Audition Christophe Steiner, ambassadadeur de Monaco (25 juin 2019)

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Audition de l’ambassadeur de Monaco en France
25 juin 2019

Étaient présents : Olivier Dassault, président du groupe d’amitié, Marc Le Fur, vice-président de l’Assemblée nationale, Alexandra Valetta Ardisson, vice-présidente du groupe d’amitié, Emmanuelle Anthoine, Valérie Bazin-Malgras, Gérard Cherpion, Joachim Son-Forget, députés.

Son Exc. M. Christophe Steiner était accompagné de M. Frédéric Labarrère, ministre conseiller, Mme Valérie Bruell-Melchior, ministre conseiller, Mme Séverine Dusaintpère, première secrétaire, et Mme Sybille Projetti, deuxième secrétaire.

M. Olivier Dassault, président du groupe d’amitié. Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation. Vous êtes en place à Paris depuis le début de l’année. Vous êtes cependant connu de beaucoup d’entre nous pour avoir été pendant quinze ans membre du Conseil national de Monaco et en avoir exercé la présidence de 2016 à 2018. Votre grande carrière dans le commerce et la finance accroît d’autant plus notre intérêt pour votre personne que j’ai souvent considéré que les questions économiques n’étaient pas assez traitées à leur juste mesure dans les relations politiques entre la France et Monaco.

En septembre dernier, j’ai conduit à Monaco une délégation d’une dizaine de députés. Nous avons été reçus par Stéphane Valeri et le Conseil national mais également par Son Altesse le Prince souverain de Monaco et le ministre de l’intérieur. Nous avons aussi eu en fin de visite une réunion de travail très instructive avec la fédération des entreprises monégasques. Monsieur l’ambassadeur, nous allons vous entendre présenter la situation de la Principauté et ses relations avec la France. Notre groupe d’amitié prête une attention particulière aux négociations d’un projet d’accord d’association avec l’Union européenne car cet accord aurait un fort retentissement sur les accords existant entre nos deux pays et sur nos relations économiques. Les élections européennes et le renouvellement de la Commission européenne ont conduit à temporiser les discussions mais votre analyse des perspectives au regard de la nouvelle configuration politique européenne nous intéresse. Les questions d’accès au logement des Monégasques – c’est d’ailleurs le premier sujet abordé par Stéphane Valeri à l’ouverture de la dernière session du Conseil national –, de qualité de vie des travailleurs transfrontaliers et de circulation entre la France et Monaco ont également beaucoup préoccupé les parlementaires lors de notre visite en septembre dernier. Néanmoins nous nous réjouissons tous de l’excellence des relations, la profondeur de la collaboration et l’amitié sincère existant entre la France et Monaco.

Son Exc. M. Christophe Steiner. Votre invitation évoque beaucoup de souvenirs en moi, notamment celui de 2014 où j’étais venu en ces lieux à l’invitation du Président Claude Bartolone. Les relations franco-monégasques sont séculaires ; elles ont évolué au cours du temps ; le Prince Souverain Albert II y a apporté sa touche personnelle pour mettre l’accent sur l’écologie et la dimension économique de ces relations.

La Principauté accueille 140 nationalités et chaque jour entre 50 et 56 000 travailleurs se rendent à Monaco. De nombreux fonctionnaires français y sont détachés, notamment dans l’enseignement et les établissements de soins hospitaliers. L’enseignement scolaire est calqué sur les programmes français à quelques variantes près tenant notamment à l’enseignement de la langue monégasque, que je n’ai pas eu l’heur de connaître lorsque j’étais écolier – il date des années 1980 –. Plutôt qu’un long discours, je préfère être à votre écoute pour répondre à vos questions.

Mme Valérie Bazin-Malgras. Je souhaite vous questionner sur le nouveau quartier que Monaco construit sur la mer. Quels sont les objectifs de la Principauté et comment concilier ce projet avec la préservation écologique de la mer Méditerranée dans laquelle Monaco est très impliqué ?

Son Exc. M. Christophe Steiner. Le territoire monégasque s’est toujours étendu par des emprises sur la mer. Fontvieille est le plus ancien territoire gagné sur la mer ; le chantier a duré dix à quinze ans. L’accroissement de la population monégasque a contraint le Gouvernement à chercher à gagner de nouveaux terrains. Un appel à projets a été lancé en 2008 mais la crise économique a conduit la Principauté à stopper le projet. Les travaux en cours sont la reprise de ce projet. Vous connaissez l’attachement du Prince à la protection de la faune, de la flore et des fonds marins. Dans la mesure du possible, tout est donc fait pour préserver ce patrimoine marin : ainsi des barges prélèvent des fonds, qui sont envoyés en Hollande pour nettoiement et ensuite réimplantés. Des sociétés privées, parmi lesquelles Vinci et Bouygues, financent entièrement ces travaux.

Mme Emmanuelle Anthoine. À l’heure actuelle, quelle est la stratégie pour rendre la Principauté plus productive ?

Son Exc. M. Christophe Steiner. Le facteur crucial est la sécurité. Cet axe stratégique a été tracé par le Prince Rainier, qui avait commencé par fournir à la police un nouveau système de radiocommunication. À présent, ce sont des systèmes de caméras de surveillance et d’échanges entre les polices monégasque et française qui sont développés. Une coopération étroite existe avec la France, en particulier pour l’échange d’informations. La coopération transfrontalière est très active, en particulier à Beausoleil où nos territoires sont très imbriqués. Des réunions régulières sont organisées entre le préfet des Alpes-Maritimes, les maires des communes limitrophes et le Gouvernement monégasque, en particulier pour discuter de questions relatives à la sécurité.

Monaco rencontre, à une autre échelle, les mêmes problèmes auxquels la France est confrontée. Ainsi, notre tissu industriel naguère très important – de nombreuses PME se sont développées après la dernière guerre, notamment dans l’industrie pharmaceutique – s’est délocalisé car, au gré des transmissions au sein des familles, ces entreprises ont été acquises par de grands groupes internationaux qui n’ont pas trouvé intérêt à maintenir à Monaco les petites structures de production. L’emploi industriel s’en est fortement ressenti. De même au plan fiscal, comme en France, la moitié des recettes de l’État provient de la TVA, viennent ensuite les revenus des concessions (Société des bains de mer dont le capital est détenu à 60 % par l’État, téléphone,…).

Le tourisme d’affaires a été développé en construisant également sur la mer, en particulier un grand centre de congrès. La question de la sécurité des visiteurs est au cœur de nos préoccupations car cet endroit est très particulier. De grandes parois ont été bâties. Le centre fonctionne bien et attire de grandes manifestations internationales, il dépasse d’ailleurs nos prévisions, ce qui accroît les problèmes de circulation.

Mme Alexandra Valetta Ardisson. Je suis députée de la 4e circonscription des Alpes-Maritimes qui entoure la Principauté. Je vis quotidiennement les interactions dont vous avez parlé. La Principauté a effectivement tendance à installer certaines de ses infrastructures, notamment sportives, dans les communes alentour. J’ai rencontré dernièrement le maire de Beausoleil qui est préoccupé par la construction de logements sociaux pour les travailleurs français ayant de ressources tirées de leur activité à Monaco. Les critères français de ressources pour l’accès aux logements sociaux ne sont pas adaptés. Comment serait-il possible d’aider la Principauté à construire des logements sociaux en France auxquels ces travailleurs seraient éligibles selon les critères monégasques.

Son Exc. M. Christophe Steiner. Pendant vingt ans des logements ont été construits à Cap d’Ail pour les fonctionnaires français détachés à Monaco ; une partie de ces logements a été laissée à la discrétion de la commune. La Principauté a reçu beaucoup de doléances du maire de Beausoleil concernant en particulier le départ de la gendarmerie puis une aide à la construction d’une école (6 309 élèves sont scolarisés à Monaco dont 46 % résident en France). La Principauté investit régulièrement dans les communes limitrophes : elle possède 600 appartements sur la France pour loger ses agents et les employés de ses concessionnaires. 150 logements sont en cours de réalisation. En outre, le Gouvernement français a participé au financement de la construction de 39 logements sociaux à Cap d’Ail. D’autres projets sont en cours, y compris à Beausoleil, qui avait d’ailleurs été créé pour loger les travailleurs de la société des bains de mer notamment ceux effectuant les travaux de construction.

M. Gérard Cherpion. Quelle est la répartition socio-professionnelle des travailleurs français à Monaco ? Y a-t-il une spécificité du droit du travail monégasque ?

Son Exc. M. Christophe Steiner. Les 56 000 travailleurs sont en majorité installés dans les communes limitrophes, mais également à Antibes et Juan-les-Pins. Ils couvrent un spectre très large de secteurs. Le secteur industriel a cependant souffert d’une forte baisse de ses effectifs : beaucoup de sociétés ont quitté Monaco à cause du coût de la main-d’œuvre et se sont relocalisées dans les pays de l’Est. Le droit économique est spécifique à Monaco, en particulier pour pouvoir y exercer une activité : il faut y être autorisé, y compris pour ouvrir une société. Le maintien de cette spécificité est l’enjeu de la négociation en cours avec l’Union européenne. Le droit du travail est plus libéral qu’en France : le licenciement est permis dès lors que des indemnités sont réglées. Cela crée de la flexibilité dans l’embauche et la gestion des effectifs. Les salariés cotisent à la caisse de compensation des services sociaux qui alimente Pôle emploi car il n’y a pas à Monaco d’assurance chômage. Monaco dispose de d’une caisse sociale pour les salariés et d’une autre pour les travailleurs indépendants. Les travailleurs de nationalité française bénéficient de toutes les prestations sociales et familiales monégasques, en général plus élevées qu’en France. Les salariés résidant en France ont reçu en 2017-2018 (exercice annuel) 49,6 millions d’euros de prestations familiales. La caisse des indépendants a versé sur la même période 72 millions d’euros aux Français. Les entreprises monégasques cotisent à l’assurance chômage française ; leurs versements sont passés de près de 62 millions en 2005 à plus de 110 millions en 2018. En 2018, plus de 6 000 personnes résidant en France ont reçu des allocations venant de Monaco pour plus de 50 millions d’euros.

M. Joachim Son-Forget. Monaco est très actif en matière de protection des océans et des mers notamment par le biais de sa fondation et par les engagements du Prince souverain dont l’expression sur ce sujet est toujours attendue dans les conférences internationales. Le Président Emmanuel Macron a récemment exprimé sa volonté de créer de nouveaux parcs marins ; quelles pistes de coopération avec Monaco sont-elles envisageables ?

M. Olivier Dassault, président. Je signale que le groupe d’amitié visitera prochainement la Maison des océans installée par Monaco à Paris. Y aurait-il par ailleurs d’autres sites dédiées ?

Son Exc. M. Christophe Steiner. La Maison des océans a été fondée par Albert Ier. La Prince Albert II a tenu à y accueillir M. Peter Thomson, envoyé spécial pour les océans du secrétaire général des Nations unies (le premier à être nommé par l’ONU). L’Institut de paléontologie humaine est une autre fondation créée par Albert Ier

M. Joachim Son-Forget. Je remets aujourd’hui un rapport d’information avec Jean-Luc Mélenchon sur la mer et les océans et la stratégie de la France.

Son Exc. M. Christophe Steiner. La lutte contre le changement climatique a été un des premiers chevaux de bataille du Prince souverain. Le combat pour le développement durable des océans avait débuté par la défense des baleines, et les initiatives ou les partenariats des souverains ont été trop nombreux pour tous les énumérer. L’engagement est séculaire et les liens avec la France anciens – un Prince de Monaco a été Grand Amiral de France. Mais j’évoquerai quelques engagements significatifs. En 2010 s’est tenue la première Monaco Blue Initiative, plate-forme de discussion annuelle encourageant les échanges entre les scientifiques et les décideurs politiques et économiques, co-organisée par l’Institut Océanographique et la Fondation Prince Albert II. Monaco suit la mise en œuvre de l’objectif de développement durable n° 14 consacré aux mers et océans. En 2017 a été lancée la première ocean week de Monaco, semaine de rencontres et de débats sur la préservation des océans entre les acteurs clés du monde la mer. Depuis le 4 juillet 2018, Monaco assure, à la suite de la France, la présidence du secrétariat de l’International Coral Reef Initiative (ICRI), chargé de la protection des coraux, avec l’Australie et l’Indonésie. Dans le cadre du GIEC, Monaco a défendu l’élaboration d’un rapport spécial sur les océans ; un deuxième rapport devrait être publié en septembre 2019. En octobre 2019, Monaco accueillera la 36e conférence ministérielle de la francophonie. Enfin Monaco participe activement à la préservation de la Méditerranée (protection des espèces et de la faune, lutte contre les pollutions, préservation du sanctuaire Pelagos, respect de la convention de Barcelone, accueil d’entités internationales chargées d’études et de la préservation des milieux marins) et agit également pour l’intensification du tri sélectif et la réduction des emballages en interdisant totalement en 2020 les emballages plastiques sur son sol (les sacs plastiques à usage unique ayant été interdit en 2016).

M. Olivier Dassault, président. Un point sur l’adoption du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre sur la coopération en matière de sécurité sanitaire entre la France et Monaco : j’étais intervenu auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères pour appeler son attention sur l’urgence de la situation ; le texte a été présenté au Sénat le 22 mai 2019 et approuvé. J’ai réactivé Mme Marielle de Sarnez, l’adoption à l’Assemblée nationale devrait se faire sans tarder.

Son Exc. M. Christophe Steiner. Effectivement, Monaco n’a plus les moyens, ni matériels ni humains, d’assurer la collecte du sang en raison de la restructuration de ses établissements hospitaliers.

M. Olivier Dassault, président. Je voudrais aborder un dernier sujet : l’évolution des discussions sur le projet d’accord d’association avec l’Union européenne ; quelles en sont les perspectives ?

Son Exc. M. Christophe Steiner. Il ne s’agit nullement d’une adhésion à l’Union européenne mais des accords de branche sectoriels concernant trois petits États européens (Monaco, Andorre et San Marin). Les discussions avancent mais Monaco est confronté à deux problèmes : premièrement, si l’UE a des frontières extérieures, elle en a également à l’intérieur de son territoire, et elles sont difficiles à gérer. Le projet d’accords a une première partie concernant les modalités institutionnelles de l’association ; les problèmes ont été résolus, ceux qui subsistent concernent en fait les modalités d’application des « quatre libertés » européennes : à Monaco, l’installation dans certaines professions est soumise à autorisation : les experts-comptables, les avocats, les architectes, les kinésithérapeutes, les ostéopathes, les dentistes (pour les médecins la profession est totalement ouverte). Dans leur cas, une autorisation d’ouverture de cabinet et une autorisation d’installation sur le territoire sont nécessaires ; elles s’accompagnent d’un contrôle de sécurité complet, en lien d’ailleurs avec Interpol. Les négociations achoppent sur ce point. Le Conseil national s’est manifesté il y a trois semaines pour rappeler les lignes rouges à ne pas franchir dans la négociation de l’accord d’association, la spécificité du territoire devant être prise en compte, 56 000 personnes venant travailler quotidiennement à Monaco où coexistent 140 nationalités pour 9 000 nationaux. Les négociations se poursuivent cependant. Le Prince Albert II a rencontré Jean-Claude Juncker en mai dernier. La signature d’un accord d’étape a été évoquée mais le projet est en suspens à cause des élections européennes. Par ailleurs, Monaco est liée par des accords à la France. Or la relation avec la France est gouvernée par Bruxelles, comme dans le cas du commerce des médicaments. Le secteur alimentaire est également impacté, c’est ainsi que les organisateurs du tournoi de tennis de Monaco, qui se déroule sur le sol français, sont obligés d’acheter des sandwiches français ou européens car ils ne peuvent pas les importer de la Principauté en raison d’une interdiction de Bruxelles. Ajoutés aux problèmes de transport, la négociation nécessite de trouver des solutions à ces problèmes du quotidien tout en préservant la spécificité de Monaco et des liens l’unissant à la France.