N° 1384
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 septembre 2013.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à introduire la notion de territoires ruraux et de montagne dans le code de l’éducation,
PAR Mme Marie-Christine DALLOZ,
Députée.
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 1031.
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LES ZONES RURALES ET DE MONTAGNE : DES TERRITOIRES IGNORÉS PAR LE PREMIER ARTICLE DU CODE DE L’ÉDUCATION, AU DÉTRIMENT DE L’ÉGALITÉ DES CHANCES ET DE LA SÉCURITÉ DES ENFANTS 7
A. UN VIDE JURIDIQUE INCOMPRÉHENSIBLE ET PRÉJUDICIABLE 7
1. Notre droit, y compris celui de l’éducation, n’ignore pas ces notions 7
2. La non-prise en compte de ces territoires par le premier article du code de l’éducation induit des coûts et de l’insécurité routière 10
B. L’OCCASION MANQUÉE DE LA LOI DU 8 JUILLET 2013 DITE DE « REFONDATION » DE L’ÉCOLE 13
II. RECONNAÎTRE DANS LE PREMIER ARTICLE DU CODE DE L’ÉDUCATION LES TERRITOIRES RURAUX ET DE MONTAGNE 15
A. RENFORCER LA DIMENSION TERRITORIALE DE L’ÉGALITÉ D’ACCÈS AU SERVICE PUBLIC DE L’ÉDUCATION 15
B. MODIFIER À CET EFFET L’ARTICLE L. 111-1 DU CODE TOUT EN ENCADRANT PAR UN DÉCRET EN CONSEIL D’ÉTAT LES MESURES DE CARTE SCOLAIRE 16
TRAVAUX DE LA COMMISSION 17
Article 1er : Prise en compte des différences de situation territoriales 30
Article 2 : Introduction des termes « zones rurales et de montagne » 31
Article 3 : Encadrement par un décret en Conseil d’État des mesures de classement des écoles et de carte scolaire 32
Article 4 : Gage 33
TABLEAU COMPARATIF 35
La proposition de loi visant à introduire la notion de territoires ruraux et de montagne dans le code de l’éducation, déposée le 15 mai 2013 sur le Bureau de l’Assemblée nationale, a été inscrite à l’ordre du jour de la séance du 3 octobre, réservée au groupe UMP.
À l’heure où le ministre de l’éducation nationale ambitionne de refondre « l’éducation prioritaire », pour mieux cibler les besoins des zones défavorisées, il devrait être clair, pour tous, que l’affirmation de l’égalité devant le service public de l’éducation doit s’ancrer dans la reconnaissance de certaines réalités géographiques et humaines.
L’historien Lucien Febvre n’écrivait-il pas, en 1946, que « la France se nomme diversité » ? Cependant, l’État, obnubilé par une vision technocratique du territoire, semble parfois oublier ce postulat, ce qui le conduit, au bout de la chaîne administrative, à prendre des décisions dommageables au maintien d’une école de proximité.
L’égalité devant l’école, l’accès à l’école, sont pourtant des piliers de notre pacte républicain et supposent que l’Éducation nationale tienne pleinement compte de certaines situations territoriales.
Par ailleurs, le maintien d’une école de proximité se justifie, aussi, pour des impératifs de sécurité routière, auxquels les parents des zones rurales de montagne sont très sensibles.
L’objet de la présente proposition de loi est donc simple : réparer un oubli, en ajoutant quelques mots au code de l’éducation, et encadrer les opérations de carte scolaire par le recours à un décret en Conseil d’État.
Enfin, les conditions dans lesquelles s’est déroulée la dernière rentrée scolaire, beaucoup moins « sereine » que la vision tronquée donnée par les médias nationaux, plaident fortement en faveur de l’adoption de cette initiative.
I. LES ZONES RURALES ET DE MONTAGNE : DES TERRITOIRES IGNORÉS PAR LE PREMIER ARTICLE DU CODE DE L’ÉDUCATION, AU DÉTRIMENT DE L’ÉGALITÉ DES CHANCES ET DE LA SÉCURITÉ DES ENFANTS
L’éducation est la « première priorité nationale » : c’est ce qu’affirme, en toute logique, la première phrase du premier article du code de l’éducation, l’article L. 111-1.
Il ne peut en être autrement, puisque l’école est le vecteur de l’égalité des chances « à la française », qui postule un accès égal et rapide de tous à ce service public essentiel qu’est l’Éducation nationale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur a expressément prévu que l’État doit répartir les moyens qu’il consacre à l’éducation afin « d’assurer en particulier l’égalité d’accès au service public » (article L. 211-1 du même code).
Dans les faits, pourtant, cet accès n’est pas systématiquement assuré dans les territoires ruraux et en montagne où l’école de proximité peut ne plus exister ou être menacée de disparition. Cet état de fait, qui pénalise de nombreuses familles, résulte de choix administratifs, qui ne font qu’entériner le silence du premier article du code de l’éducation, muet sur ces zones fragiles.
Tel que défini par l’article L. 111-1, le service public de l’éducation, « conçu et organisé en fonction des besoins des élèves » et qui « contribue à l’égalité des chances », ne dit mot sur les territoires ruraux et de montagne. Pourtant, notre droit n’ignore pas ces zones géographiques à besoins particuliers.
Le droit français, à commencer par le code de l’éducation, reconnaît, de plusieurs manières, la dimension territoriale de la politique éducative, quand il ne se réfère pas, explicitement, au monde rural et de la montagne.
• Les textes « Éducation nationale »
Rappelons, en premier lieu, que l’article L. 111-1 du code de l’éducation, lui-même, dispose que le service public de l’éducation contribue « à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire ».
En deuxième lieu, l’article L. 113-1 du même code, qui est consacré à la scolarisation des moins de trois ans, prévoit que l’accueil de ces enfants dans les écoles maternelles est « organisé en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d’outre-mer ». Ce principe est d’ailleurs interprété strictement par le juge administratif, puisque la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé, le 6 février 2010, un arrêté de l’inspecteur d’académie des Hautes-Pyrénées « qui a omis de prendre en compte dans le calcul prévisionnel des effectifs les enfants de moins de trois ans dans une commune de montagne classée en zone de revitalisation rurale, alors que leur scolarité doit être assurée en priorité dans un tel environnement ».
Parallèlement à ce principe et afin de permettre le maintien d’un maillage scolaire de proximité, la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a précisé que, dans ces classes et ces écoles, les enfants de moins de trois ans sont comptabilisés dans les prévisions d’effectifs d’élèves pour la rentrée (article L. 113-1 du code de l’éducation).
En troisième lieu, le service public de l’enseignement supérieur comprend dans ses missions « l’attractivité » et le « rayonnement des territoires aux niveaux local, régional et national » et le « développement et à la cohésion sociale du territoire national, par la présence de ses établissements » (article L. 123-2 du même code). Ces dernières ont été ajoutées par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
D’autres mesures ou objectifs, adoptés par l’actuelle majorité, peuvent être également rattachés à cet ensemble de dispositions :
– ainsi, l’article L. 5134-120 du code du travail, introduit par la loi du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir, précise que les étudiants boursiers bénéficient d’une priorité d’accès aux « emplois d’avenir professeur » lorsqu’ils effectuent leurs études dans une académie à besoins particuliers et qu’ils justifient d’avoir résidé dans une zone de revitalisation rurale ;
– l’article 67 de la loi précitée du 8 juillet 2013 dispose que les communes qui mettent en œuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013 bénéficient d’une aide majorée lorsqu’elles sont éligibles à la dotation de solidarité rurale (DSR) « cible » ;
– le rapport annexé à cette loi prévoit, en outre, à l’alinéa 289, que le département élabore, avec les communes concernées qui le demandent, un plan d’action prioritaire pour garantir l’égalité d’accès à l’enseignement public.
Ce sont là autant de preuves irréfutables du fait que le législateur, lorsqu’il en a la volonté, peut apporter toute l’attention nécessaire aux territoires les plus fragiles.
Enfin, sur le plan réglementaire, le précédent ministre de l’éducation nationale a adopté une circulaire, n° 2011-237 du 30 décembre 2011, relative aux écoles situées en montagne, destinée aux recteurs d’académie et qui leur demande de faire, dans ces territoires, du « sur mesure ».
Ce texte formule en effet des préconisations précises en la matière, qui concernent en particulier l’allocation des moyens et sont rappelées dans l’encadré ci-après. Au préalable, les instructions ministérielles prennent soin de rappeler que « l’identité et les spécificités de la montagne sont reconnues par la nation et prises en compte par l’État, les établissements publics, les collectivités territoriales et leurs groupements dans les actions qu’ils conduisent ».
La circulaire du 30 décembre 2011 relative aux écoles
situées en zone de montagne
– La circulaire demande aux recteurs d’identifier dans chaque département concerné « les écoles ou réseaux qui justifient l’application de modalités spécifiques d’organisation et d'allocation de moyens au regard de leurs caractéristiques montagnardes ». La circulaire ajoute qu’il convient en effet « de garantir l’égalité des chances aux enfants scolarisés dans ces écoles ou réseaux d’écoles et de promouvoir, en tenant compte de leur situation, un développement équilibré de l’offre scolaire dans ces territoires ».
– Par ailleurs, s’agissant des opérations de carte scolaire, il est demandé aux recteurs, afin d’éviter les effets de seuil et de limiter les incertitudes liées aux fluctuations démographiques, d’apprécier l’évolution des effectifs sur le moyen terme (études prospectives à 2 ou 3 ans) afin de parvenir à « une meilleure stabilisation des structures scolaires ». La circulaire précise que dans l’hypothèse où des seuils d’ouverture et de fermeture de classes ou d’équipement sont utilisés, « ils doivent être envisagés avec souplesse et, le plus souvent, de manière indicative ». D’une manière générale, l’étude des mesures de carte scolaire doit combiner les prévisions d’effectifs avec d’autres critères comme « la situation d’isolement des équipements scolaires considérés, en particulier au regard de leur desserte routière, de la durée et des conditions de transport (aléas climatiques, déclivité), et plus généralement les conditions de scolarisation des enfants ».
– Enfin, en amont des consultations d’instances réglementaires, les inspecteurs d’académie réuniront « en tant que de besoin » les représentants des communes ou des EPCI, des parents d’élèves et des enseignants, aux moments principaux de la préparation de la rentrée scolaire.
• La loi « montagne » de 1985
La loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne dispose, en son article 1er, que la République française « reconnaît la montagne comme un ensemble de territoires dont le développement équitable et durable constitue un objectif d’intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel ».
En conséquence, elle impose à la collectivité une obligation spécifique en matière d’égalité des chances pour ce type de territoires : « Le développement équitable et durable de la montagne s’entend comme une dynamique de progrès initiée, portée et maîtrisée par les populations de montagne et appuyée par la collectivité nationale, qui doit permettre à ces territoires d’accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions et offrir à la société des services, produits, espaces, ressources naturelles de haute qualité ».
On observera qu’après avoir rappelé l’existence de ce texte, la circulaire précitée du 30 décembre 2011 indique que la politique de la montagne a pour finalité « de permettre aux populations locales et à leurs élus d’acquérir les moyens et la maîtrise de leur développement en vue d’établir, dans le respect de l’identité culturelle montagnarde, la parité des revenus et des conditions de vie entre la montagne et les autres régions ».
Le service public de l’éducation ne saurait donc se soustraire au double impératif d’égalité et de développement accompagné postulé par la loi du 9 janvier 1985.
• La charte sur l’organisation des services publics en milieu rural
Signée le 23 juin 2006 entre le premier ministre, l’Association des maires de France et les grands opérateurs de service public (1), la charte sur l’organisation des services publics et au public en milieu rural a affirmé la nécessité de promouvoir une politique « de maintien, d’amélioration et de développement de l’accessibilité et de la qualité des services publics dans les zones rurales ».
C’est la raison pour laquelle la charte prévoit expressément que l’État, les collectivités territoriales et les opérateurs s’engagent à informer le préfet, le président du conseil général et celui de l’association départementale des maires, en amont, de toute intention de réorganiser un service public ou au public.
En ce qui concerne le service public de l’éducation, ce contrat solennel stipule qu’à compter de la rentrée 2007, les autorités académiques doivent informer les exécutifs locaux concernés, deux ans avant les projets d’ouvertures ou de fermetures de classes du premier degré. À cette fin, les exécutifs locaux fourniront, en temps utile, aux autorités académiques les données relatives aux effectifs des écoles. En outre, pour les collèges, ces mêmes autorités transmettront annuellement à l’exécutif départemental les éléments permettant la confection de la carte scolaire des collèges publics.
2. La non-prise en compte de ces territoires par le premier article du code de l’éducation induit des coûts et de l’insécurité routière
Ainsi, le droit applicable à l’Éducation nationale est loin d’ignorer les territoires ruraux et la montagne.
Cependant, le législateur n’a pas établi de lien explicite entre ces notions et les obligations qui pèsent sur la répartition des moyens du service public de l’éducation, telle qu’elles résultent des dispositions l’article L. 111-1 du code de l’éducation. En effet, celui-ci précise que ces moyens doivent être alloués en tenant compte des « différences de situation », en se référant à celles constatées « notamment en matière économique et sociale ».
Or, ce silence de l’article L. 111-1 à l’égard des territoires ruraux et de montagne est non seulement contradictoire avec le droit en vigueur, dont celui de l’éducation, mais il tend à encourager la remise en cause, parfois insidieuse, d’un maillage scolaire de proximité – et donc de qualité – dans les zones concernées.
En effet, selon l’Association nationale des élus de montagne, certaines autorités académiques interprètent la circulaire précitée du 30 décembre 2011 de manière très diverse d’un département à l’autre, voire ignorent ce texte.
Il n’est pas étonnant que, dans ces conditions, les médias locaux aient « rythmé » la rentrée scolaire par leurs articles sur les fermetures de classes dans les départements ruraux ou de montagne, et ce malgré les créations de postes programmées par l’actuel gouvernement : trente et une fermetures annoncées dans le Jura, neuf en Haute-Savoie, quatorze dans le Morbihan, treize en Haute-Saône, etc.
Selon une enquête menée par le ministère de l’éducation nationale sur les projets de mesures de carte scolaire avant la rentrée et communiquée le 18 septembre dernier à la rapporteure, le nombre de fermetures de classes dans les cinquante départements à dominante rurale ou de montagne, dont la liste a été constituée à partir d’une typologie INSEE (2), s’élèverait à 834. Toutefois, ces données sont à utiliser avec prudence, car beaucoup de mesures d’ouverture ou de fermeture de classes – environ un quart – sont conditionnées au constat sur les effectifs réels d’élèves à la rentrée et les « remontées » sur ces effectifs ne sont pas encore toutes stabilisées.
Il reste que, dans de nombreux cas, il a suffi qu’une école « perde » trois ou quatre enfants pour entraîner, en septembre, l’application de mesures de carte scolaire, dont la « brutalité » suscite l’incompréhension des familles, surtout lorsque les professeurs des écoles concernées, comme cela a pu être observé dans le Jura, sont affectés, après quelques jours d’école, dans un autre établissement.
Cette situation a parfois conduit les parents à organiser des « manifestations-blocus » ou à occuper des écoles, notamment à Accous, dans les Pyrénées-Atlantiques, à Chazelles-sur-Lyon, à Cuiseaux en Saône-et-Loire, à Vire dans le Calvados ou dans deux communes du Jura, La Pesse et Les Bouchoux. Dans ce dernier département, du bétail a été amené dans la cour de l’école de la commune de Lect pour protester contre les méthodes de comptage des élèves…
Les décisions des directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN) conduisent, bien entendu, à des sureffectifs, dont les médias locaux se sont fait également l’écho et sur lesquels la rue de Grenelle n’a – curieusement – pas « communiqué » : au final, dans certaines écoles maternelles, les classes peuvent compter jusqu’à trente-quatre élèves, par exemple en Saône-et-Loire, ou trente-cinq élèves, dans les Pyrénées-Atlantiques.
En se désintéressant ainsi, et de surcroît avec l’aval du législateur, des besoins des zones rurales ou de montagne, l’État compromet, de fait, l’attractivité de ces territoires et, par conséquent, leur développement, pour une raison très simple : la présence ou l’absence d’une l’école est un facteur déterminant dans le choix d’une famille de s’installer dans une commune.
Par ailleurs, le desserrement du maillage scolaire susceptible de résulter du manque de reconnaissance des notions de zones rurales ou de montagne peut avoir des conséquences sur la sécurité, la santé ou, à tout le moins, la qualité de la vie scolaire des enfants : une école qui « s’éloigne », c’est, comme chacun le sait, de la route, et donc du temps de transport en plus.
Pour les communes de montagne et les départements concernés, ces « restructurations » se traduisent, en effet, par le recours à des cars qui, l’hiver, roulent pendant plus de vingt kilomètres sur des routes sinueuses et enneigées et par des frais de transport supplémentaires. Et lorsque les parents font le choix, pour se rassurer, de conduire eux-mêmes leurs enfants jusqu’à l’école, ils ne le font pas, pour autant, dans des conditions optimales, notamment lorsque leurs revenus modestes les obligent à se passer de pneus « contact », adaptés à l’hiver.
Enfin, il y a lieu de noter que le vide juridique actuel est en complet décalage avec les mesures de « refondation » de l’école, notamment celles prises par le gouvernement avant la rentrée 2012. En effet, celui-ci n’a-t-il pas, avec la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, consacré 241 emplois à l’amélioration de l’accueil des élèves dans les zones rurales ?
Il est vrai que ces « mesures d’urgence », tant vantées par l’actuelle majorité, doivent être relativisées. Elles n’ont en rien corrigé les déséquilibres qui affectent, aujourd’hui, le ratio professeur/100 élèves, comme l’ont constaté les inspections générales de l’éducation nationale : « la dotation supplémentaire s’est contentée d’améliorer de façon presque uniforme le P/E des académies, et maintient donc les disparités entre académies. L’augmentation est quasi identique partout, de 0,02 (soit deux professeurs pour 10 000 élèves) » (3). Au final, ces créations de postes ne pourront garantir le maintien d’un maillage scolaire de proximité.
La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a constitué, pour les élèves, leurs parents et les enseignants, une occasion manquée : placée sous le signe du « quantitatif » et de l’incantation, ce texte ne porte, en réalité, aucune ambition transformatrice pour l’école.
Le présent rapport n’a évidemment pas pour objet de relancer un débat qui a déjà eu lieu dans l’hémicycle. Toutefois, il convient de relever que celui-ci ne s’est traduit par aucune avancée réelle pour les territoires ruraux ou de montagne, alors même, comme l’a déjà rappelé la rapporteure, que l’actuelle majorité, au moment de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, a reconnu la contribution du service public de l’enseignement supérieur à l’attractivité et au rayonnement des territoires au niveau local.
On ne manquera pas d’objecter à ces considérations en rappelant que le débat parlementaire sur la loi dite de « refondation » de l’école a permis de faire adopter, dans le rapport annexé à ce texte, un alinéa visant spécifiquement les territoires ruraux et de montagne.
Cet engagement figure dans le chapitre de l’annexe consacré à la réforme du primaire et à la mise en place du dispositif « plus de maîtres que de classes ». On rappellera que celui-ci repose sur l’affectation, dans une école, d’un maître supplémentaire, cette dotation devant permettre la mise en place de nouvelles organisations pédagogiques, en priorité au sein même de la classe. Les moyens dégagés à cette fin devront être en outre concentrés sur les premières années de l’enseignement scolaire et dans les zones scolaires en difficulté.
Quant à la disposition ajoutée par voie d’amendement – proposé par le rapporteur du projet de loi –, elle précise qu’« une attention particulière sera également portée aux territoires ruraux et de montagne. Lors de l’élaboration de la carte scolaire, les autorités académiques auront un devoir d’information et de concertation avec les exécutifs locaux des collectivités territoriales concernées. Les enfants de moins de 3 ans devront être comptabilisés dans les effectifs des écoles situées dans un environnement social défavorisé ».
Ces orientations résultent, certes, d’une initiative louable, mais on rappellera qu’un rapport annexé à une loi de programmation, s’il a une valeur législative, est dépourvu, en revanche, de toute force normative. Autant dire que cet engagement risque de ne pas avoir plus de portée que la circulaire du 30 décembre 2011 relative aux écoles en montagne…
II. RECONNAÎTRE DANS LE PREMIER ARTICLE DU CODE DE L’ÉDUCATION LES TERRITOIRES RURAUX ET DE MONTAGNE
Force est de constater que le cadre législatif et réglementaire précédemment décrit ne suffit pas à garantir l’existence et la vitalité du service public de l’éducation dans les zones rurales, et notamment celles de montagne. Il convient donc de modifier le code de l’éducation afin de prévoir que la répartition des moyens de ce service tient compte de la situation particulière de ces territoires.
Pour que les engagements pris par l’État à l’égard des territoires ruraux et de montagne en matière d’égalité d’accès à l’école puissent se concrétiser, des moyens doivent y être consacrés. Et c’est à la loi d’en prévoir le principe, si l’on veut que, demain, la charte sur l’organisation des services publics en milieu rural et les instructions du ministre de l’éducation nationale du 30 décembre 2011 sur les écoles de montagne puissent s’appliquer pleinement, sans dépendre du bon vouloir des autorités académiques.
L’Éducation nationale sera alors tenue de mettre en œuvre, dans les zones non urbanisées à l’équilibre fragile, une politique adaptée d’allocation des moyens et d’ouverture et de fermetures de classes.
Celle-ci est de plus en plus attendue dans les territoires ruraux, surtout à l’heure où les familles et les communes font face aux bouleversements induits par la nouvelle organisation de la semaine scolaire. En effet, le transfert, à ces collectivités, de la responsabilité de l’encadrement des élèves, plusieurs heures par semaine, qui en résulte, entraîne des frais supplémentaires et crée, de fait, une inégalité de traitement pour les territoires où les distances entre le domicile et l’école sont importantes. Or, chacun sait que l’enveloppe du fonds d’aide à la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires reste très largement insuffisante.
Il convient de noter, enfin, que la reconnaissance, par le service public de l’éducation, de la dimension territoriale de l’égalité d’accès à ce bien collectif qu’est l’instruction aura pour effet d’inciter l’Éducation nationale à collecter des données spécifiques sur le nombre des écoles primaires, classes uniques et collèges en zones rurales et en montagne. Alors que ce ministère dispose d’un appareil statistique de grande qualité, ce dernier est dans l’incapacité d’identifier les établissements qui, par leur présence, contribuent au développement local et à l’aménagement du territoire.
B. MODIFIER À CET EFFET L’ARTICLE L. 111-1 DU CODE TOUT EN ENCADRANT PAR UN DÉCRET EN CONSEIL D’ÉTAT LES MESURES DE CARTE SCOLAIRE
Aujourd’hui, l’article L. 111-1 du code de l’éducation dispose que la répartition des moyens du service public de l’éducation « tient compte des différences de situation, notamment en matière économique et sociale ».
La présente proposition de loi prévoit de modifier cette disposition pour préciser que cette répartition tient aussi compte des différences territoriales (article 1er).
Le présent texte propose en outre de modifier une disposition de l’article L. 111-1 en vertu de laquelle la répartition des moyens du service public de l’éducation a pour but de « renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établissements d’enseignement situés dans des zones d’environnement social défavorisé et des zones d’habitat dispersé ». Il est en effet prévu d’ajouter la notion de « zones rurales et de montagne » à celle d’habitat dispersé, pour viser, de cette manière, les territoires qui pâtissent le plus de l’absence d’un réseau scolaire de proximité (article 2).
Par ailleurs, afin de compléter ce cadre législatif par un cadre réglementaire de haut niveau, la proposition de loi prévoit de préciser que les mesures relatives au classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne et à l’aménagement du réseau scolaire feront l’objet d’un décret en Conseil d’État. Elle ajoute que ces mesures devront notamment porter sur l’implication des différents acteurs et l’organisation particulière du service public en milieu rural, afin de donner à la consultation avec les maires et les usagers toute sa place (article 3).
Ce décret devrait apporter aux familles, comme aux élus, des garanties sur trois points essentiels :
– celui du délai. Il est temps de donner une réelle portée à la « règle » prévue par la charte sur l’organisation des services publics et au public en milieu rural de 2006, qui prévoit la notification, aux exécutifs locaux, par les autorités académiques, des suppressions ou fermetures de classes du premier degré avec deux années d’avance ;
– celui de l’application de seuils d’ouverture, de réouverture ou de fermeture de classes adaptés aux contraintes du monde rural ou de la montagne ;
– celui de la concertation avec les acteurs locaux, qui suppose, en amont, leur bonne information.
Enfin, la présente proposition de loi comprend un gage de « charges », qui conditionne sa recevabilité financière (article 4).
La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen de la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 18 septembre 2013.
Mme Marie-Christine Dalloz, rapporteure. Tout d’abord, merci de m’accueillir pour parler, une nouvelle fois, de l’école, un sujet cher au cœur de tous les membres de cette Commission. La question vous a longuement occupés au cours du premier semestre, avec la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, et la semaine dernière, lors de l’audition des ministres sur la rentrée scolaire 2013.
J’ai plaisir à vous parler de l’école en territoire rural et de montagne en vous présentant cette proposition de loi que je voudrais vous convaincre d’adopter : ce texte est en effet motivé par la cohérence et l’urgence.
La cohérence tout d’abord.
Vous connaissez tous ce principe de notre droit qui veut que l’égalité passe par la reconnaissance des différences. C’est ce qu’exprime le premier article du code de l’éducation, l’article L. 111-1, qui dispose, d’une part, que l’école « contribue à l’égalité des chances » et « à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire » et, d’autre part, que la répartition des moyens du service public de l’éducation tient compte des différences de situation. Or c’est là, précisément, que le législateur s’est arrêté en si bon chemin, car le code ne fait que mentionner les différences de situation « notamment en matière économique et sociale ».
On m’objectera que le « notamment » permet d’englober toutes les différences. Cependant, comme je vous le montrerai, le silence du code tend à encourager l’adoption de mesures de carte scolaire qui ne prennent pas en compte la situation particulière des territoires ruraux et de montagne.
En outre, l’article L. 111-1 précise que la répartition des moyens a pour but de renforcer l’encadrement des élèves dans les zones d’environnement défavorisé et d’habitat dispersé, oubliant ainsi, une fois de plus, les zones rurales et de montagne. Or ces dernières se caractérisent non seulement par la dispersion de l’habitat, mais aussi par leur relief, leur climat et la fragilité de leur « écosystème ».
Ce « silence » du code est d’autant plus surprenant que le législateur a reconnu, à de nombreuses reprises, la dimension territoriale du service public de l’éducation. J’en donnerai ici deux exemples.
L’article L. 113-1 du même code, qui est consacré à la scolarisation des moins de trois ans, prévoit que l’accueil de ces enfants dans les écoles maternelles est « organisé en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne, et dans les régions d’outre-mer ».
Par ailleurs, le service public de l’enseignement supérieur comprend dans ses missions « l’attractivité » des territoires au niveau local et « la cohésion sociale du territoire national, par la présence de ses établissements ». J’observe que ces dernières missions ont été ajoutées par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
En outre, le droit de l’éducation n’est pas le seul à reconnaître les spécificités des zones rurales et de montagne.
Je vous rappelle que l’article 1er de la loi du 9 janvier 1985 sur la montagne dispose que le développement équitable et durable de la montagne « doit permettre à ces territoires d’accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions ».
Je vous rappelle aussi la charte sur l’organisation des services publics et au public en milieu rural du 23 juin 2006, qui a affirmé la nécessité de promouvoir une politique « de maintien, d’amélioration et de développement de l’accessibilité et de la qualité des services publics dans les zones rurales ».
Ces éléments de droit ont d’ailleurs conduit le ministre de l’éducation nationale à adopter, le 30 décembre 2011, une circulaire relative aux écoles de montagne qui demande aux recteurs d’identifier, dans chaque département concerné, « les écoles ou réseaux qui justifient l’application de modalités spécifiques d’organisation et d’allocation de moyens au regard de leurs caractéristiques montagnardes ». Malheureusement, ce ne sont là que des mots puisque, dans les faits, les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN) interprètent très souplement ces instructions, voire, pour certains, les ignorent.
Il convient donc de donner un fondement légal à la prise en compte des spécificités des écoles rurales et de montagne, et c’est la raison pour laquelle les oublis du premier article du code de l’éducation doivent être réparés.
Certains d’entre vous me diront que la loi dite de « refondation » de l’école a changé la donne. Je connais l’alinéa du rapport annexé à cette loi qui indique qu’« une attention particulière sera portée aux territoires ruraux et de montagne » et que « lors de l’élaboration de la carte scolaire, les autorités académiques auront un devoir d’information et de concertation avec les exécutifs locaux des collectivités territoriales concernées ». Mais je sais aussi que le rapporteur de ce texte, M. Yves Durand, n’a cessé de répéter que ce document n’avait aucune portée normative.
Le deuxième point de mon argumentation est qu’il y a urgence à légiférer.
Les territoires non urbanisés sont en effet des territoires aux équilibres fragiles, dont le développement repose en grande partie sur le maintien d’une école de proximité. Par ailleurs, cette proximité est nécessaire au bien-être et à la sécurité des enfants. Or le silence de l’article L. 111-1 du code a l’effet suivant : malgré les créations de postes programmées par le gouvernement, les fermetures de classes ont, selon la presse quotidienne régionale, rythmé la rentrée scolaire des départements ruraux ou de montagne.
De surcroît, dans de nombreux cas, il a suffi qu’une école « perde » trois ou quatre enfants pour entraîner, en septembre, l’application des mesures de carte scolaire, dont la brutalité a suscité l’incompréhension des familles. Et, comme vous le savez, cette situation a parfois conduit les parents d’élèves à occuper des écoles.
J’ai demandé au ministère de l’éducation nationale, le 11 septembre dernier, des données sur les fermetures de classe qui me sont parvenues intégralement ce matin. C’est pourquoi je vous les communique oralement, en vous précisant qu’elles figureront dans la version définitive du rapport.
Selon les données fournies par le ministère de l’éducation nationale, les départements de montagne qui ont été les plus lourdement impactés par les mesures de rentrée scolaire 2013 sont le Jura, dont les écoles primaires perdent 15 postes, et la Haute-Saône – moins 13 postes. Ces disparités territoriales sont incompréhensibles, voire inacceptables.
Selon une enquête menée auprès des départements sur leurs projets de mesures de carte scolaire avant la rentrée, le nombre de fermetures de classes dans les départements à dominante rurale ou de montagne s’élèverait à 834. Toutefois, ces données sont à utiliser avec prudence car beaucoup de mesures d’ouverture ou de fermeture de classes - environ un quart - sont conditionnées par les effectifs réels d’élèves à la rentrée, et les « remontées » sur ces effectifs ne sont pas encore toutes stabilisées. Reste que nous sommes très loin de la rentrée idyllique décrite la semaine dernière par le ministre de l’éducation nationale et sa majorité !
Au-delà de toute référence à l’actualité, je voudrais souligner le fait que l’aveuglement de l’État à l’égard des besoins des territoires ruraux - qui est ancien puisque les dispositions de l’article L. 111-1 sont, en grande partie, issues de la loi du 10 juillet 1989 relative à l’éducation - compromet, de fait, leur attractivité et leur développement, et ce pour une raison très simple : la présence ou l’absence d’une l’école est un facteur déterminant dans le choix d’une famille de s’installer dans une commune.
Par ailleurs, le desserrement du maillage scolaire en zone rurale ou de montagne peut avoir des conséquences sur la sécurité, la santé ou, à tout le moins, la qualité de la vie scolaire des enfants : une école qui « s’éloigne », c’est de la route, et donc du temps de transport en plus, avec ce que cela implique comme risques liés à la climatologie et au relief de montagne.
Pour ces raisons toutes simples, je vous propose d’ajouter les mots « territorial » et « zones rurales et de montagne » à l’article L. 111-1 du code pour que la répartition des moyens de l’école tienne compte de ces réalités.
En outre, afin de compléter ce cadre législatif par un cadre réglementaire de haut niveau, la proposition de loi prévoit de préciser que les mesures relatives au classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne et à l’aménagement du réseau scolaire feront l’objet d’un décret en Conseil d’État. En effet, les élus et les familles doivent avoir la garantie qu’ils seront informés à temps et que les décisions d’ouverture ou de fermeture de classes obéiront à des règles strictes, préalablement connues de tous.
J’espère ne pas avoir été trop passionnée dans mon exposé, mais je souhaite sincèrement vous avoir convaincus de la nécessité d’adopter ce texte.
M. Yves Daniel. Élu d’une circonscription rurale et maire d’une commune rurale de 380 habitants, j’ai porté une attention toute particulière à cette proposition dont l’exposé des motifs affirme que « les [territoires ruraux] souffrent depuis longtemps d’une absence d’aménagement du territoire qui se traduit dans tous les secteurs et notamment dans l’organisation du service public de l’éducation ».
Si nous nous reportons aux mesures prises sous le gouvernement précédent, je partage effectivement votre analyse, madame Dalloz. Les territoires ruraux que vous prétendez défendre ont fortement souffert des réformes de M. Luc Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, et de la suppression de 80 000 postes d’enseignants entre 2007 et 2012. Les conséquences néfastes d’une telle politique ont été largement démontrées, je ne reviendrai pas dessus. J’insisterai seulement sur une donnée : du fait de la pénurie d’enseignants, notamment remplaçants, si l’on additionne l’ensemble des heures non dispensées, un élève perd, en moyenne, une année de cours tout au long de sa scolarité. Je vous laisse méditer, en vous rappelant que pour corriger cette situation inacceptable et le sous-investissement des années précédentes, 60 000 postes seront créés dans l’éducation nationale sous ce quinquennat. Pour cette rentrée 2013, on enregistre ainsi 3 350 postes supplémentaires d’enseignants dans les écoles publiques et privées sous contrat, et 720 pour répondre précisément au problème du remplacement.
Par ailleurs, il me semble que cette proposition de loi oublie un peu vite toutes les discussions que nous avons eues, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, sur la nécessité de mieux prendre en compte les territoires ruraux et de montagne. Rappelez-vous les ateliers organisés pour préparer le projet de loi. L’un d’eux intitulé « Une école plus juste pour tous les territoires » a donné lieu à de riches débats qui ont été repris en partie dans le texte final. Ainsi « l’attention particulière portée aux territoires ruraux et de montagne » est-elle un principe inscrit dans cette loi.
On pourrait répondre que c’est une simple déclaration d’intention qui n’engage à rien. Mais les mesures concrètes sont là : les zones rurales et de montagne sont parmi les premières à bénéficier du renforcement de la scolarisation des enfants de moins de trois ans et du dispositif « Plus de maîtres que de classes », justement du fait de leurs spécificités.
En outre, la loi pour la refondation de l’école de la République met en place un grand service public du numérique. Il est précisé que « les cofinancements prévus par les programmes gouvernementaux en faveur du déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire sont notamment mobilisés pour raccorder de façon systématique les établissements scolaires des premier et second degrés, et principalement ceux qui sont situés en milieu rural ». Chacun le sait, l’isolement est souvent le premier problème des petites structures rurales. Les nouvelles technologies, en facilitant les échanges, sont une des solutions pour réduire les inégalités, sociales comme territoriales. Elles permettront un meilleur accès à un enseignement de qualité sur l’ensemble du territoire.
Mais venons-en à la question des rythmes scolaires. La semaine dernière, je suis intervenu dans cette même Commission en attirant l’attention de la ministre déléguée chargée de la réussite éducative sur les difficultés rencontrées par les communes rurales dans la mise en place de cette nouvelle organisation. Je ne les nie pas, et le gouvernement non plus. Mais je salue la pertinence des propos de la ministre qui, à cette occasion, a souligné la singularité de chaque territoire. Vous me permettrez de la citer : « La question des activités périscolaires ne crée pas les inégalités : elle fait apparaître celles qui existent. Nous devons considérer cela comme un progrès. La réforme des rythmes scolaires améliore le travail entre les DASEN, les associations et les élus. Cette pratique de la concertation est une avancée de la démocratie éducative ». J’ajoute à titre personnel que notre école en avait bien besoin… La spécificité des territoires ruraux est par ailleurs prise en compte puisque, au-delà de la somme forfaitaire pour chaque élève « passé » en 2013, il y a un complément pour les communes classées en dotation de solidarité rurale cible. Il ne faut pas oublier que, pour la première fois, l’État aide au financement du périscolaire et qu’en outre, il le fait davantage pour les communes rurales !
Pour terminer, je voudrais évoquer rapidement le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, la forêt et l’alimentation, qui devrait arriver à l’Assemblée dans le courant de l’année prochaine. La question de l’enseignement agricole, qui est directement liée aux territoires ruraux, sera largement abordée dans ce texte. C’est la raison pour laquelle les ministères de l’éducation nationale et de l’agriculture ont lancé, sur l’avenir de cet enseignement, une vaste concertation dont les conclusions ont été remises en mai dernier. Notre collègue Carole Delga, députée de Haute-Garonne, coordinatrice de l’atelier « Promotion sociale et réussite scolaire », a d’ailleurs tenu à souligner que « l’enseignement agricole a pris toute sa place dans le cadre de la réflexion sur l’école de la République. Ce chantier est au cœur des priorités du gouvernement ».
Les zones rurales et de montagne comptent donc autant que les autres. Elles sont enfin reconnues à leur juste valeur, ce qui n’était pas le cas ces dernières années. L’ensemble des mesures et des réformes engagées par la majorité jusqu’à présent, et celles annoncées pour les mois qui viennent, sont des preuves concrètes du souci constant du gouvernement d’assurer un développement harmonieux, équitable et juste du territoire. J’invite donc l’opposition à les étudier de plus près afin de déposer des textes qui ne soient pas seulement rhétoriques, mais porteurs d’avancées réelles. Nous y gagnerons tous, pour une véritable égalité des chances.
M. Frédéric Reiss. Je commencerai par remercier Mme Marie-Christine Dalloz pour son travail, et par souligner son engagement énergique en faveur des territoires ruraux et de la montagne. Ses nombreuses références à la loi « montagne » de 1985, à la circulaire de 2011 relative aux écoles situées en zones de montagne, ou aux consignes des DASEN afin d’éviter les effets de seuil et tenir compte des fluctuations démographiques, prouvent la pertinence de ses propos.
Notre rapporteure se fonde évidemment sur l’article L. 111-1 du code de l’éducation qui, selon moi, a perdu de sa force et de sa vigueur. En effet, avec le texte sur la refondation de l’école, cet article est devenu un véritable fourre-tout. Le groupe socialiste et le gouvernement, pour contenter les différentes composantes de la majorité, ont accepté de nombreux amendements au lieu de se contenter d’affirmer les grands principes du service public de l’éducation. Ce texte, qui se veut exhaustif, ne peut évidemment pas l’être. Il est donc tout à fait légitime que cette proposition de loi vienne combler le « silence » de l’article L. 111-1 à l’égard des territoires ruraux et de montagne.
Mme Marie-Christine Dalloz pointe dans son rapport les fermetures de classe, les problèmes liés à la sécurité routière et souligne que la présence ou l’absence d’une école est un facteur déterminant dans le choix d’une famille de s’installer dans une commune. C’est incontestable.
À l’heure de l’intercommunalité et des regroupements scolaires, je ne peux m’empêcher de relever, comme notre rapporteure, l’occasion manquée de la loi du 8 juillet 2013. Il aurait fallu redéfinir le statut des directeurs, donner davantage d’autonomie aux académies pour tenir compte des réalités de terrain, en concertation avec les parents et les élus locaux. Au lieu de cela, un décret du ministre modifie les rythmes scolaires et chamboule complètement l’organisation de la journée scolaire. Ce ne sont pas tellement les neuf demi-journées qui posent problème aux communes ; c’est l’organisation des trois quarts d’heure quotidiens ou des deux fois une heure et demie par semaine d’activités de découvertes.
On nous parle d’égalité des chances. Mais c’est bien le contraire auquel nous aboutirons. Notre collègue Yves Daniel vient de nous dire que les inégalités avaient été révélées. Nous affirmons, pour notre part, que ce dispositif ne fera que les aggraver.
Je terminerai sur une note positive, qui a peut-être échappé à certains. Après la Cour des comptes, qui pointe, dans son rapport, plusieurs éléments de la loi de refondation de l’école, la presse nationale s’est fait l’écho, il y a quelques jours, d’une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale (DEPP) qui montre qu’entre 1997 et 2011, le niveau des élèves de l’école maternelle s’est largement amélioré. L’article était intitulé « Hausse inédite du niveau en maternelle » et l’on pouvait lire : « Les forts et les moins bons ont tous progressé en quatorze années. » ; « Le score au-dessous duquel se situaient les 10 % d’élèves les plus faibles en 1997 reste non atteint par 3 % des enfants seulement. » ; « Les enfants des milieux défavorisés progressent autant que les autres » – et même davantage.
Cela signifie que ce que l’on avait mis en place commence à porter ses fruits. On sait bien en effet qu’il y a toujours un temps de latence entre les dispositions nouvelles d’une loi et les résultats que l’on peut en attendre. Une évolution tendant à faire de la grande section l’antichambre du cours préparatoire est sans doute facilitée par le fait que, depuis 1989, le cycle dit des « apprentissages fondamentaux » regroupe la grande section de maternelle, le CP et CE1.
Ces résultats, globalement réjouissants, doivent néanmoins embarrasser le ministre de l’éducation nationale. En effet, ils démontrent que la majorité actuelle, qui trouve que notre école n’est ni juste ni efficace, a fait fausse route en voulant réformer dans l’urgence. Les cycles de la « loi Jospin » de 1989 et le retour aux fondamentaux de la « loi Fillon » donnent des résultats. Cette étude présente les scores moyens des élèves selon les diplômes et les professions des parents. Avec cette proposition de loi, que le groupe UMP soutient évidemment, il sera possible de prendre en compte, dans les études, les élèves des zones rurales et de montagne.
M. Thierry Braillard. Cette proposition de loi a fait l’objet de longues discussions au sein du groupe RRDP. Mais c’est toujours pareil : quand nous nous déclarons contre les mesures visant à la transparence de la vie publique, on nous accuse d’être aveugles devant les détournements et de ne pas être totalement intègres ; quand nous nous prononçons contre le non-cumul des mandats, on nous accuse d’être ringards. Si nous combattons cette proposition de loi, nos élus de montagne pourront se dire que nous allons à l’encontre des intérêts qu’ils défendent dans certaines structures – principalement l’Association nationale des élus de montagne qui s’est penchée sur la question, mais ne s’est peut-être pas suffisamment intéressée aux débats du Parlement qui ont abouti à cette magnifique loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. À ce propos, je remarque que le groupe UMP ne peut pas s’empêcher, tout en parlant des élus des territoires ruraux et de montagne, d’égratigner au passage cette loi qui s’applique aujourd’hui et a permis que la rentrée se passe de manière totalement satisfaisante.
Sur le fond, nous sommes d’accord avec le fait qu’on ne peut pas oublier les territoires ruraux et de montagne, et je pense que mes collègues socialistes sont du même avis. Mais sur la forme, faut-il une loi pour nous le rappeler ? Nous ne le pensons pas. La loi de juillet 2013 permet déjà de mettre en avant certains territoires. J’observe en outre que personne n’a déposé d’amendement sur son article 1er. Si erreur il y a eu, elle fut collective…
M. Yves Durand. Mme la rapporteure ayant fait allusion au rapport que j’ai eu l’honneur de présenter sur la loi de refondation de l’école, je lui ferai quelques réflexions, dans un esprit de concorde et de consensus.
Je voudrais d’abord la remercier d’avoir cité l’amendement dont je suis l’auteur et qui inscrit justement dans le rapport annexé – qui, s’il n’a pas de valeur normative, a une valeur législative – l’importance des territoires ruraux et de montagne. Ceux-ci ne sont donc pas oubliés.
Je voudrais malgré tout m’étonner de la tonalité de son rapport, dont un chapitre s’intitule : « L’occasion manquée de la loi du 8 juillet 2013 ». L’expression fut d’ailleurs reprise par M. Frédéric Reiss, dont la très brillante intervention n’avait, remarquons-le, qu’un lien très lointain avec les territoires ruraux et de montagne. Mais quand je lis que cette loi, « placée sous le signe du quantitatif et de l’incantation, ne porte, en réalité, aucune ambition transformatrice pour l’école », je me dis que les territoires ruraux et de montagne méritaient mieux que cette petite manipulation.
Madame Dalloz, je trouve en outre cocasse de vous entendre réclamer aujourd’hui du « quantitatif » alors que pendant des semaines, au moment du débat sur la refondation de l’école, vous nous avez accusés de vouloir en faire au détriment du « qualitatif ». Et si les territoires ruraux sont en danger, c’est en raison des suppressions de postes que vous avez précédemment opérées.
Mme Annie Genevard. Lors de la discussion de la loi sur la refondation de l’école, nous avons évoqué longuement la question de la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Le ministre l’a même présentée comme une des avancées majeures de cette loi, insistant sur le rôle structurant de l’école maternelle, ce sur quoi nous sommes d’accord. Du reste, l’étude de la DEPP vient confirmer le rôle déterminant de l’école maternelle, avec toutefois une nuance importante : à plusieurs reprises, le ministre a dit que l’école maternelle ne devait pas être envisagée comme une propédeutique de la primaire. Or, en réalité, l’excellence de l’école maternelle montre bien qu’elle résulte justement de cette conception contestée par le ministre. Mais je referme la parenthèse…
Nous avons abondamment discuté de la prise en compte, dans les effectifs, des enfants de moins de trois ans. C’est très important, puisque cela détermine l’ouverture, la fermeture ou le maintien du nombre de classes. À cette occasion, j’ai interrogé à maintes reprises le ministre sur la définition qu’il donnait de « l’environnement social défavorisé ». En effet, il nous avait déclaré que cet environnement social défavorisé pouvait concerner la ville comme la campagne. Or c’est bien le sujet de la proposition de loi de Mme Marie-Christine Dalloz.
Le ministre, un peu excédé, a fini par répondre que la définition était la même que celle qu’avait donnée son prédécesseur. Il pensait, de cette façon, nous mettre dans l’embarras. Or il n’y a pas, dans le code de l’éducation, de définition précise d’une zone à environnement social défavorisé. Cela signifie que l’ouverture, la fermeture et le maintien de classe dans les écoles primaires, et singulièrement les écoles primaires de montagne et de zones rurales, ne sont fondés sur aucun critère objectif.
J’avais donné au ministre l’exemple de l’école de Chapelle-des-Bois , dans le Doubs, qui aurait mérité, après le passage de la « brillantissime » loi de refondation de l’école, de voir ses classes maintenues. Or il n’en a pas été question, alors qu’il s’agit d’une petite école de montagne, dans une zone rurale, éloignée de tout service, ce qui aurait justifié qu’on la considère comme une école située dans un « territoire à environnement social défavorisé ».
C’est pourquoi, à la faveur de cette proposition de loi, je demande instamment que pour les territoires ruraux, et notamment de montagne, on définisse précisément les critères objectifs des zones à environnement social défavorisé, dans lesquelles certaines écoles peuvent se trouver.
M. Patrick Hetzel. Je voudrais d’abord remercier Mme Marie-Christine Dalloz pour cette excellente proposition de loi.
Je prendrai ensuite le cas du Bas-Rhin. M. Frédéric Reiss et moi-même sommes députés de deux circonscriptions voisines qui, réunies, représentent 50 % du territoire et 20 % de la population ; ce sont les deux circonscriptions les plus rurales de ce département. Lorsqu’il y a des commissions académiques à Strasbourg et que nous échangeons avec les DASEN et les inspecteurs de l’éducation nationale sur la situation de nos écoles, on nous renvoie systématiquement à la faible densité de la population de nos circonscriptions par rapport à une moyenne. C’est une réalité. Mais lorsqu’il existe des zones rurales très peu denses, à côté de zones urbaines très peuplées, une moyenne ne veut strictement rien dire.
Ce que Mme Marie-Christine Dalloz demande, c’est qu’au-delà de toute approche quantitative ou qualitative, on prenne en compte des situations de ce type. Je sais bien, par expérience, que les DASEN essaient de faire de leur mieux. Mais concrètement, sur le terrain, les inspecteurs n’y sont pas obligés. Nous souhaitons donc que le législateur prenne le problème à bras-le-corps et qu’on inscrive dans la loi la spécificité des territoires ruraux et de montagne, que ce ne soit même plus un sujet de discussion, et que la discussion porte sur les éléments de prise en compte de cette spécificité.
Mme Martine Faure. Monsieur Hetzel, les difficultés que rencontrent actuellement les DASEN s’expliquent par la situation dont ils ont hérité !
Je vais vous donner l’exemple de ma circonscription de Gironde. L’année dernière, aucun poste n’avait été créé sur cette circonscription très rurale. Cette année, neuf postes l’ont été. Cela a permis d’ouvrir, par exemple, une troisième classe dans une petite école. Cela signifie que le fait rural a été pris en compte.
Les députés de l’opposition ont trouvé la loi de refondation de l’école « trop bavarde ». Aujourd’hui, inutile de rendre le code de l’éducation plus bavard : les territoires ruraux, les territoires de montagne et les territoires d’outre-mer ont déjà été pris en compte dans cette loi de refondation de l’école et ils le seront au fil du temps.
M. Benoist Apparu. Nous avons effectivement reproché à l’article 1er de la loi de refondation de l’école d’être bavard, générique, et surtout sans aucune portée normative : vous pouvez y mettre ce que vous voulez, l’ensemble de l’administration de l’éducation nationale, les recteurs comme les DASEN, s’en lavent les mains !
L’objectif de cette proposition de loi est de faire en sorte que l’ensemble du ministère de l’éducation nationale, dans sa composante nationale comme dans ses composantes rectorales et départementales, prenne en compte la réalité des différences des territoires, et notamment des territoires de montagne et des zones rurales – ce qui pourrait avoir des conséquences sur l’affectation des postes –et arrête de raisonner exclusivement à partir de moyennes.
Vous nous dites à longueur de temps que c’est la suppression des 80 000 postes qui a miné l’éducation nationale. Mais nous essayons de vous démontrer depuis quelques mois qu’il ne faut pas confondre l’aspect qualitatif et l’aspect quantitatif, et que la question essentielle est la réforme du système scolaire, et pas les moyens qu’on y met. Et malheureusement pour vous, deux travaux viennent de le confirmer : d’abord, le rapport de la Cour des comptes affirme qu’il faut d’abord se préoccuper de réformer l’organisation du système, à savoir le statut des enseignants et celui des établissements, deux sujets qui ne sont pas abordés dans le texte de loi ; ensuite, cette étude récente de la DEPP, qui ne dépend donc pas de l’UMP, a relevé des progrès significatifs à l’école maternelle au moment même où nous y avons supprimé des postes.
Encore une fois, l’essentiel, c’est la réforme, pas la quantité. C’est l’esprit de cette proposition de loi. Inscrivez dans la loi la notion de territoires ruraux et de montagne, pour que l’administration puisse la prendre en compte !
M. Guénhaël Huet. Je salue l’initiative de Mme Marie-Christine Dalloz. Sur le fond, cette proposition tend à prendre en compte la diversité de nos territoires. C’est un texte simple qui se contente de compléter en quelques mots l’article L. 111-1 du code de l’éducation. Bien entendu, cette proposition de loi poursuit un objectif d’égalité. Or l’égalité implique de traiter de façon différente des situations différentes. Sinon, ce n’est plus de l’égalité ; c’est de l’uniformité.
Je crois que le principe d’égalité est cher à nos collègues du groupe majoritaire et j’avoue avoir du mal à comprendre que ceux qui s’en réclament à longueur d’année ne soutiennent pas cette proposition de loi. Et puis, ne sont-ils pas favorables à l’augmentation du nombre de postes et à l’amélioration du service de l’éducation ? À moins que, comme d’habitude, le groupe socialiste et ses alliés ne se désintéressent des zones rurales, ce qui serait tout aussi incompréhensible que choquant.
Mme Brigitte Bourguignon. Élue moi aussi d’une circonscription rurale, je rappelle que tous les amendements ayant trait à la ruralité et à la scolarisation des enfants de moins de trois ans en secteur rural ont été déposés par des députés du groupe SRC. Nous n’avons donc pas de leçons à recevoir dans ce domaine.
M. le président Patrick Bloche. Merci de cet échange instructif pour un député aussi peu rural que moi, qui n’a en outre même pas la butte Montmartre dans sa circonscription pour en faire un territoire de montagne.
Mme la rapporteure. Monsieur le président, je vous invite bien volontiers à venir constater par vous-même les difficultés que nous rencontrons en matière de scolarité dans les zones de montagne.
M. le président Patrick Bloche. Je vous inviterai moi-même à venir voir dans le quartier de Belleville d’autres environnements défavorisés, qui connaissent eux aussi de réels problèmes sociaux.
Mme la rapporteure. Monsieur Daniel, vous êtes certes maire d’une commune rurale, mais pas dans un département considéré comme rural par le ministère de l’éducation nationale, selon le classement qu’il m’a fourni, de sorte que vous n’avez pas autant subi l’impact de la dernière rentrée scolaire. Les ateliers de réflexion que vous évoquez ne vous ont pas conduit à inscrire dans l’article L. 111-1, fondement du code de l’éducation, la notion de territoires ruraux et de montagne. Faute d’apporter les précisions nécessaires pour qu’ils soient pris en compte, vous avez stigmatisé ces territoires. S’ils étaient mentionnés dans l’article L. 111-1, nous pourrions en rester là.
Monsieur Reiss, je vous remercie pour votre intervention. La loi du 8 juillet 2013 n’a pas été aussi explicative qu’il l’aurait fallu : un amendement adopté après de longs débats a certes permis que les territoires ruraux et de montagne soient évoqués dans une annexe, mais une annexe n’a pas la même portée qu’une inscription dans l’article L. 111-1 du code – ce qui est l’unique ambition de ce texte et représenterait déjà une réelle avancée pour nos territoires.
J’ai par ailleurs appris avec intérêt que le niveau des élèves de maternelle s’était amélioré entre 1997 à 2011 : c’est là une information importante, car on nous a longtemps laissé penser l’inverse. Cette bonne nouvelle est aussi une belle reconnaissance du métier des enseignants.
Monsieur Braillard, le département du Rhône ne rencontre pas les mêmes problèmes que le Jura – département de montagne qui vient en tête du palmarès que m’a transmis le ministère de l’éducation nationale. Y figurent aussi les Vosges, la Saône-et-Loire et, plus encore, la Haute-Saône, le Morbihan et l’Allier, tous départements très ruraux.
M. Thierry Braillard. Je ne représente pas seulement le Rhône : je suis député de la Nation.
Mme la rapporteure. Certes, mais il est plus difficile de défendre les territoires ruraux quand on n’a pas touché du doigt les problèmes qu’ils rencontrent. Votre quotidien est fait d’autres réalités, comme vient de le rappeler M. le président.
M. Marcel Rogemont. Nous ne sommes pas asservis à notre territoire !
Mme la rapporteure. Non, mais nous en portons tout de même les réalités.
Monsieur Braillard, si vous jugez qu’il suffit de mentionner les territoires ruraux et de montagne dans une annexe à la loi, les élus concernés vous entendront. Par une circulaire en date du 30 décembre 2011 – c’est-à-dire sous la majorité précédente –, le ministre de l’éducation nationale prenait en compte les problèmes rencontrés par les territoires ruraux en demandant aux recteurs une application différenciée des seuils d’ouverture et de fermeture de classes. L’application de cette circulaire est cependant très disparate et les territoires ruraux ont besoin d’une plus grande attention dans la loi.
Monsieur Durand, vous qui avez été rapporteur d’un grand texte de loi, vous faites, en dénonçant une « manipulation », un amalgame entre le qualitatif et le quantitatif. S’il y a bien une base de quantitatif, ce qui importe est l’implantation des postes : il n’y a là aucune manipulation intellectuelle. Permettez-moi de citer à ce propos deux exemples tirés de ma circonscription.
Dans la commune de Lect-Vouglans, où se situe le barrage de Vouglans, troisième retenue hydroélectrique de France, la fermeture d’une classe s’est traduite par le fait qu’une classe de 26 élèves se compose de 8 élèves de CP, 8 de grande section de maternelle, 6 de moyenne section et 4 de petite section. Quinze de ces 26 enfants sont en outre issus de familles peu – voire pas du tout – francophones. Les problèmes ne se situent pas toujours en banlieue et je ne suis pas certaine que les élus de la nation que vous êtes se réjouiraient que leurs enfants ou petits-enfants soient scolarisés dans une telle école, qui ne leur assure pas les mêmes chances que d’autres écoles de notre territoire.
Dans les deux communes de La Pesse et des Bouchoux, une quatrième classe, ouverte par un gouvernement issu d’une autre majorité avec un élève de moins que l’effectif actuel, vient, sous votre majorité, d’être fermée par décision du directeur académique des services départementaux de l’éducation nationale, une semaine après la rentrée des classes. Est-ce ainsi que vous concevez l’égalité des territoires et la justice sociale ? Les parents d’élèves que je rencontre ne comprennent plus la politique que vous voulez pour les territoires.
Madame Genevard, je vous remercie d’avoir avancé des critères objectifs. On sent également que vous avez été confrontée à la question d’un enseignement de qualité dans nos territoires ruraux.
Monsieur Hetzel, je vous remercie d’avoir si bien interprété la notion du « ni quantitatif ni qualitatif ». Vous avez également bien perçu la latitude d’interprétation que permet la circulaire du 30 décembre 2011. Une circulaire n’est pas une loi et l’inspecteur ou le recteur d’académie adapte son action aux moyens qui lui sont attribués : s’il peut respecter la circulaire, il le fait ; s’il ne le peut pas, il s’en affranchit.
Madame Faure, votre département de Gironde n’est pas répertorié par le ministère comme un département rural.
Monsieur Apparu, j’ai apprécié votre explication pertinente de la nécessité d’intégrer dans la loi la notion de territoires ruraux et de montagne. Si rien n’est fait, des communes et des familles continueront de subir à chaque rentrée scolaire des impacts qui accéléreront la désertification rurale. C’est là une réalité que nous touchons du doigt. Les parents ne comprennent pas qu’un gouvernement socialiste, malgré un affichage très marqué, ne tienne pas compte de la disparité entre nos territoires et des réalités de notre ruralité.
Merci enfin, monsieur Huet, pour votre intervention qui allait dans le sens de la présente proposition de loi.
Article 1er
Prise en compte des différences de situation territoriales
Le présent article a pour objet de modifier le premier article du code de l’éducation, relatif aux principes généraux du service public de l’éducation, afin de prévoir que la répartition de ses moyens tient également compte des différences de situation en matière territoriale.
Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 111-1 ne mentionne que les différences de situation « notamment en matière économique et sociale ».
Or, comme cela a déjà été indiqué dans l’exposé général du présent rapport, l’oubli de la dimension territoriale, n’incite pas l’Éducation nationale à respecter les engagements de l’État en matière d’accès des territoires non urbanisés au service public de l’éducation.
Ceux-ci résultent tant de la charte sur l’organisation des services publics et au public en milieu rural du 23 juin 2006 que de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, dont le rapport annexé contient un alinéa spécifiquement consacré aux territoires ruraux et de montagne.
En effet, l’égalité des chances postule un accès effectif et rapide au service public, à commencer par celui de l’éducation. Et celui-ci ne peut être assuré que par une allocation des moyens et des mesures de carte scolaire adaptées aux contraintes spécifiques des territoires, en particulier ruraux et de montagne.
Pour ces deux raisons, le principe d’une répartition différenciée des moyens tenant compte des données non seulement économiques et sociales, mais aussi territoriales, doit être inscrit dans le premier article du code de l’éducation.
Ce principe devrait recueillir un large consensus. L’actuelle majorité n’a-t-elle pas déposé, sous une autre législature, en février 2011, une proposition de loi pour l’instauration d’un bouclier rural au service des territoires d’avenir dont l’article 1er prévoit que l’État « garantit la proximité et l’égal accès des citoyens aux services publics, fondement de la cohésion sociale et territoriale de la République, sur l’ensemble du territoire » (4) ? Son article 3 va même jusqu’à proposer que dans un délai de trois ans, l’organisation du service public de l’éducation puisse garantir aux élèves un temps d’accès maximum à l’école élémentaire de 20 minutes de trajet automobile individuel, dans les conditions de circulation du territoire concerné…
*
La Commission rejette l’amendement rédactionnel AC 1 de la rapporteure.
Puis elle rejette l’article 1er.
Article 2
Introduction des termes « zones rurales et de montagne »
Le présent article a pour objet de préciser que la répartition des moyens du service public de l’éducation a pour but de renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établissements des zones rurales et de montagne.
En effet, l’égal accès à l’école suppose de promouvoir un développement équilibré de l’offre scolaire dans ces territoires, un objectif qui doit être clairement affiché.
Or, aujourd’hui, l’article L. 111-1 du code de l’éducation ne retient l’objectif d’un meilleur encadrement des élèves que pour les seules zones d’environnement social défavorisé et zones d’habitat dispersé.
Bien que les spécificités du monde rural et de la montagne (isolement, relief et climat difficiles, etc.) peuvent avoir des incidences sur leur développement, le législateur a oublié de mentionner ces territoires, ce qui contredit le principe d’égalité des chances et son corollaire, une répartition des moyens qui tienne compte des différences de situation.
Par conséquent, faute de s’appuyer sur une base juridique, aussi claire que solennelle, il semble que les instructions ministérielles du 30 décembre 2011, relatives aux écoles situées en zone de montagne, qui demandent aux recteurs d’identifier les écoles ou réseaux « qui justifient l’application de modalités spécifiques d’organisation et d’allocation de moyens au regard de leurs caractéristiques montagnardes », ne soient pas, systématiquement, suivies d’effet.
Aussi ce vide juridique, qui pénalise un grand nombre de nos concitoyens, doit-il être rapidement comblé.
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La Commission est saisie de l’amendement de coordination AC 2 de la rapporteure.
La Commission rejette l’amendement AC 2.
Puis elle rejette l’article 2.
Article 3
Encadrement par un décret en Conseil d’État
des mesures de classement des écoles et de carte scolaire
Cet article a pour objet de prévoir que les mesures relatives au classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne et à l’aménagement du réseau scolaire font l’objet d’un décret en Conseil d’État.
La question du classement des écoles et réseaux de montagne est en effet délicate, car celui-ci peut ne pas coïncider avec le classement des communes en zone de montagne.
On rappellera que les articles 3 et 4 de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne définissent les « zones de montagne » par les communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d’utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dus aux conséquences combinées de l’altitude et de la déclivité ou la combinaison des deux. Cette définition fait d’ailleurs l’objet d’un classement interministériel des communes concernées.
Or, le classement des communes en zone de montagne n’est pas opérant en ce qui concerne l’identification des écoles et réseaux d’écoles en montagne. En effet, des communes urbaines sont intégrées dans ce classement à raison de leur altitude alors même qu’elles ne connaissent pas de difficulté particulière en termes d’offre ou de transport scolaire.
C’est la raison pour laquelle le présent article prévoit que la question du classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne soit traitée non pas au niveau local, par les recteurs, comme le sous-entend la circulaire précitée du 30 décembre 2011 (5), mais dans un cadre fixé par le gouvernement lui-même, après consultation du Conseil d’État, saisi du projet de décret préparé par le ministre compétent.
À cette première garantie pour les usagers et les maires, s’en ajoutent deux autres, également proposées par le présent article :
– d’une part, les mesures relatives à l’aménagement du réseau scolaire doivent être également encadrées par ce décret en Conseil d’État. Ainsi, les décisions relatives à l’ouverture et à la fermeture des classes obéiront à des critères stricts, connus de tous ;
– d’autre part, ces mesures doivent fixer les modalités d’implication des acteurs concernés par les opérations afférentes à l’organisation du réseau scolaire. Les représentants des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale, des parents d’élèves et des enseignants pourront être ainsi informés et associés aux étapes clefs de la préparation de la rentrée scolaire.
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La Commission rejette l’article 3.
Conformément à une pratique bien établie, ce gage de « charges » conditionne la recevabilité initiale, par le Bureau de l’Assemblée nationale, de la proposition de loi.
Il prévoit que les charges pour l’État résultant de la présente proposition de loi sont compensées, à due concurrence, par l’augmentation de la taxe sur la publicité télévisée due par les personnes qui assurent la régie des messages de publicité reçus en France sur les écrans de télévision, telle que définie à l’article 302 bis-KA du code général des impôts.
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La Commission rejette l’article 4.
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M. le président Patrick Bloche. La Commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, je constate que l’ensemble de la proposition de loi est rejeté. En conséquence, c’est le texte initial de celle-ci qui sera soumis au débat en séance publique jeudi 3 octobre.
En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.
Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi ___ |
Texte de la Commission ___ |
Proposition de loi visant à introduire la notion de territoires ruraux et de montagne dans le code de l’éducation |
Aucun texte adopté | |
Code de l’éducation |
Article 1er |
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Art. L. 111-1.– L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s'enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. …………………………………. Pour garantir ce droit dans le respect de l'égalité des chances, des aides sont attribuées aux élèves et aux étudiants selon leurs ressources et leurs mérites. La répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation, notamment en matière économique et sociale. …………………………………. |
À la seconde phrase du sixième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, après le mot : « économique », est inséré le mot : « territoriale ». |
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Article 2 |
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Art. L. 111-1.– ………………… Elle a pour but de renforcer l'encadrement des élèves dans les écoles et établissements d'enseignement situés dans des zones d'environnement social défavorisé et des zones d'habitat dispersé, et de permettre de façon générale aux élèves en difficulté, quelle qu'en soit l'origine, en particulier de santé, de bénéficier d'actions de soutien individualisé. …………………………………. |
À l’avant-dernier alinéa du même article, les mots : « et des zones d’habitat dispersé » sont remplacés par les mots : « , des zones d’habitat dispersé, des zones rurales et de montagne ». |
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Article 3 |
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Les mesures relatives au classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne et à l’aménagement du réseau scolaire font l’objet d’un décret en Conseil d’État. Elles portent notamment sur l’implication des différents acteurs et l’organisation particulière du service public en milieu rural. |
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Article 4 |
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Les charges pour l’État sont compensées à due concurrence par l’augmentation de la taxe définie à l’article 302 bis-KA du code général des impôts. |
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