Charles de Lasteyrie du Saillant
1877 - 1936
Né le 27 août 1877 à Paris, mort le 26 juin 1936 à Paris.
Député de la Corrèze de 1919 à 1924.
Député de la Seine de 1928 à 1936. Ministre des Finances du 15 janvier 1922 au 26 mars 1924.
Charles de Lasteyrie fit ses études secondaires à l'école Bossuet à Paris puis, pour répondre au vœu de son père, entra à l'école des Chartes en novembre 1895, le 6e et le plus jeune de sa promotion. Il en sortit quatre ans plus tard, au même rang, avec une thèse sur l'abbaye de Saint-Martial de Limoges qui, publiée en 1901, lui valut la 4e médaille au concours des Antiquités de la France à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Ayant ainsi satisfait aux traditions familiales, Charles de Lasteyrie se mit à l'étude du droit et prépara le concours de l'inspection des finances auquel il fut reçu en 1902. Mais son mariage l'ayant introduit dans le milieu des affaires. il abandonna dès 1909 le service de l'Etat pour entrer dans divers conseils d'administration et, chargé d'aller étudier au Caire, en 1912, la situation de la Land Bank, il redressa cette situation et devint le président de cet établissement.
Quand, en 1914, éclatèrent les hostilités, il appartenait au corps de l'intendance mais il se fit affecter comme sous-lieutenant à l'état-major de la région du Nord, où il servit quelque temps comme officier de liaison. Le 10 novembre 1915, il fut choisi comme chef de cabinet par Denys Cochin, ministre d'Etat dans le 5e cabinet Briand qui, accomplissant une mission en Europe orientale, l'emmena en Grèce avec lui. Devenu sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et chargé du blocus dans le gouvernement suivant - également présidé par Briand - Denys Cochin ne changea pas de chef de cabinet. Puis, ayant conservé les mêmes fonctions dans le gouvernement Ribot, il confia à Charles de Lasteyrie la direction des services financiers du blocus, Comme directeur de ces services et ultérieurement à d'autres titres, Lasteyrie remplit plusieurs missions financières en Suisse et en Espagne ; il fut notamment chargé de négocier plusieurs emprunts français.
Au lendemain de l'armistice, le ministre des Finances, L.-L. Klotz, le rappela d'Espagne pour faire de lui le délégué financier du gouvernement français à la commission d'armistice, puis le secrétaire général de la commission des réparations à la Conférence de la paix ; à ces postes, Lasteyrie participa au renouvellement de l'armistice et à la préparation du traité de Versailles.
Le 16 novembre 1919, il fut fait chevalier de la Légion d'honneur.
Le même jour, il était élu député dans la « Chambre bleu horizon ». Souhaitant accéder à des responsabilités politiques plus larges, auxquelles le préparaient sa formation et son expérience - qui lui avaient déjà valu d'être appelé à professer à l'Ecole des sciences politiques - il s'était en effet engagé dans la carrière politique en se présentant aux suffrages des électeurs de Corrèze, bien qu'il fût conseiller municipal de Lissac-sur-Couze, en Corrèze. C'est que la Corrèze était le berceau de sa famille, que celle-ci y avait gardé des attaches et que son père avait déjà, autrefois, représenté ce département à la Chambre. Inscrit en tête de la liste d'union républicaine de défense agricole et sociale - en fait liste du bloc national qui, s'opposant à une liste radicale et à une liste socialiste, emporta trois sièges sur cinq - Lasteyrie, dont la personnalité un peu hautaine ne plaisait pas à tous, ne fut élu qu'à la plus forte moyenne, avec 25.336 voix sur 68.248 votants, le second de sa liste l'ayant devancé de quelques centaines de voix.
A la Chambre, Lasteyrie s'inscrivit au groupe de l'entente républicaine démocratique et il appartint dès 1919 à la commission des crédits, à partir de 1920 à la commission des finances dont il devint le rapporteur général adjoint, puis, en 1921, le rapporteur général du budget dit « des dépenses recouvrables sur les versements à recevoir en exécution du traité de paix » dont le montant dépassait de beaucoup celui du budget général.
Au nom de la commission des finances, il rapporta, outre ce budget, la plupart des projets qui touchaient aux finances publiques ou au règlement des dommages de guerre, et en particulier celui qui créa, en 1920, de nouvelles ressources fiscales. Il lutta pour introduire la pratique du forfait dans la législation fiscale et proposa, mais sans succès, de réviser certaines dispositions de la loi sur les réparations des dommages de guerre et notamment d'interdire la cession des dommages. Il déposa également une proposition de loi sur les émissions de valeurs mobilières et préconisa la publication périodique d'un résumé des recettes et des dépenses du Trésor. Persuadé que la charge des réparations devait peser sur l'Allemagne et n'ayant pas .accepté sans hésitation la création, en 1916, de l'impôt sur le revenu, il fut en 1920 de ceux qui s'opposèrent à l'examen d'une proposition socialiste tendant à instituer une contribution exceptionnelle sur la fortune en demandant que la discussion en fut différée jusqu'au moment où le montant de la dette allemande aurait été fixé.
Enfin, il intervint en 1921 dans la discussion d'interpellations sur la politique extérieure, puis sur la politique financière du 7e cabinet Briand jugé par lui trop peu ferme à l'égard de l'Allemagne et qu'il interpella lui-même sur les mesures qu'il comptait prendre « pour empêcher que le gouvernement du Reich par un effondrement plus ou moins voulu du mark » ne cherchât à se soustraire aux obligations du traité de paix.
Briand s'étant retiré le 12 janvier 1922, un cabinet Poincaré fut constitué le 15 et Lasteyrie y reçut le portefeuille des finances. Il partageait avec le président du Conseil la conviction que la clé des difficultés financières de la France était entre les mains de l'Allemagne et qu'il fallait obliger celle-ci à payer ; en attendant qu'elle s'exécute, force était de se contenter d'expédients et il ne convenait pas de demander un effort nouveau aux contribuables français. Dans l'attente des versements allemands l'emprunt seul pouvait financer la reconstruction des régions dévastées.
Quant au budget ordinaire, tout en admettant qu'il devait être équilibré par l'impôt, Lasteyrie professait qu'il pourrait l'être, sinon dès 1922, du moins dans un proche avenir par le seul accroissement du produit des impôts existants : un peu plus de rigueur dans leur établissement et leur recouvrement y suffirait.
Cette doctrine fut mise à rude épreuve par la crise monétaire qui, inquiétante dès l'automne de 1922, mit le franc en péril pendant l'hiver 1923 et par l'extrême modicité, puis par la suspension complète des paiements allemands. Pour 1923, Lasteyrie prit le parti de présenter au parlement un budget ordinaire en déficit de 4 milliards. Le projet déposé en mai 1922 ne fut voté définitivement qu'en juin 1923 et il dut recourir cette année-là - comme déjà en 1922 - à de nombreux douzièmes provisoires. Cependant, dès 1922, le Trésor avait quelque mal à se procurer les ressources indispensables et, après avoir légèrement diminué au milieu de l'été le taux d'intérêt des bons du Trésor, le ministre des Finances dut se hâter de le relever au début de l'automne. A la fin de l'année, incapable de rembourser 2 milliards à la Banque de France en application des dispositions prises en 1920, il fut contraint de passer une nouvelle convention avec celle-ci pour réduire le remboursement à 1 milliard. Toutefois, il avait réussi dans le courant de l'année à rembourser une partie des dettes extérieures de la France.
Dans cette situation difficile Lasteyrie sentait bien qu'il lui fallait au moins conserver l'intégralité des recettes de l'Etat et s'efforcer d'alléger les charges publiques. S'il s'oppose avec vigueur et succès, en mars 1922, à un allégement de l'impôt sur les salaires réclamé par les socialistes, il ne sait pas empêcher la majorité gouvernementale d'alléger l'impôt sur les bénéfices des exploitations agricoles. Pour tenter de réduire les dépenses de l'Etat, il comprime l'effectif des fonctionnaires, sans leur supprimer pourtant le bénéfice de l'indemnité de cherté de vie. Il charge une commission de dresser la liste des économies possibles et une autre d'étudier la réforme des monopoles de l'Etat. Il entreprend de doter les Postes d'un budget conçu « selon une formule industrielle » et envisage de réorganiser les arsenaux et même l'armée. Pour alléger la charge des dommages de guerre, sans oser aller aussi loin que l'avait fait le député Lasteyrie, il songe à modifier les conditions d'indemnisation des sinistrés. Il s'efforcera en outre de limiter le montant des emprunts émis pour la reconstruction. Il s'emploiera d'autre part à liquider les comptes spéciaux du Trésor. Il cherche aussi à rendre plus efficace l'administration des Finances en la dotant de moyens statistiques, puis en réorganisant la direction de la comptabilité publique.
Enfin, pour accroître le rendement de l'impôt sur le revenu, il sent la nécessité de renforcer le contrôle des déclarations, et tout spécialement celles des possesseurs de revenus mobiliers. En 1922, il propose d'instituer à cette fin un « bordereau de coupons » mais devant l'hostilité de la majorité il renonce très vite à cette mesure et, lorsqu'en 1923 la commission des finances proposera à son tour la création d'un « carnet de coupons » il combattra cette proposition. De même il défendra résolument les titres au porteur contre les socialistes qui voulaient leur substituer des titres nominatifs et le fisc, pour renforcer son contrôle, devra se contenter de recourir aux signes extérieurs de richesse.
Au début de 1923, la Rhur occupée, les difficultés de trésorerie et la crise monétaire s'aggravant, Lasteyrie - obligé de renier les principes qu'il avait proclamés - tente d'obtenir du parlement l'institution d'un double décime sur l'ensemble des contributions mais, le 8 mars, la Chambre repousse ses propositions sans qu'il pose la question de confiance et, se conformant à l'avis de la majorité, il se résigne à recourir à nouveau aux bons du Trésor. Cependant il réduit le montant des emprunts du Crédit national et paye en obligations certains dommages mobiliers. Assisté en 1923 d'un sous-secrétaire d'Etat aux Finances - ce poste créé par la loi du 30 mars est occupé à cette date par Albert d'Aubigny - il entreprend de faire voter par le parlement une réforme du régime des pensions civiles et militaires et une réforme du régime de la taxe sur le chiffre d'affaires qui étend la pratique du forfait. Il obtient également le vote d'un projet déposé par son prédécesseur et relatif à l'apurement des comptes de la période de guerre. Il répond le 23 mai, au sujet d'indiscrétions commises par des fonctionnaires des finances, à l'interpellation de François Arago qui, en fait, vise moins le gouvernement qu'un organe de presse, puis, le 3 juillet, à une interpellation sur le statut des receveurs-buralistes.
A l'automne de 1923, Lasteyrie doit faire face au mécontentement grandissant provoqué par la hausse du coût de la vie et aux revendications des fonctionnaires qui réclament la majoration de leurs traitements : il accepte seulement de revaloriser les indemnités de résidence et de charges de famille.
Il renonce à soumettre au parlement un projet de budget en bonne et due forme pour 1924 et se contente de percevoir les impôts et de renouveler les bons du Trésor. Incapable d'exécuter la convention qu'il avait lui-même passée avec la Banque de France l'année précédente, il est réduit à en conclure une nouvelle et à n'opérer qu'un remboursement symbolique. Cependant, poursuivant ses efforts pour alléger la charge des dommages de guerre, il saisit le parlement d'un projet modifiant les conditions d'indemnisation. Il lui soumet également un projet qui tend à faciliter le recouvrement de la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre.
La situation du franc continuant à se détériorer au point de provoquer une panique dans l'opinion et les difficultés de la trésorerie devenant critiques, Lasteyrie et Poincaré décident d'obtenir du parlement ce qu'il leur avait refusé quelques mois auparavant. Le 17 janvier 1924, ils déposent un projet de loi portant création de 7 milliards d'impôts nouveaux, autorisant le gouvernement à créer, par décrets-lois, des réformes administratives susceptibles de procurer un milliard d'économies et, subsidiairement, supprimant le monopole des allumettes, instituant une caisse de pensions de guerre et comportant des mesures de lutte contre la fraude fiscale et de contrôle des revenus mobiliers.
Lasteyrie fort attaqué pour proposer ce qu'il avait précédemment combattu paraît avoir préféré laisser au président du Conseil le soin de soutenir la discussion, au moins dans ses débuts. Toutefois, il prononce le 14 février, devant la Chambre un long discours pour tenter de justifier sa politique. Le projet fut adopté le 24 février par les députés et, sans attendre que le Sénat voulut bien le voter à son tour, comme la chute du franc s'accélérait, Lasteyrie sollicita un prêt en dollars de la banque Morgan qui subordonna son acceptation à un engagement public pris par le gouvernement français de ne plus faire appel au crédit qu'avec beaucoup de circonspection. La publication de cet engagement, sa confirmation par une déclaration du gouverneur de la Banque de France et la nouvelle de l'intervention de la banque américaine suffirent à enrayer la chute du franc, dont le cours ne tarda pas à remonter, du moins pour quelque temps. Le ministre des Finances obtint alors du parlement le vote définitif du projet relatif au redressement financier. Il eut encore le temps de faire proroger le privilège fiscal dont jouissaient les bons du Trésor. Mais le 26 mars, au cours d'une nouvelle lecture par la Chambre de la réforme des régimes de pensions, il posa la question de confiance contre la reprise des dispositions qui, adoptées par le Sénat, aggravaient sensiblement la charge financière du projet et le gouvernement fut renversé.
Poincaré qui resta à la tête du gouvernement suivant confia le ministère des Finances à François-Marsal mais il félicita par lettre Lasteyrie d'avoir, en surmontant la crise du franc « gagné une nouvelle bataille de la Marne ».
Aux élections générales de 1924, le cartel des gauches emporta en Corrèze 3 sièges sur 4 et la liste d'union républicaine sur laquelle Lasteyrie occupait la deuxième place n'eut qu'un élu qui obtint 20.037 suffrages sur 68.554 votants. Lasteyrie recueillit pour sa part 19.419 voix.
Aux élections générales de 1928, il se présenta comme candidat républicain d'union nationale, adversaire du cartel des gauches aux suffrages des électeurs de la 2e circonscription du XVIe arrondissement de Paris qui, en lui accordant au second tour de scrutin 4.835 voix sur 9.476 votants, alors qu'ils n'en donnaient que 2.809 à Le Provost de Launay, firent de lui leur représentant à la Chambre.
Inscrit au groupe de l'union républicaine démocratique, membre de la commission des finances, puis de la commission de surveillance des caisses d'amortissement et des dépôts et consignations, Lasteyrie soutint la politique de Poincaré, de Laval et de Tardieu.
Les électeurs lui conservèrent leur confiance en 1932 en l'élisant dès le premier tour, par 4.951 voix contre 3.090 à Duboin sur 9.486 votants. Vice-président de la fédération républicaine de France et inscrit naturellement au groupe constitué par celle-ci, il continuera d'appartenir à la commission des finances et restera le rapporteur des crédits des services d'Alsace-Lorraine et des dispositions fiscales intéressant cette région.
Hostile au traité franco-soviétique, il demandera que son approbation fût ajournée jusqu'au règlement des dettes russes et il combattit le principe des sanctions contre l'Italie.
Attaché aux principes d'ordre et d'autorité, adversaire du front populaire dans lequel il voyait l'alliance de la franc-maçonnerie et du bolchevisme, il fut réélu le 26 avril 1936, au premier tour de scrutin, par 5.899 voix contre 1.659 au républicain indépendant Dupuy sur 9.974 votants. Mais le 26 juin, il succombait, à l'âge de 58 ans, après une courte maladie, à son domicile parisien.
Outre sa thèse, il a publié plusieurs articles dans la Revue politique et parlementaire. Chevalier de la Légion d'honneur, il était aussi grand-croix d'Isabelle la Catholique, commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique.