N° 3798
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente,
Par M. Marcel ROGEMONT,
Député.
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 3711.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7
II. L’OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 9
A. UNE AUTORISATION D’ÉMETTRE OCTROYÉE DANS DES CIRCONSTANCES SINGULIÈRES 9
B. UN PROJET DE CESSION ABOUTISSANT À DES SUSPICIONS D’OPÉRATION À FIN SPÉCULATIVE 9
C. UNE ANNULATION DE LA DÉCISION ABROGEANT L’AUTORISATION D’ÉMETTRE SOULEVANT DES QUESTIONS SUR LES CAPACITÉS DE CONTRÔLE ET DE RÉGULATION MISES À DISPOSITION DU CSA 10
D. LA NÉCESSITÉ DE DISPOSER DES POUVOIRS D’INVESTIGATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 11
EXAMEN EN COMMISSION 13
ANNEXE N° 1 : RÉPONSE DU GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, EN DATE DU 31 MAI 2016 25
ANNEXE N° 2 : DISPOSITIONS APPLICABLES À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 27
Article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires 27
Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale 29
Depuis que la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle a affirmé, dès son article 1er, que « la communication audiovisuelle est libre » et organisé l’exercice de cette liberté « d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » (1), le monde des médias a connu plusieurs révolutions.
Cependant, malgré l’explosion du nombre de canaux de diffusion et de diffuseurs, le modèle français de régulation a été sauvegardé : le spectre hertzien fait partie du domaine public et reste une ressource rare ; seul l’État peut mettre des fréquences à disposition temporaire et conditionnelle d’acteurs publics et privés pour diffuser leurs programmes.
Afin que les attributions de fréquences en matière audiovisuelle échappent aux accusations de partialité, le législateur a mis en place des règles et procédures ayant pour objectif d’assurer qu’existe une pluralité d’opérateurs dans le respect d’une utilité publique et confié la tâche de les délivrer et de contrôler l’utilisation qui en est faite à une autorité publique indépendante, aujourd’hui le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Cependant, les révélations de certains agissements liés à l’octroi d’une autorisation d’émettre à la société éditant la chaîne de télévision Numéro 23 le 3 juillet 2012, à son retrait par décision du 14 octobre 2015 puis à l’annulation subséquente de cette dernière décision par le juge administratif le 30 mars 2016 ne peuvent qu’interroger la Représentation nationale.
Avant même cette décision d’annulation, des interrogations fondamentales sur le déroulement de cette procédure d’attribution et de gestion d’une autorisation d’émettre avaient été soulevées par le rapporteur dans le rapport d’information (n° 3430) qu’il a déposé le 20 janvier 2016 au nom de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation sur l’application, par le CSA, de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public.
Aussi MM. Bruno Le Roux, Marcel Rogemont, Mme Martine Martinel, M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen ont-ils déposé, le 3 mai dernier, une proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente.
S’agissant d’une proposition de résolution n’émanant pas d’un groupe minoritaire ou d’opposition, en application du premier alinéa de l’article 140 du Règlement, il revient à la commission permanente compétente – en l’espèce la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation – de se prononcer sur la recevabilité juridique de la proposition de résolution et sur l’opportunité de la création de cette commission d’enquête.
Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et du chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement de l’Assemblée nationale reproduits en annexe, la création d’une commission d’enquête est soumise à plusieurs conditions de recevabilité.
En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent, en application de l’article 137 dudit Règlement, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».
Cet impératif est satisfait par l’intitulé de la commission d’enquête qui résulterait de l’adoption de la proposition de résolution déposée par les députés du groupe SRC et par le dispositif de la résolution. La commission d’enquête aurait à se pencher sur trois séries de faits :
– « les circonstances dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à la société Diversité TV France pour diffuser la chaîne "Numéro 23" », soit les éléments de droit et de fait qui ont amené le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à retenir la candidature de Diversité TV France ;
– « les contrôles mis en œuvre » envers la société titulaire de l’autorisation pour vérifier « le respect des engagements qu’elle a souscrits », notamment dans les documents présentés à l’appui de sa candidature et dans la convention signée avec le CSA concomitamment à la délivrance de l’autorisation ;
– « les conditions dans lesquelles ont évolué [l’] actionnariat et [le] contrôle » de la société titulaire de l’autorisation, ainsi que les moyens et les actions mis en œuvre par le CSA dans ce cadre.
En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 de notre Règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Tel n’est pas le cas ici ; la proposition de résolution remplit donc ce critère de recevabilité.
En troisième et dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement de notre assemblée, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose, quant à lui, que « si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».
Par lettre du 25 mai dernier, M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a été interrogé par le Président de l’Assemblée nationale, conformément au premier alinéa de ce même article 139.
Dans sa réponse du 31 mai, le garde des Sceaux a signalé « qu’une procédure visant des faits de trafic d’influence et de corruption est actuellement ouverte, s’intéressant aux conditions d’octroi des autorisations d’émettre » mais qu’« à ce jour, la société Diversité TV France n’est pas mise en cause dans cette procédure ».
Il a dès lors indiqué laisser à l’Assemblée nationale « le soin d’apprécier si l’existence de cette procédure est de nature à faire obstacle à la création de la commission d’enquête envisagée ».
Au vu de ce nihil obstat, le rapporteur estime que cette procédure ne fait pas en soi obstacle à la création de cette commission d’enquête, pour autant que celle-ci s’abstienne de faire porter ses investigations sur des faits qui feraient l’objet de la procédure judiciaire engagée.
La présente proposition de résolution a été déposée à la suite de trois événements qui nécessitent qu’une enquête soit mise en place sur les conditions d’octroi, de contrôle et de régulation de l’autorisation, délivrée par le CSA le 3 juillet 2012, d’émettre sur le réseau numérique terrestre un service de télévision qui sera dénommé Numéro 23.
À la suite d’un appel à candidatures pour la diffusion de six nouvelles chaînes de télévision numérique terrestre (TNT), le CSA a délivré le 3 juillet 2012 à la société Tvous La Télédiversité, devenue Diversité TV France, une autorisation d’émettre pour diffuser une chaîne en haute définition sur le numérique hertzien à partir du 12 décembre 2012.
De façon inédite, les conventions signées le même jour avec les sociétés retenues dans le cadre de cet appel à candidatures comportaient chacune une disposition interdisant au titulaire de l’autorisation de « procéder à aucune modification de l’organisation juridique ou économique de la société titulaire de l’autorisation qui aurait pour effet de modifier le contrôle direct de ladite société » pendant un délai de deux ans et demi à compter de sa signature, sauf autorisation du CSA justifié par « des circonstances exceptionnelles », « des modifications substantielles des circonstances » de droit ou de fait ou « des difficultés économiques menaçant la viabilité de la société » – alors même que l’autorisation ainsi octroyée a vocation à permettre d’exploiter une chaîne de télévision, non de la céder à terme.
À cet égard, le rapporteur observe que l’article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, fixant les « règles particulières applicables au service » devant être fixées dans le cadre d’une convention signée entre le titulaire de l’autorisation et le CSA, prévoit que cette convention précise les obligations en termes de contenu et de règles de diffusion et non en termes d’évolution du contrôle capitalistique de la société titulaire.
Le 9 avril 2015, soit trois mois après l’expiration du délai prévu par la convention du 3 juillet 2012, la société Diversité TV et le groupe NextRadioTV ont déposé auprès du CSA une demande d’agrément de modification du contrôle de Diversité TV dans le cadre de la vente de celle-ci, pour la somme de 88,3 millions d’euros.
À l’occasion de l’instruction par le CSA de ce projet de cession, des agissements condamnables ont été mis à jour : comme le dénonce le CSA dans sa décision du 14 octobre 2015 retirant l’autorisation d’émettre à la société éditant Numéro 23, moins de six mois après son lancement effectif, ses actionnaires se sont rapprochés d’un investisseur russe pour signer un pacte d’actionnaires – pacte dissimulé au CSA jusqu’en avril 2015 – révélant que « l’actionnaire majoritaire de la société Diversité TV France a, dès mai 2013, et en contradiction avec les objectifs affirmés dans sa candidature, cherché avant tout à valoriser à son profit l’autorisation administrative dont bénéficiait la société, et ce, dans la seule perspective d’une cession de son capital social à un nouvel actionnaire » (2).
Par ailleurs, le montant de 88,3 millions d’euros proposé pour la cession du contrôle de Diversité TV est apparu « peu en rapport avec la situation financière de la société, ses pertes actuelles et son plan d’affaires prévisible ». Il en découle que « la valorisation de la société Diversité TV, telle qu’elle ressort du projet de vente soumis au Conseil, repose, à titre principal, sur la valeur de l’autorisation administrative qui lui a été attribuée » (3) .
Constatant que les démarches menées représentent un « abus de droit à caractère frauduleux » qui ne peut conduire qu’à remettre en cause le choix opéré par le CSA en délivrant une autorisation d’émettre à Diversité TV, le régulateur a décidé de manière exceptionnelle le 14 octobre 2015 de retirer purement et simplement cette autorisation d’émettre à compter du 30 juin 2016, comme l’y autorise le premier alinéa de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986.
C. UNE ANNULATION DE LA DÉCISION ABROGEANT L’AUTORISATION D’ÉMETTRE SOULEVANT DES QUESTIONS SUR LES CAPACITÉS DE CONTRÔLE ET DE RÉGULATION MISES À DISPOSITION DU CSA
À la suite d’un recours pour excès de pouvoir de la société Diversité TV France, le Conseil d’État a estimé, dans son arrêt du 30 mars 2016, qu’« il ne résulte pas de l’instruction qu’une fraude à la loi, de nature à justifier le retrait de l’autorisation, soit démontrée en l’espèce », alors que son rapporteur public avait conclu à l’existence d’une violation, délibérée et avec dissimulation, des obligations légales. Bien que le Conseil d’État ait rappelé que « selon un principe général du droit, une décision administrative obtenue par fraude ne crée pas de droits au profit de son titulaire et peut être retirée à tout moment » par l’autorité qui l’a délivrée, il a également relevé que c’est au CSA de démontrer, par un faisceau d’indices, l’existence de la fraude.
Or, le CSA a expliqué ne pas disposer des moyens d’investigation nécessaires pour assurer un tel contrôle, ainsi encadré par le juge administratif.
L’affaire de la chaîne Numéro 23 soulève ainsi des interrogations fondamentales sur la manière dont une autorité publique indépendante a pu exercer ses missions d’attribution et de gestion des fréquences, mais aussi sur son rôle dans le contrôle du respect des obligations, tant légales que conventionnelles, par les diffuseurs, missions qui lui ont été confiées par le législateur. Elle constitue un cas d’école qui a contribué à jeter le discrédit sur l’ensemble de la politique audiovisuelle et mis en lumière une série de graves manquements et d’interrogations, que la sanction « historique » du 14 octobre 2015 abrogeant l’autorisation de diffusion comme l’annulation de celle-ci par le Conseil d’État, faute de preuves étayées, ne suffit pas à purger.
La situation amène plusieurs interrogations portant sur la clarification des conditions d’octroi des fréquences, sur les conditions d’un pouvoir accru du CSA dans l’octroi de ces fréquences et, en définitive, sur le renforcement des pouvoirs du CSA pour lui permettre d’assurer pleinement son rôle.
L’accès aux informations utiles, permettant au Parlement de tirer les conséquences de cette affaire, nécessite le recours aux pouvoirs d’investigation d’une commission d’enquête.
Afin que soient mises en lumière les conditions dans lesquelles la société éditant la chaîne Numéro 23 a pu obtenir une autorisation d’émettre et les conditions dans lesquelles ont évolué son capital et son contrôle, il est nécessaire que des investigations poussées puissent être mises en œuvre.
S’agissant d’une autorité publique indépendante, seul le Parlement est à même de recueillir des éléments d’information sur ces faits, puis d’en tirer les conséquences utiles en ce qui concerne le statut du CSA et les procédures prévues par le législateur.
Une telle tâche ne pourrait être dévolue à une simple mission d’information parlementaire, qui se verrait opposer la confidentialité de la procédure et des comptes rendus du CSA, et qui ne pourrait pas accéder aux documents internes de la société Diversité TV France.
Il est donc nécessaire que le rapporteur chargé de ce contrôle puisse disposer des pouvoirs d’investigation sur pièces et sur place prévus par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Lors de la réunion du 1er juin 2016, la Commission examine la proposition de résolution de MM. Bruno Le Roux, Marcel Rogemont, Mme Martine Martinel, M. Patrick Bloche et plusieurs de leurs collègues relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente (n° 3711) (M. Marcel Rogemont, rapporteur).
M. le président Patrick Bloche. Le sujet que nous abordons maintenant ne nous est pas inconnu : nous avons eu souvent l’occasion ces derniers mois d’avoir des échanges sur les autorisations d’émettre sur fréquences hertziennes. Nous avons même voté des dispositions législatives les concernant, notamment une taxation des revenus tirés de la revente de ces fréquences.
Je laisse sans plus tarder la parole à M. Marcel Rogemont, qui a dû fournir un travail express sur ce sujet qu’il connaît bien, car c’est la semaine dernière que nous l’avons désigné comme rapporteur de cette proposition de résolution.
M. Marcel Rogemont, rapporteur. Ce sujet nous occupe depuis 2012. Mes chers collègues, le spectre hertzien fait partie du domaine public et reste une ressource rare ; seul l’État peut mettre des fréquences à disposition temporaire et conditionnelle d’acteurs publics et privés pour qu’ils diffusent leurs programmes.
Afin que les attributions de fréquences en matière audiovisuelle échappent aux accusations de partialité, le législateur a mis en place des règles et procédures ayant pour objectif d’assurer qu’existe une pluralité d’opérateurs dans le respect d’une utilité publique et il a confié la tâche de délivrer les autorisations d’émettre ainsi que de contrôler l’utilisation qui en est faite à une autorité publique indépendante, aujourd’hui le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Cependant, les révélations de certains agissements liés à l’octroi d’une autorisation d’émettre à la société éditant la chaîne de télévision Numéro 23 le 3 juillet 2012, à son retrait par décision du 14 octobre 2015 du CSA, puis à l’annulation subséquente de cette décision par le juge administratif le 30 mars 2016 ne peuvent qu’interroger la représentation nationale.
Avant même cette décision d’annulation, j’avais eu l’occasion de soulever des interrogations fondamentales sur le déroulement de cette procédure d’attribution et de gestion d’une autorisation d’émettre, notamment dans le rapport d’information du 20 janvier 2016 que j’avais présenté au nom de notre commission sur l’application, par le CSA, de la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public.
M. Bruno Le Roux, Mme Martine Martinel, M. Patrick Bloche et les membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen, devenu groupe Socialiste, écologiste et républicain, ont déposé, le 3 mai dernier, une proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente.
S’agissant d’une proposition de résolution n’émanant pas d’un groupe minoritaire ou d’opposition, en application du premier alinéa de l’article 140 du Règlement, il revient à la commission permanente compétente de se prononcer sur la recevabilité juridique d’une telle proposition de résolution et sur l’opportunité de la création de cette commission d’enquête.
La création d’une commission d’enquête est soumise à plusieurs conditions de recevabilité.
En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création de telles commissions doivent, en application de l’article 137 du règlement de notre assemblée, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Cet impératif est satisfait par l’intitulé de la commission d’enquête qui résulterait de l’adoption de la proposition de résolution déposée par les députés du groupe SRC et par le dispositif de la résolution. La commission d’enquête aurait à se pencher sur trois séries de faits.
Il s’agit, premièrement, des circonstances dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à la société Diversité TV France pour diffuser la chaîne Numéro 23, soit les éléments de droit et de fait qui ont amené le CSA à retenir la candidature de Diversité TV France.
Il s’agit, deuxièmement, des contrôles mis en œuvre envers la société titulaire de l’autorisation pour vérifier le respect des engagements qu’elle a souscrits, notamment dans les documents présentés à l’appui de sa candidature et dans la convention signée avec le CSA concomitamment à la délivrance de l’autorisation.
Il s’agit, troisièmement, des conditions dans lesquelles ont évolué l’actionnariat et le contrôle de la société titulaire de l’autorisation, ainsi que les moyens et les actions mis en œuvre par le CSA dans ce cadre.
En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 de notre règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Tel n’est pas le cas ici : la proposition de résolution remplit donc ce critère de recevabilité.
En troisième et dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l’article 139 du règlement de notre assemblée, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, a été interrogé par le président de l’Assemblée nationale par lettre du 25 mai dernier, conformément au premier alinéa de ce même article 139. Dans sa réponse du 31 mai, le ministre a signalé qu’une procédure visant des faits de trafic d’influence et de corruption était actuellement ouverte et qu’elle s’intéressait aux conditions d’octroi des autorisations d’émettre, mais qu’à ce jour, la société Diversité TV France n’était pas mise en cause dans cette procédure. Il a conclu en disant « laisser à l’Assemblée nationale le soin d’indiquer si l’existence de cette procédure est de nature à faire obstacle à la création de la commission d’enquête envisagée ». J’estime que ladite procédure ne fait pas en soi obstacle à la création de cette commission d’enquête, pour autant que celle-ci s’abstienne de porter ses investigations sur des faits qui feraient l’objet de la procédure judiciaire engagée.
Venons-en à l’opportunité de la création de cette commission d’enquête.
Je rappelle que la présente proposition de résolution a été déposée à la suite de trois événements qui nécessitent qu’une enquête soit mise en place sur les conditions d’octroi, de contrôle et de régulation de l’autorisation d’émettre sur le réseau numérique terrestre un service de télévision dénommé Numéro 23.
L’information livrée par le garde des Sceaux, signalant que d’autres faits font l’objet d’une information judiciaire et pourraient relever des incriminations de trafic d’influence ou de corruption, ne fait que renforcer la nécessité d’examiner cette affaire en détail pour en tirer les conséquences utiles.
À la suite d’un appel à candidatures pour la diffusion de six nouvelles chaînes de télévision numérique terrestre (TNT), le CSA a délivré le 3 juillet 2012 à la société Tvous La Télédiversité, devenue Diversité TV France, une autorisation d’émettre pour diffuser une chaîne en haute définition sur le numérique hertzien à partir du 12 décembre 2012.
De façon inédite, les conventions signées le même jour avec les sociétés retenues dans le cadre de cet appel à candidatures comportaient chacune une disposition interdisant au titulaire de l’autorisation de « procéder à aucune modification de l’organisation juridique ou économique de la société titulaire de l’autorisation qui aurait pour effet de modifier le contrôle direct de ladite société » pendant un délai de deux ans et demi à compter de sa signature, sauf autorisation du CSA. L’autorisation octroyée a en effet vocation à permettre l’exploitation d’une chaîne télévisée dans la durée et non à en permettre la cession après moins de deux ans de diffusion.
Le 9 avril 2015, soit trois mois après l’expiration du délai prévu par la convention du 3 juillet 2012, la société Diversité TV France et le groupe NextRadioTV ont déposé auprès du CSA une demande d’agrément de modification du contrôle de Diversité TV France dans le cadre de la vente de celle-ci, pour la somme de 88,3 millions d’euros.
À l’occasion de l’instruction par le CSA de ce projet de cession, des agissements condamnables ont été mis au jour : moins de six mois après son lancement effectif, les actionnaires de Diversité TV France se sont rapprochés d’un investisseur russe pour signer un pacte d’actionnaires, dissimulé au CSA jusqu’en avril 2015. Dès le mois de mai 2013, l’actionnaire majoritaire a donc agi « en contradiction avec les objectifs affirmés dans sa candidature, cherchant avant tout à valoriser à son profit l’autorisation administrative dont bénéficiait la société, et ce, dans la seule perspective d’une cession de son capital social à un nouvel actionnaire », comme l’a souligné le CSA.
Par ailleurs, le montant de 88,3 millions d’euros proposé pour la cession du contrôle de Diversité TV est apparu « peu en rapport avec la situation financière de la société, ses pertes actuelles et son plan d’affaires prévisible ». Il en découle que « la valorisation de la société Diversité TV, telle qu’elle ressort du projet de vente soumis au Conseil, repose, à titre principal, sur la valeur de l’autorisation administrative qui lui a été attribuée, et non pas sur sa valeur commerciale ».
Constatant que les démarches menées représentent un « abus de droit à caractère frauduleux » qui ne peut conduire qu’à remettre en cause le choix opéré par le CSA en délivrant une autorisation d’émettre à Diversité TV, le régulateur a décidé de manière exceptionnelle, le 14 octobre 2015, de retirer purement et simplement cette autorisation d’émettre à compter du 30 juin 2016, comme l’y autorise le premier alinéa de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986.
À la suite d’un recours pour excès de pouvoir de la société Diversité TV France, le Conseil d’État a estimé, dans son arrêt du 30 mars 2016, qu’« il ne résulte pas de l’instruction qu’une fraude à la loi, de nature à justifier le retrait de l’autorisation, soit démontrée en l’espèce », alors que son rapporteur public avait conclu à l’existence d’une violation, délibérée et avec dissimulation, des obligations légales. Bien que le Conseil d’État ait rappelé que « selon un principe général du droit, une décision administrative obtenue par fraude ne crée pas de droits au profit de son titulaire et peut être retirée à tout moment » par l’autorité qui l’a délivrée, il a également relevé que c’est au CSA de démontrer, par un faisceau d’indices, l’existence de la fraude.
Or, le CSA a expliqué ne pas disposer des moyens d’investigation nécessaires pour assurer un tel contrôle, ainsi encadré par le juge administratif.
L’affaire de la chaîne Numéro 23 soulève ainsi des interrogations fondamentales sur la manière dont une autorité publique indépendante a pu exercer ses missions d’attribution et de gestion des fréquences, mais aussi sur son rôle dans le contrôle du respect des obligations, tant légales que conventionnelles, par les diffuseurs, missions qui lui ont été confiées par le législateur, et les moyens dont elle dispose à cette fin.
L’accès aux informations utiles permettant au Parlement de tirer les conséquences de cette affaire nécessite le recours aux pouvoirs d’investigation d’une commission d’enquête.
Afin que soient mises en lumière les conditions dans lesquelles la société éditant la chaîne Numéro 23 a pu obtenir une autorisation d’émettre et les conditions dans lesquelles ont évolué son capital et son contrôle, il est nécessaire que des investigations poussées puissent être mises en œuvre.
S’agissant d’une autorité publique indépendante, seul le Parlement est à même de recueillir des éléments d’information sur ces faits, puis d’en tirer les conséquences utiles en ce qui concerne le statut du CSA et les procédures prévues par le législateur.
Une telle tâche ne pourrait être dévolue à une simple mission d’information parlementaire, qui se verrait opposer la confidentialité de la procédure et des comptes rendus du CSA, et qui ne pourrait pas accéder aux documents internes de la société Diversité TV France.
Il est donc nécessaire que le rapporteur chargé de ce contrôle puisse disposer des pouvoirs d’investigation sur pièces et sur place prévus par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
M. le président Patrick Bloche. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Stéphane Travert. Monsieur le rapporteur, c’est une grande satisfaction pour les membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain que d’examiner cette demande de création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente.
Trois séries de faits seront à prendre en compte dans le cadre de cette enquête : les circonstances dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à la société Diversité TV France ; les contrôles mis en œuvre pour vérifier le respect des engagements qu’elle a souscrits, notamment dans la convention signée avec le CSA ; les conditions dans lesquelles ont évolué l’actionnariat et le contrôle ainsi que les moyens et les actions du CSA.
Rappelons que le 3 juillet 2012, le CSA, présidé par M. Michel Boyon, nommé par l’ancien Président de la République, a octroyé une autorisation d’émettre à la société Diversité TV France de M. Pascal Houzelot. Il était prévu que le titulaire de ladite autorisation ne pouvait procéder à une quelconque modification de l’organisation juridique ou économique de la société pendant une durée de deux ans et demi. C’est à l’expiration de ce délai, au mois d’octobre 2015, que M. Pascal Houzelot a envisagé de revendre sa chaîne à M. Alain Weill pour une somme approchant 90 millions d’euros.
En octobre 2015, le CSA a alors décidé de retirer l’autorisation d’émettre dont bénéficiait M. Pascal Houzelot, décision elle-même annulée, le 30 mars dernier, par le Conseil d’État qui a indiqué que « l’existence de la fraude à la loi invoquée pour justifier le retrait de l’autorisation d’émettre n’était pas démontrée ».
En tant que parlementaires, nous nous devons d’éclaircir cette situation car il n’est pas imaginable qu’une telle plus-value puisse être réalisée alors que l’autorisation d’émettre a été délivrée à titre gracieux. Il me semble inconcevable qu’une entreprise spécule sur le domaine public sans que l’autorité de régulation puisse intervenir.
Il est aujourd’hui nécessaire d’entendre l’ensemble des parties prenantes et de faire toute la lumière sur le contenu éditorial de cette chaîne de télévision car le compte n’y est pas, tant sur le plan quantitatif – comme le montrent les différentes mesures d’audience – que qualitatif. Les pouvoirs du CSA semblent aujourd’hui insuffisants pour contrôler ce type d’action spéculative alors même qu’à l’occasion de l’instruction par le CSA du projet de cession, des agissements condamnables ont été mis au jour.
Cette commission d’enquête pourra nous éclairer sur les conditions d’octroi de la fréquence et apporter des précisions sur le contenu du projet éditorial. Nous sommes nombreux à vouloir enfin en prendre connaissance comme nous sommes nombreux à souhaiter que les prérogatives du CSA soient respectées.
La télévision numérique terrestre (TNT) gratuite est un immense laboratoire, qui favorise le développement de programmes alliant audace, diversité, pluralisme, respect du vivre-ensemble, qualités qui ne semblent pas caractériser les programmes de la Chaîne Numéro 23.
L’outil qui permet au téléspectateur de juger, c’est la télécommande : selon l’intérêt de la chaîne, il zappera ou non. Notre devoir de parlementaires est de faire la lumière sur le processus qui a conduit au résultat qui s’affiche aujourd’hui sur nos écrans.
Aujourd’hui, au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, je souhaite que nous votions cette proposition de résolution afin que la commission d’enquête commence ses travaux dans les meilleurs délais et que nous disposions des pouvoirs d’investigation nécessaires pour tirer toutes les conséquences utiles en ce qui concerne les statuts du CSA.
M. Christian Kert. Notre excellent rapporteur ne nous a pas convaincus. Nous nous étonnons de son choix de recourir à la création d’une commission d’enquête, qui fait figure d’arme lourde dans notre arsenal parlementaire. Si nous nous sommes émus de la revente de la fréquence de la chaîne Numéro 23, nous considérons qu’il ne s’agit pas d’une affaire d’État. Nous essayons de comprendre vers quel objectif devrait tendre cette commission d’enquête – si elle devait être créée. Que chercherait-elle à dénoncer ? S’agirait-il de juger du travail d’une autorité administrative indépendante, le CSA, dont votre majorité, monsieur le président, monsieur le rapporteur, tend à renforcer les pouvoirs depuis quelques années ?
Le choix de créer une commission d’enquête dans l’affaire qui nous occupe nous paraît exagéré. Dans votre exposé des motifs, monsieur le rapporteur, vous allez jusqu’à dire que cette affaire « a constitué un cas d’école qui contribué à jeter le discrédit sur l’ensemble de la politique audiovisuelle ». Je m’inscris en faux contre cette affirmation, même s’il y a un problème avec la chaîne Numéro 23. On affaiblit toujours ce que l’on exagère, vous le savez, dans votre grande sagesse.
Autre sujet de surprise : votre jugement à l’égard de l’arrêt du Conseil d’État, qui a refusé de retenir l’existence d’une fraude. Pourquoi ne pas considérer que cette décision suffit à mettre fin à toute suspicion ? Créer une commission d’enquête ne revient-il pas à contester cette position ?
Nous vous suivons quand vous soulignez que « seul le Parlement est à même de recueillir des éléments d’information sur ces faits, puis d’en tirer les conséquences utiles en ce qui concerne le statut du CSA et les procédures prévues par le législateur ». Mais nous nous écartons de votre raisonnement quand vous dites qu’une mission d’information ne pourrait mener cette tâche. Ne risquons-nous pas d’ajouter de la confusion à de la confusion ?
Dans la perspective de cette proposition de résolution, le président de l’Assemblée nationale, conformément à l’article 139 du Règlement, a interrogé le garde des Sceaux. Pourrait-on, monsieur le rapporteur, connaître la teneur exacte de la réponse du ministre ?
Enfin, n’est-il pas trop tard pour créer une telle commission ? Nous aurions en fait attendu que notre assemblée s’attache à combler le vide juridique à l’origine de ces dysfonctionnements pour prendre une telle initiative… Je rappelle trois évolutions législatives récentes.
Dans la loi d’octobre 2015 relative au deuxième dividende numérique, nous avons introduit un dispositif qui durcit les conditions dans lesquelles le CSA peut agréer un changement de contrôle de la société titulaire de l’autorisation d’usage de la ressource.
Dans la loi de finances pour 2016, nous avons prévu à l’article 114 l’imposition au taux de 25 % des plus-values à long terme lorsqu’elles résultent de la cession de titres d’une société détentrice d’une autorisation pour l’édition d’un service de télévision.
Enfin, dans la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, qui vient d’être examinée au Sénat, nous fixons la durée minimale de détention d’une autorisation d’émettre pour un service de télévision en mode numérique à cinq ans à compter de sa délivrance par le CSA.
La création d’une commission d’enquête reviendrait non seulement à contester la position du Conseil d’État mais aussi à ignorer le travail effectué au sein même de notre assemblée. Face à cette démesure, permettez-moi de vous rappeler une phrase issue de l’un de vos rapports : « la juste mesure est une arme puissante qui tranche sans blesser ».
Autant nous étions favorables à la création d’une mission d’information sur cette affaire, autant nous sommes moins favorables à la création d’une commission d’enquête. Le groupe Les Républicains s’abstiendra donc.
Mme Marie-George Buffet. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra cette proposition de résolution. Beaucoup de questions se posent sur les « circonstances particulières » – pour reprendre vos termes, Monsieur le rapporteur – de l’attribution de l’autorisation d’émettre octroyée à la chaîne Numéro 23 : questions sur le contenu éditorial de Diversité TV, questions sur l’inclusion inédite dans la convention de dispositions interdisant au titulaire de procéder à des modifications pendant un délai de deux ans et demi, comme s’il y avait eu une prescience des dérives à venir.
Par ailleurs, d’autres questions se posent sur le délai de la réaction face au contenu : il aura fallu trois ans, à l’occasion de la revente, pour que le CSA s’interroge à ce sujet.
Une commission d’enquête nous permettrait d’obtenir des éclaircissements sur ces circonstances particulières et de réfléchir à une redéfinition du rôle du CSA.
Mme Colette Langlade. Merci, monsieur le rapporteur, pour votre initiative.
Vous soulignez que le législateur a mis en place des règles et procédures ayant pour objectif d’assurer qu’existe une pluralité d’opérateurs pour occuper cette ressource rare qu’est le spectre hertzien. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
M. Christophe Premat. La création d’une commission d’enquête est l’un des derniers outils à notre disposition pour prendre en compte cette affaire. Elle permettra de prolonger vos réflexions sur les taxes relatives aux fréquences hertziennes mais on peut la comprendre aussi comme une volonté de clarifier les compétences du CSA et la régulation de l’audiovisuel public, enjeux sur lesquels vous appelez notre attention depuis des années, Monsieur le rapporteur. Elle est donc tout à fait opportune.
Contrairement à ce qu’affirme M. Kert, les commissions d’enquête ne sont pas réservées aux affaires d’État. Voyez celles en cours qui portent sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs ou sur la fibromyalgie.
Je vous remercie de votre initiative, fort bien venue, monsieur le rapporteur.
Mme Martine Martinel. Cette proposition de résolution n’a pas pour but de susciter la suspicion ou de remettre en cause l’équilibre de l’audiovisuel. En outre, elle tient parfaitement compte du travail législatif qui a été accompli.
Il serait bon d’éclaircir les conditions d’octroi de cette fréquence gratuite à une chaîne qui n’a respecté aucun de ses engagements, ni sur le fond, ni sur la forme. Ses responsables ont fait un choix thématique qui n’a conquis aucun public et ont très tôt manifesté le souci de revendre rapidement la fréquence. La constitution d’un pacte d’actionnaires a été marquée par une forte opacité et le gain de 88,3 millions semble relever de l’abus, si ce n’est de la fraude.
Pour toutes ces raisons, la commission d’enquête proposée par notre rapporteur est nécessaire et sera utile par la suite pour préserver l’éthique du secteur audiovisuel.
M. le rapporteur. Monsieur Kert, je tiens la réponse du garde des Sceaux au président de notre assemblée à la disposition de tous les députés et vais en faire lecture : « Vous avez appelé mon attention sur la proposition de M. Le Roux tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux conditions dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à Diversité TV France pour diffuser la chaîne Numéro 23 et au contrôle mis en œuvre pour vérifier le respect des engagements qu’elle a souscrits et les conditions dans lesquelles ont évolué l’actionnariat et son contrôle. En application de l’article 139 du règlement de l’Assemblée nationale, j’ai l’honneur de vous informer qu’une procédure visant des faits de trafic d’influence et de corruption est actuellement ouverte, s’intéressant aux conditions d’octroi des autorisations d’émettre. À ce jour, la société Diversité TV France n’est pas mise en cause dans cette procédure. Je ne puis dès lors que vous laisser le soin d’apprécier si l’existence de cette procédure est de nature à faire obstacle à la création de la commission d’enquête envisagée. »
Sur ce point, je tiens à préciser deux choses. D’une part, rien de ce qui est dit dans cette lettre n’empêche la création d’une commission d’enquête. D’autre part, même si une procédure judiciaire relative aux conditions de l’octroi des autorisations d’émettre allait jusqu’à mettre en cause la société Diversité TV France, il nous resterait à examiner les deux autres objets de la commission d’enquête.
Monsieur Kert, vous avez sans doute fait une lecture un peu rapide de l’arrêt du Conseil d’État. Il ne se prononce en rien sur l’existence ou non d’une fraude, il précise simplement que les éléments ne sont pas suffisants pour démontrer qu’il y a eu fraude. Autrement dit, un questionnement demeure. Il est donc intéressant d’aller jusqu’au bout de la logique et d’essayer de comprendre.
Et si ce n’est sans doute pas une affaire d’État, c’est une affaire qui relève du Parlement car tout ce qui touche au CSA et à la TNT l’intéresse au premier chef.
Vous avez eu l’amabilité de rappeler que par trois fois, nous, législateurs, nous sommes attachés à adapter notre législation à la réalité économique du secteur audiovisuel. Ce travail, il faut le poursuivre car il y a une continuité de notre République. Quel que soit le moment où il intervient, il est utile.
Quant à la mission d’information sur l’application de la loi du 15 novembre 2013, elle a déjà mené ses travaux ! En tant que rapporteur, j’ai tenté de creuser ces questions pour modifier éventuellement notre législation. Mais, comme vous le savez, les missions d’information sont toutes bloquées dans leurs travaux à un moment donné.
En 2012, dans le processus d’affectation de six nouvelles chaînes, tous les groupes audiovisuels ont été servis. Seule une chaîne a été affectée à un acteur que l’on peut qualifier de naissant, au regard du capital social de la société qui était de 10 000 euros – montant « énorme » lorsqu’on le rapporte au montant des pertes annuelles de Numéro 23, qui sont d’environ 10 millions d’euros. Le CSA a manifesté le souci d’assurer une certaine pluralité, même s’il me semble que d’autres projets semblaient plus viables.
Soyez sûrs, chers collègues, que nous examinerons toutes ces questions avec la plus grande attention.
Pour finir, je tiens à remercier mes collègues Stéphane Travert, Marie-George Buffet, Colette Langlade, Christophe Premat et Martine Martinel de m’avoir apporté leur soutien.
La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.
La Commission adopte l’article unique de la proposition de résolution sans modification.
En conséquence, la proposition de résolution est adoptée sans modification.
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En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente, dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
ANNEXE N° 1 : RÉPONSE DU GARDE DES SCEAUX,
MINISTRE DE LA JUSTICE, EN DATE DU 31 MAI 2016
ANNEXE N° 2 : DISPOSITIONS APPLICABLES
À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE
Article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958
relative au fonctionnement des assemblées parlementaires
I. – Outre les commissions mentionnées à l’article 43 de la Constitution seules peuvent être éventuellement créées au sein de chaque assemblée parlementaire des commissions d’enquête ; les dispositions ci-dessous leur sont applicables.
Les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées.
Il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter.
Les membres des commissions d’enquête sont désignés de façon à y assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques.
Les commissions d’enquête ont un caractère temporaire. Leur mission prend fin par le dépôt de leur rapport et, au plus tard, à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de l’adoption de la résolution qui les a créées. Elles ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission.
II. – Les articles L. 143-5 et L. 132-4 du code des juridictions financières sont applicables aux commissions d’enquête dans les mêmes conditions qu’aux commissions des finances.
Les rapporteurs des commissions d’enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs.
Toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. À l’exception des mineurs de seize ans, elle est entendue sous serment. Elle est, en outre, tenue de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Les dispositions du troisième alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lui sont applicables.
Toute personne qui participe ou a participé aux travaux de l’Autorité de contrôle prudentiel, de l’Autorité des marchés financiers ou des autorités auxquelles elles ont succédé, toute personne qui participe ou a participé à l’accomplissement des missions du Haut Conseil de stabilité financière ainsi que toute personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 511-33 du code monétaire et financier est déliée du secret professionnel à l’égard de la commission, lorsque celle-ci a décidé l’application du secret conformément aux dispositions du premier alinéa du IV. Dans ce cas, le rapport publié à la fin des travaux de la commission, ni aucun autre document public, ne pourra faire état des informations recueillies par levée du secret professionnel.
III. – La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d’enquête est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Le refus de communiquer les documents visés au deuxième alinéa du II est passible des mêmes peines.
Dans les cas visés aux deux précédents alinéas, le tribunal peut en outre prononcer l’interdiction, en tout ou partie, de l’exercice des droits civiques mentionnés à l’article 131-26 du code pénal, pour une durée maximale de deux ans à compter du jour où la personne condamnée a subi sa peine.
En cas de faux témoignage ou de subornation de témoin, les dispositions des articles 434-13,434-14 et 434-15 du code pénal sont respectivement applicables.
Les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée.
IV. – Les auditions auxquelles procèdent les commissions d’enquête sont publiques. Les commissions organisent cette publicité par les moyens de leur choix. Toutefois, elles peuvent décider l’application du secret ; dans ce cas, les dispositions du dernier alinéa du présent article sont applicables.
Les personnes entendues par une commission d’enquête sont admises à prendre connaissance du compte rendu de leur audition. Cette communication a lieu sur place lorsque l’audition a été effectuée sous le régime du secret. Aucune correction ne peut être apportée au compte rendu. Toutefois, l’intéressé peut faire part de ses observations par écrit. Ces observations sont soumises à la commission, qui peut décider d’en faire état dans son rapport.
L’assemblée intéressée peut décider, par un vote spécial et après s’être constituée en comité secret de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport d’une commission d’enquête.
Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information.
Article 137
Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.
Article 138
1 Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.
2 L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.
Article 139
1 Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.
2 Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.
3 Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.
Article 140
1 Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente. Celle-ci vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité.
2 En cas de mise en œuvre de l’article 141, alinéa 2, la commission vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité. Aucun amendement n’est recevable.
© Assemblée nationale