N° 1475 - Rapport de M. Michel Destot sur le projet de loi , après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (n°459)




N
° 1475

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 octobre 2013

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (n° 459)

PAR M. Michel Destot

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

SOMMAIRE

___

Pages

I. LA NOUVELLE LIGNE FERROVIAIRE MIXTE LYON-TURIN, UN PROJET PRIORITAIRE QUI S’INSCRIT PLEINEMENT DANS LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT DES INFRASTRUCTURES À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE 7

A. UN PROJET INDISPENSABLE, SOUTENU PAR L’UNION EUROPÉENNE 7

1. Un projet nécessaire qui dépasse, par ses enjeux, celui d’une simple liaison ferroviaire 7

2. La future ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, pilier du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) 10

B. UN PROJET AMBITIEUX 11

1. Un défi technique 11

2. Une réalisation en plusieurs étapes 11

a. Les accès français 11

b. La section transfrontalière 12

c. Les accès italiens 13

II. L’ACCORD DU 30 JANVIER 2012, UNE ÉTAPE IMPORTANTE VERS LA RÉALISATION DE LA NOUVELLE LIGNE FERROVIAIRE MIXTE ENTRE LYON-TURIN 15

A. UN ACCORD QUI CONCERNE ESSENTIELLEMENT LE TUNNEL FRANCO-ITALIEN 15

B. UNE « GOUVERNANCE » RENFORCÉE 16

C. DES MODALITÉS FINANCIÈRES PRÉCISÉES 22

1. Études préliminaires 22

2. Réalisation puis exploitation de la nouvelle ligne mixte 22

D. UNE MISE EN SERVICE ESQUISSÉE 24

1. La sécurité et les secours 24

2. La coopération entre les deux États et l’action des forces de police 24

E. LES MESURES D’ACCOMPAGNEMENT DU PROJET 25

III. L’ACCORD DU 30 JANVIER 2012, UN ESSAI À TRANSFORMER 27

A. UN ACCORD QUI N’EST PAS LA DERNIÈRE ÉTAPE DU PROJET 27

1. Un accord qui ne lance pas les travaux de construction de la nouvelle ligne ferroviaire 27

2. Quel calendrier ? 28

B. LE FINANCEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE, UN ÉLÉMENT POSITIF ET DÉCISIF POUR LA RÉALISATION DU PROJET 29

1. La construction de la nouvelle ligne ferroviaire mixte, un coût significatif 29

2. Ne pas manquer l’opportunité de bénéficier des financements européens 30

CONCLUSION 31

EXAMEN EN COMMISSION 33

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 41

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet d’une nouvelle ligne ferroviaire mixte marchandises/voyageurs entre Lyon et Turin est à l'étude depuis le début des années 90 et a déjà donné lieu à la signature de deux accords entre la France et l’Italie :

• un premier fut signé par la France et l’Italie le 15 janvier 1996. Il créait, notamment, une Conférence intergouvernementale (CIG) chargée de diriger les études nécessaires à la future réalisation de l’ouvrage ;

• le 29 janvier 2001, les deux États conclurent un nouvel accord, lequel instituait, entre autres, un promoteur chargé de mener les études et travaux préparatoires.

La CIG a été chargée, en décembre 2007, par les ministres français et italien des transports, de préparer un nouvel accord portant, notamment, sur le tracé définitif, la prise en charge financière du projet, les principes de gouvernance de l’opération ainsi que les modalités de réalisation et la politique de report modal. Ces négociations débutèrent en février 2008 et aboutirent en décembre 2011. L’accord du 30 janvier 2012, objet du présent rapport, en est le fruit.

A l’occasion de l’examen du traité de 2001 par l’Assemblée nationale, en février 2002, la rapporteure de l’époque n’avait pas hésité à comparer le projet de nouvelle traversée ferroviaire des Alpes aux « épopées héroïques » d’Hannibal et ses éléphants et du passage du Grand-Saint Bernard par Napoléon Bonaparte(1). Si l’évocation de ces précédents fameux était assurément audacieuse, elle n’en était pas moins pertinente – et elle l’est toujours – au regard des extraordinaires enjeux que revêt la construction d’une nouvelle voie de communication transalpine entre Lyon et Turin.

Il y a tout d’abord des enjeux que les habitants et collectivités du Nord des Alpes connaissent bien car ils les vivent au quotidien, qu’il s’agisse de l’obsolescence des liaisons ferroviaires existantes ou de l’insécurité liée aux grands ouvrages routiers transalpins. En effet, les lignes ferroviaires de ce territoire ont été, pour l’essentiel, le fait de la Compagnie « Victor Emmanuel » lorsque les actuels départements de Savoie et Haute Savoie étaient partie intégrante du Royaume de Piémont/Sardaigne dont la capitale était Turin. Prouesse lors de sa construction entre 1857 et 1871, le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis – qui était alors la première grande percée alpine avec ses 12 km – présente aujourd’hui l’incorrigible handicap de son altitude puisque son tracé culmine à plus de 1 300 m. Que dire, également, du fait que les départements de Savoie et Haute Savoie et les villes de Chambéry et Annecy sont encore reliés à leur capitale régionale par des voies uniques (2) sur une ligne qui dessert plus d’un million d’habitants « permanents » et des sites touristiques fréquentés par des millions de pratiquants de sports d’hiver ? Dès lors, le considérable avantage donné au mode routier par un réseau ferroviaire aussi insuffisant et inadapté doit être remis en cause par une rapide réalisation de l’ouvrage transfrontalier de la ligne mixte Lyon-Turin », puis par la réalisation progressive de ses accès.

Au-delà, le projet de nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin est une réponse indispensable à l’avance que prennent les autres États alpins jouant un rôle moteur dans les communications entre la partie Sud et la partie Nord des Alpes : l’Autriche qui, avec l’Italie, a mis en chantier le nouveau tunnel ferroviaire du Brenner ; la Suisse qui, seule, a déjà mis en service le nouveau tunnel ferroviaire du Lötschberg et mettra en service, dans moins de quatre ans, le nouveau tunnel ferroviaire du Gothard. Ces trois ouvrages vont considérablement faciliter les échanges Nord/Sud et ils consolideront à n’en pas douter la place de premier partenaire économique que tient l’Italie pour l’Allemagne.

À contrario tout retard que prendra la réalisation du Lyon/Turin pénalisera les échanges France/Italie(3), alors que celle-ci est notre deuxième partenaire avec près de 70 milliards d’euros d’échanges par an. Plus gravement encore tout retard dans l’aboutissement de ce projet contribuera à marginaliser de très vastes territoires du Sud européen –à  commencer par toute la partie Sud de la France – car, comme le disent un certain nombre de géographes « les Alpes sont le Massif Central de l’Europe » !

S’il est difficile de « monétariser » ce qu’apportent la sécurisation d’un itinéraire, la reconquête de la qualité de l’air par un mode beaucoup moins polluant ou la préservation des équilibres dans les échanges Nord/Sud et Est/Ouest par des ouvrages de même génération et de même performance… on conçoit aisément que renoncer aux évidentes avancées qu’assurerait un grand projet européen comme la nouvelle ligne ferroviaire mixte reliant Lyon et Turin/Milan aurait un coût extrêmement lourd pour la France, pour l’Italie et pour l’Europe !

Ce sont là autant d’enjeux sur lesquels votre rapporteur entend revenir avant d’examiner plus en détails le contenu de l’accord du 30 janvier 2012 et de souligner l’intérêt d’avancer, sans tarder, dans la réalisation du projet.

Le projet d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin remonte au début des années 1990. Il répondait à une double nécessité qui perdure encore de nos jours : celle tout d’abord de développer un réseau ferroviaire transeuropéen par connexion des réseaux nationaux ; celle ensuite de sécuriser les échanges entre la France et l’Italie, à travers les Alpes.

Depuis l’adoption de la Convention Alpine en 1991 (4) s’y ajoute un objectif protecteur du massif alpin par report massif sur le rail des transports routiers de marchandises. Comme le souligne, à juste titre, l’étude d’impact adossée au projet de loi objet du présent rapport, « le massif alpin constitue un espace stratégique pour les déplacements des personnes et les flux de marchandises au sein de l’Europe mais demeure une zone très fragile, présentant des difficultés de franchissement importantes liées au relief escarpé ».

Aujourd’hui, il existe 5 grands axes permettant de relier la France à l’Italie :

- le tunnel routier du Mont-Blanc ;

- le tunnel routier du Fréjus ;

- l’autoroute A8 qui longe la côte méditerranéenne ;

- la voie ferrée historique empruntant le tunnel du Fréjus ;

- la ligne ferroviaire côtière.

Or, force est de constater que ces axes sont loin d’être satisfaisants.

Ils posent tout d’abord des problèmes évidents en termes de sécurité. Votre rapporteur a notamment en mémoire les incendies dans le tunnel du Mont Blanc, en mars 1999 – qui causa la mort de 39 personnes et entraîna la fermeture de l’infrastructure pendant presque 3 ans – et dans le tunnel routier du Fréjus en juin 2005 qui fit deux victimes. En ce qui concerne le tunnel ferroviaire de la ligne historique, celui-ci est monotube. Or, si le respect des normes ferroviaires actuelles exigerait, pour la sécurité, un tunnel bitubes, qui ne verrait l’absurdité d’un doublement du tunnel existant, culminant à plus de 1 300 m d’altitude, quand les autres pays alpins créent des « tunnels de base » à une altitude deux fois moindre ?

Plusieurs des axes existants sont également encombrés voire saturés. C’est le cas des axes côtiers avec la voie ferrée qui longe la Méditerranée et qui supporte un trafic régional très conséquent mais aussi avec l’autoroute A8, qui traverse l’agglomération niçoise et est régulièrement embouteillée. Autour des villes de Turin, Chambéry et Lyon, le trafic ferroviaire international interfère toujours plus avec le développement du service cadencé de voyageurs métropolitain et régional.

En outre, la ligne historique de la Maurienne, qui emprunte le tunnel du Fréjus et date de 1871, est vétuste et peu adaptée au transport moderne. Les pentes importantes des hautes vallées de la Maurienne et de Suse – jusqu’à 3,3%, soit presque trois fois plus que le seuil de référence de 1,2% pour les trains lourds de marchandises –  imposent de fortes limites d’exploitation et d’importants surcoûts énergétiques. Il est ainsi nécessaire de disposer en montée jusqu’à deux locomotives de traction et une de pousse et de limiter la charge des trains. La sinuosité du tracé au cœur des Alpes limite aussi fortement la vitesse des convois (30km/h sur certains tronçons), soit une vitesse quasiment identique à la vitesse d’origine sur la ligne. Certains tronçons sont dangereux comme celui entre Culoz et Aix-les-Bains où les voies, sur une distance de 12 kilomètres, sont en quasi surplomb du Lac du Bourget : on peut difficilement envisager que quelqu’un prendrait la responsabilité d’une intensification du passage de marchandises, y compris dangereuses, avec le risque qu’un accident ou un déraillement ferait courir au Lac ! D’autres tronçons limitent aussi la fluidité du trafic, comme les 43 kilomètres de voie unique entre Chambéry et Saint-André-le-Gaz. C’est là une qualité de service insuffisante pour offrir une alternative efficace au trafic routier. Il est clair que la ligne historique va être de moins en moins adaptée pour les trains de marchandises de grande capacité dans les décennies à venir alors même que la logique voudrait que le trafic routier se reporte vers le mode ferroviaire puisque la majorité des poids lourds qui passent par les Alpes effectuent des trajets de plus de 500 kilomètres. Il est nécessaire d’envisager une infrastructure nouvelle quand on constate l’échec de la modernisation de l’axe ferroviaire Dijon-Modane : quelles qu’aient été les améliorations apportées à l’itinéraire, celui-ci s’avère irréversiblement dissuasif dès lors qu’il débouche sur les fortes pentes inévitables de l’accès à un tunnel creusé à une altitude devenue bien trop élevée pour que l’ouvrage demeure compétitif et attractif.

Le projet d’une nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise donc à pallier ces insuffisances en permettant de basculer, de la route vers le fer, le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes. Aujourd’hui, 40 millions de tonnes transitent chaque année, par les divers modes de transport, à travers les passages franco-italiens, entre Léman et Méditerranée. Ces chiffres sont stables depuis une vingtaine d’années, en dépit des difficultés économiques. Cet ordre de grandeur de 40 millions de tonnes est d’ailleurs celui de la capacité de la future ligne Lyon-Turin, capacité qui sera disponible pour le fret indépendamment des trains de voyageurs. Le projet est donc cohérent pour permettre un report modal efficace de la route vers le rail. Aujourd’hui, environ 90 % des échanges France Italie s’effectuent par la route ! En 2011 comme en 2010, près de 2,7 millions de poids lourds ont franchi les passages franco-italiens, soit près de 7.400 camions par jour. Il y en a eu 1,3 millions pour le seul axe de Vintimille qui capte ainsi une partie du trafic passant par les tunnels routiers du nord des Alpes. Cette prédominance du trafic routier est une source de nuisances, tant pour les vallées alpines que pour le littoral. Face à cette situation, l’intérêt environnemental de la nouvelle ligne ferroviaire mixte est évident puisqu’à l’horizon 2035, en contribuant à réduire le trafic des poids lourds, elle devrait permettre – si on prend la référence de l’expérience suisse – une forte diminution des émissions de gaz à effet de serre, d’environ deux millions de tonnes par an. En ce sens, le projet de liaison ferroviaire mixte entre Lyon et Turin s’inscrit pleinement dans le cadre de la convention alpine de 1991 – à laquelle sont parties la France et l’Italie – dont l’article 2 (alinéa j), énonce clairement que les États membres doivent prendre des mesures « en vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin, de telle sorte qu’ils soient supportables pour les hommes, la faune et la flore ainsi que pour leur cadre de vie et leurs habitats, notamment par un transfert sur la voie ferrée d’une partie croissante du trafic, en particulier du trafic de marchandises, notamment par la création des infrastructures appropriées et de mesures incitatives conformes au marché, sans discrimination pour des raisons de nationalité » (5). 

La future ligne ferroviaire mixte aura également pour objectif d’améliorer les liaisons entre les grandes agglomérations alpines de France et d’Italie, et ainsi de réduire les temps de trajet entre la France et l’Italie mais aussi entre villes françaises puisqu’il est prévu que des TER à grande vitesse puissent circuler sur une partie de la section française de la ligne. Par exemple, Paris sera à 2h25 de Chambéry, à moins de 3 heures d’Annecy et à 2h 35 de Grenoble. Lyon et Turin seront reliés en environ 1h45, contre près de 4 heures aujourd’hui. Paris et Milan seront reliés avec un temps de parcours proche de 4h30 contre 7 heures aujourd’hui. Vers 2035, la nouvelle ligne ferroviaire pourrait drainer 4,5 millions de voyageurs par an dont 1,1 million se transférant de l’avion vers le rail avec, ici aussi, un bénéficie environnemental évident.

La mise en réseau de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon etTurin avec les autres grandes lignes européennes à grande vitesse ne pourra, en outre, que faciliter l’ouverture internationale des territoires concernés de part et d’autre de la frontière. Votre rapporteur, à cet égard, tient à rappeler le formidable impact tant économique, culturel que touristique qu’a eu le tunnel sous la Manche sur la région Nord-Pas-de-Calais et, notamment pour la ville de Lille. En permettant des déplacements plus rapides mais surtout plus sûrs, la nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon-Turin aura assurément un effet similaire sur les régions qu’elle reliera.

Enfin, votre rapporteur tient à rappeler que le chantier du tunnel transfrontalier de 57 kilomètres de long – ouvrage principal de la future ligne entre Lyon et Turin (6) – devrait générer, au plus haut de l’activité des chantiers de la section transfrontalière, plus de 3.500 emplois directs et indirects, en France et en Italie. Ces travaux s’inséreront dans le cadre d’une « démarche Grand Chantier » dans les deux pays afin d’optimiser l’intervention d’entreprises et de personnels dans les territoires directement concernés(7).

Le Réseau transeuropéen de transport (RTE-T) a pour objet de poursuivre l’harmonisation, la jonction et le développement, à l’échelle du continent européen, des infrastructures indispensables pour permettre la circulation des marchandises et des personnes et renforcer, ainsi, la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l’Union européenne.

Sa mise en place remonte au début des années 1990, époque où divers Conseils européens ont adopté les premiers schémas portant sur les lignes ferroviaires à grande vitesse, le transport combiné, les autoroutes et les voies navigables.

La politique du RTE-T a toutefois été véritablement engagée avec les Conseils européens de Corfou (juin 1994) et surtout d’Essen (décembre 1994) au cours duquel fut approuvée une liste de quatorze projets prioritaires dont la liste a été régulièrement actualisée par la suite afin de tenir compte des élargissements successifs de l’Union européenne (8).

Cette liste compte aujourd’hui 30 grands projets prioritaires en matière de transports, dont 18 projets ferroviaires, parmi lesquels l’axe prioritaire n°6, intitulé « Axe ferroviaire Lyon - Trieste - Divaca / Koper - Divaca - Ljubljana - Budapest - frontière ukrainienne » et dans lequel est incluse la ligne ferroviaire mixte entre Lyon-Turin.

Il convient de relever que cet axe Lyon-Turin est la seule percée ferroviaire alpine retenue entre le Léman et la Méditerranée, ce qui lui donne vocation à assurer le report sur le rail des trafics internationaux routiers de marchandises qui traversent l’ensemble des Alpes franco-italiennes.

Cette inscription dans le RTE-T est importante car elle reconnaît, l’importance, pour l’Europe, de cette nouvelle ligne ferroviaire et, surtout, elle implique que ce projet est appelé à recevoir un financement substantiel de la part de l’Union européenne. C’est là un point extrêmement positif mais aussi décisif sur lequel votre rapporteur entend revenir à la fin de son rapport.

La future ligne entre Lyon et Turin représente un grand défi technique. Pour assurer le franchissement des Alpes et des Préalpes françaises, plusieurs ouvrages d’art exceptionnels vont devoir être réalisés dont un tunnel de 57 kilomètres qui sera doté de pentes autorisant la circulation de trains de fret de tonnage important.

Ce tunnel « bitube » débutera, côté français, à proximité de Saint-Jean-de-Maurienne et débouchera, côté italien, près de la ville de Suse. Il sera assurément, à son ouverture, l’un des plus grands tunnels ferroviaires au monde avec le tunnel du Gothard (9) (57 kilomètres), en Suisse, ou le tunnel du Brenner (55 kilomètres) qui reliera l’Autriche à L’Italie. Ce dernier est actuellement en phase de travaux préliminaires et devrait être mis en service en 2026. En tout état de cause, le tunnel franco-italien sera plus long que le tunnel sous la Manche, lequel ne fait « que » 50 kilomètres.

À côté de ce tunnel de grande longueur, d’autres ouvrages d’art d’envergure seront réalisés au long du tracé de la ligne ferroviaire mixte. En ce qui concerne la partie française de la ligne, par exemple, 59 ouvrages d’art « courants » devront être réalisés mais aussi 6 viaducs et 8 tunnels dont certains d’une longueur significative tels le tunnel de La-Bâtie-Montgascon (7,4 kilomètres), celui de Dullin-L’Epine (15,2 kilomètres), celui de Chartreuse (24,7 kilomètres), celui de Belledonne (19,7 kilomètres) ou celui du Glandon (9,5 kilomètres).

L’ampleur du projet mais aussi son coût – sur lequel votre rapporteur va revenir – imposent une réalisation progressive et par étapes de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, laquelle comprendra trois composantes :

Les accès français, c’est à dire la partie du tracé comprise entre Lyon et Saint-Jean-de Maurienne (à l’entrée du tunnel frontalier) figurent dans le programme prioritaire de 2000 kilomètres de lignes nouvelles à lancer à partir de 2020 et inscrit dans la loi de programmation relative au Grenelle de l’environnement.

Le projet de tracé de cette partie de la future ligne ferroviaire a été arrêté en février 2006. Il concerne trois départements (le Rhône, l’Isère et la Savoie) et traverse 71 communes, dont 43 à l’air libre. Il comporte deux phases de réalisation : d’abord une ligne entre Lyon et Chambéry permettant la circulation de TGV, de TER à grande vitesse et de trains de fret) ; ensuite une ligne fret entre Avressieux et Saint-Jean-de-Maurienne permettant la mise en place d’une autoroute ferroviaire à grand gabarit. Ces deux phases ont fait l’objet d’une enquête publique qui s’est déroulée début 2012. La commission d’enquête a rendu un avis favorable assorti de trois réserves et le décret de déclaration d’utilité publique a été pris, par le Premier ministre, le 23 août dernier, respectant ainsi le délai réglementaire des 18 mois dans lesquels la procédure devait se conclure.

D’ores-et-déjà, votre rapporteur tient à relever, avant d’y revenir, ultérieurement, que la Commission « Mobilité 21 » (10) a confirmé l’intérêt de la réalisation de ces accès mais, compte tenu des incertitudes sur le calendrier des travaux du tunnel de base, elle n’en a pas fait l’une de ses premières priorités. Elle a recommandé un suivi spécifique du projet global et un réexamen du dossier selon une périodicité de 5 ans, confirmée depuis par la communication présentée en conseil des Ministres sur la politique des transports le 25 septembre dernier. Ainsi, c’est en 2018 que pourra être réexaminée la programmation de la réalisation des accès.

La section transfrontalière concerne essentiellement le tunnel franco-italien ainsi qu’une petite portion de ligne jusqu’à la ville de Bussoleno, à l’ouest de Suse.

La partie de cette section située sur le territoire français a été déclarée d’utilité publique par décret du 20 décembre 2007(11). Les acquisitions foncières sont en cours. En outre, les travaux de trois « descenderies », à Modane, La Praz et Saint-Martin-La-Porte, qui représentent environ 9 kilomètres de tunnel, ont été achevés en 2010. Ces ouvrages revêtent une importance particulière : ce sont des galeries qui permettent de mener des reconnaissances géologiques mais qui seront aussi utilisées lors du percement du tunnel puis, une fois celui-ci construit, lors de l’exploitation à des fins de ventilation et d’évacuation de sécurité en cas de trains ayant une panne ou un accident dans le tunnel.

Côté italien, les travaux de la galerie de reconnaissance de La Maddalena (7.540 mètres de long), située en Italie, ont débuté fin 2012. La durée du chantier est estimée à 50 mois.

La conception, la réalisation et l’exploitation du tunnel transfrontalier constituent le principal objet de l’accord franco-italien signé à Rome le 30 janvier 2012, à l’origine du présent rapport.

Les accès italiens correspondent à la partie de la future ligne ferroviaire mixte située entre Suse et Turin. Le tronçon entre Suse et Chiusa San Michele (tunnel de l’Orsiera) a fait l’objet d’études de niveau avant-projet sommaire qui ont été approuvées par les autorités italiennes en août 2011. Pour la section située entre Chiusa San Michele et Turin, les études de niveau avant-projet ont été conduites par « Rete ferroviaria italiana » (RFI) et sont en cours d’examen par le ministère italien de l’environnement.

Si l’article 1er de l’accord indique que ce dernier-ci est un avenant au précédent accord franco-italien du 29 janvier 2001, votre rapporteur tient à souligner que, sur la forme, il n’en est rien : l’accord dont il est demandé d’autoriser l’approbation ne vient pas modifier des stipulations déjà en vigueur, ce qui contribue grandement à en faciliter la lecture et la compréhension.

En outre, ce même article 1er définit l’objet de l’accord, à savoir fixer « les conditions de conduite du projet de liaison ferroviaire mixte marchandises-voyageurs entre Lyon et Turin ainsi que les conditions dans lesquelles cet ouvrage, au terme de sa réalisation, sera exploité ». L’accord détermine également « les conditions d’une meilleure utilisation de la ligne historique du Fréjus, notamment en définissant les mesures d’accompagnement du projet, et de sécurité ».

Toutefois, comme votre rapporteur va avoir l’occasion de le montrer, il apparaît que l’accord du 30 janvier 2012 concerne principalement la conception, la réalisation et l’exploitation de la « section transfrontalière » de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, c’est-à-dire, pour l’essentiel, le tunnel de 57 kilomètres qui sera l’ouvrage majeur du tracé, entre Saint-Jean de Maurienne et la ville de Suse, en Italie.

Ce découpage du tracé de la ligne ferroviaire mixte en « sections » est d’ailleurs précisé dans l’article 2 de l’accord lequel présente les définitions utilisées dans le reste du texte et précise les nouvelles limites de la « section internationale », et, dans celle-ci, de la « section transfrontalière », lesquelles ont sensiblement été modifiées par rapport à ce qui avait été envisagé dans l’accord franco-italien de 200112.

L’article 3 rappelle que le projet est placé sous le contrôle paritaire des États italien et français et en confie la responsabilité opérationnelle à un nouveau promoteur public dont le rôle et les principes de gouvernance sont précisés par le titre II de l’accord.

L’article 4 définit précisément la délimitation de la partie commune franco-italienne (en renvoyant notamment à un plan très utile figurant à l’annexe 1 de l’accord) et indique qu’elle sera réalisée par phases successives en commençant par la section transfrontalière composée du tunnel de 57 kilomètres de long, des gares internationales de Saint-Jean de Maurienne et de Suse et des raccordements immédiats à la ligne actuelle. Ce même article prévoit que la consistance des phases suivantes sera définie ultérieurement dans le cadre d’accords à venir mais aussi que « Rete ferroviaria italiana » (RFI) réalisera des travaux d’amélioration de la capacité sur la ligne historique entre Avigliana et Bussoleno, c’est-à-dire sur une portion de la ligne actuelle située à l’ouest de Turin. Interrogé par votre rapporteur sur ce point, le Gouvernement a indiqué que ces travaux n’ont pas encore commencé et qu’ils ont vocation à être réalisés en complément de la réalisation de la section transfrontalière.

Enfin, l’article 5 expose la structure des titres II et suivants de l’accord du 30 janvier 2012.

L’article 6 institue un nouveau promoteur public qui sera chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière franco-italienne de la nouvelle ligne mixte entre Lyon et Turin, soit le grand ouvrage entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse. « Entité adjudicatrice au sens de la directive 2004/17/CE du 31 mars 200413 », ce promoteur sera « seul responsable de la conclusion et du suivi de l’exécution des contrats que nécessitent la conception, la réalisation et l’exploitation de la section transfrontalière ».

Pourquoi avoir choisi de créer une nouvelle structure et ne pas avoir conservé le dispositif existant depuis l’accord de 2001, c’est-à-dire celui d’une société par action simplifiée – « Lyon Turin Ferroviaire » (LTF) – détenue par les deux gestionnaires d’infrastructures des réseaux ferrés nationaux, RFF et RFI ? En fait, il apparaît que pour la réalisation de l’ouvrage, qui représente un investissement particulièrement important, les gouvernements français et italien ont souhaité renforcer la gouvernance du projet et notamment s’assurer que, tout en disposant d’une autonomie suffisante pour la conduite opérationnelle de l’opération, le nouveau promoteur soit directement contrôlé par les États. À cette fin, il est prévu que le conseil d’administration de cette nouvelle entité soit constitué à parité entre les deux États. Le directeur général et le directeur administratif et financier seront nommés par la partie italienne alors que le président du conseil d’administration, le président de la commission des contrats et le président du service permanent de contrôle seront nommés par la partie française. En dehors de ces stipulations relatives au choix des dirigeants et à l’implantation des personnels, les ressources humaines du nouveau promoteur seront gérées en dehors de toute considération de nationalité puisque « tous les recrutements [seront] basés exclusivement sur les compétences des candidats ». Concrètement, aucun quota ni aucun dédoublement de poste en raison des nationalités ne pourra être imposé au promoteur public et rien ne permet de penser que les recrutements puissent être sources de tensions, car ce n’est pas le cas au sein de la société LTF aujourd’hui. En outre, il faut relever que des postes d’ « observateurs » seront offerts, au sein du conseil d’administration, à un représentant de la Commission européenne et aux représentants des régions Piémont et Rhône-Alpes, pleinement concernées par le projet de la ligne ferroviaire mixte.

Votre rapporteur se félicite, par ailleurs, que l’accord du 30 janvier 2012 précise que le nouveau promoteur public doive appliquer, en France, la « démarche Grand Chantier » et du côté italien, l’équivalent de ce dispositif prévu par une loi de la région Piémont. La « démarche Grand Chantier », antérieurement appliquée à d’autres projets, est un ensemble de réflexions, de dispositifs et d’actions destinés à préparer l’arrivée des chantiers sur le territoire, accompagner leur déroulement, valoriser les opportunités offertes à cette occasion pour le développement et la qualité des territoires, notamment dans le cadre de projets de développement local, et préparer, à beaucoup plus long terme, l’après chantier. Comme RFF pour les accès, le futur promoteur chargé de la section transfrontalière de la nouvelle liaison ferroviaire aura naturellement besoin que les conditions de la réussite technique des futurs chantiers soient réunies : main d’œuvre qualifiée, logement des travailleurs assuré de façon satisfaisante, foncier correctement maîtrisé… Du côté du territoire, les acteurs institutionnels et la population peuvent légitimement attendre que les effets négatifs des chantiers soient neutralisés ou au moins réduits et, en regard, que des opportunités pouvant être générées par ces chantiers pour la qualité et le développement du territoire soient saisies, organisées et soutenues. La « démarche Grand Chantier » s’efforce donc de constituer le cadre de rencontre et de coopération de ces intérêts et de ces attentes. Les questions traitées concernent l’emploi et la formation (prévision des besoins de main d’œuvre, formation de la main d’œuvre locale, adaptation des qualifications à l’évolution du chantier, reconversion du personnel pour l’après-chantier, …), l’hébergement et le logement (analyse des besoins, évaluation du potentiel disponible, actions à mener), l’action foncière (analyse des impacts du projet et des besoins, constitution de réserves foncières) et l’appui au tissu économique local, l’environnement.

L’article 7 institue, au sein du promoteur public, une « commission des contrats » chargée de s’assurer de la régularité et de la transparence des procédures d’attribution des contrats et marchés du promoteur ainsi que de leurs avenants.

Concrètement, les principaux contrats que cette Commission sera amenée à examiner concerneront d’une part les travaux de génie civil, notamment pour la réalisation des deux tubes du tunnel, à partir des extrémités de l’ouvrage et des descenderies qui ont été réalisées, d’autre part l’équipement de l’ouvrage (pose des voies, caténaires, alimentation électrique, radio…). D’autres contrats pourront concerner l’ingénierie, notamment l’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

La commission sera composée de douze experts indépendants nommés à parité par chaque État pour un mandat de cinq années et son président, nommé par la France, aura voix prépondérante.

Même si l’accord du 30 janvier 2012 ne le précise pas, les membres de la Commission des contrats devront posséder des compétences en ce qui concerne les aspects techniques, juridiques, économiques et financiers de la passation et de l’exécution des contrats, en particulier, au moins pour une partie d’entre eux, dans le domaine des grands travaux de génie civil. De même, être membre de cette commission ne sera pas une fonction à temps plein sur l’ensemble de la durée de réalisation de l’ouvrage ; il sera en revanche nécessaire que les membres de cette commission soient suffisamment disponibles à certains moments, en particulier lorsque la commission sera amenée à examiner des contrats importants.

L’article 7 indique également les procédures afférentes à l’intervention de la Commission des contrats. Cette dernière nommera en son sein une commission d’évaluation après réception des offres finales pour fournir son avis à la Commission sur les offres relatives à un marché ou à un contrat. Le directeur général ne pourra passer outre un avis défavorable de cette commission qu’à la condition qu’une majorité qualifiée du conseil d’administration le lui permette.

L’article 8 de l’accord crée un « service permanent de contrôle » qui a pour charge de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public.

Pourquoi avoir créé une telle instance ? N’aurait-on pas pu confier cette mission de contrôle à des organismes nationaux existant déjà ? En réponse à ces interrogations, le Gouvernement a indiqué à votre rapporteur qu’accorder ces compétences spécifiques à des organismes nationaux aurait conduit à modifier, par un accord international, les textes de droit interne concernant ces organismes, ce qui aurait été source de complexité. Par ailleurs, une telle option aurait rendu difficile la production de rapports d’analyse communs franco-italiens.

En tout état de cause, la création d’un service permanent de contrôle s’inspire de ce qui existe au niveau national et tout particulièrement des attributions de la Mission de contrôle économique et financier des transports (qui viennent par exemple d’être étendues au contrôle de la Société du Grand Paris, autre grand organisme constructeur d’infrastructures).

S’agissant de son organisation et de son fonctionnement, ce service sera composé de douze experts nommés à parité par chaque État pour un mandat de cinq années. Chacun des deux gouvernements pourra naturellement envisager de désigner des représentants issus d’organismes nationaux existants. Le président du service permanent de contrôle sera nommé par la France et en cas d’égalité, sa voix sera prépondérante. Il pourra être saisi par le conseil d’administration, y compris par le représentant de la Commission européenne, par l’une des parties signataires de l’accord, par le directeur général ou par le président de la commission des contrats.

Votre rapporteur tient à souligner que la création du service permanent de contrôle ne supprimera aucune compétence des organismes nationaux existants.

L’article 9 adapte les compétences de la Commission intergouvernementale du Lyon-Turin (CIG) à l’un des principaux objets de l’accord du 30 janvier 2012, qui, comme votre rapporteur l’a déjà précisé, consiste à avancer significativement vers la réalisation du tunnel transfrontalier. Le rôle de la CIG est ainsi redéfini et recentré sur les missions régaliennes liées au projet, en particulier en ce qui concerne les normes applicables ou encore en ce qui concerne les prescriptions de sécurité. À cette fin, un comité de sécurité est constitué auprès d’elle pour les questions relatives à la sécurité civile et aux secours et à la sécurité des infrastructures et des circulations ferroviaires. Un comité de sûreté est également créé et est chargé notamment d’émettre des avis ou propositions, d’être l’interlocuteur des différents intervenants dans le domaine de la sûreté, d’instruire les documents relatif à la sûreté et d’organiser les contrôles qui s’avéreraient nécessaires.

Par ailleurs, l’article 9 fixe les règles de coordination des autorités nationales de contrôle et de régulation dans le domaine ferroviaire, créés conformément aux dispositions de la directive 2001/14/CE. En France, l’organisme compétent est l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). Elle a été créée par la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009, afin de « concourir au bon fonctionnement du service public et des activités concurrentielles de transport ferroviaire, au bénéfice des usagers et clients des services de transport ferroviaire ». L’équivalent italien de l’ARAF est le Bureau pour la régulation des services ferroviaires (14) au sein du ministère des infrastructures et des transports. Les organismes de contrôle français et italien auront pour fonction, dans le cadre de l’exploitation de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, de veiller à éviter toute discrimination entre des candidats à l’accès à la liaison, en fournissant des avis à la CIG et en traitant tout recours sur des questions de tarification et d’accès, en termes de capacité, à la nouvelle liaison ferroviaire. Les avis de ces autorités devront être élaborés en concertation étroite et, en cas d’avis divergents, les deux organismes devront constituer un comité de conciliation chargé de produire dans un délai d’un mois un avis conforme.

L’article 10 concerne le droit applicable. L’enjeu est d’importance compte tenu des caractéristiques de la section transfrontalière du tracé de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, laquelle reposera sur un ouvrage unique – le tunnel de 57 kilomètres de long – à cheval sur les territoires de deux États souverains. La solution retenue par les deux Parties a été de confier au droit de l’une d’entre elles – la France – un rôle majeur. Ainsi la passation et l’exécution des contrats et marchés par le Promoteur public sera-t-elle régie par le droit public français à l’exception des contrats sans lien direct avec la conception, la réalisation ou l’exploitation des ouvrages et qui seront entièrement réalisés sur le territoire italien, lesquels seront naturellement soumis au droit italien. Par ailleurs, les litiges portant sur l’interprétation et l’exécution des contrats passés par le promoteur public ayant directement pour objet la construction, l’installation des équipements ou l’exploitation des ouvrages de la section transfrontalière seront soumis à un tribunal arbitral(15). En outre, si, en matière d’urbanisme, d’environnement, d’aménagement foncier, les procédures d’autorisation resteront soumises au droit territorialement applicable, la responsabilité en cas de dommages résultant tant de la construction, de l’existence, de l’entretien, de l’exploitation, de la sécurité que de la sûreté des ouvrages de la section transfrontalière sera, quant à elle, régie par le droit français.

En matière de droit du travail , l’article 10 précise que le droit applicable est celui du territoire concerné à l’exception de deux cas de figure : d’une part, les travaux de génie civil réalisés lors du creusement du tunnel seront réputés exécutés entièrement sur le territoire de l’État à partir duquel ils ont été engagés jusqu’au point de jonction avec les travaux réalisés à partir de l’autre État ; d’autre part, l’installation des équipements de l’ouvrage sera régie par le seul droit, français. Comme le souligne l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, ces dispositions, déjà présentes dans l’accord de 2001, sont par nature temporaires et limitées et ont pour « objectif de maintenir la cohérence de travaux effectués dans une unité de temps et de lieu et d’action ». Votre rapporteur tient également à relever que les corps d’inspection du travail seront autorisés à intervenir sur l’ensemble de la section transfrontalière avec, toutefois, l’obligation de missions conjointes lorsque les services d’un État voudront intervenir sur le territoire de l’autre État. Ce rapprochement entre les services des deux pays doit être salué car il témoigne de l’attachement de la France et de l’Italie à ce que les meilleures conditions de sécurité prévalent tout au long du chantier.

Enfin, l’article 10 précise que le Promoteur public sera assujetti à la législation et à la réglementation fiscale applicable en France. Une telle situation est parfaitement logique puisque le Promoteur, qui a son siège sur le territoire français, sera soumis à l’impôt en France en fonction des règles fiscales applicables en droit français au statut juridique qui lui sera conféré par ses statuts.

L’article 11 prévoit que les ouvrages construits par le promoteur deviendront sa propriété sous réserve des dispositions des contrats qu’il conclura notamment s’il s’agit de contrats de partenariat. À la disparition du promoteur, les biens deviennent propriété de chaque État sur son territoire.

L’article 12 précise que, quelles que soient les dispositions de la législation française applicables en la matière, les éventuelles recapitalisations du Promoteur public – si celui-ci est doté d’un capital social – ne pourront être effectuées sans l’accord des deux parties ou du promoteur public lui-même.

L’article 13 organise la transition entre LTF et le promoteur public puisque le premier, chargé des travaux et études préalables, doit, en vertu de l’accord, céder la place au second, qui sera chargé des travaux définitifs. En particulier, l’article 13 organise la transmission de tout ou partie des droits et obligations, le cas échéant à titre gratuit, et sans conséquence fiscale, entre les deux entités, compte tenu du fait que les États ont intégralement financé, à leurs frais, la totalité des prestations réalisées par LTF.

Enfin, l’article 27 de l’accord maintient, tout en le renforçant, le tribunal arbitral chargé du règlement des différends. L’accord du 30 janvier 2012 lui donne désormais compétence pour régler les différends entre les deux États ou entre le promoteur public et l’un des États ou encore entre les titulaires des contrats ou marchés et le promoteur.

Pour les différends entre les deux États ou entre le promoteur et l’un des États, chaque partie nomme un arbitre dans un délai de deux mois. Ces deux arbitres désignent un troisième arbitre ressortissant d’un État tiers qui préside le tribunal arbitral. En cas d’absence de nomination de ce président, la désignation est effectuée par le président de la Cour de justice de l’Union européenne ou, s’il est empêché ou ressortissant d’un des pays signataires de l’accord, par le président de chambre de cette Cour par ordre d’ancienneté.

Pour les différends entre les promoteurs et ses cocontractants, chaque cocontractant nomme un arbitre, le promoteur nomme autant d’arbitres que de cocontractants ; les arbitres ainsi nommés désignent un arbitre supplémentaire qui préside le tribunal. À défaut, le président est nommé par le président de la Cour de justice de l’Union européenne.

Le tribunal doit prendre ses décisions à la majorité des voix, les arbitres ne pouvant s’abstenir et le président ayant voix prépondérante le cas échéant. Les décisions du tribunal sont définitives et obligatoires.

Votre rapporteur tient enfin à souligner que l’accord prévoit un bilinguisme franco-italien strict : les parties à un différend pourront utiliser l’une ou l’autre langue et les décisions du tribunal seront rédigées en français et en italien.

Dans le prolongement de l’accord du 29 janvier 2001, l’article 15 précise que les études et travaux de reconnaissance sont financés à parts égales par les États.

Toutefois, ce même article prévoit que les surcoûts liés au changement de tracé dans le Val de Suse intervenus depuis le précédent accord soient pris en charge en totalité par l’Italie.

Ces stipulations seront en vigueur jusqu’à la promulgation de l’accord prévu à l’article 4 du traité de 2001, c’est-à-dire l’accord qui lancera la réalisation effective du tunnel franco-italien et marquera donc, la fin de la phase correspondant aux études préliminaires de l’ouvrage.

L’article 16 pose deux principes financiers qui devront guider la réalisation puis, ensuite, l’exploitation de la nouvelle ligne entre Lyon et Turin.

Tout d’abord, « la disponibilité du financement sera un préalable au lancement des travaux des différentes phases de la partie commune franco-italienne de la section internationale » et les deux États « solliciteront l’Union européenne pour obtenir une subvention au taux maximum possible pour ces réalisations ». C’est là le rappel de deux éléments indispensables à la bonne gestion du projet par la France et l’Italie.

Par ailleurs, l’article 16 rappelle la nécessité pour la bonne réussite du projet d’une recherche de la meilleure capacité d’autofinancement du projet par le biais d’une tarification adaptée de l’infrastructure dont aucune section, par ailleurs, ne devra prélever à son seul bénéfice la totalité de la capacité contributive. Par conséquent, la tarification qui devra être appliquée sur la ligne entre Lyon et Turin devra être à la fois attractive pour les entreprises ferroviaires et dégager une capacité d’autofinancement suffisante.

L’article 17 renvoie à l’annexe 2 l’énumération des principes juridiques, économiques et financiers qui doivent guider le promoteur public dans la conduite de l’opération : transfert optimal des risques entre le secteur public et le secteur privé, concurrence aussi efficace que possible, mobilisation des capitaux privés pour limiter le poids sur les finances publiques et structure tarifaire « intelligente » permettant un niveau élevé de recettes ne nuisant pas à la compétitivité.

L’article 18 fixe les clés de financement de la réalisation de la section transfrontalière, c’est-à-dire, pour l’essentiel, du tunnel de 57 kilomètres de long. Déduction faite des contributions européennes et de la part financée par les péages, la France financera 42,1 % des travaux et l’Italie 57,9 %, dans la limite du coût estimé au stade « projet » qui sera certifié par un tiers externe. Deux commentaires sont, ici, nécessaires.

D’une part, les taux évoqués résultent d’une négociation dont les principes ont été posés en 2004, dans le cadre d’un mémorandum négocié à la suite de l’accord de Turin du 29 janvier 2001 :

- la section internationale de la liaison Lyon-Turin, de l’ouest du massif de Chartreuse jusqu’au nœud ferroviaire de Turin, avait été considérée à l’époque comme un ensemble dont la principale fonctionnalité – constituer une liaison internationale à grande capacité et caractéristiques élevées à travers le massif alpin – était commune à la France et à l’Italie, ce qui devait conduire à un principe de partage du coût global par moitié ;

- à l’intérieur de cette section internationale, les parties situées entièrement sur le territoire d’un des deux États devaient être entièrement à sa charge ;

- toutefois, dans la mesure où la partie de la section internationale située en France et à financer par la France était d’un coût supérieur à celui de la partie de la section internationale située en Italie et à financer par l’Italie et en raison de la présence d’ouvrages plus importants du côté français (tunnels), la clef de financement de la section transfrontalière n’était pas équilibrée et un ajustement devenait nécessaire en adoptant, pour la section transfrontalière, une clef de financement permettant d’assurer la parité globale.

Ces principes ont été reconduits dans le cadre de la négociation de l’accord du 30 janvier 2012 et ont permis un accord sur des taux de financement de 42,1 % pour notre pays et de 57,9 % pour l’Italie. Ainsi, avec une contribution européenne de 40 %(16), l’Europe sera le premier financeur, la part de l’Italie de 57,9 % représentant 35 % du coût de l’ouvrage et les 42,1 % de la France correspondant à 25 % du coût de l’ouvrage.

D’autre part, en ce qui concerne la certification des coûts, l’objectif est de disposer d’un prestataire extérieur associant des compétences techniques et financières (bureau d’étude technique et cabinet d’audit). La procédure de désignation de ce certificateur sera menée par LTF, sous le contrôle étroit de la Commission intergouvernementale.

Enfin, l’article 19 précise que chaque État s’engage à acquérir les emprises foncières nécessaires au projet et à les remettre au promoteur public.

Au-delà de l’encadrement de la phase de réalisation du tunnel transfrontalier, l’accord du 30 janvier 2012, comme le souligne son article 20, précise également les modalités ultérieures de gestion de la section transfrontalière et de coordination des acteurs, après sa mise en service.

L’accord soumis à notre assemblée ne pouvait ignorer la question de la sécurité au sein du futur tunnel de 57 kilomètres de long. Les accidents survenus dans les tunnels alpins en 1999 et en 2005 ont mis en évidence la nécessité d’une coordination optimum entre les différents services compétents, de part et d’autre des frontières.

Ainsi, si l’article 21 précise que si les autorités nationales de sécurité resteront compétentes sur leur territoire, elles devront toutefois se coordonner et rendre une décision conjointe et motivée pour l’instruction des agréments de sécurité ainsi que pour l’instruction des demandes de « certificats de sécurité partie B » (17). Chaque gestionnaire d’infrastructure sera chargé de définir sur la section qui le concerne un plan d’intervention et de sécurité cohérent avec le plan de secours binational établi par les préfets territorialement compétents et validé par la CIG. Le commandement et la direction des secours seront assurés par les autorités nationales compétentes selon la localisation du sinistre et, en cas d’incertitude, les secours seront engagés des deux côtés. Bien évidemment, ces dispositions ne feront pas obstacle à une action immédiate lorsque les circonstances l’exigeront, le cas échéant après consultation de l’autre partie.

L’article 22 renvoie à des protocoles additionnels le soin de préciser les règles complémentaires de coopération interétatique, notamment pour ce qui concerne les dispositions en matière de contrôle de la bonne application du droit du travail et de contrôles de sécurité, de police et de douane, avec pour consigne que ces contrôles soient « organisés de manière à concilier, autant que possible, la fluidité et la célérité du trafic avec l’efficacité de ces contrôles ».

L’accord prévoit que la mise en service de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin sera précédée et accompagnée de diverses mesures facilitatrices, en particulier afin d’assurer le report modal du transport de la route vers le réseau ferroviaire alpin. L’annexe III de l’accord, auquel renvoie son article 23, détaille les actions qui, tant à court et moyen terme qu’à long terme, devront être entreprises en ce sens.

Pour sa part votre rapporteur comprend pleinement les aspirations de ceux de nos concitoyens qui attendent des futures conditions d’exploitation de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin qu’elles permettent d’atteindre un résultat voisin de celui obtenu par les Suisses, c’est-à-dire un report modal massif qui devrait tendre à faire passer sur le rail l’équivalent des marchandises transportées par au moins 2 millions de poids lourds par an sur les 2,7 millions comptabilisés encore en 2011 aux divers points de passage de la frontière franco-italienne.

C’est cette ambition qui devra guider les décisions des deux États – avec le soutien de l’Union européenne – dans l’organisation de ce changement majeur susceptible d’éviter au Massif Alpin le rejet annuel d’environ 2 millions de tonnes de CO2 sur le trajet constitué par cette liaison nouvelle entre Lyon et Turin.

Pour mémoire, alors que le rail achemine aujourd’hui entre la France et l’Italie moins de 10 % des tonnages, il atteint d’ores et déjà 64  % des tonnages en Suisse… alors que ce pays ouvrira le nouvel ouvrage du Gothard dans moins de 4 ans, c’est-à-dire au moins 10 ans avant l’ouverture du Lyon/Turin, situation que tout retard que prendrait cet ouvrage aggraverait encore, ce qui est inconcevable !

Votre rapporteur tient à relever qu’à ce jour, plusieurs mesures ont déjà été prises afin de promouvoir ce report modal pour les passages franco-italiens, notamment :

- les travaux relevant le gabarit de la ligne ferroviaire historique ont été achevés et, depuis un an, les trains peuvent utiliser le nouveau gabarit, ce qui se traduit notamment par des résultats en hausse sinon du trafic classique du moins de celui de l’autoroute ferroviaire alpine ;

- la consultation en vue de la mise en place d’un nouveau service pour cette autoroute ferroviaire va se poursuivre, conformément à la déclaration commune franco-italienne lors du sommet franco-italien de Lyon du 3 décembre dernier ;

- les tarifs des tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus, liés au financement de la galerie de sécurité du tunnel du Fréjus, augmentent depuis 2010, de 3,5 % au-delà de l’inflation, pendant 5 ans, conformément à une décision de 2009 ;

- l’Italie et la France, partenaires de l’Espagne, ont lancé un appel à projets pour contribuer à la création d’un schéma directeur des autoroutes de la mer qui a retenu trois liaisons entre la France et l’Italie, leurs promoteurs devant désormais poursuivre leur montage en vue d’une sollicitation de financements communautaires ;

- la France participe également à une étude pilotée par la société de classification italienne en vue de la préparation d’un schéma directeur de déploiement de stations d’avitaillement à l’horizon 2020.

L’article 24 invite la France et l’Italie à modifier dans un délai de deux ans après la signature de l’accord la convention du 29 janvier 1951 relative aux gares internationales de Modane et Vintimille et aux sections de chemin de fer comprises entre ces gares afin notamment de constituer un comité de sécurité pour le tunnel historique. Le Quai d’Orsay a indiqué à votre rapporteur que le mandat de négociation de la délégation française est en cours de définition, sur la base des études réalisées par le ministère en charge des transports, visant notamment à mieux prendre en compte le droit communautaire dans la modernisation d’une convention aujourd’hui assez largement obsolète. En parallèle, un travail est mené avec Réseau ferré de France (RFF), propriétaire de la ligne, afin de définir un calendrier et un périmètre géographique précis de transfert de la ligne historique. Des contacts ont été pris depuis 2012 avec la partie italienne, en vue d’aboutir à la modification de la convention du 29 janvier 1951 dans les délais impartis par l’accord du 30 janvier 2012.

L’article 25 donne compétence au promoteur public pour fixer les redevances d’utilisation de la section transfrontalière de la ligne nouvelle et de la ligne historique sur sa partie comprise entre les raccordements avec la ligne nouvelle. L’intérêt d’une telle disposition est évident : permettre d’assurer la cohérence de la tarification et d’éviter un effet de concurrence néfaste.

Les articles 26 et 28, qui prévoient respectivement la possibilité d’amender l’accord et les conditions d’entrée en vigueur, n’appellent pas de commentaires particuliers.

Comme votre rapporteur l’a précédemment indiqué, plusieurs étapes seront nécessaires pour réaliser l’ensemble de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin. En l’état actuel des estimations, il est probable de ne pas envisager une mise en service de l’ensemble de la ligne et de ses accès avant 2030.

Mais l’accord du 30 janvier 2012 constitue un pallier important à franchir : en instituant notamment, un promoteur public qui sera « seul responsable de la conclusion et du suivi de l’exécution des contrats que nécessitent la conception, la réalisation et l’exploitation de la section transfrontalière de l’ouvrage », il créé les conditions favorables au démarrage effectif des travaux de l’ouvrage le plus emblématique de la ligne : le tunnel entre la France et l’Italie.

Pour autant, l’entrée en vigueur de ce texte n’aura pas pour effet de permettre l’engagement des travaux car, ainsi que le stipule l’article 1er de l’accord, il faudra pour cela l’adoption et la ratification d’un nouveau traité entre la France et l’Italie. Ce texte sera court mais capital.

D’autres accords sont également à prévoir en ce qui concerne la réalisation des autres tronçons de la partie commune de la « section internationale » de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, alors même que ces tronçons ne seront qu’en territoire français ou qu’en territoire italien. Car compte tenu de l’interdépendance de ces sections, notamment du point de vue de l’exploitation, l’accord du 30 janvier 2012 prévoit qu’avant d’engager leur réalisation, leurs caractéristiques opérationnelles soient définies dans le cadre d’accords ultérieurs.

Au-delà, la réalisation du reste de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin relèvera aussi de décisions nationales. Par exemple, comme votre rapporteur l’a indiqué dans la première partie du présent rapport, les accès français, c’est-à-dire la partie du tracé entre Lyon et Saint-Jean de Maurienne, feront l’objet de travaux répartis en plusieurs phases, deux ayant déjà été distinguées : une nouvelle ligne mixte (passagers/fret) entre Lyon et Chambéry et un nouvel itinéraire fret à grand gabarit d’Avressieux à Saint-Jean-de-Maurienne.

Il apparait donc clairement que l’accord du 30 janvier 2012 n’est qu’une étape – mais une étape importante – dans le long processus décisionnel qui conduira, à terme, à la mise en service d’une ligne ferroviaire moderne et efficace entre Lyon et Turin.

Les dates de réalisation des différentes sections de l’ouvrage ne sont pas définies précisément à ce jour et dépendront, notamment, d’une contribution financière suffisante de l’Union européenne, conformément à la déclaration commune du sommet franco-italien du 3 décembre 2012, à Lyon18.

Toutefois, les hypothèses retenues dans le dossier d’enquête publique relative aux « accès français » sont les suivantes :

Tout d’abord aura lieu la réalisation du tunnel franco-italien ainsi qu’une nouvelle ligne mixte (passagers/fret) entre Lyon et Chambéry. Cette étape correspond à la première phase des accès français que votre rapporteur a précédemment décrite (avec notamment le percement du tunnel de Dullin-L’Epine de 15,2 kilomètres de long). Dans l’hypothèse – sans doute la moins probable – où aucun retard ne serait pris, la réalisation du tunnel pourrait avoir lieu d’ici 2025/2027.

Ensuite, il est envisagé la réalisation d’un nouvel itinéraire fret à grand gabarit d’Avressieux à Saint-Jean-de-Maurienne comportant un tunnel à un tube sous les massifs de Chartreuse, Belledonne et Glandon. Dans les études, cette étape – qui correspond à la deuxième phase des accès français – devrait être réalisée en même temps que le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise.

Enfin, il faudra réaliser les deuxièmes tubes des tunnels sous Chartreuse, Belledonne et Glandon, et ce, afin que ces ouvrages deviennent mixtes, c’est-à-dire qu’ils puissent accueillir à la fois du fret et des voyageurs. Par conséquent, tant que cette dernière étape n’aura pas été franchie, les trains de voyageurs emprunteront la ligne existante entre Chambéry et l’entrée du tunnel franco-italien, à Saint-Jean-de-Maurienne.

S’agissant des accès italiens, la mise en service d’une section comprise entre Chiusa San Michele et Orbassano, dans la banlieue de Turin, devrait intervenir en même temps que celle du tunnel transfrontalier. La mise en service de la section entre Orbassano et Turin devrait intervenir dans un second temps, suivie par celle de la section entre Suse et Chiusa San Michele.

En tout état de cause, votre rapporteur ne partage pas les conclusions qu’ont pu tirer certains opposants au projet de ligne ferroviaire mixte dans la foulée de la publication, le 27 juin dernier, du rapport de la « Commission mobilité 21 chargée de formuler des recommandations en vue de créer les conditions d’une mobilité durable et de hiérarchiser les projets d’infrastructure du SNIT », présidée par notre collègue Philippe Duron, député du Calvados. En aucun cas cette instance n’a contesté la nouvelle ligne Lyon-Turin dont, au contraire, elle a souligné l’importance des enjeux. Constatant l’existence de l’accord international dont nous sommes saisis et relayant le fort engagement des deux États manifesté le 3 décembre 2012, lors du sommet franco-italien de Lyon, la Commission a exclu le tunnel transfrontalier de son périmètre d’analyse. S’agissant des accès français, elle a souligné l’intérêt, à terme, de leur réalisation et si elle a évoqué les incertitudes sur le calendrier du tunnel, elle n’en a pas moins recommandé un suivi spécifique d’ici cinq ans, soit 2018. C’est là une échéance parfaitement compatible avec une durée de chantier d’au moins 12 ans pour le tunnel de base. Enfin, non seulement la Commission Mobilité 21 n’a pas écarté le projet de la ligne ferroviaire mixte mais elle a aussi souligné la dimension européenne de ses enjeux puisqu’elle a pris soin de rappeler que la France doit inscrire sa politique de mobilité « dans une cohérence avec l’espace et le flux européens pour assurer une meilleure interopérabilité et au-delà une meilleure intégration de notre territoire dans l’Union ».

Les deux premières phases des accès français ayant fait l’objet de l’enquête publique début 2012 ont été estimées à un montant de 7,727 milliards d’euros aux conditions économiques de 2011. La troisième phase des accès français, incluant notamment la réalisation d’un second tube pour chacun des tunnels sous les massifs de Chartreuse, de Belledonne et du Glandon a été estimée à un montant de 2,129 milliards d’euros aux conditions économiques de 2009.

Le coût de la section transfrontalière est estimé à 8,516 milliards d’euros aux conditions économiques de 2010. Comme votre rapporteur va l’indiquer ultérieurement, cette estimation devra être confirmée, ou infirmée, dans le cadre de la procédure de certification des coûts mais, en tout état de cause, la France n’en prendra en charge que 25 %.

Les accès italiens sont estimés à un coût total de 6,250 milliards d’euros aux conditions économiques de 2010.

Ces montants sont considérables et expliquent l’étalement du projet sur plusieurs décennies. Comme dans tout projet de cette ampleur, les coûts prévisionnels ont dû être réévalués avec le temps ce que n’a pas manqué de relever la Cour des comptes dans un référé adressé au Premier ministre, le 1er août dernier19. La Cour constate, entre autres, que les coûts prévisionnels ont connu une forte augmentation, l’estimation du coût global du projet étant passée, en euros courants, de 12 milliards d’euros en 2002 à plus de 24 milliards aujourd’hui. Si le renforcement des règles de sécurité mais aussi un changement de tracé de la partie commune côté italien sont en grande partie responsable de cette forte progression, ces « péripéties » ont également permis de tirer des enseignements précieux qui seront utiles pour aborder au mieux les phases ultérieures du projet. De surcroît, s’agissant du coût de la partie commune, le surcoût généré par le changement de tracé du côté italien sera entièrement financé par l’Italie, comme le prévoit l’accord du 30 janvier 2012. Et puis, il faut éviter le raccourci fallacieux consistant que ces 24 milliards d’euros seraient à la seule charge de la seule France. Comme votre rapporteur l’a souligné, il faut déduire de ce montant le coût des accès italiens ainsi que les participations européennes et italiennes au tunnel transfrontalier dont on a vu la part très substantielle.

Comme votre rapporteur a pu l’indiquer, la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin est une initiative d’intérêt européen, ce que, très tôt, son inscription parmi les projets du réseau transeuropéen de transports est venue confirmer. Il n’est donc pas anormal que l’Union européenne soit conduite à participer au financement de cette ligne « compte tenu de la dimension européenne de l’infrastructure et de son importance pour les citoyens et les entreprises 

Le cadre financier pluriannuel de l’Union pour la période 2014-2020 a fait l’objet d’un accord le 27 juin dernier entre les trois présidents d’institutions européennes (Conseil, Parlement et Commission). Cet accord confirme les montants de crédits issus des conclusions du Conseil européen des 7 et 8 février 2013. Il prévoit notamment d’allouer au réseau transeuropéen de transport une enveloppe de 23,174 milliards d’euros sur cette période, dont 10 seront réservés aux pays de la cohésion.

D’ores-et-déjà, la Commission européenne a confirmé que la nouvelle liaison Lyon-Turin serait éligible à des subventions européennes jusqu’à 40 % des dépenses, sur le budget portant sur la période 2014-2020. Il y a là une opportunité à saisir(20). Ce niveau élevé de participation est un élément déterminant qui plaide pour un lacement rapide des travaux. L’Union européenne est prête à assumer ses responsabilités : aux États français et italien, désormais, de réaffirmer leur ferme volonté d’avancer dans la réalisation de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin !

À noter qu’un débat s’est récemment ouvert, à la Commission européenne, sur une possible non prise en considération des emprunts souscrits par les États pour la réalisation de projets prioritaires de ce type dans l’endettement calculé au titre des critères issus du Traité de Maastricht. C’est là une perspective des plus heureuses pour ne pas mettre un tel grand projet en concurrence avec d’autres projets « nationaux » et qu’il conviendra de suivre avec la plus grande attention.

CONCLUSION

A l’occasion du 30ème sommet bilatéral, qui s’est tenu à Lyon le 3 décembre 2012, les gouvernements français et italien ont entendu confirmer l’intérêt stratégique du projet de ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin et les ministres des transports des deux pays ont signé une déclaration séparée sur ce sujet.

Votre rapporteur se félicite de cette relance ferme et sans ambigüité du projet.

Il y a assurément, aujourd’hui, une convergence des choix et des points de vue entre la France et l’Italie qui sera très précieuse à l’avenir.

À ce titre, l’engagement des autorités italiennes doit être souligné, alors même que l’Italie a traversé, il y a quelques mois, une délicate période de soubresauts politiques. En effet, la ligne ferroviaire mixte, que l’Italie dénomme encore TAV (Treno Altà Velocità), reste soutenue sans équivoque par une forte majorité au sein même du parti démocrate, au sein du centre-droit et au Parlement. Le projet de loi de ratification est en cours d’examen à la Chambre des Députés et a reçu, pour le moment, l’avis positif des sept commissions saisies pour avis et devrait revenir prochainement devant la commission des affaires étrangères avant d’être débattu en séance plénière.

Il appartient désormais à l’Assemblée nationale française de marquer, elle aussi, son soutien à la future liaison ferroviaire mixte, à quelques semaines de l’ouverture du prochain sommet franco-italien qui aura lieu le 20 novembre prochain. Ce sera là un geste fort qui renforcera l’engagement de la France en faveur du projet et ne pourra que conforter l’Italie dans sa démarche volontariste.

Car la réalisation de la nouvelle ligne ferroviaire transalpine est une nécessité. C’est un impératif environnemental, pour permettre le report, vers le rail, d’un trafic routier asphyxiant : à terme, 2 millions de poids lourds, sur les 2,7 millions qui franchissent chaque année la frontière, pourraient être concernés, épargnant ainsi à l’environnement l’émission annuelle d’au moins 2 millions de tonnes de CO2. C’est aussi une nécessité économique pour soutenir l’emploi – la réalisation du seul tunnel transfrontalier  devrait générer, au plus haut de l’activité des chantiers, plus de 3.500 emplois directs et indirects – et les liens économiques et commerciaux entre la France et l’Italie – notre deuxième partenaire à ce jour avec 70 milliards d’échanges chaque année – mais aussi entre les régions Rhône-Alpes, Piémont et Lombardie, des acteurs dont le dynamisme actuel ne pourra que tirer profit du futur « Lyon-Turin ».

Mais au-delà de ces enjeux, l’approbation de l’accord du 30 janvier 2012 revêt également une dimension européenne forte. Elle viendra rappeler aux autorités européennes l’attachement que notre pays porte à une infrastructure essentielle au développement des échanges et pour laquelle l’Union s’est engagée à débloquer des sommes significatives. Ce niveau d’engagement européen égal à 50 % du coût des études et des travaux préparatoires et à 40 % de celui des travaux définitifs est d’ailleurs une opportunité exceptionnelle qu’il convient, une fois de plus, de souligner. Ne pas la saisir serait une faute.

C’est donc au bénéficie de ces observations que votre rapporteur vous propose d’adopter le projet de loi qui nous est soumis.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine, sur le rapport de M. Michel Destot, rapporteur, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (n°459), au cours de sa séance du 23 octobre 2013.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je vous remercie pour ce rapport engagé, très argumenté, qui ne sera cependant peut-être pas partagé par tous…

M. François Asensi. Au nom du groupe GDR, je voterai ce projet de loi, tout en restant cependant dubitatif sur les capacités de l’UE à le financer. On a vu il y a quelques jours que les autorisations d’engagement pour la période 2014-2020 étaient en baisse, notamment en ce qui concerne les transports : 23 milliards d’euros sont prévus pour les infrastructures, dont 10 pour des projets de cohésion. Seuls 13 milliards seront disponibles pour les grandes infrastructures et l’on ne peut en conséquence qu’être très réservé sur les capacités de l’UE à financer ce projet. En second lieu, la commission de mobilité exclut du périmètre d’analyse les crédits du tunnel, de 2 milliards et compte tenu de nos propres difficultés, j’exprime aussi les mêmes réserves sur nos capacités.

Malgré tout, la liaison est nécessaire pour des raisons écologiques et économiques qui se rejoignent ; elle préfigure la future liaison entre Barcelone et Ljubljana. Pour le reste, les travaux seront terminés dans le meilleur des cas en 2025 pour une exploitation qui débutera au mieux en 2030. Pour un projet d’ampleur à peu près équivalente à celui du tunnel sous la Manche, je crains que la France ou l’Italie ne soient ni l’une ni l’autre en mesure de donner les moyens nécessaires qui permettraient la réalisation dans les délais souhaités. Nous voterons biens sûr pour mais sans trop d’illusion.

M. Thierry Mariani. L’UMP votera pour ce projet de loi et j’ajouterai, à titre personnel, avec enthousiasme car j’ai moi-même mené la négociation durant plus de deux mois avec mon homologue italien et signé l’accord en 2012 lorsque j’étais ministre des Transports. Le rapport a bien résumé les problématiques : il s’agit d’un projet d’intérêt national et la gauche et la droite l’ont soutenu, par exemple au niveau local, où les associations d’élus locaux se sont montrées unies sur ce dossier. C’est aussi un projet d’intérêt européen évident, c’est le plus grand projet aujourd'hui en matière de transport, raison pour laquelle son calendrier est lié à l’aide européenne que l’on pourra obtenir pour son financement. L’aide européenne est maintenue dans la mesure où a été respectée la date limite fixée par la commission d’un accord bilatéral signé avant le 1er mars 2012. Ces 40 % de financement sont indispensables.

On annonce une ouverture pour 2030. Je le souhaiterais, mais je dois dire que j’ai du mal à la croire, il se fera un jour, mais quand ? Ça avance, mais lentement, étape par étape. Aujourd'hui en est une nouvelle. L’intérêt écologique est évident, même si cela paraît paradoxal, vu la mobilisation très forte, et violente, des écologistes en Italie : mais ce sont 7000 camions par jour qui n’emprunteront plus les Alpes et c’est un changement essentiel. C’est un projet économique tout aussi évident que l’on votera avec enthousiasme en souhaitant un plein succès aux négociations pour la part de l’UE indispensable au bouclage financier.

M. Jean-Pierre Dufau. Le rapport est clair, précis et argumenté. Ce projet est d’un intérêt bilatéral évident et européen aussi. On a souvent des regrets sur l’absence de grands projets européens et c’est une raison de plus d’être enthousiaste aujourd'hui. Il s’agit d’une entreprise sur le très long terme, d’un dossier de développement durable. Elle donne une réponse en matière de sécurité comme en matière technique. Elle donnera aussi de l’emploi et l’on ne peut qu’être favorable à ce projet. Plus vite il sera décidé et lancé, plus vite il sera terminé. Le financement dépend d’une volonté politique et elle doit prévaloir. Le groupe SRC votera ce projet de loi.

M. Noël Mamère. Pour des raisons écologiques et économiques, pour notre part, nous sommes résolument contre ce projet qui fait partie des grands projets inutiles, à l’instar de l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Celui-ci date des années 1980, il a ensuite été soumis à l'Assemblée nationale par M. Gayssot, pour un coût alors de 12 milliards, qui sont aujourd'hui devenus 26,5 milliards, avant d’être peut-être réévalués !

Je m’inscris en faux contre certaines affirmations selon lesquelles ce tunnel serait indispensable. Il est inexact que la ligne actuelle est saturée : elle ne fonctionne qu’à 17 % de sa capacité et le nombre de camions en circulation ne cesse de diminuer depuis les années 80. Si l’on veut réduire le trafic des camions qui transportent aujourd'hui 85 % des marchandises, il ne faut pas oublier, aujourd'hui, que le premier transporteur routier de France est la SNCF, via sa filiale Geodis. La politique menée est uniquement une politique de grands projets, de TGV, de LGV, très coûteuses, aux conséquences sociales approximatives quand il serait possible d’améliorer les voies actuelles pour les mettre aux normes.

S’agissant de ce projet, on avait parlé de 300 000 camions, c’est en fait beaucoup moins : 27 000. Je le dis avec force aujourd'hui, quand on parle de l’écotaxe, que l’on devrait plutôt appeler « pollutaxe », on ne prend jamais en compte les coûts annexes, la dégradation des routes, les dommages environnementaux, maladies, et accidents. Si l’on respectait véritablement les coûts, on constaterait qu’ils sont bien plus élevés et l’on verrait sans tarder l’intérêt d’élever les normes et d’améliorer les voies existantes. On est en train d’agir dans la précipitation même s’il y a ici un intérêt immédiat évident : la visite du Président de la République en Italie en novembre prochain. Je ne suis pas non plus certain que nous nous prononcions en toute transparence.

Cela étant, il ne faut pas non plus oublier une autre dimension sur laquelle j’attire votre attention : il y a une loi antimafia en Italie et certaines des entreprises condamnées par la justice à ce titre sont toujours sous-traitantes de LTF. En d'autres termes, on investit des milliards dans un projet pharaonique plutôt que de les consacrer aux projets d’avenir : que deviennent dans ce schéma les investissements d’avenir de l’hypothèse n° 1 du programme Mobilité 21 ? Le Premier ministre a privilégié la deuxième hypothèse qui fait la part belle aux autoroutes et répond aux intérêts de puissants lobbies locaux. Je rappelle aussi que le rapport Duron recommande de reporter la décision sur le tunnel Lyon Turin à après 2030. Pour toutes ces raisons, nous sommes donc opposés à ce projet de loi.

Entre Fréjus et le Mont-Blanc, il y a aujourd'hui 1,250 million de camions. On ne doit pas rester dans une logique rigide qui présuppose un trafic sans cesse accru de camions pour justifier ce genre de grands travaux alors qu’on est dans une logique de réduction de la pollution et le réchauffement ! Il faut au contraire une politique qui réduise le trafic et non pas justifier la ligne Lyon Turin. Il faut développer la fiscalité écologique pour cela, en arrêtant les projets illogiques comme ce que, dans le même esprit, on nous vend, à savoir une liaison LGV Bordeaux – Toulouse pour prolonger la ligne à grands vitesse depuis Paris, alors que la liaison naturelle est Paris – Orléans –Limoges – Toulouse. Que fait la SNCF ? Elle abandonne les lignes traditionnelles et nous parle de substitution alors que cela n’irrigue en rien les territoires et induit de la désertification. Pour toutes ces raisons, le groupe Ecolo votera contre, avec résolution et enthousiasme.

M. Jacques Myard. Je souhaite d’abord rebondir sur les chiffres cités à l’instant s’agissant du coût, qui est passé de 12 milliards en 1992 à 22 milliards aujourd’hui. Il suffit de regarder l’augmentation sur la période des indices du BTP pour constater que c’est l’évolution générale des prix et qu’en conséquence il convient de balayer cet argument.

Ensuite, je rappellerai que le projet comporte plusieurs sections : le tronçon Lyon-Chambéry, aujourd’hui calamiteux en termes de liaison, et bien sûr le tunnel au sujet duquel je ne comprends pas les critiques : un peu d’audace ! Nous ne construisons pas pour quinze jours mais pour un siècle ! Il est de notre responsabilité d’entreprendre ces travaux car cela permettra de mettre sur rail ce qui aujourd’hui est sur route.

Enfin, concernant la question de la demande, cela me rappelle une anecdote sur l’absence de train à 18h. La SNCF avait effectué une enquête et concluait que personne n’attendait sur le quai à 18h. Évidemment, puisqu’il n’y avait pas de train ! Si l’on met Lyon à 1h45 de Turin, il y aura une demande et cela permettra de prendre le train plutôt que l’avion.

Mme Odile Saugues. Cet accord ne peut que satisfaire les tenants de la sécurité et tous ceux qui ont travaillé comme moi, à l’époque avec M. Jean-Claude Gayssot, sur la question de la question de la sécurité des tunnels. Je craignais que la création de la ligne Lyon-Turin ne devienne une Arlésienne et il est donc rassurant de voir que ce n’est pas le cas.

La Commission Duron a toutefois repoussé à très tard la construction de la ligne à grande vitesse et l’on peut se demander, à cette échéance, si la France en aura les moyens.

M. Michel Terrot. Je souhaitais interroger le rapporteur sur le phasage, mais il y a répondu de manière précise. Concernant le financement, la part portée par l’Union européenne est importante (40 %) et suscite quelques doutes. Y aura-t-il matière à trouver chez les deux Etats les manques à gagner ?

Mme Bernadette Laclais. Compte tenu de ma circonscription, je suis concernée par ces questions et j’associe à mon intervention ma collègue Béatrice Santais. Je remercie le rapporteur d’avoir salué la continuité des décisions, indépendamment des changements politiques qu’ont connus la France et l’Italie, ainsi que la mobilisation des élus et collectivités territoriales. La perspective d’économiser 2 millions de tonnes de rejet de CO2 est un élément essentiel. C’est une vraie chance pour la protection des Alpes.

Il faut aussi souligner qu’il s’agit de financer une interconnexion des réseaux européens, qui constitue l’opportunité pour les pays du sud de faciliter la connexion avec les tunnels. Je rappelle aussi que le deuxième partenaire de la France d’un point de vue économique est l’Italie.

Ce projet constitue une vraie alternative crédible au tout autoroutier mais aussi au routier de marchandises. Le rapporteur a très bien rappelé que la liaison actuelle n’est pas attractive et qu’il n’est pas imaginable d’augmenter la pollution sur le lac du Bourget.

Pour toutes ces raisons, cet accord doit être ratifié. C’est une étape supplémentaire qui nous engage et nous permettra d’avoir la perspective d’un franchissement des Alpes et d’un report modal efficace de la route vers le rail.

Mme Danielle Auroi. Nous avons organisé hier à la commission des Affaires européennes une table-ronde sur le sujet et je souhaiterais vous lire les remarques de M. Christian Descheemaeker, ancien Président de la septième chambre de la Cour des Comptes : « Il apparaît que d’autres solutions techniques alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir toutes été complètement explorées de façon approfondie. Pour la Cour, le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires dans la conduite d’un projet d’infrastructures de cette ampleur et de cette complexité. L’estimation du coût global du projet est passé en euros courants de 12 milliards d’euros en 2002 à 26,1 milliards d’euros ». Les conclusions de la Cour étaient en conséquence négatives. L’Union européenne propose à ce jour la carotte, mais je ne vois pas le bâton alors qu’elle pourrait prendre des mesures. Je souhaiterais savoir quel est donc le coût prévu et faire remarquer que le développement du trafic de marchandise doit aller de pair avec celui du trafic de voyageurs aujourd’hui entravé par un prix des billets qui n’est pas attractif.

M. Hervé Gaymard. Je remercie le rapporteur pour son excellente contribution, ainsi que celle de Thierry Mariani et je voterai en faveur de la ratification de l’accord. Je souhaite formuler quelques observations.

D’abord, la carte figurant en page 12 du rapport du gouvernement n’est pas en relief, mais, entre Lyon et Turin, il y a trois massifs. Je le rappelle aux écologistes : nous parlons ici du tunnel de base sous les Alpes franco-italiennes.

Hormis le groupe écologiste, tout le monde s’accorde à dire que l’objectif est que moins de camions circulent sur nos routes. Dans les années 1980, on parlait d’un TGV rappelez-vous, pour les voyageurs, et l’orientation a été modifié, à raison, au début des années 1990 pour en faire un projet de fret ferroviaire.

Si l’on a une vision de long terme, il s’agit d’un projet européen avec des flux qui excèdent la seule section Lyon-Turin. J’ajouterai que le rapport Duron a été une épreuve de vérité par rapport à certaines chimères en montrant la difficulté à assurer tous les financements simultanément.

Enfin, je veux souligner que le Conseil général de Savoie a délibéré à plusieurs reprises et a approuvé à chaque fois les décisions à l’unanimité.

M. Philippe Cochet. Je n’ai rien à ajouter par rapport aux interventions de MM. Mariani et Gaymard. Il est vrai que la terre n’est pas plate et le discours des écologistes met en lumière la différence entre les positions et la réalité. Cela me rappelle les critiques sur les équipements financés pour les Jeux olympiques. Heureusement qu’ils l’ont été. Quand on fait de la politique, on doit penser au long terme.

M. Philip Cordery. Je me félicite du contenu du rapport et aussi du soutien de l’Union européenne à ce projet, soutien qui n’est pas mince. Le projet aura des bénéfices multiples sur le plan économique, pour l’investissement et l’emploi, pour l’environnement et pour le développement du bassin de vie de cette région. Mettre Lyon et Turin à 2 heures, c’est créer des opportunités pour l’économie et l’emploi transfrontalier.

Je poserai deux questions plus spécifiques. Quel droit du travail s’appliquera ? Nous savons qu’il n’existe pas de salaire minimum en Italie, que nous avons par ailleurs des problèmes avec la directive sur le détachement des travailleurs, et qu’il faut donc nous assurer que tous les travaux réalisés en France soient soumis au droit français. Ensuite, quelle politique tarifaire sera appliquée ? Il sera nécessaire de disposer d’un tarif abordable. Un cahier des charges est-il prévu ?

M. Jean-Claude Guibal. Je veux dire que je voterai avec détermination ce projet de loi. Je rappellerai que le financement de ce type d’ouvrages par l’Union européenne permet aussi de reconstituer des entités politiques qui ont existé dans le passé. On retrouvera avec ce projet la liaison entre les deux capitales de la Maison de Savoie.

M. Michel Destot, rapporteur. Le coût de 26 milliards d’euros concerne l’ensemble du projet, la participation de la France devant s’élever à 16 milliards. La section du contournement de Lyon est estimée à 400 millions d’euros, la première phase des accès français, entre Grenay et Chambéry, à 4,4 milliards d’euros, la deuxième phase des accès français, à savoir un premier tube sous Chartreuse, Belledone et Glandon, à 3 milliards d’euros, et la section transfrontalière à 8,5 milliards d’euros au total, dont la France ne financera que 25 %.

Je le répète : il n’y aura donc pas 26 milliards d’euros à la charge de la France et le financement sera de toute façon échelonné dans le temps, afin de réaliser une infrastructure qui sera l’une des plus importantes d’Europe et qui durera des dizaines d’années.

S’agissant des observations de la Cour des comptes, je fais entièrement mienne la réponse du Premier ministre, qui – d’une certaine façon – les désapprouve.

Le coût prévisionnel a-t-il augmenté ? C’est vrai, mais les règles de sécurité ont été considérablement renforcées. Il en résulte un coût, mais qui s’en plaindra ?

N’a-t-on pas suffisamment pris en compte la voie existante comme solution alternative à ce projet ? Sa réutilisation conduirait à des coûts prohibitifs, supérieurs à ceux du projet actuel, et la liaison entre la France et l’Italie serait coupée sous le Fréjus pendant la durée des travaux. Cette solution alternative aurait également pris plus de temps, alors que le projet actuel s’inscrit déjà dans une trop longue durée à mes yeux

En ce qui concerne les autoroutes ferroviaires, un service est déjà assuré entre Aiton en Savoie et Orbassano, dans la périphérie de Turin, avec les limites que j’ai rappelées en ce qui concerne la ligne empruntée. Le projet Lyon Turin s’alignera sur ce que l’on fait de mieux dans ce domaine, sur le modèle d’Eurotunnel. Tous les camions pourront être pris en charge jusqu’à une hauteur de 4,20 mètres, sur des navettes ferroviaires. On peut affirmer, avec certitude et sérieux, que l’on pourra transférer l’équivalent de 2 millions de poids lourds par an et réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2 millions de tonnes par an sur l’itinéraire de l’ouvrage. C’est donc un projet extrêmement ambitieux en matière environnementale.

M. Jacques Myard. Il faudra quand même bien produire de l’électricité avec du nucléaire !

M. Michel Destot, rapporteur. Des menaces très graves ont été proférées en Italie, y compris des menaces de mort à l’endroit d’élus, pour deux raisons : d’une part, les risques liés à l’amiante, mais les études ont montré qu’il n’existait pas de risques ne pouvant pas être traités dans ce domaine ; d’autre part, la volonté de rester à l’écart des flux d’échange. Je fais partie de ceux pour qui l’écologie doit faire l’objet d’une synthèse avec l’économie et le social. Je rappelle aussi que les échanges entre la France et l’Italie représentent plus de 70 milliards d’euros. Il faut prendre en compte l’objectif d’un développement économique équilibré et partagé entre nos deux pays.

J’ajoute qu’un travail remarquable a été réalisé par un médiateur, Mario Virano. Son action, engagée commune par commune, a permis de réduire les tensions en Italie. La violence de certains opposants, parce qu’elle a beaucoup choqué, a également fait évoluer certains élus.

Seul un engagement politique des dirigeants français et italiens permettra de réaliser le projet aussi plus rapidement que possible. Chacun sait que le tunnel sous la Manche n’aurait pas pu être réalisé sans un engagement au plus haut niveau, et l’on connaît ses effets positifs dans les deux pays, notamment grâce à la ligne TGV entre Paris, Lille et Bruxelles. Le tunnel sous la Manche a eu des conséquences extrêmement positives pour le développement économique et touristique en France, dans le Nord-Pas-de-Calais, comme de l’autre côté, au Royaume-Uni. C’est un exemple de projet mené avec un sérieux, un réalisme et un engagement politique qu’il faut suivre. On peut ainsi donner à la construction européenne un sens, qui peut être bien compris par nos concitoyens.

La politique tarifaire n’est pas encore fixée. Elle fera l’objet d’accords ultérieurs. Nous en sommes à la phase préliminaire des investissements.

Au plan social, c’est le droit français qui s’appliquera dans notre pays, en vertu de l’article 10, et il y aura un droit d’inspection de part et d’autre, ce qui est un « plus » par rapport à d’autres chantiers.

Je souhaite reprendre à mon compte ce qu’ont dit plusieurs collègues, notamment Thierry Mariani, Hervé Gaymard et Bernadette Laclais. Il s’agit d’un projet fondamental pour la France et l’Italie, mais aussi pour l’Europe. C’est un projet de développement considérable au plan économique, social et écologique pour la région Rhône-Alpes, pour le Piémont et la Lombardie, mais aussi pour toute l’Europe du Sud. Ne passons pas à côté de cette occasion ! Faisons plutôt preuve de détermination, de responsabilité et d’enthousiasme !

M. Jean-Paul Bacquet. Une simple remarque. Le rapport, citant des géographes, affirme que les Alpes sont le Massif central de l’Europe. Vivant en Auvergne, je mesure chaque jour les conséquences des occasions manquées. Ne manquons pas cette occasion en ce qui concerne les Alpes !

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je vous remercie pour la qualité de votre rapport.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 459).

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

(non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, et dont le texte est annexé à la présente loi.

© Assemblée nationale