Henri Nallet
1939 - 2024
NALLET (Henri)
Né le 6 janvier 1939 à Bergerac (Dordogne)
Décédé le 29 mai 2024 à Paris
Député de l’Yonne de 1986 à 1988 et de 1997 à 1999
Ministre de l’Agriculture du 4 avril 1985 au 20 mars 1986
Ministre de l’Agriculture et de la forêt du 12 mai 1988 au 22 juin 1988, puis du 28 juin 1988 au 2 octobre 1990
Garde des Sceaux, ministre de la Justice du 2 octobre 1990 au 2 avril 1992
Henri Nallet voit le jour à Bergerac dans une famille originaire de Dordogne. Ses parents sont opticiens. Son père a été résistant, communiste puis radical et poujadiste ; sa mère était une militante des droits de l’homme. Scolarisé à Bergerac, Henri Nallet débute ses études supérieures à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, dont il sort major de promotion en 1961. Il poursuit ensuite son droit à Paris où il obtient successivement une licence de droit public (1962), un DES de droit public et de sciences politiques (1966) puis le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (1968).
Parallèlement à ses études, Henri Nallet fait ses premières expériences politiques dans le cadre associatif. L’engagement de ce jeune protestant débute en 1954 au sein de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC). Il en devient secrétaire général en 1963 et quitte le mouvement en 1964 en raison d’un désaccord avec certaines positions de l’épiscopat français. Il s’est également opposé à la guerre d’Algérie. De 1959 à 1964, il est aussi à l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). En 1965, il devient vice-président du Conseil français des mouvements de jeunesse (présidé alors par le futur Premier ministre Pierre Mauroy). Il cofonde, en 1965, le Centre de recherche et d’intervention révolutionnaire, un groupe de réflexion qui contribue sur le plan idéologique aux événements de mai 1968. La même année, il participe à l’Institut de formation des cadres paysans. Toujours en 1965, il est contacté par la FNSEA et devient chargé de mission auprès de son secrétaire général, Michel Debatisse, afin de le conseiller sur les questions économiques. Il quitte la FNSEA en 1970 en raison d’un désaccord politique avec la direction de la fédération : il juge le mouvement trop à droite.
Alors qu’il est déjà enseignant à l’université Paris-I, Henri Nallet intègre en 1970 l’Institut nationale de la recherche agronomique (INRA) en tant qu’assistant de recherche. Il y devient successivement chargé de recherche, en 1973, puis directeur de recherche au sein du département d’économie et de sociologie rurale (jusqu’en juillet 1981). Les thèses qu’il y développe, avec Yves Tavernier, Michel Gervais et Claude Servolin, alimentent la réflexion de la gauche paysanne.
Henri Nallet exerce parallèlement la profession de journaliste pour l’hebdomadaire Réforme de 1966 à 1973. Il y fait notamment la connaissance de Pierre Joxe qui le mène à intégrer, en 1980, l’équipe de campagne de François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981.
Le 6 juillet 1981, Henri Nallet devient conseiller technique chargé de l’agriculture au secrétariat général de la présidence de la République. A cet égard, François Guillaume, alors président de la FNSEA, estime que « M. Nallet a plusieurs atouts : il a l’oreille du président, il connaît le monde agricole et il a été salarié de la FNSEA et de l’INRA » et ajoute : « Mais il est maintenant au pied du mur et nous jugerons sur les décisions prises ».
Ses compétences ainsi reconnues, Henri Nallet est nommé ministre de l’Agriculture au sein du gouvernement dirigé par Laurent Fabius le 4 avril 1985. Il remplace Michel Rocard qui quitte le gouvernement en raison de son opposition à l’établissement du scrutin proportionnel pour les législatives de 1986. Loué pour ses qualités de négociateur, Henri Nallet travaille à rendre plus paisibles les relations entre l’Exécutif et les organisations professionnelles du monde agricole. En juin 1985 (et jusqu’en juin 1987), il est aussi président du Conseil mondial de l’alimentation.
Il effectue quelques réformes sociales comme l’introduction de la retraite volontaire progressive dès l’âge de 60 ans et l’allongement du congé maternité pour les agricultrices. Il veille à l’augmentation de certains crédits notamment en faveur des fruits et légumes. Il engage une simplification des déclarations fiscales.
Lors élections législatives de 1986, Henri Nallet se présente en première position sur la liste du Parti socialiste (PS), dans l’Yonne, qui recueille 29,89% des suffrages exprimés, dans le contexte de la défaite de la gauche. Dans ce département qui doit élire trois députés, sa liste obtient donc un siège et il est élu, les deux autres étant obtenus par la liste « Union de l’opposition » réunissant des candidats Union pour la démocratie française (UDF) comme Jean-Pierre Soisson et Rassemblement pour la République (RPR) comme Philippe Auberger.
Il quitte le gouvernement dans la foulée, lors de la nomination de Jacques Chirac comme Premier ministre, qui ouvre la première cohabitation.
A l’Assemblée nationale, dans l’opposition, Henri Nallet s’apparente tout d’abord au groupe socialiste avant de s’y inscrire en juin 1986 (il n’adhère au Parti socialiste que le 11 mai 1986). Il siège par ailleurs au sein de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Il est également membre de la délégation de l’Assemblée nationale pour les communautés européennes.
En séance publique, dans ses quelques interventions, il défend l’effort de recherche public, en mai 1986, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 1986, s’oppose sans succès à la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, accusant le gouvernement Chirac de ne satisfaire avec ce projet que quelques « agités du libéralisme intégral et la partie la moins dynamique du patronat », lors de l’examen du projet de loi correspondant et de la motion de censure déposée par Jean Auroux en juin 1986. Attentif aux évolutions communautaires, il défend en novembre 1986 la ratification de l’Acte unique européen mettant en place le marché intérieur. Il prône le consentement à certains abandons de souveraineté et défend le recours à la majorité qualifiée et l’abandon de l’unanimité pour éviter la paralysie des institutions européennes, insistant sur le vieillissement du Traité de Rome et la nécessité d’une politique monétaire commune ainsi que d’une harmonisation fiscale. En novembre 1986, lors de l’examen des crédits budgétaires des services du Premier ministre, il présente un amendement indicatif pour insister sur l’utilité sociale et de la mission éducative des organisations de jeunesse et d'éducation populaire et le travail de la jeunesse agricole catholique.
L’année suivante, il est membre titulaire de la commission mixte paritaire constituée pour l’examen du projet de loi relatif à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole (novembre 1987). Il dépose également les conclusions de la délégation pour les communautés européennes à propos du marché européen des céréales (décembre 1987).
L’année suivante, ses trois questions au gouvernement visent à mettre en cause l’action en matière agricole, d’abord sur la mutualisation contestée de la Caisse nationale de crédit agricole-CNCA (octobre 1987), puis sur les quotas laitiers (octobre et novembre 1987), au moment où les manifestations d’éleveurs mettent en cause la politique de l’ancien syndicaliste devenu ministre, François Guillaume, qu’il connaît bien. Lors des débats, s’il intervient en novembre sur les crédits budgétaires prévus pour l’agriculture par le projet de loi de finances pour 1988, il porte l’opposition de son groupe au projet de loi relatif à la mutualisation de la CNCA. Il appelle à une solution alternative à la privatisation de la « banque verte ». En février 1988, il commente la privatisation pour un montant qu’il juge insuffisant par une formule qui marque : « les soldes de printemps ».
De mars à mai 1988, très engagé auprès de François Mitterrand, il exerce les fonctions de trésorier pour sa seconde campagne présidentielle.
Dès la réélection de celui-ci, il est à nouveau nommé, par le président Mitterrand, ministre de l'Agriculture et de la forêt, le 12 mai 1988, dans le gouvernement de Michel Rocard.
Lors des élections législatives de juin 1988, Henri Nallet se présente dans la deuxième circonscription de l’Yonne issue du redécoupage électoral accompagnant le rétablissement du scrutin majoritaire. Il devance largement, au premier tour, le candidat UDF Grégoire Direz (avec 42,18 % des suffrages exprimés contre 29,06 %) avant de le battre au second tour (avec 55,85 %) en profitant notamment du report des voix du candidat communiste au premier tour Guy Lavrat.
Il revient ainsi brièvement à l’Assemblée nationale après la démission du gouvernement Rocard I, le 22 juin, s’inscrit au groupe socialiste et siège au sein de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Henri Nallet est nommé derechef ministre de l’Agriculture et de la forêt le 28 juin 1988. Il est remplacé à l’Assemblée par son suppléant Léo Grézard, chirurgien, conseiller général. Comme ministre de l’Agriculture et la forêt, les qualités de négociateur de Henri Nallet au niveau communautaire sont louées.
La première question au gouvernement à laquelle il répond, le 6 juillet 1988, est posée par Yves Tavernier, député de l’Essonne, qu’il connaît très bien, sur les négociations communautaires.
Henri Nallet prend plusieurs mesures en faveur de la filière agricole. Sur le plan législatif, à la loi d’adaptation (loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social), s’ajoute très vite la loi complémentaire n° 90-85 du 23 janvier 1990 et la loi n° 90-558 du 2 juillet 1990 relative aux appellations d'origine contrôlées des produits agricoles ou alimentaires, bruts ou transformés. Il présente également, au début de l’année 1990, le projet de loi portant réforme du code forestier, ayant pu faire mener à bien ce projet de long terme.
Par ailleurs, il prend dès le début de son ministère des mesures concrètes pour alléger les difficultés de l’agriculture et de l’élevage, prônant d’emblée une pause dans les réformes communautaires pour assurer une stabilité. En août 1990, il annonce des mesures financières d’urgence en faveur des éleveurs qui subissent alors les conséquences d’une crise aggravée par la sécheresse.
Pour moderniser l’enseignement supérieur agricole, agroalimentaire et vétérinaire, il lance le chantier de la création de l’Institut des sciences du vivant.
Du 3 octobre 1990 au 2 avril 1992, Henri Nallet assume les fonctions de ministre de la Justice au sein des gouvernements Rocard et Cresson. Il a auprès de lui, comme ministre délégué à la Justice, l’avocat renommé Georges Kiejman, très proche également du président de la République. Il prend pour directeur de cabinet Jean-Pierre Dinthilac, jusqu’alors directeur de l’administration pénitentiaire. Il remplace Pierre Arpaillange qui a été très contesté.
Nommé en pleine crise, magistrats, greffiers et surveillants de prison déplorant des effectifs insuffisants et de mauvaises conditions de travail, Henri Nallet obtient en réponse une augmentation de crédits après avoir d’emblée déclaré : « La nation devra donner à l’institution judiciaire les moyens d’accomplir ses missions ». Il fait également voter des réformes sur le statut des magistrats et sur l’aide judiciaire ; il prépare aussi les réformes du Code pénal et de la procédure pénale. Il ne parvient cependant pas à mener tous ses projets à bien : départementalisation de la justice, évaluation des besoins en vue d’une loi pluriannuelle.
Il est parallèlement mis en cause, accusé par la presse et une partie de la classe politique d’avoir couvert une affaire de financement occulte de la campagne électorale du Parti socialiste de 1988 en mettant en cause un magistrat perquisitionnant à Paris le siège de l’entreprise Urba.
Hors de l’Assemblée et du gouvernement, Henri Nallet est aussi un élu local. A partir de 1988, il siège au Conseil général de l’Yonne (canton de Tonnerre). Il est aussi élu, en mars 1989, maire de Tonnerre. Il conserve ce mandat jusqu’en juin 1998.
Après son départ du gouvernement, Henri Nallet est chargé d’étudier la restructuration de l’agriculture des pays de l’Est à la Banque de reconstruction de l’Europe de l’Est (juillet 1992). Il est aussi nommé conseiller d’État au tour extérieur (décembre 1992).
En 1993, il tente de retrouver un mandat politique au niveau national. Il est candidat à sa succession aux élections législatives (PS) dans la deuxième circonscription de l’Yonne. Il arrive en deuxième position (avec 19,76 % des voix) au premier tour, derrière le candidat RPR Yves Van Haëcke (26,64 % des suffrages) mais devant notamment Marc Fournier du Front national (FN), Grégoire Direz de l’Union pour la démocratie française (UDF) et Guy Lavrat du Parti communiste français (PCF). Henri Nallet s’incline au second tour face au candidat RPR, ne recueillant que 43,35 % des suffrages (soit 19 928 voix). En septembre de la même année, il est expert auprès de la Commission des communautés chargée d’étudier l’élargissement de l’Union européenne aux Pays d’Europe centrale et orientale. Membre du conseil national du PS en octobre 1993 et du bureau national en décembre 1994, il est réélu en 1994, conseiller général de l’Yonne (PS, canton de Tonnerre). Il est également, administrateur de l’Association « Europartenaires » (depuis 1994) et membre du conseil politique du mouvement Agir (depuis 1996) animé par Martine Aubry. En 1995, il est réélu maire de Tonnerre.
Après la dissolution prononcée par le président de la République, Jacques Chirac, Henri Nallet décide de se présenter à nouveau dans la deuxième circonscription de l’Yonne. Il arrive en seconde position, au premier tour, en réunissant sur sa candidature 25,44 % des suffrages exprimés, devançant ainsi les candidats du FN, Claude Moreau, et du PCF, Guy Lavrat, mais derrière le député sortant, Yves Van Haëcke (26,16 % des voix). Au second tour, Henri Nallet parvient à s’imposer en remportant 53,95 % des suffrages (soit 26 079 voix).
A l’Assemblée nationale, Henri Nallet s’inscrit au groupe socialiste et siège au sein de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il est aussi président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne (1997), membre titulaire de la délégation française aux assemblées consultatives du Conseil de l’Europe et de l’Union de l’Europe occidentale (1997) et membre titulaire, au titre de l’Assemblée nationale, du comité national de l’Euro. Il est également chargé par le Premier ministre Lionel Jospin en septembre 1998, sur la suggestion du ministre de l’Économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn, et de la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, d’une mission temporaire et de la rédaction d’un rapport sur les grands réseaux pluridisciplinaires et les professions juridiques.
Il est, en 1998, le rapporteur du projet de loi constitutionnelle modifiant l’article 88-2 de la Constitution pour permettre la ratification du traité d’Amsterdam. Il veille à insérer, à cette même occasion, une disposition renforçant le contrôle parlementaire sur les projets et propositions d’actes communautaires, dans la future loi constitutionnelle du 25 janvier 1999 modifiant également l’article 88-4 de la Constitution.
Sous sa présidence, en 1997 et 1998, les nombreux rapports et résolutions relatifs aux questions européennes témoignent d’une intense activité de la Délégation, et également d’un examen attentif des questions européennes.
Il prend également la parole en séance publique, en décembre 1997, pour donner la réplique au ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, sur la politique européenne.
Il pose par ailleurs deux questions au gouvernement : en juin 1997, sur la défense du modèle social européen ; en mars 1998, sur les perspectives économiques à l’occasion du retour de la croissance, fondé sur le développement des nouvelles technologies et d’internet.
Sa mission temporaire est prolongée en mars 1999 et, par conséquent, le mandat de député d’Henri Nallet prend fin. Il est alors remplacé par son suppléant, Jean-Yves Caullet.
Hors de l’Assemblée, Henri Nallet est nommé secrétaire national du PS, chargé des questions européennes en 1997 et élu vice-président du Parti des socialistes européens (PSE) en mars 1998.
Il est par ailleurs nommé conseiller d’État honoraire en juillet 1998.
Après son départ de l’Assemblée nationale, Henri Nallet achève sa mission, dont le rapport est publié à la Documentation française sous le titre Les Réseaux pluridisciplinaires et les professions du droit. Il préconise une modernisation des conditions d’exercice de la profession d’avocat dans le cadre de sociétés, afin de mettre le barreau français à parité avec ses homologues anglo-saxons dont les réseaux sont alors dominants.
Il quitte progressivement ses mandats locaux. C’est ainsi qu’il démissionne successivement de ses fonctions de maire de Tonnerre en 1998, de son mandat de conseiller général de l’Yonne et de son mandat de conseiller municipal de Tonnerre en 2001.
Lorsqu’il quitte l’Assemblée nationale, Henri Nallet a devant lui des perspectives européennes. Son nom est même évoqué pour un poste de commissaire.
Cependant, il est rapidement mis en cause, puis mis en examen, en mai 1999, de même que son épouse, pour recel d’escroquerie et recel d’abus de confiance dans l’affaire dite du Crédit agricole de l’Yonne. Ces deux mises en examen seront en définitive annulées en mars 2001 par la Cour de cassation.
Opérant par conséquent une réorientation, Henri Nallet devient en août 1999 conseiller du président du Laboratoire Servier, pour les affaires européennes et internationales. Il est salarié du groupe pour s’occuper de ces questions jusqu’en 2008 et poursuit ensuite son activité comme consultant.
Il est entendu comme témoin assisté car un temps soupçonné de trafic d’influence, dans l’affaire judiciaire du Mediator, en décembre 2013. Le groupe pharmaceutique est condamné fin 2020 pour homicide involontaire, tromperie aggravée et escroquerie, mais fait appel.
Henri Nallet préside, de 2013 à 2022, la fondation Jean Jaurès, prenant la suite de l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy, décédé en 2013. C’est Jean-Marc Ayrault qui succède à Henri Nallet. Parallèlement, il est aussi membre du comité d’éthique du barreau de Paris et membre du conseil d’administration de l’association Droits d’urgence, fondée en 1995, se chargeant d’apporter une aide juridique et matérielle aux démunis et personnes en situation d’exclusion. Ses conférences, articles et ouvrages continuent de contribuer au débat politique en France et en Europe.
Henri Nallet décède le 29 mai 2024 à Paris. Il était marié depuis 1963 à Mme Thérèse Leconte et était père d’un enfant. Il était commandeur de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre du Mérite agricole.