N° 3769
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mai 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à garantir le revenu des agriculteurs (n° 3681)
par M. André CHASSAIGNE,
Député.
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Voir le numéro : 3681.
SOMMAIRE
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PAGES
INTRODUCTION 5
I. DES POLITIQUES AGRICOLE ET COMMERCIALE DESTRUCTRICES 7
A. LA LIBÉRALISATION DES MARCHÉS AGRICOLES A CONDUIT L’AGRICULTURE FRANÇAISE DANS L’IMPASSE 7
B. LA DOMINATION DE L’AVAL FAVORISE LA BAISSE DES PRIX D’ACHAT AUX AGRICULTEURS 9
II. L’ABSENCE D’ACTION SUR LES PRIX DES PRODUCTIONS 12
A. DES OUTILS D’ACTION SUR LES PRIX INOPÉRANTS 12
B. UN EXEMPLE D’ENCADREMENT DES PRIX : LE LAIT AU QUÉBEC 13
EXAMEN EN COMMISSION 17
Article 1er (article L. 632-2-2 (nouveau) : du code rural et de la pêche maritime) Conférence annuelle sur les prix par production agricole 30
Article 2 (article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime) : Extension ducoefficient multiplicateur aux produits agricoles et alimentaires 33
Article 3 (article L. 442-2-1 (nouveau) : du code rural et de la pêche maritime) Interdiction de l’achat de produits agricoles en dessous de leur prix de revient 34
L’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par les Nations Unies précise, en son troisième alinéa, que « Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale ».
La crise que vit aujourd’hui l’agriculture française est ancienne mais n’a jamais été aussi forte. Les agriculteurs français, en particulier nos éleveurs producteurs de lait et de viande subissent depuis plusieurs années une dégradation des prix d’achat de leurs productions – parfois en deçà de leurs coûts de production – conduisant à des pertes de revenus hypothéquant leur survie à court terme.
Le rapport au Parlement 2016 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (1), publié en avril 2016, débute par un constat sans appel : « L’année 2015 est marquée par la poursuite de la baisse globale des prix agricoles observée déjà en 2014 pour plusieurs productions et étendue en 2015 à la production laitière. La baisse moyenne de tous produits confondus s’établit à – 2,4 %, moins accentuée toutefois qu’en 2014 (– 5,3 %) ».
L’Europe, comme la France, a perdu 25 % de ses exploitations et de ses actifs agricoles en seulement dix ans. Ces cessations d’activité sont la conséquence directe de la faiblesse des prix d’achat. Dans le même temps, pour les 500 millions d’européens, la question alimentaire est redevenue une préoccupation centrale, en lien direct avec les conséquences de la crise financière, la perte d’emplois et de revenus, et l’explosion de la précarité. La France a toujours défendu la noble idée d’une politique agricole et alimentaire européenne forte, dotée d’un budget conforme à son ambition, qui est de répondre aux besoins essentiels de nos peuples.
D’autres menaces ne cessent pourtant d’apparaître : l’Union européenne s’est engagée dans un processus de négociation de traités de libre-échange avec plusieurs zones du monde (notamment le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis) où les conditions de production des filières agricoles ne répondent ni à nos exigences sanitaires, ni à nos exigences sociales. Un produit agricole n’est pas un produit comme un autre. L’adoption de tels traités mettrait en péril nos agriculteurs, en particulier nos éleveurs, du fait de l’importation massive de productions à bas coûts. Nos agriculteurs ne résisteraient pas.
À la suite d’initiatives similaires de votre rapporteur en 2009 (2) et 2011 (3), respectivement sous les douzième et treizième législatures, cette proposition de loi propose de rétablir un lien logique entre les prix d’achat des productions agricoles issues de l’agriculture française et les prix de vente aux consommateurs. Certes, les précédentes initiatives ont été rejetées mais elles ont formulé des propositions qui ont par la suite été reprises par le Gouvernement (la consécration législative de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires) ou proposé de réactualiser des outils ayant fait, dans le passé ou aujourd’hui encore dans d’autres pays, la preuve de leur efficacité (le coefficient multiplicateur).
Certains contrats de vente écrits se sont développés afin de mieux armer les agriculteurs pour faire face à la volatilité des prix et conduire à la maîtrise de leurs revenus. La sécurisation des débouchés a réussi mais à quel prix ? Les contrats n’ont en effet pas solutionné le faible pouvoir de négociation des agriculteurs qui n’ont pas la capacité de décider du prix de vente de leurs productions, le déséquilibre commercial face à l’aval de la filière étant trop élevé.
Les trois articles de la proposition de loi sont liés en ce qu’ils se concentrent sur les prix et donc sur les revenus des agriculteurs.
L’article 1er instaure une conférence annuelle ainsi qu’une négociation sur les prix par production agricole destinée à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs.
L’article 2 étend aux produits agricoles et alimentaires un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente d’un produit.
L’article 3 interdit l’achat de produits agricoles en dessous de leur prix de revient.
Si le prix d’achat minimum ne peut être inférieur au prix de revient (tenant compte des coûts de production) et que le prix de vente ne peut être supérieur à un coefficient multiplicateur de ce prix d’achat, les garanties sont en place pour assurer aux producteurs des revenus dignes et aux consommateurs des prix de vente transparents et équitables.
Les prix ne sont ni justes, ni rémunérateurs et le bénéfice des aides compensatrices attribuées aux agriculteurs si nécessaire, ne peut plus exonérer de rétablir une véritable politique sur les prix.
Prévue dès 1957 par le traité de Rome qui institue la Communauté économique européenne, la politique agricole commune (PAC) naît en 1962. Son but est alors de permettre aux citoyens européens de se nourrir à des prix raisonnables tout en assurant aux agriculteurs un niveau de vie suffisant. Ainsi, rappelons que l’article 33 du Traité instituant la Communauté européenne dispose que « la politique agricole commune a pour but […] d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent en agriculture ». L’accent est ensuite mis sur la productivité, à tel point que des outils de limitation de la production s’avèrent nécessaires. Le secteur agricole est régi par une OCM (organisation commune de marché) unique qui décrit la gestion des marchés, les normes de commercialisation des produits, les échanges de l’Union européenne et les instruments d’aide aux marchés agricoles. En corrélant le montant des aides à la surface agricole exploitée, le système de la politique agricole commune a longtemps favorisé les grandes cultures, notamment les céréales et les oléo-protéagineux.
Le système d’organisation des marchés européens a progressivement été dérégulé jusqu’à la suppression des derniers outils de gestion des volumes, comme il y a un an, le 1er avril 2015, avec l’abandon des quotas laitiers (droits à produire).
L’exemple du secteur laitier est particulièrement frappant, puisqu’il a été complètement déstabilisé. Aujourd’hui, nos producteurs subissent de plein fouet non seulement la concurrence mondiale mais aussi la concurrence européenne puisque nos voisins européens ont considérablement augmenté leur production laitière. La France, par le biais de ses organisations de producteurs, a opté pour une politique plus raisonnable de limitation de la hausse de la production (+ 1,5 % en janvier 2016 par rapport à l’année précédente mais + 5,6 % en Allemagne, + 7,3 % au Danemark, + 7,9 % en Pologne, + 15,5 % aux Pays-Bas, + 17,2 % en Belgique et + 19,5 % en Irlande à la même date).Selon FranceAgriMer, le prix des 1 000 litres de lait payés aux producteurs en novembre 2015 s’est établi à 299 €, en baisse de 38,2 € par rapport à l’année précédente. Ce plancher des 300 € les 1 000 litres avait été franchi en avril 2015.
Mais la crise touche tous les produits de l’élevage et a des conséquences très lourdes sur les revenus des agriculteurs.
VARIATIONS MENSUELLES DES PRIX AGRICOLES,
DES PRIX DES INTRANTS POUR L’AGRICULTURE ET INFLATION GÉNÉRALE
Source : Rapport au Parlement 2016 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires
Le tableau suivant montre la faiblesse du résultat courant avant impôt (RCAI), en particulier pour les élevages porcins qui subissent une baisse de 59 % en un an. Le résultat des éleveurs ovins et caprins augmente mais demeure modéré et inférieur à la moyenne des autres productions. Ces résultats concernent l’année 2014, relativement bonne pour les éleveurs bovins lait (cours du lait moyen à 385 € / 1 000 litres en 2014).
INDICATEUR DE SYNTHÈSE DES RÉSULTATS 2014
ET ÉVOLUTIONS 2013-2014 PAR ORIENTATION
Orientation de la production |
Résultat courant avant impôt par actif non salarié (en euros) |
Évolution |
Bovins lait |
24 704 |
4 % |
Bovins viande |
18 295 |
– 1,7 % |
Bovins mixte |
22 684 |
– 2,2 % |
Ovins et caprins |
18 385 |
22,9 % |
Porcins |
11 890 |
– 59,1 % |
Volailles |
23 994 |
29,9 % |
(*) Évolution calculée en valeur réelle
Source : SSP – RICA- Commission des comptes de l’agriculture de la Nation – 15 décembre 2015
Le désengagement des politiques publiques agricoles communautaires avec la nouvelle PAC 2014-2020 se double d’une accélération des perspectives d’ouverture des échanges agricoles avec plusieurs zones économiques. Les accords de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et le Canada, les États-Unis (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement – TTIP) et le MERCOSUR (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela), entendent faire une nouvelle fois de l’agriculture européenne et française la variable d’ajustement du commerce international, sans tenir compte des profondes différences en matière de normes sanitaires et environnementales, de droits sociaux et de garanties de qualité et d’origine.
Les négociations sont en cours (4) et la question des produits sensibles n’a pas encore été abordée. Les européens doivent être fermes face à la potentielle remise en cause de nos indications géographiques et à l’afflux de viandes produites au mépris de la qualité et de la protection de l’environnement et des consommateurs.
La spirale à la baisse des prix agricoles est accentuée, au plan national, par une évolution législative offrant toutes les garanties aux distributeurs et aux industriels pour faire pression à la baisse sur les prix d’achat et favoriser un accroissement de leurs marges, au détriment des producteurs, en amont de la chaîne alimentaire.
Les différentes lois votées depuis le début des années 2000 n’ont pas permis de développer des outils efficaces de régulation des relations entre distributeurs et fournisseurs, elles ont même souvent aggravé le déséquilibre existant.
La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a bien créé une commission d’examen des pratiques commerciales, qui peut décider d’adopter des recommandations sur les questions portant notamment sur le développement des bonnes pratiques commerciales et exercer un rôle d’observatoire régulier de ces pratiques. Cependant, cette commission n’a aucun pouvoir réel en matière de contrôle et de sanction vis-à-vis des abus des distributeurs.
Plus récemment, la mise en œuvre de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, et notamment la consécration « du principe de libre négociation des conditions générales de vente », a eu pour principale conséquence une nouvelle concentration de la grande distribution (diminution à quatre centrales d’achat). Ce mouvement a accru leur pouvoir de négociation dans les relations commerciales au détriment des entreprises agroalimentaires et, surtout, des exploitants agricoles.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires a été créé en 2008 mais son existence a été reconnue dans le code rural et de la pêche maritime par la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche dans un contexte de forte variabilité des prix agricole et à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie précitée qui a exacerbé la concurrence et favorisé certes le pouvoir d’achat des ménages mais également le pouvoir de la grande distribution. Dans son avant-propos, le rapport de l’observatoire au Parlement de 2015 rappelle que sa création a été justifiée par « l’absence de transparence et plus encore de confiance dans les relations entre acteurs au long de la filière ». L’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime dispose qu’il « a pour mission d’éclairer les acteurs économiques et les pouvoirs publics sur la formation des prix et des marges au cours des transactions au sein de la chaîne de commercialisation des produits alimentaires, qu’il s’agisse de produits de l’agriculture, de la pêche ou de l’aquaculture ».
L’observatoire remet chaque année au Parlement un rapport qui est un document de suivi de la conjoncture agricole et agroalimentaire et de description de la répartition de la valeur ajoutée entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Il s’appuie sur l’analyse des coûts de production agricole, des coûts de transformation et des coûts de distribution.
Extraits du rapport au Parlement 2016 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (zoom sur les produits carnés et laitiers)
L’année 2015 est marquée par la poursuite de la baisse globale des prix agricoles observée déjà en 2014 pour plusieurs productions et étendue en 2015 à la production laitière. La baisse moyenne tous produits confondus s’établit à – 2,4 %, moins accentuée toutefois qu’en 2014 (– 5,3 %). Ce recul annuel des prix agricoles n’épargne que peu de produits (fruits et légumes, œufs) ; il affecte très fortement l’élevage bovin laitier, avec un recul de plus de 15 % par rapport à une année 2014 exceptionnellement favorable, et de 6 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années.
La baisse s’observe également pour les prix des produits des industries alimentaires, qui diminuent à nouveau de près de 2 % en 2015. […]
Les prix à la consommation alimentaire, qui étaient en léger repli en 2014, progressent très faiblement en 2015 avec moins de 0,5 %, ce qui est toutefois sensiblement plus élevé que la hausse générale des prix à la consommation, presque nulle. La quasi stabilité ou le recul des prix à la consommation est assez général dans les filières suivies par l’observatoire ; les fruits et les légumes frais, et, dans une moindre mesure, les pâtes (pour la raison déjà évoquée quant aux prix sortie industrie) faisant notamment exception.
Dans les filières de produits carnés, appréciée au travers des indices de l’Insee, la baisse des prix à la production en 2015 de – 1,4 % à – 7,2 % selon les produits est due à la perte de marchés à l’export en Russie (porc), à la baisse de la demande intérieure (en viande bovine et de porc), à l’afflux de vaches laitières dans les abattoirs. Cette baisse des prix à la production des animaux s’accompagne d’une quasi stabilité des prix à la consommation, toutes viandes et produits à base de viande agrégée (+ 0,4 %). […] Le maillon industriel des filières carnées a, pour les produits suivis par l’observatoire, généralement transmis la baisse du coût de ses approvisionnements en matière première, comme le montre la stabilité, voire la diminution, des indicateurs de marge brute de ce maillon.
Dans la filière laitière, les indices de l’Insee des prix à la consommation des produits laitiers montrent une baisse moyenne des prix de l’ordre de 1 %. Le prix du lait à la production a quant à lui fortement diminué, – 15 % en 2015 après la hausse de 2014, – 6 % par rapport aux cinq dernières années. Cette baisse est due au recul de la demande mondiale (Chine, Russie), alors que la production européenne, affranchie des quotas laitiers, s’est accrue dans plusieurs pays.
Dans ce contexte, l’indicateur de marge brute des transformateurs augmente, tendant ainsi à recouvrer, pour les produits suivis par l’observatoire des niveaux proches de ceux antérieurs à l’année 2014, marquée par une hausse du prix du lait à la production. […] Malgré des évolutions à la hausse des indicateurs de marges de l’aval, la baisse du coût en matière première, même partiellement transmise au consommateur, permet le maintien voire la baisse des prix au détail des produits laitiers en 2015.
L’année 2015 présente, pour les éleveurs laitiers, un retournement de tendance très défavorable. Malgré la baisse moyenne des coûts de production, une diminution importante de la rémunération des producteurs a résulté de la baisse du prix du lait : on estime, sur la base du Réseau d’information comptable agricole, que le prix moyen du lait en 2015 (0,34 € / litre) était inférieur de près de 10 centimes par litre au prix qui aurait assuré la rémunération des producteurs aux standards habituellement retenus (1,5 salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) pour le travail, taux du livret A pour le capital).
L’avant-propos du rapport de 2016, le président de l’observatoire, M. Philippe Chalmin, souligne : « […] une tendance forte à l’œuvre depuis déjà plusieurs années et accentuée par les mutations qu’a connue la politique agricole commune : la déconnexion entre la sphère agricole et la sphère alimentaire qui fonctionnent de plus en plus comme deux univers aux logiques différentes qui ne partagent plus que la fourniture de quelques « matières premières » ».
Dans le même temps, les relations entre les producteurs et le secteur de la transformation n’ont pas abouti à trouver de nouveaux équilibres pour garantir durablement des prix d’achat rémunérateurs.
La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt précitée a uniquement cherché à conforter la contractualisation entre producteurs et transformateurs, qui était le volet central de la précédente loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture précitée, en créant notamment un médiateur des relations commerciales agricoles. Son domaine d’action se limite « aux litiges relatifs à la conclusion ou à l’exécution des contrats de vente ou de livraison de produits agricoles ou alimentaires », ainsi qu’aux dispositions prévues par l’article L. 441-8 du code du commerce en matière « de renégociation des contrats d’une durée supérieure à 3 mois », introduites par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». La saisine du médiateur est donc dérisoire au regard des enjeux fondamentaux que sont le partage de la valeur ajoutée au sein des filières et la fixation des prix en fonction des coûts de production et des revenus des agriculteurs.
De même, la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt précitée n’est pas revenue sur les dispositions les plus nuisibles de la loi de modernisation de l’économie en matière de négociation et de libre négociation des conditions générales de vente. Ainsi, les centrales d’achat des grands opérateurs de la distribution ont aujourd’hui toute latitude pour maintenir leurs pratiques abusives de négociation commerciale avec leurs fournisseurs dans le secteur alimentaire.
Outre la création de l’observatoire, la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche et la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt précitées n’ont pas abouti à l’adoption de véritables d’outils d’intervention sur les prix d’achat et sur les prix de vente aux consommateurs.
Certes, l’un des amendements du rapporteur à la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt précitée a permis d’inscrire à l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime que l’une des finalités des politiques publiques agricoles est de soutenir une juste répartition de la valeur ajoutée au sein des filières garantissant la pérennité des revenus agricoles, des revenus des salariés et de l’emploi du secteur.
La France a perdu 25 % de ses exploitations agricoles ces dernières années. Les revenus agricoles affichent par ailleurs des fluctuations et des écarts très importants entre les productions. Ils sont principalement dus à la volatilité des prix d’achat des productions et aux stratégies d’accaparement par les distributeurs d’une part grandissante de la valeur ajoutée au sein des filières.
Le coefficient multiplicateur existe en France. Il peut potentiellement s’appliquer aux fruits et légumes périssables mais n’a, à ce jour, jamais été déclenché par les ministres chargés de l’économie et de l’agriculture.
Le refus d’adopter ce type de mesure relève de choix politiques délibérés, qui découlent de la volonté de suppression des outils de gestion des marchés et des volumes à l’échelle européenne, mais également de choix nationaux. Ces choix politiques conduisent à laisser aux opérateurs industriels et aux opérateurs de la distribution des prérogatives leur permettant de maintenir leurs propres règles dans la conclusion d’accords et de contrats avec les producteurs.
Comme le rappelle le rapport d’information sur l’avenir des filières d’élevage (5), la France compte principalement quatre grands acheteurs qui représentent ensemble plus de 90 % du marché : Casino-ITM entreprises (25,9 %), Auchan-Système U (25,1 %), Carrefour/Cora (21,6 %) et Leclerc (19,9 %). Elles visent à obtenir une puissance d’achat importante en quantités pour négocier les prix à la baisse. Une telle concentration des acteurs de la distribution n’est pas sans conséquence sur les rapports de force qui s’exercent dans les relations commerciales avec les transformateurs.
Mais comme le souligne ce même rapport, alors que « les débats se focalisent beaucoup sur les négociations commerciales annuelles » introduites par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie précitée et aménagées par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation précitée, « celles-ci ne concernent qu’une partie des négociations commerciales agricoles ». Ainsi selon le rapport d’étape de 2015 du médiateur des relations commerciales agricoles sur les filières bovine et porcine : « Les modes d’achat de la grande distribution font que celle-ci achète la viande suivant deux procédures : 30 % des volumes font l’objet de contrats annuels ou infra-annuels, tandis que 70 % des volumes sont achetés au jour le jour sur la base des prix du jour. »
Force est donc de constater que ces négociations annuelles entre seuls transformateurs et distributeurs ne permettent aujourd’hui aucune prise en compte de l’évolution réelle des coûts de production et des revenus des producteurs, pas plus qu’elles ne peuvent s’appuyer sur des indices de prix de référence. Ajoutons que l’opacité des pressions exercées lors des négociations commerciales contribue à un ajustement des marges sur les maillons les plus faibles de la chaîne, avec au final un impact direct sur les conditions et les prix d’achat aux agriculteurs.
Le mécanisme proche du coefficient multiplicateur existe et fonctionne dans certains pays depuis de nombreuses années. Au Québec, le prix du lait est fixé par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec depuis 1935. À l’époque, une pinte de lait, soit un peu plus d’un demi-litre, se vendait 0,10 $. Après avoir tenu des séances publiques pour obtenir des informations des personnes intéressées, la Régie des marchés agricoles et alimentaires a fixé un prix minimum et un prix maximum pour le lait de consommation.
Le règlement sur les prix de lait et de consommation est constitué de cinq articles :
– l’article 1er précise que la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec est l’autorité compétente. Il définit aussi le « lait » ;
– l’article 2 présente les trois régions de la province où le prix du lait est fixé ;
– l’article 3 précise que les prix ne peuvent être plus haut ou plus bas que ceux présentés ;
– l’article 3.1 limite le prix au minimum indiqué par région, lorsque le lait est vendu à un détaillant ou à un distributeur-vendeur ;
– l’article 4 précise les exceptions à la limite du prix qui concernent le lait ayant été traité à l’ultra haute température, le lait biologique certifié, le lait cacher et le lait à valeur ajoutée. De plus, l’article définit le lait à valeur ajoutée.
Cependant, les prix réglementés ne concernent que le lait régulier, c’est-à-dire les formats en carton, sans bouchon de plastique, ainsi que le lait en sac, sans filtration spécialisée ou ajout de vitamine.
Le prix du lait est composé de deux éléments :
– l’un correspondant à la part versée aux producteurs, déterminée au niveau canadien entre les provinces productrices et représentant environ 55 % du prix de vente au détail ;
– l’autre étant la part versée aux transformateurs, distributeurs et détaillants. C’est sur cette dernière portion que la Régie intervient.
TABLEAUX DES PRIX DU LAIT DE CONSOMMATION À COMPTER DU 1ER FÉVRIER 2016 (RÉGION I)
3,25 % de matière grasse
Contenant |
Prix au détaillant minimum |
Prix au détaillant maximum |
Prix à domicile minimum |
1 litre |
1,74 $ |
1,89 $ |
1,82 $ |
1,5 litre |
2,61 $ |
2,84 $ |
2,71 $ |
2 litres |
3,43 $ |
3,73 $ |
3,54 $ |
4 litres |
6,58 $ |
7,18 $ |
6,80 $ |
2,00 % de matière grasse
Contenant |
Prix au détaillant minimum |
Prix au détaillant maximum |
Prix à domicile minimum |
1 litre |
1,67 $ |
1,82 $ |
1,75 $ |
1,5 litre |
2,51 $ |
2,74 $ |
2,61 $ |
2 litres |
3,30 $ |
3,60 $ |
3,41 $ |
4 litres |
6,33 $ |
6,93 $ |
6,55 $ |
1,00 % de matière grasse
Contenant |
Prix au détaillant minimum |
Prix au détaillant maximum |
Prix à domicile minimum |
1 litre |
1,60 $ |
1,75 $ |
1,68 $ |
1,5 litre |
2,40 $ |
2,63 $ |
2,50 $ |
2 litres |
3,16 $ |
3,46 $ |
3,27 $ |
4 litres |
6,06 $ |
6,66 $ |
6,28 $ |
0,00 % de matière grasse
Contenant |
Prix au détaillant minimum |
Prix au détaillant maximum |
Prix à domicile minimum |
1 litre |
1,55 $ |
1,70 $ |
1,63 $ |
1,5 litre |
2,31 $ |
2,54 $ |
2,41 $ |
2 litres |
3,06 $ |
3,36 $ |
3,17 $ |
4 litres |
5,84 $ |
6,44 $ |
6,06 $ |
Source : Décision 10786 du 21 décembre 2015 de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec
Au cours de sa séance du mercredi 18 mai 2016, la commission a procédé à l’examen de la proposition de loi visant à garantir le revenu des agriculteurs (n° 3681), sur le rapport M. André Chassaigne.
Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, nous allons commencer la réunion de notre commission des affaires économiques qui a pour objet l’examen de la proposition de loi visant à garantir le revenu des agriculteurs dont l’auteur et rapporteur est M. le Président André Chassaigne.
M. André Chassaigne, rapporteur. Je vous remercie Madame la Présidente, chers collègues, je voudrais tout simplement, dans cette présentation générale, revenir sur la philosophie du texte et le sens de ma démarche. Comme je l’ai souligné dans l’exposé des motifs, cette proposition de loi ne prétend pas apporter des solutions toutes faites pour remédier aux maux de notre agriculture. Elle s’appuie sur une réflexion collective établie avec les agriculteurs à différentes reprises au cours de l’année écoulée, et s’attache à avancer des pistes d’action pour retrouver une politique active en faveur des prix d’achat. J’ai, en effet, organisé des rencontres avec les organisations syndicales au cœur de la circonscription dont je suis l’élu et des rencontres à la ferme pour confronter mes propositions au monde agricole. C’est une forme de démarche citoyenne que j’essaie de privilégier. Il est ressorti une chose très forte de ces rencontres : la baisse de moral terrible des paysans avec pour eux un problème de dignité où ils ont le sentiment de ne pas être reconnus et que leur angoisse du lendemain n’est pas prise en compte. C’est extrêmement fort et je ne suis pas le seul à le constater ici.
Je crois sans m’avancer que nous partageons tous le constat selon lequel les prix d’achat des différentes productions agricoles ne couvrent aujourd’hui quasiment jamais les coûts de production moyens. Nous savons aussi quelles sont les conséquences durables de ce constat sur la structure de notre agriculture avec la disparition de milliers d’exploitations chaque année, et d’un quart des exploitations et des actifs tous les dix ans. Je voudrais, sur ce point, citer Aimé Césaire. Vous savez que j’aime beaucoup les citations et certaines d’entre elles sont fortes. Aimé Césaire écrivait : « Je n’aurais pas échappé à la malédiction d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective ». C’est ce qui me fait dire face à ce drame hypocrite qu’est celui de nos agriculteurs et de nos paysans, qu’il faut chercher ensemble des chemins nouveaux.
Aussi une question vient alors immédiatement à l’esprit : avons-nous la volonté politique d’agir pour nous attaquer à la question des prix agricoles ? Et si oui, quelles propositions concrètes mettons-nous sur la table ?
C’est à ce travail de recherche de propositions d’actions concrètes que je me suis attaché avec, là aussi, un constat que je crois être partagé. L’absence, la suppression ou l’inefficacité des outils réglementaires et contractuels actuellement sur la table ne permettent pas de répondre à l’urgence de la situation agricole et alimentaire dans notre pays, comme en Europe. L’abandon progressif des derniers outils de régulation des marchés et des volumes au niveau communautaire a bien évidemment conduit à une mise en concurrence brutale des producteurs. Cette mise en concurrence, ce miroir aux alouettes de la compétitivité risque d’être toujours plus dramatique pour notre modèle d’exploitations familiales avec la perspective de traités de libre-échange particulièrement offensifs !
De même, la multiplication des plans de soutien et des plans d’urgence ne répond pas aux problèmes structurels de la formation des prix d’achat et des marges et aux rapports de force qui existent dans la répartition de la valeur ajoutée tout au long des filières. Nous débouchons aujourd’hui sur un véritable paradoxe : poursuivre l’objectif politique d’une agriculture vivante, productive, présente sur les territoires, riche en actifs, économiquement viable et écologiquement intensive tout en évacuant quasi-systématiquement du débat public la question centrale des prix payés aux producteurs ! Or, cette question des prix c’est la question essentielle.
Le comble du comble est que l’Union européenne continue à jouer dans la cour des grandes puissances agricoles au niveau international, tout en poursuivant la liquidation de toutes les protections et de tous les outils politiques d’intervention sur les marchés et les prix alors que les autres puissances avec lesquelles nous jouons les conservent, voire les renforcent. Je pourrais notamment citer les États-Unis, le Canada et de multiples autres États qui ont fait d’autres choix que ceux de l’Union européenne. Il faut donc avoir le courage de dire stop et de ne pas vouloir être plus libéraux que les libéraux. C’est tout le problème du libéralisme, que je qualifierais de doctrinaire, dans l’Europe agricole au nom d’une concurrence libre et non faussée.
Aussi, tout en rappelant ces quelques éléments qui me paraissent de bon sens, j’aimerais qu’en abordant l’examen de ce texte nous puissions être les plus constructifs possible en nous centrant véritablement sur l’enjeu fondamental et déterminant des prix et sur les leviers d’action que nous pouvons immédiatement construire. Je suis bien évidemment pleinement conscient des critiques qui peuvent être faites quant aux dispositifs proposés, notamment au regard de leur comptabilité avec le droit communautaire ou, devrais-je dire, avec l’interprétation qui est faite du droit communautaire. Pour autant, ces critiques ne peuvent pas contraindre la Représentation nationale à scléroser sa réflexion et sa volonté d’action au prix d’un abandon en rase campagne de nos agriculteurs. C’est dans cet état d’esprit constructif et ouvert que je vais vous présenter les trois articles, qui font d’ailleurs l’objet d’amendements de ma part afin de mieux coller au cadre réglementaire.
L’article 1er propose d’instaurer une conférence annuelle sur les prix par production. Cela a déjà été proposé dans d’autres propositions de loi et notamment dans celle des Républicains dont nous avons discuté il y a peu de temps. Cela a été présenté hier sous une forme assez proche à la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin II) et je sais que sur ces questions-là, notamment sur la conférence annuelle sur les prix, il y a une frilosité. Il y a d’ailleurs eu des amendements rejetés hier en commission mais je pense qu’il faut une vérité politique que nous pouvons affirmer. C’est pour cette raison que je vous proposerai un amendement qui permet de limiter les risques juridiques par rapport au texte de loi que vous avez étudié. Je précise que cette conférence annuelle sur les prix des productions est demandée par l’ensemble de la profession agricole, par les organisations agricoles et par les organisations syndicales. Je crois que ce serait un message et un signe très forts de pouvoir adopter cet article.
L’article 2 est plus complexe et j’en reconnais moi-même l’immense difficulté de mise en application. Le coefficient multiplicateur a été mis en œuvre jusqu’en 1968 dans notre pays. Il était applicable et a été appliqué. Les obstacles ont été surmontés. Aujourd’hui, l’agriculture a évolué, l’agroalimentaire a pris une place plus grande et c’est pour cette raison qu’à la suite de ce que j’ai pu écouter, j’ai pris en compte les observations qui ont été faites et je vous présenterai un amendement limitant la mise en œuvre de ce coefficient multiplicateur, aujourd’hui inscrit dans la loi pour les fruits et légumes, aux viandes et au lait de vache, c’est-à-dire des secteurs de production qui en permettent une application plus facile. Je précise que cette solution est proposée en période de crise ou en prévision des crises, comme c’est le cas aujourd’hui pour les fruits et légumes.
L’article 3 a été aussi l’objet de critiques que je comprends puisqu’il s’appuie sur le constat largement relayé par les agriculteurs et le monde agricole : celui d’être les seuls agents économiques qui sont susceptibles de vendre leurs productions à perte. Avec cet article 3, je souhaite inscrire dans la loi une interdiction d’un achat à perte. Il est vrai que des obstacles ont été formulés, en ce qui concerne notamment la variation des prix d’une exploitation à l’autre et la difficulté à fixer ces prix. Cela m’a été dit hier en particulier par notre collègue Mme Brigitte Allain qui constate que, souvent, l’agriculteur est conduit à vendre à perte. Interdire cette vente à perte pourrait poser de graves problèmes en termes de pérennisation de certaines exploitations.
Pour conclure, je voudrais dire mon souhait d’avoir un débat ouvert. Je voudrais affirmer ma volonté que soit passées au crible ces propositions, de prendre en compte sans dogmatisme les appréciations critiques et aussi de vécu de ceux qui sont aussi des agriculteurs et qui, dans leur quotidien, sont très informés des difficultés de l’agriculture. Je voudrais aussi tenir compte les auditions que j’ai effectuées. J’ai pleinement conscience des pierres qui entravent le chemin et je ne citerai ni Alexandre Vialatte, ni Louis Aragon, ni Paul Eluard ou René Char, des poètes que j’apprécie particulièrement. Je citerai tout simplement Winston Churchill qui était aussi un homme de lettres et qui a reçu le prix Nobel de littérature et qui disait : « Parfois les hommes trébuchent sur la vérité mais la plupart d’entre eux se relèvent et s’enfuient comme si de rien n’était ». Ce que je veux vous dire par là c’est que vos différentes interventions, les critiques que vous pourriez émettre, les obstacles que vous pourrez faire remonter, je suis tout à fait ouvert à en tenir compte et à respecter les votes que vous pourrez émettre sur les différents articles que je soumets à votre approbation.
Mme la présidente Frédérique Massat. Merci Monsieur le rapporteur. Nous passons aux interventions des porte-parole des groupes.
Mme Sophie Errante. Merci Madame la présidente. Monsieur André Chassaigne, si nous partageons le fond, les constats et les attentes de nos producteurs agricoles, je vous dirai d’emblée que ce n’est pas forcément le bon véhicule législatif. Il m’apparaît que sur cette proposition de loi une lenteur est à craindre. Une fois que l’on sera passé à l’Assemblée nationale il faudra attendre que le Sénat retrouve une niche. Très sincèrement, vous avez participé à des auditions. Nous avons fait de même dans le cadre du projet de loi Sapin II. Il y a une urgence et une attente pour l’inscription de dispositions dans la loi mais il y a aussi une attente sur des mesures réglementaires ou sur des réorganisations de filière. Il s’agit plus aujourd’hui d’une co-construction d’un nouveau projet ou de rendre le projet actuel possible par rapport à des choix agricoles. On l’a entendu dans la filière lait qui nous a demandé de reprendre le contrôle et de choisir son mode de production. C’est dommage, vous n’étiez pas là cette nuit mais je pense que Madame Brigitte Allain et Madame Jeanine Dubié ont pu vous rapporter nos discussions de la nuit qui ont beaucoup porté sur les sujets que vous développez dans cette proposition de loi.
Sincèrement, nous n'avons pas tout réglé cette nuit, nous avons aussi beaucoup reporté à la séance publique et à un travail de co-construction avec le ministre de l’agriculture. Je ne vais pas rentrer dans le détail de toutes vos propositions, même si à chaque fois je pourrais vous donner des positions montrant les dangers ou les alertes qui pourraient être mis sur les calculs de prix. Il faut que l’on parvienne à trouver les bons curseurs et les bons critères pour éviter d’avoir des effets contradictoires avec une volonté de bien faire au départ. Par rapport à la position du groupe, je vous inviterais plutôt à venir travailler sur le projet de loi Sapin II qui porte des solutions qui ne passent pas que par la loi mais aussi par des dispositions réglementaires. Il me semble compliqué aujourd’hui de soutenir votre proposition de loi.
M. Antoine Herth. Merci Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, vous citez Winston Churchill et je trouve qu’à la première lecture votre proposition de loi a un goût des Mémoires d’outre-tombe de François-René de Chateaubriand, dans le sens où on a le sentiment que vous êtes nostalgique de cette époque où l’économie de marché n’était qu’un balbutiement et où finalement l’administration d’État dictait les niveaux de prix et de marges. Mais je suis rassuré en regardant les amendements que vous proposez. Vous vous convertissez sur le tard à l’économie de marché en reconnaissant que c’est une réalité à laquelle il convient de se confronter. Nous l’avons fait, cela vient d’être rappelé, longuement, hier après-midi et une grande partie de la nuit, à l’occasion de l’examen des amendements aux articles du projet de loi Sapin II sur lequel notre commission s'est saisie pour avis. Je crois que les réponses que nous avons tenté d'y apporter relèvent d’approches différentes de celles qui sont les vôtres dans votre proposition de loi. Cependant, j’y reconnais aussi l’inspiration d’une proposition de loi que j’ai moi-même défendue ici récemment et sur laquelle nous avons pu mesurer les mêmes limites.
Sur la question de l'organisation des filières il faut certes avancer dans le sens d’une plus grande concertation et d’un échange d’informations. Mais on ne peut pas, au regard des règles européennes et du marché intérieur européen, aller jusqu’à envisager une fixation de niveaux de prix. Je sais que la question du coefficient multiplicateur est un bruit de fond récurrent dans votre formation politique auquel vous tenez beaucoup, mais j’ai le regret de vous dire qu’il existe déjà, notamment pour les fruits et légumes, dans le droit français. La question est étroitement liée à celle des périodes de crise. C’est un sujet qui est en grande partie déjà traité.
Enfin, sur le dernier aspect, le seuil de revente à perte, nous en avons longuement discuté hier soir pour finalement écarter la plupart des évolutions législatives qui étaient proposées.
En définitive, je vois dans votre proposition de loi un appel du pied pour davantage participer à la discussion qui nous attend dans les jours et les semaines qui viennent dans l’hémicycle. Je vous invite, à ce moment-là, à exprimer vos requêtes et votre point de vue. En tous cas, notre groupe politique, cela ne sera pas une surprise pour vous, ne se reconnaît pas dans les approches avec lesquelles vous abordez ces questions. Il y a deux sujets qui me préoccupent. Comment faire en sorte que le marché intérieur européen fixe effectivement des règles sans distorsion de concurrence ? C’est un point essentiel sur lequel il faut avancer et vous n’apportez que peu d’éléments dans ce sens-là. Le deuxième sujet est de savoir comment améliorer les débouchés de proximité pour nos agriculteurs et je pense davantage à des conférences régionales qu’à un grand débat national sur ce point-là.
Mme Brigitte Allain. Merci Madame la présidente et merci au groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) de nous présenter cette proposition de loi qui nous permet, à nouveau, de nous exprimer sur les politiques agricoles, tant au sujet de la politique d’orientation en France que des politiques européennes. Inutile de vous le préciser, mais je rappelle, que 80 % de l’alimentation est produite par des paysans pour une alimentation locale mais que les prix sont fixés au niveau mondial. En fait, cette spéculation sur l’alimentation a été voulue. Elle entraîne à la fois la faillite des paysans et les famines, vous le rappelez dans l’exposé des motifs. Je veux rappeler que nous avons inscrit la souveraineté alimentaire dans la loi. Ces pratiques sont contraires à la souveraineté alimentaire qui, à l’opposé, devrait nous conduire à sortir l'agriculture des accords de libre-échange, qu’ils soient multilatéraux ou bilatéraux. On devrait revenir à une préférence communautaire dans la régulation des productions pour notre alimentation. De façon à bien rappeler que ce n'est pas un problème franco-français, je veux vous dire que j’ai passé quelques jours au Portugal en vacances et j’y ai lu la presse. Dans les journaux, les mêmes raisons à la chute des prix du lait sont expliquées aux producteurs et aux paysans. La chute des prix du lait est aussi une préoccupation au Portugal. On a organisé une concurrence intra-européenne contre laquelle il serait urgent de combattre.
Dans les propositions que vous faites vous dites qu'il serait important de porter un nouveau cadre d’intervention concernant la fixation des prix. Je réponds oui, mais au niveau européen. Personne n’imagine aujourd’hui que notre pays puisse se fixer seul des règles de prix de revient sans accord européen.
Lorsque vous parlez du coefficient multiplicateur, on ne peut être que d’accord sur l’esprit mais vous évoquez très peu le rôle des transformateurs par rapport à la transparence nécessaire. Sans accord sur le prix de revient par rapport à la base du prix d’achat, je pose aussi la question des produits invendus par rapport à cette interdiction de la vente à perte. Aussi, cette interdiction doit être limitée à des productions stratégiques et pour lesquelles, au niveau européen, elles seraient assorties d’une politique de stockage, de maîtrise de la production et de retrait exceptionnel.
Voilà ce qu’il serait indispensable de mettre en place. Évoquant des choses qui ont été dites hier soir, je me dis que l’on pourrait peut-être proposer une expérimentation sur le lait qui serait d’abord nationale puis élargie au niveau européen en retravaillant au niveau des régions sur la maîtrise des productions par rapport à la consommation. Effectivement, sur l'esprit, je dirais qu'il y a un accord sur ce texte mais, par rapport à l’Europe, je dirais qu'il y a un doute.
M. Thierry Benoit. Je veux tout d’abord saluer le travail parlementaire de Monsieur André Chassaigne et lui rendre hommage pour ce travail de fond, qui est fidèle à sa doctrine. À travers la lecture de l’exposé des motifs de la proposition de loi, on comprend que les auteurs dénoncent à la fois la dérégulation des marchés, l’ouverture des échanges mondiaux, le développement d’une agriculture agro-industrielle, la domination des distributeurs, et un cadre législatif et réglementaire au service de l’aval et de la grande distribution. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) partage certaines de ces préoccupations, mais estime que les propositions qui sont apportées par les trois articles de cette proposition de loi ne sont pas les bonnes. Nous ne partageons pas le choix des outils ou les messages véhiculés dans ces articles. Nous pensons que la globalisation des échanges s’impose à nous. En tant que porte-parole du groupe UDI, je tiens à rappeler que l’agriculture française serait dans une situation catastrophique sans la politique agricole commune de l’Union européenne. Dans un monde ouvert, où les échanges sont globaux, nous serions inexistants et nous courrions à notre perte.
Le modèle agricole que nous défendons – et cela a été le sens des préconisations de la mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage, travail de six mois mené avec Mme Annick le Loch et M. Damien Abad, dont les soixante propositions ont été adoptées à l’unanimité de la commission des affaires économiques – est le suivant : il s’agit de faire cohabiter en France différents modèles agricoles, qu’ils soient conventionnels, biologiques, à circuits courts ou agro-industriels. Il faut valoriser ces modèles par une montée en gamme pour répondre à une demande à l’export. Par ailleurs, sur le marché national, les relations commerciales doivent être rééquilibrées au profit des producteurs : je partage à cet égard la préoccupation du rapporteur André Chassaigne. Depuis quarante ans, la France a fait la part belle aux centrales d’achat et à la grande distribution. Je m’étonne que l’Autorité de la concurrence ne s’émeuve pas davantage qu’il n’y ait que quatre centrales d’achat en France. Cela a fait l’objet d’un amendement défendu cette nuit, dans les débats relatifs à la loi Sapin II. Je sais que Monsieur André Chassaigne est assidu aux travaux de la commission et de l’hémicycle sur les questions agricoles ou agroalimentaires, et je pense qu’il pourrait utiliser le texte de loi Sapin II pour porter les messages et faire aboutir les problématiques exposées dans sa proposition de loi.
En ce qui concerne l’organisation d’une conférence annuelle de négociation interprofessionnelle, j’ai été attentif à ce qu’a dit M. Dominique Potier, rapporteur pour avis du projet de loi Sapin II, lors des discussions de la nuit dernière. Je l’ai senti sincère dans ses réponses, et animé de la volonté de faire aboutir la cause au service des agriculteurs et de l’agriculture française. Une conférence annuelle interprofessionnelle qui viserait à s’entendre sur les prix – et non pas uniquement sur la stratégie de filière partagée par l’amont et l’aval au sujet du diagnostic et des enjeux – n’est pas viable au niveau du droit européen. C’est ce que les acteurs des filières ont cherché à faire cet été, en fixant un prix politique pour le lait de 340 euros la tonne et un prix politique pour le porc de 1,40 euro le kilo. Quelques semaines plus tard, il a été reproché au ministre d’avoir décrété un prix qui ne pouvait tenir. Le prix ne peut pas être politique, ni fixé dans un ministère rue de Varenne.
Pour ces raisons, je mets l’auteur de la proposition de loi en alerte au sujet de l’article 1er. Au sujet de l’article 2, relatif au coefficient multiplicateur, et comme Monsieur Antoine Herth l’évoquait tout à l’heure, cela rejoint les débats que nous avons eus cette nuit, sur la connexion entre les coûts de production, la marge des éleveurs, et les prix à la vente. Il s’agit de connecter le prix de la production des produits agricoles au prix payé par les consommateurs. L’article 3 demande lui aussi une connexion réelle entre l’amont et l’aval de la filière. Voilà les messages que je souhaitais délivrer au rapporteur. Il s’agit d’abord d’un message d’encouragement et de respect pour le travail réalisé. Mais il s’agit aussi de l’affirmation que cela est contraire à notre vision de l’agriculture et de la filière agroalimentaire en France et en Europe, qui, selon nous, s’appuie sur deux leviers : le marché national – structuration de la filière, rééquilibrage des relations commerciales au profit de l’amont – et le marché à l’export – montée en gamme pour que le marché à l’export tire la production.
M. Germinal Peiro. Je voudrais dire à notre ami et collègue André Chassaigne que je partage intégralement l’exposé des motifs de la proposition de loi qu’il soutient aujourd’hui. Je veux témoigner des difficultés des agriculteurs actuellement, en termes de moral mais aussi d’atteinte à leur dignité, comme Monsieur André Chassaigne l’a indiqué : beaucoup n’arrivent plus à joindre les deux bouts, notamment dans le domaine de l’élevage. Ceci est paradoxal, car, dans le même temps, on reproche souvent à ces mêmes personnes de recevoir des aides publiques extrêmement conséquentes. Le secteur de l’agriculture est en effet un des secteurs les plus soutenus, dans notre pays, par les aides européennes, qui représentent 9 milliards d’euros par an pour la France, dont 100 millions d’euros pour mon département, la Dordogne. Il existe donc un vrai paradoxe entre le fait que l’on emploie beaucoup d’argent public, au niveau européen mais aussi au niveau des régions et des départements, pour soutenir cette activité, qui, dans le même temps, souffre énormément sur le plan économique, au point qu’un quart des exploitations ont disparu en dix ans.
Quelles solutions ? Depuis plus de dix ans, en tant que secrétaire national du parti socialiste en charge de l’agriculture, j’ai plaidé pour la relocalisation, au niveau mondial – comme le disait Monsieur Jacques Diouf, directeur général de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il faut produire là où les gens ont faim – mais aussi au niveau local. Alors que tout le monde riait il y a dix ans, tout le monde y est aujourd’hui venu. Mais la relocalisation ne consiste pas uniquement à vendre trois salades produites au fond du jardin sur le marché. La relocalisation implique que les collectivités exercent une volonté politique pour s’approvisionner localement. Elle implique aussi que les usines agroalimentaires, qui sont très puissantes, travaillent avec de l’approvisionnement local. Il y a une semaine, je visitais une biscuiterie de Dordogne qui utilise chaque jour 40 000 litres de lait, 20 tonnes de beurre et 5 tonnes d’œufs. Aujourd’hui, elle s’attache à faire en sorte qu’une partie de cet approvisionnement journalier soit local. Par ailleurs, je veux dire qu’en dehors de la volonté politique des collectivités, il faut améliorer les stratégies de filière, pour que les producteurs puissent peser dans les négociations. Aujourd’hui, ils n’ont pas la main.
M. Thierry Benoît. Il faut qu’ils puissent reprendre la main.
M. Germinal Peiro. Les producteurs agricoles sont les seuls qui, devant les commerçants, ne sont pas en mesure de fixer leurs prix. Enfin, comment ne pas voir une solution européenne ? Soit l’Europe finit d’abandonner les outils de régulation qu’elle avait mis en place, et alors nous serons livrés au marché mondial avec toutes les conséquences que nous voyons aujourd’hui – disparition des exploitations et industrialisation forcée de l’agriculture – soit l’Europe décide de se défendre, comme elle peut le faire à partir des appellations d’origine, de la défense de la qualité, de la défense des règles sanitaires et de la défense des règles environnementales. L’Europe a les moyens de mettre des outils en place pour protéger l’agriculture européenne et gérer la crise. Monsieur André Chassaigne le sait, je suis d’accord avec son exposé des motifs, mais je suis persuadé, comme les collègues qui se sont exprimés, que les outils qu’il propose ne sont pas opérants aujourd’hui.
M. Dominique Potier. En tout état de cause, je veux dire, comme Monsieur Germinal Peiro, que nous saluons l’exposé des motifs et partageons très largement l’analyse. Ici et là, une vision de l’agriculture industrielle dans sa pluralité pourrait être discutée mais ne chipotons pas et admettons que, globalement, la crise nous a fait prendre conscience de la disproportion des rapports de force et du besoin de sortir des rapports léonins qui écrasent aujourd’hui l’acte de production. Je me range toutefois parfaitement dans la ligne de Madame Brigitte Allain : cet accord ne vaut qu’à l’échelle européenne, et encore, il supposerait des accords internationaux qui soient eux-mêmes régulateurs, et non dans l’esprit du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) en préparation, qui met en place une dérégulation internationale. Nous avons eu le temps d’évoquer hier ce qui peut apparaître comme de fausses bonnes idées, ou un enfer pavé de bonnes intentions. En effet, des prix affichés qui deviendraient un élément indiscutable de construction des prix, peuvent se retourner contre le transformateur ou contre le producteur dans le sens où le distributeur lui-même, dans un marché ouvert, se servira de ce point d’appui pour aller chercher des produits low cost fabriqués ailleurs. Il nous faut donc progresser avec un maximum de finesse. Un certain nombre de vos propositions, notamment celle relative à la conférence interprofessionnelle, pourraient être reprises, à condition que nous bordions le risque de dénonciation d’une entente qui coûterait cher à tous les opérateurs impliqués dans cette affaire, ce qui n’était le cas ni dans les discussions d’hier, ni dans vos propositions d’aujourd’hui. Il faut en sortir par le haut. Le débat d’hier a permis de lancer quelques pistes, et je suis sûr que nous aurons des réponses importantes en séance. Il en va de même pour la gestion future des contrats de production. Je ne peux, en définitive, et comme mes collègues, que vous inviter à rentrer dans le dialogue du projet de loi Sapin II, formidable opportunité qu’a saisie le ministre de l’agriculture pour nous permettre de débattre et d’apporter, non pas le grand soir de la loi de modernisation de l’économie, mais de petits éléments de construction de rapports de force plus équitables, plus justes, et qui défendent les biens communs et la dignité de nos producteurs.
M. Lionel Tardy. Cette proposition de loi emporte des solutions typiquement de gauche. Nous ne sommes plus dans la régulation des prix, mais dans leur fixation, principe d’une économie administrée. Ce n’est pas souhaitable. Toutefois, la situation des agriculteurs français appelle des réponses. Nous ne pouvons pas enlever au groupe GDR le mérite d’en proposer. Lors de la niche parlementaire de notre groupe, en février dernier, nous avions également proposé de renforcer la compétitivité de notre agriculture – avec un angle plus réaliste que la proposition à l’étude. Le Gouvernement nous a opposé une fin de non-recevoir, et a proposé, tardivement, quelques mesures dans le projet de loi Sapin II, examiné hier soir dans notre commission. Mais quand on observe que l’Agence des services et de paiement a plus d’un an de retard dans les versements des aides européennes, nous voyons bien que le dossier agricole n’est pas prêt d’être refermé.
Mme la présidente Frédérique Massat. Tous les groupes se sont exprimés. Le Gouvernement sera quant à lui présent en séance. Je cède la parole au rapporteur pour qu’il présente ses amendements.
M. André Chassaigne, rapporteur. Je voudrais faire passer quelques messages. Tout d’abord, chacun sait comment fonctionnent les propositions de loi, notamment celles qui sont examinées lors des niches parlementaires : dans un cadre si limité, elles ne peuvent être que très compactes, et n’abordent les questions que de façon partielle – ce qui conditionne leur pertinence à des réformes plus larges, en l’occurrence de la politique agricole. C’est la difficulté d’un groupe parlementaire comme le mien, qui ne dispose que d’une journée de niche par an, et qui doit utiliser ce format pour présenter quatre propositions de loi.
En outre, parmi ces propositions de loi soumises au format de la niche, certaines peuvent effectivement aboutir. Cela a été le cas, l’année dernière, de la proposition de loi relative à l’entretien et au renouvellement du réseau des lignes téléphoniques, à l’unanimité des députés en commission comme en séance. Mais d’autres propositions de loi – comme en l’espèce – ont plutôt pour objet de faire émerger des débats, et de poser des questions de fond. À ce titre, je serai bien présent lors des débats du projet de loi Sapin II en séance, et je ne manquerai pas de décliner, dans mes interventions et sous forme d’amendements, mes propositions.
Sur la question européenne, je suis conscient de l’exigence de « l’eurocompatibilité ». Dans les propositions que nous pouvons porter, nous sommes alors le nez contre la vitre, que nous découvrons incassable. Mais toute l’histoire de notre activité parlementaire montre que nous avons pu faire bouger des lignes, même lorsque certains bancs de l’Assemblée vouaient aux gémonies l’absence d’« eurocompatibilité » de nos propositions. Je rappelle qu’il y a quelques années, nos débats ont fait émerger la volonté de faire adopter, dans la loi française, un coefficient multiplicateur sur les fruits et légumes. Il nous a été rétorqué que cela était impossible. Nous l’avons tout de même voté ! Même s’il n’a jamais été mis en œuvre, il fonctionne comme une épée de Damoclès : les fruits et légumes n’ont ainsi pas connu la situation catastrophique de certaines années passées.
Quand on étudie le rapport 2016 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires sur l’exercice 2015, on voit que les fruits et légumes n’ont pas connu la situation catastrophique qui a été vécue au cours des années précédentes. On voit par-là que, quelquefois, un outil qu’on inscrit dans la loi en prévision de crises, ou comme une menace par rapport à ceux qui liquident le devenir de certains producteurs, a sa valeur. Nous avons réussi à l’inscrire, même s’il n’a jamais été actionné. J’ai bien conscience que le coefficient multiplicateur peut présenter des difficultés d’application, y compris sur des produits comme le lait, lorsque l’on voit qu’il y a les laits de grande consommation, les laits transformés en yaourt ou en fromage, d’autres transformés en poudre, d’autres qui partent sur le marché mondial, notamment dans le cadre de nos relations commerciales avec la Chine. Pour autant, je suis persuadé que l’étendre à la viande et au lait pourrait être un levier pouvant être actionné en cas de crise grave ou en perspective d’une crise grave. Je sais bien que ce n’est pas la solution miracle : vos interventions ont montré que les leviers d’action sont multiples et qu’un seul ne peut résoudre les problèmes structurels de notre agriculture.
Ensuite, quel doit être notre positionnement vis-à-vis de l’Europe ? Madame Brigitte Allain a donné le bel exemple du Portugal. Est-ce qu’on considère que les choix de l’ultralibéralisme et de l’hypercompétitivité en matière agricole sont gravés dans le marbre et qu’on n’y changera rien ? Dans de nombreux pays européens monte pourtant cette exigence d’organiser l’agriculture différemment ! Il y a quelques années, nous avions constitué des binômes de députés, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition, et fait le tour des capitales européennes pour expliquer quelle était notre conception de l’agriculture, et que l’intérêt des agriculteurs français pour maintenir des paysans sur les territoires pouvait être convergent, à moyen terme, avec celui d’agriculteurs d’autres pays européens, qui font aujourd’hui le choix de l’ultralibéralisme. Cela signifie qu’il faut une volonté politique forte : si des pays ne cherchent pas à faire bouger les lignes, les lignes ne bougeront pas au niveau européen. Plus récemment, lors du débat que nous avons eu sur l’étiquetage lors de l’examen de la loi relative à la consommation, les premières réponses que nous avions eues consistaient à dire que l’Europe ferait un blocage complet et que nous ne parviendrions jamais à l’obtenir au niveau européen. Or, grâce à notre volonté politique, l’étiquetage a évolué sur l’ensemble des viandes, et un décret qui permettrait de rendre obligatoire l’étiquetage de la viande transformée doit être publié en France. Dans l’état actuel des choix politiques de l’Europe, même si nous prenons, en France, la décision d’instituer l’étiquetage des viandes transformées, cela ne veut pas dire que ce choix sera fait rapidement au niveau européen, mais nous aurons, du moins, commencé à faire grandir l’exigence de traçabilité sur les produits alimentaires.
La proposition que je porte ne s’inscrit pas dans une posture de repli sur soi ou de sortie de la politique agricole européenne. Je suis pour une politique agricole européenne, mais je pense qu’il faut faire évoluer ses orientations fondamentales. Pour ce faire, il faut que des pays commencent à bouger, même si cela peut apparaître comme de l’affichage dans un premier temps. Cela revient à dire, politiquement, qu’on peut rassembler les agriculteurs de l’Union européenne. Je suis d’ailleurs convaincu que si on ne réagit pas, si on se laisse aller dans cette espèce de flot du libéralisme, qui devrait de lui-même, Monsieur Antoine Herth, réguler la production agricole, ce sera la catastrophe : des territoires entiers vont mourir. En conséquence, j’assume le caractère idéologique de certaines de mes propositions. Ce n’est pas pour autant que je suis un défenseur acharné de l’agriculture administrée, mais je pense que dans l’agriculture, il faut plus d’administration, et donc de régulation. On ne peut pas dire que la question des prix et de la régulation est primordiale et dire ensuite qu’il faut aller vers le libéralisme et dire que la recherche de régulations c’est de l’agriculture soviétique. Il faut apporter des réponses, même imparfaites. Celles que je propose sont même tellement imparfaites que je porte des amendements qui en réduisent la portée, parce que j’ai pris en compte des observations faites lors des auditions et par les 140 agriculteurs avec lesquels j’ai organisé trois rencontres à la ferme. Mes amendements en découlent. Certains collègues ici ont un vécu d’agriculteur et de paysan. Ceux-là ont un regard pratique qui leur permet de voir les problèmes que des propositions risquent d’avoir pour les producteurs. J’ai eu suffisamment de démons de la vérité qui m’ont hanté pendant des années pour dire, aujourd’hui, qu’on peut co-construire des choses et essayer d’apporter des réponses réfléchies et partagées sans s’enfermer derrière des digues qui consisteraient à dire que certains détiennent la vérité suprême et que d’autres ne voient dans ces idées que des relents d’une période aujourd’hui révolue.
Bien évidemment, je porterai cette proposition de loi dans le cadre de la niche, ne serait-ce que pour le débat qu’elle va engendrer avec le ministre de l’agriculture, et j’interviendrai sur la loi Sapin II en déclinant par voie d’amendements, avec la détermination que vous me connaissez, les propositions modifiées que je vais vous présenter.
Mme la présidente Frédérique Massat. Je pense qu’il y en a certaines sur lesquelles nous allons travailler collectivement et pour lesquelles nous pourrons nous retrouver. Cela a été débattu hier soir.
La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
La commission examine l’amendement CE1 du rapporteur.
M. André Chassaigne, rapporteur. Vous avez d’abord un amendement sur l’article 1er, qui intègre justement le fait qu’il faut une forme de protection juridique et qu’il ne faut pas exposer les filières à des risques juridiques concernant d’éventuelles ententes anti-concurrentielles sur les prix. C’est-à-dire que je supprime de l’article 1er l’objectif de fixer un niveau plancher de prix d’achat parce que, dans le cadre de l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui en plein libéralisme, ce ne serait pas raisonnable. D’où la nouvelle écriture que je propose. Mais je pense que cette nouvelle écriture se télescope avec des amendements qui ont été présentés et rejetés hier et qu’il y a un travail collectif qui est en cours auquel je veux bien m’associer. Mais, pour autant, vous comprendrez que je soumets quand même à votre sagacité cet amendement qui a tenu compte des différentes auditions et des observations qui m’ont été faites.
Mme la présidente Frédérique Massat. Merci Monsieur le rapporteur. Effectivement nous allons soumettre cet amendement au vote des parlementaires sachant, comme vous l’avez très bien rappelé, que le débat va être porté dans l’hémicycle début juin puisque le travail qui a été mené hier par un certain nombre de députés au sein de cette commission, autour du rapporteur Dominique Potier, sur ce sujet, comme sur les autres que vous abordez dans votre texte, sera poursuivi collectivement et bien sûr vous êtes convié.
La commission rejette l’amendement et l’article.
La commission examine l’amendement CE2 du rapporteur.
M. André Chassaigne, rapporteur. L’objet de cet amendement est d’élargir le coefficient multiplicateur uniquement aux viandes et au lait de vache. Là aussi, je prends en compte les échanges que j’ai eus, les auditions que j’ai organisées et je prends en compte les difficultés de mise en œuvre. Je pense qu’en séance il pourrait être intéressant d’ailleurs de revenir sur l’idée qui a été avancée par Madame Brigitte Alain à un niveau expérimental. Je lui laisserai sans doute le soin, si elle le souhaite, de déposer un amendement là-dessus mais ce serait un retrait par rapport à la proposition de loi telle qu’elle vous avait été soumise, puisqu’initialement c’était l’ensemble des produits agricoles et alimentaires.
Mme Michèle Bonneton. Je ne comprends pas très bien. Dans votre amendement, Monsieur le rapporteur, il y a donc au premier alinéa les mots : « des fruits et légumes périssables, des viandes et des laits de vache » mais tout ceci est remplacé par les mots : « productions agricoles et alimentaires ». Avez-vous supprimé cela ?
M. André Chassaigne, rapporteur. Je rédige l’alinéa 2 en supprimant les mots : « productions agricoles » et en remplaçant ces mots par : « les viandes et laits d’élevage ». J’en réduis la portée.
La commission rejette l’amendement et l’article.
La commission examine l’amendement CE3 du rapporteur.
M. André Chassaigne, rapporteur. Il s’agit d’ajouter après le mot : « opérateur », le mot : « professionnel ». C’est le seul amendement que je soumets sur cet article. Il ne s’agit pas d’exposer les consommateurs aux sanctions. Il convient de préciser que ce sont les opérateurs professionnels qui sont concernés par cette interdiction. Ce faisant, seuls les revendeurs seront concernés. Je le maintiens. Bien évidemment, on peut avoir un travail d’évolution avant le passage en séance publique tout en ayant conscience des problèmes que peut poser l’application de cet article.
Mme Brigitte Allain. Effectivement, Monsieur André Chassaigne, je vous ai dit hier soir les inquiétudes que j’ai exprimées tout à l’heure lors de mon intervention. Elles concernent le fait que lorsqu’on veut mettre en place cette interdiction de vente à perte il faut avoir prévu le cas où, précisément, les acheteurs proposent un prix et ne se mettent pas d’accord avec le vendeur. La loi interdirait à des agriculteurs de vendre à ce prix parce que ce serait une vente à perte. Cela entraînerait une mévente totale alors qu’il n’y a aucune mesure de retrait qui est mise en place. On sait aussi la perversité à laquelle ont pu aboutir les mesures de retrait quand il n’y a pas de réelle maîtrise. Je rappelle qu’en viticulture, il y a une vingtaine d’années, un certain nombre de viticulteurs produisaient pour le retrait. C’est vrai que c’est extrêmement compliqué et qu’il faut être très prudent avec ces mesures.
M. André Chassaigne, rapporteur. J’en tiendrai compte évidemment pour la présentation du texte en séance publique. Je comprends tout à fait les observations qui sont formulées par Madame Brigitte Allain sur ce point-là.
La commission rejette l’amendement et l’article.
Mme la présidente Frédérique Massat. Les articles n’étant pas adoptés nous n’avons pas à passer au vote de la proposition de loi, qui est donc rejetée par la commission. Je vous remercie Monsieur le rapporteur. Effectivement, nous nous retrouverons la semaine prochaine en séance. Un travail doit continuer sur ces thématiques notamment eu égard aux travaux que nous avons menés hier.
Article 1er
(article L. 632-2-2 (nouveau) du code rural et de la pêche maritime)
Conférence annuelle sur les prix par production agricole
En application de l’article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, des interprofessions agricoles par produit ou groupe de produits peuvent être reconnues par l’autorité administrative. Elles regroupent des représentants des productions agricoles et, selon les cas, des représentants de la transformation, de la commercialisation et de la distribution. Elles ont pour mission, entre autres, de favoriser l’adaptation et la gestion des marchés, de développer les démarches contractuelles et de développer le potentiel économique d’un secteur. En cela, elles sont responsables, sur la base du volontariat, de la mise en place de stratégies de filières. En application de l’article L. 632-2-1 du même code, elles peuvent aujourd’hui prévoir des accords interprofessionnels mettant en place des contrats types, prévoir les modalités de suivi de l’exécution des contrats, « élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés concernés, ainsi que tout élément de nature à éclairer la situation de la filière ». Un accord conclu dans le cadre d’une organisation interprofessionnelle reconnue peut devenir un accord étendu lorsque, à la demande de l’interprofession, il est rendu obligatoire par arrêté interministériel à l’ensemble des membres des professions couvertes par le champ de l’interprofession.
2. Le dispositif de l’article 1er
Cet article crée un nouvel article L. 632-2-2 au sein de la section 1 du chapitre II du code rural et de la pêche maritime consacrée aux organisations professionnelles agricoles.
Les alinéas 2 et 3 instaurent l’organisation annuelle d’une conférence sur les prix pour chaque production agricole. Chaque conférence aboutit à une négociation sur les prix destinée à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs. À défaut de pouvoir établir un prix d’achat national, il sera tenu compte des coûts de production et des revenus agricoles par bassin de production. Cette modalité est reprise à l’alinéa 5.
L’alinéa 4 donne à la conférence sur les prix la possibilité de déterminer les indices publics de prix mentionnés à l’article L. 441-8 du code de commerce, qui prévoitune clause de renégociation du prix pour les contrats dont la durée d’exécution excède trois mois et dont les prix à la production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières et agricoles. Cet article, créé par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, précise que des accords interprofessionnels ainsi que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires peuvent proposer ces indices publics.
L’alinéa 6 confie à deux établissements publics de l’État, l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer la mise en application et le respect du prix plancher.
3. L’avis de votre rapporteur
Les profonds déséquilibres existants entre les acteurs du monde agricole nécessitent un renforcement des relations au sein même des filières. Cela passe notamment par une meilleure représentation et des rapports de force plus favorables aux producteurs au sein des interprofessions. Sur la base du constat partagé de l’inégale répartition de la valeur ajoutée sur l’ensemble de la chaîne du producteur au consommateur, il apparaît indispensable de renforcer les cadres et les moyens de la négociation collective. De même, la forte volatilité des prix agricoles accentuée par les mesures de libéralisation des échanges et l’ouverture des marchés doit être mieux appréhendée.
Cet article s’appuie donc sur le besoin de renforcer le rôle des interprofessions, qui sont à même de réunir tous les acteurs d’une filière et, de ce fait, de construire une vision d’ensemble et partagée pour assurer la pérennité des productions et des exploitations agricoles.
La détermination d’un prix plancher d’achat pourrait préserver les producteurs d’une spirale baissière affectant les prix de leurs productions et assurer, par référence aux coûts de production et aux revenus dégagés, des marges garantissant leur survie.
Bien entendu cette proposition d’avancée en faveur d’un renforcement du rôle des interprofessions doit être mise en parallèle des pressions répétées de la Commission européenne, arc-boutée sur sa doctrine d’une concurrence libre et non-faussée, pourtant totalement inefficace pour assurer l’avenir de l’agriculture communautaire, la souveraineté et la sécurité alimentaire de 500 millions d’européens. Ainsi, votre rapporteur est bien entendu attentif aux procédures lancées par la Commission, comme au début de l’année 2016, où une enquête vient d’être diligentée sur des « comportements anticoncurrentiels allégués » en France, à la suite de tables rondes organisées par les pouvoirs publics. L’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit « tous accords entre entreprises […] qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres ». Cet article interdit notamment de « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction », ou encore de « limiter ou [de] contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ». C’est donc en prenant en compte la nécessité de ne pas exposer les filières à des risques juridiques concernant d’éventuelles ententes anti-concurrentielles sur les prix que votre rapporteur vous proposera un amendement de rédaction globale de cet article, transformant la conférence sur les prix destinée à « fixer un niveau plancher de prix d’achat » en conférence de filière.
4. La position de votre commission
La commission a rejeté l’article 1er.
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Article 2
(article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime)
Extension du coefficient multiplicateur aux produits agricoles et alimentaires
1. L’état du droit
La loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a créé un article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit qu’« un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des fruits et légumes périssables peut être instauré en période de crises conjoncturelles ». Ces périodes de crises se produisent « lorsque le prix de cession de ces produits par les producteurs ou leurs groupements reconnus est anormalement bas » (article L. 611-4 du même code).
Il revient aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture, après consultation des organisations professionnelles agricoles, de déclencher ce mécanisme et de fixer le taux et la durée (qui ne peut excéder trois mois) du coefficient multiplicateur ainsi que de désigner les produits concernés. La partie réglementaire dudit code (article R. 616-1) prévoit que ce coefficient ne peut être inférieur à 1.
2. Le dispositif de l’article 2
En ses alinéas 1 à 4, cet article modifie l’article L. 611-4-2 précité pour étendre le mécanisme du coefficient multiplicateur à tous les produits agricoles et alimentaires. Ce mécanisme serait permanent et non plus facultatif ni limité à trois mois.
L’alinéa 4 étend l’obligation de consultation aux syndicats agricoles.
L’alinéa 5 reprend à l’identique l’alinéa en vigueur qui renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer les modalités d’application de cet article ainsi que les sanctions applicables en cas de méconnaissance de ses dispositions.
3. L’avis de votre rapporteur
Le coefficient multiplicateur avait été mis en place à la Libération afin de protéger les paysans et les consommateurs des pratiques abusives des intermédiaires, notamment en matière de marges, et cela dans une optique de souveraineté alimentaire de la Nation. Les objectifs étaient alors de permettre la satisfaction des besoins des Français par une maîtrise publique et d’empêcher les spéculateurs de déstabiliser les prix et de déclencher des crises, comme cela fut le cas dans les années 1930. C’est suite à la demande des représentants de la grande distribution que le coefficient multiplicateur instauré à la Libération a été supprimé en 1986. Il a été réintroduit en 2005 mais ne concerne que les fruits et légumes périssables.
Les objectifs visant à assurer un meilleur prix aux consommateurs et à assurer un revenu décent aux agriculteurs ne peuvent être atteints qu’en établissant un lien mathématique entre prix d’achat et prix de vente d’un produit. Ce coefficient doit permettre d’établir la transparence et la justice dans la répartition de la valeur ajoutée créée tout au long de la chaîne alimentaire, qui comporte de nombreux intermédiaires. Si, depuis l’instauration de ce dispositif, son activation a été évoquée à plusieurs reprises, jamais cette démarche n’a été concrétisée faute de volontarisme des ministres concernés. Aujourd’hui, les prix agricoles, notamment les produits laitiers et les viandes, sont au plus bas et correspondent à une période de crise conjoncturelle telle que définie à l’article L.611-4 du code rural et de la pêche maritime.
Si le coefficient multiplicateur était utilisé, il constituerait un outil très efficace pour éviter les situations dans lesquelles les producteurs sont obligés de travailler à perte. Ce mécanisme ne nie pas l’inflation des prix des productions agricoles, qui obéissent à des facteurs économiques et climatiques mais il contient l’inflation pour les consommateurs.
Votre rapporteur vous proposera un amendement à l’alinéa 2 étendant le coefficient multiplicateur non pas à tous les produits agricoles et alimentaires mais aux viandes et au lait de vache.
4. La position de votre commission
La commission a rejeté l’article 2.
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Article 3
(article L. 442-2-1 (nouveau) du code rural et de la pêche maritime)
Interdiction de l’achat de produits agricoles en dessous de leur prix de revient
1. L’état du droit
La revente à perte est interdite depuis la loi dite « Galland » n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales. Elle est aujourd’hui définie par l’article L. 442-2 du code de commerce qui prévoit que : « Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est puni de 75 000 euros d’amende. (…) Le prix d’achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport ». Le prix d’achat à perte détermine le seuil de revente à perte. La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie précitée a permis aux distributeurs de réintégrer dans le calcul de ce seuil l’ensemble des avantages consentis aux fournisseurs en matière de vente.
La revente à perte est une pratique restrictive de concurrence qui s’applique dans le commerce lorsqu’il y a identité (« en l’état », c’est-à-dire non transformés) entre le produit acheté et produit vendu par un commerçant. Le délit de revente à perte suppose qu’il y ait eu préalablement une opération d’achat pour revendre. En application de l’article L. 442-4 du même code, cette interdiction ne s’applique pas : « 5° Aux produits alimentaires commercialisés dans un magasin d’une surface de vente de moins de 300 mètres carrés » et « 6° À condition que l’offre de prix réduit ne fasse l’objet d’une quelconque publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente, aux produits périssables à partir du moment où ils sont menacés d’altération rapide ». La possibilité d’une revente à perte pour les produits agricoles est donc soumise à ces deux exceptions. Le caractère périssable des produits agricoles ne permet de « brader » les produits que si la nécessité s’en fait sentir.
2. Le dispositif de l’article 3
Cet article crée un article L. 442-2-1 après l’article L. 442-2 du code de commerce consacré à la revente à perte.
Il reprend l’esprit de l’interdiction de la revente à perte en l’adaptant aux produits agricoles vendus « en l’état » c’est-à-dire non transformés ni modifiés.
La principale différence par rapport au droit applicable aux autres biens de commerce est que l’interdiction ne concerne pas la revente mais l’achat. L’article créé cible l’interdiction non sur le producteur mais sur l’acheteur, afin de ne pas exposer les producteurs agricoles aux sanctions (75 000 € d’amende).
Ce n’est donc pas la revente à perte de produits agricoles qui est visée mais l’achat à un prix inférieur au prix de revient du producteur.
3. L’avis de votre rapporteur
La revente à perte est incompatible avec l’instauration d’une concurrence saine et loyale et elle est en général sans avantage réel pour les consommateurs dès lors que la perte supposée sur certains articles est le plus souvent compensée par le bénéfice réalisé sur d’autres. Cet article concerne en priorité la vente, par un producteur, d’un produit agricole. Ce sera en revanche aux producteurs de déterminer le prix de revient effectif et de le communiquer.
Afin de ne pas exposer aux sanctions les consommateurs, il convient de préciser que ce sont les opérateurs professionnels qui sont concernés par cette interdiction. Ce faisant, seuls les revendeurs seront concernés. C’est l’objet d’un amendement que vous proposera votre rapporteur.
4. La position de votre commission
Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
PROPOSITION DE LOI VISANT À GARANTIR LE REVENU DES AGRICULTEURS |
PROPOSITION DE LOI VISANT À GARANTIR LE REVENU DES AGRICULTEURS | |
Article 1er |
Article 1er | |
Code rural et de la pêche maritime Livre VI : Production et marchés Titre III : Contrats et accords interprofessionnels portant sur des produits agricoles ou alimentaires Chapitre II : Les organisations interprofessionnelles agricoles Section 1 : Dispositions générales |
Supprimé | |
Art. L. 632-2-1. – Les organisations interprofessionnelles reconnues peuvent être consultées sur les orientations et les mesures des politiques de filière les concernant. Elles peuvent définir, dans le cadre d'accords interprofessionnels, des contrats types, dont elles peuvent demander l'extension à l'autorité administrative, intégrant des clauses types relatives aux modalités de détermination des prix, aux calendriers de livraison, aux durées de contrat, au principe de prix plancher, aux modalités de révision des conditions de vente en situation de fortes variations des cours des matières premières agricoles, ainsi qu'à des mesures de régulation des volumes dans le but d'adapter l'offre à la demande. Elles peuvent également, dans le cadre de ces accords, prévoir les modalités de suivi des contrats exécutés en application des contrats types et établir des guides de bonnes pratiques contractuelles qui ne peuvent pas faire l'objet d'une extension. Les deux premiers alinéas de l'article L. 441-8 du code de commerce sont applicables à ces contrats types. Les quatre premiers alinéas de ce même article sont applicables aux contrats conclus en application de ces contrats types. Afin d'améliorer la connaissance des marchés, les organisations interprofessionnelles peuvent élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés concernés, ainsi que tout élément de nature à éclairer la situation de la filière. Elles peuvent, dans le cadre d'accords interprofessionnels qui ne peuvent pas faire l'objet d'une extension, imposer à leurs membres l'étiquetage de l'indication du pays d'origine des produits agricoles, alimentaires ou produits de la mer, bruts ou transformés. |
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Article 2 |
Article 2 | |
Livre VI : Production et marchés Titre Ier : Dispositions générales. Chapitre Ier : Organisation générale de la production et des marchés |
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Supprimé |
Art. L. 611-4-2. – Un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des fruits et légumes périssables peut être instauré en période de crises conjoncturelles définies à l'article L. 611-4 ou en prévision de celles-ci. Ce coefficient multiplicateur est supérieur lorsqu'il y a vente assistée. |
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Les ministres chargés de l'économie et de l'agriculture fixent le taux du coefficient multiplicateur, sa durée d'application, dans une limite qui ne peut excéder trois mois, et les produits visés après consultation des organisations professionnelles agricoles. |
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Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article et les sanctions applicables en cas de méconnaissance de ses dispositions. |
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Article 3 |
Article 3 | |
Code de commerce LIVRE IV : De la liberté des prix et de la concurrence. TITRE IV : De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d'autres pratiques prohibées. Chapitre II : Des pratiques restrictives de concurrence. |
Supprimé | |
Art. L. 442-2. – Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif est puni de 75 000 euros d'amende. Cette amende peut être portée à la moitié des dépenses de publicité dans le cas où une annonce publicitaire, quel qu'en soit le support, fait état d'un prix inférieur au prix d'achat effectif. La cessation de l'annonce publicitaire peut être ordonnée dans les conditions prévues à l'article L. 121-3 du code de la consommation. Le prix d'achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat, minoré du montant de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport. Le prix d'achat effectif tel que défini au deuxième alinéa est affecté d'un coefficient de 0, 9 pour le grossiste qui distribue des produits ou services exclusivement à des professionnels qui lui sont indépendants et qui exercent une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de services final. Est indépendante au sens de la phrase précédente toute entreprise libre de déterminer sa politique commerciale et dépourvue de lien capitalistique ou d'affiliation avec le grossiste. |
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires
M. Philippe Chalmin, président
Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL)
M. André Bonnard, secrétaire général
Mlle Solenne Levron, conseillère aux affaires juridiques
Interprofession nationale bovine - INTERBEV
M. Maurice HUET, éleveur ovin, président d’INTERBEV Ovins
Mme Marine Colli, responsable du service enjeux publics d’INTERBEV
Groupe coopératif Limagrain
M. Jean-Yves Foucault, président
M. Vincent Gagneur, responsable relations institutionnelles
Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la pêche
Mme Claire Brennetot, conseillère chargée des relations avec le Parlement et les élus
M. Arnaud Millemann, conseiller chargé de l’agroalimentaire et de l’alimentation
Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique
M. Étienne Chantrel, conseiller en charge des réformes structurelles, de la concurrence, consommation et correspondant DGCCRF