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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2015.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LA PROPOSITION DE LOI d’expérimentation pour des territoires zéro chômage
de longue durée (n° 3022).
PAR M. Dominique POTIER
Député
Voir les numéros : 3022 et 3228.
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LES DISPOSITIFS « ACTIFS » DE LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE MIS EN œUVRE JUSQU’À PRÉSENT N’ONT PAS SUFFI À ENRAYER LE CHÔMAGE DE MASSE 7
C. UNE APPROCHE QUI CONNAÎT DES LIMITES 13
II. FACE À LA PERSISTANCE DU PHÉNOMÈNE DU CHÔMAGE DE MASSE, L’EXPÉRIMENTATION PROPOSÉE CONSTITUE UNE RÉPONSE INNOVANTE ET COMPLÉMENTAIRE DES APPROCHES EXISTANTES 15
A. LES IDÉES MAÎTRESSES 15
B. LE DISPOSITIF PROPOSÉ 16
C. LES BÉNÉFICES ATTENDUS 18
D. LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR 18
TRAVAUX DE LA COMMISSION 23
Article 3 : Création d’un Fonds « zéro chômage de longue durée » 31
Article 4 : Conventions entre le Fonds « zéro chômage de longue durée » et des entreprises de l’économie sociale et solidaire 33
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 35
Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. », obligation exigeante, qui doit permettre à chacun de s’investir dans une activité socialement utile.
Le chômage de masse persiste pourtant, obérant la possibilité d’honorer cette promesse. Cette situation ne résulte pas du choix individuel que feraient certains de ne pas travailler, mais bien plutôt d’une croissance en berne et d’un système économique fondé sur la compétition, qui rend le marché du travail de plus en plus sélectif, et laisse un nombre de plus en plus grand de nos concitoyens dans le désœuvrement. Elle résulte également de l’apparition d’une croissance sans emploi, rendue possible du fait des gains de productivité et du progrès technique.
Depuis le début de cette législature, la majorité a pris de nombreuses mesures de soutien aux entreprises, dont la plus importante est le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) dont la montée en charge s’est récemment accélérée. Toutefois, à côté des objectifs de relance de l’activité, il convient de s’attacher également aux aspects qualitatifs de notre croissance. Cette croissance qualitative passe, en particulier, par la possibilité, pour chacun, de contribuer au bien-être collectif à travers un emploi conforme à ses aptitudes et à ses talents, et de se voir reconnu dans sa dignité de travailleur.
La présente proposition de loi est porteuse de cette ambition. Sa rédaction, conduite en concertation avec des organisations caritatives, en particulier ATD Quart Monde, est née du constat d’un paradoxe : le chômage de masse demeure un mal endémique, alors que le travail ne manque pas et que l’immense majorité de nos concitoyens au chômage ont l’authentique désir de rejoindre la sphère de l’emploi. Pour sortir de cette ornière, la proposition de loi prévoit le lancement, dans un petit nombre de collectivités volontaires, d’une expérimentation permettant de réinsérer dans l’emploi les chômeurs de longue durée, pour un coût nul pour les finances publiques. Complémentaire des contrats aidés et des structures d’insertion par l’activité économique, cette expérimentation consisterait à faire embaucher, par des entreprises de l’économie sociale et solidaire, des travailleurs rencontrant des difficultés récurrentes d’accès à l’emploi, et à faire financer, pour partie, ces nouveaux emplois par les sommes économisées sur l’indemnisation du chômage.
La saisine pour avis de la commission des affaires économiques se justifie par le rôle prévu pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire dans ce dispositif. En conséquence, la commission s’est saisie des articles 3 et 4 de cette proposition de loi, qui mentionnent ces entreprises.
I. LES DISPOSITIFS « ACTIFS » DE LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE MIS EN œUVRE JUSQU’À PRÉSENT N’ONT PAS SUFFI À ENRAYER LE CHÔMAGE DE MASSE
L’intervention financière des personnes publiques en faveur de la création d’emplois est, traditionnellement, divisée en deux catégories :
– les dépenses dites « passives », qui visent à protéger le travailleur pendant une période de chômage, en lui garantissant un revenu minimal lui permettant d’accéder à nouveau à l’emploi dans de bonnes conditions, et à libérer des emplois sur le marché en indemnisant des retraits d’activité ;
– les dépenses dites « actives », qui tendent, de manière plus directe, à permettre la réinsertion du travailleur sur le marché de l’emploi.
Parmi les dispositifs existants en France, les dépenses « passives » recouvrent l’indemnisation du chômage et l’incitation au retrait d’activité ; au nombre des dépenses « actives », on compte les emplois aidés, les actions de formation et d’accompagnement, et le secteur de l’insertion par l’activité économique.
Dans son rapport de 2006 sur l’assurance chômage (1), la Cour des comptes avait rappelé le caractère ancien de l’« activation » des dépenses de l’assurance chômage, présente dès la création de l’Unédic : en 1961 avait été créée une allocation de formation pour les chômeurs indemnisés. Mais c’est surtout à partir de la réforme de 1984 que des dispositifs de dépenses « actives » ont été établis. Sont ainsi apparus le mécanisme « d’intéressement » en 1986, qui permet le cumul d’un salaire d’activité réduite et d’une fraction de l’indemnisation, les conventions de conversion en 1987, les allocations de formation reclassement en 1988, ou encore les conventions de coopération en 1994.
Par l’activation de l’indemnisation des dépenses de l’assurance chômage, il s’agit de passer d’une approche assurantielle et de solidarité, essentiellement compensatrice, à une démarche visant à permettre que cette compensation ne soit plus nécessaire, grâce à l’amélioration des capacités individuelles et à la création directe d’emplois.
LES CATÉGORIES DE DEMANDEURS D’EMPLOI
La publication par l’INSEE des effectifs de demandeurs d’emploi se fait selon les catégories statistiques suivantes :
– catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi ;
– catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte, de 78 heures ou moins, au cours du mois ;
– catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue, de plus de 78 heures, au cours du mois ;
– catégorie D : demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi en raison d'un stage, d’une formation ou d’une maladie, y compris les demandeurs d’emploi en convention de reclassement personnalisé, en contrat de transition professionnelle, sans emploi et en contrat de sécurisation professionnelle ;
– catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, en emploi, notamment les bénéficiaires de contrats aidés.
Deux types de dispositifs existent dans le domaine des dépenses « actives » de lutte contre le chômage :
– les contrats aidés. Les personnes publiques subventionnent directement un emploi, à des degrés divers, avec l’objectif de permettre à des demandeurs d’emploi de « reprendre pied » sur le marché en acquérant une expérience qui renforce leur employabilité ;
– l’insertion par l’activité économique. Dans ce cas, les personnes publiques contribuent à une partie des dépenses engagées par des organisations spécifiquement consacrées à la réinsertion des personnes exclues du marché de l’emploi.
De nombreux types de contrats aidés ont été créés depuis le début des années 1990. Citons, à titre d’exemples, le contrat emploi solidarité (CES) dans le secteur non marchand en 1990, le contrat emploi consolidé en 1992, à destination des titulaires de CES les plus en difficulté, puis le contrat d’insertion dans l’emploi en 1995.
La loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion a simplifié le paysage des dispositifs des contrats aidés, auparavant caractérisé par un fort éclatement, en les réunissant sous le dispositif du contrat unique d’insertion (CUI). Celui-ci se présente sous trois formes :
– le contrat unique d’insertion - contrat initiative emploi (CUI - CIE) est un contrat aidé dans le secteur marchand qui facilite, grâce à une aide financière pour l’employeur, l’accès durable à l’emploi des personnes rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle. De durée déterminée ou indéterminée, à temps plein ou partiel, il ne peut être ni inférieur à 6 mois, ni supérieur à 24 mois, renouvellements compris. Les personnes concernées sont embauchées comme salariés, pour une rémunération au moins égale au SMIC. L’aide accordée à l’employeur ne peut excéder 47 % du SMIC horaire brut.
– le contrat unique d’insertion - contrat d’accompagnement dans l’emploi (CUI - CAE) est un contrat aidé dans le secteur non marchand. Poursuivant les mêmes objectifs que le CUI-CIE, il est réservé à certaines catégories d’employeurs, à savoir les personnes morales de droit public, les organismes de droit privé à but non lucratif, et les personnes morales de droit privé chargées de la gestion d’un service public. Comme le CUI-CIE, il est conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, égale au moins à 6 mois et au plus à 24 mois, renouvellements compris, à temps plein ou partiel. Sa rémunération est au moins égale au SMIC. Il porte sur des emplois visant à pourvoir à des besoins collectifs non satisfaits. Les embauches en CUI-CAE donnent droit à l’exonération de certaines cotisations sociales, de la taxe sur les salaires, de la taxe d’apprentissage et des participations dues par les employeurs au titre de l’effort de construction. L’aide à l’employeur ne peut excéder 95 % du taux horaire brut du SMIC.
– le contrat unique d’insertion - contrat d’accompagnement dans l’emploi dans les départements d’outre-mer (CUI-CAE-DOM) partage les objectifs des autres formes de CUI. Il s’agit d’un contrat aidé dans le secteur marchand, permettant des recrutements en contrat à durée déterminée ou indéterminée dans les départements d’outre-mer, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
À ces dispositifs généraux s’est ajouté plus récemment un nouveau type de contrat à destination des jeunes : les emplois d’avenir.
Créés par la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir, les emplois d’avenir visent à répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes peu ou pas qualifiés, principalement dans le secteur non marchand, pour des activités ayant une utilité sociale avérée. Peuvent obtenir un emploi d’avenir les jeunes de 16 à 25 ans, et jusqu’à 30 ans pour ceux reconnus comme travailleurs handicapés, qui sont sans diplôme ou titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle ou d’un brevet d’études professionnelles, qui ne sont ni en formation, ni en emploi, et qui présentent des difficultés particulières d’accès à l’emploi.
Priorité est donnée aux zones où les jeunes sont plus nombreux à rencontrer des difficultés d’insertion : quartiers prioritaires de la politique de la ville, zones de revitalisation rurale, départements et collectivités d’outre-mer. Un emploi d’avenir prend la forme d’un contrat à durée indéterminée ou déterminée de 3 ans au plus, à temps plein. L’aide versée par l’État s’élève à 75 % de la rémunération brute au niveau du SMIC, pour les employeurs du secteur non marchand.
Enfin, bien qu’il ne constitue pas un contrat aidé au sens du code du travail, il convient de mentionner le contrat de génération, introduit par la loi n° 2013-185 du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération, et assoupli par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Ce contrat vise à favoriser l’emploi des jeunes en contrat à durée indéterminée, le maintien dans l’emploi ou le recrutement des seniors et la transmission des compétences et des savoir-faire. Il s’adresse à tous les employeurs du secteur privé, dès lors qu’elles embauchent en contrat à durée indéterminée un jeune de moins de 26 ans, ou de moins de 30 ans pour les jeunes reconnus comme travailleurs handicapés ou dans le cadre de l’aide octroyée lors d’une transmission d’entreprise, et qu’elles maintiennent dans l’emploi un senior de 57 ans ou plus ou recrutent un senior de 55 ans ou plus. Au titre de ce dispositif, les entreprises de moins de 300 salariés peuvent bénéficier d’une aide financière comprise entre 4 000 € et 8 000 € par an pour une durée maximale de trois ans et d’un appui conseil. Les entreprises de 300 salariés ou plus doivent négocier un accord « contrat de génération » ou élaborer un plan d’action, sous peine de sanctions financières.
L’insertion par l’activité économique consiste à proposer aux personnes en difficulté un accompagnement social et une activité professionnelle afin de faciliter leur insertion dans l’emploi. Ce secteur a été formellement reconnu par le législateur par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.
Selon la typologie établie par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, dans leur rapport de janvier 2013 sur le financement de l’insertion par l’activité économique (2), la France connaît aujourd’hui quatre types de structures d’insertion par l’activité économique :
– Deux structures de production, à savoir les entreprises d’insertion et les ateliers et chantiers d’insertion ;
– Deux structures de mise à disposition, à savoir les entreprises de travail temporaire d’insertion et les associations intermédiaires.
Opérant dans le secteur marchand, les entreprises d’insertion (EI) peuvent embaucher, en tant que salariés de droit commun, des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, notamment des jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté, des bénéficiaires de minima sociaux, des demandeurs d’emploi de longue durée et des travailleurs reconnus handicapés. Les demandeurs d’emploi embauchés à des postes d’insertion doivent bénéficier de l’agrément préalable de Pôle Emploi. Le recrutement se fait sous la forme d’un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), d’une durée d’au moins 4 mois, et pouvant être renouvelé dans la limite d’une durée totale de 24 mois. L’entreprise d’insertion conclut avec l’État une convention, d’une durée maximale de 3 ans, précisant notamment le nombre de postes ouvrant droit à l’aide de l’État et les règles de rémunération. L’EI peut bénéficier d’allégements de cotisations patronales sur les bas et moyens salaires, d’une aide au poste d’insertion, d’un montant annuel de 10 080 € par équivalent temps plein travaillé, ainsi que de crédits des fonds départementaux d’insertion.
Opérant dans le secteur non marchand, les ateliers et chantiers d’insertion proposent un accompagnement socioprofessionnel à une personne sans emploi, rencontrant des difficultés d’insertion sociale et professionnelle particulières. Les personnes concernées sont les mêmes que pour les EI. Les ACI peuvent être portés notamment par un organisme de droit privé à but non lucratif, une commune, un établissement public de coopération intercommunale, un département, un centre communal d’action sociale, une chambre départementale d’agriculture, ou encore un établissement d’enseignement agricole de l’État. Le recrutement peut prendre la forme d’un CUI-CAE ou d’un CDDI. Les salariés perçoivent une rémunération au moins égale au SMIC.
Les ACI bénéficient d’exonérations de certaines cotisations patronales et d’une prise en charge par l’État d’une partie significative de la rémunération du salarié. Cette aide financière comprend un montant socle de 19 354 € par équivalent temps plein travaillé, et un montant modulé variant de 0 % à 10 % du montant socle, qui est déterminé chaque année par le préfet en tenant compte des caractéristiques des personnes embauchées, des actions et moyens d’insertion mis en œuvre et des résultats constatés à la sortie de la structure. Les ACI peuvent également percevoir des crédits des fonds départementaux d’insertion. Les ACI mènent prioritairement des activités d’utilité sociale, visant à répondre à des besoins collectifs émergents ou non satisfaits, mais peuvent aussi exercer des activités de production de biens et de services, et commercialiser ceux-ci, à certaines conditions. Les ACI signent une convention avec l’État.
Conventionnées par l’État, les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI) proposent des missions d’intérim aux personnes rencontrant des difficultés à trouver un emploi. Les personnes concernées sont les mêmes que pour les EI et les ACI. Soumise à l’ensemble des règles relatives au travail temporaire, l’ETTI a pour activité exclusive l’insertion professionnelle de personnes en difficulté, auxquelles elle propose des missions auprès d’entreprises utilisatrices, ainsi qu’un accompagnement social et professionnel, au cours et en dehors des missions. L’ETTI conclut avec la personne en insertion un contrat de travail temporaire de 24 mois au plus, renouvellements compris. La personne concernée devient alors salariée de l’entreprise et perçoit une rémunération au moins égale au SMIC. Les personnes embauchées sur des postes faisant l’objet d’une aide de l’État doivent être agréées par Pôle Emploi. Sous réserve d’embaucher de telles personnes agréées, l’ETTI peut bénéficier d’allégements de cotisations patronales et d’une aide au poste d’insertion comprenant un montant socle de 4 284 € par équivalent temps plein travaillé et un montant modulé variant de 0 % à 10 % du montant socle, qui est déterminé chaque année par le préfet en tenant compte des caractéristiques des personnes embauchées, des actions et moyens d’insertion mis en œuvre et des résultats constatés à la sortie de la structure. Elles peuvent également bénéficier de crédits des fonds départementaux d’insertion.
Enfin, les associations intermédiaires (AI) contribuent à l’insertion et au retour à l’emploi des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières en leur permettant de travailler occasionnellement pour le compte d’utilisateurs. Une AI est une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et spécialement conventionnée à cette fin par l’État. Elle vise, plus précisément, à accueillir et à orienter les personnes sans emploi, à embaucher des personnes en difficulté et à les mettre à la disposition d’utilisateurs, à recevoir et à traiter les offres d’emploi et à assurer un suivi personnalisé des personnes embauchées. Les personnes en insertion sont mises à disposition, à titre onéreux, auprès de personnes physiques ou morales pour la réalisation de travaux occasionnels. L’AI signe un contrat de mise à disposition avec l’utilisateur, qui précise notamment les tâches à réaliser, la date de fin de mise à disposition et le montant de la rémunération.
Une convention est conclue entre l’AI et l’État, pour une durée maximale de 3 ans. L’AI bénéficie de l’exonération des cotisations patronales de sécurité sociale, hormis les cotisations pour les accidents du travail, dans la limite de 750 heures rémunérées par an et par salarié. Elle est également exonérée de TVA, d’impôt sur les sociétés, de contribution économique territoriale et de taxe d’apprentissage. Elle bénéficie d’une aide au poste d’insertion comprenant un montant socle de 1 310 € et un montant modulé variant de 0 % à 10 % du montant socle, qui est déterminé chaque année par le préfet en tenant compte des caractéristiques des personnes embauchées, des actions et moyens d’insertion mis en œuvre et des résultats constatés à la sortie de la structure. Des crédits des fonds départementaux d’insertion peuvent également être mobilisés.
Contrats aidés et insertion par l’activité économique s’inscrivent dans une logique de « sas » : il s’agit, pour les personnes publiques, de favoriser l’accès à un emploi, celui-ci devant constituer un tremplin vers l’emploi ordinaire. Or force est de constater le relatif échec de ces dispositifs à permettre une insertion réelle et durable sur le marché de l’emploi classique. Après le passage en emploi qu’ils permettent, de nombreuses personnes se retrouvent de nouveau au chômage – retour à la case départ souvent extrêmement décourageant pour les intéressés. On assiste à un véritable jeu de chaises musicales, les personnes en fin de contrat laissant la place à d’autres qui, deux ans plus tard au plus, voient leur emploi se terminer sans autre perspective.
S’agissant plus précisément des contrats aidés, la Cour des comptes, dans son rapport d’octobre 2011 sur les contrats aidés (3), relevait que moins de la moitié des personnes en contrat aidé non marchand étaient en emploi à l’issue de leur contrat et que l’impact positif des contrats aidés en termes d’insertion dans l’emploi n’était sensible que dans le secteur marchand. En outre, le ciblage des contrats aidés dans le secteur marchand serait insuffisant : les personnes qui y bénéficient d’emplois aidés ne sont pas nécessairement celles qui en ont le plus grand besoin. La Cour des comptes estimait ainsi que la proportion d’embauches qui n’auraient pas eu lieu en l’absence d’aide à l’emploi serait très faible dans le secteur marchand – de l’ordre de 10 à 14 %. L’efficacité des dispositifs de soutien à l’emploi serait ainsi largement amoindrie par des effets d’aubaine et de substitution.
De manière générale, les contrats aidés ont eu tendance à être utilisés à des fins contra-cycliques, pour lutter à court terme contre la montée du chômage. En conséquence, les créations d’emploi induites sont presque entièrement compensées par les sorties résultant de l’arrivée à expiration des contrats précédents.
Ce constat ne signe cependant nullement un échec total de ces politiques. Tout d’abord, les difficultés de retour ou d’insertion dans l’emploi témoignent, en premier lieu, du caractère de plus en plus sélectif du marché du travail. De plus, la socialisation résultant de l’exercice d’une activité, l’acquisition de compétences et la dignité retrouvée ont des effets extrêmement positifs aussi bien pour les personnes concernées que pour la santé du tissu social. Mais ce constat doit nous inciter à la recherche de nouveaux mécanismes et de nouvelles opportunités pour les personnes exclues du marché de l’emploi et laissées dans le désœuvrement.
II. FACE À LA PERSISTANCE DU PHÉNOMÈNE DU CHÔMAGE DE MASSE, L’EXPÉRIMENTATION PROPOSÉE CONSTITUE UNE RÉPONSE INNOVANTE ET COMPLÉMENTAIRE DES APPROCHES EXISTANTES
Le constat qui a guidé la rédaction de cette proposition de loi, outre le relatif échec des politiques actuelles de lutte contre le chômage, est celui du gâchis social, économique et humain résultant du fonctionnement actuel de l’économie : alors que l’expérience des acteurs de terrain révèle un authentique désir de travailler chez les personnes privées d’emploi, le chômage de longue durée continue à croître de manière préoccupante, en raison d’une pénurie massive d’emplois. Selon les chiffres publiés par Pôle Emploi et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, 2,4 millions de personnes étaient au chômage depuis un an ou plus en septembre 2015, soit 44,8 % des demandeurs d’emploi. Ce chiffre a connu une hausse ininterrompue depuis août 2008, date à laquelle 977 000 personnes étaient au chômage depuis un an ou plus (4).
À l’évidence, cette situation ne résulte pas de la réalisation de gains de productivité qui auraient rendu superflue la contribution de plusieurs millions de personnes au bien-être collectif. Notre société pourrait utilement profiter du travail de ces personnes. Bien des besoins demeurent, en effet, mal satisfaits, en particulier dans les domaines sociaux et environnementaux. Si ces besoins ne sont pas aujourd’hui remplis, ce n’est nullement en raison d’un défaut d’employabilité des personnes concernées, mais du caractère insuffisamment rentable des activités correspondantes, qui décourage l’initiative privée dans ces domaines.
En parallèle, les personnes publiques consacrent des crédits très importants à l’indemnisation du chômage. Le chômage de longue durée induit en effet des dépenses directes (financement des minima sociaux, coût des missions assurées par Pôle Emploi et de la formation professionnelle pour les demandeurs d’emploi) et indirectes (coût des soins rendus nécessaires par la dégradation de l’état de santé liée au chômage, coût de l’aide sociale à l’enfance lorsque les familles sont fragilisées), ainsi que des manques à gagner en impôts et cotisations sociales. Selon les estimations réalisées par ATD Quart Monde, le coût du chômage de longue durée serait d’au moins 15 000 € par personne au chômage et par an.
L’idée directrice qui a guidé la rédaction de cette proposition de loi est que ces dépenses improductives pourraient être réorientées vers le financement partiel d’emplois correspondant à des besoins sociaux non ou imparfaitement satisfaits, à la hauteur de leur défaut de rentabilité pour le secteur privé.
La proposition de loi prévoit une expérimentation de cinq ans dans un maximum de dix collectivités ou groupes de collectivités habilités à cet effet par un fonds, dénommé « Fonds zéro chômage de longue durée ».
Son article 3 dispose que les collectivités concernées constituent un comité local, chargé du pilotage de l’expérimentation dans leur ressort et de l’élaboration d’un programme d’action visant à susciter la création d’entreprises conventionnées ou le conventionnement d’entreprises existantes pour l’embauche des personnes durablement privées d’emploi. Le fonds approuverait les programmes d’action locaux et apporterait aux entreprises conventionnées le financement des emplois prévus par la convention.
L’article 4 prévoit que le « Fonds zéro chômage de longue durée » signe, dans des conditions prévues par décret, des conventions avec des entreprises appartenant au secteur de l’économie sociale et solidaire, tel que défini par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, pour la durée de l’expérimentation. Ces entreprises concluraient des contrats de travail à durée indéterminée rémunérés au SMIC avec des personnes durablement privées d’emploi et résidant depuis au moins un an sur le territoire d’une collectivité habilitée. Ces personnes demeureraient inscrites à Pôle Emploi et s’engageraient à accomplir des actes de recherche d’emploi et à accepter les offres d’emploi qui leur seraient proposées, sous certaines conditions. En contrepartie, les entreprises recevraient un financement du fonds, dont le montant serait précisé par la convention. Le montant de la rémunération pourrait faire l’objet d’une renégociation annuelle, en fonction de la performance économique des entreprises conventionnées d’un même secteur et de la situation de l’emploi dans la zone concernée.
LA DÉFINITION LÉGISLATIVE DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
L’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a conféré à l’économie sociale et solidaire une définition législative, selon des critères à la fois matériels et formels.
En termes matériels, il définit l’économie sociale et solidaire (ESS) comme « un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé » remplissant les conditions cumulatives suivantes :
– un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;
– une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation, dont l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ;
– une gestion respectant un principe d’investissement de la majorité des bénéfices dans le maintien ou le développement de l’activité et celui de la non-distribution des réserves obligatoires constituées.
Sur un plan formel, le même article prévoit que « l’économie sociale et solidaire est composée des activités de production, de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services » mises en œuvre :
– par les personnes morales de droit privé constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles ou d’unions relevant du code de la mutualité ou de sociétés d’assurance mutuelles relevant du code des assurances, de fondations ou d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil local applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
– et par les sociétés commerciales qui s’inscrivent dans la définition matérielle de l’ESS, recherchent une utilité sociale et respectent certaines règles relatives à la mise en réserve de leurs bénéfices et à l’amortissement de leur capital.
Bien que l’expérimentation ait vocation à être mise en œuvre par des collectivités territoriales, son fondement n’est pas l’article 72 de la Constitution, dont le quatrième alinéa autorise les collectivités territoriales à déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu. En effet, elle n’habilite pas des collectivités à édicter des normes dérogeant à titre expérimental à des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Son fondement est donc l’article 37-1 de la Constitution, tel qu’introduit par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, qui prévoit que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. ». Le Conseil constitutionnel a implicitement jugé, dans sa décision 2004-503 DC du 12 août 2004, que le quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution ne faisait pas obstacle à ce que la loi comporte, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, des dispositions à caractère expérimental concernant les collectivités territoriales (5).
Cette expérimentation tient compte des contraintes pesant actuellement sur les finances publiques et a été conçue de manière à être financièrement neutre. Le montant du financement apporté par les personnes publiques ne serait, en effet, jamais supérieur à l’économie réalisée du fait de la rémunération des personnes actuellement au chômage concernées par ce dispositif. Il s’agirait de réallouer les dépenses publiques aujourd’hui induites par la privation durable d’emploi vers le financement partiel d’activités pour ces chômeurs. Ainsi soutenues, ces activités deviendraient rentables pour les entreprises.
Pour les chômeurs de longue durée, ce mécanisme devrait non seulement entraîner des conséquences positives en termes économiques et financiers, mais aussi une amélioration du bien-être dans toutes ses composantes, grâce au sentiment d’utilité, à la confiance en soi et au lien social ainsi créés.
En termes collectifs, à l’échelle des territoires et des bassins de vie, il est attendu de l’expérimentation proposée le développement de nouveaux services utiles aux habitants, un renforcement de l’économie locale, ainsi qu’une amélioration de la qualité environnementale (6).
Pour les entreprises, ce dispositif est un atout, dans la mesure où les personnes qui en auront bénéficié auront acquis une expérience et une formation.
Au vu de la situation actuelle du chômage et des bénéfices qui peuvent être obtenus au travers de cette expérimentation, votre rapporteur ne peut que soutenir cette proposition de loi. Aucun chômeur ne peut se satisfaire d’une simple indemnisation. En effet, la demande de travail ne vise pas seulement à assurer sa subsistance, mais répond à un besoin de reconnaissance fondamental par la société. Cette proposition de loi vise à combattre le chômage comme un « désœuvrement » déshumanisant. Sa portée humaniste vise à donner à chacun une chance de participer à l’œuvre commune.
Ce texte propose une solution originale, dans la mesure où il propose, à côté de l’approche actuelle du traitement du chômage, essentiellement « verticale » car menée par l’État, une approche plus horizontale, à travers la mobilisation de toutes les forces vives d’un même territoire autour d’un projet solidaire. Il innove également à travers un mécanisme ouvert à tous les chômeurs de longue durée, sans distinction.
Votre rapporteur souhaite souligner que l’objectif de cette expérimentation n’est pas de se substituer aux emplois aidés et aux dispositifs d’insertion par l’activité économique, mais de tester une solution nouvelle, susceptible d’apporter une contribution précieuse à la lutte contre le chômage.
Toutefois, cette complémentarité n’interdit pas de tirer les leçons des limites des mécanismes existants. L’expérience a montré qu’un élément décisif d’amoindrissement de leur efficacité est la concurrence introduite avec les emplois « classiques » proposés sur le marché du travail, et les effets d’aubaine qui en résultent pour ces dernières.
Afin d’éviter de tels effets pervers, il conviendra que les comités locaux se montrent particulièrement vigilants dans le choix des emplois proposés, en veillant à ce que ces derniers ne dégagent pas une rentabilité suffisante pour les entreprises ordinaires.
Dans tous les cas, l’objectif de cette proposition de loi n’est pas d’instaurer, dans l’immédiat, un nouveau mécanisme de grande ampleur, mais de donner sa chance à une innovation sociale, qui sera déployée sur un maximum de 10 collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales. Il s’agit de faire le pari d’une nouvelle approche, reposant sur l’idée d’une croissance qualitative, qui doit permettre de réinsuffler du lien social dans les territoires, au-delà du traitement actuel du chômage, qui repose le plus souvent sur un face-à-face entre le demandeur d’emploi et l’État.
Cette expérimentation prend tout son sens dans des territoires qui ont au préalable mobilisé tous les leviers existants de lutte contre le chômage de longue durée : les outils de performance économique à travers un écosystème favorable (accueil et croissance des entreprises, fiscalité et financement adaptés, recherche et développement, etc.), la satisfaction optimum des emplois non pourvus, et les ressources de la formation pour anticiper les transitions professionnelles. C’est pourquoi votre rapporteur a déposé un amendement précisant que les collectivités territoriales ou les groupements de collectivités territoriales dans lesquels l’expérimentation sera déployée seront choisis parmi ceux ayant déjà mobilisé les moyens disponibles au service du développement économique et de la lutte contre le chômage.
Votre rapporteur juge également utile de préciser la forme juridique que prendra le fonds « zéro chômage de longue durée », ainsi que ses règles de gouvernance. Aussi a-t-il déposé un amendement à l’article 3, tendant à préciser que la gestion de ce fonds sera confiée à une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, et que cette dernière sera administrée par un conseil d’administration composé de deux représentants de l’État, d'un représentant de chaque organisation syndicale de salariés représentative au plan national et interprofessionnel, d'un représentant de chaque organisation professionnelle d'employeurs représentative au plan national et interprofessionnel, d'un représentant du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, d'un représentant de Pôle Emploi, de trois représentants du Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, d'un représentant de chaque comité local menant l’expérimentation, et de trois personnalités qualifiées. De plus, un commissaire du Gouvernement, désigné par le ministre du travail, devrait disposer de pouvoirs étendus pour garantir la conformité du fonctionnement du fonds à ses missions.
Votre rapporteur estime également que la durée obligatoire de domiciliation préalable sur le territoire concerné par les candidats au dispositif devrait être raccourcie. Il a donc déposé un amendement portant cette durée d’un an à six mois.
Au même article, il a souhaité préciser que la convention conclue entre le fonds et l’entreprise de l’économie sociale et solidaire participant au dispositif comprenne les conditions à respecter pour bénéficier du financement du fonds, notamment les engagements de l’entreprise sur le contenu du poste proposé, les conditions d’encadrement et les actions d’accompagnement envisagées pour le bénéficiaire du contrat.
Enfin, il propose la suppression de l’alinéa 3 du même article, qui prévoit que l’entreprise de l’économie sociale et solidaire conventionnée au titre de l’expérimentation, lorsqu’elle réalise un résultat net positif au terme de chaque exercice financier, reverse ce résultat au fonds « zéro chômage de longue durée », au plus tard le 30 juin de l’exercice suivant. En effet, cette disposition porte à la liberté d’entreprendre une atteinte disproportionnée, dans la mesure où les entreprises de l’économie sociale et solidaire sont autorisées à réaliser des bénéfices pour autant qu’elles les utilisent conformément aux règles prévues à l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, qui les astreint à les consacrer majoritairement à l’objectif de maintien et de développement de l’activité de l’entreprise, et où le résultat net positif total de l’entreprise concernée ne reflétera pas les seules activités confiées aux bénéficiaires de l’expérimentation, mais l’ensemble des activités qu’elle exerce avec tous ses salariés.
À sa conclusion, l’expérimentation qui fait l’objet de cette proposition de loi devra être soumise à une évaluation qui pourra utilement s’appuyer sur les nouveaux indicateurs de richesse, seuls à même de tenir compte du bénéfice global tiré de l’obtention de la pleine activité sur des territoires donnés.
Cette évaluation permettra, soit de confirmer la pertinence de la solution proposée avant sa généralisation, soit d’enrichir notre connaissance des ressorts du chômage et d’inspirer de nouvelles solutions. Dans cet esprit d’humilité il apparaît à votre rapporteur que le titre actuel de la proposition de loi peut faire illusion. Il suggère les formules telles que « proposition de loi d’expérimentation visant à lutter contre le chômage de longue durée », « proposition de loi d’expérimentation visant à sortir du chômage de longue durée », ou « proposition de loi d’expérimentation visant à la pleine activité ».
Le chômage de longue durée est un immense gâchis humain et économique. Ce projet est un pari à la fois réaliste et humaniste qui prend acte que ni le marché ni la puissance publique ne sont à ce jour en situation d’apporter des réponses à 2,4 millions de personnes en situation de désœuvrement. Il nous faut inventer et innover avec les chômeurs de longue durée. C’est l’intuition du Père Wrésinski et de Geneviève de Gaulle Anthonioz en créant ATD Quart Monde en 1957 : remettre la personne au centre. Le changement de paradigme initié par cette proposition de loi peut participer du renouveau républicain en cela qu’il rompt avec les discours discriminants sur l’assistanat et qu’il contribue à donner à chacun sa dignité de citoyen.
Lors de sa réunion du mardi 17 novembre 2015, la commission des affaires économiques a examiné pour avis la proposition de loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée (n° 3022), sur le rapport de M. Dominique Potier.
Mme la présidente Frédérique Massat. En ce jour qui suit de si peu les événements tragiques que nous savons tous, je vous invite, chers collègues, à vous associer par la pensée aux familles des victimes et aux blessés qui sont encore entre la vie et la mort.
(Mmes et MM. les commissaires se lèvent et observent une minute de silence)
Mme la présidente Frédérique Massat. Avant de donner la parole à notre rapporteur pour avis, je vous indique que la commission des affaires sociales, saisie au fond, se réunira demain pour examiner le texte. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Conseil d’État, consultés, ont rendu leurs avis la semaine dernière.
M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Notre commission est appelée à donner un avis sur les articles 3 et 4 d’une proposition de loi inspirée par ATD Quart Monde. Parler de cette association ne peut se faire sans évoquer la personnalité de celle qui succéda à son fondateur, Joseph Wrésinski, à sa présidence : Geneviève de Gaulle Anthonioz, dont le Président de la République a voulu l’entrée au Panthéon. Rescapée de la barbarie nazie et revenue du camp de concentration de Ravensbrück où elle avait été internée dans les conditions décrites dans La traversée de la nuit, dont je recommande la lecture à tous les adolescents de France, cette grande humaniste a consacré toute sa vie à combattre la misère.
En ces temps où la barbarie contemporaine provoque d’autres tragédies, il importe de mettre ses pas dans les pas de ceux qui, aujourd’hui aussi, luttent contre la misère, terreau de fanatisme et de dérives mortifères. Cette proposition est en premier lieu un hommage rendu aux organisations de la société civile qui résistent et inventent, parfois plus vite que nous le ne faisons, la société de demain. C’est un hommage rendu à des associations telles que le Secours catholique, Emmaüs France et à la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) que préside M. Louis Gallois ; elles ont, avec ATD Quart Monde, porté cette proposition qui rassemble autour du rapporteur saisi au fond, M. Laurent Grandguillaume, une coalition de parlementaires hétéroclite et fraternelle.
Je suis très heureux que notre commission se saisisse de ce sujet. Le chômage de longue durée n’est pas qu’une affaire sociale, et nous ne pouvons nous résoudre à une économie qui, en ne se mesurant que par le produit intérieur brut, négligerait les hommes. Le texte aborde à nouveau le travail comme participation à l’œuvre commune ; ce faisant, il décrit le chômage comme un désœuvrement, qui induit déshumanisation et sortie de la citoyenneté. Ce que souhaite ATD Quart Monde, qui travaille avec et pour les plus démunis, c’est un texte d’émancipation, dans lequel le travail n’est pas considéré uniquement comme un moyen de subsistance mais comme une contribution à l’œuvre collective.
L’approche retenue est radicalement différente de celle qui a conduit à des dépenses passives d’accompagnement des chômeurs de longue durée, sous de multiples formes, depuis les années 1960. Il est prévu de créer à titre expérimental, dans quatre à dix territoires pour l’instant, un écosystème permettant de proposer à toutes les personnes durablement privées d’emploi une activité utile, en contrat à durée indéterminée (CDI), rémunérée au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et financée par la réallocation des fonds qui aident actuellement les chômeurs de longue durée. Ces CDI seront principalement proposés par une entreprise « à but d’emploi » ; ils pourront l’être aussi par d’autres entreprises, préexistantes, du secteur de l’économie sociale et solidaire tel que défini par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014.
Les collectivités choisies pour mener l’expérimentation devront avoir déjà mobilisé toutes les ressources locales disponibles au service du développement économique et de la lutte contre le chômage, pour optimiser l’accompagnement des entreprises à toutes les étapes de leur développement. Elles devront aussi avoir fait une priorité de l’adéquation optimale de l’offre et de la demande d’emplois : on ne saurait proposer des solutions innovantes à ces collectivités si, dans le même temps, une entreprise implantée sur le territoire considéré ne parvenait pas à pourvoir, dans l’économie marchande, les emplois qu’elle propose. Enfin, il faudra mobiliser en faveur de l’expérimentation des ressources destinées à l’indemnisation du chômage. Ces étapes préalables seront rappelées dans l’un des amendements que je vous soumettrai, mais aussi, peut-être, dans la nouvelle version de la proposition de loi, qui sera réécrite par la commission compétente au fond pour tenir compte de l’avis rendu par le Conseil d’État et des préconisations du CESE. Nous devrons aussi veiller à ce que les activités proposées ne faussent pas la concurrence avec les emplois des secteurs déjà organisés dans les territoires considérés. Enfin, toutes les personnes entrées dans ce dispositif devront pouvoir rejoindre par des passerelles le marché principal du travail le cas échéant.
Il s’agit, je le répète, d’une expérimentation. Nous ne prétendons pas, par cette proposition de loi, régler d’un coup de baguette magique l’épineuse question de la privation durable d’emploi, devenue un phénomène de masse. Les chômeurs de longue durée étaient moins d’un million en 2008 ; ils sont 2,4 millions aujourd’hui. Le traumatisme profond que suscite cet état chez les personnes concernées se double d’un immense gâchis de ressources humaines et d’activités potentielles non pourvues. Il faut aller chercher ces emplois perdus et redonner leur dignité à ceux qui en sont privés. Cette loi donnera la latitude, les moyens et la souplesse permettant de créer le laboratoire expérimental dont nous avons besoin pour observer le comportement de l’écosystème territorial ainsi modifié, le bénéfice que peuvent en tirer les personnes qui retrouveront une activité et les effets sociaux induits. En bref, nous saurons ce qui change quand chacun, sur un territoire donné, peut avoir une activité et participer à l’œuvre commune.
Lorsque l’hypothèse d’une croissance sans emplois se précise, lorsque – c’est le cas dans ma circonscription et dans d’autres – la modernisation de l’appareil productif permet la conquête de marchés à l’exportation et la reprise de l’activité économique sans que s’ensuivent des créations d’emplois, nous devons inventer des solutions nouvelles. L’expérimentation permettra de déterminer les forces et les limites de cette proposition qui ne devrait pas être évaluée uniquement en fonction des indicateurs économiques et sociaux traditionnels, mais aussi, comme nous pouvons le faire depuis l’adoption de la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015, issue d’une proposition de loi déposée par Mme Eva Sas au nom du groupe Écologiste, par le prisme des nouveaux indicateurs de richesse. Nous devons nous défaire de nos habitudes et secouer nos conservatismes pour oser, comme l’ont fait avant nous Bertrand Schwartz et tant d’autres, une expérimentation, et en tirer toutes les conséquences pour susciter de manière pragmatique une espérance raisonnable.
M. Philippe Kemel. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen se félicite, monsieur le rapporteur, que vous ayez rappelé les valeurs de la République – la recherche permanente de liberté, d’égalité et de fraternité, qui vaut aussi pour les territoires. Dans certains, l’offre d’emplois est abondante et chacun peut, en fonction de ses compétences, y trouver une activité. Dans d’autres territoires, à l’écart de la dynamique des métropoles, des citoyens, en dépit de leurs compétences, ne trouvent pas d’emploi. Ailleurs encore, l’activité existe, mais pas les savoir-faire technologiques qui permettraient de pourvoir les emplois, et ceux qui ne possèdent pas ces compétences subissent une marginalisation croissante. Il est donc nécessaire, en effet, d’agir avec ceux qui, dans la société civile, sont engagés dans l’économie solidaire, pour que cesse le désœuvrement. C’est le sens de la proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui pour que nous portions un avis.
L’économie sociale et solidaire a pu se développer grâce à la loi adoptée le 31 juillet 2014. L’observation montre que si les allocataires d’un revenu de solidarité active (RSA) « activité » engagent des démarches tendant à leur qualification, qui peuvent leur permettre de retrouver un travail, ce n’est pas le cas des allocataires du RSA « socle », dont le désœuvrement prolongé s’accompagne souvent d’une dégradation de l’état de santé physique et psychique rendant impossible leur retour à l’emploi. Élus et société civile doivent donc construire un écosystème spécifique, fondé sur une vision extensive de l’accompagnement de la personne – sur les plans alimentaire, sanitaire, de la formation et de l’accompagnement vers l’emploi – en tenant compte des contingences locales. C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi. Ciblera-t-elle, comme il conviendrait, les allocataires du RSA « socle » pour améliorer ce dispositif ? Est-il prévu de mettre les associations caritatives au service du dispositif expérimental pour réduire le gaspillage alimentaire ? Enfin, le CESE a formulé des recommandations relatives à la garantie des droits des personnes sous contrat à durée indéterminée dans les entreprises conventionnées ; ferez-vous des propositions tendant à ce qu’elles soient prises en considération ?
M. Lionel Tardy. Pour dire les choses abruptement, je ne sais que penser de ce texte. La lutte contre le chômage de longue durée est un impératif absolu, mais tout n’a pas été fait en matière de formation ; or, pour le groupe Les Républicains, la formation est la clé de tout. Il ne faut fermer la porte à aucune solution, mais qu’en est-il de celle-ci ? Est-ce un exercice de communication par une majorité qui a échoué à endiguer le chômage, ou la prise de conscience que les emplois aidés sont une impasse ? Est-ce une nouvelle usine à gaz ou une solution opérationnelle ? S’appuyer sur les entreprises de l’économie sociale et solidaire n’est pas une mauvaise idée, mais nous éprouvons quelques doutes : les dispositions de la proposition de loi sont-elles vraiment conformes à l’article 40 de la Constitution ? La justification nous paraît fragile. Est-on certain de la sécurité juridique de ce texte ? L’expérimentation est une bonne chose mais, si elle n’est pas renouvelée, les contrats de travail seront cassés. Il est urgent d’apporter des éléments d’appréciation supplémentaires pour convaincre de la pertinence d’un dispositif qui traduit une bonne intention mais dont il est indispensable de s’assurer qu’il est applicable. Que l’avis du Conseil d’État conduise le rapporteur saisi au fond à réécrire l’intégralité du texte n’est pas rassurant. Nous ne sommes pas certains que ce texte ait été suffisamment préparé. Or, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une expérimentation qu’elle doit être cadrée à la légère.
Mme Michèle Bonneton. Le groupe Écologiste constate que le chômage fragilise la cohésion sociale ; la tentation extrémiste s’explique sans doute pour partie par son haut niveau depuis longtemps. La privation durable d’emploi a aussi un coût économique, que le texte propose de chiffrer, comme il est souhaitable. Comment seront choisis les territoires où auront lieu les expérimentations ? Des critères de sélection existent-ils déjà, ou s’en remettra-t-on à un décret pour les définir ? De quelle nature seront les emplois envisagés ? Comment s’assurera-t-on qu’il ne s’agira pas de « sous-emplois » ? Comment éviter que ces emplois ne se substituent à ceux d’autres salariés ? Enfin, il serait opportun de prévoir dès maintenant l’évaluation des expérimentations cinq ans après leur mise en œuvre.
M. Jean Grellier. Je salue cette proposition de loi d’expérimentation, qui a fait l’objet d’une réflexion concertée avec les organisations et les personnalités qui œuvrent en faveur de l’insertion. La démarche, déjà engagée dans certains territoires, a ceci d’innovant qu’elle propose de partir des qualifications des chômeurs de longue durée pour les mettre en adéquation avec les activités possibles sur un territoire donné. Cela suppose de mobiliser toutes les ressources et tous les acteurs, dont ceux de l’insertion, pour trouver des activités. Celles-ci, pour être d’intérêt général, ne sont souvent pas rentables ; c’est pourquoi un nouveau dispositif doit permettre de dépasser le seul accompagnement social de la privation durable d’emploi. Enfin, il ne faut pas omettre la possibilité de passerelles permettant aux personnes concernées de se diriger vers d’autres emplois. Par l’expérimentation proposée, on peut espérer apporter une réponse à un problème demeuré non résolu à ce jour.
Mme Brigitte Allain. Des expérimentations de ce type ont déjà eu lieu par le biais d’ATD Quart Monde. Tout l’intérêt du dispositif est qu’il s’appuie sur des CDI. Je ne compte plus les courriers que j’ai reçus relatifs à des emplois aidés. Qu’il s’agisse des contrats d’« accompagnants des élèves en situation de handicap » (AESH) ou d’« emplois vie scolaire » (EVS), il y est bien trop souvent mis un terme après cinq ans – une période assez longue pour que les intéressés aient pris le temps de se former – car ils ne peuvent être ni renouvelés, ni transformés en CDI. Un mécanisme ainsi conçu pour extraire des gens du chômage et pour les y replonger cinq ans plus tard n’est pas satisfaisant. Prévoir d’emblée un CDI est donc une excellente chose.
M. Jean-René Marsac. J’ai travaillé à l’élaboration de ce texte et suivi une expérimentation locale. Cette proposition de loi tend à l’application du « devoir de travailler et [du] droit d’obtenir un emploi » figurant dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, mais que l’on ne sait pas mettre en œuvre. L’expérimentation vise à démontrer que c’est possible aussi pour des gens très éloignés de l’emploi, et qu’en s’appuyant sur l’énergie et la volonté de personnes qui veulent revenir à l’emploi, on peut générer une activité économique nouvelle.
Le travail du comité de pilotage local sera donc déterminant : il ne s’agit pas de créer pour l’essentiel des activités périphériques aux services publics mais de faire émerger de nouvelles formes d’entreprises. Cela n’a rien d’utopique, cela a existé. L’histoire de l’insertion par l’activité économique, à laquelle j’ai largement contribué il y a très longtemps, montre que des initiatives ont été expérimentées dans un premier temps sans cadre légal. Cette fois, le processus est inverse. On ouvre des possibilités d’expérimentation pour donner chair à des utopies. Dans le rapport qu’il a publié en 1990, Claude Alphandéry parlait déjà d’insertion par l’activité économique, non par l’accompagnement social. C’est l’orientation reprise dans cette proposition de loi. Je rappelle que toute une série d’activités nouvelles sont induites par ces initiatives associatives locales depuis des décennies ; elles touchent aux services à la personne, à la protection de l’environnement ou à de nouveaux métiers. Enfin, les centres d’aide par le travail et les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) qui leur ont succédé ont largement contribué à l’émergence d’entreprises et d’activités économiques nouvelles.
Mme Audrey Linkenheld. À mon tour, je salue l’initiative d’ATD Quart Monde, reprise par un certain nombre de nos collègues, dont MM. Laurent Grandguillaume et Dominique Potier.
Je souhaite m’associer à cette initiative, non au titre des territoires qui ont déjà vécu un début d’expérimentation, mais au nom de ceux qui aimeraient bien, demain, s’inscrire dans ce mouvement d’expérimentation, notamment, comme le recommande le CESE, en zone urbaine, où se concentre le plus grand nombre des chômeurs de longue durée. Je suis députée du Nord, département qui compte malheureusement le plus grand nombre de demandeurs d’emplois de catégorie A : 178 000. Nous avons conscience que c’est sans doute plus difficile en zone urbaine, où la visibilité de ce que font les différents acteurs est moindre, et où les demandeurs d’emploi, dont certains ont rompu tout lien, sont souvent moins bien suivis.
Monsieur Tardy, permettez-moi de vous conseiller un autre livre passionnant de Geneviève de Gaulle Anthonioz, Le secret de l’espérance. Vous y apprendrez qu’il faut parfois savoir être patient pour faire aboutir ses revendications. Cette expérimentation n’est ni une opération de communication, ni une usine à gaz. S’il faut, comme cela fut le cas par le passé, dix, vingt ou trente ans pour vous en convaincre, nous prendrons le temps de le faire, de la même manière que Geneviève de Gaulle Anthonioz a vu naître la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, qu’elle avait tant attendue.
Monsieur le rapporteur pour avis, que pensez-vous des propositions du CESE d’une expérimentation dans les territoires urbains et de l’insertion par l’activité économique ? Ces deux mouvements doivent se rejoindre au lieu de se concurrencer.
M. le rapporteur pour avis. Je tiens à saluer la présence de M. Jean-René Marsac, qui est l’un des pionniers des combats que nous évoquons aujourd’hui, ainsi que de Laurent Grandguillaume, rapporteur de la commission des affaires sociales, saisie au fond.
Monsieur Philippe Kemel, vous avez évoqué la prise en compte du RSA « socle » aux côtés du RSA « activité ». En effet, il est proposé de créer un fonds qui sera abondé via la réallocation des dépenses sociales. Bref, il s’agit de mutualiser toutes les dépenses passives pour les rendre actives.
C’est bien l’expérimentation qui permettra d’observer de façon souple ce qui se dessine sur le terrain à partir de la réalité, car il est vrai, monsieur Tardy, que l’on pourrait philosopher pendant deux ans sur ces sujets au CESE ou à l’Assemblée nationale. Il faut faire confiance aux acteurs qui se sont engagés avant nous, et qui ont besoin aujourd’hui d’un cadre législatif. L’étape suivante sera la création d’entreprises « à but d’emploi ».
Oui, il faut que toutes les forces vives d’un territoire soient mises à contribution. Toutes les bonnes volontés seront les bienvenues. Je pense au Secours catholique, à la Banque alimentaire, mais aussi au Mouvement des entreprises de France (Medef), car il s’agit plutôt de sortir de l’humanitaire, non de s’y enfermer. Il faut remettre en activité les personnes, afin qu’elles s’émancipent progressivement de tous les systèmes de secours dont elles ont pu bénéficier.
L’une des innovations de cette proposition de loi, que l’on retrouvait dans les missions locales chères à Bertrand Schwartz, est de contribuer à ce que les forces du territoire se coalisent, qu’elles ne se substituent pas à l’État mais viennent en appui à sa démarche en formant une communauté bienveillante autour de l’intégration de ceux qui sont exclus aujourd’hui de cet univers-là.
Monsieur Lionel Tardy, je veux souligner votre humilité et votre franchise, car vous avouez ne pas trop savoir que penser de ce texte, ce qui veut dire que vous êtes dans une démarche d’ouverture. Vous êtes perturbé, comme nous l’avons été nous-mêmes lorsque la société civile est venue nous faire cette proposition. J’apprécie votre présence, et ce que vous avez dit me touche beaucoup, ainsi que, je le crois, Laurent Grandguillaume. Nous devons avoir conscience que nous n’avons pas tout essayé.
Bien évidemment, je ne partage pas votre diagnostic sur l’échec du Gouvernement face au chômage. J’en veux pour preuve que le coût du travail en France est désormais équivalent à celui de l’Allemagne, ce qui donne à notre économie de bonnes perspectives de compétitivité.
Vous émettez des doutes quant à la conformité de ce texte avec l’article 40 de la Constitution. Nous avons déminé ce risque, les lois d’expérimentation permettant une plus grande souplesse. Il s’agit de faire une opération à coût neutre pour l’État, car nous espérons que certaines dépenses, déjà effectives, créeront une plus-value sociale mais aussi économique sur nos territoires. C’est bien l’activité qui génère l’activité, en un cercle vertueux, là où l’exclusion génère une fragmentation de la société qui prépare son délitement et les violences à venir.
Les précautions du CESE sont empreintes de sagesse. Nous allons les intégrer au texte, à l’exception de la progressivité des salaires au sein de l’entreprise, suggérée par certaines forces syndicales. Ce sujet, qui fait débat entre nous, ne relève pas forcément du champ législatif, et je ne partage pas l’idée, par ailleurs, qu’il s’agisse d’entreprises comme les autres. La référence au SMIC me semble plus saine.
Le Conseil d’État nous a dispensé des conseils ad hoc qui permettront, non de rédiger une autre proposition de loi, mais de réécrire celle-ci. C’est un exercice tout à fait maîtrisé, même s’il demande beaucoup de technicité, que nous allons faire entre les commissions et la séance publique. À cet égard, je salue l’implication du rapporteur saisi au fond. Nous aurons ainsi, en fin de compte, une loi ayant le même esprit, mais qui sera enrichie car précisée. Nous apporterons lumière et précision là où il subsistait des ambiguïtés, loin de nous livrer à un quelconque bricolage. Soyez rassuré, monsieur Tardy : l’expérimentation sera solide et robuste.
Madame Michèle Bonneton, l’évaluation de cette expérimentation se fera avec toute la force des nouveaux indicateurs de richesse que votre groupe a inspirés au Parlement – et je rends hommage au travail accompli par Éva Sas. Le Gouvernement a rendu son premier rapport sur le sujet en octobre. Je pense que nous pouvons encore progresser dans l’évaluation des lois, dans les décisions budgétaires que nous prenons, en tenant compte des indicateurs de façon prospective et non pas seulement rétrospective, et votre proposition me semble pertinente pour juger de la santé globale des personnes et du territoire considérés pendant et après l’expérimentation.
Le CESE préconise de retenir des territoires permettant d’observer les différences entre milieu rural et milieu urbain, afin d’éviter de devoir refaire une expérimentation ultérieurement. Madame Linkenheld, j’entends que vous êtes intéressée. Il faut évidemment choisir un nombre limité de territoires, dix étant un maximum si nous ne voulons pas que les données soient trop fragmentées.
M. Jean Grellier, comme à son habitude, a parlé d’or, et je fais mien son propos.
Mme Brigitte Allain a souligné à juste titre l’innovation radicale que constitue le recours systématique au CDI. Si nous en étions restés à des contrats à durée déterminée (CDD) de vingt-quatre mois au maximum, nous n’aurions fait que reproduire l’existant.
Je vois bien le bénéfice de l’expérimentation pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap que vous avez cité : il est consternant que les accompagnants, qui ont acquis une véritable compétence au bout de cinq ans, ne puissent pas être pérennisés dans leur emploi, dont l’utilité sociale est avérée. Sans doute y a-t-il de nouvelles pistes à explorer pour changer certaines pratiques scolaires, même si de nettes améliorations ont été constatées en la matière ces dernières années, sous l’impulsion des ministres de l’éducation successifs.
M. Jean-René Marsac nous invite aujourd’hui à explorer des champs d’activité nouveaux, des pratiques sociales innovantes, et je l’en remercie.
Quant à Mme Audrey Linkenheld, elle a fait la synthèse avec le début de mon propos introductif en évoquant un autre ouvrage de Geneviève de Gaulle Anthonioz. Nous avons un Panthéon commun : cela s’appelle une Nation.
La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi dont elle est saisie pour avis.
Article 3
Création d’un Fonds « zéro chômage de longue durée »
La commission est saisie de l’amendement CE1 du rapporteur pour avis.
M. le rapporteur pour avis. Je propose de préciser qu’un territoire, pour être admis à participer à l’expérimentation, devra avoir déjà mobilisé tous les moyens disponibles au service de la lutte contre le chômage.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CE2 du rapporteur pour avis.
M. le rapporteur pour avis. Cet amendement vise à préciser que les moyens financiers alloués dans les territoires d’expérimentation sont gérés par un fonds national à caractère privé, ce qui lui conférera une souplesse précieuse. Naturellement, des pouvoirs étendus seront confiés à un commissaire du Gouvernement pour garantir que l’argent public est bien utilisé dans l’intérêt général et dans l’esprit de la loi dont nous discutons.
Le conseil d’administration de l’association privée gestionnaire du fonds comprendra des représentants de l’État, dont ledit commissaire du Gouvernement, des représentants des organisations de salariés et d’employeurs, un représentant du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), un représentant de Pôle Emploi, trois représentants du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS), un représentant de chaque comité local, ainsi que trois personnalités qualifiées.
Mme Audrey Linkenheld. Je suis favorable aux précisions contenues dans cet amendement. Toutefois, je me pose la question de la place des collectivités territoriales. Si l’expérimentation a vocation à se généraliser, il ne paraît pas inutile qu’elles soient associées, dès le départ, à la gestion du fonds, même si c’est seulement à titre consultatif.
M. Jean-Luc Laurent. Pourquoi les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne sont-ils pas mentionnés, bien qu’ils soient compétents en matière d’emploi ?
M. le rapporteur pour avis. Il est vrai, madame Linkenheld, qu’il n’est pas précisé que les représentants des comités locaux émanent des collectivités locales. De fait, il peut s’agir de leaders associatifs, ou de dirigeants des entreprises « à but d’emploi ».
Mme Audrey Linkenheld. Il est déjà prévu que le conseil d’administration comprenne des représentants extérieurs, par exemple un représentant du CNLE, qui sera là pour donner un avis éclairé, mais qui ne sera pas acteur direct de l’expérimentation. Je trouve que, de la même manière, l’Association des régions de France (ARF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’Assemblée des communautés de France (AdCF) pourraient être représentées elles aussi, afin de préparer d’ores et déjà l’étape qui suivra l’expérimentation.
M. le rapporteur pour avis. Je souscris volontiers à votre proposition.
M. Laurent Grandguillaume. J’ai prévu de demander à la commission des affaires sociales, demain, que le conseil d’administration comprenne un représentant de chaque comité local faisant l’objet d’une expérimentation. Faut-il y intégrer également un représentant de l’ADF ou de l’ARF ? Si des amendements sont déposés en ce sens, je n’exclus pas de donner un avis favorable.
Nous ferons en sorte que le texte fasse référence aux EPCI, sachant qu’un comité local pourra être un groupement de communes qui corresponde à un EPCI ou qui l’englobe. Il faut éviter, cela dit, de figer les choses en rendant obligatoire le fait qu’un EPCI participe au conseil d’administration.
M. Yves Daniel. Quelle place sera faite aux représentants des demandeurs d’emploi ?
M. le rapporteur pour avis. Pour avoir présidé le comité « Écophyto », comité à caractère national, je puis certifier que ce qui compte n’est pas la présence formelle de tel ou tel représentant mais son investissement passionné sur le sujet.
Les EPCI me semblaient être compris dans le groupe des collectivités. Mais vous avez raison, monsieur Laurent, soyons précis. Nous les intégrerons donc. C’est d’ailleurs le cas dans l’expérimentation qui a été lancée dans le territoire dont je suis l’élu.
Enfin, la question de la représentation des demandeurs d’emploi n’est pas simple : il faut déterminer, en effet, qui a qualité pour l’assurer. Je suis plutôt favorable, sur le principe, à la préoccupation soulevée par M. Daniel, mais je m’en remettrai à la sagesse de la commission des affaires sociales et de son rapporteur.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 modifié.
Article 4
Conventions entre le Fonds « zéro chômage de longue durée » et des entreprises de l’économie sociale et solidaire
La commission en vient à l’amendement CE3 du rapporteur pour avis.
M. le rapporteur pour avis. Cet amendement vise à ramener d’un an à six mois la durée minimale de domiciliation préalable des candidats au dispositif, afin de tenir compte des réalités contemporaines de la mobilité géographique.
La commission adopte l’amendement.
Elle étudie ensuite l’amendement CE4 du rapporteur pour avis.
M. le rapporteur pour avis. Il s’agit de préciser que la convention mentionne les conditions à respecter pour bénéficier du financement du fonds, notamment les engagements de l’entreprise sur le contenu du poste proposé, les conditions d’encadrement et les actions d’accompagnement envisagées pour le bénéficiaire du contrat.
L’importance de l’accompagnement a été soulignée très fortement par Louis Gallois, président de la FNARS, ainsi que par les autres parties prenantes. Il faut en effet sortir du schéma habituel de l’insertion par l’économique.
La commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CE5 du rapporteur pour avis.
M. le rapporteur pour avis. Nous avions pensé que le bénéfice net éventuel réalisé par une entreprise participante dans un des territoires concernés devait être reversé au fonds national. À la réflexion, il nous semblerait regrettable de décourager la bonne volonté, l’excellence et l’esprit d’initiative en privant les entreprises des moyens d’investir et, tout simplement, de garantir leur propre pérennité.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 4 modifié.
Elle émet enfin un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Audition commune :
Chambre française de l’économie sociale et solidaire (*)
M. Emmanuel Verny, délégué général
Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale (CNCRES)
M. Florent Duclos, responsable de l’appui et du développement du réseau
Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES)
M. Alain Cordesse, président
M. Sébastien Darrigrand, délégué général
Mme Tiphaine Perrichon, chargée de projets RH et diversité
Audition commune :
ATD Quart Monde
M. Patrick Valentin, responsable du réseau Emploi-formation
Emmaüs
M. Gilles Ducassé, délégué général adjoint branche économie solidaire et insertion
Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)
M. Florent Gueguen, directeur général
Secours catholique
M. Guillaume Almeras, responsable du département emploi, économie sociale et solidaire
Fédération des entreprises d’insertion
M. Olivier Dupuis, secrétaire général
Mme Joséphine Labroue, chargée de mission
Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (*)
M. Denis Boissard, membre du Comité Insertion
Mme Sophie Quentin, directrice de mission, Sphère publique
Mme Marine Binckli, chargée de mission à la Direction des affaires publiques
Table ronde réunissant des syndicats de salariés :
Confédération française démocratique du travail (CFDT) (*)
Mme Chantal Richard, secrétaire confédérale
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
M. Pierre-Baptiste Cordier-Simonneau, conseiller politique
Force ouvrière (FO)
Mme Sylvia Veitl, assistante confédérale secteur emploi
Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)
M. Franck Mikula, secrétaire national en charge de l’emploi et de la formation M. Franck Boissart, conseiller technique
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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