Audition du groupe d'amitié France-Autriche du 4 décembre 2020

Partager

Audition, par visioconférence, de Son Exc. M. Michael Linhart, ambassadeur d’Autriche en France

4 décembre 2020

Contenu de l'article

M. Sylvain Waserman, Président, a remercié Son Exc. M. Michael Linhart, ambassadeur d’Autriche en France, d’avoir bien voulu accepter d’échanger avec les membres du groupe d’amitié sur la situation intérieure autrichienne, d’une part, et sur la possibilité d’organiser une visite en 2021 si les conditions sont réunies, d’autre part. À la suite des législatives anticipées du 29 septembre 2019, le Chancelier Sebastian Kurz a formé un gouvernement de coalition entre les Verts et le Parti conservateur, alliance unique en Europe. L’actualité intérieure autrichienne c’est aussi la pandémie de Covid-19 et les attentats du 2 novembre dernier. Enfin, si les restrictions de circulation sont levées en 2021, une visite des membres du groupe d’amitié pourrait être envisagée et il convient d’ores et déjà de réfléchir aux axes de travail qui pourraient être retenus. Deux sujets sont particulièrement intéressants pour une telle visite : le tourisme, et plus particulièrement le tourisme d’hiver, très important pour l’Autriche, et la formation professionnelle, le modèle autrichien étant bien établi et inspirant.

Son Exc. M. Michael Linhart, ambassadeur d’Autriche en France, a reconnu que le gouvernement de coalition droite-Verts constituait une nouveauté pour l’Autriche, même si de telles coalitions existaient déjà au niveau régional. Les coalitions sont une sorte de tradition en Autriche et celles-ci dépendent de plusieurs facteurs comme la situation à un moment donné, les personnages qui sont appelés à y jouer un rôle, etc. Il n’y a eu dans le passé que deux périodes sans coalition.

Des élections anticipées ont dû être organisées fin septembre 2019 à la suite de l’échec de la coalition entre le Parti conservateur et le parti d’extrême-droite FPÖ touché par un scandale vidéo. Le Parti conservateur a recueilli 37 % des suffrages et les Verts ont fait leur meilleur résultat national en atteignant presque 14 % des votes, alors que deux ans plus tôt le parti était pratiquement dissous. Bien que le score du Parti socialiste se soit établi à 21 %, il n’a pas été possible de reconduire l’ancienne coalition entre les conservateurs et les socio-démocrates car les personnalités n’ont pas été renouvelées alors que la précédente coalition s’était retrouvée quasi‑bloquée. La seule coalition possible pouvait se faire soit avec les Verts, soit avec le Parti libéral. Le choix s’est porté sur les Verts, d’une part parce que leur score était plus élevé, d’autre part parce qu’un sondage avait montré qu’une coalition avec les Verts recueillait le plus fort soutien de la population.

Des négociations ont alors été engagées sur un programme très clair et elles ont duré trois mois. Élaborer un tel programme de gouvernement nécessite toujours d’arriver à un compromis, chaque partie doit renoncer à certains sujets ou principes. Le gouvernement a été formé le 2 janvier 2020 sur la base d’un programme où l’économie, les finances, les migrations et la sécurité – notamment les questions de garde à vue, de rapatriement des migrants ou encore du recours au bracelet électronique – sont les priorités des conservateurs. Le recours au bracelet électronique a été intégré dans ce programme alors que jusqu’alors c’était impensable dans l’idéologie des Verts. Les écologistes ont obtenu que soient intégrés dans ce programme la protection du climat, la transparence des politiques et décisions gouvernementales, le développement, la lutte contre la pauvreté. Il est difficile de dire qui a gagné et qui a perdu avec ce programme, d’autant que de nombreux domaines sont restés sans accord de coalition et pourront faire l’objet d’accords futurs avec d’autres partis politiques. Puis la pandémie est arrivée et beaucoup des principes qui avaient été négociés dans cet accord de coalition ont été bouleversés, en particulier en matière économique avec les aides mises en place.

La première vague de Covid-19 a été très bien gérée grâce à des réactions anticipées très rapides. Ce qui a surtout joué est le nombre de lits en soins intensifs, deuxième le plus élevé derrière l’Allemagne avec 29 lits pour 100 000 habitants. La deuxième vague a touché beaucoup plus mais on en ignore les raisons. Actuellement le nombre de personnes contaminées est stabilisé à un niveau très élevé. Le 11 novembre 2020, on dénombrait 9 200 nouveaux infectés, contre 3 600 à la date du 4 décembre et 6 600 le 19 novembre 2020 par exemple. Le taux d’incidence sur sept jours glissants était, début décembre 2020, à 277 contre 392 une semaine plus tôt, et à 334 sur quatorze jours glissants. Des tests sont effectués dans tout le pays, département par département, l’objectif étant de tester toute la population. Les hospitalisations ont été stabilisées à 3 400 personnes le 4 décembre 2020 mais ne diminuent pas autant qu’en France : entre le 3 et le 4 décembre 2020, il y a eu pour la première fois une baisse avec moins 150 hospitalisations. S’agissant des personnes en soins intensifs, une première baisse est aussi intervenue avec moins 6 personnes, mais il y avait toujours 668 patients en réanimation. 55 % des lits sont occupés sur tout le territoire avec des régions où la situation est beaucoup plus tendue et des transferts d’une région à une autre ont été mis en place. Enfin, entre le 3 et le 4 décembre 2020, on a dénombré 120 décès supplémentaires.

Le confinement est intervenu plus tardivement qu’en France, le 17 novembre 2020, et est pratiquement total : les personnes ne sont autorisées à sortir que pour aller travailler, faire du sport sans limite de temps et se promener. Les restaurants, les bars, les écoles, les commerces non essentiels sont fermés. À partir du 7 décembre 2020, un allégement sera accordé entre 20 heures et 6 heures et, pour les fêtes de Noël et du Nouvel An, les réunions seront limitées à six personnes ; les commerces et les écoles pourront rouvrir partiellement. Entre le 19 décembre 2020 et le 10 janvier 2021, tout voyageur entrant en Autriche en provenance d’une zone de crise devra être placé en quarantaine de dix jours, si le taux d’incidence de ladite zone est supérieur à 100. Un test effectué au bout de cinq jours, s’il est négatif, permettra de lever cette quarantaine. Plus de détails seront communiqués le 10 décembre 2020, pour déterminer à partir de quel taux d’incidence ces mesures seront appliquées aux ressortissants étrangers, notamment français. Dans les stations, les remontées mécaniques seront ouvertes mais pas l’hôtellerie, ce qui signifie que seuls ceux qui habitent à proximité de ces stations auront réellement la possibilité de skier et qu’il n’y aura pratiquement pas de touristes. Les pays voisins ont eux-mêmes décidé de prendre des mesures, à l’instar de l’Allemagne qui demandera à ses ressortissants de se confiner au retour des stations.

S’agissant des conséquences économiques, l’Autriche a été très touchée. L’OCDE estime qu’elle est le deuxième pays le plus touché derrière le Portugal et prévoit un taux de croissance négatif (- 8 %) pour 2020, puis + 1,4 % pour 2021 et + 2,4 % pour 2022. Sur un budget de 100 milliards d’euros, le coût de la relance est chiffré à 186 milliards. Selon les estimations, le confinement coûte 15 milliards par mois. Les aides économiques décidées représentent 34 milliards pour le chômage partiel, 19,4 milliards pour le fonds de solidarité aux PME, 2 milliards pour les transferts aux foyers pauvres, 12 milliards pour la santé, 8 milliards pour divers secteurs de l’économie, un report de taxes pour 32 milliards et des crédits directs pour 327 milliards. Le soutien spécial accordé à l’hôtellerie représente 80 % du chiffre d’affaires de l’année passée, sachant qu’au mois de décembre le chiffre d’affaires est toujours très élevé. Le tourisme en Autriche représente 7,3 % du PIB, à un niveau comparable à celui de la France, mais avec une proportion du tourisme d’hiver beaucoup plus importante.

M. Frédéric Petit a souhaité savoir si cette nouvelle coalition droite-Verts était vécue différemment au niveau national et dans les régions ou la ville de Vienne par exemple.

M. Michel Herbillon a tout d’abord demandé comment s’opérait la régulation entre les deux partis au sein de la coalition. Y a-t-il des rencontres régulières ? Des oppositions se font‑elles sentir ? Puis il a interrogé Monsieur l’Ambassadeur sur l’existence d’un débat en Autriche à propos de la vaccination, comme cela est le cas en France. Quel est le pourcentage de rejet du vaccin ? Une stratégie particulière est-elle envisagée, avec un calendrier comme en France, en Allemagne ou encore au Royaume-Uni ? S’agissant de l’ouverture des stations de sports d’hiver, le message tel qu’il a été perçu en France mais aussi en Allemagne est celui d’une autorisation d’aller skier en Autriche, ce qui justifie d’ailleurs la décision de la chancelière allemande d’obliger les ressortissants allemands à observer une période de quarantaine à leur retour des stations autrichiennes. Les restaurants et les commerces seront-ils ouverts ? Enfin, M. Michel Herbillon a félicité Monsieur l’Ambassadeur pour la tenue, l’été dernier, du festival de Salzbourg, seul festival au monde à avoir été maintenu. Ce fut un modèle d’organisation et de discipline.

M. Jacques Cattin s’est réjoui que les premières pierres du complexe hôtelier de Mutigny qui doit accueillir, au printemps 2022, en Champagne, un hôtel 4 étoiles dédié à l'œnotourisme, aient pu être posées, et ce grâce à l’appui d’une société autrichienne, avant un autre projet de même envergure prévu pour 2023 dans le Haut-Rhin. Ces réalisations concrètes permettent d’intensifier les liens franco-autrichiens.

Mme Cendra Motin a interrogé Monsieur l’Ambassadeur sur plusieurs sujets. Comment le gouvernement et la population ont-ils accueilli la victoire de Joe Biden et la perspective d’une relance de l’Accord de Paris qui en découle ? Quelle est la vision des autorités autrichiennes s’agissant du plan de relance européen et des objectifs de développement durable ? Quel est le rôle des régions dans le dispositif d’aides mis en place à la suite de la pandémie et plus particulièrement des régions touristiques comme le Tyrol ou encore la ville de Vienne ? Comment sont gérées les pertes d’exploitation de l’hôtellerie et de la restauration, chiffrées à 80 % par Monsieur l’Ambassadeur et dont il a annoncé qu’elles étaient prises en charge par l’État ? En France, un débat a lieu actuellement en la matière avec les assureurs. Quel est le degré d’acceptabilité des règles du confinement par les Autrichiens ? Quel bilan du premier confinement a-t-il été tiré alors que les écoles ont été fermées ? Quels en ont été les effets sur les écoliers mais aussi les apprentis ? La formule retenue pour pouvoir ouvrir les stations de ski prévoit l’interdiction des hébergements d’hôtellerie. Est-il également prévu d’interdire les locations privées ?

Mme Liliana Tanguy a souhaité revenir sur les attentats commis à Vienne au mois de novembre et plus généralement sur la lutte contre le terrorisme qui a été l’un des points à l’ordre du jour de la rencontre bilatérale entre le Président de la République et le Chancelier qui a suivi. La Commission européenne va prochainement présenter un nouveau programme européen de lutte contre le terrorisme. L’Autriche a d’ailleurs déclaré récemment qu’il était nécessaire de renforcer le rôle d’Europol en la matière. Un débat existe actuellement à propos d’un élargissement du parquet européen à la lutte contre le terrorisme. Quelle est la position de l’Autriche ? Quelles mesures pourraient être adoptées pour lutter efficacement contre des attaques terroristes ?

La députée a ensuite abordé la question de la coopération avec les Balkans occidentaux. Un dialogue interparlementaire s’est noué sur le rapprochement de l’Union européenne avec les pays de la zone. Sur son initiative, un partenariat a été mis en place avec le Centre franco-autrichien pour tenir une conférence parlementaire à Paris. Prévue au printemps dernier, elle a dû être repoussée à une date ultérieure. Il faut relancer cette idée.

Monsieur l’Ambassadeur a apporté les réponses suivantes :

- Dans la mesure où les programmes de coalition négociés au niveau des régions sont plus concrets, on peut dire que ces coalitions sont un peu plus stables. Au niveau national, c’est justement parce qu’il y a toujours une certaine instabilité, comme dans la coalition de 2017 avec les socio-démocrates par exemple, que la stratégie adoptée par le Chancelier a consisté à développer un programme très concret et précis et de travailler avec cette base. Avec les Verts, le fait d’élaborer un programme très concret est l’une des conditions de la réussite de cette coalition, mais les relations personnelles au sein du gouvernement sont aussi très importantes.

- S’agissant de la régulation de la coalition, plus le programme est concret, plus la coalition est stable. Deux ministres coordinateurs nommés au sein de chaque parti se rencontrent une fois par semaine pour discuter des points inscrits au conseil des ministres. En cas de désaccord, les chefs de parti interviennent, en dernier ressort le point est retiré de l’ordre du jour.

- Des discussions ont lieu également en Autriche sur la vaccination. Il n’existe pas de possibilité légale pour la rendre obligatoire. Elle se fera donc sur la base du volontariat. Le taux d’acception est actuellement de 54 % et en augmentation.

- Les messages délivrés par les médias, notamment français, concernant l’ouverture des stations de ski ne sont pas justes. Le ski est un sport national en Autriche et priver les Autrichiens de ski n’est pas envisageable, c’est pourquoi il a fallu trouver ce compromis. La conviction du gouvernement est que la situation est encore instable et qu’il faut sécuriser les choses avec moins de mouvements vers les stations. Les locations d’appartements ne devraient pas être permises, la législation en la matière est en cours de rédaction. On ne pourra probablement pas éviter aux Autrichiens d’occuper leurs appartements mais les restaurants et surtout les chalets sur les pistes seront fermés.

- Le plan d’urgence consiste essentiellement en aides du gouvernement malgré un certain fédéralisme. Ainsi, lorsque les villes et les régions ont des compétences financières, elles peuvent apporter un soutien.

- Sur la prise en charge par les assurances, une réponse pourra être apportée ultérieurement, après vérification.

- On peut dire que le deuxième confinement est pris avec une certaine discipline, même si les gens ne sont pas très contents. Une discussion a notamment eu lieu sur la nécessité de fermer les écoles. Il est clair que le Chancelier prend des mesures courtes et fortes.

- Un bilan est en cours sur l’impact sur les enfants et les apprentis. L’idée de raccourcir les vacances est sur la table, de même qu’une réflexion est en cours pour élaborer une sorte de rattrapage.

- Même si l’élection de Joe Biden est un signal positif, l’Europe doit se prendre en mains et réduire sa dépendance aux États-Unis dont le soutien et la coopération ne sont pas garantis indéfiniment. Les relations seront peut-être plus faciles avec cette administration, en particulier sur le climat, mais dans d’autres domaines, les choses ne se dérouleront pas forcément selon les souhaits de l’Europe.

- Il faut se féliciter du très grand rapprochement entre la France et l’Autriche sur la question du terrorisme. Le Président de la République est venu personnellement à l’ambassade signer le registre des condoléances, de même que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que la Maire de Paris. Lors de la visite bilatérale du Chancelier, la lutte contre le terrorisme a été le principal sujet de discussion. L’Autriche et la France ont décidé de se coordonner en vue du prochain Conseil européen. Le renforcement d’Europol s’impose, de même que l’intensification des échanges d’informations, la création d’un parquet antiterroriste, une formation européenne des imams… Les deux pays sont en phase sur pratiquement tous les points, comme par exemple sur la question de la sortie de prison des combattants étrangers ou encore de la lutte contre les contenus haineux en ligne. En l’absence d’un accord européen, des mesures nationales seront prises et le groupe franco-autrichien est envisagé comme une première étape. Parmi ces mesures on peut citer la détention préventive ou la création d’un délit d’islam politique, mais aussi la mise en place d’un registre des imams. Pour l’Autriche, il ne s’agit pas d’une lutte entre religions mais le terrorisme cible notre société, nos valeurs, notre façon de vivre. Il faut lutter fermement contre l’idéologie de l’islam politique. Dès la mi-décembre, le parlement autrichien discutera des premières propositions en la matière. En 2015 déjà, une loi sur l’islam avait été adoptée avec deux mesures phares : l’Autriche n’accepte pas les financements étrangers des mosquées et la formation des imams doit être faite en Autriche.

- L’initiative d’un dialogue interparlementaire avec les Balkans occidentaux lancée par Mme Liliana Tanguy doit être réactivée. L’ambassadeur recevra les députés dans le cadre de cette conférence dès que possible. Récemment un projet de coopération entre l’Assemblée nationale et le Parlement autrichien a été discuté en vue de soutenir les parlementaires de Macédoine du Nord via un jumelage.

M. Sylvain Waserman, Président, a remercié Monsieur l’Ambassadeur d’avoir bien voulu échanger avec les membres du groupe d’amitié et rappelé leur intérêt pour une prochaine mission.

Soulignant combien les relations bilatérales s’étaient beaucoup développées ces derniers temps, M. Michael Linhart, ambassadeur d’Autriche, a invité les députés à se rendre en Autriche pour un beau programme, déjà en cours de réflexion et qui témoigne de l’intérêt énorme pour accroître encore le