreprises afin de prévenir ou de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures.
« Les producteurs de combustibles usés et de déchets radioactifs sont responsables de ces substances, sans préjudice de la responsabilité de leurs détenteurs en tant que responsables d’activités nucléaires. »
Article 3
Pour assurer, dans le respect des principes énoncés à l’article L. 542-1 du code de l’environnement, la gestion des déchets radioactifs à vie longue de haute ou de moyenne activité, les recherches et études relatives à ces déchets sont poursuivies selon les trois axes complémentaires suivants :
1° La séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Les études et recherches correspondantes sont conduites en relation avec celles menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires mentionnés à l’article 5 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ainsi que sur les réacteurs pilotés par accélérateur dédiés à la transmutation des déchets, afin de disposer, en 2012, d’une évaluation des perspectives industrielles de ces filières et de mettre en exploitation un prototype d’installation avant le 31 décembre 2020 ;
2° Le stockage réversible en couche géologique profonde. Les études et recherches correspondantes sont conduites en vue de choisir un site et de concevoir un centre de stockage de sorte que, au vu des résultats des études conduites, la demande de son autorisation prévue à l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement puisse être instruite en 2015 et, sous réserve de cette autorisation, le centre mis en exploitation en 2025 ;
3° L’entreposage. Les études et les recherches correspondantes sont conduites en vue, au plus tard en 2015, de créer de nouvelles installations d’entreposage ou de modifier des installations existantes, pour répondre aux besoins, notamment en termes de capacité et de durée, recensés par le plan prévu à l’article L. 542-1-2 du code de l’environnement.
Article 4
Pour assurer, dans le respect des principes énoncés à l’article L. 542-1 du code de l’environnement, la gestion des matières et des déchets radioactifs autres que ceux mentionnés à l’article 3 de la présente loi, il est institué un programme de recherche et d’études dont les objectifs sont les suivants :
1° La mise au point de solutions de stockage pour les déchets graphites et les déchets radifères, de sorte que le centre de stockage correspondant puisse être mis en service en 2013 ;
2° La mise au point pour 2008 de solutions d’entreposage des déchets contenant du tritium permettant la réduction de leur radioactivité avant leur stockage en surface ou à faible profondeur ;
3° La finalisation pour 2008 de procédés permettant le stockage des sources scellées usagées dans des centres existants ou à construire ;
4° Un bilan en 2009 des solutions de gestion à court et à long terme des déchets à radioactivité naturelle renforcée, proposant, s’il y a lieu, de nouvelles solutions ;
5° Un bilan en 2008 de l’impact à long terme des sites de stockage de résidus miniers d’uranium et la mise en oeuvre d’un plan de surveillance radiologique renforcée de ces sites.
Article 5
Après l’article L. 542-1 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 542-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 542-1-1. - Le présent chapitre s’applique aux substances radioactives issues d’une activité nucléaire visée à l’article L. 1333-1 du code de la santé publique ou d’une activité comparable exercée à l’étranger ainsi que d’une entreprise mentionnée à l’article L. 1333-10 du même code ou d’une entreprise comparable située à l’étranger.
« Une substance radioactive est une substance qui contient des radionucléides, naturels ou artificiels, dont l’activité ou la concentration justifie un contrôle de radioprotection.
« Une matière radioactive est une substance radioactive pour laquelle une utilisation ultérieure est prévue ou envisagée, le cas échéant après retraitement.
« Un combustible nucléaire est regardé comme un combustible usé lorsque, après avoir été irradié dans le coeur d’un réacteur, il en est définitivement retiré.
« Les déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée.
« Les déchets radioactifs ultimes sont des déchets radioactifs qui ne peuvent plus être traités dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de leur part valorisable ou par réduction de leur caractère polluant ou dangereux.
« L’entreposage de matières ou de déchets radioactifs est l’opération consistant à placer ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée en surface ou en faible profondeur à cet effet, dans l’attente de les récupérer.
« Le stockage de déchets radioactifs est l’opération consistant à placer ces substances dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive dans le respect des principes énoncés à l’article L. 542-1.
« Le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est le stockage de ces substances dans une installation souterraine spécialement aménagée à cet effet, dans le respect du principe de réversibilité. »
Article 6
I. - Après l’article L. 542-1 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 542-1-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 542-1-2. - I. - Un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs dresse le bilan des modes de gestion existants des matières et des déchets radioactifs, recense les besoins prévisibles d’installations d’entreposage ou de stockage, précise les capacités nécessaires pour ces installations et les durées d’entreposage et, pour les déchets radioactifs qui ne font pas encore l’objet d’un mode de gestion définitif, détermine les objectifs à atteindre.
« Conformément aux orientations définies aux articles 3 et 4 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, le plan national organise la mise en oeuvre des recherches et études sur la gestion des matières et des déchets radioactifs en fixant des échéances pour la mise en oeuvre de nouveaux modes de gestion, la création d’installations ou la modification des installations existantes de nature à répondre aux besoins et aux objectifs définis au premier alinéa.
« Il comporte, en annexe, une synthèse des réalisations et des recherches conduites dans les pays étrangers.
« II. - Le plan national et le décret qui en établit les prescriptions respectent les orientations suivantes :
« 1° La réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs est recherchée notamment par le retraitement des combustibles usés et le retraitement et le conditionnement des déchets radioactifs ;
« 2° Les matières radioactives en attente de retraitement et les déchets radioactifs ultimes en attente d’un stockage sont entreposés dans des installations spécialement aménagées à cet usage ;
« 3° Après entreposage, les déchets radioactifs ultimes ne pouvant pour des raisons de sûreté nucléaire ou de radioprotection être stockés en surface ou en faible profondeur font l’objet d’un stockage en couche géologique profonde.
« III. - Le plan national est établi et mis à jour tous les trois ans par le Gouvernement. Il est transmis au Parlement, qui en saisit pour évaluation l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et rendu public.
« IV. - Les décisions prises par les autorités administratives, notamment les autorisations mentionnées à l’article L. 1333-4 du code de la santé publique, doivent être compatibles avec les prescriptions du décret prévu au II du présent article. »
II. - Le plan national prévu à l’article L. 542-1-2 du code de l’environnement est établi pour la première fois avant le 31 décembre 2006.
Article 7
Les propriétaires de déchets de moyenne activité à vie longue produits avant 2015 les conditionnent au plus tard en 2030.
Article 8
I. - L’article L. 542-2 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« Art. L. 542-2. - Est interdit le stockage en France de déchets radioactifs en provenance de l’étranger ainsi que celui des déchets radioactifs issus du retraitement de combustibles usés et de déchets radioactifs provenant de l’étranger. »
II. - Après l’article L. 542-2 du même code, sont insérés deux articles L. 542-2-1 et L. 542-2-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 542-2-1. - I. - Des combustibles usés ou des déchets radioactifs ne peuvent être introduits sur le territoire national qu’à des fins de retraitement, de recherche ou de transfert entre États étrangers.
« L’introduction à des fins de retraitement ne peut être autorisée que dans le cadre d’accords intergouvernementaux et qu’à la condition que les déchets radioactifs issus après retraitement de ces substances ne soient pas entreposés en France au-delà d’une date fixée par ces accords. L’accord indique les périodes prévisionnelles de réception et de retraitement de ces substances et, s’il y a lieu, les perspectives d’utilisation ultérieure des matières radioactives séparées lors du retraitement.
« Le texte de ces accords intergouvernementaux est publié au Journal officiel.
« II. - Les exploitants d’installations de retraitement et de recherche établissent, tiennent à jour et mettent à la disposition des autorités de contrôle les informations relatives aux opérations portant sur des combustibles usés ou des déchets radioactifs en provenance de l’étranger. Ils remettent chaque année au ministre chargé de l’énergie un rapport comportant l’inventaire des combustibles usés et des déchets radioactifs en provenance de l’étranger ainsi que des matières et des déchets radioactifs qui en sont issus après retraitement qu’ils détiennent, et leurs prévisions relatives aux opérations de cette nature. Ce rapport est rendu public.
« Art. L. 542-2-2. - I. - La méconnaissance des prescriptions des articles
L. 542-2 et L. 542-2-1 est constatée, dans les conditions prévues à l’article
L. 541-45, par les fonctionnaires et agents mentionnés aux 1°, 3°, 6° et 8° de l’article L. 541-44 ainsi que par les inspecteurs de la sûreté nucléaire et par des fonctionnaires et agents habilités à cet effet par le ministre chargé de l’énergie et assermentés.
« II. - La méconnaissance des prescriptions de l’article L. 542-2 et du I de l’article L. 542-2-1 est punie des peines prévues à l’article L. 541-46. En outre, sans préjudice de l’application des sanctions prévues au 8° de cet article, l’autorité administrative peut prononcer une sanction pécuniaire au plus égale, dans la limite de dix millions d’euros, au cinquième du revenu tiré des opérations réalisées irrégulièrement. La décision prononçant la sanction est publiée au Journal officiel.
« En cas de manquement aux obligations définies au II de l’article
L. 542-2-1, l’autorité administrative peut prononcer une sanction pécuniaire au plus égale à 150 000 EUR.
« Les sommes sont recouvrées comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine.
« Ces sanctions peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction. »
Article 9
I. - L’article L. 542-3 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Les I à V sont abrogés ;
2° Le premier alinéa du VI est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Une commission nationale est chargée d’évaluer annuellement l’état d’avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs par référence aux orientations fixées par le plan national prévu à l’article L. 542-1-2. Cette évaluation donne lieu à un rapport annuel qui fait également état des recherches effectuées à l’étranger. Il est transmis au Parlement, qui en saisit l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et il est rendu public.
« La commission est composée des membres suivants, nommés pour six ans : » ;
3° Dans le 2° du même VI, les mots : « sur proposition de Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires » sont remplacés par les mots : « sur proposition de l’Académie des sciences morales et politiques » ;
4° Dans le dernier alinéa du même VI, après les mots : « experts scientifiques », sont insérés les mots : « dont au moins un expert international » ;
5° Le même VI est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Le mandat des membres de la commission est renouvelable une fois.
« La commission est renouvelée par moitié tous les trois ans. Pour la constitution initiale de la commission, le mandat de six de ses membres, désignés par tirage au sort, est fixé à trois ans.
« Le président de la commission est élu par les membres de celle-ci lors de chaque renouvellement triennal.
« Les membres de la commission exercent leurs fonctions en toute impartialité. Ils ne peuvent, directement ou indirectement, exercer de fonctions ni recevoir d’honoraires au sein ou en provenance des organismes évalués et des entreprises ou établissements producteurs ou détenteurs de déchets.
« Les organismes de recherche fournissent à la commission tout document nécessaire à sa mission. »
II. - La commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 du code de l’environnement établit son premier rapport avant le 30 juin 2007.
Article 10
Le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, créé par l’article 23 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, organise périodiquement des concertations et des débats concernant la gestion durable des matières et des déchets nucléaires radioactifs.
TITRE II : ORGANISATION ET FINANCEMENTS DE LA GESTION DURABLE DES MATIÈRES ET DES DÉCHETS RADIOACTIFS
Article 11
Dans l’article L. 542-6 du code de l’environnement, les mots : « des laboratoires » sont remplacés par les mots : « d’un laboratoire souterrain ou d’un centre de stockage en couche géologique profonde ».
Article 12
Après l’article L. 542-10 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 542-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 542-10-1. - Un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est une installation nucléaire de base.
« Par dérogation aux règles applicables aux autres installations nucléaires de base :
« - la demande d’autorisation de création doit concerner une couche géologique ayant fait l’objet d’études au moyen d’un laboratoire souterrain ;
« - le dépôt de la demande d’autorisation de création du centre est précédé d’un débat public au sens de l’article L. 121-1 sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs créée à l’article L. 542-12 ;
« - la demande d’autorisation de création du centre donne lieu à un rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3, à un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et au recueil de l’avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret ;
« - la demande est transmise, accompagnée du compte rendu du débat public, du rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 et de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ;
« - le Gouvernement présente ensuite un projet de loi fixant les conditions de réversibilité. Après promulgation de cette loi, l’autorisation de création du centre peut être délivrée par décret en Conseil d’Etat, pris après enquête publique ;
« - l’autorisation de création d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs ne garantissant pas la réversibilité de ce centre dans les conditions prévues par cette loi ne peut être délivrée.
« Lors de l’examen de la demande d’autorisation de création, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. Seule une loi peut autoriser celle-ci. L’autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée. Cette durée ne peut être inférieure à cent ans.
« Les dispositions des articles L. 542-8 et L. 542-9 sont applicables à l’autorisation. »
Article 13
L’article L. 542-11 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« Art. L. 542-11. - Dans tout département sur le territoire duquel est situé tout ou partie du périmètre d’un laboratoire souterrain ou d’un centre de stockage en couche géologique profonde défini à l’article L. 542-9, un groupement d’intérêt public est constitué en vue :
« 1° De gérer des équipements de nature à favoriser et à faciliter l’installation et l’exploitation du laboratoire ou du centre de stockage ;
« 2° De mener, dans les limites de son département, des actions d’aménagement du territoire et de développement économique, particulièrement dans la zone de proximité du laboratoire souterrain ou du centre de stockage dont le périmètre est défini par décret pris après consultation des conseils généraux concernés ;
« 3° De soutenir des actions de formation ainsi que des actions en faveur du développement, de la valorisation et de la diffusion de connaissances scientifiques et technologiques, notamment dans les domaines étudiés au sein du laboratoire souterrain et dans ceux des nouvelles technologies de l’énergie.
« Outre l’État et le titulaire des autorisations prévues aux articles L. 542-7 ou L. 542-10-1, peuvent adhérer de plein droit au groupement d’intérêt public la région, le département, les communes ou leurs groupements en tout ou partie situés dans la zone de proximité mentionnée au 2°.
« Les membres de droit du groupement d’intérêt public peuvent décider l’adhésion en son sein de communes ou de leurs groupements situés dans le même département et hors de la zone de proximité définie au 2°, dans la mesure où lesdits communes ou groupements justifient d’être effectivement concernés par la vie quotidienne du laboratoire ou du centre de stockage.
« Les dispositions des articles L. 341-2 à L. 341-4 du code de la recherche sont applicables au groupement.
« Pour financer les actions visées aux 1° et 2° du présent article, le groupement bénéficie d’une partie du produit de la taxe additionnelle dite “d’accompagnement à la taxe sur les installations nucléaires de base prévue au V de l’article 43 de la loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999), à laquelle il peut, pour les exercices budgétaires des années 2007 à 2016, ajouter une fraction, dans la limite de 80 %, de la partie du produit de la taxe additionnelle dite de “diffusion technologique à ladite taxe sur les installations nucléaires de base dont il bénéficie. Pour financer les actions visées au 3° du présent article, le groupement bénéficie d’une partie du produit de la taxe additionnelle dite de “diffusion technologique, à laquelle il peut, pour les exercices budgétaires des années 2007 à 2016, ajouter une fraction, dans la limite de 80 %, de la partie du produit de la taxe additionnelle dite “d’accompagnement.
« Les personnes redevables de ces taxes additionnelles publient un rapport annuel sur les activités économiques qu’elles conduisent dans les départements visés au premier alinéa. »
Article 14
Les 1° à 5° de l’article L. 542-12 du code de l’environnement sont remplacés par onze alinéas ainsi rédigés :
« 1° D’établir, de mettre à jour tous les trois ans et de publier l’inventaire des matières et déchets radioactifs présents en France ainsi que leur localisation sur le territoire national, les déchets visés à l’article L. 542-2-1 étant listés par pays ;
« 2° De réaliser ou faire réaliser, conformément au plan national prévu à l’article L. 542-1-2, des recherches et études sur l’entreposage et le stockage en couche géologique profonde et d’assurer leur coordination ;
« 3° De contribuer, dans les conditions définies à l’avant-dernier alinéa du présent article, à l’évaluation des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue, selon leur nature ;
« 4° De prévoir, dans le respect des règles de sûreté nucléaire, les spécifications pour le stockage des déchets radioactifs et de donner aux autorités administratives compétentes un avis sur les spécifications pour le conditionnement des déchets ;
« 5° De concevoir, d’implanter, de réaliser et d’assurer la gestion de centres d’entreposage ou des centres de stockage de déchets radioactifs compte tenu des perspectives à long terme de production et de gestion de ces déchets ainsi que d’effectuer à ces fins toutes les études nécessaires ;
« 6° D’assurer la collecte, le transport et la prise en charge de déchets radioactifs et la remise en état de sites de pollution radioactive sur demande et aux frais de leurs responsables ou sur réquisition publique lorsque les responsables de ces déchets ou de ces sites sont défaillants ;
« 7° De mettre à la disposition du public des informations relatives à la gestion des déchets radioactifs et de participer à la diffusion de la culture scientifique et technologique dans ce domaine ;
« 8° De diffuser à l’étranger son savoir-faire.
« L’agence peut obtenir le remboursement des frais exposés pour la gestion des déchets radioactifs pris en charge sur réquisition publique des responsables de ces déchets qui viendraient à être identifiés ou qui reviendraient à meilleure fortune.
« L’agence propose au ministre chargé de l’énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue selon leur nature. Après avoir recueilli les observations des redevables des taxes additionnelles mentionnées au V de l’article 43 de la loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999) et l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, le ministre chargé de l’énergie arrête l’évaluation de ces coûts et la rend publique.
« L’agence peut conduire, avec toute personne intéressée, des actions communes d’information du public et de diffusion de la culture scientifique et technologique. »
Article 15
Après l’article L. 542-12 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 542-12-1 ainsi rédigé:
« Art. L. 542-12-1. - Il est institué, au sein de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, un fonds destiné au financement des recherches et études sur l’entreposage et le stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs. Les opérations de ce fonds font l’objet d’une comptabilisation distincte permettant d’individualiser les ressources et les emplois du fonds au sein du budget de l’agence. Le fonds a pour ressources le produit de la taxe dite de “recherche additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base prévue au V de l’article 43 de la loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999).
« L’agence dispose d’une subvention de l’État qui contribue au financement des missions d’intérêt général qui lui sont confiées en application des dispositions des 1° et 6° de l’article L. 542-12. »
Article 16
Après l’article L. 542-12 du code de l’environnement, il est inséré un article
L. 542-12-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 542-12-2. - Il est institué, au sein de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, un fonds destiné au financement de la construction, de l’exploitation, de l’arrêt définitif, de l’entretien et de la surveillance des installations d’entreposage ou de stockage des déchets de haute ou de moyenne activité à vie longue construites ou exploitées par l’agence. Les opérations de ce fonds font l’objet d’une comptabilisation distincte permettant d’individualiser les ressources et les emplois du fonds au sein du budget de l’agence. Le fonds a pour ressources les contributions des exploitants d’installations nucléaires de base définies par des conventions.
« Si l’autorité administrative constate que l’application des dispositions de l’article 20 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs est susceptible d’être entravée, elle peut imposer, le cas échéant sous astreinte, à l’exploitant d’une installation nucléaire de base de verser au fonds les sommes nécessaires à la couverture des charges mentionnées au I du même article 20. »
Article 17
Les subventions de l’État aux organismes participant aux recherches mentionnées au 1° de l’article 3 sont complétées par des contributions des exploitants d’installations nucléaires de base définies par convention entre ces organismes et eux.
Article 18
L’article L. 542-13 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Il est créé, auprès de tout laboratoire souterrain, un comité local d’information et de suivi chargé d’une mission générale de suivi, d’information et de concertation en matière de recherche sur la gestion des déchets radioactifs et, en particulier, sur le stockage de ces déchets en couche géologique profonde. » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas sont ainsi rédigés :
« Ce comité comprend des représentants de l’État, deux députés et deux sénateurs désignés par leur assemblée respective, des élus des collectivités territoriales consultées à l’occasion de l’enquête publique ou concernées par les travaux de recherche préliminaires prévus à l’article L. 542-6, des représentants d’associations de protection de l’environnement, de syndicats agricoles, d’organisations professionnelles, d’organisations syndicales de salariés représentatives et de professions médicales, des personnalités qualifiées ainsi que le titulaire de l’autorisation prévue à l’article L. 542-10-1.
« Il peut être doté de la personnalité juridique avec un statut d’association. Il est présidé par un de ses membres, élu national ou local, nommé par décision conjointe des présidents des conseils généraux des départements sur lesquels s’étend le périmètre du laboratoire. » ;
3° Dans la dernière phrase du quatrième alinéa, les mots : « d’évaluation » sont supprimés ;
4° La dernière phrase du quatrième alinéa est complétée par les mots : « et le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire créé par l’article 23 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire » ;
5° Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « La commission nationale présente chaque année, devant le comité local d’information et de suivi, son rapport d’évaluation sur l’état d’avancement des recherches dans les trois axes de recherche définis par l’article 3 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs. » ;
6° Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La commission locale d’information et de suivi et le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire créé par l’article 23 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 précitée se communiquent tous les renseignements utiles à l’exercice de leurs missions et concourent à des actions communes d’information. » ;
7° Après le mot : « sont », la fin du dernier alinéa est ainsi rédigée : « financés à parité d’une part par des subventions de l’État, d’autre part par des subventions des entreprises concernées par l’activité de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde. »
Article 19
Le dernier alinéa de l’article L. 515-7 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas au stockage des déchets radioactifs. »
Article 20
I. - Les exploitants d’installations nucléaires de base évaluent, de manière prudente, les charges de démantèlement de leurs installations ou, pour leurs installations de stockage de déchets radioactifs, leurs charges d’arrêt définitif, d’entretien et de surveillance. Ils évaluent de la même manière, en prenant notamment en compte l’évaluation fixée en application de l’article L. 542-12 du code de l’environnement, les charges de gestion de leurs combustibles usés et déchets radioactifs.
II. - Les exploitants d’installations nucléaires de base constituent les provisions afférentes aux charges mentionnées au I et affectent à titre exclusif à la couverture de ces provisions les actifs nécessaires.
Ils comptabilisent de façon distincte ces actifs qui doivent présenter un degré de sécurité et de liquidité suffisant pour répondre à leur objet. Leur valeur de réalisation est au moins égale au montant des provisions mentionnées au premier alinéa du présent II, à l’exclusion de celles liées au cycle d’exploitation.
À l’exception de l’État dans l’exercice des pouvoirs dont il dispose pour faire respecter par les exploitants leurs obligations de démantèlement de leurs installations et de gestion de leurs combustibles usés et déchets radioactifs, nul ne peut se prévaloir d’un droit sur les actifs mentionnés au premier alinéa du présent II, y compris sur le fondement du livre VI du code de commerce.
III. - Les exploitants transmettent tous les trois ans à l’autorité administrative un rapport décrivant l’évaluation des charges mentionnées au I, les méthodes appliquées pour le calcul des provisions afférentes à ces charges et les choix retenus en ce qui concerne la composition et la gestion des actifs affectés à la couverture des provisions. Ils transmettent tous les ans à l’autorité administrative une note d’actualisation de ce rapport et l’informent sans délai de tout événement de nature à en modifier le contenu. Ils communiquent à sa demande à l’autorité administrative copie de tous documents comptables ou pièces justificatives.
Si l’autorité administrative relève une insuffisance ou une inadéquation dans l’évaluation des charges, le calcul des provisions ou le montant, la composition ou la gestion des actifs affectés à ces provisions, elle peut, après avoir recueilli les observations de l’exploitant, prescrire les mesures nécessaires à la régularisation de sa situation en fixant les délais dans lesquels celui-ci doit les mettre en oeuvre.
En cas d’inexécution de ces prescriptions dans le délai imparti, l’autorité administrative peut ordonner, sous astreinte, la constitution des actifs nécessaires ainsi que toute mesure relative à leur gestion.
Les exploitants transmettent, au plus tard dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, leur premier rapport triennal mentionné au premier alinéa du présent III. Ce premier rapport comprend, outre les éléments prévus au premier alinéa du présent III, un plan de constitution des actifs définis au II du présent article.
Les exploitants mettent en oeuvre le plan de constitution d’actifs au plus tard dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la présente loi.
IV. - Il est créé une Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs.
La commission évalue le contrôle de l’adéquation des provisions prévues au II aux charges mentionnées au I et de la gestion des actifs visés au II ainsi que la gestion des fonds mentionnés aux articles L. 542-12-1 et L. 542-12-2 du code de l’environnement.
Elle peut, à tout moment, adresser au Parlement et au Gouvernement des avis sur les questions relevant de sa compétence. Ses avis peuvent être rendus publics. Elle remet au Parlement et au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire créé par l’article 23 de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, tous les trois ans, un rapport présentant l’évaluation mentionnée à l’alinéa précédent. Ce rapport est rendu public.
La commission est composée :
1° Des présidents des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat compétentes en matière d’énergie ou chargées des finances, ou de leur représentant ;
2° De quatre personnalités qualifiées désignées à parité par l’Assemblée nationale et par le Sénat ;
3° De quatre personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement.
Les personnalités qualifiées sont désignées pour six ans.
La commission reçoit communication des rapports mentionnés au III. Elle peut demander aux exploitants communication de tous documents nécessaires à l’accomplissement de ses missions. Elle peut entendre l’autorité administrative mentionnée au III.
La commission remet son premier rapport au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi.
Pendant la durée de leurs fonctions, les personnalités qualifiées membres de la commission ne prennent aucune position publique sur des sujets relevant de la compétence de celle-ci. Pendant la durée de leurs fonctions et après celle-ci, les membres de la commission sont tenus au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions.
Les membres de la commission ne peuvent, directement ou indirectement, exercer de fonctions ni recevoir d’honoraires au sein ou en provenance des exploitants d’installations nucléaires de base ou d’autres entreprises du secteur de l’énergie.
V. - Un décret détermine, en tant que de besoin, les conditions et modalités d’application du présent article, notamment dans le respect des normes comptables applicables, les modalités d’évaluation des charges mentionnées au I et de calcul des provisions prévues au II, ainsi que les informations que les exploitants sont tenus de rendre publiques et les règles de publicité y afférentes.
Le présent article, à l’exception des dispositions du I, n’est pas applicable aux installations nucléaires de base exploitées directement par l’Etat. Les personnes n’exploitant plus d’installation nucléaire de base sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent article relatives à la gestion de leurs combustibles usés et déchets radioactifs, aux exploitants de telles installations.
Article 21
I. - L’article 43 de la loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999) est complété par un V ainsi rédigé :
« V. - Il est créé trois taxes additionnelles à la taxe sur les installations nucléaires de base. Le montant de ces taxes additionnelles, dites respectivement de “recherche, “d’accompagnement et de “diffusion technologique, est déterminé, selon chaque catégorie d’installations, par application d’un coefficient multiplicateur à une somme forfaitaire. Les coefficients sont fixés par décret en Conseil d’État après avis des conseils généraux concernés et des groupements d’intérêt public définis à l’article L. 542-11 du code de l’environnement pour ce qui concerne les taxes dites “d’accompagnement et de “diffusion technologique, dans les limites indiquées dans le tableau ci-dessous et des besoins de financement, en fonction des quantités et de la toxicité des colis de déchets radioactifs produits et à produire ne pouvant pas être stockés en surface ou en faible profondeur que peut produire chaque catégorie d’installations.
Vous pouvez consulter le tableau dans le JO n° 149 du 29/06/2006 texte numéro 1
« Les taxes additionnelles sont recouvrées dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que la taxe sur les installations nucléaires de base.
« Sous déduction des frais de collecte fixés à 1 % des sommes recouvrées, le produit de la taxe additionnelle dite de “recherche est reversé à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
« Sous déduction des frais de collecte fixés à 1 % des sommes recouvrées, le produit de la taxe additionnelle dite “d’accompagnement est réparti, à égalité, en un nombre de parts égal au nombre de départements mentionnés à l’article L. 542-11 du code de l’environnement. Une fraction de chacune de ces parts, déterminée par décret en Conseil d’État dans la limite de 20 %, est reversée par les groupements d’intérêt public mentionnés au même article L. 542-11, au prorata de leur population, aux communes du département dont une partie du territoire est distante de moins de 10 kilomètres de l’accès principal aux installations souterraines d’un laboratoire souterrain mentionné à l’article L. 542-4 du même code ou d’un centre de stockage en couche géologique profonde mentionné à l’article L. 542-10-1 du même code. Le solde de chacune de ces parts est reversé au groupement d’intérêt public mentionné à l’article L. 542-11 du même code.
« Sous déduction des frais de collecte fixés à 1 % des sommes recouvrées, le produit de la taxe additionnelle dite de “diffusion technologique est reversé aux groupements d’intérêt public mentionnés à l’article L. 542-11 du même code à égalité entre eux. »
II. - Les dispositions du I sont applicables à compter du 1er janvier 2007.
TITRE III : CONTRÔLES ET SANCTIONS
Article 22
Tout responsable d’activités nucléaires et toute entreprise mentionnée à l’article L. 1333-10 du code de la santé publique est tenu d’établir, de tenir à jour et de mettre à la disposition de l’autorité administrative et, pour ce qui relève de sa compétence, de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, les informations nécessaires à l’application et au contrôle des dispositions de la présente loi.
Sans préjudice des dispositions du III de l’article 20, un décret en Conseil d’État précise celles de ces informations qui font l’objet d’une transmission périodique à l’autorité administrative ou à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Article 23
En cas de manquement de l’exploitant d’une installation nucléaire de base aux obligations définies aux I et II de l’article 20, l’autorité administrative peut, sans préjudice des mesures prévues au III du même article, prononcer une sanction pécuniaire dont le montant n’excède pas 5 % de la différence entre le montant des actifs constitués par l’exploitant d’une installation nucléaire de base et celui prescrit par l’autorité administrative. La décision prononçant la sanction est publiée au Journal officiel.
En cas de manquement aux obligations d’information prévues au III de l’article 20 et à l’article 22, l’autorité administrative peut prononcer une sanction pécuniaire au plus égale à 150 000.
Les sommes sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
Les sanctions prévues au présent article peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction.
Article 24
Un décret en Conseil d’État fixe, en tant que de besoin, les modalités d’application de la présente loi.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 28 juin 2006.
Jacques Chirac
Par le Président de la République :
Le Premier ministre,
Dominique de Villepin
Le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire,
Nicolas Sarkozy
La ministre de la défense,
Michèle Alliot-Marie
Le ministre des affaires étrangères,
Philippe Douste-Blazy
Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
Thierry Breton
Le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche,
Gilles de Robien
Le ministre de la santé et des solidarités,
Xavier Bertrand
La ministre de l’écologie et du développement durable,
Nelly Olin
Le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche,
François Goulard
Le ministre délégué à l’industrie,
François Loos
(1) Travaux préparatoires : loi n° 2006-739.
Assemblée nationale :
Projet de loi n° 2977 ;
Rapport de M. Claude Birraux, au nom de la commission des affaires économiques, n° 3003 ;
Discussion les 6, 11 et 12 avril 2006 et adoption, après déclaration d’urgence, le 12 avril 2006.
Sénat :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, n° 315 (2005-2006) ;
Rapport de M. Henri Revol, au nom de la commission des affaires économiques, n° 358 (2005-2006) ;
Discussion le 30 mai 2006 et adoption le 31 mai 2006.
Assemblée nationale :
Projet de loi, modifié par le Sénat, n° 3121 ;
Rapport de M. Claude Birraux, au nom de la commission des affaires économiques, n° 3154 ;
Discussion et adoption le 15 juin 2006.
ANNEXE N° 7 :
SAISINE DU HCTISN
ANNEXE N° 8 :
ANALYSE DES DOCUMENTS CIGEO 2016 PAR LA CNE2 ET RECOMMANDATIONS
1 () Recycling versus Long-Term Storage of Nuclear Fuel: Economic Factors B. Yolanda Moratilla Soria, Maria Uris Mas, Mathilde Estadieu, Ainhoa Villar Lejarreta, et David Echevarria-López, Hindawi Publishing, 4 juin 2013.
2 () Comme le rappelle, dans son ouvrage « Superphénix – Pourquoi ? », publié en 1997, M. Georges Vendryes, ancien directeur des applications industrielles nucléaires civiles du CEA, le chantier de construction fit l’objet d’un attentat en janvier 1982: « cinq roquettes anti-char de fabrication soviétique furent tirées en direction du bâtiment du réacteur…L’une des roquettes… aboutit à l’intérieur de l’enceinte où une vingtaine d’ouvriers étaient au travail ». Cette attaque fut d’abord revendiquée par un anonyme se présentant comme un « pacifiste écologiste », puis, quelques années plus tard, par un parlementaire genevois qui n’a pas été inquiété.
3 () « Confidence in the Long Term Safety of Deep Geological Repositories : Its Communication and Development », Agence de l’énergie nucléaire (AEN), OCDE, 1999.
4 () Disposal of Radioactive Waste - IAEA Safety Standards, AIEA 2001.
5 () Élaboré conjointement par l’ANDRA et les producteurs de déchets, le PIGD rassemble, d'une part, l'inventaire des déchets à stocker et les principales hypothèses retenues pour l’élaborer, et, d'autre part, l'ordonnancement et les flux prévisionnels de livraison des colis.
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