Compte rendu audition R.Arhab & G.Pfister 9 octobre 2019

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Compte rendu de la réunion du groupe d’amitié France-Algérie
9 octobre 2019
Audition de MM. Rachid Arhab, journaliste et ancien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, et Guillaume Pfister, dirigeant de médias spécialiste du numérique et maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris, sur le projet de plateforme média Algérie-France

Étaient présents : Fadila Khattabi, présidente, Belkhir Belhaddad et Didier Martin, vice-présidents, Bruno Fuchs, Brahim Hammouche, Cédric Villani, députés.

Mme Fadila Khattabi, présidente, a remercié MM. Rachid Arhab et Guillaume Pfister d'être venus présenter aux membres du groupe d’amitié leur projet de plateforme multimédia franco-algérienne. Cette idée d’un média franco-algérien avait d’ailleurs été annoncée par Emmanuel Macron, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, sur les conseils de Rachid Arhab lui-même.

MM. Rachid Arhab et Guillaume Pfister ont tout d’abord indiqué avoir milité pendant une année pour la création d’un média franco-algérien sur le modèle de la chaîne franco‑allemande Arte avant de se rendre compte que, les périodes et les conditions étant différentes, reproduire ce modèle n’était pas la solution. Le concept de départ, basé sur le modèle Arte, reste valable dans la mesure où la relation franco-algérienne est à la Méditerranée ce que la relation franco-allemande est à l’Europe. Il faut s’attaquer à la fracture qui existe actuellement entre ces deux pays. Techniquement cependant, si le projet est bien parti d’une idée très télévisuelle, il a évolué vers un projet média plus adapté aux usages actuels. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Algérie la population est très connectée, le taux d’équipement en forfaits téléphoniques atteint 117 %. Les utilisateurs d’Internet représentent 55 % de la population, dont 100 % d’utilisateurs de réseaux sociaux, parmi lesquels 100 % utilisent Facebook via un téléphone portable. En Algérie, les télévisions étrangères des pays du Golfe mais aussi de France tiennent une place très importante et les réseaux sociaux représentent une part non négligeable de la vitalité médiatique algérienne. L’Algérie est un des pays les plus connectés en Afrique, comptant pour 10 % des quelque 200 millions d’utilisateurs de Facebook du continent.

Ce n’est déjà plus un projet mais bien un but. L’équipe a été élargie à Pascal Josèphe, coprésident de l’ONG Media Governance Initiative, et plus d’une douzaine de bénévoles composent une équipe pluridisciplinaire qui se réunit chaque semaine. Par ailleurs, depuis un article du Journal du Dimanche paru le 21 juillet 2019, l’équipe est assaillie d’appels privés et de propositions de coopération. Il y a pléthore de projets très différents qui ne demandent qu’une chose, qu’on les fédère et qu’on les rende visibles, dans la mesure où la couverture médiatique de ce qui se passe en Algérie n’est pas satisfaisante. Il ne s’agira pas forcément de financer tous ces projets mais de les labelliser et de créer une communauté numérique qui agira sur le média. Il faudra créer un comité des usagers pour ce faire. Dans l’immédiat, il s’agit d’une cellule chargée d’identifier les projets médias ou susceptibles de bénéficier d’une visibilité médiatique. Enfin, des échanges réguliers ont lieu avec des partenaires algériens du numérique, à l’instar du portail Maghreb Emergent, et un événement franco-algérien est en cours d’organisation avec Radio Nova.

Ensuite, c’est le moment, car ce n’est jamais le moment dans la mesure où des paramètres comme l’islamisme, le terrorisme, la vague migratoire, la crise économique, la crise politique et d’autres encore sont autant d’excuses pour ne pas concrétiser la chose. Tout cela démontre d’ailleurs la nécessité d’une coopération autour de la Méditerranée et mène à la conclusion qu’une coopération à tous les niveaux est nécessaire, dont une coopération culturelle. D’ores et déjà, le projet a été présenté en juin 2019 à Marseille, lors du Sommet des deux rives, Forum de la Méditerranée, présidé par le Président de la République Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, les mémoires vivantes des conflits ont disparu en Algérie et en France mais il reste les mémoires vives. La solution est d’affronter la réalité en utilisant les vecteurs des deux rives que sont les jeunesses connectées. Un certain nombre de jeunes n’ont pas réussi à s’apaiser, à trouver l’équilibre en raison des crises survenues entre les deux pays. C’est pourquoi il faut constituer un pont numérique qui permette des échanges entre les deux pays. Et si par malheur les choses tournaient mal en Algérie au regard du mouvement actuel de protestation, disposer d’un pont numérique sera encore plus nécessaire. A contrario, si les choses évoluent positivement, le projet sera porté.

Des exemples récents et concrets démontrent l’évidence éditoriale choisie. L’émission diffusée en première partie de soirée sur France 2 titrée « L’Algérie vue du ciel » a rassemblé 3 millions de téléspectateurs et a été multi‑diffusée. De même, l’émission de Thalassa consacrée au littoral algérien a vu sa part d’audience monter à 2,6 millions de téléspectateurs et est devenue sujet numéro 1 sur les réseaux sociaux. En 2003, « l’Année de l’Algérie en France », le seul exemple d’émission coproduite par l’Algérie et la France, a fait 17,9 % de part d’audience.

En outre, le fonds culturel est là. Il existe en Algérie une grande tradition de littérature en français, un univers musical où le rap et le raï sont devenus musiques du monde, le théâtre algérien compte nombre de dramaturges qui ne sont pas assez visibles, l’humour algérien et maghrébin est créatif, il existe un réel foisonnement cinématographique en Algérie et sur l’Algérie qui va des comédies grand public aux œuvres historiques en passant par le cinéma d’auteur. Au-delà de l’affect, il y a une triple opportunité à saisir qui est citoyenne et politique, culturelle dans la mesure où les créateurs algériens portent une grande partie de l’audace créatrice actuelle, et économique car il reste à créer une vraie industrie entre nos deux pays reposant sur des populations jeunes très consommatrices de médias.

L’une des ambitions de ce média est de rendre visibles des œuvres d’un cinéma d’auteur et d’actualité. Pour preuve, le film Papicha de la réalisatrice algérienne Mounia Meddour sorti en France le 9 octobre 2019 ne sera pas diffusé en Algérie. Beaucoup de ces films sont diffusés dans des festivals en France comme le festival du film algérien de Douarnenez ou le festival du film arabe de Fameck. Ces films sont d’ailleurs souvent coproduits avec des aides et des financements européens ou français. Ils sont majoritairement réalisés par des femmes et démontrent ainsi que la société algérienne est en ébullition depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne le croit. Ce sont d’ailleurs ces différents capteurs qui ont su mettre en évidence les difficultés de la société algérienne actuelle qui sous-tendent le pacifisme du mouvement actuel. L’autre ambition est de produire du contenu en utilisant notamment la richesse historique des deux pays qui, pour l’Algérie, remonte à l’Antiquité à l’instar de sites comme Tipaza ou Djemila. Depuis 1980, il existe en Algérie une presse relativement indépendante avec une énergie forte. Il faut travailler avec elle et lui tendre la main. La modernité de la relation franco‑algérienne doit aussi passer par l’humour et notamment les caricatures. En 2012 par exemple, Plantu et Dilem ont échangé pour une semaine leur place dans les quotidiens Le Monde et Liberté.

La ligne éditoriale sera citoyenne, culturelle, scientifique, traitera de la découverte et de la société pour dépasser les revendications du devoir de mémoire et des politiques mémorielles. Il faut s’appuyer sur les émissions de découverte pour parler de la relation franco‑algérienne et éviter de faire un média communautaire ; il faut viser un média qui s’adresse aussi bien à la France qu’à l’Algérie. Après la diffusion du documentaire « L’Algérie vue du ciel », la plupart des Algériens se sont aperçus qu’ils connaissaient mal leur pays. Adeptes de l’humour, nombre d’entre eux plaisantaient en demandant où se procurer un visa pour visiter le pays présenté dans le film.

S’agissant du format technologique, si le projet initial envisageait la création d’une chaîne, cela semble compliqué aujourd’hui pour des raisons budgétaires notamment mais aussi parce que les usages ont changé. Néanmoins, il ne faut pas fermer définitivement cette porte dans la mesure où des canaux de diffusion vont se libérer dans quelques mois. En termes de calendrier, la phase actuelle de préfiguration devrait durer six mois au cours desquels les bonnes volontés seront rassemblées afin d’aboutir à un projet non pas institutionnel mais de société civile incluant les acteurs politiques. Courant 2020, la plateforme média numérique accueillera des contributions. Dans un deuxième temps, une fenêtre télévisuelle est prévue. Le modèle en la matière est la chaîne Clique.tv de Mouloud Achour qui dispose aujourd’hui d’une émission quotidienne sur Canal+. Un deuxième scénario pourrait être de lancer une chaîne en propre, plutôt sur la TNT, le câble n’étant pas adapté dans la mesure où le projet est très grand public et il ne serait pas intéressant d’être relégué dans une numérotation lointaine où se retrouvent les chaînes hyper spécialisées.

M. David Martin, vice-président, a souhaité faire plusieurs remarques. Premièrement, la société civile et même la société au sens plus large englobant l’art de vivre et les conditions de vie, y compris l’humour qui est très intégrateur, doivent être utilisées pour faire tomber les barrières. En Côte-d’Or, par exemple, département d'élection du député, l’art de la table et les valeurs de la gastronomie constituent un aspect du vivre ensemble qui peut être intéressant pour un média avec une ouverture grand public. Deuxièmement, il faut envisager une démarche plus universelle au travers de la langue et ne pas se limiter à un tête-à-tête franco‑algérien. La question de la langue et de la francophonie concerne tout le continent africain. Enfin, le sport peut aussi être un vecteur, même si parfois il véhicule beaucoup de nationalisme et de bêtises. Parfois, il peut être le ferment du communautarisme.

M. Belkir Belhaddad, vice-président, a qualifié le projet présenté d’extraordinaire et estimé qu’il pouvait apporter un souffle nouveau à la relation franco-algérienne, et plus largement avec l’Afrique dans la mesure où l’Algérie se redécouvre africaine. Le sport doit aussi être un moyen de décloisonner cette relation. D’ailleurs une prochaine rencontre de football est envisagée. L’approche historique via la présentation de sites antiques est aussi une très bonne idée. Il y a notamment le site de Timgad où le député est né. Plus prosaïquement, quel est le calendrier de mise en œuvre ? Quels sont les moyens mis à disposition ? Quels sont les partenaires financiers ?

M. Brahim Hammouche a indiqué qu’il y avait une certaine volonté administrative en Algérie de favoriser l’anglais par rapport au français, qui, à la limite, est secondaire dans la mesure où la langue de cœur des Algériens reste le français. Le média proposé a toute sa place non pas seulement pour rendre compte de réalités mais aussi pour mobiliser les imaginaires qui, par définition, sont voyageurs. On peut espérer plusieurs impacts, notamment sur la réalité : si Algériens et Français sont capables de rêver ensemble, cela permettra, au-delà, d’avancer sur des constructions communes. La France oublie qu’elle est une puissance médiatique et l’Europe regarde trop à l’Est. Ce média pourrait permettre ce passage, cette traversée par l’imaginaire. Ce projet est utile et nécessaire. Il faut le faire même sur un modèle artisanal au départ. Arte a été lancée très rapidement après la chute du Mur de Berlin, dès 1991, ce qui a permis de porter et consolider le projet. Aujourd’hui, c’est le bon moment car la révolution citoyenne en Algérie est un mouvement porteur d’un vrai projet commun et démocratique alliant une forme de mixité et d’égalité homme-femme. Ce projet est l’outil idéal pour porter cette transition.

En réponse aux interventions des parlementaires, MM. Rachid Arhab et Guillaume Pfister ont fourni les éléments d’information suivants :

– La gastronomie est un axe de développement important. Les émissions culinaires figurent parmi les plus regardées sur le service public en Algérie et la cuisine fait aussi partie de la culture.

– S’agissant de la francophonie et du continent africain, les Algériens se découvrent Africains aujourd’hui. La question se pose de savoir si c’est le signe d’un éloignement. On constate d’ailleurs que nombre de paraboles sont tournées vers l’Est et que les chaînes que les Algériens nomment « paradiaboliques » transmettent en arabe. Néanmoins, partir d’un concept franco-maghrébin plus large s’est révélé plus compliqué. Il est envisagé d’élargir par la suite et, en tous les cas, la réflexion sur le titre du média est en cours pour ne pas le limiter à du franco‑algérien. Plus largement, il s’agit de préserver la diversité linguistique, l’arabe, le berbère, le français… Dans le média proposé, le français sera présent, tout comme l’arabe. Le projet étant numérique, la langue des tweets sera également présente. Comme il s’agit de diffuser des programmes originaux, il faudra trouver une solution pour le bilinguisme.

– Le calendrier prévoit une première période de préfiguration de six mois qui est pensée comme une campagne, notamment parce que ce sont des bénévoles passionnés par le sujet qui constituent l’équipe. Un comité de pilotage réunit douze experts et un conseil d’orientation apporte sa légitimité à l’ensemble. Enfin des personnalités issues du monde médiatique et sportif entre autres sont les parrains du projet. Les financements dépendront des choix qui seront faits d’ici six mois entre un modèle de télévision et de plateforme fondé sur un vrai partenariat entre la France et l’Algérie. Le mécénat est une solution compliquée à mettre en œuvre au vu de la situation actuelle en Algérie. Le projet s’oriente plus vers une plateforme numérique avec un modèle de financement léger, de l’ordre de 6 à 7 millions d’euros, et réellement industriel où des groupes implantés en France et en Algérie et ayant des intérêts médiatiques et de marques pourront investir. Cela signifie qu’il pourra y avoir de la publicité, toutefois il faut savoir qu’aucun site ne peut exclusivement se financer grâce à  la publicité. C’est un leurre. Le financement participatif pourrait constituer une solution d’amorçage. Par ailleurs, il faut tenir compte de la réalité politique actuelle en Algérie. Il est crucial pour ce projet de respecter le parallélisme des formes. Or la recherche de subsides publics se heurterait rapidement à un problème côté algérien. Si à ce stade le financement doit être privé, il est clair que la porte ne sera pas fermée aux fonds publics à la condition de respecter ce parallélisme.

– D’ores et déjà plusieurs séquences sont identifiées. Au premier semestre 2020, un événement culturel binational pourrait être diffusé simultanément avec Radio Nova, sans doute une nuit pendant le Ramadan. Un événement monétisé sur le modèle du Marrakech du Rire est en cours de création qui permettra de réunir des financements. Fin 2019, un cabinet de conseil ami va proposer un business plan pour solliciter des investisseurs. Fin 2019, des comptes sociaux seront lancés à l’attention des particuliers qui font des recherches sur leurs origines, dans la mesure où l’un des premiers partenaires de la plateforme est le ministère de la défense qui travaille sur les mémoires franco-algériennes, notamment dans les collèges, et a déclassifié certaines archives. Cela permettra d’aller chercher cette vérité historique chez ceux qui la vivent.

– Sur la question du sport, il est important de souligner que le 15 octobre 2019 aura lieu à Lille un match Algérie-Colombie dont toutes les places ont été vendues dans les quinze minutes qui ont suivi l’ouverture des réservations. Par ailleurs, lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations, sur les onze membres de l’équipe d’Algérie de football, sept étaient des binationaux. Enfin, c’est aussi pour contrer toutes les formes de bêtises véhiculées dans les stades et sur les réseaux sociaux qu’il faut investir ces derniers pour produire de la réalité.