Compte rendu Audition ambassadeur Mexique (20 décembre 2017)

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Le 20 décembre 2017, le groupe d'amitié France-Mexique a, sous la présidence de Jean-François Portarrieu, auditionné Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo, ambassadeur du Mexique en France, qui était accompagné de Mme Jennifer Feller, ministre conseillère, M. Jesús Cisneros, chargé des affaires politiques, à l’ambassade du Mexique. L'audition s'est déroulée en présence de Mme Isabelle Ryckebusch, rédactrice Mexique au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Étaient présents : Jean-François Portarrieu, président, Hervé Berville, Michel Herbillon Marc Le Fur, Alexandra Louis, Paul Molac, Sébastien Nadot, Laurence Trastour-Isnart et Corinne Vignon, députés.

Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo a tout d’abord tenu à remercier les parlementaires français de leur soutien en faveur de l’élection de la sénatrice mexicaine Gabriela Cuevas Barron à la présidence de l’Union interparlementaire (UIP), réunie à Saint-Pétersbourg en octobre dernier. Ce soutien souligne l’importance du dialogue entre les deux Parlements, dialogue parlementaire qui s’est avéré crucial dans le passé pour permettre la continuité du dialogue politique à un moment où les deux gouvernements français et mexicain avaient fortement ralenti leurs relations bilatérales.

Le gouvernement actuel mexicain a réussi à mener un nombre considérable de réformes, en moins de deux ans, sur le plan économique, social... Le 1er juillet 2018, se tiendront les élections présidentielles et parlementaires, avec le renouvellement total du Sénat et de la Chambre des députés (128 sénateurs et 500 députés). L’élection se fait au scrutin mixte – proportionnel et majoritaire –, mode de scrutin qui favorise l’existence de petits partis. Dans le même temps seront élus une dizaine de gouverneurs des Etats, parmi lesquels celui de la ville de Mexico. La campagne présidentielle commence officiellement en avril 2018, mais en réalité les candidats à la présidentielle sont déjà connus. La prise de fonctions du nouveau Président interviendra le 1er décembre 2018, après une période de transition qui prévoit la possibilité de recours, avant la confirmation des résultats par le tribunal électoral.

M. Michel Herbillon a souhaité connaître les enjeux de ces élections, sur le plan politique et économique, et savoir si les relations avec les Etats-Unis auront un impact dans la campagne.

Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo a rappellé que le Président au Mexique est élu pour un mandat unique de six ans, sans réélection possible, ce qui implique une sorte de remise à plat à chaque élection, à la tête de l’Etat. Le Mexique compte trois grands partis politiques. Un parti de gauche, Morena (mouvement de régénération nationale), de création récente, dont le candidat à la présidentielle – l’ancien maire de Mexico – qui se présente pour la troisième fois, est crédité dans les sondages de 30 % des intentions de vote. Il représente une gauche plutôt radicale, moins socio-démocrate que les autres. Ensuite, il y a le parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui est devenu un parti du centre, centre-droit. Ce parti ancien, créé dans les années 1920, est le seul qui a pu insérer dans son emblème les couleurs nationales, ce qui s’avère très utile au moment du vote puisque il y a des Mexicains qui votent pour ce parti en ayant le sentiment de voter pour le pays. Il a modifié ses règles cette année pour permettre la présentation de candidatures de non-militants ; c’est ainsi que l’ancien ministre des finances, M. Jose Antonio Meade, qui a démissionné de ses fonctions récemment, se présentera à la présidentielle comme candidat de ce parti, sans avoir jamais milité en son sein. Le troisième parti est le PAN, c’est-à-dire la droite traditionnelle catholique ; il s’agit du plus ancien parti, mais qui n’a que très peu gouverné (de 2000 à 2012). Cependant, il s’entend très bien avec le PRI et toutes les grandes réformes sont passées grâce à son soutien. Le PRD (ancien parti de gauche) est quant à lui très affaibli aujourd’hui. Enfin, il y a une myriade de petits partis politiques.

Au Mexique, chaque réforme nécessite une réforme de la Constitution. Celle-ci a dû être amendée au moins six cent fois en une centaine d’années, sachant que pour l’amender il faut obtenir le vote des deux tiers des deux chambres et de 16 congrès locaux.

Les enjeux de ces élections présidentielles, ce sont, schématiquement, soit la continuité, soit le saut vers l’inconnu. La continuité, c’est la poursuite d’une politique d’ouverture économique menée depuis trente ans, d’une énorme rigueur budgétaire et fiscale qui a permis la stabilité macro-économique. Le Mexique n’a pas de déficit, pas de surendettement et connaît une gestion très prudente des finances, avec une banque centrale forte et autonome qui gère la politique monétaire. Le saut vers l’inconnu, ce pourrait être, de la part du parti de gauche, mener une politique offrant de plus grandes largesses sociales, dont on ne sait pas forcément comment elles seraient financées.

Pour répondre à la question de M. Herbillon, la question des relations avec les Etats-Unis s’insinue en effet fortement dans la campagne et c’est sans doute la première fois que la politique étrangère revêtira une telle importance pour déterminer un choix électoral interne. Il n’y a pas de divergence majeure entre les candidats sur cette question – aucun candidat ne prendra le risque de paraître soumis aux Etats-Unis et chacun adoptera un discours de fermeté vis-à-vis des Etats-Unis –, cependant il peut y avoir des nuances d’approche entre les candidats. Par exemple, le PRI et la droite sont convaincus qu’il faut trouver un moyen de s’entendre.

M. Hervé Berville a souhaité savoir si la lutte contre les cartels et les narcotrafiquants peut représenter un axe important de la campagne et, dans l’affirmative, quelle est la position des différents candidats en la matière. Il se demande si le parti de M. Andrés Manuel Lopez Obrador (Morena), qui n’a jamais gouverné, ne serait pas favorisé par rapport aux deux autres partis qui ont exercé le pouvoir sans avoir réussi en matière de lutte contre le crime organisé.

Selon Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo, les cartels n’ont pas vraiment d’influence dans la campagne. Pendant de nombreuses années, les candidatures indépendantes ont été interdites, de façon justement à éviter que le crime organisé ne s’insère dans le corps politique. Les partis politiques sont très généreusement dotés financièrement et n’ont pas besoin de recourir à l’argent illicite. Evidemment, le parti Morena a pour lui la légitimité d’un parti qui n’a jamais été au pouvoir.

Mme Jennifer Feller, ministre conseillère, a ajouté que le parti Morena a déclaré récemment aux médias qu’il était favorable à une négociation avec les leaders des cartels, ce qui a été très controversé au Mexique.

Pour répondre à une question de M. Marc Le Fur sur le traité de libre-échange conclu entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique (ALENA), Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo a rappellé que ce traité est en cours de renégociation depuis août dernier. Les trois parties pensaient parvenir à un accord d’ici la fin de l’année 2017 mais ils se sont donnés finalement jusqu’en mars 2018 pour conclure. S’ils parviennent à un accord, les trois Parlements auront à l’examiner vraisemblablement en 2019. Si les négociations n’aboutissent pas, deux options sont possibles : soit le Mexique prend une décision politique et se retire de l’accord – ce qui pourrait avoir un impact fondamental sur les résultats électoraux –, soit les pays décident d’arrêter les négociations et de les reporter à une date ultérieure.

Entre temps, l’accord continue à être appliqué et c’est plutôt une bonne chose. De plus en plus, des pressions s’exercent sur la Maison blanche en faveur d’un résultat acceptable des négociations pour les trois parties. Et le président Donald Trump n’a peut-être pas intérêt à repousser les échéances, car il serait obligé de solliciter à  nouveau l’autorisation du Congrès qui fixe le cadre des négociations. Or le Congrès est plutôt favorable à ce traité.

Le secteur industriel continue à investir fortement au Mexique, y compris en provenance de la France, dans des secteurs très liés à l’automobile, qui est un secteur très important au Mexique. Saint-Gobain par exemple a créé une usine de verre pour les voitures, notamment pour les voitures haut de gamme que sont les Tesla. Il convient de rappeler que ce traité a permis une grande prospérité entre les trois pays.

Le Président Donald Trump est obsédé par le déficit commercial, de 64 milliards favorable au Mexique. Actuellement, pour qu’une voiture puisse être considérée comme d’origine nord-américaine (et ainsi bénéficier d’exonération de frais de douane), son contenu doit être à hauteur de 62,5 % d’origine nord-américaine. Donald Trump souhaite augmenter ce pourcentage à 85 %, avec une sous-clause à 50 % de contenu exclusivement des Etats-Unis. Il souhaite ainsi favoriser son industrie et le voit comme un moyen de réduire son déficit commercial. Par ailleurs, il souhaite remettre en cause le système de règlement des différends du traité, alors que le système actuel a permis de dépolitiser un certain nombre de questions commerciales.

Le Mexique fait cause commune avec les Canadiens, même si leurs intérêts sont assez différents, avec un discours de grande fermeté envers les Etats-Unis. Des progrès très importants ont été faits, qui consistent à élargir la base de ce traité. Il existe des pans entiers de l’économie mexicaine qui pourraient faire partie du traité, comme l’énergie, les télécommunications...

Le Mexique négocie également actuellement un nouvel accord de libre-échange avec l’Union européenne. Il s’agit d’un accord mixte, avec un volet commercial et un volet de coopération politique. C’est en fait la modernisation d’un traité qui était déjà en vigueur, sous exploité côté mexicain, et qui lui donne accès au marché européen. Quel que soit le résultat de la négociation du traité avec les Etats-Unis et le Canada, le Mexique a compris qu’il avait trop concentré ses relations commerciales avec un seul pays et qu’il convient de se tourner vers d’autres zones géographiques, comme l’Europe, mais aussi l’Amérique latine et le Pacifique. 6 millions d’emplois aux Etats-Unis dépendent directement des relations avec le Mexique. Le volume des échanges entre le Mexique et les Etats-Unis est de 1 million de dollars par minute et de 1 million de personnes par jour (qui travaillent à la frontière tous les jours légalement).

M. Hervé Berville a interrogé M. l’ambassadeur sur la stratégie économique, financière et commerciale du Mexique vis-à-vis des pays d’Amérique du Sud. Il souhaiterait en outre connaître les ambitions du Mexique dans le cadre du G20.

Selon Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo, le G20 a été pour le Mexique une opportunité pour avoir un meilleur dialogue politique avec les pays du G8 et même avec les pays d’un autre groupe, le G5, dont le Mexique a été l’initiateur (l’Inde, le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud et le Mexique). Cela a permis de se rendre compte qu’il y avait beaucoup à faire ensemble dans de nombreux domaines, dans un contexte moins contraignant : lutte contre la corruption, développement durable… Au départ, le Mexique n’avait que le statut d’invité aux réunions du G8. Puis après la crise des subprimes, le G20 s’est transformé, fin 2008, en instance de pilotage économique réunissant les chefs d’Etats. Le Mexique y a trouvé une place naturelle. Sur le plan bilatéral, le Mexique a renforcé ses relations avec les membres du G20. C’est important car ces pays sont les mêmes que ceux qui mènent le jeu au sein des Nations Unies.

Mme Corinne Vignon a interrogé M. l’ambassadeur sur la politique environnementale du Mexique, notamment concernant la politique de développement immobilier sur les zones côtières.

Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo areconnu que la politique environnementale est une thématique assez récente pour le Mexique, qui est actif en la matière sur le plan international notamment depuis la Conférence de Rio. Au début des années 90, la société civile mexicaine s’est mobilisée fortement sur cette question et un certain nombre de politiques ont été mises en place. Certes, à Mexico, la pollution reste un sujet important. Les priorités du Mexique en matière environnementale sont la problématique de l’eau – l’eau est rare au Mexique et des sommes colossales sont investies pour le dessalement et le traitement des eaux usées –, la protection de la qualité de l’air, l’aménagement du territoire et le changement climatique, même si le Mexique n’est pas un fort émetteur de gaz à effet de serre. En revanche, il convient de souligner l’extrême vulnérabilité du Mexique en matière de phénomènes météorologiques majeurs. Le Mexique a par ailleurs des objectifs en matière d’énergies renouvelables aussi ambitieux que les pays européens.

Pour ce qui concerne le développement immobilier des zones côtières, il faut reconnaître qu’il existe des zones mieux préservées que d’autres. De plus en plus, quand l’installation d’un nouveau complexe hôtelier implique un déboisement, il y a dorénavant une obligation de compensation en reboisant ailleurs. L’éco-tourisme devient à la mode. Le tout est de trouver un équilibre entre construction immobilière et préservation de l’environnement.

A ce propos, M. Jean-François Portarrieu a rappellé que le Mexique est un pays en pointe en termes de biodiversité.

M. l’ambassadeur a expliqué que le Mexique est l’un des sept pays les plus riches en biodiversité. Il compte de nombreuses aires marines protégées, des parcs nationaux, etc. Mais le pays a connu aussi des dégâts, comme la forêt du Chiapas qui, après la réforme agraire, a été partagée pour donner des terres aux paysans.

Pour conclure, M. Jean-François Portarrieu a rappellé l’invitation qui a été lancée aux membres du groupe d’amitié Mexique-France de venir en France en 2018.

Son Exc. M. Juan Manuel Gómez Robledo a répondu que les parlementaires mexicains seront en session du 15 février au 30 avril 2018. Idéalement, il conviendrait de trouver une date sur ce créneau, en tout état de cause avant la période électorale.