Pierre, Ernest Waldeck-Rousseau
1846 - 1904
Député de 1879 à 1889 et ministre, né à Nantes (Loire-inférieure) le 2 décembre 1846, fils de René Waldeck-Rousseau (1809-1882) - représentant du peuple en 1848 -, il se fit inscrire au barreau de Nantes.
Il fut élu, le 6 avril 1879, député de la 1re circonscription de Rennes, par 8 703 votants, 21 902 inscrits), contre 281 à M. Fouqueren, en remplacement de M. Roger-Marvaise nommé sénateur. Il prit place à l'Union républicaine, déposa un projet de réforme sur la magistrature, et, en janvier 1880, fut nommé rapporteur de diverses propositions analogues et du projet déposé sur le même sujet par M. Cazot, ministre de la Justice. En cette qualité, il prononça devant la Chambre plusieurs discours remarqués, et prit une part importante, en 1883, à la discussion de la loi Martin-Feuillée qui fit aboutir ces projets.
Il avait été réélu, le 21 août 1881, par 8 899 voix (13 803 votants, 17 796 inscrits), contre 4 192 à M. de Bourgerel et 643 à M. Chabert. Le 14 novembre suivant, il accepta le portefeuille de l'Intérieur dans le cabinet Gambetta, et tomba avec le « grand ministère » le 29 janvier 1882. Il reprit le portefeuille de l'Intérieur augmenté des cultes dans le 2e cabinet Ferry, le 21 février 1883, fut alors remplacé par M. Gerville-Réache, comme rapporteur de la loi sur la réforme de la magistrature, parla au Sénat (mars 1883) sur le droit d'association et sur les sociétés de secours mutuels, forma, au ministère de l'Intérieur, une commission chargée d'étudier la participation des ouvriers aux bénéfices, fit rejeter (mai) la nomination d'une commission parlementaire chargée de surveiller le fonctionnement des syndicats professionnels et revendiqua pour le gouvernement la responsabilité de cette surveillance, fit repousser (juillet) la demande d'amnistie en faveur des condamnés de Montceau-les-Mines, et (novembre) la proposition Anatole de la Forge sur la mairie centrale de Paris, appuya (février 1884) la publicité des séances des conseils municipaux, défendit (mars) la loi sur les manifestations séditieuses, repoussa (octobre), au nom du gouvernement, l'élection du Sénat à deux degrés, et l'attribution à tous les conseillers municipaux de la qualité d'électeurs sénatoriaux, combattit (décembre) la proposition Floquet demandant l'élection du Sénat au suffrage universel, et ne put empêcher la Chambre d'adopter cette proposition par 267 voix contre 250; la Chambre se déjugea d'ailleurs quelques jours après, et repoussa l'amendement Floquet par 280 voix contre 227. En février 1885, il fit rejeter le contre-projet Bérenger tendant à substituer à la relégation des récidivistes des aggravations de peines, et quitta le pouvoir avec le cabinet tout entier le 5 avril suivant, après le désastre de Lang-Son.
Porté, aux élections générales du 4 octobre 1885, sur la liste républicaine d'Ille-et-Vilaine, il fut réélu député, au second tour (18 octobre), le 9e et dernier, par 63 671 voix (124 652 votants, 153 125 inscrits). Il reprit sa place à la gauche républicaine, déclara (septembre 1886), dans un discours à un comice d'agricole d'Ille-et-Vilaine, que « la plus simple tentative d'amélioration sociale est d'un plus haut intérêt que la plupart des problèmes de scolastique républicaine où il semble qu'on se complaise à se débattre », critiqua (janvier 1888) les tergiversations de M. Sarrien, ministre de l'Intérieur, sur l'installation du préfet de la Seine à l'Hôtel de Ville, après l'attitude du conseil municipal lors de l'élection du nouveau président de la République (décembre précédent), souligna (juin) la faiblesse de M. Floquet dans l'affaire du maire socialiste de Carcassonne, et se prononça pour la politique scolaire et coloniale de la majorité républicaine, contre l'expulsion des princes, et, dans la dernière session, pour le rétablissement du scrutin d'arrondissement (11 février 1889), pour l'ajournement indéfini de la révision de la Constitution, pour les poursuites contre trois députés membres de la Ligue des patriotes, pour le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse, pour les poursuites contre le général Boulanger.
Né le 2 décembre 1846 à Nantes (Loire-Inférieure),
mort le 10 août 1904 à Corbeil (Seine-et-Oise).
Député d'Ille-et-Vilaine de 1879 à 1889.
Sénateur de la Loire de 1894 à 1904.
Ministre de l'Intérieur du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882.
Ministre de l'Intérieur (et des cultes du 21 au 27 février 1883) du 21 février 1883 au 6 avril 1885.
Président du Conseil, ministre de l'intérieur et des Cultes du 22 juin 1899 au 7 juin 1902.
(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. V, p. 553).
Waldeck-Rousseau ne se représente pas aux élections de 1889. C'est au barreau de Paris qu'il réserve son talent. Froid, distant, peu aimé de ses confrères, il est expert en droit civil. Les effets de manches des assises ne l'attirent point, mais il plaide dans la plupart des grands procès financiers - l'affaire Lebaudy et le procès de Panama entre autres - ceux qui, au dire de ses détracteurs, rapportent le plus.
Avocat de renom, Waldeck-Rousseau n'a pourtant rien d'un mondain et sa femme, qui puise dans sa fortune personnelle le goût des fastueuses réceptions, ne parvient guère à le sortir de sa solitude.
Pourtant, avec les ans, il lui arrive d'interrompre le cours de ses procès d'affaires en faveur des arts et lettres. Sa plaidoirie pour Coquelin contre la Comédie-française est de nos jours une œuvre d'anthologie. Il défend de même Zola, l'éditeur Wilder contre la famille de Richard Wagner et le pape Léon XIII contre les héritiers du Plessis-Bellière. Il hante l'Opéra et les théâtres parisiens : il se verrait bien à l'Académie française. C'est l'Ordre des avocats qui l'accueille en 1897, mais au troisième tour de scrutin, avec une froideur égale à celle qu'il a toujours manifestée lui-même à ses pairs.
La vie politique ne le tente plus, malgré les plus vives sollicitations. Son retour aux affaires publiques, il le doit un peu au hasard. Albert de La Berge, sénateur de la Loire, meurt en juillet 1894. Audiffred, député du département, voit en Waldeck-Rousseau le candidat idéal, quoique - ou parce que ! - ce Nantais ignore tout du département de la Loire. Cédant finalement aux instances de ses amis républicains, Waldeck-Rousseau se présente et, le 7 octobre 1894, il est élu sénateur au premier tour par 829 voix sur 946 votants contre 28 à Limouzin, candidat économique, et 28 à Manin, candidat forézien.
Après la démission de Casimir-Perier, il est candidat à la magistrature suprême, le 17 janvier 1895. Au premier tour, le congrès ne lui accorde que 184 voix contre 338 à Henri Brisson et 244 à Félix Faure, élu au second tour.
Plus heureux aux élections sénatoriales du 3 janvier 1897, il recueille 768 voix sur 949 votants.
S'il intervient peu au Sénat - de 1894 à 1899, il ne montera que trois fois à la tribune - il n'en est pas moins actif. C'est dans des discours prononcés hors du Parlement qu'il définit sa ligne politique et un programme de gouvernement.
Il tente un regroupement politique de tous les républicains, mais son « grand cercle républicain » est réservé à des bourgeois aisés.
L'affaire Dreyfus continue à déchirer le pays, donnant aux nationalistes maintes occasions de créer du désordre.
L'acquittement de Déroulède, les incidents d'Auteuil créent la panique et emportent le ministère - le cinquième en un an ! - le 12 juin 1899. C'est à Poincaré que Loubet confie le soin de former un nouveau gouvernement, puis, après son refus à Waldeck-Rousseau.
Le nouveau président du Conseil forme un cabinet à sa convenance. Il assumera lui-même le poste de ministre de l'Intérieur et des Cultes. Il confiera le ministère de la Guerre au général de Galliffet, ce qui provoque quelques remous, et celui du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes à Millerand, ce qui en soulève bien plus encore car c'est la première fois sous la IIIe République qu'un socialiste, et non des moindres, fait partie du gouvernement. Séance d'investiture plus que houleuse à la Chambre des députés, à l'issue de laquelle le gouvernement recueille cependant 262 suffrages. Vingt-cinq voix, c'est presque une majorité de complaisance ; Waldeck-Rousseau saura en faire une majorité solide et durable.
CCe gouvernement de « défense républicaine » qui se constitue en pleine crise doit d'abord, par sa détermination, rassurer et apaiser les esprits.
Le deuxième procès de Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes a soulevé, dans la presse et l'opinion, polémiques et outrances. Pendant l'été de l'année 1899, le souci primordial du président du Conseil est de maintenir l'ordre, si possible sans prendre personnellement parti afin de ne pas envenimer la situation. C'est évidemment l'armée que l'affaire a principalement touchée, le malaise ressenti par les officiers devenant inéluctablement politique. Galliffet prend des mesures énergiques ; contrairement à ce qu'on pouvait craindre, l'armée ne bouge pas.
En mars 1900, le gouvernement dépose un projet de loi portant amnistie pour toutes les actions judiciaires se rattachant à l'affaire Dreyfus. Ce texte est critiqué, mais adopté et met pratiquement un terme, dans les faits sinon dans les esprits, à un des plus sombres épisodes de notre Histoire.
Au moment où Waldeck-Rousseau est appelé à la tête du gouvernement, la situation sociale en France n'est guère plus brillante que la situation politique. Les grèves se succèdent et, de l'été 1899 à l'été 1901, vont s'amplifiant. Tour à tour, ouvriers du textile, métallurgistes, mineurs, dockers et marins cessent le travail. Les bénéfices des grosses entreprises ont augmenté assez rapidement au cours des dix dernières années, mais les salaires n'ont pas suivi cette progression. Mieux organisés, plus conscients de leurs problèmes et de leur force, les ouvriers multiplient les manifestations publiques. Fait nouveau : les ouvriers du Creusot demandent au président du Conseil d'arbitrer le conflit qui les oppose à Schneider. Sensible à cette marque de confiance aussi sympathique qu'inhabituelle, Waldeck-Rousseau reçoit les grévistes, réaffirme le droit de grève et rend son arbitrage, mais se montre passablement écœuré de la façon dont il est appliqué. Sa médiation lui a valu la sympathie des milieux ouvriers, mais l'hostilité déclarée de tout le patronat, qu'il estime responsable de la prolongation de ces mouvements sociaux. Avec Millerand, il dépose un projet de loi définissant un système d'arbitrage obligatoire ; le Parlement ne s'en saisira même pas !
Si l'affaire Dreyfus est en voie d'apaisement, si les mouvements sociaux finissent par trouver une solution, les Français n'en retrouvent pas pour autant leur calme : les querelles religieuses leur fournissent un autre motif de s'entre-déchirer.
A la fin du XIXe siècle, l'Eglise vit sous le régime du concordat. Le clergé séculier et sa hiérarchie sont nommés et payés par l'Etat. Waldeck-Rousseau est favorable à ce système qui lui permet de les traiter comme des fonctionnaires, notamment de nommer les évêques, tâche à laquelle il apporte le plus grand soin.
Ce concordat comporte néanmoins une faille : le clergé régulier qui, échappant à tout contrôle, a le loisir de s'immiscer dans la vie politique et de faire pression sur la population catholique. Pour Waldeck-Rousseau, c'est un Etat dans l'Etat qu'il ne peut admettre.
Le 14 novembre 1899, il dépose un projet de loi concernant les associations et les congrégations religieuses. Cette loi marque le début d'une évolution qui aboutira, quelques années plus tard, à la séparation des Eglises et de l'Etat.
La loi sur les associations visait tout spécialement les richesses accumulées par certaines congrégations et l'emprise qu'elles exerçaient sur l'opinion par leurs maîtres, leurs œuvres de bienfaisance et leurs prédicateurs. Pour le ministre des Cultes, ces congrégations sont aussi puissantes qu'inutiles ; il y voit un danger moins dans l'immédiat que pour l'avenir.
Dans son esprit, la loi sur les associations n'est que l'extension du droit commun aux congrégations religieuses. Le texte en est précis et strict, du moins lors de son dépôt devant le Parlement, car il est sérieusement remanié tant par la Chambre que par le Sénat. L'anticléricalisme se déchaîne et le Parlement va nettement plus loin que le chef de l'exécutif. Au fil d'une discussion passionnée, les amendements se succèdent ; Waldeck-Rousseau se défend à peine car ils émanent de sa propre majorité. Le texte qui résulte des débats parlementaires est beaucoup plus sévère à l'égard des congrégations que celui du gouvernement. Là où Waldeck-Rousseau pense faire « un acte de nature à favoriser un véritable apaisement », Jaurès voit « un commencement de combat, un premier effort qui nécessairement devra se continuer ».
Waldeck-Rousseau ne s'est jamais laissé aller à un anticléricalisme aveugle. Pour lui, le but à atteindre était la suprématie de l'Etat, qui impliquait que les congrégations fussent, comme toute collectivité, soumises à son contrôle. Il estimait d'ailleurs que la religion était dépassée et que l'Eglise sombrerait d'elle-même, à condition qu'on ne lui donnât pas une fois de plus l'auréole du martyre. Face au déchaînement des passions, il fait encore figure de modéré. Autant il boudait la tribune du Parlement quand il était simple sénateur, autant il l'occupera en tant que président du Conseil. En trois ans, le gouvernement devra répondre à quelque 350 questions et interpellations. Sans emphase, d'une éloquence faite de précision, de clarté et de rigueur, il apportera lui-même la réponse du gouvernement à 191 d'entre elles.
Au cours de l'été 1901, le calme est revenu et la tâche du président du Conseil en est grandement facilitée : de juin 1901 à mai 1902, il ne prononce qu'un discours au Parlement. Les 27 avril et 11 mai 1902, se déroulent des élections législatives. Elles se traduisent par un gros succès pour le gouvernement à qui une majorité de plus de 80 voix permet d'agir sans soucis.
C'est le moment que choisit Waldeck-Rousseau - 3 juin 1902 - pour donner sa démission. La santé de celui qui, pendant près de trois ans, dirigea le plus long ministère de la IIIe République, est déjà défaillante. Devant Loubet à qui il va remettre sa démission, il « laisse tomber le nom de Combes », qui lui succédera effectivement.
On sait ce que fut la politique religieuse du nouveau cabinet. Redevenu sénateur de la Loire, Waldeck-Rousseau en fait le procès. La séparation des Eglises et de l'Etat apparaît au bout du chemin ; l'ancien président du Conseil ne la souhaite pas et expose au Luxembourg les raisons pour lesquelles il la juge dangereuse.
Ce sera son dernier discours. Atteint d'un cancer du pancréas, il doit s'aliter en décembre 1903. En mai 1904, on tente de l'opérer, mais sans résultat appréciable. Le 10 août 1904, après une nouvelle et grave opération, il meurt dans sa propriété de Casteljoli à Corbeil.
Waldeck-Rousseau a publié :
- Discours parlementaires (1889),
- Questions sociales (1900),
- Associations et congrégations (1901),
- Action républicaine et sociale (1902),
- La défense républicaine (1902),
- Politique française et étrangère (1903),
- Pour la République (1904),
- L'Etat et la liberté (1905-1906).