Audition Présidente du Tribunal électoral du Mexique (13 mars 2018)

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Audition de la présidente du Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la Fédération au Mexique
Assemblée nationale (13 mars 2018)

Étaient présents : MM. Hubert Julien-Laferrière, Sébastien Leclerc et Jean-François Portarrieu.

Le groupe d’amitié France-Mexique a auditionné Mme Janine Otalora Malassis, Présidente du Tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la Fédération, à l’occasion de son passage à Paris, le mardi 13 mars 2018 à 17 heures.

Mme Otalora-Malassis a présenté tout d’abord le fonctionnement du Tribunal électoral, organe de justice constitutionnelle, spécialisé en matière électorale. Il est composé d’une Chambre supérieure, de cinq Chambres régionales (correspondant aux cinq circonscriptions qui divisent le pays) et d’une Chambre spécialisée en matière de propagande politique et électorale radiophonique et audiovisuelle. La Chambre supérieure a une juridiction nationale et comporte 7 magistrats nommés pour 9 ans, non renouvelables.

Par ailleurs, l’Institut national électoral, organe administratif autonome, est chargé de l’organisation des élections fédérales ainsi que des élections locales dans les Etats de la République (installation des bureaux de vote, sélection des fonctionnaires en charge de la tenue des bureaux de vote, enregistrement des candidats, contrôle des comptes de campagne, organisation des temps de parole en radios et télévisions, communication des résultats à l’issue des élections…). Le Tribunal peut être saisi pour connaître toutes les modalités des décisions de l’Institut national électoral.

Le 1er juillet 2018, seront organisées, pour la première fois, simultanément, les élections : au niveau fédéral, du Président de la République, de la totalité des 500 députés (dont 300 sont élus à la majorité relative et 200 à la représentation proportionnelle) et des 128 sénateurs (dont 64 sont élus à la majorité relative, 32 à la représentation proportionnelle), mais aussi, au niveau local, de 9 Gouverneurs et dans 30 Etats sur 32, de gouverneurs, de députés locaux (972 députés de 27 assemblées régionales) et de maires. Soit 6 catégories d’élections au total dans la plupart des bureaux de vote. Cela représente un total de 3 600 mandats qui seront renouvelés le même jour ; 88 millions d’électeurs répartis sur 155 000 bureaux de vote, avec un système de bureau unique (auparavant il y avait un bureau pour l’élection fédérale et un bureau distinct pour l’élection locale), avec pour chaque bureau un président, deux secrétaires et trois scrutateurs.

En prenant la décision de regrouper les élections, le législateur a souhaité en réduire le coût. Cela pose cependant un problème d’organisation considérable et il a fallu repenser le mode de scrutin, afin de le rendre le plus simple possible pour l’électeur. Celui-ci disposera de 6 bulletins (avec un système de couleur pour les différencier selon le type d’élection) qu’il déposera dans 6 urnes différentes (identifiées avec le même code couleur).

Se pose également le problème pour l’autorité administrative d’être en mesure le soir même vers 23 heures de proclamer l’ensemble des résultats. Pour mémoire, il y aura 6 candidats à la présidentielle, 3 candidats de partis et pour la première fois 3 candidats indépendants. Aussi, un groupe de scientifiques (Comité des scientifiques) procèdera, vers 16 heures le jour de l’élection, au dépouillement des résultats de 9 000 bureaux de vote (sur les 155 000), cet échantillon permettant de donner rapidement une première tendance.

Le Tribunal protège les droits politiques de tous les citoyens d’une part (droit de voter à travers la carte d’électeur), et contrôle les décisions des partis politiques de proposer un candidat, d’autre part. Par exemple, un candidat qui aurait perdu lors d’une primaire peut saisir le tribunal et il arrive assez fréquemment que ce dernier décide que ce n’est pas le candidat choisi par le parti mais un autre, parce qu’il avait obtenu plus de voix, qui doit être le candidat du parti. Le tribunal exerce ainsi un véritable contrôle sur la vie interne des partis politiques.

Il faut rappeler qu’au Mexique les partis politiques vivent essentiellement du financement public. 92 % de leurs revenus sont exclusivement des financements publics, calculés sur la base du pourcentage de votes obtenus pour intégrer l’Assemblée nationale 3 ans auparavant. Le reste provenant du financement de militants ou de la vente de publications. Il y a d’ailleurs actuellement un grand débat au Mexique sur une possible suppression de ce financement public ; le tribunal vient de prendre récemment une décision importante obligeant les partis politiques à rendre, à la fin de l’année, l’argent non dépensé.

La campagne électorale commence officiellement le 30 mars et dure 3 mois. Le Mexique est actuellement en phase de pré-campagne. Le Tribunal a permis aux pré-candidats de s’exprimer et débattre à la radio ou à la télévision, à condition de respecter des règles très strictes : par exemple, ils ne peuvent pas appeler les citoyens à voter pour eux ou leur parti tant que la campagne n’a pas commencé, ils ne peuvent pas attaquer les autres candidats, etc… Pendant la campagne, trois débats télévisés, de 2 heures, seront organisés par l’Institut national électoral, en présence des six candidats, qui bénéficieront du même temps de parole. Il faut rappeler qu’il s’agit d’un système à un seul tour, il n’y a donc pas de débat d’entre deux tours.

Les décisions des tribunaux locaux sont révisées par les chambres régionales, mais les décisions relatives à l’élection des gouverneurs sont révisées par la Chambre supérieure ; elle est la seule instance habilitée à réviser tous les actes de l’institut national électoral et toutes les décisions relatives à l’élection présidentielle : contenu des messages politiques de campagne, contrôle de la répartition des temps d’antenne, contrôle de l’éligibilité d’un candidat, etc… Elle établit une série de sanctions administratives des partis politiques, des candidats ou des chaînes de télévision. Elle est compétente en matière de réglementation électorale et vérifie la conformité à la Constitution.

Le Tribunal n’a pas d’ingérence dans le déroulé des élections, mais son rôle reprend au lendemain des élections quand les partis politiques ou les candidats indépendants le saisissent pour réviser les résultats dans les 155 000 bureaux de vote. Le pays est divisé en 300 districts électoraux. En 2012, lors des dernières élections présidentielles et législatives,  le tribunal a reçu 400 recours. Il s’attend cette année à un doublement du nombre de recours, portant sur le dépouillement de l’élection présidentielle. Ces recours peuvent aller de l’erreur mathématique dans l’acte jusqu’aux actes d’inégibilité, la nullité d’un bureau de vote (par exemple en cas de déplacement du bureau de vote sans préavis, si les fonctionnaires (citoyens tirés au sort) chargés de tenir le bureau de vote n’en avaient pas le droit – les représentants de partis politiques, les hauts fonctionnaires ne peuvent pas tenir un bureau de vote – , s’il y a eu des actes de violence ayant conduit à la suspension des opérations de vote, ou encore en raison de l’absence de documentation électorale. Malgré ces nullités, il n’y a jamais eu au Mexique de renversement de résultats au niveau des élections présidentielles. Cela s’est déjà produit en revanche pour l’élection de maires ou de députés locaux.

Parallèlement, le Tribunal peut ordonner de recompter plusieurs bureaux de vote. Par exemple, une année, les résultats de 30 000 bureaux ont été recomptés, sur tout le territoire, pendant trois jours, de façon ininterrompue et totalement transparente, en présence de tous les représentants des partis politiques et des candidats indépendants, et en présence de la presse.

Le Tribunal doit achever le décompte final des votes à l’élection présidentielle le 30 août, tout en s’occupant parallèlement des recours sur la nullité d’une élection présidentielle, la date limite étant le 6 septembre pour que la Chambre supérieure remette au candidat vainqueur son certificat de décompte des voix.

Trois clauses de nullité d’une élection présidentielle sont prévues par la Constitution :

-          Dépassement du plafond des dépenses pour 5 % à condition que la différence entre le premier candidat et le second soit inférieure à 5 points. Ce dépassement doit être grave et déterminent, de nature à affecter la sincérité du suffrage. Les partis sont obligés d’enregistrer semaine par semaine, sur un système informatique, leurs dépenses qui vont être comptabilisées. A la fin de la campagne électorale, les partis disposent d’une semaine pour présenter les comptes finaux de leurs dépenses de campagne. L’institut a jusqu’à fin juillet, début août pour rendre les résultats et dire quels sont les candidats qui ont dépassé le plafond. La loi sanctionne le dépassement du plafond, elle ne sanctionne pas l’origine de l’argent dépensé. La Chambre supérieure peut être saisie par un parti sanctionné, mais aussi par un parti qui considère que le rival n’a pas été sanctionné, estimant qu’il y a plus de dépenses que celles enregistrées par l’institut. En outre, la Chambre supérieure est désormais confrontée aux nouvelles dépenses liées aux réseaux sociaux (Facebook, twitter…), qu’il s’avère difficile de comptabiliser d’autant que les opérateurs comme Facebook, par exemple, refusent de diffuser les informations relatives aux contrats, aux montants engagés et à la façon dont les sommes ont été payées.

-          En cas d’achat par les partis politiques de temps de radio ou de télévision (c’est une clause difficile à remplir car les spots et temps d’antenne sont réglementés par l’Institut)

-          Et, enfin, en cas d’utilisation d’argent blanchi. Mais il faut rappeler que les campagnes des partis politiques sont financées pratiquement à 100 % par l’argent public.

Si 20 % des bureaux de vote sont annulés, alors l’élection présidentielle est automatiquement annulée.

Parallèlement à l’élection présidentielle, l’élection de 300 députés élus à la majorité relative et de 100 sénateurs est révisée par les chambres régionales. Elles cherchent à vérifier qu’il n’y a pas eu achat du vote des citoyens (par exemple par la distribution de nourriture, de ciment…), mais cela pose le problème de la preuve des faits et les chambres régionales doivent résoudre ces questions avant le 3 août de façon à ce que la chambre supérieure puisse être saisie en révision des recours présentés.

Il y aura un autre sujet sur lequel le Tribunal aura à se prononcer pour la première fois, c’est celui de la réélection. Elle était interdite jusqu’à présent mais est autorisée dorénavant pour les maires, tous les mandats municipaux et les députés locaux. Il n’y a pas de réélection ni pour le Président de la République, ni pour les Gouverneurs. Le Tribunal aura à se prononcer sur le fait de savoir si  ceux qui briguent une réélection doivent quitter leur mandat le temps de faire campagne ou non, est-ce que l’utilisation de l’argent public porte atteinte au principe d’équité, etc… Une prévision statistique prévoit de l’ordre de 50 000 recours présentés sur la totalité du processus électoral. Le Tribunal a sollicité un budget en conséquence, pour pouvoir recruter des collaborateurs, les former, pour faire face à ces recours.

Le Tribunal électoral a un rôle fondamental dans l’évolution démocratique du pays. Par exemple, il a obtenu que le législateur introduise en 2014 dans la Constitution la règle de la parité pour la présentation des candidats. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle qui doit être respectée aussi bien pour l’intégration au Sénat ou à l’Assemblée nationale, que pour les Congrès locaux. Et comme les mairies étaient exclues de la parité, le Tribunal électoral a obtenu que les listes pour les municipales soient paritaires également. Par Etat, les partis politiques doivent présenter 50 % de candidats femmes et 50 % d’hommes, par paires de même sexe pour éviter que les femmes une fois élues ne démissionnent au profit de leur collègue masculin. A l’Assemblée nationale, on compte 42 % de femmes députées. Au niveau des législatives, le tribunal vient d’établir une règle selon laquelle dans 3 des cinq circonscriptions, la tête de liste doit être une femme.

Le Mexique compte également 16 millions de citoyens autochtones, qui étaient plus ou moins exclus de la représentation politique fédérale. La Chambre supérieure a obligé les partis politiques à présenter exclusivement des candidats autochtones dans 13 districts où la population est à plus de 60 % d’origine autochtone, afin de réserver 13 sièges à des représentants de ces populations.

A une question du Président Jean-François Portarrieu sur les fake news, Mme Otalora-Malassis répond que ce  sujet fait débat au Mexique. Le Tribunal a sollicité auprès de Facebook une formation de ses collaborateurs pour faire face à une saisine éventuelle en nullité d’élection pour cas de fake news qui auraient pu affecter la sincérité du scrutin. Malheureusement Facebook a refusé. Concernant les doutes sur une possible ingérence étrangère dans la campagne, l’Institut national électoral, comme le Tribunal, ont travaillé à sécuriser le système d’informations confidentielles des élections. 

M. le Président remercie sincèrement Mme Janine Otalora-Malassis de sa présentation précise et enrichissante du processus électoral au Mexique et Son Exc. M. Juan Manuel Gomez Robledo, ambassadeur du Mexique en France, de sa présence.