N° 1404 - Rapport d'information de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires économiques sur l'hydroélectricité




N
° 
1404

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 octobre 2013

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

en application de l’article 145 du Règlement

sur l’hydroélectricité

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Marie-Noëlle BATTISTEL et M. Éric STRAUMANN

Députés

——

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 9

PRÉAMBULE – L’HYDROÉLECTRICITÉ : UN PATRIMOINE NATIONAL, UNE CHANCE POUR LE MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS 10

PREMIÈRE PARTIE : COMMENT RELANCER LA PETITE HYDROÉLECTRICITÉ ? 12

I.  UN MOYEN DE PRODUCTION RENOUVELABLE ET BON MARCHÉ DÉLAISSÉ 12

II. UN POTENTIEL EXISTANT DONT LA MISE EN VALEUR EST FREINÉE PAR DES FACTEURS ÉCONOMIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX. 13

A. UN RYTHME DE DÉVELOPPEMENT BIEN EN DEÇÀ DES OBJECTIFS FIXÉS 13

B. UN BASCULEMENT DU TARIF D’OBLIGATION D’ACHAT VERS LE MARCHÉ DIFFICILE À RÉALISER POUR LES PETITS PRODUCTEURS. 14

C. DES CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES QUI ENCADRENT LA RÉALISATION DE TOUT NOUVEAU PROJET 16

DEUXIÈME PARTIE : QUEL AVENIR POUR LES OUVRAGES HYDRAULIQUES SOUS CONCESSION ? 19

I.  UN MOMENT CLÉ POUR LES GRANDS OUVRAGES HYDROÉLECTRIQUES FRANÇAIS 19

II. UNE RÉFLEXION PRÉALABLE SUR LES OBJECTIFS DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE 20

1er objectif : Assurer la sûreté des ouvrages et la sécurité du système électrique. 21

2ème objectif : Limiter la hausse des prix de l’électricité pour les ménages. 21

3ème objectif : Donner accès aux électro-intensifs à une électricité bon marché en période de pointe. 21

4ème objectif : Parvenir à une gestion moderne et collaborative des usages de l’eau, bien public par excellence. 22

5ème objectif : Préparer la transition vers un nouveau système énergétique, axée sur la montée en puissance des énergies intermittentes. 23

6ème objectif : Donner des garanties sur les emplois 23

7ème objectif : Contribuer à la construction d’une Europe de l’énergie. 24

III. LA REMISE EN CONCURRENCE DES CONCESSIONS : UNE SOLUTION PRÉSENTÉE COMME INCONTOURNABLE, DES DIFFICULTÉS INÉVITABLES 25

A. UNE SOLUTION PAR DÉFAUT 25

1. Un tournant historique : la transformation d’EDF en société anonyme 25

2. Une occasion manquée : la future directive « concessions » 25

B. UNE PROCÉDURE DÉJÀ AVANCÉE 26

C. DES PROBLÈMES MAJEURS QUI N’ONT JUSQU’À PRÉSENT PAS ÉTÉ SOULEVÉS 29

1. Une absence d’ouverture réciproque des autres parcs hydroélectriques européens. 29

2. Un danger pour la sûreté des usagers et la sécurité d’approvisionnement 32

3. Une hausse mécanique du prix de l’électricité pour les consommateurs 33

a. Une rente hydraulique de plus d’un milliard d’euros qui profite aujourd’hui au consommateur et à l’État 33

b. Une hausse inéluctable des prix de l’électricité via deux mécanismes 34

c. Le cas particulier des industriels électro-intensifs 35

4. Un découpage inadéquat des vallées remises en concurrence faisant obstacle à une optimisation du potentiel du parc. 37

5. Les garanties insuffisantes apportées aux acteurs locaux pour les différents usages de l’eau. 39

6. Des destructions d’emploi inévitables. 39

7. Des inégalités fortes entre collectivités territoriales dans la perception de la redevance hydroélectrique. 40

IV. QUATRE SCÉNARIOS POUR LE FUTUR DU PARC HYDROÉLECTRIQUE FRANÇAIS 43

A. UN SCÉNARIO IMPOSSIBLE : LE RENOUVELLEMENT DES CONCESSIONS DE GRÉ À GRÉ 43

B. 1ER SCÉNARIO : LA MÉTHODE DU BARYCENTRE. 44

1. Principe du scénario 44

2. Compatibilité vis-à-vis du droit communautaire 45

a. Une dérogation au principe de remise en concurrence en cas de modification substantielle du contrat 45

b. Une dérogation envisageable, en raison du respect des principes fondamentaux de la commande publique et du droit de la concurrence 46

c. Une saisine préalable de la Commission européenne nécessaire au titre du contrôle des aides d’État 46

3. Avantages de la méthode du barycentre 46

1er avantage : un regroupement des concessions d’une même vallée. 46

2ème avantage : de nouvelles recettes budgétaires pour l’État 47

3ème avantage : une diminution des retards pris par la procédure par un étalement du programme 48

4ème élément : des conditions favorables aux nouveaux entrants 48

4. Inconvénients de la méthode du barycentre 48

1er inconvénient : un processus complexe qui s’étale sur plusieurs décennies 49

2ème inconvénient : la perte de contrôle sur le parc hydroélectrique français 49

3ème inconvénient : un manque de garanties apportées aux collectivités territoriales 49

4ème inconvénient : la question du transfert des salariés laissée de côté 50

5ème inconvénient : un gain financier pour l’État à relativiser 50

6ème inconvénient : un impact sur le prix de l’électricité bien réel 50

7ème inconvénient : un délitement progressif du modèle français sous couvert d’euro-compatibilité 51

C. 2ÈME SCÉNARIO : UNE CONCESSION UNIQUE. 52

1. Principe du scénario 52

a. Définition des services d’intérêt économique général (SIEG) 52

b. Critères permettant à une activité d’être qualifiée de SIEG 53

i. Elle doit avoir un caractère économique. 53

ii. Elle doit être confiée à une entreprise par un acte exprès de la puissance publique. 53

iii. Elle doit être d’intérêt général. 53

c. Critères permettant de charger une entreprise d’un SIEG sans mise en concurrence préalable. 53

i. L’attribution d’un droit exclusif. 54

ii. L’absence de mise en concurrence. 54

2. Compatibilité avec le droit communautaire. 54

a. L’hydroélectricité est un service d’intérêt économique général. 55

i. A-t-elle un caractère économique ? 55

ii. L’activité est-elle confiée à l’opérateur historique par un acte exprès de la puissance publique ? 55

iii. A-t-elle un caractère d’intérêt général ? 55

b. Le bon accomplissement des missions d’intérêt général liées à l’hydroélectricité nécessite la désignation d’un opérateur unique. 56

i. Nécessaire : plusieurs opérateurs peuvent-ils opérer sur le parc hydroélectrique français ? 56

ii. Proportionnée : peut-on envisager une autre solution ? La désignation de l’opérateur historique comme gestionnaire unique du parc est-elle de nature à lui octroyer une position dominante ? 58

c. Seule l’entreprise désignée est en mesure d’accomplir ces missions. 58

3. Avantages du scénario « concession unique » 58

1er avantage : une mise en œuvre très facile 58

2ème avantage : une rente hydraulique qui profite aux ménages et aux électro-intensifs 59

3ème avantage : une situation inchangée pour les salariés 59

4ème avantage : la protection du caractère intégré du parc hydroélectrique 59

5ème avantage : un cadre unique sur l’ensemble du territoire 60

6ème avantage : une solution favorable à la concurrence sur le marché de l’électricité 60

4. Inconvénient du scénario « concession unique » : une nécessaire négociation avec la Commission européenne 60

D. 3ÈME SCÉNARIO : L’EXPLOITATION DES CONCESSIONS HYDRAULIQUES PAR UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC. 60

1. Principe du scénario 60

2. Compatibilité vis-à-vis du droit communautaire 61

i. L’État, autorité concédante, exercerait un contrôle total de la nouvelle entité chargée de l’exploitation. 61

ii. L’établissement public concessionnaire réaliserait l’essentiel de son activité avec l’État. 61

3. Avantages du scénario « établissement public » 62

1er avantage : une rente hydraulique qui profite aux ménages et aux électro-intensifs 62

2ème avantage : une possibilité d’association directe des collectivités à la gestion des usages de l’eau 62

3ème avantage : un contrôle total des outils de production hydroélectriques 62

4ème avantage : une solution dès aujourd’hui pour l’ensemble du parc 63

5ème avantage : des perspectives claires pour les salariés 63

6ème avantage : une solution favorable à la concurrence sur le marché de l’électricité 63

4. Inconvénients du scénario « Établissement public » 63

1er inconvénient : le coût du rachat par la puissance publique 63

2ème inconvénient : la perte de l’activité hydroélectrique pour EDF 64

E. 4ÈME SCÉNARIO : PASSER DU RÉGIME DE LA CONCESSION À CELUI DE L’AUTORISATION 64

1. Principe du scénario 64

2. Compatibilité vis-à-vis du droit communautaire 65

3. Avantages de la solution « autorisation » 66

1er avantage : une rente hydraulique qui profite aux ménages et aux électro-intensifs 66

2ème avantage : régler dès aujourd’hui l’avenir de l’ensemble du parc hydroélectrique 66

3ème avantage : une possibilité d’association directe des collectivités à la gestion des usages de l’eau 67

4ème avantage : le maintien d’un opérateur unique sur l’ensemble du parc 67

5ème avantage : des perspectives claires pour les salariés 67

6ème avantage : une solution favorable à la concurrence sur le marché de l’électricité 67

4. Inconvénient de la solution « autorisation » : un risque dans l’éventualité d’une privatisation de l’opérateur hydraulique 67

CONCLUSION 69

TRAVAUX DE LA COMMISSION 71

I. EXAMEN EN COMMISSION 71

II. AUDITION DE DE M. PHILIPPE MARTIN, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE 104

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 113

INTRODUCTION

L’hydroélectricité est une énergie à part. Contrairement aux énergies renouvelables ou au nucléaire, elle suscite peu de discussions et apparaît ainsi, à juste titre, comme le point fixe de la politique énergétique française depuis de nombreuses décennies. Pourtant, au niveau local, des inquiétudes légitimes sont nées de la perspective d’une remise en concurrence des concessions hydrauliques, une politique qui semblait imposée « d’en haut » sans qu’aucun élément n’ait été avancé pour en justifier la pertinence.

C’est sur l’initiative du président de la Commission des affaires économiques, M. François Brottes, que la mission d’information sur l’hydroélectricité a été créée, au mois d’octobre 2012. Un tel thème de travail s’inscrit pleinement dans la philosophie de la Commission des affaires économiques, qui est la Commission de la transition énergétique, du développement industriel, et du pouvoir d’achat. A l’image de l’ensemble des commissaires, vos rapporteurs souhaitent défendre un point de vue pragmatique et concret, en prise avec la réalité économique et sociale du pays.

A ce titre, il nous semblait nécessaire de passer la remise en concurrence au crible d’une analyse poussée. Est-elle vraiment nécessaire ? Quelles en seront les conséquences ? L’absence de débat autour de cette décision se devait d’être compensée par un travail de fond, traitant de l’hydroélectricité dans un contexte plus général : celui de la transition énergétique et du redressement productif. Trois objectifs ont été fixés à la mission d’information :

i.    Définir la place de l’hydroélectricité dans le mix énergétique français et son importance pour le processus de transition énergétique.

ii.  Établir un diagnostic des besoins de développement de la petite hydroélectricité et des difficultés économiques et écologiques qu’elle rencontre.

iii. Étudier le cadre juridique de l’exploitation des ouvrages hydrauliques sous concession et, le cas échéant, proposer des scénarios alternatifs à la remise en concurrence.

Si les deux premières questions ont fait l’objet d’une présentation d’étape, le 3 avril 2013, la troisième requérait un délai d’examen supplémentaire. Sur la base d’une analyse critique du processus de remise en concurrence, il a été fait la preuve de la nécessité d’élaborer des solutions alternatives. L’élaboration de procédures respectant le cadre juridique contraint posé par le droit communautaire, et l’évaluation des conséquences pratiques de chacune des options proposées ont demandé un temps d’approfondissement supplémentaire.

La remise définitive du présent rapport intervient ainsi à la fin d’un long processus de travail, au cours duquel vos rapporteurs ainsi que le président de la Commission se sont pleinement impliqués.

PRÉAMBULE



L’HYDROÉLECTRICITÉ : UN PATRIMOINE NATIONAL, UNE CHANCE POUR LE MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS

L’hydroélectricité est un moyen de production qui prend une place à part dans notre mix énergétique.

En premier lieu, elle constitue, avec le nucléaire, l’un des deux piliers du mix électrique français : 70 TWh produits en moyenne chaque année, soit 12 % de la production d’électricité ; 25 GW de puissance installée, soit 20 % de la puissance installée sur le territoire national ; c’est donc l’un des maillons importants de la sécurité d’approvisionnement du consommateur français.

L’hydroélectricité représente également plus de 80 % de la production d’électricité d’origine renouvelable et 20 % de la production totale d’énergie renouvelable, ce qui la rend déterminante dans l’atteinte des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle des investissements – 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici 2020.

Rassemblant 66 % du parc de production de pointe et d’extrême pointe, il s’agit du moyen de production le plus flexible et le plus modulable. La centrale de Grand’Maison, en Isère, offre par exemple une puissance de 1 800 MW – l’équivalent de deux réacteurs nucléaires – mobilisables en trois minutes seulement. De telles propriétés sont précieuses dans le contexte énergétique européen. La part des sources d’énergie intermittentes dans le mix électrique européen s’accroît rapidement, nécessitant le développement parallèle de moyens de production flexibles, susceptibles de démarrer ou de s’arrêter rapidement en cas de variations importantes de la production. Les barrages constituent les moyens privilégiés de cet ajustement instantané de l’offre et de la demande.

L’hydroélectricité est également la meilleure technologie de stockage d’électricité. Si les centrales au fil de l’eau (durée de remplissage du réservoir de l’ouvrage inférieure à 2 heures) sont peu adaptées à la modulation horosaisonnalisée de la production, en revanche, les centrales d’éclusée (durée de remplissage comprise entre 2 et 400 heures) et les centrales de lac (durée de remplissage supérieure à 400 heures) sont gérées en temps réel pour valoriser au mieux la ressource hydraulique. Elles turbinent en heure de pointe, lorsque les prix sont élevés, et reconstituent leurs réserves en heure creuse, lorsque l’électricité est bon marché. 74 % du parc hydraulique raccordé au réseau de transport dispose de capacités de stockage.

Quant aux STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), elles constituent un instrument dédié spécifiquement à l’optimisation du système électrique. Plusieurs pays européens ont d’ailleurs lancé d’ambitieux programmes de développement des STEP (1 475 MW en Autriche, 2 580 MW en Allemagne, 2 000 MW Espagne, 3 190 MW en Suisse). En France, RTE estime à 2000 MW le besoin de capacités de stockage supplémentaires sous forme de STEP à l’horizon 2030 dans un scénario « nouveau mix ».

Source : Direction générale de l’énergie et du climat

Enfin, l’hydroélectricité est le moyen de production d’électricité le plus compétitif, de l’ordre de 20 à 30 euros par mégawattheure produit (€/MWh), contre 42 €/MWh pour l’électricité nucléaire vendue dans le cadre de l’ARENH et 50 €/MWh pour l’électricité valorisée sur le marché. La compétitivité de l’hydroélectricité est le point de départ de l’aventure de la « houille blanche » : de nombreux groupes industriels (Péchiney, Alcan, etc.) se sont développés dans les vallées alpines pour se brancher en direct sur les barrages. Plus d’un siècle plus tard, ces ouvrages offrent toujours au consommateur industriel ou particulier une électricité à un prix stable et bon marché. Tandis que les centrales nucléaires nécessitent des investissements de mise à niveau et que, dans le même temps, le soutien au photovoltaïque et à l’éolien impose de mobiliser des ressources financières nouvelles, l’énergie hydraulique constitue au contraire un facteur de stabilité du prix de l’électricité.

De l’hydroélectricité dépendent en réalité beaucoup d’autres décisions de politique énergétique, ce qui justifie que ce moyen de production soit replacé au centre du débat sur la transition énergétique.

L’objectif de ce rapport est également de poser les bases d’un régime juridique adapté à l’hydroélectricité : sa spécificité et son importance dans le mix énergétique national plaident en faveur de la mise en place d’un cadre particulièrement protecteur.

PREMIÈRE PARTIE

COMMENT RELANCER LA PETITE HYDROÉLECTRICITÉ ?

I. UN MOYEN DE PRODUCTION RENOUVELABLE ET BON MARCHÉ DÉLAISSÉ

Petite sœur de l’hydroélectricité sous concession, l’hydroélectricité sous autorisation est trop souvent oubliée par le débat public. Pourtant, elle concerne 1 800 installations, soit 1,3 GW de puissance installée et 4,5 TWh de production annuelle.

S’agissant des installations ayant conclu un contrat d’obligation d’achat – dont certaines peuvent être sous le régime de la concession, car le bénéfice des contrats d’obligation d’achat est ouvert jusqu’à 12 MW de puissance –, elles produisent annuellement 5,4 TWh d’électricité. Leur coût pour la CSPE est faible : 71 €/MWh en 2013, contre 89 €/MWh pour l’éolien et 459 €/MWh pour le photovoltaïque. Le prix d’achat de cette électricité étant proche du prix de marché, le surcoût de CSPE dû au rachat d’électricité (1) est particulièrement faible, inférieur à 100 millions d’euros par an.

SURCOÛT DE CSPE DÛ AU RACHAT D'ÉLECTRICITÉ HYDRAULIQUE

Source : Direction générale de l’énergie et du climat

Par comparaison, les charges de CSPE pour 2013 liées à l’éolien et au photovoltaïque sont estimées par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à 570 et 2 100 millions d’euros (2).

COÛT D’ACHAT PRÉVISIONNEL DES DIFFÉRENTES FILIÈRES DE
PRODUCTION ÉLECTRIQUE SOUS CONTRAT D’ACHAT (2013, HORS ZNI)

 

Hydraulique

Éolien

Biomasse

Photovoltaïque

Quantités d’électricité achetées (GWh)

5 406,8

14 618,1

1 404,5

4 432,9

Coût d’achat unitaire (€/MWh)

71,2

88,6

128,4

458,9

Source : Commission de régulation de l’énergie

II. UN POTENTIEL EXISTANT DONT LA MISE EN VALEUR EST FREINÉE PAR DES FACTEURS ÉCONOMIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX.

A. UN RYTHME DE DÉVELOPPEMENT BIEN EN DEÇÀ DES OBJECTIFS FIXÉS

La convention d’engagements pour le développement d’une hydroélectricité durable en cohérence avec la restauration des milieux aquatiques a fait l’objet d’un accord entre les associations de protection de l’environnement et les producteurs d’hydroélectricité. Signée en juin 2010, elle fixe un objectif de développement de la production hydroélectrique de 3 TWh d’ici à 2020. La prise en compte d’impératifs environnementaux très fermes a abouti à un chiffre en retrait de la préconisation du comité opérationnel (COMOP) n° 10 du Grenelle de l’environnement, qui était de 7 TWh. L’objectif de développement de 3 TWh a ensuite été repris par l’arrêté du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité. Il constitue l’une des composantes de la stratégie française de développement des énergies renouvelables ; parvenir à accroître la production hydroélectrique française est nécessaire pour atteindre la cible de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici à 2020.

Pourtant, la trajectoire de production d’électricité par des installations hydrauliques stagne depuis 2005.

ÉVOLUTION DE LA PUISSANCE INSTALLÉE (MW) ET DE L'ÉLECTRICITÉ PRODUITE (GWH)
DES OUVRAGES HYDROÉLECTRIQUES SOUS LE RÉGIME DE L'AUTORISATION

Source : Direction générale de l’énergie et du climat

Malgré les atouts économiques et environnementaux qu’elle présente, la petite hydroélectricité est aujourd’hui en crise. Cette crise tient à l’existence de deux facteurs, d’ordre d’économique d’une part, et d’ordre environnemental d’autre part.

B. UN BASCULEMENT DU TARIF D’OBLIGATION D’ACHAT VERS LE MARCHÉ DIFFICILE À RÉALISER POUR LES PETITS PRODUCTEURS.

On compte trois types de contrats d’achat, dont deux sont encore « en circulation » :

TARIFS D’ACHAT POUR LA PRODUCTION HYDRAULIQUE

 

Contrats 97

« H 97 »

Contrats 2001

« H 01 »

Contrats 2007

« H 07 »

Durée du contrat

15 ans :

échéance en octobre 2012

20 ans

20 ans

Tarif d’achat applicable

5,49 à 6,1 c€/kWh selon la puissance + prime comprise entre 0 et 1,52 c€/kWh en hiver selon régularité de la production

6,07 c€/kWh + prime comprise entre 0,5 et 2,5 pour les petites installations + prime comprise entre 0 et 1,68 c€/kWh en hiver selon la régularité de la production

Par principe, un contrat d'obligation d'achat ne peut être renouvelé. Toutefois, réaliser des investissements accroissant les performances environnementales et énergétiques de l’installation ouvre droit à un nouveau contrat d'obligation d'achat, dit de « rénovation ». L’arrêté du 14 mars 2011 a assoupli les conditions nécessaires pour en bénéficier. Désormais, le montant des investissements à réaliser sur une période continue d’au moins cinq ans doit être d’au moins 1 000 euros par kilowatt (€/kW) installé pour les installations d’une puissance supérieure à 300 kW, et de 800 €/kW installé pour les installations d’une puissance inférieure à 100 kW, les valeurs intermédiaires étant déterminées par interpolation linéaire.

Enfin, la loi NOME a introduit une disposition particulière pour les installations bénéficiant d’un contrat d'achat « 97 », arrivant à échéance en 2012 : ces contrats pourront être renouvelés une fois à leur échéance aux mêmes conditions et pour une durée de quinze ans, sous réserve de la réalisation d'un programme d'investissement. L’arrêté du 10 août 2012 définissant le programme d'investissement des installations de production hydroélectrique prévu à l'article L. 314-2 du code de l'énergie impose un montant d’investissement au moins égal à 750 €/kW pour les installations d’une puissance supérieure à 300 kW, et à 550 €/kW pour les installations d’une puissance inférieure à 100 kW.

On constate donc que la gamme des contrats d’obligation d’achat est complète.

Néanmoins, le contrat « rénovation » présente un défaut : il introduit un effet de seuil. En effet, le montant d’investissement demandé croît à partir d’une puissance installée de 300 kW, tandis que le montant de la prime aux petites installations diminue, lui, à partir de 400 kW (elle est de 2,5 c€/kWh pour les installations d’une puissance inférieure à 400 kW, contre seulement 0,5 c€/kWh pour les installations d’une puissance supérieure à 600 kW). Ainsi, alors que l’intérêt du contrat « rénovation » devrait être d’accroître le productible des sites déjà équipés – compte tenu de la difficulté qu’il y a à créer de nouveaux sites –, en réalité, les exploitants sont incités à limiter le gain de capacité pour ne pas dépasser la barrière des 400 kW. C’est pourquoi vos rapporteurs sont favorables à la suppression de cet effet de seuil du contrat « rénovation », qui va à l’encontre de l’objectif de développement d’une petite hydroélectricité durable.

Les installations arrivées au terme de leur contrat H 97 mais n’ayant pas d’investissements à réaliser n’ont pas la possibilité de bénéficier d’un nouveau contrat (contrat « rénovation ») ou d’une prolongation de leur ancien contrat (contrat « loi NOME »). Perdant le bénéfice de l’obligation d’achat, elles sont donc contraintes de valoriser leur électricité sur le marché. Il s’agit d’une véritable rupture : les exploitants qui, jusqu’à présent, n’avaient à se soucier que du fonctionnement technique de leur installation, doivent désormais prendre en charge l’aspect économique, ce qui nécessite la maîtrise de compétences spécifiques.

Toutefois, deux éléments montrent que ce basculement progressif des petites installations du contrat d’achat vers le marché peut fonctionner. D’une part, 50 % des producteurs détenant un contrat H 97 sont passés en offre de marché à l’échéance de leur contrat. D’autre part, des acteurs développent des offres de service spécifiques à destination des petits hydrauliciens pour les aider à assurer cette nouvelle activité : Enercoop, Hydronext, etc. Pour ces derniers, la production d’électricité hydraulique constitue un gisement stratégique dans l’optique du développement d’offres valorisant les certificats verts.

Enfin, la petite hydraulique constitue une expérimentation grandeur nature pour les producteurs de l’ensemble des filières sous contrat d’achat qui, une fois ce dernier échu, devront valoriser leur production sur le marché. Il est nécessaire que des agrégateurs ou des coopératives se structurent pour accueillir les très nombreux petits producteurs, au nombre desquels se trouveront des particuliers.

C. DES CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES QUI ENCADRENT LA RÉALISATION DE TOUT NOUVEAU PROJET

La fin du bénéfice d’un tarif d’achat introduit une incertitude limitée aux seules installations sous contrat « H 97 », et ces dernières disposent de solutions alternatives. C’est pourquoi l’enjeu économique de la petite hydroélectricité demeure relativement maîtrisé.

En revanche, les contraintes introduites par la réglementation sur l’eau constituent un réel frein au développement de tout nouveau projet.

La directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau introduit le principe de continuité écologique des cours d’eau. Ce principe a été transposé dans le droit français par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques ainsi que par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (loi Grenelle II). Les cours d’eau qui doivent être soumis à une protection particulière en raison de leur intérêt écologique, font l’objet d’un classement, prévu à l’article L. 214-17 du code de l’environnement :

– classement en liste 1 pour les cours d’eau en très bon état écologique ou identifiés comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire ; dans ce cas, « aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique » ;

– classement en liste 2 pour les cours d’eau dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs ; ce régime est moins strict que le classement en liste 1, mais prévoit quand même que tout ouvrage placé sur un cours d’eau classé en liste 2 doit être géré et entretenu selon des règles définies par l’autorité administrative compétente.

Ces dispositions divisent par trois le potentiel hydroélectrique des sites vierges pouvant faire l’objet de nouvelles installations.

En effet, l'Union Française de l’Électricité (UFE) a identifié, en septembre 2011, un potentiel hydroélectrique « brut » – c'est-à-dire avant examen de la faisabilité technique, économique et environnementale des projets – de 10,6 TWh, se répartissant en création d'ouvrages neufs (9,5 TWh) et équipement d'ouvrages existants (1,1 TWh). En croisant les données de potentiel avec les projets de classement en liste 1, où tout projet faisant obstacle à la continuité écologique sera interdit et où de ce fait aucune demande ne sera instruite, ce potentiel est réduit de 75 %. Dans cette hypothèse, l’accroissement de la production hydroélectrique française de 3 TWh à l'horizon 2020, qui est l'objectif de la convention pour le développement d'une hydroélectricité durable, est très compromis.

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de procéder à un rééquilibrage des classements des cours d’eau, en préservant d’un classement en liste 1 les zones propices à l’hydroélectricité qui ne présentent pas un intérêt écologique majeur, et à la condition que les ouvrages construits soient dotés de dispositifs destinés à améliorer la continuité écologique des cours d’eau. Un tel rééquilibrage ne remettrait pas en cause la continuité écologique des cours d’eau : les sites à potentiel hydroélectrique ne concernent que 4 % du linéaire des cours d’eau classés.

DEUXIÈME PARTIE

QUEL AVENIR POUR LES OUVRAGES HYDRAULIQUES SOUS CONCESSION ?

I. UN MOMENT CLÉ POUR LES GRANDS OUVRAGES HYDROÉLECTRIQUES FRANÇAIS

L’article L. 511-1 du code de l’énergie, issu de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, dispose que « nul ne peut disposer de l’énergie […] des cours d’eau sans une concession ou une autorisation de l’État ». L’énergie hydraulique est un bien national dont l’État se réserve l’usage.

L’article L. 511-5 distingue, en fonction de la puissance unitaire de l’installation, le régime de l’autorisation, applicable aux installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW, à celui de la concession, pour les installations d’une puissance supérieure à 4,5 MW. Ces dernières sont la propriété de l’État, qui en assure la valorisation. Les obligations du concessionnaire vis-à-vis de l’autorité concédante en matière de production d’énergie, de versement de redevances, de préservation de l’environnement, de sécurité et de gestion des usages de l’eau, sont inscrites dans le cahier des charges des concessions.

Le bénéfice de la concession a été attribué, dans la très grande majorité des cas, pour une durée de 75 ans, mais à des dates différentes, selon l’année de construction des ouvrages. Par conséquent, les dates d’échéance de chaque concession s’échelonnent dans le temps selon un calendrier très étalé : 16 contrats se terminent avant 2015, tandis que d’autres courent jusque dans la décennie 2060.

Source : Direction générale de l’énergie et du climat.

La question de l’avenir du parc hydroélectrique français se pose du fait de l’arrivée à échéance d’une partie des contrats qui liaient l’opérateur historique ainsi que la SHEM à l’État. Une seule option a pour l’instant été envisagée, le maintien du régime de la concession, tout en prévoyant une remise en concurrence de l’attribution des concessions.

Vos rapporteurs estiment que ce choix, effectué à partir de 2006, n’a pas été assez discuté au regard de ses effets sur l’ensemble de la politique énergétique française. Il s’agit pourtant d’une question d’intérêt stratégique national, et les choix qui seront faits engageront l’État pour plusieurs décennies. Cela justifie qu’une analyse très approfondie soit menée. Le présent rapport s’inscrit dans cette démarche : il dresse dans un premier temps une évaluation critique d’un éventuel scénario de remise en concurrence des ouvrages hydrauliques sous concession, puis présente des scénarios alternatifs destinés à faire de l’hydroélectricité une véritable force pour notre pays.

II. UNE RÉFLEXION PRÉALABLE SUR LES OBJECTIFS DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

La réflexion de politique énergétique sur le futur des concessions hydroélectriques doit passer par la définition d’objectifs et de critères précis, pour permettre ainsi une réflexion méthodique et étayée sur le futur mode de gestion des ouvrages hydrauliques.

1er objectif : Assurer la sûreté des ouvrages et la sécurité du système électrique.

La sûreté des ouvrages est un acquis sur lequel aucun retour en arrière n’est possible. Il en va de même dans le secteur de l’hydraulique que dans celui du nucléaire : le degré de sûreté exigé doit sans cesse progresser, par le renforcement des exigences en matière d’exploitation et de maintenance des ouvrages hydroélectriques ou de prévention des crues.

Les grands barrages jouent également un rôle au niveau national en assurant la sécurité du système électrique. Ils sont mobilisés en période de tension sur le marché, afin d’assurer l’équilibre de l’offre et de la demande. L’hydroélectricité constituant la clé de voûte du système électrique national, il faut donc s’interroger sur les conséquences d’un changement de régime dans l’exploitation des ouvrages sous concession sur l’approvisionnement français en électricité.

Enfin, les ouvrages hydrauliques sont en tête de pont des vallées dans lesquelles sont implantées plusieurs centrales nucléaires françaises (Cruas, Tricastin sur le Rhône, Chinon sur la Loire, etc.). Ils jouent donc un double rôle dans la sûreté nucléaire : maintenir un débit suffisant pour assurer le refroidissement des réacteurs et prévenir les risques d’inondation des sites nucléaires.

2ème objectif : Limiter la hausse des prix de l’électricité pour les ménages.

Conséquence d’une succession de décisions passées, la politique énergétique française se résume à une gestion de l’urgence. La hausse des tarifs réglementés de 5 % du 1er août 2013 n’est qu’une étape, et sans doute faut-il s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres d’une ampleur similaire. Il n’est que de rappeler les montants d’investissements à réaliser sur le parc nucléaire, estimés à 55 milliards d’euros par la Cour des comptes, le poids du financement des énergies renouvelables et des tarifs sociaux, couverts par les charges de CSPE, qui atteindront 10 milliards d’euros annuels en 2020, pour mesurer à quel point les inquiétudes de nos concitoyens sur la hausse de leur facture d’électricité sont fondées.

Dans un tel contexte, tous les moyens permettant d’enrayer la hausse des tarifs de l’électricité doivent être mobilisés.

3ème objectif : Donner accès aux électro-intensifs à une électricité bon marché en période de pointe.

Les ménages ne sont pas les seuls consommateurs à subir la hausse des prix de l’électricité. Alors que les électro-intensifs installés sur le territoire français disposaient autrefois d’un environnement très compétitif, avec un prix de l’électricité rivalisant avec les concurrents mondiaux, c’est de moins en moins le cas. Au cours des auditions, ces industriels ont fait part de la nécessité, pour maintenir une implantation durable en France, de disposer à la fois d’une grande visibilité, avec un cadre clair dès aujourd’hui et pour plusieurs décennies, et d’une électricité au coût de production, comme dans le cadre de l’ARENH.

Historiquement, la France est toujours parvenue à trouver des solutions pour maintenir une activité électro-intensive sur notre territoire. C’est ainsi qu’elle a longtemps compté parmi les pays leaders en matière de production de l’aluminium, par exemple. Le processus de libéralisation du marché de l’électricité limite peu à peu toute possibilité de faire du « sur-mesure ». Dans le cas de Rio Tinto Alcan à Saint-Jean de Maurienne, il a été nécessaire qu’EDF investisse en capital pour avoir le droit de fournir de l’électricité au coût de production. Seules des constructions contre-nature – ce n’est pas le métier de EDF que de devenir producteur d’aluminium – sont désormais possibles pour que la métallurgie demeure une force des vallées de montagne …

Les choix effectués sur l’avenir du parc hydroélectrique français constituent un élément déterminant de notre politique énergétique à destination de l’industrie : souhaitons-nous conserver des marges de manœuvre pour sauver nos sites en difficulté ? Avons-nous l’ambition d’en attirer de nouveaux sur notre territoire ?

Nos concurrents européens – ceux-là même qui réclament l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques –, ne se privent pas d’utiliser tous les moyens à leur disposition. La lecture du très récent rapport de la CRE (juin 2013), dressant une analyse comparative de la compétitivité des entreprises intensives en énergie en France et en Allemagne, est à cet égard très instructive. Les électro-intensifs allemands peuvent ainsi bénéficier, outre d’un éventail très large d’exonérations fiscales particulièrement avantageuses, d’une exonération partielle ou totale du tarif d’accès au réseau. La Commission européenne a annoncé, le 6 mars 2013, qu’elle allait procéder à une enquête approfondie sur l’aide potentielle que cela constituait en faveur des gros consommateurs allemands ; mais d’ici à ce que le processus aboutisse… Ainsi, alors qu’en 2013 le prix payé par un industriel Outre-Rhin était encore supérieur à celui acquitté par un industriel français, la situation devrait s’inverser en 2014.

Comme on peut le constater, il y a urgence ! Il est impératif d’agir pour conserver l’un des éléments qui, historiquement, a joué en faveur de l’attractivité du territoire français : le prix de l’électricité.

4ème objectif : Parvenir à une gestion moderne et collaborative des usages de l’eau, bien public par excellence.

Les barrages sont au centre d’un écosystème en permanente évolution, impliquant les habitants, leurs élus, les agriculteurs, les industriels, les professionnels du tourisme et leur public. Désormais, l’exploitant des barrages ne peut plus prendre les décisions de gestion de ses ouvrages tout seul, dès lors que celles-ci ont un impact décisif sur l’activité et la vie quotidienne de nombre d’acteurs. Quel que soit le futur de nos barrages électriques, l’échelon local doit être associé de façon étroite à leur gestion. Nous vivons sur l’héritage d’un ancien système, dans lequel les situations diffèrent sensiblement selon les régions, ce qui pose un véritable problème au regard du principe d’égalité.

Une gestion moderne des usages de l’eau passe également par la prise en compte très forte des enjeux environnementaux. La réduction des impacts de la production hydroélectrique sur la biodiversité, en particulier par le soutien d’étiage, c'est-à-dire la garantie de débits minimaux dans les rivières ou l’amélioration de la continuité écologique et sédimentaire, doit constituer un axe fort de la gestion des barrages.

5ème objectif : Préparer la transition vers un nouveau système énergétique, axée sur la montée en puissance des énergies intermittentes.

L’objectif fixé par le Président de la République est de diminuer la part du nucléaire dans le mix électrique pour la porter à 50 %.

L’un des moyens d’y parvenir réside dans l’accroissement du niveau de la production hydroélectrique : certains barrages peuvent faire l’objet d’investissements développant les capacités installées ; les différents candidats aux appels d’offre s’accordent sur un potentiel de développement d’environ 4 à 5 %. Pour que ces investissements se réalisent, il est nécessaire d’offrir dès aujourd’hui aux exploitants la visibilité suffisante pour qu’ils engagent la rénovation du parc hydraulique français.

La baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique passe également par la progression des sources de production intermittentes, qui devront représenter 30 à 40 % du mix électrique – sans quoi le bilan CO2 de la production électrique augmenterait. Parvenir à de tels niveaux d’intermittence dans le système électrique exige de contrôler des moyens de production de pointe rapidement mobilisables, susceptibles d’assurer le back-up en période sans vent ou sans soleil. Ce rôle, seules les installations hydroélectriques sont aujourd’hui à même de le remplir. Elles joueront donc un rôle stratégique à l’avenir, que notre responsabilité est de ne pas sous-estimer.

6ème objectif : Donner des garanties sur les emplois

L’hydroélectricité est une énergie produite localement. Les barrages et les centres techniques régionaux sont une source d’emplois importante dans des régions dont certaines sont en difficulté économique.

Les règles de gestion du parc hydroélectrique devront maximiser le potentiel d’emplois que constitue l’hydroélectricité, en donnant des garanties aux salariés des concessionnaires sortants sur leur maintien en poste, en favorisant le lancement de travaux d’optimisation des ouvrages et en contribuant à renforcer la position des industriels français dans le secteur de l’hydroélectricité.

7ème objectif : Contribuer à la construction d’une Europe de l’énergie.

Vos rapporteurs souhaiteraient souligner au préalable que, contrairement à une idée répandue, aucun accord d’une quelconque nature que ce soit ne lie la France à la Commission européenne au sujet de l’hydroélectricité. Deux sources concordantes ont déclaré que la remise en concurrence du parc des concessions n’avait jamais été considérée comme une contrepartie au maintien d’un parc nucléaire intégré. Cette contrepartie était la création du mécanisme de l’ARENH.

Ce rappel effectué, il n’en demeure pas moins que le droit communautaire encadre fortement le régime des concessions, et ce dans tous les domaines. Mais les concessions hydrauliques sont-elles des concessions comme les autres ? De nombreux éléments conduisent à répondre par la négative à cette question.

Il faut également s’interroger sur le cycle infernal qui s’engage. Jusqu’à présent, des dérogations permettent de sauvegarder le fonctionnement du réseau de distribution d’électricité, pierre angulaire de la péréquation tarifaire. Mais pour combien de temps encore ?

Derrière le débat sur les règles juridiques réside une question de fond : vers quelle Europe de l’énergie se dirige-t-on ? Le travail de recherche de solutions alternatives ne doit pas être vu comme une opposition de principe à l’Europe, mais comme une contestation du chemin emprunté, qui est de faire de la concurrence la seule méthode possible. Il y a une voie vers une véritable Union de l’énergie, qui ne soit pas un simple succédané des règles de la concurrence mais nous rapprocherait de la véritable ambition des pères fondateurs de la CECA : sortir de la compétition entre États membres pour aller vers une mutualisation des moyens.

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Les sept objectifs dégagés ont permis d'évaluer la pertinence de l’option qui prévalait jusqu’alors, la remise en concurrence des barrages, et d’élaborer des scénarios alternatifs. Ces derniers seront présentés de façon objective, avec leurs avantages et leurs inconvénients respectifs, de façon à éclairer les choix de politique énergétique qui détermineront le futur des grands ouvrages hydrauliques français.

III. LA REMISE EN CONCURRENCE DES CONCESSIONS : UNE SOLUTION PRÉSENTÉE COMME INCONTOURNABLE, DES DIFFICULTÉS INÉVITABLES

A. UNE SOLUTION PAR DÉFAUT

1. Un tournant historique : la transformation d’EDF en société anonyme

Héritages de l’histoire industrielle française, les concessions hydroélectriques sont, dans leur grande majorité, exploitées par l’opérateur national, qui voyait, jusqu’à une date récente, ses contrats de concession renouvelés de gré à gré.

Cette procédure n’est plus utilisable en l’état actuel de la législation, en raison de deux évolutions juridiques majeures :

– la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a supprimé le « droit de préférence » qui était prévu par la loi du 16 octobre 1919 susmentionnée ; cette suppression a été exigée par la Commission européenne, au motif que le droit de préférence engendrait une distorsion de concurrence incompatible avec la libéralisation du marché intérieur de l’électricité.

– la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », prévoit une exception à l’obligation de mise en concurrence lors de l’attribution d’une délégation de service public si ce service public est confié à un établissement public. En transformant EDF en société anonyme, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières a fait rentrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public. Le droit actuel prévoit que le régime de la concurrence entre opérateurs s'impose désormais dans le renouvellement des concessions hydroélectriques.

Sans revenir sur le bien-fondé de la transformation en société anonyme, qui est un tout autre débat, le prolongement des contrats de concession avant le vote de la loi de 2004 aurait « soldé » le problème de l’hydraulique pour une durée de 40 ans.

2. Une occasion manquée : la future directive « concessions »

La Commission européenne a déposé, en décembre 2011, un projet de directive tendant à harmoniser les règles européennes en matière de concessions.

Le périmètre du texte a fait l’objet de très nombreuses discussions. Sous l’influence d’un lobbying de l’Allemagne, soucieuse de préserver son modèle particulier, et d’une mobilisation populaire sans précédent – une pétition a recueilli 1,5 million de signatures –, c’est l’ensemble du secteur de l’eau qui a finalement été sorti du champ de la directive. Il a ainsi été considéré que, compte tenu des spécificités d’une telle activité, les règles générales du droit de la concurrence ne pouvaient pas s’appliquer.

La nouvelle directive « concessions » aurait pu constituer une occasion en or pour sécuriser le régime juridique applicable aux concessions hydrauliques françaises. Au lieu de cela, le sujet n’a été que très peu évoqué. Comment soutenir une ouverture de notre parc de barrages aux énergéticiens européens lorsque l’on sait que les opérateurs français de l’eau n’auront pas accès au marché allemand ? Une telle situation ne manque pas d’interroger sur notre capacité à défendre l’intérêt de notre économie dans le cadre européen.

Ces éléments prouvent que la mise en concurrence des concessions est une solution par défaut, qui s’est progressivement imposée aux acteurs du fait d’un manque d’anticipation préalable.

B. UNE PROCÉDURE DÉJÀ AVANCÉE

En 2006, le ministre délégué à l’industrie confie au Conseil général des Mines, à l’Inspection générale des finances et au Conseil général des ponts et chaussées, une mission d’expertise sur le renouvellement des concessions hydroélectriques (3). Cette mission propose une procédure de mise en concurrence.

À la suite de cette mission, la procédure de mise en concurrence est précisée par le décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008, modifiant le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 relatif à la concession et à la déclaration d'utilité publique des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique (4), ainsi que par les arrêtés du 23 décembre 2008 relatifs à la lettre d’intention, au dossier de demande de concession et au dossier de fin de concession.

Les offres seront analysées de la façon suivante. Dans un premier temps, l’administration vérifiera que les exigences minimales sont atteintes, notamment celles relatives à la sécurité. Si l’une de ces exigences au moins n’est pas respectée, l’offre sera systématiquement rejetée.

Dans un deuxième temps, les offres seront notées au regard de trois critères :

– un critère énergétique : investissements de modernisation des installations existantes, équipements nouveaux pour augmenter la performance des ouvrages ;

– un critère environnemental : conciliation de la protection des écosystèmes et des usages de l’eau autre qu’énergétiques (protection des milieux aquatiques, soutien d’étiage, irrigation,…) ;

– un critère économique : maximisation du taux de la redevance proportionnelle au chiffre d’affaires de la concession proposé par le candidat. Il est pour l’instant envisagé la mise en place d’un plafond de redevance, qui a pour vocation de limiter l’impact du critère économique sur les deux autres critères, et permet d’envoyer un signal fort aux candidats sur les attentes de l’autorité concédante en matière d’innovation pour les aspects énergétiques et environnementaux. La maximisation de la redevance est le premier levier d’action des candidats pour optimiser la notation de leur offre, et elle se fait aux dépens des capacités de financement disponible pour les projets d’optimisation environnementale ou énergétique. Autrement dit, si la redevance est très forte, les investissements sur les deux autres critères seront faibles. Sans plafond de redevance, il est donc possible que toutes les offres soient peu intéressantes sur le critère énergie ou environnement. Le plafond de redevance a pour but d’éviter cet effet, et donc garantir un contexte favorable au jeu de la concurrence sur les aspects énergie et environnement. Il sera fixé dans le cahier des charges, concession par concession, en fonction des particularités de la vallée mise en concurrence.

Le programme de renouvellement des concessions par mise en concurrence a été annoncé par le ministre en charge de l’énergie le 22 avril 2010. Ce programme porte sur 10 vallées, pour une puissance totale de 5 300 MW, soit 20 % du parc. Les concessions incluses dans ce programme sont celles dont la date d’échéance est la plus proche ; toutefois, afin d’attribuer conjointement les ouvrages situés sur une même chaîne, il a été procédé à des regroupements d’aménagements hydrauliques en mettant un terme à certaines concessions de façon anticipée. Pour ces dernières, les candidats devront indemniser le concessionnaire sortant en lui versant une soulte d’un niveau équivalent à la perte économique consécutive à la réduction de la durée de la concession.

Il est important de noter que ce regroupement n’a pas été effectué pour toutes les chaînes : dans certains cas, la date d’échéance des contrats arrivant à terme en dernier étant très éloignée, le montant de la soulte aurait été particulièrement élevé, ce qui aurait constitué un trop grand obstacle financier pour les concurrents au concessionnaire sortant. C’est pourquoi, dans la constitution des lots remis en concurrence, la direction de l’énergie a effectué un arbitrage entre la cohérence hydraulique des lots mis en concurrence et le montant de la soulte restant à payer.

PROGRAMME DE REMISE EN CONCURRENCE DES CONCESSIONS HYDRAULIQUES

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Source : Direction générale de l’énergie et du climat

Sur le territoire des concessions concernées, un processus de concertation locale a été engagé : la démarche GEDRE (gestion équilibrée et durable de la ressource en eau). Menée par les préfets coordonnateurs et les DREAL, elle a pour objectif de définir les enjeux prioritaires pour les acteurs locaux.

Parallèlement, les concessionnaires sortants ont remis leurs dossiers de fin de concession, et des réunions de concertation ont eu lieu avec les candidats potentiels en 2012.

Si la procédure a passé quelques étapes, il reste tout de même un travail considérable à fournir. Pour chaque concession, il s’agira d’examiner le dossier de fin de concession remis par le concessionnaire, de rédiger le cahier des charges, de lancer les appels d’offre, d’examiner les offres reçues, puis, une fois chaque concession attribuée, d’organiser le transfert de l’exploitation de l’ouvrage au candidat vainqueur. Contrairement au parc électronucléaire, le parc hydroélectrique n’est pas standardisé, ce qui impose un travail au cas par cas, coûteux en temps et en ressources humaines.

C. DES PROBLÈMES MAJEURS QUI N’ONT JUSQU’À PRÉSENT PAS ÉTÉ SOULEVÉS

Les auditions et déplacements menés par la mission ont fait apparaître l’impatience des concurrents à la reprise des concessions hydrauliques : ayant mobilisé des équipes très tôt dans le processus, ils poussent à une conclusion rapide du processus de remise en concurrence.

Il apparaît néanmoins sept difficultés majeures nécessitant la révision du cadre actuel du renouvellement des concessions.

1. Une absence d’ouverture réciproque des autres parcs hydroélectriques européens.

Pour les producteurs d’électricité, l’avenir des grands barrages est un enjeu décisif. C’est un moyen d’acquérir – ou de conserver dans le cas des concessionnaires sortants – des capacités de production très rares sur le marché et qui présentent des avantages particuliers en termes de flexibilité et de compétitivité. Dans un contexte de crise du marché de l’énergie en Europe, nombreux sont les énergéticiens qui envisagent de se porter candidat à la reprise des concessions hydroélectriques, comme en témoignent les sollicitations auxquelles la mission a répondu. Outre les exploitants déjà présents sur le territoire (EDF, la CNR et la SHEM), une entreprise française (Poweo-Direct énergie) trois entreprises suisses (Alpiq, Axpo et BKW), une suédoise (Vattenfall), une norvégienne (Statkraft), une finlandaise (Fortum), une italienne (ENEL) et une allemande (E.ON) ont confirmé leur intention d’exploiter des centrales française.

Issus de pays voisins de la France, les candidats à la reprise des concessions hydroélectriques invoquent largement le droit européen pour justifier de la nécessité d’une mise en concurrence du parc hydraulique national. Mais leur demande se heurte à un constat sans appel : aucun autre État membre n’est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France. Trois cas différents peuvent être distingués :

– les ouvrages hydrauliques sont sous le régime de l’autorisation : sous la propriété d’un opérateur national – très souvent public –, ils ne sont pas soumis, par définition, aux règles applicables aux concessions. C’est le cas de la Suède.

– l’exploitation de la force hydraulique est soumise à un régime mixte combinant autorisation et concession ; dans de tels pays (Allemagne, Espagne), les règles du jeu sont particulièrement complexes pour les nouveaux entrants.

– certaines règles réduisent les possibilités offertes aux candidats à la reprise des concessions non nationaux ; par exemple, en Norvège, tout candidat à l’attribution d’une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s’il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium (de type SEM) avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne.

Le cas de non-réciprocité le plus flagrant est celui de la Suisse, pays dans lequel les directives sectorielles sur l’énergie ne sont même pas applicables : il apparaît comme particulièrement inéquitable de vouloir concourir à l’attribution des concessions françaises, dans le but de pénétrer le marché unique, sans vouloir que ses opérateurs nationaux se conforment aux règles de ce marché.

La France : le seul bon élève de la concurrence européenne ?

État des lieux du régime juridique applicable dans les différents États membres

Allemagne

Le régime est mixte : l’exploitation des installations se fait via l’octroi d’autorisations mais il est nécessaire de bénéficier d’une concession pour l’utilisation de la ressource en eau, dont l’octroi est de la compétence des États fédérés (les Länder), pour une durée comprise entre 40 et 80 ans. À échéance de la concession, les Länder peuvent décider soit le renouvellement de la concession si le concessionnaire sortant en fait la demande, soit une mise aux enchères de cette concession : le nouveau concessionnaire devient le propriétaire des installations moyennant une rémunération à l'ancien propriétaire. Les conditions de cession sont individuelles et réglées dans le contrat de concession.

Point important, la commune dispose d’une sorte de droit de veto sur le nouveau concessionnaire.

Autriche

L’exploitation des ouvrages hydroélectriques en Autriche se fait par voie de concession pour les ouvrages d’une puissance supérieure à 15 MW. Pour tout nouvel ouvrage, l’initiative en revient en général aux opérateurs : tout opérateur (sans critère d'origine) repérant une localisation pouvant se prêter à l'installation d'une installation hydraulique de plus de 15 MW dépose une demande au gouvernement régional compétent. La procédure d’attribution prend ensuite en compte la réglementation environnementale, les droits à usage de l’eau… Le futur exploitant doit disposer de la maitrise foncière des terrains concernés par l’implantation des aménagements. Une procédure spécifique oblige l’autorité compétente à accorder la concession si les exigences environnementales sont remplies.

Les concessions actuelles ont été accordées pour des durées variant entre 60 et 80 ans, la durée maximale étant a priori de 90 ans. L’ensemble des ouvrages et équipements construits revient sans indemnité à l’État en fin de concession, sans prise en compte a priori des éventuels investissements effectués en fin de contrat. L’exploitation se fait en contrepartie du paiement d’un droit à usage de l’eau, dont le montant est négocié entre l’exploitant et le concédant. Le renouvellement s’effectue dans les mêmes conditions et doit être initié par l’exploitant au moins 5 ans avant la fin de concession.

Espagne

Les installations hydroélectriques sont exploitées en Espagne via un régime mixte. La production d’électricité est en effet soumise à un régime d’autorisation. Les exploitants sont propriétaires des installations. Un régime simplifié est prévu pour les installations d’une puissance inférieure à 50 MW. En revanche, les enjeux liés aux usages de l’eau étant très importants, l’utilisation de la force motrice de l’eau n’y est pas prioritaire et est soumise à l’octroi d’une concession.

Quelle que soit la puissance de l’installation, la durée de la concession ne peut dépasser 75 ans. Cette durée peut cependant être augmentée d’encore 10 ans, si des investissements importants ont été réalisés en fin de concession. Le concessionnaire est soumis au paiement d’une redevance annuelle pour occupation du domaine public.

L’octroi de la concession d’utilisation de la ressource en eau est un préalable au dépôt de la demande d’autorisation pour la production d’énergie. La durée des concessions a fait l’objet en 2005 d’un avis motivé de la Commission européenne. Aucune modification n’a a priori été apportée au régime, l’Espagne ayant présenté à l’automne 2012 une proposition de taxation des énergies, en compensation de laquelle la durée des concessions existantes serait prolongée de 20 ans (sous réserve de confirmation).

Italie

Le régime d’exploitation des installations hydroélectriques en Italie est actuellement en cours de transformation.

À l’origine, la législation italienne prévoyait l’octroi d’une concession pour l’exploitation d’installations hydroélectriques, avec un droit de préférence pour le concessionnaire sortant en cas de renouvellement. À l’expiration de la concession, les installations reviennent en principe à l’État sans indemnisation du concessionnaire sortant. La durée maximale des concessions était au départ perpétuelle, mais un décret de 1999 l’a limitée à 10 ans, prolongeant cependant les concessions accordées à ENEL jusqu’en 2029.

Suite à un avis motivé de la commission européenne, la procédure d’octroi et de renouvellement a été réformée, supprimant le droit de préférence et autorisant une prolongation de 10 ans maximum en cas d’investissements importants sur une concession et de paiement d’une taxe additionnelle. Cette nouvelle procédure a été déclarée inconstitutionnelle en 2008 et annulée, laissant les concessionnaires (dont certaines concessions arrivent à échéance en 2010) dans l’incertitude. Afin de combler ce vide, une loi a été publiée en juillet 2010, prolongeant d’au moins 5 ans lesdites concessions ; loi, qui vient d’être annulée par la Cour constitutionnelle pour ingérence dans les compétences régionales. A priori, les exploitants dont les concessions arrivent à échéance en 2010 continuent d’exploiter aux conditions antérieures.

Norvège

Suite à la condamnation de la Norvège par la Cour de l’association européenne de libre-échange (« AELE ») pour violation des dispositions relatives à la liberté d’établissement et de circulation des capitaux contenues dans l’accord instituant l’espace économique européen (« EEE »), la réglementation norvégienne a été modifiée, donnant naissance en 2008 à l’Industrial Licensing Act.

Ce texte de loi entérine le principe d’appartenance des ressources hydroélectriques norvégiennes à la Nation et la nécessité de les administrer dans l’intérêt général . Pour les centrales d’une puissance supérieure à 4,5 MW, ce principe est mis en œuvre dans les conditions suivantes :

- Toute nouvelle autorisation d’exploitation ou tout renouvellement d’une autorisation ayant fait l’objet d’un droit de retour doivent être accordés à une structure publique (détenue par l’État, les municipalités ou les régions). Ces autorisations leur sont accordées pour une durée illimitée ;

- Un droit de retour est créé, qui permet un retour gratuit (absence totale d’indemnité) au secteur public de toutes les installations exploitées par des entités privées et dont l’autorisation arrive à expiration (elles pouvaient auparavant être exploitées par des entités privées pour une durée maximale de 60 ans). Si ce droit est exercé, les entités privées perdent le droit au renouvellement de leur autorisation ;

- Les entités privées ne peuvent pas détenir plus d’un tiers des actions d’une entité publique possédant des ouvrages hydrauliques.

Ces exigences sont doublées d’une obligation de vendre à prix coutant 10 % de l’énergie générée à la municipalité sur le territoire de laquelle la chute est située.

En outre, en vertu des Regulations on the Lease of Hydropower Plants (texte d’application de l’Industrial Licensing Act), les acteurs publics propriétaires des chutes peuvent louer, pour une durée maximale de 15 ans, les ouvrages hydroélectriques existants à des entités publiques ou privées, norvégiennes ou étrangères.

Portugal

La situation est assez comparable au contexte français, à l’exception du droit de préemption en faveur du concessionnaire sortant, en vigueur au Portugal. Ce droit de préemption, s’il n’est pas modifié, constituera de facto une barrière à l’entrée du marché des concessions hydroélectriques portugaises. Les premières mises en concurrence arriveront en 2022 (110 MW), puis de façon plus significative à partir de 2032 (790 MW).

Suède

Sous réserve d’approfondissements, le régime juridique des barrages en Suède est celui de la licence d’exploitation, donc une autorisation, octroyée par le responsable de la police de l’environnement.

Ainsi, le producteur d’hydroélectricité est propriétaire de l’aménagement hydroélectrique. Les durées des autorisations sont variables, mais peuvent être fort longues. La concurrence est donc limitée à des cessions d’actifs entre opérateurs ou en une demande d’autorisation pour de nouveaux moyens de production.

2. Un danger pour la sûreté des usagers et la sécurité d’approvisionnement

Le caractère intégré du parc hydraulique est essentiel à la performance globale du système électrique français. Dans sa gestion des ressources en eau, l’opérateur historique prend en compte le niveau des réserves nécessaires pour « passer la pointe » électrique de l’hiver. Il prend également en compte le programme de maintenance des centrales nucléaires. Les décisions de turbinage ne sont donc pas uniquement fondées sur le signal prix du marché : EDF joue un rôle d’assureur du système qui n’est aujourd’hui par rémunéré.

Si le secteur de l’hydroélectricité venait à être libéralisé, chaque concessionnaire poursuivrait l’optimum économique, au détriment de l’impératif de sécurité du système.

Le maintien du contrôle public du parc hydraulique constitue également une garantie nécessaire de maintien d’un haut niveau de sûreté du parc. Confrontés à l’impératif de maximisation du profit, les opérateurs feront des choix d’investissement et de gestion du personnel les moins coûteux possibles. Parallèlement, les moyens humains dédiés aux services déconcentrés de l’État sont sans cesse affaiblis. Dans ce contexte, les contrôles seront-ils suffisants pour s’assurer que le concessionnaire respecte les obligations posées par le cahier des charges ? Accorder une concession à un acteur privé ne semble donc pas apporter les meilleures garanties en termes de sûreté. Or, la rupture d’un barrage constituerait un accident industriel de tout premier ordre, qui pourrait en entraîner d’autres du fait de l’inondation d’installations classées ou de centrales nucléaires.

3. Une hausse mécanique du prix de l’électricité pour les consommateurs

Le parc hydroélectrique français se caractérise par deux qualités déterminantes : sa flexibilité et sa compétitivité. L’impact de la mise en concurrence sur le prix de l’électricité payé par le consommateur français doit faire l’objet d’une analyse plus approfondie.

a. Une rente hydraulique de plus d’un milliard d’euros qui profite aujourd’hui au consommateur et à l’État

Les installations hydroélectriques produisent une électricité à forte valeur ajoutée. Leur coût de production est compris entre 20 et 30 €/MWh, alors que le prix moyen de marché était de 33 €/MWh en base et de 46 €/MWh en pointe au second trimestre 2013. En complément, les barrages mettent à disposition de la puissance, qui pourra être valorisée sur le marché de capacité, et des services système – maintien de tension et de fréquence –, rémunérés par des contrats de gré à gré. Contrairement à la plupart des autres moyens de production d’énergie, le coût de production de l’hydroélectricité ne comporte aucun élément de risque particulier et n’est pas soumis à la volatilité des marchés des matières premières ou du CO2.

Les bénéfices des installations hydroélectriques sont donc très importants du fait de l’existence d’une rente de rareté. La Direction générale de l’énergie et du climat estime l’excédent brut d’exploitation pour l’ensemble du parc amorti à 2,5 milliards d’euros par an. Si l’on retranche les investissements à réaliser et une rémunération économiquement raisonnable des capitaux, la rente hydroélectrique pourrait représenter jusqu’à 50 % de cette valeur, soit 1,25 milliard d’euros par an.

Cette rente bénéficie principalement aujourd’hui :

– Au consommateur. Le faible coût de production de l’hydroélectricité permet de tirer les tarifs réglementés de vente à la baisse, offrant ainsi au consommateur un prix de l’électricité compétitif. En effet, les tarifs réglementés sont calculés de façon à couvrir exactement les coûts de production d’EDF.

– Aux actionnaires d’EDF, au premier titre desquels l’État : l’opérateur historique vend une partie de sa production sur le marché. Il en tire une rémunération importante, compte tenu du fort différentiel entre le coût de production de l’hydroélectricité et le prix de marché. Les bénéfices réalisés par EDF sont quasi exclusivement captés par l’État, propriétaire de l’entreprise à 84 %. EDF a ainsi versé, en 2012, 1,950 milliard d’euros de dividendes au budget national.

– À l’État, au titre de la redevance versée par la CNR. Cette redevance, qui s’élève à 24 % du chiffre d’affaires de la Compagnie, représente une recette de 150 à 200 millions d’euros chaque année.

– A l’État et aux collectivités territoriales, sous la forme de diverses taxes (taxes locales, impôt sur les sociétés, etc.).

b. Une hausse inéluctable des prix de l’électricité via deux mécanismes

Le premier effet de la remise en concurrence concerne les particuliers bénéficiant du tarif réglementé de vente. En effet, les installations hydrauliques sont les moyens de production les plus compétitifs du parc électrique. Toute concession perdue par l’opérateur historique se traduira par une hausse de son coût de production moyen et donc par une hausse du tarif réglementé, car ce dernier est calculé sur la base des coûts de production d’EDF. Selon le rapport de la CRE sur les coûts d’EDF (5), une diminution de 1 % de l’hydraulicité augmente le coût comptable de production d’EDF de 0,1 %. La remise en concurrence des concessions hydrauliques est donc indirectement une atteinte au tarif réglementé de vente.

Précisons que cette situation est indépendante de la modification introduite par la loi NOME visant à calculer les tarifs réglementés de vente par l’empilement des coûts sous-jacents. L’article L. 337-6 du code de l’énergie dispose que : « Dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale ». La comptabilisation de l’hydroélectricité entre dans le coût du complément à la fourniture d’électricité ; or, il n’est pas précisé que ce coût du complément à la fourniture d’électricité soit nécessairement le prix de marché. Le nouveau mode de calcul des tarifs réglementés de vente maintiendra donc une valorisation de l’hydroélectricité au coût de production et toute diminution du portefeuille hydraulique d’EDF entraînera une hausse des tarifs réglementés.

Le second facteur entraînant une hausse du prix de l’électricité concerne l’ensemble des consommateurs : il s’agit de la redevance. L’une des justifications principales du programme de remise en concurrence des concessions est l’introduction d’une redevance qui permettrait à la puissance publique de « capter » la rente. Mais la redevance n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle taxe sur l’électricité. Est-ce une solution pertinente, dans un contexte de hausse inéluctable des prix de l’électricité et de considérables besoins de financement dans le secteur énergétique ?

Il existe pourtant des alternatives à une simple redevance dont le produit alimenterait le budget de l’État et des collectivités territoriales, sans aucun lien avec la politique énergétique. Les montants en jeu justifient qu’une réflexion poussée ait lieu sur les mécanismes choisis.

Le parallèle avec le cas du nucléaire est particulièrement éclairant. Sous la pression de la Commission européenne, la France a été contrainte de mettre en place un mécanisme destiné à éviter que la rente nucléaire ne place l’opérateur historique dans une situation dominante. Un travail approfondi a été mené par la « commission Champsaur », dont le rapport final, remis en avril 2009, a conduit à la mise en place d’un accès régulé à la base, l’ARENH. L’article L. 336-2 du code de l’énergie dispose ainsi que :

« (…) Électricité de France cède de l'électricité, pour un volume maximal déterminé en application des articles L. 336-3 et L. 336-4 et dans les conditions définies à l'article L. 336-5, aux fournisseurs d'électricité qui en font la demande, titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 333-1 et qui alimentent ou prévoient d'alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, situés sur le territoire métropolitain continental. »

Un tel mécanisme permet ainsi au consommateur français de bénéficier de la compétitivité des capacités de production d’électricité françaises, préoccupation qualifiée de « légitime » par la commission Champsaur. Aucune condition similaire n’est prévue pour l’hydraulique : l’exploitant disposerait à sa guise de l’électricité produite et pourrait donc alimenter des clients hors du territoire national. Les consommateurs d’électricité français, qui ont financé la construction des barrages, ne bénéficieraient plus de l’électricité compétitive qui en est issue.

Le rapport de la commission Champsaur proposait par ailleurs un mécanisme alternatif à l’accès régulé à la base : une taxation de la rente nucléaire – semblable à la redevance hydraulique proposée – couplée à un mécanisme de redistribution au consommateur sous la forme d’une CSPE négative. C’est bien la preuve que plusieurs options sont possibles. Alors que la question de la rente nucléaire a fait l’objet d’un examen approfondi, le débat de politique énergétique sur l’utilisation et l’affectation de la rente hydraulique a été passé sous silence. Le résultat est catastrophique pour le consommateur français : il ne bénéficiera plus de la rente hydraulique d’aucune manière et verra ses tarifs de l’électricité augmenter.

c. Le cas particulier des industriels électro-intensifs

La remise en concurrence des concessions conduit à perdre l’avantage compétitif dont dispose la France grâce à l’électricité hydraulique. Cette question revêt une importance majeure pour la survie d’une industrie électro-intensive sur notre territoire. L’hydroélectricité est historiquement liée au développement de certaines industries électro-intensives. En 1890, l’industrialisation des vallées alpines s’est appuyée sur le développement des ouvrages hydroélectriques. En 1910, l’industrie de l’électrométallurgie est propriétaire de 50 % de la puissance hydraulique nationale. Expropriées de leurs moyens de production d’électricité par la loi de nationalisation de 1946, elles ont tout de même obtenu des compensations « en nature », en application de l’article 8 de cette même loi, toujours en vigueur aujourd’hui :

« L'Électricité de France et le Gaz de France sont tenus d'assurer aux entreprise dépossédées, à conditions économiques et techniques égales, des fournitures d'électricité et de gaz équivalentes au point de vue de leur quantité, de leur qualité et de leur prix aux fournitures dont les entreprises disposaient avant le transfert de leurs biens. »

Plusieurs entreprises bénéficient encore de cette disposition : FerroPem, Alteo et Rio Tinto France bénéficient des droits attribués à Pechiney, pour 2,4 térawattheures par an. Métaux Spéciaux et Ugitech bénéficient également d’une centaine de gigawattheures par an. La contribution qui leur est versée vient en déduction de leur facture d’électricité, à hauteur de 20,91 €/MWh (niveau indexé sur les tarifs réglementés de vente). Cela représente un montant de 53 millions d’euros en 2012.

Sous la pression de la Commission européenne, ce mécanisme est désormais en voie d’extinction : le volume d’énergie entrant dans le cadre des dispositions de l’article 8 de la loi de 1946 décroît de 1/13ème par an depuis 2011 pour s’annuler en 2023.

De manière générale, ce particularisme fort qu’est le lien entre électro-intensifs et hydroélectricité dans les régions montagneuses est désormais menacé. Dès lors que les exploitants d’ouvrages hydroélectriques peuvent vendre leur production au prix du marché, ils n’ont aucun intérêt à conclure des contrats aux conditions avantageuses pour les industriels.

Les électro-intensifs européens sont particulièrement touchés par la concurrence des sites industriels situés hors d’Europe qui, eux, continuent à bénéficier de conditions tarifaires particulièrement intéressantes. Certains bénéficient de tarifs patrimoniaux qui incluent dans leur base tarifaire les coûts de production des ouvrages amortis. Le tarif L québécois, ou bien les prix négociés islandais atteignent respectivement 32 €/MWh et 20 à 25 €/MWh, coût du transport compris. Pour les groupes possédant leurs propres ouvrages – au Brésil, dans certains états américains, en Norvège, en Écosse, au Québec, en Colombie Britannique, en Russie – dont le prix de revient varie entre 5 et 10 €/MWh, selon le régime de taxation, leur puissance et leur durée annuelle de fonctionnement, la situation est encore plus favorable. Rio Tinto Alcan possède par exemple 13 centrales hydroélectriques, d’une capacité annuelle de 6 100 MW, couvrant ainsi plus de la moitié de ses besoins. Ces chiffres illustrent bien à quel point il est très difficile pour un producteur européen de rivaliser, dès lors que le coût de l’électricité représente une part essentielle de la valeur ajoutée de certains produits comme l’aluminium.

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, la question se pose donc de recréer un instrument de politique énergétique qui permette de rétablir un environnement compétitif pour les électro-intensifs qui maintiennent leur activité sur notre territoire. En tout état de cause, la remise en concurrence des concessions hydrauliques irait à l’encontre d’un tel objectif.

4. Un découpage inadéquat des vallées remises en concurrence faisant obstacle à une optimisation du potentiel du parc.

Les différents contrats de concession arrivent à échéance selon un calendrier échelonné dans le temps. Des ouvrages situés dans une même vallée peuvent donc être remis en concurrence dans un intervalle de temps très important. C’est le cas de trois vallées faisant partie du premier programme de renouvellement : la Maurienne, la Durance et le Drac.

S’agissant de cette dernière, seul le Drac amont est remis en concurrence, c'est-à-dire les barrages du Sautet, de Cordéac et l’ouvrage de Saint-Pierre Cognet, soit un tiers de la puissance installée sur le cours d’eau. Les ouvrages du Drac aval – Monteynard et Notre-Dame-de-Commiers –, en situation de dépendance hydraulique vis-à-vis de ceux situés en amont, ne font pas partie du premier lot de mise en concurrence.

Cette situation rend le renouvellement des contrats « au fil de l’eau » particulièrement inadapté. En effet, les ouvrages situés sur une même vallée sont dans une situation de dépendance hydraulique forte. En segmentant la mise en concurrence, plusieurs exploitants différents pourraient se retrouver à exploiter des ouvrages qui se suivent. Le résultat des exploitants se situant à l’aval dépendrait des décisions de ceux qui se trouvent à l’amont, ce qui donnerait lieu à de nombreuses contestations possibles.

Les réactions des diverses personnes auditionnées face à cette question sont variables. Certains considèrent qu’un tel saucissonnage des vallées ne pose pas de problèmes : les exploitants peuvent s’accorder par voie contractuelle, en signant par exemple des règlements d’eau. Mais, de l’avis des personnes chargées de faire fonctionner les sites, cette question est bien trop complexe pour être réglée par un simple contrat. L’optimisation de la production se faisant désormais à la minute près, il paraît difficile de définir des règles communes a priori, sans s’occuper de leur mise en œuvre.

Par ailleurs, cette situation diminuerait le bénéfice tiré du parc hydraulique par la collectivité. Dans la situation actuelle, l’exploitant optimise la production, en fonction de l’état de l’offre et de la demande sur le système électrique, sur l’ensemble d’une chaîne. Il utilise donc les différentes retenues qui se suivent pour apporter de la flexibilité au système. Si les vallées venaient à être fragmentées, cette possibilité serait perdue : les choix des opérateurs, non coordonnés entre eux, diminueraient le bénéfice tiré du parc hydraulique.

L’exemple de la Suède est, à cet égard, particulièrement éclairant. Lorsque plusieurs hydro-électriciens opèrent sur une même rivière, la loi leur impose de créer une association pour la gestion partagée de la ressource en eau. Chaque opérateur en est membre et possède des droits au prorata de sa capacité de production (en MW). Les opérateurs s’en remettent à l’association pour optimiser la production totale sur l’ensemble de la cascade, et cette dernière assure à chacun de ses membres la possibilité de turbiner comme s’il était seul sur la rivière. En réalité, cela revient à déléguer la valorisation économique de la production à l’association de rivière, les exploitants étant seulement chargés du fonctionnement technique des installations.

Le cas suédois illustre deux faits importants.

En premier lieu, il est totalement illusoire de croire que la segmentation des vallées entre différents opérateurs concurrents ne pose pas de problème ; bien au contraire, on voit qu’il est nécessaire de mettre en place des structures chargées de rétablir une unité entre les différents ouvrages de la vallée. À cet égard, le cadre actuel de la mise en concurrence est notoirement insuffisant car rien n’est prévu en ce sens. Si les opérateurs n’ont pas signalé ce problème, c’est qu’ils y voient un élément susceptible de ralentir le calendrier de la mise en concurrence, et font passer le problème de la gestion de l’eau au second plan.

En second lieu, mettre en place une structure de gestion de la vallée sur le modèle des associations de rivière suédoises revient en réalité à recréer un acteur intégré sur l’ensemble d’une même chaîne hydraulique. Il s’agit d’une constante du processus de mise en concurrence dans le secteur de l’énergie : en cherchant à démanteler systématiquement les acteurs intégrés, on est obligé, par la suite, de créer des mécanismes de gestion particulièrement complexes.

5. Les garanties insuffisantes apportées aux acteurs locaux pour les différents usages de l’eau.

Conçus à l’origine comme des ouvrages industriels, dont le seul objet poursuivi était énergétique, les barrages font désormais partie intégrante du paysage des vallées des territoires de montagne. Lorsqu’il fait varier le niveau d’eau des rivières et des lacs de retenue, l’exploitant a un impact sur l’irrigation, la pêche et le tourisme. Il joue également un rôle très important en matière de prévention des crues. Enfin, si aucun dispositif n’est mis en place pour favoriser la continuité écologique des cours d’eau, les barrages ont un impact environnemental significatif sur la qualité écologique des cours d’eau et des lacs, ou encore la présence de bois flottant. L’ensemble de ces enjeux doit être pris en compte par l’exploitant, ce qui nécessite de tisser un rapport étroit avec les habitants et les élus.

Le cahier des charges n’est pas forcément l’outil le plus adapté. Plutôt que de favoriser la coopération, il impose une vision juridique de la gestion des enjeux locaux. Soit il est exhaustif et, dans ce cas, toute nouvelle contrainte imposée par l’autorité concédante entraîne obligation d’indemnisation du concessionnaire. Soit il est volontairement imprécis, pour permettre une évolution des missions remplies par le concessionnaire et laisser la place à des actions de collaboration volontaire. Mais alors la contrainte s’imposant à ce dernier est moins forte et le risque existe qu’une entreprise privée, a fortiori lorsqu’elle ne dispose pas d’importants effectifs sur place, ne souhaite pas aller au-delà des efforts minimums exigibles.

6. Des destructions d’emploi inévitables.

Dans le processus actuel de remise en concurrence, il est prévu un droit d’option pour les salariés immédiatement attachés à un ouvrage remis en concurrence. Ils peuvent faire le choix de rester attachés à cet ouvrage – dans ce cas le nouveau concessionnaire a obligation de les reprendre – ou bien de rester au sein du concessionnaire sortant (6).

Néanmoins, l’exercice possible du droit d’option ne résout pas la difficulté posée par les personnels qui ne sont pas immédiatement attachés à l’ouvrage. La DGEC indique qu’elle imposera aux candidats une liste précise de postes constituant le socle minimal de compétences nécessaire pour une exploitation des ouvrages dans des conditions de sécurité optimales. Ainsi, une partie des personnels non immédiatement attachés à l’ouvrage se verra obligatoirement proposer une offre de transfert par le concessionnaire entrant. Mais cela ne pourra concerner qu’une part minoritaire du personnel employé par EDF dans ses unités régionales. À titre d’indication, la jurisprudence de la Cour de cassation considère qu’à partir de 80 % de son occupation une personne est dite affectée à une activité, ce qui exclurait une grande partie des travailleurs actuels de l’hydroélectricité.

Les conséquences seront défavorables. Pour les salariés d’une part : certains d’entre eux devront accepter une mobilité géographique. Pour l’entreprise EDF, d’autre part, qui devra réaffecter à une nouvelle activité les salariés préférant demeurer dans l’entreprise plutôt que de partir chez le nouvel exploitant. En fonction du nombre de concessions remportées par ses concurrents, EDF pourrait devoir gérer des sureffectifs. À long terme, il est inévitable que la division hydraulique de l’entreprise se réduise à la mesure du parc qu’EDF garde sous son contrôle.

Les concurrents étrangers à la remise en concurrence des concessions considèrent qu’il n’y aura pas de pertes nettes d’emploi car ils se doteront eux-mêmes des ressources nécessaires à l’exploitation des ouvrages qu’ils auront remportés. Mais la logique de l’optimisation économique les poussera à conserver leur activité de support dans leur pays d’origine. Dans le cas – tout à fait plausible – où plusieurs concurrents, originaires de pays frontaliers, comme la Suisse et l’Italie, remporteraient chacun une concession, aucun d’entre eux n’atteindrait la taille suffisante pour justifier l’implantation d’une division hydraulique importante. Ils feraient appel ponctuellement à leurs équipes pour intervenir sur les barrages français.

À l’inverse, le maintien d’un parc intégré garantit le maintien d’une compétence hydroélectrique forte sur le territoire national et favorise la création de nouveaux emplois. EDF est l’un des leaders mondiaux du secteur. Exploiter plus de 20 000 MW de capacités lui donne la crédibilité et l’expérience nécessaire pour candidater aux projets internationaux les plus ambitieux.

7. Des inégalités fortes entre collectivités territoriales dans la perception de la redevance hydroélectrique.

La remise en concurrence des concessions a placé au centre des discussions l’enjeu financier important que constitue la redevance hydroélectrique.

Les redevances sur la production hydroélectrique

Le cadre législatif et réglementaire prévoit actuellement les quatre redevances suivantes :

– une redevance pour l’utilisation des cours d’eau ;

– une redevance d’occupation du domaine public hydroélectrique ;

– une redevance proportionnelle au nombre de kilowattheures produits ou aux dividendes ou bénéfices répartis ;

– une redevance proportionnelle aux recettes issues des ventes d’électricité, déduction faire du coût de l’achat éventuel de l’électricité nécessaire au pompage de l’eau dans le cas des STEP.

Seules les deux premières correspondent à la définition juridique d’une redevance, soit la contrepartie d’un service rendu, consistant ici en la mise à disposition du concessionnaire de biens appartenant à l’État, respectivement la force de l’eau et la jouissance de dépendances du domaine public. C’est pour cette raison qu’elles ne sont pas prévues par des dispositions de niveau législatif, mais de niveau réglementaire.

Les deux dernières redevances correspondent en réalité à des impositions de toute nature, qui doivent obligatoirement faire l’objet de dispositions législatives, en application de l’article 34 de la Constitution. Paradoxalement, bien qu’il ne s’agisse pas juridiquement de redevances mais de taxes, ce sont ces dernières que l’ensemble des acteurs du secteur appellent « redevance hydroélectrique ». Inscrites à l’origine aux articles 9 et 9-1 de la loi du 16 octobre 1919, elles sont désormais codifiées aux articles L. 521-22 et L. 521-23 du code de l’énergie.

À ces quatre redevances s’ajoute le dispositif, complexe, des « réserves en énergie », qui s’apparente à une redevance en nature au profit des communes de proximité. Héritage de l’histoire, ce système s’expliquait aisément dans le cadre des premiers développements de production hydroélectrique, initialement composés de systèmes de production fermés, où la répartition de l’énergie produite était assez aisément identifiable. Désormais, le système électrique étant interconnecté à la maille nationale, voire européenne, il n’est plus possible d’identifier techniquement si l’énergie produite par une installation est effectivement consommée dans une commune voisine ou bien par un consommateur situé à plusieurs milliers de kilomètres. Les réserves en énergie ont donc été transformées en compensations financières, via l’augmentation de la part de redevance hydroélectrique versée aux collectivités territoriales.

Il s’agit en réalité d’une question complexe compte tenu de la coexistence de situations juridiques différentes :

– les concessions exploitées par EDF et la SHEM, c'est-à-dire la très grande majorité du parc hydroélectrique, sont soumises au régime de l’article L. 521-22 (redevance proportionnelle « ancienne »), dont le taux est faible ; le montant de redevance versé par EDF à l’État au titre de l’ensemble du parc est de 5 millions d’euros ;

– pour les concessions exploitées par CNR, la même redevance s’applique, mais à un taux supérieur (24 %) depuis la renégociation du cahier des charges des concessions en 2003 ;

– enfin, il pourra être fait application, pour les concessions qui seront remises en concurrence, des dispositions de l’article L. 521-23, prévoyant une redevance proportionnelle « nouvelle ». Créée par la loi de finances de 2006, cette dernière a la particularité de prévoir un partage plus favorable aux collectivités territoriales : un tiers revient aux départements sur le territoire desquels coulent les cours d’eau utilisés, et un sixième aux communes.

Il n’est pas possible d’appliquer dès à présent la redevance proportionnelle « nouvelle » aux contrats en cours, non plus que de porter le taux de redevance des concessions exploitées par EDF à celui des concessions de la CNR. En effet, ces modifications nécessiteraient la signature d’un avenant aux contrats de concession. La signature d’un tel avenant pourrait être acceptée par le concessionnaire, mais son contenu ferait nécessairement l’objet d’une longue négociation avec EDF et devrait être approuvé par le Conseil d’État. Dans le cas contraire où EDF refusait toute renégociation, il ne serait pas non plus envisageable de passer par une mesure législative : le concessionnaire serait en effet fondé à demander une compensation financière au titre du contrat.

Par conséquent, le processus de remise en concurrence des concessions hydroélectriques entraînera rapidement la mise en place d’un système à deux vitesses, dans lequel seront favorisées les collectivités territoriales sur le territoire desquelles des ouvrages seront mis en concurrence rapidement. Cette situation suscite déjà des interrogations, voire des mécontentements, comme l’illustre la comparaison de la situation entre le Rhône et le Rhin. Il faudrait attendre près de 70 ans pour qu’elle trouve un terme.

Le Rhône et le Rhin : une situation similaire, deux régimes différents

En matière hydroélectrique, les similitudes entre le Rhône et le Rhin sont frappantes. Historiquement, leur aménagement s’est réalisé à la même période : alors que la Compagnie nationale du Rhône (CNR) est créée en 1933 et se voit attribuer la concession unique du fleuve en 1934, l’aménagement du Rhin débute avec la construction de la chute de Kembs, en 1932.

On compte aujourd’hui 12 centrales hydroélectriques sur le Rhin, dont l’exploitation est confiée à EDF – en collaboration avec EnBW pour deux d’entre elles. Ces centrales représentent une puissance installée de 1 400 MW et produisent en moyenne 8 TWh par an, soit l’équivalent des deux tiers de la consommation électrique alsacienne. En comparaison, ce sont 19 centrales qui sont gérées par la CNR le long du Rhône, pour une production d’environ 15 TWh.

En revanche, les conditions financières de l’exploitation des deux fleuves sont très différentes depuis la révision du cahier des charges liant l’État et la CNR, suite à la cession de la participation d’EDF dans cette dernière à Electrabel. Depuis 2003, un avenant au cahier des charges établit que la CNR, outre une participation au financement de missions d’intérêt général sur le Rhône à hauteur de 160 millions d’euros sur la période 2009-2013, doit verser une redevance proportionnelle représentant 24 % des recettes issues de la vente de l’énergie produite sur le Rhône.

À l’inverse, les centrales alsaciennes sont exploitées selon le cahier des charges « historique », qui prévoit une redevance proportionnelle de 0,7 %. Par ailleurs, si EDF prend en charge la mission d’intérêt général relative à la navigation, toutes les autres missions, en particulier l’irrigation, sont assumées par l’État ou le département, entraînant une charge financière nette. En effet, les différents aménagements du Rhin ont, d’une part, déconnecté 100 km² de bras secondaires du Rhin – ce qui représente une perte écologique importante – et, d’autre part, ont fait baisser de dix mètres le niveau de la nappe phréatique dans le sud du Haut-Rhin suite au surcreusement du fleuve. Cet abaissement a entraîné l’assèchement des cours d’eau passant par le sud du département. Les agriculteurs ont ainsi vu disparaître leur ressource en eau mobilisée pour l’irrigation. De nombreuses mesures compensatoires sont donc nécessaires : alimentation de l’Ill, alimentation et entretien du canal Rhône-Rhin et du canal de la Hardt, entretien et gestion de plusieurs barrages, renaturation et remise en eau des bras du Rhin, etc. Au total, les frais liés à ces mesures compensatoires se montent à 2,7 millions d’euros par an, principalement supportés par le département.

Lors du renouvellement de la concession de Kembs, la première à faire l’objet d’un renouvellement, car la plus ancienne, le département du Haut-Rhin a obtenu la renégociation du contrat de concession. L’entreprise EDF s’est engagée, par la voie d’une convention, à participer aux travaux d’aménagement du Rhin à hauteur de 3 millions d’euros par an environ.

IV. QUATRE SCÉNARIOS POUR LE FUTUR DU PARC HYDROÉLECTRIQUE FRANÇAIS

Face au constat dressé dans la première partie, la nécessité d’élaborer des scénarios alternatifs à la remise en concurrence telle qu’elle avait été prévue s’impose. Comment, en effet, se lancer dans un processus aussi lourd de conséquences pour notre mix énergétique, comment prendre une décision de politique énergétique aussi décisive, tout en ayant mené un travail soulignant les nombreuses imperfections de la solution envisagée ?

Difficile, la recherche d’alternatives n’est cependant pas impossible. Il faut bien souligner à ce stade à quel point vos rapporteurs ont dû sans cesse batailler contre la tendance à se retrancher derrière le confort des arguments juridiques posés comme l’ultime et unique vérité pour s’épargner l’effort de l’élaboration de solutions alternatives ayant un sens politique.

Nous allons désormais tenter de vous démontrer qu’il n’existe pas de fatalité juridique : outre la méthode du barycentre, privilégiée à ce stade par le Gouvernement, trois solutions alternatives sont tout à fait possibles. Le présent rapport a pour objet d’en présenter le principe, les avantages et inconvénients respectifs, afin de donner à la Représentation nationale la possibilité d’apprécier la pertinence des choix effectués.

A. UN SCÉNARIO IMPOSSIBLE : LE RENOUVELLEMENT DES CONCESSIONS DE GRÉ À GRÉ

Solution la plus simple à mettre en œuvre et garantissant le maintien d’une situation satisfaisante du point de vue de l’intérêt général, la prolongation des concessions de gré à gré est pourtant impossible en raison des règles posées par le droit communautaire.

D’une part, la prolongation des concessions pour une durée de plusieurs années constituerait une modification substantielle du contrat. Or, dès lors qu’une modification est jugée comme substantielle s’impose la nécessité d’une remise en concurrence.

D’autre part, les règles issues du droit des aides d’État encadrent la possibilité de prolonger les contrats en cours si cette prolongation n’est pas justifiée par la nécessité de réaliser des investissements, dont le coût doit correspondre au bénéfice tiré de la prolongation.

B. 1ER SCÉNARIO : LA MÉTHODE DU BARYCENTRE.

Ainsi que l’a laissé entendre la réponse ministérielle, en date du 27 août dernier, à un référé de la Cour des comptes sur le retard dans le renouvellement des concessions hydroélectriques, il s’agit du scénario privilégié à ce stade par le Gouvernement.

1. Principe du scénario

La méthode des barycentres consiste à aménager le processus de remise en concurrence en favorisant la création de lots unifiés sur une même vallée.

Aux termes de la note adressée par les ministres de l’économie et des finances, du budget et de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la méthode du barycentre « consiste à regrouper les concessions préalablement à la mise en concurrence, de façon à créer un ensemble cohérent avec une date d’échéance unique. Cette date serait obtenue en pondérant les dates d’échéance des différents contrats au prorata des différents revenus générés ». En des termes moins administratifs, il s’agit de raccourcir la durée des contrats les plus longs et de rallonger celle des contrats les plus courts d’une même vallée pour les faire se terminer à une même date.

EXEMPLE THÉORIQUE DE MISE EN œUVRE DE LA SOLUTION DU BARYCENTRE SUR TROIS CONCESSIONS D’UNE MÊME VALLÉE

Concession

Revenus (M€2010/an)

Date d’échéance

officielle

Date « barycentre »

Valeur de la concession (M€2010)

C1

5,5

2017

2019

11

C2

8,2

2015

2019

37

C3

12,1

2024

2019

– 48

Le tableau ci-dessus donne un exemple théorique de mise en œuvre de la solution du barycentre sur trois concessions arrivant à échéance à des dates différentes. Le principe consiste à trouver une date commune d’échéance pour les trois concessions C1, C2 et C3, sans modifier l’équilibre économique global de la vallée. Repousser l’échéance des concessions C1 et C2 respectivement de 2 et 4 ans fait gagner respectivement 11 et 37 M€ (soit 48 M€ au total) au concessionnaire sortant. En contrepartie, la date d’échéance de la concession C3 doit être avancée de 5 ans.

S’agissant de la méthodologie juridique employée, la méthode des barycentres revient à adosser les ouvrages existants au contrat de concession dont la date d’échéance est la plus éloignée. Ainsi, lorsque les concessions C1 puis C2 arrivent à échéance, les barrages qui leur sont attachés sont adossés au contrat de concession C3. Les concessions C1 et C2 cessent naturellement d’exister. Parallèlement, la date d’échéance du contrat C3 est avancée pour respecter l’équilibre économique de la vallée.

2. Compatibilité vis-à-vis du droit communautaire

a. Une dérogation au principe de remise en concurrence en cas de modification substantielle du contrat

Il résulte des jurisprudences nationales et européennes que l’objet d’un contrat ne peut être modifié que de manière limitée par un avenant. Lorsque la modification s’avère au contraire substantielle, le juge peut estimer que cet avenant a engendré un nouveau contrat et que, par conséquent, l’obligation de remise en concurrence s’applique.

Comme il n’existe aucun arrêt qui identifie explicitement le périmètre des concessions comme un élément essentiel du contrat, la question essentielle est de savoir si la modification envisagée dans le cadre de la méthode du barycentre constitue une modification substantielle de l’objet du contrat. Une analyse de l’avis du Conseil d’État du 16 septembre 1999 sur la question de l’adossement fournit une réponse à cette question.

L’adossement consiste à financer partiellement de nouvelles sections d’autoroutes grâce au péage perçu sur les sections en service d’un même concessionnaire, auquel on accorde un prolongement de contrat. Il s’agit donc d’une méthode comparable au barycentre. Or, le Conseil d’État a considéré que le recours à l’adossement devait répondre à deux critères.

D’une part, la partie adossée doit être limitée ou présenter un caractère quantitativement annexe par rapport au contrat « principal ». Dans le cas des concessions hydroélectriques de taille comparable, ce critère n’est pas rempli.

D’autre part, le recours à l’adossement doit être justifié par le caractère non rentable et donc difficile à financer de l’actif, qui est ainsi intégré dans le périmètre d’un autre contrat existant. Or, les concessions échues sont intrinsèquement rentables et les investissements réalisés sont, pour la plupart, déjà amortis.

Il semble donc clair que la mise en œuvre de la méthode des barycentres suppose une modification substantielle de contrats de concession en cours. L’absence de remise en concurrence doit par conséquent être justifiée.

b. Une dérogation envisageable, en raison du respect des principes fondamentaux de la commande publique et du droit de la concurrence

Selon l’analyse de la Direction générale de l’énergie et du climat, la méthode de barycentre respecte le droit de la concurrence européen car elle n’en remet pas en cause les principes fondamentaux.

D’une part, il n’y a pas d’avantage économique octroyé au concessionnaire sortant. D’autre part, si la modification proposée engendre un report de la mise en concurrence, elle garantit in fine le lancement d’une procédure sur un ensemble plus cohérent, plaçant l’ensemble des candidats potentiels dans des conditions plus favorables. Soulignons par ailleurs que la méthode du barycentre ne retarde en réalité que très peu le calendrier effectif du programme de remise en concurrence, en raison du retard accumulé. On peut donc considérer qu’il ne s’agit pas d’une manœuvre dilatoire.

c. Une saisine préalable de la Commission européenne nécessaire au titre du contrôle des aides d’État

Si le résultat de l’application du barycentre est économiquement neutre pour le concessionnaire sortant, la Commission européenne considère toutefois que l’allongement d’une concession constitue une aide d’État qui doit lui être notifiée afin qu’elle puisse en vérifier la compatibilité avec le marché intérieur. La saisine préalable serait donc essentiellement préventive.

Une telle méthode a déjà été mise en œuvre dans le cadre du « paquet vert autoroutier », en 2010, sur la base d’une autorisation législative figurant à l’article 25 de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés.

3. Avantages de la méthode du barycentre

Les avantages d’une telle solution ont été pointés par le document adressé par le Gouvernement à la Cour des comptes.

1er avantage : un regroupement des concessions d’une même vallée.

En permettant un regroupement des concessions par vallées, la méthode des barycentres permet d’améliorer la gestion future des ouvrages hydrauliques situés sur une même chaîne.

Le processus de remise en concurrence initial propose des vallées qui ne sont pas toutes cohérentes hydrauliquement. Des regroupements de concessions ont déjà été effectués en choisissant la solution de l’alignement « au plus tôt » : l’harmonisation des dates d’échéance des concessions d’une même vallée se fait sur la date d’échéance la plus proche et les candidats doivent racheter la durée du contrat restant au concessionnaire sortant en lui versant des indemnités d’éviction.

Mais cette méthode n’a pu être appliquée partout : lorsque la date d’échéance de certains ouvrages de la vallée était vraiment trop éloignée, le coût du rachat de la durée de contrat restant à courir était trop élevé. C’est pourquoi certains regroupements proposés sont insatisfaisants car ils ne conduisent pas à l’attribution d’un lot cohérent à un concessionnaire unique.

La solution de l’alignement « au plus tard » est impossible juridiquement : proroger les contrats qui arrivent à échéance le plus tôt jusqu’à la date d’échéance des contrats les plus tardifs constitue une modification substantielle du contrat non justifiée d’un point de vue économique, et donc une atteinte au droit de la concurrence. Cela peut en outre être considéré comme une aide d’État attribuée au concessionnaire sortant.

Dans le cas de vallées dont les contrats ont des dates d’échéance très éloignées entre elles, comme le Drac, Bissorte ou Brillane-Largue, la solution du barycentre permet de repousser la date de changement de concessionnaire de plusieurs années et ainsi de former des ensembles hydrauliquement cohérents.

EXEMPLE DE MISE EN œUVRE DE LA SOLUTION DU BARYCENTRE
SUR LES CONCESSIONS DE LA VALLÉE DU DRAC

Périmètre

Actuel

Élargi

Nombre de concessions

2

4

Puissance cumulée (MW)

218

664

Date barycentre

(estimation)

2017

2025

Source : Direction générale de l’énergie et du climat

2ème avantage : de nouvelles recettes budgétaires pour l’État

La méthode des barycentres accroît les retombées financières pour l’État en supprimant les pertes engendrées par les délais glissants et les indemnités d’éviction.

L’origine du référé de la Cour des comptes se trouve dans ce phénomène des délais glissants. Ainsi la Cour écrivait-elle que certaines concessions « n’ont pas été renouvelées et sont prorogées aux conditions antérieures, ce qui retarde d’autant l’application de la redevance. C’est le cas, notamment, pour les concessions arrivées à échéance en 2011 et 2012 et pour lesquelles une mise en concurrence était prévue. »

La méthode des barycentres apporte une réponse particulièrement astucieuse au retard pris par l’État dans la procédure. En effet, comme elle est calculée à partir des dates d’échéance contractuelles, et ce peu importe que ces dates aient été dépassées, tout se passe comme si l’on percevait des redevances à partir de la date d’échéance du contrat, même si celui-ci a tardé à être renouvelé.

La suppression des indemnités d’éviction accroît également les recettes de l’État. Ces indemnités sont certes payées par les concessionnaires, mais plus elles sont élevées, plus le montant de redevance qu’ils sont prêts à payer diminue. Or, le rachat des indemnités d’éviction s’effectue à un taux d’actualisation du secteur privé, de l’ordre de 6 %, contre un taux d’actualisation de 4 % généralement admis pour l’État.

3ème avantage : une diminution des retards pris par la procédure par un étalement du programme

La méthode des barycentres permet de diminuer l’engorgement de l’administration en retardant la date de remise des ouvrages.

La remise en concurrence est un processus particulièrement lourd, très risqué pour l’État, dont les moyens humains sont sans cesse rognés. Par conséquent, elle a pris un retard important : les premières remises d’ouvrages au nouveau concessionnaire pourraient intervenir, dans le meilleur des cas, en 2017.

Mais grâce à la méthode des barycentres, la date effective de remise des ouvrages pourra être la même que dans le cas de la remise en concurrence classique, et ce en gommant tout retard !

4ème élément : des conditions favorables aux nouveaux entrants

Dernier élément, dont la qualification en tant qu’avantage peut être contestée, la méthode des barycentres favorise les nouveaux entrants en supprimant les indemnités d’éviction.

La méthode des barycentres est donc particulièrement favorable à la concurrence, car elle permettra aux entreprises de toutes tailles de se porter candidates. Dans la période de grande fragilité financière que traversent les énergéticiens européens, ces derniers apprécieront sans doute le geste effectué par la France.

4. Inconvénients de la méthode du barycentre

Comme cette méthode n’est qu’une variante de la remise en concurrence, elle ne permet pas de contourner tous les inconvénients inhérents à cette dernière.

1er inconvénient : un processus complexe qui s’étale sur plusieurs décennies

La mise en œuvre de la méthode des barycentres nécessitera un processus administratif complexe et qui s’étalera sur plusieurs décennies.

Dans le programme actuel, hormis le processus classique de remise en concurrence (réalisation du cahier des charges, examen des offres, remise de l’ouvrage au concurrent entrant), seule est nécessaire une négociation avec le concessionnaire sortant sur les indemnités d’éviction.

En revanche, la mise en œuvre de la solution du barycentre nécessiterait de passer par le chemin suivant, chacune des étapes suivantes étant porteuse de risques juridiques :

– une notification à la Commission européenne, dans la mesure où la prolongation du contrat arrivant à échéance le plus tôt peut être considérée comme une aide d’État ;

– des modifications législatives, ainsi que leurs textes d’application ; ces dispositions auraient pour objet d’autoriser l’État à imposer le regroupement en un contrat unique de l’ensemble des contrats de concession formant une chaîne hydraulique ;

– la négociation avec l’opérateur historique pour modifier par avenant le contrat de concession dont la date d’échéance est la plus éloignée et résilier les autres contrats sans indemnités.

La charge de travail que cela représente et le manque de moyens humains du ministère de l’écologie ont ainsi conduit l’État à se faire assister pour mener le processus, dès 2010, de cabinets de conseil privés aux honoraires élevés.

Solution astucieuse, la méthode du barycentre n’en demeure pas moins une alternative coûteuse en moyens humains et dont l’issue n’est pas garantie à 100 %.

2ème inconvénient : la perte de contrôle sur le parc hydroélectrique français

Une telle solution revient à perdre la main sur le parc hydroélectrique français pour 40 ans. Une fois les concessions attribuées, l’État ne pourra reprendre la main sur les concessions que par le versement d’une très lourde indemnité d’éviction.

3ème inconvénient : un manque de garanties apportées aux collectivités territoriales

La seule garantie apportée aux collectivités est le cahier des charges des concessions. Or, ainsi que le montre l’analyse des conséquences de la mise en concurrence, le cahier des charges des concessions permettra de mieux encadrer l’action du concessionnaire sur les cours d’eau, mais seulement sur le court terme. Comment prévoir les besoins et les usages pour les 40 prochaines années ? L’objectif de modernisation des relations entre les usagers locaux de l’eau n’est pas atteint.

4ème inconvénient : la question du transfert des salariés laissée de côté

Le problème du transfert des salariés demeure inchangé par rapport à la remise en concurrence simple : seuls les salariés d’EDF ou de la SHEM qui sont affectés exclusivement ou essentiellement à la concession cédée seront transférés automatiquement au nouveau concessionnaire. En l’absence de définition précise de la notion de salarié « essentiellement » affecté à une concession, il faudra se référer au critère jurisprudentiel du pourcentage, dont les implications sont difficiles à prévoir.

5ème inconvénient : un gain financier pour l’État et les collectivités territoriales à relativiser

Ainsi que le relève elle-même la Cour des comptes, les recettes de redevance espérées ne deviendront réellement significatives que dans plusieurs années. La perte due au retard de redevance perçu était de 3 millions d’euros, elle sera de 50 millions d’euros en 2013, et n’atteindra même pas 100 millions d’euros en 2020.

En outre, les calculs de la Cour des comptes mettent de côté un élément majeur : la participation de l’État dans le capital d’EDF à hauteur de 84 %. Il paraît difficile de soutenir sérieusement que les délais glissants, dont bénéficie EDF, constituent une perte sèche pour le budget de l’État. Est-il besoin de rappeler que, pour l’exercice 2012, EDF a versé à ce même budget 1,950 milliard d’euros de dividendes ?

Enfin, en raison de la longueur de la procédure de mise en concurrence, le premier euro ne sera pas versé aux collectivités territoriales avant 2017. Et encore, il ne s’agit que des collectivités faisant partie du « premier paquet » de mise en concurrence. Pour les autres, la perspective d’une redevance est encore plus éloignée.

6ème inconvénient : un impact sur le prix de l’électricité bien réel

Selon les termes de la Cour des comptes, « la mise en concurrence constitue un moyen adapté pour ne pas abandonner aux concessionnaires la rente hydroélectrique ». Cette affirmation repose sur une analyse partielle de la réalité économique du marché de l’électricité.

En effet, comment peut-on considérer que la rente hydroélectrique soit abandonnée au concessionnaire sortant dès lors que celui-ci est obligé, dans les tarifs réglementés de vente, de fournir l’électricité au coût de production ? La rente hydroélectrique profite en réalité au consommateur, directement concerné par la question du pouvoir d’achat…

De ce point de vue, la méthode du barycentre n’apporte pas de progrès par rapport à la mise en concurrence simple. La diminution du portefeuille hydraulique d’EDF et l’imposition d’une redevance de 25 % sur le chiffre d’affaires provoqueront mécaniquement une hausse des prix. En résumé, la remise en concurrence des concessions conduit à perdre l’avantage compétitif dont dispose la France grâce à l’électricité hydraulique.

Les concessionnaires devront payer une taxe, la redevance, qui augmentera le coût du MWh hydraulique. Pour rentabiliser leur investissement, ils valoriseront leur production sur le marché au prix du marché de gros, et non au coût de production. Or, contrairement à ce qui est prévu pour l’ARENH, aucune clause de destination n’est prévue, c'est-à-dire que si un concessionnaire veut signer un contrat de long terme avec un industriel étranger, on ne pourra pas l’en empêcher !

7ème inconvénient : un délitement progressif du modèle français sous couvert d’euro-compatibilité

L’euro-compatibilité d’une telle solution ne fait en réalité que repousser d’autres échéances bien plus douloureuses.

Vos rapporteurs ont été soumis à la pression insistante d’opérateurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché français sans être menacés sur leur propre marché. Lorsque nous les avons interrogés, ils ont été bien en peine de répondre à nos questions sur la réciprocité. Aucun autre État membre n’est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France. Les ouvrages sont soit sous la propriété des opérateurs – régime d’autorisation –, soit sous un régime mixte combinant autorisation et concession, soit sous un régime de concession mais avec des dates d’échéance très éloignées (Espagne et Italie). Ajoutons que certains candidats à la reprise des concessions françaises sont suisse et norvégien, donc extra-communautaires. En Norvège, tout candidat à l’attribution d’une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s’il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne. En Suisse, les directives sectorielles sur l’énergie ne sont même pas applicables.

La solution de la remise en concurrence a été présentée comme la seule à même de satisfaire la Commission européenne. Mais cette dernière, une fois la remise en concurrence « digérée », demandera de toute façon des garanties supplémentaires. Ne nous leurrons pas : la remise en concurrence n’est pas un élément d’un accord intangible. Donner des gages ne sert à rien car, comme elle l’a indiqué aux rapporteurs de la mission lorsqu’ils se sont rendus à Bruxelles, la Commission a déjà ciblé sa prochaine victime : les tarifs réglementés de vente aux particuliers.

*

* *

En résumé, le choix de la méthode des barycentres reposerait sur une analyse stratégique erronée : sacrifier la compétitivité du prix de l’énergie sur l’autel de la réduction des déficits publics.

Si la remise en concurrence apportait des recettes budgétaires immédiates, un tel choix serait compréhensible. Mais ça n’est pas le cas : l’impact sur le déficit public ne se fera pas sentir avant 2017, lorsque la trajectoire des finances publiques aura été stabilisée. Dans le même temps, l’effet de la remise en concurrence impactera progressivement le prix de l’électricité, se cumulant avec d’autres effets qui rendront leur facture insupportable aux ménages et aux entreprises…

C. 2ÈME SCÉNARIO : UNE CONCESSION UNIQUE.

1. Principe du scénario

Le premier scénario alternatif proposé consisterait à désigner par la loi l’opérateur historique en tant que gestionnaire d’un service d’intérêt économique général : la production hydroélectrique. Cette désignation serait accompagnée de la définition de missions d’intérêt général qu’il devrait remplir :

– assurer la sûreté et la sécurité des ouvrages hydrauliques ;

– assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique français ;

– s’inscrire dans une gestion des usages de l’eau qui soit respectueuse des populations locales et de l’environnement ;

– mettre l’hydroélectricité produite à disposition du consommateur français, au coût de production, via les tarifs réglementés de vente et l’ARENH.

a. Définition des services d’intérêt économique général (SIEG)

Les SIEG sont des activités économiques remplissant des missions d’intérêt général qui ne seraient pas exécutées (ou qui seraient exécutées à des conditions différentes en termes de qualité, de sécurité, d’accessibilité, d’égalité de traitement ou d’accès universel) par le marché en l’absence d’une intervention de l’État. L’obligation de service public est imposée au prestataire par mandat, sur la base d’un critère d’intérêt général garantissant la fourniture du service à des conditions lui permettant de remplir sa mission.

Hormis dans les secteurs harmonisés au niveau de l’Union européenne par des directives sectorielles, la marge de manœuvre des États membres pour définir une mission d’intérêt général est assez étendue car elle relève d’un pouvoir discrétionnaire des autorités organisatrices. De ce fait, le contrôle par la Commission européenne et par le juge européen de la définition de la mission est limité au contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation.

b. Critères permettant à une activité d’être qualifiée de SIEG

Si la qualification de SIEG relève des autorités publiques organisatrices (État et collectivités territoriales), la CJUE contrôle la présence de trois critères permettant de qualifier une activité de SIEG :

i. Elle doit avoir un caractère économique.

Une activité économique est définie comme toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné. L’un des critères déterminants pour qualifier une activité d’économique est l’existence d’une rémunération correspondant à la contrepartie économique du service fourni.

ii. Elle doit être confiée à une entreprise par un acte exprès de la puissance publique.

En vertu de l’article 106 § 2 TFUE s’appliquant aux entreprises « chargées de la gestion d’un SIEG » par une autorité organisatrice, la mission d’intérêt général doit être confiée à une ou plusieurs entreprises par un ou plusieurs actes explicites de la collectivité. Cet acte est qualifié de mandat et peut être de nature législative, réglementaire ou conventionnelle. La mission particulière d’intérêt général et les obligations de service public doivent cependant être définies avec la plus grande précision possible.

iii. Elle doit être d’intérêt général.

Le caractère d’intérêt général du service en cause le distingue des autres activités économiques. Il est défini à titre principal par des obligations de service public découlant d’une mission particulière d’intérêt général. Les collectivités publiques disposent d’un large pouvoir d’appréciation de la nature d’intérêt général des activités en cause : le contrôle du juge se limite par conséquent à celui de l’erreur manifeste d’appréciation.

c. Critères permettant de charger une entreprise d’un SIEG sans mise en concurrence préalable.

Toutefois, la qualification de l’exploitation des ouvrages hydroélectriques en SIEG ne suffit pas à assurer la validité d’une désignation d’un gestionnaire de ces ouvrages sans remise en concurrence. En effet, la notion de SIEG n’a pas été élaborée pour permettre de déroger aux règles de la concurrence, mais plutôt pour faciliter l’octroi de compensations financières à des entreprises chargées de missions de service public sans que ne puisse être évoquée l’existence d’une aide d’État.

Aux termes de l’article 106 § 2 TFUE, « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général […] sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union ». Doivent donc être justifiées :

i. L’attribution d’un droit exclusif.

Pour justifier l’entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services que constitue l’exclusivité accordée, il convient de démontrer que la mission de SIEG ne peut être accomplie que par l’octroi d’un droit exclusif à une seule entreprise. Le droit exclusif doit être nécessaire et proportionné, c’est-à-dire être de nature à garantir l’objectif poursuivi sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. En outre, l’attribution d’un droit exclusif ne doit pas conduire à une situation dans laquelle le bénéficiaire de ce droit serait nécessairement amené à abuser de sa position dominante.

L’article 3 § 4 de la directive 2003/54/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité dispose que : « Lorsqu'une compensation financière, d'autres formes de compensation ou des droits exclusifs offerts par un État membre pour l'accomplissement des obligations visées aux paragraphes 2 et 3 sont octroyés, ce doit être d'une manière non discriminatoire et transparente ».

ii. L’absence de mise en concurrence.

Pour garantir la sécurité juridique d’une dévolution unilatérale, sans mise en concurrence, d’une mission de SIEG lorsqu’elle présente un intérêt transfrontalier certain, il faut être à même de démontrer que seul le titulaire de cette mission est, de fait, en mesure de l’accomplir ou que ce titulaire est dans une situation de quasi-régie (relation « in house ») avec la collectivité publique.

2. Compatibilité avec le droit communautaire.

Afin s’assurer la compatibilité du scénario « SIEG » avec le droit communautaire, il est nécessaire d’apporter la preuve que les trois critères suivants sont remplis : l’hydroélectricité est un service d’intérêt économique général ; le bon accomplissement des missions d’intérêt général liées à l’hydroélectricité nécessite la désignation d’un opérateur unique ; seul le titulaire de cette mission est en mesure d’accomplir ces missions.

a. L’hydroélectricité est un service d’intérêt économique général.

i. A-t-elle un caractère économique ?

Il a été souligné préalablement que l’existence d’une rémunération en contrepartie du service rendu est un critère déterminant dans la définition d’une activité économique. Dans le scénario proposé, l’opérateur historique serait rémunéré en contrepartie de la production hydroélectrique, à travers la vente de l’électricité au tarif réglementé de vente et l’intégration d’une partie de sa production à l’ARENH. Cette dernière changerait à cette occasion de dénomination, devenant « Accès régulé à l’électricité nucléaire et hydraulique ».

Le critère économique est donc bien rempli.

ii. L’activité est-elle confiée à l’opérateur historique par un acte exprès de la puissance publique ?

Bien que cette condition ne puisse être examinée qu’a posteriori, il n’existe aucun obstacle à ce qu’un acte législatif désigne l’opérateur historique comme gestionnaire du SIEG de la production hydroélectrique.

iii. A-t-elle un caractère d’intérêt général ?

Ainsi que l’a montré la partie du rapport consacrée à l’analyse des conséquences du processus de remise en concurrence, quatre raisons font de l’activité hydroélectrique une activité qui ne peut être considérée comme une activité économique « classique » :

– L’impératif de sécurité des ouvrages : en sus de leur rôle de centrale de production électrique, les barrages jouent un rôle de régulation du niveau des eaux et de protection des populations riveraines contre les inondations. De plus, les conséquences catastrophiques que provoquerait la rupture d’un barrage sont de nature à justifier le contrôle public de l’opérateur en charge de l’exploitation des ouvrages. Enfin, les barrages se trouvant le plus souvent en tête de vallée, leur exploitation a des conséquences sur le refroidissement des centrales nucléaires et, en cas de rupture éventuelle d’un barrage, sur leur potentielle inondation.

– L’impératif de sécurité du système électrique : grâce à leur flexibilité et à la réserve de puissance colossale qu’ils représentent, les ouvrages hydroélectriques jouent un rôle de pivot dans le maintien de l’approvisionnement électrique aux heures de pointe.

– La nécessité d’associer les acteurs locaux à la gestion des cours d’eau : l’exploitation des cours d’eau ne se fait pas sur les seuls critères de rentabilité économique. L’opérateur est contraint de prendre en compte les conséquences de ses décisions sur l’environnement local, ce qui l’amène à dévier de la courbe de production optimale. De telles contraintes justifient d’ailleurs l’existence d’une compensation économique octroyée à l’opérateur.

– L’existence d’une rente hydraulique dont doit bénéficier le consommateur français : la garantie de fourniture de l’électricité à un prix compétitif est, en soi, constitutive d’une mission de service public. Comme l’indique le rapport de la commission Champsaur, les États membres ont la possibilité, en vertu de l’article 3 § 2 de la directive 2003/54/CE d’imposer aux fournisseurs d’électricité des obligations portant sur les prix dans le cadre d’un service public de l’électricité. L’article 3 § 3 précise notamment que : « les États membres veillent à ce que au moins tous les clients résidentiels et, lorsqu'ils le jugent approprié, les petites entreprises (à savoir les petites entreprises sont définies comme des entreprises employant moins de 50 personnes et dont le chiffre d'affaire annuel n'excède pas 10 millions d'euros) aient le droit de bénéficier du service universel, c’est-à-dire du droit d'être approvisionnés, sur leur territoire, en électricité d’une qualité bien définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents ».

La production hydroélectrique remplit donc l’ensemble des critères pour être considérée comme un SIEG.

b. Le bon accomplissement des missions d’intérêt général liées à l’hydroélectricité nécessite la désignation d’un opérateur unique.

L’attribution d’un droit exclusif doit être :

i. Nécessaire : plusieurs opérateurs peuvent-ils opérer sur le parc hydroélectrique français ?

La critique du processus de remise en concurrence établie par le présent rapport est une réponse claire à cette question. Confier la gestion du parc hydroélectrique à plusieurs opérateurs serait susceptible de poser des problèmes :

– de sécurité du système électrique ;

– de transfert des personnels des concessions ;

– de gestion des usages locaux de l’eau ;

– d’augmentation du prix de l’électricité payée par le consommateur français.

Deux points méritent d’être davantage explicités.

S’agissant de la sécurité du système électrique, il est tout à fait clair que le maintien d’un parc intégré au niveau national est nécessaire. EDF joue un rôle important en gérant la ressource hydraulique au niveau national. On observe ainsi que la courbe d’utilisation des ouvrages ne correspond pas à la courbe économiquement optimale. En d’autres termes, EDF fait parfois le choix d’un moindre profit pour diminuer le risque de tension du système électrique au cours de l’hiver. Les décisions de production sont prises notamment en liaison avec le calendrier prévisionnel de gestion du parc nucléaire, pour qu’en cas d’arrêt pour maintenance les barrages puissent assurer le relais.

S’agissant de l’augmentation mécanique du prix de l’électricité, la remise en concurrence est incompatible avec un mécanisme par lequel les concessionnaires entrants mettraient à disposition leur électricité au coût de production.

L’un des moyens de capter la rente hydraulique, c'est-à-dire la différence entre le coût de production des ouvrages hydroélectriques et le prix de marché, est d’imposer une redevance. Dans ce schéma, le concessionnaire valorise l’électricité produite sur le marché, mais la redevance accroît en réalité son coût de production, ce qui sort la rente hydraulique du secteur énergétique. Le processus d’appel d’offre, s’il est bien conçu, conduit à ce que cette rente soit totalement captée. Tout se passe comme si les actifs de production hydroélectriques étaient retirés du marché de l’électricité et remplacés par d’autres dont le coût variable de production équivaut au prix moyen du marché. La redevance modifie le merit order du marché de l’électricité, ce qui entraîne une hausse du prix de marché.

Le problème majeur de cette solution est donc qu’elle aboutit à priver le consommateur du bénéfice de cette rente car la redevance agit comme une taxe sur l’hydroélectricité. L’objectif de compétitivité du prix de l’électricité n’est pas rempli.

À l’inverse, supprimer toute redevance ferait certes bénéficier le consommateur d’une baisse du prix de marché, car l’hydroélectricité viendrait en substitution de moyens de production plus coûteux, mais conduirait à faire profiter les concessionnaires de la plus grande partie de la rente hydraulique.

La seule solution possible est donc de contraindre chaque nouveau concessionnaire à mettre à disposition l’électricité produite au coût de production. Un tel mécanisme existe déjà en droit français, et a été validé par la Commission européenne : il s’agit de l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). L’impératif de sécurité juridique exige de s’inscrire dans ce cadre. Dans un secteur aussi peu lisible que celui de l’énergie, poussé à l’éclatement par les régulations européennes, l’utilisation d’un dispositif en vigueur, dont la gestion serait confiée à un seul acteur, apporte de la stabilité et de la clarté ; à l’inverse, demander à chaque concessionnaire d’être contributeur à l’ARENH, et à la CRE de contrôler les comptes de chacun d’entre eux, introduirait davantage de complexité qu’il n’en existe déjà. La solution proposée a le mérite de la lisibilité et de la simplicité d’exécution : en plus de sa mission d’exploitation du parc nucléaire, l’opérateur historique se verrait confier la gestion des ouvrages hydrauliques, mais serait obligé de mettre à disposition sa production au coût de production. Ce coût serait vérifié par la Commission de régulation de l’énergie.

ii. Proportionnée : peut-on envisager une autre solution ? La désignation de l’opérateur historique comme gestionnaire unique du parc est-elle de nature à lui octroyer une position dominante ?

Toute autre solution conduirait aux inconvénients cités dans l’analyse des conséquences de la remise en concurrence.

La proportionnalité de la mesure envisagée résulte de la condition posée à l’opérateur historique, qui est de l’obliger à mettre à disposition une partie de l’hydroélectricité produite via l’ARENH. L’octroi d’un droit d’exploitation sur l’ensemble du parc n’est donc pas de nature à conformer sa position dominante.

En réalité, cette solution est davantage à même d’accroître la concurrence sur le marché de l’électricité que la mise en concurrence des ouvrages. Dans l’hypothèse où l’opérateur sortant remportait l’ensemble des appels d’offre, l’ouverture du marché serait nulle. La solution proposée offre à l’inverse une garantie d’ouverture.

c. Seule l’entreprise désignée est en mesure d’accomplir ces missions.

Doit-on mettre en concurrence l’ensemble des vallées dès aujourd’hui ? Une telle option n’est pas envisageable. Dans l’hypothèse où un nouvel entrant remporterait l’ensemble des concessions, cela aurait pour conséquence de créer un opérateur hydraulique ex nihilo. Cette opération serait plus déstabilisante pour le système électrique que la remise en concurrence. Les conséquences sociales d’une telle opération pour le personnel de l’opérateur historique seraient également désastreuses. En effet, l’obligation de reprise du personnel étant valable uniquement pour le personnel directement affecté aux concessions, l’ensemble des salariés employés à des fonctions supports seraient dans une situation d’incertitude la plus totale.

*

* *

En conclusion, la compatibilité de la solution « concession unique » avec le droit communautaire n’est pas garantie. Toutefois, elle repose sur le même type de raisonnement que celui tendant à justifier la méthode du barycentre : il s’agit de justifier une dérogation au principe de remise en concurrence en montrant les spécificités de l’activité hydraulique. La simplicité pratique d’une telle solution et son intérêt en termes de politique énergétique française justifient pleinement qu’elle soit défendue devant la Commission européenne.

3. Avantages du scénario « concession unique »

1er avantage : une mise en œuvre très facile

Le scénario « concession unique » nécessiterait peu d’ajustements par rapport à la situation actuelle.

Des dispositions législatives désigneraient l’opérateur historique gestionnaire du service d’intérêt économique général de production hydroélectrique ; elles fixeraient les missions de service public constitutives de ce service et les obligations qui lui seraient attachées ;

D’un point de vue pratique, les conditions d’exploitation du parc resteraient inchangées. Le processus de mise en concurrence, très long et coûteux, serait abandonné. Seules évolueraient les modalités de valorisation de l’électricité produite. Une partie de celle-ci – par exemple 25 %, selon la clé de répartition adoptée pour le nucléaire - serait mise à disposition de tout fournisseur disposant d’un portefeuille de clients sur le territoire français. Rappelons que l’ARENH est un dispositif qui existe déjà et qui a été validé par la Commission européenne. La question du renouvellement des concessions serait donc réglée « en douceur », en s’inscrivant pleinement dans le cadre juridique du système électrique français. Seul changement à envisager, la signification de l’acronyme : l’ARENH ne serait plus l’ « accès régulé à l’électricité nucléaire historique », mais l’ « accès régulé à l’électricité nucléaire et hydraulique ».

Enfin, soulignons que ce scénario apporterait une solution, dès aujourd’hui, pour l’ensemble du parc hydroélectrique français. Dans un contexte de forte incertitude sur l’ensemble des déterminants des marchés de l’énergie, l’hydraulique constituerait ainsi un point fixe sur lequel pourrait s’amorcer la transition énergétique.

2ème avantage : une rente hydraulique qui profite aux ménages et aux électro-intensifs

Le consommateur particulier continuerait de bénéficier de la rente hydraulique à travers les tarifs réglementés de vente. L’intégration de 25 % de l’hydroélectricité à l’ARENH constituerait par ailleurs un signal fort pour les électro-intensifs, qui auraient directement accès à une électricité de pointe au coût de production.

Précisons qu’il ne s’agirait pas de vendre l’hydroélectricité au prix de l’ARENH tel qu’il est fixé aujourd’hui, mais de distinguer deux composantes de l’ARENH : une composante en base, assurée par la production nucléaire, et une composante en pointe, assurée par la production hydraulique.

3ème avantage : une situation inchangée pour les salariés

La solution « concession unique » supprimerait toute problématique sociale car les salariés demeureraient chez l’opérateur historique.

4ème avantage : la protection du caractère intégré du parc hydroélectrique

Le principe d’un parc hydraulique intégré serait réaffirmé, ce qui sécuriserait le processus de transition énergétique et permettrait d’optimiser la production électrique.

5ème avantage : un cadre unique sur l’ensemble du territoire

La création d’une concession unique offrirait la possibilité de discussion d’un cadre national commun, fixant les règles de participation des collectivités territoriales à la gestion des usages de l’eau. Pourrait également être mis en œuvre une obligation de financement de projets locaux en lien avec les usages de l’eau, à la charge du concessionnaire.

6ème avantage : une solution favorable à la concurrence sur le marché de l’électricité

Il est probable que cette solution satisfasse davantage les desseins de la Commission européenne que la remise en concurrence des concessions, dont l’issue est aléatoire. Après tout, rien n’exclut que les concessionnaires sortants remportent tous les appels d’offre ! L’effet en matière d’ouverture du marché de l’électricité serait nulle.

À l’inverse, l’intégration à l’ARENH de 25 % de l’hydroélectricité produite accroîtrait fortement la possibilité pour les nouveaux entrants de concurrencer l’opérateur historique sur le marché de la fourniture.

4. Inconvénient du scénario « concession unique » : une nécessaire négociation avec la Commission européenne

La mise en œuvre d’une telle solution nécessite l’approbation de la Commission européenne. Or, la qualification de l’hydroélectricité en service d’intérêt économique général ainsi que les motifs apportés pour justifier une dérogation à l’obligation de mise en concurrence peuvent être juridiquement contestés car ils reposent sur des éléments économiques et sociaux dont l’importance peut être diversement appréciée.

La Commission a toujours admis l’existence de droits exclusifs aux profits des entreprises de transport et de distribution d’énergie, mais s’est refusée à faire entrer dans le champ des SIEG les activités de production. Il faudrait donc parvenir à lui démontrer que les contraintes posées au concessionnaire unique en termes de mise à disposition de l’électricité hydraulique sont suffisantes.

D. 3ÈME SCÉNARIO : L’EXPLOITATION DES CONCESSIONS HYDRAULIQUES PAR UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC.

1. Principe du scénario

La Cour de justice européenne a reconnu de façon constante la possibilité de déroger au principe de mise en concurrence lorsque l’exploitation du service public s’effectue en quasi-régie. Les juristes parlent d’une exploitation in house. Une telle dérogation à l’obligation de mise en concurrence, permise par la loi Sapin, est cependant soumise à deux conditions :

i. la collectivité publique concédante doit exercer sur l’établissement chargé de l’exploitation un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ;

ii. le concessionnaire doit exercer l’essentiel de son activité pour elle.

Le principe de cet autre scénario alternatif à la mise en concurrence est de proposer un schéma qui respecte les critères jurisprudentiels de l’exploitation in house ». L’activité hydraulique d’EDF serait filialisée, puis rachetée par l’État et transformée en établissement public.

Un établissement public dont l’activité exclusive est l’exploitation des concessions hydroélectriques remplit l’ensemble des critères pour être déchargé de l’obligation de publicité et de remise en concurrence. Cette solution est donc parfaitement compatible avec le droit communautaire.

2. Compatibilité vis-à-vis du droit communautaire

Pour démontrer la compatibilité d’un tel scénario avec le droit communautaire, il convient de prouver que :

i. L’État, autorité concédante, exercerait un contrôle total de la nouvelle entité chargée de l’exploitation.

Cette condition ne pose pas de difficultés du fait du contrôle capitalistique intégral de l’État sur l’entité créée. Il faudrait cependant étudier la possibilité d’associer les collectivités territoriales à la gestion de l’établissement public chargé de l’exploitation des barrages. La Cour de justice de l’Union européenne a récemment admis la collaboration de plusieurs entités publiques pour le contrôle d’une entité concédante in house.

ii. L’établissement public concessionnaire réaliserait l’essentiel de son activité avec l’État.

De même que dans le schéma précédent, l’opérateur unique chargé de la gestion du parc hydraulique français ne pourrait valoriser l’électricité produite sur le marché. Il serait contraint de mettre à disposition cette électricité via l’ARENH. Ce schéma permet de considérer que la seconde condition du in house est remplie. En effet, la gestion de l’ARENH relevant du pouvoir réglementaire du ministre de l’énergie, l’établissement public ainsi créé réalise bien l’essentiel de son activité avec l’État.

Cette condition prive l’autorité concédante de la possibilité de concurrencer d’autres acteurs sur le marché. Cela signifie que l’établissement public ainsi créé devrait mettre l’intégralité de sa production à disposition dans un cadre régulé.

3. Avantages du scénario « établissement public »

1er avantage : une rente hydraulique qui profite aux ménages et aux électro-intensifs

À partir de 2017, les tarifs réglementés de vente seront construits par addition du prix de l’ARENH et du coût complémentaire de la fourniture. Ce scénario aurait donc les mêmes conséquences que le scénario précédent pour le prix de l’électricité acquitté par le consommateur : il est financièrement équivalent pour EDF de produire l’électricité ou d’en bénéficier via le mécanisme de l’ARENH. L’hydroélectricité continuerait donc de tirer à la baisse les tarifs des ménages.

Dans le même temps, en laissant aux électro-intensifs l’accès à l’ARENH, ces derniers pourraient bénéficier d’une électricité en période de pointe au coût de production.

2ème avantage : une possibilité d’association directe des collectivités à la gestion des usages de l’eau

La création d’un opérateur dédié à l’exploitation des concessions serait l’occasion de renouveler la gouvernance des cours d’eau. Le modèle de la CNR pourrait être transposé à l’identique :

– par la présence des élus locaux au conseil d’administration national et aux conseils locaux ; il faudrait toutefois veiller à limiter le contrôle des collectivités territoriales sur cet établissement, sans quoi le respect du premier critère du in house (l’autorité concédante doit exercer un contrôle du concessionnaire similaire à celui qu’elle exerce sur ses propres services) ne serait plus garanti ;

– par le financement de missions d’intérêt général, dont le contenu ferait l’objet d’un travail de concertation.

Que l’opérateur soit spécialisé, et non une simple branche d’activité d’EDF, favoriserait également la prise en compte de la problématique environnementale.

3ème avantage : un contrôle total des outils de production hydroélectriques

L’exploitation en quasi-régie sous la forme d’un établissement public constituerait une garantie de maintien du contrôle public des ouvrages hydrauliques. À terme, il n’y aurait pas non plus de concurrence entre opérateurs situés sur une même chaîne, l’ensemble des ouvrages étant destinés à intégrer le portefeuille de l’établissement public.

Dans un contexte de libéralisation croissante, la sanctuarisation du contrôle public sur les actifs stratégiques que sont les barrages constitue un signal fort.

4ème avantage : une solution dès aujourd’hui pour l’ensemble du parc

L’établissement public serait doté du portefeuille de contrats de concession auparavant propriété d’EDF. Chacun de ces contrats pourrait être renouvelé à échéance, du fait de l’exonération de l’obligation de mise en concurrence. Dans le schéma proposé, nous avons donc la garantie que le parc hydraulique sera exploité par le même acteur, et ce sans limite de durée.

5ème avantage : des perspectives claires pour les salariés

Selon l’article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par cession, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. Toutefois, avant que la cession n’intervienne, il est possible de signer un protocole d’accord qui prévoie un droit de reprise. Lors du changement de contrôle de la filiale hydroélectricité, les salariés auraient le choix de rester salariés du concessionnaire sortant ou bien de changer d’employeur au moment du transfert des ouvrages.

De ce point de vue, la situation peut sembler proche du schéma d’une mise en concurrence classique. Cependant, la différence d’approche serait bien différente car ils auraient la possibilité d’intégrer un opérateur national, spécialisé dans l’hydroélectricité, exploitant l’ensemble du parc, et non un énergéticien étranger, ayant la concession d’une poignée d’ouvrages en France et disposant de la plupart de ses fonctions support hors des frontières.

6ème avantage : une solution favorable à la concurrence sur le marché de l’électricité

De même que dans le scénario précédent, cette solution est favorable à l’ouverture du marché de l’électricité. La mise à disposition des fournisseurs de l’ensemble de l’électricité produite via l’ARENH donnerait des garanties particulièrement fortes à la Commission européenne quant à l’euro-compatibilité d’un tel scénario.

4. Inconvénients du scénario « Établissement public »

1er inconvénient : le coût du rachat par la puissance publique

Cette solution imposerait le rachat de l’ensemble des concessions non encore échues. À titre d’estimation, l’actif des concessions hydroélectriques est valorisé à 7,2 milliards d’euros dans le bilan d’EDF. L’État possédant 84 % d’EDF, le coût net d’un tel rachat s’élèverait donc à 1,150 milliard d’euros.

Soulignons néanmoins que l’établissement public ainsi créé dégagerait des bénéfices – le prix de l’ARENH inclut une rémunération « économiquement raisonnable » des capitaux investis. Il ne s’agit donc pas d’une dépense, mais d’un véritable investissement d’avenir. Le scénario « établissement public » garantit en outre que l’intégralité de la rente hydraulique bénéficie soit au consommateur soit directement à l’État, contrairement à la situation actuelle dans laquelle une partie des dividendes (16 %) revient aux actionnaires minoritaires. En cas d’ouverture des concessions à la concurrence, la dispersion de la rente hydraulique serait encore plus importante, via le versement de dividendes aux actionnaires des nouveaux entrants.

2ème inconvénient : la perte de l’activité hydroélectrique pour EDF

Il est clair qu’une telle solution demanderait des efforts d’adaptation de la part de l’entreprise EDF, qui a déjà été fortement déstabilisée par les règles issues des directives européennes en matière d’énergie.

Cette évolution n’en est pas moins réalisable : c’est le processus qui a donné lieu à la CNR telle que nous la connaissons aujourd’hui, c'est-à-dire un exploitant d’électricité indépendant, disposant de sa propre salle de marché.

E. 4ÈME SCÉNARIO : PASSER DU RÉGIME DE LA CONCESSION À CELUI DE L’AUTORISATION

1. Principe du scénario

Si le régime de la concession est soumis à des obligations de remise en concurrence, rien n’est prévu pour des ouvrages qui seraient la propriété de l’exploitant. C’est grâce à ce régime que la plupart des grands pays européens de l’hydraulique arrivent à échapper à l’obligation de remise en concurrence.

En France, seules les installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW sont soumises au régime d’autorisation. Le principe de ce troisième scénario serait d’étendre ce régime à l’ensemble des installations hydroélectriques.

Un tel mécanisme a déjà été utilisé à deux reprises :

– lors du transfert à EDF de la propriété du réseau de transport d’électricité, par l’article 4 de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier ;

– lors du transfert à GDF, à Gaz du Sud-Ouest (GSO) et à la Société Elf-Aquitaine de réseau (SEAR) du réseau de transport de gaz, par l’article 81 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001. Contrairement au cas précédent, le transfert s’est effectué à titre onéreux et non à titre gratuit.

Le dispositif en trois étapes prévu par l’article 81 de la loi de finances rectificative pour 2001 pourrait être repris (7) :

- Étape 1 : la résiliation de l’ensemble des contrats de concession et le paiement d’indemnités d’éviction au concessionnaire sortant.

- Étape 2 : le transfert des actifs hydrauliques à une « compagnie nationale hydraulique », dont la loi et les statuts prévoient qu’elle doit rester majoritairement publique.

- Étape 3 : la prise de participation du concessionnaire sortant dans la société créée, par le réinvestissement des indemnités d’éviction, à un niveau strictement inférieur à 50 %. Rappelons que le capital de la CNR est détenu à 50,03 % par des autorités publiques et à 49,97 % par GDF Suez.

2. Compatibilité vis-à-vis du droit communautaire

Étudier la compatibilité du schéma proposé vis-à-vis du droit communautaire revient à montrer qu’il n’existe pas de différences objectives entre le scénario proposé et les deux exemples passés de basculement vers le régime de l’autorisation :

– La transformation d’EDF en société anonyme ne constitue pas un obstacle, car une partie du réseau de transport de gaz a été transférée à des sociétés anonymes, GSO et SEAR.

– Si la directive 96/92/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ouvrait la possibilité d’une désignation directe du gestionnaire du réseau d’électricité (article 7§1), il n’existait pas de disposition similaire dans la directive 98/30/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, dont l’article 6 dispose que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les entreprises de transport, de stockage et de GNL agissent conformément aux dispositions des articles 7 et 8 ». La situation du parc hydraulique peut donc être considérée comme similaire à celle du réseau de transport de gaz au regard des dispositions des directives sectorielles.

– La Commission européenne a toujours reconnu la spécificité des industries de réseau, du fait de leur caractère de monopole naturel. Les économistes considèrent qu’une activité est un monopole naturel lorsque le coût de production est inférieur avec une seule entreprise exploitante qu’avec plusieurs. Dans le cas de l’hydroélectricité, avoir une même entreprise sur l’ensemble du parc hydraulique permet de disposer d’un parc intégré et d’optimiser la production. L’exploitation des cours d’eau peut donc être également qualifiée de monopole naturel.

Si le transfert du réseau de transport électrique à RTE constitue un cas à part, il n’existe pas de différences objectives entre le scénario de basculement du parc hydraulique vers le régime d’autorisation et l’opération réalisée en 2001 sur le réseau de transport de gaz. Cette dernière n’ayant fait l’objet d’aucune contestation et d’aucune action de la Commission européenne, la compatibilité avec le droit de l’Union européenne peut donc être admise.

3. Avantages de la solution « autorisation »

1er avantage : une rente hydraulique qui profite aux ménages et aux électro-intensifs

Le schéma retenu serait le même que dans le scénario précédent, à la différence près que la compagnie nationale hydraulique ainsi créée pourrait vendre une partie de l’électricité produite sur le marché (car le second critère du in house n’aurait pas à être respecté). Le maintien de prix bas pour les consommateurs et les électro-intensifs serait donc assuré.

2ème avantage : régler dès aujourd’hui l’avenir de l’ensemble du parc hydroélectrique

Le passage à un régime d’autorisation règlerait la question du calendrier d’échéance des contrats de concession. Désormais, l’exploitation des ouvrages serait confiée à la compagnie nationale hydraulique sans limite de durée.

3ème avantage : une possibilité d’association directe des collectivités à la gestion des usages de l’eau

Il pourrait être envisagé le même type de participation des collectivités territoriales que dans le cas de la CNR :

– Une présence au conseil d’administration de la compagnie nationale ;

– Un financement de missions d’intérêt général, dont le contenu serait défini en concertation avec les collectivités.

4ème avantage : le maintien d’un opérateur unique sur l’ensemble du parc

Si la formule d’une compagnie nationale donne moins de garanties que celle d’un établissement public, elle présente tout de même l’avantage de maintenir le principe d’un exploitant national du parc hydraulique à capital majoritairement public.

5ème avantage : des perspectives claires pour les salariés

Ce schéma offrirait une configuration favorable aux salariés. Conformément au droit du travail, les contrats de travail seraient transférés au nouvel employeur, tandis que la présence au capital de l’ancien concessionnaire faciliterait les passerelles entre les deux entités, leur garantissant ainsi des possibilités d’évolution de carrière intéressantes.

6ème avantage : une solution favorable à la concurrence sur le marché de l’électricité

Comme dans la solution précédente, le fait d’alimenter l’ARENH avec l’électricité hydraulique offre des possibilités supplémentaires aux fournisseurs alternatifs de concurrencer l’opérateur historique.

4. Inconvénient de la solution « autorisation » : un risque dans l’éventualité d’une privatisation de l’opérateur hydraulique

La sortie du régime de la concession signifie que l’État perd la propriété des actifs hydrauliques. Le risque est qu’en cas de privatisation de l’établissement, ces actifs soient cédés à un opérateur privé.

Si un tel risque ne doit pas être sous-estimé, rappelons tout de même que le réseau de transport d’électricité, qui constitue un enjeu de sécurité et d’indépendance nationale encore plus important, est lui aussi sous le régime de l’autorisation.

De plus, il est possible d’envisager des dispositions législatives imposant que le capital de la compagnie nationale créée soit à majorité publique. L’introduction de plusieurs acteurs au capital de la société (CDC, collectivités, EDF) et l’attribution à l’État d’une action spécifique (golden share) pourraient également constituer des garanties.

CONCLUSION

Depuis le début du XXème siècle, l’hydroélectricité constitue une force française : socle de l’industrialisation des vallées de montagne, puis de l’émergence d’électro-intensifs de dimension internationale, elle a également pris une place décisive dans le parc électrique français, contribuant à faire de celui-ci l’un des plus compétitifs au monde. Rares sont les secteurs industriels qui ont connu un succès aussi franc et durable.

Pourtant, la mise en concurrence propose ni plus ni moins que de réduire à néant le fruit d’un siècle de politiques industrielles et énergétiques cohérentes. Une concertation, un débat au Parlement se sont-ils tenus pour entériner un choix stratégique aussi décisif ? Le sujet a été passé sous silence, au prétexte d’une prétendue fatalité juridique européenne, et au détriment de l’intérêt général.

Les scénarios présentés dans le présent rapport constituent des pistes de travail. Ils n’ont pas vocation à être appliqués tels quels, mais à servir de base de réflexion à partir de laquelle construire le futur cadre de régulation de l’hydroélectricité française. Nous souhaitons qu’une véritable discussion s’engage, rassemblant l’ensemble des acteurs de l’hydroélectricité, mais aussi de l’énergie et de l’industrie au sens large, pour que le meilleur équilibre émerge. Ce n’est qu’à cette condition que le parc hydraulique français demeurera un formidable outil au service des emplois, de la lutte contre le changement climatique et de la croissance des prochaines décennies.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 3 avril 2013, la commission a entendu le point d’étape sur le rapport d’information sur l’hydroélectricité de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann.

M. le président François Brottes. Je passe tout de suite la parole à Madame Battistel et M. Straumann pour un point d’étape sur l’avancement de la mission d’information sur l’hydroélectricité dont ils sont les rapporteurs.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Les travaux de notre mission ont été lancés suite à l’audition de Mme la ministre Delphine Batho par la Commission des affaires économiques le 24 octobre dernier. Suite à l’une de mes questions, elle avait indiqué qu’elle recherchait des alternatives à la mise en concurrence des concessions hydrauliques. M. le président, vous avez alors souhaité confier à M. Straumann et moi-même une mission qui examinerait les différentes possibilités. Au cours de nos travaux, nous avons auditionné plus d’une centaine de personnes, et nous souhaitions vous présenter aujourd’hui l’état d’avancement de notre réflexion sur le sujet.

L’hydroélectricité est considérée, depuis sa création au 19ème siècle, comme un bien national. La loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, énonce que « nul ne peut disposer de l’énergie […] des cours d’eau sans une concession ou une autorisation de l’État ». Une grande partie des dispositions de cette loi sont encore en vigueur aujourd’hui.

L’hydroélectricité conserve encore aujourd’hui un rang à part dans notre mix énergétique. Cela tient à 4 raisons essentielles que mon collègue M. Straumann va vous exposer.

M. Éric Straumann, rapporteur. En premier lieu, l’hydroélectricité constitue, avec le nucléaire, l’un des deux piliers du mix électrique français : avec 70 TWh produits en moyenne chaque année, soit 12 % de la production d’électricité, et 25 GW de puissance installée, soit 20 % de la puissance installée sur le territoire national, c’est l’un des maillons essentiels de la sécurité d’approvisionnement des usagers français.

Elle représente également plus de 80 % de la production d’électricité d’origine renouvelable et 20 % de la production totale d’énergie d’origine renouvelable, ce qui la rend déterminante dans l’atteinte des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle des investissements – 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici 2020.

Rassemblant 66 % du parc de production de pointe et d’extrême pointe, il s’agit du moyen de production le plus flexible et le plus modulable. La centrale de Grand’Maison, en Isère, que nous avons visitée, offre par exemple une puissance de 1 800 MW – l’équivalent de deux réacteurs nucléaires – mobilisables en trois minutes seulement. De telles propriétés sont précieuses dans le contexte énergétique européen. La part des sources d’énergie intermittentes dans le mix électrique européen s’accroît rapidement, nécessitant le développement parallèle de moyens de production flexibles, susceptibles de démarrer ou de s’arrêter rapidement en cas de variations importantes de la production. Les barrages constituent les moyens privilégiés de cet ajustement instantané de l’offre et de la demande. Gérés en temps réel pour valoriser au mieux la ressource hydraulique, ils turbinent en heure de pointe, lorsque les prix sont élevés, et reconstituent leurs réserves en heure creuse, lorsque l’électricité est bon marché. Quant aux STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), elles constituent un instrument dédié spécifiquement à l’optimisation du système électrique. Alors que plusieurs pays européens ont lancé d’ambitieux programmes de développement des STEP, on compte un seul projet français, Redenat sur la Dordogne. L’ensemble de ces éléments font de l’hydroélectricité un moyen de production tout à fait déterminant à la réussite de la transition énergétique.

Enfin, l’hydroélectricité est le moyen de production d’électricité le plus compétitif, de l’ordre de 25 à 30 euros par mégawattheure (€/MWh) contre 42 €/MWh pour l’électricité nucléaire vendue dans le cadre de l’ARENH et 50 €/MWh pour l’électricité valorisée sur le marché. La compétitivité de l’hydroélectricité est le point de départ de l’aventure de la « houille blanche » : de nombreux groupes industriels (Péchiney, Alcan, etc.) se sont développés dans les vallées alpines pour se brancher en direct sur les barrages. Plus d’un siècle plus tard, ces ouvrages offrent toujours au consommateur industriel ou particulier une électricité à un prix stable et bon marché. Tandis que les centrales nucléaires nécessitent des investissements de mise à niveau et que, dans le même temps, le soutien au photovoltaïque et à l’éolien impose de mobiliser des ressources financières nouvelles, l’énergie hydraulique constitue au contraire un facteur de stabilité du prix de l’électricité.

De l’hydroélectricité dépendent en réalité beaucoup d’autres décisions de politique énergétique, ce qui justifie qu’elle soit replacée au centre du débat sur la transition énergétique. L’objectif de notre mission est de poser les bases d’un régime juridique adapté : sa spécificité et son importance dans le mix énergétique national plaident en faveur de la mise en place d’un cadre particulièrement protecteur.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. À ce titre, 2 enjeux différents doivent être distingués. S’agissant de la petite hydroélectricité, des contraintes environnementales empêchent son développement ; nous avons donc cherché à étudier comment concilier la possibilité de relancer les projets de petites centrales et un niveau de protection de la qualité écologique des cours d’eau très élevé. Je rappelle que la très grande majorité de ces petites centrales sont soumises au régime de l’autorisation, applicable aux installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW.

Mais la question traitée par le rapport au sujet de laquelle l’attente est la plus forte est bien évidemment celle du devenir des concessions hydrauliques, c’est-à-dire des ouvrages dont la puissance est supérieure à 4,5 MW. Il s’agit d’une question majeure, car ils représentent 93 % de la production hydroélectrique française. Nous avons pu constater au cours de nos travaux à quel point ce sujet déchaînait les passions des acteurs du secteur de l’énergie : pas moins de 12 entreprises, venant de 7 pays différents, ont confirmé leur intention d’exploiter les centrales françaises.

Nous évoquerons, dans un premier temps, la question du devenir de la petite hydroélectricité. Nous déplorons que cette dernière soit la grande oubliée des questions énergétiques – au même titre que l’hydroélectricité en général.

Les installations hydroélectriques bénéficiant d’un contrat d’obligation d’achat produisent annuellement 5,4 TWh d’électricité. Leur coût pour la CSPE est faible : selon les chiffres donnés par la CRE, il s’élève à 71 €/MWh produit en 2013. Par comparaison, ce chiffre est de 89 €/MWh pour l’éolien et 459 €/MWh pour le photovoltaïque. Alors que ces chiffres plaident pour un développement de cette source d’énergie verte, on constate que le rythme de développement de la petite hydroélectricité est bien en deçà des objectifs fixés.

Les acteurs de l’hydroélectricité, réunissant petits producteurs et associations de défense de l’environnement, ont signé, en juin 2010, une convention d’engagements « pour le développement d’une hydroélectricité durable en cohérence avec la restauration des milieux aquatiques ». Elle fixe un objectif de développement de la production hydroélectrique de 3 TWh d’ici à 2020. Repris par la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité, il constitue l’une des composantes de la stratégie française de développement des énergies renouvelables. Cela signifie que pour atteindre la cible de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici à 2020, la France doit parvenir à cet objectif de développement de 3 TWh. Pourtant, la trajectoire de production d’électricité par des installations hydrauliques stagne depuis 2008.

En réalité, la mise en valeur du potentiel existant est freinée par deux facteurs. Le premier est la nécessité pour les petits producteurs de basculer des tarifs d’achat vers le marché, ce qui est une opération difficile.

Je rappelle que, si, par principe, un contrat d’obligation d’achat ne peut être renouvelé, la loi prévoit deux exceptions. D’une part, la loi NOME a introduit une disposition particulière pour les installations bénéficiant d’un contrat d’achat « 97 », arrivant à échéance à partir de 2012 : ces contrats pourront être renouvelés une fois à leur échéance aux mêmes conditions et pour une durée de quinze ans, sous réserve de la réalisation d’un programme d’investissement. Ce programme d’investissement a été défini par un arrêté récent, datant du 10 août 2012.

D’autre part, réaliser des investissements importants visant à accroître les performances environnementales et énergétiques de l’installation ouvre droit à un nouveau contrat d’obligation d’achat, dit de « rénovation ». Ce contrat « rénovation » présente un défaut : il introduit un effet de seuil important, qui incite les producteurs à limiter le gain de puissance de leur ouvrage pour ne pas dépasser la barrière des 400 kW. C’est pourquoi il serait nécessaire de supprimer cet effet de seuil.

Quant aux autres installations, pour lesquelles aucun investissement n’est nécessaire, elles ne pourront bénéficier d’un nouveau contrat (contrat « rénovation ») ou d’une prolongation de leur ancien contrat (contrat « loi NOME »). Perdant le bénéfice de l’obligation d’achat, elles seront donc contraintes de valoriser leur électricité sur le marché. Il s’agit d’une véritable rupture : les exploitants qui, jusqu’à présent, n’avaient à se soucier que du fonctionnement technique de leur installation, doivent désormais prendre en charge l’aspect économique, ce qui nécessite la maîtrise de compétences spécifiques.

Des acteurs (agrégateurs, coopératives) développent des offres de service spécifiques à destination des petits hydrauliciens pour les aider à assurer cette nouvelle activité. De telles structures sont nécessaires, à condition que le rapport de force ne soit pas défavorable aux producteurs, notamment quand ce sont des particuliers.

En résumé, l’équation économique de la petite hydroélectricité a des solutions, mais deux inconnues : la suppression de l’effet de seuil du contrat « rénovation » et le contrôle par l’État du bon fonctionnement des agrégateurs de production.

Deuxième frein au développement de la petite hydroélectricité, les contraintes environnementales n’intègrent pas suffisamment la spécificité de ce moyen de production.

La directive cadre sur l’eau de 2000 introduit le principe de continuité écologique des cours d’eau, transposé dans le droit français par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006 puis par la loi Grenelle II. Les cours d’eau qui doivent être soumis à une protection particulière en raison de leur intérêt écologique font l’objet d’un classement, prévu par le code de l’environnement : soit le classement en liste 1, pour les cours d’eau sur lesquels les exigences doivent être les plus élevés ; dans ce cas, aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique ; soit le classement en liste 2 ; ce régime est moins strict que le classement en liste 1, mais prévoit quand même que tout ouvrage placé sur un cours d’eau classé en liste 2 doit être géré et entretenu selon des règles définies par l’autorité administrative compétente.

Ces dispositions divisent par trois le potentiel hydroélectrique des sites vierges pouvant faire l’objet de nouvelles installations.

En effet, l’Union Française de l’Électricité (UFE) a identifié, en septembre 2011, un potentiel hydroélectrique « brut » – c’est-à-dire avant examen de la faisabilité technique, économique et environnementale des projets – de 10,6 TWh, se répartissant en création d’ouvrages neufs (9,5 TWh) et équipement d’ouvrages existants (1,1 TWh). En croisant les données de potentiel avec les projets de classement en liste 1, où tout projet faisant obstacle à la continuité écologique sera interdit et où de ce fait aucune demande ne sera instruite, ce potentiel est réduit de 75 %. Dans cette hypothèse, l’objectif d’accroissement de la production hydroélectrique française de 3 TWh à l’horizon 2020 est très compromis.

Il apparaît donc nécessaire de procéder à un rééquilibrage des classements des cours d’eau, en préservant d’un classement en liste 1 les zones propices à l’hydroélectricité qui ne présentent pas un intérêt écologique majeur et à la condition que les ouvrages construits soient dotés de dispositifs destinés à favoriser la continuité écologique des cours d’eau. De tels équipements existent. En procédant au cas par cas et en joignant systématiquement une étude d’impact à tout nouveau projet, il nous semble que ce rééquilibrage ne nuirait pas à la richesse des fleuves et rivières français. À ce titre, soulignons que les sites à potentiel hydroélectrique ne concernent que 4 % du linéaire des cours d’eau classés.

Si certains arrêtés de classement sont déjà parus, ceux relatifs aux bassins Rhône-Méditerranée et Adour-Garonne, les deux zones à plus fort potentiel hydroélectrique, sont en cours de discussion, et il est donc tout à fait essentiel de peser, dès maintenant, sur leur élaboration.

Les grands ouvrages hydroélectriques sont également à un moment clé de leur existence. Je vais laisser le soin à mon collègue de vous rappeler, dans un premier temps, le contexte juridique.

M. Éric Straumann, rapporteur. Les grands barrages hydroélectriques français sont la propriété de l’État, qui en concède l’exploitation par le biais de contrats.

Attachés à ces contrats, des cahiers des charges des concessions définissent les obligations du concessionnaire vis-à-vis de l’autorité concédante. Le bénéfice de la concession a été attribué, dans la très grande majorité des cas, pour une durée de 75 ans, mais à des dates différentes, selon l’année de construction des ouvrages. Par conséquent, les dates d’échéance de chaque concession s’échelonnent dans le temps selon un calendrier très étalé : 16 contrats arrivent à échéance avant 2015, tandis que d’autres courent jusque dans la décennie 2060. Héritages de l’histoire industrielle française, les concessions hydroélectriques sont exploitées à 80 % par l’opérateur national EDF, qui voyait, jusqu’à une date récente, ses contrats de concession renouvelés de gré à gré. Les 20 % restants sont détenus par la CNR.

Cette procédure n’est plus utilisable en l’état actuel de la législation, en raison de deux évolutions juridiques majeures.

La loi sur l’eau du 30 décembre 2006 a supprimé le « droit de préférence » qui était prévu par la loi du 16 octobre 1919 susmentionnée ; cette suppression a été exigée par la Commission européenne, au motif que le droit de préférence engendrait une distorsion de concurrence incompatible avec la libéralisation du marché intérieur de l’électricité.

La loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », prévoit une exception à l’obligation de mise en concurrence lors de l’attribution d’une délégation de service public si ce service public est confié à un établissement public. En transformant EDF en société anonyme, la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières a fait rentrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public.

Le droit actuel prévoit donc que le régime de la concurrence entre opérateurs s’impose désormais dans le renouvellement des concessions hydroélectriques.

La procédure de remise en concurrence a été lancée depuis 2006 et le cadre en a été posé par des textes réglementaires datant de 2008.

À l’échéance de chaque contrat de concession, un appel d’offres sera lancé, auquel pourront candidater l’ensemble des opérateurs du secteur de l’énergie. Dans un premier temps, l’administration vérifiera que les exigences minimales sont atteintes, notamment celles relatives à la sécurité. Si l’une de ces exigences au moins n’est pas respectée, l’offre sera systématiquement rejetée. Dans un deuxième temps, les offres seront notées au regard de trois critères.

Un critère énergétique : seront favorisés les projets présentant des investissements de modernisation des installations existantes ou des équipements nouveaux qui augmentent la performance et le productible des ouvrages.

Un critère environnemental : les ouvrages devront concilier la protection des écosystèmes et les usages de l’eau autre qu’énergétiques (protection des milieux aquatiques, soutien d’étiage, irrigation,…).

Un critère économique, la maximisation du taux de la redevance proportionnelle au chiffre d’affaires de la concession proposée par le candidat. Il est pour l’instant envisagé la mise en place d’un plafond à cette redevance, qui a pour vocation de limiter l’impact du critère économique sur les deux autres critères, et permet d’envoyer un signal fort aux candidats sur les attentes de l’État en matière énergétique ou environnementale.

Le programme de renouvellement des concessions par mise en concurrence a été annoncé par le ministre en charge de l’énergie le 22 avril 2010.

M. le président François Brottes. Le ministre d’alors, non le ministre actuel.

M. Éric Straumann, rapporteur. C’est exact. Ce programme de renouvellement porte sur 10 vallées, pour une puissance totale de 5 300 MW, soit 20 % du parc. Les concessions incluses dans ce programme sont celles dont la date d’échéance est la plus proche ; toutefois, afin d’attribuer conjointement les ouvrages situés sur une même chaîne, il a été procédé à des regroupements d’aménagements hydrauliques en mettant un terme à certaines concessions de façon anticipée. Pour ces dernières, les candidats devront indemniser le concessionnaire sortant en lui versant une soulte d’un niveau équivalent à la perte économique consécutive à la réduction de la durée de la concession.

Il est important de noter que ce regroupement n’a pas été effectué pour toutes les chaînes : dans certains cas, la date d’échéance des contrats étant très éloignée, le montant de la soulte aurait été particulièrement élevé, ce qui aurait constitué un trop grand obstacle financier pour les concurrents au concessionnaire sortant.

Sur le territoire des concessions concernées, un processus de concertation locale a été engagée : la démarche GEDRE (gestion équilibrée et durable de la ressource en eau) d’écoute et de consultation locale. Menée par les préfets coordonnateurs et les DREAL, elle a pour objectif de définir les enjeux prioritaires pour les acteurs locaux. Parallèlement, les concessionnaires sortants ont remis leurs dossiers de fin de concession, et des réunions de concertation ont eu lieu avec les candidats potentiels en 2012.

Si la procédure a passé quelques étapes, il reste tout de même un travail considérable à fournir. Pour chaque concession, il s’agira d’examiner le dossier de fin de concession remis par le concessionnaire, de rédiger le cahier des charges, de lancer les appels d’offre, d’examiner les offres reçues, puis, une fois chaque concession attribuée, d’organiser le transfert de l’exploitation de l’ouvrage au candidat vainqueur. Contrairement au parc électronucléaire, le parc hydroélectrique n’est pas standardisé, ce qui impose un travail au cas par cas coûteux en temps et en ressources humaines.

Il apparaît néanmoins cinq difficultés majeures nécessitant la révision du cadre actuel du renouvellement des concessions, que ma collègue va désormais vous présenter.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Première difficulté, et elle est de taille, aucun autre pays européen n’ouvre son parc hydroélectrique.

Issus de pays voisins de la France, les candidats à la reprise des concessions hydroélectriques invoquent largement le droit européen pour justifier de la nécessité d’une mise en concurrence du parc hydraulique national.

Mais la France est la seule à se lancer dans une telle procédure. Les autres pays européens appliquent des régimes différents qui leur permettent de contourner la nécessité d’une mise en concurrence. Trois cas différents peuvent être distingués. Premier cas, les ouvrages hydrauliques sont sous le régime de l’autorisation : sous la propriété d’un opérateur national – très souvent public –, ils ne sont pas soumis, par définition, aux règles applicables aux concessions. C’est le cas de la Suède.

Deuxième cas, l’exploitation de la force hydraulique est soumise à un régime mixte combinant autorisation et concession ; dans de tels pays (Allemagne, Espagne), les règles du jeu sont particulièrement complexes pour les nouveaux entrants.

Dernier cas, certaines règles réduisent les possibilités offertes aux candidats à la reprise des concessions non nationaux ; par exemple, en Norvège, tout candidat à l’attribution d’une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s’il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium (de type SEM) avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne.

Le cas de non-réciprocité le plus flagrant est celui de la Suisse, pays dans lequel les directives sectorielles sur l’énergie ne sont même pas applicables : doit-on ouvrir nos concessions à des entreprises dont le but est de pénétrer le marché unique, sans que ces mêmes entreprises ne se conforment aux règles communautaires sur leur territoire national ?

Deuxième difficulté, en remettant en concurrence les concessions, on perd définitivement le contrôle sur la production d’électricité la plus compétitive du mix énergétique.

Le parc hydroélectrique français se caractérise par deux qualités déterminantes : sa flexibilité et sa compétitivité. Nous ne détaillerons pas davantage le rôle de clé de voûte du système électrique joué par les barrages, pour nous concentrer sur l’impact de la mise en concurrence sur le prix de l’électricité payé par le consommateur français.

Le parallèle avec le cas du nucléaire est particulièrement éclairant. Sous la pression européenne, la France a été contrainte de mettre en place le mécanisme de l’ARENH pour permettre aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF sur le marché français. Toutefois, comme le parc nucléaire historique est une propriété des Français, l’article L. 336-2 du code de l’énergie pose une condition fondamentale : les fournisseurs ont un droit à l’ARENH qui correspond aux besoins de leurs clients français.

Avec le processus de remise en concurrence, aucune condition similaire ne pourrait être imposée pour l’hydraulique : l’exploitant disposerait à sa guise de l’électricité produite et pourrait donc alimenter des clients hors du territoire national. Les consommateurs d’électricité français, qui ont financé la construction des barrages, ne bénéficieraient plus de l’électricité compétitive qui en est issue.

Cette question revêt une importance majeure pour la survie d’une industrie électro-intensive sur notre territoire. L’hydroélectricité est historiquement liée au développement de certaines activités, comme la production d’aluminium. Mais ce particularisme fort qu’est le lien entre électro-intensifs et hydroélectricité dans les régions montagneuses est désormais menacé. Les électro-intensifs qui ont des usines en France, comme FerroPem, dont nous avons visité le site, Alteo,  Rio Tinto Alcan, Métaux Spéciaux , Ugitech, etc. sont particulièrement touchés par la concurrence des sites industriels situés hors d’Europe qui, eux, continuent à bénéficier de conditions tarifaires particulièrement intéressantes. Le tarif L québécois, ou bien les prix négociés islandais atteignent respectivement 32 €/MWh et 20 à 25 €/MWh, coût du transport compris. Pour les groupes possédant leurs propres ouvrages, au Brésil, dans certains États américains, en Norvège, en Ecosse, au Québec, en Colombie Britannique, en Russie, la situation est encore plus favorable.

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, la question se pose donc de recréer un instrument de politique énergétique qui permette de renforcer la compétitivité du site France pour les électro-intensifs. En tout état de cause, la remise en concurrence des concessions hydrauliques irait à l’encontre d’un tel objectif.

Troisième difficulté, le découpage inadéquat des vallées remises en concurrence désoptimise le système et rend l’exploitation des barrages particulièrement complexe.

Les différents contrats de concession arrivent à échéance selon un calendrier échelonné dans le temps. Dans la grande majorité des cas, des ouvrages situés dans une même vallée sont remis en concurrence dans un intervalle de temps très important

Cette situation rend le renouvellement des contrats « au fil de l’eau » particulièrement inadapté. En effet, les ouvrages situés sur une même vallée sont dans une situation de dépendance hydraulique forte. En segmentant la mise en concurrence, plusieurs exploitants différents pourraient se retrouver à exploiter des ouvrages qui se suivent. Le résultat des exploitants se situant à l’aval dépendrait des décisions de ceux qui se trouvent à l’amont, ce qui donnerait lieu à de nombreuses contestations possibles.

Permettez-moi de vous décrire une situation que je connais bien et qui en fournit une illustration. Dans ma circonscription, trois barrages se succèdent sur une même vallée. Le barrage de tête est la propriété d’un producteur individuel. Les deux autres sont exploités par EDF sous le régime des concessions, mais seul l’un des deux fait partie du programme de remise en concurrence que vous a décrit M. Straumann. Cela signifie que dans le cas où un nouvel opérateur arrivait, trois exploitants différents opéreraient sur une même chaîne !

De l’avis des personnes chargées de faire fonctionner les sites, cette question est bien trop complexe pour être réglée par un simple contrat. L’optimisation de la production se faisant désormais à la minute près, il est impossible de définir des règles communes a priori.

Quatrième difficulté, les acteurs locaux ne disposeront d’aucune garantie sur les usages de l’eau.

Conçus à l’origine comme des ouvrages industriels, dont le seul objet poursuivi était énergétique, les barrages font désormais partie intégrante du paysage des vallées des territoires de montagne. Lorsqu’il fait varier le niveau d’eau des rivières et des lacs de retenue, l’exploitant a une prise très forte sur l’irrigation, la pêche et le tourisme. Il joue également un rôle très important en matière de prévention des crues. Enfin, si aucun dispositif n’est mis en place pour favoriser la continuité écologique des cours d’eau, les barrages ont un impact significatif sur la qualité écologique des cours d’eau et des lacs, ou encore la présence de bois flottant.

L’ensemble de ces enjeux doit être pris en compte par l’exploitant, ce qui nécessite de tisser un rapport étroit avec les habitants et les élus.

Le cahier des charges n’est pas l’outil le plus adapté pour cela. Plutôt que de favoriser la coopération, il impose une vision juridique de la gestion des enjeux locaux. Soit il est exhaustif et, dans ce cas, toute nouvelle contrainte imposée par l’autorité concédante entraîne obligation d’indemnisation du concessionnaire. Soit il est volontairement imprécis, pour permettre une évolution des missions remplies par le concessionnaire et laisser la place à des actions de collaboration volontaire. Mais alors la contrainte s’imposant à ce dernier est moins forte et le risque existe qu’une entreprise privée, a fortiori lorsqu’elle ne dispose pas d’importants effectifs sur place, ne souhaite pas aller au-delà des efforts minimums exigibles.

Enfin, les destructions d’emploi nous apparaissent inévitables.

Dans le processus actuel de remise en concurrence, il est prévu un droit d’option pour les salariés immédiatement attachés à un ouvrage remis en concurrence : ils peuvent faire le choix de rester attachés à cet ouvrage – dans ce cas le nouveau concessionnaire a obligation de les reprendre – ou bien de rester au sein du concessionnaire sortant.

Néanmoins, l’exercice possible du droit d’option ne résout pas la difficulté posée par les personnels qui ne sont pas immédiatement attachés à l’ouvrage. À titre d’indication, la jurisprudence de la Cour de cassation considère qu’à partir de 80 % de son occupation une personne est dite affectée à une activité, ce qui exclurait une grande partie des travailleurs actuels de l’hydroélectricité.

Les conséquences seront défavorables. Pour les salariés d’une part : certains d’entre eux devront accepter une mobilité géographique. Pour l’entreprise EDF, d’autre part, qui devra réaffecter à une nouvelle activité les salariés préférant demeurer dans l’entreprise plutôt que de partir chez le nouvel exploitant. En fonction du nombre de concessions remportées par ses concurrents, EDF pourrait devoir gérer des sureffectifs. À long terme, il est probable que la division hydraulique de l’entreprise soit gréée à la mesure du parc qu’EDF garde sous son contrôle.

Les concurrents étrangers à la remise en concurrence des concessions considèrent qu’il n’y aura pas de pertes nettes d’emploi car ils se doteront eux-mêmes des ressources nécessaires à l’exploitation des ouvrages qu’ils auront remportés. Mais la logique de l’optimisation économique les poussera à conserver leur activité de support dans leur pays d’origine. Dans le cas – tout à fait plausible – où plusieurs concurrents, originaires de pays frontaliers, comme la Suisse et l’Italie, remporteraient chacun une concession, aucun d’entre eux n’atteindrait la taille suffisante pour justifier l’implantation d’une division hydraulique importante. Ils feraient appel ponctuellement à leurs équipes pour intervenir sur les barrages français.

A l’inverse, le maintien d’un parc intégré garantit le maintien d’une compétence hydroélectrique forte sur le territoire national et favorise la création de nouveaux emplois. EDF est l’un des leaders mondiaux du secteur. Exploiter plus de 20 000 MW de capacités lui donne la crédibilité et l’expérience nécessaire pour candidater aux projets internationaux les plus ambitieux.

L’ensemble de ces raisons plaident en faveur d’un aménagement significatif du processus de remise en concurrence. Nous avons l’obligation de trouver une procédure qui résolve les problèmes que nous avons identifiés, dans un cadre juridique extrêmement contraint.

Plusieurs pistes sont ouvertes, mais nous ne sommes pas parvenus au terme de nos analyses. Il demeure notamment des inconnues sur les conséquences pratiques de chacune des options.

C’est pourquoi nous sollicitons, Monsieur le président, un délai supplémentaire avant la remise définitive de notre rapport.

M. le président François Brottes. Je vous remercie pour ce rapport d’étape qui fait suite à un travail d’envergure. Vous avez souligné que vous aviez procédé à l’audition de près d’une centaine de personnes et la prochaine fois que nous vous entendrons, vous pourrez donc nous exposer vos préconisations, dont nous débattrons. Nous prenons acte, en tout état de cause, des informations précieuses que vous nous apportez aujourd’hui. L’eau étant un bien public national et l’hydroélectricité se trouvant en quelque sorte au cœur du réacteur de la transition énergétique, ce sujet doit faire l’objet de toute notre attention. C’est pourquoi notre commission doit aller au bout de sa réflexion, en y intégrant les dimensions économique, juridique, sociale et environnementale. Nous devrions donc aboutir dans les semaines qui viennent !

Mme Laure de La Raudière. Je souhaiterais formuler une remarque sur les chiffres dont vous faites état. Sur les aspects économiques de l’hydroélectricité, en particulier de la petite hydraulique, vous procédez à une comparaison entre les coûts de production de l’éolien, du photovoltaïque et de l’hydroélectricité. Il serait souhaitable que vous affiniez cette comparaison, en tenant compte du caractère non intermittent de l’hydroélectricité.

M. le président François Brottes. Il s’agit en effet de comparer le disponible avec le disponible…

Mme Laure de La Raudière. Exactement ! C’est d’autant plus important que cette comparaison est rarement effectuée.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Nous tiendrons compte de votre remarque dans le rapport final !

M. le président François Brottes. L’intermittence serait du reste difficilement envisageable sans l’hydraulique.

*

* *

Lors de sa réunion du 17 septembre 2013, la commission a présenté les travaux de la mission d’information sur l’hydroélectricité sur le rapport de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann.

M. François Brottes, président. Avant de passer la parole à nos rapporteurs, Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann, je vais brièvement rappeler le contexte et les raisons qui nous avaient amenés à lancer un travail sur l’hydroélectricité. Il relevait de la responsabilité de notre commission de savoir si la remise en concurrence des concessions hydrauliques, sur la voie de laquelle la France s’était engagée, était une impérieuse nécessité ou, au contraire, si nous pouvions réfléchir à l’élaboration de scénarios alternatifs. Nous avions évoqué cette question en commission élargie en présence de Mme Delphine Batho, alors ministre de l’écologie et qui est aujourd’hui parmi nous. Elle avait largement soutenu cette initiative.

Le travail qui s’en est suivi s’est révélé particulièrement long, conséquent, et a nécessité beaucoup de réflexion. C’est la raison pour laquelle nous avons procédé en deux temps : une phase de diagnostic, en avril dernier, et un temps d’élaboration de différents scénarios alternatifs, avec l’ambition de s’écarter de la voie unique. Ce soir vous sont présentés les scénarios du possible, pour ces barrages qui constituent un enjeu majeur pour le mix électrique, les territoires et le développement durable. Nous aurons la possibilité d’obtenir une réponse du gouvernement lors de l’audition de M. Philippe Martin qui se tiendra dans la soirée.

M. Éric Straumann, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, lors d’un point d’étape, le 3 avril dernier, nous faisions état de difficultés majeures inhérentes au processus de remise en concurrence des concessions hydroélectriques tel qu’il avait été lancé en 2010.

Ces difficultés majeures étaient au nombre de cinq : la non-réciprocité du processus de remise en concurrence, la France étant le seul pays à ouvrir ses barrages à des producteurs étrangers de la façon proposée ; la hausse mécanique du prix de l’électricité, pour les ménages comme pour les électro-intensifs, qu’une telle remise en concurrence produirait mécaniquement ; les incertitudes pour le personnel des concessionnaires sortants non directement affecté aux ouvrages sous concession ; le manque de garanties offertes par la formule du cahier des charges en matière de régulation locale des usages de l’eau ; les risques qu’entraînerait une fragmentation des vallées pour la sécurité de notre système électrique.

Face à un tel constat, la nécessité d’élaborer des scénarios alternatifs à la remise en concurrence telle qu’elle avait été prévue s’imposait. Comment, en effet, se lancer dans un processus aussi lourd de conséquences pour notre mix énergétique, comment prendre une décision de politique énergétique aussi décisive, tout en ayant mené un travail soulignant les nombreuses imperfections de la solution envisagée ?

C’est à cette tâche que nous nous sommes attelés au cours des cinq mois qui ont suivi notre première présentation. Il devait s’agir d’une « mission flash ». Mais devant l’importance du sujet, nous avons demandé au président de la Commission, très impliqué dans notre réflexion, de nous octroyer un temps supplémentaire, de façon à approfondir nos recherches et notre travail. L’objet de la présentation d’aujourd’hui est de vous retranscrire les résultats auxquels nous sommes parvenus. 

Confrontés à un choix de politique énergétique majeur, nous avons d’abord mené une réflexion sur les objectifs poursuivis. Bien sûr, nous avons particulièrement étudié le cadre juridique posé par le droit communautaire de la concurrence, dont nous nous sommes attachés à respecter les contraintes. Mais il nous a semblé qu’une approche où l’on définirait une politique à partir de contraintes juridiques, n’était pas suffisante, ou du moins n’était pas ce que l’on pouvait attendre d’une mission parlementaire. A travers une démarche constituant le « pendant positif » de notre travail critique sur le processus de remise en concurrence des concessions, nous avons tenté de mener une réflexion de politique énergétique. Cela impliquait de définir quels étaient les critères que devait remplir un scénario idéal de transition vers un nouveau mode de gestion des ouvrages hydrauliques.

Premier objectif : limiter la hausse des prix de l’électricité pour les ménages. Conséquence d’une succession de décisions passées, nous sommes désormais acculés à une gestion énergétique de l’urgence. La hausse des tarifs réglementés de 5 % du 1er août n’est qu’une étape, et sans doute faut-il s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres d’une ampleur similaire. Il n’est que de rappeler les montants d’investissements à réaliser sur le parc nucléaire – 55 milliards d’euros –, le poids du financement des énergies renouvelables et des tarifs sociaux – couverts par les charges de CSPE, qui atteindront 10 milliards d’euros annuels en 2020 – pour mesurer à quel point les inquiétudes de nos concitoyens sur la hausse de leur facture d’électricité sont fondées. Vous les relayez d’ailleurs ici-même, lors de chaque réunion de commission dédiée au secteur de l’énergie, prouvant ainsi qu’il s’agit d’un enjeu économique et social central.

Dans un tel contexte, toute mesure permettant de nous donner un peu d’air sur les tarifs est la bienvenue. La proposition de loi du président de notre commission proposait de rebrasser les cartes par une facturation moins aveugle des énergies de réseau, qui aurait été fonction des besoins de chaque ménage. Mais l’on connaît tous quel fut son sort, en raison de la trop grande complexité du mécanisme.

Deuxième objectif : donner accès aux électro-intensifs à une électricité bon marché en période de pointe. Les ménages ne sont pas les seuls consommateurs à subir la hausse des prix de l’électricité. Alors que les électro-intensifs installés sur notre territoire disposaient autrefois d’un environnement très compétitif, avec un prix de l’électricité rivalisant avec les concurrents mondiaux, c’est de moins en moins le cas.

Lorsque nous avons rencontré leurs représentants au cours de la mission, ils nous ont fait part de la nécessité qu’ils avaient, pour maintenir une implantation durable en France, de disposer à la fois d’une grande visibilité, avec un cadre clair dès aujourd’hui et pour plusieurs décennies, et d’une électricité au coût de production, comme dans le cadre de l’ARENH.

Historiquement, nous sommes toujours parvenus à trouver des solutions pour maintenir une activité électro-intensive sur notre territoire. C’est ainsi que la France a longtemps compté parmi les pays leaders en matière de production de l’aluminium, par exemple.

Le processus de libéralisation du marché de l’électricité nous prive peu à peu de toute possibilité de faire du « sur-mesure », que ce soit par la suppression des tarifs verts ou par la très grande difficulté pour EDF de conclure des contrats de long terme,… Ainsi, dans le cas de Rio Tinto Alcan à Saint-Jean de Maurienne, il a été nécessaire d’investir en capital pour avoir le droit de fournir de l’électricité au coût de production. Vous voyez donc bien à quelles constructions contre-nature – ce n’est pas le métier d’EDF que de devenir producteur d’aluminium – nous sommes contraints de recourir pour que la métallurgie demeure une force de nos vallées de montagne …

Les choix effectués sur l’avenir du parc hydroélectrique français constituent un élément déterminant de notre politique énergétique à destination de l’industrie : souhaitons-nous, oui ou non, conserver des marges de manœuvre pour sauver nos sites en difficulté ? Avons-nous l’ambition d’en attirer de nouveaux sur notre territoire ?

Nos concurrents européens – ceux-là même qui réclament l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques –, ne se privent pas d’utiliser tous les moyens à leur disposition. La lecture du très récent rapport de la CRE (juin 2013), dressant une analyse comparative de la compétitivité des entreprises intensives en énergie en France et en Allemagne, est à cet égard très instructive. Les électro-intensifs allemands peuvent ainsi bénéficier, outre d’un éventail très large d’exonérations fiscales particulièrement avantageuses, d’une exonération partielle ou totale du tarif d’accès au réseau. La Commission européenne a annoncé, le 6 mars 2013, qu’elle allait procéder à une enquête approfondie sur l’aide potentielle que cela constituait en faveur des gros consommateurs allemands ; mais d’ici à ce que le processus aboutisse… Ainsi, alors qu’en 2013 le prix payé par un industriel Outre-Rhin était encore supérieur à celui acquitté par un industriel français, la situation devrait s’inverser en 2014.

Comme on peut le constater, il y a urgence ! Nous devons agir pour conserver l’un des éléments qui, historiquement, a joué en faveur de l’attractivité du territoire français : le prix de l’électricité.

Troisième objectif : parvenir à une gestion moderne et collaborative des usages de l’eau, bien public par excellence. Les barrages sont au centre d’un écosystème en permanente évolution, impliquant les habitants, leurs élus, les agriculteurs, les industriels, les professionnels du tourisme et leur public. Désormais, l’exploitant des barrages ne peut plus prendre tout seul les décisions de gestion de ses ouvrages, dès lors que celles-ci ont un impact décisif sur l’activité et la vie quotidienne de nombre d’acteurs.

Quel que soit le futur de nos barrages électriques, l’échelon local doit être associé de façon étroite à leur gestion. Nous vivons sur l’héritage d’un ancien système, si bien que tout reste encore à construire et que les situations diffèrent sensiblement selon les régions.

Fruit d’un processus particulier, le modèle de la CNR offre aux collectivités du Rhône un modèle particulièrement attractif. Elles sont présentes au conseil d’administration de la société et bénéficient de financements pour des missions d’intérêt général qui ont atteint 160 millions d’euros  pour la période 2009-2013.

Certaines collectivités, parmi lesquelles l’Alsace, ont obtenu des conditions particulières lors d’un renouvellement récent de concessions ; mais ce fut au prix d’âpres négociations avec le concessionnaire sortant. Le conseil général du Haut-Rhin vient d’ailleurs de saisir le gouvernement sur la question des concessions hydroélectriques de la chaîne d’aménagement du canal d’Alsace sur le Rhin amont. En effet un chapelet de quatre installations hydroélectriques situées sur un canal latéral au Rhin, dont la prise d’eau se situe à Kembs et le rejet à Vogelgrun, est exploité par EDF, selon des concessions établies sans tenir compte du plancher de redevance de 25 % de la production défini dans l’article 35 de la Loi du 30 décembre 2006. Ces quatre installations produisent en moyenne 3 400 gigawattheures par an et devraient, de ce fait, générer une redevance de près de 42,5 millions d’euros par an, dont la moitié, soit 21,25 millions d’euros reviendraient aux Collectivités locales haut-rhinoises. Le rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et des Conseils généraux des mines et des ponts de novembre 2006 préconisait que, dans le cas de chaînes d’aménagement, l’ensemble de la chaîne soit mis en concurrence. Cette disposition aurait donc dû être appliquée lors de la renégociation de la concession de Kembs, tête d’aménagement. Cette procédure s’est, de plus, faite sans concurrence contrairement à ce qu’exigeait la loi du 29 janvier 1993. Le fait que l’État n’ait pas jugé utile de relancer l’ensemble des concessions de cette chaîne hydroélectrique lors du renouvellement de la concession de Kembs en décembre 2010, et n’a de surcroît, pas souhaité appliquer les critères de la loi de 2006, prive le territoire d’une source importante de revenus. Cette situation est d’autant plus anormale que les aménagements similaires du Rhône, ont, eux, bénéficié d’une renégociation de leur concession en 2003, avant la date d’échéance des concessions, qui permet aux collectivités de ce secteur de percevoir annuellement 90 millions d’euros de redevance Cette renégociation au niveau des ouvrages du Rhône a pourtant été menée sept ans avant le nouvel arrêté de la concession de Kembs qui concerne des ouvrages en tout point similaire. Il y a eu un traitement différencié de deux régions françaises dans une République garante de l’application des mêmes règles sur l’ensemble du territoire national. La renégociation des concessions du Canal d’Alsace aurait donc, par parallélisme des procédures, dû être menée lors de la transformation en société anonyme d’EDF le 19 novembre 2004 lors de la publication du décret du 17 novembre 2004 et, en tout état de cause, au plus tard lors du renouvellement de la concession de Kembs en décembre 2010. Le référé de la Cour des Comptes du 21 juin 2013 recommande de renouveler au plus vite les concessions ne bénéficiant pas, a minima, des retombées de la loi de 2006. C’est pourquoi, je sollicite à titre personnel le renouvellement immédiat des concessions des quatre chutes du Rhin amont situées le long du canal d’Alsace entre Kembs et Vogelgrun, ou à défaut, l’ouverture immédiate de négociations avec l’exploitant pour, a minima, percevoir les retombées que notre territoire est en droit d’obtenir tant au titre de la loi de 2006 qu’au titre des mesures compensatoires soit au minimum plus de 50 millions d’euros par an pour les collectivités territoriale alsaciennes.

Le renouvellement des concessions a également pu être l’occasion de mettre en route des projets d’investissement très ambitieux, comme celui de Romanche-Gavet, où nous nous sommes rendus. De tels projets sont particulièrement bénéfiques pour l’ensemble de la vallée, à tous les points de vue (économique, environnemental, etc.).

Les collectivités territoriales qui ont sur leur territoire des ouvrages inclus dans les lots qui doivent être mis en concurrence prochainement pourront bénéficier d’une redevance sur le chiffre d’affaires ; mais la remise en concurrence ne concerne que 20 % de l’ensemble du parc hydraulique français. Pour les autres territoires, aucun changement n’est à venir d’ici de très longues années !

Il nous semble que de telles divergences de situation posent un véritable problème au regard du principe d’égalité, si cher au Conseil constitutionnel.

Quatrième objectif : préparer la transition vers un nouveau système énergétique, axée sur la montée en puissance des énergies intermittentes.

L’objectif fixé par le Président de la République est de diminuer la part du nucléaire dans le mix électrique pour la porter à 50 %. Si l’on prend comme hypothèse le maintien de la part de l’hydroélectricité à hauteur de 10 %, cela signifie que les sources de production intermittentes devront représenter 30 à 40 % du mix électrique si l’on ne veut pas voir augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

Parvenir à de tels niveaux d’intermittence dans le système électrique exige de contrôler des moyens de production de pointe rapidement mobilisables, susceptibles d’assurer le back-up en période sans vent ou sans soleil. Ce rôle, seules les installations hydroélectriques sont aujourd’hui à même de le remplir. Elles joueront donc un rôle stratégique à l’avenir, que notre responsabilité est de ne pas sous-estimer.

Cinquième objectif : donner des garanties sur les emplois. L’hydroélectricité est une énergie produite localement. Les barrages et les centres techniques régionaux sont une source d’emploi importante dans des régions dont certaines sont en difficulté économique.

Les règles de gestion de notre parc hydroélectrique futures devront maximiser le potentiel d’emploi que constitue l’hydroélectricité, en donnant des garanties aux salariés des concessionnaires sortants sur leur maintien en poste, en favorisant le lancement de travaux d’optimisation de nos ouvrages et en contribuant à renforcer la position des industriels français dans le secteur de l’hydroélectricité.

Sixième objectif : contribuer à la construction d’une Europe de l’énergie. Le droit communautaire encadre fortement le régime des concessions, et ce dans tous les domaines. Mais les concessions hydrauliques sont-elles des concessions comme les autres ? De nombreux éléments nous ont incités à répondre par la négative à cette question, lors de notre présentation d’étape.

Il faut également s’interroger sur le cycle infernal dans lequel nous nous engageons. Jusqu’à présent, des dérogations nous permettent de sauvegarder le fonctionnement de notre réseau de distribution d’électricité, pierre angulaire de la péréquation tarifaire. Mais pour combien de temps encore ?

Derrière la question des règles juridiques réside une question de fond : vers quelle Europe de l’énergie nous dirigeons-nous ? Notre travail de recherche de solutions alternatives ne doit pas être vu comme une opposition de principe à l’Europe, mais comme une contestation du chemin emprunté, qui est de faire de la concurrence la seule méthode possible. Il y a une voie vers une véritable Union de l’énergie, qui ne soit pas un simple succédané des règles de la concurrence mais nous rapprocherait de la véritable ambition des pères fondateurs de la CECA : sortir de la compétition entre États membres pour aller vers une mutualisation des moyens.

Au sein du labyrinthe juridique dans lequel nous nous sommes aventurés, les six objectifs que nous avons dégagés ont joué le rôle de fil d’Ariane : c’est en partant d’eux que nous avons élaboré des scénarios alternatifs. Ils nous ont permis d’étalonner les mérites respectifs de chacune des pistes envisagées, pour ne retenir que celles qui apportaient de réelles améliorations au processus actuel de remise en concurrence barrage par barrage.

Le premier scénario est celui de la méthode du barycentre. Ainsi que l’a laissé entendre la réponse ministérielle, en date du 27 août dernier, à un référé de la Cour des comptes sur le retard dans le renouvellement des concessions hydroélectriques, il s’agit du scénario privilégié à ce stade par le gouvernement.

La méthode des barycentres consiste à aménager le processus de remise en concurrence en favorisant la création de lots unifiés sur une même vallée.

Aux termes de la note adressée par les ministres de l’économie et des finances, du budget et de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la méthode du barycentre « consiste à regrouper les concessions préalablement à la mise en concurrence, de façon à créer un ensemble cohérent avec une date d’échéance unique. Cette date serait obtenue en pondérant les dates d’échéance des différents contrats au prorata des différents revenus générés ». En des termes moins administratifs, il s’agit de raccourcir la durée des contrats les plus longs et de rallonger celle des contrats les plus courts d’une même vallée pour les faire se terminer à une même date.

Les avantages d’une telle solution ont été pointés par le document adressé par le gouvernement à la Cour des comptes.

Premier avantage, en permettant un regroupement par vallées, la méthode des barycentres permet d’améliorer la gestion future des ouvrages hydrauliques situés sur une même chaîne. Le processus de remise en concurrence initial propose des vallées qui ne sont pas toutes cohérentes hydrauliquement. Des regroupements de concessions ont déjà été effectués en choisissant la solution de l’alignement « au plus tôt » : l’harmonisation des dates d’échéance des concessions d’une même vallée se fait sur la date d’échéance la plus proche et les candidats doivent racheter la durée du contrat restant au concessionnaire sortant en lui versant des indemnités d’éviction.

Mais cette méthode n’a pu être appliquée partout : lorsque la date d’échéance de certains ouvrages de la vallée était vraiment trop éloignée, le coût du rachat de la durée de contrat restant à courir était trop élevé. C’est pourquoi certains regroupements proposés sont insatisfaisants car ils ne conduisent pas à l’attribution d’un lot cohérent à un concessionnaire unique.

La solution de l’alignement « au plus tard » est impossible juridiquement : proroger les contrats qui arrivent à échéance le plus tôt jusqu’à la date d’échéance des contrats les plus tardifs constitue une modification substantielle du contrat non justifiée d’un point de vue économique, et donc une atteinte au droit de la concurrence. Cela peut en outre être considéré comme une aide d’État attribuée au concessionnaire sortant.

Dans le cas de vallées dont les contrats ont des dates d’échéance très éloignées entre elles, comme le Drac, Bissorte ou Brillane-Largue, la solution du barycentre permet de repousser la date de changement de concessionnaire de plusieurs années et ainsi de former des ensembles hydrauliquement cohérents.

Deuxième avantage, elle accroît les retombées financières pour l’État en supprimant les pertes engendrées par les délais glissants et les indemnités d’éviction. L’origine du référé de la Cour des comptes se trouve dans ce phénomène des délais glissants. Ainsi la Cour écrivait-elle que certaines concessions « n’ont pas été renouvelées et sont prorogées aux conditions antérieures, ce qui retarde d’autant l’application de la redevance. C’est le cas, notamment, pour les concessions arrivées à échéance en 2011 et 2012 et pour lesquelles une mise en concurrence était prévue. »

La méthode des barycentres apporte une réponse particulièrement astucieuse au retard pris par l’État dans la procédure. En effet, comme elle est calculée à partir des dates d’échéance contractuelles, et ce peu importe que ces dates aient été dépassées, tout se passe comme si l’on percevait des redevances à partir de la date d’échéance du contrat, même si celui-ci a tardé à être renouvelé.

La suppression des indemnités d’éviction accroît également les recettes pour l’État. Ces indemnités sont certes payées par les concessionnaires, mais plus elles sont élevées, plus le montant de redevance qu’ils sont prêts à payer diminue. Or, le rachat des indemnités d’éviction s’effectue à un taux d’actualisation du secteur privé (de l’ordre de 6 %), contre un taux d’actualisation de 4 % généralement admis pour l’État.

Troisième avantage, elle permet de diminuer l’engorgement de l’administration en retardant la date de remise des ouvrages. La remise en concurrence est un processus particulièrement lourd, très risqué pour l’État, dont les moyens humains sont sans cesse rognés. Par conséquent, elle a pris un retard important : les premières remises d’ouvrage au nouveau concessionnaire pourraient intervenir, dans le meilleur des cas, en 2017.

Mais grâce à la méthode des barycentres, la date effective de remise des ouvrages pourra être la même que dans le cas de la remise en concurrence classique, et ce en gommant tout retard !

Quatrième élément, que nous hésitons à qualifier d’avantage : elle favorise les nouveaux entrants en supprimant les indemnités d’éviction. La méthode des barycentres est particulièrement favorable à la concurrence, car elle permettra aux entreprises de toutes tailles de candidater. Dans la période de grande fragilité financière que traversent les énergéticiens européens, ces derniers apprécieront sans doute le geste effectué par la France.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. La méthode du barycentre constitue une amélioration par rapport à la remise en concurrence telle qu’elle avait été envisagée au départ. Mais, comme elle ne constitue qu’une déclinaison de cette dernière, elle ne permet pas d’en supprimer tous les défauts.

Premier inconvénient, il s’agit d’un processus administratif complexe et qui s’étale sur plusieurs décennies.

Dans le programme actuel de mise en concurrence, hormis le processus classique de remise en concurrence – réalisation du cahier des charges, examen des offres, remise de l’ouvrage au concurrent entrant –, seule est nécessaire une négociation avec le concessionnaire sortant sur les indemnités d’éviction.

La mise en œuvre de la solution du barycentre nécessiterait au contraire de passer par un long chemin juridique, chacune des étapes suivantes étant porteuse de risques : d’abord, une saisine préalable de la Commission européenne au titre du contrôle des aides d’État ; ensuite, des modifications législatives – insérées dans le projet de loi sur la transition énergétique ? – avec leur texte d’application. Ces dispositions auraient pour objet d’autoriser l’État à imposer le regroupement en un contrat unique de l’ensemble des contrats de concession formant une chaîne hydraulique. Enfin, la modification par avenant de chacun des contrats concernés. La charge de travail que cela représente et le manque de moyens humains du ministère de l’écologie ont ainsi conduit l’État à se faire assister pour mener le processus, dès 2010, de cabinets de conseil privés aux honoraires élevés.

Solution astucieuse, la méthode du barycentre n’en demeure pas moins une alternative coûteuse en moyens humains et dont l’issue n’est pas garantie à 100 %.

Deuxième inconvénient, une telle solution revient à perdre la main sur le parc hydroélectrique français pour 40 ans. Une fois les concessions attribuées, l’État ne pourra reprendre la main sur les concessions que par le versement d’une très lourde indemnité d’éviction. Lorsque l’on connaît l’importance des ouvrages hydrauliques pour la sécurité du système électrique, une telle situation a de quoi inquiéter…

Troisième inconvénient, la seule garantie apportée aux collectivités est le cahier des charges des concessions. Nous avions déjà relevé une telle difficulté : le cahier des charges des concessions permettra de mieux encadrer l’action du concessionnaire sur les cours d’eau, mais seulement sur le court terme. Comment prévoir les besoins et les usages pour les 40 prochaines années ? L’objectif de modernisation des relations entre les usagers locaux de l’eau n’est pas atteint.

Quatrième inconvénient, le problème du transfert des salariés est laissé de côté. Il s’agit d’un rappel des conclusions de notre présentation d’étape : seuls les salariés d’EDF ou de la SHEM qui sont affectés exclusivement ou essentiellement à la concession cédée seront transférés automatiquement au nouveau concessionnaire. En l’absence de définition précise de la notion de salarié « essentiellement » affecté à une concession, il faudra se référer au critère jurisprudentiel du pourcentage, dont les implications sont difficiles à prévoir.

Cinquième inconvénient, le gain financier pour l’État et les collectivités territoriales est à relativiser. Ainsi que le relève elle-même la Cour des comptes, les recettes de redevance espérées ne deviendront réellement significatives que dans plusieurs années. La perte due au retard de redevance perçu était de 3 M€, elle sera de 50 M€ en 2013, et n’atteindra même pas 100 M€ en 2020.

En outre, les calculs de la Cour des comptes mettent de côté un élément majeur : la participation de l’État dans le capital d’EDF à hauteur de 84 % ! Il paraît difficile de soutenir sérieusement que les délais glissants, dont bénéficie EDF, constituent une perte sèche pour le budget de l’État. Est-il besoin de rappeler que, pour l’exercice 2012, EDF a versé à ce même budget 1,950 Md€ de dividendes ?

Enfin, nous sommes au regret de décevoir nos collègues que cela pourrait intéresser : en raison de la longueur de la procédure de mise en concurrence, le 1er euro ne sera pas versé aux collectivités territoriales avant 2017. Et nous ne parlons que des collectivités faisant partie du « premier paquet » de mise en concurrence. Pour les autres, la perspective d’une redevance est encore plus éloignée…

Sixième inconvénient, l’impact sur le prix de l’électricité, lui, sera réel. Selon les termes de la Cour des comptes, « la mise en concurrence constitue un moyen adapté pour ne pas abandonner aux concessionnaires la rente hydroélectrique ». Cette affirmation repose sur une analyse que nous estimons partielle de la réalité économique du marché de l’électricité. En effet, comment peut-on considérer que la rente hydroélectrique soit abandonnée au concessionnaire sortant dès lors que celui-ci est obligé, dans les tarifs réglementés de vente, de fournir l’électricité au coût de production ? Il nous semble plutôt que le bénéficiaire de la rente hydroélectrique est le consommateur, et c’est très bien, directement concerné par la question du pouvoir d’achat…

Mais ce ne sera bientôt plus tout à fait le cas. Plus le portefeuille hydroélectricité d’EDF diminuera, plus ses coûts de production augmenteront. Selon le rapport de la CRE sur les coûts d’EDF, une diminution de 1 % de la production hydraulique augmente le coût de production d’EDF de 0,1 %. Or, ce sont sur ces coûts que les tarifs réglementés sont calculés par la CRE… Ajoutons que la redevance constitue en réalité une nouvelle taxe sur l’électricité. Cela revient à perdre l’avantage comparatif de l’électricité hydraulique. Même l’électricité hydraulique produite par EDF, dont le coût de production sera pris en compte pour les tarifs réglementés, sera de l’ordre de 25 % plus chère.

En résumé, la remise en concurrence des concessions conduit à perdre l’avantage compétitif dont dispose la France grâce à l’électricité hydraulique : les concessionnaires devront payer une taxe, la redevance, qui augmentera le coût du mégawattheure hydraulique. Pour rentabiliser leur investissement, ils valoriseront leur production sur le marché au prix du marché de gros, et non au coût de production. Contrairement à ce qui est prévu pour l’ARENH, aucune clause de destination n’est prévue, c'est-à-dire que si un concessionnaire veut signer un contrat de long terme avec un industriel étranger, on ne pourra pas l’en empêcher !

Dernier inconvénient, l’euro-compatibilité d’une telle solution ne fait en réalité que repousser d’autres échéances bien plus douloureuses. Nous tenons ici à rappeler à quel point fut insistante la pression d’opérateurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché français sans être menacés sur leur propre marché. Lorsque nous les avons interrogés, ils ont été bien en peine de répondre à nos questions sur la réciprocité. Aucun autre État membre n’est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France. Les ouvrages sont soit sous la propriété des opérateurs – régime d’autorisation –, soit sous un régime mixte combinant autorisation et concession, soit sous un régime de concession mais avec des dates d’échéance très éloignées (Espagne et Italie). Ajoutons que certains candidats à la reprise des concessions françaises sont suisses et norvégien, donc extra-communautaires. En Norvège, tout candidat à l’attribution d’une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s’il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne. En Suisse, les directives sectorielles sur l’énergie ne sont même pas applicables.

La solution de la remise en concurrence a été présentée comme la seule à même de satisfaire la Commission européenne. Mais cette dernière, une fois la remise en concurrence « digérée », demandera de toute façon des garanties supplémentaires. Ne nous leurrons pas : la remise en concurrence n’est pas un élément d’un accord intangible. Donner des gages ne sert à rien car, comme elle l’a indiqué aux rapporteurs de la mission lorsqu’ils se sont rendus à Bruxelles, la Commission a déjà ciblé sa prochaine victime : les tarifs réglementés de vente aux particuliers.

En résumé, il nous semble que le choix de la méthode des barycentres reposerait sur une analyse stratégique erronée : sacrifier la compétitivité du prix de l’énergie sur l’autel de la réduction des déficits publics.

Si la remise en concurrence apportait des recettes budgétaires immédiates, nous pourrions comprendre les raisons d’un tel choix. Mais ça n’est pas le cas : l’impact sur le déficit public ne se fera pas sentir avant 2017, lorsque la trajectoire des finances publiques aura été stabilisée. Dans le même temps, l’effet de la remise en concurrence impactera progressivement le prix de l’électricité, se cumulant avec d’autres effets qui rendront leur facture insupportable aux ménages et aux entreprises…

Mais pour que l’analyse avantages-inconvénients ait un sens, encore faut-il qu’il existe des alternatives, c'est ce que nous nous sommes attachés à démontrer.

Par manque d’anticipation, la France s’est placée dans une situation difficile et s’est restreint le champ des possibles. La transformation d’EDF en société anonyme constitue un tournant historique. Ainsi que nous le signalions dans notre présentation d’étape, la transformation d’EDF en société anonyme, par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, a changé la donne du tout ou tout. Perdant son statut d’établissement public, EDF ne pouvait plus désormais être considérée comme un opérateur particulier du système électrique français.

La conséquence directe de cette évolution a été de faire rentrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public. Le droit actuel prévoit que le régime de la concurrence entre opérateurs s'impose désormais sans réserve dans le renouvellement des concessions hydroélectriques.

Sans revenir sur le bien-fondé de la transformation en société anonyme, qui est un tout autre débat, le prolongement des contrats de concession avant le vote de la loi de 2004 aurait « soldé » le problème de l’hydraulique pour une durée de 40 ans.

La future directive « concessions » constitue également une occasion manquée. La Commission européenne a déposé, en décembre 2011, un projet de directive tendant à harmoniser les règles européennes en matière de concessions.

Le périmètre du texte a fait l’objet de discussions très nombreuses discussions. Sous l’influence d’un lobbying de l’Allemagne, soucieuse de préserver son modèle particulier, et d’une mobilisation populaire sans précédent – une pétition a recueilli 1,5 million de signatures –, c’est l’ensemble du secteur de l’eau qui a finalement été sorti du champ de la directive. Il a ainsi été considéré que, compte tenu des spécificités d’une telle activité, les règles générales du droit de la concurrence ne pouvaient pas s’appliquer.

La nouvelle directive « concessions » aurait pu constituer une occasion en or pour sécuriser le régime juridique applicable aux concessions hydrauliques françaises. Au lieu de cela, le sujet n’a été que très peu évoqué. Comment soutenir une ouverture de notre parc de barrages aux énergéticiens européens lorsque l’on sait que les opérateurs français de l’eau n’auront pas accès au marché allemand ? Une telle situation ne manque pas d’interroger sur notre capacité à défendre l’intérêt de notre économie dans le cadre européen.

Difficile, la recherche d’alternatives n’est cependant pas impossible. Il faut bien souligner à ce stade à quel point vos rapporteurs ont dû sans cesse batailler contre la tendance à se retrancher derrière le confort des arguments juridiques posés comme l’ultime et unique vérité pour s’épargner l’effort de l’élaboration de solutions alternatives ayant un sens politique.

Nous allons désormais tenter de vous démontrer qu’il n’existe pas de fatalité juridique : trois solutions alternatives sont tout à fait possibles. Vous présentant leur principe, leurs avantages et inconvénients respectifs, vous serez ainsi en mesure d’apprécier par vous-même la pertinence des choix effectués.

Le deuxième scénario est celui que nous appelons « concession unique ». Il consiste à justifier auprès de la Commission européenne de l’existence d’un SIEG.

La notion de service d’intérêt économique général (SIEG) permet de déroger au droit commun de la concurrence. Le deuxième alinéa de l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que :

« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. »

Cet article prévoit de façon claire la possibilité de désigner une entreprise investie d’une mission d’intérêt général par un acte de la puissance publique dès lors qu’il est démontré, d’une part, le caractère économique du service en question, ce qui ne soulève pas de difficultés dans le cas présent et, d’autre part, que l’attribution d’un droit exclusif est nécessaire pour remplir les missions d’intérêt général confiées à l’opérateur bénéficiaire.

La remise en concurrence des concessions fait échec à l’accomplissement de la mission particulière impartie au concessionnaire historique pour trois raisons.

La première est qu’elle porte atteinte à la bonne gestion hydroélectrique des cours d’eau ; il est inévitable que la mise en concurrence conduise, dans certains cas, à confier la gestion d’une même vallée à plusieurs opérateurs.

La seconde est qu’elle menace la sécurité d’approvisionnement en électricité, dont les ouvrages hydroélectriques sont un élément essentiel. Avec la remise en concurrence, un opérateur peut « tenir le système en otage ». En l’état actuel des caractéristiques techniques des réseaux, les capacités d’importation sont limitées à environ 9 000 MW, ce qui fait de l’hydroélectricité une composante majeure du service public de l’électricité. La directive n° 2003/54 du 26 juin 2003 prévoit à cet égard que les États peuvent imposer aux entreprises du secteur, dans l’intérêt économique général, des « obligations de service public » qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement.

La troisième est qu’elle remet en cause la garantie des prix offerte au consommateur. Avec la remise en concurrence, chaque concessionnaire peut disposer comme il l’entend de l’électricité produite.

Nous pensons donc qu’il y aurait un espace pour la qualification de la production hydroélectrique en SIEG, à la condition que l’hydroélectricité produite soit gérée selon des modalités économiques spécifiques. L’opérateur public chargé de l’exploitation des concessions mettrait cette électricité à disposition des consommateurs, selon deux directions : par la vente de 75 % de l’électricité produite au consommateur via les tarifs réglementés de vente ; par l’intégration à l’ARENH des 25 % restants, L’ARENH ne signifierait plus alors « Accès régulé à l’électricité nucléaire historique », mais « Accès régulé à l’électricité nucléaire et Hydraulique ». Précisons que ce ratio de 75 % / 25 % correspond au ratio d’électricité nucléaire intégré à l’ARENH, selon les dispositions de la loi NOME, et que ce montage peut être bien évidemment modifié.

L’élargissement de l’ARENH à l’électricité d’origine hydraulique (25 %) est une garantie incontestable donnée à la Commission européenne. Cette solution favorise même davantage la concurrence qu’une simple remise en concurrence de l’ensemble des concessions. Car ici, le résultat est certain : un quart de la production va à la concurrence.

Les avantages de cette solution sont nombreux.

Premier avantage : elle serait très facile à mettre en œuvre et nécessiterait très peu d’adaptations par rapport à la situation actuelle. Le processus de mise en concurrence, très long et coûteux, serait abandonné. Quant à l’ARENH, il s’agit d’un dispositif qui existe déjà et qui a été validé par la Commission européenne. La question du renouvellement des concessions serait donc réglée « en douceur », en s’inscrivant pleinement dans le cadre juridique du système électrique français ;

Deuxième avantage : elle réduirait considérablement la problématique sociale de la mise en concurrence des barrages, les salariés ayant désormais des perspectives claires sur leur avenir.

Troisième avantage : le principe d’un parc hydraulique intégré serait réaffirmé, ce qui sécuriserait le processus de transition énergétique.

Quatrième avantage : il pourrait être défini un cadre national unique définissant les relations entre le concessionnaire et les collectivités territoriales.

Cinquième avantage : l’intégration de 25 % de l’hydroélectricité à l’ARENH constituerait un signal fort pour les électro-intensifs. Ils auraient directement accès à une électricité de pointe au coût de production.

Dernier avantage : le consommateur particulier continuerait de bénéficier de la rente hydraulique à travers les tarifs réglementés de vente.

Mais cette solution nécessite une négociation avec la Commission européenne pour pouvoir être mise en œuvre.

La qualification de l’hydroélectricité en service d’intérêt économique général peut être juridiquement contestée car elle repose sur des éléments d’appréciation. La mise en œuvre d’une telle solution nécessite donc l’approbation de la Commission européenne. Cette dernière a toujours admis l’existence de droits exclusifs aux profits des entreprises de transport et de distribution d’énergie, mais s’est refusée à faire entrer dans le champ des SIEG les activités de production.

Il faudrait donc parvenir à lui démontrer que les contraintes posées au concessionnaire unique en termes de mise à disposition de l’électricité hydraulique sont suffisantes. Les chances d’y parvenir semblent réduites, au vu de la position ferme de la Commission européenne en faveur de la mise en concurrence. En réalité, un tel scénario aurait mérité d’être poussé dans le cadre de la discussion du projet de directive sur les concessions.

Troisième scénario : l’exploitation des concessions hydrauliques par un établissement public.

La transformation de EDF en société anonyme nous a privés d’une solution simple, le renouvellement automatique des concessions. Mais la Cour de justice européenne a reconnu de façon constante la possibilité de déroger au principe de mise en concurrence lorsque l’exploitation du service public s’effectue en quasi-régie. Les juristes parlent d’une exploitation « in-house ». Une telle dérogation à l’obligation de mise en concurrence, permise par la loi Sapin, est cependant soumise à deux conditions. D’une part, la collectivité publique concédante doit exercer sur l’établissement chargé de l’exploitation un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. D’autre part, le concessionnaire doit exercer l’essentiel de son activité pour elle.

Le principe de ce 3ème scénario alternatif à la mise en concurrence est de proposer un schéma qui respecte les critères jurisprudentiels de l’exploitation « in-house ». L’activité hydraulique d’EDF serait filialisée, puis rachetée par l’État et transformée en établissement public.

Un établissement public dont l’activité exclusive est l’exploitation des concessions hydroélectriques et qui n’entre pas en concurrence avec d’autres producteurs remplit l’ensemble des critères pour être déchargé de l’obligation de publicité et de remise en concurrence. Cette solution est donc parfaitement compatible avec le droit communautaire.

Les avantages de cette solution sont assez similaires à ceux de la solution précédente. Comme dans le deuxième scénario, il est possible de faire profiter de la rente hydraulique les consommateurs et les électro-intensifs.

Alors que dans le système de mise en concurrence, le concessionnaire qui remporte l’appel d’offre, moyennant le paiement d’une redevance, peut bénéficier de l’électricité produite à sa guise, l’établissement mettrait cette électricité à disposition des consommateurs, selon deux directions : par la vente à EDF de 75 % de son électricité, à la condition qu’elle serve à alimenter les clients au tarif réglementé de vente ; par l’intégration à l’ARENH des 25 % restants.

L’hydroélectricité continuerait donc de tirer à la baisse les tarifs des ménages. Dans le même temps, en laissant aux électro-intensifs l’accès à l’ARENH, ces derniers pourraient bénéficier d’une électricité en période de pointe au coût de production. Du point de vue de la maîtrise des prix de l’électricité, ce 2ème scénario s’avère donc particulièrement convaincant.

Deuxième avantage : ce scénario permet d’associer directement les collectivités territoriales à la gestion de l’opérateur unique des concessions.

La création d’un opérateur dédié à l’exploitation des concessions serait l’occasion de renouveler la gouvernance des cours d’eau. Le modèle de la CNR pourrait être transposé à l’identique. Il pourrait être envisagé la présence des élus locaux au conseil d’administration national et aux conseils locaux ainsi que le financement de missions d’intérêt général, dont le contenu ferait l’objet d’un travail de concertation.

Que l’opérateur soit spécialisé, et non une simple branche d’activité d’EDF, favoriserait également la prise en compte de la problématique environnementale.

Troisième avantage : se donner un contrôle total de l’outil de production hydroélectrique dans la perspective de la transition énergétique.

L’exploitation en quasi-régie sous la forme d’un établissement public constituerait une garantie particulièrement forte de maintien du contrôle public des ouvrages hydrauliques. A terme, il n’y aurait pas non plus de concurrence entre opérateurs situés sur une même chaîne, l’ensemble des ouvrages étant destinés à intégrer le portefeuille de l’établissement public.

Dans un contexte de libéralisation croissante, la sanctuarisation du contrôle public sur les actifs stratégiques que sont les barrages constitue une garantie forte.

Quatrième avantage : régler dès aujourd’hui l’avenir de l’ensemble du parc hydroélectrique. L’établissement public serait doté du portefeuille de contrats de concession auparavant propriété d’EDF. Chacun de ces contrats pourrait être renouvelé à échéance, du fait de l’exonération de l’obligation de mise en concurrence. Dans le schéma proposé, nous avons donc la garantie que le parc hydraulique sera exploité par le même acteur, et ce sans limite de durée.

Cinquième avantage : donner aux salariés de l’hydroélectricité une perspective claire sur leur avenir. Selon l’article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par cession, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. Toutefois, avant que la cession n’intervienne, il est possible de signer un protocole d’accord qui prévoie un droit de reprise. Lors du changement de contrôle de la filiale hydroélectricité, les salariés auraient le choix de rester salariés d’EDF ou bien de changer d’employeur au moment du transfert des ouvrages.

De ce point de vue, la situation peut sembler proche du schéma d’une mise en concurrence classique. Cependant, la différence d’approche serait bien différente car ils auraient la possibilité d’intégrer un opérateur national, spécialisé dans l’hydroélectricité, exploitant l’ensemble du parc, et non un énergéticien étranger, ayant la concession d’une poignée d’ouvrages en France et disposant de la plupart de ses fonctions support hors des frontières.

Dernier avantage : animer la concurrence du marché de l’électricité, selon les vœux de la Commission européenne, par l’intégration de 25 % de l’électricité produite à l’ARENH. Il est probable que cette solution satisfasse davantage les desseins de la Commission européenne que la remise en concurrence des concessions, dont l’issue est aléatoire. Après tout, rien n’exclut que les concessionnaires sortants remportent tous les appels d’offre !

Les inconvénients de cette solution sont au nombre de deux. Le premier est le coût du rachat par la puissance publique. Cette solution imposerait le rachat de l’activité hydraulique d’EDF par l’État. L’actif des concessions hydroélectriques est valorisé à 7,2 milliards d’euros dans le bilan d’EDF, dont l’État possède 84 % du capital. Le coût net d’un tel rachat s’élève donc à 1,150 milliard d’euros.

Le second est la perte de l’activité hydroélectrique pour EDF. Il est clair qu’une telle solution demanderait de gros efforts d’adaptation de la part de l’entreprise EDF, qui a déjà été fortement déstabilisée par les règles issues des directives européennes en matière d’énergie.

Cette évolution n’en est pas moins réalisable : c’est le processus qui a donné lieu à la CNR telle que nous la connaissons aujourd’hui, c'est-à-dire un exploitant d’électricité indépendant, disposant de sa propre salle de marché.

Dernier scénario : passer du régime de la concession à celui de l’autorisation pour évoluer vers la création d’une société bâtie sur le modèle de la CNR.

Si le régime de la concession est soumis à des obligations de remise en concurrence, rien n’est prévu pour des ouvrages qui seraient la propriété de l’exploitant. C’est grâce à ce régime que la plupart des grands pays européens de l’hydraulique arrivent à échapper à l’obligation de remise en concurrence.

En France, seules les installations d’une puissance inférieure à 4,5 MW sont soumises au régime d’autorisation. Le principe de ce troisième scénario serait de l’étendre à l’ensemble des installations hydroélectriques.

Une fois de plus, nous nous sommes inspirés de mécanismes qui avaient déjà été utilisés auparavant, en l’espèce à deux reprises : lors du transfert à EDF de la propriété du réseau de transport d’électricité (article 4 de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier) ; lors du transfert à GDF du réseau de transport de gaz (article 81 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de Finances rectificative pour 2001).

Trois étapes seraient nécessaires. D’abord, la résiliation de l’ensemble des contrats de concession et le paiement d’indemnités d’éviction au concessionnaire sortant. Le calcul des indemnités serait réalisé par un magistrat de la Cour des comptes (tel que c’était prévu lors du transfert à GDF du réseau de transport de gaz). Ensuite, le transfert des actifs hydrauliques à une « compagnie nationale hydraulique », dont les statuts prévoient qu’elle doit rester majoritairement publique. Enfin, la prise de participation du concessionnaire sortant dans la société créée, sur le modèle de la CNR – dont GDF détient actuellement 49,9 % du capital.

Les avantages de cette solution, sont proches de ceux de la solution précédente. Le premier est de faire profiter de la rente hydraulique aux consommateurs et aux électro-intensifs, selon le même schéma que dans le scénario précédent.

Le deuxième avantage est de régler dès aujourd’hui l’avenir de l’ensemble du parc hydroélectrique. Le passage à un régime d’autorisation nous libèrerait de la question du calendrier d’échéance des contrats de concession. Désormais, l’exploitation des ouvrages serait confiée à la compagnie nationale hydraulique sans limite de durée.

Le troisième avantage est d’associer directement les collectivités territoriales à la gestion de l’opérateur unique des concessions. Il pourrait être envisagé le même type de participation des collectivités territoriales que dans la solution précédente : une présence au conseil d’administration de la compagnie nationale et un financement de missions d’intérêt général, dont le contenu serait défini en concertation avec les collectivités.

Le quatrième avantage est de se donner un contrôle total de l’outil de production hydroélectrique dans la perspective de la transition énergétique. Si la formule d’une compagnie nationale donne moins de garanties que celle d’un établissement public, elle présente tout de même l’avantage de maintenir le principe d’un exploitant national du parc hydraulique.

Le cinquième avantage est de donner aux salariés de l’hydroélectricité une perspective claire sur leur avenir. Ce schéma offrirait une configuration favorable aux salariés. Conformément au droit du travail, les contrats de travail seraient transférés au nouvel employeur, tandis que la présence au capital d’EDF faciliterait les passerelles entre les deux entités, leur garantissant ainsi des possibilités d’évolution de carrière intéressantes.

Dernier avantage, cela animerait la concurrence du marché de l’électricité, selon les vœux de la Commission européenne. Comme dans la solution précédente, le fait d’alimenter l’ARENH avec l’électricité hydraulique offre des possibilités supplémentaires aux fournisseurs alternatifs de concurrencer l’opérateur historique.

Cette solution présenterait un seul inconvénient : la sortie du régime de la concession. La sortie du régime de la concession signifie que l’État perd la propriété des actifs hydrauliques. Le risque est qu’en cas de privatisation de l’établissement, ces actifs soient cédés à un opérateur privé. Si un tel risque ne doit pas être sous-estimé, rappelons tout de même que le réseau de transport d’électricité qui constitue un enjeu de sécurité et d’indépendance nationale encore plus important, est lui aussi sous le régime d’autorisation. De plus, il est possible d’envisager des dispositions législatives imposant que le capital de la compagnie nationale créée soit à majorité publique. L’introduction de plusieurs acteurs au capital de la société (CDC, collectivités, EDF) et l’attribution à l’État d’une action spécifique – golden share –pourraient également constituer des garanties.

Mes chers collègues, nous avons terminé la présentation des solutions alternatives que nous avons élaborées, en espérant que cette présentation ne vous ait pas paru trop complexe. Il nous semblait essentiel, dans un contexte de fort développement des énergies renouvelables, de garder la maîtrise de notre outil de production hydraulique, seul moyen de stockage dont nous disposons aujourd’hui. Enfin, est-il besoin de rappeler le précédent de la libéralisation des concessions autoroutières, récemment mis en exergue par la Cour des comptes ? Nous ne sommes pas obligés de répéter nos erreurs…

En conclusion, je souhaiterais remercier le président François Brottes, qui était déjà convaincu de la nécessité de creuser d’autres pistes au moment du lancement de la mission, qui a été à l’écoute de nos demandes de report et qui nous a accompagnés dans cette difficile tâche sans jamais remettre en cause la confiance qu’il nous portait.

M. le président François Brottes. Merci pour ces mots agréables. Je voudrais d’abord saluer le travail considérable effectué par nos rapporteurs et notre équipe, d’autant que nous n’avons pas eu toutes les aides qu’on pouvait attendre : quand on va fouiller dans des coins où personne n’a envie d’aller chercher, les choses sont parfois un peu compliquées.

Je vous propose que chacune de la dizaine de questions d’une minute prévues puisse être posée et que l’on fasse ensuite une coupure, Mme Battistel répondant lors de l’audition du ministre, lui-même pouvant alors donner le point de vue du gouvernement.

Mme Michèle Bonneton. Une question préalable : doit-on se prononcer sur un ou des scénarios ici en commission ?

M. le président François Brottes. Non, il s’agit d’un travail d’investigation fait par une mission, rendu à la fois pour nous et pour le gouvernement. Il n’y a pas de choix particulier à effectuer ce soir. L’ensemble des avantages et inconvénients sont présentés de la manière la plus objective possible. Cela permet d’alimenter la réflexion, mais il n’y a pas de vote sur le rapport.

Mme Frédérique Massat. Merci aux rapporteurs de nous avoir présenté, dans un contexte difficile, un rapport "costaud" quant à ses implications. Malgré l’objectivité de la présentation des avantages et inconvénients des différents scénarii, on peut quand même déceler votre préférence, notamment pour la rapporteure de la mission. Surtout en ce qui concerne les numéros 2 et 3, quel serait l’impact sur les territoires de montagne, sur les élus, les populations et les consommateurs, ainsi que l’impact social ?

M. Antoine Herth. Merci pour ce travail et merci monsieur le président de nous donner l’occasion d’enrichir nos connaissances avec ce genre d’investigation. Je regrette à chaque fois que notre commission ne s’appelle plus « Production et échanges ». Car la question demeure : voulons-nous que la richesse d’un pays, sur le long terme, se fasse sur la production ou sur les échanges ? La commission européenne, évidemment, a choisi les échanges. Je pense, comme d’autres dans cette salle, qu’il ne faut pas oublier la production et peut-être même qu’il faut lui donner la priorité. Ce rapport nous permettra-t-il d’engager un dialogue avec le gouvernement pour qu’en découle une stratégie de long terme en faveur de la production électrique et pas seulement du commerce ?

M. le président François Brottes. Vous pourrez poser la question au ministre dans la foulée ce soir.

Mme Michèle Bonneton. Il s’agit de l’eau : ce n’est pas n’importe quel sujet. Nous devons raisonner sur le long terme sur une ressource très particulière. Il est indispensable de penser à préserver l’avenir par une gestion collaborative avec tous les acteurs, à ajuster au fil des années. Il faut à notre avis préserver le contrôle public de cette ressource fondamentale et stratégique pour qu’un seul opérateur ne puisse s’en emparer, donner des perspectives claires pour les salariés et assurer un prix de l’électricité tiré vers le bas pour les ménages et les électro-intensifs. Il me semble que le scénario 1 ne répond pas du tout à ces objectifs. De même le scénario 4 implique-t-il des risques trop importants de perte du parc hydroélectrique en cas de privatisation. Donc, reste pour nous, si choix il doit y avoir, les scénarios 2 et 3. C’est particulièrement regrettable que le gouvernement ait quasiment déjà annoncé son choix. Comment faire pour lui exprimer de façon claire et forte le nôtre ?

M. le président François Brottes. Vous êtes là tout à l’heure j’imagine.

M. Joël Giraud. Je remercie les rapporteurs, ainsi que le staff technique, réduit à une personne, pour un travail indispensable parce que l’eau est vraiment notre patrimoine le plus précieux. Les installations hydroélectriques dont nous sommes les dépositaires sont un patrimoine de très grande valeur. Elles ne doivent pas devenir des installations hors sol parce qu’elles sont liées à des ressources, à des investissements, à des enjeux économiques et touristiques locaux. Sans tomber dans le panneau du protectionnisme et du repli sur soi, il faut obtenir des garde-fous, imaginer des outils de gestion et d’exploitation pertinents et innovants comme vous l’avez fait. L’expérience nous montre qu’un cahier des charges n’est pas l’outil le plus performant pour garantir la qualité d’un dialogue et d’une concertation, surtout dans un pays comme la France, où la culture du cahier des charges est un petit peu défaillante. Vous proposez des pistes, des montages juridiques, etc. Il ne faut tout simplement pas court-circuiter le temps du débat, comme l’a dit Michèle Mme Bonneton. Je regrette que le gouvernement ait fait des annonces ; nous devons recevoir les ministres en charge de ce dossier, le ministre de l’écologie et le ministre de l’économie et des finances, de façon à ce que le temps du débat se fasse maintenant en commission.

Mme Béatrice Santais. Je voudrais m’associer à toutes les félicitations : avoir cherché le sens politique des choses sans se retrancher derrière l’argumentation juridique européenne très contrainte et frustrante était un beau travail. Ma seule question : et maintenant ? Après ces propositions très élaborées, innovantes et courageuses, que va-t-il se passer à la fois avec le gouvernement et avec l’Europe pour aboutir à une vraie solution nouvelle pour la France ?

M. Dino Cinieri. À mon tour je salue le travail des rapporteurs. Notre opérateur historique a démontré sa compétence en matière de sécurité des installations hydroélectriques. L’ouverture à la concurrence ne risque-t-elle pas d’affecter le niveau de sécurité des barrages ? Tout candidat à l’attribution d’une concession devrait être au minimum à 70 % public, ce qui obligerait un exploitant étranger qui souhaiterait pénétrer ce marché à intégrer un consortium avec un établissement public. Il en va de la pérennité de notre avenir économique et social. Enfin, qu’en est-il de la réciprocité avec les pays étrangers ?

Mme Delphine Batho. Je voudrais saluer le travail remarquable des rapporteurs. C’est l’archétype du sujet sur lequel existe une tendance à vouloir imposer l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule politique possible. La démonstration a été faite que des alternatives existent. L’hydroélectricité est un trésor national que l’on ne peut libéraliser, encore moins au moment où l’on veut engager la transition énergétique. Je salue en particulier la démonstration faite au sujet des impacts tarifaires et des impacts sur la production industrielle. Il s’agit d’un apport décisif qui, je l’espère, permettra au gouvernement de reconsidérer sa décision. Lequel des trois autres scénarios auriez-vous tendance à considérer comme étant la solution à retenir ?

M. Michel Sordi. Moi aussi je remercie les rapporteurs. Il y a sur le territoire deux poids deux mesures. Sur le Rhône, la compagnie nationale du Rhône verse des redevances aux collectivités. Y a-t-il également reversement sur le Rhin ? Si tel n’est pas le cas, nous payons deux fois l’addition : non-reversement aux collectivités de redevances sur les barrages ; projet de fermeture de la centrale de Fessenheim nous privant de retombées fiscales.

Mme Marie-Lou Marcel. Je m’associe aux remerciements pour le formidable travail effectué. La libéralisation de l’énergie représenterait une perte d’autonomie et de maîtrise de l’énergie, qui pourrait se comparer à une délocalisation virtuelle. Il n’y aurait pas de recettes avant 2017 au plus tôt, si ce n’est 2020 ou 2021. Ne peut-on envisager un prolongement des concessions qui permettrait à l’opérateur historique de réaliser les projets ? Deux milliards d’euros d’investissements sont bloqués sur le Lot et sur le Rhin (un milliard sur chacun de ces secteurs) : une simple prolongation avec l’opérateur historique permettrait de réaliser ces investissements. Les grands barrages font de l’électricité, mais ont aussi une vocation dans le cadre des débits d’étiage, de l’irrigation et du tourisme. Toute une économie est liée à ces concessions.

M. Alain Marc. Dossier complexe ; rapport remarquable. Je soutiendrai quant à moi toutes les propositions que vous ferez : il n’y a pas lieu de faire de politique politicienne. L’opérateur historique est excellent. Quand la décision sera-t-elle prise ? Des collectivités attendent la redevance. Certaines installations sont arrivées au terme de leur concession. Quel que soit le scénario choisi, les concessionnaires qui ont vu leur concession prolongée devront-ils s’acquitter de la redevance pendant cette période intermédiaire ? Nous attendons cela avec impatience. Le département de l’Aveyron a vu, dans le domaine social, la facture passer de 140 à 152 millions d’euros : la redevance sera la bienvenue.

M. Jean-Luc Laurent. Moi aussi je voudrais me joindre aux félicitations pour les deux co-rapporteurs. Je constate la nécessité de contrer cette pensée unique européenne d’une mise en concurrence, cette fameuse « concurrence libre et non faussée » qui met en cause et l’intérêt national et un atout productif au moment où il faut se battre pour remonter la pente de la réindustrialisation de la France. Je ne comprends pas pourquoi on se priverait ou on dégraderait l’atout que constitue la filière de l’hydroélectricité. Cela mettrait en cause l’indépendance de la France, mais, au-delà même, cela conduit l’Union européenne à une forme de dépendance qui a été fort bien montrée par les deux co-rapporteurs, puisque cela ferait entrer des opérateurs extérieurs. Les propositions alternatives qui sont faites permettent de maintenir une énergie à bon marché, ainsi que le contrôle public et la sécurité de l’approvisionnement. Il y a un enjeu de souveraineté. Je ne peux partager les déclarations du gouvernement. Alors même que nous avons engagé un travail au niveau parlementaire, la moindre des choses était d’attendre avant de prendre des initiatives intempestives. Ma liberté d’expression, reconnue au sein du groupe SRC, me permet de le dire, et peut-être de le dire plus fortement. Les options 2 et 3 apparaissent les meilleures. Mais une autre solution serait d’en rester au dispositif actuel, avec la poursuite de la durée de concession. Cette piste n’est-elle pas à creuser davantage ?

M. le président François Brottes. Devant l’heure avancée, je vous propose que les rapporteurs répondent aux questions lors de la séance de ce soir.

II. AUDITION DE DE M. PHILIPPE MARTIN, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE

Lors de sa seconde réunion du 17 septembre 2013, la commission a auditionné M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. le président François Brottes. Je vous remercie Monsieur le Ministre. Chacun l’aura noté, y compris M. Fasquelle, bon nombre de chantiers sont ouverts, le Gouvernement avance, les parlementaires doivent continuer à l’accompagner. Mme Abeille, vous pouvez constater, vous l’avez fait dans son intervention, que le renvoi en commission permet bien d’approfondir le dossier.

Nous allons aborder maintenant notre deuxième sujet. Les deux rapporteurs désignés par la commission, Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann, ont présenté tout à l’heure le résultat de leurs travaux sur la mise en concurrence éventuelle des concessions des barrages. C’est un travail initié depuis plusieurs mois. Cet après-midi, les propositions faites par les rapporteurs ont suscité nombre de questions chez nos collègues, aussi Monsieur le Ministre, je vous propose, si vous en êtes d’accord, de laisser les rapporteurs répondre puisqu’ils n’ont pas pu le faire dans le temps imparti à la réunion de la commission cet après-midi, et je vous donnerai ensuite la parole.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je vais en effet répondre aux questions posées par nos collègues, en regroupant à la fin de mon propos les deux sujets principaux qui se sont dégagés des interventions, et mon collègue Éric Straumann apportera les compléments éventuellement nécessaires.

Mme Michèle Bonneton a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un bien comme les autres, c’est une évidence également pour nous, et il doit donc avoir un traitement différencié. Il nous faut également être attentifs à la maîtrise du prix de l’électricité pour les consommateurs et pour les électro-intensifs. Quant au choix qui sera fait par le Gouvernement, M. le Ministre Martin pourra y répondre mieux que je ne le ferai moi-même. Je note simplement qu’il a donné une orientation, et nous comptons sur lui pour que le travail de fond fourni dans le cadre de cette mission puisse être pris en compte, et ouvre le débat parlementaire.

Je peux rassurer Mme Frédérique Massat, présidente de l’ANEM – et cela se sent à chacune de ses interventions - : l’un des objectifs de cette mission était bien la prise en compte de l’impact sur les territoires de montagne, où de nombreux ouvrages hydrauliques sont exploités, tant sur le plan de l’aménagement des territoires, de l’emploi local que du prix de l’électricité pour le consommateur. C’est d’ailleurs ce qui nous a conduits à écarter la solution de la mise en concurrence.

La réponse à la question sur la suite à donner aux préconisations du rapport, compte tenu des orientations annoncées par le Ministre, relève plutôt du Gouvernement, aussi je vais laisser le Ministre y répondre tout à l’heure.

La sécurité des barrages a été l’une de nos préoccupations, et nous pensons que l’opérateur historique est le plus à même de l’assurer aujourd’hui. M. Dino Cinieri, je vous précise que cela concerne à notre sens tant la sécurité des ouvrages que la sécurité du système électrique.

La prolongation des concessions, évoquée par plusieurs collègues, pose un problème de mise en œuvre au regard des règles européennes. Elle ne pourrait se faire par avenant, car le droit de la concurrence exige que, lorsque l’équilibre économique du contrat est profondément modifié, il y ait remise en concurrence. Retenir cette solution n’est pas impossible, mais cela nécessite des aménagements législatifs, et une collaboration étroite avec les services du ministère.

La prolongation des concessions est la solution qui recueille le plus de faveurs. Mais notre souhait est aussi d’ouvrir un débat, et de nourrir avec ce rapport une réflexion plus poussée sur des solutions alternatives, en collaboration avec les services du ministère, pour faire émerger ce qui serait le choix optimal pour non seulement l’hydraulique française mais surtout l’équilibre dans le cadre de la transition énergétique. L’hydraulique est pour nous le pilier de la réussite de cette transition énergétique : comment en effet développer les énergies renouvelables sans la maîtrise de cet outil de stockage qu’est l’hydraulique ? Par ailleurs, la libéralisation de ce marché ne nous paraît pas cohérente avec la maîtrise des coûts pour les consommateurs et pour les électro-intensifs.

Nous serons donc très attentifs à vos propos, Monsieur le Ministre, car la solution que vous préconisez nous semble être en contradiction totale avec l’objectif de réussite de la transition énergétique. Elle est à nos yeux défavorable aux consommateurs, défavorable aux électro-intensifs, défavorable à la réussite de la transition énergétique, et donc défavorable à l’excellence environnementale dont vous parliez en préambule.

Je tiens à évoquer également la question des « recettes perdues », dont la démonstration n’a pas été faite à notre sens puisque l’État détient 84 % des actions d’EDF. Quant à la rente hydraulique, elle profite à notre avis davantage aux consommateurs qu’à l’exploitant aujourd’hui.

M. Éric Straumann. J’ai été très étonné que le Gouvernement prenne une position avant que nous rendions le rapport, et je suis heureux de constater que ma collègue ne s’est pas laissée influencer par la position officielle.

Il y avait également une question de Michel Sordi au sujet d’une situation non acceptable sur le territoire national, à savoir celle de la discrimination entre le Rhône et le Rhin. Manifestement les élus du Rhône en 2003 ont été beaucoup plus efficaces que les élus alsaciens puisque les collectivités locales encaissent dans le Rhône environ cent millions d’euros de redevances pour des barrages construits à la même époque et selon les mêmes techniques, quand l’Alsace n’en perçoit quasiment aucune. Il faut vraiment aligner le régime du Rhin sur celui du Rhône car les conseils généraux, qui connaissent aujourd’hui de grosses difficultés, ont besoin de ces recettes. L’opérateur historique devrait ainsi entrer en négociation avec les collectivités alsaciennes.

L’autre aspect de la question est que l’Alsace perd cinquante millions d’euros en redevances non perçues sur les barrages et va perdre également sept millions d’euros de recettes fiscales avec la fermeture annoncée de la centrale nucléaire de Fessenheim. Cela fait beaucoup pour une petite région.

M. le président François Brottes. Le contenu du rapport faisant l’unanimité parmi tous les groupes de la commission sur la forme et sur le fond, je propose que nous autorisions sa publication.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je suis très heureux de pouvoir m’exprimer sur ce sujet, mes collègues Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve n’ayant pu se joindre à moi.

Votre commission, Monsieur le Président, a débattu du rapport réalisé par Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann sur le renouvellement des concessions hydrauliques.

Je voudrais leur dire, ainsi qu’à vous, que dans ma conception de notre relation de travail, débattre, construire avec les parlementaires ce qui deviendra ensuite des politiques gouvernementales, sera ma ligne de conduite.

Dire cela, l’affirmer même solennellement à cet instant, c’est bien évidemment regretter qu’une réponse du Gouvernement à un référé de la Cour des comptes ait pu être publiée avant que nous ayons eu un échange de fond sur les travaux menés par votre commission. Je préfère vous le dire sans détour, ni artifice.

De la même manière je veux dire qu’une réponse à un référé de la Cour des Comptes ne saurait constituer à elle seule une politique gouvernementale. Le sujet est complexe, il comporte un volet industriel, un volet territorial, un volet environnemental et enfin un volet économique et budgétaire qui doivent être traités ensemble pour constituer, comme c’est notre ambition, une politique globale de l’hydro-électricité en France.

La Cour des comptes, comme c’est sa mission, entendait alerter le Gouvernement sur le fait que, faute d’avoir été renouvelées à temps, certaines concessions attribuées à EDF sont aujourd’hui prorogées de fait, ce qui prive le budget de l’État du produit des redevances qui auraient dû être appliquées lors du renouvellement de ces concessions.

Le Gouvernement répond à cette situation de la manière suivante : « sans préjuger des conclusions de la mission parlementaire en cours », et « à ce stade de sa réflexion », la solution d’un renouvellement s’appuyant sur une mise en concurrence avec lancements d’appels d’offres était la solution qu’il était conduit à privilégier. Et d’ajouter qu’alors qu’elles ont été historiquement attribuées ouvrage par ouvrage et au fur et à mesure de leur construction, il serait préférable de regrouper les concessions par vallées pour préserver la cohérence de la chaîne d’exploitation des barrages et définir une date d’échéance des concessions unique par vallée – en raccourcissant la durée des concessions les plus longues d’une durée équivalente à la prolongation des plus anciennes –, ce que l’on appelle techniquement la méthode des « barycentres ».

Ce que le Gouvernement met en avant dans cette réponse, c’est donc d’abord une méthode.

Cette méthode est un héritage. Elle résulte des engagements pris au nom de la France par le précédent Gouvernement en 2010 - je le dis à Messieurs les parlementaires de l’opposition. La France, qui se trouvait alors sous le coup de deux contentieux européens, s’était engagée à ouvrir à la concurrence non seulement tout le secteur de l’aval (c’est-à-dire de la vente de l’électricité), ce qui a été fait au mieux des intérêts des consommateurs avec la loi NOME, fortement critiquée par François Brottes, mais aussi l’amont, c’est-à-dire le secteur de la production de l’électricité. C’est dans ce compromis général que se sont trouvées englobées les concessions hydrauliques, alors même que les barrages sont une composante de notre patrimoine national.

Cette méthode résulte aussi et plus fondamentalement, des choix qui ont été faits au cours des dix dernières années et, au premier chef, du choix porté par une autre majorité devenue aujourd’hui opposition, par la loi du 9 août 2004, de transformer EDF qui était un établissement public en une société anonyme de droit privé. Ce changement de statut a été opéré sans régler le problème des concessions, alors qu’on aurait tout à fait pu les renouveler à l’époque pour une durée de 40 ans au profit de l’opérateur historique.

Le fait que le titulaire des concessions hydrauliques actuel soit une société privée, dont l’État est certes actionnaire à hauteur des deux tiers du capital mais qui n’en est pas moins une société privée, a changé la donne. Pourquoi ? Parce que toute solution consistant à faire revenir dans les mains de l’État, ou dans des mains publiques, l’exploitation des barrages, implique nécessairement de revoir le statut d’EDF, en totalité ou partiellement. Il faut pousser le raisonnement jusqu’au bout : en totalité, cela impliquerait une renationalisation de EDF. En partie, cela impliquerait un démantèlement de l’opérateur pour y distinguer une filiale qui pourrait ensuite devenir publique, sous la forme d’un EPIC, puis rompre tout lien avec EDF, soit en suscitant un nouvel opérateur public.

Enfin, le statut de Société anonyme d’EDF fait entrer le renouvellement des concessions dans le droit commun des délégations de service public, strictement encadrées tant par le droit national, avec la loi Sapin, que par le droit de l’Union européenne. Et cet encadrement impose une application stricte du droit de la concurrence, ce qui rend non pas impossible mais extrêmement difficile d’imaginer un scénario où l’État attribuerait directement à un opérateur public l’exploitation des barrages sans appel d’offres.

Ce rappel m’a semblé nécessaire : nous devons tous avoir conscience que la voie qui est ouverte pour des solutions alternatives à la mise en concurrence est étroite. Le Gouvernement, pour sa part, et c’est ce qui fonde l’option qu’il privilégie jusqu’à maintenant, estime que cet héritage crée une situation de non - retour. La création d’un nouvel intervenant, public, chargé de la production hydraulique, établissement qui devrait avoir des clients serait un concurrent d’EDF et le priverait d’un coup de tous ses moyens de production de pointe, alors que l’on peut envisager, dans le cadre des appels d’offres à venir qu’EDF en conserve une partie non négligeable.

Voilà pour l’argumentation de la position retenue. Ce n’est donc pas une position idéologique, mais une option réaliste qui intègre les choix qui nous ont précédés.

J’ai bien conscience que nous sommes à un tournant de notre politique énergétique et que nous avons une responsabilité particulière. Marie-Noëlle Battistel et d’Éric Straumann ont imaginé d’autres possibilités, envisagé d’autres scénarios. Je respecte bien évidemment cette vision. C’est peut-être la dernière fois que nous pouvons avoir un véritable débat sur l’avenir de notre appareil productif alors que la montée en puissance des énergies renouvelables, intermittentes par nature, rend nécessaire de disposer de l’énergie de pointe des barrages et d’en garder la maîtrise.

Je vais donc prendre connaissance attentivement de votre rapport et je vous assure que nous re-débattrons de ce sujet, à la lumière de cette lecture.

Une politique de l’hydro-électricité en France doit, à mes yeux, viser deux objectifs :

Le premier est de soutenir nos industriels électro-intensifs. Je suis attaché au maintien de la compétitivité de notre énergie. Et le contexte actuel est complexe. La sauvegarde de certains sites (comme Saint Jean de Maurienne) nécessite des acrobaties conceptuelles afin de rester dans le cadre européen et d’offrir des offres compétitives en assurant à nos industriels une visibilité sur le long terme.

Je souhaite que nous travaillions collectivement à une solution pérenne pour les électro-intensifs. La victoire n’est pas garantie mais le renouvellement des concessions hydro-électriques pourrait constituer une opportunité à saisir. Une discussion pourrait s’amorcer avec la Commission européenne et pourrait trouver une concrétisation dans la loi de transition énergétique.

Je crois savoir que vous faites des propositions en ce sens et je veux que nous en débattions ensemble.

Le second objectif est de donner aux collectivités territoriales une nouvelle place dans notre système hydro-électrique. Les collectivités territoriales souhaitent avoir un rôle important dans le processus, voire une participation dans les futurs exploitants. Je sais que vous faites des propositions et que vous les avez également rencontrées. D’ores et déjà je vous fais la proposition d’une table ronde avec les collectivités intéressées pour approfondir ces questions.

Enfin, on ne peut concevoir aujourd’hui un barrage sans un projet territorial comprenant un volet environnemental fort. Le renouvellement des concessions peut être, j’en suis convaincu, une opportunité de remettre les choses à plat en donnant l’occasion à l’ensemble des parties prenantes et des usagers de l’eau de faire valoir leurs intérêts et leurs points de vue, et notamment, de demander l’application de nouvelles prescriptions environnementales.

Je ne peux terminer sans évoquer deux points : le premier est la question de l’emploi. Le renouvellement des concessions ne constitue pas une menace pour l’emploi. Il pourrait même donner lieu à des créations d’emplois au niveau local: par exemple les emplois induits par les nouveaux investissements (travaux de suréquipement) stimuleront également l’ensemble de la filière industrielle, qui compte déjà 11 000 emplois directs (équipementiers, génie civil, intégration environnementale).

Je ne méconnais pas les difficultés que ne manqueront pas de poser les transferts des agents sous statut en cas de changement de concessionnaire. Sur ces points encore, je souhaite que nous prolongions nos échanges.

L’impact d’une mise en concurrence sur les ménages est également un point sur lequel nous devrons avoir des échanges approfondis.

La question d’un risque d’augmentation des coûts pour les ménages n’est pas une question à traiter à la légère :

De mon point de vue, les ménages continueront à bénéficier des tarifs réglementés de l’électricité. Il n’y aura pas d’impact par rapport à la situation actuelle car les tarifs réglementés seront construits par addition de différentes composantes : prix de l’électricité nucléaire, complément d’électricité au prix de marché, coûts d’acheminement, coûts commerciaux et taxes, rémunération normale.

Les coûts des concessions hydro-électriques n’auront donc pas, a priori, d’influence sur les prix payés par les ménages. La question est plutôt de savoir si la rente est captée par l’État à travers la redevance ou si elle transite via EDF dont l’État récupère une partie par les dividendes.

Voilà ce que je tenais à vous dire, Messieurs et Mesdames les députés, alors que vous venez d’apporter votre contribution à cet important débat sur l’avenir de nos concessions hydrauliques. Mais mon message essentiel est que nous nous reverrons et que je souhaite construire avec vous la politique de l’hydro-électricité de la France.

M. le président François Brottes. Merci, Monsieur le ministre, d’avoir permis l’ouverture sur un débat et un travail coopératif sur ce sujet extrêmement sensible. Je propose que ceux qui souhaitent vous interroger puisse le faire maintenant.

Mme Brigitte Allain. Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, des décisions de l’ancien Gouvernement qui engageraient trop aujourd’hui l’actuel et qui l’empêcheraient de prendre certaines décisions ou de revenir sur certaines d’entre elles. Pouvez-vous nous préciser de quelles décisions il s’agit et les rapporteurs peuvent-ils nous dire s’ils sont d’accord avec ce diagnostic ?

M. Yves Blein. Je souhaitais seulement faire une remarque selon laquelle les entreprises électro-intensives ont besoin de réponse sur le coût de l’énergie et sur sa stabilité.

M. Jean-Luc Laurent. Je vous remercie à mon tour, Monsieur le ministre, pour les éclairages que vous nous avez apportés. Cela dit, je souhaiterais faire deux observations.

Tout d’abord, je suis assez stupéfait que le Gouvernement, qui avait pourtant arrêté une méthode de travail en collaboration avec le Parlement, prenne des décisions avant même que le rapport sur l’hydroélectricité ne soit validé par la Commission des affaires économiques, puisque celle-ci n’en a eu connaissance qu’aujourd’hui, en fin d’après-midi.

Ensuite, l’intérêt national ne peut être guidé par les seuls choix techniques et le seul désir de maintenir une concurrence libre et non faussée. L’hydroélectricité est l’un des fleurons de notre industrie ; il faut veiller à ne pas prendre à son égard de décision hasardeuse et seulement comptable.

M. Antoine Herth. Les explications du ministre sont intéressantes. La position exprimée me convient plutôt à une exception près, qui est celle du clivage partisan que vous introduisez. À mon sens, vous avez deux sortes de parlementaires : ceux que l’on peut rapidement qualifier de « libéraux » et ceux, dont je fais partie, qui sont également les défenseurs d’une sorte de « pré carré colbertiste ». Or, si vous souhaitez changer les choses, c’est à mon avis sur cette deuxième catégorie qu’il faudra vous appuyer.

M. le président François Brottes. Madame et Monsieur les rapporteurs, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteur. Je souhaite remercier l’ouverture dont fait preuve le ministre et nous sommes, je pense, tout à fait d’accord pour travailler avec les services du ministère sur ces sujets. C’est une alternative à la simple mise en concurrence à laquelle nous répondons positivement.

M. Éric Straumann, co-rapporteur. Je rappelle que l’ancienne majorité devait faire face aux mêmes problématiques. Je suis de tendance plutôt libérale mais je rappelle que ces barrages ont un rendement net de 90 % et je pense qu’il faut donc tout faire pour les défendre, les conserver et ne pas les laisser à un acteur privé qui bénéficierait ainsi d’une rente tout à fait exceptionnelle.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, je vous laisse répondre.

M. Philippe Martin, ministre de l’environnement. L’exercice n’est pas facile ! Le changement de statut d’EDF est un élément qui doit être pleinement pris en compte pour gérer cette situation. Je signale également que la Commission européenne (notamment la direction générale de la concurrence) observe ce que l’on fait, notamment au regard des autres pays qui nous entourent : on ne peut agir librement. Je m’engage à me servir de ce rapport, à prendre appui sur ses observations et ses propositions.

M. le président François Brottes. Je vous remercie Monsieur le ministre. J’interroge la commission pour savoir si elle autorise la publication du rapport.

(La commission autorise la publication du rapport).

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive programmes

ALPIQ

M. Jean-Claude Meynard, directeur projet concessions hydroélectriques

M. Gery Lecerf, responsable des affaires publiques et de la communication

Alstom

Mme Maryse François, vice-président Global R&D et Product Management d’Alstom Hydro

M. Arnaud Chaffoteaux, directeur des relations externes

Association des maires de France (AMF)

M. Jean Proriol, maire de Beauzac

Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG)

M. Marc Boudier, président de l'AFIEG

M. Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France

M. Guillaume Gilles, directeur de BKW France

M. Jean-Claude Meynard, directeur de projet chez Alpiq France

Association nationale des élus de la montagne

Mme Frédérique Massat, présidente

M. Laurent Wauquiez, secrétaire général

M. Pierre Bretel, délégué général

Mme Audrey Legardeur, chargée de mission

Autorité de la concurrence

Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale (dirige les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence)

M. Edouard Leduc, rapporteur

Mme Liza Bellulo, chef du service du président

BKW

M. Beat Deuber, directeur marché français

M. Guillaume Gilles, directeur hydro France

Mme Robine Heylen, chargée de mission hydro France

CFDT

M. Alain Leyrat, membre du Comité national de branche des industries électriques et gazières à la FCE-CFDT

M. Patrick Bathany, délégué syndical central CFDT à EDF

Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale Politique industrielle, recherche

CFE – CGC

M. Jean-Luc Haas, secrétaire national, Secteur économie, industrie, développement durable et logement

M. Christian Taxil, secrétaire général de la fédération CFE-CGC Énergies

M. William Viry-Allemoz, secrétaire national CFE-CGC Énergies en charge de la coordination du groupe GDF SUEZ

M. Alexandre Grillat, administrateur salarié à EDF SA, parrainé par la CFE-CGC

Comité de liaison énergies renouvelables (CLER)

M. Adrien Thebault, chargé d’approvisionnement (Enercoop)

Conseil général du Haut-Rhin

M. Georges Walter, directeur de l’environnement

Direction générale de l’eau et de la biodiversité

M. Laurent Roy, directeur général

Direction générale énergie et climat (DGEC)

M. Pierre Marie Abadie, directeur

M. Antoine Peillon

E.on

M. Stéphane Morel, secrétaire général

Mme Emmanuelle Carpentier, directrice de la réglementation et des affaires publiques

EDF

M. Gérard Trouvé, directeur des affaires publiques

M. Bertrand Le Thiec, directeur adjoint des affaires publiques

M. Jean-François Astolfi, directeur de la production et de l'ingénierie hydraulique

M. Xavier Ursat, directeur délégué de la production et de l'ingénierie hydraulique

Électricité autonome française (EAF)

M. Daniel Soreau, président

M. Claude Blanc Coquand, vice-président

M. Jean Cayrol, vice-président

M. David Thouvenot, secrétaire général

Enel France

M. Michel Crémieux, président

M. Stéphane Zweguintzow, directeur du développement

M. Benoit Doin, directeur de la réglementation et des relations externes

Établissement public territorial du bassin de la Dordogne (EPIDOR)

M. Guy Pustelnik, directeur

M. Roland Thieleke, directeur adjoint

Fédération nationale pour la pêche en France

M. Jean-Claude Priolet, président

M. Gérard Guillaud, vice-président

M. Hamid Oumassa, directeur général

FNME-CGT

Mme Marie-Claire Cailleteau, porte-parole

M. Robert Gerenton, responsable du collectif Hydroélectricité

FO

M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral

M. Frédéric Pinatel, responsable de l’hydraulique

Fortum

M. Philippe Stohr, directeur général

France Hydro électricité

Mme Anne Pénalba, présidente

France Nature Environnement

Mme Morgane Piederrière, chargée des relations institutionnelles et du suivi législatif

M. Josselin de Lespinay

M. Bernard Rousseau (pilote du pôle eau de FNE)

GDF SUEZ

M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur délégué de GDF SUEZ Énergie France et directeur Production Électricité et Développement France

M. Yves de Gaulle, président du directoire, président-directeur général de la CNR, président de la SHEM, membre du comité exécutif, en charge auprès du président-directeur général de GDF SUEZ des énergies renouvelables

M. Benoît Brient, directeur général de la SHEM

Mme Valérie Alain, directeur des relations institutionnelles

Poweo Direct Énergie

M. Xavier Caïtucoli, président-directeur général,

M. Fabien Choné, directeur général délégué,

Mme Frédérique Barthélemy, responsable des affaires institutionnelles

Réseau de transport d’électricité (RTE)

M. Pierre Bornard, vice-président de RTE

Statkraft

M. Emmanuel Soetaert, président de Statkraft France

M. Lionel Benatia, Grayling France

Mme Valérie Guisard, chargée de la communication et des relations institutionnelles

Syndicat des énergies renouvelables (SER)

M. Jean-Louis Bal, président

M. Damien Mathon, délégué général

M. Jean-Claude Galland, président de la commission « Hydroélectricité » du SER, et chef de mission développement EDF, division production et ingénierie hydraulique

M. Alexandre de Montesquiou, responsable affaires publiques

Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN)

M. Jean-Paul Aghetti, membre du Comité directeur, trésorier (Rio Tinto)

M. Stéphane Delpeyroux, président de la commission électricité (Arcelor Mittal)

M. Gildas Barreyre, vice-président de la commission climat et efficacité énergétique

M. Fabrice Alexandre, conseil

Union française de l’électricité (UFE)

M. Jean Baptiste Séjourné, président du groupe de travail hydraulique de l’UFE-GDF SUEZ

M. Ghislain Weisrock, GDF SUEZ

M. Didier Meyerfeld, EDF

M. Jean Francois Perret, E.on

Mme Audrey Zermatti, déléguée générale adjointe

Vattenfall

M. Frédéric de Maneville, président de Vattenfall France et porte-parole de Force Hydro

M. Vincent Escoffier, directeur de projet

WWF

M. Martin Arnould, WWF-France

M. Roberto Epple, ERN-SOS Loire Vivante

M. Philippe Boisneau, Conapped;

M. Georges Emblanc, WWF

M. Marc Adrien Marcellier, NASF

M. Jean Allardy, AIDSA

1 () Le surcoût de CSPE correspond à la différence entre le coût d’achat de l’électricité au prix fixé dans le contrat d’obligation d’achat et la valorisation de l’électricité achetée sur le marché.

2 () Selon la délibération de la CRE du 9 octobre 2012, le surcoût de CSPE pour la filière éolienne est de 560,6 millions d’euros en métropole et de 6,6 millions d’euros dans les zones non interconnectées (ZNI) ; pour le photovoltaïque, il est de 1 898,9 en métropole et de 208,1 millions d’euros dans les ZNI.

3 () Rapport sur le renouvellement des concessions hydroélectriques, Jean-Pierre Leteurtrois, Jean-Louis Ravard, Georges Rozen, Bertrand Schneiter, Laurent Winter, novembre 2006

4 () L’article L. 521-16 du code de l’énergie prévoit que « la procédure de renouvellement des concessions, notamment les conditions dans lesquelles le concessionnaire doit présenter sa demande de renouvellement de la concession dont il est titulaire, est fixée par un décret en Conseil d'État ».

5 () Analyse des coûts de production et de commercialisation d’EDF dans le cadre des tarifs réglementés de vente d’électricité, Commission de régulation de l’énergie, 4 juin 2013

6 () On peut considérer qu’une concession hydroélectrique unique ne constitue pas une entité économique autonome et que dès lors, les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail, qui emporte le transfert automatique des contrats de travail des salariés, ne sont pas remplies. Néanmoins, le nouvel entrant serait dans l’obligation de proposer au personnel la reprise au personnel immédiatement attaché à la concession qui le souhaite.

7 () « I. - Toute concession de transport de gaz en cours à la date de publication de la présente loi est résiliée dans les conditions mentionnées aux II et III.

Le titulaire de la concession perçoit une indemnité au titre de cette résiliation anticipée qui est égale à la valeur nette comptable des biens en concession, diminuée du montant de la valeur des droits du concédant tels qu'ils figurent à la clôture des comptes au 31 décembre 2001 et augmentée du manque à gagner sur la durée restant à courir de la concession.

« II. - Les biens de la concession appartenant à l'État peuvent être transférés au titulaire de la concession au moment de la résiliation de celle-ci, moyennant le versement à l'État d'une somme égale au prix de cession de ces biens déduction faite de l'indemnité due au titre de la résiliation anticipée.

Le titulaire de la concession doit en faire la demande auprès du ministre chargé de l'énergie dans un délai de trois mois à compter de la date de publication de la présente loi. Il accompagne sa demande du versement d'un acompte égal au montant de la valeur des droits du concédant, tels que figurant dans les comptes arrêtés au 31 décembre 2000.

Le prix de cession des biens susceptibles d'être transférés au concessionnaire et l'indemnité mentionnée au I sont déterminés par une commission spéciale présidée par un magistrat de la Cour des comptes dont le rôle et la composition sont précisés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'énergie et du ministre chargé de l'économie et des finances. Pour fixer le prix de cession, la commission spéciale tient compte notamment de la valeur nette comptable des biens à transférer. Les valeurs arrêtées par la commission spéciale sont transmises par le ministre chargé de l'énergie au titulaire de la concession de transport de gaz dans un délai de cinq mois à compter de la publication de la présente loi.

Le solde éventuel du prix de cession déduction faite de l'indemnité due au titre de la résiliation anticipée est versé par le titulaire de la concession dans le mois suivant la notification par le ministre chargé de l'énergie des conclusions de la commission spéciale. Ce solde est versé au plus tard le 30 septembre 2002. Dans ce cas, la concession est résiliée le jour du paiement de ce solde.

A la date de la résiliation de la concession, les biens appartenant à l'État qui étaient jusqu'alors concédés sont transférés après avoir été, le cas échéant, déclassés (…) »


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