N° 1084
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 mai 2013.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 998) DE M. CHRISTIAN JACOB ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations,
PAR M. Éric CIOTTI,
Député.
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INTRODUCTION 5
I. LE CONSTAT LARGEMENT PARTAGÉ DE LA NÉCESSITÉ DE MIEUX ENCADRER L’EXPRESSION DE L’APPARTENANCE RELIGIEUSE SUR LE LIEU DE TRAVAIL 8
II. L’ENCADREMENT DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DE L’APPARTENANCE RELIGIEUSE SUR LE LIEU DE TRAVAIL 9
A. UN CADRE DIFFÉRENT POUR LES SERVICES PUBLICS ET LES ENTREPRISES PRIVÉES 9
1. La restriction de la liberté d’expression de l’appartenance religieuse dans les services publics 9
2. La restriction de la liberté de religion dans les entreprises privées et les associations 10
B. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI 11
Article premier (art. L. 1121-1 du code du travail) : Réglementation de l’expression d’une appartenance religieuse sur le lieu de travail 25
Article 2 (art. L. 1321-3 du code du travail) : Introduction, dans le règlement intérieur des entreprises, de restrictions à l’expression d’une appartenance religieuse sur le lieu de travail 28
Par deux décisions du 19 mars 2013 – Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis (1) et « Baby Loup » (2) – la Cour de cassation a précisé les limites de la liberté d’exprimer son appartenance religieuse dans le monde du travail. Dans le premier arrêt, la haute juridiction étend l’obligation de neutralité à l’ensemble des personnes privées chargées d’une mission de service public. C’est ainsi qu’est jugé valide le licenciement d’une personne ne respectant pas ce principe, quand bien même ses fonctions ne la placeraient pas en contact du public.
Dans le même temps, par le second arrêt, la Cour de cassation a jugé illégal le licenciement d’une salariée de la crèche associative « Baby Loup », située à Chanteloup-les-vignes (Yvelines), au motif qu’elle avait refusé d’ôter son voile sur son lieu de travail. La haute juridiction a jugé que, dès lors que cette association ne gérait pas un service public, une clause générale de laïcité et de neutralité prévue par ses statuts, applicable à tous les salariés, n’était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
C’est donc le caractère général et imprécis de la restriction à la libre expression de son appartenance religieuse sur le lieu de travail que la Cour de cassation a, en l’espèce, sanctionné.
Cette décision a soulevé de légitimes interrogations, pour employer un euphémisme et, pour tout dire, un trouble certain. Devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur a lui-même d’ailleurs indiqué, le 19 mars dernier regretter cette décision qui constitue, selon lui une « mise en cause de la laïcité » (3).
Votre rapporteur a entendu les dirigeants de la crèche associative « Baby Loup » et a pu prendre la mesure de leur désarroi et de leur sentiment d’abandon. La décision de la Cour de cassation a amplifié les tensions autour de cette crèche, au point que des personnes mettent désormais – parfois violemment – en cause son caractère non-confessionnel. Il a ainsi été relaté que des parents demandaient le réveil de leur enfant pour effectuer la prière ou encore que des petites filles venaient voilées, sous couvert de prétendus maux d’oreilles. Une atmosphère hostile à la crèche se développe dans le quartier, qui se traduit notamment par de nombreuses intimidations à l’encontre de ses dirigeants et de son personnel. Dans les faits, la décision de la Cour de cassation a eu pour effet de légitimer, même si ce n’est bien évidemment pas son but, les postures communautaristes. Il est donc temps que le Parlement intervienne sur cette question majeure, qui lui lance une sorte de défi, et, que « la République relégitime » cette crèche, selon le vœu, exprimé comme tel, par ses dirigeants.
La décision de la Cour de cassation intervient dans un contexte où les demandes à caractère religieux sur le lieu de travail augmentent, comme en témoigne une étude de l’observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), qui dépend de l’Institut d’études politiques de Rennes. Si les représentants du Medef, entendus par votre rapporteur, ont rappelé que les difficultés demeuraient quantitativement peu nombreuses et se réglaient, la plupart du temps, de manière pragmatique, ils ont souligné que le législateur avait tout intérêt à encadrer ces phénomènes « à froid » avant qu’ils ne prennent de l’ampleur.
Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 28 mars dernier, notre collègue, l’ancien Premier ministre François Fillon (4) affirmait que « depuis quelques années, on assist[ait] à la montée en puissance de revendications relatives à l’expression religieuse dans les entreprises ». Il constatait qu’en l’état actuel de la législation, l’employeur ne peut prévoir, dans son règlement intérieur, des clauses garantissant le principe de neutralité.
Précisément, l’objet de la présente proposition de loi est de permettre au chef d’entreprise de réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail.
Par ailleurs, le Sénat a adopté, en première lecture, le 17 janvier 2012, une proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (5). Ce texte est issu d’une proposition de loi de Mme Françoise Laborde (6), qui prévoyait d’étendre l’obligation de neutralité religieuse au personnel des structures privées d’accueil d’enfants de moins de six ans (crèches, centres de vacances et de loisirs...) et aux assistants maternels.
Sur l’initiative du rapporteur de la commission des Lois du Sénat (7), le texte a été modifié pour distinguer, parmi les structures d’accueil des mineurs, celles qui bénéficient d’une aide financière publique, celles qui ne bénéficient pas d’une telle aide et celles qui se prévalent d’un caractère religieux. Les premières devraient être soumises à une obligation de neutralité en matière religieuse. Les deuxièmes devraient être autorisées, au nom de l’intérêt de l’enfant, à apporter, si elles le souhaitent, certaines restrictions à la manifestation des convictions religieuses de leurs salariés au contact de mineurs. Les troisièmes ne seraient pas soumises à l’obligation de neutralité. S’agissant des assistants maternels, la commission des Lois du Sénat a souhaité qu’à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui les lie au particulier employeur, les assistants maternels soient soumis à une obligation de neutralité dans le cadre de leur activité d’accueil d’enfants. Dans le silence du contrat, l’assistant maternel devrait s’abstenir de toute manifestation d’appartenance religieuse dans le cadre de son activité de garde d’enfants. Transmise à l’Assemblée nationale initialement le 18 janvier 2013 (8), la proposition de loi a été de nouveau transmise, au début de l’actuelle législature, le 2 juillet 2013 (9).
La présente proposition de loi ne retient pas la solution juridique trouvée au Sénat. Plutôt que d’étendre l’application du principe de laïcité à certaines entreprises et associations, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique, elle préfère permettre aux chefs d’entreprises de réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail.
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I. LE CONSTAT LARGEMENT PARTAGÉ DE LA NÉCESSITÉ DE MIEUX ENCADRER L’EXPRESSION DE L’APPARTENANCE RELIGIEUSE SUR LE LIEU DE TRAVAIL
L’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » : il pose ainsi le principe de la neutralité de l’État et des personnes publiques à l’égard des cultes et de l’égalité entre les confessions. Pour autant, le principe de laïcité ne s’applique qu’aux personnes publiques, auxquelles il impose, comme à ses agents, une stricte neutralité en matière religieuse. Cette exigence est d’ailleurs au cœur du pacte républicain.
L’alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce que « [n]ul ne peut être lésé, dans son travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».
Depuis dix ans, une réflexion nourrie a été menée sur la question de la neutralité religieuse dans l’entreprise.
Le rapport de la commission présidée par Bernard Stasi, remis au président de la République le 11 décembre 2003 (10), a ainsi recommandé qu’« au regard des difficultés que rencontrent certaines entreprises », une disposition législative, prise après concertation avec les partenaires sociaux, « permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne ».
L’Assemblée nationale a adopté, le 31 mai 2011, une résolution (11), issue d’une initiative du groupe UMP, portant sur « l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse ». Cette résolution « estime souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière religieuse, et notamment, lorsque cela est nécessaire, un encadrement des pratiques et tenues susceptibles de nuire à un vivre ensemble harmonieux » ;
De même, le Haut conseil à l’intégration a émis un avis dont la finalité est identique. Il a ainsi proposé, en septembre 2011, que soit inséré dans le code du travail un « article autorisant les entreprises à intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l’entreprise (prières, restauration collective...) au nom d’impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou la paix sociale interne ». (12)
Dans le même avis, le Haut conseil constatait, en effet, que le droit français avait pris en compte, au cours des deux dernières décennies, « le développement des problématiques liées à l’expression et aux pratiques religieuses dans l’entreprise », mais que « les salariés des entreprises privées ne sont actuellement pas soumis aux mêmes exigences de stricte neutralité laïque que les agents du service public ». Il estimait cependant que « sur le lieu de travail, la réserve en matière religieuse est préférable à l’expression revendicative d’une identité religieuse qui s’accompagne en général de demandes dérogatoires mal perçues par la majorité des salariés, en regard de l’égalité de traitement et du vivre ensemble ».
L’Observatoire de la laïcité, installé le 8 avril 2013, est également amené à réfléchir sur ces questions. Plus précisément, le président de la République lui a ainsi demandé « d’émettre rapidement » des propositions sur les questions soulevées par l’arrêt « Baby Loup » en termes de définition et d’encadrement « de la laïcité dans les structures privées qui assurent une mission d’accueil des enfants » (13). Entendu par votre rapporteur, M. Jean-Louis Bianco, qui préside cet observatoire, a confirmé qu’il travaillait effectivement sur ce sujet.
II. L’ENCADREMENT DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DE L’APPARTENANCE RELIGIEUSE SUR LE LIEU DE TRAVAIL
La question de l’encadrement de la libre expression de son appartenance religieuse sur le lieu de travail s’apprécie différemment selon que la personne concernée travaille ou non pour un service public.
Dans une décision du 21 février 2013 (14), le Conseil constitutionnel a rappelé que le principe de laïcité se déclinait en trois volets :
— la liberté complète de culte et l’égalité de toute croyance ;
— l’interdiction du salariat des cultes ou encore du service public du culte (hormis dans les territoires alsaciens et mosellans où le droit local a été maintenu) ;
— la neutralité de l’État.
Le Conseil d’État avait déjà considéré que la neutralité de l’État impliquait celle de tous les services publics, y compris lorsqu’ils sont gérés par des organismes de droit privé (Conseil d’État, 31 janvier 1964, Caisse d’allocations familiales de l’arrondissement de Lyon).
Cette neutralité implique aussi l’interdiction pour tous les agents publics de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, même en l’absence de contact avec le public (Conseil d’État, avis, 31 mai 2000, Mlle Marteaux). Dans ce cas, le Conseil d’État avait estimé que la neutralité vestimentaire, dans l’enseignement public, s’étendait à une surveillante intérimaire puisque cette neutralité doit s’appliquer à l’ensemble des « agents du service de l’enseignement public ».
Dans le même sens, la charte de la laïcité dans les services publics, qui prend la forme d’une circulaire du Premier ministre du 13 avril 2007 (15), précise que tout agent public a un devoir de stricte neutralité et qu’il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience. Surtout, ce texte affirme que le fait, pour un agent public, de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions « constitue un manquement à ses obligations ».
Dans la décision précitée du 19 mars 2013 relative à la Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, la Cour de cassation a adopté une jurisprudence identique en affirmant que « la cour d’appel a retenu exactement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. »
La Cour de cassation affirme donc clairement que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé.
Dans une l’autre décision précitée du même jour, dite « Baby Loup », la Cour de Cassation a considéré que le principe de laïcité n’était pas applicable aux salariés d’une crèche privée et qu’ils ne pouvaient se voir imposer, en son nom, une limitation générale et disproportionnée de leur liberté religieuse : « Attendu que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; qu’il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; qu’il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. »
Par conséquent, des restrictions peuvent exister à condition d’être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et d’être proportionnée au but recherché.
En l’état actuel de la jurisprudence, ces restrictions sont donc possibles. L’objet de la présente proposition de loi est donc de les encadrer.
L’intervention du législateur doit permettre de préciser les critères permettant une restriction à la libre expression de son appartenance religieuse sur le lieu de travail.
Deux options sont envisageables :
— celle retenue par le Sénat le 17 janvier 2012 (cf. supra), qui tend à étendre l’application du principe de laïcité à certaines entreprises et associations, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière publique ;
— celle retenue par la présente proposition de loi, qui vise à permettre au chef d’entreprise de réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail.
Cette dernière solution semble la plus pertinente et, de surcroît, plus compatible avec la Constitution et les engagements internationaux de la France, au premier rang desquels la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère traditionnellement que toute limitation d’une liberté fondamentale doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou par un motif d’intérêt général. Or, le principe de laïcité ne s’applique juridiquement qu’aux services publics. Précisément, la présente proposition de loi ne tend pas à étendre le principe de laïcité à l’ensemble des entreprises. Il s’agit simplement de permettre à celles qui le souhaitent de pouvoir encadrer la libre expression de son appartenance religieuse sur le lieu de travail, de manière précise et proportionnée.
La Cour européenne des droits de l’homme a adopté une jurisprudence similaire en matière de libertés fondamentales en considérant que la limitation d’une liberté doit poursuivre un but légitime, être prévue par la loi et être nécessaire dans une société démocratique.
En effet, la Cour estime que l’article 9 de la CEDH (16) qui garantit la liberté de religion implique « la liberté de manifester sa religion, y compris sur le lieu de travail » (17). La liberté de manifester sa religion peut faire l’objet de restrictions dès lors que ces restrictions sont nécessaires pour préserver la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
La Cour a ainsi jugé que constituait une violation de la liberté de religion une interdiction de port de signes religieux motivée par le souhait d’une compagnie aérienne de véhiculer une certaine image de marque (CEDH, 15 janvier 2013, Eweida et autres c./ Royaume-Uni). En revanche, elle n’a pas considéré comme une violation de cette liberté une interdiction de port de signes religieux motivée par des considérations de santé et de sécurité en milieu hospitalier (CEDH, 15 janvier 2013, Chaplin et autres c./ Royaume-Uni).
D’ailleurs, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité avait émis un avis similaire. Pour elle, le simple fait d’être au contact de la clientèle n’est pas, en soi, une justification légitime pour restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié. Le chef d’entreprise doit justifier, pour chaque cas, de « la pertinence et de la proportionnalité de la décision au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte de son exécution afin de démontrer que l’interdiction du port de signes religieux est, en dehors de toute discrimination, proportionnée et justifiée par la tâche à accomplir ». (18)
La proposition de loi vise à prévoir explicitement, dans le code du travail, d’autoriser des restrictions aux libertés individuelles visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail. Ces restrictions, imposées par l’employeur, doivent, pour être légales, être :
— justifiées par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public, ce qui implique qu’elles ne peuvent pas s’appliquer, dans une entreprise privée ne gérant pas un service public, à d’autres salariés que ceux en contact effectif avec le public ;
— ou justifiées par le bon fonctionnement de l’entreprise.
En outre, ces restrictions devront, comme c’est déjà le cas de manière générale, en application de l’actuel dispositif, être proportionnées au but recherché.
Le caractère facultatif du dispositif proposé permettra notamment aux structures privées confessionnelles de faire le choix de ne pas adopter ce type de dispositions dans leur règlement intérieur, en fonction de leur caractère propre.
Entendu par votre rapporteur, le Grand rabbin de Paris Michel Gugenheim (19) s’est inquiété de l’expression : « bon fonctionnement de l’entreprise », qui, à ses yeux, risque de conduire le chef d’entreprise à prendre des mesures restrictives pour assurer une certaine « paix sociale » interne. Votre rapporteur lui a cependant rappelé que ces mesures ne pourraient être prises qu’après avis des représentants du personnel et qu’elles devaient, en toute hypothèse, être proportionnées au but recherché.
Le représentant du Conseil français du culte musulman, maître Chems-Eddine Hafiz, entendu également par votre rapporteur, a estimé que le droit positif était suffisant et qu’une nouvelle initiative législative pourrait être perçue comme visant spécifiquement l’Islam.
Le représentant de la Conférence des évêques de France, Mgr Antoine Hérouard, s’est inquiété du fait que la proposition de loi constituerait une nouvelle étape de « laïcisation » de la société française qui conduirait à ce que l’expression religieuse se trouve confinée dans la seule sphère privée, sans possibilité d’expression publique. Pour autant, le pape Jean-Paul II rappelait en 2005, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État que la non-confessionnalité de l’État permet que toutes les composantes de la société puissent travailler « dans l’intérêt général et pour le bien commun ».
Votre rapporteur a eu l’occasion d’indiquer aux représentants des cultes que la présente proposition de loi ne visait bien évidemment pas à stigmatiser telle ou telle religion et que le dispositif proposé était équilibré. En effet, les restrictions à l’expression de l’appartenance religieuse ne s’appliqueraient qu’aux seuls salariés en contact effectif avec le public ou bien si elles sont justifiées par le bon fonctionnement de l’entreprise. Ces mesures, soumises à l’avis de représentants du personnel, devront bien évidemment être proportionnées au but recherché. Le caractère facultatif du dispositif proposé permettra en outre aux structures privées confessionnelles de faire le choix de ne pas adopter ce type de dispositions dans leur règlement intérieur, en fonction de leur caractère propre.
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La Commission examine la présente proposition de loi lors de sa séance du mercredi 29 mai 2013.
Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’engage.
Mme Colette Capdevielle. En raison de son importance et de sa complexité, la question de la laïcité mérite d’être traitée globalement, et non à travers le prisme d’une proposition de loi de circonstance et d’émotion, qui fait suite à une décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation – d’autant que, si l’affaire « Baby Loup » a fait couler beaucoup d’encre, on a beaucoup moins glosé sur l’affaire « Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis », pourtant tout aussi intéressante.
À titre liminaire, permettez-moi de rappeler que le président de la République a installé, le 8 avril dernier, l’Observatoire de la laïcité, dont la création avait été décidée en 2007, mais qui était resté lettre morte. Il en a confié la présidence à M. Jean-Louis Bianco, et quatre parlementaires en sont membres de droit : Mmes Françoise Laborde et Marie-Jo Zimmermann, MM. Jean Glavany et François-Noël Buffet ; l’opposition parlementaire y est donc représentée. Cet observatoire a pour mission d’assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics : il collectera des données ; il produira des analyses, des études et des recherches ; il pourra saisir le Premier ministre et lui proposer toute mesure permettant une meilleure mise en œuvre de ce principe ; il pourra être consulté sur des projets de loi. L’Observatoire dressera prochainement un état des lieux, qui fera notamment le point sur les dernières dispositions légales de 2004 et de 2010, et il déposera à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet un rapport intermédiaire, qui formulera des recommandations précises. Son action s’inscrit dans une volonté d’apaisement, de dialogue, de respect et de non-stigmatisation pour un meilleur vivre et un meilleur travailler ensemble.
Cela étant posé, j’en reviens à la proposition de loi. Les deux articles qui la composent visent à modifier le code du travail pour fixer un cadre permettant aux entreprises de droit privé de réglementer le port de signes religieux à l’intérieur de l’entreprise. L’article 1er restreint la protection des droits et libertés individuelles des salariés, qui sont pourtant garanties par le code du travail. L’article 2 permet aux entreprises d’insérer directement dans leur règlement intérieur des dispositions réglementant le port de signes et les manifestations de l’appartenance à une religion.
En raison du travail déjà effectué par l’Observatoire de la laïcité, ce texte de circonstance n’a pas sa place aujourd’hui. Nous refusons l’instrumentalisation du débat sur la laïcité et la stigmatisation d’une religion. Reconnaissons que nous faisons nous-mêmes des entorses au dogme de la laïcité lorsque les cantines servent du poisson le vendredi et que les vacances scolaires sont calquées sur les fêtes religieuses catholiques. Certes, nous ne méconnaissons pas l’augmentation des demandes à caractère religieux au sein des entreprises, et l’enquête publiée hier par l’OFRE note l’importance croissante du fait religieux dans les entreprises. Toutefois, on y apprend aussi que la plupart des demandes se règlent à l’amiable et que 94 % des problèmes liés au fait religieux sont résolus par les responsables des ressources humaines, grâce à une négociation entre partenaires sociaux. Cela montre qu’il n’est peut-être pas pertinent de légiférer en la matière.
En outre, nous exprimons les plus vives réserves sur la constitutionnalité de la proposition de loi, en raison de l’absence de critères précis, notamment dans l’article 1er. Le texte, beaucoup trop généraliste, est de nature à contrevenir aux dispositions des articles 4 et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il risque également d’être censuré pour inconventionnalité au titre de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et du citoyen, qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne – surtout si l’on fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans un arrêt du 15 janvier 2013, a estimé que le port par une hôtesse de l’air d’une croix sur son uniforme ne nuisait pas à l’image de marque de la compagnie aérienne British Airways. Nous attendons également l’arrêt de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, tel qu’il est inclus dans la loi de 2010.
Selon nous, c’est par le dialogue, la négociation, le consensus et l’apaisement que les questions liées à la laïcité doivent être traitées. Les partenaires sociaux souhaitent-ils réellement que nous légiférions en la matière ? Si tel est le cas, il conviendrait de définir clairement la base juridique qui permettrait de le faire.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de cette proposition de loi.
M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le rapporteur, vous appelez à un consensus républicain sur la laïcité, mais encore faudrait-il que l’on cesse d’instrumentaliser ou de falsifier celle-ci ! La laïcité ne peut pas être la stigmatisation d’une religion.
Sur ce sujet, la position de l’UMP a beaucoup varié depuis une dizaine d’années. Je me rappelle que, lorsqu’il avait été auditionné par la mission d’information sur la question du port des signes religieux à l’école, le ministre de l’Intérieur de l’époque s’était déclaré hostile à une loi ; pourtant, celle-ci a été votée de façon largement consensuelle, à l’instigation du Président de l’Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, et avec les voix de la gauche, notamment du groupe socialiste.
Devenu président de la République, Nicolas Sarkozy avait eu cette formule, dans son discours du Latran : « L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » – il aurait très bien pu ajouter « l’imam ou le rabbin »… Où est la laïcité en l’espèce ? Et je n’énumérerai pas les postures successivement prises par l’UMP tout au long du dernier quinquennat – notamment lors du débat sur l’identité nationale. Il reste que, comme vous, je pense que la laïcité doit faire l’objet d’un consensus.
Maire d’une ville de la banlieue nord de Paris, j’ai été confronté à une difficulté de ce type avec un membre du personnel communal. En dépit de tous nos efforts de pédagogie, il a fallu aller jusqu’à la révocation de l’agent, qui a été prononcée par le conseil de discipline. Cela pour dire que la laïcité républicaine doit s’appliquer.
Comme vient de le rappeler Colette Capdevielle, une nouvelle démarche a été engagée avec l’installation de l’Observatoire de la laïcité, qui va produire son premier rapport. Si l’on recherche vraiment le consensus républicain, il faut soutenir cette démarche, qui vise à alimenter la réflexion, sans exclure une éventuelle évolution législative, mais avec l’objectif de promouvoir la laïcité grâce à la pédagogie, sans en faire une source de stigmatisation et de récupération politicienne – ce qui, contrairement à ce que vous prétendez, n’est pas votre cas. Pour paraphraser Renan, la laïcité est « un plébiscite de tous les jours » !
M. Guy Geoffroy. Je voudrais dire au rapporteur que j’ai apprécié la clarté, la précision et la sérénité de son propos et, à mes collègues de la majorité, qu’il n’était peut-être pas nécessaire d’utiliser des termes par trop excessifs. Légiférer sous l’effet d’une émotion, nous l’avons fait souvent, et sur tous les bancs – mais ce n’est pas le cas ici. Quant à « stigmatiser » qui que ce soit, le terme me semble décalé tant par rapport à l’objet de la proposition de loi que par rapport à la manière dont elle nous a été présentée.
De quoi est-il question ? Non pas d’étendre artificiellement le champ de la laïcité à la sphère privée, mais d’intégrer à la sphère publique le secteur qui se trouve dans un délicat entre-deux : pas totalement privé, mais pas véritablement public non plus. Cela recouvre les entreprises qui travaillent avec le public, en particulier celles qui s’adressent, non à des clients, mais aux usagers d’un service parapublic – sans se limiter au secteur de la petite enfance. L’objectif de la proposition est de sécuriser le dispositif actuel, en confortant la possibilité d’un dialogue social sur ce sujet éminemment délicat. Il s’agit d’une avancée nécessaire, sage, responsable et sereine, dont je suis heureux et fier d’être un des cosignataires. C’est pourquoi je vous appelle à voter en sa faveur.
M. Philippe Houillon. Il s’agit en effet d’un texte de clarification et de sécurisation juridique.
Le code du travail pose pour principe que les libertés fondamentales doivent être respectées dans la sphère du travail, tout en prévoyant une dérogation pour un certain nombre de cas ; le problème, c’est que la règle prétorienne qui en découle n’est pas sécurisée. S’agissant des signes religieux, et plus particulièrement – mais pas seulement – du voile, on estime tantôt que l’interdiction est valide, tantôt qu’elle ne l’est pas, suivant la rédaction des règlements intérieurs. La proposition de loi vise simplement à considérer comme légitime toute interdiction relative au port de signes religieux ostentatoires.
Vous parlez de dialogue avec les services des ressources humaines, mais nous ne vivons pas dans le même monde ! J’ai récemment été informé du cas d’un boulanger, qui n’a pas de règlement intérieur, mais qui a affaire au public, et dont une des vendeuses lui a annoncé que, dorénavant, elle porterait le voile. Voilà comment ça se passe dans la vie réelle ! Il est évident qu’une clarification est nécessaire.
M. Jacques Bompard. Je voterai moi aussi en faveur de cette proposition de loi, bien que j’estime qu’elle ne va pas au fond des choses et qu’elle porte sur les effets plutôt que sur la cause.
La cause, c’est le développement du communautarisme dans notre pays. Nos lois n’y sont pas adaptées, pas plus que les règlements européens. Sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, il faut bien faire certaines constations – sinon, autant arrêter tout de suite de légiférer ! Il existe une religion – qui est d’ailleurs moins une religion qu’une loi de fonctionnement global, à la fois politique, familial et social –, qui fait abstraction de la laïcité : dans son cadre, celle-ci n’existe tout simplement pas.
Ce texte ne résoudra pas le problème. Et, si nous ne cherchons pas à le faire, nous succomberons au communautarisme. Certes, cela s’oppose aux bons sentiments qui sont aujourd’hui de règle, mais on ne fait pas les lois avec de bons sentiments ! Il faut adopter un raisonnement rigoureux, sans stigmatiser quiconque, mais en soulignant les tenants et aboutissants du problème auquel nous sommes confrontés, et que nous refusons de voir.
M. Gilbert Collard. Lorsqu’ils évoquaient la question de la laïcité, les pères fondateurs du radicalisme n’employaient pas ce terme : ils parlaient de « neutralité » ; le mot « laïcité » est venu bien après. Ce qu’il nous faut retrouver dans une société républicaine aujourd’hui malmenée par les tiraillements confessionnels, c’est un espace de totale neutralité.
Ce texte, je le voterai, bien qu’il tortille un peu de la plume et qu’il lui manque le courage de la clarté. Pour ma part, j’aurais tout simplement interdit toute forme de manifestation religieuse. Certes, il faudrait prendre en considération l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais il serait toujours possible de s’entendre sur la notion de « manifestation ».
Peu importe la religion ou le signe : quand on est en contact avec le public, en raison du respect du principe de neutralité, on n’exprime pas sa religion. Et que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit d’une atteinte au « meilleur vivre et travailler ensemble » ! Qu’est-ce que cela signifie ? Cette expression semble tout droit sortie d’une pièce de boulevard !
Il faut pacifier ce pays, et le seul moyen, c’est de demander aux cornettes, aux voiles et aux croix de ne plus s’exhiber, de manière que nous puissions vivre ensemble. Vous prétendez qu’il y aurait des stigmatisés de la laïcité, mais c’est absurde ! Il s’agit, non pas de stigmatiser qui que ce soit, mais d’avoir la paix : une paix sociale, une paix religieuse, une paix publique. De ce point de vue, votre texte devrait être plus clair, afin de sortir de ce communautarisme que d’aucuns utilisent pour diviser la République, et permettre à de soi-disant « stigmatisés » de se gargariser d’un « meilleur vivre et travailler ensemble ».
M. Sergio Coronado. Notre collègue Colette Capdevielle a insisté sur la notion de dialogue. Le dialogue, c’est l’héritage que nous a laissé la grande entreprise de séparation des Églises et de l’État avec la loi de 1905 ; il s’agissait de la volonté du législateur, dans le cadre d’un compromis plutôt libéral.
Disons les choses telles qu’elles sont : le débat auquel nous assistons depuis 1989 ne porte pas tant sur la notion de laïcité que sur la place de l’islam dans notre société. Il s’agit désormais de la deuxième religion de France, pratiquée par quelque 5 millions de Français, et qui a des exigences qui peuvent parfois heurter. Elle n’a pas trouvé véritablement sa place, ou du moins elle n’est pas totalement reconnue dans l’espace public et dans la République, et des problèmes liés à son financement et à la formation de son clergé se posent : autant de questions sur lesquelles le législateur devrait se mobiliser. Or, depuis 1989 et la première affaire du voile de Creil, ce qui mobilise le législateur, c’est très hypocritement la question des signes religieux, alors que nous savons tous de quoi il retourne ! Je m’oppose à cette façon d’aborder le débat.
Monsieur le rapporteur, je reconnais que vous avez fait une présentation apaisée, qui permet d’engager le débat – cela nous change des outrances de certains responsables de l’opposition sur les pains au chocolat… Vous avez notamment fait référence au rapport Stasi, qui comprenait plusieurs recommandations : ainsi proposait-il notamment reconnaître les principales fêtes religieuses, ce qui n’a pas eu de suite, et, s’agissant de la situation dans les entreprises, de prendre une disposition législative « après concertation avec les partenaires sociaux ». De fait, lors de la préparation de loi de 2004, les partenaires sociaux ont été auditionnés. Or je n’ai pas l’impression – et cela m’a été confirmé à la lecture de Libération, qui a consacré hier trois pages à l’étude de l’OFRE sur les pratiques religieuses dans l’entreprise – que les partenaires sociaux, qu’ils soient du côté des syndicats ou de celui du patronat, estiment qu’un recours à la loi soit susceptible de les aider à résoudre les difficultés qu’ils peuvent parfois rencontrer.
Tout est parti de l’affaire de la crèche « Baby Loup », et, quand on lit la décision de la Cour de cassation, on a dû mal à comprendre pourquoi tout s’est emballé. Cela étant, je ne vous tiens pas pour seul responsable, monsieur le rapporteur : j’ai en mémoire les propos du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui, s’affranchissant du respect de la séparation des pouvoirs, avait « pilonné » cette décision de justice.
Je vois dans cette affaire une crispation face à l’émergence d’une religion et de ses pratiques, qui nécessite qu’on engage une discussion avec les responsables communautaires et que l’on examine au sein des entreprises comment les demandes émergent et de quelle manière elles sont réglées ; aujourd’hui, le dialogue semble primer. Pourquoi ne pas s’en tenir à cela ? J’attends toutefois avec impatience la décision de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, car je pense que les attendus seront très intéressants.
Les écologistes se sont toujours opposés à de telles initiatives législatives. En 1994, nous avions soutenu la jurisprudence du Conseil d’État, qui avait recommandé le dialogue pour régler les questions liées au port du foulard à l’école. Nous nous étions également opposés à l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public, parce que nous pensions qu’il s’agissait d’une atteinte aux libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, je voterai contre la présente proposition de loi.
M. Jean-Frédéric Poisson. Ce débat montre combien la société française a du mal à donner à la religion et à l’expression des convictions religieuses une place dans la vie sociale. Il y a deux positions : certains ne sont pas gênés par le fait que les religions s’expriment dans l’espace public sous la forme qui leur convient, sous réserve que cette expression ne contrecarre pas l’ordre public ; d’autres, estimant que les religions sont à l’origine de plusieurs de nos maux, veulent en contraindre l’expression, voire la confiner dans l’espace privé.
Le problème, c’est que l’objet de la présente position de loi se trouve à la frontière de l’espace public et de l’espace privé. À quelle catégorie ressortit une entreprise qui accueille des clients ? Le droit dit qu’il s’agit d’un espace privé ; mais, d’un autre côté, le code de l’urbanisme érige en catégorie particulière les « établissements recevant du public », par exemple les commerces. Il y a là une confusion dans l’utilisation du terme « public » qu’il faudrait clarifier.
Je suis d’accord avec les collègues qui disent qu’il faut privilégier le dialogue ; d’ailleurs, si j’avais été parlementaire à l’époque, je n’aurais pas voté la loi de 2004, car je ne crois pas que la loi soit un bon outil pour traiter ce genre de sujets. Néanmoins, l’exemple donné par Philippe Houillon montre que, dans certaines circonstances, il est de la responsabilité d’un employeur de prendre une décision en la matière, en fonction de l’impact que cela peut avoir sur la santé économique de son entreprise. À ce titre, il devrait avoir le droit de donner l’ordre à ses employés de ne pas porter le voile. Or c’est impossible dans l’état actuel du droit – même à l’issue d’un dialogue social accompli, et même dans le cadre du règlement intérieur : il se heurterait en effet au fait que le code du travail ne prévoit pas ce genre de restrictions aux libertés des travailleurs. C’est là tout l’enjeu de la proposition de loi.
Un texte législatif est donc nécessaire. Malheureusement, et c’est la réserve que je ferais sur ce texte, il existe un risque réel de dérapage et de stigmatisation des religions – en général, et pas seulement de l’islam.
Tout en saluant le travail du rapporteur, j’attendrai donc le débat en séance plénière pour arrêter définitivement ma position.
M. Jean-Luc Warsmann. Je soutiens la démarche du rapporteur, qui est marquée par son souci de pragmatisme. Y a-t-il un problème lié au port de signes religieux ostentatoires dans des entreprises ou associations ? La réponse est oui, bien évidemment ! Le droit et la jurisprudence actuels sont-ils pleinement satisfaisants ? La réponse est non : on ne trouve pas toujours de solutions aux difficultés soulevées et le droit n’est pas sécurisé.
La présente proposition de loi propose de passer par le règlement intérieur des entreprises, ce qui me semble être la bonne voie. Ce qui me frappe, c’est l’équilibre de sa rédaction : il est précisé que les restrictions apportées doivent être « proportionnées au but recherché » et qu’elles doivent être justifiées par « la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public » ou par « le bon fonctionnement de l’entreprise ». Nul besoin d’en appeler à de grands concepts ou de remettre en cause la liberté religieuse : ce qui est en jeu, c’est la vie quotidienne et le bon fonctionnement des entreprises et des associations. En cela, la démarche d’Éric Ciotti mérite d’être soutenue.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Si je salue moi aussi le ton apaisé du rapporteur, il n’empêche qu’il y a derrière ses propos des débats assez déplaisants – mais M. Coronado a dit tout ce qu’il y avait à dire sur le sujet.
Nous sommes tous d’accord sur un point : il ne faut pas porter atteinte à la loi de 1905, qui est une charte de paix civile ; c’est d’ailleurs pourquoi il ne faut pas la constitutionnaliser. Tous, nous nous référons à cette loi. Bien entendu, nous savons qu’elle a photographié la situation de l’époque, dans laquelle le catholicisme était la religion dominante, mais elle a mis en place un équilibre fondamental – à savoir : le public chez lui, le privé chez lui ; dans le public, devoir de neutralité et de laïcité absolu ; dans le privé, liberté religieuse absolue.
Le problème, ce sont les espaces intermédiaires ; dans le cadre d’un service public assumé par le privé, il ne devrait pas y en avoir. De ce point de vue, l’arrêt « Baby Loup » a été mal compris, car il respecte strictement les dispositions de la loi de 1905 : la Cour de cassation a censuré l’interdiction générale et absolue présente dans le règlement intérieur de la crèche, qui fondait la décision d’empêcher qu’une jeune femme voilée puisse accueillir des enfants et s’occuper d’eux – mais qui pouvait tout aussi bien toucher une personne travaillant sans contact avec le public –, et non la décision elle-même. Ce point est donc réglé.
La situation dans l’espace public en général a également été réglée, moyennant une loi qui y prohibe le port du voile intégral.
Il reste le cas des structures privées qui accueillent du public sans gérer un service public ; mais, s’il se présente des difficultés dans ce secteur, l’Observatoire de la laïcité pourra les recenser et proposer des solutions équilibrées, qui s’appliqueront dans tous les domaines et à tout le monde.
Au contraire, la présente proposition de loi démolit l’équilibre issu de la loi de 1905. De surcroît, en donnant aux entreprises la possibilité d’une réglementation de la neutralité au nom de leur bon fonctionnement, elle ouvre les vannes à leur déstabilisation par une multiplication des procès en discrimination !
M. Arnaud Richard. En tant que député de Chanteloup-les-Vignes, où est implantée la crèche « Baby Loup », je vous remercie de m’accueillir dans votre commission. Je souhaiterais que cette chronique médiatique prenne fin et que la laïcité ne soit pas un champ de bataille, mais un principe intangible, partagé et respecté.
La décision de la chambre sociale de la Cour de cassation a souligné l’écart entre les structures relevant du secteur public, qui doivent respecter l’obligation de neutralité, et celles qui, bien qu’accomplissant une mission évidente de service public, bénéficiant de fonds publics et étant soumises au contrôle des autorités publiques, demeurent sous statut privé et ne sont pas soumises aux mêmes règles.
Je ne suis pas d’accord avec Mme Bechtel quand elle affirme que ce point de droit est réglé. Je pense au contraire que le temps du législateur est venu ; en revanche, je trouve que la présente proposition de loi est trop générale et qu’elle veut trop embrasser. Il importe de faire une distinction entre la délégation de service public à une structure privée associative et le fait religieux dans l’entreprise ; ce dernier sujet est éminemment sensible et je pense qu’il est trop tôt pour légiférer en la matière. Quant à l’Observatoire de la laïcité, il ne pourra pas, seul, résoudre le problème ; c’est aux partenaires sociaux de s’en charger, avec le Défenseur des droits et dans un cadre plus large.
M. le rapporteur. Je veux dire aux collègues de la majorité que je regrette leur opposition de principe à ce texte. Tous les orateurs ont reconnu, quelle que soit leur appartenance politique, la pertinence et l’importance de ce débat, et certains son acuité. Que nous en tirions des conclusions différentes, cela n’est guère étonnant ; en revanche, comme Guy Geoffroy, je trouve que certains propos n’ont pas lieu d’être dans un débat de cette importance. Il ne s’agit pas de légiférer sous le coup de l’émotion, ni d’adopter une loi de circonstance.
J’ai rappelé les conclusions du rapport Stasi de 2003 et l’avis du Haut Conseil à l’intégration : le débat est lancé depuis plus de dix ans, et certains faits traduisent une multiplication des problèmes. Certes, ceux-ci restent marginaux, mais les représentants des chefs d’entreprise nous ont alertés sur leur recrudescence. Je regrette que vous cherchiez à les minorer, et je doute que l’on arrive à les régler par le seul dialogue. Il en faut, de même qu’il faut faire confiance aux partenaires sociaux, mais croire que le seul dialogue permettra de résoudre tous les problèmes dénote, je le crains, une certaine naïveté.
Plusieurs députés du groupe socialiste étaient présents hier, quand nous avons auditionné Mme Baleato, la directrice de la crèche « Baby Loup ». Ce qu’elle décrit est terrifiant ! La crèche va être obligée de quitter le territoire où elle est implantée, à la suite d’une pression communautaire. Mme Baleato nous a lancé un appel : « Nous avons besoin que la République nous relégitime, a-t-elle dit, car l’arrêt de la Cour de cassation a ouvert la voie au communautarisme. » Depuis cet arrêt, le personnel de la crèche et elle-même font l’objet de menaces et d’attaques contre leurs véhicules.
En ouvrant au début des années 1990 une crèche associative, sur un territoire où coexistaient soixante nationalités, cette réfugiée politique originaire du Chili avait pourtant permis aux femmes du quartier de s’intégrer et de devenir salariées. Cette idée extraordinaire est sur le point d’être détruite ; dans quelques mois s’installera à sa place une crèche confessionnelle. Mme Baleato a mentionné des faits inquiétants : certains parents sont en conflit ouvert avec les responsables de la crèche parce qu’ils exigent que leurs enfants soient réveillés pour prier ou qu’ils portent le voile ! Je n’invente rien : ces propos ont été tenus hier, vous pourrez le vérifier dans le rapport.
Voilà qui suffit à prouver qu’il est opportun de légiférer. Certes, nous pourrions attendre la réponse de l’Observatoire, mais M. Bianco, que nous avons auditionné, nous a dit que celui-ci ne s’était pas encore pleinement saisi de la question et que son avis n’interviendrait pas avant la fin de l’année. Le président de la République lui-même a souligné qu’il y avait urgence, et l’actuel ministre de l’intérieur a voulu, sous la précédente législature, déposer une proposition de loi sur le sujet. C’est désormais au législateur de prendre ses responsabilités.
Le choix du vecteur juridique est un autre débat. Le Sénat a proposé un texte qui va dans le sens préconisé par Arnaud Richard, en étendant la notion de service public à tout le secteur de la petite enfance. En effet, madame Bechtel, l’arrêt de la Cour de cassation ne confère pas à la structure Baby Loup un caractère de service public : il considère au contraire que, si Baby Loup accomplit une mission d’intérêt général, elle ne peut pas être assimilée à un service public, en conséquence de quoi le principe de neutralité ne peut pas s’appliquer à elle.
Pour ce qui ne relève pas du service public, il existe actuellement un vide juridique, en partie compensé par la jurisprudence, mais qu’il nous faut combler. Contrairement à ce que vous prétendez, madame Capdevielle, nous avons défini des critères – les relations avec le public et le bon fonctionnement de l’entreprise – et nous avons précisé que les restrictions devaient être justifiées par la nature de la fonction et proportionnées au but recherché. Nous entrons donc parfaitement dans le cadre de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de l’arrêt « Eweida contre le Royaume-Uni », dans lequel la Cour européenne a considéré que la mesure de mise à pied de l’employée de British Airways ayant arboré une petite croix sur son uniforme, justifiée pour la compagnie aérienne par son image de marque, était « disproportionnée ».
D’autre part, nous avons opté pour un dispositif pragmatique, qui laisse une liberté de choix aux chefs d’entreprise et aux partenaires sociaux. Enfin, nous avons accordé une portée générale au texte pour éviter d’avoir à légiférer de nouveau si un cas similaire se produisait dans un établissement d’hébergement pour les personnes âgées ou dans une clinique. Il faut que les problèmes auxquels le secteur privé peut être confronté soient réglés au cas par cas, de façon pragmatique, apaisée et consensuelle. Il n’y a là aucune volonté de stigmatisation ! Je vous invite à rencontrer Mme Baleato : vous mesurerez mieux combien il est urgent pour la République de combattre ces formes de communautarisme.
La Commission passe ensuite à l’examen des articles de la proposition de loi.
Article premier
(art. L. 1121-1 du code du travail)
Réglementation de l’expression d’une appartenance religieuse
sur le lieu de travail
Le présent article vise à permettre au chef d’entreprise de réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail.
L’article L. 1121-1 du code du travail est le seul article du titre II (« Droits et libertés dans l'entreprise ») du livre premier (« Dispositions préliminaires ») de la première partie (« Les relations individuelles de travail ») du code du travail. Reprenant les dispositions de l’article L. 120-2 de l’ancien code du travail, cet article revêt, tant par son emplacement que par l’importance de son dispositif, une place essentielle dans ce code.
Il dispose, en effet, que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions « qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (20). La restriction d’une liberté individuelle d’un salarié doit donc, pour être légale, respecter ces deux conditions cumulatives – restriction justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
La jurisprudence de la Cour de cassation a permis de cerner les libertés individuelles et collectives concernées par ce dispositif.
Par exemple, le salarié jouit, sauf abus, dans l'entreprise et à l'extérieur de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées (21).
De même, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail peut faire l’objet d’une restriction imposée par l’employeur (22) – en l’occurrence, interdire à une salarié de porter un bermuda dès lors que cela est « incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail ». Pour autant un employeur ne peut imposer le port d'un uniforme aux salariés « sans contact avec la clientèle » (23).
Si la restriction aux libertés individuelles ou collectives n’est pas justifiée par la nature de la tâche et proportionnée au but recherché, le juge peut annuler un licenciement fondé sur le non respect de cette restriction (24).
● L’expression de l’appartenance religieuse sur le lieu de travail : l’affaire « Baby Loup »
Le port de signes montrant une appartenance religieuse a suscité un débat juridique plus complexe.
En 2008, une salariée de la crèche associative « Baby Loup », située dans les Yvelines, est licenciée pour avoir refusé d'ôter son voile sur son lieu de travail. Les statuts de cette association, pouvant être assimilés au règlement intérieur d’une entreprise s’agissant de ses salariés, précisent que celle-ci s'adresse à toutes les familles « sans distinction d'opinion confessionnelle ».
Le 13 décembre 2010, le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie déboute la salariée qui contestait son licenciement. La juridiction s'est appuyée sur deux éléments. En premier lieu, l'association « Baby Loup », bien que relevant du droit privé, « a une activité de service public par l'activité d'une crèche et est financée à plus de 80 % par des fonds publics » et elle a affirmé sa vocation non-confessionnelle dans ses statuts. La juridiction en a donc déduit que les salariés de la crèche, bien que relevant du droit privé sont soumis au principe de laïcité.
La cour d'appel de Versailles a suivi, dans sa décision du 27 octobre 2011, un raisonnement juridique différent. Elle a, en effet, fait application de l'article L. 1121-1 du code du travail précité : elle a vérifié si les restrictions à la liberté individuelle – en l’occurrence la liberté d'exprimer son appartenance religieuse –étaient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Relevant la clarté de la disposition figurant dans les statuts de l’association et le fait que le public concerné était constitué d’enfants, la cour d’appel a jugé que ces derniers « n'ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d'appartenance religieuse ». En conséquence, elle a jugé que les règles de neutralité religieuse imposées par la crèche à son personnel étaient légales et que, par suite, le licenciement de la salariée voilée était régulier.
En revanche, la Cour de cassation, dans son arrêt du 19 mars 2013 (25), a estimé qu’une crèche privée ne pouvait, en dépit de sa mission d’intérêt général, être considérée comme une personne privée gérant un service public. En conséquence, le principe de laïcité instauré par l’article premier de la Constitution ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce puisque celui-ci ne peut concerner que salariés des employeurs de droit privé qui gèrent un service public.
La Cour de cassation a donc jugé que la clause générale de laïcité et de neutralité prévue par les statuts de l’association, applicable à tous les salariés, n’était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Une telle clause étant invalide, le licenciement de la salariée pour faute grave au motif qu’elle contrevenait aux dispositions de cette clause du règlement intérieur constitue, pour la Cour de cassation, une discrimination en raison des convictions religieuses et doit être déclaré nul. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait déclaré le licenciement fondé a été, en conséquence, cassé.
● Le dispositif proposé par le présent article
Le présent article propose de compléter l’article L. 1121-1 du code du travail pour prévoir explicitement le cas spécifique de l’expression d’une appartenance religieuse sur le lieu de travail, en l’encadrant.
Il s’agit d’autoriser des restrictions aux libertés individuelles visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse sur le lieu de travail. Ces restrictions, imposées par l’employeur, doivent, pour être légales, être :
— justifiées par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public, ce qui implique qu’elle ne peuvent pas s’appliquer, dans une entreprise privée ne gérant pas un service public, à d’autres salariés que ceux en contact effectif avec le public ;
— ou justifiées par le bon fonctionnement de l’entreprise.
En outre, ces restrictions devront, comme c’est déjà le cas de manière générale, en application de l’actuel dispositif, être proportionnées au but recherché.
Le caractère facultatif du dispositif proposé permettra notamment aux structures privées confessionnelles de faire le choix de ne pas adopter ce type de dispositions dans leur règlement intérieur, en fonction de leur caractère propre.
*
* *
La Commission rejette l’article.
Article 2
(art. L. 1321-3 du code du travail)
Introduction, dans le règlement intérieur des entreprises, de restrictions à l’expression d’une appartenance religieuse sur le lieu de travail
Le présent article vise à prévoir, dans l’article L. 1321-3 du code du travail qui encadre le contenu du règlement intérieur d’une entreprise, la possibilité d’y introduire des restrictions à l’expression d’une appartenance religieuse sur le lieu de travail.
Les articles L. 1321-1 à L. 1321-6 du code du travail encadrent le contenu du règlement intérieur que peuvent adopter les entreprises. Selon l’article L. 1321-1, le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement :
— les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement ;
— les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ;
— les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur.
L’article L. 1321-3, que le présent article entend modifier, prévoit que trois séries de dispositions ne peuvent pas figurer dans un règlement intérieur. Il s’agit, tout d’abord, des « dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail » applicables dans l'entreprise ou l'établissement (1°). Il s’agit ensuite des « dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (2°) et enfin des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale (3°) (26).
Le 2° de l’article L. 1321-3 du code du travail reprend, en fait, les termes même employés à l’article L. 1121-3 du même code, que l’article premier de la proposition de loi entend compléter. C’est donc logiquement que le présent article propose d’y opérer la même modification.
En application de l’article L. 1321-4 du même code, le règlement intérieur ne peut être introduit dans l’entreprise qu'après avoir été soumis à l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ainsi que, pour les matières relevant de sa compétence, à l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il en est d’ailleurs de même pour toute modification ou de retrait des clauses du règlement intérieur.
Les comités d’entreprises et, le cas échéant, les CHSCT seront donc associés à la mise en œuvre, dans les entreprises, des dispositions de la présente proposition de loi.
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* *
La Commission rejette l’article.
En raison du rejet de tous les articles, il n’y a pas lieu pour la Commission de se prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi qui est ainsi rejetée.
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* *
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations (n° 998).
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PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR
• Crèche « Baby Loup » de Chanteloup-les-Vignes
— Mme Natalia BALEATO, directrice
— M. Didier CROS, trésorier
— M. Julien TAFFOUREAU, chargé de développement
• Mouvement des Entreprises de France (MEDEF)
— Mme Armelle CARMINATI, présidente du comité diversité
— M. Benoît ROGER-VASSELIN, président de la commission relations du travail, emploi et formation
— Mme Céline MICOUIN, directrice « Entreprises et Société »
— Mme Houria SANDAL-AOUIMEUR, directrice déléguée à la direction des relations sociales
— Mme Kristelle HOURQUES, chargée de mission senior à la direction des Affaires publiques
• Observatoire de la Laïcité
— M. Jean-Louis BIANCO, président
— M. Nicolas CADENE, rapporteur général
• Grand Rabbinat de France
M. Michel GUGENHEIM, Grand Rabbin de Paris
• Conseil français du culte musulman
— Maître Chems-Eddine HAFIZ, vice-président
• Conférence des Évêques de France
— Mgr Antoine HEROUARD, secrétaire général
• Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
— M. Jean-Henri PYRONNET, adjoint à la sous-direction des relations individuelles et collectives du travail
— Mme Elise TEXIER, chef du bureau des relations individuelles du travail
— Mme Annie-Claude CAREL, chargée de mission
• Ministère de l’Intérieur
— M. Julien LE GARS, sous-directeur des libertés publiques
— M. Louis-Xavier THIRODE, chef du bureau des cultes