N° 3721 - Rapport d'information de Mme Corinne Erhel et M. Michel Piron déposé en application de l'article 146-3 du règlement, par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la modernisation numérique de l'Etat




N° 3721

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mai 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR LE COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES

sur l’évaluation de la modernisation numérique de l’État

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Corinne ERHEL et M. Michel PIRON

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE DU RAPPORT 7

INTRODUCTION : LA TRANSITION NUMÉRIQUE TRANSFORME LE RÔLE DE L’ÉTAT ET OUVRE DE NOUVELLES PERSPECTIVES D’ACTION 25

1. La dématérialisation a participé à l’évolution de l’organisation des services mais ne saurait résumer à elle seule la démarche, plus vaste et prometteuse, de transformation numérique de l’État 26

2. L’État est placé face au défi mobilisateur de mener les projets d’investissement de long terme, d’une manière renouvelée 29

3. Les décideurs doivent réussir la transformation numérique, puissant levier de modernisation 29

4. Cette transformation est à l’œuvre dès à présent, comme le montrent les avancées de la loi pour une République numérique 30

I. ÊTRE AU CLAIR SUR LES FINALITÉS : POUR QUOI ET POUR QUI NUMÉRISER ? 31

A. LA NUMÉRISATION DOIT ÊTRE UN PLUS : ELLE EST SOUHAITABLE SI ELLE AMÉLIORE L’EFFICIENCE DE LA GESTION ADMINISTRATIVE ET LE SERVICE RENDU AUX USAGERS 31

1. L’évolution du travail des services avec la numérisation n’est pas d’abord une recherche d’économies mais une transformation globale et positive 32

2. La perception par les usagers doit être régulièrement évaluée 34

3. Le développement de relations partenariales avec les usagers doit s’effectuer aux différents stades de la numérisation, de la conception à la mise en œuvre 36

4. Les services centraux ou territoriaux doivent faciliter l’accès pour tous les usagers 37

a. Planifier l’accessibilité et communiquer en direction des usagers 37

b. Assurer, par la médiation numérique, l’accessibilité aux publics fragiles 38

B. LA SIMPLIFICATION ET LA NUMÉRISATION DOIVENT ALLER DE PAIR 41

1. Le choc de simplification passe aussi par les procédures numériques 42

2. L’État plate-forme est un moyen de simplification 42

3. L’aboutissement à rechercher pourrait être un point unique d’entrée vers les différents services publics numériques 43

C. LA COORDINATION AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DOIT ÊTRE ACTIVE ET ANTICIPER LE DÉPLOIEMENT DES SERVICES PUBLICS NUMÉRIQUES 44

II. ÉLARGIR LE CHAMP DES SERVICES PUBLICS NUMÉRIQUES AVEC DE NOUVELLES MÉTHODES D’ACTION PUBLIQUE : JUSQU’OÙ NUMÉRISER ? 48

A. DE NOUVELLES PROCÉDURES GAGNERAIENT À ÊTRE NUMÉRISÉES 49

B. LE DÉPLOIEMENT DES SERVICES PUBLICS NUMÉRIQUES DOIT INCLURE LE TÂTONNEMENT ET LE DROIT À L’ERREUR 61

C. L’INITIATIVE ET L’EXPÉRIMENTATION DE PROCÉDURES À L’ÉCHELON DÉCONCENTRÉ DOIVENT ÊTRE ENCOURAGÉES 64

D. LA RÈGLE DE DROIT DEVRA ÊTRE ENVISAGÉE AVEC SON SYSTÈME D’INFORMATION CORRESPONDANT EN AMONT DE SON ADOPTION 69

III. ASSURER UNE CONDUITE DU CHANGEMENT PERMETTANT D’ADAPTER LES MODALITÉS DE MISE EN œUVRE EN MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS : COMMENT NUMÉRISER ? 71

A. LES MOYENS HUMAINS ET TECHNIQUES DOIVENT ÊTRE MIEUX PROGRAMMÉS 74

1. De nouveaux types de recrutement, de nouvelles formations initiales et continues doivent être assurés dans l’administration 74

2. Il convient de renforcer l’investissement en équipement et de l’adapter aux tâches des agents 76

3. La sécurité des données doit être garantie 78

B. LA GOUVERNANCE ET LE SUIVI DOIVENT ÊTRE MIEUX IDENTIFIÉS 80

1. Les approches sectorielles et ministérielles doivent être décloisonnées par un pilotage interministériel 80

2. Il est nécessaire de donner une stabilité au pilotage de la modernisation numérique, à traduire notamment dans une feuille de route 81

3. Il convient de trouver l’équilibre entre centralisation et conduite par les directions « métiers » 83

CONCLUSION : L’INDISPENSABLE PORTAGE POLITIQUE POUR DONNER DU SENS, DÉFINIR UNE MÉTHODE ET CONFORTER LA MÉDIATION NUMÉRIQUE 84

AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES 87

EXAMEN PAR LE COMITÉ 103

ANNEXE N° 1 : Personnes entendues par les rapporteurs 121

ANNEXE N° 2 : Réponses au questionnaire adressé au secrétariat du Conseil de planification des technologies de l’information allemand (IT-Planungsrat) 125

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES À L’ÉVALUATION DE LA MODERNISATION NUMÉRIQUE DE L’ÉTAT 131

SYNTHÈSE DU RAPPORT

« Il est […] inévitable que [la révolution numérique] vienne finalement
ébranler une manière ancienne de concevoir
le management, l’organisation, l’exercice du pouvoir
et, finalement, l’État lui-même.
 »

Nicolas Colin et Henri Verdier, L’âge de la multitude.
Entreprendre et gouverner après la révolution numérique
(2012)

INTRODUCTION :
LA TRANSITION NUMÉRIQUE TRANSFORME LE RÔLE DE L’ÉTAT ET OUVRE DE NOUVELLES PERSPECTIVES D’ACTION

À l’initiative du groupe Union des démocrates et indépendants, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a, en octobre 2014, décidé de lancer une évaluation de « la modernisation numérique de l’État », pour laquelle il a désigné deux rapporteurs : Mme Corinne Erhel pour la majorité et M. Michel Piron pour l’opposition. En application de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières, cette évaluation a fait l’objet d’une assistance de la Cour des comptes qui a constitué à cette fin une formation interchambres regroupant des membres des première et quatrième chambres. Le rapport de la Cour a été présenté au CEC par M. Didier Migaud, Premier président, le 4 février 2016.

Que le terme choisi soit celui de numérisation ou bien son équivalent anglo-saxon, la « digitalisation », que l’on préfère parler de révolution ou bien de transformation ou de transition, est à l’œuvre aujourd’hui au sein de l’État une mutation profonde, pleine de promesses.

Tout en saluant le riche travail de collecte, de synthèse ordonnée et d’analyse à la fois critique et prospective accompli sur ce thème par la formation interchambres de la Cour des comptes qui a mené l’enquête évaluative dont le résultat est annexé au présent rapport, les rapporteurs entendent présenter leur vision propre du sujet et de ses enjeux, notamment dans ce qu’il peut avoir de politique, c’est-à-dire en s’efforçant de discerner, par-delà les hésitations, les interrogations ou les résistances passagères, les axes de progrès ouverts par la transformation numérique des administrations.

Il ne s’agira donc pas, dans les pages qui suivent, de se livrer à un nouvel état des lieux dans le champ défini en amont d’un commun accord entre le CEC et la Cour, comprenant les services publics numériques mis en œuvre par les ministères économiques et financiers, le ministère de l’intérieur et les services du Premier ministre – y compris dans leur fonction de coordination et de pilotage. Les rapporteurs ont plutôt fait le choix, en contrepoint du rapport de la Cour, de dresser la liste des sujets-clefs qu’ils ont identifiés, à partir des travaux de la formation interchambres ainsi que de leurs propres auditions et déplacements en région (1), comme les conditions de réussite de la modernisation numérique de l’État. Ces conditions sont formulées comme des réponses aux trois questions suivantes : pour quoi et pour qui numériser ? jusqu’où numériser ? comment numériser ?

En préambule à cette réflexion sur les finalités, les moyens et la méthode, le présent chapitre introductif vise à poser quatre jalons utiles : un rappel très succinct de l’ampleur des enjeux, de leur nature, de leur portée et de l’état d’avancement de leur concrétisation.

1. La dématérialisation a participé à l’évolution de l’organisation des services mais ne saurait résumer à elle seule la démarche, plus vaste et prometteuse, de transformation numérique de l’État

Pour présenter le stade auquel la France est parvenue en matière de transformation numérique de son administration, il y a bien des manières de procéder. Par exemple en se livrant notamment, comme le fait la Cour des comptes en ouverture de son rapport, à une analyse de la place de la France dans les classements internationaux ; ou bien en analysant les forces et faiblesses de l’organisation responsable du pilotage de cette transformation numérique à partir de sa configuration du moment, reflet d’une histoire institutionnelle autant que des choix publics qui ont marqué cette brève histoire. Cette seconde approche, également explorée par la Cour plus loin dans son enquête, est plus féconde pour l’analyse lorsque celle-ci ambitionne de déboucher sur des préconisations de politique publique – remédier par exemple à tel dysfonctionnement dans l’organisation existante en comprenant son origine, ou mieux déceler les optimisations possibles.

ARCHITECTURE DES SERVICES DU SECRÉTARIAT GÉNÉRAL POUR LA MODERNISATION DE L’ACTION PUBLIQUE, CHARGÉS DU PILOTAGE DE LA MODERNISATION NUMÉRIQUE DE L’ÉTAT

ttp://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/organigramme_sept2015_1.png

Source : SGMAP.

Le schéma ci-dessus est la photographie du pilotage actuel (2), une architecture plusieurs fois modifiée depuis 2012, une architecture qui est l’héritière des premiers tâtonnements d’une stratégie globale à compter de la fin des années 1990 avec la création du programme d’action gouvernemental pour la société de l’information (PAGSI) en août 1997, puis ses prolongements à travers l’Agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE) en 2003-2005 – ultérieurement absorbée dans la direction générale de la modernisation de l’État (DGME) –, ou encore le plan Adèle (pour « administration électronique ») de dématérialisation des procédures publiques déployé entre 2004 et 2007.

Comme l’a indiqué en substance aux rapporteurs M. Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC), l’instabilité institutionnelle inhérente à cette structure de pilotage, critiquable à certains égards, comme le note le rapport de la Cour des comptes (cf. infra), est aussi « le reflet de quelque chose qui se construit ». Elle n’est donc ni inexplicable ni inexcusable. Avec un peu de recul, ce processus peut même inciter à une certaine réflexion sur ce que signifie, au fond, la modernisation numérique de l’État. Il devient alors possible de méditer cette formule adressée aux rapporteurs par le même Henri Verdier : « L’État pourrait remplacer tous ses formulaires par des pages web, il n’aurait pas pour autant accompli sa conversion numérique. » Et le DINSIC d’établir, pour éclairer son propos, une comparaison entre les grandes banques de détail, qui ont toutes connu dans les deux dernières décennies une dématérialisation massive, mais qui ne sont perçues par personne comme des « entreprises numériques », et le fabricant de voitures électriques haut de gamme Tesla, qui tout en mettant sur le marché des biens physiques, a auprès du grand public l’image d’une entreprise numérique…

Comprendre les enjeux de la transformation numérique des administrations suppose donc une certaine disposition d’esprit, une prise de conscience du fait que nous vivons « la révolution numérique », comme l’indique la citation choisie par les rapporteurs comme épigraphe, voire que « la révolution numérique a eu lieu », comme l’écrivaient dans leur rapport de janvier 2013 remis en conclusion de leur mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin :

« La révolution numérique a eu lieu. Elle a donné naissance à une économie numérique qui remet en cause notre conception de la création de valeur. L’économie numérique repose certes sur des activités traditionnelles de production de biens et de services. Mais de plus en plus, des startups en amorçage ou des entreprises globales servant des centaines de millions d’utilisateurs bouleversent les règles du jeu et transforment radicalement tous les secteurs de l’économie : par l’intensité de leur recours aux technologies numériques ; par le caractère innovant de leurs modèles d’affaires ; par l’abondance du financement auquel elles ont accès, notamment grâce au capital-risque ; par l’amélioration en continu du design de leurs interfaces et des expériences qu’elles proposent à travers leurs applications ; par la relation privilégiée qu’elles nouent avec les utilisateurs de ces applications ; enfin, par le levier qu’elles font des données issues de l’activité de ces utilisateurs. À travers ces entreprises, l’économie numérique représente une part croissante de la valeur ajoutée des grands États. »

Il est impensable que l’État et ses administrations demeurent à l’écart d’un tel processus et d’ailleurs, le schéma suivant, issu d’un rapport récent de l’Inspection générale des finances, donne une idée intéressante de la manière dont l’impact du numérique sur l’économie française en général a concerné l’administration jusqu’à présent.

PRÈS DE 80 % DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE CONCERNÉS PAR L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Source : Inspection générale des finances, rapport sur le soutien à l’économie numérique et à l’innovation, janvier 2012.

Les rapporteurs (3) souscrivent tout à fait à l’analyse selon laquelle les administrations de l’État, à l’échelon central comme à l’échelon déconcentré, font partie sur ce schéma du « troisième cercle », c’est-à-dire les secteurs qui ont dégagé des gains de productivité significatifs grâce à l’intégration des technologies de l’information et de la communication, mais sans avoir été profondément transformés par le processus de numérisation. Le défi est donc à présent pour l’État de prendre la mesure de ce en quoi doit consister sa transformation numérique, lui qui n’avait mené depuis la fin des années 1990 que des chantiers de dématérialisation ou des projets d’informatisation.

2. L’État est placé face au défi mobilisateur de mener les projets d’investissement de long terme, d’une manière renouvelée

Lorsque dans quelques années les successeurs des rapporteurs chercheront à analyser la manière dont l’État aura ou n’aura pas su adapter ses méthodes et ses moyens à la transformation numérique qui s’imposait à lui, il est probable que la marque de la période que nous traversons restera celle d’une volonté affichée de changer assez radicalement la manière de conduire les projets structurants dans le domaine des systèmes d’information. Telle que la perçoivent les rapporteurs, la « méthode agile » à l’œuvre aujourd’hui sous l’impulsion du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) n’est ni un slogan ni la dernière astuce trouvée pour habiller le manque de ressources budgétaires.

L’avenir dira si l’efficacité est au rendez-vous et si les moyens déployés suffisent, mais voir l’État assumer, avec l’image de la plate-forme (cf. infra), une posture plus humble que celle de l’omnipotence illustrée par quelques grands – trop grands ? – projets informatiques tels que Chorus ou l’opérateur national de paie ; observer des administrations qui acceptent de réfléchir à une transformation de leurs procédures destinées aux usagers qui soit justement guidée par les usages et non plus imposée d’en haut après avoir été conçue « en chambre » ; constater que des ministères régaliens permettent à des développeurs de disposer du code source de certaines de leurs applications pour, au terme d’une intense réflexion collective de quelques jours, élaborer « en mode startup » de nouveaux développements au service du bien commun, voilà des modalités d’action publique inédites, inouïes même à certains égards, qui changent durablement la façon de concevoir la modernisation de l’État et sont une manifestation de ce que peut provoquer la mise en œuvre bien comprise de la transformation numérique.

3. Les décideurs doivent réussir la transformation numérique, puissant levier de modernisation

Au cours de son audition par les rapporteurs, M. Pascal Otheguy, directeur du cabinet du secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification, a utilisé la métaphore du saumon qui remonte la rivière pour illustrer la manière dont l’État est amené à se réformer de l’intérieur, par répercussion ou par capillarité en quelque sorte, à partir des transformations qui s’opèrent sous l’effet des usages du numérique dans les services publics.

Les rapporteurs souscrivent d’autant plus à cette vision qu’ils ont eu l’occasion d’en vérifier la réalité sur le terrain, en particulier à l’occasion de leur déplacement à Nantes où ils ont rencontré les personnels de la direction interrégionale des douanes. Il a été frappant de constater combien, dans le contexte de la réduction du réseau de la douane et d’une forme de concurrence entre administrations douanières à l’échelle de l’Union européenne – voire au-delà –, le recours aux téléprocédures et la recherche de la performance dans le service aux usagers étaient utilisés comme leviers de modernisation interne par la douane française au service d’une stratégie de préservation de l’existence même de cette administration et de son réseau ; une stratégie notamment visible dans le développement de téléprocédures, non seulement pour accélérer et optimiser le service rendu par la douane dans l’exercice de ses missions, mais dans un but d’abord purement interne, en matière de ressources humaines par exemple, ces téléprocédures étant proposées ensuite, sur le mode de « l’État plate-forme » (cf. infra), à d’autres administrations de l’État, tout en restant gérées par la douane. Ou comment faire de la contrainte une ressource et se réformer pour rester utile.

À travers cet exemple comme il en existe tant, on comprend quelle occasion unique de modernisation « de l’intérieur » représente, pour l’État et ses administrations, l’aventure de la transformation numérique. C’est bien ainsi qu’il s’agit de percevoir cette mutation profonde, non pas par goût de l’autosuggestion pour s’en persuader soi-même ou pour prétendre en persuader les agents concernés, mais parce que, les rapporteurs en sont convaincus, il s’agit d’une réalité et qu’à l’ignorer trop longtemps, c’est une chance unique de réforme de l’État que nous risquerions de laisser passer.

Il est heureux que cette conception, que le présent rapport a l’ambition de promouvoir, soit perceptible dans certaines des actions du Gouvernement en matière de modernisation numérique et dans les éléments de stratégie contenus dans les discours des responsables gouvernementaux chargés de ces questions.

4. Cette transformation est à l’œuvre dès à présent, comme le montrent les avancées de la loi pour une République numérique

De manière inévitable sur un sujet tel que celui de la transformation numérique, en une année les analyses peuvent être rattrapées par les développements de l’actualité. Alors que la présente évaluation a été lancée par le CEC il y a un peu plus d’un an, année pendant laquelle la Cour des comptes a conduit sa propre enquête, il n’est guère surprenant que certains des constats ou certaines des recommandations que la Cour formule dans son rapport soient désormais des sujets déjà traités, en particulier grâce aux avancées contenues dans le projet de loi pour une République numérique – examiné notamment à la lumière de l’avis de l’une des rapporteurs au nom de la commission des affaires économiques (4) –, qui a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 26 janvier dernier.

C’est ainsi que, comme l’a confirmé aux rapporteurs le cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, sur les quinze recommandations émises par la Cour, quatre sont déjà en cours de réalisation :

– renforcer les actions de l’administrateur général des données par la constitution d’un réseau de responsables de la donnée au sein des ministères (recommandation n° 2) ;

– réaliser le répertoire des bases de données des administrations couvertes par un secret protégé par la loi, objectiver les contraintes juridiques pouvant en restreindre la diffusion aux administrations et définir un mode opératoire de leur usage à destination de ces administrations (recommandation n° 9) ;

– faire à terme du futur portail service-public.fr le mode d’accès unique aux démarches administratives et à leurs informations (recommandation n° 10) ;

– multiplier les points d’accès aux services publics numériques (bureaux de poste, bibliothèques, etc.) en accès libre, équipés notamment d’imprimantes, avec un personnel d’accompagnement et le cas échéant des volontaires du service civique formés (recommandation n° 13).

*

* *

Les rapporteurs souhaitent dégager de leurs travaux, menés en complément de ceux de la Cour, une liste argumentée de neuf conditions de réussite d’un processus dont on peut attendre énormément s’il est intelligemment conduit.

Même si l’évidence de la « révolution numérique » fait naître un sentiment d’urgence – dont on pourrait d’ailleurs faire remarquer aux rapporteurs qu’ils l’alimentent en écrivant ces pages –, il est indispensable, un instant de raison, de s’interroger sur les finalités d’une « généralisation des services publics numériques » – pour reprendre l’expression utilisée par la Cour des comptes. Car autant il serait dommageable que la réforme de l’État ne s’appuie pas sur le levier de la numérisation, autant la numérisation ne saurait être conçue comme une fin en soi.

I. ÊTRE AU CLAIR SUR LES FINALITÉS : POUR QUOI ET POUR QUI NUMÉRISER ?

En réponse à la double question « pour quoi et pour qui ? », les rapporteurs entendent faire valoir des préoccupations essentielles à leurs yeux : la numérisation doit, de manière générale, « être un plus », c’est-à-dire intervenir là où elle favorise l’efficience des services publics, ne pas progresser au détriment de la simplification administrative – au contraire – et être conçue comme un atout au service des usagers – de tous les usagers, y compris les plus fragiles –, sans négliger le partenariat avec les collectivités territoriales.

A. LA NUMÉRISATION DOIT ÊTRE UN PLUS : ELLE EST SOUHAITABLE SI ELLE AMÉLIORE L’EFFICIENCE DE LA GESTION ADMINISTRATIVE ET LE SERVICE RENDU AUX USAGERS

Alors qu’il existe une tendance sans doute excessive, de la part des responsables des administrations centrales ou déconcentrées, à minimiser les résistances internes au changement au sein de leurs propres services, à l’opposé on oublie trop souvent de lutter contre l’idée selon laquelle la transformation numérique des administrations serait par principe « subie », par des agents forcément déstabilisés, dont les postes ou les conditions de travail seraient menacés par la recherche incessante d’économies budgétaires. Rendre sa juste place à la vision d’un État qui a beaucoup à gagner à mener de manière volontariste sa transformation numérique doit donc être un objectif premier, et centrer cette vision sur le service rendu aux usagers est certainement un bon moyen de la faire prospérer.

1. L’évolution du travail des services avec la numérisation n’est pas d’abord une recherche d’économies mais une transformation globale et positive

Pour étayer l’idée, parfois difficile à appréhender, d’une transformation globale sous l’effet de la numérisation, il est utile de se référer au cadre d’analyse défini, dans un rapport remarqué remis au Gouvernement en novembre 2014 par M. Philippe Lemoine et intitulé La nouvelle grammaire du succès. La transformation numérique de l’économie française. Au début de ce rapport, l’auteur présente la transformation numérique des secteurs économiques traditionnels comme s’opérant à travers huit effets principaux, résumés dans le schéma ci-dessous.

LES HUIT EFFETS PRINCIPAUX À TRAVERS LESQUELS S’OPÈRE
LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE DES SECTEURS ÉCONOMIQUES TRADITIONNELS

Source : Philippe Lemoine, rapport cité, p. 16.

Ainsi, selon M. Lemoine, « la transformation numérique combine des effets d’automatisation, de dématérialisation et de réorganisation des schémas d’intermédiation ». Chacune de ces trois familles d’effets interagit avec les deux autres et se renforce dans cette interaction :

– derrière l’automatisation se jouent les effets d’accroissement de performance dans l’emploi des facteurs de production : productivité du travail (1), productivité du capital (2), productivité de l’énergie et des matières premières (3) ;

– la dématérialisation produit d’autres effets : l’apparition de nouveaux canaux de communication et de distribution (4) qui remplacent ou transforment les réseaux physiques d’agences, de guichets et de magasins, en même temps qu’une baisse des coûts marginaux de production (5) et qu’une baisse des coûts de transaction (6) ;

– la troisième famille, désintermédiation / ré-intermédiation, concerne les effets de réorganisation des chaînes de valeur avec l’irruption de nouveaux acteurs qui se placent entre les entreprises traditionnelles et leurs clients, et imposent de réinventer les modèles d’affaires et d’intermédiation notamment à partir du nouveau rôle joué par les personnes (7) et des nouveaux actifs issus des données (8).

Ce schéma, d’abord conçu pour rendre compte de la transformation à l’œuvre dans « l’économie traditionnelle », n’est pas dénué de pertinence à l’égard du processus de transformation numérique des services publics. En effet, dans l’administration aussi se nouent, grâce au numérique, les effets de l’automatisation avec les gains de productivité correspondants, les effets de la dématérialisation avec de nouveaux modes de dialogue entre administrations ainsi qu’entre administrations et usagers, la fin de l’omniprésence des guichets et une baisse corrélative des « coûts de transaction », et enfin les effets de « désintermédiation / ré-intermédiation », c’est-à-dire la disparition, pour les agents, de certains métiers – des tâches d’exécution répétitives et peu valorisantes – et l’apparition de nouvelles fonctions, plus valorisantes et stimulantes, mais aussi, au sein de la haute administration, le nécessaire développement d’une nouvelle vision prospective, incluant par exemple cette dimension totalement nouvelle de la gestion des données.

On est donc loin de la vision réductrice encore trop souvent entendue sur le terrain, notamment de la part des représentants des agents qui voient ou verront leur métier connaître les mutations les plus profondes – donc les plus prometteuses –, d’une numérisation purement guidée par la recherche d’économies budgétaires, notamment via la suppression d’emplois par des départs d’agents non remplacés. Mais il est indéniable que la traduction, auprès des agents en poste, de la philosophie qui vient d’être résumée, relève de la gageure. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs y consacrent plus loin quelques développements spécifiques.

Cela étant, une manière parmi d’autres de mobiliser les agents publics en les associant à la démarche de transformation numérique que connaît leur administration, est d’insister sur le profond changement qu’entraîne cette mutation dans leurs relations avec les usagers, mutation là encore positive à condition de s’assurer de la qualité de sa perception par les intéressés.

2. La perception par les usagers doit être régulièrement évaluée

L’attention portée à la qualité des relations entre l’administration et les usagers n’est certes pas récente – l’institution du Médiateur a été créée en 1973 (5) et la première loi consacrée à « l’amélioration des relations entre l’administration et le public » remonte à 1978 (6), tout comme d’ailleurs la loi instituant la CNIL (7) –, mais la modernisation numérique de l’État lui donne bien sûr une dimension nouvelle.

Il est donc non seulement légitime mais crucial qu’à côté des aménagements successifs apportés aux lois régissant ces relations, récemment regroupées d’ailleurs dans un code des relations entre le public et l’administration, le Gouvernement se préoccupe de recueillir régulièrement l’opinion des usagers, sans oublier au passage que ceux-ci sont des particuliers, mais aussi des entreprises et des collectivités territoriales.


La banalisation des enquêtes d’opinion aidant, le SGMAP publie désormais régulièrement un « tableau de bord des services publics numériques », qui rend compte, grâce aux travaux d’instituts de sondages reconnus, de l’utilisation mais surtout de la perception par les particuliers d’une part, et les entreprises d’autre part (
8), des démarches administratives en ligne. On peut également mentionner la publication annuelle (cf. ci-contre) de l’Observatoire du numérique, rattaché à la direction générale des entreprises des ministères économiques et financiers.


L’analyse des résultats, qui sont bien sûr publics, ainsi que la comparaison entre ces résultats d’une année à l’autre, fournissent des enseignements tout à fait dignes d’intérêt mais il est frappant de constater combien ces chiffres agrégés et quelque peu désincarnés contrastent parfois avec les témoignages que l’on peut recueillir sur le terrain au contact direct des particuliers, des entreprises et des agents des services déconcentrés.

Ainsi les rapporteurs ont-ils pu, lors de leurs déplacements en région, entendre des représentants élus de chefs d’entreprise déplorer de devoir fournir à plusieurs reprises une même information lors de leurs échanges avec différentes administrations, sans avoir connaissance de l’existence même du programme « Dites-le-nous une fois », ou des agents de préfecture décrire par le menu ce qu’ils percevaient comme une dégradation de la relation avec les particuliers, qu’il s’agisse de l’allongement de la file d’attente au guichet du fait des suppressions de postes et de la numérisation seulement partielle de la délivrance de titres ne dispensant pas totalement les usagers de se déplacer physiquement, ou bien des échanges par mail plus chronophages que l’entretien téléphonique car plus morcelés et ne permettant pas facilement d’en venir au réel motif de la demande et à l’orientation du demandeur vers le bon interlocuteur.

Par conséquent, les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire non seulement d’interroger plus systématiquement les usagers des téléprocédures déployées par l’administration, mais de le faire d’une manière qui se rapproche le plus possible d’une véritable démarche d’évaluation : croiser les points de vue – par exemple en étudiant également la perception « en miroir » des agents de l’administration, ou bien en n’omettant pas d’interroger les aidants qui n’accomplissent pas les démarches administratives à tester pour eux-mêmes mais pour le compte d’un tiers âgé ou en situation de handicap –, éliminer les biais statistiques en précisant par exemple quelles sont les démarches à accomplir obligatoirement en ligne – ce qui est le cas pour un nombre croissant de téléprocédures destinées aux entreprises, au moins à partir d’un certain effectif ou d’un certain chiffre d’affaires –, varier les canaux d’enquête en ne recourant pas qu’aux sondages téléphoniques mais aussi à des observations et des entretiens au guichet des administrations, ou à des échanges au sein de panels d’usagers, voire des panels réunissant différentes parties prenantes, etc.

C’est seulement à ce prix que pourra être garantie la bonne mesure de l’amélioration du service rendu aux usagers qui est l’une des conditions de réussite de la transformation numérique des administrations. Et une démarche plus partenariale encore n’est pas à écarter, bien au contraire.

3. Le développement de relations partenariales avec les usagers doit s’effectuer aux différents stades de la numérisation, de la conception à la mise en œuvre

Systématiser les enquêtes d’opinion, mesurer le taux de satisfaction des usagers est une bonne chose et c’est un outil de base, ainsi qu’on vient de le dire. Mais pour que l’idée d’une transformation numérique « par les usages » – idée extrêmement convaincante – puisse devenir réalité, c’est la conception même des téléprocédures qui, idéalement, devrait être réalisée sur le fondement d’expérimentations locales ou sectorielles avec les usagers, au travers de l’interrogation des usagers sur leurs besoins et leurs attentes.

Il a ainsi été expliqué aux rapporteurs que la direction générale des finances publiques travaillait avec des panels d’utilisateurs pour optimiser ses téléprocédures. Une telle démarche mérite d’être saluée, même au cas où elle se limiterait à l’expression et à l’exploitation de « retours d’expérience » ; mais idéalement encore une fois, c’est à la conception même de nouveaux téléservices qu’il faudrait intégrer ce type de concertation, à chaque fois que cela est possible. Comment, sinon, s’étonner du peu de succès de telle ou telle téléprocédure si son intérêt ou sa facilité d’utilisation ne sont testés qu’ex post ?

À vrai dire, il est tellement banal de voir une entreprise s’adresser à ses clients pour connaître leurs aspirations en matière d’offre numérique – prenons l’exemple d’un quotidien de la presse nationale sondant ses lecteurs sur les contours les plus appropriés d’une nouvelle application d’information pour smartphone –, que l’on ne peut que s’étonner d’observer, à partir du moment où le choix est affiché par le Gouvernement d’une transformation numérique de l’État « par les usages », la place relativement réduite réservée aux usagers dans la mise au point des nouveaux téléservices, depuis la réflexion en amont sur les besoins jusqu’à l’ergonomie des services proposés, en passant par les réponses aux réticences exprimées, par exemple, sur le respect de l’intégrité des données personnelles.

Les rapporteurs sont conscients de la difficulté d’atteindre cette cible idéale mais au moins paraît-il possible de progresser dans cette direction, en donnant moins l’impression que les usagers ne sont que consultés, pour une poignée d’entre eux seulement, et trop tard dans le processus de développement de nouveaux services publics numériques. Cette question trouve son prolongement dans le domaine de l’accès aux services, qui est pour les rapporteurs un point d’attention majeur.

4. Les services centraux ou territoriaux doivent faciliter l’accès pour tous les usagers

La notion d’accès aux services publics numériques recouvre deux dimensions : l’accessibilité pour tous à proprement parler, d’une part, et la communication institutionnelle à propos des téléprocédures, d’autre part.

a. Planifier l’accessibilité et communiquer en direction des usagers

Il serait pour le moins paradoxal que la transformation numérique des services publics, notamment conçue pour faciliter et fluidifier le service rendu aux usagers, se traduise par une difficulté supplémentaire d’accès aux services publics. Or c’est ce qui risque de se produire si le souci d’un accès effectif n’a pas suffisamment animé les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre de chaque téléservice.

● Il n’est pas ici question uniquement de « fracture numérique » – ce thème sera abordé plus loin – mais plus prosaïquement du maintien d’un accueil physique de proximité suffisant là où cela est nécessaire, ou du maintien d’un accueil téléphonique personnalisé à des horaires compatibles avec le rythme de vie ou d’activité des usagers.

Il est ainsi communément admis que l’installation, dans les halls d’accueil des administrations recevant du public, de bornes destinées à permettre aux usagers d’accomplir eux-mêmes tout ou partie d’une téléprocédure, ne dispense pas totalement les administrations en question de prévoir un accompagnement minimum pour aider les usagers – même sans accomplir la démarche à leur place – à utiliser ces bornes. De même faut-il – comme les services des impôts des particuliers ou des entreprises s’y efforcent, selon la représentante entendue par les rapporteurs du service à compétence nationale « Cap numérique » rattaché à la direction générale des finances publiques –, prévoir des plages horaires élargies pour que les administrations puissent répondre aux questions des usagers au moment où ceux-ci, libérés de la contrainte du déplacement au guichet et pouvant accomplir des démarches depuis chez eux, profitent de cette possibilité nouvelle.

Les rapporteurs n’osent aller jusqu’à proposer que les administrations françaises empruntent la même voie, mais ils veulent souligner que dans des pays voisins, si l’on en croit les propos de membres du cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, la notion d’accessibilité consiste même, pour les agents du service public, à se rendre dans les centres commerciaux à la rencontre des usagers !

● Par ailleurs et non sans lien avec l’exemple qui vient d’être cité, une politique de communication active est indispensable à la bonne connaissance et à la correcte utilisation des services publics numériques, au moins en phase de lancement d’une nouvelle téléprocédure.

Par politique de communication, les rapporteurs entendent certes d’abord l’utilisation des canaux classiques que sont les campagnes d’affichage, les encarts dans la presse ou les messages radio ou télédiffusés. Mais les outils d’une communication plus proprement numérique sont également à utiliser, qu’il s’agisse des bannières présentes sur des sites internet choisis, de l’utilisation après consentement des intéressés des adresses électroniques dont dispose l’administration pour faire connaître tel ou tel téléservice à un public averti et éventuellement « prescripteur », ou encore qu’il s’agisse du déploiement d’une stratégie efficace de référencement sur internet, ce dernier point ayant opportunément été porté à l’attention des rapporteurs par Mme Virginie Madelin, directrice interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques de l’État au SGMAP.

Car même la téléprocédure la plus ingénieuse doit se faire connaître pour être utilisée et appréciée, surtout si elle est lancée en version « bêta » – i.e. expérimentale – et si elle coexiste avec une procédure plus classique sur support papier. Les rapporteurs ont ainsi recueilli des témoignages déçus d’agents de la direction générale des finances publiques qui déploraient le peu de notoriété de téléservices pourtant utiles, efficaces et faciles d’emploi tels que PATRIM usagers – pour estimer la valeur d’un bien immobilier en fonction de ses caractéristiques et de son emplacement –, cadastre.gouv.fr pour la consultation du plan cadastral de toutes les communes de France, ou encore le changement d’adresse en ligne proposé par la direction de l’information légale et administrative des services du Premier ministre.

Au prix d’un effort minime en direction des usagers, l’investissement que représente la mise en œuvre de la transformation numérique des administrations pourrait donc être mieux mis à profit. Et dans certains cas, il ne s’agit pas d’une option mais d’une obligation fondamentale.

b. Assurer, par la médiation numérique, l’accessibilité aux publics fragiles

S’il devait se trouver une seule raison de disqualifier la généralisation des services publics numériques, pour violation de la règle du « maximin » – empruntée à la théorie de la justice développée notamment par John Rawls – en vertu de laquelle un progrès ne vaut que s’il permet d’améliorer la situation des plus défavorisés –, ce serait celle-ci : le risque d’une dégradation du service rendu aux usagers pour lesquels les services publics sont les plus nécessaires.

Or ce risque est non nul, dans le champ traité par le présent rapport. Un collectif mené par l’association Emmaüs Connect s’en est tout récemment fait l’écho en publiant dans un grand quotidien une tribune dont les rapporteurs veulent citer ci-dessous un large extrait.

« Nous en sommes convaincus, le numérique offre des perspectives uniques de modernisation de l’État. Cependant, si pour nombre d’entre nous la dématérialisation des services les plus essentiels facilite le quotidien, tous les Français ne sont pas encore armés pour affronter ces nouveaux usages.

« Pour les plus de cinq millions de citoyens qui cumulent précarité sociale et numérique, la numérisation représente un facteur d’exclusion supplémentaire : une double peine pour des mères célibataires devenues subitement dépendantes des compétences numériques de leurs enfants, pour des personnes âgées isolées, pour des travailleurs peu qualifiés et des jeunes en recherche d’emploi.

« […] Pourtant, pour accompagner ces publics fragilisés par la dématérialisation, il existe de nombreuses initiatives publiques et associatives, portées par les acteurs de la solidarité ou de la médiation numérique. Ils sont, malgré leur engagement indéfectible, atomisés sur les territoires et dépendants de financements insuffisants. Au final, leurs réponses sont sans commune mesure avec la masse des personnes concernées par la précarité numérique et donc potentiellement en rupture de droits. […]

« Conscients de nos responsabilités, nous, signataires, nous engageons à nous organiser en formant des réseaux d’accompagnement au numérique sur le territoire. Ces réseaux sont déjà en partie existants : ce sont les nôtres, il faut les outiller, les démultiplier et les animer. […]

« Cette plate-forme Web pour le développement de la littératie numérique [que nous proposons] permettrait également à une communauté de citoyens, moins formelle mais néanmoins massive et solidaire, d’aider un ami, un parent, un voisin. Nous n’inventons rien, nous nous inspirons directement du succès de pays qui, de l’Australie à la Scandinavie en passant par le Royaume-Uni, ont investi dans cet outil indispensable d’éducation au numérique pour accompagner les publics fragiles à grande échelle. » (9)

Il suffisait d’y penser : le numérique qui crée de la fracture numérique contient en lui-même les outils permettant de réduire cette fracture. Mais il serait trop simple d’évacuer la question par pareille pirouette ; les rapporteurs n’entendent pas se dérober à la responsabilité qui est la leur – et qu’ils partagent avec l’ensemble des pouvoirs publics œuvrant à la transformation numérique de l’État.

Le SGMAP n’ignore évidemment pas la question, qui a par exemple élaboré un guide intitulé Contribuer sur le web de manière accessible destiné en particulier à toutes les personnes amenées à publier des contenus sur des sites Internet de l’administration afin que ces contenus bénéficient aussi aux personnes en situation de handicap. Plus généralement, la DINSIC, au sein du SGMAP, est chargée – grâce à une enveloppe de 4,5 millions d’euros sur la période 2014-2016 – de mettre régulièrement à jour le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), sur lequel sont tenues de s’appuyer les administrations françaises pour évaluer la conformité de leurs sites Internet aux règles internationales : le RGAA est le fruit d’une résolution du Parlement européen qui impose aux États membres de respecter les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines) pour les sites de la fonction publique et a été rendu obligatoire par un décret du 14 mai 2009 (10). Ce référentiel en est aujourd’hui à sa troisième version, officiellement en vigueur depuis le 29 avril 2015, au terme d’un processus collaboratif de plusieurs mois associant experts du privé et contributions du grand public. Il est également enrichi d’un label dénommé « e-accessible » récompensant les employeurs publics les plus vertueux en la matière. S’y ajoutent enfin un plan d’aide à la formation et des co-financements du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, en vue de la mise en accessibilité des sites publics.

Au-delà de cette attention particulière et justifiée aux personnes en situation de handicap, c’est plus largement la notion de médiation numérique qui est à développer. Voici, dans l’encadré ci-dessous, la définition qui en est donnée sur le portail officiel du réseau national de la médiation numérique.

La « médiation numérique » désigne la mise en capacité de comprendre et de maîtriser les technologies numériques, leurs enjeux et leurs usages, c’est-à-dire développer la culture numérique de tous, pour pouvoir agir dans la société numérique. Elle procède par un accompagnement qualifié et de proximité des individus et des groupes (habitants, associations, entreprises, élèves, étudiants, parents, professionnels...) dans des situations de formation tout au long de la vie facilitant à la fois l’appropriation des techniques d’usage des outils numériques et la dissémination des connaissances ainsi acquises. Elle est donc au service, notamment, de l’inclusion numérique et favorise les coopérations utiles aux réalisations et aux innovations en faveur du bien commun.

Cette acception large est également celle utilisée par le Conseil national du numérique dans un rapport au Gouvernement datant de 2013, intitulé Citoyens du numérique. Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, dont le propos n’est pas sans rappeler la tribune précitée coordonnée par Emmaüs Connect.

L’extrait suivant de ce rapport est intéressant aux yeux des rapporteurs en ce qu’il présente la question de la médiation numérique, à rebours de l’idée que l’on s’en fait habituellement, comme un processus pérenne.

« La médiation, associée à la question de l’e‐inclusion, est jusqu’à présent pensée par un certain nombre d’élus et de décideurs dans un sens unique : la médiation doit accompagner les utilisateurs pour les aider à s’emparer du numérique, à en apprivoiser les usages, ce que l’on appelle “ l’accompagnement au numérique ”.

« Cette approche considère implicitement qu’il s’agit d’une fonction sociale transitoire et que, au fur et à mesure que se feront la montée en compétence, la simplification des terminaux, l’amélioration de l’ergonomie des services en ligne, le gain en autonomie des personnes etc., cet accompagnement sera amené à jouer un rôle résiduel. Bref, la médiation aurait vocation, si ce n’est à disparaître, tout du moins à ne concerner qu’une frange limitée de la population.

« Or, avec de nombreux acteurs et réseaux de la médiation, nous tirons de l'expérience une conclusion exactement inverse. Nous soutenons que la quasi‐totalité des services, que ceux‐ci soient fournis par des acteurs publics ou par le secteur privé, va dans l’avenir avoir de plus en plus besoin de médiations humaines avec les usagers. »

Qu’elle soit transitoire ou pérenne, une chose est sûre : la médiation numérique sous toutes ses formes, d’abord au bénéfice des plus fragiles mais pas seulement, est une nécessité incontournable dans la mise en œuvre réussie de la transformation numérique de l’État. Car sans cela, la numérisation ne sera pas un plus pour tous et sera donc une occasion manquée. De même que serait une occasion manquée le déploiement de services publics numériques qui ne serait pas conçu en même temps comme une démarche de simplification administrative.

B. LA SIMPLIFICATION ET LA NUMÉRISATION DOIVENT ALLER DE PAIR

À la question : « Quel arbitrage optimal entre numérisation et simplification dans la politique de réforme de l’État ? », les rapporteurs ont eu la satisfaction de s’entendre répondre, par les pilotes les plus éclairés de la modernisation numérique des administrations, que les deux démarches se complétaient sans se nuire. Mieux encore, la notion d’État agile aujourd’hui au cœur de la méthode gouvernementale de la transition numérique a partie liée avec la simplification. L’étape ultime du processus pourrait être l’instauration d’un point unique d’entrée menant vers les différents services publics numériques.

1. Le choc de simplification passe aussi par les procédures numériques

Le présent rapport n’est pas le lieu d’un passage en revue exhaustif des trains de mesures de simplification destinées aux particuliers et aux entreprises, décidées depuis le début de la législature. Il s’agit seulement de souligner ici que la numérisation est un levier de simplification – et que cette assertion n’est pas une lapalissade.

En effet, s’il est imaginable de simplifier sans numériser et si, au demeurant, l’ensemble des mesures du « choc de simplification » ne correspondent pas, tant s’en faut, à des téléprocédures, il n’est pas possible qu’une démarche administrative accomplie en tout ou partie en ligne ne se traduise pas, si peu que ce soit, par une simplification pour l’usager, faute de quoi il n’y aurait pas d’amélioration du service rendu et partant, pas d’intérêt à cette numérisation.

La corrélation entre numérisation et simplification est d’ailleurs largement mise en avant par les usagers, tout particulièrement les entreprises, et parmi elles celles de taille modeste ou moyenne, pour lesquelles les outils de base du numérique sont utilisés au quotidien mais qui manquent de moyens – c’est trop chronophage en interne, c’est trop coûteux à externaliser – pour accomplir les formalités administratives qui leur incombent.

À cet égard, le programme « Dites-le-nous une fois », avec le développement de l’interface propre aux entreprises qui permet notamment la suppression de démarches ou de pièces justificatives lorsque des transferts de données ou des vérifications peuvent être effectués directement entre administrations, est exemplaire.

Dès lors, à l’instar de la procédure d’avis préalable en matière de simplification ou de celle du « test PME » censé précéder – dans les deux cas sous l’égide du secrétariat général du Gouvernement –, la mise au point d’une norme nouvelle destinée à s’appliquer directement ou indirectement aux petites et moyennes entreprises, il importe que la chaîne de conception de tout développement nouveau en matière de services publics numériques intègre une forme de test de son caractère simplificateur ou non pour les usagers. Une préoccupation présente, par hypothèse, dans tous les raisonnements liés à la mise en œuvre de « l’État plate-forme ».

2. L’État plate-forme est un moyen de simplification

« L’État plate-forme s’impose […]. Nul ne peut être certain d’être toujours le plus innovant, mais il est possible de s’organiser pour attirer les innovateurs sur une plate-forme », écrivaient en 2012, dans L’âge de la multitude, Nicolas Colin et Henri Verdier. L’idée d’État plate-forme puise son origine dans le concept anglo-saxon de « government as a platform » de Tim O’Reilly, célèbre éditeur américain auteur de l’expression « web 2.0 ».

Le principe de cette stratégie consiste à faciliter la circulation des données relatives à un usager entre les différents organismes publics auxquels celui-ci doit s’adresser, pour lui rendre en définitive un service plus simple, « tout-en-un » et « sans couture ». L’usager n’a ainsi plus à demander à une administration des justificatifs sur sa situation pour les transmettre à une autre administration, dans le cadre de démarches cloisonnées : les administrations – et parfois des tiers n’appartenant pas à l’administration mais étant en relation avec elle – s’échangent entre eux les seules données utiles au service demandé, en toute sécurité, transparence et fluidité pour l’usager.

Typiquement, l’État plate-forme fournit l’infrastructure nécessaire au programme « Dites-le-nous une fois ». Un exemple bien connu de ce type de collecte de données par l’administration elle-même est celui de la déclaration de revenus pré-remplie : la direction générale des finances publiques collecte pour le compte du contribuable des informations auprès de son employeur ou de sa banque.

Sur ce modèle, bien d’autres développements sont imaginables et c’est ce à quoi s’emploient les équipes de « têtes chercheuses » du SGMAP ou bien les équipes d’un jour ou d’un week-end réunies à l’occasion d’un « hackathon » (11), toujours au service de l’usager et toujours pour améliorer ce service, c’est-à-dire le simplifier.

3. L’aboutissement à rechercher pourrait être un point unique d’entrée vers les différents services publics numériques

La trouvaille ultime du dernier hackathon de la phase de transformation numérique sera-t-elle la mise au point d’une application unique permettant à un usager d’accomplir toutes ses démarches en ligne quelles qu’elles soient, à partir d’un compte personnel sécurisé ? Si les développements à venir de l’État plate-forme y conduisent à un coût raisonnable et si les infrastructures nécessaires ne sont pas hors de portée, la perspective peut être séduisante. C’est en tout cas ce vers quoi tendent la récente refonte du portail www.service-public.fr et la possibilité de s’y connecter avec son identifiant FranceConnect (12) (cf. infra).

Pour reprendre la formule très parlante de M. Jacques Marzin, premier directeur de la DISIC : « L’administration restera complexe, son organisation n’est pas immuable, il faut qu’elle soit évolutive sans casser le service rendu, et il faut masquer cette complexité au citoyen qui n’en a rien à faire. »

En résumé, la numérisation doit être utile aux usagers comme à l’administration elle-même. Elle ne saurait pour autant progresser en laissant totalement de côté les collectivités territoriales, à la fois usagères des services publics numériques, partenaires de l’administration de l’État à l’échelon déconcentré, et bien souvent premier point de contact de proximité avec le service public pour les particuliers.

C. LA COORDINATION AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DOIT ÊTRE ACTIVE ET ANTICIPER LE DÉPLOIEMENT DES SERVICES PUBLICS NUMÉRIQUES

Les rapporteurs avaient certes, d’emblée, accepté de ne pas placer les collectivités territoriales au cœur de leur évaluation, non plus que la Cour des comptes au cœur de sa propre enquête, le sujet paraissant mériter une évaluation en soi. Pour autant, de même que la Cour n’a pu manquer de mentionner à de nombreuses reprises dans son rapport le cas particulier des collectivités territoriales, de même les rapporteurs n’ont pu se résoudre à passer totalement sous silence le rôle et la place que peuvent jouer ces dernières dans la transformation numérique des services publics.

Cette irruption du local dans une réflexion essentiellement centrée sur l’État a pris trois formes : les échos recueillis sur le terrain tout d’abord, la place des collectivités dans les préoccupations des responsables nationaux chargés de piloter la modernisation numérique ensuite, et enfin une éclairante comparaison avec le mode d’association des collectivités à la réflexion et à la décision existant en Allemagne, enfin.

● Sur le terrain tout d’abord, les rapporteurs ont fortement ressenti l’insuffisante prise en compte, par les services de l’État, des préoccupations des collectivités territoriales à propos du déploiement des services publics numériques, y compris lorsque les téléprocédures en question avaient vocation à transformer la nature des échanges, des flux d’information ou de l’exercice des contrôles de l’État sur les actes des collectivités – en matière de contrôle de légalité, de contrôle budgétaire et de passation de marchés publics.

Dans certains cas même, tel ou tel témoignage de fonctionnaire territorial a nettement donné l’impression que cette insuffisante prise en compte pouvait se muer en relation parfois tendue, au sein de laquelle un espace de négociation pouvait éventuellement s’ouvrir, mais de façon étroitement dépendante des personnes en place à un moment donné.

De manière plus générale et plus structurelle mais non moins regrettable, s’est clairement exprimée l’idée selon laquelle la conception, la mise en œuvre et le suivi des téléprocédures de l’État étaient uniquement pensés par et pour l’État, alors même que peu d’efforts auraient été nécessaires pour une conception plus partagée, plus utile aux deux parties, donc des téléprocédures mieux acceptées et utilisées plus efficacement. Ainsi par exemple de l’exigence d’une mise en forme très précise de telle ou telle information budgétaire ou comptable émanant des collectivités, aux fins de déversement dans une application d’État pour un retraitement et un contrôle plus rapides, sans prise en compte des besoins des collectivités qui auraient pu trouver intérêt, sans que cela change quoi que ce soit à la réutilisation optimale des données par les services de l’État, à adopter une présentation légèrement différente pour les besoins de leur propre comptabilité budgétaire dématérialisée.

De même les échanges entre les rapporteurs et les directeurs généraux des services de la ville d’Orléans, de la communauté d’agglomération Orléans-Val de Loire et de la ville d’Olivet, soit des collectivités de taille différente aux priorités différentes, ont-ils permis de toucher du doigt l’absence patente de concertation structurée qui permettrait d’associer les collectivités à la démarche d’ensemble de l’amélioration du service rendu aux particuliers via la numérisation. Tout juste existe-t-il ponctuellement, au bon vouloir des personnes en place – et ce bon vouloir est grand, de part et d’autre ! –, une concertation sujet par sujet au fil de l’eau.

Or qui ne voit l’intérêt que pourrait revêtir pour le citoyen, par exemple, la mise en cohérence des démarches administratives susceptibles d’être accomplies en ligne, qu’elles concernent l’administration d’État ou l’administration locale ? Qui ne voit que la mise en place d’outils de médiation numérique gagnerait à s’effectuer en bonne intelligence entre administrations déconcentrées de l’État et services publics locaux ? En bonne intelligence, c’est-à-dire par la mutualisation de moyens, mais aussi par le partage de bonnes pratiques.

● Dans le cadre des auditions de responsables de la modernisation numérique de l’État à l’échelon central, ce sujet a plusieurs fois été abordé et conduit à évoquer le programme de développement concerté de l’administration numérique territoriale (DCANT) développé par le SGMAP.

Présenté comme devant se dérouler sur la période 2015-2017, ce programme est, selon la présentation qui en est faite sur le site Internet du SGMAP, « élaboré conjointement par l’État et les collectivités territoriales [et] a pour objectif de créer les conditions du développement de services publics en ligne innovants et intégrés pour renforcer l’efficacité économique et la qualité des services fournis aux particuliers et aux entreprises. Pour cela, il prend appui sur le programme de simplification « Dites-le nous une fois » du gouvernement […]. [Ce] programme met également l’accent sur le rôle moteur joué par les territoires s’agissant du développement de l’administration numérique. Il vise à développer les expertises numériques et à renforcer la capacité d’ingénierie de projets des collectivités de façon homogène sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, il vise à créer les conditions nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de stratégies numériques territoriales. Il met l’accent sur la mutualisation, celle des intelligences, mais également des infrastructures, des systèmes d’informations, à l’image de ce qui est engagé au sein des services de l’État dans une approche interministérielle sous l’impulsion du SGMAP. Ce principe vertueux et de bon sens constitue, pour les administrations, l’opportunité de générer collectivement des marges de manœuvre financières. »

Le programme DCANT est articulé autour de quatre principes directeurs et de quatre axes stratégiques repris dans l’encadré ci-dessous.

Les principes directeurs et axes stratégiques du programme DCANT

Quatre principes directeurs

– une gouvernance partagée entre l’État et les territoires, qui s’appuie sur une concertation au sein de l’Instance nationale partenariale et de l’instance du Dialogue national des territoires, les décisions étant prises à l’issue d’un processus validé conjointement par l’État et les collectivités ;

– une efficience administrative collective – simplification, « Dites-le-nous une fois » et modernisation – services publics « plates-formes » ;

– une relation unifiée de l’usager au service public fondée sur l’écoute et les besoins des usagers, la définition de formats pivots, la mise à disposition de services transverses, l’échange de données entre administrations, le recours à des systèmes d’informations ouverts et interopérables ;

– une évaluation systématique, continue et collective des projets d’administration numérique conduits par les ministères et les collectivités, sur le fondement d’une méthode concertée et commune aux collectivités et à l’État.

Quatre axes stratégiques

– efficience des relations inter-administratives ;

– unification et simplification de la relation des administrations avec leurs usagers ;

– simplification et sécurisation de l’administration de la preuve et gestion du patrimoine immatériel ;

– développement de l’écosystème numérique des territoires.

Un interlocuteur averti des rapporteurs a habilement résumé la situation en indiquant que, s’agissant de ce programme DCANT, les plans étaient très beaux, tout étant suspendu à la réalité de leur exécution. Il n’a pas été possible à ce stade de disposer des premiers résultats de cette exécution et de fait, les quelques collectivités interrogées par les rapporteurs ont indiqué se trouver dans l’attente des premières sollicitations concrètes de la part de la préfecture.

● Le contraste n’en est que plus saisissant avec la mise en œuvre pratique du dialogue entre État et collectivités territoriales en matière de numérisation en Allemagne – certes dans un État fédéral à la répartition des compétences bien différente de celle qui a cours en France –, que les rapporteurs ont voulu connaître un peu plus en détail, à la lecture de l’annexe au rapport de la Cour des comptes consacrée à ce pays.

Ils ont donc adressé via notre ambassade un questionnaire écrit (13) au secrétariat de l’IT-Planungsrat et ont retiré de la lecture des réponses fournies le sentiment qu’un dialogue plus concret que celui décrit à l’instant gagnerait à se nouer, même dans un État unitaire comme le nôtre, dès lors que, de par la Constitution elle-même, en son article 1er, « son organisation est décentralisée ».

L’exemple allemand du Conseil de planification des technologies de l’information

Le Conseil de planification des technologies de l’information (IT-Planungsrat) est le comité de pilotage politique de l’État fédéral, des Länder et des communes dans le domaine des technologies de l’information et de l’administration en ligne. La mission de ce conseil découle de la Loi fondamentale (constitution allemande) : collaboration de l’État fédéral, des Länder et des communes dans le domaine des technologies de l’information et de l’administration en ligne dans le but de fournir des services électroniques axés sur les usagers et d’assurer un fonctionnement numérique économique, efficace et sûr de l’administration.

Selon l’accord fédéral relatif aux technologies de l’information, le conseil est notamment chargé de :

– coordonner la collaboration entre l’État fédéral et les Länder dans le domaine des technologies de l’information ;

– choisir les standards d’interopérabilité et de sécurité qui ne dépendent pas d’une conférence de ministres spécialisés et ceux qui en dépendent ;

– piloter les projets d’administration en ligne ;

– planifier et développer le réseau de connexion Deutschland-Online Infrastruktur conformément à la loi sur le réseau des technologies de l’information.

Les membres du conseil de planification des technologies de l’information sont le commissaire parlementaire aux technologies de l’information, le secrétaire d’État à l’intérieur et pour chaque Land un représentant chargé des technologies de l’information. En outre, trois représentants des communes et communautés de communes et la commissaire fédérale pour la protection des données et la liberté de l’information participent à titre consultatif aux réunions du conseil.

Des représentants des conférences de ministres spécialisés et d’autres parties intéressées peuvent être consultés, si les décisions du conseil de planification concernent leur domaine. La présidence alterne annuellement entre l’État fédéral et les Länder. En 2016, la présidence est assurée par l’État fédéral.

Le conseil de planification des technologies de l’information procède par décision (contraignante pour tous les membres) ou par recommandation. En principe, les décisions sont prises à l’unanimité. Les décisions relatives aux standards d’interopérabilité et de sécurité des technologies de l’information lors du transfert des données entre administrations sont exceptionnellement soumises à un vote majoritaire qui, à chaque fois, nécessite l’approbation par l’État fédéral.

Le conseil lance les projets en décidant de les intégrer dans son plan d’action annuel et en attribuant éventuellement une enveloppe budgétaire. Il se saisit régulièrement de la progression des projets et effectue ainsi un pilotage stratégique ou une coordination des projets. Le pilotage opérationnel d’un projet incombe au chef de file respectif, à savoir à l’État fédéral ou à un Land ou plusieurs Länder ou conjointement à l’État et un Land. Le secrétariat du conseil de planification effectue tous les six mois un contrôle de gestion du projet ou monitorage du projet.

Comme l’État fédéral, qui s’est doté d’un Agenda numérique (stratégie de numérisation pour l’État, l’administration, l’économie et la société) et d’un concept de pilotage des technologies de l’information au niveau fédéral, de nombreux Länder disposent aujourd’hui de stratégies numériques et/ou de concepts de pilotage des technologies de l’information qui s’en détachent, mais qui peuvent se ressembler ou concorder. De plus, en 2013 l’État fédéral a adopté une loi sur l’e-gouvernement qui définit le cadre juridique de la numérisation de son administration. La plupart des Länder prévoient pour leurs administrations des lois sur l’e-gouvernement sur ce modèle ou ont déjà adopté des lois en ce sens.

Des projets fédéraux relatifs aux technologies de l’information peuvent être mis en place à la suite d’une décision du conseil de planification. Ils sont en partie financés par des ressources budgétaires du conseil de planification, qui auparavant ont été versées conjointement par l’État fédéral et les Länder au budget du conseil de planification. Les ressources humaines nécessaires aux projets sont mises à disposition par les collectivités participantes (État fédéral, Länder, communes). Un plan d’action regroupe les projets du conseil de planification. Il est adopté annuellement, en même temps que le plan de financement du conseil de planification.

On le constate bien à la faveur de cette brève réflexion comparative sur l’association des collectivités territoriales à la démarche de transformation numérique des administrations en France et en Allemagne : des objectifs assignés à la stratégie, il faut rapidement passer à la réflexion sur la manière de les concrétiser.

II.  ÉLARGIR LE CHAMP DES SERVICES PUBLICS NUMÉRIQUES AVEC DE NOUVELLES MÉTHODES D’ACTION PUBLIQUE : JUSQU’OÙ NUMÉRISER ?

La clarté étant faite sur les finalités poursuivies par la démarche de numérisation grâce aux conditions de réussite qui viennent d’être développées, il devient possible d’envisager l’élargissement raisonné du champ des services publics numériques, suivant ainsi l’orientation générale prônée par la Cour des comptes dans son rapport mais en insistant sur trois points de méthode, qui sont autant de manières de faire de la numérisation un « plus » pour l’action publique, en la modernisant en profondeur : la diffusion d’une culture du tâtonnement et du droit à l’erreur à certains stades de la conception et du lancement des projets numériques tout d’abord ; une plus grande latitude laissée aux services déconcentrés pour prendre des initiatives et expérimenter de nouvelles procédures et de nouveaux modes d’action ensuite ; enfin une prise en compte beaucoup plus systématique et nettement mieux anticipée de la portée concrète de la numérisation lorsque celle-ci sous-tend la mise en œuvre d’une nouvelle règle de droit ou d’une nouvelle procédure.

A. DE NOUVELLES PROCÉDURES GAGNERAIENT À ÊTRE NUMÉRISÉES

Que ce soit à l’intention des entreprises, des particuliers, des collectivités territoriales ou des services de l’État eux-mêmes, les rapporteurs ont pu constater au fil de leurs travaux tout l’intérêt qui s’attacherait au déploiement de nouveaux services publics numériques – conforme d’ailleurs à l’orientation générale promue par la Cour des comptes et conforme également à la démarche que s’efforce de suivre le Gouvernement.

● Du point de vue des entreprises

Les rapporteurs, guidés par le souci de recueillir des échos d’usagers qui soient aussi proches que possible du terrain, ont rencontré des représentants des entreprises en Bretagne, dans les Pays de la Loire et en Île-de-France. Parmi les attentes exprimées le plus spontanément, nombreuses ont été celles relevant du champ de la simplification – dont on a vu plus haut les liens avec le processus de numérisation. Ainsi, lorsque les entreprises étaient au fait de l’existence du programme « Dites-le nous une fois » – ce qui n’était pas le cas de certaines petites entreprises –, son principe a été systématiquement plébiscité.

À telle enseigne que l’extension de ce programme a pu être souhaitée par exemple dans le domaine fiscal, sous une forme qui pourrait être dénommée « Déclarez-le nous une fois » : ainsi, pourquoi ne pas envisager une seule et même téléprocédure pour la déclaration de dividendes distribués par une société – à remplir avant le 15 juillet de l’année n – et la déclaration de revenus mobiliers pour les particuliers recevant ces dividendes – à remplir avant le 15 février de l’année n+1 ?

Ce souci de simplification a déjà été porté à un niveau qui mérite d’être salué s’agissant de la passation de marchés publics. C’est à raison que la secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique a mis en avant au cours de son audition la mise en œuvre de la démarche du « marché public simplifié », un dispositif du programme « Dites-le nous une fois » dont le principe est résumé dans le schéma suivant.

Source : SGMAP.

En allant au-delà de la démarche de simplification pour se rapprocher du modèle de la transformation numérique, une table ronde consacrée par les rapporteurs aux attentes des entreprises en ce domaine a fait notamment émerger le besoin d’une téléprocédure en mode EDI (échange de données informatisé) entre chambres des métiers et greffes des tribunaux de commerce pour faciliter les créations d’entreprises, formalités nécessitant aujourd’hui beaucoup de ressaisies. Ce serait surtout utile aux micro-entreprises ou aux auto-entrepreneurs lorsqu’est fait le choix de la forme juridique de la société : l’immatriculation au greffe du tribunal de commerce se double de l’immatriculation au répertoire des métiers, qui suppose la ressaisie d’un grand nombre d’informations. Selon le représentant du Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, une procédure d’EDI unique, donc y compris à l’égard des organismes sociaux – ce qui sort du champ de la présente évaluation – serait très utile, même si l’EDI – comme l’EFI (14) d’ailleurs – n’est pas à rechercher comme une fin en soi, la question préalable étant de savoir quel besoin préside à autant d’échanges de données. Une sage préoccupation qui rejoint d’ailleurs l’attitude de la CNIL qui de par la loi de 1978 doit toujours poser comme première pierre de son raisonnement la finalité poursuivie par le traitement de données envisagé.

Il n’en demeure pas moins que la question de la numérisation effective de la procédure de création d’entreprise, au-delà des efforts déjà accomplis en ce domaine emblématique, notamment pour réduire les délais de traitement des formalités nécessaires, a été identifiée par les rapporteurs comme un enjeu d’importance. À Rennes par exemple, moins de 5 % des entreprises ont recours aux téléprocédures gérées par le centre de formalités des entreprises lui-même – hébergé selon le cas par la chambre de commerce et d’industrie ou par la chambre de métiers et de l’artisanat –, et encore ne s’agit-il pas de « vraies » téléprocédures mais de formulaires, eux-mêmes compliqués à remplir, disponibles en ligne. La marge de progression est ici gigantesque.

S’engager résolument dans cette voie – pourquoi pas au point de « supprimer le Cerfa d’ici 5 à 10 ans » comme l’a déclaré aux rapporteurs un interlocuteur très averti et nullement iconoclaste – nécessitera certainement de développer le dépôt de données dématérialisées, ainsi qu’il vient d’être dit, mais aussi de développer le système du tiers de confiance – huissier, avocat, expert-comptable, agent d’un centre de formalités des entreprises, fonctionnaire de mairie… – à même d’agir pour le compte, dans notre exemple, du créateur d’entreprise, le déchargeant de la formalité et de l’investissement en temps ainsi qu’en matériel nécessaire à son accomplissement.

Voilà qui renvoie à la question de la sécurité des données – cf. infra –, préoccupation qui n’est pas ignorée des professionnels, même modestes, comme certains de ceux que les rapporteurs ont pu rencontrer en région : ce que l’on appelle dans un langage devenu courant le « coffre-fort numérique » est ainsi un outil qui suscite de grandes attentes chez les entreprises à l’égard de l’administration car il existe des craintes, de la part des professionnels, face à l’envoi de données à l’extérieur qui ne seraient pas suffisamment sécurisées, telles que des données chiffrées qui pourraient être rendues accessibles à des concurrents, etc.

L’administration fiscale elle-même a d’ailleurs confirmé aux rapporteurs que le principal frein au développement des services publics numériques à l’égard des entreprises était la préoccupation de sécurité – protection du secret fiscal et du secret des affaires en particulier.

● Du point de vue des particuliers

Même si cette question ne concerne pas les seuls particuliers mais aussi les entreprises en tant qu’usagères des services publics numériques, c’est certainement le déploiement des possibilités offertes par l’identité numérique sécurisée qui offre aux citoyens les perspectives les plus prometteuses de transformation numérique de leurs relations avec les pouvoirs publics – et bien d’autres interlocuteurs encore.

Les auditions conduites par les rapporteurs ont confirmé le bien-fondé du soutien affiché par la Cour des comptes dans son rapport au déploiement de l’outil d’identité numérique FranceConnect, ainsi qu’au projet ALICEM conduit sous l’égide du ministère de l’Intérieur – dont dépend l’établissement public administratif qu’est l’Agence nationale des titres sécurisés – avec l’appui de la DINSIC : « Faire de la dématérialisation des procédures un levier de la modernisation de l’État suppose en premier lieu de lever les obstacles juridiques qui freinent leur déploiement et de faire aboutir quelques projets structurants déjà engagés. À ce titre, l’identification électronique des usagers doit être à la fois simplifiée et sécurisée, ne serait-ce que pour se mettre en conformité avec le règlement européen e-IDAS de juillet 2014 [(15)]. Le système d’identification et d’authentification FranceConnect que le SGMAP met actuellement en place repose sur la fourniture d’identité via le passeport biométrique (système développé par l’Agence nationale des titres sécurisés). L’étape suivante devrait être de développer une carte nationale d’identité électronique pour en étendre l’usage, comme l’ont déjà fait la plupart des pays européens. » (16)

Sont ainsi à l’œuvre deux démarches complémentaires mais de portée bien différente : d’une part, les efforts déployés par les équipes du SGMAP pour rattraper le retard pris par la France dans la mise au point d’un outil d’identité numérique conforme à notre droit – FranceConnect, actuellement en cours d’expérimentation en vraie grandeur et dont le principe est schématisé ci-dessous –, et d’autre part et à un peu plus long terme, la remise sur le métier du projet de carte nationale d’identité électronique – le prototype ALICEM – s’appuyant notamment sur FranceConnect.

SCHÉMAS DE FONCTIONNEMENT DE FRANCECONNECT

RNIPP : répertoire national d’identification des personnes physiques, géré par l’INSEE depuis 1946 et contenant des données d’état civil ainsi que le numéro d’inscription au répertoire (NIR), dénommé dans le langage courant « numéro INSEE » ou « numéro de sécurité sociale ».

https://cdn2.nextinpact.com/images/bd/news/158035.png

Source : SGMAP.

En attendant de voir le plein effet de ces développements, exemplaires de la démarche d’État plate-forme dans le sens où ils consistent à mettre au point des outils « en mode startup » – à l’opposé de longs et coûteux programmes trop lourds pour être efficaces – afin que d’autres acteurs puissent s’en emparer et contribuer ainsi à la transformation numérique, ce sont de petits pas qui sont franchis. Deux exemples (le permis de conduire et le passeport) illustrent bien, d’une part, l’intérêt que revêtirait pour les particuliers une numérisation plus complète des procédures, et d’autre part, l’impression d’entre-deux qui caractérise le moment dans lequel nous nous trouvons :

– s’agissant du permis de conduire, le tableau ci-dessous donne un résumé des téléprocédures proposées au particulier qui se rend sur le site www.service-public.fr.

PERMIS DE CONDUIRE : TÉLÉPROCÉDURES DISPONIBLES EN MARS 2016

Objet de la téléprocédure

Fonctionnalités offertes

Télépoints : solde des points du permis de conduire

Téléservice

Télépoints : demande de code (département 45 ou 92 uniquement)

Téléservice

Suivi de la fabrication et de la transmission de votre permis de conduire

Téléservice

Pré-demande de permis de conduire (expérimentation dans les départements 54, 75 et 92)

Téléservice

Déclaration de mini moto ou de mini quad

Téléservice ou formulaire

Demande de délivrance de permis de conduire par conversion d’un brevet militaire, par validation d’un diplôme professionnel ou levée d’une restriction

Formulaire

Demande de permis de conduire par inscription à l’examen ou attestation d’une formation

Formulaire

Permis de conduire – Avis médical

Formulaire

Demande de renouvellement de permis de conduire, de duplicata ou de catégorie AM après annulation, suspension ou invalidation

Formulaire

Demande de permis de conduire – Format de l’Union européenne

Formulaire

Calculette éco-déplacements (*)

Simulateur

(*) Dernière consultation le 5 avril 2016 : renvoi vers le site de l’ADEME (Agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie) indiquant qu’une opération de maintenance est en cours.

Source : d’après www.service-public.fr

Ces différentes téléprocédures, dont certaines sont à ce stade en cours d’expérimentation, composent l’ossature d’une future numérisation complète de la procédure de délivrance du permis de conduire qui permettra, dans un avenir que les rapporteurs espèrent le plus proche possible, de dépasser les vicissitudes associées à la mise au point – par paliers non prévus initialement – de l’application « FAETON » remplaçant le Système national du permis de conduire dans le cadre de la mise en œuvre de la directive européenne n°2006/126 du 20 décembre 2006 ;

– le tableau suivant fournit les mêmes éléments s’agissant du passeport.

PASSEPORT : TÉLÉPROCÉDURES DISPONIBLES EN MARS 2016

Objet de la téléprocédure

Fonctionnalités offertes

Pré-demande de passeport (expérimentation dans les quatre départements de l’ex-région Lorraine et les six départements de la région Centre-Val de Loire)

Téléservice

Achat en ligne du timbre fiscal – Passeport

Téléservice

Suivez votre demande de passeport

Téléservice

Demande de remboursement d’un timbre électronique pour un passeport

Téléservice ou formulaire (*)

Demande d’une autorisation de voyage aux États-Unis (Esta)

Téléservice (**)

Demande de passeport pour une personne majeure

Formulaire

Demande de passeport pour un mineur

Formulaire

Déclaration de perte de carte d’identité ou de passeport

Formulaire

Demande de copie des pièces annexes fournies lors de l’établissement d’un acte de mariage

Formulaire

Source : d’après www.service-public.fr

Là encore nous sommes désormais loin des péripéties du passage au passeport biométrique qui relevaient d’une autre logique que celle aujourd’hui à l’œuvre et dont il faut souhaiter l’aboutissement rapide à une numérisation totale de la téléprocédure… en allant aussi loin que possible compte tenu des contraintes de sécurité qui ne sauraient être perdues de vue. Ainsi, il est difficilement compréhensible par l’usager – de l’aveu même des responsables concernés – que la démarche de délivrance du passeport passe, pour ce qui relève du ministère de l’Intérieur, par un formulaire Cerfa téléchargeable en ligne quand, pour ce qui relève des ministères économiques et financiers, il est possible de recevoir son timbre fiscal dématérialisé directement sur son smartphone. Certes, la disparition du timbre papier ne peut, au moins à moyen terme, dispenser le particulier d’un déplacement au guichet, mais cela étant, un rendez-vous au guichet réservé en ligne et auquel on peut se rendre muni de son seul smartphone pour qu’il y soit scanné est un saut qualitatif évident par rapport à la procédure encore existante aujourd’hui dans la grande majorité des préfectures de France (ou des antennes installées dans les mairies).

Le plan « préfectures nouvelle génération » lancé en juin 2015 (cf. infra) ambitionne de progresser vers la complète dématérialisation de la délivrance du permis de conduire et, pour le passeport, vers un déplacement physique du demandeur réduit au strict minimum « d’ici 2017 ».

● Du point de vue des collectivités territoriales

Les préoccupations des collectivités territoriales ont déjà été abordées plus haut (cf. C du I) sous l’angle de l’implication, souhaitée par les rapporteurs, des collectivités dans la démarche de transformation numérique des services publics sur l’ensemble du territoire. À ce stade, les rapporteurs entendent aussi souligner que les procédures qui gagneraient à être plus largement et plus rapidement numérisées n’impliquent pas seulement les entreprises et les particuliers mais également les collectivités territoriales.

À cet égard, un exemple édifiant est sans nul doute celui du déploiement encore insuffisant de COMEDEC – pour « communication électronique des données d’état civil » –, plate-forme d’échange dématérialisé de ces données entre communes ainsi qu’entre les communes et les administrations demandant ces informations, actuellement par le truchement de l’usager et quasi systématiquement sur support papier. Les schémas suivants décrivent les grandes lignes du fonctionnement de cette plate-forme, de ses objectifs, des bénéfices à en attendre et des moyens existants.

Source : ministère de l’Intérieur.

L’objectif dont a fait part aux rapporteurs le secrétaire général du ministère de l’Intérieur consiste à faire en sorte que soient reliées à la plate-forme COMEDEC, d’ici à la fin de cette année, toutes les mairies des villes où est implantée une maternité, soit 600 environ. Une réelle numérisation de la quasi-totalité des échanges de données d’état civil est donc à portée de main. Atteindre cet objectif serait d’ailleurs d’autant plus utile que, comme les rapporteurs l’ont entendu de la bouche du directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés, cette numérisation est un outil efficace de la lutte contre la fraude à l’état civil ou « l’usurpation d’identité ».

● Du point de vue des services de l’État

Enfin, le panorama ne serait pas complet sans la mention de quelques procédures dont la numérisation – ou le parachèvement de celle-ci – serait des plus souhaitables au bénéfice des administrations elles-mêmes, en sus des progrès très significatifs que permettrait pour elles le déploiement des téléprocédures citées dans les paragraphes précédents.

Les rapporteurs pensent ici par exemple aux témoignages qu’ils ont pu recueillir dans les administrations déconcentrées, lorsqu’il leur a été expliqué que la télédéclaration des revenus, pourtant souvent citée en modèle – à juste titre – laisse encore de côté certains types de revenus ; ou qu’en matière de taxe d’habitation, il faut toujours une intervention humaine pour introduire le changement d’adresse d’un contribuable ; ou bien encore que, faute de transfert sécurisé de données entre les services territoriaux de Bercy et ceux du ministère de l’Intérieur, pour le contrôle de légalité des délibérations fiscales des collectivités, il fallait « rematérialiser » des documents pourtant disponibles dès l’origine sous forme numérique.

Ce dernier point offre certainement un axe de progrès, parmi d’autres, en vue de la transformation numérique intrinsèque de l’État, une perspective rendue accessible grâce au très important travail d’unification des différents réseaux informatiques existants au sein de l’État, accompli sous l’égide de l’actuelle DINSIC, pour former un réseau interministériel, le RIE. Les schémas suivants en décrivent sommairement les principaux aspects et enjeux.

Dans le respect des principes d’utilité, d’efficacité et d’efficience posés au début du présent rapport, il est donc souhaitable de déployer de nouvelles procédures numérisées au bénéfice des particuliers, des entreprises, des collectivités et des administrations elles-mêmes, ce à quoi s’emploient les équipes du SGMAP et leurs correspondants dans les administrations avec une énergie qui risque de ne pas suffire si elle ne reçoit pas le soutien nécessaire pour surmonter obstacles techniques et réticences culturelles. Culturelles, car la réussite de la transformation numérique de l’État selon les méthodes agiles aujourd’hui à l’œuvre passe aussi par un changement des mentalités, dont l’un des exemples les plus intéressants est la reconnaissance d’une certaine forme de « droit à l’erreur ».

B. LE DÉPLOIEMENT DES SERVICES PUBLICS NUMÉRIQUES DOIT INCLURE LE TÂTONNEMENT ET LE DROIT À L’ERREUR

Sans en faire la clef de toutes les adaptations souhaitables au sein des administrations chargées de concevoir ou de mettre en œuvre la transformation numérique, sans nécessairement convoquer les analyses sur la pédagogie et l’apprentissage d’Alain ou de Bachelard, mais plus modestement en empruntant de nouveau l’image du saumon remontant la rivière utilisée devant les rapporteurs par M. Pascal Otheguy pour illustrer le « retour aux sources » que permet la réflexion sur la modernisation numérique de l’État, il faut reconnaître que les modes de pensée irriguant le fonctionnement de l’administration depuis des décennies ne laissent pas de place au tâtonnement ou au droit – relatif – à l’erreur qui sont pourtant consubstantiels à la méthode agile aujourd’hui adoptée avec succès pour accomplir la transformation numérique.

La secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique, Mme Laure de La Bretèche, a d’ailleurs évoqué devant les rapporteurs cette question du perfectionnisme des administrations comme une difficulté à surmonter, ajoutant aussitôt qu’il n’y avait pas pour autant à culpabiliser ces administrations ayant cette préoccupation « dans leurs gènes », la bonne méthode étant plutôt d’agir au sein des écoles de formation des cadres dirigeants de l’État (cf. infra).

On peut même ajouter, avec Mme Virginie Madelin, directrice interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques de l’État au SGMAP, que s’agissant en particulier des téléprocédures émanant des administrations, on attend trop de perfection, comme si en ce domaine l’erreur était moins pardonnable que de la part de services non numérisés. C’est dire si l’enjeu d’une certaine forme de « droit à l’erreur » est d’importance.

Mais surtout, la reconnaissance du bien-fondé du tâtonnement est essentielle à la cohérence de la démarche qui veut que l’État élabore aujourd’hui de nouvelles applications « en mode startup » – c’est-à-dire en quelques mois, à partir d’expériences locales concrètes, avec lancement du produit en « version bêta », donc inachevée, ce que signale un petit bandeau en haut de la page comme illustré avec la copie d’écran ci-dessous du simulateur « mes-aides.gouv.fr » permettant aux particuliers de connaître en première approximation les aides de nature fiscale et sociale auxquelles leur situation leur permet de prétendre. D’ailleurs, le lancement d’une application en version bêta s’accompagne généralement de la présence d’un bouton « signaler une erreur » pour faire remonter par courriel aux concepteurs de l’application les anomalies constatées le cas échéant.

EXEMPLE D’APPLICATION EN « VERSION BÊTA » : LE SIMULATEUR WWW.MES-AIDES.GOUV.FR

Dans cet exemple, cliquer sur le lien « en savoir plus » en haut de la page conduit à une explication claire et concise sur les atouts et les limites de l’outil proposé, en suggérant aux utilisateurs de contribuer à son amélioration :

À propos

Mes-aides est ouvert au public à titre expérimental car il offre d’ores et déjà une simplification radicale aux demandes les plus courantes. Saisissez la situation de votre foyer, et vous connaîtrez votre éligibilité aux principales prestations sociales : Revenu de Solidarité Active (RSA) socle et activité, Allocation Spécifique de Solidarité (ASS), Couverture Médicale Universelle (CMU), Aide Complémentaire Santé (ACS), Allocation de Solidarité aux Personnes âgées (ASPA), Allocation Familiales (Allocation Soutien Familial, Complément Familial), et Allocations Logement (Allocation Logement Social, Allocation Logement Familial, Aide Personnalisée au Logement).

Limites de l’outil

Pour autant, certaines situations complexes peuvent ne pas être encore prises en compte dans l’outil. Les résultats des simulations sont donc fournis à titre indicatif et les montants des prestations pourront être différents quand ils seront calculés par les administrations concernées au moment de l’étude de votre dossier. En effet, votre situation familiale et/ou vos ressources ou celles de l’un des membres de votre famille peuvent changer ou ne pas avoir été prises en compte lors du test.

De même, les conditions de régularité et de durée du séjour s’appliquant aux étrangers ne sont pas totalement prises en compte. Elles pourront, dans certains cas, limiter le champ d’application du droit.

Startup d’État

Mes-aides est un service public numérique produit dans une démarche de construction inédite par une petite équipe autonome hébergée par le Secrétariat Général à la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP) et aidée d’une communauté d’agents publics et de citoyens. Nous désignons ce dispositif sous le nom « startup d’État ». Le site mes-aides exploite par ailleurs le logiciel libre de simulation du système socio-fiscal français OpenFisca.

Aidez-nous à faire mieux

Si une de nos simulations ne vous semble pas conforme à vos droits, un bouton est là pour nous le signaler dans la page de résultat. Nous portons la plus grande attention à vos retours pour améliorer en permanence notre outil.

L’équipe mes-aides

En outre, comme l’a fait malicieusement remarquer aux rapporteurs un représentant du secrétariat général des ministères économiques et financiers, pousser à son terme la comparaison avec le monde des startups oblige à rappeler que le propre de l’économie particulière de ces « jeunes pousses » est un faible taux de survie au bout d’un an… une manière de rappeler qu’un projet non viable doit pouvoir être abandonné sans que cela cause de traumatisme, ce qui est encore difficilement admissible pour les administrations à l’heure actuelle. À vrai dire, tout est ici question de proportions : l’abandon d’un projet de simulateur développé en quelques mois qui se révélerait induire systématiquement ses utilisateurs en erreur n’a pas de commune mesure avec la légitime exigence selon laquelle, pour reprendre la formule spontanée d’un interlocuteur des rapporteurs au ministère de l’Intérieur, « On ne peut pas planter les élections » pour cause de défaillance d’une application informatique.

Pour mieux comprendre ce que peut signifier la reconnaissance du droit à l’erreur dans la conception des projets numériques au sein de l’État, un parallèle peut être dressé, comme l’a indiqué aux rapporteurs M. Thierry Courtine, délégué à la modernisation au secrétariat général de Bercy, avec le lean management, moins naturel dans l’administration que dans l’entreprise : le mode itératif – démontrer à chaque « boucle » la nécessité d’aller plus loin –, avec cycles courts et moyens limités, rend plus facile l’aveu d’échec, par comparaison avec le mode linéaire consistant à mener de longs projets à « effet tunnel ». La formation au lean management existe depuis longtemps dans toutes les écoles d’ingénieurs et depuis peu à l’ENA. Voilà qui fait écho aux propos de la secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique et laisse augurer une adaptation des mentalités des cadres dirigeants de l’État aux prérequis « culturels » d’une transformation numérique ambitieuse et réussie.

Pour conclure provisoirement sur ce point, il faut néanmoins admettre que travailler à la source pour ce qui concerne les administrations – dès les écoles de formations – ne suffira pas à changer les réflexes culturels des administrés : reconnaissons avec M. Laurent de Jekhowsky, secrétaire général des ministères économiques et financiers, que la transformation numérique passera aussi par la résorption du problème de confiance qu’ont parfois les usagers, quand par exemple les contribuables se présentent au guichet de leur centre des finances publiques à la seule fin de demander à l’agent présent si leur télédéclaration a bien été reçue…

C. L’INITIATIVE ET L’EXPÉRIMENTATION DE PROCÉDURES À L’ÉCHELON DÉCONCENTRÉ DOIVENT ÊTRE ENCOURAGÉES

Conformément à la conception selon laquelle, comme le rappelait M. Henri Verdier devant les rapporteurs, le rôle de l’État dans le domaine de la transformation numérique doit consister à donner des outils aux autres plutôt qu’à tout planifier lui-même, les auditions menées par les rapporteurs et leurs déplacements de terrain n’ont fait que renforcer leur conviction que l’une des conditions de réussite de la transformation numérique de l’État est de ne pas cantonner la démarche à l’échelon central. Cela suppose à la fois – démarche descendante ou top-down – de diffuser dans les administrations déconcentrées la prise de conscience de la chance que représente la transformation numérique et des défis qu’elle comporte, et de laisser remonter – démarche ascendante ou bottom-up – les bonnes initiatives développées localement, sans les brider.

● Bien que n’étant pas la plus originale à première vue, l’approche descendante n’en est pas moins nécessaire au succès. À l’évidence, elle passe d’abord par la sensibilisation des cadres dirigeants de l’administration au puissant potentiel de modernisation que recèle la transformation numérique et aux besoins de changement qui y correspondent. Pour n’en citer qu’un exemple récent, « l’adaptation au numérique » était l’un des trois sujets du séminaire du 2 novembre 2015 au cours duquel le Premier ministre a réuni les 180 directeurs d’administration centrale.

D’une manière générale, il y a dans la haute administration, selon la secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique, une claire conception du besoin de changement numérique ; le défi est dorénavant de diffuser cette conception sur le territoire.

Dans le champ que s’était assigné la mission d’évaluation, emblématique à cet égard est le plan « Préfectures nouvelle génération » lancé par le ministre de l’Intérieur en juin 2015 et dont la mise en œuvre a franchi une importante étape le 24 février dernier avec la publication de la carte, reproduite ci-dessous en deux volets, des 47 futures plates-formes d’instruction des demandes de titres – cartes nationales d’identité, passeports, permis de conduire et cartes grises – qui seront réparties sur tout le territoire. C’est bien sûr la numérisation qui seule rend possible une telle transformation du réseau et des modes d’action de l’administration préfectorale.

Dans cette démarche de diffusion sur l’ensemble du territoire des enjeux de la transformation numérique, le SGMAP intervient de manière plus « pointilliste », en ayant recours à plusieurs techniques, telles que la « mise sous cloche » d’un territoire ou l’organisation de « hackathons », parfois dénommés « open data camps », sous l’égide d’Étalab, la mission du SGMAP chargée de l’ouverture des données publiques, comme pour la première fois en Bourgogne, il y a un peu plus d’un an. L’encadré suivant précise en quoi a consisté l’événement en question.

PRÉSENTATION DE L’ÉVÉNEMENT « OPEN DATA CAMP – TERRITOIRE #1 »

Source : www.opendatabourgogne.org

● Quant à l’approche ascendante, elle représente un gisement assez considérable d’idées nouvelles et de bonnes pratiques, mais aussi un levier d’implication et de mobilisation des personnels des services déconcentrés – donc un risque de frustration si le droit d’initiative est insuffisamment accordé –, comme les rapporteurs ont pu le mesurer lors de leurs déplacements en région.

Ainsi de la relative déception entendue à la préfecture de la région Bretagne à propos du peu de considération pour l’initiative locale, dans un domaine qui devrait pourtant s’y prêter – pourquoi vanter les « startups d’État » et refuser leur version locale ? De manière certes un peu caricaturale, l’approche ascendante telle que ressentie localement pouvait se résumer ainsi : en tant que services déconcentrés, nous sommes autorisés à développer localement des solutions logicielles, non sans validation par l’administration centrale. Lorsque la validation arrive enfin, le logiciel est déjà obsolète…

Pour sa part, le secrétariat général du ministère de l’intérieur assume ce choix d’une faible marge de manœuvre laissée à l’initiative déconcentrée, notamment car les compétences informatiques présentes localement sont variables sur le territoire et variables dans le temps : tout ne peut pas reposer sur un agent « geek » de passage. En outre, il s’agit de ne pas s’illusionner quant au potentiel que recèlent les idées développées localement : d’une part, pour qu’une idée locale puisse devenir nationale, il doit s’agir d’une excellente idée ; d’autre part, le processus de « nationalisation » crée immanquablement une forme de rigidité supplémentaire, de sorte que l’initiateur local peut ressentir une forme de frustration lorsqu’il voit « redescendre » son idée quelque peu transformée.

Ces réserves faites, les rapporteurs veulent souligner combien ils voient dans une meilleure prise en compte de l’initiative et de l’expérimentation locales l’une des conditions de la réussite optimale de la transformation numérique des services publics.

Des exemples existent de réels succès en ce domaine. Ainsi de l’attitude spontanément ouverte aux initiatives locales au sein de la direction générale des douanes et des droits indirects, si l’on en croit la présentation faite à l’intention des rapporteurs à la direction interrégionale de Nantes ; ainsi également, certes hors du champ de la présente évaluation, de l’exemple cité aux rapporteurs par M. Pascal Otheguy, directeur du cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification : celui du développement par un agent de Pôle emploi d’un algorithme permettant de mieux apparier les offres et les demandes d’emploi grâce aux apports du traitement de données, en faisant en sorte que les CV des demandeurs d’emploi aient plus de chance d’aller dans « la bonne boîte », selon le nom donné à ce projet.

Surtout, les derniers développements de l’action gouvernementale sur cette question témoignent d’une prise de conscience de son importance. En effet, le comité de pilotage du Programme d’investissements d’avenir (PIA) a validé la création d’un nouveau programme consacré à la transition numérique de l’administration territoriale de l’État. M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification, a ainsi annoncé le 16 mars dernier le prochain lancement de deux nouveaux appels à projets « qui placent l’agent au cœur du processus de modernisation », dénommés « Communautés professionnelles territoriales » et « Laboratoires d’innovations territoriales » (17). Ces deux appels ont pour objectif commun de décloisonner les services de l’État, d’améliorer les conditions de travail des agents, d’ouvrir l’administration territoriale aux partenaires extérieurs, de faciliter les échanges, mais aussi – c’est le sens du propos des rapporteurs – d’encourager les initiatives locales et de développer la culture de l’innovation.

La conduite du projet est assurée par trois partenaires : le Commissariat général à l’investissement qui assure la gouvernance stratégique du fonds « Transition numérique de l’État et modernisation de l’action publique » dans le cadre du PIA, la Caisse des dépôts et consignations qui est l’opérateur chargé de la gestion administrative et financière du fonds, et le SGMAP qui est le service pilote du PIA. L’extrait suivant du dossier de presse détaille le contenu de ces deux appels à projets.

Source : secrétariat d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification.

Loin de l’image du « vernis technologique » qui serait appliqué sur des structures anciennes imperméables au changement, on assiste donc à une mutation en profondeur des administrations, certes encore timide et demandant à être encouragée de la manière la plus volontariste. Mais au-delà des structures et des organisations, la norme elle-même doit être adaptée à la démarche de transformation numérique de l’État.

D. LA RÈGLE DE DROIT DEVRA ÊTRE ENVISAGÉE AVEC SON SYSTÈME D’INFORMATION CORRESPONDANT EN AMONT DE SON ADOPTION

Qu’elle soit conçue en mode agile par une startup d’État, issue de l’initiative d’un brillant agent d’une administration déconcentrée ou qu’elle résulte des cogitations d’un « hackathon », une nouvelle téléprocédure ayant vocation à être généralisée – une fois assumés les tâtonnements, essais et erreurs, une fois passé le test de la version « bêta » – devra nécessairement s’appuyer sur une infrastructure informatique robuste et sécurisée.

M. Jean-Baptiste Le Brun, délégué aux systèmes d’information au sein du secrétariat général des ministères économiques et financiers, a eu le mérite de rappeler aux rapporteurs cette évidence de l’importance du « back office », y compris pour les systèmes d’information de l’État – et peut-être plus encore pour ceux-là, compte tenu du principe de continuité du service public. Cette question trouve d’ailleurs son prolongement dans la nécessité pour l’État de disposer en propre des personnels et des matériels permettant de faire fonctionner de manière optimale les services publics numériques (cf. infra).

Mais pour bien connaître et prendre la mesure des moyens humains et techniques nécessaires au déploiement ou à la généralisation d’un service public numérique au-delà de sa phase d’expérimentation, encore faut-il avoir pris la peine d’évaluer ces besoins au préalable, en n’omettant donc pas, à côté de la présentation toujours louangeuse et extensive des bénéfices attendus de la réforme, son impact sur les systèmes d’information existants ou à déployer.

Les rapporteurs en sont ainsi venus à la conclusion qu’au nombre des conditions de réussite de la transformation numérique de l’État devait figurer l’obligation d’inclure – y compris dans les évaluations préalables des articles des projets de loi de finances de l’année ou celles regroupées dans l’annexe 10 au projet de loi de financement de la sécurité sociale – dans les études d’impact jointes à tout projet de loi une rubrique consacrée aux systèmes d’information.

Les rapporteurs n’ignorent pas que traduire cette obligation de manière explicite dans notre droit supposerait de modifier l’article 8 de la loi du 15 avril 2009 (18). Cet article est reproduit, dans sa version en vigueur, dans l’encadré ci-dessous.

Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

Chapitre II : Dispositions relatives à la présentation des projets de loi prises en vertu de l’article 39 de la Constitution

Article 8

Modifié par la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 – art. 3

Les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact. Les documents rendant compte de cette étude d’impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d’État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent.

Ces documents définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation.

Ils exposent avec précision :

– l’articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration, et son impact sur l’ordre juridique interne ;

– l’état d’application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;

– les modalités d’application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ;

– les conditions d’application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l’absence d’application des dispositions à certaines de ces collectivités ;

– l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;

– l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ;

– les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ;

– s’il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l’avis du Conseil économique, social et environnemental ;

– la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires.

Mais l’on peut aussi considérer que l’alinéa de cet article mentionnant « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue » est déjà susceptible d’inclure les développements relatifs aux systèmes d’information. Au demeurant, quand bien même cette lecture du texte organique ne ferait pas l’unanimité, rien n’empêcherait le Gouvernement de s’imposer de lui-même cette bonne pratique – rappelons en effet que la technique des études d’impact, née à la fin des années 1970 à propos des lois environnementales, a, jusqu’à l’entrée en vigueur de la LOLF, de la LOLFSS et de la loi organique du 15 avril 2009, reposé sur des circulaires du Premier ministre.

M. Laurent de Jekhowsky, secrétaire général des ministères économiques et financiers, a d’ailleurs indiqué aux rapporteurs que ses services réfléchissaient à la mise en place d’une cellule spécialisée, s’appuyant notamment sur l’expertise du contrôle général économique et financier, qui affinerait l’évaluation de l’impact des textes normatifs sous ses aspects économique et financier, moins détaillé aujourd’hui que l’analyse juridique : un « véhicule » parfait pour affiner également l’impact des normes sur les systèmes d’information.

*

En définitive, la question « Jusqu’où numériser ? » ouvre de larges perspectives pour les entreprises, les particuliers, les collectivités territoriales et les administrations centrales et déconcentrées, perspectives d’autant plus stimulantes qu’elles sont l’occasion de mettre en œuvre de nouveaux modes d’action publique, plus innovants, plus participatifs, mais aussi plus cohérents car s’inscrivant dans un même schéma général de transformation numérique des services publics. C’est bien là le troisième et dernier défi à relever : celui de la méthode.

III. ASSURER UNE CONDUITE DU CHANGEMENT PERMETTANT D’ADAPTER LES MODALITÉS DE MISE EN œUVRE EN MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS : COMMENT NUMÉRISER ?

Les analyses nourries et parfois critiques que la Cour a consacrées aux questions de gouvernance dans son enquête évaluative annexée au présent rapport, et le moment auquel les rapporteurs rendent leurs conclusions – au terme de près de quatre ans de mise en œuvre de la modernisation de l’action publique (MAP) qui a pris le relais de la révision générale des politiques publiques (RGPP) tout en cherchant à s’en démarquer –, incitent à poser comme préalable à tout développement sur la question « comment numériser ? » un point de méthode : le souci de la conduite du changement doit constamment animer les maîtres d’ouvrage de la transformation numérique de l’État.

Éclairant à cet égard est le rapport publié au mois de septembre 2012 par les trois inspections générales – celles des finances, des affaires sociales et de l’administration – pour dresser, selon le titre de ce rapport, un bilan de la RGPP et définir les conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’État. On peut lire, parmi les constats auxquels cette mission est parvenue au terme d’une analyse détaillée, sous l’intitulé « une démarche conduite à un rythme trop rapide » : « Globalement, le calendrier fixé pour chaque mandat [objectif de politique publique à atteindre dans le cadre de la RGPP] et une communication interne simpliste à travers les feux tricolores ont conduit à négliger les bonnes pratiques de conduite du changement et à mener des réformes à marche forcée, sans toujours disposer des ressources humaines et budgétaires qui auraient été nécessaires pour les mettre en œuvre dans des conditions raisonnables. Dans les grandes entreprises, la qualité de la conduite du changement est considérée comme un facteur déterminant pour la réussite d’un projet ».

Sans pousser, évidemment, la comparaison avec le monde de l’entreprise jusqu’à l’assimilation – les inspections générales insistent d’ailleurs sur l’excès de références ostensibles au secteur privé comme un élément ayant, précisément, nui à la conduite du changement par manque d’adhésion des agents publics à la démarche de la RGPP –, l’importance de cette notion forgée à propos des transformations de grandes entreprises est manifeste. Du reste, l’expression « conduite du changement » revient à de multiples occurrences dans l’annexe 9 au rapport des inspections générales, synthétisant les réponses fournies au questionnaire de la mission par les secrétaires généraux des ministères, certainement peu suspects de vouloir assimiler à des entreprises les administrations placées sous leur responsabilité.

Une telle réflexion n’est d’ailleurs ni nouvelle, ni propre à la France. Pour ne s’en tenir qu’à deux références, en 2005 déjà, l’organisme qui s’appelait encore le Commissariat général du Plan publiait une étude intitulée La conduite du changement au sein du secteur public : une contribution pour l’action, issue de la réflexion d’un groupe de travail à partir de sept études de cas (19). Et pour dépasser le seul cadre national, l’OCDE a, en 2008, publié un document de travail sur La gestion du changement dans l’administration des pays de l’OCDE à partir de six études de cas dans six pays membres différents. Pour la France, l’exemple choisi était la mise en œuvre de la LOLF à partir de l’initiative parlementaire initiale ; les enseignements tirés de ce changement, profond s’il en est, méritent d’être ici reproduits compte tenu de leur portée générale (cf. encadré ci-dessous).

Préconisations issues d’un rapport de l’OCDE sur la conduite du changement dans les administrations publiques

En conclusion – quels sont les enseignements pour l’avenir ?

[…] On peut tirer au moins sept enseignements en matière de gestion du changement dans l’administration de la mise en œuvre de la LOLF […] :

– la nécessité de former une vision d’avenir et de mettre au point une stratégie pour y parvenir ;

– le besoin d’un soutien politique et la constitution d’une coalition directrice pour diriger l’effort de changement ;

– le besoin d’un leadership fort et impliqué ayant suffisamment d’autorité morale et juridique pour encourager les membres de la coalition à travailler ensemble comme une équipe ;

– il est opportun de mettre en œuvre progressivement la réforme car cela facilite la compréhension, l’adaptation et la formation d’un sentiment d’appartenance. Il faut un laps de temps suffisant pour adapter les mentalités à un nouvel environnement ;

– l’utilisation de différents canaux de communication pour expliquer la réforme et partager les informations, par exemple : les médias, les colloques, les groupes influents et Internet ;

– le recours à la formation pour éliminer les obstacles à la réforme et l’expliquer de manière plus approfondie ;

– il est opportun de tester l’action envisagée pour encourager la formation d’un système d’apprentissage par le partage d’expériences et l’amélioration de l’action de réforme.

Source : Oscar Huerta Melchor, « La gestion du changement dans l’administration des pays de l’OCDE : un premier aperçu général », Documents de travail sur la gouvernance publique n° 12, éditions OCDE, sur le fondement d’une étude de Françoise Waintrop (direction générale de l’administration et de la fonction publique).

Au fil de leurs travaux, les rapporteurs ont bien sûr été confrontés à la question de la conduite du changement en matière de transformation numérique, avec des interlocuteurs très divers, depuis le cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification évoquant un « bouleversement de la culture managériale de l’administration » jusqu’au « mode d’emploi » en trois points donné par M. Éric Dupont-Dutilloy, directeur interrégional des douanes à Nantes, témoignant d’une réflexion certaine sur le sujet : 1/ mieux vaut déployer une téléprocédure avec retard que de manière trop précipitée ; 2/ il ne faut pas anticiper les gains de productivité associés à la numérisation ; 3/ il convient de ne pas faire coexister trop longtemps supports papier et numérique pour une même procédure.

Au sein du SGMAP, M. Xavier Albouy, chargé de mission auprès du DINSIC, a indiqué aux rapporteurs que la prise en compte de la conduite du changement privilégiait deux axes de travail concrets :

– d’une part, l’accompagnement de la transformation numérique par les ressources humaines, ce qui inclut la revalorisation des métiers et le développement de l’interministérialité. De façon plutôt originale, est également promue de manière systématique la mise en relation régulière des agents, autrement dit la conduite du changement par l’exemple, beaucoup plus efficace que la formation théorique désincarnée, une démarche mise en avant autant pour les échanges au sein de l’administration et entre administrations que pour les échanges avec les entreprises ;

– d’autre part, la recherche d’experts en gestion de données et en ergonomie, afin de rendre tangibles les avancées concrètes de la transformation numérique dans les usages quotidiens.

Une fois posées les fondations avec cette réflexion sur la conduite du changement, il devient possible de bâtir une méthode pour la complète réussite de la transformation numérique des services publics, que l’on peut présenter en deux volets : l’un relatif à la programmation des moyens humains et techniques ; l’autre relatif à la gouvernance et au suivi de cette mutation de l’État.

A. LES MOYENS HUMAINS ET TECHNIQUES DOIVENT ÊTRE MIEUX PROGRAMMÉS

Adapter le recrutement et la formation initiale des agents qui sont sur le point de conduire la grande aventure de la transformation numérique des administrations de l’État, ou d’y participer, et qui continueront à accompagner ce mouvement de fond dans les années à venir, est un défi qui a commencé d’être relevé et qui doit l’être avec davantage d’allant, l’autre grand chantier de ressources humaines étant celui de la formation continue pour tous les autres agents, ceux dont le travail est modifié à des degrés très divers par le déploiement des services publics numériques. Ces chantiers ne sauraient se concevoir sans une programmation aussi cohérente que possible des moyens matériels correspondants, dans le respect des obligations de sécurité inhérentes à des procédures régaliennes.

1. De nouveaux types de recrutement, de nouvelles formations initiales et continues doivent être assurés dans l’administration

● Une transformation d’une telle ampleur que celle que connaît actuellement l’État avec sa modernisation numérique implique à la fois la création de nouveaux métiers et la mutation de métiers existants. Réussir cette transformation oblige donc à traiter de front ces deux aspects.

Les interlocuteurs des rapporteurs se sont plu à évoquer le besoin grandissant d’avoir recours aux compétences des data scientists (spécialistes de l’analyse de données), sans pour autant aller jusqu’à prôner la création d’un corps de fonctionnaires ad hoc. Il est sans doute encore un peu tôt pour cela, même si la création, à partir de la mission Étalab, de la fonction d’administrateur général des données instituée par un décret du 16 septembre 2014 – une première en Europe au niveau national – et confiée à M. Henri Verdier, peut être regardée comme un tout premier pas en ce sens.

Moins souvent mentionnées mais tout aussi innovantes – elles ont été signalées aux rapporteurs par M. Thierry Courtine, délégué à la modernisation au secrétariat général des ministères économiques et financiers – sont les compétences de designers nécessaires à la construction de téléservices « élégants », « évidents » pour le plus grand nombre, ou encore – c’est vraiment inattendu – les compétences… d’ethnographes, mises à profit afin d’étudier les comportements individuels des usagers à l’égard du numérique !

Dans le cadre de procédures plus classiques, la DINSIC est parvenue à obtenir la création d’un corps interministériel d’ingénieurs informaticiens, incluant la possibilité de recruter des contractuels à durée indéterminée, création qu’il faut saluer. En effet, le décret n° 2015-576 du 27 mai 2015 portant statut particulier du corps des ingénieurs des systèmes d’information et de communication, entré en vigueur le 1er juin 2015, constitue en quelque sorte le pendant, en matière de gestion des ressources humaines dans la fonction publique de l’État, de l’unification technique des différents réseaux informatiques ministériels.

Avec ce corps interministériel de haut niveau, se concrétise la démarche de constitution d’une filière regroupant les métiers du numérique au sein de l’État et offrant, par conséquent, des perspectives de parcours professionnels plus attractifs. Une telle démarche est indispensable pour que se forme l’ossature de compétences indispensable à la réussite de la transformation numérique au sein de l’État. Car à l’heure actuelle, si l’on peut se satisfaire en apparence de dénombrer, selon les chiffres fournis par le cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, environ 18 000 agents dans le numérique, il faut préciser que ces agents sont répartis entre 90 corps et accomplissent 44 métiers différents, dont 10 métiers émergents, et surtout, que le recours à l’externalisation est aujourd’hui très fréquent dans le numérique, à la fois pour des raisons budgétaires et parce que les administrations éprouvent, par hypothèse, le besoin de recruter des profils qualifiés dans des domaines très précis, à évolution très rapide. Indépendamment même des questions de sécurité qui seront abordées plus loin, disposer en interne, pour les administrations de l’État, des compétences nécessaires au déploiement de nouveaux services publics numériques – mais aussi à leur amélioration continue et à leur maintenance – est donc un enjeu majeur.

● S’agissant des formations initiales et continues à organiser sur tout le territoire, l’impression que retirent les rapporteurs de leurs auditions est que la prise de conscience de leur caractère indispensable est réelle chez les responsables d’administration à l’échelon national comme à l’échelon local, et que des plans de formation existent effectivement, mais que la traduction directe pour les agents concernés de ces louables intentions mérite davantage de moyens.

À l’appui de cet argument, les rapporteurs pourraient se laisser aller à la facilité de citer, retour du terrain, les échos fort contrastés de ce que représentent dans une administration déconcentrée les formations des agents aux téléprocédures, lorsque le directeur se félicite d’un taux de progression en volume de formation de 378 % d’une année sur l’autre (sic), tandis que les prises de position des représentants syndicaux des mêmes agents témoignent d’un degré d’adhésion spontanée assez modéré aux perspectives ouvertes par la modernisation numérique…

Les rapporteurs souhaitent appuyer la vision développée devant eux par Mme Virginie Madelin, directrice interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques de l’État au SGMAP, en trois points essentiels :

– la priorité doit aller aux agents en relation avec le public, notamment les agents de catégorie C, dont les métiers sont les plus profondément transformés et qui sont souvent les moins bien armés pour y faire face. Pour eux, de nouveaux métiers émergent, des tâches matérielles disparaissent au profit de fonctions plus intéressantes et stimulantes – par exemple dans le domaine de la médiation numérique –, qu’il est capital de valoriser ;

– certains plans ministériels, comme le plan « Préfectures nouvelle génération » déjà mentionné, s’accompagnent d’un volet de formation, ce qui est généralement la garantie de moyens mieux programmés et mieux suivis. Le secrétaire général du ministère de l’Intérieur a notamment fait valoir l’ouverture à compter de mars 2016 de « salles d’e-formation » ;

– dans les autres cas, il faut s’appuyer sur les moyens de formation existants mais des initiatives ont été prises pour les renforcer, comme le développement par le SGMAP de formations spécifiques dispensées notamment par l’Institut pour la gestion publique et le développement économique (IGPDE, opérateur de formation permanente des ministères économiques et financiers qui se présente lui-même comme un « acteur de la modernisation de l’action publique »), ou encore le lancement d’appels à projets dans le domaine des ressources humaines, sur le thème de l’accompagnement des agents, avec un financement de 20 millions d’euros pris pour moitié sur les crédits du programme d’investissements d’avenir et pour l’autre moitié sur le budget de l’État.

Les rapporteurs insistent sur ce dernier point : c’est aujourd’hui que doivent se faire les investissements dans les formations destinées à accompagner la transformation numérique des administrations, le coût budgétaire à consentir étant largement gagé – mais certes pas à l’aune du strict principe d’annualité budgétaire – par les gains à attendre de la numérisation, qui au demeurant ne sont pas, les rapporteurs le répètent ici, l’objectif premier à poursuivre.

Un raisonnement analogue vaut pour les moyens matériels à installer.

2. Il convient de renforcer l’investissement en équipement et de l’adapter aux tâches des agents

Selon les chiffres synthétiques fournis aux rapporteurs par M. Pascal Otheguy, directeur du cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, on peut établir à 4 milliards d’euros environ les dépenses annuelles de l’État dans le numérique, dont la moitié en dépenses de personnel. Sur les 2 milliards d’euros restants, 1,2 milliard d’euros vont aux matériels, infrastructures et logiciels, de sorte qu’il ne reste « que » 800 millions d’euros pour les projets nouveaux, auxquels s’ajoutent les crédits du fonds « transition numérique et modernisation de l’action publique » du programme d’investissements d’avenir (PIA). Doté de 86 millions d’euros, ce fonds a déjà engagé 66,7 millions d’euros (20). En tenant compte de la part financée par les ministères, le total atteint près de 150 millions d’euros.

En valeur relative, les interlocuteurs des rapporteurs ont utilisé des références diverses mais le message était le même. M. Pascal Otheguy a comparé le volume de 9 à 10 % de l’investissement consacré par l’État aux outils numériques à une proportion pouvant atteindre 17 à 18 % dans le secteur bancaire, tandis que M. Henri Verdier a comparé le poids du numérique dans les dépenses totales du budget de l’État, soit 1,5 % environ, à un taux avoisinant 6 à 7 % dans l’industrie et 12 à 13 % dans les services.

L’effort est donc substantiel et il permet d’enclencher certaines transformations – comme par exemple le plan « Préfectures nouvelle génération » – mais la Cour des comptes a raison de dire que les montants qui viennent d’être énoncés sont insuffisants pour accélérer la marche vers une généralisation des services publics numériques. Pour autant, il n’y a pas à formuler de préconisation tendant à un effort massif d’investissement car, d’une part, une telle préconisation serait largement incantatoire en l’état actuel des finances publiques, et d’autre part, certaines économies peuvent être réalisées, par exemple dans le domaine des fonctions support ou des messageries.

En outre, l’une des tables rondes organisées par les rapporteurs a révélé la difficulté de l’exercice consistant à quantifier avec précision, au-delà des chiffres globaux mentionnés plus haut, les dépenses correspondant aux services publics numériques.

Dès lors, plutôt que de consister en une cible chiffrée hasardeuse, la formulation de la condition de réussite de la modernisation numérique de l’État tenant aux investissements matériels devrait être la suivante, en deux volets :

– quant à l’orientation générale, si l’on veut accélérer le déploiement des services publics numériques, alors le niveau actuel d’investissement doit être accru – notamment par le renforcement du fonds ad hoc du PIA – mais surtout rationalisé par l’identification de gisements d’économies et le suivi attentif des projets. C’est ainsi qu’au niveau interministériel, la DINSIC suit tous les projets d’un montant supérieur à 9 millions d’euros (21) et qu’au niveau ministériel, pour n’en prendre qu’un exemple, le comité stratégique ministériel des systèmes d’information créé à la fin de 2013 au sein des ministères économiques et financiers prépare les arbitrages entre projets et veille à ce que les économies à réaliser sur le budget ministériel ne fragilisent pas les nouveaux projets de déploiement de services publics numériques ;

– quant à la conduite concrète des projets d’investissement, de leurs déplacements les rapporteurs retiennent qu’il faut, d’une part, améliorer le phasage de ces projets, en s’attachant par exemple à doter les services de nouveaux matériels de manière cohérente avec le déploiement des nouveaux téléservices et avec l’organisation des formations correspondantes, et d’autre part, être plus attentif à l’adéquation des matériels fournis aux besoins, en veillant par exemple à ce que, pour l’installation de postes informatiques à double écran, le second écran fourni soit bien compatible avec le premier (sinon identique).

La dernière dimension, non des moindres, est celle de la sécurité qui doit s’attacher aux téléprocédures disposant du « label » de l’administration.

3. La sécurité des données doit être garantie

Parmi les conditions de réussite de la transformation numérique des services publics identifiées par les rapporteurs, toutes sont souhaitables voire nécessaires mais l’une d’elles peut être qualifiée de vitale : la sécurité des données personnelles, des données couvertes par un secret – secret fiscal, secret professionnel, secret des affaires, etc. – utilisées à l’occasion de la mise en œuvre de téléprocédures. Il y a là en effet, au-delà d’évidentes considérations d’efficacité, une très forte dimension psychologique tenant à l’acceptation même du principe de la généralisation des services publics numériques. Car à l’image du consentement à l’impôt sans lequel le fonctionnement de l’État moderne serait compromis, il est un principe de « confiance dans le numérique » en l’absence duquel il sera illusoire de prétendre faire progresser l’utilisation des téléprocédures par les usagers mais aussi, à l’autre bout de la chaîne, l’acceptation par les administrations d’une plus grande ouverture et d’un plus grand partage de leurs données.

On ne lit pas autre chose dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental de janvier 2015, intitulé Les données numériques : un enjeu d’éducation et de citoyenneté, sous la plume de son rapporteur Éric Peres : « Un développement numérique sans confiance ne peut pas produire tous les effets positifs que l’on peut espérer en termes de progrès économiques, sociaux et environnementaux. Le besoin de confiance, de sécurité et de protection de nos concitoyens crée donc une exigence nouvelle pour les entreprises et les administrations qui devront y répondre pour utiliser harmonieusement et de manière équitable les données. » (22)

Il faut même aller jusqu’à convenir, avec M. Jean-Yves Latournerie, nommé en mai 2015 préfet chargé de la lutte contre les cybermenaces, que « Le choix de la transition numérique fait de la sécurité numérique un enjeu de sécurité nationale » (23). Au sein des services du Premier ministre comme des ministères régaliens – dont ceux faisant l’objet du présent rapport d’évaluation –, un coordinateur ministériel pour la cybersécurité a été désigné et l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) – dont les rapporteurs ont rencontré le directeur général, M. Guillaume Poupard –, rattachée au Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale qui dépend du Premier ministre, exerce notamment une mission permanente de veille, de détection, d’alerte et de réaction aux attaques informatiques, notamment sur les réseaux de l’État et des grandes entreprises publiques. Créée en juillet 2009 (24), l’ANSSI est également chargée de proposer les règles à appliquer pour la protection des systèmes d’information de l’État et de vérifier l’application des mesures adoptées. Elle compte actuellement 350 personnes pour un budget de 80 millions d’euros.

L’agence est la cheville ouvrière de la stratégie nationale pour la sécurité du numérique dévoilée par le Premier ministre le 16 octobre 2015. Cette stratégie, qui a pour ambition de répondre aux nouveaux enjeux nés des évolutions des usages numériques et des menaces qui y sont liées, compte cinq objectifs : « garantir la souveraineté nationale par des mesures propres à renforcer la sécurité des infrastructures critiques ; apporter une réponse forte contre les actes de cybermalveillance affectant les systèmes d’information de l’État, des entreprises et des particuliers ; sensibiliser et former à la cybersécurité ; faire de la sécurité numérique un vecteur de compétitivité et renforcer la voix de la France à l’international par le soutien à une autonomie stratégique européenne cyber et l’appui aux pays émergents désireux de contribuer à la stabilité du cyberespace ».

Dans ce contexte, si la Cour des comptes a raison de souligner dans son rapport le besoin de traiter et stocker les données des usagers dans des serveurs informatiques sécurisés et localisés sur le territoire national, les rapporteurs souhaitent pour leur part insister sur le caractère global de la stratégie de sécurité accompagnant le déploiement des services publics numériques. Ainsi, il ne faut pas négliger la dimension économique – capitalistique, pour être précis – de la question. Les rapporteurs partagent par exemple les préoccupations exprimées par les connaisseurs du sujet de l’identité numérique et des outils sécurisés d’authentification associés quant au devenir de Morpho, leader mondial du secteur, société française du groupe Safran qui serait en passe d’être cédée. Le sujet a d’ailleurs été tout récemment mentionné en séance publique à l’Assemblée nationale à l’occasion d’une séance de questions au Gouvernement (25).

Au-delà des ministères régaliens déjà très sensibles à ces questions, c’est l’ensemble des administrations qu’il s’agit de mobiliser, sans cantonner la réflexion à des sujets matériels. Pour n’en citer qu’un exemple, cohérent avec les développements précédents des rapporteurs sur le thème des ressources humaines dans les directions chargées des systèmes d’information, il est certainement du devoir des responsables de la planification des recrutements au sein de chaque administration de veiller à la préservation d’un socle de compétences internes en matière de sécurité des systèmes d’information pour que s’exerce de l’intérieur la surveillance nécessaire, sans dépendance excessive à l’égard de prestataires extérieurs ou de contractuels recrutés de manière temporaire, compte tenu du caractère sensible des missions exercées. C’est à juste titre que plusieurs interlocuteurs des rapporteurs ont appelé sur ce point leur attention.

B. LA GOUVERNANCE ET LE SUIVI DOIVENT ÊTRE MIEUX IDENTIFIÉS

Dans l’introduction au présent rapport, un schéma a présenté les différentes entités – toutes de création récente – placées auprès du Premier ministre, au sein du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, pour assurer le pilotage de la transition numérique de l’État. Au terme du passage en revue des conditions nécessaires, aux yeux des rapporteurs, à la réussite de cette transition, il convient de revenir à cette question cruciale du pilotage, non plus pour en présenter les acteurs mais pour analyser les conditions de l’efficacité de leur action. Avec trois mots d’ordre : décloisonnement, vision et équilibre.

1. Les approches sectorielles et ministérielles doivent être décloisonnées par un pilotage interministériel

Souvent invisible pour le profane mais déterminant pour la bonne marche des réformes, le fonctionnement de la coordination interministérielle est un point-clef de la réussite d’un chantier transversal comme celui de la transformation numérique des administrations de l’État. Il ne faut pas sous-estimer la force d’inertie que représentent de solides habitudes de fonctionnement « en silos », ni les perturbations profondes que peut entraîner le bouleversement de telles habitudes ; cela étant, il ne sera pas non plus de bonne méthode de brutaliser des administrations entières au nom d’un salutaire décloisonnement que l’on voudrait obtenir comme par une « guerre éclair ». Il y faut donc beaucoup de doigté, de diplomatie, de pédagogie – autant de caractéristiques d’une intelligente conduite du changement.

L’exemple mentionné plus haut de la constitution du réseau interministériel de l’État, progressive, à partir des réseaux existants, en adoptant une « démarche de construction participative » appuyée sur la démonstration du caractère structurant de ce projet de modernisation, véritable levier d’amélioration du service rendu aux usagers et aux administrations, fait figure de modèle à cet égard. Un modèle d’ailleurs récompensé par le Grand prix des lecteurs de la revue Acteurs publics décerné le 16 décembre dernier à l’Assemblée nationale, sous le haut patronage du Président Claude Bartolone.

Cela étant, comme l’a rappelé aux rapporteurs le secrétaire général du ministère de l’Intérieur au cours de son audition, l’interministériel fonctionne bien quand la structure chargée de cette coordination vient en appui des départements ministériels, sans chercher à agir à la place de ceux dont elle coordonne l’action. Cette « modestie » de l’approche interministérielle en garantit aussi le succès et l’approche qualifiée d’agile, comme le fonctionnement revendiqué de type « plate-forme », décrits plus haut, sont tout à fait conformes à cette préconisation.

Cette approche n’est ni une posture ni une lubie passagère, mais bien un mode de fonctionnement qu’il s’agit d’ancrer dans les administrations, une nouvelle donne à laquelle il convient de donner la stabilité que requiert la réussite de la transformation numérique.

2. Il est nécessaire de donner une stabilité au pilotage de la modernisation numérique, à traduire notamment dans une feuille de route

Redisons avec M. Henri Verdier que s’agissant de la conduite d’une réforme aussi profonde et structurante que la transformation numérique de l’État, l’instabilité institutionnelle constatée depuis quatre ans et soulignée par la Cour des comptes, peut aussi être vue de manière relativement méliorative, comme « le reflet de quelque chose qui se construit ». Pour autant, une fois passée la phase de construction initiale, il est légitime de demander à l’État une plus grande stabilité dans le pilotage de la réforme, pour donner à l’ensemble des parties prenantes une meilleure vision à moyen terme des objectifs à atteindre et des étapes restant à franchir.

C’est la raison pour laquelle les rapporteurs préconisent l’établissement d’une feuille de route pluriannuelle de la transformation numérique de l’État comportant une liste des priorités retenues en matière de projets et d’investissements, les modalités de la poursuite de ces priorités en faisant la part du pilotage interministériel et de la « subsidiarité » – c’est-à-dire les responsabilités confiées aux ministères concernés et les marges de manœuvre et d’initiative ouvertes à leur niveau –, le calendrier de mise en œuvre, les coûts budgétaires associés et leur financement.

Les rapporteurs ont déjà précisé comment ils envisageaient ces différents éléments ; à ce stade, ils souhaitent insister sur le besoin de les mettre en perspective et de les rassembler dans un document public, régulièrement mis à jour, susceptible de servir de support au contrôle et à l’évaluation de la part, notamment, des parlementaires qui voudraient s’en saisir.

Ils veulent aussi souligner que, techniquement, le volet de ce document relatif à l’analyse des gains et des coûts ne s’appuierait pas sur rien car le Gouvernement s’est déjà doté d’outils assez sophistiqués pour calculer la valeur – au sens large – des projets conduits par l’administration dans le domaine des systèmes d’information : MAREVA, la méthode d’analyse et de remontée de la valeur, dont une nouvelle version a été déployée il y a tout juste un an. Elle est présentée dans l’encadré ci-dessous.

Présentation de MAREVA

MAREVA (Méthode d’Analyse et de REmontée de la Valeur), est une méthodologie permettant de mesurer la valeur des projets informatiques, spécialement adaptée à la sphère publique. Dans le secteur privé, cette valeur est aisée à évaluer car elle dépend souvent du chiffre d’affaire généré. L’exercice est plus délicat en l’absence de démarches transactionnelles, comme dans la plupart des projets de l’administration.

Dans ce contexte, MAREVA fournit une grille d’analyse couvrant l’ensemble des gains attendus pour un projet mené dans le secteur public, sur les plans économique, fonctionnel mais aussi stratégique. Ces gains sont mesurés, justifiés et clairement formalisés.

La direction interministérielle des systèmes d’information et de communication vient de mettre à jour MAREVA, qu’apporte cette nouvelle version par rapport à la précédente ?

Elle renforce considérablement l’analyse du volet stratégique. Dans les faits, elle permet d’évaluer la qualité du service rendu, les conditions de travail, les leviers de transformation, les besoins réglementaires, le respect du schéma directeur de la direction des systèmes d’information (DSI) concernée, la sécurité informatique, la réduction de la dette technique, les impacts métiers, la dépense, la durée de vie du projet ou encore les coûts de fonctionnement.

La méthode MAREVA va-t-elle améliorer le taux de réussite des projets ?

C’est l’objectif. La plupart des échecs résultent du même schéma : un manque de corrélation entre d’une part les ambitions initiales des projets et d’autre part leur résultat, avec leur impact fonctionnel et économique.

MAREVA s’attache précisément à combler ce fossé, en limitant les écueils les plus courants comme l’inflation des coûts de développement et d’hébergement, la sous-estimation des contraintes d’exploitation et de maintenance ou le manque d’anticipation des ressources. Il met ainsi à l’abri de mauvaises surprises tant les équipes projet que les décideurs.

Concrètement, comment est calculée la valeur des projets informatiques avec MAREVA ?

Elle est obtenue en additionnant les notes attribuées à chacun des paramètres stratégiques et économiques de MAREVA. Ces paramètres - une trentaine en tout - ciblent l’ensemble des aspects et des parties prenantes du projet. C’est là toute la force de MAREVA. Dans le cadre du déploiement d’un nouveau service public numérique, ils mesureront par exemple le temps économisé par l’usager ainsi que le taux d’utilisation du service.

Les notes attribuées par MAREVA visent donc à responsabiliser les directions de projet…

C’est juste. Mais pas seulement. Elles donnent également un moyen d’objectiver les résultats obtenus. Notés, les projets se prêtent désormais à la comparaison. Celle-ci a trois vertus. Elle est précieuse lorsqu’une direction cherche à prioriser ses chantiers. Un même canevas sert alors à les évaluer et à sélectionner ceux qui génèrent des gains en ligne avec les priorités (contraintes réglementaires, besoin de transformation, qualité de service, etc.).

Ensuite, la comparaison aide à évaluer plusieurs scénarios d’un même projet. L’un peut être modeste, l’autre plus ambitieux, car mobilisant davantage de moyens et fournissant plus de services. Dans ce contexte, MAREVA décèle le scénario dont la valeur est la plus élevée. Toutefois, celle-ci doit être systématiquement complétée par une analyse de la faisabilité des scénarios (fonction de la gouvernance, de la réalisation et des délais).

Enfin, les notations de MAREVA et leur représentation graphique (sous forme de radars) aident à suivre l’évolution d’un projet dans le temps. En identifiant notamment ses dérives potentielles par rapport à la cible initiale mais également de mettre en lumière les belles réussites de l’administration.

Quelle est la prochaine étape pour MAREVA ?

Cette nouvelle version a déjà fait l’objet de formations dans la plupart des ministères. 150 directeurs et chefs de projet sont déjà rompus à l’alimentation des tableaux et à l’interprétation des graphiques de MAREVA. L’idée étant de rendre les ministères totalement autonomes dans l’application de la méthodologie.

Nous sommes actuellement en train de concevoir une version allégée de MAREVA. C’est-à-dire applicable très en amont des projets, au stade où les données sont encore manquantes ou hypothétiques. Lancée au premier semestre 2015, ce « MAREVA light » s’appuiera sur des ratios pré-calculés, issus du retour d’expérience d’une centaine de projets déjà réalisés. Ces tables renseignent par exemple sur les coûts moyens de la masse salariale par catégorie ou sur la répartition des dépenses selon les étapes des projets. Ce MAREVA allégé est idéal pour faire ressortir des tendances et « préparer le terrain » pour un MAREVA plus complet et détaillé. Enfin, cette version allégée se prêtera particulièrement bien aux projets menés en mode agile et à leurs itérations successives.

Dans la définition comme dans la déclinaison opérationnelle de la feuille de route de la transformation numérique de l’État, ce ne sera pas le moindre défi à relever que de trouver le juste équilibre entre les rôles respectifs des secrétariats généraux des ministères et leurs directions compétentes.

3. Il convient de trouver l’équilibre entre centralisation et conduite par les directions « métiers »

Une chose est de mettre l’accent sur le rôle de coordination et de pilotage à l’échelon interministériel ; le fonctionnement actuel, qui a certes mis du temps à s’agencer, semble bien correspondre aux nécessités de l’heure. Mais c’est à l’échelon immédiatement inférieur, celui du pilotage ministériel, que se joue la réussite concrète des transformations orchestrées sous l’égide du SGMAP. Les rapporteurs ont donc été particulièrement attentifs, au fil de leurs auditions, à cet aspect de la mise en œuvre de la modernisation numérique de l’État.

Le point de départ de leur réflexion sur ce thème était le suivant : l’enquête évaluative de la Cour des comptes a montré, dans sa conduite même, que le sujet de la transformation numérique des administrations était alternativement porté par les secrétariats généraux des ministères – auxquels la Cour avait par ailleurs consacré d’autres travaux d’où il ressortait que, d’une manière générale, ils ne parvenaient pas toujours à s’imposer suffisamment aux directions d’administration centrale –, et par les directions « métiers », que ce métier soit technique ou de support – typiquement, les directions des systèmes d’information (DSI) – ou davantage centré sur le fond des politiques publiques incombant au ministère. Il s’agissait donc de clarifier les responsabilités de chacun, et en particulier d’éviter les doublons sources d’éventuels blocages ou contradictions – par exemple dans le cas où une grande direction à vaste réseau déconcentré d’un ministère disposerait de sa propre « mini-DSI », de sa propre « mini-DRH », voire de sa propre « mini-DAF », lui permettant de ne pas tenir compte des directives du secrétariat général du même ministère, quand elle ne lui imposerait pas tout bonnement ses vues.

À l’arrivée, il est apparu aux rapporteurs que – du moins dans le champ de l’évaluation qu’ils ont menée – les contradictions ou les blocages n’étaient pas de mise, et surtout que ces grands ministères avaient déjà trouvé le moyen de répartir les rôles de manière pragmatique et efficace. Une attitude qui peut être résumée par la description qu’en a faite l’un des représentants des ministères économiques et financiers conviés à une table ronde : les secrétariats généraux des ministères ont certes une responsabilité éminente, de par les textes, dans l’impulsion, le suivi, la coordination interministérielle, mais personne n’imagine que le télépaiement de la TVA ne soit pas de la responsabilité de la DGFiP, ou le recensement électronique de celle de l’INSEE.

Le secrétaire général du ministère de l’Intérieur n’a pas dit autre chose lorsqu’il a indiqué aux rapporteurs que, de son point de vue, l’impulsion, en matière de déploiement de nouveaux services publics numériques, devait venir des directions « métiers », qui connaissent mieux les procédures, mais qu’un projet de grande ampleur ne pouvait pas prospérer sans une équipe ad hoc, pilotée par le secrétariat général qui en a seul véritablement les moyens.

Ainsi décrit, l’équilibre trouvé est de bon aloi, même s’il nécessite probablement d’être régulièrement ajusté, projet par projet.

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CONCLUSION :
L’INDISPENSABLE PORTAGE POLITIQUE POUR DONNER DU SENS, DÉFINIR UNE MÉTHODE ET CONFORTER LA MÉDIATION NUMÉRIQUE

À partir de l’analyse menée par la Cour des comptes, les rapporteurs ont tenté de synthétiser ce qu’ils considèrent comme les clefs de la réussite de la transformation numérique de l’État, une perspective qui ne doit pas apparaître comme déstabilisatrice mais, au contraire, refondatrice.

Même si la mobilisation est collective – et il s’est agi dans les pages qui précèdent d’insister sur l’implication du plus grand nombre, à tous les échelons des administrations centrales et déconcentrées –, il est une clef de réussite qui demeure unique, la clef de voûte : le Politique. Dans une société démocratique qui se veut plus participative et plus ouverte – notamment grâce aux possibilités offertes par la numérisation –, la transformation numérique de l’État ne réussira pas sans portage politique ambitieux.

M. Henri Verdier en a donné un exemple éclairant lorsqu’il a évoqué le lancement, le 4 février dernier à Londres, de la stratégie numérique à quatre ans du Royaume-Uni, « Government as a platform » : c’est sur une scène, littéralement, que s’incarnait à cet instant, en la personne d’un membre du gouvernement britannique, le portage politique de cette stratégie d’un pays voisin qui, sur le fond, n’est pas en avance sur nous en ce domaine. À nous, dès lors, de trouver le moyen de l’exprimer aussi bien, en faisant en sorte que les plus hautes autorités politiques de l’État s’emparent du sujet : d’appliquer notre French touch, en somme.

C’est en effet au politique qu’il revient de donner du sens à la transformation numérique de l’État, faute de quoi le processus risque d’être relégué au rang de moyen, parmi d’autres, de réaliser des économies budgétaires ; c’est alors une occasion unique de modernisation en profondeur des services publics qui serait gâchée.

C’est également au politique qu’il incombe de veiller à ce que la méthode retenue pour conduire la transformation numérique soit non seulement pertinente en interne mais aussi, à l’égard des usagers – et en particulier des plus fragiles de nos concitoyens –, garante d’un égal accès aux services publics numériques sur tout le territoire. La médiation numérique doit donc être partout développée et accompagnée afin qu’il ne se trouve aucune personne, quelle que soit sa situation, dépourvue de tiers de confiance lorsqu’il s’agira pour elle de faire déclarer ses revenus en ligne, puisque la généralisation de cette obligation est désormais programmée. Il y a là un véritable enjeu de cohésion nationale et donc, pour le politique, une responsabilité majeure, à brève échéance.

AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES

Lors de sa séance du 4 février 2016, le Comité entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur l’évaluation de la modernisation numérique de l’État, réalisée par la Cour des comptes à la demande du Comité.

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir M. Didier Migaud, qui va nous présenter la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation de la modernisation numérique de l’État. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe Union des démocrates et indépendants et que nous avons demandé l’assistance préalable de la Cour des comptes.

Le Premier président de la Cour est accompagné de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre, et de M. Henri Paul, président de chambre, rapporteur général.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, deux semaines à peine après la présentation du rapport de la Cour sur la lutte contre la pollution de l’air, je suis heureux de vous retrouver pour vous présenter les résultats d’un nouveau travail réalisé à votre demande.

Votre Comité a en effet souhaité que la Cour lui remette un rapport sur l’impact des télé-procédures sur la modernisation de l’État. Je tiens à saluer Mme Erhel et M. Piron, que vous avez désignés en tant que rapporteurs et dont l’implication a permis aux rapporteurs de la Cour d’identifier d’emblée les priorités à cibler. C’est ainsi que nous avons été amenés à proposer d’intituler le rapport : « Relations aux usagers et modernisation de l’État : vers une généralisation des services publics numériques ».

En accord avec vos rapporteurs, avec lesquels plusieurs réunions ont été utilement organisées, l’équipe de la Cour a été amenée à préciser le périmètre de son travail à trois égards. Premièrement, s’agissant des départements ministériels concernés, elle s’est intéressée au pilotage interministériel réalisé par les services du Premier ministre, notamment le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP). Celui-ci joue en effet un rôle moteur dans la démarche de transformation numérique de l’État. Au niveau ministériel, la Cour a étudié plus en détail des actions conduites par les ministères financiers – télé-déclaration et télé-paiement d’impôts, notamment – et par le ministère de l’intérieur : délivrance de titres, procédures d’immatriculation, gestion des amendes. Deuxièmement, elle a fait porter son analyse sur les applications de services, à l’exclusion des applications de gestion internes à l’administration. Enfin, la Cour a retenu, pour la notion d’usagers, les particuliers et les entreprises, hors collectivités territoriales et fournisseurs de l’administration.

Ces choix ont permis de porter un regard sur une catégorie relativement homogène de sujets d’études, tout en se penchant sur trois volets : la gouvernance des services publics numériques, leur effet sur le fonctionnement des services administratifs concernés et les résultats obtenus par les usagers auxquels ils s’adressent. Cette grille a été appliquée de manière systématique à tous les niveaux d’analyse : l’État dans son ensemble, chaque ministère, chaque direction sollicitée, puis chaque application. Au total, une dizaine de services numériques ont été étudiés. Le développement des services publics numériques a été observé selon la même grille de lecture dans cinq pays.

Pour vous présenter ce travail, je suis entouré de Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour, qui a présidé la formation inter-chambres chargée d’examiner le rapport, d’Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du Comité du rapport public et des programmes, de Laurence Engel, conseillère maître, rapporteure générale, de Daniel Jouanneau, conseiller maître en service extraordinaire, d’Hervé Boullanger et de Thibault Deloye, conseillers référendaires, de Yolaine Cellier et de Tangi Le Roux, rapporteurs, qui ont travaillé sur cette enquête dont Jean-Christophe Chouvet, conseiller maître, était le contre-rapporteur.

Dans son rapport, la Cour met en avant trois messages principaux.

Premièrement, malgré une position honorable dans les classements internationaux, le recours aux services publics numériques en France est encore insuffisant. En effet, si l’offre de services est conséquente, elle ne produit pas tous les effets escomptés, ni sur l’administration, ni sur la relation que cette dernière établit avec ses usagers.

L’ONU a placé la France en tête du classement de ses membres, dans son « e-government development index » en 2014. En fait, au sein de l’Union européenne, et selon des critères plus nombreux que ceux de l’ONU et correspondant davantage à la grille d’analyse retenue avec vos rapporteurs, la France se situe à un niveau proche de la moyenne, en treizième position, en 2015. Elle a ainsi progressé de quatre rangs par rapport à 2014. Cette performance est cohérente avec son classement économique, puisqu’elle occupe également le treizième rang dans le classement du PIB par habitant. Ce classement est meilleur que celui de pays de taille comparable, tels que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.

Mais les résultats obtenus par la France se placent en deçà de ceux obtenus par certains pays particulièrement dynamiques et innovants en termes d’offre de services numériques, comme les Pays-Bas, le Danemark ou l’Espagne. En fait, cette position moyenne ne s’explique pas tant pas un déficit d’offre de services que par la faiblesse du taux de recours à ces services, au premier chef par les particuliers. En effet, alors que la France comptait, en 2014, 82 % d’internautes, seuls 44 % des particuliers utilisent les services publics numériques.

Ces résultats insuffisants expliquent largement la contre-performance en termes d’impact sur l’administration et sur la rénovation de sa relation avec les usagers.

Du point de vue de ces derniers, les gains tirés du recours à ces services ne font pas l’objet d’un suivi régulier. Cela limite l’effet d’une démarche raisonnée d’adaptation aux attentes du public. La dématérialisation des procédures n’entraîne pas systématiquement leur simplification. Elle n’inclut pas toujours des mesures facilitant l’accès au service, comme la possibilité de prise de rendez-vous en ligne pour éviter les files d’attente. Aussi les usagers n’en retirent-ils pas tout le bénéfice attendu. Finalement, de nombreux Français considèrent encore les démarches administratives comme « un parcours du combattant ».

Du point de vue des administrations, de manière regrettable et assez surprenante, la mise en place de l’offre de services publics numériques n’est pas suffisamment mesurée dans son impact en termes de gestion publique. À la différence des lourds investissements requis pour les grandes applications de gestion, les dépenses associées aux services publics numériques sont peu suivies. De même, les gains attendus et réalisés grâce à leur déploiement ne font pas aujourd’hui l’objet d’une estimation spécifique. C’est seulement depuis l’an dernier, en application d’une circulaire du Premier ministre de janvier 2015, qu’un suivi budgétaire est prévu à l’échelle de l’État à partir de 2016. Sur le fondement des données partielles disponibles et de l’enquête réalisée par la Cour, la dépense informatique globale annuelle de l’État peut être estimée à 3,2 milliards pour 2014, soit 1 % du budget de l’État. La part consacrée aux services publics numériques ne représenterait pas plus de 300 millions.

La Cour tire également des conclusions qualitatives qui révèlent des marges de progrès importantes. J’en relèverai trois. En premier lieu, dès lors que les modes d’accès classiques coexistent avec les services numériques, les services publics ne peuvent pas tirer tout le profit, sur le plan de la dépense publique, des investissements engagés dans la dématérialisation. En effet, l’administration est tenue d’assurer la gestion et la maintenance de deux canaux d’accès alternatifs. Le lien entre économies budgétaires et modernisation numérique n’est d’ailleurs pas clairement documenté.

En deuxième lieu, en matière d’organisation, l’État n’a pas tiré toutes les conséquences du développement d’une offre de services dématérialisés. L’organisation des services, notamment les réseaux de services de guichet, est restée inchangée.

Enfin, en troisième lieu, en matière de gestion des ressources humaines, ni les prévisions d’effectifs et d’affectation, ni les politiques de recrutement, ni l’organisation de la formation n’ont intégré l’impact du développement des services numériques.

Au total, alors même que l’État a développé une offre de services numériques aux usagers, les conséquences – et les bénéfices – n’en ont pas été pleinement tirées. La question aujourd’hui n’est plus seulement d’être en mesure de déployer une offre nouvelle, mais de savoir en tirer tout le parti. Les gestionnaires publics ne doivent pas perdre de vue l’objectif de la mise en œuvre de ces services : satisfaire les attentes des usagers, offrir un service de qualité, et améliorer la gestion publique.

Or le travail de la Cour montre que les conditions semblent désormais réunies pour progressivement généraliser le recours aux services publics numériques. C’est mon deuxième message.

L’équipement et les pratiques des usagers ont fortement évolué ces dernières années. Les inégalités d’accès à internet se sont réduites : près de 60 % des Français procèdent régulièrement à des achats sur internet et le taux de couverture du territoire pour l’accès à internet atteint 82 %. Il ne s’agit pas de nier l’existence d’inégalités, mais de changer de logique : la fracture numérique doit être appréhendée, non plus comme un frein à la modernisation numérique, mais comme une donnée qu’il faut prendre en considération et corriger.

Par ailleurs, l’État s’est engagé récemment dans des projets structurants majeurs qui, s’ils sont menés à leur terme, pourraient ouvrir des perspectives prometteuses. En termes de gouvernance, les instances et les outils permettant d’assurer la cohérence des actions menées ont été renforcés. Un cadre stratégique commun a été établi. Un conseil des systèmes d’information et de communication a été installé. Les services du Premier ministre disposent enfin d’un pouvoir d’audit et de recommandation établi.

En termes d’organisation des systèmes d’information de l’État, les pouvoirs publics ont procédé à des choix décisifs pour imposer l’interopérabilité et l’interconnexion des différents services. En témoignent notamment la référence désormais explicite à la notion d’« État-plateforme », la mise en œuvre progressive du principe « Dites-le nous une fois », ou encore le déploiement de France-Connect, un outil unifié d’identification et d’authentification des usagers.

Ces évolutions restent à confirmer. Elles sont, en tout état de cause, cohérentes avec les principes retenus au niveau européen, à la conception desquels le gouvernement français a beaucoup contribué : l’interopérabilité des télé-procédures nationales utiles à la libre concurrence et à la libre circulation est une orientation communautaire.

Ainsi, le choix de la généralisation du recours aux services publics numériques est réaliste. Il est aussi raisonnable, dès lors qu’il s’appuie sur une mise en œuvre volontariste et progressive.

En effet, si le principe de la généralisation doit être fermement affirmé, le basculement ne peut être immédiat, complet et général. Pour être efficace, la démarche devrait être volontariste : précise dans son contenu, en énumérant les procédures concernées, inscrite dans un calendrier relativement bref, pour éviter toute tentation de dilution, et accompagnée d’une communication soutenue et incitative.

Cette démarche devrait être progressive. Elle devrait être adaptée à la variété des publics, en fonction de la couverture du territoire pour l’accès à internet ou des habitudes des usagers. L’idée que l’on pourrait n’imposer dans un premier temps le recours au service numérique qu’aux nouveaux usagers ou aux usagers les moins âgés pourrait ainsi être explorée. Des exemptions pourraient être prévues, qu’il reviendrait aux usagers de justifier selon des règles strictement définies.

La démarche pourrait être différenciée selon les procédures. Le recours obligatoire aux services publics numériques devrait être réservé aux procédures dont la version numérique est déjà ancienne – donc largement testée – ou aux procédures simples, d’échange d’informations ou de déclaration. Le rapport évoque la propagande électorale, les changements de coordonnées, la consultation du solde des points du permis de conduire ou encore les demandes de certificats de non-gage ou d’immatriculation.

J’en viens au troisième et dernier message de la Cour. Le processus de généralisation du recours aux services publics numériques doit obéir à une approche pragmatique – certains diraient agile –, cohérente et focalisée sur les besoins des usagers.

En l’espèce, le mot « agile », dont les spécialistes du numérique sont désormais familiers, désigne la mise en place des outils numériques selon la méthode des itérations, par la livraison de « briques » logicielles successives, et non par grandes bascules périlleuses au terme d’années de développement informatique. Fondée sur des échanges très fréquents entre les administrations et les usagers, elle valorise l’attention portée au point de vue des utilisateurs. Appliquée à la gouvernance de la modernisation numérique, cette option devrait inciter l’État à se concentrer sur le déploiement d’outils visant à fédérer et à harmoniser ses systèmes d’information, plutôt que de dépenser toute son énergie à la refonte, fréquente et accélérée depuis quinze ans, du portage institutionnel de sa réforme.

Trop souvent, le déploiement de services numériques a été négligé parce que la procédure concernée ne pouvait être entièrement dématérialisée. C’est notamment le cas de la production des titres d’identité, qui suppose toujours un contact physique avec l’usager. Or cette réalité n’empêche pas le développement de services d’accompagnement des procédures, tels que la prise de rendez-vous en ligne, la délivrance d’informations, la préparation et le suivi du dossier ou encore le télépaiement. La Cour recommande qu’un « socle commun de services numériques » soit développé sur la base d’outils mutualisés entre les différents départements ministériels.

La prise en considération de l’usager a été réellement confortée depuis le début des années 2000. Cette logique peut encore être accentuée, par exemple en prenant appui sur « service-public.fr », portail qui pourrait devenir le mode d’accès unique à toutes les démarches administratives. Les usagers doivent également pouvoir s’identifier simplement pour accéder à un compte administratif unique et sécurisé. L’outil France-Connect le permet. Il pourrait également être opportun d’envisager la reprise du projet de carte d’identité électronique, qui amplifierait l’effet de ces réformes.

Une attention particulière doit être portée à la protection des données personnelles des usagers et à la pédagogie autour de cette protection. Le rapport évoque notamment les problématiques associées à la conception des nouveaux outils, notamment leur sécurité. Tout ce qui a trait à l’identification, par exemple, est essentiel pour éviter les usages dévoyés. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) doit, en tout état de cause, être associée, dès le démarrage, à la conception des services publics numériques. Les conditions du stockage des données personnelles, tant des usagers que des entreprises, doivent faire l’objet de décisions claires, propres à garantir la confiance des usagers. À cet égard, on ne saurait trop insister sur l’enjeu du stockage des données sur le territoire national.

L’accompagnement des usagers doit se faire selon une logique de service. Tous doivent être en mesure d’effectuer leurs démarches près de chez eux s’ils ne disposent pas de l’équipement adéquat. Rendre le recours au service public numérique obligatoire ne signifie pas, en effet, que chacun d’entre eux devrait acquérir le matériel nécessaire et se former à sa manipulation. Cela signifie simplement que chaque usager, s’il est équipé, doit pouvoir y recourir de façon simple. Cela signifie également que les usagers qui ne sont pas équipés doivent pouvoir accéder facilement au matériel requis, et que les usagers qui rencontrent des difficultés à manier ces outils doivent pouvoir bénéficier d’un appui. C’est cette logique qui a prévalu lorsque les cabines téléphoniques ont été installées sur tout le territoire. Il semble ainsi raisonnable d’équiper de points d’accès aux services publics numériques les réseaux existants : mairies, préfectures, bureaux de poste, gares, bibliothèques, caisses d’allocations familiales, mais aussi maisons de services au public en milieu rural ou espaces publics numériques en milieu urbain.

Un programme d’accompagnement individualisé pourrait aussi être prévu. Une assistance téléphonique pourrait être maintenue et un accompagnement humain garanti dans les points d’accès aux services publics numériques. Les volontaires du service civique pourraient apporter leur concours. Le recours à des tiers de confiance pourrait être facilité pour les personnes fragiles, dépendantes, âgées ou handicapées.

En conclusion, le travail conduit par la Cour se concentre sur les leviers qui peuvent être mobilisés pour accélérer la réforme de l’État et simplifier les relations avec les usagers, tout en maîtrisant les moyens dont les pouvoirs publics disposent. Le rapport souligne plusieurs initiatives récentes et importantes qui témoignent de la crédibilité d’une telle démarche de généralisation des services numériques. Je pense à l’annonce du projet « préfectures nouvelle génération » ou encore à la décision prise pour l’exercice 2016 de rendre obligatoire le recours à la télé-déclaration pour l’impôt sur le revenu, treize ans après le déploiement de cette télé-procédure !

La Cour a pourtant relevé au sein de l’administration des réticences qui ne paraissent pas justifiées. Elles privent les usagers de progrès possibles. Elles rendent l’exercice de modernisation finalement plus difficile pour des agents de l’État eux-mêmes parce qu’elles ne permettent pas de rendre cohérentes les différentes évolutions en cours dans la sphère publique. C’est contre les lenteurs constatées et l’insuffisance de cohérence et de détermination dans la démarche que ce rapport propose de réagir. C’est maintenant aux représentants élus au suffrage universel de s’en saisir pour prendre les décisions et mener les actions qui leur paraissent justifiées.

M. Michel Piron, rapporteur. Je veux tout d’abord excuser l’absence de Mme Erhel, qui est retenue en séance publique par un débat sur l’agriculture.

Je salue le travail de la Cour des comptes, qui nous apporte une somme d’éclairages très utiles, et je remercie les rédacteurs du rapport pour le travail qu’ils ont accompli. J’en viens à mes questions, qui vont du particulier au général.

Premièrement, vous appelez de vos vœux, pour la généralisation des télé-procédures, la définition d’une feuille de route – et nous ne pouvons que souscrire à ce souhait. Mais pourriez-vous préciser quel devrait être, selon vous, le calendrier de cette feuille de route ?

Deuxièmement, vous avez évoqué le défi que peut représenter l’adhésion des agents, à l’échelon central et à l’échelon déconcentré, à cette évolution. Avez-vous le sentiment d’avoir suffisamment pris en compte cette dimension, c’est-à-dire la conduite du changement au sein des administrations ?

Troisièmement, vous avez insisté sur la nécessité de consulter les usagers. Avez-vous des préconisations plus détaillées à formuler sur la forme que pourrait prendre cette consultation ? Quelles sont les bonnes pratiques que vous avez pu observer en France et à l’étranger ?

Quatrièmement, le rapport critique, dans le meilleur sens du terme, la gouvernance trop mouvante, au sein de l’État, du déploiement des télé-procédures. Quel devrait être, selon vous, le partage des tâches entre les secrétariats généraux et les directions centrales ? Dans ce schéma, quelle place pourrait prendre l’approche ascendante, dite « bottom up » ?

Cinquièmement, les entreprises expriment des craintes quant à la sécurisation et à la confidentialité des données qu’elles transmettent à l’administration dans le cadre des télé-procédures. Mais elles souhaiteraient également que le format et le contenu de ces données leur permettent de les réutiliser pour leurs propres besoins. Avez-vous été confrontés à ce type de préoccupations au cours de votre enquête ?

Sixièmement, la Cour a-t-elle pu apprécier, au cours de ses investigations, l’attitude des très petites entreprises, notamment les artisans et commerçants, à l’égard de la perspective d’une généralisation des télé-procédures ?

Mes dernières questions portent sur des sujets plus transversaux. Tout d’abord, la numérisation d’un certain nombre de services publics a-t-elle eu, ou non, des conséquences suffisantes sur l’organisation des services centraux et territoriaux ? Sinon, quelles seraient vos préconisations en la matière ? Ensuite, vous soulignez un défaut de gouvernance qui se caractérise par une action interministérielle insuffisante. À cet égard, vous analysez notamment le cas de l’Allemagne, où la coordination est assurée par un Conseil de planification des technologies de l’information qui associe les échelons territoriaux et l’État fédéral. Quelles pistes pourraient être explorées pour améliorer la gouvernance du déploiement des télé-procédures ? Par ailleurs, quelle serait la hiérarchie des préconisations que vous formulez ? Autrement dit, quelles priorités définiriez-vous ? Enfin, que pensez-vous d’une éventuelle association des collectivités territoriales à la conception même des outils, association qui permettrait d’éviter des incompatibilités regrettables, des redondances ou des surcoûts ? À cet égard, l’exemple allemand ne manque pas d’intérêt.

M. Jacques Myard. Ce rapport est passionnant. En matière de numérisation, je le sais pour être également maire, les collectivités territoriales avancent. Néanmoins, cette évolution a des limites. Il me paraît ainsi nécessaire de maintenir un contact humain, car très peu de ceux de nos concitoyens qui sont équipés de matériel informatique maîtrisent l’ensemble des potentialités de cet outil. La question mérite d’être examinée également sous l’angle de l’aménagement du territoire. Outre que la couverture de celui-ci, y compris en région parisienne, par le très haut débit est loin d’être parfaite, ne risque-t-on pas d’aller, à terme, vers un aménagement du territoire virtuel ? N’oublions pas que la présence physique de certains agents, les policiers ou les médecins par exemple, est indispensable. Or, on observe d’ores et déjà, dans nombre de villes, un repli de certains services publics, notamment des trésoreries, lié à la dématérialisation des procédures.

M. Jean-Yves Caullet. Il est vrai que la question de l’aménagement du territoire se pose et que l’accès aux services numérisés sera vraisemblablement différencié. Du reste, les plus avancés en matière de numérisation, notamment les pays nordiques, sont également ceux où le maillage du territoire par les services publics n’était pas aussi dense que dans des pays tels que la France. Il faudrait se pencher sur le lien qui existe entre ces deux phénomènes.

J’en viens à mes questions. Tout d’abord, la numérisation des procédures ne risque-t-elle pas d’accentuer la dissymétrie qui caractérise les relations entre l’administration et les citoyens ? Comment seront gérés les recours, par exemple, en cas de dysfonctionnements ou d’erreurs ? Ensuite, la médiation est une nécessité non seulement technique mais aussi sociale. Se pose cependant la question de sa prise en charge. Dans les zones rurales, il ne fait pas de doute que celle-ci sera assurée par les mairies ou des associations. Comment évaluer cette prise en charge ?

Par ailleurs, on sait qu’une bonne règle n’est pas forcément une règle simple mais plutôt une règle ancienne, connue de tous et admise. À cet égard, la numérisation ne risque-t-elle pas d’ajouter à l’instabilité des règles celle de leur présentation ? Les applications pour smartphone, par exemple, font l’objet de mises à jour permanentes, si bien que l’on doit constamment s’adapter. Or, la médiation ne peut être efficace que si le médiateur connaît le fonctionnement de l’outil. Si les changements de présentation sont trop fréquents, il sera difficile de maintenir le niveau de compétence et d’apprentissage.

Enfin, nos concitoyens considèrent que la procédure d’obtention d’un permis de construire, par exemple, est atrocement complexe – surtout lorsqu’ils ne l’obtiennent pas, d’ailleurs –, car c’est une procédure qu’ils utilisent rarement et qu’ils connaissent donc mal. Comment la numérisation peut-elle remédier à cette difficulté et contribuer à une uniformisation des procédures des différentes administrations – État, CAF, CPAM… – afin de faciliter les démarches des usagers ?

Enfin, un célèbre musicien de jazz, Joe Zawinul, a dit de la musique électronique qu’elle a ceci de formidable qu’elle offre de grandes possibilités, mais qu’elle a un défaut : la panne de courant. Je souhaiterais donc savoir comment on passera en mode dégradé et quelles mesures sont prévues pour éviter les piratages et les fraudes massives. Bref, comment assure-t-on la défense des services numérisés de l’État ?

Mme Monique Rabin. Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport, dont nous venons de prendre connaissance. Trop souvent, nous expliquons la nécessité de moderniser le territoire et de passer au numérique par des raisons de coût. Celles-ci doivent, bien entendu, être au cœur de nos préoccupations, mais il me semble que nous ne susciterons l’adhésion de la population que si nous avons le courage de lui dire que le monde est en train de changer, qu’une nouvelle société s’annonce et qu’il faut s’y préparer. Ainsi, lors d’un récent déplacement dans ma circonscription, le président Bartolone a rappelé – et cela a beaucoup frappé les gens – que 50 % des emplois qui existeront en 2050 n’existent pas encore. Par ailleurs, je sais, pour suivre régulièrement l’évaluation des politiques publiques, que le SGMAP n’a pas les pouvoirs suffisants – c’est aux services du Premier ministre d’y remédier – pour améliorer l’harmonisation des modes de fonctionnement des différents ministères. En tant que membre de l’Observatoire des marchés de l’État, par exemple, je constate que nous ne sommes pas capables, dans notre pays, de lancer des marchés communs à plusieurs ministères.

J’en viens à mes questions. Tout d’abord, je souhaiterais savoir si vous avez réfléchi à la place que La Poste, qui est plutôt en avance dans ce domaine et qui est proche de l’ensemble de la population, pourrait occuper dans le dispositif. En ce qui concerne l’usager, la gestion de la confiance est très importante. À ce propos, vous préconisez notamment, et cela me paraît très important, le choix d’adresses internet lisibles et compréhensibles. Par ailleurs, on ne parle pas suffisamment de la fracture sociale ; j’ai pu mesurer l’émotion qu’ont suscitée dans ma circonscription les déclarations de M. Bassères, son directeur, à propos du développement de la numérisation de Pôle Emploi. Il me semble qu’une des réponses consisterait à confier une place importante aux pouvoirs locaux. La délégation confiée par l’État aux mairies pour la délivrance du passeport électronique, par exemple, fonctionne très bien et a marqué une avancée très importante. Le développement de l’accès à la visioconférence, notamment dans les mairies, permettrait également de répondre au besoin d’humain. De fait, ce qui déstabilise le plus nos concitoyens, c’est le fait que les services numériques soient très différents selon les administrations.

Par ailleurs, je suppose que l’État délègue la conception et l’entretien de la plupart des services informatiques à des entreprises privées. Quel est le coût de cette sous-traitance et est-elle efficace ? Estimez-vous que les fonctionnaires se forment suffisamment ? Enfin, existe-t-il une réflexion commune au sein de l’Union européenne sur la numérisation et, si tel est le cas, la France y prend-elle toute sa part ?

M. Claude Sturni. Je souhaiterais, quant à moi, vous poser une question, vous décerner un satisfecit et, enfin, apporter un bémol.

Premièrement, il est indiqué, dans le rapport, que les inégalités dans l’utilisation des services numériques selon la taille de la commune auraient diminué au point de quasiment disparaître. Or, cela ne correspond pas à la perception que j’ai de la situation dans mon territoire. J’ai en effet le sentiment que ces inégalités demeurent, et elles sont liées aux difficultés d’accès au très haut débit.

Deuxièmement, je vous décernerai un satisfecit pour votre première recommandation, qui porte sur la systématisation des enquêtes de satisfaction. Il faut en effet écouter les usagers eux-mêmes, particuliers ou professionnels. À ce propos, ces derniers perçoivent-ils le développement de cette offre numérique comme un élément de leur compétitivité ? Les enquêtes de satisfaction permettraient également de définir des priorités.

Enfin, votre proposition de regrouper l’ensemble des démarches administratives sous un seul et unique portail me laisse perplexe. Non pas parce qu’une telle mesure serait inefficace, mais parce qu’elle risque d’accroître la confusion dans l’esprit de nos concitoyens, qui ne savent pas toujours qui fait quoi et qui s’interrogent sur l’utilité ou la destination des impôts, locaux ou nationaux, dont ils s’acquittent. On peut simplifier les interfaces, mais je ne suis pas convaincu qu’il faille tout uniformiser.

M. le président Claude Bartolone. Ce qui me plaît, dans ce rapport, c’est d’abord son titre : « Relations aux usagers et modernisation de l’État ». On a toujours tendance à peindre le passé de couleurs chatoyantes, mais n’oublions pas que les usagers se sont beaucoup plaints de devoir patienter une heure et demie à la préfecture pour obtenir une carte grise. La dictature du guichet est devenue pour beaucoup insupportable. Si la modernisation de l’État permet d’améliorer ses relations avec l’usager, on ne pourra que s’en réjouir.

La nécessité de globaliser le service numérique est un élément important du rapport. De fait, si le ministère des finances avait mis en place puis généralisé la télé-déclaration des revenus, cette décision aurait été plus efficace.

Par ailleurs, n’oublions pas que nous devons nous projeter dans l’avenir. Or, les futurs nouveaux usagers du service public auront grandi avec un téléphone mobile et un ordinateur. En conséquence, si nous ne sommes pas capables de répondre à leurs demandes, qu’il s’agisse de l’accès aux services publics ou de l’organisation du travail – co-working, télétravail –, nous risquons de créer un découplage non seulement entre l’État et les citoyens, mais aussi entre l’État et le privé, qui offre des services de plus en plus nombreux et de qualité.

Enfin, j’entends les inquiétudes que cette évolution suscite dans les territoires ruraux. Mais ils doivent y voir une opportunité de conserver leur population, voire d’attirer de nouveaux habitants. Je prends l’exemple des professeurs d’université, que l’on appelle « profs TGV » parce qu’ils résident rarement dans la région où ils enseignent. Ils choisissent leur lieu de résidence en fonction de l’accès qu’ils auront au réseau, car ils ont besoin d’être en lien avec leur université. Certes, il faut être attentif à la fracture numérique, mais pour la combattre et non pour justifier un ralentissement de cette évolution.

Bien entendu, il faut être tout particulièrement attentif à ceux des usagers qui connaissent des difficultés sociales. Je pense à cette mère de famille vivant dans un logement précaire qui racontait, dans le cadre d’une réunion avec ATD Quart-Monde, que le principal du collège de ses enfants l’avait convoquée pour lui expliquer qu’elle devait avoir un accès à internet afin qu’il puisse communiquer avec elle. On mesure là les conséquences que peuvent avoir les inégalités sociales en la matière. Le développement de points d’accès à internet est nécessaire et permettrait, d’ailleurs, d’améliorer l’accueil des plus fragiles. Il suffit de voir les files d’attente qui se forment aux guichets des caisses d’allocations familiales pour se convaincre que, si certaines de ces personnes pouvaient entreprendre leurs démarches par internet, l’accompagnement des plus fragiles serait de meilleure qualité et plus humain.

Le numérique, j’y insiste, peut être, pour l’État, un outil précieux de sa modernisation, en l’aidant à repenser ses tâches, ses priorités et sa manière de répondre à la demande des plus humbles de nos concitoyens. Encore faut-il, comme vous le rappelez, stabiliser l’organisation de l’État et faire en sorte que ses services avancent groupés : plus les avancées seront réalisées simultanément par l’ensemble des services, mieux on répondra aux attentes de la population. Car, j’insiste une nouvelle fois sur ce point, les jeunes n’ont plus peur de la machine. La numérisation de l’État sera un des éléments de l’attractivité du territoire.

M. Jacques Myard. Il faut prendre garde à la saturation du système. De fait, les communications électroniques nous rapprochent de nos concitoyens, mais nous croulons sous les sollicitations.

M. le président Claude Bartolone. Cette remarque vaut quel que soit le système. Nous avons tous attendu de longues minutes au téléphone qu’un interlocuteur de l’administration décroche et nous savons que, dans certaines perceptions, les agents fermaient leurs bureaux faute de pouvoir accueillir tous les usagers. Encore une fois, mieux vaut s’efforcer de surmonter ce blocage plutôt que d’y voir une raison pour freiner toute évolution.

M. Didier Migaud. Nous espérons que ce rapport vous permettra d’avancer sur ces sujets. Je précise, à cet égard, que son titre a été modifié pour mieux prendre en compte les attentes de votre Comité et marquer davantage le lien entre la modernisation de l’État et les relations avec les usagers.

Beaucoup de progrès ont été accomplis ces dernières années, et ils apparaissent dans le rapport. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux, du reste, à utiliser les procédures dématérialisées. Ainsi, 75 000 timbres fiscaux dématérialisés ont été achetés en ligne entre mars et avril 2015 ; 35 % des préfectures, et de nombreux commissariats, proposent des prises de rendez-vous en ligne et 100 % des entreprises déclarent et paient en ligne la TVA, l’impôt sur les sociétés et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Un certain nombre de pratiques se sont donc fortement développées au cours des dernières années.

En ce qui concerne la feuille de route que nous préconisons d’établir, un calendrier resserré serait, nous semble-t-il, un gage de crédibilité et un moyen de prévenir les postures de contournement ou d’évitement. Nous ne fixons pas de dates, mais la mise en œuvre de cette feuille de route pourrait être programmée sur trois ou quatre années. À cet égard, nos recommandations, que nous n’avons pas hiérarchisées, pourraient être regroupées en trois blocs. Le premier comprendrait les mesures qui peuvent être prises dès 2016, dès lors que leur mise en œuvre est facile ou considérée par vous comme urgente – puisque le Parlement devrait être au moins tenu informé de l’application de la feuille de route. Ces mesures concernent notamment le budget des secrétariats généraux ministériels, le suivi budgétaire, les données de référence pour le stockage, l’administration générale des données. Le deuxième bloc, qui comprend six recommandations, pourrait être mis en œuvre en 2017. Quant aux mesures comprises dans le troisième bloc, leur mise en œuvre demande plus de temps, eu égard à la complexité des sujets, puisqu’il s’agit, par exemple, du répertoire des bases de données des administrations, qui sont couvertes par un secret protégé par la loi, ou de la sécurisation et de la localisation sur le territoire national des serveurs. Nous pourrons, si vous le souhaitez, vous préciser le contenu de chacun de ces blocs.

Par ailleurs, nous sommes conscients des risques liés à la réorganisation des services. Obligation de mobilité géographique, accroissement du rythme de travail, perte d’opportunités professionnelles et de promotion indiciaire compte tenu de la réduction du nombre d’unités : telles sont quelques-unes des préoccupations des agents de l’État. La conduite du changement est donc – j’insiste beaucoup sur ce point – un enjeu majeur. Si l’accompagnement des usagers est nécessaire, celui des agents concernés l’est tout autant. Or, le rapport fait apparaître que cette dimension est, pour l’instant, insuffisamment prise en compte dans la démarche générale de modernisation numérique du SGMAP. Nous nous sommes donc efforcés de souligner un certain nombre de bonnes pratiques, notamment la valorisation des progrès permis par les télé-procédures au profit des agents : autonomie plus grande, assouplissement des lignes hiérarchiques, enrichissement du travail par des tâches à plus forte valeur ajoutée intellectuelle… Par ailleurs, il nous faut démontrer la mise en cohérence entre la trajectoire budgétaire et la modernisation numérique pour réduire les risques d’incivilité liés au maintien de services de guichet insuffisants et éviter la dégradation du service rendu. Il convient, en outre, de former l’encadrement supérieur aux conséquences de la numérisation sur l’organisation administrative. Rien ne serait pire que de ne pas tirer toutes les conséquences de ces nouvelles procédures. Or, force est de constater que, pour l’instant, tel n’est pas le cas. Néanmoins, des progrès ont été accomplis ; ils doivent être confortés et amplifiés.

La consultation des usagers existe, mais il est vrai que ces consultations sont, pour le moment, trop ponctuelles et ne portent que rarement sur les services publics numériques. Il s’agit généralement d’études de satisfaction globale, qu’il conviendrait de cibler davantage.

Les niveaux territorial et national sont complémentaires. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la nécessité d’associer davantage les collectivités territoriales à cette démarche. Une instance a été créée par le SGMAP qui a précisément pour mission de favoriser la coordination des différentes actions menées ce domaine, coordination qui est d’autant plus nécessaire que l’État, lorsqu’il délègue certaines de ses compétences, continue d’assurer leur suivi. La complémentarité doit donc être favorisée.

S’agissant des relations entre les secrétariats généraux et les directions, il faut vraisemblablement renforcer les moyens des premiers, sans pour autant remettre en cause le rôle des secondes : un équilibre doit être trouvé dans le partage des tâches qui doit s’opérer entre les unes et les autres.

Certaines questions ont porté sur un éventuel renforcement de la dissymétrie des relations entre les usagers et l’administration. Le numérique peut, au contraire, contribuer à rééquilibrer ces relations. Le logiciel utilisé pour la télé-déclaration de l’impôt sur le revenu, par exemple, permet de se corriger et peut signaler une omission, de sorte que la tâche du contribuable est facilitée. De même, le site consacré au paiement des contraventions en ligne est remarquablement conçu...

M. Jacques Myard. Pour cela, on peut faire confiance à l’État !

M. Didier Migaud. …et très facile d’utilisation. Certes, et nous le rappelons dans le rapport, il faut encore améliorer les choses, reconnaître un droit à l’erreur par exemple, pour éviter ces déséquilibres et pour que l’usager ait confiance dans les télé-procédures. Il est vrai également qu’il faut veiller à ce que la présentation des règles soit stable. Cela dit, tout changement est un peu perturbant et nécessite un temps d’adaptation, mais on finit par s’y faire.

M. Jean-Yves Caullet. On constate tout de même une certaine ébriété des concepteurs de services numériques, qui sont tentés de les modifier et de les améliorer beaucoup plus fréquemment que s’il s’agissait de procédures plus lourdes. Or, le mieux est parfois l’ennemi du bien, et une certaine modération est de mise, car il faut tenir compte du fait que l’on ne déclare ses impôts qu’une fois par an.

M. le président Claude Bartolone. La télé-déclaration de l’impôt sur le revenu n’a fait qu’améliorer les choses.

M. Didier Migaud. Elle est en effet très facile, et elle fournit des informations, notamment une estimation du montant de l’impôt, dont on ne dispose pas lorsque l’on déclare ses revenus sur papier. Enfin, nous ne prétendons pas que les inégalités dans l’utilisation des services numériques ont disparu, mais nous constatons qu’elles ont fortement diminué.

Je vais maintenant laisser la parole au président Vachia, qui complétera mes réponses sur quelques points précis.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. M. le rapporteur a évoqué la question des très petites entreprises. On s’aperçoit qu’elles sont d’ores et déjà très nombreuses à procéder, par l’intermédiaire d’un tiers, à la télé-déclaration, notamment pour ce qui concerne leurs obligations fiscales. Ainsi, sur un peu plus d’un million de déclarations professionnelles vérifiées par les organismes agréés, 73 % avaient fait l’objet d’une télé-déclaration par un autre intervenant.

Par ailleurs, la fracture numérique existe, mais il convient de relativiser ses effets, dans la mesure où les démarches administratives ne nécessitent pas de disposer d’une connexion au très haut débit, les services concernés n’étant pas très lourds. Ainsi le taux de recours aux services administratifs en ligne est un peu moins élevé dans les territoires ruraux que dans les territoires urbains, mais la différence n’est pas considérable. En revanche, on constate une fracture liée à l’âge et une fracture sociale. Sur ce dernier point, je rappelle que le projet de loi pour une République numérique, que vous avez adopté récemment, comporte une disposition qui crée, sur le modèle de ce qui existe pour l’accès à l’eau potable, au gaz et à l’électricité, le droit au maintien d’une connexion internet, qui est en effet absolument indispensable.

L’organisation de l’État a-t-elle suffisamment évolué ? Sur ce point, nous estimons que le travail reste en grande partie à faire. Cependant, de nombreux projets très intéressants sont dans les cartons, dont il va falloir examiner la mise en œuvre. Je pense notamment au plan « Préfectures nouvelle génération » du ministère de l’intérieur.

Quant à la dépense informatique, elle est, pour l’État, encore intensive en personnels. De fait, nous externalisons plutôt moins que d’autres pays. Au demeurant, le modèle idéal est-il celui d’une sous-traitance généralisée ? Nous sommes extrêmement prudents sur ce point, car l’exemple anglais montre qu’une externalisation trop poussée aboutit à des surcoûts significatifs et à une perte de compétences. Or, la maîtrise de la connaissance est un enjeu stratégique pour les administrations. À ce propos, je tiens à souligner que, si les métiers évoluent au sein de l’administration, tel n’est pas le cas de la classification des fonctionnaires. Il faudrait entièrement réinventer les métiers d’informaticien de l’État pour s’adapter aux nouveaux besoins.

En ce qui concerne le portail unique, service-public.fr, il permettrait à tout citoyen de trouver le service qu’il recherche, par exemple la prestation d’accueil du jeune enfant de la CAF. Il peut donc, à terme, à condition que cela ne soit pas trop sophistiqué, faciliter considérablement les démarches des usagers, surtout si, grâce à FranceConnect, la CAF, en l’espèce, dispose déjà des informations nécessaires concernant leurs revenus, par exemple. Il suffirait alors à l’usager de communiquer son nom et un identifiant, dont je rappelle qu’il ne peut pas être le NIR, c’est-à-dire le numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la CNIL.

Par ailleurs, notre enquête, vous le savez, ne portait pas sur les collectivités territoriales. Néanmoins, quelques-unes d’entre elles se sont d’ores et déjà rattachées à service-public.fr ; les autres devraient en avoir la possibilité. Nous citons également le cas de grandes villes qui, dans le cadre du développement des smart cities, ont beaucoup progressé dans le domaine du service numérique aux usagers.

S’agissant de l’accompagnement des usagers, des initiatives se développent pour organiser le maillage du territoire. De fait, on assiste à un changement complet : les guichets traditionnels vont disparaître mais des points d’accueil, qui peuvent être situés dans les maisons de service au public ou les mairies, organisent un nouveau type de services qui consistent à accompagner les personnes qui ne parviennent pas à se débrouiller seules dans leurs démarches, notamment les personnes âgées et celles qui ne disposent pas d’un accès à internet. De manière générale, nous nous sommes aperçus, au cours de notre enquête, que de très bonnes initiatives sont d’ores et déjà prises, qu’il s’agit maintenant de mettre en œuvre et de généraliser car il n’est pas nécessaire d’en inventer de nouvelles.

La simplification est également un sujet très important. Souvent, pour qu’un service numérique marche bien, il doit être simple, ce qui suppose que l’on ait préalablement ou concomitamment simplifié la procédure. À ce propos, il conviendrait de se poser la question de la suppression des petites taxes douanières, qui rapportent très peu d’argent et dont la perception coûte si cher que, même si elles étaient numérisées, elles ne rapporteraient pas grand-chose.

En ce qui concerne la protection des données, quelques pages du rapport sont consacrées au rôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques (ANSSI), qu’il ne faut pas sous-estimer car il est très important. Lorsque FranceConnect fonctionnera, il constituera, compte tenu des très nombreuses données qu’il rassemblera, un élément de vulnérabilité. Pour nous comme pour nos voisins, la question qui se pose est celle de s’organiser pour protéger soit un grand système, avec l’aide de l’ANSSI, soit plusieurs systèmes. En tout état de cause, des techniques extrêmement sophistiquées permettent d’éviter au moins l’identification des personnes. La sécurisation est une dimension essentielle mais elle ne doit pas empêcher d’agir ; elle doit être prise en compte dans la conception même des systèmes. Nous pensons, quant à nous, que l’ANSSI doit exercer une vigilance constante face aux risques d’attaques contre ces « organismes d’importance vitale », pour reprendre leur vocabulaire. Pour l’avoir contrôlée récemment, je puis vous dire que cette agence est un organisme de grande qualité, qui accomplit un très bon travail mais qui doit suivre ces recommandations en matière de sécurité.

M. le président Claude Bartolone. Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre Comité. Il reste maintenant à ses rapporteurs à nous faire, à partir de l’analyse de la Cour, des propositions pour que la dématérialisation des procédures soit un levier plus efficace de la modernisation de l’État.

En attendant, je vous propose d’autoriser la publication du rapport de la Cour des comptes.

Le Comité autorise la publication du rapport de la Cour des comptes.

EXAMEN PAR LE COMITÉ

Lors de sa séance du 4 mai 2016, le Comité examine le présent rapport.

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nous allons examiner aujourd’hui le rapport d’information sur l’évaluation de la modernisation numérique de l’État, évaluation que nous avons décidé de réaliser à la demande du groupe Union des démocrates et indépendants. Cette évaluation a fait l’objet d’une demande d’assistance à la Cour des comptes, dont l’étude nous a été présentée par Didier Migaud le 4 février dernier. Nos deux rapporteurs sont, pour la majorité, Mme Corinne Erhel et, pour l’opposition, M. Michel Piron, à qui je laisse maintenant la parole.

M. Michel Piron, rapporteur. Corinne Erhel et moi-même allons tenter de vous exposer, en forme de fugue, le thème et le contre-thème de cette œuvre dont nous espérons qu’elle s’achève harmonieusement. Mais, au préalable, nous tenons à saluer le riche travail de collecte, de synthèse et d’analyse critique et prospective accompli par la formation interchambres de la Cour des comptes ; ce travail sera annexé à notre rapport.

Que l’on évoque la numérisation ou la « digitalisation », que l’on parle de révolution, de transformation ou de transition, une chose est sûre : une mutation profonde et pleine de promesses est à l’œuvre aujourd’hui au sein de l’État. Le champ de l’étude, défini avec la Cour des comptes, a porté sur les services publics numériques mis en œuvre par les ministères économiques et financiers, le ministère de l’intérieur et les services du Premier ministre.

La Cour ayant déjà réalisé un état des lieux, nous avons choisi de dresser une liste des sujets-clefs que nous avons identifiés à partir de ses travaux ainsi que de nos auditions et déplacements en région. Puis, nous avons tenté de présenter notre propre vision du sujet et de ses enjeux, notamment dans ce qu’il peut avoir de politique, au sens le plus noble du terme. Nous avons ainsi dressé une liste argumentée de neuf conditions indispensables à la réussite du processus de numérisation, lequel peut, s’il est bien conduit, grandement contribuer à la modernisation de l’administration.

Mme Corinne Erhel, rapporteure. Pour guider notre réflexion, nous avons en effet choisi d’identifier les conditions de la réussite de la modernisation numérique, en nous posant trois questions : pourquoi et pour qui numériser ? Jusqu’où numériser ? Comment numériser ?

Nous mentionnons, dans notre rapport, quelques-uns des travaux récents que notre assemblée a consacrés à ce sujet, qu’il s’agisse de ceux de la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, mise en place par le président de l’Assemblée – qui s’est efforcée de cerner les enjeux de la transformation numérique ainsi que les questions qu’elle soulève en matière de droits et de sécurité – ou des réflexions menées au sein de la commission des affaires économiques sur l’impact de l’économie numérique. Je pense également au rapport de M. Philippe Lemoine sur la transformation numérique de l’économie.

Jusqu’à présent, la question du numérique a été surtout abordée soit sous l’angle de la dématérialisation des procédures, soit sous celui de l’informatisation. Or, le défi qu’il nous faut désormais relever est celui de la transformation numérique, laquelle englobe à la fois les procédures de dématérialisation, la conduite du changement au sein de l’administration et l’association des agents et des usagers à cette évolution.

Nous avons constaté, lors de nos déplacements et de nos auditions, la volonté affichée par les représentants des administrations de changer assez radicalement la manière de conduire les projets structurants dans le domaine des systèmes d’information. La méthode dite « agile », appliquée aujourd’hui sous l’impulsion du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), a ainsi pour objectif d’étudier la manière dont il est possible de mieux faire circuler les données au sein de l’administration, d’associer les agents à la définition de cette politique – ce que l’on appelle la conduite du changement – et d’interroger les usagers sur l’ensemble des procédures mises en œuvre. Nous sommes convaincus que la transformation numérique est une occasion unique de moderniser l’administration « de l’intérieur » et une chance qu’il ne faut pas laisser passer.

La Cour a émis, à l’issue de son enquête évaluative, quinze recommandations. Pendant qu’elle procédait à cette enquête, ont été examinés par notre assemblée le projet de loi de Clotilde Valter relatif à l’open data et le projet de loi pour une République numérique. La loi devrait ainsi renforcer l’action de l’administrateur général des données et permettre de constituer un répertoire des bases de données des administrations, d’unifier l’accès aux démarches administratives et à l’information et de favoriser l’inclusion et la médiation numériques des acteurs et des usagers, qui est un des points essentiels de notre rapport.

M. Michel Piron, rapporteur. Pour donner du sens à la transformation numérique de l’État, il nous faut d’abord nous demander pourquoi et pour qui numériser.

Pour que le processus de numérisation soit une réussite, une première condition doit être remplie : la numérisation doit être un « plus », elle doit permettre d’améliorer l’efficience administrative et le service rendu aux usagers.

Dans le rapport intitulé « La nouvelle grammaire du succès » qu’il a remis au Gouvernement en novembre 2014, M. Philippe Lemoine estime que la transformation numérique des secteurs économiques traditionnels produit huit effets principaux, que l’on peut regrouper de manière synthétique en trois familles : l’automatisation, la dématérialisation et son impact sur les guichets et, enfin, la désintermédiation/ré-intermédiation et ses effets sur la réorganisation des services. De fait, ces effets affectent bien les tâches d’un certain nombre d’agents, d’où la nécessité de donner du sens à cette mutation ; nous verrons plus loin comment les accompagner.

S’agissant des usagers, auxquels la numérisation doit profiter, il est nécessaire de mieux analyser leur perception de cette transformation. Nous proposons donc de les interroger plus systématiquement, en croisant les points de vue – sans omettre, par exemple, d’interroger les aidants qui accomplissent les démarches administratives pour le compte d’un tiers âgé ou en situation de handicap – et de varier les canaux d’enquête, en recourant non seulement aux sondages téléphoniques mais aussi à des observations et à des entretiens au guichet des administrations ou à des échanges au sein de panels d’usagers ou réunissant davantage de parties prenantes.

Si la systématisation des enquêtes d’opinion destinées à mesurer le degré de satisfaction des usagers est une bonne chose – c’est un outil de base –, ces derniers sont néanmoins encore trop rarement consultés en amont du développement de nouveaux services numériques. Or, on pourrait, en comblant cette lacune, s’épargner bien des désillusions – je pense à la fréquentation de certains sites internet, qui apparaît parfois très faible précisément parce que les usagers n’ont pas été suffisamment consultés en amont. Pour que l’idée d’une transformation numérique par les usages – idée extrêmement convaincante – puisse devenir réalité, la conception même des téléprocédures devrait donc être réalisée sur le fondement d’expérimentations locales ou sectorielles avec les usagers, en interrogeant ceux-ci sur leurs besoins et leurs attentes. En tout état de cause, il ne faut pas se contenter de simples retours d’expérience.

L’accessibilité aux services numériques, question essentielle, recouvre deux enjeux. Le premier est de planifier l’accessibilité de manière plus large et de communiquer avec les usagers : accueil physique de proximité, accueil téléphonique, information. Nous avons en effet recueilli des témoignages d’agents de la DGFiP qui regrettaient que des téléservices, pourtant efficaces et faciles d’emploi, ne soient pas connus des usagers. Le second enjeu est de généraliser les services publics numériques sans dégrader le service rendu aux usagers les plus défavorisés. Nous citons, dans le rapport, l’alerte lancée par le collectif Emmaüs Connect, qui décrit bien ce risque. Cette préoccupation se retrouve dans le rapport de 2013 du Conseil national du numérique intitulé « Citoyens du numérique. Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion », qui précise que la médiation doit être un processus pérenne, et non se limiter à un accompagnement épisodique.

Mme Corinne Erhel, rapporteure. Deuxième condition de la réussite : simplification et numérisation doivent aller de pair de manière à favoriser l’acceptabilité de cette transformation par l’ensemble des usagers, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises.

Une démarche administrative accomplie en tout ou partie en ligne doit ainsi se traduire par une simplification pour l’usager. La corrélation entre numérisation et simplification est, du reste, largement mise en avant, tout particulièrement par les entreprises. Celles d’entre elles qui sont de taille modeste ou moyenne et qui utilisent les outils de base du numérique au quotidien mais manquent de moyens regrettent en effet que les formalités administratives en ligne soient parfois chronophages. D’où l’importance du programme « Dites-le-nous une fois », qui a été souvent cité.

Par ailleurs, la notion d’État plateforme est prometteuse pour améliorer le service à l’usager, dans la mesure où elle permet une meilleure circulation des données entre les administrations et parfois entre celles-ci et des organismes tiers. Selon cette conception, l’État ne fait pas « à la place de » : il met à disposition des outils permettant de faire soi-même.

Enfin, nous avons constaté des avancées très prometteuses, comme la refonte récente du portail service-public.fr et la possibilité de s’y connecter avec son identifiant FranceConnect. Encore une fois, nous en sommes convaincus, il faut s’assurer que la numérisation des procédures se traduit bien par une simplification pour l’usager.

M. Michel Piron, rapporteur. Troisième condition de la réussite : la coordination avec les collectivités territoriales.

Si cette coordination n’entre pas dans le champ de l’évaluation de la Cour des comptes, elle nous a paru néanmoins suffisamment importante pour que nous nous rendions à Rennes et à Nantes notamment, où nous avons recueilli plusieurs témoignages. Il ressort de ces témoignages que les services de l’État prennent trop peu en compte les préoccupations des collectivités territoriales – dont nombre de tâches consistent pourtant à appliquer des directives de l’État – à propos du déploiement des services publics numériques, y compris lorsque les téléprocédures ont vocation à transformer la nature des échanges, des flux d’informations ou de l’exercice des contrôles de l’État sur les actes des collectivités en matière de contrôle de légalité, de contrôle budgétaire et de passation de marchés publics. On nous a du reste décrit des rapports parfois tendus entre État et collectivités, une négociation n’étant éventuellement possible que si les personnes en place entretiennent de bonnes relations.

Par ailleurs, nous avons constaté l’absence d’une conception partagée. Par exemple, les besoins des collectivités n’ont pas été pris en compte dans la mise en forme de leurs informations budgétaires ou comptables. Or, elles auraient pu avoir intérêt à adopter une présentation légèrement différente pour les nécessités de leur propre comptabilité budgétaire dématérialisée. Ainsi les choses sont parfois plus compliquées qu’auparavant.

Notre échange avec les directeurs généraux des services de deux villes et d’une communauté d’agglomération du Loiret a confirmé l’absence de concertation structurée. Tout au plus existe-t-il une concertation sujet par sujet, mais elle dépend, une fois encore, de la bonne volonté des personnes. À cet égard, le programme de Développement concerté de l’administration numérique territoriale (DéCANT) développé par le SGMAP repose sur de bons principes directeurs et de bons axes stratégiques, mais nous n’en avons guère vu, pour l’instant, le début de mise en œuvre.

Enfin, nous avons étudié la manière dont, en Allemagne, les collectivités sont associées à la réflexion et à la décision dans ce domaine. En effet, la comparaison avec l’IT-Planungsrat allemand – comité de pilotage politique de l’État fédéral, des Länder et des communes dans le domaine des technologies de l’information et de l’administration en ligne – est éclairante. Dans ce comité sont présents, outre le secrétaire d’État à l’intérieur, responsable de la politique de numérisation, et le représentant des technologies de l’information de chaque Land, trois représentants des communes et intercommunalités. Le fonctionnement de ce comité pourrait nous donner des pistes pour améliorer la coordination de la conception et de la mise en œuvre des services publics numériques. Encore une fois, il s’agit surtout ici d’une question de gouvernance.

Mme Corinne Erhel, rapporteure. J’en viens à la question : jusqu’où numériser ? La Cour des comptes appelle à une ambitieuse généralisation des services publics numériques et nous estimons qu’il y a place, en effet, pour le déploiement de nouvelles téléprocédures, mais encore faut-il donner du sens à cette action.

Quatrième condition de réussite : poursuivre un déploiement raisonné de nouveaux services publics numériques, dans le respect des principes d’utilité, d’efficacité et d’efficience. Pour les entreprises, il convient d’étendre le programme « Dites-le-nous une fois » et de créer le « coffre-fort » numérique. Pour améliorer le service aux particuliers, il faut progresser dans l’identification électronique des usagers grâce à la mise en place du système d’identification et d’authentification FranceConnect. Enfin, il convient de poursuivre le déploiement des procédures numérisées avec et pour les collectivités.

Cinquième condition : admettre, en phase de conception, le tâtonnement et le droit à l’erreur. Il s’agit ici d’intégrer à la démarche de transformation numérique les agents, qui souhaitent être acteurs du changement et écoutés – cette demande a souvent été formulée lors des auditions que nous avons réalisées, notamment dans les administrations déconcentrées. La réussite de la transformation numérique de l’État selon la méthode « agile » passe aussi par le changement des mentalités, dont l’un des exemples les plus intéressants est la reconnaissance d’une certaine forme de droit à l’erreur. Il s’agit d’améliorer les nouvelles procédures au fur et à mesure de leur développement, en prenant en compte les éventuelles remarques des usagers pour les améliorer.

La transformation numérique doit être verticale mais aussi horizontale et, je le répète, associer l’ensemble du personnel. C’est un point important car, bien souvent, on ne demande pas l’avis des agents lors de la mise en place de nouvelles téléprocédures. Or leur regard peut être intéressant, d’autant qu’ils sont directement en contact avec l’usager. Une petite révolution doit donc être accomplie au sein de l’État, mais beaucoup en sont conscients.

M. Michel Piron, rapporteur. Sixième condition : encourager l’initiative et l’expérimentation locales. Le rôle de l’État lui-même évolue avec la transformation numérique : il doit consister à donner des outils aux autres plutôt qu’à tout planifier lui-même. Cela suppose de compléter la démarche descendante, qui paraît parfois condescendante, par une démarche ascendante. On parle suffisamment depuis de nombreuses années du dialogue de gestion pour être amené à déplorer qu’à l’intérieur des services de l’État comme dans les relations de celui-ci avec les collectivités territoriales, on est encore assez loin du compte.

Nous pensons qu’une meilleure prise en compte de l’initiative et de l’expérimentation locales est une condition de la réussite optimale de la transformation numérique des services publics. Nous avons eu connaissance de quelques exemples de succès de cette approche, notamment à la direction générale des douanes et à Pôle emploi. C’est un sujet qui nous paraît très important.

Septième condition : penser d’emblée la nouvelle norme avec le système d’information qui la soutiendra. En effet, au-delà des structures et des organisations, la norme elle-même doit être adaptée à la démarche de transformation numérique de l’État.

Mme Corinne Erhel, rapporteure. Troisième question : comment numériser ?

Le souci de la conduite du changement doit constamment animer les maîtres d’ouvrage de la conversion numérique de l’État. Cette méthode est un préalable et elle impose, selon M. Albouy, chargé de mission auprès de la DINSIC (Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication), deux axes de travail concrets : l’accompagnement de la transformation numérique par les ressources humaines – ce qui inclut la revalorisation des métiers et le développement de l’interministérialité – et la recherche d’experts en gestion de données et en ergonomie. C’est un chantier de ressources humaines important, car il s’agit d’adapter les compétences des agents et d’offrir la possibilité à ceux qui le souhaitent d’occuper d’autres fonctions, ce qui suppose un investissement très important dans la formation.

Huitième condition de réussite, donc : mieux programmer les moyens humains et techniques. Le poids du numérique dans les dépenses totales du budget de l’État est d’environ 1,5 %, selon le DINSIC, M. Henri Verdier. L’effort gouvernemental est donc substantiel. Il permet d’ailleurs d’enclencher certaines transformations, comme le plan « Préfectures nouvelle génération ». Mais nous approuvons l’observation de la Cour des comptes selon laquelle ces montants sont insuffisants pour accélérer la généralisation des services publics numériques.

Nous estimons en effet que le niveau actuel des investissements pose question, notamment en ce qui concerne le renforcement du fonds ad hoc du PIA. Mais ces investissements doivent surtout être rationalisés grâce à l’identification de gisements d’économies et au suivi attentif des projets, dont il convient d’améliorer le phasage en s’attachant à doter les services de nouveaux matériels adaptés au déploiement des nouveaux téléservices et en organisant les formations correspondantes. Il faut également veiller à ce que les matériels fournis soient adaptés aux besoins en s’assurant, par exemple, que, lorsqu’un double écran est nécessaire, ces deux écrans soient compatibles entre eux, ce qui n’est pas toujours le cas.

Enfin, en ce qui concerne la sécurité des données – condition essentielle du développement du numérique –, l’État doit conserver en son sein un socle de compétences en matière de sécurité des systèmes d’information afin de ne pas dépendre de prestataires extérieurs. Nous avons en effet constaté que l’État avait externalisé, en matière de numérique au sens large et de télécommunications, un certain nombre de compétences qu’il est nécessaire de réintégrer de façon à ce que la transformation numérique soit efficiente et au service de tous.

M. Michel Piron, rapporteur. Neuvième condition de réussite : mieux assurer la gouvernance et le suivi de la transformation numérique.

Le fonctionnement de la coordination interministérielle est un point-clef de la réussite d’un chantier transversal comme celui de la transformation numérique. Il est vrai que ce débat ne date pas d’hier. On sait depuis longtemps, notamment lorsque l’on a des responsabilités territoriales, que de nombreux services travaillent « en silos ». Un préfet parlait même de tuyaux d’orgue, pour déplorer que chacun de ses services appelle le ministère, de sorte qu’il était incapable de réaliser la synthèse de consignes parfois très contradictoires. L’interministérialité reste majeure, ici comme ailleurs, et elle exige une gestion des ressources humaines qui n’est pas toujours au rendez-vous. La constitution progressive du réseau interministériel de l’État mérite donc d’être soutenue. Inutile de dire que, dès lors que l’on a affaire à des personnes qualifiées et qui peuvent être jalouses de leurs compétences particulières, la gestion des ressources humaines dans le cadre interministériel exige une formation en amont.

Par ailleurs, il serait souhaitable de mettre fin à l’instabilité institutionnelle constatée depuis quatre ans, et qui a été abondamment soulignée par la Cour des comptes. Il nous semble en effet indispensable que l’État assure dorénavant une plus grande stabilité du pilotage de la réforme pour donner à l’ensemble des parties prenantes davantage de visibilité à moyen terme.

Nous préconisons ainsi l’établissement d’une feuille de route pluriannuelle comportant une liste des priorités en matière de projets et d’investissements, les modalités de la poursuite de ces objectifs faisant la part du pilotage interministériel et de la subsidiarité – c’est-à-dire les responsabilités confiées aux ministères concernés et les marges de manœuvre et d’initiative ouvertes à leur niveau –, le calendrier de mise en œuvre ainsi que les coûts budgétaires associés et leur financement. Un volet de ce document pourrait comporter l’analyse des gains et des coûts : la méthode d’analyse « Mareva », présentée dans le rapport, constituerait à cet égard un outil adapté. Enfin, l’équilibre entre les directions « métiers », qui connaissent le mieux les procédures, et les secrétariats généraux de ministère, qui ont seuls les moyens de piloter un projet de grande ampleur, doit être recherché projet par projet, pour éviter les doublons, qui sont source de blocages et de contradictions.

Mme Corinne Erhel, rapporteure. En conclusion, la transformation numérique, qui peut parfois inquiéter, dans et hors de l’administration, permet de réaliser des économies budgétaires, mais celles-ci ne doivent pas être le seul objectif. Il faut avant tout donner du sens à cette transformation. Son portage politique est donc indispensable pour « emmener » tout le monde : la sphère étatique, les collectivités territoriales et les usagers, entreprises ou citoyens.

Par ailleurs, mais cela est lié, il faut être attentif à la médiation et à l’inclusion numériques. Prenons garde, en effet, à ne pas provoquer de nouvelles fractures, qu’elles soient territoriales, générationnelles ou sociales. Chacun doit pouvoir déclarer ses revenus en ligne, par exemple, ou, s’il ne le peut pas, être accompagné par un tiers de confiance. De même, les personnes en situation de handicap, quel que soit ce handicap, doivent pouvoir avoir accès au numérique. En somme, l’ensemble de la transformation numérique de l’État doit être réalisée en prenant en compte la situation de chacun : elle doit être pensée globalement, politiquement, en anticipant le plus possible. La question de la médiation numérique est essentielle à cet égard. Le numérique est une vague qui touche l’ensemble de la société ; nous devons faire en sorte que chacun acquière les compétences nécessaires ou puisse être accompagné dans cette transformation.

M. Philippe Gosselin. Je veux tout d’abord saluer le travail de nos collègues rapporteurs, qui nous offre un bon éclairage sur la question de la transformation numérique de l’État Je formulerai cependant une petite remarque d’ordre méthodologique à propos de leur évaluation de la loi pour une République numérique. En effet, on ne peut évaluer que ce qui existe ; or, pour le moment, cette loi n’existe pas, et le vote du Sénat rend son existence encore plus hypothétique puisque l’on en est à se demander ce que donnera la commission mixte paritaire. Ne voyez nulle volonté polémique dans cette remarque. Je ne remets d’ailleurs pas en cause les aspects positifs du projet de loi.

J’en viens au cœur de mon propos. M. Piron et Mme Erhel ont raison de noter qu’il ne faut pas faire de la dématérialisation l’alpha et l’oméga de l’action publique ; ce serait très dangereux. Cependant, la numérisation peut être un levier de transformation de la façon de travailler de l’État. N’oublions pas, au demeurant, que les téléservices comportent deux aspects : la dématérialisation – et l’on peut saluer à cet égard le travail du SGMAP et de FranceConnect – ne doit pas nous faire perdre de vue les services. Si elle permet d’étendre éventuellement le champ de ces services, cette dématérialisation induit pour les administrations de nombreux changements dont les usagers ne se rendent pas forcément compte. De fait, les services des préfectures, les services publics locaux et les collectivités – et nous le constatons également dans nos permanences d’élus – sont littéralement noyés sous une abondance de mails difficiles à hiérarchiser mais qu’il faut traiter, en sachant que le client-usager attend une réponse immédiate. Ainsi l’un des enjeux pour les services administratifs est d’apporter à ce dernier une réponse précise dans des délais brefs. Or, ils ne le peuvent pas toujours, pour diverses raisons : les formations ne sont pas toujours assurées, les personnels ne peuvent pas forcément être transférés d’un service à un autre et ces tâches sont chronophages. Il convient donc de former les personnels, non seulement aux techniques elles-mêmes, mais aussi à la hiérarchisation des demandes.

Ma deuxième remarque concerne les relations entre l’État et les collectivités locales. Un dialogue existe parfois, mais il tient, c’est vrai, à la personnalité des responsables des services publics locaux et des élus. Or, les procédures de marché public, par exemple, sont fort complexes. Il conviendrait donc, comme l’ont souligné nos rapporteurs, d’améliorer la coordination interministérielle.

J’en viens à la question des relations avec le public. La confiance, et donc la sécurité des échanges et des données, sont essentielles en la matière. Il ne s’agit pas seulement de s’assurer de la protection des données personnelles ; on peut s’interroger également sur la fiabilité d’états civils qui seraient totalement dématérialisés : je ne suis pas certain que l’on y soit prêt. Or, si nos concitoyens n’ont pas confiance dans la sécurité des procédures, ils n’ont pas confiance en la fiabilité de l’État. Cela m’amène à souligner la nécessité de ne pas externaliser certaines compétences. Moi qui suis un affreux jacobin, j’avais d’ailleurs tenu le même discours à propos de la fusion des DDE et des DDA, devenues aujourd’hui DDT. Trop de compétences sont parfois parties dans le privé, si bien que l’État se fait parfois un peu balader, y compris par des élus locaux.

En conclusion, l’attention doit être, une fois de plus, portée sur la cohésion, pour ne pas dire la cohérence, nationale. Le numérique peut apporter à la fois le pire et le meilleur. Prenons garde – même si l’expression est galvaudée – à la fracture numérique, qui est toujours bien présente, qu’elle soit sociale, économique ou générationnelle. Dans ma circonscription, par exemple, une trentaine de personnes âgées – c’est très significatif – m’ont indiqué être très inquiètes de devoir télédéclarer leurs revenus. Certaines ne sont pas équipées, d’autres ne veulent pas faire appel à leurs enfants car elles ne souhaitent pas forcément qu’ils connaissent leurs revenus. Enfin, soyons attentifs à la couverture géographique : je ne voudrais pas qu’il y ait des citoyens des villes et des citoyens des champs. Or, sur ce point, le projet de loi pour une République numérique n’apporte pas de véritable réponse. Je veux bien reconnaître les efforts de l’État et des collectivités locales dans ce domaine, mais nous sommes encore loin du compte. Il est nécessaire d’évaluer et, si nous voulons rester en phase avec nos concitoyens, de donner parfois du temps au temps, non pas pour renoncer à nos ambitions, mais pour répondre aux attentes de la société.

Mme Catherine Coutelle. Tout d’abord, je partage entièrement la conclusion de Corinne Erhel sur la médiation et le portage politique de la transformation numérique, qui ne pourront se faire si l’on n’adopte pas aussi une démarche qui part du bas vers le haut. Par ailleurs, je souhaiterais que nos rapporteurs nous expliquent pourquoi les administrations font partie du troisième cercle qu’ils ont évoqué dans leur présentation.

Je suis très sensible à l’inclusion et à la médiation numériques, tant il est vrai que l’annonce de la télédéclaration des revenus a suscité de fortes inquiétudes. Mais je souhaiterais aborder une question qui n’a pas été évoquée, celle de la suppression de nombreux emplois de médiation et d’accueil, provoquée par la numérisation. Que vont devenir ces métiers qui sont souvent exercés par des agents de catégorie C et dont on aura toujours besoin ? Dans le cadre du projet de loi pour une République numérique, la délégation aux droits de femmes a rendu un rapport sur les écueils et les opportunités que représente le numérique pour les femmes ; la suppression de ces emplois fait partie, selon moi, des écueils. Les usagers ont besoin d’aidants, et d’aidants fiables, car tout le monde ne veut pas confier sa déclaration de revenus à n’importe qui.

Nous souhaitons tous que la numérisation contribue à la simplification des procédures, mais permettez-moi de vous relater une expérience à ce sujet. Il existe désormais un simulateur qui permet à d’éventuels allocataires de savoir s’ils peuvent bénéficier de la prime d’activité. Nous les avons donc aidés, en tant que députés, à réaliser ces simulations. Or, deux mois et demi plus tard, ces personnes ne savent toujours pas si elles ont droit ou non à cette prime... Quant aux entreprises, elles espéraient que la numérisation permettrait de simplifier les appels d’offres, qui sont pour elles très coûteux. Elles escomptaient notamment que la totalité des documents requis ne seraient demandés qu’une fois l’entreprise retenue plutôt qu’au moment de l’examen des dossiers. Cette simplification est en partie mise en œuvre, puisqu’il est possible de répondre à un appel d’offres par voie numérique, mais les collectivités, qui ne veulent pas les imprimer elles-mêmes, demandent tout de même aux entreprises de leur envoyer un exemplaire papier des différents documents. Reconnaissons que, dans ce cas, la simplification n’est pas évidente… S’agissant des particuliers, en revanche, les documents n’ont pas été simplifiés. Manifestement, ils n’ont pas été conçus en tenant compte de l’avis de l’utilisateur.

Enfin, nos rapporteurs n’ont pas du tout abordé la question des évaluations réclamées par l’État et que je juge pour ma part excessives. Ainsi m’a-t-on signalé que, dans le rectorat dont relève ma circonscription, cinq personnes sont occupées à temps plein à dépouiller les enquêtes réalisées dans les établissements scolaires. À quoi servent ces enquêtes ? Qui les lit ? Ces évaluations ne mériteraient-elles pas d’être simplifiées ? À ce propos, on m’a rapporté qu’une Agence régionale de santé (ARS) avait demandé à un organisme de détailler dans son dossier de financement le temps que passent les agents d’accueil à répondre à chacune des personnes qu’ils reçoivent. Le numérique permet, certes, de répondre à une telle question, mais c’est d’une telle complexité que je me demande si, parfois, il ne contribue pas à compliquer énormément les choses.

En tout état de cause, j’apprécie beaucoup ce rapport ainsi que les préconisations qu’il contient, et j’espère qu’elles seront suivies.

M. Guillaume Chevrollier. Je remercie les rapporteurs pour ce très bon rapport d’information sur l’évaluation de la modernisation numérique de l’État. Je souhaite leur poser trois questions.

Premièrement, ils évoquent souvent, dans leur rapport, la dématérialisation mais aussi la désintermédiation et la déshumanisation des relations entre l’État et les usagers. La médiation numérique peut pallier cet inconvénient. Mais comment évaluer, dans ce domaine l’impact, de la numérisation, qui inquiète beaucoup les personnes âgées et les personnes isolées ?

Deuxièmement, quelle évaluation précise peut-on faire des économies que permet de réaliser la modernisation numérique de l’État ? C’est un élément important, si l’on veut donner du sens à cette transformation, dans une période où il est nécessaire de diminuer la dépense publique.

Troisièmement, si l’on veut que nos concitoyens aient confiance en l’État numérique, nous devons pouvoir leur garantir que le système est sécurisé et fiable. Se pose donc la question de l’évaluation de la sécurité et du contrôle politique de cette sécurité.

M. Jean-Yves Caullet. Je tiens à remercier à mon tour nos rapporteurs pour ce rapport, qui contient une véritable évaluation et ouvre des pistes de progrès. Néanmoins, il laisse en suspens un certain nombre de questions.

En ce qui concerne la sécurité, ma préoccupation porte surtout sur la sécurité publique : comment peut-on se garantir contre l’usage d’identités virtuelles et de nouvelles menaces, par exemple ? De même, je souhaiterais savoir comment l’ensemble de ces services fonctionneraient en mode dégradé : imagine-t-on notre État numérisé confronté à une panne ? Comment la société supporterait-elle ce type de déflagration ?

Par ailleurs, je rejoins les préoccupations qui ont été exprimées au sujet des compétences de l’État. Pour développer le numérique, il faut couvrir le territoire. Or, les collectivités locales font face à une offre technique qu’elles ne maîtrisent pas, et elles ne peuvent pas s’en remettre à un tiers de confiance. Telle collectivité va faire ceci, l’autre fera cela, sans se soucier de la compatibilité des systèmes adoptés. Dès lors, n’est-il pas indispensable de veiller à conserver un tiers de référence technique pour les acteurs qui souhaitent participer à la couverture du territoire ? Cela vaut également pour les choix de logiciels des collectivités, qui peuvent être différents au sein d’une même communauté de communes, par exemple.

J’ai également une crainte : lorsque la présence physique disparaît au profit du virtuel, les choses vous échappent et, ne sachant pas qu’elles existent, vous ne les contrôlez pas.

En ce qui concerne les procédures, nos rapporteurs ont évoqué les usagers dans leur ensemble, professionnels et particuliers. Or, leurs situations respectives sont très différentes. Le professionnel est dans une situation analogue à celle de l’administration, qui traite de nombreux dossiers identiques : il est amené à suivre plusieurs fois les mêmes procédures. Le particulier, quant à lui, ne passera qu’une fois le permis de conduire et il déposera peut-être trois permis de construire au cours de sa vie. Pour lui, tout est nouveau : il n’a pas d’habitudes dans ce domaine. Il faut donc que la procédure revête un aspect relativement uniforme pour éviter qu’il ne soit dérouté à chaque fois qu’il a une démarche à faire. J’ajoute à ce propos que ce n’est pas parce que l’on peut modifier facilement, même pour l’améliorer, l’interface numérique d’une procédure qu’il faut en changer sans cesse, car c’est très déroutant pour les particuliers. Prenons garde que le gain de temps permis par la numérisation ne soit pas investi dans une inflation de changements.

S’agissant du tiers de confiance, le président-directeur-général de La Poste rappelait récemment que celle-ci vérifie des identités et des adresses, ce qui lui donne la capacité de concevoir la mission de tiers de confiance. Sera-ce gratuit ou payant ? Toutes ces formalités sont ennuyeuses ; ceux qui en ont les moyens paient de petites mains qui s’en acquittent à leur place. Mais, ce qui est bon pour les riches n’étant que rarement mauvais pour les moins riches, ces tiers de confiance devraient être également des tiers de compétence et il serait bon qu’ils soient accessibles à tout un chacun. Se pose alors, cependant, outre la question du coût, celle de la responsabilité : qui est responsable si ce tiers commet une erreur en remplissant une déclaration d’impôt, par exemple ?

Enfin, cela a été dit, avec le numérique, les usagers attendent une réponse rapide et, lorsque celle-ci leur parvient, il est fort possible qu’ils ne la voient pas, compte tenu du flot d’informations qui circule dans sa boîte e-mail.

En conclusion, vous l’aurez compris, je ne suis pas un fanatique du numérique par principe. Lorsque l’information circule à la vitesse de la lumière, il lui arrive ce qui arrive à la masse : elle disparaît. Or on constate aujourd’hui, dans les mobilisations citoyennes, la force que confère au slogan sa simplicité, sur des sujets complexes. Il nous faut donc nous astreindre à une certaine ascèse, sous peine de nous faire déborder par un simplisme brutal. J’ajoute que, dans la société numérique, on reste seul chez soi, à communiquer avec des personnes qu’on ne voit jamais. Cela peut poser problème, à la longue…

M. Régis Juanico. Le rapport de nos collègues démontre que la transformation numérique des services publics peut être une opportunité, mais à certaines conditions. Elle doit notamment se traduire pour les usagers, particuliers ou entreprises, par une simplification et une meilleure utilisation des moyens humains. Mais une autre catégorie d’usagers est concernée, celle des acteurs associatifs, que je connais bien en tant que rapporteur spécial des crédits de la jeunesse et des sports. Les enjeux sont en effet très importants, dans ce secteur : notre pays compte plus d’un million d’associations et plus de 16 millions de bénévoles. On imagine, dès lors, le nombre des dossiers de subvention adressés chaque année aux collectivités territoriales ou à l’État.

Ainsi, le Centre national du développement du sport (CNDS), qui finance le fonctionnement d’un certain nombre de clubs sportifs, verse 25 000 à 30 000 subventions par an. L’instruction des dossiers mobilise 250 emplois à temps plein au ministère de la jeunesse et des sports, et l’on peut penser que les bénévoles des clubs sportifs y consacrent également des milliers d’heures, au détriment de leur activité associative sur le terrain. Des dossiers uniques pour les collectivités et l’État devraient, je l’espère, être bientôt mis en place. L’enjeu est crucial, car cela permettrait de libérer du temps, et pour les fonctionnaires et pour les bénévoles.

Par ailleurs, on assiste au « tout dématérialisation » dans un certain nombre de services publics : Pôle emploi, CAF, préfectures… Comment concilier concrètement l’accueil physique des usagers avec le développement du numérique dans ces administrations ? Avez-vous repéré, dans ce domaine, de bonnes pratiques qui permettent de ne pas mettre à l’écart certaines populations ?

Mme Monique Rabin. En préambule, je veux saluer les progrès importants qui ont été réalisés, au cours de cette législature, en matière de simplification et de modernisation, grâce à l’action du SGMAP et de Thierry Mandon. Le programme « Dites-le nous une fois » en est un exemple. Toutefois, si nous voulons réussir la modernisation numérique de l’État et faire progresser l’ensemble de la société, il nous faut absolument résoudre le problème de la couverture numérique du territoire et celui de l’accompagnement humain.

On parle beaucoup de déserts médicaux ou de la disparition des services publics dans le secteur rural. Il me paraîtrait intéressant, dans ce contexte, de créer des maisons de service public virtuelles, telles que celle que j’ai essayé de mettre en place en tant qu’élue locale. Ainsi les usagers pourraient rencontrer, par écran interposé, un agent de Pôle emploi, de la préfecture ou du Crédit agricole. De telles structures nécessitent l’établissement d’un véritable partenariat entre l’État, les collectivités locales, le secteur privé, voire le secteur médical. J’ai en effet visité récemment une maison de retraite très innovante qui a créé un service de télémédecine qui évite aux personnes de se déplacer, notamment la nuit.

Enfin, je veux insister sur deux points. Tout d’abord, la modernisation ne pourra se faire si elle n’est pas perçue positivement par nos concitoyens. Or, le mouvement Emmaüs, dont je suis assez proche, appelle notre attention sur la fracture croissante entre les plus précaires et les autres. Ce serait donc une bonne chose que des moyens publics soient alloués à ces communautés pour les aider à partager le savoir et à accompagner les personnes en situation précaire. Ensuite, et je me tourne vers le président de l’Assemblée nationale, je m’interroge sur la situation de la démocratie face à l’inondation numérique que nous subissons. En tant que parlementaire, pour éviter de me retrouver, chaque dimanche soir, avec 1 000 mails en attente de réponse, je suis obligée d’employer une collaboratrice à temps plein pour s’en occuper. Mais, si elle doit s’absenter, il m’arrive de passer à côté d’éléments très importants. Il s’agit donc d’un véritable problème démocratique, qui touche du reste à différents domaines, y compris au lobbying. Faisons donc attention à l’utilisation abusive du numérique ! L’Assemblée nationale gagnerait à se poser les bonnes questions en la matière, car, lorsque je compare la situation actuelle à celle qui prévalait il y a quinze ans, j’ai le sentiment – c’est triste à dire – que la démocratie était paradoxalement plus vivante sans le numérique.

M. Pierre Morange. Je veux tout d’abord saluer le beau travail effectué par les rapporteurs. Je ferai trois remarques. Tout d’abord, Régis Juanico a évoqué le rapport que nous avions rédigé sur le financement du monde associatif et ses relations avec les collectivités. Ce secteur représente tout de même quelque 60 milliards d’euros, dont la moitié de fonds publics. La création du dossier partagé unique auquel il a fait allusion est donc un véritable enjeu.

Ensuite, la MECSS, dont je suis co-président, s’est particulièrement intéressée au numérique, notamment dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale. Cette lutte est en effet facilitée par l’interconnexion des fichiers assurantiels, qui permettent, croisés avec ceux du fisc, de mettre en évidence toute une série de détournements de fonds publics au détriment des populations en situation de précarité. Ce dispositif a permis de contrôler notamment l’éligibilité aux droits. Le partage de l’information améliorera l’efficience du contrôle de la bonne utilisation des moyens financiers au service de la population.

Enfin, je suis rapporteur d’une mission de la MECSS sur le Big data dans le domaine des données de santé de l’assurance maladie, dont la base de données est la plus importante d’Europe et l’une des plus importantes au monde. Le nombre de ces données sera multiplié par cinquante grâce aux différents objets connectés. Mais il faut assurer la sécurité et préserver la confidentialité de ces données, qui constituent un enjeu stratégique. Si elles peuvent faire l’objet d’une marchandisation, elles peuvent aussi représenter une opportunité pour la stratégie nationale en matière de santé. Aussi faut-il garantir la sécurisation de ces données et classifier les opérateurs d’importance vitale, qui gèrent les intérêts de la nation et de la population. Je tenais à souligner le caractère essentiel et éminemment sensible de cette question à court, moyen et long terme.

M. le président Claude Bartolone. Il est intéressant qu’avec ce rapport, nous nous positionnions en amont, car n’oublions pas que les générations futures seront formées dès le plus jeune âge aux technologies numériques, lesquelles auront une importance croissante. Les questions de sécurité et d’aménagement des services publics se poseront au fur et à mesure que se développeront les demandes adressées à l’État. Je ne veux pas généraliser, mais si je devais revenir à la version papier de ma déclaration d’impôt, ce serait un cauchemar ! C’est ainsi que l’on mesure la simplification qu’a permise la télédéclaration des revenus. Ce rapport arrive donc au bon moment, car cette évolution est de toute façon inéluctable. Au reste, la couverture des zones rurales bénéficiera de progrès considérables : on parle désormais de drones ou de ballons pour couvrir les zones grises.

Nous avons tout intérêt à identifier les enjeux pour l’État afin d’éviter les différentes fractures que cette évolution pourrait faire apparaître. Je me souviens, à ce propos, que, lorsque nous avons reçu, à l’Assemblée nationale, des représentants d’associations qui s’occupent des plus démunis, une mère de famille nous avait livré un témoignage édifiant. Alors qu’elle ne savait pas où sa famille dormirait la semaine suivante, elle avait été convoquée par le principal du collège de son fils, qui lui a reproché de ne pas disposer de connexion internet et de ne pas pouvoir être ainsi tenue au courant de la scolarité de son enfant... Encore une fois, cette évolution est inéluctable, mais on voit combien il est nécessaire d’identifier, comme l’ont fait les auteurs du rapport, les défis qui nous sont lancés.

M. Michel Piron, rapporteur. Le président Bartolone a dit l’essentiel. N’oublions pas qu’il ne s’agit que d’outils, de véhicules de communication, qui ne remplacent ni le contenu des services ni les fins que ces outils sont censés servir. Je reste convaincu que plus on a de pouvoirs et de possibilités, plus on doit être responsable et faire des choix de gouvernance et de maîtrise. Aussi serait-il très grave d’imaginer que l’ingénierie publique puisse renoncer à toute possibilité de réguler l’usage de ces outils. Car, comme tout outil, ils peuvent servir à la fois au meilleur et au pire, favoriser la communication ou la manipulation. Parce que l’outil est en soi ambivalent, l’intervention d’une puissance régulatrice est nécessaire.

J’ai été très sensible au caractère extrêmement concret des questions des uns et des autres. En entendant certains d’entre vous évoquer la nécessité d’une médiation, donc d’une présence physique, je pensais à Lévinas qui a tant réfléchi sur le visage. La réponse, au moins pour les plus fragiles, doit avoir un visage – l’application Facetime n’est pas inintéressante à cet égard. Là encore, la technique peut elle-même s’améliorer, se corriger.

Par ailleurs, on présuppose que l’outil simplifie. Or, il ne simplifie pas tout seul, au contraire : dès lors qu’il multiplie les possibilités, il peut favoriser la complexification ou le changement perpétuel qui, même si Hegel a dit que l’être était dans le mouvement, n’est pas ce qui simplifie le plus la vie de nos concitoyens. Je me souviens ainsi d’avoir entendu, lors d’un congrès de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) le témoignage d’un notaire qui se plaignait de devoir donner à l’acheteur d’un deux-pièces 400 pages de documents, ce qui nécessitait six mois de travail – 400 pages que, bien entendu, personne ne lira. On lui a alors répondu que la dématérialisation résoudrait le problème. Mais ce n’est pas parce que l’on dématérialisera ces 400 pages que leur contenu ne demeurera pas une source de contentieux et de complexité ! Il s’agit d’un enjeu majeur, car la numérisation peut favoriser un excès de créativité.

En ce qui concerne les économies permises par la transformation numérique de l’État, on nous a indiqué que la DGFiP avait supprimé 15 % d’ETP entre 2010 et 2015, mais la numérisation n’est pas seule raison de la diminution des dépenses de personnel. Disons-le clairement, ces nouvelles procédures induisent forcément des économies, mais celles-ci ne sont pas l’objectif principal de la réforme, qui doit surtout permettre de rendre le service d’une autre manière.

Par ailleurs, la sécurité est un sujet considérable : la question de la régulation est majeure. L’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) est parfaitement consciente que, sous cet aspect, le signe n’est pas le même pour le public et pour le privé. Cette transformation très rapide, profonde et inéluctable, soulève une véritable question : jusqu’où gardons-nous la maîtrise collective du bon usage de ces outils très inventifs ?

Mme Corinne Erhel, rapporteure. Face à la vague de la numérisation, si nous ne mettons pas en œuvre une politique d’accompagnement, avec un grand « P », si nous ne décidons pas de la surfer, nous serons engloutis, car l’ensemble des économies et des démocraties utilisent ces technologies que, par ailleurs, les plus jeunes maîtrisent parfaitement. Dès lors, les questions que nous devons nous poser, ce sont celle du sens que nous donnons à cette évolution et celle de la société dans laquelle nous souhaitons vivre.

Il est vrai que le numérique se caractérise par l’immédiateté. D’où les discussions que nous avons eues, et que nous aurons, sur le droit à la déconnexion, afin de limiter la confusion entre vie personnelle et vie professionnelle. Les agents de la fonction publique sont autant, voire davantage, soumis à cet impératif d’immédiateté. Ce sujet doit donc faire l’objet d’une réflexion globale.

Par ailleurs, le numérique affecte tous les secteurs d’activité mais à une vitesse variable. Le rapport Lemoine distingue trois cercles : le premier est composé des secteurs directement liés au numérique, tels que les télécoms ; le deuxième est composé des secteurs qui ont été les premiers à être affectés par cette évolution, c’est-à-dire les transports, l’hôtellerie, par exemple, et ainsi de suite. En tout état de cause, tous les secteurs sont aujourd’hui impactés et l’on voit bien que les fonctions qui le sont le plus sont celles de l’intermédiation. De fait, toutes les fonctions intermédiaires sont appelées soit à disparaître pour certaines, soit à se transformer, d’où la nécessité d’adapter les compétences afin que cette évolution permette d’offrir des opportunités aux agents. Il nous faut anticiper et penser ce changement. L’intermédiation est très affectée actuellement dans le secteur de l’assurance et de la banque, où ces fonctions disparaissent. Mais la même question se pose dans la fonction publique ; nous devons donc absolument y réfléchir.

En ce qui concerne la déshumanisation, j’estime que si le numérique peut apporter un « plus » dans l’aménagement du territoire, il n’implique en aucun cas une disparition de l’humain. Au cours de nos auditions, nous avons recueilli le témoignage d’agents de préfecture qui nous ont indiqué que, dans certaines d’entre elles, vous n’avez pas d’autre possibilité que de remplir vos formalités sur une borne, sans bénéficier d’un accompagnement humain. Or, l’usager peut souffrir d’un handicap, être illettré ou ne pas parler le français, par exemple. Une présence humaine est donc nécessaire. L’aménagement du territoire, je le répète, peut bénéficier de la numérisation, mais il convient de repenser le rôle de chacun. À cet égard, La Poste a un rôle à jouer et elle souhaite le jouer – puisqu’elle est en pleine transformation numérique – en tant que tiers de confiance. Il est vrai cependant que cela soulève la question de la responsabilité du tiers qui aura commis une erreur en remplissant une déclaration de revenu, par exemple. Nous devons réfléchir à l’ensemble de ces questions.

En matière de santé, nous avons probablement pris du retard. En France, nous avons des acteurs très performants dans le domaine du Big data et dans celui de l’intelligence artificielle, de sorte que nous pouvons créer des filières également très performantes, susceptibles d’apporter un service supplémentaire aux citoyens en matière de prévention. Mais il faut mener une réflexion approfondie sur la sécurité des données, sans oublier la question des déserts médicaux. Nous devons avancer un peu plus vite, avec les précautions nécessaires. En tout état de cause, il s’agit selon moi d’un sujet essentiel.

Nous avons devant nous un vaste chantier, passionnant. Mais il nous faut prendre garde à ne pas subir la technologie ; nous devons y réfléchir et anticiper les évolutions qu’elle induit.

M. le président Claude Bartolone. C’est en effet toute la question. Merci à nos rapporteurs pour la qualité de leur travail.

S’il n’y a pas d’objection, je vous propose, mes chers collègues, d’autoriser la publication du rapport... Il en est ainsi décidé.

Le Comité autorise la publication du présent rapport.

ANNEXE N° 1 :
Personnes entendues par les rapporteurs

1. Auditions :

– Mme Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) (1er mars 2016) ;

– M. Denis Robin, secrétaire général du ministère de l’Intérieur (2 mars 2016) ;

– M. Laurent de Jekhowsky, secrétaire général des ministères économiques et financiers, et M. Jean-Baptiste Le Brun, délégué aux systèmes d'information (2 mars 2016) ;

– M. Pascal Otheguy, directeur de cabinet du secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, et M. Boris Jamet-Fournier, conseiller numérique et gouvernement ouvert (10 mars 2016) ;

– Visioconférence avec M. Bertrand Langlet, directeur général des services de la ville d’Orléans et de la communauté d’agglomération Orléans-Val de Loire, et M. Jean-Philippe Cornerotte, directeur général des services de la ville d’Olivet (10 mars 2016).

2. Tables rondes :

• Modernisation numérique de l’État au service des entreprises : « comment développer l’offre de services publics numériques à l’attention des entreprises ? » (11 février 2016)

– M. Frédéric Grivot, vice-président de la CGPME, accompagné de Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe ;

– M. Christophe Lerebour, membre du bureau de la chambre d’agriculture d’Île-de-France ;

– M. Laurent Munerot, président de la Chambre de métiers et de l’artisanat d’Île-de-France, accompagné de M. Jean-Charles Rosier, chargé de mission au département des relations institutionnelles ;

– M. Jean Saphores, vice-président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables, chargé du secteur de l’innovation au service des cabinets ;

– Mme Catherine Lemesle, chargée des projets liés à la fiscalité des professionnels à Cap Numérique, direction générale des finances publiques ;

– M. Philippe Walter, directeur Développement et innovation de Microsoft France, pilote de la task force Numérique et transformation de la sphère publique du MEDEF, accompagné de M. Jules Guillaud, chargé de mission à la direction des affaires publiques.

• Gouvernance de la modernisation numérique de l’État : « comment dépasser l’ingénierie institutionnelle inutile ? » (18 février 2016) :

– M. Laurent Hottiaux, directeur des systèmes d’information et de communication au secrétariat général du ministère de l’Intérieur ;

– M. Jean-Baptiste Le Brun, délégué aux systèmes d’informations au secrétariat général des ministères économiques et financiers ;

– M. Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ;

– M. Xavier Brunetière, directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) ;

– M. Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC), administrateur général des données au Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP).

• Les services publics numériques comme levier de modernisation de l’État : « quelle conduite du changement au sein de l’administration dans la perspective de la généralisation des téléprocédures ? » (18 février 2016) :

– M. Xavier Albouy, chargé de mission auprès du directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État, et Mme Virginie Madelin, directrice interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques de l’État au Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) ;

– M. Thierry Courtine, délégué à la modernisation au secrétariat général des ministères économiques et financiers ;

– M. Jean-Baptiste Le Brun, délégué aux systèmes d’informations au secrétariat général des ministères économiques et financiers.

3. Déplacements :

• à Nantes (2 avril 2015) :

– Mme Sandrine Godfroid, secrétaire générale pour les affaires régionales ; Mme Koulm Dubus, chargée de mission pour les politiques territoriales, l’aménagement numérique, la politique de la ville, le logement et la coopération décentralisée ;

– M. Jean-Christophe Bertrand, directeur départemental de la sécurité publique, et M. Yves Costard, commandant de police (EF), chef de service ;

– M. Éric Dupont-Dutilloy, directeur interrégional des douanes ; Mme Karine Treille, adjointe au directeur régional des douanes des Pays de la Loire et chef du pôle d’action économique ;

– Mme Arlette Huiban, responsable du service vie des assemblées de la Ville de Nantes ; Mme Christine Corbou, directrice du centre des services partagés de Nantes Métropole/Ville de Nantes ; Mme Géraldine Sourisseau, directrice de l’Organisation et de la collaboration de Nantes Métropole/Ville de Nantes ; M. Christophe Forney, direction des assemblées et des moyens généraux du conseil régional des Pays de la Loire ;

– M. Philippe Lesné, délégué général du MEDEF des Pays de la Loire ; Mme Anne Blanche, vice-présidente du MEDEF de Loire-Atlantique.

• à Rennes (4 mai 2015) :

Préfecture de région :

– à la direction de la réglementation et des libertés publiques, Mme Jocelyne Le Fol, cheffe du bureau de la circulation routière ; M. Bruno Cheftel, bureau du séjour et de l’éloignement des étrangers ; Mme Marie-Françoise Le Paulic, bureau de l’administration générale et de l’utilité publique (élections et associations) ; M. Sébastien Lemercier, bureau de l’état civil ;

– à la direction des collectivités locales, M. Bernard Mariotto, directeur ; M. Joseph Bellamy, chef du bureau du contrôle de légalité de l’urbanisme ; Mme Sylvie Bourcier, bureau du contrôle de légalité et de l’intercommunalité ; Mme Françoise Audas, bureau des finances locales, du contrôle budgétaire et des affaires sociales ;

– M. Bertrand Le Dû, chef de la plate-forme Chorus ;

– M. Jean-Michel Conan, chargé de mission, et M. Patrice Calvez-Normand, référent qualité à la cellule régionale de pilotage de la performance.

Direction régionale des finances publiques :

– M. RémiVienot, directeur du pôle gestion publique ;

– M. Philippe Le Dû, directeur du pôle gestion fiscale ;

– M. Pascal Julou, inspecteur divisionnaire, responsable du Service des impôts des entreprises de Rennes Ouest ;

– M. Alain Demenge, inspecteur divisionnaire, responsable du Service des impôts des entreprises de Vitré ;

– M. Joël Lecourt, inspecteur divisionnaire, responsable du Service des impôts des particuliers de Fougères ;

– Mme Martine Creac’h, inspecteur divisionnaire, responsable du Service des impôts des particuliers de Rennes Est ;

– M. Pierrick Armand, inspecteur divisionnaire, responsable de la trésorerie de Bain de Bretagne ;

– M. Jean-Michel Marme, responsable de la trésorerie du contrôle automatisé ;

– M. Jean-Damien Pécot, chef de cabinet du directeur régional.

Représentants syndicaux des agents de la préfecture et de la DGFiP :

– MM. Éric Baillon et Pierryck Loncle, CFDT 35 DGFiP ;

– M. Christian Le Tallec, CFDT 56 DGFiP ;

– M. Alain Gueguen, CFDT 35 Préfecture ;

– M. Gilles Ramond, CGC 35 DGFiP ;

– Mmes Angely Virginius, Christine Forquignon et Josiane Torillec, FO 35 Préfecture ;

– Mmes Catherine Le Guennec, Florence Ruiz et M. Amaury Batard, FO 35 DGFiP.

Représentants des professionnels usagers des téléprocédures :

– M. Didier Desfoux, membre élu de la Chambre de métiers et de l’artisanat d’Ille et Vilaine et M. Philippe Closier, directeur du service économique et du Centre de formalités des entreprises (CFE) ;

– M. Ali Oughebbi, directeur du pôle Prospective et intelligence économique auquel est rattaché le CFE, et Mme Armelle Tréguer, responsable du service Infoplus-CFE – Chambre de commerce et d’industrie de Rennes.

Association de particuliers usagers des téléprocédures :

– M. Philippe Morin, APASE (association pour l’action sociale et éducative en Ille et Vilaine), directeur de l’antenne rennaise protection juridique.

ANNEXE N° 2 :
Réponses au questionnaire adressé au secrétariat du Conseil
de planification des technologies de l’information allemand
(IT-Planungsrat)

1. Pouvez-vous procéder à une brève présentation du Conseil de planification des technologies de l’information, à la fois de manière générale et en présentant un ou deux exemples emblématiques de ses réalisations concrètes ?

Le Conseil de planification des technologies de l’information est le comité de pilotage politique de l’État fédéral, des Länder et des communes dans le domaine des technologies de l’information et de l’administration en ligne.

La mission du Conseil de planification des technologies de l’information découle de la Loi fondamentale : collaboration de l’État fédéral, des Länder et des communes dans le domaine des technologies de l’information et de l’administration en ligne dans le but de fournir des services électroniques axés sur les usagers et d’assurer un fonctionnement numérique économique, efficace et sûr de l’administration.

Selon l’accord fédéral relatif aux technologies de l’information, le conseil est notamment chargé de :

● coordonner la collaboration entre l’État fédéral et les Länder dans le domaine des technologies de l‘information ;

● choisir les standards d’interopérabilité et de sécurité qui ne dépendent pas d’une conférence de ministres spécialisés et ceux qui en dépendent ;

● piloter les projets d’administration en ligne ;

● planifier et développer le réseau de connexion Deutschland-Online Infrastruktur (DOI) conformément à la loi sur le réseau des technologies de l’information (IT-Netz-Gesetz).

Les membres du conseil de planification des technologies de l’information sont le commissaire parlementaire aux technologies de l’information, le secrétaire d’État à l’intérieur, M. Klaus Vitt et pour chaque Land un représentant chargé des technologies de l’information (en règle générale des secrétaires d’État).

Outre les membres, trois représentants des communes et communautés des communes, envoyés par les associations intercommunales au niveau fédéral et la commissaire fédérale pour la protection des données et la liberté de l’information participent à titre consultatif aux réunions du conseil.

Des représentants des conférences de ministres spécialisés et d’autres parties intéressées peuvent être consultés, si les décisions du conseil de planification concernent leur domaine. La présidence alterne annuellement entre l’État fédéral et les Länder. En 2016, la présidence est assurée par l’État fédéral.

cf. le site web www.IT-Planungsrat.de où l’on peut consulter le plan d’action actuel qui donne un aperçu des projets en cours et télécharger le fondement juridique du conseil de planification des technologies de l’information (accord fédéral sur les technologies de l’information).

2. Définiriez-vous ce conseil plutôt comme un organe de coordination ou également comme un lieu d’impulsion de nouveaux projets ?

Le conseil de planification des technologies de l’information procède par décision (contraignante pour tous les membres) ou par recommandation. En principe, les décisions sont prises à l’unanimité. Les décisions relatives aux standards d’interopérabilité et de sécurité des technologies de l’information lors du transfert des données entre administrations (§ 3 IT-Staatsvertrag) sont exceptionnellement soumises à un vote majoritaire qui, à chaque fois, nécessite l’approbation par l’État fédéral.

Le conseil de planification initie les projets en matière des technologies de l’information en décidant (à l’unanimité) de les intégrer dans son plan d’action annuel et en attribuant éventuellement une enveloppe budgétaire. Il se saisit régulièrement de la progression des projets et effectue ainsi un pilotage stratégique ou une coordination des projets. Le pilotage opérationnel d’un projet incombe au chef de file respectif, à savoir à l’État fédéral ou à un Land ou plusieurs Länder ou conjointement à l’État et un Land. Le secrétariat du conseil de planification effectue tous les six mois un contrôle de gestion du projet ou monitorage du projet. Le plan d’action 2016 renseigne sur la multitude des projets en cours. Pour un aperçu des réalisations achevées, rendez-vous sur : http://www.it-planungsrat .de/DE/Projekte/AbgeschlosseneProjekte/abgeschlosseneProjekte_node.html.

Dans le domaine de la standardisation des technologies de l’information, il adopte tous les ans un « agenda de standardisation ». Pour l’élaboration et le suivi de l’agenda de standardisation il consulte l’organisme de coordination pour les standards relatifs aux technologies de l’information (KoSIT - http://www.xoev.de/sixcms/detail.php?gsid=bremen02.c.730.de). Trois standards ont été adoptés jusqu’à présent.

Un aperçu des décisions (et recommandations) prises à ce jour par le conseil de planification des technologies de l’information et un champ de recherche pour lancer une recherche par mot-clé figure à l’adresse suivante : http://www.it-planungsrat.de/SiteGlobals/Forms/Suche/Entscheidungssuche _Formular.html?nn=6843666.

3. L’IT-Planungsrat a-t-il vocation à recueillir les doléances des parties prenantes, par exemple celles des Länder qui estimeraient que leurs préoccupations sont insuffisamment prises en compte ?

Le conseil de planification des technologies de l’information ne dispose pas d’un mécanisme de règlement des différends classique et ce n’est pas nécessaire du fait que toutes les décisions du conseil de planification sont en principe toujours prises à l’unanimité.

Il n’existe pas non plus de mécanisme de sanction qui s’appliquerait lorsque les collectivités (État fédéral, Länder) ne transposent pas les décisions du conseil de planification, car personne ne l’avait souhaité lors de la création du conseil de planification en tant qu’organe de pilotage fondamentalement politique.

Dans l’architecture fédérale des institutions il est difficile de concevoir comment un manque de participation des Länder dans le domaine des technologies de l’information administratives pourrait être reproché.

● Lorsque le processus législatif fédéral concerne les compétences des Länder – y compris en matière de technologies de l’information – l’État fédéral fait participer les Länder. De même, le Bundesrat en tant que « chambre des Länder » est associé au processus législatif. Ainsi les préoccupations des Länder sont prises en compte. Le conseil de planification des technologies de l’information n’a pas de pouvoir législatif propre.

● L’exécutif de l’État fédéral et les exécutifs des Länder s’informent mutuellement et coordonnent leurs actions au sein du conseil de planification et des conférences de ministres spécialisés. Au sein de ces conférences, l’État fédéral a seulement le droit de participer et de présenter des rapports, mais n’a pas le droit de vote, contrairement à ce qui se passe au conseil de planification. Les préoccupations relatives aux technologies de l’information dans les administrations de l’État fédéral et des Länder sont un sujet transversal dans toutes les conférences de ministres spécialisés, mais sont prioritairement traitées par la conférence des ministres de l’Intérieur qui est chargée de l’organisation administrative. Le conseil de planification des technologies de l’information collabore avec les conférences de ministres spécialisés. Il rapporte également à la conférence du chef de la chancellerie avec les chefs de cabinet des Länder.

● Les préoccupations relatives aux technologies de l’information dans l’administration de la justice ne font pas partie des attributions du conseil de planification des technologies de l’information. Les ministres de la Justice ont créé leur propre organe politique au niveau des secrétaires d’État – dénommé conseil e-Justice. Le conseil de planification des technologies de l’information est en train de renforcer sa collaboration avec le conseil e-Justice.

4. À quel niveau et selon quelles modalités s’opèrent la programmation et le suivi des moyens humains, matériels et budgétaires consacrés aux services publics numériques en Allemagne ?

Les technologies de l’information en tant qu’instrument d’organisation des services publics relèvent de la souveraineté administrative de l’État fédéral, des Länder et des communes. En conséquence, les collectivités, l’État fédéral et les Länder décident de manière autonome, mais en accord avec leurs parlements, quelle stratégie de numérisation ou de pilotage des technologies de l’information, quelle programmation inhérente et quelle affectation de moyens humains, matériels et financiers dans le domaine de l’administration électronique ils vont adopter.

Comme l’État fédéral, qui s’est doté d’un Agenda numérique (stratégie de numérisation pour l’État, l’administration, l’économie et la société) et d’un concept de pilotage des technologies de l’information au niveau fédéral, de nombreux Länder disposent aujourd’hui de stratégies numériques et/ou de concepts de pilotage des technologies de l’information qui s’en détachent, mais qui peuvent se ressembler ou concorder. De plus, en 2013 l’État fédéral a adopté une loi sur l’e-gouvernement qui définit le cadre juridique de la numérisation de son administration. La plupart des Länder prévoient pour leurs administrations des lois sur l’e-gouvernement sur ce modèle ou ont déjà adopté des lois en ce sens.

Le budget des Länder – en dehors de leurs recettes propres – dépend à cet égard également de la péréquation financière entre l’État fédéral et les Länder, dans le cadre de laquelle une certaine redistribution entre les Länder mais aussi entre l’État fédéral et les Länder a lieu. Cela est vrai aussi pour les communes qui, en dehors de leurs recettes propres, dépendent des dotations budgétaires reçues des Länder et en partie de l’État fédéral.

Les stratégies et la programmation de l’État fédéral, des Länder et des communes doivent en outre tenir compte de la stratégie nationale d’e-gouvernement décidée à l’unanimité par le conseil de planification des technologies de l’information. Elle a été actualisée en 2015 et a été négociée avec tous les acteurs significatifs (également des conférences de ministres spécialisés) (cf. http://www.it-planungsrat.de/DE/NEGS/NEGS_node.html).

Des projets fédéraux relatifs aux technologies de l’information peuvent être mis en place à la suite d’une décision du conseil de planification. Ils sont en partie financés par des ressources budgétaires du conseil de planification, qui auparavant ont été versées conjointement par l’État fédéral et les Länder au budget du conseil de planification. Les ressources humaines nécessaires aux projets sont mises à disposition par les collectivités participantes (État fédéral, Länder, communes). Un plan d’action regroupe les projets du conseil de planification. Il est adopté annuellement, en même temps que le plan de financement du conseil de planification.

5. Comment les préoccupations des usagers sont-elles connues et prises en compte ?

Axer les projets d’e-gouvernement sur les préoccupations des usagers, tel est le principe directeur de l’e-gouvernement allemand. Ce principe directeur d’approche axée sur les usagers figure par conséquent dans de nombreux documents de stratégie sur la numérisation, notamment dans la stratégie nationale d’e-gouvernement du conseil de planification des technologies de l’information et aussi dans le guide sur l’e-gouvernement édité par le conseil de planification et le conseil de contrôle des normes (Normenkontrollrat) en vue d’une législation cohérente sur l’e-gouvernement.

D’un point de vue opérationnel, cette adaptation aux besoins des usagers dans les projets d’e-gouvernement est mise en œuvre par la collectivité dans laquelle le projet est conduit, à savoir par l’État fédéral et/ou un ou plusieurs Länder ou communes. La condition préalable à la réalisation d’un projet relatif aux technologies de l’information est l’évaluation (positive) de son efficacité économique. Les critères qualitatifs et stratégiques évalués lors d’une procédure relative à l’e-gouvernement concernent également le bénéfice escompté pour les destinataires (particuliers, entreprises, administration).

Les préoccupations et intérêts des usagers sont évalués de différentes manières :

Les particuliers et les entreprises sont sondés à différents niveaux administratifs. Au niveau fédéral, l’Office fédéral de statistique a effectué en 2015, à la demande de la Chancellerie, un sondage auprès des usagers pour savoir si leur contact avec l’administration, également par voie électronique, avait été satisfaisant (https://www.destatis.de/DE/PresseService/Presse/Pressekonferenzen/ 2015/zufriedenheitsbefragung/zufriedenheitsbefragung_pk.html).

De plus, on analyse les résultats de différentes études, analyses de tendances et sondages, par exemple l’e-Government Monitor (http://www.egovernment-monitor.de/startseite.html) ou la ÖFIT-Trendschau (http://www.oeffentliche-it.de/trends-oeffentlicher-it).

Des expériences tirées des modèles de meilleures pratiques du conseil de planification des technologies de l’information sont régulièrement reprises dans d’autres projets du conseil de planification. Ainsi, pour déterminer quelles prestations de service sont à numériser prioritairement, on se fonde sur les prestations les plus demandées au numéro 115 qui est un numéro administratif transversal (« connexion-115 ») regroupant tous les niveaux administratifs.

Au regard d’une évaluation des meilleures pratiques, les méthodes à succès en matière de e-business font également l’objet d’analyses comparatives.

6. Des mesures sont-elles envisagées pour que les usagers aient effectivement recours à la carte d’identité électronique pour leurs démarches administratives ? ou bien le projet de portail personnalisé a-t-il vocation à pallier le manque de recours à la carte d’identité électronique ?

De nombreuses mesures censées favoriser l’accès à l’administration via la fonction d’identification électronique de la carte d’identité (fonction eID) sont prévues ou en cours de réalisation. La loi fédérale sur l’e-gouvernement prévoit que l’administration fédérale doit autoriser l’utilisation de la fonction eID pour identifier une personne ou pour remplacer la forme écrite. De plus, tout est mis en œuvre pour établir la fonction eID comme élément d’identification à haut niveau de confiance dans le plus grand nombre de procédures attractives relatives à l’e-gouvernement. Il est prévu de faire notifier la fonction eID de la carte d’identité à la Commission européenne selon le règlement eIDAS au cours de l’année 2016. La solution eID de la carte d’identité allemande répond aux exigences du règlement eIDAS de l’UE.

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES À L’ÉVALUATION DE LA MODERNISATION NUMÉRIQUE DE L’ÉTAT

Cette contribution peut être consultée à l’adresse suivante :
http://www.assem
blee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i3721.pdf

1 () La liste en figure en annexe n° 1.

2 () Issu du décret n° 2015-1165 du 21 septembre 2015 relatif au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.

3 () Voir aussi Corinne Erhel et Laure de La Raudière, Rapport d’information sur le développement de l’économie numérique française, doc. AN n° 1936, mai 2014.

4 () Avis de Mme Corinne Erhel, doc. AN n° 3391 (XIVe législature), 13 janvier 2016.

5 () Loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un médiateur.

6 () Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.

7 () Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

8 () Échantillon de 1 012 personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus et de 600 entreprises du secteur privé.

9 () Ce texte, à l’initiative d’Emmaüs Connect, est cosigné par un regroupement inédit d’une vingtaine de structures et personnalités, associations de solidarité, entreprises et entrepreneurs du Web : Gilles Babinet (entrepreneur du numérique), Catherine Barbaroux (Association pour le droit à l’initiative économique/Adie), Anne Charpy (Voisin Malin), Familles Rurales, Patrick Ferraris (Capgemini Consulting France), Fondation SFR, Louis Gallois (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale/FNARS), Marie-Thérèse Geffroy (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme/Anlci), Google France, Thierry Kuhn (Emmaüs France), Le Groupe La Poste, Bernard Le Masson (Fondation Accenture), Philippe Lemoine (Fondation Internet nouvelle génération/Fing et Debout), Mounir Mahjoubi (Conseil national du numérique), Guy Mamou-Mani (Syntec numérique), Olivier Mathiot (PriceMinister), Benoit Menard (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux/Uniopss), Kevin Polizzi (Jaguar Network), Secours catholique, Stéphane Soto (Aix-Marseille French Tech), François Soulage (Collectif Alerte), Benoît Thieulin (Agence d’innovation La Netscouade), Léa Thomassin et Ismaël Le Mouël (HelloAsso et Social Good Week), Patrick Weil (Bibliothèques sans frontières).

10 () Décret n° 2009-546 du 14 mai 2009 pris en application de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et créant un référentiel d'accessibilité des services de communication publique en ligne.

11 () Selon la définition que donne Wikipédia de ce mot-valise, il s’agit d’un événement où des développeurs se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative, sur un ou plusieurs jours.

12 () FranceConnect est un dispositif numérique d’authentification garantissant l’identité d’un utilisateur aux sites ou applications utilisatrices en s’appuyant sur des comptes existants pour lesquels son identité a déjà été vérifiée. Ce nouveau dispositif permet notamment d’accéder aux sites et services publics numériques ayant intégré ce dispositif sans devoir créer de nouveau compte. Ce dispositif d’authentification unique se substitue à la fédération de comptes qui était jusqu’ici proposée par mon.service-public.fr et ses partenaires. Pour les usagers qui disposent de liaisons de comptes sur mon.service-public.fr, ces dernières resteront valides jusqu’au 30 juin 2016.

13 () Voir les réponses détaillées en annexe 2.

14 () Échange de formulaires informatisé.

15 () Règlement UE 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur. e-IDAS est l’acronyme de electronic identification and signature.

16 () Cour des comptes, Relations aux usagers et modernisation de l’État, p. 125.

17 () L’arrêté relatif à l’approbation des cahiers des charges de ces deux appels à projets a été publié au Journal officiel du 7 avril 2016.

18 () Auquel renvoient respectivement, pour les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, le 8° de l’article 51 de la LOLF et le 10° du III de l’article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale.

19 () Aurélien Colson, chef du groupe de projet Ariane, La conduite du changement au sein du secteur public : une contribution pour l’action, Cahier du Plan n° 13, septembre 2005.

20 () Ces projets portent notamment sur l’archivage numérique, l’ouverture de données publiques, les échanges de données entre administrations.

21 () En application de l’article 3 du décret n° 2014-879 du 1er août 2014 relatif au système d’information et de communication de l’État et en pleine cohérence avec l’objectif volontariste d’optimisation des dépenses du système d’information de l’État assigné par le Premier ministre dans une circulaire n° 5764/SG du 20 janvier 2015.

22 () Avis n° 2015-01, p. 87.

23 () Cité in Florence Puybareau, « Cybersécurité : comment la France est passée à la vitesse supérieure », Acteurs publics n° 120, mars-avril 2016, p. 93.

24 () Par le décret n° 2009-834 du 7 juillet 2009, modifié par le décret n° 2011-170 du 11 février 2011.

25 () Séance du mercredi 6 avril 2016 ; réponse à M. Jacques Myard de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense.


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