Émile Ollivier (28 avril 1864)

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Émile Ollivier : « Aujourd’hui la loi des coalitions, demain celle des associations » (28 avril 1864)

Au cours des dix-huit ans de son règne, Napoléon III passe d’un conservatisme politique affirmé à un certain progressisme social ou d’un Empire autoritaire à un Empire plus libéral. La fin de la pénalisation de la grève en 1864 illustre cette évolution. Jusqu’alors, non seulement la grève était interdite mais aussi elle constituait un délit sanctionné pénalement.

En 1862, les meneurs d'une grève particulièrement dure dans le secteur de la typographie parisienne, qui s’opposaient à un recrutement massif de main-d’œuvre féminine mal payée, avaient été sévèrement condamnés. Napoléon III les gracie puis prend l'initiative d'un projet de loi ouvrant la voie au droit de grève et à sa dépénalisation.

Le 25 mai 1864, le Corps législatif adopte la loi dite « loi Émile Ollivier », du nom de son rapporteur, député républicain de la Seine. Cette loi autorise la « coalition des ouvriers », c’est-à-dire la grève  qui cesse d’être un délit sauf en cas de violence, de menaces ou d’atteintes à la liberté du travail

            

              

M. Ollivier, rapporteur : [...] Dans toute discussion de ce genre, l'esprit logi­que doit d'abord rechercher le principe, le dégager et le juger. Le principe dégagé et accepté, commence un autre examen important aussi, mais à un moindre degré, qui consiste à rechercher si la mise en œuvre, si les moyens d'exécution corres­pondent à la vérité du principe. Si le principe lui-même est repoussé, il est évident que ce second examen devient superflu. Je vais donc, messieurs, recher­cher quel est le principe de la loi, quelle en est la valeur, et s'il convient ou de l'admettre ou de la repousser. Vous avez entendu des discours très remarquables prononcés par des hommes compétents et convaincus, et dont les arguments assurément, méritent d'être pris en très sérieuse considération. Seulement, que les honorables membres auxquels je réponds me permettent de le leur dire, ils ont, dans leurs raisonnements, péché en général, non par inexactitude mais par omission. En présence d'une ques­tion qui avait deux aspects, ils en ont admirablement indiqué un ; ils en ont involontairement négligé un autre. Et cependant ce n'est que du rapproche­ment de ces deux aspects que peut résul­ter une conviction raisonnée. De telle sorte, messieurs, que mon rôle consis­tera moins à contredire qu'à compléter ; moins à détruire ce qui a été dit qu'à mettre à côté ce qui a été omis ; moins à discuter qu'à faire disparaître quelques ombres, et à ajouter un peu de lumière afin que la question apparaisse en son plein jour. L'honorable M. Seydoux a commencé sa puissante et vigoureuse argumentation en vous signalant une cir­constance qui, selon lui, doit produire sur vos esprits une influence décisive. Les lois sur les coalitions, vous a-t-il dit, ne sont pas récentes ; elles datent de la première révolution. Les gouvernements se sont succédé les uns aux autres, diffé­rents d'origines, de principes, de prati­ques, d'aspirations de durée ; tous ils se sont accordés à interdire les coalitions. N'y a-t-il pas dans ce fait historique un argument d'une incontestable puissance ? Que s'est-il donc produit de nouveau pour qu'on revienne sur une tradition qui s'accentue avec une telle énergie ? et pourquoi ne pas respecter le passé quand il se manifeste avec une unanimité telle qu'on doit y voir une preuve de la vérité ? Je n'affaiblis pas l'argument en le reproduisant. Je réponds à l'honorable M. Seydoux que depuis les temps aux­quels il a fait allusion se sont passés des faits très graves que je lui demande la permission d'indiquer. Le premier, c'est l'établissement du suffrage universel. Ce fait immense dont nous voyons tous les jours le déploiement ne peut être sans conséquences sur le régime industriel. Ceux qui jadis étaient réputés incapables de participer aux affaires publiques sont appelés aujourd'hui à les trancher. Or, ainsi que votre esprit judicieux l'a bien compris, refuser aux ouvriers le droit de se coaliser, cela équivaut à leur dire : « Ouvriers, vous êtes incapables ! Vous ne savez pas ! Votre esprit n'est pas suf­fisamment éclairé ! Remettre dans vos mains une arme pareille, c'est vous bles­ser plutôt que de vous aider ! » Ce lan­gage, je le comprenais avant 1848, avant le suffrage universel.

Aujourd'hui, il ne peut plus être qu'un souvenir évanoui. (Mouvement en sens divers.) Et en vérité il y aurait une contradiction singulière à reconnaître à des hommes la capacité de se prononcer sur les affaires les plus gra­ves de leur pays, et de les déclarer en même temps incapables de décider sur la question qui est leur affaire personnelle de tous les jours, sur celle qu'ils connais­sent plus que toutes les autres, et sur laquelle ils ont une compétence spéciale. (Interruption.)

Le second fait dont je vous signale l'influence, et qui, en modifiant la situa­tion, a permis une conduite nouvelle, c'est le traité de commerce. Le traité de commerce a produit un double résul­tat : en ouvrant notre marché, il a écarté le principal danger des coalitions. Dès que la France n'est pas close en quelque sorte, les grèves ne peuvent plus com­promettre la consommation, et ainsi disparaît l'un des plus sérieux périls de la liberté des coalitions.

M. Chevalier : C'est vrai ! c'est juste !

Un membre : Et les producteurs ?

M. le président de Morny : N'inter­rompez pas.

M. le rapporteur : [...] Le traité de commerce, ai-je dit, a fait disparaître un danger ; il a produit davantage, il a intro­duit dans l'industrie le principe de la liberté. Or, tout se tient ; il était assez logique, lorsqu'on déclarait l'industrie française incapable de stipuler seule avec les autres nations, lorsqu'on pensait qu'une main prévoyante devait interve­nir pour faciliter les conditions du com­bat et ménager les situations favorables, on comprend très bien que cette protec­tion en haut entraînât la protection à tous les degrés. Mais du jour que vous avez introduit la liberté comme règle des évolutions industrielles, du jour où vous avez cru que l'industrie française consi­dérée en masse, pouvait être livrée à ses propres inspirations, abandonnée à ses propres efforts et laissée maîtresse de choisir elle-même ses conditions de com­bat, ce jour-là vous avez, par une consé­quence inévitable, décrété en bas l'avè­nement de cette liberté que vous aviez accordée en haut. Enfin, messieurs, il s'est produit un troisième fait, un troi­sième fait ignoré de beaucoup, et qui est d'une gravité telle que vous me permet­trez d'y insister un instant. Vous savez, messieurs, que dans le monde politique, comme dans le monde moral, les événe­ments n'éclatent pas avec la rapidité de l'imprévu. Les choses grandes commen­cent par être petites, et ce n'est qu'à la suite d'un développement mystérieux, insaisissable pour qui n'observe pas avec une attention minutieuse, que se produi­sent ces explosions considérables d'idées ou de faits. Dans l'année 1862, il s'est passé un événement petit, inaperçu, du­quel, je n'hésite pas à le dire, il naîtra d'importantes conséquences. Une expo­sition universelle a eu lieu à Londres. Les ouvriers qui, jusque-là, étaient restés étrangers à ce mouvement, ont demandé à y participer. L'autorisation qu'ils sollicitaient leur a été accordée. Des réunions ont eu lieu avec un tel calme que personne ne les a soupçonnées. 100 000 ouvriers ont été mis en mouve­ment sans que l'ordre de la cité ait été compromis. Ces 100 000 ouvriers, sous l'œil de l'autorité qui avait donné l'auto­risation, ont nommé des délégués char­gés d'aller à l'exposition universelle se rendre compte de la situation de leur industrie, examiner les perfectionne­ments opérés et ceux qui étaient désira­bles. Ces délégués ont accompli leur mission. Les résultats en ont été consi­gnés dans un certain nombre de petits volumes qui circulent dans les mains de la population ouvrière, et dont l'étude certainement a une importance de pre­mier ordre. Eh bien ! savez-vous, mes­sieurs, quelle est la conclusion unanime écrite dans les cahiers de la classe ou­vrière, comme résultat de la comparai­son de l'ouvrier français et celle de l'ouvrier anglais ? Savez-vous ce qui s'y trouve à toutes les pages ? C'est que la situation de l'ouvrier anglais est meil­leure que celle de l'ouvrier français ; que son salaire est plus élevé, en général, de 25 %. (Interruption.)

Voix diverses : Voilà où il fallait arri­ver ! C'est une erreur ! La loi des pauvres !

M. Ollivier, rapporteur : De 25 % en moyenne, et que la vie matérielle n'est pas plus chère en Angleterre qu'en France. (Nouvelle interruption.)

M. Picard : C'est vrai !

Plusieurs voix : C'est une erreur !

M. Ollivier, rapporteur :[...] Et tous ces résultats merveilleux, les ouvriers anglais les doivent, toujours d'après les mêmes documents, à la faculté de débat­tre collectivement les salaires, et de cons­tituer des coalitions quand ils ne sont pas contents des offres qu'on leur fait. (Ru­meurs diverses.)

M. Granier de Cassagnac : Voilà la loi ! Il faut obtenir ces 25 % !

M. Ollivier, rapporteur : Il y a, mes­sieurs, dans cette conviction qu'une com­paraison plus ou moins bien faite a ins­pirée à nos ouvriers, une circonstance bien grave et qui rend vain l'argument tiré de leur incapacité. Je ne crois pas qu'il soit sage de résister à un désir manifesté avec une telle force, avec une telle unanimité, avec une telle persistance par une masse dont la conviction est que l'amélioration de son sort dépend d'une solution favora­ble de la question des coalitions. Le gou­vernement, selon moi, a bien fait de se préoccuper des trois grands faits que je viens de rappeler, et de conclure de leur étude qu'il convenait de réformer une législation surannée. [...]

Il y a dans le monde économique deux lois principales dont on ne peut pas contester la fatalité bienfaisante et contre lesquelles s'élèvent toutes les objections dirigées contre les coalitions. Ces deux lois sont celles de la concur­rence et celle de la substitution tous les jours plus générale des machines au travail de l'homme. Eh bien ! Écoutez l'ouvrier peu instruit, lisez les livres d'une certaine catégorie d'économistes, vous retrouverez tous les raisonne­ments de l'honorable M. Seydoux et de l'honorable M. Kolb-Bernard contre les coalitions. Comme ils l'ont fait eux-mêmes, on vous montrera le pauvre ouvrier isolé en la présence de la puissance du capital qui s'avance contre lui. Ne vous rappelez-vous pas tous une image res­tée célèbre, ne vous rappelez-vous pas ce cri qui a retenti à un certain mo­ment ? Comment ! vous prétendez que sous l'empire de la loi de la concurrence l'égalité existe entre le maître et l'ouvrier ? Supposez qu'au commence­ment d'une route vous placiez un para­lytique à côté d'un homme ingambe, suffit-il que vous leur disiez : Allez, la route est ouverte, le champ est libre, cela suffit-il pour que l'égalité soit éta­blie entre les deux ? L'inégalité n'est-elle pas au contraire criante ? Et la société n'est-elle pas une marâtre lorsqu'elle met ainsi en présence tant de force et tant de faiblesse ? Et la loi ne manque-t-elle pas d'humanité lorsqu'elle respecte cette concurrence homicide, et le désordre qu'elle engen­dre par respect pour l'individualisme ? Quand on vous parlait ainsi, qu'avez-vous répondu ? Je vous entends encore. Aveugles que vous êtes, avez-vous dit, le mal que vous signalez est certain : mais pourquoi n'apercevez-vous pas le bien qui le corrige ? Ne comprenez-vous pas que l'humanité croupissante n'aurait fait aucune des conquêtes qui l'ont enrichie, qui l'ont honorée, qui l'ont grandie, qui l'ont transformée, si elle n'avait été poussée par cette loi salutaire de la concurrence ? Parce que des inconvénients se produisent, parce que des malheurs individuels se mani­festent, parce que des douleurs et des larmes sont causées par cette loi de la concurrence, pourquoi vous obstinez-vous à méconnaître les bénédictions qui, par elle, ont été répandues sur la société et les progrès immenses qui, par elle, ont été réalisés ! (« Très bien ! Très bien ! ») Je vous réponds, moi, aujourd'hui, à vous adversaires des coalitions, ce que vous répondiez aux adversaires des con­currences. Puisque vous adoptez le lan­gage de vos anciens adversaires contre vous, je reprends le vôtre contre eux ; puisque vous opposez aux autres ce qu'on vous opposait à vous-mêmes, je vous réponds ce que vous répondiez vous-mêmes. Vous avez beaucoup insis­té sur les malheurs occasionnés aux ouvriers par les grèves. Vous avez mon­tré les usines fermées, le pauvre ouvrier dans la détresse, sa femme, ses enfants dans l'abandon. Écoutez-moi ! À l'heure qu'il est il y a une petite ville de France que l'on appelle Lodève ! Je reçois tous les jours des lettres d'ouvriers. Savez-vous ce qu'ils me disent ? Le voici : « Nous sommes de pauvres tisserands ; jusqu'à présent nous travaillions avec des métiers à bras ; nous gagnions ainsi notre vie, lorsque tout à coup un désastre inattendu est venu fondre sur nous : on a mis dans le cahier des charges du minis­tère de la Guerre cette clause que, désor­mais, on ne recevra que les draps fabri­qués avec des métiers mécaniques, et qu'on rejettera ceux qui proviennent des métiers à bras. Voilà notre gagne-pain perdu. Venez à notre aide : parlez à l'Empereur ; parlez au ministre, priez, suppliez ; il s'agit de l'existence d'un grand nombre de familles. » Que pou-vais-je répondre ? Ai-je écrit à ces mal­heureux : Anathème à la machine ! Je m'unirai à vous pour arrêter, empêcher ce progrès. Non ; je leur ai dit : Je sym­pathise à vos douleurs, je voudrais les adoucir ; j'appelle sur votre situation l'assistance de tous les cœurs généreux ; elle ne vous manquera pas. Mais contre la cause de tant de maux je ne puis rien, et c'est le désespoir dans l'âme que je vous le dis ; je ne puis rien contre les consé­quences qui se sont toujours produi­tes lorsqu'une transformation industrielle s'est opérée. Je ne puis rien contre la mobilité progressive des moyens de tra­vail ! Eh bien ! je vous le demande main­tenant à vous, hommes puissants par la fortune, à vous hommes généreux qui occupez des ouvriers, et qui n'attaquez cette loi des coalitions que parce que vos entrailles sont émues des maux qu'elle leur prépare ; je vous le demande : quand une invention nouvelle a trans­formé vos industries, la perspective des maux qu'endureraient les ouvriers vous a-t-elle empêchés d'introduire dans vos usines des machines nouvelles ? Non ! Et vous avez eu raison, vous avez subi la loi fatale du progrès industriel, à laquelle, sous peine de périr vous-mêmes, vous ne pouviez-vous soustraire. Aujourd'hui, nous venons vous demander, au nom des ouvriers, au nom de leurs réclamations unanimes, de subir à votre tour une nécessité fatale ; vous ferez ce que vous pourrez pour en adoucir la rigueur, mais acceptez-la, parce que c'est bon, parce que c'est juste. Soyez les premiers à voter la loi. [...]

J'ai répondu à l'honorable M. Seydoux. Je ne voudrais pas trop abuser de votre patience ; cependant je ne puis omettre l'argumentation de l'hono­rable M. Kolb-Bernard et la laisser sans réponse. [...] Il est très facile de venir prononcer ces mots magiques sur les imaginations : la dépendance du salaire, la toute-puissance de l'association ! Ces mots produisent de l'émotion, ils se répandent, exaltent des espérances ; mais il n'est pas bon de les prononcer quand on ne les définit pas. Il n'est pas bon de dire à l'ouvrier : Tu es sous une loi de souffrance : la loi du salaire ; mais il y a une loi de salut : la loi de l'asso­ciation ; il n'est pas bon d'ouvrir ses horizons sans indiquer comment de la loi douloureuse du salaire l'ouvrier pas­sera à la loi bienfaisante de l'association. [...] Que le salaire soit le dernier mot des rapports entre le capital et le travail, je ne le crois pas ; que l'association sous une certaine forme puisse ajouter à la part fixe réservée à l'ouvrier dans les bénéfices, je l'admets et je le désire. Mais après avoir signalé avec tant d'élo­quence les inconvénients de la coalition, vous eussiez dû, mon honorable contra­dicteur, indiquer que si l'association présente pour l'ouvrier une perspective magique, en ce sens qu'elle lui fait entre­voir la possibilité d'une participation à des bénéfices qu'il suppose toujours très considérables, elle recèle aussi ce dan­ger : que quand elle sera devenue la forme des rapports entre le capital et le travail, l'ouvrier subissant les risques de l'opération retombera dans l'incertain et l'aléatoire, tandis que le salaire lui donnait le certain et le fixe. (Marques d'adhésion.) Il aurait dû dire aussi que, quand l'ouvrier passera de la situation de salarié à la situation d'associé, il se produira un effet analogue à celui qui s'est vu quand de serf il est devenu sala­rié, il a eu plus de droits, plus de dignité, mais aussi plus de peines et plus de res­ponsabilité. De même il aura la chance des bénéfices, mais il sera exposé au ris­que des pertes. Et, en vérité, quand je vois dans ce pays-ci toute une portion de la société se précipiter vers les emplois et les fonctions publiques, et rechercher pour ses enfants, au lieu des profits féconds de l'industrie, les profits réduits des places du gouvernement, parce que, dit-on, il y a dans une place quelque chose de fixe et de certain... (On rit.) Il est permis d'avoir quelque doute sur ces bienfaits sans mélange de l'association. (Très bien ! Très bien !) [...]

La coalition n'est pas une associa­tion permanente, mais c'est une associa­tion temporaire, et devant conduire à la première, et je ne peux pas m'expliquer comment, vous, qui condamnez l'indivi­dualisme par amour de l'association, vous condamnez la coalition qui est le commencement. [...]

C'est une mauvaise manière d'agir que de refuser un progrès sous prétexte qu'il est incomplet. Oh ! je connais cette théorie et je l'ai vue décrite avec un art admirable dans les Mémoires de Mallet-Dupan sur la première révolution. C'est la théorie du pessimisme. Elle consiste, lorsqu'un gouvernement déplaît en prin­cipe et qu'on n'agrée pas sa marche générale au lieu de faire ce que doit faire selon moi tout homme d'honneur et de bon sens, d'approuver ce qui est bien et de blâmer ce qui est mal, elle consiste à tout critiquer, à tout attaquer, surtout le bien, parce que le bien pourrait profi­ter à ceux qui l'accomplissent. (Marques d'adhésion.)

Ainsi agissaient les émigrés lors­qu'au lieu de rester dans le pays, de se rendre aux assemblées, aux sections, pour empêcher le triomphe des mauvais, ils allaient à l'étranger pour le rendre plus facile, afin que leur succès sortît de l'excès du mal.

Ainsi ont trop souvent agi les partis qui se sont succédé. Aussi, mes­sieurs, que reste-t-il dans notre pays après tant d'agitations ? Beaucoup de ruines, beaucoup de beaux et grands dis­cours, et pas d'institutions libérales ; et tous, à quelque passé que nous apparte­nions, nous avons regretté souvent de n'avoir pas, au lieu de nous être laissés absorber par des querelles stériles, de n'avoir pas facilité, à telle ou telle épo­que, les hommes de bonne volonté qui dans un temps s'appelaient Rolland, Martignac dans un autre, ou plus tard de tout autre nom, et de ne pas avoir accepté les réformes partielles qu'ils nous offraient, et d'avoir trop sacrifié à l'implacable satisfaction de nos rancunes personnelles. (Vive approbation.)

Quant à moi, messieurs, je ne suis point de cette école. Je ne suis pas pes­simiste, je prends le bien de quelque main qu'il me vienne. Je ne dis jamais : « Tout ou rien », maxime factieuse et redoutable. Je dis : « Un peu à chaque jour » ; et je n'oublie jamais la grande parole : « À chaque jour suffit sa peine. » Aujourd'hui la loi des coalitions, demain celle des associations. Et, puis­que l'honorable M. Jérôme David me demande cette déclaration, je n'hésite pas à la faire : Dans l'acte du gouver­nement je ne vois pas seulement ce qui n'y est pas : le droit de réunion et le droit d'association ; j'y vois aussi ce qui est : la liberté de coalition. Je ne me borne pas à critiquer ce qui me manque ; je remercie de ce qu'on me donne. (« Très bien ! Très bien ! » applaudissements prolongés. - De nombreuses félici­tations sont adressées à l'orateur.)