Compte rendu Audition ambassadeur d'estonie (13 décembre 2017)

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Le 13 décembre 2017, le groupe d'amitié France-Estonie a auditionné, sous la présidence de Mme Laure de La Raudière, Son exc. M. Alar Streimann, ambassadeur d'Estonie en France, accompagné de  Mme Ulvika Hurt, secrétaire d’ambassade.

Étaient présents : Laure de La Raudière, présidente, Florian Bachelier, Fabien Lainé, Sophie Beaudouin-Hubiere, Danièle Hérin et Cendra Motin, députés. 

Lors d’un rapide tour de table, les députés ont rappelé les centres d’intérêt qui ont motivé leur adhésion au groupe d’amitié et sur lesquels ils souhaitaient interroger plus particulièrement M. l’ambassadeur :

  • le volet du numérique, et notamment la e-administration. Comment ce petit pays qu’est l’Estonie a pu réaliser si rapidement la dématérialisation et la simplification de ses procédures, et comment il a pu développer le numérique sur l’ensemble de son territoire au point de devenir une référence en la matière au niveau mondial ;
  • Son intégration à l’Union européenne et, plus précisément, comment ce jeune pays de l’Union envisage les aspects économiques de son adhésion à l’Europe, par exemple en matière d’harmonisation fiscale ou sociale ;
  • La démocratie : ce qu’est une jeune démocratie comme l’Estonie peut apprendre à un « vieux » pays démocratique comme la France ;
  • Les problématiques d’immigration ;
  • Les relations avec la Russie et la présence d’une importante diaspora russe en Estonie ;
  • Les questions de politique européenne de la défense.

Son Exc. M. Alar Streimann rappelle tout d’abord qu’après quinze ans d’un gouvernement dirigé par les Libéraux, l’Estonie est aujourd’hui dirigée par un gouvernement plutôt centriste (tendance centre-gauche) qui a fixé de nouvelles priorités aux inflexions plus sociales. De nombreux changements ont été entrepris, comme dernièrement un projet de réforme fiscale visant à augmenter les exonérations d’impôts pour des personnes avec des revenus bas, introduisant une imposition progressive en fonction des revenus. Cependant, les bases du système d’imposition ainsi que le taux n’ont pas changé : le taux d’imposition pour les entreprises et les individus reste toujours à 20 %.

Sur le plan économique, l’Estonie a retrouvé le chemin de la croissance (de l’ordre de 4 % aujourd’hui). Cela s’explique en partie par le fait que l’Estonie est très dépendante en matière de commerce de la Finlande et de la Suède, qui eux-mêmes se portent bien économiquement. Le niveau de chômage en Estonie reste très bas, aux alentours de 5 %, au point que cela pose un problème de manque de main d’œuvre et suscite un nouveau débat visant à favoriser l’immigration pour importer de la main d’œuvre. Il s’agit d’un débat délicat ; il convient de rappeler que depuis l’indépendance de l’Estonie un système de quota plafonne le nombre d’immigrés sur le sol estonien (0,1 % de la population). A cela s’ajoute le problème de la démographie et le fait que des jeunes partent faire leurs études à l’étranger et parfois ne reviennent pas dans leur pays. Pour un petit pays comme l’Estonie (1,3 M d’habitants), la démographie est un grand défi.

L’actualité estonienne est essentiellement dominée par la présidence du Conseil de l’Union européenne, que l’Estonie assure au second semestre 2017. A l’origine, l’Estonie devait assurer cette présidence à compter de janvier 2018, mais le vote du Brexit et le retrait du Royaume-Uni ont conduit à avancer de 6 mois la présidence estonienne. Cette présidence s’est bien déroulée, même s’il reste bien évidemment des points de tension, tels que la question de la migration, la crise entre l’Ukraine et la Russie, la situation au Moyen-Orient ou encore, en matière de politique extérieure, la question de la Corée du Nord. Quelques dossiers ont été difficiles à négocier, comme par exemple la proposition sur les travailleurs détachés, à l’initiative de la France, sur laquelle la présidence estonienne s’est engagée pour essayer de trouver un compromis.

Assurer la présidence du Conseil de l’Union européenne représente un travail très technique, des centaines de dossiers à examiner, environ 1700 rendez-vous et réunions avec des groupes de travail, des ministres, avec le parlement européen, ainsi que diverses réunions de format différent, y compris avec les parlements nationaux comme la réunion de la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires) à Tallinn qui a permis entre autre de discuter des propositions d’Emmanuel Macron.

Parmi les autres dossiers européens traités durant cette présidence, il convient de mentionner la coopération en matière de défense : le 11 décembre dernier, le Conseil des ministres des affaires étrangères (FAC) a adopté une décision établissant la coopération structurée permanente (CSP), avec 25 Etats membres participants. C’est la première fois que l’Union européenne se lance dans la question d’une défense commune. C’est une évolution importante, notamment pour l’Estonie qui, traditionnellement, a toujours été attachée à une coopération unique, dans le cadre de l’OTAN.

La présidence estonienne du Conseil de l’Union européenne aura également permis d’accroître considérablement la visibilité du pays, notamment en France. Cette présidence s’achève bientôt ; après l’Estonie, ce sera le tour de la Bulgarie, puis de l’Autriche. Il reste à régler les négociations sur le Brexit qui sont en cours, mais aussi à réfléchir aux propositions du Président de la République Emmanuel Macron sur les perspectives d’avenir et de transformation de l’Union européenne. Sur ce dernier point, M. l’ambassadeur explique que l’Estonie, pays très pragmatique, n’a pas pris position et hésite à ouvrir un débat sur cette question qui, s’il devait conduire à un référendum, pourrait aboutir à un résultat imprévisible.

Selon Mme Cendra Motin, il importe de comprendre sur quel terreau se fonde la montée des populismes un peu partout en Europe (en France, en Autriche, en Allemagne,…), et pourquoi les citoyens sont amenés à se poser la question des fondements de l’Europe et de son utilité. Il convient de rappeler que l’acte fondateur de l’Europe était de préserver la paix. Il est nécessaire de retrouver le sens de la cohésion européenne et retisser le lien entre les citoyens et l’Europe. Ouvrir le débat sur le futur de l’Europe est aussi le moyen de recréer le lien avec les citoyens, pour ensuite avancer sur la question de la gouvernance de l’Europe.

Mme Laure de la Raudière, présidente, ajoute que le débat sur l’avenir de l’Europe peut être mené de façon très pragmatique, en se fixant des objectifs communs. L’Europe partage une monnaie commune, des indicateurs économiques communs, et tendre vers une harmonisation fiscale en Europe, pour éviter une forme de concurrence d’Etat par exemple, peut-être un objectif commun.

M. Fabien Lainé rappelle que la majorité actuelle, en France, est plutôt favorable à une Europe de la défense, c’est-à-dire une défense de l’Europe intégrée au niveau de l’Union. Il s’agit là d’un acte fédéral. Face aux grands blocs que sont les Etats-Unis, l’Inde ou la Chine, qui se sont organisés, il se demande si le pragmatisme ne serait pas d’aller plus loin dans l’intégration européenne pour protéger les intérêts de l’Europe. Il souhaiterait connaître la position de l’opinion publique estonienne et des politiques concernant la fédéralisation de l’Union européenne.

Son Exc. M. Alar Streimann rappelle que l’Europe comprend 28 pays membres, tous très différents, et qu’il serait illusoire de développer des attentes trop idéalistes ou trop ambitieuses. Il est difficile de trouver des points communs entre des pays dont la compréhension de l’Europe est, sur certains aspects, très différente. Par exemple, si l’on pose la question au peuple estonien quels sont les problèmes les plus importants en lien avec l’UE, la réponse sera que l’UE est à l’origine d’une surrèglementation qui impose des normes difficiles à respecter pour les entreprises ou dont il est difficile de comprendre l’objectif. Pourtant, malgré cela, le soutien en faveur de l’appartenance à l’Europe en Estonie est parmi les plus hauts, de l’ordre de 70 %.

Historiquement, l’Estonie et les pays baltes ont été transatlantistes parce que dans notre histoire, après la deuxième guerre mondiale, les Estoniens ont été déçus par le manque de soutien de la part des pays européens. Contrairement aux pays européens, les Etats-Unis n’ont jamais reconnu l’occupation de l’Estonie par l’Union soviétique et ils restent à ce jour le plus grand soutien pour la sécurité de l’Estonie. Ce n’est que depuis quelques années, depuis l’adhésion de l’Estonie à l’Union européenne et à l’OTAN, avec cette dernière conception d’une Europe de la défense, que l’Estonie a retrouvé la confiance dans l’Europe. C’est aussi pourquoi la présence d’un détachement de forces françaises en Estonie, dans le cadre de l’OTAN, a permis de changer le regard des Estoniens, car cette présence a démontré que les autres pays européens étaient prêts à s’engager pour la protection de la région.

Concernant les relations entre la France et l’Estonie, il convient de parler également de culture. M. l’ambassadeur évoque le fait que l’année prochaine, le 24 février 2018, l’Estonie célèbrera le centième anniversaire de son indépendance. Plusieurs évènements seront organisés en France, dont une exposition au Musée d’Orsay sur le symbolisme dans l’art des pays baltes. Cette exposition devrait être inaugurée par le Président Emmanuel Macron, en présence des trois Présidents baltes, probablement le 8 ou 9 avril 2018.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere souhaite obtenir des précisions sur le statut de e-résident en Estonie et ses objectifs.

M. l’ambassadeur précise qu’il y a environ 30 000 étrangers qui bénéficient du statut de e-résident, dont 1 300 Français. L’Estonie a profité en quelque sorte du vide numérique dans les autres pays, qui n’étaient pas en mesure de proposer un tel système de services et de ressources numérisés sécurisés. En Estonie, 1 500 services publics sont accessibles en numérique et avec le statut de e-résident, il est possible de créer une entreprise en peu de temps et très facilement. Le défi le plus important en France si l’on souhaite transposer le système de service publics numérisé similaire est de trouver une solution pour s’identifier  en numérique. En Estonie, chaque personne, à la naissance, est dotée d’un identifiant, sous forme de code unique. Techniquement, cela doit être possible en France, mais afin d’y arriver, il faudra d’abord une volonté politique.

Le numérique est devenu un des plus importants domaines de coopération entre la France et l’Estonie, même s’il y a beaucoup d’autres choses intéressantes dans ce pays. De nombreuses délégations parlementaires françaises ont visité l’Estonie pour découvrir et s’inspirer de son expérience en la matière. Dans l’avenir proche, le gouvernement français et le gouvernement estonien devraient signer un accord en faveur d’une coopération rapprochée sur le numérique pour, officiellement, échanger des experts qui viendraient étudier pourquoi cela fonctionne, comment, quelles sont les erreurs, les avantages… Il y a aussi un accord spécifique sur la sécurité numérique signé entre la France  et l’Estonie. Lors du sommet à Tallinn sur le digital en septembre 2017, un projet commun a été lancé entre l’Allemagne, la France, la Suède et l’Estonie – European digital squads – visant à former un groupe de travail pour analyser les menaces du futur (comme l’intelligence artificielle, les risques  liés aux plateformes…). D’autres domaines de coopération dans le numérique pourraient être évoqués comme la santé ou encore l’éducation. Par exemple, l’Estonie et la Finlande ont développé un système de e-santé commun, avec des ordonnances numériques, qui permet à chaque citoyen d’un pays d’être identifié, en cas de maladie, dans l’autre pays et d’avoir accès aux médicaments.

L’audition de Son Exc. M. l’ambassadeur s’est achevée autour d’un verre amical, servi au Petit-Hôtel.