N° 3880 et N° 3881
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 juin 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :
– LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises,
ET
– LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil),
PAR M. Gabriel SERVILLE
Député
——
ET
ANNEXE : TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Sénat : 153, 298, 552, 553, 554 et T.A. 137, 138 (2015-2016).
Assemblée nationale : 3746 et 3747
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. LE PONT SUR L’OYAPOCK : UN TRAIT D’UNION ENTRE LA GUYANE ET LE BRÉSIL DONT L’INAUGURATION N’A QUE TROP TARDÉ 7
A. LE PONT SUR L’OYAPOCK : UN VECTEUR D’OUVERTURE ET DE DÉVELOPPEMENT POUR LES TERRITOIRES VOISINS DE LA GUYANE ET DE L’AMAPA 7
1. Deux territoires du « bout du monde » que sépare une frontière fluvio-terrestre de 730 kilomètres 7
2. Les irritants des relations transfrontalières 8
3. Un pont achevé en 2011 qui n’a toujours pas été inauguré 9
B. L’OUVERTURE DU PONT DOIT S’ACCOMPAGNER DU RENFORCEMENT DE NOTRE COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE 11
1. La coopération transfrontalière entre la Guyane et le Brésil : des efforts entrepris ces dernières années, qui doivent être poursuivis 11
2. Le délicat sujet du régime de circulation transfrontalière 12
II. DEUX ACCORDS QUI DOIVENT FACILITER LES ÉCHANGES ENTRE LES DEUX RIVES DU FLEUVE 15
A. L’ACCORD D’ÉXONÉRATION DE TAXE SUR LE BIENS DE SUBSISTANCE 15
B. L’ACCORD SUR LES TRANSPORTS ROUTIERS 16
CONCLUSION 19
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 21
EXAMEN EN COMMISSION 23
ANNEXE : TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 25
L’Assemblée nationale est saisie de deux projets de loi que la commission des affaires étrangères examine conjointement :
– le projet de loi n° 3747 autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) ;
– le projet de loi n° 3746 autorisant l’approbation de l’accord entre la France et le Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises.
Ces deux accords visent à accompagner l’ouverture du pont sur le fleuve Oyapock, qui marque la frontière entre la Guyane et le Brésil et à rapprocher les communes frontalières de Saint-Georges de l’Oyapock et d’Oiapoque.
Annoncé depuis les années 1990 et achevé en 2011, ce pont symbolise l’ouverture d’une nouvelle ère entre la Guyane et le Brésil, placée sous le sceau d’une intégration accrue de la Guyane à son environnement régional direct.
Approuvés par la partie brésilienne, ces deux accords attendent désormais leur ratification par la France pour entrer en vigueur.
Le présent rapport rappelle tout d’abord le contexte de leur signature, et les enjeux liés à coopération transfrontalière entre la Guyane et le Brésil. Ces derniers excèdent parfois le champ des deux présents projets de lois, mais il est utile de les mentionner notamment pour ce qui est des enjeux liés à la mobilité des personnes et à l’attribution des visas – qui fait l’objet de discussions soutenues avec le Brésil. Le rapport présente ensuite le contenu et les effets attendus de ces deux accords.
Outre l’ambassadeur du Brésil et les services de l’État qui ont œuvré à sa signature, votre rapporteur a tenu à échanger sur le contenu de ces accords avec les parties prenantes en Guyane. Il ressort de ces rencontres que les pouvoirs publics ne doivent pas ménager leurs efforts de communication et de pédagogie vis-à-vis de leurs concitoyens guyanais, pour répondre aux interrogations légitimes de la population quant aux conséquences de l’ouverture du pont sur l’Oyapock.
I. LE PONT SUR L’OYAPOCK : UN TRAIT D’UNION ENTRE LA GUYANE ET LE BRÉSIL DONT L’INAUGURATION N’A QUE TROP TARDÉ
A. LE PONT SUR L’OYAPOCK : UN VECTEUR D’OUVERTURE ET DE DÉVELOPPEMENT POUR LES TERRITOIRES VOISINS DE LA GUYANE ET DE L’AMAPA
1. Deux territoires du « bout du monde » que sépare une frontière fluvio-terrestre de 730 kilomètres
Une frontière de 730 kilomètres, essentiellement fluvio-forestière, met en contact la Guyane française et l’Amapá brésilienne, deux régions de confins aux densités de population très faibles, respectivement 1,88 et 4,9 hab/km². Saint-Georges-de-l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) sont les deux plus importantes communes du bas Oyapock avec respectivement 4 218 et 19 941 habitants.
Situé dans le Nordeste défavorisé, l’Amapa est l’un des Etats les moins peuplés du Brésil, et ne contribue au PIB national qu’à hauteur de 0,1 %. L’essentiel de ses 740 000 habitants vivent dans la capitale, Macapa, située à 600km de la frontière avec la France. Le reste (200 000 hab environ) se répartit sur les 142.815 km2 du territoire de l’Etat, dont 72 % sont consacrés exclusivement à la protection environnementale (l’Amapa abrite ainsi l’un des plus grands parcs nationaux du monde, le Parc des Montagnes du Tumucumaque) ou constituent des terres indigènes préservées.
Le développement économique de l’Amapa est entravé par son très fort enclavement, cet Etat n’étant relié au reste du pays que par la voie aérienne. Toutefois, son PIB par habitant est étonnamment élevé, de l’ordre de 4000 € en 2013.
L’Amapa tire une partie importante de ses ressources de l’agriculture, de la pêche, de l’activité minière (fer, or) et du bois, avec un important potentiel de croissance. Le Gouvernement a élaboré un Plan de développement intégré « Amapá Productif » dont l’objectif est de mettre en valeur et d’exploiter ce potentiel.
Comme pour la Guyane, l’exploitation des ressources naturelle et la mise en place d’une industrie de production et de transformation sont des enjeux majeurs pour l’Amapa. L’Etat cherche à réduire sa dépendance économique, commerciale et financière vis à vis de l’Etat fédéral, et à créer des emplois localement, dans un contexte de forte croissance démographique.
Le gouvernorat de l’Amapa mène une politique active pour attirer les investisseurs. Ainsi, le 19 février dernier, Total et la Fondation pour le soutien de la recherche de l’État d’Amapá (Fundação de Amparo a Pesquisa do Estado do Amapá, Fapeap) ont lancé un appel d’offre pour sélectionner un projet lié aux énergies renouvelables, dans le cadre d’une coopération technique. Le projet sélectionné devra répondre aux besoins d’une communauté de l’une des municipalités de la zone du Bassin Foz do Bassin Amazonas, parmi lesquelles figure l’Amapá.
La Guyane est elle aussi un territoire géographiquement isolé au sein du continent sud-américain. Le territoire, d'une superficie de 86 504 km², est limité, au nord, par une côte plate et marécageuse, et formée de terrains sédimentaires récents. A l'est, la frontière est constituée par le fleuve Oyapock, qui sépare la Guyane et le Brésil, et, à l'ouest, par le fleuve Maroni, situé entre la Guyane et le Surinam. Enfin, au sud, la frontière avec le Brésil est matérialisée par la ligne de partage des eaux avec le bassin de l'Amazone.
La Guyane possède 300 km de côtes, 520 km de frontières avec le Surinam, et 700 km de frontières avec le Brésil. Cayenne, chef-lieu du département, se situe à 7 072 km de Paris et à 1 500 km de Fort-de-France, et à 5 000 km de Rio de Janeiro.
L’espace territorial est fortement cloisonné. Couvert à 90 % d'une forêt équatoriale dense, le maillage de l'espace territorial est déséquilibré : le réseau routier, peu développé, ne concerne que les communes du littoral. Les autres communes - à l'exception d’Apatou, qui a été reliée au réseau routier en 2010 - ne sont accessibles que par voie aérienne ou fluviale. Maripasoula et Saul, isolées en pleine forêt, disposent d'une liaison aérienne quotidienne avec Cayenne. Pour les autres communes de l'intérieur, les fleuves constituent des voies de transport et de communication naturelles.
Comme le souligne le rapport du sénateur Antoine Karam sur ces deux projets de loi, l’un des principaux problèmes qui se pose à la frontière entre la Guyane et le Brésil est l’importance de l’activité d’orpaillage pratiqué de manière illégale et clandestine par les « garimpeiros » (orpailleurs brésiliens). Ces activités s’accompagnent de graves dommages environnementaux (saccage de la forêt amazonienne), provoquent des contaminations des populations amérindiennes du fait de l'usage du mercure et engendrent un climat de forte violence.
Les forces de gendarmerie françaises luttent activement contre ce fléau dans le cadre des opérations dites « Anaconda » menées depuis 2002. Depuis 2008, une opération d’envergure est menée sous le nom d'opération « Harpie » qui a permis de freiner l’expansion des orpailleurs, avec des destructions systématiques du matériel trouvé sur place et des contrôles renforcés.
La pression migratoire, du fait de l’écart de développement entre les deux régions, est une autre difficulté qui se pose à la frontière. Il faut ici distinguer plusieurs types de migrations :
– les flux migratoires de court terme : environ 1150 visas de court séjour délivrés en 2015. L’ouverture, à l’été 2015, d’une liaison aérienne Cayenne-Belém a vocation à faire croître le nombre des demandes, en particulier en provenance de l’Etat du Para. La compagnie brésilienne Azul, qui exploite la ligne, envisage à terme une escale à Macapa (capitale de l’Amapa).
– les mouvements transfrontaliers quotidiens entre les 3500 habitants de Saint-Georges et les 20 000 habitants d’Oiapoque, dans le cadre du régime spécial de circulation transfrontalière entré en vigueur en 2014. 200 cartes de frontalier ont été mises en circulation depuis avril 2015.
– l’immigration irrégulière (bilan 2014) : 21 filières démantelées, 72 personnes mises en cause (20 filières et 40 personnes en 2013). 68 OQTF délivrées et exécutées, 4 personnes déférées et écrouées, 31 convocations par officier de police judiciaire (COPJ).
– la migration légale : environ 75 visas de long séjour pour la Guyane ont été délivrés à des ressortissants brésiliens en 2015.
La géographie complique le contrôle des flux transfrontaliers entre la France et le Brésil. Le long de la frontière fluviale, longue de 430 km (fleuve Oyapock) les personnes et les marchandises entrant par pirogue sur le territoire français ne sont contrôlées qu’au niveau de l’embarcadère de Saint-Georges de l’Oyapock. Les contrôles douaniers et policiers sont effectués par le bureau de douane, composé de 2 agents, et une brigade de surveillance extérieure, actuellement composée de 18 agents, avec un effectif-cible de 21 agents à l’ouverture du pont sur l’Oyapock. Depuis fin 2015, les services de police et de douane travaillent ensemble au sein du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) de Saint-Georges. La présence au point frontière et les contrôles exercés ne sont pas systématiques.
La mise en service du pont ouvrira une période de transition, pendant laquelle les contrôles s’effectueront à la fois à l’embarcadère et au pont. Ce dernier a toutefois vocation à devenir progressivement l’unique point de franchissement autorisé de la frontière.
Décidée en 1997 par les Présidents Chirac et Lula, la construction du pont sur l’Oyapock a débuté en 2005 pour s’achever en 2011. Son ouverture s’est toutefois heurtée, depuis lors, à de multiples obstacles matériels et réglementaires.
Le premier d’entre eux réside dans les retards pris par les travaux de voirie côté brésilien. Si le raccordement du pont à la route et la construction des principaux bâtiments ont bien été achevés en 2013, beaucoup reste encore à faire : construction d’un entrepôt pour les marchandises et d’un parking, éclairage, marquage au sol. Le Brésil n’a, par ailleurs, pas encore affecté le personnel chargé d’effectuer les contrôles frontaliers (douaniers et policiers) et d’assurer la protection du pont. L’appel d’offre devant permettre ces ultimes travaux a tardé à être lancé et, selon les prévisions des autorités brésiliennes, les travaux ne devraient pas être conclus avant la fin de l’année 2016.
La route reliant Macapa à Cayenne, en passant par Oiapoque et Saint-Georges, constitue le principal axe de circulation dans la région, et le seul en état d’accueillir un trafic routier substantiel. Elle est bitumée sur la totalité de son tracé côté français ; en revanche, environ 105 km manquent toujours côté brésilien, où les pluies torrentielles de l’été 2015 ont entraîné des affaissements de chaussée qu’il a fallu réparer.
En second lieu, la mise en service du pont nécessite la réception officielle de l’ouvrage par la maîtrise d’ouvrage brésilienne, qui donnera lieu à des contrôles de conformité techniques en présence des représentants des deux parties. Or, à ce jour, les conditions ne sont pas encore remplies pour que cette cérémonie puisse avoir lieu, le manuel technique pour l’entretien du pont n’étant pas encore agréé entre les deux parties.
L’absence de ratification de l’accord sur les transports routiers constitue en elle-même un frein à l’inauguration du pont. En effet, on peine à envisager d’ouvrir un pont sur lequel ne pourraient circuler que les particuliers –dont peu sont motorisés dans cette région-, à l’exclusion des professionnels du transport de personnes et de marchandises, alors même que la construction d’un pont visait précisément l’intensification des flux humains et commerciaux, au-delà de la seule zone frontalière. Pour sa part, le Brésil a ratifié cet accord en août 2015. Par ailleurs, le pont est situé à presque 5km de l’embarcadère et du centre-ville de Saint-Georges et d’Oiapoque, ce qui le rend peu praticable au quotidien pour les piétons.
Enfin, les réticences étaient d’ordre politique : le Brésil craignait que l’ouverture du pont ne vienne souligner, aux yeux de son opinion publique, l’asymétrie des politiques de visas entre nos deux pays. Aujourd’hui, les concessions faites par la France pour assouplir l’obligation de visa de court séjour (carte de frontalier et plusieurs cas très encadrés de dispense, voir supra) ont contribué à apaiser ces inquiétudes.
Pour l’heure, les Brésiliens travaillent sur l’hypothèse d’une ouverture du pont sur l’Oyapock en novembre 2016.
1. La coopération transfrontalière entre la Guyane et le Brésil : des efforts entrepris ces dernières années, qui doivent être poursuivis
Selon les informations communiquées à votre rapporteur par le ministère des affaires étrangères et du développement international, la coopération transfrontalière est évaluée à intervalles réguliers par deux instances : un Conseil du Fleuve (technique) et une Commission mixte transfrontalière annuelle (politique). Elle repose sur plusieurs axes :
– sécurité : le Centre de coopération policière (CCP) de Saint-Georges entretient des relations régulières avec la police brésilienne. La lutte contre l’orpaillage illégal prend progressivement forme, avec des résultats très encourageants au cours des deux dernières années (de 479 à 204 chantiers clandestins actifs recensés entre janvier 2014 et décembre 2015), et la première opération conjointe entre les forces armées brésiliennes et guyanaises au printemps 2015 (opération Tavara, dans le cadre de Harpie). Les deux parties s’efforcent par ailleurs de promouvoir une exploitation aurifère légale et responsable (réduction de l’usage du mercure). La lutte conjointe contre la pêche illégale s’est également améliorée depuis 2013 avec le déploiement régulier de patrouilles conjointes, même si les suites judiciaires données à ces opérations par la partie brésilienne demeurent perfectibles.
– développement, économie, commerce : il existe un fort engagement des acteurs économiques (Chambre de commerce et d’industrie de Guyane, CCIG ; Fédération du commerce de biens, services et tourisme de l’Amapa, Fécomercio) pour promouvoir le développement des échanges et la circulation des hommes d’affaires. La CCIG dispose ainsi d’un poste de VIE à Macapa, installé dans les locaux de notre consul honoraire, et dont la mission consiste à faciliter le renforcement des échanges économiques et commerciaux entre la Guyane et l’Amapa.
– santé, sciences, environnement : créé en 2011, le projet Guyamazon a permis le financement de nombreux programmes de recherche et d’échanges scientifiques et technologiques sur les thématiques liées au biome amazonien. Ce programme devrait prendre de l’ampleur dans les années à venir, grâce à un financement sur fonds européens (l’Amapa, comme l’Amazonas et le Para, participant au prochain PC INTERREG Amazonie pour la période 2014-2020). Les nombreuses perspectives de la coopération en matière de santé (santé des populations autochtones, lutte contre les maladies vectorielles et le VIH) font également l’objet de plusieurs projets bilatéraux et sont traitées dans le cadre de « semaines de la santé » semestrielles, bien suivies par les acteurs concernés.
– culture et éducation : la toute nouvelle Université de Guyane, créée en janvier 2015, cherche à développer des partenariats avec des établissements brésiliens de formation. Des stages d’immersion linguistiques existent déjà pour les enseignants guyanais et amapéens.
La perspective de l’inauguration du pont sur l’Oyapock a suscité ces dernières années un mouvement d’institutionnalisation de ces coopérations, à travers la signature d’une série d’accords internationaux : accords transfrontaliers en matière de coopération policière (1997), d’orpaillage (2008), de sécurité civile (2012), de transports routier (2014), et de dédouanement (2014) et circulation transfrontalière entre Saint-Georges de l’Oyapock et Oiapoque (régime spécial instauré par échange de lettres en 2015).
Les Brésiliens ont aussi montré ces dernières années une réelle volonté de coopérer en matière de lutte contre la pêche illégale. La mise en œuvre de l’accord de 2008 relatif à la lutte contre l’orpaillage clandestin, promulguée par la présidente brésilienne en 2013, favorise la coopération opérationnelle sur le terrain, avec des résultats encourageants quoiqu’encore insuffisants.
Les accords sur les transports terrestres internationaux et sur les produits de subsistance, tous deux signés en 2014, s’inscrivent dans cette dynamique.
Mais il est des domaines dans lesquels la collaboration devrait être plus intense. Ainsi, au lendemain de la COP21, les questions environnementales et de protection de la biodiversité semble devoir être un axe majeur du développement transfrontalier. La France qui est le seul pays européen disposant d’une forêt tropicale sur son territoire national (en Guyane française), a une responsabilité particulière pour leur conservation et gestion durable. Elle dispose d’une expertise particulière sur la gestion durable des forêts tempérées et tropicales. La France a apporté un appui continu au REDD+ (1) et aux initiatives connexes de lutte contre la déforestation. Les recherches universitaires sur la protection de la région amazonienne devraient également être au cœur de la coopération régionale entre la Guyane et le Brésil.
La Guyane est le seul territoire français pour lequel l’obligation de visas de court séjour pour les Brésiliens n’a pas été levée, par dérogation à l’accord sur la libre circulation des personnes conclu entre le Brésil et l’Union européenne. En effet, depuis 2004, les Brésiliens sont dispensés de l’obligation de visa de court séjour pour se rendre dans les États de l’espace Schengen et dans les territoires ultra-marins français, à l’exception de la Guyane, pour laquelle cette obligation est maintenue en raison de la pression migratoire brésilienne.
Les autorités brésiliennes réclament la suppression de cette obligation depuis des années. L’ambassadeur du brésil à Paris l’a d’ailleurs rappelé lors de son audition à votre rapporteur.
La France a cependant consenti des efforts ces dernières années pour assouplir le régime de circulation transfrontalière. L’intensification des flux humains, économiques et culturels que la France appelait de ses vœux justifiait des aménagements.
Le premier assouplissement, instauré par échange de lettres des 28 mars et 26 avril 2014, a consisté à mettre en place, à compter du 12 juin 2014, un régime spécial de circulation transfrontalière réservé aux ressortissants des communes frontalières de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et d’Oiapoque (Brésil). Ses bénéficiaires se voient délivrer, à leur demande, une carte de frontalier leur permettant d’entrer – via les points d’entrée autorisés – et de circuler librement sur les territoires des deux communes, pendant 72 heures consécutives maximum, sans restriction sur le nombre d’entrées. Chaque pays conserve le droit de refuser l’entrée de ressortissants de l’autre pays s’ils sont jugés indésirables.
Par ailleurs, depuis 2011, le consul honoraire à Macapá est habilité à délivrer des visas de court séjour aux ressortissants de l’Amapa et aux Brésiliens de passage. Ce dispositif, unique dans le réseau consulaire français, a permis de répondre en partie seulement aux griefs du Brésil.
Enfin, l’arrêté du 11 mars 2016 modifiant l’arrêté du 26 juillet 2011 relatif aux documents et visas exigés pour l’entrée des étrangers sur le territoire de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, a introduit deux cas de dispense de visa de court séjour pour les Brésiliens titulaires de passeports ordinaires :
– séjours d’une durée inférieure à quinze jours pour les ressortissants dont le voyage et le séjour sont organisés par l’intermédiaire d’un opérateur de voyages et de séjours établi en Guyane et immatriculé au registre des opérateurs de voyages et de séjours ou par un opérateur ayant conclu un accord de partenariat avec une telle agence ;
– séjours d’une durée n’excédant pas trois jours à l’occasion d’une escale au cours d’un trajet aérien à destination du territoire européen de la France, du Brésil ou d’un autre territoire ultramarin français.
Il est évident qu’il conviendra, pour faciliter les échanges entre nos deux pays, de poursuivre progressivement ces efforts d’assouplissement (les étudiants et les chercheurs devraient notamment bénéficier de facilités).
L’accord sur les biens de subsistance vient parachever le dispositif du régime spécial de circulation transfrontalière, en exonérant les bénéficiaires de ce régime de certains droits et taxes applicables aux produits acquis sur le territoire de l’État voisin. En ciblant spécifiquement les produits de consommation courante que les frontaliers sont le plus susceptibles d’acquérir lorsqu’ils se rendent sur l’autre rive du fleuve, l’accord vise à accroître l’attrait du régime spécial et son impact réel dans le quotidien des populations frontalières.
La liste des produits concernés est arrêtée avec précision : nourriture, vêtements, chaussures, revues, produits d’hygiène et d’entretien. Alcools et tabac sont exclus du dispositif. L’accord s’applique dans les conditions définies par le statut de frontalier, c’est-à-dire qu’il est réservé aux particuliers porteurs d’une carte de frontalier, ne s’applique que dans les limites géographiques des communes frontalières de Saint-Georges et d’Oiapoque, et ne porte que sur des biens réservés à la consommation privée, à l’exclusion des marchandises importées à des fins de revente.
Les produits dits « de subsistance » sont principalement soumis à l’octroi de mer, applicable aux importations de biens dans les territoires d’outre-mer par substitution à la TVA. Le système de franchise d’octroi de mer est prévu à l’article 8 de la loi sur l’octroi de mer n° 2004-639 du 2 juillet 2004 telle que modifiée par la loi n° 2015-762 du 29 juin 2015.
L’exonération de droits et taxes sur les biens de consommation courante devrait conduire à une intensification des flux de personnes effectuant des achats de part et d’autre de la frontière. Il en résultera un surplus d’activité pour les commerces de Saint-Georges et d’Oiapoque, y compris en termes de consommation de services.
Les conséquences financières sont faibles, dans la mesure où les franchises ne s’appliquent qu’à des particuliers, les frontaliers, qui n’effectuent pas d’activité commerciale. Par ailleurs, les produits fortement taxés tels que les alcools et tabacs, ne sont pas concernés par le régime spécial transfrontalier. Les douanes évaluent le manque à gagner à 12 000 euros par an maximum.
L’accord sur les transports routiers internationaux de marchandises et de passagers a fait l’objet de quatre sessions de négociations bilatérales à Paris (décembre 2009), Brasilia (février et juin 2010) et Cayenne (mai 2010). Ces discussions ont été précédées et suivies de concertation avec les milieux économiques guyanais. L’accord a été signé à Paris le 19 mars 2014 par M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, et son homologue brésilien, M. Luiz Alberto Figueiredo.
L’accord vise à accompagner l’ouverture du pont sur l’Oyapock en fixant les conditions d’entrée et de circulation des professionnels du transport sur le territoire des deux États parties, entre les deux communes frontalières et, au-delà, de relier Cayenne aux grandes villes du Nordeste brésilien (Macapa, Belém, Recife). C’est à cette seule condition que le pont sur l’Oyapock jouera pleinement le rôle politique et symbolique qui lui avait été initialement assigné, celui de trait d’union entre la France et le Brésil et, au-delà, entre l’Europe et l’Amérique latine. Plus prosaïquement, l’enjeu sous-jacent est de favoriser l’intégration économique du Plateau des Guyanes avec, pour la France, l’approfondissement du dialogue entre la Guyane et ses voisins ; pour le Brésil, un certain désenclavement de l’Etat de l’Amapa, l’un des plus pauvres du pays.
L’accord ne concerne que les professionnels du transport de personnes (taxis compris) et de marchandises, à l’exclusion des particuliers, soumis à des règles de circulation différentes.
Les négociations ont longtemps achoppé sur la question des assurances exigibles pour franchir le pont sur l’Oyapock, avant qu’il ne soit finalement décidé de renvoyer cette épineuse question à un groupe de travail ad hoc, prévu par l’accord (voir infra).
Les collectivités territoriales (conseils régional de Guyane, mairie de Saint-Georges, Communauté de communes de l’est guyanais) et les milieux socio-professionnels (transporteurs, assureurs) seront associés aux réunions de la commission de suivi de l’accord « transports », avec le statut de membres invités. L’objectif est de répondre aux interrogations et inquiétudes exprimées par ces acteurs.
Les très importants écarts en matière de tarification et de couverture des risques entre les réglementations française et brésilienne n’ont pas permis, à ce jour, de trouver un terrain d’entente, malgré plusieurs session de discussions bilatérales associant les professionnels du secteur, nationaux et locaux. Le Brésil estime que l’objectif d’intégration de la Guyane dans son environnement régional justifie de faire converger, au moins partiellement, les conditions d’assurance (en particulier tarifaires) en vigueur sur le territoire guyanais avec les pratiques observées dans les pays voisins, en particulier au Brésil. Or, les exigences du droit national français et du droit européen interdisent une telle convergence, même si certains assouplissements sont possibles.
Toutefois, cette question ne fait pas juridiquement obstacle à l’ouverture du pont ; faute d’accord, les Brésiliens souhaitant circuler sur le territoire guyanais pourront toujours souscrire à une police d’assurance-frontière vendue par les douanes à la frontière, à des tarifs fixés par le Bureau central français (fédération d’assureurs).
Les deux accords ont été approuvés par le Parlement brésilien le 18 août 2015. Ils doivent désormais être promulgués par la Présidence de la République. Il revient donc à la France d’en achever la ratification.
En l’état actuel, les échanges entre la Guyane et l’État de l’Amapa sont très réduits et s’effectuent principalement par circulation de pirogues sur le fleuve Oyapock, par cabotage maritime et par voie aérienne.
Les deux accords soumis à l’accord de notre Assemblée vont accompagner l’ouverture du pont Oyapock, qui doit faciliter ces échanges et les concentrer sur un point d’entrée principal sur le territoire.
Ils vont dans le sens d’une meilleure intégration régionale entre la Guyane et le Brésil. Mais l’inauguration du pont, si elle demeure un symbole fort, devra s’accompagner d’un réel effort de coopération régionale au service du développement durable des deux rives et d’un dialogue approfondi avec les Brésiliens sur la question des visas.
Au bénéfice de ces remarques, votre rapporteur propose d’adopter les deux présents projets de loi.
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
– M. Paulo Cesar de Oliveira Campos, ambassadeur du Brésil, accompagné de M. Luiz Claudio Themudo, conseiller politique ;
– Mme Estelle Halimi, rédactrice et Mme Carine Viallon, rédactrices au Ministère des affaires étrangères et du développement international, M. François Lavalette, adjoint à la sous-directrice des Transports routiers et M. Pierre-Yves Le Corvaisier et M. Sébastien Tur, chargés de mission au Ministère des Transports, M. Hugues Chevalier, chef de section et M. Thomas Delhaye, rédacteur, Commissaires des Douanes et Mme Marie-Anne Mouly, rédactrice à la Direction générale des douanes et droits indirects au Ministère des Finances, M. Guillaume Lagrée, chef de la mission droit européen et international et Mme Agnès Fontana, sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles au Ministère des Outre-mer ;
– Mme Myriam Aflalo, service de coopération de la préfecture de Guyane ;
– M. Rodolphe Alexandre, président de la Collectivité Territoriale de Guyane ;
– Consultation des membres du Conseil consultatif des populations améridiennes et bushinengés ;
– M. Georges Elfort, Maire de Saint Georges de l'Oyapock.
La commission examine les deux présents projets de loi au cours de sa réunion du mardi 28 juin 2016.
Après l’intervention du rapporteur, un débat a lieu.
M. Thierry Mariani. J’ai deux questions à poser.
J’ai vu que ce texte avait été à votre demande inscrit en séance publique. C’est en général une procédure exceptionnelle. Pourquoi cette demande a-t-elle été formulée par votre groupe ?
On entend parler de ce pont depuis des années, et sa livraison est donc une très bonne nouvelle. J’en entends surtout parler pour les problèmes d’immigration : à chaque fois, on nous explique que la frontière n’est ni contrôlée, ni contrôlable. J’ai compris que cet accord ne réglerait pas ce problème. Y a-t-il des discussions là-dessus, ou ferme-t-on les yeux sur ce problème ?
M. Gabriel Serville. J’ai tenu particulièrement à ce qu’il y ait un débat en séance, même court. L’idée est de faire en sorte que la représentation nationale soit saisie de cette question, ne serait-ce qu’à titre d’information. Il est pour moi important que mes collègues de la France hexagonale s’imprègnent des problématiques propres à la Guyane et à son environnement. On aurait effectivement pu se passer de cette étape, mais je ne suis pas persuadé que cela aurait facilité la compréhension des enjeux sur lesquelles pourtant nous, les parlementaires guyanais, intervenons souvent : empaillage illégal, sécurité, immigration, etc. J’ai considéré qu’il était opportun, voire judicieux, de faire en sorte que ces questions connaissent un écho plus large, et ne soient pas examinées en catimini.
Il est vrai qu’il y a un excès de fantasmes autour de ce pont, qui a été livré en 2011, et qui nous l’espérons entrera en service avant la fin de l’année 2016. Beaucoup de Guyanais imaginent que, par l’intermédiaire du pont, on verra accroître le flux migratoire et la pression migratoire des Brésiliens sur la Guyane. En réalité, les Brésiliens qui veulent émigrer vers la Guyane n’ont pas besoin du pont : ils traversent sur des embarcations ou à la nage pour certains.
C’est un outil qui va permettre de renforcer une coopération qui préexiste, de manière informelle, entre la Guyane et l’État voisin. Ce pont, quand il sera livré, permettra une circulation non nécessairement libre mais du moins mieux organisée, et un développement économique plus fort que celui que l’on connaît aujourd’hui. Je pense aussi aux échanges culturels ou sportifs, aujourd’hui réfrénés par les problèmes de visas.
Les Brésiliens déplorent souvent l’asymétrie dans le traitement des visas : les Guyanais n’ont pas besoin de visa pour aller au Brésil, alors que celui-ci est exigé aux Brésiliens pour entrer en Guyane (alors qu’ils n’en n’ont d’ailleurs pas besoin pour entrer sur le territoire de la France hexagonale). Je pense que cette question de visas imposés aux Brésiliens vient de la peur qu’a pu avoir le monde politique de voir la Guyane envahie par des ressortissants Brésiliens. Dans tous les cas, nous ne sommes pas du tout convaincus que cette situation d’asymétrie a vocation à perdurer. Cela génère en effet une espèce de trouble dans la manière dont les Brésiliens appréhendent leur relation avec la Guyane, même si de part et d’autre on n’a pas attendu la construction du pont pour créer des relations de bon voisinage entre le Brésil et la Guyane. La France fait cependant des efforts, avec notamment la mise en place d’une carte transfrontalière pour les résidents de part et d’autres du fleuve, pour des délais allant de d’un jour à 72 heures, qui leur permet de circuler librement. Les Brésiliens prétendent que c’est une sorte de « visa caché ». C’est selon moi un pas en avant vers une meilleure coopération et de meilleurs échanges.
Sur les accords soumis à notre approbation, certaines questions demeurent en suspens. C’est notamment le cas de la question des assurances. C’est une question qui va être réglée rapidement car il y a sur le terrain une grosse attente de la part des acteurs économiques, du monde sportif et du monde culturel, qui voient l’ouverture de ce pont comme un vrai vecteur de communication entre les deux territoires.
M. Thierry Mariani. Je suis allé sur place. Où se fait la délivrance des visas ?
M. Gabriel Serville. Elle ne se fait pas à la frontière mais dans la ville de Macapa, située à 600 km de la frontière.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les projets de loi n° 3746 et n° 3747 sans modification.
TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises (ensemble une annexe), signé à Paris le 19 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil), signé à Brasilia le 30 juillet 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
NB : Le texte des accords figurent en annexe aux deux projets de loi (n° 3746 et n° 3747)
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