Germaine Poinso-Chapuis (18 septembre 1951)

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Germaine Poinso-Chapuis : « Il faut garantir un pouvoir d’achat minimum aux classes les plus défavorisées » (18 septembre 1951)

Les Trente Glorieuses (1946-1975) sont caractérisées par une forte croissance économique, une hausse générale du niveau de vie, mais aussi une importante inflation. En France, la hausse des prix est particulièrement élevée dès juin 1950 en raison de la guerre de Corée qui accroît la demande de matières premières.
Malgré une hausse des salaires et notamment du salaire minimum instauré en février 1950, le pouvoir d’achat des salariés recule. Germaine Poiso-Chapuis, députée MRP des Bouches-du-Rhône et première femme à avoir détenu un ministère à part entière entre 1947 et 1948, dépose alors une proposition de loi visant à créer une double échelle mobile des salaires.

  

  

M. le président. Nous reprenons la discussion des propositions de loi relatives à l'échelle mobile des salaires.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Poinso-Chapuis.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Nous avons écouté avec la plus grande attention les interventions successives de nos collègues dans ce débat.

Certes, ces interventions différaient entre elles et je n'ose prétendre que les votes qui seront émis au terme du débat revêtiront un caractère d'unanimité.

Cependant, il a semblé résulter des différentes interventions que nous avons entendues, que personne ne mettait en question le principe même de l'échelle mobile. On ne la conçoit point de la même manière d'un côté et de l'autre de l'Assemblée, mais sur le principe, c'est-à-dire sur la nécessité d'ajuster les salaires en quelque manière aux prix ou à la production per­sonne n'a discuté sérieusement que des dispositions nouvelles doivent être prises et que ces dispositions doivent se traduire sous la forme d'une échelle mobile.

Sur les techniques, les différences sont en revanche considérables.

Il y a encore eu unanimité — ce qui n'a pas été sans m'inquiéter quelque peu, je l'avoue — quant à l'angle sous lequel cette échelle mobile a été examinée.

Il semble qu'il se soit agi pour tous les orateurs à peu près uniquement d'une échelle mobile des salaires ajustée aux prix, c'est-à-dire à la hausse du coût de la vie, une échelle mobile s'inscrivant dans un processus inflationniste où les prix montent dans la proportion même où la monnaie se déprécié et se dévalue.

Aller au-delà de cette conception de l'échelle mobile, lui don­ner un aspect moins occasionnel et moins négatif, extraire de cette notion ce qui nous conduirait dans des voies nouvelles et constructives, il ne semble pas que cela ait été fait jusqu'à maintenant.

Dans le rapport même de M. Coutant, nous trouvons cette pré­occupation prédominante de répondre à des besoins actuels dont nous ne connaissons ni l'urgence ni l'importance, certes, besoins actuels qui peuvent se résumer en ceci : il faut garantir un pouvoir d'achat minimum aux classes les plus défavorisées et parmi elles à la classe laborieuse.

Sans doute y trouvons-nous encore in fine une allusion à une autre forme d'échelle mobile, une échelle mobile qui, en même temps qu'elle garantirait son pouvoir d'achat dans le cas de hausse des prix, associerait le travailleur à l'augmentation de la production, c'est-à-dire à l'augmentation du revenu national et de la richesse créée.

Mais il s'agit là beaucoup plus d'une illusion que d'une for­mule nette, concrète et techniquement définie. Et dans le dérou­lement de son rapport, M. Coûtant ne semble pas, à la vérité, s'être attaché beaucoup à cet autre aspect de l'échelle mobile.

On me permettra donc de ne pas insister outre mesure sur la nécessité d'ajuster les salaires aux prix. Aussi bien sommes-nous profondément convaincus — et comment ne le serions-nous pas — qu'il y a une iniquité que personne ne saurait con­tester dans le fait que les prix montant, les salaires demeu­reraient bloqués ou n'évolueraient à leur tour qu'avec un retard trop considérable et dans des conditions insuffisantes, n'arrivant pas ainsi à maintenir aux salariés un pouvoir d'achat égal au niveau des prix.

Il y a là, dis-je, une iniquité sociale. Il y a aussi une erreur économique. Nous nous efforcerons de démontrer l'une et l'au­tre au passage, mais ce ne sera pas l'essentiel de notre propos, puisque c'est surtout sur le deuxième aspect de l'échelle mobile que nous voudrions insister.

Cette optique limitée d'une échelle mobile courant après les prix, si j'ose dire, ou essayant, par son automaticité, d'évoluer en même temps que les prix — ce qui apporterait évidemment une garantie aux travailleurs — nous voudrions l'élargir de telle sorte que, cessant d'être valable comme l'avait dit M. Leenhardt à cette tribune, dans la seule optique d'une période inflationniste, comme celle où nous nous trouvons l'échelle mobile, dans une période d'expansion économique et d'économie équilibrée conserve toute sa valeur que dis-je qu'elle prenne alors toute sa valeur en associant enfin d'une manière effective constante et stable le travailleur à la création des richesses dont il est le principal artisan.

L'équilibre des prix et des salaires comporte deux aspects incontestables.

Le premier, c'est celui de l'ajustement des salaires aux prix, celui dont on a parlé jusqu'à maintenant.

Cet ajustement des salaires aux prix, résolu à l'aide de l'échelle mobile, dont le rapport de M. Coûtant nous indique le processus et le fonctionnement, c'est — je suis d'accord avec l'auteur du rapport — peut-être un peu plus qu'une piqûre de morphine, mais à coup sûr pas plus qu'un palliatif dans un processus inflationniste.

Mais il y a un deuxième aspect du rapport prix-salaires, c'est l'abaissement des prix en eux-mêmes qui arrive à valoriser, le pouvoir d'achat des travailleurs et des consommateurs sans qu'il soit besoin de toucher au salaire.

J'ai retenu dans l'intervention de notre collègue M. Leenhardt la phrase qu'il prononçait à ce propos. L'échelle mobile basée sur les prix lui apparaissait comme une tactique pour parve­nir à peser sur la notion de prix de revient et à amener le Gouvernement, par une action sur les prix à obtenir un abais­sement du coût de la vie c'est-à-dire une revalorisation du pouvoir d'achat par l'abaissement des prix plus encore que par l'ajustement des salaires aux prix.

Si nous sommes d'accord sur les buts, nous le sommes peut-être moins sur les moyens. Je ne suis pas tellement sûre que l'échelle mobile tactique, pour déclencher une action gouverne­mentale sur les prix, se révèle particulièrement efficace. On m'excusera de le dire, mais les expériences d'un passé encore tout proche nous permettent de douter un peu de l'efficacité d'une action gouvernementale sur les prix par voie auto­ritaire.

Quels qu'aient été les gouvernements au pouvoir, quelle qu'ait été la bonne volonté des hommes qui faisaient partie de ces gouvernements, force nous est bien de constater que l'ac­tion autoritaire sur les prix n'a pas donné grand-chose, et cela dans le moment même où le Gouvernement se trouvait pourvu de moyens pour agir, qu'il n'a plus aujourd'hui.

M. Raymond Boisdé. Nous sommes tout à fait d'accord.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Comment pourrions-nous donc penser qu'au moment où les moyens d'action sont à peu près retirés au Gouvernement, il obtiendra des résultats plus considérables, dans une action autoritaire, qu'il n'a pu en obtenir quand il avait les moyens d'agir ?

L'exemple anglais est là aussi pour nous amener à quelque scepticisme. La politique de contrôle autoritaire des prix a été pratiquée avec une particulière rigueur par le gouvernement anglais et, semblait-il, avec succès, pendant toute une période. Cependant, au mois d'août 1951, le congrès des syndicats, dans son rapport, a dû prononcer cet aveu :

« La stabilité relative salaires-prix-dividendes des dernières années est rompue et tout est remis en mouvement. Le sys­tème actuel du contrôle de la production, des prix, des béné­fices et de l'impôt sur le revenu ne suffit plus à empêcher que les augmentations de salaires ne soient complètement annulées par des hausses de prix ».

Sans nier donc la nécessité d'une action autoritaire à certains moments particulièrement critiques, nous disons que cette action autoritaire n'est elle-même qu'un palliatif, plus encore que l'échelle mobile, en présence de prix en hausse.

Il est nécessaire certes, à certaines heures et dans certaines circonstances économiques, que tous les moyens possibles, moyens artificiels ou moyens conformes aux lois économiques elles-mêmes, soient mis en oeuvre. Mais nous n'attendons pas trop de ces moyens qui ne nous paraissent pas de nature à régler le problème, et nous préférons, quant à nous, rechercher ailleurs une solution. Où la trouverons-nous ?  Nous la trouverons dans cette échelle mobile que nous vou­lons, nous, axer sur la production, c'est-à-dire une échelle mobile qui s'inscrit dans un équilibre économique retrouvé dans une politique d'expansion économique dans une politique d'avenir de telle manière que contrairement aux thèses que nous avons entendu soutenir ici cette échelle mobile ne ces­serait pas d'avoir sa raison d'être et son intérêt le jour où l'économie serait redevenue tout à fait saine. Elle prendrait avons-nous déjà dit une valeur et une efficacité accrues ce, jour-là car elle permettrait partiellement la réforme même qui nous parait la plus essentielle c'est-à-dire une distribution équitable du revenu national. (Applaudissements au centre)

Sommes-nous actuellement dans une période de pénurie ou de semi-pénurie telle que nous devions envisager notre pro­blème autrement que sur le plan d'une économie normale ? Non

Nous assistons au relèvement économique, à l'élévation de l'indice de la production. Nous constatons que pour les char­bons, par exemple, nous sommes le seul pays d'Europe, sauf  l'Angleterre, qui ait rétabli sa production d'avant-guerre.

M. Raymond Boisdé. Pas tout à fait.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Nous constatons que, pour 1'électricité, nos disponibilités ont doublé, que nous raffinons deux fois plus de pétrole, que le trafic ferroviaire a augmenté de 40 p. 100.

Nous constatons que nos industries ont élevé leur niveau de production de 12 p. 100 par rapport à 1929.  Nous constatons que notre balance du commerce est devenue excédentaire.

Nous sommes donc dans une période économique somme toute assez favorable.

M. Raymond Boisdé. Voulez-vous me permettre de vous inter­rompre ?

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Je vous en prie.

M. Raymond Boisdé. Jecrains que cette vue ne soit trop optimiste. Il serait en effet scandaleux que la production en France n'ait pas augmenté depuis ces dernières années, étant donné le progrès technique, les nouvelles méthodes, le nou­veau machinisme et les inventions.

Il suffirait de dire que nous fabriquons beaucoup plus de pénicilline que naguère — et pour cause — ou davantage de bas nylon qu'il y a dix ans pour en déduire que notre situation économique est prospère. Il y a là une illusion dangereuse qu'il faut dissiper. En fait, notre économie n'a pas marqué des progrès équivalents à ceux des pays voisins. Nous devons en prendre acte, pour faire des efforts supérieurs à ceux, hélas, auxquels notre économie a été réduite en raison de la politique qui a régné dans notre pays.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Monsieur Boisdé, je note que vous avez rendu justice à notre effort. Vous affirmez que c'est l'accroissement de la productivité et les techniques nouvelles qui nous ont permis d'obtenir un accroissement de la production.

Je ne vous ferai pas une querelle d'origine et de motif. J'ad­mets volontiers que cet accroissement, c'est le perfectionne­ment des techniques qui l'a obtenu. Ce qui m'intéresse pour que mon raisonnement demeure valable économiquement ce sont les résultats et non pas les causes. Or les résultats sont ceux que j'ai donnés et que vous reconnaissez vous-même. Qu'ils ne soient pas un point d'arrivée j'en suis d'accord avec vous mais je le répète, je me place dans ma démonstration dans, une optique nettement expansionniste au point de vue économique

M. Raymond Boisdé. Nous sommes d'accord.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. J'entends dire que nous sommes en période de relèvement économique, que nous sommes arrivés à un équilibre économique relatif retrouvé et que nous devons nous placer dans des perspectives d'expansion économique et non pas de pénurie, ni même d'inflation, dont nous devons et dont nous pouvons sortir, j'en suis persuadée. (Très bien! très bien! au centre.)

Comment se fait-il alors qu'ayant enregistré de tels résultats nous soyons obligés de constater néanmoins un amenuisement du pouvoir d'achat des masses laborieuses ?

Il est un fait qui s'impose à nous, tout aussi gravement que le déséquilibre entre les salaires et les prix : dans une produc­tion accrue, la masse attribuée à la rémunération du travail ne s'est pas relevée proportionnellement à la production, au contraire le décalage s'est accentué.

Cela est-il acceptable ? Cela est-il raisonnable ? Cela est-il économiquement sain ?

Dans le rapport fait l'an dernier au comité consultatif des États-Unis et soumis au Congrès, j'ai relevé cette phrase que nous pouvons, me semble-t-il, nous appliquer;

« Il y a trois buts principaux dans toute politique écono­mique : atteindre à un emploi, à une production et à un pou­voir d'achat maxima ».

C'est bien là, véritablement, l'expansion économique dont nous pouvons rêver et qui nous conduira, en même temps qu'à un climat économique sain et équilibré, à un climat social également sain et équilibré.

Assurer l'emploi, augmenter la production et, parallèlement, accroître le pouvoir d'achat, tout cela se tient. Carnous n'aug­menterons la production et nous n'assurerons l'emploi que dans la mesure où nous accroîtrons le pouvoir d'achat.

M. Jean Catrice. Très bien !

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Il est incontestable que si nous ne portons pas aujourd'hui notre premier effort sur la revalorisation du pouvoir d'achat, nous aboutirons à l'étrangle­ment, à l'écrasement de notre production et, par suite, au chô­mage dans un délai plus ou moins long. (Applaudissements au centre.)

Dans le même rapport, présenté au Congrès des États-Unis, figurent des statistiques qui peuvent servir de ligne directrice.

Aux États-Unis, la production a doublé entre 1869 et 1918. Elle a doublé également entre 1919 et 1948. Parallèlement, le nombre d'heures de travail a diminué et, parallèlement aussi, le pouvoir d'achat a augmenté.

M. Raymond Boisdé. Très bien !

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Si bien que je note, sous la plume d'un syndicaliste en mission d'études aux États-Unis, qui résume son procès-verbal de voyage, la constatation particuliè­rement évidente, que le travailleur de base a au minimum un pouvoir d'achat trois fois supérieur à celui du travailleur fran­çais de même catégorie :           

« Dire que cette situation acquise est un summum serait mentir, ajoute le syndicaliste, car il est facile de constater également que le potentiel de richesse des États-Unis donne le droit au travailleurs américain d'espérer encore une meilleur répartition des ressources économiques et du profit. »

Et plus loin:

« Ceci n'a pu être obtenu que pour la bonne et intelligente raison que la mentalité patronale et le climat économique dans ce pays ont su voir dans le salarié non seulement un pro­ducteur, mais tout autant et plus encore un consommateur important, un acheteur intéressant ». Or, les États-Unis pratiquent largement l'échelle mobile. Je m'écarte volontairement du plan de l'idéal et du plan de l'homme pour me placer résolument sur le seul plan écono­mique. Sans doute, la faiblesse de notre économie réside-t-elle en ce fait que nous en sommes encore à considérer le travailleur simplement comme celui qui perçoit un salaire et le salaire seulement comme un élément du prix de revient, sans envi­sager que le salaire est d’abord du pouvoir d’achat, que le tra­vailleur est un consommateur et que les prix sont fonction de la politique de consommation que nous saurons ou ne sau­rons pas poursuivre. Quelle peut être alors cette base ? Où la trouver ? Incontesta­blement dans l'accroissement de la production, c'est-à-dire, par voie de conséquence, du revenu national.

Reste alors à la mesurer. C'est là que l'opération devient diffi­cile, car sur le principe nous pourrions aisément nous mettre d'accord.

Nous avons essayé, par la proposition de loi que nous avons déposée, de donner à cet accroissement de la production un ins­trument de mesure qui puisse, en même temps, nous donner l'échelle des prix et de la production. Nous pensons, en effet, que le reproche adressé à l'échelle mobile fondée sur les prix de contenir en puissance des possibilités inflationnistes, se trou­verait singulièrement corrigé, pour ne pas dire détruit, si cette échelle reposait sur la production en même temps que sur les prix.

Je m'explique.

Une échelle mobile reposant seulement sur les prix et qui se situe dans une période de pénurie relative doit nécessairement jouer comme un appel effectif à la hausse des prix, c'est-à-dire accroitre les possibilités de demandes exactement comme un crédit démesurément amplifié au moment de la pénurie entraî­nerait une hausse des prix.

C'est ce à quoi nous avons assisté à différentes périodes lors de rajustements de salaires et ce qui a plongé dans une per­plexité parfois voisine du désespoir les travailleurs qui voyaient un rajustement des salaires immédiatement suivi d'une hausse plus que proportionnelle des prix.

Mais si cette échelle mobile des prix se trouve en quelque sorte corrigée, canalisée et soutenue par une deuxième base d'échelle possible, celle qui repose en même temps sur la pro­duction, nous sommes sûrs, cette fois, non seulement de garan­tir une proportionnalité équitable entre les conditions de la vie et les moyens d'y pourvoir, mais d'accorder une augmentation du pouvoir d'achat correspondant à un accroissement de richesse créée. Ainsi, aucun facteur inflationniste ne pèserait

plus sur cette partie saine de l'échelle mobile puisque la valeur

donnée en salaire trouverait sa satisfaction en produits et se tra­duirait, au contraire, par un appel à l'intensification de la pro­duction.

Alors, il nous est apparu qu'une échelle mobile qui reposerait sur la taxe de transaction nous donnerait précisément cette dou­ble assiette car dans cette taxe figurent l'élément prix et l'élé­ment accroissement de la production. Le seul fait que les prix augmentent accroît nécessairement le rendement de la taxe, même si, par hypothèse, la production ne s'est pas accrue, de telle sorte que les travailleurs n'ont pas à craindre qu'au cas d'élévation de prix qui ne serait pas accompagnée d'une élé­vation de la production, leur pouvoir d'achat s'amenuise gra­duellement.

Les prix seuls se répercutent déjà sur la taxe de transaction, mais l'augmentation de la production se répercute elle aussi directement sur cette taxe.

Je sais bien que M. Coûtant, dans son rapport, a opposé à notre proposition deux critiques dont l'une nous a paru, je le reconnais, très pertinente et l'autre beaucoup moins.

Celle qui nous a paru très pertinente a trait à la lenteur des variations. C'est un fait que le coefficient d'augmenta­tion ne pourrait être déterminé que tous les six mois et qu'en période de hausse des prix, hausse qui, par hypothèse, serait rapide, la fixation d'un nouveau coefficient pourrait être attendue beaucoup trop longtemps, de sorte qu'il se produirait un décalage considérable entre prix et salaires.

Aussi avons-nous, pour parer à cet inconvénient, déposé un amendement que je ne soutiendrai ni ne développerai ici, mais qui permettrait de liquider — si j'ose employer cette expression — tous les trois mois les augmentations de prix de quelque importance qui pourraient se produire, tout en conservant cependant notre base double.

Le deuxième argument — M. Coûtant m'excusera de le lui dire très amicalement — ...

M. le rapporteur. Je vous en prie.

Mme Germaine Poinso-chapuis.  ...ne vaut pas grand-chose.

Dans le rapport de M. Coutant, nous lisons en effet :

« Il n'y a aucun parallélisme absolu entre le rendement de la taxe et les variations de prix. L'étude statistique de ces deux éléments montre qu'ils varient différemment dans le même temps, ce qui rend impossible tout « accrochage » de l'un à l'autre ».

Je voudrais seulement apporter à M. Coûtant quelques chiffres et quelques précisions.

Voici le résultat d'une étude qui a été imprimée en 1950 par l'Imprimerie nationale et que nous trouvons dans l'annuaire sta­tistique abrégé, 2° volume. Vous voyez que je cite mes auteurs et qu'il est facile de contrôler

Il faut donc créer un marché intérieur, un marché de consom­mation. Il faut le créer par l'accroissement du pouvoir d'achat et aussi par le développement du crédit. Mais je ne m'appesan­tirai pas sur cette dernière considération qui sortirait de mon propos.

Peut-être me reprochera-t-on de m'avancer dans une voie non orthodoxe au regard d'une rigueur financière dont on nous a trop longtemps nourris. Peut-être me dira-t-on que j'aborde d'un cœur léger la pente glissante de l'inflationnisme.

Je m'excuse auprès des techniciens d'employer certains ter­mes dans un sens sans doute différent de celui qu'ils leur attribuent. Peut-être leur donnerai-je un sens plus proche du bon sens commun que de la technique économique. Mais, puisqu'on nous menace toujours de l'inflation comme du gendarme à propos de toutes les positions économiques que nous sommes appelés à prendre, je voudrais tenter de définir cette inflation menaçante qui nous oblige à exercer une pression constante sur la masse salariale au risque d’être entraînés dans je ne sais quel cycle infernal.

Récemment, un journal financier publiait un article sur la question même que je pose. C'est là une référence qui peut me garantir auprès de certains techniciens. On pouvait y lire: « On parle toujours d'inflation. Mais, qu est-ce que l'inflation ? En quoi consiste-t-elle ? De quelle inflation nous menace-t-on ? Quelle est l'inflation qui est à l'origine de la hausse actuelle des prix ? ».

Ce n'est pas l'inflation monétaire, ce n'est pas l'inflation du crédit. Nous constatons que les prix montent et montent sans doute pour d'autres causes qu'inflationnistes ou, du moins, la cause inflationniste n'est-elle pas le seul, le principal facteur de la hausse des prix.

Je vous propose de distinguer dans 1'inflation, au regard de la politique économique et de la politique des salaires que nous entendons poursuivre, entre deux aspects : que j'appellerai, pour la commodité de mon exposé, l'inflation négative, celle qui se manifeste par un surcroît de signes monétaires, par une surabondance de crédit, dans un appel à la hausse, dans un déséquilibre des facteurs économiques et qui caractérise sou­vent les périodes de pénurie, d'une part, et, d'autre part, l'inflation que j'appellerai positive, qui consiste à dispenser du pouvoir d'achat ou du crédit, c'est-à-dire de l'aliment à la vie économique, cette inflation positive qui correspond à une créa­tion de richesse, qui est représentée par elle et que nous ne saurions considérer en aucune manière comme un facteur de déséquilibre.

Qu'on cesse donc de nous faire peur avec cette forme d'infla­tion. C'est en nous enfermant dans un faux dilemme et dans une fausse orthodoxie que nous arriverons à l'asphyxie écono­mique dans laquelle notre économie tout entière sombrera.

En ce qui concerne le rapport salaires-prix, c'est de cette conception qu'il faut nous inspirer. Relever le pouvoir d'achat, par-là accroître la production, créer de la richesse et augmen­ter le pouvoir d'achat dans la proportion même où cette richesse se crée, cela est sain, cela est valable, cela n'entraîne aucun risque économique et devient générateur d'activité. C'est véritablement l'appel à la production que nous créons dans la mesure où nous amorçons et développons la consommation.

Par quel moyen technique essaierons-nous de traduire cette volonté de créer un marché de consommateurs, un marché intérieur ? C'est ici que se place le texte que nous avons eu l'honneur de déposer au nom du mouvement républicain popu­laire.

Loin d'être une improvisation, il est le fruit de longues recherches patiemment poursuivies par ce technicien admirable des problèmes de salaires qu'est notre ami Labrosse, qui fut membre de la précédente Assemblée. C'est lui qui a étudié et mis au point le texte que nous avons l'honneur de soutenir aujourd'hui devant vous.

L'exposé des motifs constate d'abord que le revenu national est composé de quatre facteurs : le facteur capital, auquel correspondent les revenus; le facteur entreprise, auquel corres­pondent les profits ; le facteur travail, auquel correspondent les salaires ; le facteur collectivité, auquel correspondent les impôts. La masse formée par l'ensemble de ces quatre facteurs est susceptible de variation en valeur nominale, mais elle demeure constante en valeur absolue.

Or, chacun des quatre facteurs qui la composent a jusqu'à présent varié non seulement en valeur nominale, mais également en valeur absolue. Autrement dit, ces facteurs n'ont pas suivi une évolution exactement proportionnelle. Tandis que le facteur entreprise, c'est-à-dire le profit, s'est accru le plus considérablement, le facteur impôts s'est, accru considérablement aussi, quoique plus légèrement à la vérité. Quant au facteur salaires, il est demeuré très en arrière ainsi que le facteur revenu, correspondant à la part du capital.

Il n'y a donc pas eu d'évolution proportionnelle des quatre facteurs. De là est né le déséquilibre car, dans la mesure même où le revenu national s'est accru, si deux de ses facteurs, le revenu du capital et le salaire, demeurent fixes, il s'ensuit que, proportionnellement, les autres facteurs se sont accrus outre mesure et que, nécessairement, tout ce qui n'a pas été donné aux salaires est allé au profit.

Il ne s'agit pas là d'une démonstration théorique, elle s'inscrit dans les chiffres et c'est là que se trouve le nœud même de notre question, l'injustice sociale et le déséquilibre économique concourant à créer le désordre dans nos institutions aussi bien politiques qu'économiques et sociales.

Si les salaires sont fixes, disons-nous, les profits sont en hausse. Qu'a-t-on fait jusqu'à ce jour pour modifier cette situation ? Quels essais ont été tentés pour accroître le pouvoir d'achat, soit en agissant sur les prix, soit en élevant les salaires ?

Au nom d'une conception orthodoxe de lutte contre toute hausse de prix, on a pensé qu'il fallait agir sur les composantes des prix, au premier plan desquelles on a cru devoir ranger les salaires. C'est sur les salaires qu'on a fait porter l'opération de blocage, suivie, certes, de rajustements dans lesquels on peut trouver,  si l'on veut,   une échelle mobile, mais qui s'est produite à retardement sans jamais combler la marge qui n'a cessé de croître. C'est donc une échelle mobile imparfaite, non automatique, et qui n'a jamais joué que sous la pression du désordre, de la menace et de la grève. C'est en essayant de bloquer les salaires, les crédits, et donc de diminuer la demande que, trop souvent, l'économie orthodoxe a voulu agir sur les prix. Nous avons constaté que ce double blocage avait grippé la machine et amené des troubles sociaux sérieux, sans agir sur les prix ou, tout au moins, en n'agissant que d'une manière notoirement insuffisante. Cette conséquence est explicable car la diminution du pouvoir d'achat en entraînant la réduction de la demande se traduit, dans un temps plus ou moins long et après un abaissement provisoire des prix, par l'arrêt de la production, le retour aux conditions de la pénurie au lieu de la création des facteurs de prospérité et, par une loi de réversion, le réamorçage de l'inflation au terme de cette pénurie.

Ce n'est donc pas dans une raréfaction nous conduisant à la pénurie, dans une tentative de déflation brutale amenant des troubles économiques que nous pouvons rencontrer la solution. Ce n'est pas davantage dans la formule fort préconisée ailleurs, d'une réforme intérieure de l'entreprise et d'une échelle mobile en quelque sorte interne. Deux motifs principaux s'y opposent.

En premier lieu, nous devons penser le problème des salaires à l'échelon national, le rôle de l’État et la justification de son rôle étant de garantir un minimum de justice à l'ensemble des citoyens.

Laisser jouer librement au sein de chaque entreprise les lois économiques, c'est transposer sur le plan de l'entreprise les injustices et les inégalités qui existent actuellement sur le plan des hommes, c'est accepter que certaines catégories de travailleurs appartenant à des entreprises défavorisées ne bénéficieront même pas du minimum vital.

Reprenant la formule toujours vraie de Lacordaire qu'entre le fort et le faible la liberté c'est l'oppression, je dirai que le rôle de l’État est précisément d'intervenir pour que cette liberté ne soit point assez totale pour se traduire en oppression envers le plus défavorisé, qu'il s'agisse du travailleur ou de la catégorie d'entreprise qui groupe des travailleurs. Il faut donc un salaire minimum national garanti. Cette solution n'exclut point bien au contraire qu'à l'inté­rieur de chaque entreprise les travailleurs soient associés à la vie de celle-ci, à sa production à son effort de productivité Cette forme de rémunération qu'on a appelée le salaire proportionnel peut parfaitement s'ajouter, se juxtaposer au salaire minimum et à l'échelle mobile applicable au salaire minimum. Mais nous voulons, à la base la garantie que personne en France ne sera conduit à mourir de faim pendant que d'autres auront plus que le nécessaire.

Nous ne pouvons donc fonder le salaire minimum sur une échelle mobile uniquement interne. Il faut que celle-ci ait une assise nationale, une prise générale sur l'économie du pays pour avoir une assiette solide. Le produit de la taxe sur les transactions accuse, de 1946 à 1949, 350 p. 100 d'augmentation. Dans le même temps, l'indice du coût de la vie a augmenté de 285 p. 100. Vous voyez donc qu'il y a incontestablement bénéfice pour la part salariale à l'application de l'échelle mobile sur la taxe de transaction puisque la seule échelle accrochée aux prix ne nous aurait donné qu'une augmentation des salaires de 285 p. 100. Mais, dans le même temps, nous constatons que l'augmentation des salaires a été de 210 p. 100, ce qui est loin de correspondre à l'augmentation des prix.

M. le rapporteur. Me permettez-vous, madame, de vous interrompre ?

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Je vous en prie.

M. le rapporteur. Ma chère collègue, il est possible que si l'on totalise les variations de rendement de la taxe sur les transactions et les variations de prix, pendant-plusieurs années, on arrive à des résultats de l'ordre que vous avez indiqué.

Mais ce que j'ai voulu dire dans mon rapport, c'est que ces variations ne se réalisent pas suivant un parallélisme absolu.

Si vous décomposez les variations dont vous parlez, vous arrivez, par exemple, aux résultats suivants : de juin à décembre 1946, le rendement de la taxe a augmenté de 26,9 p. 100 alors que de juillet 1946 à janvier 1947 — j'ai décalé d'un mois pour tenir compte du fait qu'il faut au moins un mois ou un mois et demi pour connaître le rendement de la taxe — les prix ont augmenté de 48,61 p. 100.

Je prends ce seul exemple pour vous montrer que si un rétablissement par suite d'une variation plus importante de la taxe aurait pu se produire ensuite, malgré tout pendant les six mois précédents, les travailleurs auraient vécu, si on avait appliqué votre système, dans des conditions extrêmement diffi­ciles car la majoration de leurs salaires, qui seraient alors inter­venue, n'aurait en rien correspondu aux hausses massives de prix qui ont été enregistrées.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Parce que vous vous situez là, mon cher collègue, dans une période de blocage qui, du point de vue économique, était anormale.

Je vous donne des références qui s'étendent sur cinq ans, c'est-à-dire une période où a été pratiquée une économie nor­male ; ces références me paraissent donc valables et constantes.

M. le rapporteur. Je pourrais vous en citer d'autres plus récentes.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Ces références nous donnent précisément, par recoupement — et c'est tout de même un moyen de contrôle qui a sa valeur — le total exact de la hausse de l'indice du coût de la vie et de l'accroissement de produc­tion lorsque nous arrivons à retrouver l'intégralité du produit de notre taxe.

En effet, si nous faisons les comparaisons de chiffres nous nous apercevons qu'en 1949-1950 par exemple, la majoration de rendement de la taxe, en, défalquant l'élément prix, ressort à 10 p. 100, ce qui correspond, bien à ce qui nous est fourni par les statistiques comme augmentation de la production, Nous nous apercevons que pour la période de trois ans qui s'étend de 1946 à 1949, la portion prix étant déduite, on retrouve dans la taxe de transaction un élément de production qui représente 20 p. 100 de la production, ce qui est également conforme à toutes les statistiques.

Nous avons donc là un instrument de mesure qui nous paraît juste.

M. Francis Leenhardt Voulez-vous me permettre de vous interrompre ?

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Volontiers.

M. Francis Leenhardt. Ma chère collègue, votre formule est très séduisante. Elle a le mérite de la simplicité et l'avantage de réaliser, ce qui est notre objectif, la double échelle mobile variant à la fois avec les prix et avec la production.

Malheureusement il y a d'autres arguments que ceux tirés de l'analyse des statistiques. Il y a le fait que la taxe de transaction est bien souvent soumise à des modifications de taux. Il y a le fait que la taxe de transaction est, de toutes les taxes, celles qui, notoirement, est la plus fraudée.

Donc si nous acceptions votre base, nous nous trouverions dans l'alternative suivante : si nous cherchons à réprimer la fraude, comme c'est notre devoir, nous mettons en difficulté les salariés dont le pouvoir d'achat va reculer en fonction de l'effort que nous apporterons à la répression de la fraude.

M. Jean Catrice. Au contraire.

M. Francis Leenhardt. J'avoue que cette alternative est extrêmement désagréable. Il y a aussi, en matière agricole, des exemptions assez importantes. Il y a ensuite le lait que la taxe de transaction porte non seulement sur les marchandises produites en territoire métropolitain mais aussi sur les marchandises d’importation. On arrivera par conséquent assez rapidement à des contestations.

Il y a donc un ensemble de problèmes qui se posent, en dehors des objections retenues par la commission du travail, et je crains que, dans ces conditions, nous ne puissions retenir cette base, si séduisante qu'elle apparaisse. (Applaudissements à gauche.)

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Je vous remercie, mon cher collègue, de vos observations qui me donneront l’occasion d'une mise au point.

Vous avez relevé, à la base du critère que serait la taxe à la transaction, un certain nombre de motifs d'erreurs. Je vous répondrai simplement que, s'agissant d'une proportionnalité que nous entendons établir, les erreurs à la base se trouvent parfaitement négligeables quant à la valeur de l'instrument de mesure. Si l'instrument de mesure est exact dans la proportion de 7 p. 100 au départ, peu nous importe. Il sera valable à 100 p. 100 dans les évaluations, proportionnelles qui en découlent; par conséquent, partis d'un instrument de mesure ayant 3 p. 100 d'erreurs, la proportion des rajustements auxquels nous procéderons demeurera rigoureusement exacte.

Peu importe donc cette part d'erreurs d'appréciation venant des éléments qui entrent dans la taxe de transaction, prove­nant aussi de fraudes.

Je note d'autre pari, monsieur Leenhardt, une partie de votre intervention que je n'ai pas très bien comprise. Vous nous avez dit que nous devons nous donner pour but la répres­sion de la fraude fiscale. Nous sommes tous d'accord. Et vous avez ajouté : Si donc cette répression se poursuit, les travail­leurs risquent d'en faire les frais, si nous prenons comme ins­trument de mesure la taxe de transaction. Il me semble que c'est exactement l'inverse.

M. Francis Leenhardt. Vous avez raison.

Mme Germaine Poinso-Chapuis. Dans la mesure où la répres­sion fiscale sera mieux assurée, les travailleurs bénéficieront d'un accroissement du volume de la taxe.

Vous m'objecterez que cette fraude est très difficile à déceler et à combattre.

Je vous répondrai d'abord qu'elle est l'élément constant d'erreurs au départ. L'essentiel, c'est qu'elle ne s'aggrave pas. Ce que je disais à propos des composantes, de la taxe de transaction est vrai en ce qui concerne les fraudes fiscales. La proportionnalité demeure vraie, môme si l'échelle de mesure n'est pas rigoureusement exacte. Mais nous désirons la rendre le plus exacte possible.

Vous émettez quelques doutes sur ce point. J'ai pourtant noté, dans la très remarquable intervention que vous fîtes à cette tribune, que, pour vous, l'échelle mobile, qui n'était pas une fin en soi — vous l'avez dit — ni même un moyen valable, était une tactique — j'ai retenu le mot que vous avez vous-même prononcé — pour inciter le Gouvernement à agir sur les prix.

Alors, mon cher collègue, vous douteriez que le Gouverne­ment puisse réprimer les fraudes fiscales ? Mais vous avez, au contraire, une dose considérable d'optimisme au regard de l'action du Gouvernement sur les prix.

Quant à moi, je crois qu'il est beaucoup plus facile, par des mesures appropriées et beaucoup plus simples — la réforme fiscale bien faite est suffisante — d'arriver à réprimer la fraude fiscale, plutôt que d'appréhender tous les éléments de l'écono­mie qui concourent à la fixation des prix et à les dominer.

J'estime donc que les objections sur ce point ne valent pas grand-chose.

Je pense qu'en revanche le procédé d'automaticité absolue que comporte noire système a en soi une valeur économique et une valeur sociale considérables..

Il a une valeur économique: il va vite ; il est juste, sous réserve du pourcentage d'erreurs au départ. Il est simple.

Il a une valeur sociale : il évite ces interminables discussions que nous avons connues pour les fixations de budgets-types, pour les adaptations, ces désaccords perpétuels desquels on ne saurait sortir.

Enfin, sans contestation aucune et sans critique, une mesure qui s'impose à tous et qui joue automatiquement peut permet­tre de déterminer l'accroissement des salaires en permettant de déterminer l'accroissement de la production.

J'ajoute, moi aussi, que ce système me paraît en quelque mesure une tactique — pas tout à fait dans le même sens que vous donnez à ce mot. Je ne pense pas que ce sera le Gouvernement qui, à la faveur de l'échelle mobile, agira sur les prix, car je crains qu'il ne le puisse pas. Mais je suis persuadée que les industriels et les producteurs agiront, eux, sur les prix et que, dans le calcul de leurs prix, ils compteront désormais au plus juste. Cela s'explique.

Aujourd'hui, toute hausse des prix, dans une stabilité rela­tive et avec un blocage relatif des salaires, se traduit par une hausse des profits. Il y a donc intérêt, avec l'échelle mobile, à calculer les prix le plus largement possible. S'il y a une augmentation en valeur nominale du profit, il n'y a plus d'augmen­tation en valeur absolue. On a donc intérêt désormais à com­primer les prix pour étendre le marché et accroître la produc­tion, seule manière d'accroître vraiment les bénéfices. Je crois, par conséquent, que nous n'avons que des avantages à ce système.

Vous voyez bien que j'ai insisté surtout sur les aspects écono­miques du problème. Je n'ai pas voulu, dans un débat que nous avons tous désiré sérieux, étayé, sans surenchère, jeter cet élément humain qui a pourtant à nos yeux tant de prix, cet élément qui domine encore, les réalités économiques, mais qui ne saurait les mépriser sous peine de porter lui-même à faux: faire à l'homme sa place dans l'économie, lui donner ce qui lui est dû de cette richesse dont il est le véritable promoteur et le créateur de tous les instants, lui permettre, en lui donnant ce qui lui est dû, de devenir chaque jour plus pleinement lui-même, de se développer en même temps que nous développons les richesses économiques.

Favoriser le développement de l'homme, cette extension des possibilités de l'homme trouvant enfin les moyens de se réaliser grâce à l'accroissement de ses ressources matérielles ce n'est pas allé contre le réalisme, contre l'intérêt bien entendu da chacun, ce n'est pas aller contre la solidité des structures éco­nomiques, contre l'avenir du pays.

En terminant, je vous citerai ce mot de Clemenceau : « En accroissant l'homme, nous accroissons la patrie » (Applaudissements au centre.)