Affaire Dreyfus

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Contre les conclusions du rapport de la commission chargée de procéder à une enquête sur les opérations électorales du deuxième arrondissement de Paris.
Relance de l'affaire Dreyfus

Contenu de l'article

Séances des 6 et 7 avril 1903 :

(Extraits)

Présidence d'Eugène Etienne

  « Jean Jaurès rouvre l'affaire Dreyfus devant la Chambre des députés à l'occasion de la discussion des conclusions du rapport de la commission chargée de procéder à une enquête sur la validité de l'élection de Gabriel Syveton dans le deuxième arrondissement de Paris. Gabriel Syveton (1864-1904), trésorier de la Ligue de la Patrie française avait dénoncé dans une affiche électorale, à propos du gouvernement Waldeck-Rousseau remplacé après les élections législatives d'avril-mai 1902 par Emile Combes, le « ministère de l'étranger ».

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission chargée de procéder à une enquête sur les opérations électorales du deuxième arrondissement de Paris. La commission conclut à la validation des opérations électorales. La parole est à M. Jaurès.

M. Jaurès. Messieurs, c'est contre les conclusions du rapport, c'est plus encore contre la façon dont la commission a conduit l'enquête que j'ai demandé la parole.

Dans la période électorale, M. Syveton s'est approprié l'affiche de la Patrie française dénonçant aux bons citoyens le ministère de l'étranger ; il l'a faite sienne, il en a pris la responsabilité.

Je lui rends cette justice que durant toute l'enquête il a gardé nettement la même attitude. Il ne s'est pas fait humble ; il n'a cherché ni à équivoquer, ni à ruser ; il a essayé de démontrer qu'il avait le droit de dénoncer le Gouvernement républicain d'alors comme le ministère de l'étranger et, par conséquent, son adversaire, M. Mesureur, qui avait soutenu ce Gouvernement comme le candidat de l'étranger.

La thèse de M. Syveton et de ses amis est celle-ci. Une tentative a été faite après le procès de Rennes pour faire casser par la justice civile la décision de la justice militaire. Cette tentative n'a avorté que parce que le général de Galliffet, ministre de la guerre, s'y est opposé. M. de Galliffet a marqué son opposition par une lettre écrite au président du conseil ; il lui disait : « Si vous vous risquez à cette tentative, il y aura, d'un côté, le législateur, le pays, l'armée et, de l'autre, les dreyfusards, le ministère et l'étranger. » Et M. Syveton dit : « Pour justifier l'affiche de la Patrie française et l'usage que j'en ai fait, il me suffit de démontrer que la phrase de la lettre du général de Galliffet est authentique. »

C'est d'abord cette démonstration d'authenticité que, par ses témoins, MM. Lemaître, Judet et Cochin, il a apportée devant la commission.

Messieurs, je ne conteste en aucune manière l'authenticité de la phrase attribuée à M. le général de Galliffet ; il faut bien que de temps à autre on se serve contre nous de pièces authentiques. (Applaudissements et rires à l'extrême gauche et à gauche.) Celle-là est du nombre. On pourrait se demander, même si toute la lettre de Galliffet se réduisait à cette phrase, si vous aviez le droit d'en conclure que tout un parti, tout le grand parti républicain était le parti de l'étranger.

Peut-être pourrait-on s'étonner que la lettre entière n'ait pas été produite devant la commission. Je ne veux pas chercher à atténuer le sens de cette phrase ; je m'étonne seulement un peu de la facilité, de la complaisance avec laquelle la commission a; accepté les explications du général de Galliffet. Il invoque contre elle, pour ne pas lui donner le texte complet de la lettre, le secret professionnel, alors que cette lettre que le secret professionnel lui interdit de montrer à une commission du Parlement, il l'avait montrée à :M. Jules Lemaître, à M. Judet et à d'autres.

Je m'attendais à ce que la commission exprimât, sur ce point, dans son rapport, au moins un étonnement et un regret ; elle n'y a pas songé.

M. Paul Beauregard, rapporteur. Vous n'expliquez pas les choses comme elles se sont passées !

M. Jaurès. Monsieur Beauregard, je m'applique à ne prononcer aucune parole qui puisse, par la violence des mots, ajouter à la gravité du débat, et comme j'ai une longue carrière à parcourir, je vous prie de réserver vos réponses et vos rectifications pour la tribune. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Les témoins de M. Syveton et M. Syveton lui-même ne s'en sont pas tenus là, et voici d'abord ce que dit M. Judet, commentant la phrase du général de Galliffet :

Je lui demandai - [à M. de Galliffet] - un entretien. Il savait quel en serait l'objet et s'empresse de m'indiquer un rendez-vous. Je m'en réjouis, car j'avais pris trop ardemment parti contre l'agitation Dreyfus pour ne pas souhaiter d'être fixé sur le mandat réel et sur les manoeuvres du cabinet Waldeck. Trois ans j'avais souffert avec tous les Français de l'oppression d'une politique qui subissait à nos yeux deux influences certaines, l'une directement issue de l'étranger voulant nous imposer à tout prix la solution qui lui plaisait dans un procès de trahison, l'autre émanant d'une faction que l'opinion a flétrie sous le nom de syndicat Dreyfus.

Pour nous, le ministère Waldeck était à la fois le ministère Dreyfus et le ministère de l'étranger. Trois ans, nous l'avons proclamé, parce que nous en étions moralement sûrs ; mais à une époque où les criminels deviennent si aisément innocents quand ils ne sont pas saisis en flagrant délit, toute preuve d'accusation est d'une importance exceptionnelle.

Dans cette longue série d'incidents louches, soigneusement cachés à la nation, nous suivons désormais la série d'audaces et de roueries que le zèle gouvernemental multiplia pour le salut, puis pour la réhabilitation de Dreyfus. Peut-être serait-elle niée malgré les assertions catégoriques de M. le général de Galliffet, si sa lettre, lancée à l'heure décisive, d'une signification imperturbable, ne survivait pas à l'orage.

Voilà la conclusion qu'on veut tirer de la phrase de M. le général de Galliffet, voilà le droit que l'on réclame ; voilà le droit que l'on défend - la commission, par un témoignage consigné aux annexes de son rapport, M. Syveton et ses témoins ensuite - celui de qualifier tout le parti républicain de parti qui subit la direction de l'étranger. (Applaudissements à gauche. - Dénégations au centre.)

Voilà la flétrissure ; et à la flétrissure on ajoute la menace :

M. de Galliffet est assurément armé. Son trésor intact de constatations, de notes et de pièces précieuses n'est pas de ceux qui se vident en quelques conversations improvisées. Je rends hommage à la prudence avec laquelle il défend sa responsabilité ; je souhaite qu'il en recueille les fruits, qu'il ait enfin le .droit de parler à coeur ouvert devant la seule juridiction qui lui convienne, qu'il appelle de tous ses voeux, devant la Haute Cour, pour laquelle il a la sagesse et le courage de faire patienter les secrets redoutables dont il est le détenteur.

M. Syveton, à son tour, a pris la responsabilité de ces conclusions ; il a dit que la démonstration faite contre le ministère de l'étranger lui donnait le droit de dire que M. Mesureur, qui avait soutenu ce ministère, était le candidat de l'étranger.

C'est dans ces termes que l'enquête a été conduite. Et savez-vous, messieurs, quel jugement la commission porte sur ces procédés de diffamation à l'égard de tout notre parti, de tout le parti républicain ? (Interruptions au centre. - Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.).

M. le comte du Périer de Larsan. Il n'y a pas que vous dans le parti républicain.

M. Jaurès. Je vous remercie de protester et de rectifier, et je m'empresse de vous donner satisfaction : je vous mets en dehors des injures de M. Judet. (Nouveaux applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)

M. Jules-Louis Breton. Et en dehors du parti républicain. (Exclamations au centre.)

M. Jaurès. je n'exclus personne, je ne juge personne, j'essaye de continuer ma démonstration. Je dis que la commission n'a fait, sur ces procédés de polémiques, sur ces procédés de diffamation à l'égard de tout un parti, aucune réserve sérieuse. Elle s'est bornée à regretter la violence des affiches échangées, comme s'il s'agissait là d'une des banales violences de la période électorale, comme si l'accusation portée par des Français contre tout un parti et contre le pouvoir qui gouverne au nom de ce parti de subir systématiquement la direction de l'étranger était une de ces banales injures qu'il suffit d'effacer par un regret. (Très bien ! très bien ! à gauche et à l'extrême gauche)

Messieurs, la question qui se pose est celle-ci : il s'agit de savoir si la Chambre ne jugera pas utile de faire la réponse que n'a pas faite sa commission ; il s'agit de savoir si nous accepterons indéfiniment ce système de calomniés et lorsque nous élevons ici la parole pour répondre et pour protester, il y a des hommes même dans le parti dont je suis qui nous disent : « Prenez garde, il ne faut pas rouvrir une agitation qui a été close ! »

Et moi, je dis qu'il ne faut pas être dupes de la tactique perfide de l'ennemi. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et à gauche.) Il prétend clore l'agitation pour nous et la continuer pour lui-même, il a donné de l'amnistie une interprétation unilatérale. Au nom de la:politique d'amnistie, il prétend nous interdire de continuer, dans l'intérêt de ce que nous avons cru et de ce que nous croyons être la vérité et le droit, des recherches légitimes et lui, il ne laisse passer aucune occasion d'exploiter contre nous ce qui a pu rester encore d'obscurité dans les esprits.

Ce sont les élections : ministère de l'étranger, parti de l'étranger ; c'est l'affaire Humbert qui s'ouvre. On essaye, par la déposition de M. du Paty de Clam, d'y rattacher l'affaire Dreyfus et de nous noyer, nous tous, dans la fange de l'affaire Humbert. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche. Rumeurs au centre et à droite.)

Voilà comment on entend l'amnistie, voilà comment on pratique l'apaisement. Je dis que cette politique perfide nous donne à nous le droit et nous crée le devoir de répondre à toutes ces calomnies par une vigoureuse offensive.

Vous avez prétendu, il a été dit, dans les témoignages imprimés dans le rapport, que l'intervention présumée du Gouvernement, après le procès de Rennes, n'était qu'un épisode dans une longue série d'opérations louches - ce sont les paroles mêmes de M. Judet, témoin de M. Syveton. On a dit, dans les dépositions mêmes, que cette action louche s'était exercée d'abord pour tenter de fausser le verdict même du procès de Rennes.

Messieurs, je pourrais répondre que si quelque chose a pu, au procès de Rennes, étonner et scandaliser, c'est la faiblesse de ce gouvernement dont vous dénoncez les violences prétendues (Exclamations à droite et au centre.)

Il y a eu ce fait sans précédent que l'arrêt de la Cour de cassation proclamant, toutes chambres réunies, que tout : l'écriture, le papier, indiquaient que le bordereau sur lequel Dreyfus fut condamné...(Nouvelles rumeurs au centre et à droite. - Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)

Il est étonnant que, devant les hommes qui ont si longtemps réclamé contre nous le respect de la chose jugée, je ne puisse pas rappeler les décisions de la Cour de cassation. (Applaudissements à gauche).

Il est extraordinaire et sans précédent que l'arrêt qui attribuait à Esterhazy le bordereau sur lequel en 1894 Dreyfus avait été condamné n'ait pas trouvé dans l'organe du ministère public à Rennes le défendeur qui était dû à la Cour de cassation. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Je ne veux pas m'attarder aux détails de la procédure et je ne veux pas toucher au fonctionnement du mécanisme judiciaire, mais je veux dire ici, nettement, jusqu'au bout, à ceux qui nous ont accusés d'être le parti de l'étranger, à ceux qui dans l'enquête même ont renouvelé cette accusation, à ceux qui triompheront demain, si votre faiblesse laisse passer sans protestations et sans sanction cette flétrissure inscrite contre nous dans des documents officiels (Applaudissements sur les mêmes bancs), je veux rappeler à ceux qui nous accusent d'être le parti de l'étranger que, moins que d'autres peut-être, ils ont le droit de porter contre nous cette accusation, car, si je voulais, moi aussi, recourir après vous à ces violences de vocabulaire, je dirais que le vrai parti de l'étranger, c'est celui qui pendant quatre ans, dans l'intérêt de ses combinaisons, a fait appel par le faux à la signature d'un souverain étranger. (Nouveaux applaudissements.)

Je veux démontrer devant cette Chambre et devant le pays que, en effet, pendant quatre ans, toute la presse nationaliste, plusieurs des orateurs du parti catholique, toute la grande presse catholique ont affirmé qu'il existait, à la charge du condamné de 1894, une lettre, une note écrite et signée de la main de Guillaume II lui-même et accablante pour l'accusé.

Messieurs; c'est l'histoire de la légende monstrueuse créée autour de ce faux et c'est l'histoire de ce faux lui-même, centre de la légende, que je veux suivre pas à pas. Je serai obligé d'infliger à la Chambre, contre mon gré, de trop nombreuses et trop longues lectures. J'espère que je pourrai la dédommager, au cours de mon exposé, par la communication d'un document inédit et bref. (Interruptions sur divers bancs. - Mouvements divers.)

Je prie nos amis de ne pas s'émouvoir de quelques interruptions et je prie mes adversaires eux-mêmes de ne pas se hâter ; car s'ils protestaient trop vite ce n'est pas contre moi, ce n'est pas contre mes affirmations, c'est contre les affirmations multipliées et prolongées où leurs amis politiques ont engagé leur responsabilité et leur honneur qu'ils se trouveraient avoir protesté.

[...]

[Jaurès démontre alors, au cours d'un discours qui couvre toute la séance du 6 avril et une partie de celle du 7, comment le parti nationaliste a exploité la thèse du « bordereau annoté » dont il montre la fausseté intellectuelle et le danger politique. Il reçoit le soutien d'Henri Brisson. Il avait demandé à celui-ci d'intervenir au sujet d'une lettre du général de Pellieux du 31 août 1898 adressée à Godefroy Cavaignac, ministre de la guerre, à cette époque]

M. Jaurès. [...] Je n'ajoute rien au point de vue du fond de l'affaire dont ni vous, ni moi, ni le Gouvernement ne sommes juges, mais je dis que le problème politique reste, et je dis à nos adversaires, à ceux qui ont apporté ici dans l'élection dont vous avez à juger le caractère et la moralité, moralité, (Interruptions) à ceux qui ont apporté ici contre le parti républicain l'accusation formelle d'être le parti de l'étranger, à ceux qui ont apporté contré la majorité républicaine...

À droite. Pas contre tout le parti républicain.

M. Jaurès. Messieurs, vous aggravez l'injure en précisant. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

M. le. baron de Boissieu . Parfaitement !

M. Jaurès. J'ai le droit de dire à ceux qui ont apporté ici contre le Gouvernement de la majorité républicaine, celui d'hier continué par celui d'aujourd'hui, l'accusation d'être le Gouvernement de l'étranger, j'ai le droit de leur dire qu'après la campagne menée autour d'une pièce fausse et d'une légende inepte et coupable pendant quatre années, une alternative redoutable se pose pour eux. Ou bien le parti nationaliste a cru à la réalité de ces pièces et à la vérité de cette légende et jamais un parti ne descendit plus bas dans l'ordre de l'intelligence... (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. - Interruptions et bruit à droite.)

M. le comte de Lanjuinais. Ce n'est pas poli, mais cela n'a pas d'importance.

M. Jaurès. ...ou bien il n'y a pas cru...(Nouvelles interruptions à droite.) Vous serez toujours libres, messieurs, d'échapper à un des termes de l'alternative en vous réfugiant dans l'autre. (Rires à gauche.)

Ou bien il n'y a pas cru et jamais parti politique n'est descendu plus bas dans l'ordre de la probité. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Messieurs, je n'attends pas de ceux qui ont parlé, affirmé, inventé en votre nom, qu'ils viennent s'expliquer ici à fond sur les affirmations produites par eux. Déjà M. Millevoye a refusé de s'expliquer. (Interruptions à droite.)

M. Lucien Millevoye. Je ne refuse pas du tout de m'expliquer. Je m'expliquerai s'il le faut dans un débat contradictoire portant sur l'affaire tout entière.

M. Jaurès. Le 25 décembre 1900, dans un article que je recommande encore aux méditations irritées de nos collègues de droite...

M. le baron Xavier Reille . Nous ne sommes pas irrités, mais écoeurés.

M. Jaurès. ...M. Rochefort, sous le titre : les Mystères du Mont-Valérien, raconte toute l'histoire du bordereau annoté, et il s'offre à en témoigner soit devant le jury, soit devant une commission d'enquête quelconque puis il ajoute :

À cette époque il y avait peut-être du patriotisme à se taire ; il y en a maintenant à parler.

Eh bien, messieurs, je dois à M. Rochefort des excuses. J'avais cru qu'il avait pris parti violemment dans cette affaire, par esprit de parti, par passion mauvaise ; je suis obligé de reconnaître qu'il était de bonne foi, je suis obligé de reconnaître qu'il a pris au sérieux la pièce de Guillaume II. Oui, l'État-major l'a converti.

Il l'a converti le premier, afin de se servir de lui comme d'une caution envers les autres, il en a fait, dans cette affaire, la dupe fondamentale. (Rires à gauche.)

Messieurs, je n'espère pas que M. Rochefort s'explique, tout en ayant déclaré que le patriotisme faisait maintenant une loi de s'expliquer ; c'est un patriotisme aux obligations variables !

M. Firmin Faure. Il n'a jamais varié comme vous !

M. Jaurès. Et maintenant, j'imagine que la prudence viendra corriger. les élans de ce patriotisme. Non, ils ne parleront pas ; non ils ne s'expliqueront pas, même après les affirmations d'eux que j'ai produites à cette tribune et dont ils devraient prendre la responsabilité en indiquant les origines du système allégué par eux. Ils garderont le silence pour continuer à s'abriter dans l'équivoque. Mais il est démontré maintenant - et cela suffirait - qu'on peut parler à cette tribune de ces choses (Interruptions à droite) qu'on peut parler du bordereau annoté, de la fausse lettre de Guillaume II, sans déchaîner des orages. La guerre ne gronde plus sur nos têtes, le prétexte patriotique, allégué par eux, est dissipé, (Interruptions) ils peuvent parler sans ébranler la paix de l'Europe. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Qu'ils parlent donc ! Qu'ils s'expliquent !

Quant à nous, qui avons vu dans quelles conditions, encore mystérieuses, la lettre du général de Pellieux a fait une courte apparition au ministère de la guerre.; quant à nous ; qui avons vu par le témoignage officiel devant la Cour de cassation de M. Paléologue, que notre service des renseignements a été l'officine où a été fabriqué le faux monstrueux et inepte de la lettre de Guillaume II, (Rumeurs à droite) nous avons un double devoir : D'abord le devoir de demander au Gouvernement responsable envers la majorité et envers le pays, de chercher comment il a été possible, dans le mécanisme des bureaux de la guerre, qu'une pièce aussi grave que la lettre du général de Pellieux, apparaissant au moment où elle pouvait jeter une lumière décisive, ait été subitement mise sous le boisseau ; nous avons le devoir de demander à ce Gouvernement comment il a été possible à notre service des renseignements d'accréditer une légende dangereuse et scélérate. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

M. de Boury  C'est l'affaire de la justice.

M. Jaurès. Non ; ce n'est pas empiéter sur l'ordre judiciaire ; ce sont des questions d'ordre exclusivement politique et gouvernemental. (Applaudissements à gauche.)

Nous avons le droit et le devoir de le connaître, et nous avons en même temps le devoir de condamner par un vote précis l'abominable système de calomnie électorale par lequel on a essayé de ruiner le crédit du parti républicain dans la conscience même de la patrie. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) Nous avons le devoir d'y mettre un terme et de prouver au parti nationaliste déclinant que son impuissance d'aujourd'hui ne doit pas être une excuse à ses méfaits d'hier. (Vifs applaudissements à gauche - Interruptions à droite.)

M. Firmin Faure. Si vous n'aviez pas eu là candidature officielle vous ne seriez pas ici.

M. Jaurès. Si vous ne le faisiez pas, vous consacreriez vous-mêmes une jurisprudence électorale, politique, de calomnie meurtrière allant jusqu'aux racines mêmes de la vie nationale de ce pays. Que le parti qui a, depuis cinq ans, la responsabilité de tant de fautes commises, de tant de faux accumulés, que ce parti ait osé contre nous, contre la République, se dresser en accusateur ; si vous le tolériez, ce serait la stupeur de l'histoire, le scandale de la conscience et la honte de la raison. (Applaudissements vifs et répétés à l'extrême gauche et à gauche. Bruit prolongé à droite. - L'orateur, de retour à son banc, reçoit les félicitations de ses amis.)»