Jean, Siffrein Maury
1746 - 1817
Député en 1789, né à Valréas (Comtat venaissin) le 26 juin 1746, mort à Rome (Etats pontificaux) le 11 mai 1817, il était fils d'un cordonnier, ce qu'un biographe exprime à l'aide de cette périphrase : « Si l'on en croit la renommée, né dans une condition inférieure encore à celle du cardinal Dubois, et même du cardinal Albéroni, ce prince de l'Eglise, ainsi que J.-B. Rousseau, eut pour père un de ces artisans qui, dit Voltaire,
Viennent de ma chaussure
Prendre à genoux la forme et la mesure.
On dit même que cet artisan ne travaillait pas en neuf. »
Envoyé au collège, Maury fut destiné de bonne heure à l'état ecclésiastique; il entra au séminaire de Saint-Charles d'Avignon, puis à celui de Sainte-Garde. Avant l'âge de vingt ans, fixé à Paris, il se plaça d'abord comme précepteur dans une famille, mais, plus soucieux de ses propres succès que des progrès de son élève, il composa et publia, dès 1766, un Eloge funèbre du Dauphin et un Eloge de Stanislas, œuvres de jeunesse assez médiocres. Un an après, il concourut, pour l'Eloge de Charles V et pour les Avantages de la paix, sujets de prix proposés par l'Académie française : l'accueil favorable fait à ces deux pièces encouragea Maury, qui, étant entré dans les ordres, s'adonna à l'éloquence sacrée.
Admis bientôt à prononcer, devant l'Académie, le panégyrique de saint Louis, puis celui de saint Augustin devant l'assemblée du clergé de France, l'abbé Maury ne tarda pas à devenir le prédicateur à la mode. Il brilla dans diverses chaires de Paris, et tut appelé à Versailles pour prêcher, devant le roi, l'Avent et le Carême.
À un réel talent, Maury joignait une habileté de conduite qui contribua puissamment à son élévation : son adresse à plaire en même temps aux prélats, dont il avait besoin pour arriver aux dignités de l'Eglise, et aux philosophes qui lui étaient utiles pour parvenir aux dignités littéraires, lui valut une abbaye sur la recommandation de l'Académie, et une place à l'Académie par le crédit de quelques abbés ; l'abbé de Boismont, entre autres, qui fut son collaborateur pour les Lettres secrètes sur l'état actuel du clergé, et pour la Religion en France, ne cessa de le protéger : il lui résigna le riche prieuré de Lions en Picardie, bénéfice de 20 000 livres de rentes.
« Du vivant même de son bienfaiteur, auquel il espérait succéder aussi à l'Académie, Maury rassemblait, écrit un biographe, les matériaux de son éloge ; l'abbé de Boismont s'en aperçut un jour aux questions multipliées que Maury lui faisait sur les circonstances de sa vie antérieures à leur liaison : L'abbé, lui dit-il gaiement, vous prenez ma mesure ! » Mais ce fut du fauteuil de Le Franc de Pompignan que Maury hérita, le 27 janvier 1783 : son discours de réception débutait par un exorde d'une insinuante habileté et qui contenait un éloge pompeux de Louis XIV et de son règne.
Comblé d'honneurs et de bénéfices, l'abbé Maury, lors de la convocation des états généraux, vit une carrière nouvelle et plus vaste s'ouvrir à son ambition. Elu, le 3 avril 1789, député du clergé par le bailliage de Péronne, il se voua tout entier à la défense de l'ancien régime et de la monarchie, et partagea avec Cazalés, dans l'Assemblée. constituante, la direction de la minorité de droite.
« Fortement constitué, a dit de lui son collègue Thibaudeau, l'air mâle, hardi, c'était un vrai grenadier politique ; avec cela, profonde érudition, éloquence brillante, imagination, vigueur, présence d'esprit. »
Dès les premières séances, il saisit avec un audacieux empressement toutes les occasions de manifester ses sentiments hostiles à l'égard de la Révolution, et plus d'une fois son zèle pensa lui devenir funeste. « Cœur froidement agité, figure où se peignaient, a dit Carlyle, tous les péchés cardinaux », il provoqua un jour cette apostrophe. menaçante, tombée du haut des tribunes :
« Messieurs du clergé, on vous rase. Si vous vous remuez trop, vous vous ferez couper. »
Le 14 juillet, le sang ayant coulé dans Paris, l'abbé Maury, qui avait plus d'audace que d'intrépidité, crut pouvoir quitter son poste. La cocarde en tête, l'uniforme sur le dos, protégé par les couleurs de la révolution qu'il combattait, il sortait du royaume quand, reconnu à Péronne sous ce déguisement, il fut arrêté. Son titre de député le sauva.
Réclamé par l'Assemblée, il revint sain et sauf à Paris reprendre ses fonctions. Il eut une part active aux délibérations, et parla notamment : contre la vérification commune des pouvoirs, contre les arrêtés du 4 août, contre la motion de saisir les biens du clergé, sur le traitement des religieux, contre la suppression des lettres de cachet, etc. Il demanda la conservation du privilège exclusif de la Compagnie des Indes, se fit plusieurs fois censurer, et intervint dans la plupart des débats importants, sur les événements du 6 octobre, sur les assignats, sur l'organisation judiciaire, etc. Il prit la défense de Barmont, de Mirabeau le jeune, des ministres, nia le principe de la souveraineté du peuple, opina contre la réunion à la France du comtat d'Avignon, et protesta à maintes reprises contre les entreprises exercées sur l'autorité royale.
Mais ce fut surtout dans la discussion de la constitution civile du clergé que Maury se montra le plus ardent et qu'il appela toute sa verve à son aide. Lorsque, le 25 juin 1790, le duc de la Rochefoucauld vint proposer, au nom des comités des domaines et des finances réunis, que l'aliénation de l'ensemble des domaines nationaux fut décrétée, l'abbé Maury se fit avec une grande vivacité l'organe des ressentiments du clergé, appela la vente des domaines nationaux une « impure manœuvre d'agiotage », Talleyrand, évêque d'Autun, « un complice des maltôtiers de la rue Vivienne », et se mit en devoir de défendre la tribune comme il aurait pu faire d'une ville assiégée. Le duc de la Rochefoucauld se présentant pour lui répondre, il porta rudement la main sur lui, le repoussa au risque de le renverser, et provoqua les protestations de la gauche en s'écriant : « Avant d'aliéner les biens du clergé, il est indispensable de connaître la dette publique. Eh bien, je tiens d'un membre du comité de liquidation qu'elle monte à sept milliards ! »
« Antagoniste bien plus que rival de Mirabeau, il revenait continuellement à la charge pour se faire battre. Il finit néanmoins par trouver dans son opiniâtreté une protection contre les conséquences que semblait provoquer son imprudence. On riait de le voir s'obstiner à chercher des coups ; et, dans cette guerre où il s'illustra surtout par ses défaites, c'est à son esprit qu'il dut peut-être son inviolabilité.
Aussi gai que ses agresseurs étaient furibonds, c'est par des traits heureux qu'il se tira plus d'une fois de peine,
- Y verrez-vous plus clair ? répondit-il à la foule qui le poursuivait en criant : l'abbé Maury à la lanterne !
- Envoyons-le dire la messe à tous les diables ! disait-on un autre jour.
- Soit, mais vous viendrez me la servir, répliqua-t-il, et montrant deux pistolets : voilà mes burettes ! »
Il ne demeurait pas en reste avec les dames de la halle. Une d'elles lui ayant fait entendre, en termes qui ne peuvent trouver place ici, que les aristocrates... n'auraient pas le dessus : « Mesdames, fit-il, vous savez bien qu'on n'en meurt pas ! » Ces saillies et l'attitude martiale qu'il avait sous le petit manteau, lui avaient acquis à la longue une espèce de popularité.
Après la séparation de l'Assemblée constituante, l'abbé Maury se rendit en Allemagne, auprès des chefs de l'émigration, qui le félicitèrent de n'avoir pas désespéré de leur cause. Il partit ensuite pour Rome, où de nouvelles dignités l'attendaient. Pie VI ne crut pas pouvoir trop récompenser l'orateur qui, dans mainte circonstances, et surtout quand il avait été question de réunir le Comtat à la France, avait si chaudement défendu les prérogatives du Saint-Siège.
Nommé archevêque in partibus de Nicée, en 1792, Maury fut envoyé, peu après, en qualité d'ambassadeur de la cour de Rome, à Francfort pour y assister à l'élection de l'empereur François Il. Là, brusque et indiscret comme à la tribune, il prouva que les talents diplomatiques n'étaient pas les siens. Il n'en fut pas moins doté, à son retour, de l'évêché de Montefiascone et de Corneto, et nommé cardinal en 1794. Les événements n'altéraient point sa bonne humeur : de Rome, il écrivait, le 17 mai 1793, à la marquise d'Osmond :« Le bulletin de la France ressemble assez à plus d'une femme en couche : la malade va aussi bien qu'on puisse le désirer. »
Maury vécut tranquille, tantôt à Rome, tantôt dans son diocèse, jusqu'en 1793, époque où les armées de la Révolution vinrent l'y rejoindre. Echappé aux commissaires du Directoire, il se réfugia d'abord à Sienne, puis à Venise, déguisé en charretier. De Venise, il passa à Saint-Pétersbourg, et revint à Venise pour assister au conclave qui se tint dans cette ville, en 1799, après la mort de Pie VI. Ramené dans Rome par le nouveau pape, il y présida, avec la caractère d'ambassadeur de Louis XVIII qui habitait alors Mittau.
Cependant, Napoléon était devenu empereur. Maury n'hésita pas à lui écrire (1804) pour lui exprimer son admiration et son dévouement ; ayant obtenu la permission (1806) de faire un voyage à Paris, il finit par y rester avec le titre singulier d'aumônier du prince Jérôme. Déclaré cardinal français, Maury fut dès lors un des courtisans les plus assidus de l'empereur, qui le nomma encore membre de l'Institut, et lui confia (14 octobre 1810), à la place du cardinal Fesch, l'administration provisoire du diocèse de Paris.
Le cardinal eut de fréquentes difficultés avec son chapitre, qu'il fatiguait par de continuelles tracasseries. Quant au spirituel, il n'appela guère l'attention sur lui que par la prédication, et ce ne fut pas avec succès.
Dans la chaire comme à l'Académie, il se montra au-dessous de sa réputation; ses mandements, où il se croyait obligé de rendre compte des opérations de l'armée, semblaient moins sortir du cabinet d'un prélat que d'un bureau d'état-major. De nouveaux sujets de discorde s'étant élevés entre Napoléon et le Pape au sujet de l'institution des évêques de France, le pape, enlevé de Rome, avait été conduit d'abord à Savone, d'où il fut transféré à Fontainebleau. De là, le chef de l'Eglise adressa un bref au cardinal Maury pour lui ordonner de quitter l'administration du diocèse de Paris. Maury n'en fit rien. Aussi Napoléon ne fut pas plus tôt tombé (1814), que, dépouillé par le chapitre de Paris de ses fonctions d'administrateur métropolitain, l'archevêque non institué reçut ordre de quitter le palais archiépiscopal.
Repoussé par les Bourbons, il alla chercher un asile à Rome ; il y trouva une prison. Enfermé six mois dans le château Saint-Ange, Maury passa de là dans une maison de lazaristes, d'où il ne sortit, au bout de six autres mois, qu'après avoir donné sa démission du siège de Montefiascone et de Corneto.
Il se réconcilia pourtant avec le pape ; mais une affection scorbutique l'emporta, dans la nuit du 10 au 11 mai 1817. Cette maladie avait tellement décomposé ses traits, que, pour l'exposer sur le lit de parade comme l'usage l'exige, on dut lui recouvrir le visage d'un masque.
Ses ouvrages les plus remarquables comme orateur sacré sont :
1° un Essai sur l'Eloquence de la chaire ;
2° un Panégyrique de saint Louis (1772) ;
3° un Panégyrique de saint Augustin (1775) ;
4° un Discours préliminaire, pour servir de préface à la première édition des Sermons de Bossuet ;
comme orateur profane :
- un Eloge de Fénelon (1771) ;
- son Discours de réception à l'Académie française (1786) ;
- le Panégyrique de saint Vincent-de-Paul.
Le 3 avril 1813, Maury avait été fait grand-croix de l'ordre de la Réunion.